Mv Contact : Mémoire Vive°47-A4n.pdf · avec les autres un niveau d’exigence qui pouvait être...

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Contact : Fernand Devaux 2, rue du 18 juin 95120 ERMONT tél. 01 34 13 16 88 n ° 47 mai 2012 Mémoire Vive la lettre de l’association des 45000 et des 31000 d’Auschwitz-Birkenau L ucien est né à Darnetal près de Rouen en 1920 dans une famille ouvrière. Dès l’âge de 16 ans, il participe aux grèves de 1936. Lorsqu’en 1939, le parti communis- te est dissous et que le parti communiste et le général de Gaulle appellent à la Résistance, Lucien participe au regroupe- ment des jeunes communistes et à la pour- suite de leurs activités clandestines au sein des Bataillons de la Jeunesse. Il distribue des tracts, procède à des inscrip- tions antifascistes sur les murs de la ville et une nuit plante un drapeau tricolore sur la caserne Tallandier à Petit- Quevilly, occupée par l’armée allemande. Il est arrêté dans la nuit du 21 au 22 octobre 1941 sur dénonciation, par la police française, avec une centaine de résistants de la région de Rouen, à la suite d’atten- tats en Seine-Maritime. Incarcéré à la caserne Hatry de Rouen pendant une semaine pour y subir des interrogatoires, il sera transféré avec ses compagnons au camp allemand de Royallieu à Compiègne. Lorsqu’en 1941 Hitler décide de la dépor- tation des juifs et des communistes vers l’Est en réponse au développement des actions de la Résistance, une autre page de la répression s’ouvre. La composition du convoi du 6 juillet 1942 en est une illustra- tion, Lucien fait partie des 1000 commu- nistes du convoi. Lorsqu’à notre arrivée le convoi est séparé en deux groupes, Lucien fait partie des camarades qui restent à Birkenau, où les conditions de survie sont les plus difficiles. Tout au long de sa déportation, Lucien connaîtra les conditions de vie les pires, affecté à des commandos de travail à l’ex- térieur et nécessitant les efforts physiques les plus importants comme le terrassement, la construction d’un canal. Lucien fait partie des 17 survivants qui reviennent à Auschwitz en mars 1943. Très affaibli, il entre à l’infirmerie. C’est là que nous nous rencontrons pour la pre- mière fois. Lucien sera sauvé par un chef de bloc, un communiste allemand, qui le cachera lors d’une sélection pour la chambre à gaz. En avril 1943, Lucien fait partie de ceux d’entre nous qui sont rassemblés au block 11. Si pour beaucoup d’entre nous cette mise en quarantaine va nous permettre de reprendre des forces car nous y sommes dispensés de travail, Lucien y subira l’une des sanctions les plus lourdes. Accusé d’être porteur d’un «couteau sabre», il s’agissait en fait d’une plaque de zinc de 5 cm qui lui servait à étaler sur son pain le peu de mar- garine qui nous était octroyé, il est condamné à 10 jours de Stehen Bunker et 10 jours de commando disciplinaire. Le Stehen Bunker était une cellule d’environ 1m 2 , sans toit, dans laquelle plusieurs déportaient passaient la nuit sans pouvoir s’asseoir. Pour y entrer, les déportés devaient se baisser sous les coups. En septembre 1944, nous sommes séparés en 4 groupes de 30 environ. L’un reste à Auschwitz, les 3 autres prennent des direc- tions différentes. Lucien, Georges Dudal et moi, sommes dirigés vers Gross Rosen. Nous y sommes regroupés dans le même bloc. Nous sommes dési- gnés pour organiser la solidarité dans notre groupe. En février 1945, l’évacuation de Gross Rosen est un nouvel éclatement de notre groupe et je ne retrouverai Lucien qu’en mai 1945 à l’hôtel Lutétia. À notre retour en France, la mise en appli- cation du programme du Conseil National de la Résistance est pour les militants que nous sommes un appel à participer à la construction de cette nouvelle société. Lucien reprendra donc dès que sa santé le lui permettra sa vie syndicale et de militant politique. L’expérience d’Auschwitz, les engagements pris devant nos camarades pour qu’il n’y ait PLUS JAMAIS CA, vont nous faire prendre une part très active, nous les 45000 et les 31000, à la création de la FNDIRP et de l’Amicale d’Auschwitz. Lucien, avec sa passion et sa force de carac- tère, y contribuera activement. Militant politique, élu municipal, Lucien sera un infatigable militant de la Mémoire. - 1 - Lucien Ducastel (45491) nous a quittés le 16 février 2012. Son apport à la Mémoire des convois des 45000 et des 31000 a été essentiel. Lucien a été un homme de conviction et d’engagement. Mémoire Vive a souhaité au travers de ce bulletin valoriser le caractère de son engagement et mettre en valeur une personnalité qui a marqué tous ceux qui l’ont approché.

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Birkenau, Block 25. Ma voix s'élève ettremble au moment de rendre à montour un hommage. Je finis par me taire. Unlong silence. Très long. Et c'est là, fracas-sant ce silence que Lucien prend la paro-le. Raconter l'atroce. Ce qu'on a fait auxcamarades. Raconter l'innommable. Ceque l'on a vécu, vu, entendu. Il parle, inta-rissable. «Il ne s'agit pas de dire dire diredire…». Oui, Lucien, il n'y a pas de mots.Seuls les tiens, les vôtres, sont véridiques.Sur quelques visages du groupe, il y a deuxsentiments qui s'alternent, la gravité et lesoulagement. De le voir parler, de l'en-tendre dire, dire qu'il n'a rien oublié,parce que c'est inoubliable.De retour à Paris, et bien même des moisplus tard, ce que Lucien nous a dit ce soir-là me reste gravé dans la mémoire. Lesmoments, même les plus courts où j'ai pufréquenter Lucien le restent aussi.Beaucoup plus qu'une rencontre : unevéritable leçon de courage, de vie, maissurtout d'humanité.

Catherine KamaroudisArrière petite-fille de Germaine

Renaudin (31716)

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M v

Notre site interneth ttp://www.memoirevive.org

Silence, les Faurisson et autres politiciensde bas étages, falsificateurs de l’histoired’un passé dont ils rêvent le retour. OuiMessieurs, nous avons en mémoire,comme si c’était hier l’odeur pestilentiel-le, où se mélangent l’odeur des maraisséchés porteurs de malaria et de typhuset celle des fours crématoires qui cra-chent leur fumée humaine. Oui, nousavons connu la fosse commune où l’onjetait les bébés qui arrivaient des convois.Oui, nous avons perdu 90 % des nôtresdans cet enfer, alors silence messieurs !

Lucien Ducastel in L’EveilJuin 1992

Avec Jean Daniel à Auschwitz en 2005

De gauche à droite, Yves Jégouzo, Claudine

Frydman, Lucien, Jean Doucet, Charlotte Rivière à

Birkenau en juillet 2011

De gauche à droite, Renée Joly, Claudine Collet-Riera, ChristianeBorras (31650), Lucien, au Camp des Femmes de Birkenau en 1995

Avec René Besse (45240) à Auschwitz I en 2005

Avec Jean-Marie Dusselier au monument de Birkenau

Lors d’un voyage avec la ville de Nanterre, dans la cour du Block 11 d’AuschwitzI, avec Patrick Jarry, maire de Nanterre, Vincent Pascucci de l’ANACR, et desjeunes lycéens.

Contact :Fernand Devaux2, rue du 18 juin

95120 ERMONTtél. 01 34 13 16 88

n°47mai 2012

Mémoire Vivela lettre de l’association des 45000 et des 31000 d’Auschwitz-Birkenau

Lucien est né à Darnetal près de Rouenen 1920 dans une famille ouvrière. Dès

l’âge de 16 ans, il participe aux grèves de1936. Lorsqu’en 1939, le parti communis-te est dissous et que le parti communiste etle général de Gaulle appellent à laRésistance, Lucien participe au regroupe-ment des jeunes communistes et à la pour-suite de leurs activités clandestines au seindes Bataillons de laJeunesse.Il distribue des tracts,procède à des inscrip-tions antifascistes sur lesmurs de la ville et unenuit plante un drapeautricolore sur la caserneTallandier à Petit-Quevilly, occupée parl’armée allemande. Il est arrêté dans la nuitdu 21 au 22 octobre1941 sur dénonciation,par la police française,avec une centaine derésistants de la région deRouen, à la suite d’atten-tats en Seine-Maritime.Incarcéré à la caserne Hatry de Rouenpendant une semaine pour y subir desinterrogatoires, il sera transféré avec sescompagnons au camp allemand deRoyallieu à Compiègne.Lorsqu’en 1941 Hitler décide de la dépor-tation des juifs et des communistes versl’Est en réponse au développement desactions de la Résistance, une autre page dela répression s’ouvre. La composition duconvoi du 6 juillet 1942 en est une illustra-tion, Lucien fait partie des 1000 commu-nistes du convoi.Lorsqu’à notre arrivée le convoi est séparéen deux groupes, Lucien fait partie descamarades qui restent à Birkenau, où lesconditions de survie sont les plus difficiles.

Tout au long de sa déportation, Lucienconnaîtra les conditions de vie les pires,affecté à des commandos de travail à l’ex-térieur et nécessitant les efforts physiquesles plus importants comme le terrassement,la construction d’un canal.Lucien fait partie des 17 survivants quireviennent à Auschwitz en mars 1943.Très affaibli, il entre à l’infirmerie. C’est là

que nous nous rencontrons pour la pre-mière fois. Lucien sera sauvé par un chef debloc, un communiste allemand, qui lecachera lors d’une sélection pour lachambre à gaz.En avril 1943, Lucien fait partie de ceuxd’entre nous qui sont rassemblés au block11. Si pour beaucoup d’entre nous cettemise en quarantaine va nous permettre dereprendre des forces car nous y sommesdispensés de travail, Lucien y subira l’unedes sanctions les plus lourdes. Accusé d’êtreporteur d’un «couteau sabre», il s’agissait enfait d’une plaque de zinc de 5 cm qui luiservait à étaler sur son pain le peu de mar-garine qui nous était octroyé, il estcondamné à 10 jours de Stehen Bunker et

10 jours de commando disciplinaire. LeStehen Bunker était une cellule d’environ1m2, sans toit, dans laquelle plusieursdéportaient passaient la nuit sans pouvoirs’asseoir. Pour y entrer, les déportésdevaient se baisser sous les coups.En septembre 1944, nous sommes séparésen 4 groupes de 30 environ. L’un reste àAuschwitz, les 3 autres prennent des direc-

tions différentes.Lucien, GeorgesDudal et moi,sommes dirigés versGross Rosen. Nous ysommes regroupésdans le même bloc.Nous sommes dési-gnés pour organiserla solidarité dansnotre groupe.En février 1945,l’évacuation de GrossRosen est un nouveléclatement de notregroupe et je neretrouverai Lucienqu’en mai 1945 àl’hôtel Lutétia.

À notre retour en France, la mise en appli-cation du programme du Conseil Nationalde la Résistance est pour les militants quenous sommes un appel à participer à laconstruction de cette nouvelle société.Lucien reprendra donc dès que sa santé lelui permettra sa vie syndicale et de militantpolitique. L’expérience d’Auschwitz, lesengagements pris devant nos camaradespour qu’il n’y ait PLUS JAMAIS CA, vontnous faire prendre une part très active, nousles 45000 et les 31000, à la création de laFNDIRP et de l’Amicale d’Auschwitz.Lucien, avec sa passion et sa force de carac-tère, y contribuera activement.Militant politique, élu municipal, Luciensera un infatigable militant de la Mémoire.

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Lucien Ducastel (45491) nous a quittés le 16 février 2012.Son apport à la Mémoire des convois des 45000 et des 31000 a été essentiel.

Lucien a été un homme de conviction et d’engagement.Mémoire Vive a souhaité au travers de ce bulletin valoriser le caractère de son engagement

et mettre en valeur une personnalité qui a marqué tous ceux qui l’ont approché.

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ucien, c’est un de mes plus anciens etplus proches compagnons de toutes les

luttes. Je l’ai connu à son retourd’Auschwitz en 1945 quand il reprit aussi-tôt sa place dans les rangs de la JeunesseCommuniste en ce qui s’appelait encore laSeine-Inférieure. Lucien c’est un de ceshommes dont la modestie et la simpliciténe contredisent point le courage, l’intelli-gence et l’intégrité.Il est de ceux qui, si nombreux, furent arrê-tés par les gendarmes français pour lecompte des hitlériens le 21 octobre 1941,sur les instructions de Pucheu, alorsministre de Pétain, le jour même où furent

fusillés à Châteaubriant les vingt-sept du«chemin de l’honneur» parmi lesquels GuyMôquet. Son bras portait toujours l’infâmeet glorieux tatouage de tous ceux qui,comme lui, internés au camp deRoyallieu-Compiègne, en furent déportésà Auschwitz en juillet 1942. Le départe-ment de Seine-Maritime est un de ceux oùle nombre d’arrestations fut le plus élevé.Parmi eux, beaucoup se souviennent deGermaine Pican, Lucie Guérin et LouisEudier qui furent, après la libération, parle-mentaires communistes de notre départe-ment, de Danielle Casanova, de Marie-Claude Vaillant-Couturier, de tant d’autresgloires françaises.

Dès son retour de déportation, Lucienreprit sa place dans les rangs de la JeunesseCommuniste. Nous commençâmes alors ày partager des responsabilités régionales,avant de nous retrouver, dès 1948, auSecrétariat fédéral de Seine-Maritime duParti Communiste Français. Durant toutela période de la guerre froide, il assuma desresponsabilités combatives. Il fut alors pre-mier adjoint au maire de Petit-Quevilly, undes villes importantes du département.Son intelligence, son dévouement, sontalent d’organisation en firent plus tard uncollaborateur très proche de GastonPlissonnier, secrétaire du Comité Central,

et en firent aussi un des organisateurs del’activité politique du parti communistedans les rangs de l’armée.Il ne dépassa jamais l’âge de combattre etde manifester ses convictions et ses aspira-tions. Il se consacra donc ensuite à entrete-nir le souvenir de la résistance et de ladéportation, à en montrer la réalité auxjeunes générations.Son souvenir demeure exemplaire.

Roland Leroy,Ancien Secrétaire de

la Fédération du PCF de Seine-Maritime et ancien directeur de

L’Humanité

U n e n g a g e m e n t g l o b a l

A Petit-Quevilly, alors qu’il était pre-mier adjoint, il fait en sorte queAndré Bréançon, Hilaire Casgelli,Adrien Gentil et Charles Le Gacaient une rue qui porte leur nom.Une rue porte également le nom deClaudine Guérin, benjamine duconvoi des 31000, originaire deRouen, arrêtée au lycée à Paris dansl’affaire André Pican.Avec son ami Robert Gaillard(45565), il organisera la premièrerencontre des 45000 et des 31000 àPetit-Quevilly, organisera de grandesmanifestations pour faire sortir cesdeux convois spécifiques de l’oubli etleur donner leur juste place dans l’his-toire de la Résistance et de la déportation.Robert et Lucien, inséparables, ontété les artisans de nos retrouvailles etde notre action de passeurs demémoires, pleinement engagés dansles combats actuels contre les discri-minations, toutes les formes de racis-me et d’antisémitisme.C’est leur enthousiasme, leur force deconviction qui ont permis la créationd’un petit groupe de 4 camarades dela région parisienne (Roger Abada,Lucien Ducastel, André Montagne etmoi-même, rejoints ensuite parGeorges Dudal) qui a été précurseurde la création de notre associationMémoire Vive en 1996.C’est ce petit groupe qui a active-ment contribué au travail deClaudine Cardon-Hamet pour la sor-tie du livre «1000 otages pourAuschwitz».La vie de Lucien est un parcours delutte pour construire une société plusjuste – Lucien avait avec lui-même etavec les autres un niveau d’exigencequi pouvait être rude mais une gran-de humanité. Il alliait un caractèrefort, emporté et une capacité d’écou-te exceptionnelle, une grande géné-rosité et une sensibilité profonde.Nous espérons au travers de ce bulle-tin vous faire partager toutes lesdimensions de cette personnalité quia marqué tous ceux qui l’ont rencontré.

