Morsure par un rat : une cause inhabituelle de cellulite orbitaire

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J Fr. Ophtalmol., 2006; 29, e14 © Masson, Paris, 2006. 669 CAS CLINIQUE ÉLECTRONIQUE Morsure par un rat : une cause inhabituelle de cel- lulite orbitaire B. Tnacheri Ouazzani (1), H. Dali (1), R. Daoudi (1), M. Chakir (2), M. Jiddane (2), Z. Mohcine (1) (1) Service d’Ophtalmologie A, Hôpital des Spécialités, Rabat, Maroc. (2) Service de Neuroradiologie, Hôpital des Spécialités, Rabat, Maroc. Correspondance : B. Tnacheri Ouazzani, Appartement 5, 37, rue Oukayemeden, Agdal, Rabat, Maroc. E-mail : [email protected] Reçu le 23 décembre 2004. Accepté le 14 février 2006. Rat bite: an unusual cause of orbital cellulitis B. Tnacheri Ouazzani, H. Dali, R. Daoudi, M. Chakir, M. Jiddane, Z. Mohcine J. Fr. Ophtalmol., 2006; 29, e14 Rat bite is rarely reported in the literature. We report the case of a 33-year-old woman who was bitten by a rat on her upper eyelid. The clinical examination showed a large palpebral edema extending to the side of the face, associated with local signs of inflammation. Visual acuity was preserved and tomodensitometry showed a small exophthalmia that did not extend to the sinuses. This lesion led to a diagnosis of orbital cellulitis. Progression was favorable with antibiotics: amoxicillin, clavulanic acid, gentamicin, and metronidazole. The authors discuss the compromised prognosis of this disease and the necessity of rapid diagnosis and prompt therapeutic management. Key-words: Rat, bite, orbit, cellulitis. Morsure par un rat : une cause inhabituelle de cellulite orbitaire Les morsures de rat sur les êtres humains sont rarement rapportées dans la littérature. Nous rapportons le cas d’une jeune femme, âgée de 33 ans, ayant été mordue par un rat à la paupière supérieure droite. À l’examen clinique, était noté un important œdème palpébral s’étendant à l’hémiface associé à des signes inflammatoires locaux. L’acuité visuelle était conservée et la tomodensitométrie montrait une discrète exophtalmie, mais pas d’atteinte des sinus. Le diagnostic de cellulite orbitaire fut posé. L’évolution fut favorable sous antibiothérapie : amoxiciline, acide cla- vulinique, gentamycine et métronidazole. Cette observation permet de souligner la gravité potentielle de cette atteinte, d’où l’urgence diagnos- tique et thérapeutique. Mots-clés : Rat, morsure, orbite, cellulite. Le texte intégral de cet article est publié exclusivement sur le site www.masson.fr/revues/jfo Consultation gratuite dans la rubrique e-jfo. Pour citer cet article utiliser la référence suivante : J. Fr. Ophtalmol., 2006, 29: e14

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J Fr. Ophtalmol., 2006; 29, e14© Masson, Paris, 2006.

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CAS CLINIQUE ÉLECTRONIQUE

Morsure par un rat : une cause inhabituelle de cel-lulite orbitaire

B. Tnacheri Ouazzani (1), H. Dali (1), R. Daoudi (1), M. Chakir (2), M. Jiddane (2), Z. Mohcine (1)

(1) Service d’Ophtalmologie A, Hôpital des Spécialités, Rabat, Maroc.(2) Service de Neuroradiologie, Hôpital des Spécialités, Rabat, Maroc.Correspondance : B. Tnacheri Ouazzani, Appartement 5, 37, rue Oukayemeden, Agdal, Rabat, Maroc. E-mail : [email protected]çu le 23 décembre 2004. Accepté le 14 février 2006.

Rat bite: an unusual cause of orbital cellulitis

B. Tnacheri Ouazzani, H. Dali, R. Daoudi, M. Chakir, M. Jiddane, Z. Mohcine

J. Fr. Ophtalmol., 2006; 29, e14

Rat bite is rarely reported in the literature. We report the case of a 33-year-old woman who was bitten by a rat on her upper eyelid. The clinicalexamination showed a large palpebral edema extending to the side of the face, associated with local signs of inflammation. Visual acuity waspreserved and tomodensitometry showed a small exophthalmia that did not extend to the sinuses. This lesion led to a diagnosis of orbital cellulitis.Progression was favorable with antibiotics: amoxicillin, clavulanic acid, gentamicin, and metronidazole. The authors discuss the compromisedprognosis of this disease and the necessity of rapid diagnosis and prompt therapeutic management.

