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MYTHES ET RECITS BIBLIQUES 1999-2000

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MYTHES ET RECITS

BIBLIQUES

1999-2000

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MYTHES ET RECITS

BIBLIQUES 1999-2000

Recueil réalisé par des étudiants en DEUG de let tres 1 e année à l’Université Lumière Lyon II.

Enseignante : Laurence Mellerin.

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couverture : Moïse recevant les Tables de la Loi, huile sur to ile, 238x234, Musée Message Biblique Marc Chagall, Nice, non daté (Exode XXXI, 18).

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INTRODUCTION

Ce recueil est le fruit d'un travail réalisé au cours des deux semestres

de l' année universitaire 1999-2000, dans le cadre du cours "culture et

expression" proposé aux étudiants de DEUG première année. Le thèm e du

cours était « mythes et récits bibl iques », sous-partie du grand thèm e

« mythes et religions ».

Contraints par le tem ps, m ais au ssi désireux d’aborder des textes

dont la portée était reconnue par les tr ois grandes religio ns m onothéistes,

nous avons restreint notre étude à l’An cien T estament, nous concentrant

plus longuem ent sur les livres de la Genèse et de l’Exode, m ais abordant

aussi des récits plus tardifs, tels que ceux concernant Sam son, David, ou

encore Jonas.

Constitués en binôm es, nous devion s préparer d ’une part un exposé

destiné à faire connaître l’un des textes bibliques proposés et les principales

interprétations que l’exégèse en donnait, d’autre part un dossier étudiant les

répercussions et r éinterprétations d ’un autre réc it bib lique dans la culture

occidentale. Les dossiers, qui constitu ent le présent recu eil, supposent donc

connus les acquis des exposés et de leurs reprises en cours. Outre divers

exercices écrits com plémentaires réalisés pendant l’année — commentaires

de poèm e, de film —, nous avons ég alement préparé des exposés plus

spécifiques portant sur une œuvre donn ée de la littérature — notamme nt La

Faute de l’Abbé Mouret (Zola), Sodome et Gomorrhe (Giraudoux) —, de la

peinture — un retable de Van der Weyden, Le Message Biblique de Chagall

— ou du ciném a — A l’ Est d’Eden d’Elia Kazan, Le Décalogue de K.

Kieslowski —, la dernière séan ce étant consacrée aux com positions

musicales inspirées par la Bible.

Le volume réalisé ne prétend donc pas rendre compte de notre travail

de l’année de façon exhaustive, mais il constitue malgré tout une somme de

recherches que nous avons jugé util e de diffuser entre nous et plus

largement.

N.B. Toutes les références n’ayant pu, fa ute de temps, être vérifiées, chaque

chapitre n’engage que ses auteurs.

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ADAM ET EVE

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Adam et Eve, œuvre du Tintoret (1518-1594).

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METHODOLOGIE

A l’aide du travail réalisé en exposé par Marie G aulier et Ophélie Sanchez sur Adam et Eve, nous allons tenter d’appr ofondir le thèm e suivant : l' évolution des représentations du couple de l’Eden dans la culture occidentale.

Pour effectuer nos prem ières recherches, nous nous somm es rendue s à la bibliothèque de théolog ie de la facu lté catholique de Lyon. Nous avons eu accès à divers ouvrages de ré férence tels que le Dictionnaire de Théologie Catholique ou le Dictionnaire culturel de la Bible (Nathan). Ces derniers n ous ont renvoyées à des interprétations litté raires et a rtistiques du mythe étud ié. De ce f ait, dans la m ême journée, nous sommes allées à la bibliothèque municipale de la Part-Dieu.

Là, nous avons cherché des œ uvres se rapportant au sujet. C’est ainsi que nous avons étudié, entre autres, Les femmes célèbres de la Bible (Haag-Kirchberger-Solle), le Dictionnaire des Symboles, les Contes Humoristiques de Mark Twain.

Après cette recherche bibliographique, nous nous sommes partagé la lecture de deux ouvrages, La Faute de l’Abbé Mouret de Zola et Libre réponse à un scandale de Gustave Martelet.

Suite à nos lectures, nous nous sommes retrouvées plusieurs fois pour m ettre en comm un nos idées. Dans le m ême te mps, nous avons établi un plan et m is en évidence des thèmes.

Surprises par l’im pact du sujet sur la culture et l’étendue des ouvrages s’y référant, nous n’avons pu rendre à temps le dossier demandé.

Nous y avons consacré approxim ativement trois sem aines. A l’heure où nous rédigeons ce dossier, les vacances de Noël ont débuté et n otre princip ale difficulté, étant donné que les salles inform atiques de la faculté sont fer mées, est de transcrire notre travail sur ordinateur. Nous somm es encore incertaines du dénouem ent de la situation. Plaise à Dieu que nous rendions ce devoir à temps !

PLAN DU DOSSIER

Introduction I- ADAM ET EVE jugés par la postérité.

1) Faute d’Eve, faute d’Adam.

2) Valorisation de la transgression et de son instigatrice.

3) Une transgression légitimée par l’amour.

II- LE PECHE ORIGINEL : un thème controversé.

1) Une faute héréditaire (point de vue des théologiens).

2) Un ac te d’af franchissement nécessaire (po sitions de la philosoph ie e t d e la

psychanalyse).

Conclusion

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INTRODUCTION

Le mythe d'Adam et Eve, parents de l' humanité selon la Bible, est fondam ental dans

notre culture. Ce couple, sour ce d' inspiration pour les artistes, parf ois sublim é, parfois

condamné, a été l' objet de maintes controverses. Alors qu’il est appelé par Dieu à dom iner la

création, c’est par sa faute que le mal entre da ns le m onde. Mais cette faute im plique-t-elle

une perte irréversible dont tous les hommes après Adam et Eve devront faire les frais, ou bien

est-elle plutôt un acte originel de libérati on qui ouvrirait de nouveaux horizons à une nature

humaine comme bridée avant lui ?

Nous verrons dans une prem ière partie l' image de l' homme et d e la f emme que le

couple de l’Eden a laissée da ns notre culture, pour ensuit e nous intéresser à la valeur

paradoxale de leur acte.

Miniature de la chut e d' Adam et Eve : Tent ation et chute d' Adam et Eve. Manus crit grec de

l'octateuque. Atelier de Constantinople, XIIe siècle, Bibliothèque de Topkapi, Istanbul.

Cette représentation comporte trois scènes consécutives. La première scène montre Eve face au serpent à quatre pattes : celui-ci sera condamné à ramper suite à la punition divine. La différence sexuelle est à peine visible entre Adam et Eve. La deuxi ème scène présente le couple en pleine discussion. Dans la troisième, Adam et Eve sont en train de manger le fruit défendu.

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I- ADAM ET EVE JUGES PAR LA POSTERITE.

1) Faute d’Eve, faute d’Adam.

Adam, d’après la Bible, est façonné « à l'image de Dieu » (Genèse I, 27) .

Comme le montre la fresque d e Michel-Ange rep résentant la création d’Adam

(Chapelle Sixtine, 1508 - 1512), un lien fort unit le Créate ur au premier homme, qu’il

a créé de ses propres mains et non pas de son Verbe comm e les autres êtres. C’est à

l’homme que Dieu énonce les rè gles du Jardin d’Eden, c’es t donc à lui qu’incom be le

devoir de les respecter et de les faire respecter, notamment en ne touchant pas à l’arbre

de la Connaissance. De nom breuses représ entations artisti ques m ettent en valeur le

couple édénique d’avant la faute (cf. Lazerges), couple heureux au milieu d’une nature

luxuriante, symbole d’un âge d’or révolu.

Car l’homme ne conservera pas cette ha ute dignité que Dieu lui a donnée : il

transgresse le commandement divin et permet ainsi au mal suggéré par le serpent de se

répandre dans le monde par son intermédiaire.

Adam et Eve au jardin d'Eden, d'après Hippolyte Lazergues (1817-1887), 1853.

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On pourrait attribuer à l’homm e et à la femm e une part égale de responsabilité

dans le premier péché : Eve se laisse séduire par le serpent, mais Adam, qui avait reçu

le comm andement directem ent de la bou che de Dieu, le transgresse pourtant.

L’homme, qui dans la tradition patriarcale représente l’autorité, celui dont la pa role a

force de loi, a lui aussi succombé à la tentation alors qu’il se deva it de montrer la voie

de la raison.

Cependant, c’est à la femme que la plupart des interprétations imputent la perte

du m onde paradisiaque. En effet, l’im age négative de la fe mme véhi culée par les

premières sociétés est à l’origine d’une misogynie qui a perduré pendant des siècles.

Certains théologiens, tel saint Augu stin aux IV e- V e siècles, ont contrib ué à diffuser

une image de la femme inspiratrice du mal. Créée à partir d ’une côte d’Adam, comme

le souligne cette tradition interprétative qui s’ appuie sur la seconde version de la

création de la femme dans le texte biblique ( Genèse II, 21-22), c’est-à-dire créée à

partir d’une infime parcelle du corps de l’homme et sans lien direct avec Dieu, elle es t

d’emblée considérée comm e infér ieure, phys iquement et spirituellem ent. Le fait

qu’elle cède à la tentation éprouvée pour le fruit est interprété comm e la marque d’un

esprit faible et m alléable. Le texte bibliqu e lui-même — le verset 27 du livre I de la

Genèse, « Dieu créa l’h omme à son im age, à l’im age de Dieu il le créa, homm e et

femme il les créa », mais aussi certaines inte rprétations divergentes de la m ystérieuse

« côte » — donne des argum ents pour une visi on plus égalitaire des deux sexes, m ais

la tendance dominante reste la doctrine de l’infériorité féminine.

Le plus souvent, il est convenu que la fe mme seule est responsable du malheur

de l' humanité : on la c onsidère co mme la séductrice. Il paraît norm al qu' elle soit

châtiée doublem ent par Dieu (elle enfante dans la douleur et elle est soum ise à

l'homme), alors qu'Adam ne l'est qu'une fois (il travaille la terre). On va même jusqu'à

assimiler l’image de la femme à celle du Mal : dans Le péché originel et l’expulsion du

paradis terrestre de Michel Ange, le serpent qui s’enroule autour de l’arbre a un corps

et un visage de femm e, de même chez Raphaël dans Adam et Eve sont séduits par le

serpent.

Dans la Faute de l'abbé Mouret de Zola, le frère Archangias, un personnage

typique de l’attitude misogyne — il affirme par exemple : « La femme pousse toujours

en elles [les ga mines], elles ont la dam nation dans leur jupe. Des créatures à jeter au

fumier, avec leur saleté qui em poisonne. » —, voyant Albi ne et Serge nus dans le

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Paradou, s’adresse à l’homm e en disant : « Ne voyez-vous pas la queue du serpent se

tordre parmi les mèches de ses cheveux ? » (fin du livre II).

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Michel Ange, Le Péché originel et l'expulsion du Paradis terrestre, 1508-1512.

Le péché originel. d'après Sisto BADALOCCHIO (1581-1647).

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Adam et Eve sont séduits par le serpent, d'après Raphaël, le Péché Originel (Vatican, 2e loge).

2) Valorisation de la transgression et de son instigatrice.

Cependant, des protestations se sont él evées contre ces propos m isogynes et

archaïques. Elles accord ent toujours une res ponsabilité plus grande à E ve qu’à Adam

dans l’acte commis, mais voient dans cet acte une démarche positive. Elles mettent en

avant l’acquisition de la connaissan ce permise à l’humanité grâce à l’in itiative d’Eve.

Sans la curiosité de cette dern ière, les hom mes n'auraient pu accéder au savoir. Alors

qu’Adam menait une vie paisible , sans problème et ne ch erchait en aucun cas à so rtir

de son existence « idéale », Eve, moins par naïveté que par désir de changement, prend

une position dominante, cueille le fruit défendu et le prés ente à Ada m : elle rom pt la

monotonie d’une vie trop facile au jardin d’ Eden ; elle prend seule la décision d’aller

contre le commande ment divin et Ada m, cen sé f aire r especter l’In terdit, n ’est pa s

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assez fort pour em pêcher cet acte d’affr anchissement dans lequel attrait de la

nourriture, esthétique et connaissance au sens intellectuel et sexuel vont de pair.

N. B. On pe ut rapprocher la soum ission du premier homme qui se laisse entraîner par

sa femme de la thém atique médiévale de l’amour courtois. Mêm e si les enjeux sont

très différents, il y a une part de séduction su bversive dans le jeu de la Da me. Ainsi,

dans Le chevalier à la charrette (vers 1170) de Chrétien de Troyes, la reine Guenièvre,

pour exercer son pouvoir sur Lancelot, im pose à ce dernier d'arrêter de combattre lors

d’un tournoi, ce qu’il fait par dévotion pour elle.

3) Une transgression légitimée par l’amour.