Fernand Devaux (45472)

Roland Leroy lors de la cérémonie à Compiègne en 1982 avec plusieurs 45000 et 31000 à l’occasiondu 40ème anniversaire du départ du convoi des 45000. A sa droite, Philippe Marini, maire deCompiègne

U n e n g a g e m e n t g l o b a l

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Nommé Principal du collège PaulVerlaine en septembre 2000, je fus

mis très vite au courant des projets de l’ate-lier patrimoine, que dirigeait notre regret-té François Legros. Ce dernier, qui prépa-rait alors la sortie du livre «le convoi des45000» faisait appel aux témoins et nousles recevions au collège. C’est ainsi que j’airencontré Monsieur Lucien Ducastel. Cequi m’a d’abord frappé, alors qu’il parlait

avec douceur et conviction aux élèves,c’était son visage ! J’avais l’impression qu’ilsouriait doucement et de façon constante,cela lui donnait un ascendant sur son audi-toire, dont il n’avait vraisemblablement pasconscience.En juin 2001, nous nous sommes rendus àAuschwitz avec une cinquantaine d’élèveset quelques adultes. Nous y avons retrouvésur place plusieurs anciens déportés, dontLucien. Au camp 1, au pied des ignoblescachots où il avait été enfermé, il expliquaitles larmes aux yeux, dans un silence total,les hurlements des déportés que l’on traî-nait jusqu’au mur afin de les exécuterd’une balle dans la tête …. mais même cejour-là, pas une seule fois il n’a tenu un seulpropos violent à l’encontre del’Allemagne ! Il rappelait sans cesse qu’il

fallait faire la différence entre le peupleallemand et les hordes de nazis !C’est je crois à ce moment-là que je mesuis dit que j’étais en face d’un pédagoguede talent, qui était d’autant plus crédiblequ’il était tout simplement profondémenthonnête, et que tous ses auditeurs le sentaient.J’ai pris la décision de demander pour luiles palmes académiques. Les détails sontinutiles il faut simplement savoir que cette

demande a été acceptée à la premièrerequête !Je sais que la remise officielle s’est faite à lamairie de Nanterre. N’ayant pas d’adjoint àl’époque je n’avais pu m’y rendre mais dansle livre «Evrecy mutations d’un bourgrural» paru en juin 2004 au collège j’airetrouvé les textes suivants :Cette année le moment le plus fort a sansdoute été la remise de la médaille despalmes académiques à Lucien Ducastel parMarc Boilay, principal du collège .Ce der-nier lui a dit : « lorsque vous êtes sorti descamps, vous auriez pu préférer le silence oul’oubli . Vous avez choisi de continuer àvous battre. Votre bataille a été celle de lavolonté de dire, de faire savoir jusqu’où deshommes peuvent se perdre, jusqu’où l’hor-reur peut aller quand elle est rationalisée.

Ce devoir de mémoire, vous l’avez mer-veilleusement servi. Vous avez été un grandpédagogue. J’ai vu comment vous saveztrouver les mots qui touchent le cœur et laraison des adolescents.»Manifestement ému Lucien Ducastel aconfié que «cette distinction était toutd’abord l’illustration du serment que nousavons fait à notre retour, de dire ce quenous avions vécu, pour exprimer les condi-tions dans lesquelles nos camarades ont dis-paru, pour tout dire sur le système concen-trationnaire qui nie l’individu et les idées,distille le racisme, l’antisémitisme, tout cequi a contribué à l’extermination de l’individu».Il a ensuite ajouté que les témoignagesprennent tout leur sens s’ils sont un élé-ment de construction de la citoyennetépour que les jeunes que nous rencontronssoient des citoyens responsables, impliquésdans la vie de leur cité, de leur pays, de lacommunauté internationale.Il a enfin affirmé toute sa confiance dansl’école de la République car le savoirqu’elle transmet a aussi permis à des dépor-tés de mieux tenir dans l’enfer des camps !Que madame Ducastel et sa fille sachentune fois encore, s’il en est besoin, queLucien a apporté beaucoup à ceux qui onteu la chance de le rencontrer. Ses interven-tions ont permis à de très nombreux jeunesde comprendre, d’être vigilants et enquelque sorte de prendre le relais. MerciMonsieur Ducastel !

Marc Boilay

L e s P a l m e s a c a d é m i q u e s

Pour Lucien, l’attribution des Palmes académiques était la reconnaissance del’action collective des enseignants et des rescapés envers les jeunes généra-

tions pour les sensibiliser à leur responsabilité de citoyens.

Avec Marc Boilay

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R e n c o n t r e f r a n c o - a l l e m a n d e

Lucien et les résistants de Nanterre, en particulier Vincent Pascucciet Daniel Archen (fils d’Auguste Archen - 45177), ont participé à un échange

entre les élèves du lycée Joliot-Curie de Nanterre et les élèves du«Dreikönigsgymnasium» de Cologne étudiant le français

Les démocrates allemands étaient nos frères de combat

Nous venons de parcourir le camp d’ex-termination du Struthof. Des milliers decombattants contre le nazisme y sont tom-bés. Ils étaient allemands, français et origi-naires d’autres nationalités. Ils sont tombésdans un même combat contre le nazisme,qui a fait de par l’Europe des millions de

victimes, patriotes, résistants de diversesnationalités, d’autres juifs, tziganes, homo-sexuels, victimes du racisme, de l’antisémi-tisme, de leur différence. Les uns et lesautres sont tombés pour que les généra-tions qui leur succéderont puissentconnaître un monde de fraternité et de

bonheur. Nous nous inclinons respectueu-sement à leur mémoire.A cet instant, qu’il me soit permis desaluer tout particulièrement nos jeunesamis du lycée Dreikönigsgymnasium deCologne, ceux du Lycée Joliot Curie deNanterre, leurs professeurs, nos amisde la Résistance venus eux-aussi rendrehommage aux victimes du nazisme.Chers amis, nous n’oublierons jamaisque ce sont les démocrates allemands,nos frères de combat contre le nazismequi ont «inauguré» les premiers campsde concentration.`Nous nous inclinons bien respectueu-sement à leur mémoire.Chers amis, la bête immonde n’a pasdisparu, le racisme et l’antisémitismesont toujours présents avec la mêmeidéologie xénophobe et criminelle.A l’heure où nous sommes réunis ici,des peuples connaissent de nouveau lesdrames de la guerre dans différentspays toujours au service des mêmesidéologies nauséabondes.Ce ne sont pas les forces de frapped’où qu’elles viennent qui solutionne-ront les problèmes qui se posent auxpeuples où que ce soit, dans quelqueconflit que ce soit dans ce monde qui seveut moderne et pourtant si dange-reux. C’est à l’ONU qu’il appartient derechercher les solutions, de saisir toutpas en avant qui peuvent se manifesterpour aller vers des solutions négociées.Mais c’est aussi aux peuples de prendreconscience de leurs responsabilités etd’agir pour que se développe un puis-sant mouvement populaire de fraterni-té et de paix.Nous devons contribuer au développe-ment d’un puissant mouvement de soli-darité envers ces peuples, ces jeunes,ces enfants qui font une fois encore lesfrais de telles ambitions criminelles.Les événements qui viennent de sedérouler en Autriche, aux portes del’Allemagne, aux portes de notre pays,doivent nous conduire à agir.En France même, nous devons dévelop-per avec plus de force et de persévé-rance le combat contre le racisme etl’antisémitisme.

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Lucien était un homme de conviction ;sa droiture, sa franchise étaient pour

beaucoup dans la confiance qu’il savaittransmettre à ses interlocuteurs.J’ignore si beaucoup d’habitants de votrecité savaient que ce voisin affable, simple,discret, s’était comporté en héros à unmoment tragique de notre histoire. Lucienne tirait aucune gloire de son passé, cen’était pas son genre, mais quel regret fina-lement que la vie de personnalités aussifortes, personnifiant le courage, ne soientpas connus de tout un chacun !. (...)Comme souvent ses compagnons le firent,Lucien bien que victime et témoin despires abjections, conservait sa foi dansl’homme, dans la possibilité de construireun monde meilleur. Et Lucien, l’horreur nel’avait pas fait plier, se redéploie commemilitant, comme acteur social, dès les moissuivants son retour des camps, et donne lemeilleur de lui-même.Je connais Lucien lorsqu'il devient en 1965citoyen de Nanterre, et ses qualités derigueur, outre l’immense respect que j’avaispour son parcours, m’impressionnaient. Jeme souviens aussi que Lucien aimait enréalité, plus que la vie de bureau, la chaleurdes contacts humains, les combats concrets,leur âpreté ne lui faisait pas peur, et c’est laraison qui le conduit à s’investir, au débutdes années soixante-dix, dans l’organisationdes luttes pour la défense des locataires et lapromotion du logement social ; il sera undes pivots de la CNL, son premier respon-sable dans les Hauts-de-Seine.Lucien était un homme bien, qui avait sugarder son cap de jeunesse, qui avec unefinesse culturelle, était ouvert au monde etattentif aux autres. Nous nous sommesbeaucoup vus en réunions ces dernièresannées et je le trouvais formidablementtouchant. L’attention en public, Yvette, lesdélicatesses qu’il te témoignait, étaient lamarque d’un homme, que la vie certesn’avait pas épargné, mais qui conservait aufond de lui-même en dépit de l’usure dutemps, sa sensibilité, son humanité, sa fidé-lité, et c’est aussi pour cela qu’on ne l’ou-bliera pas.

Michel Duffour,Ancien Conseiller général et

Sénateur des Hauts-de-Seine,ancien Secrétaire d’Etat

ucien, que j’ai eu la chance de côtoyer,a toujours été un homme de convic-

tions.Comme son parcours, qui vient d’être rap-pelé, le montre, il a toujours porté desvaleurs d’humanisme, de solidarité, d’en-traide, avec toute la force et l’énergie quenous lui connaissions.Auprès de sa famille et de tous les gensqu’il a rencontrés, dans toutes ses activités,sa présence et sa capacité à entraîner lesautres nous aurons marqué.La ville de Nanterre a eu l’honneur deprofiter de sa personnalité et de ses enga-gements pendant près d’un demi-siècle. Ilaura marqué de son empreinte singulière lamémoire de la ville.Avec ses amis, notamment VincentPascucci, avec tous les membres des asso-ciations d’anciens combattants et résistants,aux côtés des différents maires de la ville,Raymond Barbet, Yves Saudmont,Jacqueline Fraysse et moi-même, il acontribué à façonner cette ville (…).Il nous a montré le chemin de ce quedevait être le devoir de mémoire. Arrêté avec ses camarades par la policefrançaise parce qu’ils combattaient l’idéo-logie raciste du régime nazi et qu’ils refu-saient les remises en cause des conquêtessociales, il a toujours rappelé avec vigueurles valeurs qui l’ont conduit à se lever danscette terrible période. Et ces valeurs, celles progressistes duProgramme du Conseil National de laRésistance, il a continué de les porter dansles luttes sociales et politiques d’aujour-d’hui.Et parce que c’est avec des juifs, des tsi-ganes, des homosexuels, des opposantspolitiques, sans distinction, qu’ils furent, à

Birkenau, tous les victimes de la pire bar-barie qu’ait connue l’Humanité, Lucien nepouvait concevoir de différences entre leshommes. Il ne pouvait accepter quelconquesatteintes portées à la dignité des êtreshumains par des idées ou des théories quiprônent la supériorité des uns sur lesautres.Il concevait la société comme un tout. A l’image de notre ville, la diversité desorigines, les différences culturelles, la diver-sité de confessions ou d’origines sociales,constituaient une force. Et il portait haut etfort cette richesse que constituent la mixi-té et le vivre ensemble, ces valeurs quicaractérisent Nanterre, cette ville pourlaquelle il avait toujours beaucoup d’atten-tion (…).Transmettre aux jeunes générations, parti-ciper à la mémoire collective, c’était aussipour lui une façon de construire ensembleun projet commun, de porter un mondeoù chacun a sa place. Et par ce savoir, par ce partage des connais-sances, se construit une véritable vigilancecollective, porteuse d’actions contre lesdangers qui sont encore présents aujour-d’hui (…).Transmettre, c’est se souvenir qu’au cœurde la guerre, des femmes et des hommes sesont réunis pour préparer un avenir plusjuste, plus pacifique, plus humain. Ils ontélaboré un patrimoine commun et des dis-positions progressistes, si souvent égrati-gnées et mises à mal aujourd’hui (…).Comme beaucoup, je garderai de monséjour à Auschwitz avec Lucien et Vincent,une trace ineffaçable, un moment fort,inoubliable.

Patrick Jarry, Maire de Nanterre

e t s a n s f a i l l ePatrick Jarry, Maire de Nanterre, et Lucien à Birkenau

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u retour d’Auschwitz, ce fut unelongue et tragique histoire qu’ils

eurent à raconter.Devant l’attente angoissée des familles des1056 morts, ils se heurtèrent à l’indisso-luble espoir de retour des disparus. De tousleurs combats, le plus douloureux sera celuique chacun mènera contre les séquelles

laissées dans le corps et l’esprit.Ils adhéreront à cette organisation d’entrai-de qu’allait devenir la FNDIRP. Ils pren-dront une grande part dans la fondation del’Amicale des anciens déportés et déportéesd’Auschwitz. Une des 31000, Marie-ElisaCohen en fut Présidente dans les années50. Ils apporteront leur contribution aulivre édité en 1946 « Témoignages surAuschwitz ».Leur besoin de se retrouver entre 45000 et31000, de se réunir avec leurs familles, vales conduire à cette rencontre de Rouen etPetit-Quevilly … puis au Havre avecRoger Arnould intervenant sur sesrecherches sur les 45000.Le succès de leurs initiatives les incite à sedoter d’un secrétariat spécifique au sein del’Amicale d’Auschwitz, destiné à maintenirles contacts, sur proposition de RobertGaillard à Roger Abada, Lucien, AndréMontagne, Fernand Devaux.La mise en chantier d’une histoire des45000, initiée par Roger Arnould, relayéepar Claudine Cardon, historienne, s’ajou-tant aux voyages à Auschwitz, aux cérémo-nies du souvenir, va progressivement dessi-ner les contours d’une association, qui vavoir le jour en 1996.On passait ainsi de l’organisation ponctuel-le de rencontres à la création d’association.

En créant Mémoire Vive, les 45000 et les31000 ont voulu, en restant présents etactifs, passer le relais et créer les conditionsd’une démultiplication plus importante.Lucien en fût le 1er président, Marie-Claude Vaillant-Couturier sera présidented’honneur aux côtés de Germaine Pican,Madeleine Odru, Christiane Borras,

Hélène Allaire, Madeleine Jégouzo, Marie-Louise Méchain Rose.Juste retour des choses lorsque l’on connaîtle poids historique de la Seine-Maritime etdu 45000 Robert Gaillard. Les années 97-98-99-2000 et 2001 furent « très nor-mandes ». Après l’assemblée constitutive de1996 à Nanterre, la première AG se tenaitau Mémorial de Caen d’où 80 calvadosiensdevinrent des 45000. Notre association apris une autre dimension écrivait Luciendans notre bulletin.Une rencontre allait également beaucoupcompter : Lucien et François Legros, pro-fesseur d’histoire. En mai 1997, à Port enBessin, en juin à Caen, en 1998 et 1999 àBayeux pour une action antisfasciste contreun élu FN à la direction du Musée de laBataille de Normandie, puis Rouen et

Mont-Saint-Aignan au CRDP, enfin leHavre.C’est à l’issue de l’AG de Rouen, endécembre 2000, que Lucien passait le relais,demandant de pouvoir se consacrer essen-tiellement aux rencontres scolaires ; et sonbilan en la matière fût impressionnant, nonseulement au-delà du collège AndréDoucet, mais aussi de la région.Il pût s’enorgueillir du titre de « chevalierdans l’ordre des palmes académiques »décerné en 2003 pour son action en faveurde la mémoire de la déportation auprès desélèves de nombreuses classes de France.Nous saluons Lucien qui fut de tous lescombats pour la justice, la paix, la défensedes droits de l’homme.Nous le saluons pour sa fidélité à son idéalde jeunesse et au serment prononcé par lesdéportés en 1945 aux idéaux de laRésistance.