Key-words:

Rat, bite, orbit, cellulitis.

Morsure par un rat : une cause inhabituelle de cellulite orbitaire

Les morsures de rat sur les êtres humains sont rarement rapportées dans la littérature. Nous rapportons le cas d’une jeune femme, âgée de33 ans, ayant été mordue par un rat à la paupière supérieure droite. À l’examen clinique, était noté un important œdème palpébral s’étendantà l’hémiface associé à des signes inflammatoires locaux. L’acuité visuelle était conservée et la tomodensitométrie montrait une discrète exophtalmie,mais pas d’atteinte des sinus. Le diagnostic de cellulite orbitaire fut posé. L’évolution fut favorable sous antibiothérapie : amoxiciline, acide cla-vulinique, gentamycine et métronidazole. Cette observation permet de souligner la gravité potentielle de cette atteinte, d’où l’urgence diagnos-tique et thérapeutique.

Mots-clés :

Rat, morsure, orbite, cellulite.

Le texte intégral de cet article est publié exclusivement sur le site www.masson.fr/revues/jfo

Consultation gratuite dans la rubrique e-jfo. Pour citer cet article utiliser la référence suivante :J. Fr. Ophtalmol., 2006, 29: e14

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INTRODUCTION

Les morsures d’êtres humains par un rat sont rarementrapportées dans la littérature. Nous décrivons un cas demorsure par un rat de la paupière supérieure d’unefemme ayant occasionné une cellulite orbitaire.

OBSERVATION

La patiente, âgée de 33 ans, était sans antécédent par-ticulier, d’un niveau socio-économique bas, et habitaitune zone pauvre de la région urbaine, dans un logementnon conforme aux normes d’habitation. La patiente dor-mait avec un bain d’huile mis sur les cheveux lorsqu’ellefut réveillée brutalement par une douleur violente à lapaupière supérieure droite. Elle vit alors un rat se sauvertrès vite. Elle consulta donc au bureau d’hygiène où ellereçut une dose de sérum antitétanique et une premièreinjection du vaccin antirabique. Les deux autres injec-tions furent administrées ultérieurement suivant leschéma classique de la vaccination rabique. Puis la pa-tiente fut adressée en ophtalmologie. Mais elle ne seprésenta que 8 jours après devant l’exacerbation desdouleurs oculaires et de l’œdème palpébral et facial.

À l’admission, à l’examen, était noté un œdème im-portant des deux paupières supérieure et inférieure droi-tes empêchant l’ouverture de l’œil, associé à des signesinflammatoires locaux : une rougeur et une chaleur lo-cale à la palpation

(fig. 1)

. La paupière supérieure pré-sentait une large plaque noirâtre en temporal

(fig. 2)

,lieu probable de la morsure par le rat. L’œdème palpé-bral s’étendait à toute l’hémiface du même côté.

Le reste de l’examen oculaire montrait une acuité vi-suelle conservée à 10/10

e

, une discrète exophtalmie sansatteinte de l’oculomotricité, une hyperhémie conjoncti-vale avec des sécrétions purulentes et un fond d’œilnormal.

La tomodensitométrie réalisée en urgence montraitune discrète exophtalmie droite, une augmentation dela densité avec épaississement des tissus mous des pau-pières supérieure et inférieure droites, ainsi que desangles interne et externe de l’œil et de la face du mêmecôté. La graisse intra et extraconique était respectéeavec un aspect normal du nerf optique et des musclesoculomoteurs. L’hypodensité aérique des différentescavités sinusiennes était conservée

(fig. 3

à

5)

.Le diagnostic de cellulite pré-septale fut posé, et une

antibiothérapie par voie générale associant de l’amoxi-ciline et de l’acide clavulinique, de la gentamycine et dumétronidazole fut prescrite. Une antibiothérapie localeen collyre et pommade était également instaurée ainsiqu’un traitement anti-inflammatoire non stéroïdien parvoie orale et des soins locaux à la bétadine. Par ailleurs,la patiente fut suivie en externe dans un service de pa-thologie infectieuse à la recherche de signes précocesd’autres infections telles la léptospirose, mais les exa-mens restèrent normaux.