Plus qu’un premier couple de pécheurs, les artistes aiment à nous montrer dans

Adam et Eve les prem iers amants, qui accep tent une vie dure m ais à deux. Adam se

laisse conv aincre m algré la m enace d’un ch âtiment sév ère. En ou tre, il oublie

momentanément sa propre supériorité par amour pour Eve. Le récit de la chute s’ouvre

en un véritable hymne à l’amour. Jusque dans la mort, Adam et Eve veulent dem eurer

unis : on peut lire dans Les femmes célèbres de la Bible qu’« après la mort d’Adam ,

Eve pleura et dem anda à Dieu de ne pas la séparer du corps d’Ada m dont elle était

issue. Il l’exauça et la fit m ourir à son tour ». De m ême, Mark Twain im agine

qu'Adam écrit sur le tombeau d’Eve « Là où elle était, était l’Eden. »

Le couple édénique préfigure les couples célèbres de la littérature tels que

Tristan et Iseult, Roméo et Ju liette, Serge et Albine dans La Faute de l’Abbé Mouret.

Leurs histoires peuvent se rattacher à celle d’Adam et Eve parce qu’elles se finissent

tragiquement : ces couples sont cond amnés par la société, par la fa mille, par le dogme

religieux ou même par Dieu.

Par ailleurs, le m ythe d' Adam et Eve a nourri directem ent l’im aginaire de

certains auteurs. Récemm ent, Mark Twain dans ses Contes humoristiques a créé le

journal d’Adam, dans lequel on peut lire : « Décidément il vaut mieux vivre avec elle,

en dehors du Jardin que sans elle, à l’intérieur des portes (. . .) Bénie soit la catastrophe

qui m’a uni à elle ». Dans le journal d’Eve on peut lire : « J’ai perdu le Paradis, m ais

je l’ai trouvé [Adam]. C’est lui qui est le Paradis. Et je suis heureuse. Il m’aime autant

qu’il le peut. »

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II- LE PECHE ORIGINEL : UN THEME CONTROVERSE.

1) Une faute héréditaire.

Dans la tradition chrétienne initiée par saint Paul et saint Augustin, ce que l’on

appelle le « péché originel », la faute des premiers parents transmise héréditairement à

toute l’hum anité, est av ant tou t un péché d’o rgueil. Pour certains théologiens, cette

faute n’aurait m ême aucune dim ension sexuelle. L’essence du péché tiendrait dans la

prétention de l’homme à vouloir devenir Dieu par lui-même.

Sans cette nature orgueilleuse de l’hom me, jam ais peut-être il n’y aurait eu

péché. Saint Augustin l’exprime clairement : « Il ne faut pas croire que le tentateur eût

vaincu l’homme, s’il ne s’était d’abord élev é dans l’âm e de celu i-ci un orgueil qu’il

aurait dû réprimer. » (cf Libre réponse à un scandale -G. Martelet).

En accédant à la connaissance, l’ho mme prend conscience du bien et d u mal.

Dieu est préoccupé par ce pouvoir nouveau de l’homme associé à sa nature désirante.

Il déclare à la fin du mythe : « Voilà que l’homme est devenu comme l’un de nous,

pour connaître le Bien et le Mal ! Qu’il n’ étende pas m aintenant la main, ne cueille

aussi de l’arbre de la vie, n’en mange et ne vive pour toujours ! » (Genèse III, 22)

Dans la perspective ch rétienne, Ev e pe ut préfigurer Mari e, qui se doit de

racheter le personnage de la femm e aux yeux du Créateur. Zola, dans La faute de

l’Abbé Mouret, parle ainsi de la vierge Marie, celle qui fut « l’ennemie irréconciliable

de Satan, l’Eve nouvelle annoncée comme devant écraser la tête du serpent ». Mais

surtout, la théologie paulinienne présente Adam comme celui par qui le péché est entré

dans le monde, et Jésus Christ comme un « nouvel Adam », celui par qui le rachat peut

advenir. Le prem ier homme tran smet à tous l’hérédité du péché et fait de l’hum anité

une race pécheress e. Saint Paul m et en para llèle la so lidarité de tous dans Adam

pécheur et la solidarité de tous dans le Ch rist sauveur. En effet, il existe un paradoxe

dans la nature du péché lié à l’œuvre salvifique du Christ. Adam a introduit le péché et

la mort sur terre et, de c e fait, le salut am ené par le Christ. Sans la f aute, les hommes

n'auraient jam ais connu l' amour et le sacr ifice d' un Christ sauveur. Après étude des

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Pensées de Pascal, Gus tave Martelet affirme que « Tout homme est dit pécheur parce

que le Christ est, pour tout homme, reconnu sauveur. »

2) Un acte d’affranchissement nécessaire.

La majorité des philo sophes se tourne vers l’idée du péché comm e une étape

nécessaire dans l' évolution de l’hum anité. Selon Emm anuel Ka nt, l’expulsion du

paradis doit être in terprétée comme le passage de l’hégémonie de la nature à l’état de

liberté. Avec la connaissance, l' homme découvre un éventail de choix ; le libre-arbitre

est source de liberté pour l’homme.

Les représentations psychanalytiques du mythe nous montrent le péché comme

un acte perm ettant une renaissance. Pour Fréd éric Schille r, cité dan s les Femmes

Célèbres de la Bible, « L’expulsion est une phase de l’enf antement : le fœtus est

expulsé du sein de le mère, dans lequel il obtenait sans se donner de peine tout ce dont

il avait besoin pour vivre : respiration et nourriture. Ap rès l’expulsion commence la

vie, le travail, la peine et la sexualité. Sans Eve nous serions encore « enclos » dans

l’innocence et le rêve. »

Plus qu' une naissance, certains psychana lystes voient dan s le péché o riginel

une sortie de l’enfance. Au début de L’avenir d’une Illusion, Freud écrit : « L’homme

ne peut pas éternellem ent dem eurer un enfa nt, il lui faut s’aventurer dans l’univers

hostile. »

Bruno Bettelheim fait dans la Psychanalyse des rêves un rapprochem ent du

mythe biblique avec le conte de Blanche-Neige. Cette dernière succombe à la tentation

du « fruit défendu » (la pomm e), c ontre la mise en garde des nains (pouvant être

comparés à l’in terdit d ivin). De c e f ait, elle passe d’une péri ode de latence aux

troubles de l’adolescence. Bettelheim avance que « nous finissons tous par être

expulsés du paradis originel de l’enfance, où tous nos dési rs sont comblés sans aucun

effort de notre part. Lorsque nous apprenons le Bien et le Mal, il semble que notre

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personnalité soit coupée en deux : d’une part le chaos rouge de nos é motions

déchaînées (le ça) et d’autre part la pureté de notre conscient (le surmoi). »

A la suite des études psychanalytique s et philosophiques, de nombreux

écrivains ont vu dans le péché un acte d’ épanouissement de l’homme. Pour Zola,

l’expérience de la chair perm et à Serge de devenir « complet »(cf. 3 e extrait de

l’annexe). C’est une étape vers la perfection de l’homme.

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CONCLUSION

Condamné dans la Bible, parce qu’expulsé du paradis et châ tié, le couple de

l’Eden suscite, encore de nos jours, différe ntes prises de position. Dans la perspective

théologique de la faute orig inelle, il a brisé l’harm onie qui l’unissait à Dieu et s ’est

donc atrophié lui-même, rendant impossible sa ressemblance parfaite avec Dieu : après

Adam et Eve, l’innocence de l’homme n’est plus possible à retrouver sans intervention

divine. Mais de nom breux penseurs m odernes voient dans la faute initiale le point de

départ d’un accomplissement nécessaire et bénéfique pour l’humanité.

A notre avis, l’apport du savoir valait bi en le prix du châtim ent. L’acte des

parents de l’hum anité, pécheurs m ais bien faiteurs, nous offre le plus beau des

cadeaux : celui de la connaissanc e, qui perm et la liberté. Pour Frédé ric Schiller, la

faute originelle est « l’événement le plus heureux du monde. »

BIBLIOGRAPHIE Dictionnaire de Théologie Catholique

Dictionnaire culturel de la Bible

Dictionnaire des symboles

Les grandes notions du christianisme de F. Comte

Les femmes célèbres de la Bible de Haag-Kirchberger-Solle

De Dürer à Chagall : Adam et Eve dans la peinture

Libre réponse à un scandale de G. Martelet

Psychanalyse des contes de fées de B. Bettelheim

La faute de l’Abbé Mouret de Emile Zola (1875)

Les contes humoristiques de Mark Twain

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ANNEXE Extraits d u livre d’ Emile Z OLA, La Faute de l’Abbé Mouret (co ll. F olio,

Gallimard, 1991).

Le cinquième volume de la saga fam iliale des Rougon-Macquart fut écrit en

1875. Zola avoue avoir « calqué le dram e de la Bible ». Le héros de ce rom an, Serge

Mouret, est prêtre dans un village du Midi de la France. Il m ène une vie pieuse et

morne : cependant, à la suite d'une maladie, suivie d'une amnésie, son oncle le confie à

une jeune fille, Albine, habitant dans le Paradou (reproduction du jardin d'Eden). Là, il

découvre l' amour de la fe mme et la l uxuriance du m onde. Ces deux jeunes gens

passent leurs journées entières à se promener dans le Paradou.

Le texte proposé ci-dessous évoque l' arbre (cf l' Arbre de la connaissance) que

recherche Albine et qui doit leur procurer « un bonheur redoutable ».

Et elle ajouta d' un air grave qui feignait de plaisanter : « Tu sais b ien que je cherche mon arbre. » Alors il se mit à rire, offrant de chercher avec elle. Il se faisait très doux, pour ne pas l'effrayer davantage ; car il voyait qu'elle était encore frissonnante, bien qu'elle eût repris sa marche lente à son côté. C'était défendu, ce qu' ils allaient faire là, ça ne leur porterait pas chance ; et il se sentait ému, comme elle, d'une terreur délicieuse qui le secouait d' un tressaillement à chaque soupir lointain de la forêt. L'odeur des arbres, le jour verdâtre qui tom bait des hautes branches, le silence chuchotant des broussailles, les emplissaient d 'une angoisse comme s'ils all aient, au dét our du prem ier sentier, entrer dans un bonheur redoutable. (Livre Deuxième)

C'est le m oment de la découverte de l' arbre du Paradou. Zola m et ici l' accent sur le

pouvoir du jardin qui pousse Albine et Serge l'un vers l'autre.

« C'est là », dit Albine. Elle s' approcha la prem ière, la tête de nouveau to urnée, tirant à elle Serge ; puis, ils disparurent derrière le frisson des feuilles r emuées, et tout se cal ma. Ils entraient dans une paix délicieuse. C'était, au centre, un arbre noy é d'une ombre si épaisse, qu 'on ne pouvait en distinguer l' essence. Il av ait une taille géante, un t ronc qui respirait co mme une poitrine, des branche s qu'il éten dait au loin, pareilles à d es membres protecteurs. Il sem blait bon, robuste, puissant, fécond ; il était l e doy en du jardin, le père de la forêt, l'orgueil des herbes, l'ami du soleil qui se levait et se couchait chaque jour sur sa cime. De sa voûte verte, tombait toute la joie de la création : des odeurs de fleurs, des cha nts d'oiseaux, des gouttes de lum ière, des réveils frais d' aurore, des tiédeurs endormies de crépuscule. Sa sève avait une telle force, qu' elle coulait de son écorce ; elle le baignait d' une buée de fécondation ; elle faisait de lui la vir ilité même de la terre. Et il suffisait à

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l'enchantement de la cl airière. Le s autr es arbr es, aut our de lui, bâtissai ent le mur impénétrable qui l' isolait au fond d'un tabernacle de silence et de dem i-jour ; il n' y avait là qu' une verdure, san s un coin de ciel, sans une échappée d'horizon, qu' une rotonde, drapée partout de la soie attendrie d es feuilles, tendue à terr e du velours satiné des mousses. On y entrait comme dans le cristal d' une source, au m ilieu d' une limpidité verdâtre, nappe d' argent assoupie sous un reflet de r oseaux. Couleurs, parfums, sonorités, frissons, tout restait vague, transparent, innomm é, pâm é d 'un bonheur al lant jusqu'à l'évanouissement des cho ses. Une l angueur d' alcôve, une lueur de nuit d' été mourant sur l' épaule nue d 'une amoureuse, un balbutiem ent d 'amour à peine distinct, tombant brusque ment à un grand spasme muet, traînaient dans l'immobilité des branches, que pas un souffle n'agitait. Solitude nuptiale, toute peuplée d'êtres embrassés, chambre vide, où l'on sentait quelque part, derrière les rideaux tirés, dans un accouplement ardent, la nature assouvie aux bras du soleil. Par m oments, le s reins de l'arbre craquaient ; ses membres s e raidissaient comme ceux d'une femme en couches ; la sueur de vie qui coulait de son écorce pleuvait pl us largem ent su r les gazo ns d' alentour, exhalant la mollesse d' un désir, noyant l' air d 'abandon, pâli ssant la clai rière d' une jouissance. L'arbre alors défaillait avec son o mbre, ses tapi s d' herbe, sa ceinture d'épais taillis. Il n'était plus qu'une volupté. Albine et Serge restaient r avis. Dès que l'arbre le s eut pris sous la douceur de ses branches, ils se sentirent guéris de l'anxiété intolérable dont ils av aient souffert. Ils n' éprouvaient plus cette peur qui les f aisait se fuir , ces luttes chaudes, désespérées, dans lesquelles ils se meurtrissaient, sans s avoir contre quel enne mi ils ré sistaient si furieu sement. Au contraire, une confiance absolue, une sér énité sup rême les em plissaient ; il s s'abandonnaient l 'un à l'autre, glissant lentement au plaisir d' être ensemble, très loin, au fond d'une retraite miraculeusement cachée. Sans se douter encore de ce que le jardin exigeait d'eu x, ils le laissaient libre de disposer de leur te ndresse ; ils attendaient, sans trouble, que l'arbre leur parlât. L' arbre les mettait dans un aveuglement d'a mour tel, que la clairière disparaissait, i mmense, roy ale, n'ayant plus qu'un bercement d'odeur. Ils s'étaient arrêtés, avec un léger soupir, saisis par la fraîcheur musquée. « L'air a le goût d'un fruit », murmura Albine. (Livre Deuxième, XV)

Est évoqué ici l'accomplissement de l'homme à travers la découverte de la chair par les

deux amants. Mais déjà le danger menace.