Roger Hommet, co-président deMémoire Vive

U n e n g a g e m e n t g l o b a l

Première rencontre des survivants et des familles en 1960 à Petit-Quevilly

Avec François Legros à Caen

Lors de l’Assemblée générale de Mémoire Vive de Rouenen 2000

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ous marchons vers l’école communa-le Lucien et moi par un bel après-

midi d’automne ensoleillé.- Nous ne serons pas en retard Danielle ?- Non Lucien. Regarde, comme nous cesenfants se rendent à l’école et eux ne sepressent pas !- J’ai toujours été ponctuel, je ne voudraispas être en retard sur l’horaire convenuavec toi et l’instituteur.- Nous serons à l’heure, l’école n’est pastrès loin. Regarde comme le village estbien fleuri !La cour d’école résonne de rires d’enfants.De tous les coins, on court, on saute, oncrie ! Ici un petit groupe, filles et garçons,

échange des nouvelles avec de grandsgestes … Monsieur Petitjean, l’instituteur,quitte ses collègues et s’avance vers nous. Jeprésente Lucien aux enseignants, non sansfierté : «déporté à Auschwitz, compagnonde mon père». Nous avons à peine fait lesprésentations qu’un garçonnet blond etbouclé, l’air triste, nous interrompt :«Monsieur, la bande là-bas, ils m’attaquentet m’appellent «mouton» !». Le maîtres’éloigne pou régler le «problème». Lucienprend l’enfant vers lui et remarque qu’il aun tatouage transfert sur la main droite : «Ilest beau ton tatouage, dis donc ! Regarde,moi aussi j’en ai un». Lucien retrousse lamanche gauche de sa veste, le gamin inter-loqué regarde, lit à vois basse «45491» etretourne jouer. Le maître frappe dans ses

mains, les rangs se forment calmement etnous suivons la classe des plus grands.Lucien s’installe au bureau, parle de sonarrestation, le pourquoi, le convoi des45000, les wagons verrouillés, l’arrivée,l’arrivée aux camps d’Auschwitz et deBirkenau. Il prend garde de ne pas diretoutes les horreurs, mais d’une voix calmeappuie sur la faim, la soif, les coups, lamatraque, les maladies, les nombreuxmorts, les journées de travail exténuantes,les appels interminables, debout dans legrand froid ou l’écrasante chaleur … etl’arrivée des trains entiers de femmes,enfants, vieillards, qui arrivaient là sanssavoir ce qui les attendait …

Je suis étonnée de la qualité d’écoute desélèves. Ils prennent des notes, pas un seulbruit dans la classe. Lucien propose derépondre aux questions. Les doigts selèvent et il répond à chacun. Il y a toujoursdes doigts levés : les coups, la matraque, legrand nombre de détenus, de morts, la des-cription de la nourriture impressionnentles enfants.- M’sieur, vous étiez plus que mille, com-ment vous faisiez le soir pour retrouvervotre lit ?- Nous n’avions pas de lit, c’était …- M’sieur, pourquoi vous ne vous êtes pasévadé du camp ?Chaque élève attend patiemment son tourpour poser sa question. Lucien repère ceuxqui n’ont pas encore pris la parole. Il ter-

mine sur la nécessité du respect de l’autreet de sa différence, par son espoir de laisseren eux un message de paix. Une heure etdemie d’écoute et de questions. On entenddes cris venant de la cour, l’autre classe estsortie en récréation. «Il faut arrêter là» ditle maître ; mais les enfants veulent un mot,la signature de Lucien sur leur cahier dedevoirs. Ils l’entourent au bureau, se bous-culent un peu. Je remarque des bras de gar-çons sur lesquels est écrit le numéro 45491au feutre noir ou de couleur. Les filles l’ontinscrit sur leur main gauche. Lucien, tou-jours calme et souriant, est assailli par lescahiers.- Là M’sieur, écrivez là s’il vous plaît, merciM’sieur Ducastel !Les élèves sortent enfin dans la cour.Lucien a pris le temps nécessaire pour cha-cun d’eux.Jai rencontré le maître le lendemain : «lesélèves ont été très attentifs» lui dis-je. «Oui»me répond-il, «ils m’ont étonné. Ils ontremarqué que Monsieur Ducastel n’avaitpas tout dit ; les silences, même courts, lesont interpellés. D’autres questions vien-dront plus tard. Je garde vos documents, jevais continuer avec eux, ils veulent appro-fondir».Dans mon village, l’appel de Lucien au res-pect de l’autre et à la tolérance a été enten-du et je suis sûre que les enfants et les ado-lescents en qui il met tous ses espoirs nel’oublieront pas.

Danielle Cavalli, fille de Amadéo Cavalli (46227)

v e r s l e s j e u n e s

Avec Danielle Cavalli

V2

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J’ai fait laconnaissance de Lucien

Ducastel, lors de mon premier voyage à Auschwitz avecl’association «Mémoire Vive». J’avais décidé de m’yrendre parce que des déportés des convois de résis-tants seraient présents : Lucien, Fernand, Betty etCécile. Il me semblait, avec raison, que côtoyer leurforce m’aiderait à supporter cette confrontation avec l’indicible.En effet je suis et je me sens «fille de déporté-résistant». Je craignais d’ajouter à l’émotionnaturelle en ces lieux, une émotion personnelle toujours très vive quand on évoque ce que des hommes et unsystème ont fait subir à vos proches, à vos parents, leurs compagnes et leurs compagnons. Emotion multipliée par le nombre de ceux quiont souffert ou succombé dans ces lieux terribles ou toutes les valeurs humaines devaient être écrasées. Ma mère n’a jamais voulu revenir à Auschwitz, disant avec humour, que «le séjour ne lui avait pas plu». Elle avait recommandé à Lucien, àsa famille et à Bernadette, fille de 45000, de porter une attention particulière à sa fille très émotive. C’est ainsi que j’ai vécu ce voyageentourée de leur affection familiale et fraternelle. Lucien, avec sa gentillesse, sa bienveillance, sa simplicité, écoutait les réflexions des uns ou des autres et répondait aux questions desmembres du groupe. Il était parfois, lui-même étreint par l’émotion quand il évoquait le premier assassinat de sang froid, par un Kapo, d’unde leurs camarades, la journée meurtrière de Noël, l’arrivée du convoi des femmes (les 31000), les cris des enfants et des femmes. Plusieursjeunes amis ont demandé si ce n’aurait pas été plus simple de se suicider. Lucien et Fernand expliquaient la solidarité, la lutte pour sur-vivre et témoigner, la force qu’ils tiraient de leurs engagements militants. Ils plaçaient leur lutte pour survivre dans celle des hommes quidans l’histoire ont combattu pour le triomphe des valeurs humanistes : liberté, égalité, solidarité, démocratie, respect des différences et dela vie humaine. C’est un devoir pour chacun, à son niveau, de chercher à comprendre et de s’impliquer dans la vie sociale et politique, dene jamais renoncer. Les jeunes présents puisaient, je pense, dans les discours des quatre déportés, de la force et la détermination à s’en-gager au cours de leur vie. De retour en France, mon frère Pierre, qui faisait partie du voyage, a offert à Lucien l’album de photos et de texte qu’il avait constitué.Lucien en a été très touché.Par la suite, Lucien s’est montré plus empreint d’émotions. Il était là lorsque je suis retournée à Auschwitz avec Rémi, mon fils, Nicolas etAnne mes neveu et nièce et Adeline une jeune amie. Je l’ai senti habité par le souvenir des femmes et des enfants qui avaient souffert etqui étaient, ici, allés à la mort. Cela ne le quittait plus. J’ai eu la chance de le connaître. J’ai encore eu la chance de le côtoyer lors de la cérémonie commémorant le départ des 31000 et de sen-tir son affection. J’ai été particulièrement émue lors de ses obsèques d’apprendre par Claudine, sa fille, comment son père, avec ténacitéet à force de conviction, avait mis sur pied un conservatoire de musique et de chant à Petit-Quevilly, banlieue ouvrière de Rouen. Tous lesenfants intéressés étaient acceptés et le conservatoire a remporté de nombreux et grands succès. Au contact de ces déportés résistants qui avaient survécu, j’avais l’impression qu’ils étaient de véritables trompe-la-mort. Indestructibles. Ils disparaissent cependant et quand nous les perdons nous les perdons deux fois. Une première fois pour ce qu’ils étaient et l’affectionque nous leurs portions ; une seconde fois pour le morceau d’Histoire qui disparaît avec eux. C’est à travers la force que nous avons pui-sée à leur contact que le précieux message qu’ils nous ont transmis, perdurera.

Annick Odru, fille de Madeleine Odru (31660)

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J’ai fait laconnaissance de Lucien

Ducastel, lors de mon premier voyage à Auschwitz avecl’association «Mémoire Vive». J’avais décidé de m’yrendre parce que des déportés des convois de résis-tants seraient présents : Lucien, Fernand, Betty etCécile. Il me semblait, avec raison, que côtoyer leurforce m’aiderait à supporter cette confrontation avec l’indicible.En effet je suis et je me sens «fille de déporté-résistant». Je craignais d’ajouter à l’émotionnaturelle en ces lieux, une émotion personnelle toujours très vive quand on évoque ce que des hommes et unsystème ont fait subir à vos proches, à vos parents, leurs compagnes et leurs compagnons. Emotion multipliée par le nombre de ceux quiont souffert ou succombé dans ces lieux terribles ou toutes les valeurs humaines devaient être écrasées. Ma mère n’a jamais voulu revenir à Auschwitz, disant avec humour, que «le séjour ne lui avait pas plu». Elle avait recommandé à Lucien, àsa famille et à Bernadette, fille de 45000, de porter une attention particulière à sa fille très émotive. C’est ainsi que j’ai vécu ce voyageentourée de leur affection familiale et fraternelle. Lucien, avec sa gentillesse, sa bienveillance, sa simplicité, écoutait les réflexions des uns ou des autres et répondait aux questions desmembres du groupe. Il était parfois, lui-même étreint par l’émotion quand il évoquait le premier assassinat de sang froid, par un Kapo, d’unde leurs camarades, la journée meurtrière de Noël, l’arrivée du convoi des femmes (les 31000), les cris des enfants et des femmes. Plusieursjeunes amis ont demandé si ce n’aurait pas été plus simple de se suicider. Lucien et Fernand expliquaient la solidarité, la lutte pour sur-vivre et témoigner, la force qu’ils tiraient de leurs engagements militants. Ils plaçaient leur lutte pour survivre dans celle des hommes quidans l’histoire ont combattu pour le triomphe des valeurs humanistes : liberté, égalité, solidarité, démocratie, respect des différences et dela vie humaine. C’est un devoir pour chacun, à son niveau, de chercher à comprendre et de s’impliquer dans la vie sociale et politique, dene jamais renoncer. Les jeunes présents puisaient, je pense, dans les discours des quatre déportés, de la force et la détermination à s’en-gager au cours de leur vie. De retour en France, mon frère Pierre, qui faisait partie du voyage, a offert à Lucien l’album de photos et de texte qu’il avait constitué.Lucien en a été très touché.Par la suite, Lucien s’est montré plus empreint d’émotions. Il était là lorsque je suis retournée à Auschwitz avec Rémi, mon fils, Nicolas etAnne mes neveu et nièce et Adeline une jeune amie. Je l’ai senti habité par le souvenir des femmes et des enfants qui avaient souffert etqui étaient, ici, allés à la mort. Cela ne le quittait plus. J’ai eu la chance de le connaître. J’ai encore eu la chance de le côtoyer lors de la cérémonie commémorant le départ des 31000 et de sen-tir son affection. J’ai été particulièrement émue lors de ses obsèques d’apprendre par Claudine, sa fille, comment son père, avec ténacitéet à force de conviction, avait mis sur pied un conservatoire de musique et de chant à Petit-Quevilly, banlieue ouvrière de Rouen. Tous lesenfants intéressés étaient acceptés et le conservatoire a remporté de nombreux et grands succès. Au contact de ces déportés résistants qui avaient survécu, j’avais l’impression qu’ils étaient de véritables trompe-la-mort. Indestructibles. Ils disparaissent cependant et quand nous les perdons nous les perdons deux fois. Une première fois pour ce qu’ils étaient et l’affectionque nous leurs portions ; une seconde fois pour le morceau d’Histoire qui disparaît avec eux. C’est à travers la force que nous avons pui-sée à leur contact que le précieux message qu’ils nous ont transmis, perdurera.

Annick Odru, fille de Madeleine Odru (31660)

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n 2006 à Petit-Quevilly, les élèves del’atelier fonderie du lycée d’enseigne-

ment professionnel Colbert ont, dans lecadre d’un projet Mémoire, réalisé uneplaque commémorative qui a été apposée àl’entrée du camp du Struthof.Lucien Ducastel est ensuite intervenu lorsd’une journée de débat qui a été clôturéepar le coulage d’une seconde plaque iden-tique apposée dans le lycée. A cette occa-sion, le maire de la ville a remis à Lucien lamédaille de la ville.« Monsieur, le Maire, vous venez de meremettre la Médaille de la Ville, c’est unhonneur pour l’ancien Quevillais que jesuis. J’ai en effet un attachement très pro-

fond pour votre ville. J’y ai grandi, c’estégalement là que j’ai commencé à militeret que tout naturellement j’ai fait partie deceux qui se sont organisés pour résister aunazisme et à la collaboration. Et c’est là encore qu’au retourd’Auschwitz, j’ai repris une vie profession-nelle et militante et que j’ai pu vivre l’ex-périence passionnante d’être un élu muni-cipal, comme conseiller municipal puispremier adjoint au maire au cours de 3mandats conduits par mon ami MartialSpinnweber. C’et aussi à Petit-Quevilly que j’ai étéarrêté le 21 octobre 1941. Cette nuit-là uncoup terrible fut porté à la Résistance en

Seine-Mar itime.C’est en effet 96 denos camarades deSeine-Maritime et7 de Petit-Quevillyqui furent arrêtés. Ils’agit d’AndréBréançon, d’HilaireCastelli, de RobertGaillard, d’AdrienGentil, de CharlesLe Gac et de JulesMétais.(…) Nous venons

aujourd’hui à Petit-Quevilly, grâce àl’équipe pédagogique du lycée Colbert, à

nos jeunes amisélèves et à la muni-cipalité de vivre unejournée riche pourla transmission de laMémoire. Je vou-drais souligner quela transmission de laMémoire n’a desens que si elle nouspermet de com-prendre et d’êtrevigilants sur lesmécanismes qui ontengendré le système

qui a tenté d’anéantir la liberté et la démo-cratie en Europe. Comprendre ces méca-nismes pour être des citoyens plus respon-sables et vigilantsc’est le message quenous les anciensdéportés nous vou-lons transmettre.Il n’y a pas degrands et de petitsengagements, il y al’engagement quo-tidien pour luttercontre les inégalitéset l’exclusion, l’en-gagement quoti-

dien pour lutter à l’école, dans son quartier,dans son entreprise contre le racisme, l’an-tisémitisme et toutes les formes d’exclu-sion. C’est en effet, sur le développementde la précarité et de l’exclusion que sefabrique le lit des idéologies néfastes.

Nous vivons depuis quelques semaines enFrance des événements qui nous montrentune jeunesse inquiète pour son avenir alorsque c’est sur elle que repose l’avenir denotre société et la défense durable desvaleurs de la République. Laisser se développer cette inquiétude, nedonner comme perspective professionnellequ’une précarité renforcée est lourd deconséquences pour les jeunes et pour lasociété tout entière. Les jeunes du lycée Colbert sont allés aucamp du Struthof pour remettre la plaquecommémorative qu’ils ont coulée de leursmains. C’est un geste fort, hautement sym-bolique qui concrétise une démarchepédagogique riche. Ils ont ainsi laissé unetrace de leur prise de conscience citoyennepour contribuer à construire une sociétéoù le «plus jamais çà» serait une réalité.»

U n e n g a g e m e n t p a r t i c u l i e r

Lycée Colbert de Petit-Quevilly

Lucien Ducastel entouré des lycéens à l’initiative du projetde gauche à droite : Franz Bonami, Jean-Baptiste Le Bervet

et Kévin Bachelet

Coulage de la plaque

Avec Frédéric Sanchez, Maire de Petit-Quevilly

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Au retour d’Auschwitz, les rescapés desconvois des 45000 et des 31000 ont

essayé de se reconstruire au travers de leurvie professionnelle, familiale et souventmilitante.Bien sûr il ne s’agissait pas d’oublier maisde dépasser cette terrible expérience poursurvivre.En Seine-Maritime, la plupart sont restésen contact notamment au travers de leursactivités militantes au sein du PCF, reprisesdès leur retour. C’est ainsi que LouisJouvin, Germaine Pican, Louis Eudier,Robert Gaillard et Lucien se voyaientrégulièrement.Robert Gaillard (45565), personnalité cha-leureuse, généreuse et enthousiaste, etLucien ont recherché, grâce à l’appui del’Amicale d’Auschwitz et de la FNDIRP,les 45000 et 31000 survivants et desfamilles de disparus, afin de les réunir àPetit-Quevilly, ville dont Lucien était le1er adjoint au maire.C’est ainsi que Germaine Pican, MarieElisa Nordmann Cohen, Marie-ClaudeVaillant-Couturier, Christiane Borras,

Lucienne Legac, épouse de Charles Legac,Lucie Guérin, mère de Claudine Guérin,Jean Henri Marti, Adrien Fontaine, Jules LeTroadec, Louis Jouvin, Michel Emmanuel,Germain Houard, Abel Buisson, HenriGorgue, René Aondetto, Gabriel Lejard,Louis Eudier, René Maquenhen, RenéPetitjean, René Demerseman, Georges

Brumm ont pu se retrouver.Il s’agissait à la fois d’organiser des «retrou-vailles», mais aussi de montrer que les sur-vivants étaient complètement impliquésdans l’actualité.C’est pourquoi, au-delà d’un moment cha-leureux de convivialité, les rescapés ontvoté plusieurs motions sur :- l’opposition au réarmement del’Allemagne- le soutien à une paix négociée en Algérie- le soutien aux emprisonnés espagnolssous Franco.Après plusieurs initiatives, 20 ans plus tard,Robert et Lucien organisent avec l’appuide Louis Eudier (45523) au Havre unenouvelle rencontre des 45000 et des31000. Cette rencontre sera déterminantepour la mémoire des deux convois. C’est làen effet que Roger Arnould, documentalis-te à la FNDIRP, apprend aux 45000 queles recherches qu’il a effectuées sur leurconvoi, montrent qu’ils ont été un convoiparticulier, un convoi d’otages. Il fait unappel à leur témoignage. Roger Arnouldira même jusqu’à rédiger le plan détaillé

d’un ouvrage. Ces recherches et son analy-se seront ensuite transmises à ClaudineCardon qui approfondira ce travail pourdonner lieu à une thèse et à la parution del’ouvrage «mille otages pour Auschwitz».Dès le retour du Havre, une dynamique,impulsée par Robert, va être développéepar Lucien, Fernand Devaux, Roger

Abada, André Montagne, auxquels se join-dra ensuite Georges Dudal. Cette dyna-mique permettra la réalisation de nom-breuses initiatives, manifestations, voyages àAuschwitz, organisation de conférences,hommages à des 45000 et des 31000, jus-qu’à la naissance de Mémoire Vive.La création de l’association a eu lieu àNanterre, ville qui était désormais le lieude domicile de Lucien. Lucien sera le pre-mier Président de Mémoire Vive.

