N°17 MAI P. 5 REGARD EN QUESTION P. COMMUNISME P ...P. 32 MARX ÉCOLOGISTE Par Baptiste Eychart P....

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u P. 6 LE DOSSIER MIGRATIONS AU-DELÀ DU FANTASME P. 36 PRODUCTION DE TERRITOIRES LA VILLE NÉOLIBÉRALE, MODE D’EMPLOI Par Max Rousseau P. 32 MARX ÉCOLOGISTE Par Baptiste Eychart P. 5 CIMETIÈRES MODERNES de Nyaba Léon Ouedraogo N°17 MAI 2012 REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF COMMUNISME EN QUESTION REGARD

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u P.6 LE DOSSIER

MIGRATIONSAU-DELÀ DU FANTASME

P.36 PRODUCTION DE TERRITOIRES

LA VILLE NÉOLIBÉRALE,MODE D’EMPLOIPar Max Rousseau

P.32 MARX ÉCOLOGISTEPar Baptiste Eychart

P.5 CIMETIÈRES MODERNESde Nyaba Léon Ouedraogo

N°17MAI2012

REVUEPOLITIQUEMENSUELLE

DU PCF

COMMUNISME EN QUESTIONREGARD

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LA REVUE DU PROJET - MARS 2012

2 SOMMAIRE2

APPEL À CONTRIBUTIONS

Nous disposons d'une édition La Revue du Projet publiée et recommandée parla rédaction de Mediapart. Nous vous invitons à participer à cette collaborationen réagissant, en commentant et en diffusant largement les contributions quenous mettons en ligne. http://blogs.mediapart.fr/edition/la-revue-du-projet

Note : Pour tout commentaire concernant cette édition, vous pouvez nous contacter à l'adressesuivante : [email protected]

Parce que prendre conscience d'un problème, c’estdéjà un premier pas vers sa résolution, nouspublions, chaque mois, un diagramme indiquant lepourcentage d'hommes et de femmes s’exprimantdans la revue.

Part de femmes et part d’hommes s’exprimant dans ce numéro.

4 FORUM DESLECTEURS/LECTRICES

5 REGARDNyaba Leon Ouedraogo Cimetières modernes

6 u21 LE DOSSIERMIGRATIONS,AU-DELÀ DU FANTASMEGuillaume Quashie-Vauclin Une clef del’avenir : gagner la bataille de l’hégémonieculturelle en matière migratoireCatherine de Wenden Panorama des fluxmigratoires dans le mondeMichaël Orand Combien d’immigrés enFrance ?Isabelle Lorand Construire le vivre ensemble,une urgence politique Jean Magniadas L’évolution des politiquesmigratoires en FrancePierre Barron, Anne Bory et al. Les travailleurssans-papiers, de la précarité à la grèveMaryse Tripier, Andrea Rea 1968-2008l’immigré au travail, une figure de plus enplus hétérogèneÉliane Assassi La citoyenneté de résidence,une exigenceGuy Michelat, Michel Simon L’hostilité auximmigrés en recul

Alain Hayot Répondre aux thèses du FNHugo Pompougnac Au cœur desproblématiques migratoires : le partage dessavoirsGazmend Kapllani Petit journal de bord desfrontières- Extraits du programme du Front de gauche

22 COMBAT D’IDÉESGérard Streiff Classe moyenne, mot creux etréalité innommée

24 SONDAGESEurope : une image dégradée

25 BULLETIN D’ABONNEMENT

26 NOTESRévolution Numérique ACTA, l'arme atomiquede la rente informationnelle mondiale

28 REVUE DES MÉDIAAlain Vermeersch L’austérité qui vient

30 CRITIQUESCoordonnées par Marine Roussillon• Guy Michelat, Michel Simon, Le Peuple, lacrise et la politique

• Mathieu Leonard, L’émancipation destravailleurs, une histoire de la PremièreInternationale,

• Groupe de recherche pour ladémocratisation scolaire (GRDS), L’écolecommune. Propositions pour une refondationdu système éducatif,

• Jean Salem, « Élections, piège à cons »,Que reste-t-il de la démocratie  ?

32 COMMUNISME EN QUESTIONBaptiste Eychart Marx écologiste

34 HISTOIREPaula Cossart L’invention des meetings-démonstrations de force

36 PRODUCTION DE TERRITOIRESMax Rousseau La ville néolibérale, moded’emploi

38 SCIENCESJean-Pierre Kahane La place de la sciencedans la société

40 CONTACTS / RESPONSABLESDES SECTEURS

HommesFemmes

« BEAUCOUP METTENT DE L’ÉNERGIE À RÉSISTER, IL EN FAUT TOUT AUTANTQUI SE MÊLENT DU DÉBAT POLITIQUE ! »Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, a invité ainsi l’ensemble des forces sociales, syndicales, associatives, à investir le débat d'idées et à participer à la construction d'une véritable alternative politique à gauche.Nous voulons nous appuyer sur l'expertise professionnelle, citoyenne et sociale de chacune et chacun, en mettant à contribu-tion toutes les intelligences et les compétences. La Revue du projet est un outil au service de cette ambition.Vous souhaitez apporter votre contribution ? Vous avez des idées, des suggestions, des critiques ? Vous voulez participer à ungroupe de travail en partageant votre savoir et vos capacités avec d'autres ?

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MARS 2012 - LA REVUE DU PROJET

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PATRICE BESSAC, RESPONSABLE DU PROJET

ÉDITO

IDENTITÉ NATIONALEQue les bonnes âmes hurlent ou

pas ne changera rien à l’affaire.

Les problématiques dites iden-

titaires travaillent profondément

notre grand corps malade, la France,

et notre vieux continent.

Quel méchant mot que celui d’iden-

tité ! Quel méchant mot que celui-

ci qui sonne comme une insulte aux

oreilles de celles et ceux qui ont fait

profession d’être mouvement, deve-

nir, voyage, liberté sans autre attache

que leur volonté propre !

Et pourtant... plus les forces du mar-

ché dissolvent la culture, les valeurs,

le sacré d’ici ou de là-bas, plus elles

répandent le lisier inodorant de leur

idéologie individualiste et plus le

méchant réel remonte, tourbe

mélangée, protéiforme, régressive

et progressiste, Janus électoral.

Nous pouvons crier tout à la fois à

la victoire, à la réussite, au danger

fasciste, à je ne sais quoi d’autre. Le

réel vivant est toujours là après les

cris. Et par des formes diverses notre

communauté nationale exprime son

vouloir-vivre collectif, sa volonté de

souveraineté, sa volonté de vivre-

ensemble, expression qui n’est que

qu’un synonyme émasculé de la

nation.

En régime économique libéral, la

liberté n’est que la contraction de la

liberté de consommer et de se ven-

dre. C’est dans la solitude face à la

précarité ou à la marchandise qu’est

forgée notre liberté présente. Nous

sommes libres de voyager de capi-

tale mondialisée en capitale mon-

dialisée, libres de voyager dans des

espaces qui, culturellement, sont

ceux du libéralisme économique.

Ce cycle est désormais consommé.

Que nous éprouvions de la peur ou

du chagrin ne changera rien. Pour

mal paraphraser Régis Debray, ayant

éprouvé que la soi-disant dispari-

tion des frontières conduisait au

redoublement dans l’ordre libéral

des guerres de frontières, de l’enfer-

mement individuel, de la résurgence

des chauvinismes. Alors, il faut se

rendre à l’évidence que la vie collec-

tive n’est pas juste le résultat de l’ad-

dition des comportements des

acteurs individuels, elle est en pro-

pre une question politique.

C’est la fin des terroristes du mou-

vement qui à l’évocation du mot

identité sortaient leurs fusils à bien-

pensance. Oui, notre vie collective

est politique, c’est-à-dire à la fois

bien sûr produit de la société et pro-

duit de la sphère relativement auto-

nome des formes de délibérations

collectives.

Faut-il s’en réjouir ? Bien sûr, et plu-

tôt deux fois qu’une. C’est la culture

qui est de retour ! C’est les valeurs !

C’est la capacité de la politique de

s’incarner dans des choix de société

et non plus simplement dans la

bonne gestion des paramètres éco-

nomiques.

Pour le pays qui se flatte d’avoir

inventé laïcité et République,

Lumières et Révolution française,

quelle bonne nouvelle que ce retour

du devenir humain sur la place

publique.

Mais j’en conviens, cette bonne nou-

velle est un optimisme de la volonté

et après son annonce, que de viles

questions nous aurons à traiter :

industrie, travail, souveraineté, ques-

tion nationale, rôle de l’école de la

République, articulation avec les

questions européennes et mon-

diales... Que de vilaines remises en

cause sont à prévoir pour les idéo-

logues de l’instant présent, des libé-

raux-libertaires tapis au fond des

draps chauds de leur loft si bien

aménagé...

Dommage pour eux. Les inactuels

sont de retour. n

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LA REVUE DU PROJET - AVRIL 2012

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FORUM DES LECTEURSÉcrivez-nous

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Fédérations, sections, élus, camarades, la Revue est à

vous : l’abonnement vous attend !

Vous souhaitez organiser un débat autour d’une thème

abordé par la Revue ? Vous souhaitez monter une initia-

tive militante autour de ce nouvel outil qu’est la Revue ?

Nous sommes à votre disposition. Contactez-nous :

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L’ÉQUIPE DE LA REVUE

La Revue du Projet vous propose de découvrir le blog de l'exposition « Peoples of Europe, rise up! ». Pendantun peu plus d'un mois la galerie La petite poule noire a accroché chaque jour une nouvelle photographiedonnant à voir et apprécier une autre vision de la crise grecque. C'est à travers son quotidien meurtri, sesrésistances et mobilisations citoyennes que ce peuple est saisi. Bien loin des clichés culpabilisants ou naïfsvéhiculés à son sujet par une certaine Europe... Une séance de rattrapage à ne pas manquer !Photographies de Stefania Mizara et Achilleas Zavallis Lien : http://peoples-of-europe-rise-up.tumblr.com/

NICOLAS DUTENT

Un plaisir de recevoir LaRevue du Projet sous sa

nouvelle forme. Belle impres-sion qui en facilite la lecture,met en valeur illustrations etmise en page. J’espère quenous serons nombreux à sou-tenir cette belle initiative...

B. P.

La Revue du Projet - Tél. : 01 40 40 12 34 - Directeur de publication : Patrice Bessac - Rédacteur en chef : Guillaume Quashie-Vauclin - secrétariat derédaction : Noëlle Mansoux - Comité de rédaction : Amar Bellal, Renaud Boissac, Anne Bourvic, Nicolas Dutent, Corinne Luxembourg, MarineRoussillon, Alain Vermeersch - Direction artistique : Frédo Coyère. Mise en page : Sébastien Thomassey - Édité par l’association Paul-Langevin 6, ave-nue Mathurin-Moreau 75 167 Paris Cedex 19 - Imprimerie : Public Imprim 12, rue Pierre-Timbaud BP 553 69 637 Venissieux Cedex - Dépôt légal : mai2012 - N°17 - numéro de commission paritaire en cours d'attribution.

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Athlète burkinabé passé du sport à la chambre noire,

ce photographe atypique nous décrit, empruntant la

voie d’un récit abrupt dont la cohérence est maîtrisée,

le caractère résolument auto-destructeur de l’écono-

mie de survie qui menace et détruit le continent afri-

cain. Enfer qui n’est pas isolé et tend à globaliser ses

effets partout où la pauvreté et l’isolement écono-

mique et sociale sévissent dans le monde. Chaque

enfer est particulier et celui-ci ne manque malheureu-

sement pas d’arguments pour interpeller le visiteur.

Du Ghana au Burkina Fasso, nous rencontrons plu-

sieurs générations d’extracteurs de pierre, de collec-

teurs de déchets... qui abîment leurs corps, défigurent

leur patrimoine naturel. Agonie collective dont le bon

sens ne peut cependant se convaincre ni croire qu’elle

soit inéluctable.

Reste que tout ici réanime le spectacle impitoyable

d’une Afrique acculée qui, prise dans de violentes

contradictions et jetée dans l’oubli ou l’impuissance,

sacrifie ses enfants et ses paysages sur l’autel de la

mondialisation.

Chacun, privé de toute autre perspective d’avenir, use

de l’infime et bricole ainsi dans un coin de quoi l’éloi-

gner un fragile instant de la famine.

Décharges figeant l’horizon tout en rognant sur les

terres cultivables, régions dépeuplées sous les effets

d’une agriculture en perte de vitesse, cimetières d’or-

dinateurs et de pneus rejetant d’abondants et mena-

çants nuages de fumées toxiques... c’est au milieu de

ce décor macabre que des milliers d’hommes et de

femmes s’amassent chaque jour pour transformer,

récupérer, extraire une matière (plastique, caoutchouc,

PVC, cuivre, granit...) dominée au prix de conséquences

irréversibles.

Le travail aliénant trouve là son expression culminante.

Symbole et véhicule d’un danger sanitaire omnipré-

sent, de ravages environnementaux, d’abrutissement

à la tâche et d’extrême pénibilité... le travail juxtapose

les contraintes et les négations de soi et de son milieu.

Il ruine l’âme, asservit et instaure le règne de la néces-

sité au lieu de nous en écarter...

NICOLAS DUTENT

AVRIL 2012 - LA REVUE DU PROJET

REGARD

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« La galerie particulière* » vous invite du 26 avril au 28 mai à découvrir deux sériesde Nyaba Leon Ouedraogo L’Enfer du cuivre & Casseurs de Granit.

CIMETIÈRES MODERNES

© Nyaba Leon Ouedraogo Courtesy La galerie particulière - 2010

* 16, rue du Perche, 75003 Paris.

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V ingt-deux avril 2012. Place Stalingradcomme ailleurs : surprise, stupeur,consternation. Le Front national est

annoncé à 20% – en réalité 17,90%.Comment expliquer que, par millions,nous n’ayons rien vu venir ? Pollués parles obsédantes sécrétions sondagières,n’avons-nous pas tout simplement oubliéla réalité et cessé de penser ?Oui, le Front national – et l’extrême droiteplus largement – est une réalité structu-relle lourde dans notre pays. Voilà bienlongtemps qu’il a quitté les rivages des190 000 électeurs (1974) pour ne jamaisdescendre sous la barre des 4,3 millionsdepuis près de trente ans : 4,38 millionsdès 1988 ; 4,57 en 1995 ; 5,47 en 2002 (avecMégret) ; 4,65 en 2007 (avec Villiers). Etl’extrême droite – déjà sous-évaluée en2007 du fait d’un puissant vote utileSarkozy à la droite de la droite – aurait dûreculer après cinq ans de discours etd’actes presque inouïs signés Sarkozy,Guéant, Besson und andere ! Eh bien non,le réel et ses 6 421 426 voix a rattrapé nosdivagations idéalistes…Ne forçons pas le trait : nous avons, et bienseuls, mené l’offensive contre le FN. À sontour, la Revue du projet entend prendre sapart de l’impérieux combat avec le pré-sent numéro – dont on se permettra d’in-diquer qu’il a été pensé bien en amont del’indigeste 17,9%.Extrême droite et migrations : le lien esten effet crucial. C’est bien une manière devoir le monde où la frontière du « eux » etdu « nous » passe entre les cartes d’iden-tité – voire entre les couleurs de peau qu’onleur associe – plutôt qu’entre les classessociales qui entraîne vers les rives du FN.Les sociologues Guy Michelat et MichelSimon dans cet ouvrage décidémentincontournable (Le Peuple, la crise et lapolitique, 2012), le montrent très nette-ment : « Tout se passe comme si les diffi-cultés vécues et le sentiment de révolte

qu’elles suscitent n’entraînent un fortniveau de sympathie pour le FN qu’à lacondition d’être imputées à l’omnipré-sence d’immigrés qui "nous" coûtent,prennent "nos emplois" […], à qui "nos"politiques donnent tout et permettent toutalors "qu’on" ne fait rien pour "nous". » Si c’est cette fixation sur la question immi-grée qui emmène vers le FN, c’est donc làqu’il faut résolument porter le fer. D’autantqu’elle est comme l’œil apotropaïque à laproue de l’antique paquebot du Capital :elle détourne le fatal danger. Elle interditune mobilisation ambitieuse et majori-taire, fruit de la claire identification de l’en-nemi véritable ; elle chauffe les eaux d’unehaine désorientée, freinant toute action-iceberg susceptible de couler les arrogantsTitanic de notre temps. Oui, c’est là qu’il faut porter le fer avecardeur et urgence car ce travail décisif serade longue haleine. Certes, la situations’améliore dans les têtes par rapport à l’en-fer des années 1990 (cf. bis Michelat etSimon). Elle n’en demeure pas moins trèspréoccupante : ce sont encore 48% desFrançais qui pensent qu’il y a trop d’im-migrés dans notre pays… Dans le même temps, « l’ethnicisation »(Jean-Loup Amselle) de la société avancedangereusement : voyez ces questionsrécurrentes dès qu’on a un peu plus demélanine que Brice Hortefeux « Vous venezd’où ? » ou, mieux encore, l’impayable« Vous avez des origines ? » ; voyez les coursd’école où le « Cé-Fran » est l’écolier auteint clair. Le grand historien ErnestLabrousse disait que les mentalités retar-dent toujours sur le réel. Quel retard ! Notreimage mentale du Français semble blo-quée au Cantal médiéval… Non, unFrançais, à présent et pour toujours, peutêtre de n’importe quelle couleur : il va bienfalloir l’intégrer !Communistes, nous avons bien sûr à êtreclairs et combatifs sur ce chapitre.

Assurément, nous le sommes infinimentplus que les douteux Valls ou Boutih…Mais, puisque la Revue du projet tâched’être un caillou dans tous les chaussonsfunestes de l’assoupissement, grattonsun peu.Pourquoi n’avoir pas défendu clairementdans L’humain d’abord ! une citoyennetéde résidence dans la droite ligne de la tra-dition révolutionnaire depuis Chénier etRobespierre et s’être contenté d’un droitde vote aux élections locales pour les étran-gers ? Un étranger serait assez citoyen pourélire son maire mais pas assez pour élireson député quand la démocratie (voyezRousseau) consiste à obéir aux lois qu’ons’est soi-même données collectivement ?Bien sûr, les élections locales sont uneétape à l’importance décisive, fou quil’ignore ! Bien sûr, il nous faut toujoursscruter où en sont les habitants de notrepays pour produire un discours audible.Mais si nous estimons que les « gens nesont pas prêts » (est-ce si sûr ?), affrontonsla question conséquente : que faisons-nous pour qu’ils le deviennent ? Enfin,notre force ne tient-elle pas à la cohérencede nos propositions, socle de notre crédi-bilité ? Dans ce cadre, le suffrage réservéaux élections locales ne s’apparente-t-ilpas à un bricolage laissant trop voir le che-min à parcourir pour opposer au FN – etau-delà… – une conception solide (« Onvit ici, on bosse ici, on vote ici »), seule àmême de battre en brèche leur visionétroite de la citoyenneté ? Pour sûr, nous sommes bien armés pource combat : n’est-ce pas notre jeune partiqui, en 1924, présenta l’Algérien Abd elKader Hadj Ali manquant à vingt voix dele faire entrer à l’Assemblée ? Le nouveaupari communiste est toujours celui de l’au-dace. Notre pays en a bien besoin. n

*Guillaume Quashie-Vauclin est responsableadjoint de la Revue du projet.

LE DOSSIER

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LA REVUE DU PROJET - MAI 2012

17,90% pour le Front national : la question migratoire fait son retour par lagrande porte, la porte à droite… Comprendre cette puissante crispation sur laquestion migratoire ; exposer les faits décidément têtus mais non moins igno-rés ; esquisser un projet de vivre-ensemble cohérent et progressiste : voilà ceque tâche de donner à voir le présent dossier, coordonné par Renaud Boissac.

UNE CLÉ DE L’AVENIR : GAGNER LA BATAILLE DE L’HÉGÉMONIECULTURELLE EN MATIÈRE MIGRATOIRE

Migrations, au-delà du fantasme

ÉDITO

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<MAI 2012 - LA REVUE DU PROJET

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CATHERINE DE WENDEN*

La mondialisation a accru les moyensde transport, facilité l’économie dupassage, donné à voir à travers les

media les modes de vie des pays riches,encouragé les transferts de fonds (350 mil-liards de dollars en 2010), densifié lesréseaux transnationaux économiques, cul-turels, matrimoniaux et religieux tandisque la généralisation de la détention depasseports créait un droit de sortie d’Étatsauparavant verrouillés de l’intérieur. Despopulations en nombre croissant refusentle déterminisme consistant à rester assi-gnées à des pays qu’elles considèrent sansavenir, empruntant la « porte de service »quand l’entrée principale est close dansles pays d’accueil. Le rapport du pro-gramme des Nations Unies pour le déve-loppement de 2009 concluait que lesmigrations sont un facteur essentiel dudéveloppement humain, mais les deuxtiers de la population de la planète ne peu-vent circuler librement.

HIÉRARCHIE DES DROITS À LA MOBILITÉPartout la mobilité est valorisée mais lesmigrations sont souvent redoutées,contrôlées et réprimées et ceux qui bou-gent ont globalement moins de droitsque ceux qui sont sédentaires. Plusencore, une hiérarchie des droits à lamobilité se dessine, en fonction desdiplômes, compétences et talents, desressources, de l’information, des réseauxtransnationaux ou des zones de prove-nance. Les plus dotés peuvent circulertandis que les moins dotés sont condam-nés à se contenter du lieu où le hasardles a fait naître ou à emprunter les filièresde l’immigration clandestine. La démo-cratisation du passage des frontières n’estpas encore à l’ordre du jour dans unmonde où tout circule de plus en pluslibrement, sauf les hommes. Au regarddes grands déséquilibres de la planète,ces migrations ne sont pas massives : ilne s’agit ni de conquête ni d’invasionmais plutôt d’un mouvement lent etcontinu relativement peu sensible auxpolitiques dissuasives mises en place,avec un coût de la maîtrise des frontières

devenu croissant économiquement etpolitiquement pour les pays d’immigra-tion.