Lorsque Albi ne et Serge s'éveillèrent de la stupeur de leur fél icité, ils se sourirent. Ils revenaient d'un pa ys de lumière. Ils r edescendaient de très haut. Alors, ils se serrèrent la main, pour se remercier. Ils se reconnurent et se dirent : « Je t'aime, Albine. — Serge, je t'aime. » Et jamais ce m ot : « Je t'aime » n'avait eu pour eux un sens si souverain. Il signifiait tout, il expliquait tout. Pendant un temps qu'ils ne purent mesurer, ils restèrent là, dans un repo s délicieux, s' étreignant encore. Ils éprouvèrent un e perfection absolue de leur être. La joie de la cr éation les baignait, les égal ait aux puissances mères du monde, faisait d'eux les forces mêmes de la terre. Et il y avait encore, dans leur bonheur , la certitude d'une loi accom plie, la sérénité du but logiquement trouvé, pas à pas. Serge disait, la reprenant dans ses bras forts : « Vois, je suis guéri ; tu m'as donné toute ta santé. » Albine répondait, en s'abandonnant :

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« Prends-moi toute, prends ma vie. » Une plénitude leur mettait la vie jus qu'aux lèvres. Serge venait, dans la possession d'Albine, de trouver enfin son sexe d 'homme, l 'énergie de ses muscles, le courage de so n cœur, la san té dernière qui avait jusq ue-là manqué à sa longue adolescence. Maintenant, il se sentait com plet. Il av ait des sens plus nets, une intelligence plus large. C'était comme si, tout d'un coup, il se fût réveillé lion, avec la royauté de la plaine, la vue du ciel libre. Quand il se leva, ses pieds se posèrent carrément sur le sol, son corps se développa, orgueilleux de ses membres. Il prit le s mains d'Al bine, qu'il m it debout à son tour. Elle chancelait un peu, et il dut la soutenir. « N'aie pas peur, dit-il. Tu es celle que j'aime. » Maintenant, elle était la servante. Ell e renversait la tête sur so n épaule, le regardant d'un air de reconnaissance inquièt e. Ne lui en voudrait-i l jamais de ce qu'elle l 'avait am ené l à ? Ne lui reprocherait-il pas un jour cette heure d'adoration dans laquelle il s'était dit son esclave ? (Livre Deuxième, XVI)

Albine, inquiétée de la découverte de sa pudeur, se couvre de feuilles de vigne,

élément tiré du thème biblique.

« Je sais bien que le jard in est notre ami … Alors, c' est que q uelqu'un est entré. Je t 'assure que j 'entends quelqu' un. Je trem ble trop. Ah ! je t' en prie, emmène-moi, cache-moi. » Ils se rem irent à m archer, surveillant les taillis, croy ant voir des visages apparaître derrière chaque tronc. Albine jurait qu'un pas, au loin, les cherchait. « Cachons-nous, cachons-nous », répétait-elle d'un ton suppliant. Et elle devenait toute rose. C' était une pudeur nai ssante, une honte qui la prenait comme un mal, qui tachait la candeur de sa peau, où jusque là pas un trouble du sang n' était monté. Serge eu t peur, à la v oir ainsi toute rose, les joues confuses, les yeux gros de larmes. Il voulait la reprendre, la calmer d'une caresse ; mais elle s 'écarta, elle lui fit signe, d'un geste déses péré, qu'ils n'étaient plus seuls. Elle regardait, rougissant davantage, sa robe dénouée qui montrait sa n udité, ses bra s, son cou, sa gorge. Sur ses épaules, l es mèches folles de ses cheveux mettaient un frisson. Elle essaya de rattacher son chignon ; puis, elle craignit de décou vrir sa nuq ue. Maintenant, l e frôlement d'une branche, le heurt léger d'une aile d'insecte, la moindre haleine du vent, la faisaient tressaillir, co mme sous l' attouchement déshonnête d' une main invisible. « Tranquillise-toi, im plorait Serge. Il n'y a personne … Te voilà rouge de fièvre. Reposons-nous un instant, je t'en supplie. » Elle n'avait point la fièvre, elle voula it rentrer tout de suite, pour q ue personne ne pût rire, en la regardan t. Et, hâtant l e pas d e plus en plus, elle cueillait, le long des hai es, des verdures dont elle cachait sa nudité. Elle noua sur ses cheveux un ra meau de mûrier ; elle s'enroula aux bras des liserons qu' elle attacha à ses poignets ; elle se mit au cou un collier, fait de brins de viornes, si longs qu'ils couvraient sa poitrine d'un voile de feuilles. « Tu vas au bal ? » demanda Serge, qui cherchait à la faire rire. Mais elle lui jeta les feuill ages qu'elle continuait à cueillir. Elle lui dit à voix basse, d'un air d'alarme : "Ne vois-tu pas que nous sommes nus ? » Et il eut honte à son tour, il ceignit les feuillages sur ses vêtement défaits. (Livre Deuxième, XVI)

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Pour Zola, si l' histoire d' Albine et de Serge se term ine tragiquem ent, ce n' est pas à

cause de leur faute mais à cause de la rigidité du dogme religieux. Zola se situe du côté

des « athées religieux » (il ne croit plus en Dieu mais admire la Bible) et déclare avoir

en horreur « l'amour aboutissant à la m ort (. . .) la religion du renoncement poussée

jusqu'à ce point louche où la virginité devient le crime humain, l'assassinat même de la

vie (. . .). Je suis pour l'amour qui enfante, pour la mère et non pour la vierge : car je ne

crois qu'à la santé, qu'à la vie, qu'à la joie. »

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LE DELUGE

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PROTOCOLE DE RECHERCHE

Pour la prem ière version de notre dossier, nous n' avions pas saisi

l'enjeu du travail dem andé. En effet, nous étions restés trop près du texte

biblique en l' analysant sans le mettre en relation avec la litté rature, la

peinture…etc. Nous avions donc plutôt fait un travail d' exposé sous form e

de dossier.

La correction du dossier était donc plus pour nous une recréation

totale ; nous devions repartir sur de nouvelles bases et tout reprendre à zéro.

Etant donné que les documents que nous possédions n'étaient pas en nombre

suffisant, nous avons dû retourner dans les bibliothèques (la bibliothèque

municipale de La Part Dieu et la BU de Bron). Petit à petit, nous avons

trouvé des auteurs, peintres , écrivains ayant traité le sujet du Déluge. Ainsi,

nous avons réussi à rassem bler un nom bre de textes qui nous sem blait

convenable afin de voir les différentes orientations de réinterprétations de ce

thème biblique dans la culture occidentale.

Une fois tous les docum ents réunis, nous nous sommes lancés dans

l'élaboration difficile de notre plan. C'est un des points qui nous a pris le

plus de tem ps (autant, si ce n' est plus que le te mps passé à la rech erche de

documents). Au bout de longues délib érations, nous somm es parvenus à

concevoir un plan qui nous semblait pertinent.

Etant donné que le temps nous était compté, nous n'avons pu, comme

nous le souhaitions auparavant, rédi ger l' ensemble du dossier en commun.

Les tâches ont donc été réparties de la façon suivante : Sébastien était

chargé de l' introduction, de la con clusion, de l' approche scientifique du

Déluge et de la partie concernant l' utilité du Déluge et le besoin d' un retour

au Déluge ; quant à moi, je devais écrire la page de présentation du

protocole de recherche, la partie sur la contradiction vision biblique/ vision

artistique, et celle sur la légèreté nouvelle dans l'évocation du Déluge.

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Nous avons alors réfléchi aux di fférents points et aux différents

textes que chacun devait aborder, l' un et l'autre étant libres de rédiger selon

son propre style.

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PLAN I- Approche scientifique du Déluge

1) des récits similaires dans d’autres civilisations : exemple de l’épopée

de Gilgamesh

2) des traces archéologiques de phénomènes analogues

3) des phénomènes naturels qui causent une brusque m ontée du niveau

de la mer

II- Changements de point de vue entre la v ision bibliq ue et la vis ion

artistique

1) une vision centrée sur les « mauvais »

2) justice ou injustice ?

III- Légèreté nouvelle dans l’évocation du Déluge

1) retour à un point de vue plus proche de celui de la Bible

2) des notes d’humour et de fantaisie

IV- Les enjeux du Déluge

INTRODUCTION

La Bible est sans con teste le re cueil de tex tes anciens le plus

célèbre ; m ais peu de personnes l’ont lue entièrem ent. Elle est surtout

connue par ses passages les plus fam eux ou populaires, dont le Déluge est

l’un des principaux.

L’écho du texte biblique qui évoque ce mythe universel est immense

dans la cu lture occ identale, m ais les im ages qu’ il su scite dif fèrent

radicalement selon le point de vue a dopté : pas un éditeur de livres pour

enfants qui n’ait choisi l’arche de No é pour faire découvrir les anim aux aux

tout-petits, et pourtant cette im age rassurante d’une arche qui peut aussi

servir d’emblèm e à des com pagnies d’assuran ce contras te fortem ent avec

les évocations de la vi olence et de l’injustice du châtiment que donnent à

voir cer tains écriva ins ou peintres du rom antisme. Mythe multif orme, le

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Déluge cristallise des interrogations profondes et diverses de la nature

humaine. C’est pourquoi nous l’aborde rons ici à travers des approches

croisées : dans un prem ier temps, une réflexion scientifique sur l’ existence

éventuelle d’un déluge historiquem ent repérable nous permettra de resituer

les approches culturelles qui suivent dans l’optique qui doit sans doute être

la nôtre aujourd’hui, celle de descenda nts de survivants du Déluge. Nous

envisagerons alors les contrastes entre la vision biblique et les

représentations artistiques de l’événement.

I- APPROCHE SCIENTIFIQUE DU DELUGE.

Le récit biblique du Déluge est-il simplem ent l’écho d’un mythe, ou

bien y a -t-il rée llement eu un déluge, phénom ène clim atique

scientifiquement repérable : en d ’autres termes, s’agit-il du Déluge ou d’un

déluge ?

1) des récits similaires dans d’autres civilisations : exemple de

l’Epopée de Gilgamesh.

La présence de récits sim ilaires de déluge dans la plupart des autres

civilisations constitu e un argum ent fo rt en faveur de l’hypothèse d’un

phénomène réel. Citons en particulier L’Epopée de Gilgamesh, texte

mésopotamien dont s’inspire le texte biblique (cf. infra). Un événem ent

unique ou plusieurs événem ents identi ques se raient à l’o rigine d ’un r écit

transmis d’abord oralem ent, puis enjo livé et fixé diffé remment selon les

cultures des différents peuples.

