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Colloque international “Les frontières de la question foncière At the frontier of land issues”, Montpellier, 2006 1 Morcellement et concentration foncière: des réalités complexes en pays Bamiléké. L’exemple du département des Bamboutos (Cameroun) Parcelling and land concentration: actors and complex realities in the Bamileke country. Case of the Bamboutos division (Cameroon) Aristide YEMMAFOUO Université de Dschang-FLSH-Dpt Géographie, B.P: 49 Dschang, mail: [email protected] Résumé Le pays Bamiléké de l’Ouest Cameroun est reconnu pour ses fortes densités de population, comptant parmi les plus élevées des milieux d’altitude tropicaux, son fameux bocage et le dynamisme éprouvé des peuples qui l’habitent. Le café qui maintenait un équilibre instable ayant disparu, seules les mutations foncières pouvaient permettre les réajustements internes nécessaires au rétablissement de cet équilibre. Rien de plus normal que dans ces conditions, les transactions foncières se monétarisent et se marchandent, mais comment et dans quel sens ? Il se forme un camp de vendeurs et un camp d’acheteurs. Vendre de la terre dans cette société en crise relève plus des situations de détresse que de vente productive ; en acheter, paraît plus être un prestige social, une épargne, qu’un calcul économique visant à produire plus. Il s’opère un transfert progressif de terre des plus pauvres, dumoins les plus nécessiteux, aux les plus riches ou les moins nécessiteux. Le morcellement par héritage prend l’allure de vente voilée d’autant plus que les perceptions et le nombre de candidats aux morceaux du domaine familial enclenchent une compétition aigue. Le prêt temporaire et la location pratiqués surtout par les femmes, aboutissent à une concentration remarquable des droits de culture. En dépit des inquiétudes sur leur degré de sécurité, ils sont à encourager d’autant plus qu’ils n’entraînent pas la dépossession tant décriée. A l’échelle des villages, les espaces de morcellement et de concentration sont imbriqués, mais à l’échelle d’un département comme le Bamboutos, on peut à travers une analyse de l’ensemble densités, titres fonciers et mobilités, spatialiser ce phénomène pour mieux comprendre les pratiques foncières qui le sous-tendent et leurs conséquences socio-spatiales. Mots clés : Morcellement, concentration foncière, acteurs, réalités complexes, Bamboutos, pays Bamiléké.

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Colloque international “Les frontières de la question foncière – At the frontier of land issues”, Montpellier, 2006 1

Morcellement et concentration foncière: des réalités complexes en pays

Bamiléké. L’exemple du département des Bamboutos (Cameroun)

Parcelling and land concentration: actors and complex realities in the

Bamileke country. Case of the Bamboutos division (Cameroon)

Aristide YEMMAFOUO

Université de Dschang-FLSH-Dpt Géographie,

B.P: 49 Dschang, mail: [email protected]

Résumé

Le pays Bamiléké de l’Ouest Cameroun est reconnu pour ses fortes densités de population,

comptant parmi les plus élevées des milieux d’altitude tropicaux, son fameux bocage et le dynamisme

éprouvé des peuples qui l’habitent.

Le café qui maintenait un équilibre instable ayant disparu, seules les mutations foncières

pouvaient permettre les réajustements internes nécessaires au rétablissement de cet équilibre. Rien de

plus normal que dans ces conditions, les transactions foncières se monétarisent et se marchandent,

mais comment et dans quel sens ? Il se forme un camp de vendeurs et un camp d’acheteurs. Vendre de

la terre dans cette société en crise relève plus des situations de détresse que de vente productive ; en

acheter, paraît plus être un prestige social, une épargne, qu’un calcul économique visant à produire

plus. Il s’opère un transfert progressif de terre des plus pauvres, dumoins les plus nécessiteux, aux les

plus riches ou les moins nécessiteux. Le morcellement par héritage prend l’allure de vente voilée

d’autant plus que les perceptions et le nombre de candidats aux morceaux du domaine familial

enclenchent une compétition aigue. Le prêt temporaire et la location pratiqués surtout par les femmes,

aboutissent à une concentration remarquable des droits de culture. En dépit des inquiétudes sur leur

degré de sécurité, ils sont à encourager d’autant plus qu’ils n’entraînent pas la dépossession tant

décriée.

A l’échelle des villages, les espaces de morcellement et de concentration sont imbriqués, mais

à l’échelle d’un département comme le Bamboutos, on peut à travers une analyse de l’ensemble

densités, titres fonciers et mobilités, spatialiser ce phénomène pour mieux comprendre les pratiques

foncières qui le sous-tendent et leurs conséquences socio-spatiales.