PAYS DE DÉPART ET PAYS D’ACCUEILLes migrations internationales sontparticulièrement intenses le long desgrandes fractures du monde, économiques,politiques, géographiques ou environne-mentales : la Méditerranée, la frontièreaméricano-mexicaine, russo-chinoise, l’ex-trémité de la nouvelle Europe et quelquesautres points du globe sont devenus deslieux de passage empruntés mais aussipérilleux. D’anciens pays de départ sontdevenus des pays d’accueil : c’est le cas del’Europe du sud et aujourd’hui du Mexique,du Maroc, de la Turquie qui restent aussides pays de départ et de transit. D’ancienspays d’accueil deviennent des pays dedépart : c’est le cas des certains paysd’Amérique latine comme l’Argentine, leBrésil, l’Uruguay, le Chili dont les ressor-tissants d’origine japonaise, espagnole ouitalienne reviennent parfois aux pays d’ori-gine. Mais ils redeviennent des pays d’ac-cueil pour les Européens désenchantés parla crise. En Asie du Sud-Est, certains payssont tantôt pays de départ ou d’accueil enfonction de la fluctuation des situationséconomiques : c’est le cas de la Thaïlandeet de la Malaisie qui sont tour à tour l’unou l’autre. D’autres comme le Japon, TaïWan, la Corée du Sud, ne sont que des paysd’accueil face à des pays de départ commela Chine, le Pakistan, les Philippines,l’Indonésie, le Sri Lanka. Mais les paysémergents attirent aussi : Chine, Inde,Brésil, Turquie attirent une migration qua-lifiée d’entrepreneurs à la recherche denouveaux marchés. Mondialisées, cesmigrations sont aussi régionalisées : la plu-part des migrants aux États-Unis provien-nent aujourd’hui d’Amérique latine, l’es-sentiel des migrations en Europe estoriginaire de la rive sud de la méditerra-née, la Russie attire une migration venantsurtout de l’ex-URSS, l’Asie du Sud-Est etl’Australie sont alimentées par une migra-tion asiatique tandis que l’Afrique est enproie à un vaste mouvement de mouve-ments internes au continent, vers leMaghreb et l’Afrique du sud, ou le Golfe.

Il y a aujourd’hui autant de migrations sud-sud que de migrations sud-nord.

Ce brouillage des situations concerne aussiles migrants eux-mêmes, tantôt touristes,migrants économiques, membres duregroupement familial, étudiants oudemandeurs d’asile. Les phénomènes dedouble nationalité et d’allégeances mul-tiples se développent. Le vieillissementqui frappe l’Europe, la Russie et le Japon,la transition démographique qui caracté-rise le Maghreb et, plus largement, lemonde arabe et l’Amérique latine etdemain la Chine inscrit aussi cette réalitédans le moyen et le long terme. Des pénu-ries de main-d’œuvre dans les secteursqualifiés et non qualifiés ont conduit à lareprise de l’immigration de travail dansdes régions comme l’Europe qui croyaient,il y a trente ans, à la fin des migrations. Lesbouleversements environnementaux dela planète (réchauffement climatique,sécheresse, appauvrissement des sols,catastrophes naturelles) et les crises poli-tiques sont aussi porteurs de nouveauxdéplacements de population. Beaucoupde régions du monde entrées dans unephase de transition sont devenues desrégions de migration et connaissent uneurbanisation, une scolarisation et un bou-leversement rapides. C’est le cas du conti-nent africain qui atteindra deux milliardsd’habitants à la fin du vingt et unième siè-cle, passant d’une population à 70% ruraleà une population à 70% urbaine, de l’Inde(1,6 milliards d’habitants entre 2030 et2050), de la Chine (un milliard et dont lapopulation commencera à vieillir du faitde la politique de l’enfant unique) et dequelques autres nouveaux géants mon-diaux (Indonésie, Brésil, Pakistan, Nigéria).Les migrations accélèrent le développe-ment comme le développement accélèreles migrations.

Parmi les facteurs qui expliquent la fortehausse des migrations, figurent les pro-grès de l’information, l’économie du pas-sage, le développement de liens transna-tionaux, l’urbanisation de la planète, lagénéralisation de la délivrance des passe-ports, la demande d’asile et la persistancedes grandes zones de fracture économiqueet démographique du monde. n

*Catherine de Wenden est directrice derecherches au centre d'études et derecherches internationales (CERI) àSciences-Po.

PANORAMA DES FLUX MIGRATOIRES DANS LE MONDEAvec 220 millions de migrants internationaux, toutes catégoriesconfondues, dans un monde de 7 milliards d’habitants, soit 3% de lapopulation mondiale, le phénomène migratoire a pourtant atteinttoute la planète, et est devenu l’une des questions majeures de lascène internationale.

> SUITEPAGE 8

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LA REVUE DU PROJET - MAI 2012

Migrations, au-delà du fantasme

SUITE DE LA PAGE 7 >

MICHAËL ORAND*

Qu’est-ce qu’un immigré ? Uneréponse correcte à cette questioncomplexe doit faire intervenir deux

notions proches, bien que différentes :le lieu de naissance et la nationalité. Ladéfinition adoptée par le Haut Conseil àl’Intégration définit ainsi un immigrécomme une personne vivant en France,née à l’étranger et de nationalité étran-gère à sa naissance.

C’est donc sa trajectoire migratoire quicaractérise l’immigré, et non pas sa situa-tion administrative à un moment donné,dont on sait qu’elle peut varier fortementselon les contextes politiques et histo-riques. On trouvera ainsi parmi les immi-grés aussi bien des étrangers que des per-sonnes ayant acquis la nationalitéfrançaise.

C’est bien l’articulation des deux critèresde lieu de naissance et de nationalité àla naissance qui permet un décomptesans erreur des immigrés. En effet, en sefondant uniquement sur le lieu de nais-sance, on pourrait par exemple gonflerartificiellement les chiffres en incluantles rapatriés des colonies françaises, enparticulier ceux d’Algérie, qui sont nés

hors de France métropolitaine mais denationalité française à leur naissance.

APRÈS UNE PÉRIODE DE STABILITÉ, UNEHAUSSE DE LA PROPORTION D’IMMIGRÉS En 2008, 5,3 millions d’immigrés vivaienten France, soit 8,4% de la populationtotale. La répartition des immigrés surle territoire est évidemment très inégale.Ils vivent la plupart du temps dans lesgrandes agglomérations, et en particu-lier dans l’agglomération parisienne :plus de 35% des immigrés vivent ainsien Île-de-France. La Seine-Saint-Denisest le département avec la plus forte pro-portion d’immigrés (27% des habitants)et la Charente celui avec la plus faibleproportion (moins de 2% des habitantssont immigrés).

À l’exception de la période de la secondeguerre mondiale, la proportion d’immi-grés n’a cessé de croître en France aucours du XXe siècle (graphique 1). Demoins de 3% en 1911, elle est passée àprès de 7% en 1930, proportion équiva-lente à celle des années 1960. Entre 1975et 2000, le nombre d’immigrés augmentelégèrement, mais on observe une stabi-lisation de la proportion d’immigrés,autour de 7,5%. Les années 2000 mar-quent le retour à une croissance mar-quée du taux d’immigrés.

Cette évolution de la population immi-grée en France peut cependant masquerles volumes des flux d’entrée et de sor-tie des immigrés. Ainsi, entre 1999 et2006, le nombre d’immigrés a crû de118 000 personnes par an environ, alorsque l’Insee estimait qu’en 2003 par exem-ple, 250 000 immigrés étaient entrés surle territoire français. Cela signifie que lenombre d’immigrés repartant de Francechaque année reste important, de l’or-dre de la moitié des entrants.

Ces chiffres sont cependant à prendre aveccirconspection, les seules sources dispo-nibles pour mesurer les flux d’entrée étantles sources administratives (Office desmigrations internationales, Office fran-çais de protection des réfugiés et des apa-trides et Ministère de l’Intérieur).

DES IMMIGRÉS QUI SONT DE PLUS ENPLUS DES IMMIGRÉESAlors que jusque dans les années 1980, lagrande majorité des immigrés étaient deshommes, on observe, depuis, une crois-sance importante de l’immigration fémi-nine (graphique 2). Entre 1970 et 1990 lenombre d’hommes immigrés en Francea stagné, voire légèrement diminué, alorsque le nombre de femmes immigrées n’acessé de croître, allant jusqu’à rattraperle nombre d’hommes en 1999.

COMBIEN D’IMMIGRÉS EN FRANCE ?C’est l’articulation des deux critères de lieu de naissance et de nationalité à la naissance qui permetun décompte sans erreur des immigrés.

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Champ  : France métropolitaineSource  : Recensements de la population, InseeLecture  : en 1911, 2,83% de la population vivant en France métropolitaine était immigrée

PROPORTION D’IMMIGRÉS DANS LA POPULATION FRANÇAISE ENTRE 1911 ET 2008ANNÉE DE

RECENSEMENT POP. TOTALE IMMIGRÉSPROPORTIOND'IMMIGRÉS

1911 39  192  133 1  110  168 2,83%

1921 38  797  540 1  429  102 3,68%

1926 40  228  481 2  288  181 5,69%

1931 41  228  466 2  729  270 6,62%

1936 41  183  193 2  326  130 5,65%

1946 39  848  182 1  985  871 4,98%

1954 42  781  000 2  293  000 5,36%

1962 46  455  800 2  861  280 6,16%

1968 49  755  560 3  281  060 6,59%

1975 52  599  430 3  887  460 7,39%

1982 54  295  612 4  037  036 7,44%

1990 56  651  955 4  165  952 7,35%

1999 58  513  700 4  306  094 7,36%

2006 63  186  000 5  137  000 8,13%

2008 63  962  000 5  342  000 8,35%

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UNE MAJORITÉ D’IMMIGRÉS AFRICAINSParmi les immigrés vivant en France en2008, ce sont ceux originaires d’Afriquequi sont les plus nombreux, puisqu’ilsreprésentent près de la moitié de l’en-semble des immigrés. Les immigrésmaghrébins notamment sont fortementreprésentés : les immigrés originairesd’Algérie représentent ainsi le groupenational le plus nombreux, avec 13% del’ensemble des immigrés. Les immigrésoriginaires du Maroc les suivent de près,avec 12% de l’ensemble des immigrés,et enfin les immigrés tunisiens représen-tent 4% des immigrés. Au total, c’est doncprès d’un tiers des immigrés vivant enFrance qui sont originaires du Maghreb.La part des immigrés européens, mêmesi elle a décliné au cours de ces dernièresdécennies, reste cependant importante :près de 40% des immigrés vivant enFrance sont originaires d’un pays euro-péen. L’Italie, l’Espagne et le Portugal,pays d’immigration historique, repré-sentent la majorité de ces immigrés euro-péens. Les Portugais sont ainsi le troi-sième groupe national après les Algérienset les Marocains.

Des données plus précises sur les trajec-toires migratoires des immigrés, comme

UNE IMMIGRATION FAMILIALELes motifs de délivrance du premier titrede séjour des immigrés vivant en Franceen 2008 sont essentiellement des motifsfamiliaux : regroupement familial (28%des cas) et conjoint de Français (12% descas). Les immigrés arrivés en France entant qu’étudiants représentent quant àeux 16% des immigrés, soit autant queles immigrés arrivés en tant que travail-leurs. Enfin, les réfugiés représentent unpeu moins de 10% des immigrés. n

*Michaël Orand est statisticien.

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celles de l’enquête Trajectoires et Originesde l’Ined et de l’Insee, permettent decomprendre cette répartition en retra-çant l’histoire des différentes vaguesmigratoires. Les immigrés d’Europe duSud et d’Algérie sont arrivés en Franceplutôt avant 1974. Entre 1974 et 1980, cesont les immigrés d’Asie du Sud-Est quisont les plus nombreux, notamment avecle phénomène des boat-people. Enfin, àpartir des années 1980, on assiste à uneapparition de l’immigration africainehors Maghreb et de l’immigrationd’Europe de l’Est et du Nord.

NOMBRE D’HOMMES ET DE FEMMES IMMIGRÉS EN FRANCE ENTRE 1911 ET 2008

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500 000

1 000 000

1 500 000

2 000 000

2 500 000

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HOMMES

FEMMES

Champ  : France métropolitaineSource  : Recensements de la population, InseeLecture  : en 1911, 590 000 hommes immigrés et 520 000 femmes immigrées vivaienten France métropolitaine

ANNÉE DE RECENSEMENT

HOMMES FEMMES

1911 589  733 520  435

1921 818  752 610  350

1926 1  335  476 952  705

1931 1  634  521 1  094  749

1936 1  306  932 1  019  198

1946 1  083  000 902  871

1954 1  292  000 1  001  000

1962 1  606  300 1  254  980

1968 1  841  280 1  439  780

1975 2  186  830 1  700  630

1982 2  178  816 1  858  220

1990 2  168  271 1  997  681

1999 2  166  318 2  139  776

2006 2  619  870 2  517  130

2008 2  724  420 2  617  580

L'IMMIGRATION SERAIT UN COÛT POUR LE PAYS ?

FAUX ! Une étude de chercheurs de l'Université de Lille, s'appuyant sur des chiffresofficiels, montre que l'immigration n'est pas un coût pour la France, bien au contraire.En 2009, les immigrés ont reçu de l’État 47,9 milliards d'euros (retraites, aides aulogement, RMI, allocations chômage et familiales, santé...).Sur la même période, ils ont reversé à l’État des sommes bien plus importantes :impôt sur le revenu 3,4 milliards d'euros ; impôt sur le patrimoine 3,3 milliards ;impôts et taxes à la consommation 18,4 milliards ; impôts locaux et autres 2,6 mil-liards ; CRDS et CSG 6,2 milliards ; cotisations sociales 26,4 milliards. Soit un totalde 60,3 milliards d'euros. On obtient un solde positif de 12,4 milliardspour l’État.

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LE DOSSIER Migrations, au-delà du fantasme

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ISABELLE LORAND*

Les résultats du 22 avril confortent l’im-portance primordiale du combat antiraciste et pour le droit des migrants.

Le score de l’héritière Le Pen indique com-bien le racisme est prégnant. Certes, sonélectorat n’est pas homogène. Certes, il ya l’expression d’un ras-le-bol et du malde vivre... Certes, c’est un vote de crise.Mais que l’on ne se raconte pas d’histoire,on ne met pas un bulletin Le Pen dansl’urne sans en connaître la connotationraciste. Un sondage réalisé en 2005, 1/3des français se déclaraient racistes. Dansle même sondage, 6/10 pensaient que cer-taines attitudes pouvaient justifier uneréaction raciste. Un sondage récurrentdepuis 1984 montre une progression régu-lière depuis 1997 d’adhésion aux idées duFN. Il montre également qu’aujourd’huiprès d’un sondé sur deux ne juge pas leFN dangereux.Quand Hitler prend le pouvoir en 1933,y a-t-il une majorité de nazis prêts à lasolution finale ? Évidemment non. Enrevanche, l’antisémitisme s’affiche bana-lement au quotidien. La relecture destravaux d’Hannah Arendt nous rappellecombien le fascisme devient majoritairequand il contamine Monsieur ouMadame Michu.

La suprématie des blancs sur l’indigènea marqué l’histoire de l’humanité.Esclavagisme, génocide inca, colonialismeen sont de terribles illustrations. Au XIXe

siècle, le racisme est théorisé et devientobjet politique. Comme tel, il est l’assi-milation d’un peuple à une race, avec samorphologie, ses pratiques, son histoire...niant ainsi le fait social. Les différences –parfois totalement construites – devien-nent des problèmes intrinsèques et indé-passables. Elles deviennent même le pro-blème au détriment de toute vision declasse. Paradoxalement, dans l’Alle magnenazie, elles s’appliquent à des populations« blanches » (Juifs, Tziganes). D’ailleurs,

il n’est pas neutre de noter que le motracisme fait son entrée dans le diction-naire Larousse en 1930.Depuis les années 2000, une évolutionsémantique est notable. Nous nesommes plus sur « il y a trop d’Arabes enFrance, ou d’Africains, ou d’Asiatiques »...Mais sur « il y a trop d’immigrés en

France ». Le terme immigré désigne alorssouvent tout autant les travailleurs venusdans les années 1960 que leurs enfantset petits-enfants français depuis parfoistrois générations, tout autant les sans-papiers que les demandeurs d’asile poli-tique, les Roms ou les primo-arrivants.Un imaginaire collectif se construit ainsi :l’idée d’une nébuleuse étrange, soudéeet dangereuse. Source de tous les pro-blèmes. Oui, le venin de la haine a péné-tré les esprits. Et le combattre est devenuun enjeu de première importance. Direcela amène immédiatement une ques-tion : comment ?

ÊTRE RACISTE : UNE HONTENous avons, avec la campagne présiden-tielle, commencé à enrayer la complai-sance à l’égard de Le Pen. Il est probableque sans l’intensité avec laquelle Jean-Luc Mélenchon l’a combattue, elle auraitfait un score supérieur. Et surtout, il estcertain que nombre de victimes duracisme et de discriminations se sontenfin senties représentées dans l’espacepolitique. Il est également certain quenotre détermination a redonné de laforce au discours antiraciste. En matièrede mouvement des idées, je crois plusaux rapports de forces qu’à la seuleconviction rationnelle. Autrement dit,plus que d’aller convaincre les racistes,

CONSTRUIRE LE VIVRE ENSEMBLE, UNE URGENCE POLITIQUELes jeunes des quartiers populaires sont massivement et pleinement citoyens français. La nouvellegénération refuse la soumission. Donnons-leur toute leur place dans la vie de la cité.

Les enjeux sociauxdoivent entrer en résonnance

avec l’opiniâtreté contre le racisme et pour le droit à la

diversité.“

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je crois qu’il faut que le malaise changede côté. La honte, ce n’est pas d’êtreimmigré, c’est d’être raciste.Les deux grandes luttes menées par lestravailleurs sans-papiers, et par le réseauÉducation sans frontières a égalementcontribué au cours de la dernière décen-nie à casser l’image d’une nébuleuseinquiétante. Quand un enfant en centrede rétention ou le sans-papiers a un pré-nom, un visage, un regard... la stigmati-sation, aisée dans l’anonymat, devientplus difficile.

LE DROIT À LA DIVERSITÉPour franchir un cap, il faut que le Frontde gauche soit envahi par les immigréset donc par les quartiers populaires. Il ya dans les zones urbaines sensibles 23,6%d’immigrés (au sens vrai du terme). Il suf-fit de regarder les photos dans les écolesdes quartiers populaires pour savoir com-bien ils sont aux couleurs du monde.Jusqu’en 2002, la gauche de transforma-tion sociale devançait le PS dans les quar-tiers populaires. C’étaient des lieux d’hé-gémonie du Parti communiste dontl’implication locale était telle qu’il étaitreconnu comme acteur déterminant dulien social. Les résultats du Front degauche en 2012 sont d’un niveau globa-lement inespéré : la participation impor-tante et les scores très élevés du Front degauche dans les quartiers populaires yont contribué. Pour franchir le seuil de15%, il faut maintenant reconstituer deszones d’influence majoritaire. Les villes

populaires doivent redevenir des placesfortes. Chômage, précarité, crise du loge-ment ou de l’école, vie chère... les enjeuxsociaux doivent entrer en résonnanceavec l’opiniâtreté contre le racisme etpour le droit à la diversité. Contrairementà ce que l’on entend parfois, les jeunesde ces quartiers sont massivement et plei-nement citoyens français. Les chibanis,immigrés des heures glorieuses, ont étécantonnés dans les emplois les plus dursaux revenus les plus faibles. Cette inéga-lité est inscrite dans la personnalité desjeunes des quartiers. Qui n’a jamaisentendu « Nos parents nous apprenaientà baisser la tête ». La nouvelle générationrefuse la soumission. Et elle crie sa colèrepour aujourd’hui, hier, et des siècles d’es-clavagisme et de colonialisme. Cettecolère doit trouver place au Front degauche. Et là encore, il faudra faire preuved’ouverture et d’inventivité dans lesformes et le fond.En défendant le droit de vote pour lesrésidents étrangers, le Front de gauchefait la promotion d’une idée simple : jevis ici, je bosse ici, je paye mes impôtsici, je décide ici. J’aurais souhaité que laprofession de foi de notre candidat évo-quât cette proposition ainsi que celle surla régularisation des sans-papiers. Passeulement parce qu’il s’agit de pointsforts de notre programme partagé, maisaussi parce que c’est précisément un deschamps sur lequel notre campagne auramarqué les esprits. J’ajoute que si le PSen a pris l’engagement également, il faut

tout faire pour éviter le syndrome1981 : « J’voudrais bien, mais j’peuxpoint ». À cet égard aussi, le nombre dedéputé-e-s du Front de gauche sera unfacteur de réussite à gauche. Une autre mesure émanant des associa-tions œuvrant dans les quartiers popu-laires me paraît emblématique de la lutteantiraciste : la lutte contre les contrôlesau faciès et l’obligation de remettre lorsde tout contrôle un récépissé indiquantle motif du contrôle et le matricule del’agent. Outre la suppression de la poli-tique du chiffre, une telle mesure chan-gerait le quotidien des jeunes de noscités. J’ajoute qu’elle serait égalementtrès significative pour leurs parents quivivent cette agression permanentecomme une humiliation. Encore unemesure qui devra compter sur la déter-mination des député-e-s et des sénateurset sénatrices du Front de gauche. Depuisqu’à l’occasion de la rédaction du tracten direction des quartiers populaires,nous avons fait nôtre cette proposition,le syndicat Alliance, proche de l’UMP, estvent debout pour s’y opposer. C’est direqu’il y a du grain à moudre !En période de crise économiquemajeure, le racisme n’est pas une ques-tion morale ou philosophique. C’est unequestion politique majeure. n

*Isabelle Lorand est responsable du secteurLibertés et droits de la personne du PCF. Elleest membre du Conseil exécutif national duPCF.

L'ÉVOLUTION DES POLITIQUES MIGRATOIRES EN FRANCEDes mesures répondant le plus souvent aux demandes patronales de main-d’œuvre à bon marché,favorisant le communautarisme.

JEAN MAGNIADAS*

On ne peut pas dire que le tournantmajeur que Sarkozy a imprimé à lapolitique migratoire de la France a

rompu avec une politique satisfaisanteou même simplement acceptable. À par-tir du tournant de 1974 l’orientation decette politique est délibérément répres-sive, ouvertement agressive à l’égard desmigrants. C’est Giscard d’Estaing qui adécidé l’arrêt de l’immigration. La poli-tique qui en a découlé s’est traduite parun contrôle beaucoup plus rigoureux desentrées et des séjours (mesures d’intimi-

dation policières, nouveaux décrets, arse-nal de circulaires ministérielles) s’ajou-tant aux textes existants en les durcis-sant sensiblement. De nouvelles loisseront promulguées par les ministres del’Intérieur pour « encourager » les retoursvolontaires ou pour réprimer l’immigra-tion « clandestine » (loi Bonnet). Tout cela va susciter des réactions de lapart des syndicats, de nombreuses asso-ciations et partis de gauche – en parti-culier le PCF –, des églises, et se traduirepar de nombreuses manifestations, desprotestations multiples qui obligerontle gouvernement à un certain nombrede reculs, sans que, pour autant, il

renonce à sa stratégie. Le secrétaired’État Lionel Stoléru signera fin novem-bre 1980 un accord avec le gouverne-ment du Sénégal portant sur la forma-tion, en vue de leur retour, destravailleurs sénégalais immigrés enFrance. Cet accord devait être à l’évi-dence un modèle que la diplomatie gis-cardienne entendait développer avecd’autres pays, notamment en Afrique.

DÉCEPTION EN 1981La victoire de la gauche en 1981 ouvreune nouvelle phase des politiques migra-toires de la France. Dans sa déclarationde politique générale, le nouveau Premier

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LE DOSSIER

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Migrations, au-delà du fantasme

toires constitue un chantage, déclarerala Cimade, d’autant plus inacceptableque certaines politiques économiques etcommerciales européennes sont loind’être neutres sur les phénomènes migra-toires ». On peut suivre la Cimade surcette question.