Epopée de Gilgamesh :

« Œuvre mésopotamienne dont le héro s épon yme aurait été, au III e millénaire avant notre ère, un souverain de l'antique cité d'Ourouk (aujourd'hui Warka, dans le sud de l' Irak). Selon la légende, les dieux, avertis par les lamentations des habitants d'Ourouk, que tyrannisait leur roi Gilgamesh, auraient envoyé Enkidou, un être bestial et primitif, pour le défier à la lutte. Après s'être affrontés, les deux protagonistes deviennent des amis inséparables et, av ides de renom et de gloir e, vont ensemble d'exploit en exploit : ils combattent, contre la vol onté des dieux , Humbaba, un redoutable géant ; ils terr assent l e taur eau cél este que la déesse Ishtar, furieuse d'avoir été repoussée par Gilgamesh, avait envoyé contre eux. Ils

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sont ivres de gloire et de succès lorsque les dieux, irrités, condamnent Enkidou à mourir. Saisi de désespoir et d'effroi, Gilgamesh, qui a su triompher de tout avec son am i Enkidou, ne peut affronter la perspective de mourir à son tour et demande au survivant du Déluge, le seul être humain que les dieux o nt dispensé de la mort, le secr et de la vie éternell e. Après maintes hésitations, celui-ci lui révèle l'exist ence d'une plante mari ne qui confè re la jeunesse éternelle : Gilgamesh s'en em pare au prix d' efforts inouïs, lorsqu' un serpent la lui dérobe. De retour, Gilgamesh se résigne à sa condition de m ortel. L' Épopée de Gilgamesh est issue de plusieurs légendes qui ont é té rass emblées en un réci t unique rédig é en langue akkadienne à l'époque paléobabylonienne (XVIII e-XVIIe siècle av. J. -C.). Seuls quelques fragments — plus de six cents vers d'une surprenante spontanéité — nous sont parvenus ; de sty le diffus et laborieux, u ne version plus tardive, couvrant do uze tablettes, a été retrouvée parm i la bibliothèque d'Assurbanipal à Ninive. »

Le ray onnement de l'œuvre dépassa largement l a Mésopotamie co mme en témoignent les ver sions hittite et hourrite retrouvées en Cap padoce et l es fragments trouvés à Jéricho ou à Ougarit.

("Gilgamesh, Épopée de", Encyclopédie Microsoft® Encarta® 99. © 1993-1998 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.) Cette épopée est relatée dans douze chapitres, dont la majorité furent découverts au XIXe siècle à Ninive dans les ruines du temple de Nabou, et dans la bibliothèque du palais d' Assourbanipal. Gilgamesh fut u n jeune roi d'Ourouk (1 e dy nastie sumérienne) ; par son ascendance, Gilgamesh est un demi-dieu. La narration débute par les exploits et la destinée du héros. C' était un être d 'une grande sagesse et d 'une non m oins grande connaissance qui provenait d' avant le Déluge. Rentré dans son pay s après sa quê te de l'immortalité, Gilgamesh grava sur une tablette de pierre le récit de son voyage, et acheva de co nstruire sa v ille, Ourouk. La IX e tablet te du récit présente Gilgamesh ter rifié par la mort et errant dan s l a nature. Il décide d' aller trouver un personnage censé avoir survécu au Déluge avec son épouse, Out-napishtim , afin de connaîtr e le secret de la v ie éternelle, « un secret des di eux ». Il nous est i mpossible de ne p as penser à Noé devant cet épisode. Out-napishtim déclare à Gilgamesh : "Personne ne voit la Mort, personne ne voit le visage de la Mort. La mort sauvage fauche simplement l'humanité. Parfois nous bâtissons une maison, parfois nous faisons un nid, mais ensuite, des frères la divisent dans l'héritage. Parfois l'hostilité est dans le pay s, mais ensuite le fleuve monte, l'inondant de ses eaux. Les libellules volettent sur le fle uve, leur tête tournée vers la face du soleil. Mais ensuite il n'y a soudain plus rien. L es dormeurs et les morts sont semblables, l'image de la mort ne peut être dessinée". Puis il lui raconte le Déluge : les dieux ont décidé d'inonder l'humanité, représentée dans l’histoire par les habi tants de la vil le de Surup pak, sur le b ord de l ’Euphrate. Parmi les di eux, Ea avertit Out-napishtim de l 'imminence du danger et lui dit : "Homme de Shourouppak, fils d' Oubara-toutou, dé molis ta maison, construi s un bateau. Laisse les possessi ons, recherche les choses vivantes. Abandonne les bi ens et sauve les vies ! Prends à bord les semences de toutes les choses vivantes, dans le bateau. " Out-napishtim ra conte e nsuite à Gil gamesh comment les choses se sont alor s déroulées : « Je mis à bord toute ma famille et ma parenté, je mis à bord du bétail de la plaine, des bêtes s auvages de la plaine, toutes sortes d'artisa ns. . . Durant six jours et sep t

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nuits, le vent souffla, tempête et inon dation submergèrent le pa ys ; quand vin t le septième jour, la tem pête, l' inondation et la tuerie, qui avaient lutté co mme une femme en tr avail, s 'évanouirent. La mer se cal ma, le vent i mhoullou s 'apaisa, l'inondation s 'arrêta. Je regardais le tem ps dehors ; le silence régnait. Car toute l'humanité était redevenue argile. La plaine d' inondation était plate co mme un toit. J'ouvris un hublot et la lumière to mba sur mes joues. Je me courbais, puis m'assis. Je pleurais. » Ensuite, Out-napishtim lai sse sortir un e colo mbe, puis une hirondelle, et toutes deux reviennent. Il envoie alors un corbeau qui, lui, ne revient pas. C' est signe que les eaux se sont enfin retirées. Alors Out-napishtim fait un sacrifice.

2) des traces archéologiques de phénomènes analogues.

Un déluge de l' ampleur de celui d écrit dans la Bible produit, lors du

retrait des eaux, des couches horizontal es et superposées de m atériaux

divers, sélectionnés par les eaux en fonction de leur gravité et leur sphéricité

On peut observer ce phénom ène au Grand Canyon en Arizona. On y voit

plusieurs dépôts horizontaux de dif férents sédim ents, reposant les uns sur

les autres, de la base au somm et du canyon. A l’intérieur de ces sédim ents

sont présents des m illiards de plante s et d' animaux fossiles. Cette pr ésence

témoigne d'une catastrophe : lorsque les poissons m eurent, ils ne se

fossilisent p as, ils sont dévorés ou dé truits. Il en est de m ême pour les

carcasses des mammifères sur terre.

3) des phénomènes naturels qui causent une brusque montée

du niveau de la mer.

a) régres sions glaciaires et tra nsgressions intergla ciaires (théo rie

eustatique).

Lorsqu'un glacier est en période de glaciation, il entraîne une

diminution provisoire du niveau m arin appelée régression. Lorsqu’il

commence à fondre, le niveau m arin remonte grâce à l' eau passée de l' état

solide à l' état liquide, entraînant la transgression, avancée lente et relative

de la mer due à une remontée du niveau marin, (ou encore à l'érosion rapide

du rivage ou à un affaissem ent tectonique). Lors de la d ernière fonte post-

glaciaire, ce phénomène a eu lieu à une vi tesse considérable et a pu justifier

de nombreux mythes diluviens sur la planète.

N. B. Intervient souvent un facteur de re tard explic ité pa r le s chéma ci-

dessous.

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b) un exemple de phénomène ponctuel : le tsunami.

« Le tsunami est une notion moderne d’origine nippone, pour désigner les

grandes vagues séism iques issues de tremblements de terre ou d’éruptions

volcaniques ; ce term e est devenu d’usag e international et le phénomène

qu’il désigne est étudié avec soin, dans le Pacifique notamment, où il se fit

tragiquement connaître en diverses circonstances. Ronald Fenton écrit :

«Le phénom ène que nous appelons tsunam i est constitué par une

série d’énorm es vagues de très longue périodicité. Au-dessus des grands

fonds océaniques, leur étendue, de crêt e à crête, peut atteind re une centaine

de milles marins ou plus, sans que leur amplitude verticale dépasse quelques

mètres. » Ils sont donc difficiles à repére r par avion ou par sa tellite, mais ils

transportent des énergies cinétiq ues consid érables avec des vitesses

énormes.

« Lorsque le tsunam i arrive sur le s hauts fonds côtiers, la vitesse de

ses vagues dim inue, m ais leur hauteur augm ente. C’est alors qu’ils

deviennent, par ces hauteurs pouva nt dépasser trente m ètres, très

dévastateurs » (Le Courrier, Mai 1976). On pense qu’à Santorin le tsunam i,

se déplaçant à 500 km /h, provoqua des va gues finales d e cent m ètres de

haut » (Histoire mondiale du Déluge).

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Ainsi des phénom ènes d’inonda tions sp ectaculaires, causés

essentiellement par la m ontée des océans — m ais d’autres sch émas

explicatifs sont possibles pour les pluies diluviennes —, ont eu lieu dans de

très nombreux endroits du m onde en de s temps reculés, faisant du Déluge

un mythe universellement répandu. Un phénomène généralisé dû à la fonte

des glaces polaires a égalem ent pu se produire. La science ne nous perm et

donc pas de conclure à l’existence du Dé luge biblique, mais elle montre que

les angoisses exprimées par ce m ythe sont très vraisemblablement nées de

catastrophes réelles.

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II- CHANGEMENTS DE POINT DE VUE ENTRE LA VISION

BIBLIQUE ET LA VISION ARTISTIQUE.

La plupart des textes ou peintures que nous avons pu trouver donnent

une vision plutôt négati ve et pessim iste du mythe du Déluge : l' accent est

mis sur le déroulem ent de cet évén ement, avec tout ce qu' il peut avoir de

cruel et d'horrible, au détriment de l' aboutissement relativement constructif,

porteur de renouveau, sur lequel insiste le texte biblique . Il y a donc une

sorte de contradiction en tre la vision biblique du m ythe — insistance sur

l'Alliance entre Dieu et les Hommes — et la vision artistique de ce mythe —

insistance sur la Mort.

1) une vision centrée sur les « mauvais ».

Dans la Bible, la m ort des « mauvais », leurs attitudes face à la m ort

ne sont pas évoquées puisque le point de vue adopté est celui de Noé dans

son arche. Or ce son t précisément ces questions passées sous silence par les

rédacteurs bibliques que les œuvres que nous étudierons tentent d' éclairer,

chaque auteur apportant son interprétation personnelle.

La plupart des artistes se son t intéressés au déroulem ent de

l'événement du point de vue des condam nés. La Bible ne donne aucune

indication concernant les bruits pend ant le Déluge, certa ins écr ivains les

décrivent. Victor Hugo par exem ple, dans La première page, transc rit les

cris des hommes qui se savent co ndamnés. Ce poèm e magnifique, très

lyrique, illu stre b ien le carac tère parfaitement horrib le d e l' événement.

Alfred de Vigny dans Le Déluge, ou Gustave Doré dans Scène du Déluge,

peignent par des mots ou des im ages l' agonie des condam nés,

« l'épouvante », « l'effroi » (pour reprendre les term es du poèm e de Vigny)

qui règnent à ce m oment-là. Cet évén ement (qu'il soit vu par les artistes ou

par les lecteurs) sem ble provoquer le dégoût et l' abomination, m ais aussi

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être source d’un certain m agnétisme, d’ une attr action ir résistible. La m ort

fascine, et les auteurs se complaisent à décrire la souffrance.

Dans toutes les œuvres, il existe un certain clim at de violence,

violence des élém ents ou violence de s sentiments. Violen ce des éléments

chez Gustave Doré et John Martin : c'est une véritable tempête qui règne sur

Terre ; les eaux sont déchaînées. Les personnes sont comme projetées contre

les rar es îlo ts qu i subs istent enco re. Tout n' est que tum ulte et tourm ent.

Chez Vigny aussi, l' océan « bouillonn[e] ». Les m auvais qui ne sont pas

encore noyés doivent « lutte[r] cont re » les vagues. C' est une véritable

épreuve qui les attend, m ais une épreuve dont ils peuvent déjà être sûrs de

ne pas réchapper.

Quand les é léments sont re lativement calmes, comme chez Nicolas

Poussin ou à la fin du poèm e de Vigny, la mort n'en est que plus horrible ;

c'est alors la violence des sentim ents, des sentiments de colère, de révolte.

Les deux justes dans Le Déluge ont le tem ps de se voir m ourir, de se sentir

disparaître petit à petit sous l' eau. C'est un peu comm e si le tem ps avançait

au ralenti pour les m auvais pendant le Déluge. Lorsque la montée des eaux

paraît lente, on a l' impression d'avoir accès à la vision que les condam nés

ont du temps, et de vivre ce qu' ils doi vent ressentir face à la m ort (on

comprend alors mieux la signification du mot « perdu », le titre du poème de

Norge). C' est le jugement des auteur s qu i se mble resso rtir ic i, un peu

comme s' ils dénonçaient le côté sadique, ou en tout cas cruel, d' une telle

mort.

On retrouve chez Poussin et Vigny cette cruauté ironique à travers

l'évocation de l' Arche ou de la co lombe. Les deux auteurs adoptent une

position assez cynique. Si on observ e bien l'arrière-plan du tableau L'Hiver,

on peut remarquer la présence de l' Arche, une présence presque déplacée,

irritante, provocatrice, alors que l' on voit au premier plan des personnes qui

tentent désespérém ent de s' en so rtir. Chez Vigny, cette tendance se

confirme : la colom be qui passe devant les deux justes sans s' arrêter leur

apporte un faux espoir. Tout est donc pervers et gratuitement cruel.

