N°1079 14 février 2013 - collectif-haiti.fr · immobilisé sur place par celui de l’orchestre...

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N°1079 14 février 2013 Autoritarisme, censure, intolérance et improvisation dans le carnaval 2013 Acte de mémoire de la FOKAL, malgré la tentative de banalisation officielle du 7 février La traite d’enfants dans les zones frontalières de plus en plus préoccupante Remise de maisons parasismiques et anticycloniques à 58 familles de Ti Boukan >> Autoritarisme, censure, intolérance et improvisation dans le carnaval 2013 Les festivités carnavalesques, plus grandes manifestations populaires en Haïti, se sont déroulées en 2013 dans un contexte d’autoritarisme, de censure, d’intolérance et d’improvisation en plusieurs points du territoire national. La prestation de groupes et de bandes à pied a été interdite à Port- au-Prince. Dans un communiqué transmis à la presse, l’Organisation du Peuple en Lutte (OPL) a critiqué cette mesure anormale et appelé les citoyens de la capitale à la rejeter. Le président Joseph Michel Martelly a décidé lui-même d’exclure différents groupes musicaux du défilé des trois jours gras, tenus cette semaine au Cap-Haïtien, la deuxième ville du pays. Une bonne partie du centre-ville a vécu les festivités sans électricité publique. Durant la troisième et dernière nuit du carnaval, le char du groupe « Boukman Eksperyans », un des ténors du genre Racines, a été immobilisé sur place par celui de l’orchestre Mass Compas du chanteur-député Gracia Delva et ses pneus ont été crevés, rapporte la chanteuse vedette Mimerose Beaubrun, surnommée Manzè. Si Boukman Eksperyans est contraint au silence c'est à cause de sa meringue critique, dont le titre est : "c’est la dictature", relève la chanteuse dans les médias. L’ordre d’empêcher le char de circuler serait venu « d’en haut », selon les propos d’un policier cité par le leader de Boukman Eksperyans, Theodore Beaubrun dans des déclarations faites à Radio Télévision Kiskeya. Lors du bal officiel d’inauguration du carnaval, le samedi 9 février, au Palais Sans Souci, Michel Martelly a fait expulser une équipe de la Radio Télévision Caraïbes (RTVC). Le défilé a eu quelques ratés, dus à des problèmes d’organisation, des faiblesses logistiques et une apparente intolérance du pouvoir vis-à-vis des groupes musicaux critiques à son encontre. Des militants de diverses organisations du Nord, formant une bande à pied, ont manifesté leur mécontentement vis-à-vis du gouvernement, durant le défilé du deuxième jour du carnaval, le 11 février. Avec des cartons rouges en main, les carnavaliers/manifestants ont défilé sur tout le parcours pour dénoncer ce qu’ils appellent un « carnaval importé et exclusiviste » imposé par l’administration du président Michel Martelly. Selon ces protestataires, les personnes-ressources capoises auraient été exclues de l’organisation des festivités « importées » et le chef de l’État affiche une « omniprésence autoritaire ». « On nous a imposé » des groupes qui n’ont « rien à voir avec la culture capoise. La culture régionale d’une population fait partie de son identité », avance un délégué de ville. Les festivaliers/manifestants ont critiqué également la décision de M. Martelly d’exclure pour des « raisons politiques » certains groupes musicaux du défilé carnavalesque, comme Brother’s Posse (dont le chanteur vedette est Antonio Chéramy, dit Don Kato, originaire du département hôte du carnaval 2013). La meringue de Brother’s Posse, titrée « A l’oral », énumère les promesses non tenues du président et dresse un sombre bilan de son administration. Exclu au départ, le groupe Voix des îles a réussi à trouver une place dans le défilé et a par moment repris le refrain « A l’oral » de Brother’s Posse. « Oh ! oh ! oh ! le peuple haïtien veut vivre », a scandé la foule surchauffée. Des craintes de manifestations hostiles au gouvernement s'étaient exprimées tout de suite après la décision de Martelly d’exclure certains groupes musicaux de la grande fête populaire. Plus de 700 personnes ont été blessées durant les 2 premiers jours des festivités. Édition du Collectif Haïti de France// 21 ter rue Voltaire // 75011 Paris //01 43 48 31 78

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N°1079 14 février 2013

• Autoritarisme, censure, intolérance et improvisation dans le carnaval 2013• Acte de mémoire de la FOKAL, malgré la tentative de banalisation officielle du 7 février• La traite d’enfants dans les zones frontalières de plus en plus préoccupante• Remise de maisons parasismiques et anticycloniques à 58 familles de Ti Boukan

>> Autoritarisme, censure, intolérance et improvisation dans le carnaval 2013 Les festivités carnavalesques, plus grandes manifestations populaires en Haïti, se sont déroulées en 2013 dans un contexte d’autoritarisme, de censure, d’intolérance et d’improvisation en plusieurs points du territoire national.La prestation de groupes et de bandes à pied a été interdite à Port-au-Prince. Dans un communiqué transmis à la presse, l’Organisation du Peuple en Lutte (OPL) a critiqué cette mesure anormale et appelé les citoyens de la capitale à la rejeter.

