Rencontre Marcello Pettineo · cerné par des hordes de « mout-mout » et plus j’écrasais ces...

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L’art est dans notre nature. En virtuose du crayon et de la palette graphique, Marcello Pettineo nourrit sa soif de découvertes aux confins des derniers espaces sauvages, à la rencontre des peuples oubliés, du monde animal qui lui offrent un répertoire de formes et de couleurs universel. Cet « explorateur du trait » aime plus que tout brouiller les pistes, se jouer des frontières aux confins du carnet de voyage, du livre d’artiste et du recueil naturaliste. Embarquement immédiat. Texte et photos David Gauduchon – concept graphique Marcello Pettineo. Pratique des Arts n°90 / Février-Mars 2010 Marcello Pettineo Rencontre Pratique des Arts n°90 / Février-Mars 2010 22 23

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L’art est dans notre nature. En virtuose du crayon et de la palette graphique, Marcello Pettineo nourrit sa soif de découvertes aux confins

des derniers espaces sauvages, à la rencontre des peuples oubliés, du monde animal qui lui offrent un répertoire de formes et de couleurs universel. Cet « explorateur du trait » aime plus que tout brouiller les

pistes, se jouer des frontières aux confins du carnet de voyage, du livre d’artiste et du recueil naturaliste. Embarquement immédiat.

Texte et photos David Gauduchon – concept graphique Marcello Pettineo.

Pratique des Arts n°90 / Février-Mars 2010

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uséum national d’Histoire naturelle, Paris. A l’angle de la rue Buffon, les grandes portes de la Galerie de paléontologie et d’anatomie comparée s’entrouvrent et nous invite à un voyage insolite à travers les temps géologiques. Rencontre du 3ème type avec

un Allosaurus, un dinosaure carnivore cousin du T-rex, cet Eryops, un superbe stégocéphale ou «salamandre» géante fossile. Il y aussi ce Diplodocus, un dinosaure sauropode, herbivore à long cou et longue queue… En prise avec un Triceratops, un homme coiffé de son Stetson délavé, qui arbore d’étranges plumes bigarrées et du poil de Yak, semble tout à son affaire, un carnet de croquis et une simple mine de plomb dans les mains.Un habitué des lieux sans doute vu l’aisance qu’il déploie dans la mise en œuvre de ses croquis. « Ce ne sont que quelques crayonnés, du plaisir à l’état pur. Cette bestiole me fascinait déjà gamin tout comme les buffles qui nous regardent là-bas » explique Marcello Pettineo à son ami venu le rejoindre, le paléontologue Sébastien Steyer, front dégarni et allure plutôt branchée. Une discussion passionnée s’engage. « Je rentre tout juste d’une campagne de fouilles en Zambie, très prometteuse » confie Sébastien manifestement subjugué par le carnet de Marcello. « Il faudrait que l’on songe à inviter un artiste comme toi sur le théâtre de nos expéditions. La sensibilité de ton regard nous serait précieuse tout comme l’esthétique et la valeur pédagogique de tes dessins. Ce serait un clin d’œil formidable envers nos pairs - ces scientifiques du siècle dernier, mi-gentleman, mi-aventuriers - qui conservaient aussi le fruit de leurs découvertes dans de fabuleux carnets ». Nostalgie d’un temps révolu, où l’on savait s’arrêter pour observer ? « Mais il faut que tu saches que les nuits ne sont pas de tout repos là-bas ! Les lions sont très actifs et s’approchent parfois près des tentes. Crois-moi je n’en menais pas large dans mon duvet ». Marcello sourit sans pour autant perdre de vue la lumière qui, sous la grande verrière de la Galerie, apporte une dimension nouvelle à son sujet. Son trait se densifie dans les ombres. « Ce ne sera pas pire qu’en Centre Afrique où

je suis allé dessiner ces grands félins. Je me souviens d’une chaude journée où, étant contraint à attendre plusieurs heures, j’avais trouvé refuge au pied d’un arbre perdu dans la brousse. Un poste d’observation idéal. En théorie car je me suis retrouvé cerné par des hordes de « mout-mout » et plus j’écrasais ces abeilles microscopiques et plus elles dégageaient une odeur sirupeuse de pollen qui en attirait d’autres, plus nombreuse. Une fois réfugié sur mon 4X4, c’est les mouches « tsé-tsé » qui ont livré l’assaut. Situation tout aussi intenable que de m’enfermer dans ma cabine, sous 50 degrés ! Entre deux coups de crayons, j’ai donc passé ma journée, à courir de mon arbre à la voiture ». Eclat de rire général au pied du triceratops impassible. Une chose est sûre, avec ces deux là, l’art comme la science ont de beaux jours devant eux.