Cette vision noire du Déluge ne se révèle pas s eulement à travers la

description de l' événement, m ais aussi à travers son analyse : nous allons

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voir l' opinion toujours tr ès négative des auteurs sur le caractère ju ste ou

injuste d'une telle punition.

2) justice ou injustice ?

Dans le tex te biblique, la justi ce de la décision divine n’est pas

contestée. Dieu constate la m échanceté des hommes et pren d une décis ion

sans appe l. Les é crivains e t les artiste s r emettent eux en question la

légitimité d’un tel châtiment.

Chez Poussin, comme chez Doré, on peut apercevo ir d e jeunes

enfants ou des bébés (hum ains ou anim aux) parmi les m auvais promis à la

mort. On peut y voir le regard rétrosp ectif d'un auteur qui connaît la théorie

chrétienne de la faute originelle selon laquelle l’Homme est mauvais dès sa

naissance. Mais la pré sence d' enfants au m ilieu de ce désastre m ontre

surtout à quel point le Déluge est une punition cr uelle et injuste pour ces

artistes.

L’argument du caractère aveugle de la punition est également avancé

par Vigny pour dénoncer l' injustice. Les deux jeunes fiancés, Emm anuel et

Sara, sont des êtres profondément bons et purs ; leur seul péché pourrait être

leur am our ; leur foi est sans lim ite. Mais rien de tout cela ne pourra les

sauver : ils mourront en m ême temps que le reste de la création. Comm ent

les hommes pourraient-ils dès lors ne pa s se rév olter contre l’arbitraire du

Déluge ?

Ils auraient peut-être m érité une dernière chance. Les deux jeunes

gens auraient m érité que le père d' Emmanuel, un ange, vienne les secourir

avant la m ort. Mais aucune exception, aucun signe divin n'est parvenu aux

hommes : chez Poussin, un personnage tente désespérém ent et vainem ent

une dernière prière ; chez Norge, l' Arche ne vien t pas et m ême la colombe,

dernier signe d' espoir, est m orte ; chez Supervielle, m ême le nageur qui

résiste pourtant longtemps au tumulte des eaux est promis à la mort, malgré

ses dernières tentatives pour amadouer Noé et m algré la bonne volonté de

celui-ci pour l' aider. Seuls Noé et s a f amille se ront déf initivement sauvés,

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même s'ils n'étaient probablement pas le s seuls justes ou les justes les p lus

purs.

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Nicolas Poussin, L’Hiver ou le Déluge, Paris, musée du Louvre,

entre 1660 et 1664.

III- LEGERETE NOUVELLE DANS L’EVOCATION DU DELUGE.

Au XX e siècle cependant se développe nt aussi des approches plus

optimistes, parfois même humoristiques, du Déluge, en partie par réaction à

la gravité des visions antérieures. C' est ce que nous verrons à travers

différentes peintu res d e Chagall tirées de Message biblique, ainsi qu' à

travers la nouvelle de Supervielle, L'Arche de Noé.

1) retour à un point de vue plus proche de celui de la Bible.

L'aspect tragique, m orbide des œuvres citées précédemment

disparaît. L es auteu rs o u les pe intres se cen trent davantag e sur Noé e t sa

famille. Ils insistent donc plus su r le côté pos itif, sur le f ait qu'il y a eu d es

personnes sauvées. C'est le cas chez Supervielle, où on découvre la vie dans

l'Arche et les difficultés qu'elle peut présenter.

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Noé et l’Arc-en-ciel, huile sur toile, 205x292,5,

Musée Biblique Marc Chagall, Nice, non daté (Genèse IX, 12).

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Chagall cherche plus à représenter l’épisode biblique qu’à interpréter

de façon personnelle les silences de la Bible (ce qui n’enlève bien sûr rien à

la force de ses table aux). Il choisit lu i-aussi le point de vue de l' intérieur de

l'Arche puis de la sortie de l' Arche. A aucun m oment, il ne peint les m orts

ou les m auvais. Les couleurs ne son t certes pas très gaies, n i très ch audes,

mais le thèm e abordé n' est ni triste, ni violent. C’est une une vision

nettement plus positive que dans les autres peintures évoquées. Chagall se

focalise sur l'aboutissement du Déluge, donc sur l'Alliance, l'Arc-en-ciel.

L’Arche de Noé, huile sur toile, 236x234,

Musée Biblique Marc Chagall, Nice, non daté (Genèse VIII, 8).

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2) des notes d'humour et de fantaisie.

Les couleurs utilisées p ar Chagall sont moins austères que dans les

autres tableaux. Le réalisme cède le pas au symbolisme, tout comme dans la

Bible. La dom inante tantôt bleue tant ôt verte confère aux deux œuvres une

atmosphère particulière, presque su rréaliste ; c' est en tous cas une

interprétation assez f antaisiste e t très originale du m ythe biblique par

rapport aux autres peintres.

Supervielle nous donne aussi une vers ion insolite et très personnelle

du récit du Déluge. L'arche de Noé est une nouvelle pleine de fraîcheur,

assez déconcertante dans la façon d e traiter la Bible, car très singulière en

comparaison avec les autres textes que nous avons pu lire à ce sujet. Dès le

début de la nouvelle, le ton est donné : l'origine du Déluge est en fait une

maladie, une « sorte de délire aquatique », où l' eau remplace petit à pe tit le

sang à l' intérieur de l' homme. Le Déluge est qualifié de « grande

mouillure ». On ne peut s'empêcher de sourire à la description de la vie dans

l'Arche : « ça senta it a ssez f ort là- haut le po il m ouillé ». Cette r éflexion

paraît complètement décalée, quand on pe nse que c'est la vie de l'Humanité

qui se joue lors de cet événem ent. Les paroles de la baleine qui s' adresse à

ses petits sont assez com iques également : « ne vous retournez pas, ce sont

des anarchistes », dit-elle en désignant les mauvais qui voulaient faire couler

l'embarcation de Noé. Supervielle fait des jeux de mots, de l'humour à partir

d'un événement grave.

Les personnages sont presque ridicu les, à l' image de Japhet qui ne

s'intéresse q u'à une chose : « mettre les an imaux par r ang de ta ille sur le

pont, ce qui vexe inutilem ent tout le m onde, ou presque », à l' image aussi

des anges qui arrivent avec « leurs paniers à provisions », à l' image encore

de Noé qui prend sa « voix sans larm es, de chef », ou de sa femme qui se

plaint que « quand [ils] veu[lent] se retourner sur le pont, il faut demander la

permission à vingt anim aux différents ». Toutes les situations sont donc

pour Supervielle sujets de plaisanterie et de dérision.

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IV- LES ENJEUX DU DELUGE

« Le Déluge n'a pas réussi ; il est resté un homme. »

Henri Becque

Restent à envisager les enjeux du Dél uge tels qu’ils se m anifestent à

travers les œuvres. Envisagé jusqu’ici comme mise en scène de grandioses

phénomènes naturels, lieu d’un affrontement entre justice divine et humaine,

le Déluge est aussi un mom ent de l’ histoire qui a de s c onséquences s ur

l’évolution du monde après lui.

Dans la Bib le, le Déluge devait se rvir à érad iquer le mal sur la ter re

et pe rmettre la rena issance d’une hum anité juste. Dieu cependant se rend

compte qu’aucune purification parfaite n’est possible sans anéantissem ent

total de l’espèce humaine et décide de renoncer à ce châtiment.

Toute légitimité n’est pas déniée à la décision divine : même Vigny

souligne qu’une partie des ho mmes étaient dev enus m auvais,

« méchant[s] ». Pour ceux-là, il n' était que justice d' être punis pour leurs

péchés. Simplement, il existait encore une partie des Hommes, selon Vigny,

qui, à l' image d'Emmanuel et de Sara, vi vaient dans la foi et ne méritaient

pas cette mort.

Mais le Déluge pour être efficace pouvait-il être sélectif ?

De nom breux auteurs répondent pa r la négative à cette question.

Victor Hugo dans La première page (extrait de La fin de Satan) re nd s a

cohérence au projet divin en faisant in tervenir le Chaos. C’est parce que ce

dernier ne voulait pas s’encom brer des hommes dans son royaum e que les

hommes continuent à exister sur la Terre. Dieu con tribue en fait au

sauvetage du Mal. Le Mal est condam né à sa ns cesse réapparaître, car ses

« germes » ont été sauvés : ce sont l’ai rain, le bois et la pierre, les trois

outils que Caïn utilisa pour « terrass[er] son frère Abel ». Des objets souillés

du sang d’Abel, souillés du sang du juste sont porteurs de péché, de crime et

du Mal. C’est pourquoi Hugo conclut :

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« Si Dieu veut sous les eaux engloutir les affronts, Les haines, les forfaits, le

meurtre, la démence, / Les fureurs, il faudra toujours qu’il recommence. »

Rimbaud, dans son poèm e Après le Déluge, appelle de nouveaux

déluges pour que disparaisse un m onde décevant. Le monde d’après-déluge

est en effet placé sous le signe de l’ « ennui », de la « tristesse ». Les termes

qu’emploie le poète pour le caractériser son t volont airement dépréciatifs,

comme par exemple « sale », « sang », « chacals », ou « sorcières » qui ont

une connotation nettem ent péjorative. Ri en n’est vraim ent intéressant ; les

seules choses qui retiennent l’atte ntion du poète sont « un lièvre », des

« abattoirs » et des « mazagrans »…, au trement dit rien qui ju stifie la

souffrance du Déluge. Mêm e le signe de l’Alliance (« l’Arc-en-Ciel »), qui

reste pourtant un phénomène magnifique à regarder, a perdu toute splendeur

car il est vu « à travers la toile d’araignée ».

Selon Rimbaud, ce déluge-là n’a pas été suffisamment efficace et n’a

pas provoqué de changements assez radicaux : il devra donc s’accom pagner

de beaucoup d’autres pour parvenir à améliorer ce monde.

Une réflexion m orale désabusée sur la violence et la cor ruption qui

règnent encore à notre époque pourrait nous conduire à la même conclusion.

Si le Déluge a été décidé parce que « la méchanceté de l'homme était grande

sur la terre et [que] son coeur ne formait que de mauvais desseins à longueur

de journée »(Genèse, Le Déluge), il aurait aujourd’hui encore tout son sens.

Le texte biblique, revêtu d’un halo m ythique, ne sem ble plus avoir grand

impact sur le com portement des ho mmes m odernes qui reproduisent les

erreurs du passé.

Si l’on prend au sens littéral le texte biblique, le Déluge a eu lieu une

seule et unique fois, car Dieu s’est engagé à ne pas le renouveler : « Je ne

maudirai plus la terre à cause de l' homme, parce que les desseins du coeur

de l'homme sont mauvais dès son enfance ; plus jamais je ne frapperai tous

les vivants comme j 'ai fait. Tant que durera la terre, sem ailles et m oisson,

froidure et chaleu r, été et h iver, jour et nuit ne cesseront plus. »( Genèse

VIII) Mais la perm anence du m ythe serait là po ur nous rap peler que D ieu

exerce sa vigilance et que la menace d’un châtiment existe toujours …

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APRÈS LE DÉLUGE.

Aussitôt que l’idée du Déluge se fut rassise, Un lièvre s’arrêta dans les sainfoins et les clochettes mouvantes et dit sa prière à

l’arc-en-ciel à travers la toile de l’araignée. Oh les pierres précieuses qui se cachaient, — les fleurs qui regardaient déjà. Dans l a grande rue s ale l es étals se dressèrent~ et l ’on tira les barques vers l a

mer étagée là-haut comme sur les gravures. Le sang coula, chez Barbe-Bleue, — aux abattoirs, —dans les cirques, où le

sceau de Dieu blêmit les fenêtres. Le sang et le lait coulèrent. Les castors bâtirent. Les « mazagrans » fumèrent dans les estaminets. Dans la gra nde m aison de vitres encore ruisselante les enfants en deuil

regardèrent les merveilleuses images. Une porte claqua, et sur la place du hameau, l’enfant

tourna ses bras, co mpris d es girouettes et des coqs des clo chers de partout, sous l’éclatante giboulée.

Madame*** établit un piano dans les Al pes. La messe et les première s communions se célébrèrent aux cent mille autels de la cathédrale. -

Les caravanes partirent. Et le Splendide Hôtel fut bâti dans le chaos de glaces et de nuit du pôle.

Depuis lors, la Lune entendit les chacal s piaulant par les désert s de thy m, — et les églogues en sabots grognant dans le ve rger. Puis, dans la futaie violette, bourgeonnante, Eucharis me dit que c’était le printemps.

— Sourds, étang, — écu me, roule sur l e pont, et par-dessus les b ois ; — draps noirs et orgues, — éclair s et tonnerre — montez et roulez ; — Eaux et tristesses , montez et relevez les Déluges.