Mots clés : Morcellement, concentration foncière, acteurs, réalités complexes, Bamboutos, pays

Bamiléké.

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Abstract

The Bamileke country in west Cameroon is recognised with high population densities, within

the highest high tropical milieu, it’s remarkable bocage and the proven dynamism of the inhabitants.

As the coffee which assured instable equilibrium disappeared, there were only land mutations

to permit internal readjustment to re-establish this equilibrium. In these conditions, land transactions

became monetized and haggle over, but how and in which direction? It then formed a group of sellers

and a group of buyers. Selling land in this society in crisis is more of distressing than productive sales;

purchasing it appears to be more of social prestige, a saving, than an economic calculation aim at

producing more. There is a progressive transfer of land from poorest, at least the most needy, to the

richest or less needed. Parcelling by heritage take the form of indirect sale, dues to perceptions and

number of solicitors for the piece of the family land which increases the competition. Temporal lease

and rent practised mostly by women, leads to a remarkable concentration of farming right. Despite the

uncertainty in their degree of security, they should be encouraged due to the fact that they are not force

to the denounced dispossession.

At the villages scale, fragmentation and concentration spaces are interwoven, but at the

divisional scale like the Bamboutos, through an analysis of entire densities, land titles and mobilities,

we can spatialise this phenomenon to better understand the land practices and their socio-spatial

consequences.

Keywords: Parcelling, Land concentration, Actors, Complex realities, Bamboutos, Bamileke country.

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L’évocation de la concentration foncière en pays Bamiléké suscite de l’étonnement au regard

des densités démographiques et des discours politiques. Le fait de la rareté de la terre est réel, mais les

transferts actuels ne font qu’amplifier les disparités entretenues par la hiérarchie sociale. Nous nous

proposons de mettre en évidence ces réalités à travers l’analyse des différences de densités et les flux

migratoires internes conséquents, la taille des parcelles immatriculées et les pratiques sociales qui

sous-tendent les modes de transfert. On s’achemine vraisemblablement vers la formation de deux

types de territoires : un territoire de morcellement et un territoire de concentration foncière.

I- UN CONTEXTE DE CRISES MULTIFORMES QUI AMPLIFIENT LA QUESTION

FONCIERE

Parmi les crises que vivent les milieux ruraux de l’Ouest-Cameroun, celle de la terre paraît

comme la plus significative. Bien qu’elle soit depuis longtemps soulignée avec ferveur par les

chercheurs et les administrateurs, elle s’est révélée depuis la crise du café comme catalyseur des autres

crises et surtout de nouvelles dynamiques socio-spatiales.

La crise économique est connue depuis la moitié des années 1985 avec la chute du prix du

café, principale source de revenu des ménages. On a assisté à une nouvelle1 remise en cause des

structures sociales, parfois avec une brutalité célébrée par le retour de la démocratie. La course aux

espaces de substitution à la caféiculture est amplifiée par le retour à la terre des migrants qui n’ont pu

s’insérer dans les villes, elles aussi en crise [Gubry et al., (1996), Kamga, (2002)]. Les zones encore

disponibles sont naturellement les secteurs marginaux contigus au territoire des chefferies ou les

villages les moins peuplés. Par ailleurs, on a constaté qu’il y avait une pression intense sur les anciens

terroirs caféicoles, pression visant le morcellement en parcelles de construction ou en jardins de case

plus intensifs. Dans l’ensemble du pays Bamiléké, une recomposition territoriale se dessine sur la base

de nouveaux jeux fonciers.

Le département des Bamboutos compte parmi les plus sensibles à cette dynamique territoriale.

Entité administrative de 1170 km_, il abrite 215523 âmes pour une densité de 132.6 hab./km_ en 1976,

184.2 hab./km_ en 1987 et 345.87 hab./km_ en 20052. Ces moyennes masquent les écarts entre les

villages très densément peuplés et les villages faiblement peuplés, pourtant ce sont ces écarts et

l’aptitude des sols qui expliquent une grande partie du morcellement et de la concentration foncière.

Le jeu foncier oppose non plus seulement les autochtones entre eux, mais les autochtones avec les

autres populations venues des zones « saturées ». La figure 2 montre l’évolution des densités et les

sens de transfert des droits sur la terre dans le Bamboutos.

Les plus fortes densités en 2005 sont supérieures à 600 hab./km_ (Batcham) tandis que les

plus faibles sont inférieures à 35 hab./km_ (Bamendjing). Cette inégale distribution des densités

1 La première remise en cause du système social date de l’introduction de la culture du café. Il est tout a fait normal que sa chute augure une

nouvelle remise en cause des structures sociales établies sur la base de cette culture.2 1976 et 1987 sont les seules années de recensement officiels au Cameroun, la population de 2005 est estimée. Ces chiffres incluent la

population urbaine. Les résultats du recensement en cours ne seront pas disponibles avant 2007.