R a s s e m b l e r l e s s u r v i v a n t s

1960

Lucien et Robert Gaillard (45565)

Robert Gaillard

On ne peut rendre hommage à Luciensans rendre hommage à Robert.Robert nous a quittés en 1988, bien avantla création de Mémoire Vive et d’un bulle-tin qui puisse rendre compte de sonaction.Robert était une personnalité hors ducommun par son énergie, sa joie de vivre,sa générosité, son enthousiasme et sonbesoin vicéral de contact avec ses cama-rades de déportation.Robert et Lucien étaient inséparables,complices, parfois en désaccord, chacundéfendant son point de vue parfois vive-ment compte tenu de leurs personnalités,mais tombant toujours à un momentdonné dans les bras l’un de l’autre.Robert avait 30 ans lorsqu’il a été dépor-té dans le convoi des 45000. Il est tréso-rier régional du PCF de 1937 à 1939. Dèssa mobilisation en septembre 1939, connude la police de Petit-Quevilly, il est consi-déré comme un individu dangereux,inquiété, puis arrêté en septembre 1940. Ilétait en instance de jugement par le tribu-nal militaire au moment de la débâcle. Ilest arrêté dans la nuit du 21 au 22octobre 1941 en même temps qu’unecentaine de communistes et résistants dela région de Rouen, dont Lucien. Interné àCompiègne pendant 8 mois, il est dépor-té le 6 juillet 1942.Robert sera parmi les 45000 rassemblésau bloc 11. Il sera avec Eugène Baudoin,Louis Eudier, Gabriel Torralba sévèrementbattu par un SS entraîneur de boxe, «lebourreau Jacob» et enfermé 24 heures auStehenbunker pour avoir tenté de déroberdeux pains à partager avec leurs cama-rades.

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v e r s l a j e u n e s s e

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ucien, mon ami, comment parler de toisans voir ton regard plein de bonté.

Toi si proche, tu as partagé ces jours, cesmois, ces années d’horreur avec mon pèreà Auschwitz-Birkenau où vous avez faitpartie des otages déportés politiques arrêtéspour avoir lutté contre l’envahisseur alle-mand.Toujours à l’écoute, c’est toi qui m’asdonné les réponses aux questions que jen’ai pas eu le temps de poser à mon père.De toi je retiens surtout ton engagementauprès des jeunes, notamment par tontémoignage dans les établissements sco-laires.Je te vois arriver souriant dans mon lycéeProfessionnel où il est difficile de capterl’attention des jeunes. Et pourtant, en pro-nonçant ces deux mots : «mes amis» tu lesinclus dans ton histoire et la confiance ainsiétablie, ils vont pouvoir entendre l’inau-dibleEmotion, sans sensiblerie, curiosité, écoute,questions qui fusent de toute part, lesdébats sont à chaque fois très animés. Ils tedemandent timidement de voir ton matri-cule, tu expliques et expliques encore…A l’heure de se séparer, mes grandsgaillards, élèves de BEP attendent, ils veu-lent tous te serrer la main, les filles, elles,veulent t’embrasser, ce fut des moments departage précieux.La sonnerie du lycée, annonçant l’heure durepas, ne les fait pas déguerpir, ils souhai-tent tous prolonger ce moment privilégié.Je sais que ton passage reste gravé à jamaisdans leur cœur. Lucien tu restes pour moi l’ami indispen-sable, irremplaçable, si proche, celui quiprolonge la mémoire.Pour toi Lucien c’était «l’humain d’abord»

Josette Marti,fille de Henri Marti (45842)

U n e n g a g e m e n t p a r t i c u l i e r

Lucien avait une foi en la jeunesse et lui faisait confiance avec enthousiasme.C’est certainement la raison de son contact très particulier et profond avec les enseignants

et les élèves des différents établissements scolaires dans lesquels il s’est rendu. Il y a consacré beaucoup de temps jusqu’à la fin de sa vie. Il est tout particulièrement intervenu en Normandie

et à Nanterre avec ses camarades de l’ANACR et de la FNDIRP, mais aussi partout en Franceà la demande d’enseignants ou de familles de 45000 et de 31000,

seul ou avec des camarades comme Germaine Pican (31679).

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obert et Lucien, dès leurs premièresinitiatives avaient le souci de faire

reconnaître les deux convois au plus hautniveau par les autorités de la République,d’associer la déportation de répression et legénocide des juifs et de toucher les jeunes.C’est ainsi qu’en 1965, pour le 20èmeanniversaire de la libération d’Auschwitz-Birkenau, ils ont été à l’initiative de plu-sieurs manifestations placées sous la hauteautorité d’un comité d’honneur composénotamment du Préfet de Seine-Maritime,du Maire de Rouen, de l’Inspecteurd’Académie et d’un représentant duConsistoire.C’est le Préfet qui a personnellement pré-sidé l’hommage à la stèle de la déportation.Les 45000 et les 31000 ont participé à lasynagogue à la cérémonie d’hommage à lamémoire des juifs morts à Auschwitz etc’est sous la présidence de l’inspecteurd’académie que Marie-Elisa NordmannCohen (31687) et Lucien ont participé àune conférence qui a réuni plus de 300jeunes dans la salle des fêtes de l’Hôtel deVille de Rouen sur le thème « le phéno-mène historique de la déportation dans laseconde guerre mondiale ».C’est encore cette ambition qui a animéLucien, André, Fernand et Roger lorsqu’ilsont organisé à Compiègne le 40ème anni-versaire du départ des 45000 pourAuschwitz-Birkenau. Ils avaient alors obte-nu le Haut Patronage du Ministre desanciens combattants, la participation deMarcel Paul, ancien ministre, Président dela FNDIRP, des préfets, des autorités mili-taires et de la municipalité de Compiègne.La même démarche a été reproduite avec lemême succès pour la célébration du 50èmeanniversaire du départ du convoi des45000 de Compiègne.Cette préoccupation n’avait rien de proto-colaire, elle ne relevait pas non plus d’undésir de «mise en avant». Il s’agissait sur le

fond de faire reconnaître la place des deuxconvois et le sens de l’engagement de laplupart de ses membres. Il s’agissait aussi defaire rendre aux disparus un hommage à lahauteur de leur contribution à laRésistance.C’est encore cette motivation qui a pousséLucien à participer à ne nombreux col-loques ou interviews.A Nantes en 1999, il est notamment inter-venu aux côtés d’historiens et de person-nalités de la Résistance lors de la rencontrenationale d’histoire organisée par le PCFsur le thème «Résistance et Histoirecitoyenne», ou encore à Lyon dans un col-logue intitulé «Pour une meilleureconnaissance de la Résistance», contribu-tion à la création du Centre d’Histoire dela Résistance et de la Déportation.C’est ce même objectif qui lui a fait parti-ciper si activement aux côtés de FernandDevaux, André Montagne et GeorgesDudal au travail de Claudine Cardon pourla sortie du livre «Mille otages pourAuschwitz».

F a i r e c o n n a î t r e e t r e c o n n a î t r e

André Montagne (45912) et Marcel Paul, àCompiègne lors des cérémonies organisées àl’occasion du 40ème anniversaire du départ duconvoi des 45000

Intervention de LucienDucastel à Lyon en 1992

Aujourd’hui, certains tentent de pratiquerl’amalgame, rêvent de l’oubli pour occul-ter leurs responsabilités et tenter deréhabiliter les Vichystes. D’autres encoretentent de passer sous silence l’existencede ce convoi bien singulier dans l’histoirede la Déportation. Aucun ouvrage traitantde la politique des otages ne parle de ceconvoi*. Cette semaine a été une semainede commémoration des convois de l’an-née 1942 organisée par la Fondation pourla Mémoire d’Auschwitz : notre convoi enest absent.Nous sommes pour notre part respec-tueux de la mémoire de chacun, nousn’oublierons jamais l’arrivée à Birkenaudes enfants de la rafle du Vel d’Hiv, pasplus que l’arrivée des convois entiers defamilles juives diretement gazées et brû-lées. Nous qui étions à Birkenau, sommesencore imprégnés de cette fumée humai-ne qui obscurcissait la ciel des joursdurant. Nous n’oublierons jamais la res-ponsabilité de Vichy qui suggéra aux nazisla déportation des enfants qui avaientcommis le crime de naître dans le lit deleurs parents.(...) Nous n’oublierons jamais que le nazis-me fut un phénomène unique dans l’his-toire et que tout amalgame tendant àrejeter dos-à-dos victimes et bourreauxne vise qu’à esquiver les responsablesd’hier et d’aujourd’hui. C’est ce quiconduit à ne pas condamner aujourd’huiles Papon, Touvier, Bousquet et consorts.Ce qui conduit à occulter les manifesta-tions de renaissance du nazisme enAllemagne, dans d’autres pays et enFrance y compris.Nous ne devons pas non plus laisser tou-cher les hauts lieux de la déportation, leshauts lieux du malheur, qui doiventdemeurer le bien de l’Humanité. Nouscontinuerons de combattre toute exclusi-ve, nous tiendrons notre place dans letémoignage et dans le rassemblement detoutes les victimes du nazisme pour uneaction féconde contre toutes les résur-gences du nazisme, où qu’elles se manifes-tent.* L’ouvrage «Mille otages pour Auschwitz» n’a été éditéqu’en 1995

R4

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adeleine nous a quittés, peu avantLucien. On se sent quelque part

orphelin, qu'on le veuille ou non, orphelind'une amitié, orphelin d'un combat, orphe-lin du plaisir de toujours se retrouver régu-lièrement. Mais cette expression, orphelin,on les voit déjà se rebeller, aller jusqu'à l'en-gueulade, la raillerie, on les imagine nousdire qu'ils n'ont pas combattu pour cela,lutter contre le fascisme et lutter toujourspour les causes libératrices pour que nousnous arrêtions seulement à la tristesse. Alorsoui, hardi les gars et les femmes, retroussonsnos manches, le combat continue.Cette histoire est celle de la rencontre dedeux profs avec Lucien puis avec les autres45000 et 31000, pas en même temps certesmais avec la même conscience qu'une viepeut être modifiée, car depuis eux, les idéessont devenues substance, concrètes, mal-léables, consistantes. Tout cela en écoutant,en échangeant dans un univers particulier,celui de la classe. Ils sont allés au devant dela jeunesse, retrouver celle qui leur a étévolée, ils ont fait ce que nombre d'indivi-dus hésitent, aller à l'intérieur d'une classequelle qu'elle soit, avec les élèves de tous leshorizons. C'est cette chance que nousavons eu d'entendre tous ensemble le dis-cours de la résistance universelle.Que le hasard a bien forcé les portes dudestin ! Hélène Raskin que vous connais-siez en tant que résistante et déportée deRavensbrück et en tant que membre dujury du concours national de la Résistanceet de la Déportation dans les Hauts-de-Seine, vient vous demander un jour dedécembre 1992 : «cela ne te dérangerait-ilpas que je vienne avec un camarade trèsintéressant. De plus c'est un 45000, convoidont faisait partie André Doucet» dont lecollège porte le nom.Aucune prémonition ne pouvait vous fairedeviner qu'un engrenage se mettait enmarche.

Vous êtes professeur, quoi de plus intéres-sant que de croiser des témoignages. Tropheureux vous acceptez. Le jour venu, lesélèves sagement assis, leurs questions sur latable semblent assez préparés mais vouscraignez toujours le pire avec les risquesd'incartade non identifiée de quelques uns.Ce jour-là, je me souviens n'avoir jamaisentendu parler à ce point d'un camp d'ex-termination, ce jour-là, je me suis faitprendre par l'histoire d'un homme, son iti-néraire de la prison au camp d'interne-

ment, sa déportation et l'arrivée àBirkenau. Ce jour-là, j'ai laissé de côté mesélèves pour m'attacher à l'écoute. Ce n'estqu'après que je me suis rendu compte queleur écoute, aussi, allait au-delà de la ren-contre programmée avec un déporté.Lucien s'adressait directement à eux, cen'était pas son histoire mais celle d'unjeune qui avait la même envie de vivre queceux qui l'écoutaient. Sa conviction dans lecombat antifasciste, il nous la faisait exister,il avait soif de cette jeunesse de la prému-nir contre la propre folie des hommes, leurcomplaisance envers les idées malsaines dela ségrégation et du racisme.

Cela ne s'est pas passée qu'à André Doucet.A Evrecy dans le Calvados, au collège PaulVerlaine, au lycée Malherbe de Caen, j'aieu la chance de parler avec certains élèvesde leur rencontre. Ils évoquaient le «mon-sieur», d'autres se l'appropriaient avec un«Lucien» affectueux et ceux commeMathilde qui avait fait le voyage àAuschwitz avec lui, allaient jusqu'à ébau-cher un geste de tendresse. Ils étaient fiersà travers les travaux que leur avait fait faireFrançois Legros de s'identifier ou tout sim-plement d'être avec Lucien. Il faut savoirque des jeunes ne peuvent parler, dire, êtreprésents à un monument aux morts, êtrel'âme d'une commémoration sans croirevraiment à leurs actes. On ne peut chantersans donner, et le chant des marais entonnésur les places des villes et villages devenaitl'écho des témoignages de Lucien, deFernand, d'André et aussi l'écho des 31000.

Nous nous souvenons du moment de l'in-tervention de Madeleine, un jour à AndréDoucet. Elle avait accepté de venir pourremplacer Cécile, elle était venue deMontreuil jusqu'à Nanterre et tout de gos'était installée derrière le bureau pourcommencer la rencontre. Nous avons alorspassé deux heures à l'écouter sans l'inter-rompre, deux heures sidérantes pendantlesquelles les élèves n'avaient pu croireleurs yeux et leurs oreilles que la frêlefemme devant eux, ait pu être la combat-tante, la prisonnière toujours en quêted'évasion et la déportée solidaire àBirkenau. Ces rencontres n'ont certes pas

U n e n g a g e m e n t p a r t i c u l i e r

Danick et Gilbert ont enseigné de nombreuses années au CollègeAndré Doucet (45480) de Nanterre. Il y ont accompli un travail de mémoire

remarquable, récompensé à plusieurs reprises lors du Concours Nationalde la Résistance. Ils racontent leur rencontre avec Lucien et Madeleine.

Gilbert Lazaroo (3ème en partant de la gauche) et Danick Florentin (à droite), Betty Jégouzo (31668)et Lucien avec des collégiens en 1998 à Birkenau

- 9 -

emporté l'unanimité de nos élèves dans leschemins de l'histoire, mais elles ont ouvertun chemin d'humanité, celui de la croyan-ce en l'autre, en ce qu'il est. Madeleine, elle,s'était interrompue et avait demandé auxélèves en quoi ils avaient envie de s'enga-ger, elle s'adressait non seulement à leurenvie mais aussi c'était un hymne aux idéesgénéreuses qu'elle leur proposait. C'est cemessage-là, auquel ils étaient le plusouverts.Il n'y avait jamais de moment plus intenseque celui pendant lequel Lucien s'adressaitaux élèves. Ses paroles étaient chargées deconviction, c'était une supplique à la «bellejeunesse de France». Il disait cela àNanterre dans des classes où des jeunesfrançais n'avaient plus le droit de se ressen-tir en tant que français, parce qu'ils étaientfils et filles de parents maghrébins réquisi-tionnés pour la croissance des «trente glo-rieuses». Dire à des jeunes issus de l'immi-gration qu'ils sont la belle jeunesse deFrance, c'était non seulement croire en euxmais aussi ne pas leur faire subir l'odieuxchantage du comportement obligatoire-ment républicain à avoir.Quand Lucien était avec ses comparses deNanterre, Vincent et Sam, c'était unemusique qui racontait, finie la fascinationde l'horreur, l'élève était mis en relationavec une histoire proche, une histoire quile responsabilise au gré de son évolutiond'homme. Il n'hésitait pas à évoquer «unavenir meilleur», prophétie d'un momentcertes mais tâche toujours à accomplir.Quand il s'adressait à eux, jeunes des cités

de Nanterre jusqu'aux pavillons deNormandie, sa croyance était profonde enleur qualité à conquérir le monde et toutdevenait possible.Que d'émotions à se remémorer cesmoments de commémoration aux deuxmonuments de la ville de Nanterre, alorsque nous nous attendions seulement à lavenue de volontaires, c'était parfois touteune classe qui venait d'elle-même. Ilsaimaient se retrouver aux côtés de ceux quiles avaient rencontrés au sein de leur éta-blissement. Lors des discours et des chantsdits par les élèves, on pourrait dire, je mesouviens de celui qui bégaie et celui quibredouille, je me souviens de celle quipleure et de celle qui rit, je me souviens decelui qui tremble et de l'autre matamore, jeme souviens de celui qui murmure et decelle qui entonne, je me souviens de cellequi se cache et de celui qui la pousse. C'estvrai que cette conviction si forte dans lespossibilités de la jeunesse peut faire dépla-cer les montagnes. En chantant laMarseillaise, ces jeunes-là n'ont aucuneleçon de républicanisme à recevoir, ilsn'ont pas attendu la bonne parole des poli-ticiens de droite et d'extrême-droite pourle faire. Je me souviens aussi de ce chantdes marais au Struthof, en bas du camp,entonné par 40 élèves face à Vincent etLucien, autant que le chant des partisans aumonument du Vercors cette fois-ci par -20°C.Voilà la venue de Lucien, de Madeleine, deceux qui continuent à témoigner, nous apermis d'éviter l'écueil dans lequel nous

obligent les tenants de la confusion desmémoires. Ces derniers ont un objectifrendre le passé au passé, c'est-à-dire faire dulieu de mémoire, le lieu du spectacle com-mémoratif dans lequel la participationcitoyenne serait exclue. C'est la désactiva-tion du rite républicain de la commémora-tion.La voix de Lucien comme celle deMadeleine était celle de la victoire de la viesur le désespoir et la mort. Ce fut toujoursà l'intérieur de la classe le silence assourdis-sant de toucher l'inimaginable. Ils se ren-daient dans la cité car c'est sur le banc del'école que l'avenir de notre république sedessine. C'est ici qu'ils savaient que pourparticiper à un dessein commun, lamémoire est parole, la rencontre délivre unsang nouveau.Il en va désormais de notre responsabilitécollective de continuer, de donner l'espoir,de construire une civilisation humanistequi se substituera à celle des mercantilestoujours complaisants à faire ressurgir labête immonde.