Car depuis qu’ ils se sont dissipés, — oh les pierres précieuses s’enfouissant, et les fleurs ouvertes — c’est un enn ui ! et la Reine, la Sorcière qui allume sa braise dans le pot - de terre, ne v oudra jamais nous raconter ce qu ’elle sait, et q ue nous ignorons.

Arthur RIMBAUD, Illuminations.

CONCLUSION

A partir d’un ou de plusieurs évén ements réels, les hommes ont créé

le mythe du Déluge, m ythe qui a eu une i mmense répercussion sur presque

toutes les civilis ations du m onde. Les obs ervations scientifiques et le texte

biblique sont dans un rapport paradoxa l : il sem blerait qu’un déluge puisse

se reproduire, m algré l’affirm ation divine, et bon nom bre d’auteurs

explorent cette hypothèse d’un nouveau cataclysm e ré générateur. Mais la

plupart des œuvres qui ré investissent le m ythe le cons idèrent comm e une

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histoire emblématique qui perm et à l’ homme de réfléchir sur la jus tice ou

l’injustice immanentes et sur la pérennité du mal sur la terre.

BIBLIOGRAPHIE

* Références bibliques :

Traduction Oecuménique de la Bible, éd ition r évisée, chez Cerf / Société

biblique française, 1998.

* Références scientifiques :

DERIBERE M. et P., L’histoire Mondiale du Déluge, les énigm es de

l’univers, Laffont.

Encyclopédie Encarta 99, Microsoft.

Encyclopaedia Universalis.

* Références littéraires :

HUGO V., La Première page, tiré de Poésie IV- La Fin de Satan, Laffont.

NORGE G., Perdu, tiré de Poèmes incertains, extrait du livre Poésies 1923

- 1988, Poésie Gallimard, écrit en 1923, publié en 1990.

RIMBAUD A., Apres le Déluge, tiré de Illuminations, Arléa.

SUPERVIELLE J., L’arche de Noé, Imaginaire Gallimard, 1998.

VIGNY A. de, Le Déluge, écrit en 1823, publié en 1826.

* Références picturales :

CHAGALL M., Noé et l’arc-en-ciel, tiré de Message Biblique, XXe siècle.

DORE G., Scéne du Déluge, 1866.

MARTIN J., Le Déluge, Victoria et Albert Museum, 1828.

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POUSSIN N., L’Hiver (ou Le Déluge), Paris, Musée du Mouvre, entre 1660

et 1664.

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LA TOUR DE BABEL

Bruegel l’Ancien, La Tour de Babel, 1563, Vienne.

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PROTOCOLE DE RECHERCHE

Nous a vons réfléchi chac une de notre côté au dossier en c onsultant di vers ouvrages dans des bibliothèques différentes, celles de la Part-Dieu, de la faculté de Bron et de Saint -Etienne. Nous a vons pu restreindre nos reche rches grâce aux fichiers informatiques ; p uis nous av ons m is nos r echerches en commun p our l ’élaboration des différents thèmes, ce qui nous a permis de trouver nos problématiques. Nous avons ensuite réparti les tâch es selon nos centres d'intérêts. Le temps de reche rche préliminaire a été de vingt heures environ (temps difficilement mesurable car il s'échelonne sur une longue durée et comprend des lectu res et des prises de notes). Nous avons travaillé une dizaine d'heures chacune pour la rédaction au b rouillon. Pu is nous avons consacré une quinzaine d'heures environ à taper notre texte sur ordinateur (nous avons rencontré de grosses difficultés à ce moment-là de n otre t ravail, à cau se de notre m édiocre co nnaissance des l ogiciels et de problèmes de sauvegarde). A part cela, nous avons un peu de mal à nous retrouver, étant donné que nos emplois du temps sont fort différents et que Marie habite à Saint-Etienne où elle ren tre le week-en d. Enfin , du fait d e la q uantité d e d ocuments q ue nou s avon s p u trouver, la sélection des différents thèmes à aborder n’a pas été évidente.

PLAN I - L’ARCHITECTURE DE LA TOUR D E BABEL EN TRE MY THE E T

ARCHEOLOGIE.

A - Babel, mythe et réalité.

1) Présence du mythe au cours des siècles.

2) Traces littéraires et archéologiques.

B - L'évolution des représentations de la Tour de Babel.

1) Représentations de la Babel du mythe.

2) les « Babel » d’aujourd’hui.

C- Réflexions sur la finalité de la construction d’une Tour de

Babel.

II - BABEL, MYTHE DU LANGAGE.

A - Problèmes posés par le langage.

1) La langue originelle.

2) Le rôle du langage dans la pensée.

3) La possibilité d’une communication universelle.

B - Barrières linguistiques :

1) Problèmes de la traduction.

2) Le rêve d’une langue universelle.

C - Linguistique et psychanalyse.

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III - LES ENJEUX DE CE MYTHE AUJOURD'HUI

A - Une diffusion mondiale du savoir.

B - Europe et mondialisation.

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INTRODUCTION

Le récit biblique de la Tour de Babel est devenu l’un des mythes

prépondérants de la culture occidentale, l’une de nos références communes.

Son actualité est évid ente dans de multiple s domaines : mythe étiologique,

qui sert à justifier rétrospectivement un double état de fait, la dispersion des

hommes sur la su rface de la te rre e t la multiplicité des lan gues, il m et en

scène l’orgueil des hommes voulant ri valiser avec le Créateur par une

construction imposante ; mais il soulève également la ques tion de la langue

originelle unique, qui pr éoccupe toujours l’hum anité dans la m esure où la

diversité des langues constitue, comme le note Saint-Savin, « l'inconvénient

majeur, la plus grande barrière entre les hommes ».

Tout d' abord, nous nous placerons dans une perspective

esthétique et tenterons de voir comm ent l 'architecture de la Tour a inspiré

les arts ; puis nous nous intéressons à sa dimension linguistique et orale en

étudiant de quelle façon le m ythe de Babel est devenu celui du langage ;

enfin nous considèrerons les enjeux po litiques et économiques du mythe de

nos jours.

I- L’ARCHITECTURE DE LA TOUR DE BABEL ENTRE MYTHE ET

ARCHEOLOGIE.

A) Babel, mythe et réalité.

1) Présence du mythe au cours des siècles.

Le m ythe de Babel a m arqué la m émoire co llective bien avant sa

rédaction dans la Genèse (IXe-VIIIe siècle avant J-C), puisque d’après C.

Ueblinger le récit biblique serait le résultat du mélange de quatre couches

narratives successives, dont la plus an cienne proviendrait de la tradition

orale assyro-babylonienne, bien antéri eure aux siècles de rédaction de la

Bible.

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Il est cependant singulier d’observer que, mis à part au début du XIIe

siècle dans les récits du rabbin Benjam in de Tolède, où il est question de

la Tour de Bélus détruite par le feu du ciel 1, la Tour de Babel n’est

mentionnée qu’en passant, dans de s com paraisons ou analogies, et ce

jusqu’au XIX e siècle. Comm e nous l’ind ique l’article « Babel » de

l’Encyclopédie de Diderot, le récit de l’E criture n’a laissé qu’un souvenir

vague et embrum é de la constructi on d’une Tour et de la confusion

consécutive des langues. Dans le Dictionnaire de Trévoux, on peut

trouver cette constatation : « le peuple dit quelquefois d’une chose bien

grande et b ien hau te q u’elle es t grande ou haute comm e la Tour de

Babel », ce à quoi il es t ajouté : « Cela n’est que familier et populaire ».

Quant au Dictionnaire de l’Académie, il ex plicite de c ette m anière

l’emploi de l’expression : « Figurément, confusion d’opinions et de

discours. ». Mentionnons par aille urs une croyance paysanne bretonne

liée à ce m ythe m entionnée par Sé billot : lorsq u’un serpen t a réu ssi à

échapper pendant sept ans à la vue de l’homm e, il lui pousse des ailes

grâce auxqu elles il s’en vole jusqu ’au sommet de la Tour d e Babylone,

lieu lointain et maudit. De là, il se voit par m iracle précipité dans le vide

le dimanche des Rameaux et il ne reste plus alors qu’à l’écraser.

2) Traces littéraires et archéologiques.

Au-delà de ces vagues allusions , il existe pourtant une réalité

archéologique et h istorique de la T our de Bab el. Les p remières tra ces

d’une recherche valable sur le site nous ont été transm ises par des récits

de voyage, à comm encer par celui d’Hé rodote qui se rend it sur place en

460 avant J.-C. Bien que Rawilson ait estimé qu’Hérodote n’était jamais

venu à Babylone, la description qu’il nous fait du site semble exacte si on

la com pare avec les d ernières do nnées su r le suje t. D’ autres gran ds

explorateurs tels Strabon, Diodore de Sicile, Rauwolf, ou encore Pietro

della Valle, nous ont laissé leur descri ption de la Tour, qui relève parfois

d’ailleurs de la plus grande fantaisi e. Néanm oins, ces descriptions ont

toutes en commun le gigantisme de la construction ; bien qu’elles traitent

1 Cette Tour a e n effet été victime d’un ince ndie, mais celui-ci a été perpétré pa r les Perses au Ie siècle avant notre ère.

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en fait de sites différents (Aqarquf à l’ouest de Bagdad, Birs Nim rud au

sud-ouest d e Hillé, colline de Mu jélilé au nord du cham p de ruine s de

Babylone) puisqu’à l’époque on ne sa vait pas encore avec exactitude

laquelle des ruines qui parsem aient cette région de la Mésopotam ie

pouvait être celle du m ythe, elles se ressemblent. On supposera plus tard

avec une relative certitude que la tour à laque lle le texte bibliqu e f ait

allusion se trouve à Babylone et est en fait la ziggurat d u tem ple de

Marduk appellée E-temen-an-ki (Mais on du fondem ent du Ciel et de la

Terre), édifiée en 1100 avan t notre ère, conformément à ce que la lecture

du poèm e babylonien de la Création, Enuma Elish, « une des œuvres

capitales de la litté rature akkadien ne » (R. Labat), sem ble indiquer.

Quant à certaines données plus précises, d’ordre mathématique, elles sont

données par la tablette de l’Esagil découverte par Georges Sm ith en

Mésopotamie et traduite longtem ps ap rès par le Profe sseur Scheil, qui

établit les équivalen ces entre tou tes ses indications de m esure et nos

unités modernes. Voici ses conclusions : le kigal, c’est-à-dire la b ase de

la ziggurat, était une form e carrée de 90 m ètres de côté ; la Tour elle-

même était constituée de sept étages en retrait les uns par rapport aux

autres, surmontés d’un sanctuaire de neuf mètres de hauteur, le shahuru.

HERODOTE (460 avant J. -C.) « Au milieu du sanctuaire (de Zeus Belos), une tour solide était construite, d’un stade de longueur et de largeur. Sur cette tour s’en tenait une autre, sur celle-ci de nouveau une autre et ainsi huit tours, toujours l’une sur l’ autre. A l’extérieur et circulair ement, il y avait une place de repos où ceux qui montaient s’asseyaient et se reposaient. Dans la dernière tour est un grand temple et dans le temple se trouve un grand lit, richem ent garni et à côté une table d’or. Aucune i mage n’y est dressée. Personne n’y passe la nuit, sinon une femme du pay s désignée par Dieu lui-même. C’est ce que racontent les Chaldéens qui sont là les prêtres de cette divinité. » STRABON (-60 — 20) « Là se trouvait aussi le tom beau de Bélus, aujourd’hui détruit et que l’on dit avoir été dém oli par Xerxès. Il avait la for me d’une pyramide carrée, construite en briques cuites. Elle mesurait un stade de hauteur et un stade de côté. Alexan dre voulut la relever mais l’entreprise était considérable et exigeait beaucoup de t emps : la seu le évacuation des décombres r eprésentait le travail de di x mille ho mmes pendant deux mois. Il ne put achever le travail commencé, car aussitôt la maladie puis la mort surprit le roi. D e ceux qui vinrent après, personne n e s’en inquiéta plus. »

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DIODORE DE SICILE (Ie siècle après J. -C.) « Après ce (bassin), Sémiramis construisit dans le centre de la ville un sanctuaire, dédié à Zeus, que les baby loniens nomment Bélus, ainsi qu e nous l’av ons déjà dit. Comme les historiens ne sont pas toujours d’accord sur ce monument, avec le temps to mbé en ruines, il est impossible d’ en donner une description précise. On ad met cependant qu’il avait été élevé à une hauteur extraordinaire et que les Chaldéens à cause de sa hauteur s’y livraient à leurs travaux astronomiques. Toute la construction avait été dressée av ec beaucoup d’habileté en bitume et en briques. A son sommet se trouvaient les statues revêtues d’or de Z eus, Héra et Rhéa. » RAUWOLF (physicien, botaniste et voyageur du XVIe siècle) « Derrière et assez près était le tombeau de Bélus que les enfants de Noé entreprirent de faire monter jusqu’ au ciel. Nous l’avons encore vue ; elle a un demi-lieu de dia mètre, mais elle est si co mplètement ruinée et si pleine d’ une ver mine qui l’ a pe rcée de trous, qu’on ne peut en approcher à moins d’un demi-mille, sauf pendant deux mois l’hiver. »

PIETRO DELLA VALLE (1916) « Masse confuse de bâtiments ruinés, qui fo nt un tas prodigie ux du mélange des divers matériaux, soit que cela ait été fait de la sorte dès le commencement, comme c’est m on opi nion, soit q ue les débris aient confondus toutes ce s ruines et les aien t pêle- mêle r éduites à l a f orme d’une grosse montagne (…) Elle est de f igure carrée, en forme de t our, ou de pyramide, avec quatres faces qui répondent aux quatres parties du monde. »

B) L’évolution des représentations de la Tour de Babel.