PDA : Que représente pour vous le dessin?MP : C’est un formidable passeport qui m’a permis d’accéder à un parcours de vie. Je lui dois tout. Mon métier de graphiste, mes rencontres, mes voyages, mes rêves d’artistes les plus fous, ceux que j’ai pu déjà accomplir et tous ces beaux projets qui sont à venir. Fils d’immigré Sicilien, banlieusard, le goût du dessin s’est révélé très tôt en moi bien que je ne sois pas issu d’une famille d’artistes. Mais je voyais souvent mon père, charpentier et maçon de métier, un crayon à la main. Très tôt, le dessin m’a offert des moments d’évasions formidables alors que je jouais aux explorateurs en herbe avec mon frère. Les tritons, dans les mares de cette Amazonie miniature qu’était un terrain vague, me fascinaient. Je pouvais passer des heures à les contempler et à les dessiner. Mon atavisme pour l’eau,

« Si l’esthétique est à l’artiste ce que l’ornithologie est auxoiseaux alors je me fiche de l’esthétique car les oiseaux se fichent de l’ornithologie, je peins, ils volent » Lars Jonnson.

BIOArtiste inclassable, globe trotteur

infatigable, cet ancien élève de l’école Corvisart est actuellement

concepteur graphique au sein de l’agence Fremens qu’il co-dirige. Créateur de logos et de

campagnes publicitaires, directeur artistique pour la presse

et l’édition, chargé de communication pour

de nombreuses sociétés depuis près de 30 ans, il

consacre toute son énergie pour ce métier qui se confond intimement avec ses passions

pour l’expression artistique et la nature, à tel point qu’il en a fait

une « signature » reconnue et appréciée. Communiquer, il ne

l’a d’ailleurs jamais aussi bien fait qu’au

travers de ses dessins et ses fabuleux

carnets, véritables passeports qui, en

mêlant tous les champs de la pratique artistique

et informatique, nous invitent à explorer

le monde.

Sayat «Les aigliersde l’Altaï» :À paraître en mars 2010. Auteur Georges Lenzi. 216 pages, format 337 x 235 mm, 438 photos de l’auteur et 35 études animalières originales pleines page de Marcello Pettineo. Un magnifique livre objet disponible par souscription dès maintenant en deux versions dont une limité à 100 ex avec une couverture artisanale augmenté d’un tiré-à-part sur papier Aquarello Muséum 310gr signé par l’artiste :www.poiscaille.com

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les poissons et la nature en général est donc né à Antony, il y a plus de quarante ans.

PDA : Comment vous définissez-vous aujourd’hui sur le plan artistique ? Appartenez-vous à cette grande famille des carnettistes ?MP : Je n’ai jamais aimé les étiquettes et si je devais m’en coller une ce serait celle d’un « grand enfant qui essaie de garder les yeux ouverts ». Je crois tout simplement que l’on ne prend plus le temps de regarder aujourd’hui ce qui nous entoure parce que nous vivons dans un monde où l’image est omniprésente… C’est un paradoxe que j’analyse aussi en tant que professionnel de la communication. J’ai fait un choix de vie : je préfère « être » plutôt qu’« avoir ». La liberté que me procure cette philosophie est aujourd’hui au cœur de ma démarche plastique qui se fait une synthèse de tous les outils dont l’artiste dispose, traditionnels et nouvelles technologies incluses. Imaginez la tête de Léonard de Vinci et le parti que ce génie visionnaire en aurait tiré ? J’ai d’abord appris à dessiner seul. Puis j’ai découvert les arts graphiques à l’école Corvisart qui m’a enseigné le goût du dessin traditionnel, l’exigence voire l’obstination que nécessite sa pratique. J’appartiens aussi à cette génération de transition qui un jour, a vu débarquer l’outil informatique. Sur le plan artistique disons que tout à en fait véritablement basculé le jour où je me suis lancé dans une drôle d’aventure, une sorte de bilan de compétences visuelles à travers un livre objet dans lequel j’ai « malaxé », pêle-mêle : « ma vie, mon œuvre », mon capital financier et informatique ! Il en est sorti« Mémoires d’un pêcheur de Tritons » 100% fait main que j’ai

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auto édité. Une sorte de testament graphique avant l’heure, inclassable d’après les collectionneurs qui ont eu tôt-fait de l’épuiser*. Puis, année après année, la nature a repris ses droits et toute la place qui lui revient aujourd’hui dans mon univers artistique.

* Il est toujours possible de le « consommer sans modération » sur le site www. poisaille.com

PDA : Vous êtes alors un artiste naturaliste ?MP : Non, je n’ai pas cette prétention tout simplement parce que je n’ai pas la connaissance d’un spécialiste sur telle ou telle espèce d’animaux ou d’oiseaux. Disons que je suis un observateur naturaliste qui a un fort penchant pour les voyages. A contrario d’un Audubon ou d’un contemporain comme Victor Nowakovsky dont j’admire le très beau travail, je ne cherche pas à représenter fidèlement le réel, de façon encyclopédique il s’entend. Je me contente de l’interpréter, toujours en quête d’émotions et de sens afin de susciter l’émerveillement chez le spectateur, la curiosité et le goût renouvelé pour un vaste champ de connaissances. Le monde des scientifiques avec lesquels je collabore étroitement aujourd’hui, pour des projets d’édition, l’a très bien perçu. Bruno Corbara pour la mission d’inventaire de la biodiversité, IBISCA Auvergne 63, Sébastien Steyer, paléontologue et Christine Rollard, arachnologue, tous deux chercheurs au CNRS m’ont fait confiance tout comme le CDT de la Lozère ou le magazine Ushuaia dans les domaines de la vulgarisation, au sens noble du terme. Il y a un projet en cours d’achèvement qui me tient particulièrement à cœur. Le très beau livre du journaliste – outdoor Georges Lenzi que j’ai investi artistiquement « Sayat, les aigliers de l’Altaï ».