Gilbert Lazaroo,professeur d’histoire-géographie

Danick Florentin,professeur de lettres

v e r s l a j e u n e s s e

Aux jeunes générations

«Dans peu d’années maintenant lestémoins authentiques que nous sommesne seront plus de ce monde, c’est pourcela que nous mettons nos dernièresforces à tenter de transmettre notre mes-sage si difficilement transmissible auxjeunes générations, de leur transmettre leflambeau, celui de nos frères de combat, lenôtre pour que cessent où qu’ils soientles camps du malheur, pour qu’il n’y aitplus jamais Auschwitz, pour que soientbannies la haine et toute forme d’exclu-sion, le racisme et l’antisémitisme, pourque la France aux riches traditionshumaines, forte de ces richesses natu-relles et humaines devienne un pays où ily aura pour tous, selon le poète, du painet des roses».

in L’avenir de Seine-MaritimeOctobre 1991

Mots d’élèves de 1ère dulycée Carnot de Dijon

en 2004

Merci de nous mettre en face d’une véri-té trop abstraite dans les manuels sco-laires.

Eglantine

Le tombeau de tous ces morts est lecoeur de ceux qui sont encore là.

Antoine

Merci de nous faire réaliser ce que nousne pouvons aujourd’hui plus imaginer.

Chloé

Madeleine Odru (31660) et Lucien àNanterre

V4

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adeleine nous a quittés, peu avantLucien. On se sent quelque part

orphelin, qu'on le veuille ou non, orphelind'une amitié, orphelin d'un combat, orphe-lin du plaisir de toujours se retrouver régu-lièrement. Mais cette expression, orphelin,on les voit déjà se rebeller, aller jusqu'à l'en-gueulade, la raillerie, on les imagine nousdire qu'ils n'ont pas combattu pour cela,lutter contre le fascisme et lutter toujourspour les causes libératrices pour que nousnous arrêtions seulement à la tristesse. Alorsoui, hardi les gars et les femmes, retroussonsnos manches, le combat continue.Cette histoire est celle de la rencontre dedeux profs avec Lucien puis avec les autres45000 et 31000, pas en même temps certesmais avec la même conscience qu'une viepeut être modifiée, car depuis eux, les idéessont devenues substance, concrètes, mal-léables, consistantes. Tout cela en écoutant,en échangeant dans un univers particulier,celui de la classe. Ils sont allés au devant dela jeunesse, retrouver celle qui leur a étévolée, ils ont fait ce que nombre d'indivi-dus hésitent, aller à l'intérieur d'une classequelle qu'elle soit, avec les élèves de tous leshorizons. C'est cette chance que nousavons eu d'entendre tous ensemble le dis-cours de la résistance universelle.Que le hasard a bien forcé les portes dudestin ! Hélène Raskin que vous connais-siez en tant que résistante et déportée deRavensbrück et en tant que membre dujury du concours national de la Résistanceet de la Déportation dans les Hauts-de-Seine, vient vous demander un jour dedécembre 1992 : «cela ne te dérangerait-ilpas que je vienne avec un camarade trèsintéressant. De plus c'est un 45000, convoidont faisait partie André Doucet» dont lecollège porte le nom.Aucune prémonition ne pouvait vous fairedeviner qu'un engrenage se mettait enmarche.

Vous êtes professeur, quoi de plus intéres-sant que de croiser des témoignages. Tropheureux vous acceptez. Le jour venu, lesélèves sagement assis, leurs questions sur latable semblent assez préparés mais vouscraignez toujours le pire avec les risquesd'incartade non identifiée de quelques uns.Ce jour-là, je me souviens n'avoir jamaisentendu parler à ce point d'un camp d'ex-termination, ce jour-là, je me suis faitprendre par l'histoire d'un homme, son iti-néraire de la prison au camp d'interne-

ment, sa déportation et l'arrivée àBirkenau. Ce jour-là, j'ai laissé de côté mesélèves pour m'attacher à l'écoute. Ce n'estqu'après que je me suis rendu compte queleur écoute, aussi, allait au-delà de la ren-contre programmée avec un déporté.Lucien s'adressait directement à eux, cen'était pas son histoire mais celle d'unjeune qui avait la même envie de vivre queceux qui l'écoutaient. Sa conviction dans lecombat antifasciste, il nous la faisait exister,il avait soif de cette jeunesse de la prému-nir contre la propre folie des hommes, leurcomplaisance envers les idées malsaines dela ségrégation et du racisme.

Cela ne s'est pas passée qu'à André Doucet.A Evrecy dans le Calvados, au collège PaulVerlaine, au lycée Malherbe de Caen, j'aieu la chance de parler avec certains élèvesde leur rencontre. Ils évoquaient le «mon-sieur», d'autres se l'appropriaient avec un«Lucien» affectueux et ceux commeMathilde qui avait fait le voyage àAuschwitz avec lui, allaient jusqu'à ébau-cher un geste de tendresse. Ils étaient fiersà travers les travaux que leur avait fait faireFrançois Legros de s'identifier ou tout sim-plement d'être avec Lucien. Il faut savoirque des jeunes ne peuvent parler, dire, êtreprésents à un monument aux morts, êtrel'âme d'une commémoration sans croirevraiment à leurs actes. On ne peut chantersans donner, et le chant des marais entonnésur les places des villes et villages devenaitl'écho des témoignages de Lucien, deFernand, d'André et aussi l'écho des 31000.

Nous nous souvenons du moment de l'in-tervention de Madeleine, un jour à AndréDoucet. Elle avait accepté de venir pourremplacer Cécile, elle était venue deMontreuil jusqu'à Nanterre et tout de gos'était installée derrière le bureau pourcommencer la rencontre. Nous avons alorspassé deux heures à l'écouter sans l'inter-rompre, deux heures sidérantes pendantlesquelles les élèves n'avaient pu croireleurs yeux et leurs oreilles que la frêlefemme devant eux, ait pu être la combat-tante, la prisonnière toujours en quêted'évasion et la déportée solidaire àBirkenau. Ces rencontres n'ont certes pas

U n e n g a g e m e n t p a r t i c u l i e r

Danick et Gilbert ont enseigné de nombreuses années au CollègeAndré Doucet (45480) de Nanterre. Il y ont accompli un travail de mémoire

remarquable, récompensé à plusieurs reprises lors du Concours Nationalde la Résistance. Ils racontent leur rencontre avec Lucien et Madeleine.

Gilbert Lazaroo (3ème en partant de la gauche) et Danick Florentin (à droite), Betty Jégouzo (31668)et Lucien avec des collégiens en 1998 à Birkenau

- 9 -

emporté l'unanimité de nos élèves dans leschemins de l'histoire, mais elles ont ouvertun chemin d'humanité, celui de la croyan-ce en l'autre, en ce qu'il est. Madeleine, elle,s'était interrompue et avait demandé auxélèves en quoi ils avaient envie de s'enga-ger, elle s'adressait non seulement à leurenvie mais aussi c'était un hymne aux idéesgénéreuses qu'elle leur proposait. C'est cemessage-là, auquel ils étaient le plusouverts.Il n'y avait jamais de moment plus intenseque celui pendant lequel Lucien s'adressaitaux élèves. Ses paroles étaient chargées deconviction, c'était une supplique à la «bellejeunesse de France». Il disait cela àNanterre dans des classes où des jeunesfrançais n'avaient plus le droit de se ressen-tir en tant que français, parce qu'ils étaientfils et filles de parents maghrébins réquisi-tionnés pour la croissance des «trente glo-rieuses». Dire à des jeunes issus de l'immi-gration qu'ils sont la belle jeunesse deFrance, c'était non seulement croire en euxmais aussi ne pas leur faire subir l'odieuxchantage du comportement obligatoire-ment républicain à avoir.Quand Lucien était avec ses comparses deNanterre, Vincent et Sam, c'était unemusique qui racontait, finie la fascinationde l'horreur, l'élève était mis en relationavec une histoire proche, une histoire quile responsabilise au gré de son évolutiond'homme. Il n'hésitait pas à évoquer «unavenir meilleur», prophétie d'un momentcertes mais tâche toujours à accomplir.Quand il s'adressait à eux, jeunes des cités

de Nanterre jusqu'aux pavillons deNormandie, sa croyance était profonde enleur qualité à conquérir le monde et toutdevenait possible.Que d'émotions à se remémorer cesmoments de commémoration aux deuxmonuments de la ville de Nanterre, alorsque nous nous attendions seulement à lavenue de volontaires, c'était parfois touteune classe qui venait d'elle-même. Ilsaimaient se retrouver aux côtés de ceux quiles avaient rencontrés au sein de leur éta-blissement. Lors des discours et des chantsdits par les élèves, on pourrait dire, je mesouviens de celui qui bégaie et celui quibredouille, je me souviens de celle quipleure et de celle qui rit, je me souviens decelui qui tremble et de l'autre matamore, jeme souviens de celui qui murmure et decelle qui entonne, je me souviens de cellequi se cache et de celui qui la pousse. C'estvrai que cette conviction si forte dans lespossibilités de la jeunesse peut faire dépla-cer les montagnes. En chantant laMarseillaise, ces jeunes-là n'ont aucuneleçon de républicanisme à recevoir, ilsn'ont pas attendu la bonne parole des poli-ticiens de droite et d'extrême-droite pourle faire. Je me souviens aussi de ce chantdes marais au Struthof, en bas du camp,entonné par 40 élèves face à Vincent etLucien, autant que le chant des partisans aumonument du Vercors cette fois-ci par -20°C.Voilà la venue de Lucien, de Madeleine, deceux qui continuent à témoigner, nous apermis d'éviter l'écueil dans lequel nous

obligent les tenants de la confusion desmémoires. Ces derniers ont un objectifrendre le passé au passé, c'est-à-dire faire dulieu de mémoire, le lieu du spectacle com-mémoratif dans lequel la participationcitoyenne serait exclue. C'est la désactiva-tion du rite républicain de la commémora-tion.La voix de Lucien comme celle deMadeleine était celle de la victoire de la viesur le désespoir et la mort. Ce fut toujoursà l'intérieur de la classe le silence assourdis-sant de toucher l'inimaginable. Ils se ren-daient dans la cité car c'est sur le banc del'école que l'avenir de notre république sedessine. C'est ici qu'ils savaient que pourparticiper à un dessein commun, lamémoire est parole, la rencontre délivre unsang nouveau.Il en va désormais de notre responsabilitécollective de continuer, de donner l'espoir,de construire une civilisation humanistequi se substituera à celle des mercantilestoujours complaisants à faire ressurgir labête immonde.

Gilbert Lazaroo,professeur d’histoire-géographie

Danick Florentin,professeur de lettres

v e r s l a j e u n e s s e

Aux jeunes générations

«Dans peu d’années maintenant lestémoins authentiques que nous sommesne seront plus de ce monde, c’est pourcela que nous mettons nos dernièresforces à tenter de transmettre notre mes-sage si difficilement transmissible auxjeunes générations, de leur transmettre leflambeau, celui de nos frères de combat, lenôtre pour que cessent où qu’ils soientles camps du malheur, pour qu’il n’y aitplus jamais Auschwitz, pour que soientbannies la haine et toute forme d’exclu-sion, le racisme et l’antisémitisme, pourque la France aux riches traditionshumaines, forte de ces richesses natu-relles et humaines devienne un pays où ily aura pour tous, selon le poète, du painet des roses».

in L’avenir de Seine-MaritimeOctobre 1991

Mots d’élèves de 1ère dulycée Carnot de Dijon

en 2004

Merci de nous mettre en face d’une véri-té trop abstraite dans les manuels sco-laires.

Eglantine

Le tombeau de tous ces morts est lecoeur de ceux qui sont encore là.

Antoine

Merci de nous faire réaliser ce que nousne pouvons aujourd’hui plus imaginer.

Chloé

Madeleine Odru (31660) et Lucien àNanterre

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ucien, mon ami, comment parler de toisans voir ton regard plein de bonté.

Toi si proche, tu as partagé ces jours, cesmois, ces années d’horreur avec mon pèreà Auschwitz-Birkenau où vous avez faitpartie des otages déportés politiques arrêtéspour avoir lutté contre l’envahisseur alle-mand.Toujours à l’écoute, c’est toi qui m’asdonné les réponses aux questions que jen’ai pas eu le temps de poser à mon père.De toi je retiens surtout ton engagementauprès des jeunes, notamment par tontémoignage dans les établissements sco-laires.Je te vois arriver souriant dans mon lycéeProfessionnel où il est difficile de capterl’attention des jeunes. Et pourtant, en pro-nonçant ces deux mots : «mes amis» tu lesinclus dans ton histoire et la confiance ainsiétablie, ils vont pouvoir entendre l’inau-dibleEmotion, sans sensiblerie, curiosité, écoute,questions qui fusent de toute part, lesdébats sont à chaque fois très animés. Ils tedemandent timidement de voir ton matri-cule, tu expliques et expliques encore…A l’heure de se séparer, mes grandsgaillards, élèves de BEP attendent, ils veu-lent tous te serrer la main, les filles, elles,veulent t’embrasser, ce fut des moments departage précieux.La sonnerie du lycée, annonçant l’heure durepas, ne les fait pas déguerpir, ils souhai-tent tous prolonger ce moment privilégié.Je sais que ton passage reste gravé à jamaisdans leur cœur. Lucien tu restes pour moi l’ami indispen-sable, irremplaçable, si proche, celui quiprolonge la mémoire.Pour toi Lucien c’était «l’humain d’abord»

Josette Marti,fille de Henri Marti (45842)

U n e n g a g e m e n t p a r t i c u l i e r

Lucien avait une foi en la jeunesse et lui faisait confiance avec enthousiasme.C’est certainement la raison de son contact très particulier et profond avec les enseignants

et les élèves des différents établissements scolaires dans lesquels il s’est rendu. Il y a consacré beaucoup de temps jusqu’à la fin de sa vie. Il est tout particulièrement intervenu en Normandie

et à Nanterre avec ses camarades de l’ANACR et de la FNDIRP, mais aussi partout en Franceà la demande d’enseignants ou de familles de 45000 et de 31000,

seul ou avec des camarades comme Germaine Pican (31679).

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obert et Lucien, dès leurs premièresinitiatives avaient le souci de faire

reconnaître les deux convois au plus hautniveau par les autorités de la République,d’associer la déportation de répression et legénocide des juifs et de toucher les jeunes.C’est ainsi qu’en 1965, pour le 20èmeanniversaire de la libération d’Auschwitz-Birkenau, ils ont été à l’initiative de plu-sieurs manifestations placées sous la hauteautorité d’un comité d’honneur composénotamment du Préfet de Seine-Maritime,du Maire de Rouen, de l’Inspecteurd’Académie et d’un représentant duConsistoire.C’est le Préfet qui a personnellement pré-sidé l’hommage à la stèle de la déportation.Les 45000 et les 31000 ont participé à lasynagogue à la cérémonie d’hommage à lamémoire des juifs morts à Auschwitz etc’est sous la présidence de l’inspecteurd’académie que Marie-Elisa NordmannCohen (31687) et Lucien ont participé àune conférence qui a réuni plus de 300jeunes dans la salle des fêtes de l’Hôtel deVille de Rouen sur le thème « le phéno-mène historique de la déportation dans laseconde guerre mondiale ».C’est encore cette ambition qui a animéLucien, André, Fernand et Roger lorsqu’ilsont organisé à Compiègne le 40ème anni-versaire du départ des 45000 pourAuschwitz-Birkenau. Ils avaient alors obte-nu le Haut Patronage du Ministre desanciens combattants, la participation deMarcel Paul, ancien ministre, Président dela FNDIRP, des préfets, des autorités mili-taires et de la municipalité de Compiègne.La même démarche a été reproduite avec lemême succès pour la célébration du 50èmeanniversaire du départ du convoi des45000 de Compiègne.Cette préoccupation n’avait rien de proto-colaire, elle ne relevait pas non plus d’undésir de «mise en avant». Il s’agissait sur le

fond de faire reconnaître la place des deuxconvois et le sens de l’engagement de laplupart de ses membres. Il s’agissait aussi defaire rendre aux disparus un hommage à lahauteur de leur contribution à laRésistance.C’est encore cette motivation qui a pousséLucien à participer à ne nombreux col-loques ou interviews.A Nantes en 1999, il est notamment inter-venu aux côtés d’historiens et de person-nalités de la Résistance lors de la rencontrenationale d’histoire organisée par le PCFsur le thème «Résistance et Histoirecitoyenne», ou encore à Lyon dans un col-logue intitulé «Pour une meilleureconnaissance de la Résistance», contribu-tion à la création du Centre d’Histoire dela Résistance et de la Déportation.C’est ce même objectif qui lui a fait parti-ciper si activement aux côtés de FernandDevaux, André Montagne et GeorgesDudal au travail de Claudine Cardon pourla sortie du livre «Mille otages pourAuschwitz».