Le président Joseph Michel Martelly a décidé lui-même d’exclure différents groupes musicaux du défilé des trois jours gras, tenus cette semaine au Cap-Haïtien, la deuxième ville du pays. Une bonne partie du centre-ville a vécu les festivités sans électricité publique.Durant la troisième et dernière nuit du carnaval, le char du groupe « Boukman Eksperyans », un des ténors du genre Racines, a été immobilisé sur place par celui de l’orchestre Mass Compas du chanteur-député Gracia Delva et ses pneus ont été crevés, rapporte la chanteuse vedette Mimerose Beaubrun, surnommée Manzè.Si Boukman Eksperyans est contraint au silence c'est à cause de sa meringue critique, dont le titre est : "c’est la dictature", relève la chanteuse dans les médias.L’ordre d’empêcher le char de circuler serait venu « d’en haut », selon les propos d’un policier cité par le leader de Boukman Eksperyans, Theodore Beaubrun dans des déclarations faites à Radio Télévision Kiskeya.

Lors du bal officiel d’inauguration du carnaval, le samedi 9 février, au Palais Sans Souci, Michel Martelly a fait expulser une équipe de la Radio Télévision Caraïbes (RTVC).Le défilé a eu quelques ratés, dus à des problèmes d’organisation, des faiblesses logistiques et une apparente intolérance du pouvoir vis-à-vis des groupes musicaux critiques à son encontre.Des militants de diverses organisations du Nord, formant une bande à pied, ont manifesté leur mécontentement vis-à-vis du gouvernement, durant le défilé du deuxième jour du carnaval, le 11 février.

Avec des cartons rouges en main, les carnavaliers/manifestants ont défilé sur tout le parcours pour dénoncer ce qu’ils appellent un « carnaval importé et exclusiviste » imposé par l’administration du président Michel Martelly.

Selon ces protestataires, les personnes-ressources capoises auraient été exclues de l’organisation des festivités « importées » et le chef de l’État affiche une « omniprésence autoritaire ».« On nous a imposé » des groupes qui n’ont « rien à voir avec la culture capoise. La culture régionale d’une population fait partie de son identité », avance un délégué de ville.

Les festivaliers/manifestants ont critiqué également la décision de M. Martelly d’exclure pour des « raisons politiques » certains groupes musicaux du défilé carnavalesque, comme Brother’s Posse (dont le chanteur vedette est Antonio Chéramy, dit Don Kato, originaire du département hôte du carnaval 2013).

La meringue de Brother’s Posse, titrée « A l’oral », énumère les promesses non tenues du président et dresse un sombre bilan de son administration.Exclu au départ, le groupe Voix des îles a réussi à trouver une place dans le défilé et a par moment repris le refrain « A l’oral » de Brother’s Posse.« Oh ! oh ! oh ! le peuple haïtien veut vivre », a scandé la foule surchauffée.

Des craintes de manifestations hostiles au gouvernement s'étaient exprimées tout de suite après la décision de Martelly d’exclure certains groupes musicaux de la grande fête populaire.Plus de 700 personnes ont été blessées durant les 2 premiers jours des festivités.

Édition du Collectif Haïti de France// 21 ter rue Voltaire // 75011 Paris //01 43 48 31 78

>> Acte de mémoire de la FOKAL, malgré la tentative de banalisation officielle du 7 février

La fondation connaissance et liberté (FOKAL) a organisé une causerie avec l’historien Michel Soukar autour de la dictature atroce du régime duvaliériste en vue de faire acte de mémoire à l’occasion du 7 février 2013, date rappelant le 27 e anniversaire de la chute de JeanClaude Duvalier à la tête du pays (1971-1986). En cette occasion, a eu lieu une exposition de photos, accompagnées d'écrits, retraçant l'horreur du régime. Pendant qu’ils étaient au pouvoir, Jean-Claude Duvalier ainsi que son père François Duvalier (1957-1971) ont commis des crimes contre l’humanité.

Le travail de mémoire et d’organisation est essentiel pour nous permettre de défendre les acquis [démocratiques] et en faire d’autres, déclare Michel Soukar, lors de cette causerie avec la présidente de la FOKAL, Michèle Duvivier Pierre-Louis. « Nous n’allons pas conserver ces conquêtes uniquement en lisant. Mais, il faut aussi que la jeunesse mette sur pied des organisations de la société civile ou politiques pour défendre ces acquis », explique t-il.