UNE ENSEIGNE NATIONALISTEEn 2007, le ministère de l’Immigration etde l’identité nationale évolue, avec cenouvel intitulé, vers l’enseigne « natio-naliste ». Il est confié à Brice Hortefeux,un proche du président qui va chercherà mobiliser l’appareil d’État, et notam-ment les préfets, au service d’une poli-tique répressive mesurée par des objec-tifs chiffrés, qui va susciter de nombreuxconflits et entraîner des souffrances etdes drames, un mouvement de soutien,de solidarité et d’actions concrètes(Mouvement des sans-papiers, Réseauéducation sans frontières, manifestationscontre les expulsions, avec la participa-tion des partis et organisations de gauche,des syndicats, des églises, etc.). Les objec-tifs chiffrés que le gouvernement s’étaitfixés n’ont été atteints sur le papier qu’auprix d’un certain bricolage statistique,souligné par plusieurs observateurs. Etgrands sont les dégâts : par les épreuvesinfligées à des hommes, des femmes etdes enfants ; par les torts causés à l’imagede la France dans le monde. Le succes-seur de Hortefeux sera Éric Besson, trans-fuge du Parti socialiste, dont il a été l’undes secrétaires, et qui, naguère, avait qua-lifié son prédécesseur de « néoconserva-teur américain à passeport français ». Ils’est illustré rapidement dans la mise enœuvre, vivement critiquée par les orga-nisations de défense des immigrés, du« délit de solidarité » et dans la continuitéde l’action de son prédécesseur.Il a été flanqué, en décembre dernier,d’un commissaire à la diversité et à l’éga-lité des chances, rattaché au Premierministre, fonction dévolue à Yazid Sabeg,industriel d’origine kabyle et actif parti-cipant de l’Institut Montaigne, le thinktank du grand patronat. Il vient de remet-tre un rapport à Nicolas Sarkozy, dont ilest annoncé que ce dernier ne se pro-noncera pas tout de suite publiquementsur ses conclusions. Il est vrai que ce quien a transpiré suscite déjà de fortes oppo-sitions. » n

*Jean Magniadas est membre honoraire duConseil économique social.Extrait d’une note de la Fondation GabrielPéri réalisée en partenariat avec la revueRecherches internationales, septembre 2009,publié avec l'autorisaion de l'auteur.

ministre, Pierre Mauroy, prône un effortde solidarité avec les immigrés, mais seprononce cependant pour la limitationde l’immigration nouvelle au moyen d’ac-cords bilatéraux avec les pays concernés.Les débuts du gouvernement de gauche,en 1981, vont donc s’accompagner demesures positives. Après l’élection pré-sidentielle intervient une régularisationmassive des étrangers en situation irré-gulière. Mais il y aura également desdéceptions, par exemple en n’accordantpas le droit de vote aux étrangers promispar la gauche (article 110 du programmecommun). En 1990, le Premier ministreMichel Rocard va déclarer : «… la Francene peut accueillir toute la misère dumonde ». Et Jacques Chirac, alors prési-dent du RPR et maire de Paris, proposeune restriction de l’immigration assortied’une référence entachée de racisme au« bruit et à l’odeur ». L’arrivée de NicolasSarkozy à la présidence de la Républiquesurvient donc au lendemain d’unepériode négative pour les immigrés, d’au-tant que leurs conditions de vie sont gra-vement affectées par le chômage, le déve-loppement du temps partiel, la stagnationdu SMIC, l’affaiblissement du pouvoird’achat des salariés en France.

UN TOURNANT MAJEUR ET DANGEREUXAVEC NICOLAS SARKOZYLa politique qu’il avait amorcée en tantque ministre de l’Intérieur dans le gou-vernement de Villepin et qu’il poursuità l’Élysée constitue un tournant majeurparticulièrement néfaste. Placé sous letimbre publicitaire de « l’immigrationchoisie », son volontarisme est affichédès la campagne électorale présiden-tielle, où le candidat et son parti se pla-cent en concurrence directe avec le FNsur le terrain de la démagogie […] raciste,afin de capter à son profit l’électorat del’extrême droite. Par la redéfinition dustatut de l’étranger et de l’immigré, unepolitique ouvertement répressive estconfirmée. Les mesures restrictives secouvriront volontiers du drapeau de l’ac-tion contre l’immigration clandestine,alors que rien de sérieux n’est entrepriscontre les agents de cette pratique (pas-seurs, filières, complaisance vis-à-vis desemployeurs, etc.).En juillet 2006, déjà, le ministre del’Intérieur avait fait porter de douze à dix-neuf mois le délai au terme duquel unétranger en séjour régulier en France pou-vait solliciter un regroupement pour lesmembres de sa famille proche. Cette loiautorisait aussi le recours à de la main-d’œuvre étrangère, suspendu depuis 1974,

sans avoir à justifier qu’il ne nuisait pasaux demandeurs d’emploi en France.Cette mesure, relative à certaines profes-sions – l’hôtellerie, restauration, construc-tion et travaux publics, travaux saison-niers, professions commerciales – n’estpas un renoncement aux contrôles poli-ciers, ni une ouverture, mais une mesured’organisation pour satisfaire lesdemandes patronales de main-d’œuvre àbon marché. La loi met en place la cartede séjour « compétences et talents », des-tinée à drainer les migrants hautementqualifiés et les étudiants.En 2007, une loi est étudiée visant à res-treindre l’immigration afin d’appliquer lavolonté présidentielle d’« immigrationchoisie ». Elle est accompagnée d’unamendement relatif à la maîtrise de lalangue française, dont l’insuffisance estestimée créer des difficultés aux migrantset aux couples mixtes.Pour le pouvoir, l’immigration choisie estun moyen de mieux choisir les migrants,afin de réduire leur nombre et de mieux

assurer leur intégration. Or l’immigrationfamiliale est un facteur favorable à unebonne insertion alors que toute politiquede rejet favorise à l’inverse le communau-tarisme. La politique extérieure est, enoutre, désormais subordonnée aux objec-tifs de la politique d’immigration choisie.Depuis quelques années, des accords degestion concertée des flux migratoires deco-développement conditionnent l’aideau développement à la prise de mesures,par les États du Sud, visant à restreindrel’émigration. Le lien entre gestion des fluxmigratoires et co-développement devientl’objet de l’action diplomatique de laFrance, et s’efforce de généraliser ce typede dispositif, en particulier à l'Unioneuropéenne. En 2008, la CommissionMazeaud consacrée au cadre constitu-tionnel de la nouvelle politique d’immi-gration le confirme dans son rapport,mais indique cependant que « le déve-loppement est un droit reconnu par lesNations unies et ne saurait faire l’objetde conditionnalité, quelle qu’elle soit.Conditionner l’aide publique au déve-loppement au contrôle des flux migra-

L’immigration familiale est un facteur favorable à une

bonne insertion alors que toutepolitique de rejet favorise

à l’inverse le communautarisme.

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LES TRAVAILLEURS SANS-PAPIERS,DE LA PRÉCARITÉ À LA GRÈVEChercher à conquérir l’égalité des droits pour une frange margina-lisée des salariés a œuvré à l’élargissement de droits pour l’ensem-ble du monde du travail.

ture, mais qui a des effets réels : les tra-vailleurs sans-papiers sont choisis par desemployeurs parce que l’État les déclare« subis » et les contraint, par son harcèle-ment administratif et policier, à la sou-mission.La France des années 2000 a été marquéepar une chasse accrue aux étrangers irré-guliers et une fragilisation des réguliers.Malgré l’objectif gouvernemental affichéde réduction de l’effectif des sans-papiers,ce sont des dizaines de milliers d’immi-grés qui restent sans-papiers plus long-temps et voient leurs espoirs de régulari-sation s’éloigner. Bien plus, ils sont rejointspar des étrangers réguliers à qui les pré-fectures refusent plus fréquemment lerenouvellement de leur titre de séjour. Lessans-papiers d’aujourd’hui sont plus« intégrés » que ne l’étaient leurs prédé-cesseurs. Ils sont davantage insérés dansla vie économique, leur voisinage, les ins-titutions ; ils sont davantage pourchas-sés, mais disposent également de plus deliens et de ressources pour faire face. Lesgrèves de travailleurs sans-papiers en sontun révélateur.

DES « DÉLOCALISATIONS SUR PLACE »Sans droit aux prestations sociales bienque nombreux à cotiser, craignant l’acci-dent et ses suites administratives alorsqu’ils réalisent des travaux pénibles etdangereux, les travailleurs sans-papierssont une cible privilégiée pour les infra-

PAR PIERRE BARRON, ANNE BORY,SÉBASTIEN CHAUVIN, NICOLAS JOUNIN,LUCIE TOURETTE*

Le 15 avril 2008, en région parisienne,trois cents salariés sans-papiers semettent en grève et occupent simul-

tanément leurs entreprises pour réclamerleur régularisation. De 2006 à 2010, ils sontdes milliers à prendre part sous diversesmodalités à cette mobilisation inédite quiprend le nom de « mouvement des tra-vailleurs sans-papiers » et, pour beau-coup, à obtenir par ce biais un titre deséjour. Organisées et soutenues par des syndicats(la CGT, mais aussi Solidaires, la CNT, laFSU, la CFDT, l’UNSA) et des associationsœuvrant dans la défense des droits desétrangers (Droits Devant !!, le Réseau Édu-cation Sans Frontières, Femmes Égalité,la Cimade, Autremonde, la Ligue desDroits de l’Homme), les grèves ont mobi-lisé des salariés majoritairement africains,travaillant surtout dans les secteurs del’hôtellerie-restauration, du nettoyage etdu bâtiment. Elles ont révélé que l’emploi de sans-papiers concerne des pans de l’économiefrançaise, des petites aux grandes entre-prises, du traiteur du coin aux familiersdu pouvoir, de l’intérim aux ministères.L’opposition rhétorique entre immigra-tion « choisie » et « subie » est une impos-

ctions patronales au droit du travail (tra-vail dissimulé, licenciement sans préavis,suppression des congés, absence dereconnaissance des qualifications, salaireà la tâche, etc.). Ces conditions de travailen deçà du droit reviennent, pour des sec-teurs qui ne peuvent délocaliser leur acti-vité dans des pays où la main-d’œuvre estmoins chère, à opérer, en embauchantdes salariés sans-papiers, des « délocali-sations sur place ».Lorsque la loi du 20 novembre 2007 auto-rise la régularisation à titre « exception-nel » d’un sans-papiers qui bénéficieraitd’un contrat de travail, l’administrationentend traiter avec un interlocuteurunique : l’employeur. Mais, ce faisant,l’État a inévitablement invité, dans le pro-cessus de régularisation, la relation d’em-ploi, et, avec elle, l’ensemble des antago-nismes dont elle est porteuse et desinstitutions que ces antagonismes ontproduites au cours de deux siècles deluttes sociales, du droit du travailjusqu’aux syndicats. C’est à cette invita-tion involontaire que les syndicats ontrépondu. La grève est d’abord partie de salariéssans-papiers déclarés, le plus souvent enCDI. Au fil des occupations, syndicats ettravailleurs sans-papiers ont révélé nonseulement que la grève est un moyen d’ac-tion légalement ouvert aux personnes ensituation irrégulière, mais que, de surcroît,elle les protège : les policiers s’arrêtentaux portes des entreprises occupées, n’in-tervenant traditionnellement pas dansun conflit du travail.

L'EXERCICE DU DROIT DE GRÈVELe mouvement s’est ensuite étendu à unepopulation pour laquelle il était plus dif-ficile de démontrer un lien avec l’em-ployeur (salariés à temps partiel, intéri-maires et/ou au noir). Si pour ces derniersla précarité de l’emploi demeure en par-tie un obstacle à la régularisation, cesgrèves ont contribué à faire reconnaîtreceux à qui s’appliquent les formes d’em-ploi précaires comme d’authentiquessalariés, légitimés à prendre part auxconflits du travail. Elles ont égalementpermis d’approfondir l’exercice du droitde grève au-delà des seuls travailleurssans-papiers.Pour les intérimaires notamment, il étaitdifficile d’identifier UN lieu de travail :nombre d’entre eux avaient travaillé pen-dant des années sur de multiples chan-tiers, pour plusieurs agences d’intérim etentreprises du bâtiment. C’était davan-tage un « employeur collectif » qu’uneentreprise en particulier, précisément

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identifiable, qui avait utilisé leur force detravail. Les tribunaux ont souvent consi-déré que les occupations d’agences étaientillégales, mettant en avant l’absence delien salarial entre les occupants et l’agenceoccupée. Certains juges ont estimé entreautres qu’occuper une agence pourlaquelle les grévistes n’avaient jamais tra-vaillé, mais qui appartenait à uneenseigne dont ils possédaient des feuillesde paie, n’était pas légal. Enfin, plusieurstribunaux ont affirmé qu’un intérimaireentre deux missions n’avait ni devoirs nidroits vis-à-vis de son agence. L’occupantdevait alors être considéré comme unchômeur, pouvant faire l’objet d’une éva-

cuation, et non comme un gréviste.Toutefois, un arrêt de la Cour d’appel deParis, en date du 12 avril 2010, est allé àl’encontre des décisions qui l’avaientprécédé. « Considérant que les feuillesde paie présentées par seize occupantsd’une agence attestaient que ceux-ci setrouv[ai]ent bien en relation de travail-leurs intérimaires habituels avec lasociété Synergie à l’occasion de missionssuccessives, quand bien même elles pou-vaient être discontinues », le tribunal aestimé que le lien salarial était établi etdonc la qualification de gréviste justi-fiée. Par la notion de « travailleurs habi-tuels », cette décision a étendu la défini-

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1968-2008 : L’IMMIGRÉ AU TRAVAIL,UNE FIGURE DE PLUS EN PLUS HÉTÉROGÈNEDes immigrés peuvent dorénavant vivre longtemps à l’intérieur des frontières des États européens tout enétant maintenus aux frontières des institutions de l’État de droit et de l’État social.

MARYSE TRIPIER, ANDREA REA*

«En mars 1999, 4 310 000 immigrésrésidaient en France métropoli-taine, soit 7,4 % de la population,

proportion constante depuis 1975. Leursorigines géographiques sont de plus enplus diversifiées et lointaines. Le nombredes immigrés natifs de pays d'Europediminue, celui des originaires du Maghrebaugmente légèrement. Les immigrésvivent surtout dans les grandes villes et enrégion parisienne. Par rapport à 1990, lapopulation immigrée a vieilli mais ellecomprend plus de jeunes adultes que lereste de la population. Elle comptedé sor mais autant de femmes qued'hommes. Les immigrés français paracquisition sont plus souvent des femmeset sont plus âgés que ceux restés étran-gers. Plus d'un immigré sur trois est denationalité française ». (source INSEE,résumé RGP1999) En 2005, les « immi-grés » (étrangers plus français par acqui-sition) représentent donc 8% de la popu-lation totale, ce qui indique cette stabilité.Depuis 1990, l’immigration a repris enEurope bien que sous des formes diffé-rentes. L’Espagne et l’Italie sont les pre-miers à avoir initié l’accueil massif de nou-veaux migrants, essentiellement pour desraisons de travail. Toutefois, même les paysde l’Europe du Nord ont renoué avec l’im-migration de travail, surtout saisonnière

et temporaire. S’y ajoute la mobilité denombreux travailleurs venant des nou-veaux États membres de l’Union euro-péenne qui sont passés de l’irrégularité deleur séjour à leur régularisation alors qu’iln’en va pas nécessairement de même deleur inscription sur le marché de l’emploi. Pour Castles, la mondialisation conduitplus que jamais à faire appel à l’immi-gration pour les « 3-D Jobs » (Dirty,Demanding and Dangerous : sales, exi-geants et dangereux ). Cependant, l’oc-cupation de la main-d’œuvre étrangèreconnaît un déplacement des secteursd’activités : de l’industrie vers les ser-vices. En Europe, l’agriculture, l’horti-culture, la construction, l’hôtellerie, larestauration, la confection et les servicesreprésentent des secteurs d’activité àhaute intensité de travailleurs immigrés.Pour Marie, les nouveaux immigrants,mais pas seulement eux, sont en butteaux transformations des stratégies entre-preneuriales, fondées sur l’externalisa-tion des coûts salariaux, tout particuliè-rement avec la sous-traitance en cascade,et sur la précarité et la flexibilité du tra-vail. Le nouvel usage de l’emploi desétrangers irréguliers constitue ainsi laforme extrême d’un mode de gestion quise généralise avec le développement del’emploi atypique ou précaire. « L’étran -ger sans titre des années quatre-vingt adessiné les traits d’une figure sociale nou-velle : le salarié néolibéral ».

SOUS-TRAITANCE EN CASCADEL’appel de main-d’œuvre clandestine parquelques secteurs et sa mobilisation parles réseaux ethniques instaurent uneimmigration en chaîne. L’emploi desnouveaux migrants se concentre dansdes secteurs peu délocalisables. Le poidsdes irréguliers dans l’économie est rela-tivement faible bien qu’important sec-toriellement. Dans la confection, l’em-ploi des irréguliers s’apparente à de ladélocalisation sur place. Pour être com-pétitif sur le marché international, des« zones de travail gris » se constituent oùdes travailleurs immigrés déclaréscôtoient des irréguliers. La sous-traitanceen cascade permet de brouiller ce sys-tème et d’éluder la responsabilité desdonneurs d’ordre. Ces travailleurs sonttotalement subordonnés à leuremployeur qui définit les critères desélection et de recrutement. Les rapportsentre salariés, entre salariés et syndicatssont ainsi bouleversés par la sous-trai-tance, le précariat, les divisions eth-niques. Le recours à l’intérim permetd’associer précarité de l’emploi et pré-carité de séjour tout en assujettissanttoujours plus les travailleurs à leursemployeurs. Toutefois, l’usage de l’inté-rim est déjà remplacé par un systèmeplus flexible et moins onéreux : la pres-tation transnationale de services qui voitdes entreprises étrangères venir avec destravailleurs détachés et recrutés dans le

tion de la relation d’emploi intérimaire,et, par là même, certains droits que cetterelation comporte, notamment celui defaire grève. Ainsi, bien que cette avancéesoit restée isolée et bien que sa naturedemeure jurisprudentielle, il semble queces grèves, en cherchant à conquérirl’égalité des droits pour une frange mar-ginalisée des salariés, aient œuvré à l’élar-gissement de droits pour l’ensemble dumonde du travail. n

*Auteurs de l'ouvrage collectif : On bosse ici !On reste ici ! La grève des travailleurs sans-papiers, une aventure inédite, La Découverte,2011.

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pays d’origine, système légal d’un nou-veau processus de « l’immigration sansimmigrés ».Le maintien des nouveaux migrants dansun statut de séjour irrégulier ou précaire,constitue désormais une composante dela politique européenne d’immigrationmalgré des volontés d’instaurer de nou-velles régulations de main-d’oeuvre.Contrairement à la figure fordiste du

Gastarbeiter, [travailleurs importés] il nes’agit plus de maintenir les travailleursimmigrés dans une position intégrée maisinfériorisée. Des immigrés peuvent doré-navant vivre longtemps à l’intérieur desfrontières des États européens tout enétant maintenus aux frontières des insti-tutions de l’État de droit et de l’État social. Il s’agit toujours d’une tentative de réduc-tion du coût du travail qui s’accompagnede tentatives de démantèlement du droitdu travail, d’une déréglementation desactivités économiques, voire du détour-

nement du droit commercial pouvant fri-ser l’illégalité. Cette situation exacerbe laconcurrence sur le marché de l’emploi etintroduit de nouvelles divisions. Le faitd’être un clandestin favorise cet usage,mais n’est pas la cause du travail illégal .Ces travailleurs sont alors confinés aurègne de la combine, tributaire du clien-télisme, du clanisme et de la corruption,poussés aux frontières de l’illégalisme.

DIVERSIFICATION ET FÉMINISATIONL’intensification contemporaine des fluxmigratoires s’accompagne d’une diversi-fication des caractéristiques des migrants.Cette différenciation concerne particuliè-rement le genre, l’âge, le niveau d’étude,la nationalité, l’urbanité des migrants. Lesfemmes jouent dorénavant un rôlemoteur. Les nouvelles migrations mon-trent l’importance croissante des femmesdans l’immigration de travail [Phizacklea,1983]. Les travaux empiriques prenant letravail des femmes et leur fonction dansles migrations internationales se multi-plient, en particulier autour de trois marchés : la domesticité, le care et la pros-titution. Sur base d’une recherche inter -nationale, Ehrenreich et Hochschild pro-posent le concept de « global care chain »[chaîne du soin global] pour saisir lesmigrations féminines de la mondialisa-tion en insistant sur le caractère transna-tional des familles concernées. Le conceptde travail domestique, selon Parrenas,implique un transfert international du tra-vail reproductif du Sud vers le Nord impli-

quant trois catégories de femmes : lesclasses moyennes et supérieures des paysd’accueil, les migrantes domestiques etles femmes trop pauvres pour migrer duTiers-monde. Ces femmes deviennent desbreadwinners [celles qui gagnent le pain]dans leur pays d’origine, remplissant sou-vent le même rôle que les hommesmigrants assuraient par le passé. La diversification de la figure du migranttient aussi à la multiplication des originesnationales des immigrés arrivant enEurope. Les nouveaux immigrés provien-nent de pays de plus en plus divers. Lesrecherches sur les migrations de travail enEurope montrent également une différen-ciation de l’origine sociale du migrant. Cedernier n’est plus l’analphabète ou le ruralde la période fordiste. Les nouveauxmigrants sont parfois hautement scolari-sés même s’ils effectuent des travauxdéqualifiés. Des études relatives aux sans-papiersmontrent que les nouveaux migrants sontaussi issus des classes moyennes de leurpays d’origine, viennent des villes et pos-sèdent des diplômes. Le slogan « sans-papiers mais nullementclandestins » a été popularisé par lecomité de Saint Bernard : ces sans-papiers refusaient d’être assimilés à desclandestins ; certes ils sont en situationirrégulière au regard du séjour mais lamajorité d’entre eux sont entrés avec untitre de séjour. Ils ont été « réguliers »pendant plusieurs années et ce sont leslois qui les ont plongés dans l’illégalité.

Il s’agit toujoursd’une tentative de réduction du

coût du travail qui s’accompagnede tentatives de démantèlement du

droit du travail, d’unedéréglementation des activités

économiques, voire dudétournement du droit commercial

pouvant friser l’illégalité.

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Migrations, au-delà du fantasmeLE DOSSIER

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ÉLIANE ASSASSI*

Beaucoup d'enseignements sont à tirerdu 1er tour de l'élection présidentiellemais le score du Front national mérite

une attention particulière, tant il révèleune structuration de pensée et d'idées quitrouvent de la résonance au delà de sonélectorat « traditionnel ».Si l’UMP s'échine à s'emparer de cer-taines thèses du Front national pour ten-ter de se redonner des forces, la gauche sedoit de ne céder à aucune sirène mais detenir les promesses régulièrement ins-crites dans ses programmes. C'est le cassur le droit de vote des étrangers aux élec-tions locales.Dix ans après l'Assemblée nationale, alorsmajoritairement à gauche, cette exigencedémocratique a été adoptée au Sénat endécembre 2011. Les sénatrices et séna-teurs du groupe communiste, républicainet citoyen ont largement participé au débatet ont contribué à l’adoption de cette pro-position de loi. Si la gauche est à nouveaumajoritaire au Palais Bourbon en juin pro-chain, le gouvernement devra la soumet-tre au vote des députés dans les premiersmois de leur mandat.