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montre bien que l’Ouest-Cameroun n’est pas uniformément « saturé » comme certaines études laissent

croire. D’ailleurs, les écarts de densités sont parfois creusés. Dans ces conditions, les pratiques

foncières s’expriment de différentes manières selon qu’on soit dans un village « saturé » ou peu

peuplé. La régularisation du jeu foncier par les flux migratoires internes est certes insuffisante, mais

constitue une soupape essentielle quelque peu négligée dans les anciens courants migratoires dirigés

vers le Moungo et le Mbam [Tardits, (1960) ; Champaud, (1973) ; Dongmo, (1981)].

II- REALITE DU MORCELLEMENT ET DE LA CONCENTRATION FONCIERE DANS LE

BAMBOUTOS

Le morcellement est un processus d’occupation de l’espace et de fonctionnement social. C’est

donc un processus normal tout simplement amplifié par une pression démographique et sociale forte

dans un espace limité. Il aboutit à la formation des propriétés au sens du droit coutumier ou du droit

moderne. Il se fait alors par héritage ou par achat. Les droits délégués dans le contexte de cette étude

ne sont pas considérés comme des morcellements.

La concentration foncière quant à elle fait référence à l’accaparement de l’outil de production

par une poignée de personne disposant ou non des moyens nécessaire à l’exploitation : droits de

propriété et d’exploitation du sol. Elle n’est pas nouvelle au regard de la hiérarchie des droits fonciers

calquée sur celle de la société.

1- Réalité du morcellement foncier

Quand on regarde le paysage de bocage et les rapports population/superficie dans les villages

Bamiléké, l’idée de morcellement intense apparaît à l’évidence. A l’échelle du Bamboutos, nous avons

sur la base de la superficie et de la population de 1987 et 2005 obtenu des indices de morcellement sur

un ordre général, puis les détails à travers le dépouillement des titres fonciers (tableau 1).

De 1987 à 2005, on est passé de 17.17 ha/ménage, soit 3.56 ha/hab. à Bamendjing où l’on a le

plus de terres disponibles à 3.05 ha/hab. A Batcham où le morcellement est plus intense, on est passé

pour la même période de 2300 à 1700 m_/hab. Les villages les plus nécessiteux sont ceux dont les

indices de morcellement sont inférieurs à 5000 m_/hab. en 2005, soit 50 % des villages Bamboutos.

Cinq villages peuvent encore assurer au moins 1 ha de terrain à leurs ressortissants. Seul le village

Bamendjing disposent encore de terres « suffisantes ».

A l’intérieur d’un même village, des écarts considérables apparaissent entre le cœur de la

chefferie et les marges territoriales. Les détails des indices de morcellement sont parfois effroyables à

l’intérieur des villages dont la montagne influence fortement la distribution de la population. A

l’échelle d’un lignage de 63 potentiels héritiers à Bangang, nous avons relevé des indices de 698,41

m_/personne, soit un carré de 26.42 m de côté. Considérant que seuls les 34 garçons du lignage

d’après les règles de succession seront dans l’obligation de laisser une parcelle de terrain à leurs fils

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d’ici à l’horizon 2030, nous avons abouti à un indice de morcellement3 de 266.60 m_/personne en

supposant que chaque garçon aura au plus 3 fils.

Le dépouillement des titres fonciers confirme nos calculs empiriques. En effet, la plus petite

superficie immatriculée est de 90 m_, c’est-à-dire un carré de moins de 10 m de côté. La majorité des

terres immatriculées à Bangang (37.50 %) a une superficie comprise entre 1000 et 3000 m_. Le plus

vaste terrain immatriculé (10.2843 ha) n’est qu’un bien collectif à une famille. Les zones les plus

morcelées sont celles où l’on retrouve les plus forts taux d’immatriculation comme l’atteste le tableau

2. Il n’est plus surprenant que dans ces conditions, les populations des villages densément peuplés

déportent leur « faim » de terres agricoles ailleurs. Il s’opère un transfert de population des zones

fortement morcelées vers les zones moins morcelées. Les immigrants avec l’expérience de la rareté

cherchent à s’accaparer un maximum de terres chez les populations autochtones qui tardent à prendre

conscience de cette rareté ou qui croupissent sous le joug des besoins incompressibles.