1) représentations de la Babel du mythe.

Les prem ières reconstitutions on t été im aginées avant que l’on ne

prenne connaissance de la tablette de l’Esagil. C’est pourquoi elles

varient pour ce qui est du nom bre d’étag es (certaines n’attribuent à la

tour que de ux étages, a vec éventuellement un troisièm e constitué par l e

sanctuaire ; d’autres lui en attribuent sept ou huit, mais donnent aux deux

premiers une hauteur bien supérieure), de sa for me à la base

(rectangulaire ou carrée), de ses d ifférents accès (ram pe ou escaliers ;

escaliers in térieurs ou extérieu rs…). Des représen tations ont été

conservées, notamm ent celles de Si r Henry Rawlison et de son frère

Georges (cf 9), de Chipiez (cf 10), de Maspero (cf 11), de Franz Reber

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(cf 12), de Woolley-Newton (cf 13), de l’architecte anglais Lethaby (cf

14), de Weissbach (cf 15), de Dieulafoy (cf 16), de Koldewey (cf 17), de

Dombart (cf 18), d’Unger (cf 19), de Busink (cf 20). Mais finalement, on

pourrait affirm er avec Paul Zumt hor qu’ « il im porte assez peu à

l’histoire de l’imagination et à l’ analyse anthropologique de nos m ythes

que la Babel « réelle » — seule tenue pour telle d’un point de vue

étroitement scientiste — soit identifiable avec l’une ou l’autre des tours à

étages babyloniennes ». Et nous pourrions même aller plus loin en disant

« qu’il im porte assez peu à l’histoire de l’im agination et à l’analy se

anthropologique » que Babel soit ou non réelle puisque ce qui est

intéressant dans un m ythe, c’est be aucoup moins son origine (m ythe ou

réalité) que le m ythe pris pour lui-m ême dans ce qu’il implique (volonté

étiologique, angoisse humaine…), les raisons pour lesquelles il a persisté

dans notre m émoire. Dans cette persp ective, il est rem arquable de noter

que la représentation picturale de Babel a évolué en même temps que nos

modes et nos mentalités. Ainsi nous pouvons observer qu’au Moyen-Age

on représentait la Tour selon les critères archit ecturaux de l’époque, soit

une construction fortifiée sur une ba se, carrée le plus souvent m ais

parfois pentagonale comme en témoigne nt l’Ivoire de la Cathédrale de

Salerne (cf 21), la mosaïque de Montréal (cf 22), la miniature d’un maître

suisse (cf 23) ou la gravure sur bois de Malerbibel (cf 24). La

représentation de Bruegel (cf. p. 38 ) sem ble pour sa part largem ent

inspirée de l’architecture du Colis ée (Bruegel avait séjourné à Rom e en

1553). Celle de Gustave Doré (cf p.45) est traitée dans u n esprit très

romantique. Celle de Michelson, elle, a un style beaucoup plus moderne :

les formes sont simplifiées et épurées. Dernièrement enfin, on a même pu

voir des photos-m ontages où le sommet de la Tour se transfor mait en

cheminée de centrale nucléaire ! Ce qui nous montre de quelle m anière

un mythe peut être réutilis é… Mais il semble pourtant qu’il n’y ait pas

besoin d’aller aussi loin pour trouver des récurrences du m ythe

aujourd’hui.

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Tablette de l'Esagil, Musée du Louvre.

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Représentations d e la to ur de Bab el : 9 la zig gurat d 'Ur d 'après G. Rawlison ; 10

temple ch aldéen sur p lan rectan gulaire reco nstitution Chipiez ; 11 zig gurat d 'Ur

reconstitution d e Masp ero ; 1 2 reconstitution d e F. Reb er ; 1 3 ziggurat d'Ur,

première reconstitution de Woolley-Newton.

Gustave Doré, Construction de la Tour de Babel, 1866.

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14 projet de Lethaby ; 1 5 de Wiesbach ; 16 de Di eulafoy ; 17 de Koldewey (2

projets) ; 18 projet de Dombart (1920) ; 20 p rojet et recon stitution de Busink ; non

numéroté projet et reconstitution d'Unger (4 figures).

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Représentations d e la To ur d e Bab el : 21 iv oire d e Salern e ; 22 mo saïque d e

Monréale ; 23 miniature d'un maître suisse ; 24 Malerbibel.

2) les « Babel » d’aujourd’hui.

En effet le gigantism e que sym bolise parfaitement la Tour de Babel

est un élém ent om niprésent dans l’ histoire de l’hum anité. L’homme a

toujours eu tendance à vouloir m anifester sa puissance par des

constructions im posantes : citons par exem ple les pyram ides d’Egypte,

les ch âteaux de tou t tem ps (le meil leur exemple français en serait le

Château de Versailles, tém oignage de l’orgueil du roi Louis XIV, qui

voulait que sa demeure soit la manifestation de sa puissance économique,

guerrière et commerciale), plus ré cemment la Tour Eiffel, la Statue de la

Liberté, et pour finir les buildings et autres gratte -ciel (« trade center »

des Etats-Unis comme dans le quartie r de Wall Street à New-York, avec

les tours jum elles, sans oublier l’Empire State Building qui conserva

longtemps le record de hauteur, et dans une moindre m esure, le quartier

de la Défense à Paris).

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C) Réflexions sur la finalité de la construction d’une Tour de

Babel.

En ce qu i concerne la Tour de Babel, le bu t de la cons truction a

laissé la place à de nombreuses spéculations.

D’après le récit biblique, c’est dans l’intention de «se faire un nom »

que les hommes ont entrepris la réa lisation de c et éd ifice. En ef fet, le s

peuples qui étaient arrivés au pays de Shinéar étaient des no mades. Etant

donné la richesse de cette plaine, ils avaient décidé de s’y sédentariser ;

pour ce faire, ils bâtirent tout d’abord la ville puis ils voulurent «se faire

un nom » pour être reconnus d’un part par les autres peuples susceptibles

de convoiter ce territoire nouvellement acquis et d’autre part par Dieu.

Certains affirmèrent par la suite qu e c’était d ans le but de rivaliser

avec Dieu que les Ch aldéens auraie nt construit ce tte tour, ce qui

expliquerait dès lors la colère divine et par là-m ême la destruction de la

tour. D’autres expliquèrent cette intention par le fait que les hommes

voulaient se protéger d’un nouveau déluge. Cette hypothèse reste

plausible étant donné que Babylone se trouvait à proximité de l’Euphrate,

qui était en crue au moins une fois par an.

La version que l’on re tiendra est pourtant di fférente : les « hommes

venus de l’Est » auraient construit cette tour comme toutes les autres

ziggurats, d’une part pour s’assurer la fa veur d’une divinité m ajeure et

d’autre part pour m aintenir le contact avec les Dieux : la Terre se

trouvant trop éloignée du ci el, il fallait s’en rappr ocher pour obtenir le

passage des Dieux sur la Terre, contact nécessaire aux Hommes pour

supporter leur solitude et ne pas se sentir abandonnés des Dieux comme

cela avait été le cas lors de l’épisode du Déluge. Les ziggurats

babyloniennes auraient aussi une fonction astronomique, mais secondaire

par rapport à leur fonction sacrée. Ains i, la construction de la Tour de

Babel n’es t pas néces sairement assim ilable à la folie hum aine qui

tenterait de se hisser à la hauteur des Dieux.

Cependant, c’est ce m essage qui marquera les m émoires et que

véhiculera le tex te b iblique éc rit pa r des auteur s h ostiles aux

Babyloniens, ce qui m ontre encore une fois que le sen s d’un mythe naît

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d’interprétations hum aines et non de sources objectives. Les tours de

Babel d’aujourd’hui, ce sont bien les gr atte-ciel qu i sy mbolisent la

puissance d’une entreprise ou d’ un pays, et non les flèches des

cathédrales.

II - BABEL, MYTHE DU LANGAGE.

A) Problèmes posés par le langage.

1) la langue originelle.

Si le m ythe de Babel est celui de la dém esure humaine, il est

aussi celui du langage. En effet, se lon la Bib le, avant cet épisode,

les homm es descendaient tous de Noé et parlaient une m ême

langue.

Il ne s’agissait certainem ent plus de la langue originelle parlée par

Adam et E ve au Parad is, certains affir ment que c’ était plutôt la

langue de Cham , l’un des trois fils de Noé. Da ns cette hypothèse,

on pourrait comprendre pourquoi Dieu aurait voulu qu’elle ne reste

pas la langue universelle, puisque cette branche du lignage de Noé

était traditionnellement tenue pour criminelle.

D’autres co mme Saint-Savin affirment sans hésiter qu’il

s’agissait de l’hébreu.

D’après l’expérience réalisée par Hérodote en 500 avant J-C, la

langue originelle serait le phrygien : le prem ier mot prononcé par

deux enfants laissés sans aucune éd ucation aurait été « bekos », qui

signifie « pain » en phrygien.

On pourrait m ultiplier les ex emples c ar le suje t a é té

abondamment traité. A ucune de ces hypothèses n’est bien sûr

compatible avec ce que la science nous a révélé depuis sur l’origine

du langage.

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2) le rôle du langage dans la pensée ; le langage, une vision différente

selon les peuples

Le mythe de Babel aurait pour fonction d’expliquer la diversité

des langues, responsable de la dive rsité des nations et des cultures.

D’après Canguilhem, « l’homme n’habite pas une planète, il habite

une culture » et cette culture es t façonnée par notr e langue puisque

le lang age n’est p as ne utre ; au co ntraire, il e st cré ateur d e notre

identité culturelle et réciproquement. L’expression « avoir la fièvre

de Bercy » par exem ple ne peut être com prise que par quelqu’un

qui possèd e des références cu lturelles françaises. W horf allait

même plus loin en affirmant que les structures mentales viendraient

du langage, ce que l’on illustre tr aditionnellement par l’exemple de

la langue allemande, plus propre que d’autres au développement de

concepts philosophiques. Le cercle de Vienne va lui aussi dans ce

sens en adm ettant que la pensée est tributaire du langage . Reste

que les raisonnem ents du type : « en chinois le verbe « être »

n’existe pas, ainsi la m étaphysique n’existe pas en Chine »

demeurent extrêm ement sim plistes. Langage et pensée sont en

perpétuelle interaction.

Jusqu'au deuxième châtiment de l 'homme, la langue parlée est

intimement liée avec la réalité, la signification symbolique de l'acte

d'Adam attribuant un nom à toutes les form es vivantes évoque un

ajustement parfait entre le mot et l'objet : "Le parler de l' Eden était

du verre le plus pur ; étincelant e, la com préhension abso lue le

traversait à flots". La réflexion de George Steiner nous perm et de

réfléchir su r le décalag e entre la signification et l' apparence du

mot : le m ythe nous aurait-il c ondamnés à nous éloigner de la

réalité du monde ? On constate en effet que les langues, les cultures

et les individus exploitent les mots de façon différente : par

exemple, en italien "jaune d' oeuf" se dit "il rosso dell' novoss"

c'est-à-dire littéralement "le rouge de l' oeuf". Le langage est donc

porteur d'une vision implicite du monde : on finit par voir ce que

l'on dit.

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Le lien établi entre le sens du m ot et la réal ité physique de

l'objet étant différent selon les langues, la m ultiplicité linguistique

est inévitable.

3) la possibilité d’une communication universelle

On peut trouver dans le N ouveau Testam ent un épisode q ui

répond à la dispersion et à l’in communicabilité de B abel : la

Pentecôte (Actes des Apôtres). Les apôtres du Christ, inspirés par

l’Esprit Saint, se mettent à « parler en langues » (glossolalie), c’est-

à-dire que parlant leur dialecte propre ils sont cependant entendus

par chaque auditeur dans sa lang ue m aternelle : « la Tr inité s e

révèle alors aux hommes, et pour la première fois des humbles sont

baptisés au nom du Père, et du Fils et du Saint Esprit. Telle est la

vraie arch itecture de la tour triomphante par où l’hom me peut

s’enfuir au Ciel, pour régner avec Dieu » comme l’explique Saint-

Savin.

B) Barrières linguistiques

1) problèmes de la traduction.