UN LEVIER D’ÉMANCIPATIONEn effet, nous ne pouvons plus continuerà écarter du droit de vote et d’éligibilitédes milliers de résidents étrangers qui par-ticipent dans notre pays, depuis plusieursannées et de façon active, à la vie de la cité,à la vie associative, syndicale, culturelle,

éducative, etc. Ne votent-ils pas déjà auxélections prud’homales et aux électionsau sein de l’entreprise ? N’élisent-ils pasles parents d’élèves aux conseils d’écoles ?Faut-il rappeler qu’ils bénéficient depuis1981 du droit d’association ; que beau-coup d’entre eux sont issus de nosanciennes colonies et qu’ils contribuentau développement économique et à larichesse de notre pays ? On ne peut plusles considérer comme des « travailleursde passage en France » censés retournerdans leur pays d’origine.Venus en France dans les années 1960-1970 pour répondre aux besoins de main-d’œuvre, ils y ont construit toute leur vie.Leurs enfants, français et qui ont le droitde vote, ne comprennent pas pourquoileurs parents sont exclus de ce droit. Plus que jamais, le droit de vote des rési-dents étrangers excite toute la droite. Pours'opposer à cette mesure, avec l'extrêmedroite, elle se plait à amalgamer de façonéhontée nationalité et religion et à bran-dir les dangers du communautarisme.En brandissant cet argument du commu-nautarisme, elle avoue elle-même qu'ellen'a pas mis en place tout ce qui permettraitde lutter contre le repli sur soi, contre laméfiance à l’égard de son semblable, à savoirla participation à la vie de la collectivité. Or, l'exercice de la citoyenneté est un fac-teur essentiel d'intégration et par là mêmeun levier d'émancipation. C'est la garan-tie à la fois d'une citoyenneté participa-tive, active et d'une construction parta-gée entre les différents habitants d'unterritoire pour vivre ensemble de manièreégale et solidaire. Autre argument de la droite pour s’oppo-ser au droit de vote des étrangers : celuide la naturalisation. En somme, pour voter,les étrangers devraient prendre la natio-nalité française. D’abord, faut-il rappeler

LA CITOYENNETÉ DE RÉSIDENCE, UNE EXIGENCEDe nombreuses raisons militentpour accorder d’urgence le droitde vote aux étrangers. Une prio-rité pour la gauche.

ici que depuis la ratification du traité deMaastricht, les ressortissants de l’Unioneuropéenne ont la possibilité de partici-per aux élections municipales sans condi-tion de durée de résidence ? Il est contraire au principe d’égalité quetous les étrangers présents sur notre soln’aient pas les mêmes droits alors même

que les élections municipales les concer-nent tout autant. Mais, de façon plus générale, en réformantà plusieurs reprises le Code de la nationa-lité, il est aujourd’hui très long et très dif-ficile d’accéder à la nationalité françaisetant les conditions administratives ont étédurcies. J’ajouterais que des résidentsétrangers n’ont pas forcément envie d’êtrefrançais. Ils sont certes attachés à leur paysde naissance mais, travaillant dans notrepays, ayant des enfants nés dans notrepays, ils aspirent à avoir les mêmes droitsque leurs amis, leurs voisins leurs collèguesqui, étrangers mais membres d’un despays de l’UE, ont le droit de vote sansrenoncer à leur nationalité.

UN RENFORCEMENT DE LA DÉMOCRATIEMais surtout, le raisonnement mis enavant par la droite selon lequel la citoyen-neté serait indissociable de la nationa-lité n’est pas fondé dès lors que le traité

En effet, l’asile politique a été en Franceen constante régression, et les loisPasqua ont fabriqué « des inexpulsables-irrégularisables ». Etudier en Francedevient de plus en plus difficile pour les« non-européens » (des pays pauvressurtout), rester après les études estimpossible, sauf en cas de mariage. Àces sans-papiers, fabriqués sur place,s’ajoutent désormais des migrants quiprolongent leur séjour au-delà du visade tourisme, quand ils l’ont obtenu, ceuxqui restent après avoir été déboutés du

Le raisonnement mis en avant par la droite selon

lequel la citoyenneté seraitindissociable de la nationalité n’est

pas fondé dès lors que le traité deMaastricht opère d’ores et déjà une

distinction entre nationalitéfrançaise et citoyenneté

européenne.

droit d’asile, ou avoir accompli leur mis-sion saisonnière, et ceux qui, après unpériple souvent mortel et de plus en pluslong, arrivent clandestinement enEurope, ceux et surtout celles, victimesdu trafic d’êtres humains. On estime auxÉtats-Unis à 12 millions de personnes,les « illégaux ». Loin d’être à la marge,cette population est devenue une com-posante du marché du travail, victimede la fermeture des frontières, dans unesituation pire que celle du Gastarbeiterdes années 1970. » n

*Maryse Tripier est sociologue, professeurémérite à l’université Paris-Diderot.Andrea Rea est sociologue, chargé de cours àl'université libre de Bruxelles. Il dirige legroupe d'études sur l'ethnicité, le racisme, lesmigrations et l'exclusion (GERME).

Extrait de Maryse Tripier, Andrea Rea, 1968-2008 : L’immigré au travail, une figure de plusen plus hétérogène, Journée d’étude franco-italienne, Immigration et marchés du travail,8 avril 2008, Aix-en-Provence, publié avecl’autorisation des auteurs.

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PAR GUY MICHELAT, MICHEL SIMON*

Les réponses à « il y a trop d’immigrésen France » sont fortement associéesaux réponses à d’autres énoncés

symptomatiques, eux aussi, d’un syn-drome xénophobe, à connotationsracistes, dont la poussée au début desannées 1990 ne laissait pas d’être préoc-cupante (« il y a des races plus douéesque d’autres », « maintenant on ne sesent plus chez soi comme avant », etc.).Depuis les années 1990 et en 2007 encore,le vote Front national est quasi nul quandon n’est pas du tout ou plutôt pas d’ac-cord avec « il y a trop d’immigrés enFrance », comme on le verra plus loin. Ilreste rare quand on se dit seulement plu-

tôt d’accord. C’est seulement chez ceuxqui se disent tout à fait d’accord qu’ildevient plus que significatif. Mêmeconstat en 2010 à propos du parti donton se sent le plus proche. C’est dire l’im-portance de cette question, à forte chargeaffective, comme révélateur du « climat »idéologique, culturel, et finalement poli-tique.La figure ci-contre confirme la brutalitéet l’ampleur de la poussée xénophobe-raciste au début des années 1990. En1993, 50% des personnes interrogées(dont ouvriers : 60%) se disent « tout àfait d’accord » (++) avec « il y a trop d’im-migrés en France », 20% seulement expri-ment leur désaccord (-,- -). Les deuxcourbes se croisent au milieu des années1990. En 2010, nonobstant la gravité de

L’HOSTILITÉ DES IMMIGRÉS EN RECULL’hostilité aux immigrés, en fort recul par rapport aux années 1990,ne semble pas connaître, malgré la crise, un rebond vraiment signi-ficatif par rapport à 2010.

de Maastricht opère d’ores et déjà unedistinction entre nationalité française etcitoyenneté européenne. Pour les élec-tions locales, il convient donc de retenirla notion de « citoyenneté de résidence »qui permet à chacune et chacun d’êtrecitoyenne et citoyen là où elle/il vit.Faut-il rappeler que chaque fois que ledroit de vote a été élargi, que ce soitlorsque le droit de vote censitaire a étésupprimé, lorsque le droit de vote a étéaccordé aux femmes, lorsque l’âge pourvoter a été abaissé, lorsque a été accordéle droit de vote aux étrangers commu-

nautaires, c’est la démocratie qui s’en esttrouvée renforcée ?C’est en tout cas ce que partagent desmillions de nos concitoyens et de nom-breuses associations et mouvements qui,en la matière, prônent l’égalité des droits. Terre d’accueil, pays des droits del’Homme, dont l’histoire reste marquéepar la Révolution française à la concep-tion très ouverte de la citoyenneté, laFrance s’honorerait par conséquentd’inscrire dans sa Constitution que ledroit de vote et d’éligibilité aux électionsmunicipales est accordé aux étrangers

non ressortissants de l’Union euro -péenne.Une simple raison justifierait une tellemesure : rendre justice à toutes celles etceux qui vivent ici, qui travaillent ici, quiont des enfants nés français, qui paientdes impôts, qui ont, à juste titre desdevoirs ici, mais à qui on refuse ici, l’ac-cès à des droits fondamentaux dont celuid’être électrice et électeur. n

*Éliane Assassi est responsable du secteurquartiers populaires et libertés du PCF. Elleest sénatrice de Seine-St-Denis.

la crise, « tout à fait d’accord » tombe à20%(24% chez les ouvriers), « pas d’ac-cord » monte à 49%. Par rapport au « pic »de 1993, la situation s’est inversée.Iln’empêche qu’en juin 2010, 48% desFrançais estiment, peu ou prou, que desimmigrés en France, « il y en a quandmême trop ». Le complexe xénophobe-raciste est donc loin d’avoir disparu. Maisil n’est plus comme naguère massive-ment majoritaire. Et il a considérable-ment perdu en virulence. L’enquête TNS-SOFRES déjà citée montre qu’endécembre 2011, peu de chose a changépar rapport à 2010. D̓autres enquêtesindiquent au contraire un certain regain.Là encore la prudence s’impose.Ces résultats incitent à accueillir avecbeaucoup de réserve un certain nombred’affirmations. La crise (et l’anxiété qu’ef-fectivement elle nourrit) « devaient » s’ac-compagner d’une montée des réactionsautoritaires et xénophobes. En France,ce ne semble pas être le cas. Il est vraique, selon une enquête internationale,la France est, de tous les pays compara-bles, celui où, « en bas » du moins, on semontre le plus compréhensif à l’égardde l’immigration illégale. Il nous sembledonc difficile de parler d’une France cris-pée sur ses références identitaires et fer-mée à l’autre. Surtout quand on constateque plus on est jeune, plus on est rétif aurigorisme autoritaire et au racisme.Exemples (enquête de 2010) :– D’accord avec « il y a trop d’immigrésen France » : 18-24 ans : 38%, 65 ans etplus : 66%. n

*Guy Michelat est sociologue, directeur derecherche au CEVIPOF.Michel Simon est sociologue, professeurémérite à l’université de Lille.

Extrait de Le peuple, la crise et la poli-tique, numéro hors-série de La Pensée,2012.

« IL Y A TROP D’IMMIGRÉS EN FRANCE »Tout à fait d’accord (++), plutôt d’accord (+), plutôt pas d’accord (-), pas d’accord du tout (- -)

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PAR ALAIN HAYOT*

«I l s’agit de tisser à nouveau desliens de solidarité entre toutesces catégories qui sont mises en

concurrence et divisées. Et bien évidem-ment, donner un élan beaucoup plus fortà un projet alternatif qui puisse prendrele contrepied du projet du FN, mais ausside celui de la droite française , [...] capi-taliste qui tente de créer les conditionsnécessaires pour faire en sorte que lecapitalisme, à bout de souffle, nes’éteigne pas. L’immigration est accuséed’être à l’origine de la crise. [...] Il ne s’agitpas de combattre l’émigration mais delui apporter une réponse.[...]

Un projet ne peut se dire social s’il estfondé sur la division des dominés, surl’exclusion d’une partie d’entre eux etsur la mise en accusation du plus pau-vre et de la différence. S’il n’y avait pasd’immigrés, croyez-vous que la concur-rence entre les salariés et les ouvriers dis-paraîtrait ? Il semble que nous connais-sons des pays qui n’étaient pas des paysd’immigration et dans lesquels le capi-talisme était autant exploiteur.C’était le cas des pays latins commel’Espagne ou l’Italie qui n’étaient pas des

pays d’immigration mais des pays d’émi-gration. Beaucoup sont partis mais trèspeu sont venus. L’immigration dans cespays date seulement de vingt ou trenteans. Étaient-ils plus protégés des criseset autres ? Cette division des dominés,donc, désarme les forces populaires etles laisse en très grande fragilité face auxdominants, aux oligarchies.

RECONSTRUIRE DES SOLIDARITÉSACTIVESPour conclure, je dirais simplement quel’entreprise lepéniste a réussi sur deuxterrains : elle a ancré à droite une forcepolitique qui a une influence réelle surla durée mais a peut-être surtout essaiméidéologiquement ses analyses, sesvaleurs, sa vision de la nation française.Ce que nous appelons la lepénisationdes esprits. Elle a créé les conditionsd’une hégémonie idéologique et cultu-relle et donc les conditions politiquesd’une recomposition de la droite fran-çaise sur ces bases-là. Cela fut possiblegrâce à la construction d’un projet poli-tique ; et pour combattre le FN, il ne suf-fit pas de réduire la crise sociale et defaire reculer le chômage. Depuis trèslongtemps, je suis convaincu que ce n’estpas cela qui fera reculer le FN. C’est encombattant ses thèses comme celles de

RÉPONDRE AUX THÈSES DU FNAffronter le FN c’est d’abord combattre clairement ses thèses et ledire. Projet contre projet.

LE DOSSIERtoute la droite aujourd’hui, c’est enreconstruisant des solidarités activesentre les dominés, c’est en élaborant eten partageant un projet alternatif, enproposant une nouvelle théorisationpolitique que nous ferons reculer, dansun même temps, la crise et l’influencedu FN. Le FN présente une théorisationpolitique qui redonne sens et ambitionaux aspirations populaires. À gauche,chacun sait que l’abstention autant que

le vote FN sont un problème majeur pournous. Ces deux phénomènes indiquentl’urgence d’une nouvelle théorisationpolitique à la mesure de cette crise decivilisation que met en avant la crise ducapitalisme. Crise d’alternative que lagauche française et les communistesconnaissent particulièrement depuis lachute du mur de Berlin. Il faut, selon moi,inventer et c’est ce qu’il y a sans doutede plus difficile. » n

*Alain Hayot est membre du conseil nationaldu PCF.Extrait de Combattre le Front national deMarine Le Pen, audition du 16 mai 2011,Cahiers du LEM, n° 2, 2011.

Un projet ne peut se dire social s’il est fondé sur la

division des dominés, surl’exclusion d’une partie d’entre eux

et sur la mise en accusation du plus pauvre et de la différence.

“”

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PAR HUGO POMPOUGNAC*

C’est dès la Renaissance qu'étu-diants, savants et artistes voyagentà travers le monde entier pour y

échanger des savoirs, comme le plus célè-bre, Erasme, humaniste hollandais quipartira faire ses études à l'université deParis, donnant ainsi son nom au pro-gramme d'échanges européen. Mathématiques, philosophie, droit,... lesconnaissances sont ainsi partagées, plu-tôt que d'être dispersées en multitudesde propriétés nationales et individuelles.Forgé collectivement, dans le partage etla confrontation, le savoir est la propriétéde l'humanité. C'est dans les années 1970que l'on voit exploser le nombre d'étu-diants étrangers venus des pays du Sudayant tout récemment acquis leur indé-pendance. Le partage de savoir se situeune fois de plus au cœur du mouvementd'émancipation des peuples.

LE VOL DES CERVEAUXNous assistons aujourd'hui à un doublemouvement : d'une part, la privatisationdes savoirs qui sacrifie leur constructioncollective sur l'autel des brevets et de laconcurrence internationale et d'autrepart, les mesures de restriction du séjourdes étudiants étrangers sur le territoire,comme outil de maintien de la domina-tion des pays du Nord sur les pays du Sud.En effet, derrière l'interdiction de redou-blement, tout comme l'interdiction de seréorienter, sous l'apparence anodine dedémasquer les profiteurs, se cachent lesmécanismes de maintien des inégalitésde classe, et le vol des cerveaux. Les étu-diants sont de plus en plus sélectionnésdès leur pays d'origine par le biais desCentres d’Études en France (CEF), quiconditionnent leur autorisation à venirétudier en France à leurs ressources finan-cières (7 680 euros sur l'année ou unrevenu de 620 euros par mois). Les CEFont fait leur apparition en premier lieudans les anciennes colonies françaises, etles pays victimes de la Françafrique. EnFrance, plus l'étudiant a des ressourceslimitées, plus la liste des justificatifs à four-nir auprès de la préfecture s'allonge : il ya là une volonté claire de sélectionner les

étudiants issus des classes déjà domi-nantes des pays en voie de développe-ment. La masse des étudiants étrangers,précaires, ne pouvant prétendre à aucuneaide sociale, sont jetés tout crus dans lagueule du patronat, où ils s'épuiseront enheures de travail non déclarées, avant detomber sous le coup de l'expulsion. Dansun contexte de politique d'austérité et dequotas d'expulsions, qui fait du milieuétudiant l'armée de réserve du salariatprécaire, nous voyons bien qu'à l'inversedes traditionnels discours réactionnaires,la réalité nous montre que ce sont les paysdu Sud qui fournissent chaque année desdizaines de milliers d'étudiants et dejeunes travailleurs qualifiés à la France.Qu'en est-il pour ceux qui réussissent leurparcours du combattant, et obtiennentleur diplôme ? Ceux-ci, alors que nosdiplômes sont chaque jour davantagesoumis aux exigences du patronat local,se voient contraints de rester en France,faute de débouchés dans leur pays d'ori-gine. Ainsi, dire que les étudiants étran-gers ne peuvent pas bénéficier d'une for-mation qualifiante utile dans leur paysd'origine, c'est observer que les pays duSud sont maintenus dans la dépendanceconcernant l'offre de formation, et quelorsque les patrons français délocalisentleurs entreprises, ils y délocalisent aussileurs cadres dirigeants. La circulaireGuéant, ne fait que plonger ces jeunesdiplômés ainsi retenus dans l'illégalité,pour faire pression sur leurs salaires et lesrendre dociles. De même, nous pouvons avoir l'illusion,que du côté des programmes d'échangeseuropéens, la vie est bien plus rose, il n'enest rien ! Le processus de Bologne n'a pasété une harmonisation des diplômes, maisune harmonisation des exigences dupatronat européen. Aujourd'hui, le pro-gramme Erasmus tant vanté, en l’absencequasi-totale de cadrage structurel et finan-cier, permet à moins de 2 % d'étudiantsfrançais de partir étudier à l'étranger, leplus souvent il s'agit d'étudiants favori-sés par leurs ressources familiales, ou dansle cadre des IEP. En Grèce, en Italie,comme en Irlande, nous assistons à deréels exodes d'étudiants qui ne trouventaucun débouché professionnel dans leur

pays d'origine, et qui rejoignent notam-ment la France dans l'espoir d'un avenirmeilleur.

REMETTRE LE SAVOIR AU CŒUR DE LASOLIDARITÉ INTERNATIONALEEn premier lieu, il nous faut démasquerl'imposture du discours qui nous est tenuactuellement par le pouvoir en place : cene sont pas les politiques d'expulsionsdont les étudiants sont les premièrescibles qui créeront toutes les conditionsnécessaires à l'accès de tous à une for-mation de qualité dans les pays du Sud. À l'inverse de ce gouvernement quiexpulse pour maintenir sa domination,nous devons lutter pour l'égalité desdroits entre étudiants français et étu-diants étrangers pour construire aveceux, un fort maillage territorial de la for-mation partout dans le monde. La reven-dication historique de l'UEC « une carted'étudiant = une carte de séjour » per-met ainsi de remettre le droit d'accès àl'enseignement au cœur d'une vraie poli-tique qui soit au service des besoins del’humanité, plutôt que ceux d'obscursquotas d'expulsions. Le droit d'étudier,c'est le droit de prendre le temps des'adapter à des normes méthodologiquesqui ne sont pas les siennes. Donner vrai-ment le droit d'étudier, c'est reconnaî-tre qu'étudier est un travail à plein temps,c'est prendre conscience du fait que l'im-mense majorité des étudiants a besoinde six ans pour atteindre le niveaulicence, c'est donner le droit de persévé-rer. Donner le droit d'étudier à tous, c'estdonner accès à un logement social, à lasanté, à un cadre d'aides sociales. C'estpourquoi les étudiants étrangers ont éténombreux à nous rejoindre pour clameravec nous : « Ni précarité, ni charité, desmoyens pour étudier ! ». Ensuite, dans labataille pour la reconnaissance de l'Étatpalestinien, les étudiants communistesse sont rendus en Palestine, et se mobi-lisent dans leurs universités pour y obte-nir la création de jumelages avec les uni-versités palestiniennes. Partout, etjusqu'au Sénégal, nous construisons noscombats en commun. C'est dans cettedémarche, que nous comptons contri-buer à l'émancipation de l'humanité toutentière, pour que les étudiants méditer-ranéens qui ont fait leur printemps en2011 rencontrent notre chaleureuse soli-darité, loin de l'hiver rude que leur ontréservé Sarkozy et Berlusconi. n

*Hugo Pompougnac est secrétaire à l'organi-sation de l'Union des étudiants commu-nistes.

AU CŒUR DES PROBLÉMATIQUESMIGRATOIRES : LE PARTAGE DES SAVOIRS !En réponse au patronat qui exerce toujours plus de pression sur l’of-fre de formation, il faut gagner l’égalité des droits entre étudiantsimmigrés et français.

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LA REVUE DU PROJET - MAI 2012

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LE DOSSIER Migrations, au-delà du fantasme

e ne raffole pas des frontières. Pour être toutà fait franc, je ne les déteste pas non plus. Toutsimplement, je redoute le malaise qui m’en-vahit quand je me retrouve en tête-à-tête avecelles. Celles dont je parle avant tout, ce sont

les frontières visibles, les frontières géographiques, cellesqui séparent les pays, les États et les nations. Même sielles sont devenues plus poreuses, aujourd’hui encorej’éprouve un curieux sentiment quand j’en franchis une :un mélange de délivrance et de gêne. Peut-être est-ce liéau passeport que j’ai sur moi. En tout état de cause, jeme suis habitué désormais à ce que les frontières meregardent d’un air soupçonneux. Je frémis quand je lesaperçois, j’ai hâte de les avoir passées, car elles me lan-cent presque toujours un regard hostile et méfiant. Jefais tout pour les rassurer, pour les convaincre qu’ellesn’ont rien à craindre de moi, mais elles trouvent toujoursun prétexte pour me refouler ou pour éviter toute rela-tion d’égal à égal. Aussi n’ai-je aucune difficulté à met-tre un nom sur le mal dont je souffre depuis longtemps :le syndrome de la frontière. Vous expliquer en quoiconsiste au juste cette maladie ne va pas de soi. Elle n’estmême pas répertoriée dans le catalogue des troublespsychiques reconnus, comme l’agoraphobie, le mal deshauteurs ou la dépression nerveuse. Je peux néanmoinsvous donner une idée des symptômes qui l’accompa-gnent. Pas tout de suite, un peu plus loin. Ce que je saisen tout cas, c’est que nous sommes nombreux, très nom-breux, à souffrir de ce syndrome. Tous ceux qui n’ontjamais eu d’appréhension au passage d’une frontière ouceux qui n’ont jamais eu le sentiment d’être rejetés parune frontière auront du mal à comprendre.