En ajoutant les ressortissants des villages concernés résident en ville – et on sait qu’ils sont

plus nombreux-, on obtient des indices de morcellement encore plus élevés. De la même façon, les

levés de terrain que nous avons réalisés à Bangang confirment la tendance du morcellement intense

dans les terrains non immatriculés, somme toute toujours plus nombreux en dépit de l’évolution

continue des immatriculations. On peut relativiser l’intensité du morcellement en posant que les

femmes d’après les règles de succession sont exclues de la propriété des terres. Cette règle n’est plus

de mise, bien qu’elle soit encore dominante.

2- Réalité de la concentration foncière

A l’échelle des Bamboutos, on ne peut chercher les concentrations foncières que dans les

nouvelles zones de colonisation agraire comme le mont Bambouto et la région de Galim. Certes, dans

les zones densément peuplées, le dépouillement des titres fonciers montre de rares superficies

supérieures à 5 ha., mais ces propriétés a priori non morcelées appartiennent à des notables qui ont

profité de leur position sociale pour se tailler de grands domaines. A l’analyse, on se rend compte que

certains sont de grands polygames, et donc disposent de beaucoup d’enfants à « loger ».

L’arrondissement de Galim4 est par contre une zone de colonisation agraire récente où se sont

côtoyées migrations spontanées et organisées, mais aussi les plus grandes plantations coloniales à

l’Ouest (Dongmo 1981). Cette situation est liée d’abord à la fertilité des sols issus du volcanisme

quaternaire, puis à la faiblesse des densités humaines.

L’indice de morcellement moyen dans cet arrondissement est de 1.80 ha/hab. Au regard du

tableau 2, on constate que 92.19 % de terres immatriculées ont une superficie comprise entre 1 et 5 ha

et plus. Les terres immatriculées de superficie inférieure à 1 ha ne représentent que 7.81 %. Dans les

détails, on atteint les records mentionnés au tableau 3.

3 Soit 63 potentiels héritiers + 34 fils _ 3 petits-fils = 165 potentiels héritiers pour une superficie de 4,39 ha.4 Il est constitué des villages Bagam, Bamendjing, Bati et Bamenyam

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Si on arrive à immatriculer des superficies de plus de 20 ha. en pays Bamiléké, cela signifie

tout simplement que le problème de rareté de la terre souligné depuis longtemps par les chercheurs et

les administrateurs doit être posé autrement : il y a une concentration foncière significative dans les

zones faiblement occupées.

Autour du mont Bambouto, les batailles sont rangées [Fotsing (1995), Tsaléfac (1993)] et c’est

avec le temps qu’on a mieux cernés leurs sens. Les élites s’octroient les espaces litigieux dans un

double jeu : le premier vise à taire les querelles de limites ou les conflits agropastoraux d’autant plus

que leur pouvoir monétaire est suffisant pour imposer le silence, voire « écraser » toutes contestations.

Les pouvoirs publics se retrouvent alors pris au piège ou sont complices d’autant plus qu’ils bénissent

assez rapidement ce jeu par voie de concession. On a vu par exemple dans la zone de Bafou-nord, une

élite s’octroyer 349 ha pour l’élevage en déguerpissant ses propres frères et autres « étrangers » qui

cultivaient dans cet espace. Le second jeu est la recherche du prestige et de la reconnaissance sociale.

Elle est négociée auprès du chef qui dans tous les cas, ne dispose pas de marge de manœuvre pour

refuser le titre de noblesse au « valeureux fils ».

Dans la zone de Galim, les problèmes se posent autrement. Ce sont les immigrants qui se

taillent les gros morceaux du territoire qui s’aménuisent chaque jour. D’après le tableau 3, 54.54 %

des propriétaires de vastes superficies sont des allochtones5. Sur 41 attributaires de titres fonciers

natifs des Bamboutos à Bati, seuls 7.31 % sont des natifs de Bati. Aussi surprenant que cela puisse

paraître, près de 80 % des propriétaires fonciers ne sont ni agriculteurs, ni résidants. En mettant de

côté les extrêmes du tableau 3, on peut faire le même constat pour 90 attributaires de titres fonciers à

Bati d’après le tableau 4

Les acteurs de la concentration foncière sont essentiellement les fonctionnaires et les

commerçants. On sait très bien qu’ils ne sont pas les plus nécessiteux en terres, bien que la crise ait

contraint tout le monde à devenir agriculteur. Deux types de concentration se dégagent finalement de

cette course à la terre:

- la concentration de « plaisance ». Elle témoigne de cette attitude des élites urbaines à

s’attribuer des domaines dont la mise en valeur adéquate n’est pas au centre de leur acquisition. On a

certes vu quelques unes développées des activités agricoles d’envergure comme POUFONG à Galim,

FOTSO, à Bandjoun, FORCHIVE à Foumban, mais les rapports aux grands domaines sous-exploités

restent faibles, 1/5 à 1/10. L’exploitation est souvent « partagée » aux proches dépourvus de moyens

adéquats de production : membre de la famille, amis, migrants de retour et autres femmes capables de

mener une agriculture commerciale. Il n’est plus surprenant que les études d’agronomes6 révèlent que

les petites exploitations sont plus rentables que les grandes. La concentration de la terre devient une

sorte d’épargne, de prestige nécessaire à la reconnaissance et à l’ascension sociale.