F a i r e c o n n a î t r e e t r e c o n n a î t r e

André Montagne (45912) et Marcel Paul, àCompiègne lors des cérémonies organisées àl’occasion du 40ème anniversaire du départ duconvoi des 45000

Intervention de LucienDucastel à Lyon en 1992

Aujourd’hui, certains tentent de pratiquerl’amalgame, rêvent de l’oubli pour occul-ter leurs responsabilités et tenter deréhabiliter les Vichystes. D’autres encoretentent de passer sous silence l’existencede ce convoi bien singulier dans l’histoirede la Déportation. Aucun ouvrage traitantde la politique des otages ne parle de ceconvoi*. Cette semaine a été une semainede commémoration des convois de l’an-née 1942 organisée par la Fondation pourla Mémoire d’Auschwitz : notre convoi enest absent.Nous sommes pour notre part respec-tueux de la mémoire de chacun, nousn’oublierons jamais l’arrivée à Birkenaudes enfants de la rafle du Vel d’Hiv, pasplus que l’arrivée des convois entiers defamilles juives diretement gazées et brû-lées. Nous qui étions à Birkenau, sommesencore imprégnés de cette fumée humai-ne qui obscurcissait la ciel des joursdurant. Nous n’oublierons jamais la res-ponsabilité de Vichy qui suggéra aux nazisla déportation des enfants qui avaientcommis le crime de naître dans le lit deleurs parents.(...) Nous n’oublierons jamais que le nazis-me fut un phénomène unique dans l’his-toire et que tout amalgame tendant àrejeter dos-à-dos victimes et bourreauxne vise qu’à esquiver les responsablesd’hier et d’aujourd’hui. C’est ce quiconduit à ne pas condamner aujourd’huiles Papon, Touvier, Bousquet et consorts.Ce qui conduit à occulter les manifesta-tions de renaissance du nazisme enAllemagne, dans d’autres pays et enFrance y compris.Nous ne devons pas non plus laisser tou-cher les hauts lieux de la déportation, leshauts lieux du malheur, qui doiventdemeurer le bien de l’Humanité. Nouscontinuerons de combattre toute exclusi-ve, nous tiendrons notre place dans letémoignage et dans le rassemblement detoutes les victimes du nazisme pour uneaction féconde contre toutes les résur-gences du nazisme, où qu’elles se manifes-tent.* L’ouvrage «Mille otages pour Auschwitz» n’a été éditéqu’en 1995

R4

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Au retour d’Auschwitz, les rescapés desconvois des 45000 et des 31000 ont

essayé de se reconstruire au travers de leurvie professionnelle, familiale et souventmilitante.Bien sûr il ne s’agissait pas d’oublier maisde dépasser cette terrible expérience poursurvivre.En Seine-Maritime, la plupart sont restésen contact notamment au travers de leursactivités militantes au sein du PCF, reprisesdès leur retour. C’est ainsi que LouisJouvin, Germaine Pican, Louis Eudier,Robert Gaillard et Lucien se voyaientrégulièrement.Robert Gaillard (45565), personnalité cha-leureuse, généreuse et enthousiaste, etLucien ont recherché, grâce à l’appui del’Amicale d’Auschwitz et de la FNDIRP,les 45000 et 31000 survivants et desfamilles de disparus, afin de les réunir àPetit-Quevilly, ville dont Lucien était le1er adjoint au maire.C’est ainsi que Germaine Pican, MarieElisa Nordmann Cohen, Marie-ClaudeVaillant-Couturier, Christiane Borras,

Lucienne Legac, épouse de Charles Legac,Lucie Guérin, mère de Claudine Guérin,Jean Henri Marti, Adrien Fontaine, Jules LeTroadec, Louis Jouvin, Michel Emmanuel,Germain Houard, Abel Buisson, HenriGorgue, René Aondetto, Gabriel Lejard,Louis Eudier, René Maquenhen, RenéPetitjean, René Demerseman, Georges

Brumm ont pu se retrouver.Il s’agissait à la fois d’organiser des «retrou-vailles», mais aussi de montrer que les sur-vivants étaient complètement impliquésdans l’actualité.C’est pourquoi, au-delà d’un moment cha-leureux de convivialité, les rescapés ontvoté plusieurs motions sur :- l’opposition au réarmement del’Allemagne- le soutien à une paix négociée en Algérie- le soutien aux emprisonnés espagnolssous Franco.Après plusieurs initiatives, 20 ans plus tard,Robert et Lucien organisent avec l’appuide Louis Eudier (45523) au Havre unenouvelle rencontre des 45000 et des31000. Cette rencontre sera déterminantepour la mémoire des deux convois. C’est làen effet que Roger Arnould, documentalis-te à la FNDIRP, apprend aux 45000 queles recherches qu’il a effectuées sur leurconvoi, montrent qu’ils ont été un convoiparticulier, un convoi d’otages. Il fait unappel à leur témoignage. Roger Arnouldira même jusqu’à rédiger le plan détaillé

d’un ouvrage. Ces recherches et son analy-se seront ensuite transmises à ClaudineCardon qui approfondira ce travail pourdonner lieu à une thèse et à la parution del’ouvrage «mille otages pour Auschwitz».Dès le retour du Havre, une dynamique,impulsée par Robert, va être développéepar Lucien, Fernand Devaux, Roger

Abada, André Montagne, auxquels se join-dra ensuite Georges Dudal. Cette dyna-mique permettra la réalisation de nom-breuses initiatives, manifestations, voyages àAuschwitz, organisation de conférences,hommages à des 45000 et des 31000, jus-qu’à la naissance de Mémoire Vive.La création de l’association a eu lieu àNanterre, ville qui était désormais le lieude domicile de Lucien. Lucien sera le pre-mier Président de Mémoire Vive.

R a s s e m b l e r l e s s u r v i v a n t s

1960

Lucien et Robert Gaillard (45565)

Robert Gaillard

On ne peut rendre hommage à Luciensans rendre hommage à Robert.Robert nous a quittés en 1988, bien avantla création de Mémoire Vive et d’un bulle-tin qui puisse rendre compte de sonaction.Robert était une personnalité hors ducommun par son énergie, sa joie de vivre,sa générosité, son enthousiasme et sonbesoin vicéral de contact avec ses cama-rades de déportation.Robert et Lucien étaient inséparables,complices, parfois en désaccord, chacundéfendant son point de vue parfois vive-ment compte tenu de leurs personnalités,mais tombant toujours à un momentdonné dans les bras l’un de l’autre.Robert avait 30 ans lorsqu’il a été dépor-té dans le convoi des 45000. Il est tréso-rier régional du PCF de 1937 à 1939. Dèssa mobilisation en septembre 1939, connude la police de Petit-Quevilly, il est consi-déré comme un individu dangereux,inquiété, puis arrêté en septembre 1940. Ilétait en instance de jugement par le tribu-nal militaire au moment de la débâcle. Ilest arrêté dans la nuit du 21 au 22octobre 1941 en même temps qu’unecentaine de communistes et résistants dela région de Rouen, dont Lucien. Interné àCompiègne pendant 8 mois, il est dépor-té le 6 juillet 1942.Robert sera parmi les 45000 rassemblésau bloc 11. Il sera avec Eugène Baudoin,Louis Eudier, Gabriel Torralba sévèrementbattu par un SS entraîneur de boxe, «lebourreau Jacob» et enfermé 24 heures auStehenbunker pour avoir tenté de déroberdeux pains à partager avec leurs cama-rades.

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v e r s l a j e u n e s s e

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J’ai fait laconnaissance de Lucien

Ducastel, lors de mon premier voyage à Auschwitz avecl’association «Mémoire Vive». J’avais décidé de m’yrendre parce que des déportés des convois de résis-tants seraient présents : Lucien, Fernand, Betty etCécile. Il me semblait, avec raison, que côtoyer leurforce m’aiderait à supporter cette confrontation avec l’indicible.En effet je suis et je me sens «fille de déporté-résistant». Je craignais d’ajouter à l’émotionnaturelle en ces lieux, une émotion personnelle toujours très vive quand on évoque ce que des hommes et unsystème ont fait subir à vos proches, à vos parents, leurs compagnes et leurs compagnons. Emotion multipliée par le nombre de ceux quiont souffert ou succombé dans ces lieux terribles ou toutes les valeurs humaines devaient être écrasées. Ma mère n’a jamais voulu revenir à Auschwitz, disant avec humour, que «le séjour ne lui avait pas plu». Elle avait recommandé à Lucien, àsa famille et à Bernadette, fille de 45000, de porter une attention particulière à sa fille très émotive. C’est ainsi que j’ai vécu ce voyageentourée de leur affection familiale et fraternelle. Lucien, avec sa gentillesse, sa bienveillance, sa simplicité, écoutait les réflexions des uns ou des autres et répondait aux questions desmembres du groupe. Il était parfois, lui-même étreint par l’émotion quand il évoquait le premier assassinat de sang froid, par un Kapo, d’unde leurs camarades, la journée meurtrière de Noël, l’arrivée du convoi des femmes (les 31000), les cris des enfants et des femmes. Plusieursjeunes amis ont demandé si ce n’aurait pas été plus simple de se suicider. Lucien et Fernand expliquaient la solidarité, la lutte pour sur-vivre et témoigner, la force qu’ils tiraient de leurs engagements militants. Ils plaçaient leur lutte pour survivre dans celle des hommes quidans l’histoire ont combattu pour le triomphe des valeurs humanistes : liberté, égalité, solidarité, démocratie, respect des différences et dela vie humaine. C’est un devoir pour chacun, à son niveau, de chercher à comprendre et de s’impliquer dans la vie sociale et politique, dene jamais renoncer. Les jeunes présents puisaient, je pense, dans les discours des quatre déportés, de la force et la détermination à s’en-gager au cours de leur vie. De retour en France, mon frère Pierre, qui faisait partie du voyage, a offert à Lucien l’album de photos et de texte qu’il avait constitué.Lucien en a été très touché.Par la suite, Lucien s’est montré plus empreint d’émotions. Il était là lorsque je suis retournée à Auschwitz avec Rémi, mon fils, Nicolas etAnne mes neveu et nièce et Adeline une jeune amie. Je l’ai senti habité par le souvenir des femmes et des enfants qui avaient souffert etqui étaient, ici, allés à la mort. Cela ne le quittait plus. J’ai eu la chance de le connaître. J’ai encore eu la chance de le côtoyer lors de la cérémonie commémorant le départ des 31000 et de sen-tir son affection. J’ai été particulièrement émue lors de ses obsèques d’apprendre par Claudine, sa fille, comment son père, avec ténacitéet à force de conviction, avait mis sur pied un conservatoire de musique et de chant à Petit-Quevilly, banlieue ouvrière de Rouen. Tous lesenfants intéressés étaient acceptés et le conservatoire a remporté de nombreux et grands succès. Au contact de ces déportés résistants qui avaient survécu, j’avais l’impression qu’ils étaient de véritables trompe-la-mort. Indestructibles. Ils disparaissent cependant et quand nous les perdons nous les perdons deux fois. Une première fois pour ce qu’ils étaient et l’affectionque nous leurs portions ; une seconde fois pour le morceau d’Histoire qui disparaît avec eux. C’est à travers la force que nous avons pui-sée à leur contact que le précieux message qu’ils nous ont transmis, perdurera.

Annick Odru, fille de Madeleine Odru (31660)

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J’ai fait laconnaissance de Lucien

Ducastel, lors de mon premier voyage à Auschwitz avecl’association «Mémoire Vive». J’avais décidé de m’yrendre parce que des déportés des convois de résis-tants seraient présents : Lucien, Fernand, Betty etCécile. Il me semblait, avec raison, que côtoyer leurforce m’aiderait à supporter cette confrontation avec l’indicible.En effet je suis et je me sens «fille de déporté-résistant». Je craignais d’ajouter à l’émotionnaturelle en ces lieux, une émotion personnelle toujours très vive quand on évoque ce que des hommes et unsystème ont fait subir à vos proches, à vos parents, leurs compagnes et leurs compagnons. Emotion multipliée par le nombre de ceux quiont souffert ou succombé dans ces lieux terribles ou toutes les valeurs humaines devaient être écrasées. Ma mère n’a jamais voulu revenir à Auschwitz, disant avec humour, que «le séjour ne lui avait pas plu». Elle avait recommandé à Lucien, àsa famille et à Bernadette, fille de 45000, de porter une attention particulière à sa fille très émotive. C’est ainsi que j’ai vécu ce voyageentourée de leur affection familiale et fraternelle. Lucien, avec sa gentillesse, sa bienveillance, sa simplicité, écoutait les réflexions des uns ou des autres et répondait aux questions desmembres du groupe. Il était parfois, lui-même étreint par l’émotion quand il évoquait le premier assassinat de sang froid, par un Kapo, d’unde leurs camarades, la journée meurtrière de Noël, l’arrivée du convoi des femmes (les 31000), les cris des enfants et des femmes. Plusieursjeunes amis ont demandé si ce n’aurait pas été plus simple de se suicider. Lucien et Fernand expliquaient la solidarité, la lutte pour sur-vivre et témoigner, la force qu’ils tiraient de leurs engagements militants. Ils plaçaient leur lutte pour survivre dans celle des hommes quidans l’histoire ont combattu pour le triomphe des valeurs humanistes : liberté, égalité, solidarité, démocratie, respect des différences et dela vie humaine. C’est un devoir pour chacun, à son niveau, de chercher à comprendre et de s’impliquer dans la vie sociale et politique, dene jamais renoncer. Les jeunes présents puisaient, je pense, dans les discours des quatre déportés, de la force et la détermination à s’en-gager au cours de leur vie. De retour en France, mon frère Pierre, qui faisait partie du voyage, a offert à Lucien l’album de photos et de texte qu’il avait constitué.Lucien en a été très touché.Par la suite, Lucien s’est montré plus empreint d’émotions. Il était là lorsque je suis retournée à Auschwitz avec Rémi, mon fils, Nicolas etAnne mes neveu et nièce et Adeline une jeune amie. Je l’ai senti habité par le souvenir des femmes et des enfants qui avaient souffert etqui étaient, ici, allés à la mort. Cela ne le quittait plus. J’ai eu la chance de le connaître. J’ai encore eu la chance de le côtoyer lors de la cérémonie commémorant le départ des 31000 et de sen-tir son affection. J’ai été particulièrement émue lors de ses obsèques d’apprendre par Claudine, sa fille, comment son père, avec ténacitéet à force de conviction, avait mis sur pied un conservatoire de musique et de chant à Petit-Quevilly, banlieue ouvrière de Rouen. Tous lesenfants intéressés étaient acceptés et le conservatoire a remporté de nombreux et grands succès. Au contact de ces déportés résistants qui avaient survécu, j’avais l’impression qu’ils étaient de véritables trompe-la-mort. Indestructibles. Ils disparaissent cependant et quand nous les perdons nous les perdons deux fois. Une première fois pour ce qu’ils étaient et l’affectionque nous leurs portions ; une seconde fois pour le morceau d’Histoire qui disparaît avec eux. C’est à travers la force que nous avons pui-sée à leur contact que le précieux message qu’ils nous ont transmis, perdurera.

Annick Odru, fille de Madeleine Odru (31660)

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n 2006 à Petit-Quevilly, les élèves del’atelier fonderie du lycée d’enseigne-

ment professionnel Colbert ont, dans lecadre d’un projet Mémoire, réalisé uneplaque commémorative qui a été apposée àl’entrée du camp du Struthof.Lucien Ducastel est ensuite intervenu lorsd’une journée de débat qui a été clôturéepar le coulage d’une seconde plaque iden-tique apposée dans le lycée. A cette occa-sion, le maire de la ville a remis à Lucien lamédaille de la ville.« Monsieur, le Maire, vous venez de meremettre la Médaille de la Ville, c’est unhonneur pour l’ancien Quevillais que jesuis. J’ai en effet un attachement très pro-

fond pour votre ville. J’y ai grandi, c’estégalement là que j’ai commencé à militeret que tout naturellement j’ai fait partie deceux qui se sont organisés pour résister aunazisme et à la collaboration. Et c’est là encore qu’au retourd’Auschwitz, j’ai repris une vie profession-nelle et militante et que j’ai pu vivre l’ex-périence passionnante d’être un élu muni-cipal, comme conseiller municipal puispremier adjoint au maire au cours de 3mandats conduits par mon ami MartialSpinnweber. C’et aussi à Petit-Quevilly que j’ai étéarrêté le 21 octobre 1941. Cette nuit-là uncoup terrible fut porté à la Résistance en

Seine-Mar itime.C’est en effet 96 denos camarades deSeine-Maritime et7 de Petit-Quevillyqui furent arrêtés. Ils’agit d’AndréBréançon, d’HilaireCastelli, de RobertGaillard, d’AdrienGentil, de CharlesLe Gac et de JulesMétais.(…) Nous venons

aujourd’hui à Petit-Quevilly, grâce àl’équipe pédagogique du lycée Colbert, à

nos jeunes amisélèves et à la muni-cipalité de vivre unejournée riche pourla transmission de laMémoire. Je vou-drais souligner quela transmission de laMémoire n’a desens que si elle nouspermet de com-prendre et d’êtrevigilants sur lesmécanismes qui ontengendré le système

qui a tenté d’anéantir la liberté et la démo-cratie en Europe. Comprendre ces méca-nismes pour être des citoyens plus respon-sables et vigilantsc’est le message quenous les anciensdéportés nous vou-lons transmettre.Il n’y a pas degrands et de petitsengagements, il y al’engagement quo-tidien pour luttercontre les inégalitéset l’exclusion, l’en-gagement quoti-

dien pour lutter à l’école, dans son quartier,dans son entreprise contre le racisme, l’an-tisémitisme et toutes les formes d’exclu-sion. C’est en effet, sur le développementde la précarité et de l’exclusion que sefabrique le lit des idéologies néfastes.