La multiplicité des langues fait naître chez l’homme le désir de

saisir et comprendre le discours, les propos et l’éc riture exprimés

en langues étrangères. Il entrep rend pour cela une dé marche de

traduction pour parvenir à f aire tomber les barrière s linguistiques.

Cette d ernière c ependant n’ a jam ais été une e ntreprise f acile e t

tolérée par tous : dans un premier temps, la religion juive la bannit

pour les Ecritures Saintes . L’hébr eu étant d’essence divine, la

transmission de la Parole dans une langue différente serait un

blasphème. Le Megillath Toanith d e la re ligion juive rap porte :

« Le m onde s’obscurcit pendant trois jours lorsque la L oi fut

traduite en grec. ». La traducti on n’est donc pas un acte naturel et

allant de soi. Cependant, la version apparaît vite comm e un

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impératif résultant du besoin de ré pandre la « bonne parole » dans

le monde.

Au XVe siècle, l’Eglise exig e une concordance et u ne

juxtaposition parf aite entre le texte biblique original et sa

traduction, supposant que l’on repre nne et traduise les erreurs.

Retranscrire le m essage sacré es t « une tentative m essianique qui

nous rappproche de la Rédem ption » proclame Franz Rosenzweig

(Après Babel) qui tr aduit l’Ancien T estament en allem and ; on est

loin de cer taines v isions prim itives selon lesqu elles la trad uction

des textes sacrés était un péché défiant la volonté de Dieu.

Il est certain que toute traduction demeure imparfaite. Au XVIe

siècle, Luth er éc rit : « le tex te b iblique e st roi tandis que la

traduction n' est qu' une servante hu mble et f idèle ». Mais comme

cette servante tient ferm ement à parler sa propre langue, il pose

alors la dim ension ambiguë de la version : elle se plie

scrupuleusement au sens du texte to ut en évitant de se contraindre

au mot à mot. Dolet, humaniste et traducteur du XVIe siècle, ajoute

4 principes fonda mentaux dans son traité La manière de bien

traduire une langue en aultre : « le traducteur doit entendre le sens

de l' auteur qu' il traduit, qu' il ait une parfaite connaissance de la

langue de l' auteur, il doit utiliser des tournures qui sont naturelles

dans la langue réceptrice et doit ve iller à l' équilibre de la phase ».

Malgré la valeur de ces principes, la traduction reste limitée, et pas

seulement pour le texte biblique. E n littérature, le passage d' une

langue à une autre est problém atique. Le fond et la for me étant

étroitement liés, tenter de tradui re mène à l'échec. Georges Hugnet,

écrivain, écrit dan s la préface de l' ouvrage Fabrication des

américains de Gertrude Stein : « Tous les traducteurs rendent assez

bien la pensée m ais on a peu d' exemples de traduction qui

satisfassent pour le style, le rythm e, la couleur et la résonance des

mots ». En effet, le style produit du sens, en poésie par exem ple

rythme et musique sont des clés d’interprétation.

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La traduction malgré ses lacunes permet cependant à l’homme

d’atténuer l’incompréhension entre le s peuples et de s’en richir en

pénétrant d’autres horizons.

2) le rêve d’une langue universelle.

L’homme reste nostalgique du temps d’avan t Babel et m ême

du tem ps de l’Eden, où règnait une langue adam ique limpide,

immédiatement com préhensible, et la réalisation d’une unité

linguistique de meure un horizon de la pensée linguistique. De

nombreux penseurs exprim ent la nécessité d’une langue commune

à toute l’es pèce : « J’oserais espé rer une lang ue universelle fort

aisée à apprendre » (cité dans Typologie linguistique, 1983) affirme

Descartes, tandis que Montesquieu en souligne les vertus pour les

relations entre les êtres : « La connaissance entre les peuples est

tellement importante q u’ils ont absolument besoin d’une langue

commune ».

En moins de quatre siècles, si x cents langues artificielles ont

été créées. Citons par exem ple le Solrésol, inventé par Jean Sudre

en 1850, une langue dérivée des sept notes de la gamme que l’on

peut soit jo uer soit par ler ; ou encore l’ Universalgot de Pinot,

synthèse des principales langues mo rtes et vivantes européennes,

ou le Volapük élaboré en 1889 par un prêt re catholique, Schleyer.

Les échecs de ces ten tatives s emblent m ontrent que l’adoption

d’une langue universelle est impossible. Cependant, on ne peut nier

la perform ance de L ejzer Zam enhof qui, fasciné par le m ythe de

Babel dès son enfance, voulut recréer une « Ur-Sprache » des

temps mo dernes : l a Lingwe Universala, qui devient en 1887

l’Esperanto, mot qui signifie « celui qui espère », existe encore de

nos jours. Ses atouts sont la simplicité, le « naturel » et la

possibilité d’être mémorisée facilement ; elle est constru ite à partir

de racines courantes des langues oc cidentales les pl us répandues.

On retrouve à travers l’ Esperanto le rêve de l’union des peuples et

de la fraternité hum aine. Sel on Zam enhof, les haines et les

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animosités hum aines sont en partie dues à une incom préhension

mutuelle : la construction de la tour de Babel suggère l’harm onie

des hommes unis par leur langue.

On peut craindre cependant que la création d’un langage

universel ne relève de l’utopie, le rapport entre le m onde et les

mots, entre signifié et signifiant, étant appréhendé différemment

selon les peuples. Mais l'universalité du langage n'est pas perdue : à

travers la dim ension psychanalytique du m ythe, nous verrons

comment l'importance du langage est universelle.

Malo mi kedete de larnages

Kado, kado jam tempo esta ! La tot homoze en famiglje Konunigare so déba ! Que l’intim ité des nations tom be tombe Il est grand temps ! L’humanité toute entière en une seule famille Doit s’unir ! Hymne à la fraternité de Zam enhof en esperanto.

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C) Linguistique et psychanalyse.

En ef fet, à l' instar de s autres mythes, celui de Babel possède une

dimension sym bolique. A propos des m ythes d’Œdipe, de l' Eden et de

Babel, Freud affir me : « Ils correspondent aux reliquats défor més des

fantasmes de désir de nations entières, les rêves séculaires de la jeune

humanité ». Le mythe, au même titre que le rêve et le f antasme, permettrait

la satisfaction du désir. Qu' en es t-il de Babel ? Le chercheu r et

psychanalyste anglais W ilfred R. Bion met au prem ier plan le caractère

violent de la curios ité e t au second plan le dé lit sexuel : « il es t f acile d'y

trouver des représentations sym boliques de la sexualité orale et de la

dispersion, d'une liaison par le langage, de la connaissanc e de soi ». Il est

difficile de saisir ces in terprétations psychanalytiques. Qu' entend-t-on par

"sexualité orale" ? La Tour de Babel ét ant le fruit d' une fusion verbale, est-

elle une allégorie de l'étreinte sexuelle ?

La psychanalyse nie entièrem ent l' existence d' une Ur-Sprache. Selon

Bion, en inventant le mythe de B abel, l' homme crée sa propre nostalgie

d'une langue universelle et cultive son imaginaire de fantasmes par l'unicité

linguistique, sym bole du "Un" fusionne l. Le m ythe m ontre alors que

l'échange verbal est source d' épanouissement par l'homme. La psychanalyse

considère le langage comme indispensa ble à la constru ction psychique de

l'être humain. Dès sa naissance, l'homme est un être de langage, en demande

perpétuelle de communication et d' échanges verbaux : c' est par la parole

qu'il se construit. Dans Tout est langage, Françoise Dolto réfléchit à l' aspect

fondateur de l' échange oral chez le nou rrisson et l' enfant ; elle insiste sur

l'importance du "parler vrai". L' échange oral fusionnel des homm es a

construit la Tour de Babel, l' homme se constru it lui-même par le lang age.

Bion rapproche le mythe du thème philosophique de la connaissance de soi :

l'élévation d e l' homme dans les c ieux tr aduit-elle une éléva tion spir ituelle

donnant accès à la connaissance de soi ? Alors l' orgueil de l' homme

résiderait dans l'hypothèse qu'il prétendrait se connaître aussi bien que Dieu

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le connaît. Cette aspiration à la c onnaissance n’est pas nouvelle : elle

rappelle le premier péché du premier homme.

III - Les enjeux de ce mythe aujourd'hui.

A) Une diffusion mondiale du savoir.

Vouloir connaître le monde est dans la nature de l' homme.

Aujourd'hui plus qu' hier, l' homme s' engage à diffuser, communiquer son

savoir par de nouvelles techniques.

"Quelle société du savoir pour dem ain ?" fut la question guidant la

Biennale du savoir le 27 janvier 2000. Um berto Eco évoque "une B abel

post-moderne" à propos du déferlem ent des te chniques qui perm ettent la

diffusion de l' information. Philippe Meirieu souligne la dim ension

laborieuse de la quête du savoir : « le savoir est un dé ballage cacophonique

des opinions » et dénonce ains i la pauvreté de la sociét é : « on ne parle plus

de rien, on parle, on ne sait plus vraim ent de quoi l' on parle » ; Jean-

François D ortier renf orce la v ision de Philip pe Meir ieu en associa nt la

société du savoir à un « trou noir concep tuel ayant une densité im portante

mais peu de lumière ».

Il sem blerait que le mythe de la Tour de Babel soit r éactualisé ces

derniers temps avec l' écroulement des barrières culturelles, grâce aux

médias et à Intern et. En effet, on as siste à une invasion m édiatique faisant

circuler la cultu re à u ne telle vite sse que l' on peut craindre une perte

d'identité des hommes. Même si le modèle américain est désormais en crise,

on ne peut nier l' emprise de la culture américaine sur le reste du m onde, les

Etats-Unis r estent la réf érence d e la cultu re de m asse, qu' il s' agisse d es

séries télévisées, de l' information, de la m usique "rock" ou des parcs de

loisirs. A l' intérieur mêm e des pa ys, on peut constater ce phénomène

"d'acculturation" des masses.

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Avec Intern et, la création d' un langage uni versel es t à n ouveau

d'actualité puisqu'il va falloir codifier les textes pour pouvoir faire transiter

les inform ations. Evidemment, l' anglais tient une place prépondérante en

tant que lan gue d' échanges. Un site nous inform e d' ailleurs à ce sujet en

exposant les limites des normes, des protocoles et des logici els quant à leur

capacité à gérer les langues de plus en plus nombreuses des utilisateurs.

B) Europe et mondialisation.

Le mythe de la Tour de Babel suggère la puissance d' un peuple qui

se réa lise p ar la constr uction de la Tour et qu i trouve ses sources dans

l'union orale. Ainsi, Dieu descendu sur terre pour voir l' entreprise des

hommes punit l'orgueil "en mettant le désordre dans leur langage pour qu' ils

ne s' entendent plus les uns les autr es". Aujourd' hui, les homm es veulent

acquérir un pouvoir économique et politique, leur but est alors d'accéder à la

prospérité. Par la création d' une Europe unie, les homm es donne nt la

possibilité de préserver de s identités nationales dive rses tout en s' unissant

entre états. Les gens qui pensent, parlent et vivent di fféremment se

rencontrent grâce à l' Europe, mais se c onfrontent aussi les u ns aux autres à

cause d'elle : elle f ait naître l'enrichissement culturel, le r espect de l' altérité

de chacun m ais aussi la xénophobie. Se lon Michel Bruguière, le continent

serait une « Babel pr ivilégiée » : la multiplicité des langu es n' est plus une

malédiction, elle f ait au contra ire partie du patrimoine cultu rel européen et

n'est sans doute pas un obstacle à l' unité des différentes nations. L' homme

surmonte le clivage linguistique par la généralisation de l' étude des langues

vivantes.

Cependant, si l' union européenne suggère le resserrem ent des liens

entre les peuples, on ne peut nier que le bu t pr incipal de c ette un ion s oit

d'accéder à un certain pouvoir, d'avoir une emprise sur le reste du monde,

comme les bâtisseurs de Babel qui ch erchent la dom ination en s' élevant

jusqu'au ciel. Les hommes s'engagent à s'unir afin d'accroître leur puissance.

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L'union monétaire, avec la m ise en place de l' Euro, traduit le dés ir de

vouloir réduire la suprém atie des Etats-Unis. Ainsi, le rapprochem ent d'un

peuple soi-disant uni pour la paix et la prospérité fait naître l' affrontement

des "grandes puissances". "L' Europe : une Babel réussie" titrait le Nouvel

Observateur en mars 1995 : on pourrait surtout parler d'une Babel pervertie

basée sur l' hégémonie et la volonté de détenir le m onopole du m onde. Le

phénomène politique et économ ique de la m ondialisation traduit d' autant

plus le désir des hommes à vouloir entr etenir leur force par l' association

avec l'extérieur. Les hommes espéreront toujours parvenir au somm et de la

tour, l' ambition de détenir le m onopole du m onde apparaît comme ancré

dans leur nature.