5 Après enquête visant à savoir si le lieu de naissance des titulaires de titres fonciers était leur lieu d’origine.6 Comme le révèlent les résultats du projet OCISCA.

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- La concentration productive. C’est la forme de concentration positive. On concentre de la

terre pour mener des activités agricoles d’envergure. C’est le cas des migrants de retour en quête de

parcelles pour le maraîchage et le vivrier marchand. C’est aussi le cas des femmes venues des zones

densément peuplées et qui arrivent à concentrer les droits de culture sur plusieurs parcelles dont la

somme peut atteindre des superficies de 5 ha. Si la finalité de la concentration est la production

agricole pour la consommation et la vente, on ne saurait négliger cette concentration des droits

délégués.

III- PRATIQUES FONCIERES SOUS-TENDANT LE MORCELLEMENT ET LA

CONCENTRATION

Les pratiques des modes d’accès à la terre sous-tendent la concentration et le morcellement

foncier. Ces modes d’accès ont toujours existé, mais leur contenu a évolué au rythme de la rareté et

des dynamiques sociales par rapport à la terre. Il s’agit plus précisément de l’héritage, de la

vente/achat et des droits délégués.

1- Les héritages monétarisés dans le processus de morcellement

Dans le pays Bamiléké, la rareté progressive de la terre a abouti au passage d’un héritier

unique à un héritier principal. A chaque décès de chef de ménage correspond un nouveau

morcellement. En s’en tenant à une espérance de vie de 50 ans, on peut dire que la plupart des

ménages sont à la troisième génération de morcellement depuis la colonisation. Et déjà, il n’est plus

possible pour certains de procéder à de nouveaux morcellements, pour d’autres les parcelles héritées

ne sont plus que des lots de construction comme en ville. Mourir sans laisser un lopin de terre à

chacun de ses fils est pourtant une défaillance grave chez le chef de ménage en société bamiléké. Ne

pas pouvoir construire sa résidence de campagne dans le domaine familial est synonyme d’exclusion

qu’aucun héritier ne souhaite digérer. Ces situations déchaînent, au niveau des fils et des épouses, des

passions pour la conquête du domaine familial. La levée de bouclier se fait de deux manières :

- le chef de famille ouvre le jeu à travers les problèmes qu’il pose à ses fils : renouvellement

de case, organisation de funérailles, assistance régulière, etc. Certes, ces problèmes sont des appels de

cœur que chaque fils doit honorer envers ses parents, mais depuis la crise, la compensation ou la

récompense les accompagne.

- du côté des fils, on remarque que la prise en charge des cadets par les aînés justifie des

positions privilégiées ou influentes auprès du père et des abus de droits fonciers. Certainement, il ne

s’agit pas de pratiques nouvelles quand on regarde les conditions qu’il faut remplir pour mériter

l’attribut d’héritier principal ou unique, mais ces pratiques à l’origine discrètes se sont banalisées à

l’épreuve du temps. Les octrois préférentiels d’héritages, les soupçons accrus de détournement de

successeur que l’on constate actuellement dans les familles surtout polygames découlent de cette

logique d’héritage calculée. La transformation des droits d’usage en droits de propriété est alors la

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conséquence des successions mal planifiées ou encore des décès subite de chef de ménage. Chaque fils

ou chaque épouse s’arroge un morceau du domaine familial en fonction de sa capacité à maîtriser la

colère des autres ayants droits.

Autour de Mbouda, la proximité de la ville amplifie la monétarisation des parcelles héritées,

au fond des villages densément peuplés, c’est la proximité des axes routiers, dans les villages peu

peuplés et les hautes altitudes du mont Bambouto, c’est l’aptitude des sols aux nouvelles activités

agricoles qui accroît les batailles rangées au sein des familles.