Ma relation problématique avec lesfrontières a commencé de très bonneheure. Dès mon plus jeune âge. Parceque le fait d’être atteint ou non du syn-drome de la frontière est en grande par-tie une question de hasard : tout dépenddu pays où l’on est né.Je suis né en Albanie.

S’approcher des frontières d’un pays sous un régimetotalitaire, comme c’était le cas de l’Albanie, en 1991,et surtout les franchir relevaient soit du miracle, soit dupéché mortel. Ceux qui en obtenaient l’autorisationn’étaient qu’une poignée. Ils avaient eu de la chance.Tous les autres se représentaient ces élus comme deshommes dotés d’un pouvoir surnaturel – quelque chosequi renvoyait aux mystères de la vie extraterrestre.Nous étions tout bonnement condamnés à faire desconjectures sur ce qui existait au-delà des frontières…

Ou même à éradiquer de notre cerveau la simple sup-position qu’au-delà, le monde continuait d’exister.D’une manière ou d’une autre, s’enlever cette idée dela tête était un moyen efficace de survivre, non seule-ment moralement, mais physiquement.Et sans en être vraiment conscients, il nous arrivait sou-vent de ne pas pouvoir imaginer ce monde-au-delà-des-frontières comme un simple prolongement, dansl’espace et dans le temps, du monde que nous connais-sions. Plus les années passaient, plus l’isolement del’Albanie se radicalisait, et plus le monde-au-delà-des-frontières se transmuait en une autre planète.Paradisiaque pour quelques-uns, redoutable pour d’au-tres. Mais dans tous les cas, une autre planète…

POURQUOI RACONTER TOUT CELA ?Vous vous demandez sans doute : pourquoi nousracontes-tu tout cela ? Le fait est que l’immigré, surtoutun immigré de la première génération, n’a qu’un seulchoix au début, celui de se taire. Au fond de lui cohabi-tent la peur, la prudence, le choc lié à son départ, le chocdu premier contact avec un pays inconnu, le sentimentde n’être pas le bienvenu, la rancoeur, la nostalgie de lapatrie et son reniement tout à la fois, la culpabilité et lacolère. L’immigré est un être complexe, tellement peusûr de lui qu’il redoute de se livrer. Il suffit d’un petit signeen face, un signe de refus ou d’indifférence, du genre :« Qu’est-ce que ça peut bien me faire, mon ami, de savoird’où tu viens et par quoi tu es passé ? » Et l’immigré sesent ridicule, vulnérable, défiguré… C’est pourquoi ilpréfère ne pas prendre de risque.Il ressasse dans la solitude ce qu’il a vécu et, progressi-vement, il se persuade que son témoignage n’intéressepersonne. En dernière analyse, se dit-il, mon destinn’est pas de raconter des histoires mais de me déme-ner comme un chien pour survivre.Non seulement, pense-t-il, les autres ne peuvent pascomprendre, mais ils ne veulent pas comprendre.L’autre choix, celui d’une mise à nu, d’une confession,où il raconterait l’histoire de sa vie, l’odyssée doulou-reuse et pleine de contradictions du migrant, ce choix-là est risqué.Quand il s’y décide, c’est avant tout parce qu’il a peurde sombrer dans la névrose en gardant tout pour lui, etde succomber à la haine. Le mieux qu’il puisse espéreralors, c’est qu’on le comprenne, lui, et, grâce à lui, tousceux qui ne peuvent pas, ne savent pas, n’osent pas oun’ont tout simplement pas le temps de raconter, et quienterrent leurs récits au plus profond de leur mémoire.Parce qu’on ne peut pas comprendre un immigré si onne commence pas par prêter l’oreille à son témoignage. n

*Nouvelle extraite de Gazmend Kapllani, Petit journal desfrontières, Editions Intervalles, 2012. Traduit du grec parFrançoise Bienfait et Jérôme Giovendo.

J

INTRODUCTION AU ROMAN :

Petit journal de bord des frontières

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LA HAINE DES ÉTRANGERS, LA CHASSE AUXIMMIGRÉS DÉFIGURENT NOTRE RÉPUBLIQUE : ILFAUT EN FINIR !

Les flux migratoires se développent dans le monde,ils mêlent des motivations diverses. La France nedoit pas les craindre, elle ne doit pas mépriserl’immense apport humain et matériel qu’ils luiont déjà procuré. Non, la présence des immigrésen France n’est pas un problème.

L’IMMIGRATION ZÉRO EST UN MYTHE QUI DIVISE ETAFFAIBLIT NOTRE PAYS.

Même s’ils seront peut-être moins importantsque dans le passé, la France continuera à connaîtrecomme tous les pays du monde des flux migra-toires. Il faut donc mener des politiques refusantde ghettoïser la société, qui ne soient pas guidéespar l’obsession du refoulement des étrangers.Nous rétablirons la carte unique de 10 ans et ledroit au regroupement familial, conditions d’une

vie digne. Nous abrogerons les lois successivessur l’immigration adoptées par la droite depuis2002 et nous procéderons à une refonte du Codede l’entrée et du séjour des étrangers et du droitd’asile (Ceseda). Nous régulariserons les sans-papiers dont le nombre a augmenté du seul faitdes réformes de la droite. Nous décriminalise-rons le séjour irrégulier, nous fermerons les centresde rétention, nous rétablirons le droit au séjourpour raison médicale.

NOUS RESPECTERONS SCRUPULEUSEMENT LEDROIT D’ASILE QUI SERA DÉCONNECTÉ DESPOLITIQUES MIGRATOIRES.

Notre vision de l’avenir de la France s’appuierasur un nouveau Code de la nationalité, fondé surle respect intégral et automatique du droit du soldès la naissance et sur un droit à la naturalisationpermettant à tous les étrangers qui le souhaitentd’acquérir la nationalité française au-delà de cinqans de résidence.

Extraits du programme du Front de gauche

Tout le champ des discriminations sera pris encompte (lieux publics, école, travail, logement,accès aux biens et services. . . ), qu’elles soientfondées sur l’engagement syndical ou politique,qu’elles soient racistes, sexistes, fondées sur les

convictions religieuses, l’orientation sexuelle oul’identité de genre, qu’elles stigmatisent desjeunes, des immigrés, des gens du voyage, despersonnes en situation de handicap, qu’ellestouchent à l’âge ou à l’origine sociale.

LA LUTTE CONTRETOUTES LES DISCRIMINATIONS

DROIT DE VOTENous mettrons immédiatement en place une citoyenneté de résidence. Les résidents extra-communautaires bénéficieront du droit de vote aux élections locales.

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L’IMMIGRATIONN’EST PAS UN PROBLÈME

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D’ IDÉESCO

MBA

T «Tu peux tout accomplir dans la vie si tu as le courage de le rêver, l’intelligence d’en faire un projet réaliste

Par GÉRARD STREIFF

déclin alors que les sarkozystes préten-dent valoriser ce même groupe en luiépargnant une fiscalité étouffante. Aupoint que Le Figaro (29/2/12), résumantla campagne présidentielle, titre « Labataille des classes moyennes est enga-gée ».

UN BRICOLAGE CONCEPTUELOn remarquera qu'il n'existe pas de défi-nition de la classe (ou des classes)moyenne(s) ; comme dans une aubergeespagnole, chacun apporte la sienne. Estconsidérée comme classe moyenne toutce qui se situerait au dessus des classespauvres et en dessous des classes aisées,bonjour la précision ! Pour les uns, cetteclasse est constituée par les petits patronset tous les « intermédiaires » selon lescritères de l'Insee (artisans, profs, cadresB, commerciaux) ; pour d'autres, il y a lesmoyens supérieurs (ingénieurs, profs defac) et les moyens inférieurs (infirmiers,instits, etc). D'autres encore évaluent laclasse moyenne en fonction du revenu ;on navigue entre une évaluation étroite,de 1 200 à 1 840 euros mensuels (dixitl'Observatoire des inégalités) ou une four-

chette plus « large », de 1 200 à 3 000euros. Ou alors on parle en termes de masse :ici on peut lire par exemple (Maurin etGoux) que cette classe moyenne repré-senterait 30% de la population contre20% de classe supérieure et 50% d'ou-vriers/ employés ; là on prétend qu'ellereprésente « l'essentiel du corps électo-ral français » (Le Figaro). Bref, c'est unpeu du n'importe quoi.

Un autre élément de « caractérisation »est parfois avancé, celui de capital cul-turel, d'ascension sociale par le travail,d'accès à la consommation ; on est trèsproche d'une notion cousine qui est cellede l'American way of life [mode de vieaméricain], formidable mythe depuis laseconde guerre. Ces attributs assez confus surfent sur– et favorisent – l’idée, assez répandue,d'appartenance à la classe moyenne, d'en-vie d'appartenance à cette classe. Selonune enquête Insee sur « Sentiment d'ap-partenir à une classe sociale et situationpar rapport à l'emploi »(1), 40% des son-dés s'identifiaient à la classe moyenne,

L'expression de classe moyenne demeure omniprésente. Foutaise ouconcept ? Cette pure construction idéologique a permis bien des manipu-lations. Concept bricolé, l'expression traduit en même temps un « rêve »,une aspiration à l'élévation sociale. Mais avec l'approfondissement de lacrise, l'accroissement des inégalités, la notion « fonctionne » moins biences temps-ci. Et elle traduit un manque d'analyse des classes telles qu'ellesopèrent aujourd'hui. Un travail à venir.

e terme de classe moyennesemblerait toujours autant à la mode,dans les librairies en tout cas. Une ava-lanche d'essais décline ces classesmoyennes à toutes les sauces : Lesclasses moyennes à la dérive de LouisChauvel (Seuil), Les nouvelles classesmoyennes d'Eric Maurin et DominiqueGoux (Seuil), La lutte des classesmoyennes de Laurent Wauquiez (OdileJacob), Le chagrin des classes moyennesde Nicolas Bouzou (JC Llattes), La fin desclasses moyennes de Massimo Gaggi etEdoardo Narduzzi (Liana Levi), etc. Leterme n'est pas nouveau, c'est le moinsqu'on puisse écrire. On le voit fleurir dèsles années 1960-1970, à partir de l'idéequ'une partie des classes populaires seseraient « embourgeoisées ». La notionva surtout servir d'arme de guerre idéo-logique très disputée tant par la droiteque par la social-démocratie (et sur letard par les écologistes, genre AlainLipietz et son essai La société en sablier).Terra nova par exemple, un think tank[Laboratoire d’idées] socialisant, y voitle terrain de prédilection d'une gauchequi saura défendre ce groupe contre le

L

Classe moyenneMot creux et réalité i

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LA REVUE DU PROJET - MAI 2012

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n projet réaliste, et la volonté de voir ce projet mené à bien.» Sidney A. Friedman, économiste américain

23% à la classe ouvrière, 4 à la bourgeoi-sie, 8 à la classe défavorisée, 8 à la classeprivilégiée, 9 à un groupe professionnel,2 à un groupe social et 6 à autre chose.

En vérité, si l'expression de classemoyenne est un bricolage conceptuelpermettant bien des manipulations idéo-logiques, elle traduit surtout un manque,celui d'une véritable analyse des classessociales telles qu'elles opèrent aujour -d'hui. Un sociologue comme Jean Lojkine,par exemple, pointe cet enjeu depuis plu-sieurs années ; en 2005, il signait L'adieuà la classe moyenne (La Dispute) ; de luiencore, on lira Nouveaux rapports declasse et crise du politique dans le capi-talisme informationnel(2) ; et plus récem-ment, dans l'Humanité du 18 janvier 2012,l'article intitulé « La classe moyenne,cette anticlasse censée les absorbertoutes ». Le réseau Wikipédia (qu‘on aconnu plus pointu) résume à coup deserpes la thèse de Lojkine : « les per-sonnes considérées comme faisant par-tie des classes moyennes appartien-draient en fait au prolétariat ». C'est unpeu plus subtil que cela. Lojkine appelleles communistes « à renouveler leur ana-lyse de classe. Ce qui supposerait en pre-mier lieu de dépasser les références tan-tôt à une “classe ouvrière” qui n'existeplus comme sujet historique, tantôt à une“classe moyenne” qui n'est qu'un motcreux, désignant simplement ce que l'onne parvient toujours pas à nommer : lesfractions, multiples, des intellectuels sala-riés qui s'intègrent au salariat capitaliste,mais sans fusionner pour autant avec lescatégories populaires (ouvriers etemployés).»

Ce travail est d'autant plus nécessaire,et urgent, qu'on sent confusément quel'« opération classe moyenne » est envoie d'épuisement. Aux États-Unis parexemple : la notion très consensuelle

d'American way of life, déjà citée, a long-temps et parfaitement fonctionné. Cepays se vivait un peu comme l'universabouti de la classe moyenne. Or, sous l'ef-fet conjugué de l'explosion des inégali-tés et de mouvements sociaux de« conscientisation » comme « OccupyWall Street », les lignes bougent. La divi-sion en classes antagonistes tend de plusen plus à s'imposer, et la difficulté à sevoir comme le juste milieu est réelle.Aujourd'hui, une majorité de l'opinionaméricaine estime que leur société estavant tout travaillée par les conflits (qua-lifiés de forts ou très forts) entre richeset pauvres. C'est (décembre 2011) l'opi-nion de 66% des Américains, et mêmede 55% des républicains. Cette lecture,façon « lutte des classes », constitue,pour Martine Jacot du Monde (29/1/2012),un « curieux retournement » ; il fautremonter, estime-t-elle, aux années 1920-1930 pour retrouver une telle attitude. Ilest vrai que les chiffres sont impression-nants : depuis les années 1970, le revenude l'Américain « moyen » n'a pas bougé,si l'on tient compte de l'inflation, alorsque celui du 1% d'Americains les plusriches a plus que doublé et celui dessuper-riches (0,01% de la population) aété multiplié par sept.

L'habituelle rhétorique sur la « classemoyenne » a donc perdu de sa force.« Les Américains, note le même article,étaient fiers de leur méritocratie : qui-conque un tant soit peu malin pouvaitaspirer à devenir riche à la sueur de sonfront. Or […] l'ascenseur social est blo-qué pour la classe moyenne et les pau-vres, chez lesquels les valeurs refugesqu'étaient la famille, le travail, la com-munauté et la foi se sont effondrées. » n

1 - http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/IP979.pdf

2 - http://next.u-paris10.fr/actuelmarx -/m4lojk.htm

eé innommée

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MAI 2012 - LA REVUE DU PROJET

CLASSESPOPULAIRESET CLASSES« INSTRUITES »«  […] Le travail de traitement de l'in-

formation, le ”travail sur autrui ” carac-

téristique des services publics (édu-

cation, santé, information, justice,

police) n'est plus aujourd'hui réservé

aux cadres et aux travailleurs intellec-

tuels : l'intellectualisation du travail

productif marque la rupture entre la

révolution industrielle et une révolu-

tion informationnelle qui transforme

la nature même du travail ouvrier.

L'aspiration à envoyer ses enfants faire

des études les plus longues possibles

est maintenant largement partagée

par les couches populaires, par les

ouvriers comme par les cadres, mais

en même temps les inégalités sociales

d'accès à la culture générale et à la

formation supérieure sont telles

qu'elles nourrissent des attitudes

conflictuelles de rejet réciproque entre

classes populaires et classes “ins-

truites”, cultivées. Les institutions

chargées d'intégrer et de former les

nouvelles générations ne sont plus

adaptées à l'énorme clivage entre une

scolarisation “de masse” et une for-

mation scolaire élitiste, ségrégative.

Du côté de la représentation politique,

ni les partis politiques de gauche, ni

les syndicats n'ont encore trouvé les

instruments, les pratiques qui permet-

traient d'allier culture populaire et cul-

ture générale élitiste, en mettant fin

aux ghettos qui enferment inclus et

exclus. »

Jean Lojkine,

Humanité du 18 janvier 2012

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D’ IDÉESCO

MBA

T SONDAGES

Europe : une image dégradée

Page réalisée par GÉRARD STREIFF

LA NOTION EUROPÉENNE SUSCITE-T-ELLE CHEZVOUS UNE RÉACTION POSITIVE OU NÉGATIVE ?

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LA REVUE DU PROJET - MAI 2012

La moitié des Français pense que l'adhésionà l'Union européenne est une bonne chose,l'autre moitié en doute. C'est du 50/50. C'estencore ce que montrait un sondageIpsos-Logica Business Consulting réa-lisé lors d'un colloque sur les enjeux dela présidentielle par le journal Le Mondeen partenariat avec France Inter endécembre dernier.En dix ans, le regard est de plus en pluscritique, le clivage sociologique est net :les cadres et diplômés se montrant atta-chés à l'Union, les ouvriers et sansdiplômes sceptiques ou hostiles.Il demeure cependant un « attache-ment » majoritaire à l'Europe, à laquelleon associe des notions de paix (50%)ou de libre circulation (46%); on luireproche notamment son manqued'harmonisation fiscale et sociale.Pour Brice Teinturier, directeur géné-ral délégué d'Ipsos, « on assiste moinsà un rejet de l'Europe qu'à une critiquede son incapacité à traiter la crise. »Certes mais remarquons que les son-dés doutent, de plus, des capacités del'Europe à trouver des solutions : ilssont aujourd'hui plus nombreux à sou-haiter des pouvoirs nationaux élargis(48%) qu'un renforcement des moyenseuropéens (41%).Enfin, une autre enquête (CNN Inter -national avec ComRes, décembre 2011)indique que les Allemands sont aussinombreux que les Français à estimerque leur pays serait plus solide s'il étaitresté en dehors de la zone euro : 42% !

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REVUE RECOMMANDÉE PAR LA RÉDACTION DE MEDIAPART !

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La mise en commundes connaissances,c’est ce à quois’engagent lesdifférents secteursdu parti en publiantrégulièrement desbulletinsaccessibles à tous.Une modestecontribution à lalutte contre laprivatisation del'information aucoeur du projetACTA présenté ici.

ù NOTESRÉVOLUTION NUMÉRIQUE

ACTA, L'ARME ATOMIQUEDE LA RENTEINFORMATIONNELLEMONDIALE ACTA instaure des sanctions pénalesétendues et dangereuses sans aucuncontrôle démocratique, instituant unepolice et une justice privée duCopyright sur les réseaux, à laquelleles libertés numériques et la diversitéde la création ne survivraient pas.

ACTA est un projet d'accord interna-tional préparé dans le plus grandsecret au nom de la lutte contre la

contrefaçon. Prétextant de la défensecontre les produits et marchandisescontrefaits, ACTA est en fait une arme auservice de la spoliation des biens com-muns immatériels . Contournant le débatdémocratique pour imposer une logiquerépressive dictée par les industries dudivertissement, les big pharma et lesgrands semenciers, ACTA vise à systéma-tiser, imposer et sanctuariser les écono-mies de rente sur l'information. S'il étaitvoté, notamment au parlement européenen juin, il établirait un nouveau cadrejuridique mondial créant son propreorganisme de gouvernance, indépendantdes institutions internationales déjà exis-tantes (OMC, OMPI...). Glissant des biensmatériels aux richesses informationnellescomme si ceux-ci étaient comparables,ACTA instaure des sanctions pénalesétendues et dangereuses sans aucuncontrôle démocratique, utilisant les four-nisseurs d'accès à l'internet pour faire labasse besogne, instituant une police etune justice privée du Copyright sur lesréseaux, à laquelle les libertés numériqueset la diversité de la création ne survi-vraient pas.

PRIVATISATION DE L'INFORMATIONAu-delà des loisirs numériques, ACTAs'attaque aux médicaments génériques,aux contenus collaboratifs, aux semencespaysannes, aux actifs publics immaté-riels... ACTA est ainsi le fer de lance del'extension sans limite de la privatisa-tion de l'information et de la connais-sance mondiale, puis de sa surexploita-tion marchande. Il est l'arme stratégiqued'un système politique et idéologique,

le capitalisme dans sa version contem-poraine de capitalisme informationnel.Cette volonté, cohérente et obstinée,d'étendre à l'immatériel le talon de ferde l'exploitation ne date pas d'hier. ACTAs'inscrit en effet dans une logique stra-tégique de long terme négociée à la findu cycle d’Uruguay du GATT en 1994(accords de l’OMC sur la propriété intel-lectuelle), dont il durcit les termes touten en opacifiant les conditions. Armé debrevets, s'appropriant tout, privatisantdes biens communs par essence collec-tifs (les semences paysannes, le génomehumain, la « marque » Louvre, la cou-leur bleue de Pepsi Cola, les algorithmesde base de la pensée informatique...) cemodèle dit de « propriété intellectuelle »raréfie, dégrade et sur-marchandise lesœuvres de l'esprit, et par extension toutela richesse informationnelle et laconnaissance cumulée (la biosphère, lagénétique, les mathématiques, les res-sources éducatives...). ACTA est la pointeavancée d'un hold-up planétaire surl'immatériel, censé permettre à quelquesintérêts privés de s'approprier ce quiétait public, puis de revendre sans fin ettrès cher ce qui ne leur coûte plus rienaux populations qui en ont été spoliées.ACTA instaure des sanctions pénalesétendues et dangereuses sans aucuncontrôle démocratique, utilisant les four-nisseurs d'accès à l'internet pour fairela basse besogne, instituant une policeet une justice privée du copyright sur lesréseaux, à laquelle les libertés numé-riques et la diversité de la création nesurvivraient pas.