L’évolution fut favorable sous traitement avec une di-minution progressive de l’œdème palpébral et facialjusqu’à sa disparition totale, la régression de l’exophtal-mie et la maîtrise de l’infection. La large croûte noirâtrede la paupière supérieure se détacha après quelquesjours sous traitement local, laissant une petite cicatricenon gênante sur le plan esthétique à l’endroit de lamorsure

(fig. 6

et

7)

.

Figure 1 : Œdème des deux paupières s’étendant à l’hémiface du même côté.Figure 2 : Large plaque noirâtre de la paupière supérieure droite (lieu de la morsure par le rat) et sécrétions purulentes.

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Figures 3 à 5 : Tomodensitométrie orbitaire et cérébrale : discrète exophtalmie droite, épaississement et augmentation de la densité des tissus mousdes paupières et des angles interne et externe de l’œil droit.Figures 6 et 7 : Évolution après traitement : disparition de l’œdème palpébral et facial et de l’exophtalmie, persistance d’une petite cicatrice auniveau de la paupière supérieure non gênante esthétiquement.

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DISCUSSION

Les cas de morsures d’êtres humains par un rat sonttrès rares dans la littérature. Il est possible que cesincidents soient plus fréquents, mais ne soient pas re-connus ou ne soient pas rapportés. La plupart de cestraumatismes surviennent dans les zones pauvres desrégions urbaines, dans des logements n’obéissant pasaux normes d’habitation et d’hygiène comme ce fut lecas pour cette patiente. Ils se produisent également, leplus souvent, pendant les mois chauds de l’année chezdes enfants âgés de moins de 5 ans [1], contrairementà cette observation où la morsure est survenue en hiver(janvier) chez une femme âgée de 33 ans. Le rat a étéprobablement attiré par le bain d’huile que la patientes’était mis sur les cheveux. En revanche, elle s’est pro-duite la nuit comme dans la plupart de ces traumatis-mes [1]. Les atteintes provoquées par la morsure de ratsprédominent aux extrémités découvertes : il a été en ef-fet rapporté un cas de lacération du bout d’un doigtchez un bébé de 6 semaines [1].

Concernant les atteintes de l’œil ou de ses annexes,Wykes [2] a rapporté le cas d’un nourrisson de 3 moisqui a présenté à la suite d’une morsure de rat, de nom-breuses lésions de la face et une atteinte sévère desdeux paupières supérieure et inférieure d’un œil. Untraumatisme direct du globe oculaire a également étédécrit par Myers

et al

. [3]. À notre connaissance, à cejour, un seul cas de cellulite orbitaire suite à une mor-sure de rat a été rapporté [4].

Dans notre observation, la cellulite préseptale était se-condaire à la morsure de rat au niveau de la paupière

(porte d’entrée). Nous n’avons pas pu isoler le germeen cause dans la surinfection. Le plus souvent la surin-fection est due à

Staphylococcus aureus

ou

Streptococ-cus pyogenes

qui provoquent une nécrose gangreneuse[5].

L’évolution de la cellulite préseptale peut se faire versune infection rétro-septale si un traitement n’est pasinstauré rapidement.

CONCLUSION

La morsure par un rat est une cause rare et inhabituellede cellulite orbitaire. En raison de la gravité potentiellede l’atteinte, il s’agit d’une urgence diagnostique etthérapeutique surtout dans le cas d’une extension loco-régionale.

RÉFÉRENCES

1. Street K, Kinder S, Perkins CS. An unusual cause of injury to aninfant. Arch Dis Child, 2001;85:499.

2. Wykes WN. Rat bite injury to the eyelids in a 3-month old child.Br J. Ophthalmol, 1989;73:202-4.

3. Myers CB, Christmann LM. Rat bite, an unusual cause of directtrauma to the globe. J Pediatr Ophthalmol Strabismus, 1991;28:356-8.

4. Diwan R, Sen DK, Sood GC. Rat bite orbital cellulitis. Br J Ophthalmol,1970;54:211.

5. George JI. Maladies inflammatoires de l’orbite. In : Pathologie orbito-palpébrale. Rapport de la SFO, 1998,424-5.