En pratiqueJe suis nostalgique de cette époque où de grands scientifiques - ethnologues, géographes, entomologistes, naturalistes - tels les C. Darwin,Buffon, A.d’Orbigny, Cuvier, J.J. Audubon, Duplessis, S.Parkinson et bien d’autres explorateurs du vivant, artistes par obligation, parcouraient les quatre coins du globe pour témoigner de leurs observations. Je m’emploie aujourd’hui modestement à revisiter l’émotion qui émane de leur testament graphique. Souvent, je me fais cette réflexion : qu’aurait fait un Darwin devant cette merveilleuse fenêtre ouverte sur le monde qu’est un écran d’ordinateur pour peu qu’on l’utilise à bon escient ? Si j’ai la chance de voyager à travers le monde pour y puiser mon inspiration, j’ai aussi la chance de redécouvrir celui-ci confortablement assis dans mon atelier qui, voyage après voyage, se transforme en cabinet de curiosités.

1 En premier lieu l’observation. Lorsque je dessine sur le terrain, notamment des vues

d’ensemble, j’emporte avec moi toutes sortes de carnets que je choisis d’ailleurs plus pour leur aspect pratique et sensoriel que pour la qualité même du papier. Je préfère de loin la tranquillité de ma table à dessin pour fouiller le détail d’une plume ou le contour d’un œil aux crayons 4H, HB, 2B. Un bon appareil numérique est aussi un compagnon indispensable à tout artiste voyageur.

2 Un dessin détaillé et documenté. De retour à l’atelier, J’entame la seconde

phase de ma démarche. Mes croquis réunis, des ambiances et des odeurs plein la tête, je sélectionne une image, source complémentaire d’inspiration. Je l’affiche plein écran et commence à exécuter un crayonné sur une feuille détachée d’un bloc aquarelle 300g Canson. A ce stade, je pourrais, comme je le fais souvent, me satisfaire uniquement d’un bon crayonné, bien poussé…La mine de plomb est déjà un monde en soi.

3 Savoir s’arrêter pour transcender l’image avec les nouveaux outils. J’attache une

grande importance à l’aspect minimaliste de l’outil. Et bien que j’utilise depuis 19 ans l’infor-matique de façon professionnelle, je fais toujours ce grand écart avec le crayon à papier garant de la sobriété des effets dans ma composition. Une fois la mise en couleur achevée - j’emploie des lavis d’acrylique Liquitex, pour leur souplesse d’utilisation – je scanne mon dessin…

4 Mariage du pigment et du pixel. Une étape importante : la constitution préalable de

fonds papiers pour restituer l’aspect des vieux parchemins. Pour cela je glane toutes sortes de vieux livres ou des stocks de feuilles jaunies par le temps, que je scanne méticuleusement pour créer mes fonds. Chacun résulte d’un assemblage, un véritable patchwork d’effets maîtrisés, sommes de déchirures, de traces de moisissures, d’empreintes de doigt, de bouts de scotch etc… N’oubliez pas qu’en dessin comme en informatique ; c’est l’accident qui est intéressant, et c’est ce même accident qui fait sens et réunis la mine de plomb et le pixel.

5 La technologie au service de l’émotion. La dernière phase

de ma démarche, celle liée à l’outil informatique proprement dite. Tous ces éléments sont assemblés en fondu à l’aide du logiciel Photoshop, pour ne pas le citer. J’ai recours à de nombreuses fonctionnalités qu’il serait trop long d’aborder ici : les récurrentes étant : les calques superposés, mais aussi les masques de fusions, les transparences et différentes brosses pour estomper, comme je le ferai avec une brosse traditionnelle. J’utilise rarement des filtres stéréotypés, préférant de loin fabriquer mes propres textures, notamment les ombres portées que je dessine ou photographie. Chaque fond ainsi obtenu est unique et ne se retrouve jamais deux fois dans une réalisation. Retrouvez sur mon site www.poiscaille.com la réalisation d’une planche originale complète et la démonstration plus détaillée du logiciel Photoshop.

« Le mystère de la main à cinq doigts » Carnet

paléo-naturaliste dans les coulisses

du Muséum National d’Histoire naturelle

de Paris - Auteur Sébastien Steyer.

Contact :E. mail : [email protected] web : www.poiscaille.comGalerie en ligne : www.orchape.com(rubrique boutique)

- Remerciement au Muséum national d’Histoire naturelle. Jardin des Plantes 2, rue Buffon, 75005 Paris : www.mnhn.fr

- Remerciement à Sébastien Steyer, paléontologue au CNRS, affecté au Muséum national d’Histoire naturelle :www2.mnhn.fr/hdt203/info/steyer.php

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