UNE QUESTION DE CIVILISATIONCette logique de péage prive la collecti-vité humaine du progrès propre à l'in-formationnel – le coût marginal de repro-duction nul. Corollaire de cette obsessionde verrouillage et de contrôle, l'hyper-surveillance numérique totalitaire se meten place. Navigation surveillée, pucesespionnes, réseaux écoutés, logiciels souscontrôle sont déjà là. Il ne reste qu'à lesrendre incontournables et à créer desofficines privées ayant droit de police etde justice : Hadopi en France, SOPA etPIPA aux États-Unis, en sont les prémices.Bien sûr, tout cela est fait au nom entreautre de la protection des auteurs etayant-droit, faux-nez de tous les durcis-sements contre la liberté de partage et le

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Chaque mois, des secteurs de travail du PCF produisent des analyses,des propositions, des notes. Cette rubrique publie leurs travaux :

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droit à l'anonymat sur internet. Toutesles lois de sanctuarisation des profits desmajors sont passées au nom des artistes.Sept ans après la LCEN, cinq ans aprèsDADVSI, deux ans après Hadopi, quel estle vrai bilan ? Ces lois n'apportent pas uncentime de plus aux auteurs, aux artistes,aux ayant droits. Et elles ne font pasdavantage baisser le téléchargement nonautorisé, ceux qui en sont à l'origine dis-posant de tous les moyens techniques deles contourner. En revanche, ce qui estmis sous coupe réglée, ce sont nos liber-tés collectives d'une part, le libre accèsaux richesses informationnelles d'autrepart. Or ce dernier point pose une ques-tion de civilisation : c'est de notre patri-moine cognitif, historique, imaginaire,

génétique, c'est notre mémoire collec-tive, nos cultures partagées, rien moinsque les strates cumulées du processusd'hominisation qui sont en cours de pri-vatisation. Le vrai danger d'ACTA, c'estde prolétariser l'être humain de sa pro-pre substance.L'information, la culture, l'accès à Internetont d'autant plus de prix que le restedevient inabordable. Ils sont à la fois unerichesse encore accessible permettant,par exemple, à certaines industries logi-cielles d'exister, et une ouverture reven-diquée sur le bruissement du monde. Plusfondamentalement, l'exacerbation del'opposition entre la rapacité financièreétendues aux richesses du savoir et del'information d'une part, et le besoin

d'universalisation et de partage de laconnaissance qu’appelle notre époquecomplexe et mondialisée d'autre part, estde nature anthropologique. La connais-sance appartient-elle à l’humanité ou àdes intérêts particuliers ? À cette ques-tion il n’y a pas de réponse universelle,mais des choix de civilisation. C'est pré-cisément au nom des principes civilisa-teurs qui ont permis l'humanisation parla mise en commun des connaissances,des idées et des arts, que la vampirisationde notre patrimoine im matériel doit êtrecombattue. n

JÉRÔME RELINGERResponsable du secteur Revolution

numérique et sociétéde la connaissance du PCF.

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MAI 2012 - LA REVUE DU PROJET

PUBLICATIONS DES SECTEURS DE TRAVAIL DU PCF

CES PUBLICATIONS SONT À TÉLÉCHARGER SUR LE SITE DU PCF : www.pcf.fr

SANTÉ AGRICULTURE, PÊCHE, FORÊT

SPORT

ÉCOLE

FÉMINISMEENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR -RECHERCHE

ÉCOLOGIE

INTERNATIONAL

Santé, école, écologie... régulièrement les secteurs de travail du PCF publient leurs travaux. En pointant lesenjeux, les avancées, les reculs, les luttes à mener ou en cours, ces publications appellent toutes à une impli-cation citoyenne. N’hésitez pas à les télécharger sur le site du PCF.

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Par ALAIN VERMEERSCH

REVUE DES MÉDIA

LA REVUE DU PROJET - MAI 2012

La cure d'austérité en France et en Europe a les faveurs des commen-tateurs. Même l'élection d'un président de gauche n'effraie pas lesspéculateurs !

« C’EST À L’ÉTAT, AUX ORGANISMESSOCIAUX ET AUX COLLECTIVITÉSLOCALES DE FAIRE L’ESSENTIEL DEL’EFFORT »Denis Kessler dans le Journal dudimanche (08/04) a donné le ton, « LaFrance devrait adopter une seconde règled'or ». Il critique « La campagne surfesur les imprécations sur le registre“Indignez-vous!”, les divagations pseudo-révolutionnaires, les accusations psal-modiées, les admonestations répétées,et le manichéisme exalté. On veut"condamner ceux qui s’enrichissent endormant", thème favori des prédicateursdu Moyen Âge. » Et agite le spectre dela dette « La dette publique représenteprès d’un an de notre revenu national !Mais la dette, c’est le symptôme. La vraiemaladie, c’est notre incapacité à réfor-mer nos organisations collectives, toutesdéficitaires en dépit de prélèvementsobligatoires record. Si le nouveau gou-vernement se lance dans une politiquede dépenses, les spreads de la Francevont augmenter, sa note va être dégra-dée et le coût de la dette va exploser, cequi rendra encore plus douloureuse, sinonimpossible, la réduction du déficit. Nousentrerions alors dans la spirale infernaledans laquelle sont entrées la Grèce,l’Espagne, l’Italie… » Il prône une dosede cheval pour la rigueur « Nous allonsconnaître cinq à sept années de "dés-endettement". Ce processus sera dou-loureux, mais il permettra un retour à lacroissance durable. Pour résorber le défi-cit, il faut privilégier la baisse desdépenses publiques plutôt que de recou-rir massivement à l’impôt. » Et demandeune réforme de l'État « C’est à l’État, auxorganismes sociaux et aux collectivitéslocales de faire l’essentiel de l’effort. Cesont eux qui sont responsables de ladette. Cela suppose de repenser entiè-rement l’État, ses missions, ses fonc-tions, son organisation, ce que nous

L'austérité qui vient

avons oublié de faire depuis l’après-guerre. Il faudrait que ce soit la mêmeadministration qui prélève les impôts etles cotisations et qui distribue les pres-tations sociales, et qu’elle fasse preuvede la même rigueur lorsqu’il s’agit d’ac-corder un transfert social que lorsqu’ils’agit de vérifier un impôt. » AnneCheyvialle (Le Figaro 06/04) insiste « Larigueur n’est pas qu’une simple obliga-tion à l’égard de Bruxelles. C’est une exi-gence absolue vis-à-vis des marchés. Carsi demain l’hexagone n’honore pas sespromesses en matière de réduction dedéficits, il n’échappera pas lui non plusà une crise semblable à celle qu’ontconnue les pays du sud de l’Europe ».

« LA CAMPAGNE FAIT L'ÉCONOMIE DE LACRISE » « Peut-on parler, pour autant, d’une “sor-tie” de crise ? » se demande Vittorio deFilippis (Libération 30/03) « Le termeest audacieux. Car il ne s’agit, pour l’ins-tant, que d’une accalmie, tant lesmesures adoptées, si elles ont certespermis d’apaiser les marchés, parais-sent provisoires. Sur 178 milliards d’émis-sions prévues en 2012, le Trésor fran-çais, par exemple, en a déjà levé unecinquantaine. Mais cet empressementsuscite des inquiétudes. À l’égard del’Espagne, notamment. Les marchésréalisent que la dette publique y aug-mente rapidement (69% du PIB), mal-gré l’austérité. Et si Madrid se financeà 5,20% sur 10 ans, soit bien moins queles 7,5% de novembre, le contraste avecla plupart des autres pays de la zonecommence à devenir saisissant. À telpoint que nombre d’économistes pré-disent une nouvelle crise de la dette. »« Quel que soit le prochain président, ildevra affronter un coup de semoncedes marchés financiers sur notre dettepublique ! » L'avertissement vient dubanquier Jean Peyrelevade relève

Dominique Nora (Nouvel Observateur12/04) « La France sera attaquée dès le7 mai ! » avertit Marc Fiorentino, deMonFinancier.com. « Les marchés sontlégitimistes, nuance cet autre observa-teur. Ils savent faire la différence entrepromesses de campagne... et décisionseffectives. Et attendront la compositiondu gouvernement et les premièresmesures, pour juger de la détermina-tion du prochain président à redresserles finances publiques. Une chose estsûre : les investisseurs scruteront à laloupe les premiers pas de FrançoisHollande, s'il est élu. » Et de souligner« Pourquoi les marchés feraient-ils descadeaux à celui qui s'est déclaré l'en-nemi de la "finance sans visage", veutinstaurer une nouvelle tranche d'impôtsur le revenu à 75%, et promet de "rené-gocier" le traité européen de stabilitébudgétaire ? Draghi a expliqué qu'il était“prématuré” d'envisager que la BCEarrête de soutenir les banques de lazone euro. “Il appartient aux décideursnationaux d'imposer des réformes inté-rieures, qui renforcent la compétitivitéde leurs économies”, a-t-il averti. Quoiqu'il en soit, les Français, eux, saventque les lendemains seront durs. »Les élections présidentielles françaisesauraient-elles plombé le moral des inves-tisseurs européens ? interroge LaTribune (24/04) « Plus que la perspec-tive de voir la gauche revenir aux affairesen France, les investisseurs ont, sem-ble-t-il, sanctionné le score réalisé parle FN. La chancelière allemande AngelaMerkel a ainsi jugé que "ce score étaitpréoccupant", si l'on en croit un porte-parole du gouvernement à Berlin. Et laprofonde inquiétude des milieux finan-ciers que susciterait la victoire du can-didat socialiste lors du deuxième tourdes élections présidentielles françaises ?Nombre de spécialistes ne veulent pasy croire. “La gauche risque sans doute

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de se faire bizuter, dans un premiertemps, par la finance sans visage. Maislorsque l'on y regarde de plus près, vutoutes les réformes fiscales et pruden-tielles intervenues ces derniers mois,les investisseurs n'ont plus rien à per-dre et un gouvernement de gauche nepourra pas “faire pire”, commente ledirecteur général d'une banque privée. »

HOLLANDE NE FAIT PAS PEURBruno Amable dans un point de vue(Libération 24/04) remarque, « Les mar-chés ont largement anticipé la victoirede François not dangerous Hollande le6 mai et passé Nicolas Sarkozy par perteset profits comme en témoignent les arti-cles très négatifs, tant sur lui-même quesur son bilan, qui n’ont cessé de paraî-tre dans la presse spécialisée anglo-saxonne. Mais la question réciproque,savoir si la gauche a peur des marchés,est au moins aussi importante. Aprèstout, il y a quelques mois, Karine Berger,économiste proche du candidat socia-liste, définissait ainsi la ligne de conduitedu futur gouvernement : consolider (parl’austérité budgétaire) le "triple A" de laFrance ou permettre de le retrouver sijamais il était perdu. Oui mais il faudraitencore que l’austérité budgétaire soit"raisonnable", ce dont un grand nom-bre d’économistes a toujours douté, pen-sant qu’en déprimant l’activité par l’aus-térité, on allait aggraver les problèmesau lieu de les résoudre. » Il poursuit« François Hollande a, au cours de sacampagne, progressivement mis en avantsa volonté de renégocier le traité euro-péen de discipline budgétaire et de lecompléter par un "pacte de responsabi-lité, de gouvernance et de croissance".Que pourrait bien être ce "pacte" et com-ment "les marchés" l’accueilleraient-ils ?On peut se faire une idée de la réponseen lisant un document très instructif. Ils’agit d’une note rédigée par NicolasDoisy, chief economist de Cheuvreux, lasociété de courtage européenne duCrédit agricole. Il y est clairement indi-qué que pour "les marchés", qui antici-pent la victoire de François Hollande,l’essentiel de la politique économiquede la nouvelle présidence sera, outre laréduction des dépenses publiques, laquestion de la mise en œuvre du "bigbang structurel" sur le marché du tra-

vail et notamment la fin du "fameux CDI".Les marchés et les partenaires euro-péens forceraient le nouveau présidentfrançais à mettre en œuvre les réformesnéolibérales auxquelles toute l’Europeest supposée devoir se soumettre.L’austérité est un moyen pour augmen-ter la pression sur les dirigeants euro-péens et, comme le disait récemmentGuy Verhofstadt, chef du groupe libéralau Parlement européen, les amener àfaire les "réformes nécessaires", c’est-à-dire, flexibiliser le marché du travail etdiminuer la protection sociale. »

EUROPE : « AUSTÉRITÉ ET CROISSANCE,LE COÛT DE LA DOULEUR » L'éditorial du Monde (22/04) ne s'ytrompe pas « Dans le débat "croissanceou austérité" qui tourmente économisteset gouvernants depuis qu'ils luttentcontre la crise de la dette, la penséedominante, de ce côté-ci de l'Atlantique,était, jusqu'à tout récemment, du côtéde l'austérité. L'annonce, par le très res-pecté Mario Monti, d'un retard de l'Italiesur son retour à l'équilibre budgétaire,après que le chef du gouvernementespagnol, Mariano Rajoy, eut supplié envain l'Union européenne de lui laisserun peu de souplesse budgétaire pourfaire face à la récession, a replongé lesesprits dans la crise. Non seulement lepire n'est pas derrière nous, mais nousne sommes plus absolument certainsd'avoir emprunté le bon chemin. Lespartisans de mesures de relance de lacroissance pour accompagner l'austé-rité ont donc repris de la voix. Les diri-geants des deux grandes institutionsfinancières internationales, le Fondsmonétaire international (FMI) et laBanque mondiale, se sont joints à leursarguments cette semaine. Le raisonne-ment est simple : plus les économies secontractent, moins les États collectentde taxes et moins ils ont de revenus. Lesmarchés eux-mêmes commencent às'inquiéter des effets économiques etsociaux d'une overdose de rigueur. Lemoment est donc venu d'assouplir, pourcertains pays et sous certaines condi-tions, la politique budgétaire afin de nepas étouffer la croissance. » La Tribune(10/04) nous apprend « Pour se remet-tre sur les rails définis par l'Union euro-péenne, Madrid a présenté un budget

qui prévoit quelque 27 milliards d'eu-ros d'économie. Mais le gouvernementespagnol entend également redéfinirles dépenses des régions, notammenten matière de santé et d'éducation, afinde réduire le déficit public ; et a évoquéune participation aux frais de santé enfonction des revenus. Et chacune desinstitutions internationales y va de sesconseils. Le rapport publié hier sur laconsolidation budgétaire par l'OCDEpart d'un constat sans concessions : “Ilfaudra un resserrement budgétaireimportant et durable dans presque tousles pays pour ramener la dette à desniveaux prudents.” L'Organisation jugeque « pour restaurer une marge de sécu-rité susceptible de protéger contre lesfuturs chocs négatifs, il est opportun deramener la dette publique à environ50 % du PIB ». L'exercice prendra fata-lement beaucoup de temps et est com-pliqué par la fébrilité des marchés finan-ciers. Les pays qui sont en ligne de miredes investisseurs « pourraient devoiropérer un assainissement plus impor-tant et plus rapide que ce qui serait opti-mal si le principal enjeu était la vigueurde la reprise. Conséquence : il ne fautpas tarder à engager la discipline bud-gétaire sous peine de devoir sacrifier lacroissance sur l'autel d'une austéritétrop brutale dictée par la pression de laspéculation ». (Les Echos 13/04).

STIGLITZ ET KRUGMAN S'EN PRENNENTÀ L'ALLEMAGNE Les partisans de la rigueur allemanden'ont pas eu la tâche facile lors du sémi-naire, organisé du 12 au 14 avril à Berlin,de l'Institute for new economic thin-king, un organisme financé par GeorgeSoros. Il y a d'abord eu Angel Gurria,secrétaire général de l'OCDE « Nous neramènerons pas la confiance et la crois-sance seulement en imposant l'austé-rité ». Joseph Stiglitz a été encore plusclair. « L'instabilité globale est autant,voire davantage, le résultat du compor-tement des pays qui ont un excédentcommercial que des pays qui ont undéficit commercial. » Paul Krugman esti-mait dans le New York Times du 15 avrilque « les leaders européens sont entrain de provoquer le suicide écono-mique de l'ensemble du Continent » (LeMonde 21/04).

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CRITIQUES

Le Peuple, la crise et la politique,numéro hors-série de LaPensée, 2012.

GUY MICHELAT,MICHEL SIMON

PAR PATRICK COULON.

Guy Michelat et Michel Simonsont patients. Depuis 1960 leurstravaux portent sur les systèmesd’attitudes, de représentation etde valeurs qui, associés aux

comportements politiques permettent d’en interpréterle sens et d’en comprendre les transformations.La présente recherche des deux sociologues s’inscritdans la continuité de cette démarche. Elle part de l’in-terrogation suivante : cinq ans après les scrutins de2007, trois ans après le début de crise et à la veilled’échéances électorales décisives, quels changementsdans les préoccupations et les inquiétudes des Fran-çais, leurs visions du monde social, leurs orientationséthiques et culturelles, leurs rapports au politique ?Impossible – ici – de rendre compte de la richesse deces 123 pages. Nous nous bornerons donc à indiquerquelques évolutions marquantes.Les deux chercheurs montrent que si les années 1980avaient été celles du libéralisme économique triom-phant, y compris dans l’opinion, aujourd’hui lerenversement est spectaculaire. En témoigne la pous-sée des attitudes antilibérales, à connotations souventanticapitalistes. Si le sentiment d’appartenance à uneclasse est majoritaire et en hausse cela s’accompagnedu déclin de l’identification à la « classe ouvrière » auprofit d’une identification à la « classe moyenne ».La perception de vivre plus mal qu’avant connaît aprèsl’irruption de la crise une progression absolumentspectaculaire, et majoritaire dans toutes les catégoriessociales. Les inquiétudes et souvent les angoisses quil’accompagnent connaissent une hausse similaire. Ordans ce contexte – et c’est nouveau – les actions collec-tives se multiplient et sont soutenues par une très largemajorité de la population. Après s’être effondrée dansles années 1980, l’idée que les syndicats de salariésn’ont pas assez d’influence sur la politique du gouver-nement retrouve son niveau élevé de 1966. Celle que lepatronat et les milieux d’affaires en ont trop progressedans les mêmes proportions.L’autoritarisme et le rigorisme répressif (souhait d’unretour à la peine de mort, condamnation de l’homo-sexualité) ont considérablement reculé. Il en va demême pour l’hostilité aux immigrés (même si unelégère régression se fait jour dernièrement).Pour deux Français sur trois, le positionnementgauche/droite continue de faire sens. Mais ce qui estnouveau c’est le niveau atteint par la crise du rapport

des Français au système politique. Il ne s’agit pas de« dépolitisation » mais une très forte majorité consi-dère que les responsables politiques se préoccupentpeu de ce que veulent les « gens comme nous ».Bref la société française est travaillée en profondeur etce n’est pas le renoncement à sa transformation quidomine mais, au contraire, des attentes renouvelées,exigeantes et concrètes afin d’y parvenir.

L’émancipation destravailleursUne histoire de la PremièreInternationaleLa Fabrique, 2011.

MATHIEU LÉONARD

PAR FLORIAN GULLI.

Ce livre est plus qu’une synthèsehistorique. La redécouverte de

l’Association internationale des travailleurs (AIT), pas-sablement ignorée en France ces dernières décennies,intéresse aussi le présent et ses combats. Mathieu Léonard ne propose pas de redécouvrir uneorigine pure de toute compromission, à laquelle lessocialismes en tout genre du XXe siècle n’auraient passu rester fidèles. Il ne cherche pas non plus à identifier,au sein de l’association, un courant authentique, plusvrai que les autres, que les socialistes ultérieursauraient eu tort de ne pas prolonger. L’intention dulivre est tout autre : montrer, au delà des espoirs qu’ellea pu susciter, les limites de l’AIT ; montrer, derrière lesoppositions, les points d’accord qui, à la longue, serévélèrent pourtant être autant d’impasses. Si cettehistoire est passionnante, c’est d’abord pour les pro-blèmes qu’elle nous lègue. N’en relevons que deux. Tout d’abord, la question de la collectivisation desterres agricoles. Beaucoup de tendances, souvent pré-sentées comme opposées, se rejoignaient sur lacollectivisation, balayant d’un revers de main la possi-ble opposition paysanne à ce genre de réforme. Ceproblème, traité de façon très cavalière du fait de l’ab-sence de tout représentant du monde agricole au seinde l’association, reviendra se poser de façon tragiqueau cours du siècle suivant. Impasse d’une conceptiontrop ouvriériste de la transformation sociale ? Impassed’une conception excessivement unificatrice de lasociété future alignant les réformes agricoles sur lesréformes industrielles ? Autre difficulté, non résolue, la question des relationsentre appartenance sociale et appartenance nationale.Il n’y a pas eu besoin d’attendre 1914 et les gouverne-ments d’union sacrée pour mesurer la profondeur dusentiment d’appartenance nationale. Au lendemain dela guerre de 1870, les sentiments patriotiques des

Chaque mois, des chercheurs, des étudiants vous présentent des ouvrages, des films, des DVD...

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ouvriers français étaient exacerbés, et même parmi lesinternationalistes. Ces revirements ne suscitèrent pasde reprise théorique ; ils avaient pourtant de quoi éton-ner. L’antagonisme de classe, si puissant hier, passaitau second plan, l’ennemi mortel devenant l’Allemand.Une historiographie partisane a longtemps gommé lecaractère « national » de la Commune de Paris, empê-chant de saisir les ressorts de cette insurrection. Impassed’un universalisme abstrait s’imagi nant que les attachesse rayent d’un trait de plume ? Ou lucidité à l’égard dupotentiel destructeur de l’appartenance nationale ?Autant de questions qui continuent de hanter les luttesactuelles.

L’école communePropositions pour unerefondation du systèmeéducatif, La Dispute, 2012.

GROUPE DE RECHERCHEPOUR LA DÉMOCRATISATIONSCOLAIRE (GRDS)

PAR LOÏC LE GAC

Avec L’école commune, les chercheurs du GRDS quiavaient lancé fin 2010 un appel aux forces de gauche« pour qu’elles soient à la hauteur de la situation », ver-sent au débat citoyen des propositions qui s’attaquentréellement aux causes des dysfonctionnements de l’écoleet constituent des pistes pour une refondation démo-cratique de notre système éducatif en panne. Ils appel-lent à l’alliance du progressisme politique et du progres-sisme pédagogique. Leur projet d’ensemble est ambitieuxet utile.Alors que les débats se concentrent beaucoup sur laquestion des moyens et que la dureté des attaques dupouvoir pousse à un combat défensif, ce livre a lemérite d’offrir des arguments pour passer à l’offensiveet aborder ce qui est au cœur de la mission de l’école :les apprentissages scolaires. Suffit-il en effet de rétablirles postes supprimés ? Il faut bien sûr dégager lesmoyens nécessaires au fonctionnement de l’école,mais conscients que la crise de l’école est antérieureaux ravages de la politique néolibérale à l’œuvre, il fautaller au-delà. Convaincus que tous les enfants peuvent entrer avecsuccès dans la culture écrite, les auteurs proposent deconstruire une école commune, caractérisée par untronc commun de 3 à 18 ans, la suppression de laconcurrence entre élèves et un réexamen des procé-dures d’apprentissage, des contenus d’enseignement,des objectifs, de la culture commune à transmettre.Les auteurs attachent une importance déterminante àl’école élémentaire, où se joue largement le destin sco-laire ainsi qu’à la capacité des enseignants à reprendrela main sur leur métier, ce qui suppose une transfor-mation radicale de leur formation.Les inégalités scolaires se construisent aussi dans la

classe. Les auteurs préconisent de livrer à la réflexioncritique les dispositifs pédagogiques hérités de la« modernisation pédagogique » des années 1970-1980.Ils interrogent les systèmes d’apprentissage à traversles exemples de la lecture et des mathématiques, sansnier l’absence de consensus sur ces sujets et tordent lecou à dix idées reçues sur l’école.Déplorant le dialogue de sourds, stérile, entre « répu-blicains » et « pédagogues », ils invitent au débat etouvrent un forum de discussion sur leur site www.demo-cratisation-scolaire.fr.

Élections, piège à consQue reste-t-il de ladémocratie ? Flammarion, 2012.