Comme la corruption qui gangrène la société camerounaise, les preuves de la monétarisation

des héritages sont difficiles à trouver. Mais au cours d’une enquête il suffit de demander à un héritier

ce qu’il a fait à son père pour mériter la taille de sa parcelle. Si elle est petite, il sera très à l’aise de

vous dire que son père ne l’aimait pas autant que ses frères qui ont eu des superficies plus grandes, et

pourquoi ? Ceux qui ont reçu des superficies raisonnables ou grandes, brandiront l’amour réciproque

entre eux et leur père, quel amour ?

Dans le passé, il fallait apporter une tine d’huile et du sel pour demander sa parcelle de

construction à son père. Que devient la tine d’huile aujourd’hui, puisqu’on n’en parle plus ? Elle n’a

pas disparu pour autant, elle s’est transformée en assistance « calculée » ou en monnaie tout

simplement. La crise du café a mis les parents en situation d’assistés sociaux. S’il s’agit d’un retour

d’ascenseur comme le souligne Kuété (2002), nos enquêtes en milieu rural (Yemmafouo 2000, 2002)

comme en milieu périurbain7 montrent que les parents tiennent encore pour longtemps les fils-citadins

par le cordon de la terre. Il est légitime d’assister ses parents en difficulté, mais réclamer de la terre en

compensation n’est pas juste. De la même façon, un parent qui tarde à donner une parcelle de

construction à son fils qui en réclame, ceci sous prétexte qu’il ne l’assiste pas ou encore pour lever les

enchères entre ses fils, est comparable à un spéculateur. En évaluant les dépenses que certains

consentissent pour mériter leurs parcelles, on comprend davantage le « lien ombilical » tant souligné

entre l’individu et le domaine familial quelque soit l’assise socio-économique dans le milieu

d’émigration. En effet, les sommes dépensées sont toujours équivalentes si non supérieures à celles

requises pour l’achat d’un terrain hors du domaine familial. Mais la source de morcellement, mais

aussi celle de la concentration foncière la plus redoutée reste le fonctionnement du marché foncier.

2- La marchandisation imparfaite au cœur des réalités foncières

La vente des terres dont tout le monde en parle aujourd’hui mérite réflexion. Il s’agit d’un

processus qui est entrain d’arriver à terme à en croire les partisans de l’école des droits de propriété. A

travers l’évolution des faits historico-socio-économiques, on voit la vente se généraliser : c’est la

marchandisation de la terre. Elle suppose que celle-ci, autrefois sacrée et inaliénable, est devenue un

bien, c’est-à-dire que l’on peut lui affecter une valeur monétaire, qu’elle est une propriété et qu’il

7 Thèse en cours : Pratiques foncières et dynamiques des paysages périurbains de Mbouda ; une contribution à l’étude des mutations spatiales

autour des villes moyennes de l’Ouest-Cameroun.

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existe un « lieu de rencontre aux fins d’achat et de vente », donc un marché (Polanyi 1983). Tel n’est

certainement pas le cas. Les ventes se font à travers des réseaux sociaux bien connus : réunions

tribales, associations socio-professionnelles, rapports de clientèles, etc. En cas de besoin d’un terrain à

acheter, le premier conseil est d’éviter un terrain sur lequel se trouve l’étiquette « à vendre ». C’est

sûrement un terrain à problème. Les réseaux sociaux d’achat/vente de terre apparaissent comme les

seuls réseaux capables de fournir un accès à la terre face à un marché officiel incapable de garantir la

« circulation » équitable de la terre. Ces réseaux sociaux offrent une sécurité peu reconnue fondée sur

la confiance et le risque d’exclusion du groupe en cas de défaillance du membre impliqué dans une

opération foncière frauduleuse. Le seul problème est le sens de « circulation » de la terre et ses

conséquences.

Le schéma global de vente montre un transfert quasi-continu de terres des plus pauvres vers

les plus riches. Au centre du schéma se situent les raisons de vendre. Elles justifient finalement deux

types de ventes : les ventes de détresse; dans cette société en crise, vendre de la terre est devenue la

solution ultime aux problèmes urgents qui se sont cumulés. Dans l’espoir de lancer ou de relancer une

activité commerciale, « négocier » un concours ou « intégrer » un fils dans les rouages de

l’administration, une famille peut décider de sacrifier un morceau de son domaine: on parle à ce

moment de vente productive.

Il est donc clair que ceux qui achètent sont ceux qui disposent d’un peu plus de moyens que

ceux qui vendent. Certes, les problèmes qui justifient les ventes s’évaluent dans le temps et dans

l’espace si bien que le vendeur d’aujourd’hui peut devenir l’acheteur de demain et vice versa, mais

force est de constater un morcellement toujours intense chez les plus pauvres. C’est donc les citadins

en quête de terrain de construction, les migrants de retour enquête de terrain pour l’agriculture

marchande et les élites enquête de prestige ou en mal d’épargne qui achètent.