Nous vivons depuis quelques semaines enFrance des événements qui nous montrentune jeunesse inquiète pour son avenir alorsque c’est sur elle que repose l’avenir denotre société et la défense durable desvaleurs de la République. Laisser se développer cette inquiétude, nedonner comme perspective professionnellequ’une précarité renforcée est lourd deconséquences pour les jeunes et pour lasociété tout entière. Les jeunes du lycée Colbert sont allés aucamp du Struthof pour remettre la plaquecommémorative qu’ils ont coulée de leursmains. C’est un geste fort, hautement sym-bolique qui concrétise une démarchepédagogique riche. Ils ont ainsi laissé unetrace de leur prise de conscience citoyennepour contribuer à construire une sociétéoù le «plus jamais çà» serait une réalité.»

U n e n g a g e m e n t p a r t i c u l i e r

Lycée Colbert de Petit-Quevilly

Lucien Ducastel entouré des lycéens à l’initiative du projetde gauche à droite : Franz Bonami, Jean-Baptiste Le Bervet

et Kévin Bachelet

Coulage de la plaque

Avec Frédéric Sanchez, Maire de Petit-Quevilly

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u retour d’Auschwitz, ce fut unelongue et tragique histoire qu’ils

eurent à raconter.Devant l’attente angoissée des familles des1056 morts, ils se heurtèrent à l’indisso-luble espoir de retour des disparus. De tousleurs combats, le plus douloureux sera celuique chacun mènera contre les séquelles

laissées dans le corps et l’esprit.Ils adhéreront à cette organisation d’entrai-de qu’allait devenir la FNDIRP. Ils pren-dront une grande part dans la fondation del’Amicale des anciens déportés et déportéesd’Auschwitz. Une des 31000, Marie-ElisaCohen en fut Présidente dans les années50. Ils apporteront leur contribution aulivre édité en 1946 « Témoignages surAuschwitz ».Leur besoin de se retrouver entre 45000 et31000, de se réunir avec leurs familles, vales conduire à cette rencontre de Rouen etPetit-Quevilly … puis au Havre avecRoger Arnould intervenant sur sesrecherches sur les 45000.Le succès de leurs initiatives les incite à sedoter d’un secrétariat spécifique au sein del’Amicale d’Auschwitz, destiné à maintenirles contacts, sur proposition de RobertGaillard à Roger Abada, Lucien, AndréMontagne, Fernand Devaux.La mise en chantier d’une histoire des45000, initiée par Roger Arnould, relayéepar Claudine Cardon, historienne, s’ajou-tant aux voyages à Auschwitz, aux cérémo-nies du souvenir, va progressivement dessi-ner les contours d’une association, qui vavoir le jour en 1996.On passait ainsi de l’organisation ponctuel-le de rencontres à la création d’association.

En créant Mémoire Vive, les 45000 et les31000 ont voulu, en restant présents etactifs, passer le relais et créer les conditionsd’une démultiplication plus importante.Lucien en fût le 1er président, Marie-Claude Vaillant-Couturier sera présidented’honneur aux côtés de Germaine Pican,Madeleine Odru, Christiane Borras,

Hélène Allaire, Madeleine Jégouzo, Marie-Louise Méchain Rose.Juste retour des choses lorsque l’on connaîtle poids historique de la Seine-Maritime etdu 45000 Robert Gaillard. Les années 97-98-99-2000 et 2001 furent « très nor-mandes ». Après l’assemblée constitutive de1996 à Nanterre, la première AG se tenaitau Mémorial de Caen d’où 80 calvadosiensdevinrent des 45000. Notre association apris une autre dimension écrivait Luciendans notre bulletin.Une rencontre allait également beaucoupcompter : Lucien et François Legros, pro-fesseur d’histoire. En mai 1997, à Port enBessin, en juin à Caen, en 1998 et 1999 àBayeux pour une action antisfasciste contreun élu FN à la direction du Musée de laBataille de Normandie, puis Rouen et

Mont-Saint-Aignan au CRDP, enfin leHavre.C’est à l’issue de l’AG de Rouen, endécembre 2000, que Lucien passait le relais,demandant de pouvoir se consacrer essen-tiellement aux rencontres scolaires ; et sonbilan en la matière fût impressionnant, nonseulement au-delà du collège AndréDoucet, mais aussi de la région.Il pût s’enorgueillir du titre de « chevalierdans l’ordre des palmes académiques »décerné en 2003 pour son action en faveurde la mémoire de la déportation auprès desélèves de nombreuses classes de France.Nous saluons Lucien qui fut de tous lescombats pour la justice, la paix, la défensedes droits de l’homme.Nous le saluons pour sa fidélité à son idéalde jeunesse et au serment prononcé par lesdéportés en 1945 aux idéaux de laRésistance.

Roger Hommet, co-président deMémoire Vive

U n e n g a g e m e n t g l o b a l

Première rencontre des survivants et des familles en 1960 à Petit-Quevilly

Avec François Legros à Caen

Lors de l’Assemblée générale de Mémoire Vive de Rouenen 2000

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ous marchons vers l’école communa-le Lucien et moi par un bel après-

midi d’automne ensoleillé.- Nous ne serons pas en retard Danielle ?- Non Lucien. Regarde, comme nous cesenfants se rendent à l’école et eux ne sepressent pas !- J’ai toujours été ponctuel, je ne voudraispas être en retard sur l’horaire convenuavec toi et l’instituteur.- Nous serons à l’heure, l’école n’est pastrès loin. Regarde comme le village estbien fleuri !La cour d’école résonne de rires d’enfants.De tous les coins, on court, on saute, oncrie ! Ici un petit groupe, filles et garçons,

échange des nouvelles avec de grandsgestes … Monsieur Petitjean, l’instituteur,quitte ses collègues et s’avance vers nous. Jeprésente Lucien aux enseignants, non sansfierté : «déporté à Auschwitz, compagnonde mon père». Nous avons à peine fait lesprésentations qu’un garçonnet blond etbouclé, l’air triste, nous interrompt :«Monsieur, la bande là-bas, ils m’attaquentet m’appellent «mouton» !». Le maîtres’éloigne pou régler le «problème». Lucienprend l’enfant vers lui et remarque qu’il aun tatouage transfert sur la main droite : «Ilest beau ton tatouage, dis donc ! Regarde,moi aussi j’en ai un». Lucien retrousse lamanche gauche de sa veste, le gamin inter-loqué regarde, lit à vois basse «45491» etretourne jouer. Le maître frappe dans ses

mains, les rangs se forment calmement etnous suivons la classe des plus grands.Lucien s’installe au bureau, parle de sonarrestation, le pourquoi, le convoi des45000, les wagons verrouillés, l’arrivée,l’arrivée aux camps d’Auschwitz et deBirkenau. Il prend garde de ne pas diretoutes les horreurs, mais d’une voix calmeappuie sur la faim, la soif, les coups, lamatraque, les maladies, les nombreuxmorts, les journées de travail exténuantes,les appels interminables, debout dans legrand froid ou l’écrasante chaleur … etl’arrivée des trains entiers de femmes,enfants, vieillards, qui arrivaient là sanssavoir ce qui les attendait …

Je suis étonnée de la qualité d’écoute desélèves. Ils prennent des notes, pas un seulbruit dans la classe. Lucien propose derépondre aux questions. Les doigts selèvent et il répond à chacun. Il y a toujoursdes doigts levés : les coups, la matraque, legrand nombre de détenus, de morts, la des-cription de la nourriture impressionnentles enfants.- M’sieur, vous étiez plus que mille, com-ment vous faisiez le soir pour retrouvervotre lit ?- Nous n’avions pas de lit, c’était …- M’sieur, pourquoi vous ne vous êtes pasévadé du camp ?Chaque élève attend patiemment son tourpour poser sa question. Lucien repère ceuxqui n’ont pas encore pris la parole. Il ter-

mine sur la nécessité du respect de l’autreet de sa différence, par son espoir de laisseren eux un message de paix. Une heure etdemie d’écoute et de questions. On entenddes cris venant de la cour, l’autre classe estsortie en récréation. «Il faut arrêter là» ditle maître ; mais les enfants veulent un mot,la signature de Lucien sur leur cahier dedevoirs. Ils l’entourent au bureau, se bous-culent un peu. Je remarque des bras de gar-çons sur lesquels est écrit le numéro 45491au feutre noir ou de couleur. Les filles l’ontinscrit sur leur main gauche. Lucien, tou-jours calme et souriant, est assailli par lescahiers.- Là M’sieur, écrivez là s’il vous plaît, merciM’sieur Ducastel !Les élèves sortent enfin dans la cour.Lucien a pris le temps nécessaire pour cha-cun d’eux.Jai rencontré le maître le lendemain : «lesélèves ont été très attentifs» lui dis-je. «Oui»me répond-il, «ils m’ont étonné. Ils ontremarqué que Monsieur Ducastel n’avaitpas tout dit ; les silences, même courts, lesont interpellés. D’autres questions vien-dront plus tard. Je garde vos documents, jevais continuer avec eux, ils veulent appro-fondir».Dans mon village, l’appel de Lucien au res-pect de l’autre et à la tolérance a été enten-du et je suis sûre que les enfants et les ado-lescents en qui il met tous ses espoirs nel’oublieront pas.

Danielle Cavalli, fille de Amadéo Cavalli (46227)

v e r s l e s j e u n e s

Avec Danielle Cavalli

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R e n c o n t r e f r a n c o - a l l e m a n d e

Lucien et les résistants de Nanterre, en particulier Vincent Pascucciet Daniel Archen (fils d’Auguste Archen - 45177), ont participé à un échange

entre les élèves du lycée Joliot-Curie de Nanterre et les élèves du«Dreikönigsgymnasium» de Cologne étudiant le français

Les démocrates allemands étaient nos frères de combat

Nous venons de parcourir le camp d’ex-termination du Struthof. Des milliers decombattants contre le nazisme y sont tom-bés. Ils étaient allemands, français et origi-naires d’autres nationalités. Ils sont tombésdans un même combat contre le nazisme,qui a fait de par l’Europe des millions de

victimes, patriotes, résistants de diversesnationalités, d’autres juifs, tziganes, homo-sexuels, victimes du racisme, de l’antisémi-tisme, de leur différence. Les uns et lesautres sont tombés pour que les généra-tions qui leur succéderont puissentconnaître un monde de fraternité et de

bonheur. Nous nous inclinons respectueu-sement à leur mémoire.A cet instant, qu’il me soit permis desaluer tout particulièrement nos jeunesamis du lycée Dreikönigsgymnasium deCologne, ceux du Lycée Joliot Curie deNanterre, leurs professeurs, nos amisde la Résistance venus eux-aussi rendrehommage aux victimes du nazisme.Chers amis, nous n’oublierons jamaisque ce sont les démocrates allemands,nos frères de combat contre le nazismequi ont «inauguré» les premiers campsde concentration.`Nous nous inclinons bien respectueu-sement à leur mémoire.Chers amis, la bête immonde n’a pasdisparu, le racisme et l’antisémitismesont toujours présents avec la mêmeidéologie xénophobe et criminelle.A l’heure où nous sommes réunis ici,des peuples connaissent de nouveau lesdrames de la guerre dans différentspays toujours au service des mêmesidéologies nauséabondes.Ce ne sont pas les forces de frapped’où qu’elles viennent qui solutionne-ront les problèmes qui se posent auxpeuples où que ce soit, dans quelqueconflit que ce soit dans ce monde qui seveut moderne et pourtant si dange-reux. C’est à l’ONU qu’il appartient derechercher les solutions, de saisir toutpas en avant qui peuvent se manifesterpour aller vers des solutions négociées.Mais c’est aussi aux peuples de prendreconscience de leurs responsabilités etd’agir pour que se développe un puis-sant mouvement populaire de fraterni-té et de paix.Nous devons contribuer au développe-ment d’un puissant mouvement de soli-darité envers ces peuples, ces jeunes,ces enfants qui font une fois encore lesfrais de telles ambitions criminelles.Les événements qui viennent de sedérouler en Autriche, aux portes del’Allemagne, aux portes de notre pays,doivent nous conduire à agir.En France même, nous devons dévelop-per avec plus de force et de persévé-rance le combat contre le racisme etl’antisémitisme.

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Lucien était un homme de conviction ;sa droiture, sa franchise étaient pour

beaucoup dans la confiance qu’il savaittransmettre à ses interlocuteurs.J’ignore si beaucoup d’habitants de votrecité savaient que ce voisin affable, simple,discret, s’était comporté en héros à unmoment tragique de notre histoire. Lucienne tirait aucune gloire de son passé, cen’était pas son genre, mais quel regret fina-lement que la vie de personnalités aussifortes, personnifiant le courage, ne soientpas connus de tout un chacun !. (...)Comme souvent ses compagnons le firent,Lucien bien que victime et témoin despires abjections, conservait sa foi dansl’homme, dans la possibilité de construireun monde meilleur. Et Lucien, l’horreur nel’avait pas fait plier, se redéploie commemilitant, comme acteur social, dès les moissuivants son retour des camps, et donne lemeilleur de lui-même.Je connais Lucien lorsqu'il devient en 1965citoyen de Nanterre, et ses qualités derigueur, outre l’immense respect que j’avaispour son parcours, m’impressionnaient. Jeme souviens aussi que Lucien aimait enréalité, plus que la vie de bureau, la chaleurdes contacts humains, les combats concrets,leur âpreté ne lui faisait pas peur, et c’est laraison qui le conduit à s’investir, au débutdes années soixante-dix, dans l’organisationdes luttes pour la défense des locataires et lapromotion du logement social ; il sera undes pivots de la CNL, son premier respon-sable dans les Hauts-de-Seine.Lucien était un homme bien, qui avait sugarder son cap de jeunesse, qui avec unefinesse culturelle, était ouvert au monde etattentif aux autres. Nous nous sommesbeaucoup vus en réunions ces dernièresannées et je le trouvais formidablementtouchant. L’attention en public, Yvette, lesdélicatesses qu’il te témoignait, étaient lamarque d’un homme, que la vie certesn’avait pas épargné, mais qui conservait aufond de lui-même en dépit de l’usure dutemps, sa sensibilité, son humanité, sa fidé-lité, et c’est aussi pour cela qu’on ne l’ou-bliera pas.

Michel Duffour,Ancien Conseiller général et

Sénateur des Hauts-de-Seine,ancien Secrétaire d’Etat

ucien, que j’ai eu la chance de côtoyer,a toujours été un homme de convic-

tions.Comme son parcours, qui vient d’être rap-pelé, le montre, il a toujours porté desvaleurs d’humanisme, de solidarité, d’en-traide, avec toute la force et l’énergie quenous lui connaissions.Auprès de sa famille et de tous les gensqu’il a rencontrés, dans toutes ses activités,sa présence et sa capacité à entraîner lesautres nous aurons marqué.La ville de Nanterre a eu l’honneur deprofiter de sa personnalité et de ses enga-gements pendant près d’un demi-siècle. Ilaura marqué de son empreinte singulière lamémoire de la ville.Avec ses amis, notamment VincentPascucci, avec tous les membres des asso-ciations d’anciens combattants et résistants,aux côtés des différents maires de la ville,Raymond Barbet, Yves Saudmont,Jacqueline Fraysse et moi-même, il acontribué à façonner cette ville (…).Il nous a montré le chemin de ce quedevait être le devoir de mémoire. Arrêté avec ses camarades par la policefrançaise parce qu’ils combattaient l’idéo-logie raciste du régime nazi et qu’ils refu-saient les remises en cause des conquêtessociales, il a toujours rappelé avec vigueurles valeurs qui l’ont conduit à se lever danscette terrible période. Et ces valeurs, celles progressistes duProgramme du Conseil National de laRésistance, il a continué de les porter dansles luttes sociales et politiques d’aujour-d’hui.Et parce que c’est avec des juifs, des tsi-ganes, des homosexuels, des opposantspolitiques, sans distinction, qu’ils furent, à

Birkenau, tous les victimes de la pire bar-barie qu’ait connue l’Humanité, Lucien nepouvait concevoir de différences entre leshommes. Il ne pouvait accepter quelconquesatteintes portées à la dignité des êtreshumains par des idées ou des théories quiprônent la supériorité des uns sur lesautres.Il concevait la société comme un tout. A l’image de notre ville, la diversité desorigines, les différences culturelles, la diver-sité de confessions ou d’origines sociales,constituaient une force. Et il portait haut etfort cette richesse que constituent la mixi-té et le vivre ensemble, ces valeurs quicaractérisent Nanterre, cette ville pourlaquelle il avait toujours beaucoup d’atten-tion (…).Transmettre aux jeunes générations, parti-ciper à la mémoire collective, c’était aussipour lui une façon de construire ensembleun projet commun, de porter un mondeoù chacun a sa place. Et par ce savoir, par ce partage des connais-sances, se construit une véritable vigilancecollective, porteuse d’actions contre lesdangers qui sont encore présents aujour-d’hui (…).Transmettre, c’est se souvenir qu’au cœurde la guerre, des femmes et des hommes sesont réunis pour préparer un avenir plusjuste, plus pacifique, plus humain. Ils ontélaboré un patrimoine commun et des dis-positions progressistes, si souvent égrati-gnées et mises à mal aujourd’hui (…).Comme beaucoup, je garderai de monséjour à Auschwitz avec Lucien et Vincent,une trace ineffaçable, un moment fort,inoubliable.