JEAN SALEM

PAR ADRIEN TIBERTI

Avec cet ouvrage, Jean Salemveut nous faire réfléchir sur la

démocratie aujourd’hui. C’est, en effet, une questionprégnante à l’heure où le capitalisme est en crise sys-témique et où beaucoup des présupposés qui fondentnotre société vacillent. Nous-mêmes communistesassumons depuis longtemps la contradiction entrerejet de la Ve République comme de l’Union euro-péenne telle qu’elle est et participation auxinstitutions : une contradiction difficile à faire vivrequand le combat électoral devient prioritaire pournotre organisation. Aussi sommes-nous preneurs deréflexions de fond sur la question démocratique. D’au-tant que Jean Salem n’est pas n’importe qui. Professeurde philosophie à la Sorbonne, animateur du séminaireMarx avec Isabelle Garo, il mène le combat pour ras-sembler tous les chercheurs s’appuyant sur Marx etsortir l’auteur du Manifeste du ghetto intellectuel où leslibéraux l’ont mis. Malheureusement, plus qu’un véritable travail deréflexion, ce livre propose une diatribe facile où les évi-dences s’enfilent comme des verres de pastis. Lesresponsables des différents malheurs publics énoncéssont la plupart du temps désignés par le pronom indé-fini « on », qui n’incite pas à la réflexion, tandis que lesnotions de bourgeoisie ou de classe capitaliste, pour-tant utiles à un philosophe marxiste, sont bien peuprésentes. Et pourquoi Jean Salem juge-t-il utiled’écrire que « pour l’heure, il n’y a plus guère de Particommuniste » (p. 24) ? Une nouvelle manifestation dusyndrôme François Hollande ? Nier l’existence du PCFn’a chez lui comme chez les autres qu’un seul objet :refuser de se confronter à ce qu’il dit, même modeste-ment. Nous avons besoin du travail de Jean Salem et de tousles philospohes qui veulent continuer à réfléchir avecMarx pour nous « armer en pensée ». Mais nous ne leferons pas avec ce livre. Une occasion manquée ?

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COMMUNISME EN QUESTION

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LA REVUE DU PROJET - MAI 2012

urgence de la situation mondialenous rappelle quotidiennement qu’en cenouveau millénaire la dégradation desconditions de vie sociale va de pair aveccelle du milieu et de l’environnement.Plus : que ces dégradations sont non seu-lement contemporaines l’une de l’autremais aussi qu’elles se conditionnentmutuellement, formant une spirale néga-tive. Alors que ce constat devrait inciterà se «  remettre à l’école de Marx  » – leplus grand théoricien et critique du capi-talisme – il donne fréquemment lieu à undiscours qui vise à le disqualifier en tantque critique du désastre social et envi-ronnemental, puisque le critique de l’ex-ploitation du travail aurait été aveugle àl’exploitation de la nature. Ce discoursfait parfois référence au bilan environ-nemental assez désastreux du socialismede type soviétique, mais plus générale-ment – et plus sérieusement – il prétenddiscerner chez Marx un certain nombrede principes théoriques qui expliqueraientsa cécité devant la question du sort dela nature dans les sociétés modernes. Grosso modo, suivant ce discours la pers-pective marxienne serait « anthropocen-trée  » car elle relèverait d’un promé-théisme en accord avec l’esprit positivisteet scientiste de l’époque. Le développe-

ment des sciences, auquel correspondraitle «  développement des forces produc-tives  » dans la terminologie marxienne,serait intrinsèquement positif, le contrôleaccru de l’homme sur la nature étantsource de progrès, notamment sous laforme de l’avènement d’une société com-muniste. Le schéma évolutionnistemarxien prendrait une forme linéaire impli-quant une succession de sociétés, del’Antiquité à la féodalité, du capitalismeau communisme, scandant la lente maissûre amélioration des conditions de viehumaine, jusqu’à la pleine libération cor-respondant à l’abolition de toute sociétéde classe au profit du «  règne de laliberté  ». Dans ce prétendu schémamarxien il n’y aurait pas de place pour lesrégressions ni les destructions sans douteirréversibles qui menacent l’environne-ment aujourd’hui. Répondre aux urgencesde l’heure impliquerait un changementde paradigme, en passant d’un point devue « anthropocentré » à un point de vue« écocentré », ce qui impliquerait d’aban-donner toute référence à Marx. Le titre du petit livre de John BellamyFoster ne fait aucune concession à ceslieux communs et l’auteur assène doncsa thèse, sans émettre la moindreréserve  : Marx était, bien avant l’heure,«  écologiste  », même si le terme et leconcept étaient alors en cours d’élabo-ration. À travers trois essais aussi clairsqu’érudits, l’auteur démontre que cetécologisme ne se résume pas de quelquesremarques isolées sur l’agriculture enrégime capitaliste, mais se révèle inscriteau cœur même de la problématiquemarxienne.

Même si Bellamy Foster se concentre surles textes de la maturité, à savoir princi-palement les trois livres du Capital, lacorrespondance de Marx, mais aussi cer-tains textes d’Engels qu’il réhabilitecomme La dialectique de la nature, ildécèle la présence d’une conscience éco-logiste déjà chez le jeune Marx. Aprèsavoir rappelé que la thèse de doctoratde Marx fut consacrée à cet éminentmatérialiste de l’Antiquité qu’était Épi-cure, il constate qu’un des principes essen-tiels de l’épicurisme, à savoir qu’il«  n’existe pas d’échelle des êtres natu-rels, [qu’il] n’y a aucune rupture brusqueet irréductible entre les êtres humainset les autres animaux  », fut admis trèstôt par Marx et fut conservé au cœur desa réflexion ultérieure. Quelques annéesplus tard, dans les Manuscrits de 44, Marxécrivait en effet  : « L’homme est une par-tie de la nature », fondant ainsi son maté-rialisme sur une forme de naturalisme.Il restait à féconder ces principes philo-sophiques avec les apports des sciencesde la nature dont l’époque vit un déve-loppement rapide. C’est ce que fit le Marxde la maturité qui ne fut pas donc qu’unlecteur attentif des économistes clas-siques mais aussi des publications scien-tifiques les plus avancées de son temps.

LA NOTION DE « RUPTURE MÉTABOLIQUE »Dans les années ultérieures, pour saisirl’appartenance de l’humanité à un ensem-ble naturel plus général, Marx reprit àson compte le concept de «  métabo-lisme  », qui émergeait alors dans lessciences naturelles. Envisagées commeinscrites dans le cadre d’un métabolisme

Marx était, bien avant l’heure, « écologiste », mêmesi le terme et le concept étaient alors en coursd’élaboration. À travers trois essais aussi clairsqu’érudits, John Bellamy Foster* démontre que

cet écologisme ne se résume pas de quelquesremarques isolées sur l’agriculture en régime capi-

taliste, mais se révèle inscrite au cœur même de laproblématique marxienne.

PAR BAPTISTE EYCHART*

L’*BAPTISTE EYCHART est responsable despages Savoirs aux Lettres françaises.

Marx écologiste

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MAI 2012 - LA REVUE DU PROJET

unique, les interactions entre l’hommeet nature ne prenaient pas, selon Marx,la forme de rapports d’extériorité maisd’intériorité. Cela impliquait qu’ellesdevaient rester équilibrées, un déséqui-libre dans les échanges homme/natureentraînant des risques d’effondrementdu métabolisme général. Marx désignepar « rupture métabolique », l’apparitionet l’aggravation de ce type de déséquili-bre, un concept qu’il élabora à partir deses propres observations mais aussi etsurtout par la lecture du célèbre chimisteallemand Justus von Liebig, qui dénon-çait les ravages de l’agriculture capita-liste sur les sols et l’environnement. Bienqu’éclipsée par d’autres conceptsmarxiens tels que celui de «  fétichismedes marchandises » ou de « plus-value »,selon Bellamy Foster, la notion de « rup-ture métabolique », devrait trouver plei-nement sa place dans la réflexion anti-capitaliste actuelle.

L’Angleterre de l’époque fournissait unparfait exemple des causes et des consé-quences d’une rupture métabolique ausein d’un écosystème. Marx constataitl’appauvrissement des sols agricoles parune agriculture capitaliste guidée par larecherche des rendements les plus éle-vés, cet appauvrissement n’étant com-pensé que par un suraccumulation d’en-grais tels que le guano –  massivementimporté du Pérou – ou les ossements. Ilremarquait que ce que l’homme extrayaitde son environnement pour sa subsis-tance était traditionnellement rétrocédésous la forme de déjections, engrais etc.,selon une « logique de restitution ». Avecle développement du capitalisme et d’uneurbanisation anarchique, cette « logiquede restitution » était brisée, les déchetsprenant la forme de pollution s’accumu-lant dans les zones urbaines et dans lescours d’eau. Pour nourrir une population

urbaine toujours croissante et «  parasi-taire  » par rapport à l’environnementagricole, alors que la soif du profit consti-tuait le stimulus décisif des pratiqueséconomiques, la surabondance d’engraisnaturels importés de plus en plus loin futla solution des fermiers capitalistes etdes propriétaires terriens. Marx consta-tait donc déjà les dangers et les dégâtsde la « seconde révolution agricole »  ; ilaurait probablement tout autant critiquél’extension ultérieure des pesticides etdes engrais chimiques.Si la notion de «  rupture métabolique  »a été élaborée à partir du cas de l’agri-culture anglaise –  une des agriculturesles plus franchement capitalistes et déve-loppées de l’époque –, on peut largementl’appliquer à d’autres écosystèmes(marins, aquifères etc.). Elle permet unecritique du capitalisme qui combine à lafois la critique de l’exploitation du tra-vailleur et celle des techniques employéeslors des différents procès de productiondans lesquels s’inscrivent cette exploita-tion : « la production capitaliste ne déve-loppe la technique et la combinaison duprocès de travail social qu’en ruinant dansle même temps les sources vives de touterichesse  : la terre et le travailleur » (LeCapital, livre 1).

UNE DIALECTIQUE DESTRUCTRICECette remarque illustre le pessimisme deMarx sur la dialectique immanente aucapitalisme, une dialectique destructricequi entraîne la ruine d’une partie des élé-ments qui fondent la dynamique mêmedu système  : la terre et les travailleurs.Il apparaît de la sorte que le mode de pro-duction capitaliste, dans sa tendance àl’expansion et l’approfondissement, nepeut se reproduire qu’en ruinant l’envi-ronnement et la force de travail humaine.C’est une des conditions sine qua non del’accumulation illimitée du capital et dumaintien des taux de profit –  ce que lelangage économique actuelle appellepudiquement l’externalisation des coûts.En se dispensant de prendre en chargeleur régénération organique, le capitalen vient à mettre en péril autant l’éco-système et le genre humain que son pro-pre système. Malgré la volonté de lui faire prendre encharge le coût de la régénération de l’en-vironnement – que ce soit sous la formed’écotaxes ou de bons d’émissions –, lecapitalisme ne peut maintenir l’équilibremétabolique nécessaire. Foster fait remar-quer que la nature constitue une richesseque seul le plus grand arbitraire peut

transformer en une «  valeur  », objecti-vable à travers un prix dont on pourraitainsi s’acquitter. Aucune émission de«  bons d’émission  » et aucun paiementd’une « écotaxe » ne règlera la questiondu réchauffement climatique ou celle durecul de la forêt amazonienne. Seule unegestion exempte de logique marchandepeut permettre une prise en charge satis-faisante de ce qui est proprement«  incommensurable ». Cependant, Marx n’imaginait pas, contrai-rement à ce qui est trop rabâché, qu’unesociété communiste atteindrait automa-tiquement l’équilibre métabolique. Selonlui, si la planification est bien un desmoyens permettant aux communautéshumaines de garantir un échange ration-nel avec la nature, ce moyen nécessairen’est en rien suffisant et il faudra luiadjoindre une pleine conscience, unevisée politique allant dans ce sens. Laperspective écologiste chez Marx tra-verse donc toute sa réflexion, de la cri-tique du capital jusqu’aux lignes prospec-tives de la société communiste à venir.Foster démontre par ailleurs, que cetteposition n’a pas disparu aussitôt au seindu marxisme et qu’on en retrouve de nom-breux échos chez Kautsky, RosaLuxemburg ou Lénine. De manière parti-culièrement intéressante, il s’attarde surles écrits théoriques de Boukharine quiallaient dans ce sens, alors que ces textesont mauvaise réputation dans le marxismeoccidental. On remarquera que ni Gramsci,ni Korsch, ni le premier Lukács – tous cri-tiques envers l’interprétation du marxismede Boukharine – ne se sont attardés surla question de nature. Mais le désintérêtse fit aussi à l’est de l’Europe car à partirdes années 1930, les vues de Boukharinen’influencèrent plus l’URSS stalinienne,Boukharine mais aussi d’autres chercheurssoviétiques étant exécutés lors des purgesstaliniennes. Dans l’URSS de l’époque, lan-cée dans l’industrialisation forcée et rapide,le point de vue «  écologiste  » fut aban-donné pour des raisons trop évidentes, ceque les écrits de vulgarisation de Stalineentérinèrent. Malgré son petit format, Marx écologisteconstitue donc une contribution impor-tante à la connaissance de Marx et dumarxisme. Il vise par ailleurs à réinscrirela critique du technologisme à outrance àl’intérieur de celle de l’accumulation illi-mitée du capital, ce qui est plus nécessaireque jamais. n

*John Bellamy Foster, Marx écologiste, Édi-tions Amsterdam, 2011.

La nature constitueune richesse que seul le plus grandarbitraire peut transformer en une« valeur », objectivable à travers un

prix dont on pourrait ainsis’acquitter. Aucune émission de

« bons d’émission » et aucunpaiement d’une « écotaxe » ne

règlera la question duréchauffement climatique ou celle du recul de la forêt

amazonienne.

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LA REVUE DU PROJET - MAI 2012

L’invention des meetings-déLe retour des meetings massifs sur le devant de la scène est un des évé-nements saillants de la campagne pour l’élection présidentielle. Ce type derassemblements n’est pas une nouveauté...

e retour des meetings massifssur le devant de la scène est un des évé-nements saillants de la campagne pourl’élection présidentielle. Si des réunionspubliques de taille plus modeste ont conti-nué de se tenir, elles ont été largementécartées de la vigilance médiatique par cequi a été régulièrement qualifié à la télé-vision, dans la presse ou sur le web, de«  démonstrations de force  ». En cela, laprésidentielle de 2012 se distingue de laprécédente, qui s’est déroulée davantagesous le registre de la proximité – n’empê-chant bien sûr pas la tenue de grands mee-tings autour d’une partie des candidats : ils’agit d’un passage quasi-obligé de toutecampagne. Mais montrer sa force par cetype de rassemblement n’est pas une nou-veauté – la transformation des réunionspolitiques en imposants meetings date dutournant des XIXe et XXe siècles.

La loi sur la liberté de réunion, encore envigueur aujourd’hui, est adoptée le 30 juin1881. Elle marque la rupture avec le SecondEmpire, après des années d’oppression del’opposition, en s’ouvrant par la déclara-tion : « les réunions publiques sont libres ».Il ne s’agit pas pour autant pour lesRépublicains arrivés au pouvoir d’accor-der au peuple une liberté non encadrée.Certes, la justification essentielle avancéeà l’origine de la législation est que, pourêtre solide, un gouvernement démocra-

tique doit se fonder sur une opinion éclai-rée. Il faut aussi que celle-ci puisse s’expri-mer régulièrement. Mais des règles demeu-rent pour éviter que les rassemblementsne se transforment en action des foules,dans la rue en particulier («  les réunionsne peuvent être tenues sur la voiepublique », précise l’article 6) ou de groupesde pression susceptibles de peser sur leschoix publics (l’article 7, interdisant les« clubs », considérés comme forme hybrideentre réunion et association, en témoigne).

LA RÉUNION-DÉBATSi le droit de réunion est conçu comme latechnologie la plus à même de renforcerla démocratie en y faisant participer lesmasses, c’est parce que la croyance dansles vertus du débat des citoyens assem-blés est alors prégnante parmi les républi-cains de gouvernement. Il convient alorsde promouvoir les réunions de citoyensvenus échanger des idées  : elles permet-traient d’aboutir à une opinion raisonna-ble, allant dans le sens du bien commun.Cette opinion publique qu’on désirerait voirémerger des réunions, est en effet une opi-nion pacifiée, orientée unanimement versce qui serait l’intérêt général. Au fonde-ment de cela, on trouve exprimée la convic-tion qu’il existerait une raison qui finiraitnécessairement par avoir le dessus au coursd’un débat. Mais ce faisant, c’est une définition parti-culière de la démocratie qu’on veut met-tre en place : elle s’oppose en quelque sorteà la division des opinions. Dans le derniertiers du XIXe siècle, la valorisation du débataide alors à disqualifier certaines opinionspolitiques jugées extrêmes  : notammentcelles des « révolutionnaires », terme parlequel sont régulièrement désignés diverscourants d’extrême-gauche. Ceci donc, aunom de l’existence d’un consensus de rai-son, prétendument dépolitisé, qu’on nepourrait atteindre qu’en montrant le carac-

tère insensé de ces théories. La délibéra-tion en réunion sert aussi les républicainsen ce qu’elle protège la représentation  : ilne s’agit en effet jamais de prôner uneintervention directe du peuple dans la prisede décision, mais simplement d’encoura-ger la formation d’une opinion publiquepacifiée. Et c’est aussi afin de protéger lareprésentation qu’une attention est por-tée à ce que la réunion soit dissociée del’association. Les républicains vont alorsparticulièrement se méfier des réunionsqui regroupent des personnes autour dela défense d’une idée commune et qui sontperçues comme risquant de pouvoir fairepression sur les pouvoirs publics. Il est alorssignificatif que la forme la plus légitime etla plus répandue de réunion au début dela IIIe République soit la réunion contradic-toire  : une réunion où des individus d’opi-nions différentes viennent confronter leursdiscours.

Le débat public en réunion est aussi valo-risé au nom de l’idée qu’en prenant partà des discussions où les arguments fon-dés en raison doivent être la seule armepour convaincre, l’individu apprendrait àse comporter en citoyen  : c’est-à-dire,d’une part, à se détacher de ses apparte-nances sociales, et d’autre part, à incor-porer les règles d’une civilité républicaine,nécessaire au bon déroulement des réu-nions. Mais l’apprentissage n’est pas immé-diat. Le bruit, les désordres, mais aussil’exposé d’opinions jugées extrêmes parles républicains, marquent bien sûr denombreux rassemblements. Dans les com-mentaires républicains sur les réunions

Par PAULA COSSART*

*PAULA COSSART est sociologue, Maître deconférence à l’Université Lille 3 (CeRIES).Elle est l’auteure de Le meeting politique. Dela délibération à la manifestation, PressesUniversitaires de Rennes, 2010.

HISTOIRE

L

La loi sur la liberté de réunion, encore en vigueur

aujourd’hui, est adoptée le 30 juin 1881.“

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MAI 2012 - LA REVUE DU PROJET

qui se tinrent sous l’Empire et dans lespremières années de la République, il estalors souvent fait référence à l’immatu-rité du peuple  : elle permet de justifierl’écart entre la pratique des réunions etl’insistance sur des effets vertueux qu’ilen est attendu. Les comportements etopinions jugés indignes de citoyens sontprésentés comme étant essentiellementle signe du manque de maturité d’un peu-

ple qui n’a pas encore pu acquérir l’habi-tude de la liberté. Il faudrait donc laisseraux Français le temps d’apprendre à secomporter en citoyens, en encadrant leurparticipation. Pour favoriser ce progrèsdes mœurs, il est alors souvent appelépar les dirigeants républicains à l’organi-sation de réunions pouvant servir demodèles d’ordre, de bonne tenue, pou-vant faire pénétrer de bonnes habitudesdans le peuple. Paradoxalement, onremarque que ces réunions désignées

comme des modèles, dans la pressenotamment, sont souvent des conférencesoù la parole est réservée à un ou deuxorateurs. Lorsqu’il s’agit de trouver lesmoyens concrets de former les mœursdu peuple, apparaît donc un relatif éloi-gnement par rapport à l’idéal de la réu-nion politique comme assemblée contra-dictoire. C’est en particulier sur l’idée d’uncontrôle de ses émotions, que reposentles «  mœurs républicaines  » dont onattend que le citoyen fasse ainsi l’appren-tissage. Le débat qu’on veut voir se dérou-ler dans les réunions repose sur unéchange d’arguments ne faisant pas appelaux émotions : il s’agit surtout de convain-cre ou de se faire convaincre par l’usagede la raison.

LA RÉUNION-MANIFESTATIONCe qu’on peut alors qualifier de modèledélibératif de la réunion politique répu-blicaine rencontre vite des obstacles  :dès la dernière décennie du XIXe siècle,l’usage de la réunion comme lieu dedébat a été progressivement délaissépour en faire un moyen d’action au pro-fit d’un groupe politique, une façon demanifester collectivement une opiniondans l’espace public. On peut repérerdeux principaux écarts par rapport auprojet décrit de pacification de l’opinionet de civilisation des mœurs par la par-ticipation aux réunions. Tous deux voientle jour dès la fin des années 1880. D’unepart, les pratiques de recours au bruit

ou à la violence visant à empêcher l’ex-pression d’opinions adverses et donc àrendre impossible toute discussion.D’autre part, l’organisation et la parti-cipation à ce que l’on peut qualifier deréunions-manifestations  : des réunionsqui ont pour but premier d’affirmer parle rassemblement la force d’une opinionformée antérieurement. Force mise enjeu, qui est démontrée à la fois par lenombre de personnes assemblées et parla présence des signes de l’adhésion deces dernières. Si dès la fin du XIXe siè-cle, notamment au moment du boulan-gisme et de l’affaire Dreyfus, on observeun développement de ces réunions, lephénomène est amplifié par la loi de1901 et la naissance des partis. Une crise de la réunion marque alors lesannées 1930 : crise, au sens d’une périodede mutation de la forme prise par ce modede participation, mais aussi au sens deson relatif déclin, conséquence indirectede cette mutation. En devenant un élé-ment du répertoire moderne de l’actioncollective, la réunion va entrer en concur-rence avec d’autres éléments, plus effi-caces, de ce répertoire : la manifestationde rue en particulier. Ce n’était pas le caslorsqu’elle était utilisée comme un lieude débat, lorsqu’il était fréquent quedivers orateurs viennent se confronterdevant un public divisé dans les réunionscontradictoires. n

gs-démonstrations de force

La délibération en réunion sert aussi

les républicains en ce qu’elleprotège la représentation : il ne

s’agit en effet jamais de prôner uneintervention directe du peuple dans

la prise de décision, maissimplement d’encourager la

formation d’une opinion publique pacifiée.