3- Demander et louer de la terre : vers des morcellements et des concentrations sans histoires ?

L’accès aux droits de culture se négocie sous formes de deux types de contrat : la demande et

la location. La demande découle des relations étroites entre le demandeur et le donateur. Il ne s’agit

plus des dons que scellaient autrefois les liens de mariage, mais des dons somme toute calculés : Ce

sont des récompenses qui fixent une amitié, des invitations à rejoindre une personne ou un groupe.

Puisque ce mode d’accès est exclusivement réservé aux femmes, on ne manque pas souvent de

soupçonner –quand les liens ne sont pas consanguins- des liens de concubinage entre l’homme

donateur et la femme demandeuse. Dans tous les cas une contrepartie existe et on reconnaît très

souvent le payement en nature et le payement en travail dans le champ du donateur.

Dans le système locatif, les contrats de location écrits existent. Couvrant généralement une

période allant de 3 à 10 ans, ils ne concernent que l’usage de la terre à des fins de cultures maraîchères

ou de vivrier marchand. Au début de la frénésie du maraîchage, on a constaté une remise en cause

fréquente de ces contrats, mais de nos jours, ils sont plus stables.

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Les formes d’accès temporaire au sol constituent des formes de morcellement et de

concentration que l’on néglige très souvent. Pourtant, si la finalité est l’accès et l’extraction d’un profit

du sol, il vaut mieux les encourager puisqu’elles n’entraînent pas la dépossession décriée par les

autochtones. A la lumière du jeu foncier dans le Bamboutos, les débats sur la sécurité de ces contrats

d’accès au sol sont des vrais faux débats. Ce positionnement se justifie davantage par la problématique

des conflits fonciers, mieux celle des réactions sociales face à la dynamique du jeu foncier.

IV- QUESTIONS SOCIO-SPATIALES LIEES AU MORCELLEMENT ET A LA

CONCENTRATION FONCIERE

Il fallait s’attendre à ce que la concentration et le morcellement atteignent des seuils

insupportables pour que les conflits éclatent au grand jour. A l’échelle des familles, les conflits liés au

morcellement opposent non pas seulement les fils en compétition pour l’héritage, mais aussi les

épouses des chefs de ménages, les cousins et les tantes. Chaque membre de la famille veut

« positionner » son « protégé » auprès du chef de famille à chaque fois que l’occasion se présente. A

l’échelle du lignage, de véritables lobbies se forment quand les enjeux de la succession sont grands.

Tous les moyens à ce moment sont bons, y compris la course aux marabouts pour éliminer les

concurrents gênants.

Les conflits liés aux ventes confirment notre positionnement sur la sécurité des réseaux et des

contrats d’accès temporaire. Contrairement à ce à quoi on devrait s’attendre, les conflits opposent plus

les membres de la famille entre eux qu’avec les acheteurs. Cette situation s’explique par le fait que le

chef de ménage est chef des terres du domaine familial et c’est lui seul qui prend la décision de vendre

ou de louer. Très souvent la femme qui exerce des droits agraires sur la parcelle n’est informée

qu’après l’opération de vente. L’information des fils est plus une invitation à réagir qu’un souci de

conseil de famille au sujet de la vente. Tant que le parent-vendeur vit, l’acheteur est rarement inquiété.

Très souvent il s’active à immatriculer le terrain avant son décès. Quelques tentatives récentes de

remise en cause des ventes douteuses par des successeurs avares ont été très vite étouffées par la

régulation sociale et la force de loi de l’immatriculation. Les contrats d’accès temporaires sont souvent

conduits à leur terme après le décès du concessionnaire.

A l’échelle des villages la remise en cause des limites territoriales est la conséquence majeure

des transferts non maîtrisés de terre. Cette recrudescence des conflits de limites intervillages bénéficie

d’un contexte favorable marqué par le retour du multipartisme. Les querelles étouffées dans les idéaux

d’unité nationale pendant le parti unique sont remises à jour et deviennent l’occupation d’une classe

d’élites soucieuses de la préservation du territoire ou tout simplement en mal de positionnement

politique. En effet, il se dégage plus un souci de contrôle des ressources foncières qu’un souci de

préservation.