Patrick Jarry, Maire de Nanterre

e t s a n s f a i l l ePatrick Jarry, Maire de Nanterre, et Lucien à Birkenau

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ucien, c’est un de mes plus anciens etplus proches compagnons de toutes les

luttes. Je l’ai connu à son retourd’Auschwitz en 1945 quand il reprit aussi-tôt sa place dans les rangs de la JeunesseCommuniste en ce qui s’appelait encore laSeine-Inférieure. Lucien c’est un de ceshommes dont la modestie et la simpliciténe contredisent point le courage, l’intelli-gence et l’intégrité.Il est de ceux qui, si nombreux, furent arrê-tés par les gendarmes français pour lecompte des hitlériens le 21 octobre 1941,sur les instructions de Pucheu, alorsministre de Pétain, le jour même où furent

fusillés à Châteaubriant les vingt-sept du«chemin de l’honneur» parmi lesquels GuyMôquet. Son bras portait toujours l’infâmeet glorieux tatouage de tous ceux qui,comme lui, internés au camp deRoyallieu-Compiègne, en furent déportésà Auschwitz en juillet 1942. Le départe-ment de Seine-Maritime est un de ceux oùle nombre d’arrestations fut le plus élevé.Parmi eux, beaucoup se souviennent deGermaine Pican, Lucie Guérin et LouisEudier qui furent, après la libération, parle-mentaires communistes de notre départe-ment, de Danielle Casanova, de Marie-Claude Vaillant-Couturier, de tant d’autresgloires françaises.

Dès son retour de déportation, Lucienreprit sa place dans les rangs de la JeunesseCommuniste. Nous commençâmes alors ày partager des responsabilités régionales,avant de nous retrouver, dès 1948, auSecrétariat fédéral de Seine-Maritime duParti Communiste Français. Durant toutela période de la guerre froide, il assuma desresponsabilités combatives. Il fut alors pre-mier adjoint au maire de Petit-Quevilly, undes villes importantes du département.Son intelligence, son dévouement, sontalent d’organisation en firent plus tard uncollaborateur très proche de GastonPlissonnier, secrétaire du Comité Central,

et en firent aussi un des organisateurs del’activité politique du parti communistedans les rangs de l’armée.Il ne dépassa jamais l’âge de combattre etde manifester ses convictions et ses aspira-tions. Il se consacra donc ensuite à entrete-nir le souvenir de la résistance et de ladéportation, à en montrer la réalité auxjeunes générations.Son souvenir demeure exemplaire.

Roland Leroy,Ancien Secrétaire de

la Fédération du PCF de Seine-Maritime et ancien directeur de

L’Humanité

U n e n g a g e m e n t g l o b a l

A Petit-Quevilly, alors qu’il était pre-mier adjoint, il fait en sorte queAndré Bréançon, Hilaire Casgelli,Adrien Gentil et Charles Le Gacaient une rue qui porte leur nom.Une rue porte également le nom deClaudine Guérin, benjamine duconvoi des 31000, originaire deRouen, arrêtée au lycée à Paris dansl’affaire André Pican.Avec son ami Robert Gaillard(45565), il organisera la premièrerencontre des 45000 et des 31000 àPetit-Quevilly, organisera de grandesmanifestations pour faire sortir cesdeux convois spécifiques de l’oubli etleur donner leur juste place dans l’his-toire de la Résistance et de la déportation.Robert et Lucien, inséparables, ontété les artisans de nos retrouvailles etde notre action de passeurs demémoires, pleinement engagés dansles combats actuels contre les discri-minations, toutes les formes de racis-me et d’antisémitisme.C’est leur enthousiasme, leur force deconviction qui ont permis la créationd’un petit groupe de 4 camarades dela région parisienne (Roger Abada,Lucien Ducastel, André Montagne etmoi-même, rejoints ensuite parGeorges Dudal) qui a été précurseurde la création de notre associationMémoire Vive en 1996.C’est ce petit groupe qui a active-ment contribué au travail deClaudine Cardon-Hamet pour la sor-tie du livre «1000 otages pourAuschwitz».La vie de Lucien est un parcours delutte pour construire une société plusjuste – Lucien avait avec lui-même etavec les autres un niveau d’exigencequi pouvait être rude mais une gran-de humanité. Il alliait un caractèrefort, emporté et une capacité d’écou-te exceptionnelle, une grande géné-rosité et une sensibilité profonde.Nous espérons au travers de ce bulle-tin vous faire partager toutes lesdimensions de cette personnalité quia marqué tous ceux qui l’ont rencontré.

Fernand Devaux (45472)

Roland Leroy lors de la cérémonie à Compiègne en 1982 avec plusieurs 45000 et 31000 à l’occasiondu 40ème anniversaire du départ du convoi des 45000. A sa droite, Philippe Marini, maire deCompiègne

U n e n g a g e m e n t g l o b a l

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Nommé Principal du collège PaulVerlaine en septembre 2000, je fus

mis très vite au courant des projets de l’ate-lier patrimoine, que dirigeait notre regret-té François Legros. Ce dernier, qui prépa-rait alors la sortie du livre «le convoi des45000» faisait appel aux témoins et nousles recevions au collège. C’est ainsi que j’airencontré Monsieur Lucien Ducastel. Cequi m’a d’abord frappé, alors qu’il parlait

avec douceur et conviction aux élèves,c’était son visage ! J’avais l’impression qu’ilsouriait doucement et de façon constante,cela lui donnait un ascendant sur son audi-toire, dont il n’avait vraisemblablement pasconscience.En juin 2001, nous nous sommes rendus àAuschwitz avec une cinquantaine d’élèveset quelques adultes. Nous y avons retrouvésur place plusieurs anciens déportés, dontLucien. Au camp 1, au pied des ignoblescachots où il avait été enfermé, il expliquaitles larmes aux yeux, dans un silence total,les hurlements des déportés que l’on traî-nait jusqu’au mur afin de les exécuterd’une balle dans la tête …. mais même cejour-là, pas une seule fois il n’a tenu un seulpropos violent à l’encontre del’Allemagne ! Il rappelait sans cesse qu’il

fallait faire la différence entre le peupleallemand et les hordes de nazis !C’est je crois à ce moment-là que je mesuis dit que j’étais en face d’un pédagoguede talent, qui était d’autant plus crédiblequ’il était tout simplement profondémenthonnête, et que tous ses auditeurs le sentaient.J’ai pris la décision de demander pour luiles palmes académiques. Les détails sontinutiles il faut simplement savoir que cette

demande a été acceptée à la premièrerequête !Je sais que la remise officielle s’est faite à lamairie de Nanterre. N’ayant pas d’adjoint àl’époque je n’avais pu m’y rendre mais dansle livre «Evrecy mutations d’un bourgrural» paru en juin 2004 au collège j’airetrouvé les textes suivants :Cette année le moment le plus fort a sansdoute été la remise de la médaille despalmes académiques à Lucien Ducastel parMarc Boilay, principal du collège .Ce der-nier lui a dit : « lorsque vous êtes sorti descamps, vous auriez pu préférer le silence oul’oubli . Vous avez choisi de continuer àvous battre. Votre bataille a été celle de lavolonté de dire, de faire savoir jusqu’où deshommes peuvent se perdre, jusqu’où l’hor-reur peut aller quand elle est rationalisée.

Ce devoir de mémoire, vous l’avez mer-veilleusement servi. Vous avez été un grandpédagogue. J’ai vu comment vous saveztrouver les mots qui touchent le cœur et laraison des adolescents.»Manifestement ému Lucien Ducastel aconfié que «cette distinction était toutd’abord l’illustration du serment que nousavons fait à notre retour, de dire ce quenous avions vécu, pour exprimer les condi-tions dans lesquelles nos camarades ont dis-paru, pour tout dire sur le système concen-trationnaire qui nie l’individu et les idées,distille le racisme, l’antisémitisme, tout cequi a contribué à l’extermination de l’individu».Il a ensuite ajouté que les témoignagesprennent tout leur sens s’ils sont un élé-ment de construction de la citoyennetépour que les jeunes que nous rencontronssoient des citoyens responsables, impliquésdans la vie de leur cité, de leur pays, de lacommunauté internationale.Il a enfin affirmé toute sa confiance dansl’école de la République car le savoirqu’elle transmet a aussi permis à des dépor-tés de mieux tenir dans l’enfer des camps !Que madame Ducastel et sa fille sachentune fois encore, s’il en est besoin, queLucien a apporté beaucoup à ceux qui onteu la chance de le rencontrer. Ses interven-tions ont permis à de très nombreux jeunesde comprendre, d’être vigilants et enquelque sorte de prendre le relais. MerciMonsieur Ducastel !

Marc Boilay

L e s P a l m e s a c a d é m i q u e s

Pour Lucien, l’attribution des Palmes académiques était la reconnaissance del’action collective des enseignants et des rescapés envers les jeunes généra-

tions pour les sensibiliser à leur responsabilité de citoyens.

Avec Marc Boilay

V1

Birkenau, Block 25. Ma voix s'élève ettremble au moment de rendre à montour un hommage. Je finis par me taire. Unlong silence. Très long. Et c'est là, fracas-sant ce silence que Lucien prend la paro-le. Raconter l'atroce. Ce qu'on a fait auxcamarades. Raconter l'innommable. Ceque l'on a vécu, vu, entendu. Il parle, inta-rissable. «Il ne s'agit pas de dire dire diredire…». Oui, Lucien, il n'y a pas de mots.Seuls les tiens, les vôtres, sont véridiques.Sur quelques visages du groupe, il y a deuxsentiments qui s'alternent, la gravité et lesoulagement. De le voir parler, de l'en-tendre dire, dire qu'il n'a rien oublié,parce que c'est inoubliable.De retour à Paris, et bien même des moisplus tard, ce que Lucien nous a dit ce soir-là me reste gravé dans la mémoire. Lesmoments, même les plus courts où j'ai pufréquenter Lucien le restent aussi.Beaucoup plus qu'une rencontre : unevéritable leçon de courage, de vie, maissurtout d'humanité.

Catherine KamaroudisArrière petite-fille de Germaine

Renaudin (31716)

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M v

Notre site interneth ttp://www.memoirevive.org

Silence, les Faurisson et autres politiciensde bas étages, falsificateurs de l’histoired’un passé dont ils rêvent le retour. OuiMessieurs, nous avons en mémoire,comme si c’était hier l’odeur pestilentiel-le, où se mélangent l’odeur des maraisséchés porteurs de malaria et de typhuset celle des fours crématoires qui cra-chent leur fumée humaine. Oui, nousavons connu la fosse commune où l’onjetait les bébés qui arrivaient des convois.Oui, nous avons perdu 90 % des nôtresdans cet enfer, alors silence messieurs !

Lucien Ducastel in L’EveilJuin 1992

Avec Jean Daniel à Auschwitz en 2005

De gauche à droite, Yves Jégouzo, Claudine

Frydman, Lucien, Jean Doucet, Charlotte Rivière à

Birkenau en juillet 2011

De gauche à droite, Renée Joly, Claudine Collet-Riera, ChristianeBorras (31650), Lucien, au Camp des Femmes de Birkenau en 1995

Avec René Besse (45240) à Auschwitz I en 2005

Avec Jean-Marie Dusselier au monument de Birkenau

Lors d’un voyage avec la ville de Nanterre, dans la cour du Block 11 d’AuschwitzI, avec Patrick Jarry, maire de Nanterre, Vincent Pascucci de l’ANACR, et desjeunes lycéens.

Contact :Fernand Devaux2, rue du 18 juin

95120 ERMONTtél. 01 34 13 16 88

n°47mai 2012

Mémoire Vivela lettre de l’association des 45000 et des 31000 d’Auschwitz-Birkenau

Lucien est né à Darnetal près de Rouenen 1920 dans une famille ouvrière. Dès

l’âge de 16 ans, il participe aux grèves de1936. Lorsqu’en 1939, le parti communis-te est dissous et que le parti communiste etle général de Gaulle appellent à laRésistance, Lucien participe au regroupe-ment des jeunes communistes et à la pour-suite de leurs activités clandestines au seindes Bataillons de laJeunesse.Il distribue des tracts,procède à des inscrip-tions antifascistes sur lesmurs de la ville et unenuit plante un drapeautricolore sur la caserneTallandier à Petit-Quevilly, occupée parl’armée allemande. Il est arrêté dans la nuitdu 21 au 22 octobre1941 sur dénonciation,par la police française,avec une centaine derésistants de la région deRouen, à la suite d’atten-tats en Seine-Maritime.Incarcéré à la caserne Hatry de Rouenpendant une semaine pour y subir desinterrogatoires, il sera transféré avec sescompagnons au camp allemand deRoyallieu à Compiègne.Lorsqu’en 1941 Hitler décide de la dépor-tation des juifs et des communistes versl’Est en réponse au développement desactions de la Résistance, une autre page dela répression s’ouvre. La composition duconvoi du 6 juillet 1942 en est une illustra-tion, Lucien fait partie des 1000 commu-nistes du convoi.Lorsqu’à notre arrivée le convoi est séparéen deux groupes, Lucien fait partie descamarades qui restent à Birkenau, où lesconditions de survie sont les plus difficiles.

Tout au long de sa déportation, Lucienconnaîtra les conditions de vie les pires,affecté à des commandos de travail à l’ex-térieur et nécessitant les efforts physiquesles plus importants comme le terrassement,la construction d’un canal.Lucien fait partie des 17 survivants quireviennent à Auschwitz en mars 1943.Très affaibli, il entre à l’infirmerie. C’est là

que nous nous rencontrons pour la pre-mière fois. Lucien sera sauvé par un chef debloc, un communiste allemand, qui lecachera lors d’une sélection pour lachambre à gaz.En avril 1943, Lucien fait partie de ceuxd’entre nous qui sont rassemblés au block11. Si pour beaucoup d’entre nous cettemise en quarantaine va nous permettre dereprendre des forces car nous y sommesdispensés de travail, Lucien y subira l’unedes sanctions les plus lourdes. Accusé d’êtreporteur d’un «couteau sabre», il s’agissait enfait d’une plaque de zinc de 5 cm qui luiservait à étaler sur son pain le peu de mar-garine qui nous était octroyé, il estcondamné à 10 jours de Stehen Bunker et

10 jours de commando disciplinaire. LeStehen Bunker était une cellule d’environ1m2, sans toit, dans laquelle plusieursdéportaient passaient la nuit sans pouvoirs’asseoir. Pour y entrer, les déportésdevaient se baisser sous les coups.En septembre 1944, nous sommes séparésen 4 groupes de 30 environ. L’un reste àAuschwitz, les 3 autres prennent des direc-

tions différentes.Lucien, GeorgesDudal et moi,sommes dirigés versGross Rosen. Nous ysommes regroupésdans le même bloc.Nous sommes dési-gnés pour organiserla solidarité dansnotre groupe.En février 1945,l’évacuation de GrossRosen est un nouveléclatement de notregroupe et je neretrouverai Lucienqu’en mai 1945 àl’hôtel Lutétia.

À notre retour en France, la mise en appli-cation du programme du Conseil Nationalde la Résistance est pour les militants quenous sommes un appel à participer à laconstruction de cette nouvelle société.Lucien reprendra donc dès que sa santé lelui permettra sa vie syndicale et de militantpolitique. L’expérience d’Auschwitz, lesengagements pris devant nos camaradespour qu’il n’y ait PLUS JAMAIS CA, vontnous faire prendre une part très active, nousles 45000 et les 31000, à la création de laFNDIRP et de l’Amicale d’Auschwitz.Lucien, avec sa passion et sa force de carac-tère, y contribuera activement.Militant politique, élu municipal, Luciensera un infatigable militant de la Mémoire.

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Lucien Ducastel (45491) nous a quittés le 16 février 2012.Son apport à la Mémoire des convois des 45000 et des 31000 a été essentiel.

Lucien a été un homme de conviction et d’engagement.Mémoire Vive a souhaité au travers de ce bulletin valoriser le caractère de son engagement

et mettre en valeur une personnalité qui a marqué tous ceux qui l’ont approché.

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