De 1986 jusqu’à 2004, aucun travail de mémoire n’a été fait, condamne-t-il, mentionnant une reprise des grandes vieilles habitudes duvaliéristes ces derniers temps (de 2011 à aujourd'hui). « Depuis quand un État de bandits peut-il juger des bandits »?, s'interroge-t-il, en référence à la nature du pouvoir actuel.

« Il ne faut pas s’endormir sur des lauriers qui risquent de se faner. On doit apprendre aux autres ce qui s’est passé pendant la dictature des Duvalier », encourage l’historien, avançant qu’un pays vaut par ce que vaut sa société civile ». Convoqué à la cour d’appel, le jeudi 7 février 2013, pour être auditionné, l’ex-dictateur Jean-Claude Duvalier, de retour en Haïti physiquement depuis janvier 2011, ne s’est pas présenté.

Lors de cette audience, le tribunal devait se pencher sur une requête, introduite par des victimes et des familles de victimes, ayant pour objectif de faire infirmer une décision précédente, selon laquelle il n’y aurait pas d’enquête sur la responsabilité présumée de l’ancien dirigeant dans les crimes qui lui sont reprochés.

Aujourd’hui est « une date spéciale pour les Haïtiennes et Haïtiens. A la Fokal, nous essayons de faire acte de mémoire. Comme le disent les historiens, un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir », affirme pour sa part, sa présidente , Michèle Duvivier Pierre-Louis. Elle déplore la disparition des lieux de mémoire dans le pays, comme Fort Dimanche ou les casernes Dessalines. Ces lieux pourraient permettre aux jeunes d’apprendre l’histoire des cinquante dernières années ou plus.

>> La traite d’enfants dans les zones frontalières de plus en plus préoccupanteCorrespondance Ronel Odatte La traite d’enfants haïtiens implique des groupes haïtiens et dominicains qui ont pour zones privilégiées de leurs actes, Maïssade et Hinche. « C’est un défi à relever. Les filles sont les principales victimes de ce mouvement », révèle le responsable de la cellule départementale de la brigade de protection des mineurs (Bpm), l’officier de police Ulrick Jean-Pierre (A4) lors d’une session de formation à Hinche sur l’éthique et les droits de l’enfant.Certaines filles sont amenées dans des maisons closes, tandis que d’autres deviennent des esclaves domestiques en République Dominicaine.Les malfaiteurs passeraient par Maïssade et Hinche pour transporter les enfants jusqu’à Bòkbanik (un quartier de la commune de Thomassique) avant d’atteindre le territoire dominicain. Là, les trafiquants dominicains prennent le relais puisque le quartier

Bòkbanik est situé à seulement 5 km de la localité dominicaine de Alto Viejo.L’agent exécutif intérimaire de la commune de Thomassique, Marino Etienne, fraîchement installé, dit ne pas avoir d’informations sur ces cas.En 2012, la brigade de protection des mineurs a recensé 215 cas de viol et 89 tentatives de viol, ainsi que 61 cas de détournement de mineurs, dans le département du Centre. Le nombre d’enfants, égarés pour l’année, était de 108. Le nombre d’enfants de rue recensés était de 80.Cette section de la police nationale d’Haïti (PNH) a aussi enregistré dans cette zone 5 infanticides et 91 abandons d’enfants.Aucune arrestation n’a été signalée, malgré l’ampleur du phénomène.

>> Remise de maisons parasismiques et anticycloniques à 58 familles de Ti Boukan

L’institut de technologie et d’animation communautaire (ITECA) a procédé, le mardi 5 février 2013, à la remise de 58 clés de maisons - parasismiques et anticycloniques - et titres de propriété aux bénéficiaires d’un projet de construction de 400 maisons permanentes à Ti BouKan (commune de Gressier).« Les bénéficiaires ont été sélectionnés à partir d’une enquête effectuée sur 3 500 familles de la zone, éprouvées durant le passage du tremblement de terre du 12 janvier 2010, avant d’aboutir aux 1,700 familles les plus vulnérables », informe le directeur de l’ITECA, Chenet Jean-Baptiste. Construites en moins de quinze (15) jours, les maisons sont réalisées grâce à l’appropriation, en Haïti, de la technologie Habitech Building system, développée par la faculté de génie civil de l’Institut de technologie d’Asie, (sigle anglais AIT).

Une usine a été installée à Ti Boukan (environ 2.7 km de la route nationale numéro 2) pour fabriquer, sur place, à partir de matériaux locaux, les différentes composantes des maisons, dont les blocs, les tuiles, les portes, les fenêtres et les charpentes métalliques. D’une dimension de 41 mètres carrés, composée de deux chambres, d'une salle à manger et d'une galerie, chacune de ces maisons coûte (dans le projet) la somme de 8,500.00 dollars US.Le projet de Ti Boukan a eu également des retombées économiques, en ayant contribué à générer près de 600 emplois directs, incluant le recrutement d’ouvriers spécialisés sur les différents sites de construction.

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