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LA REVUE DU PROJET - MAI 2012

PRODUCTION DE TERRITOIRES

PAR MAX ROUSSEAU

usqu’aux années 1970, la prospé-rité urbaine dépendait avant tout de laprésence d’un secteur secondaire déve-loppé, reposant lui-même sur la présenced’avantages « naturels » sur lesquels lesautorités publiques ne pouvaient guèreagir. Le capital était immobilisé dans lesusines, et le profit reposait avant tout surles économies d’échelle permises par laproduction à grande échelle de biens rela-tivement standardisés. Cette situationplaçait les ouvriers, qui constituaient lepivot de l’économie urbaine, dans unerelative position de force dans la négo-ciation locale de la « fabrication » de laville, d’autant que le « grand compromis »fordiste accordait un certain degré depouvoir politique à leurs représentantsen échange de leur acceptation des règlesdu jeu – et notamment de la taylorisationde l’organisation du travail. De nom-breuses grandes villes industrielles pas-sèrent ainsi sous le contrôle des partisde masse de gauche, qui traduisirent lesintérêts de la classe ouvrière en poli-tiques urbaines. Sous le fordisme, lesmunicipalités n’intervenaient donc pasdirectement dans le développement éco-

La ville néolibérale,mode d’emploi

J

Comprendre les principales mutations de la ville contemporaine néces-site de s’intéresser aux évolutions récentes du capitalisme occidental.

MAX ROUSSEAU, docteur en sciences

politiques à l’université Jean-Monnet

de Saint-Étienne.

Les territoires sont des produits sociaux et le processus de production se poursuit. Du global au local les rapports de l'Homme àson milieu sont déterminants pour l'organisation de l'espace, murs, frontières, coopération, habiter, rapports de domination,urbanité... La compréhension des dynamiques socio-spatiales participe de la constitution d'un savoir populaire émancipateur.

nomique. En revanche, elles soutenaientindirectement le secteur privé en pre-nant en charge les secteurs indispensa-bles à l’accumulation mais insuffisam-ment rentables (transports, logementpublic, etc.). En fournissant une partiedu «  salaire social » de la main-d’œuvreet en facilitant de ce fait la rencontre har-monieuse entre la production et laconsommation de masse, les politiquesurbaines contribuaient donc à soutenirle système fordiste.

LE TOURNANT DES ANNÉES 1970Les choses changent rapidement au coursdes années 1970. La mondialisation et ladélocalisation de larges pans de la pro-duction industrielle donnent naissanceà un nouveau paysage de la régulationdu capitalisme, au sein duquel les villesjouent un rôle plus important. En effet,le couplage entre production et consom-mation de masse au sein d’un cadre natio-nal laisse place à de nouvelles échellesde rencontre entre une production deplus en plus flexible et une consomma-tion de plus en plus différenciée, parmilesquelles le local et le global jouent unrôle accru. Certains auteurs évoquentainsi un processus de «  glocalization  »amoindrissant le rôle des États centrauxdans la régulation. Par ailleurs, ce der-nier évolue  : la transition post-fordistese caractérise également par la substi-tution de politiques d’offre soutenant lacompétitivité des firmes aux politiqueskeynésiennes soutenant la demande.Enfin, du point de l’aménagement du ter-ritoire, les politiques relevant du «  key-nésianisme spatial », qui visaient à répar-

tir activités économiques et emplois surl’ensemble du territoire national, laissentprogressivement place à des initiativesvisant à renforcer la compétitivité desprincipales métropoles. Très générale-ment, on peut observer le processusconséquent de néolibéralisation des villesoccidentales sur trois plans : au plan despolitiques urbaines, au plan des gouver-nements urbains, et au plan des socié-tés urbaines.

Premièrement, avec le basculement versle post-fordisme, les politiques urbainesconservent une importance cruciale, maiselles changent de nature. La crise urbainedonne en particulier naissance à ce quele géographe David Harvey qualifie de«  ville entrepreneuriale  ». Celle-ci viseune croissance soutenue dans uncontexte de compétition interurbainecroissante pour l’attraction de capitauxdevenus mobiles sous l’effet de la déva-luation des capitaux fixes du fordisme.Les politiques d’attractivité qui se géné-ralisent depuis le début des années 1980prennent dès lors des formes variées  :politiques fiscales avantageuses à l’égarddes firmes dont l’implantation est dési-rée, création d’un environnement attrac-tif pour les cadres et la «  nouvelle classemoyenne » issue du tournant post-fordiste(par le biais des politiques culturelles, d’em-bellissement des espaces publics…), mar-keting urbain, etc. L’intense compétitioninterurbaine concerne les multiples pro-grammes permettant de capter des fondspublics, de la capitale européenne de laculture jusqu’à l’hébergement de com-pétitions sportives. Elle concerne égale-

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ment la création de niches dans la nou-velle division spatiale du travail, lesquellesentraînent souvent de nouvelles formesd’intervention économique tournées versles nouvelles technologies (création depépinières d’entreprises, soutien auxentreprises innovantes, etc.). Elleconcerne enfin la recherche de rentes ausein de la division spatiale de la consom-mation, ce qui correspond au débat fran-çais actuel sur les avantages supposésde l’ « économie résidentielle » (c’est-à-dire la recherche d’une spécialisation ter-ritoriale dans le tourisme, les loisirs, l’hé-bergement des retraités, etc.).

Deuxièmement, en ce qui concerne lepouvoir urbain, la ville entrepreneurialevoit son organisation politique évoluerconsidérablement avec la transition post-fordiste, marquée par l’importance gran-dissante du rôle des acteurs privés dansle pouvoir urbain au nom de la mise enadéquation du territoire avec les exi-gences du nouveau régime d’accumula-tion. Ce basculement du gouvernementurbain, c’est-à-dire d’institutions et deprocessus de décisions démocratique-ment élus et responsables, à la gouver-nance urbaine, c’est-à-dire à des formesde partenariats plus ou moins flexiblesentre des acteurs variés, affecte évidem-ment la production des nouvelles poli-tiques urbaines. Par ailleurs, si l’organi-sation antérieure des municipalités,bureaucratique et hiérarchisée, évoquaitla firme fordiste, on peut tout autant dres-ser un parallèle entre les nouvelles firmeset les municipalités post-fordistes. Les«  usagers  » des services municipauxdeviennent ainsi des «  clients  », et sonttraités comme tels  ; les relations entrele secteur public et le secteur privé s’ap-profondissent et les municipalités, sui-vant ici l’évolution générale des firmes,rompent avec la verticalité pour se recen-trer sur de simples fonctions de pilotage,recourant de plus en plus à des «  sous-traitants  », en l’occurrence, des entre-

prises privées, pour assurer les tâchesd’exécution. Cette montée en puissancegénérale des intérêts privés affecte clai-rement la teneur de la démocratieurbaine.

POLARISATION SOCIALETroisièmement, les sociétés urbainesconnaissent un processus de fragmenta-tion continu depuis la crise du fordisme.La ségrégation traduit spatialement lapolarisation sociale liée à l’avènementdu marché du travail post-fordiste. Celui-ci se caractérise par une dualisation dela main-d’œuvre  : le cœur des employés«  intégrés  », qualifiés, flexibles et nonsyndiqués, obtient d’importants avan-tages salariaux et/ou financiers et consti-tue la majeure partie de la demande pourles produits hautement différenciés, tan-dis que les emplois faiblement qualifiés,interchangeables, se voient faiblementpayés et massivement précarisés. Le«  nouvel ordre urbain » se caractérisedès lors par la juxtaposition au sein desvilles de quartiers de plus en plus homo-gènes et étanches, parmi lesquels  : lesquartiers-forteresses réservés à l’élite  ;les quartiers de prédilection de la « nou-velle classe moyenne  », c’est-à-dire lesquartiers populaires centraux et péricen-traux en voie de gentrification ; les quar-tiers périurbains des couches moyennesinférieures et des ouvriers ; les quartiersrésidentiels  ; et enfin, les quartiers envoie de ghettoïsation, peuplés par lesnouveaux « surnuméraires ». Cet appro-fondissement de la polarisation urbaine

résulte tout à la fois des mutations deséconomies locales, de la réorientationdes politiques urbaines, et enfin de l’af-flux massif de capitaux vers le secteurimmobilier. Les bulles immobilières suc-cessives connues par la plupart des paysoccidentaux durant les trois dernièresdécennies témoignent de ce processus  :de simple «  condition  » pour l’accumu-lation sous le fordisme, la ville apparaîtde plus en plus comme un «  élément  »crucial dans l’accumulation capitaliste.

Pourtant, la néolibéralisation de la villen’apparaît pas comme un processusinéluctable. En effet, si la ville constitueaujourd’hui clairement une échelle cru-ciale pour le capitalisme, cela signifieégalement qu’elle apparaît égalementcomme le site majeur où de nouvellesformes de régulation pourront voir lejour. Ceci implique néanmoins l’émer-gence de mouvements sociaux structu-rés spécifiquement à l’échelle urbaine.De ce point de vue, le développementdu mouvement de contestation du 15mai, qui questionnait explicitement lemodèle de développement poursuividans les villes espagnoles, apparaîtcomme porteur d’espoir. n

Aménagement de terrains en vue de la construction de gratte-ciels de standing dans l'ancienquartier ouvrier de Hell's Kitchen (Manhattan, New-York)

Les municipalités, suivant ici l’évolution générale desfirmes, rompent avec la verticalité

pour se recentrer sur de simplesfonctions de pilotage, recourant de

plus en plus à des « sous-traitants », en l’occurrence, des

entreprises privées, pour assurer lestâches d’exécution.

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La néolibéralisation de la ville n’apparaît pas

comme un processus inéluctable.“

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SCIENCESLa culture scientifique est un enjeu de société. L’appropriation citoyenne de celle-ci participe de la constructiondu projet communiste. Chaque mois un article éclaire une actualité scientifique et technique. Et nous pensonsavec Rabelais que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

*JEAN-PIERRE KAHANE est mathématicien,professeur émérite à l’université Paris-Sud-Orsay.

EUT-ON PARLER DE LA SCIENCE ? DOIT-ON PARLER DES SCIENCES, AU PLURIEL ?On doit, bien sûr, parler des sciences dif-férentes, et de leur spécificité. On insisteà juste titre sur les SHS, sciences del’homme et de la société. Les disciplinesscolaires donnent une image de la diver-sité des sciences, d’autant plus qu’en Franceelles sont bien séparées. Quand on penseaux développements les plus marquantsdu siècle dernier, c’est à des sciences nou-velles qu’on songe : la physique quantique,l’astrophysique, l’informatique, la biologiemoléculaire. Peut-on dans ces conditionsparler de «  la science » ? Oui à mon avis.Toutes les sciences ont un commun, uncertain exercice de la raison, c’est-à-direde la mémoire, de l’imagination, de l’es-prit critique, de l’aptitude à la mise enforme, que l’on peut appeler la méthodescientifique sans chercher par là à trop laformaliser. Elles ont en commun, sous desformes diverses, le besoin de communi-quer. Ensemble, elles constituent un sys-tème coordonné de connaissances, et c’estce système, en évolution constante, qu’onpeut appeler la science. Il y a des analogies profondes entre lascience et la politique. Il y a bien des poli-tiques, à différents niveaux, pour diffé-rents objets, correspondant à différentsintérêts. Mais la politique est une notiongénérale qui a sa valeur, et qu’il nous

Par JEAN-PIERRE Kahane*

incombe de valoriser. Ce que Victor Hugoa écrit sur la science me paraît parfaite-ment pertinent, plus même que ce qu’il aécrit sur l’art. La science est imparfaite,toujours en mouvement, elle recherchemais n’atteint jamais la vérité, elle seconstruit en se détruisant sans cesse, mais,dit Victor Hugo, « vénérons cette servantemagnifique ». La politique que nous vou-drions mener, elle aussi, doit être unerecherche permanente, un système coor-donné mais sans cesse en mouvement, auservice des peuples présents et à venir.Dans toute vision large de la politique ilme semble que la science a sa place.

Y A-T-IL DIVORCE ENTRE LA SCIENCE ET LASOCIÉTÉ ?La question mérite examen, et d’abordd’être elle-même questionnée. On ne posepas la question du divorce entre la financeet la société. Pourquoi  ? C’est que quelsque soient les griefs de chacun à l’égardde la finance, la société est actuellementstructurée par elle. Elle inspire la politique,elle est omniprésente dans les média, elles’impose comme constitutive de la sociétéoù nous vivons. La science n’a pas ces pri-vilèges. Et quelle que soit la sympathieque l’on porte à la science, et quel que soitle rôle qu’elle joue dans la conscience com-mune et dans la vie sociale, elle n’est paspartie constitutive de notre société. Ellen’inspire pas la politique actuelle, elle estabsente des média, la question du divorceavec la société est donc pertinente, rela-tivement à la situation que nous vivons.Après Hiroshima, et devant la menaced’une guerre atomique, la science n’étaitpas mise en cause, et seuls quelques espritsinquiets, les marxistes Bernal en Angleterreet Langevin en France, mettaient en garde

contre le retard de la conscience communeà prendre en compte les ressources et lesdangers du développement de la physique.Dans l’ensemble, la période que nous appe-lons en France les Trente glorieuses a étéune époque de grande confiance dans lascience. Mais le retard n’a pas diminué, ils’est augmenté au contraire des avancéesscientifiques et de leurs usages au béné-fice du capitalisme. Faute de mettre encause le capitalisme, certains mettent encause la science. La correction peut veniren partie des scientifiques, de la manièredont les sciences sont enseignées, de lamanière de les présenter, mais l’essentielde la correction viendra de la politique sinous parvenons à en changer le cours. Enattendant, l’idée de l’appropriation collec-tive des connaissances scientifiques peututilement faire son chemin.

LES TRAVAILLEURS SCIENTIFIQUESDOIVENT RENDRE COMPTE DE LEURACTIVITÉ. À QUI ET COMMENT ?Au cours du XXe siècle les métiers de larecherche se sont développés et le conceptde travailleur scientifique a été élaboré,d’abord en Angleterre sous l’influence desmarxistes anglais, puis en France. À laLibération s’est créée, sous la présidencede Frédéric Joliot-Curie, la Fédération mon-diale des travailleurs scientifiques (FMTS),qui regroupait tous les syndicats concer-nés. Les derniers présidents en ont étédes Français, Jean-Marie Legay et AndréJaeglé. Le déclin de la FMTS a suivi celuides idéaux démocratiques dans les milieuxde la recherche comme ailleurs.Les effectifs de la recherche scientifique,incluant non seulement les chercheurs àtemps plein du secteur public et du sec-teur privé, les enseignants-chercheurs et

La place de la sciencedans la société 2/3*

L’accès à la science pour tous était une conception révolutionnaire, elleébranlait les fondements religieux de la cité, elle a valu à Socrate sacondamnation à mort.

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les ingénieurs-chercheurs, mais leurs col-laborateurs techniques et administratifs,sont maintenant considérables. On les éva-lue en France à 300 000 personnes. Ilsont une responsabilité collective dans lesprogrès de la science et de la technologie,dans l’usage des moyens qu’on leur donne,et dans l’usage social qui est fait de cesprogrès. Assumer cette responsabilité étaitdans l’optique de la FMTS.

Actuellement apparaît de nouveau l’idéeque les travailleurs scientifiques doiventrendre compte de leur activité à l’ensem-ble des citoyens, et que c’est une compo-sante indispensable de la démocratie. C’estla signification de l’apparition du thème«  science et société  » dans les associa-tions professionnelles.Les éléments existent pour cela, parce quel’activité de recherche donne lieu à descomptes-rendus détaillés à tous lesniveaux, de l’individu ou de l’équipe derecherche à l’organisme en passant par lelaboratoire. Dans le secteur privé ces rap-ports sont généralement gardés secrets,mais dans le secteur public ils sont acces-sibles ou devraient l’être. Dans les attri-butions du Comité national de la recherchescientifique, constitué de représentantsdes chercheurs du CNRS et des universi-tés, figure un rapport de conjoncture etun rapport de prospective, chargés de gui-der la politique du gouvernement enmatière de politique scientifique. Lors ducolloque national sur la recherche et latechnologie de 1982 l’idée avait été émised’élargir ce comité national pour en faireune instance représentative de l’ensem-ble de la recherche. L’évolution a été ensens opposée, malgré les efforts faits audébut des années 1990 pour renouvelerla rédaction du rapport de conjoncture.C’est l’Académie des sciences qui a pris larelève, avec les rapports sur la science etla technologie, qui constituent dans leurensemble une source d’information surl’état de la science dans beaucoup dedomaines. Malgré la qualité de ces rap-ports, ils n’ont rien à voir avec la démo-cratie, ni dans leur conception ni malheu-reusement dans leur usage.Au niveau des individus et des équipes lavolonté existe toujours de rendre comptede l’activité  de recherche : ce n’est passeulement une question d’éthique profes-sionnelle, mais une nécessité du métier,pour se faire connaître et reconnaître. Mais

la situation actuelle se dégrade profondé-ment, avec une bureaucratie envahissanteet un traitement de plus en plus méca-nique des informations. Elle s’aggrave avecles nouvelles dispositions pour établir le« suffixe-ex » pour excellence, dont jepense on parlera par ailleurs. Dans l’op-tique de la compétition à outrance, l’es-prit de la recherche est compromis.

QUI LES ÉVALUE ET COMMENT ? Cela dépend. Dans la recherche industrielleou militaire règne le secret sur lesrecherches, les chercheurs ne publientpas, ils sont évalués par leur hiérarchiesur la base des résultats obtenus, qu’onvoit parfois apparaître de façon partiellepar les brevets. L’usage et la pratique desbrevets mériterait une étude historique etactuelle. Ils font partie de la jungle capi-taliste, et l’évaluation de l’ensemble de larecherche menée dans un pays par le nom-bre ou même l’impact des brevets est faus-sée par les intérêts en jeu.

Dans la recherche publique l’évaluationest fondée sur les communications et lespublications. Elle a tendance à se fondersur les publications, et à utiliser lesmoyens de la bibliométrie, qui épargnentaux évaluateurs le souci de lire eux-mêmes les articles, en se contentant deconsulter des critères mécaniques fon-dés sur les citations, supposées exprimerl’impact scientifique de ces articles oude leurs auteurs. La bibliométrie est aussiune jungle, mais elle se fonde sur desdonnées objectives et vérifiables.L’obligation morale pour les chercheursde publier leurs travaux est exprimée parla formule anglo-saxonne  : publish orperish! [publie ou péris !]Chaque rapport sur la bibliométrie, etl’Académie des sciences vient d’en pro-duire un, assez volumineux et sainementcritique, insiste sur le fait que l’évaluationdoit incomber aux pairs, c’est-à-dire aux

scientifiques du même domaine et aumoins du même niveau. C’est en effet lapratique courante, aussi bien pour les indi-vidus que pour les équipes ou laboratoires.L’évaluation est souvent internationale.Elle repose en partie sur des témoignagessollicités des experts les plus qualifiés dansle domaine en question. En dernière ins-tance, pour les recrutements ou les pro-motions des chercheurs, ou pour les prixet distinctions, le jugement revient à desscientifiques.

Je crois utile d’insister sur deux points.D’abord, s’agissant de la recherchepublique, l’activité de recherche est l’unedes plus contrôlées et évaluées de toutesles activités humaines. La tendanceactuelle à tout chiffrer fausse les pratiqueset les jugements, et contraint les cher-cheurs à une gymnastique improductivepour produire des rapports qu’on puissepasser en machine. Mais la pratique desrapports de recherche est saine et n’estpas contestée.Le second point concerne l’évaluation enamont des publications et des rapports.La communication scientifique ne seborne pas aux publications. Il y a lesconversations et les échanges dans leslaboratoires, dans les séminaires et lescolloques, dans la vie courante y comprisles «  thés  » où règne une communica-tion informelle très efficace. C’est dansle laboratoire que les personnalités s’af-firment et se distinguent ; d’ailleurs, quanddans les disciplines biologiques on voitdes articles avec cinquante auteurs, leclassement de ces auteurs est calculéautant que le classement des acteursdans un générique de film  ; l’évaluationse fait donc en amont de la publication.Ce lien entre le travail scientifique et l’éva-luation qui en est faite pose une série dequestions. D’abord, paradoxalement, il n’ya pas de bonne évaluation sans conflit d’in-térêt : les meilleurs évaluateurs sont ceuxqui travaillent les mêmes sujets. Ensuite,c’est le fondement des élections pour lescommissions chargées de l’évaluation,dans les universités et dans les organismesde recherche. n

*La Revue du Projet présente la suite desréponses de Jean-Pierre Kahane, données lorsd’une formation en janvier 2011. Le début aété publié dans La Revue du Projet, n° 14, février2012.

Les travailleurs scientifiques ont une

responsabilité collective dans les progrès de la science et

de la technologie, dans l’usage des moyens qu’on leur donne, et

dans l’usage social qui estfait de ces progrès.

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Patrice BessacRepsonsable national du [email protected]

Stéphane Bonnery Formation/Savoirs, é[email protected]

Nicolas Bonnet [email protected]

Hervé Bramy É[email protected]

Ian Brossat Sécurité[email protected]

Laurence Cohen Droits des femmes/Féminisme [email protected]

Xavier Compain Agriculture/Pêche [email protected]@pcf.fr

Olivier Dartigolles [email protected]

Yves Dimicoli Économie [email protected]

Jacques Fath Relations internationales, paix et désarmement [email protected]

Olivier Gebuhrer Enseignement supérieur et [email protected]

Jean-Luc Gibelin Santé Protection [email protected]

Isabelle De Almeida [email protected]

Fabienne Haloui Lutte contre racisme, antisémitisme et [email protected]

Alain Hayot [email protected] ou [email protected]

Valérie GoncalvesÉ[email protected]

Jean-Louis Le Moing [email protected]

Danièle Lebail Services Publics et solidarités [email protected]

Isabelle Lorand Libertés et droits de la [email protected]

Sylvie Mayer Economie sociale et solidaire [email protected]

Catherine Peyge Droit à la ville, [email protected]

Gérard Mazet [email protected]

Eliane Assassi Quartiers populaires et liberté[email protected]

Richard Sanchez [email protected]

Véronique Sandoval [email protected]

Jean-François Téaldi Droit à l’information [email protected]

Nicole Borvo Institutions, démocratie, [email protected]

Jean-Marc Coppola Réforme des collectivités [email protected]

Jérôme Relinger Révolution numérique et société de la [email protected]

Noëlle MansouxSecrétaire

de rédaction

Amar Bellal

Sciences

Marine Roussillon

Pages critiques

Alain VermeerschRevue des

médias

Partice Bessac

Responsable de la Revue

Guillaume Quashie-Vauclin

Responsableadjoint

COMITÉ DU PROJET ÉLU AU CONSEIL NATIONAL DU 9 SEPTEMBRE 2010 : Patrice Bessac - responsable ; Patrick Le Hyaric ; Francis WurtzMichel Laurent ; Patrice Cohen-Seat ; Isabelle Lorand ; Laurence Cohen ; Catherine Peyge ; Marine Roussillon ; Nicole Borvo ; Alain Hayot ; Yves DimicoliAlain Obadia ; Daniel Cirera ; André Chassaigne.

L’ÉQUIPE DE LA REVUE

LES RESPONSABLES THÉMATIQUES

Liste publiée dans CommunisteSdu 22 septembre 2010

Nicolas Dutent

Communisme en question

Gérard Streiff

Combat d’idées

FrédoCoyère

Mise en pagegraphisme

Côme SimienHistoire

AnneBourvicRegard

RenaudBoissac

Collaborateur

Corinne Luxembourg

Territoires

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