Le cas de Galim nous sert d’illustration en temps que arrondissement le moins peuplé et le

plus fertile des Bamboutos, dont objet de toutes les convoitises. Il draine une population agricole assez

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importante8 et surtout mieux consciente de la valeur précieuse de la terre, raison pour laquelle les

parcelles achetées sont aussitôt sécurisées par des immatriculations, un peu en prévision au « réveil »

des autochtones. Ces derniers n’ont évidemment réalisé la valeur de leurs terres que tardivement. Mais

les stratégies pour les protéger sont plutôt paradoxales. Au lieu d’une action commune, chaque village

entreprend un peu précipitamment la délimitation de son territoire. Chemin faisant, les villageois se

rendent compte que les limites entre leurs villages ne sont pas matérialisées ou se chevauchent quand

elles le sont et que nombre de droits d'immigrants sont flous. Au nom de la coutume ou du droit

moderne, chaque communauté affûte ses arguments et revendique ce qu'elle estime être la continuité

de son territoire.

La recrudescence actuelle des conflits se solde toujours par de pertes en vies humaines et

d'important dégâts matériels. Les affrontements d'Avril-Mai 1998 (Bagam-Bamenyam) se sont soldés

par une dizaines de morts, plus de 200 maisons détruites, des plantations saccagées et une courte

épidémie de choléra qui aurait été l’une des nombreuses conséquences. Ceux d'Avril 2001 entre les

Bagam et les Bamendjing se sont soldés par trois morts (parmi lesquels un sous chef Bagam), plus de

50 blessés, des maisons et des plantations saccagées. Certes, pendant la colonisation et même à la

veille de l'indépendance, ce problème de précision des limites entre les différents groupements

bamiléké s'était posé. Les Allemands, puis les Français qui les ont matérialisées ont beaucoup plus pris

en compte les limites naturelles que celles reconnues par les populations. Après l'indépendance, ces

revendications se sont tues au nom de l'unité et de l'intégration nationale.

Face à l'afflux des immigrants déçus par la caféiculture et à la faveur de la démocratie au

début des années 1990, ces revendications refont surface. Cette fois, les moyens utilisés sont

importants et les acteurs recrutés dans les différentes classes sociales. En plus des paysans qui sont les

acteurs les plus en vue sur le terrain des conflits, on remarque que se sont de plus en plus de puissants

groupes d'élites locales ou urbaines, et les associations villageoises installées en ville, sous le nom de

"comité de développement" ou "associations des ressortissants de…" qui déclenchent et entretiennent

les conflits.

En réalité, on se serait attendu à ce que les populations autochtones s'entendent pour limiter

non pas l'immigration agricole, mais les ventes abusives. Curieusement on constate qu’elles se battent

plus entre elles. C’est davantage la preuve qu’elles ne se battent que pour le contrôle des ressources.

Depuis les évènements tragiques d’avril 2001, des comités se sont mis en place pour dissuader les

autochtones démunis de vendre et encourager la location, mais pour combien de temps quand on sait

que la pression des immigrants et celle des besoins incompressibles des autochtones sont continues.

8 Précisons qu’il ne s’agit pas seulement des populations Bamboutos qui convergent vers Galim, mais aussi les populations des départements

voisins comme Mifi, Nkoung-Nhi et Menoua.

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Conclusion

Le morcellement foncier et la concentration foncière sont des réalités palpables dans le pays

Bamiléké. Ce sont des phénomènes complexes d’autant plus que le territoire est étroit et les densités

de population élevées. Les représentations de la terre, la structure sociale et la conjoncture économique

sont autant des situations à l’origine d’une mauvaise « circulation » de la terre, donc du creusement

des disparités entre le morcellement et la concentration foncière. Le morcellement à outrance

caractérise les familles démunies et nombreuses tandis que la concentration rappelle les nantis ou les

jeunes qui retournent à la terre après un périple décevant dans les villes. La question qui peut être

évoquée est celle d’un blocage imminent des structures foncières. Le blocage foncier est en effet l’issu

attendue des processus en cours. Cela voudrait dire qu’on arrivera à un stade où les ventes seront

bloquées et où l’outil de production sera totalement concentré aux mains des nantis.

Un tel scénario est invraisemblable, d’autant plus que le vendeur d’aujourd’hui est aussi le

potentiel acheteur de demain. Qui plus est, le système de régularisation sociale sécrète encore des

courants migratoires vers les villes et une réduction des naissances que devrait confirmer les résultats

du recensement en cours. Les fils nés dans les villes marquent peu d’intérêt pour la « terre du

village ». S’il fallait d’ailleurs s’en tenir aux administrateurs coloniaux, ce blocage aurait déjà eu lieu,

davantage de preuves pour dire qu’il est fort improbable. Nous postulons alors sur les rééquilibrages

sociaux que les Bamiléké ont jusque là su développer pour contenir les multiples crises qu’ils ont

traversées depuis leur implantation dans les Hautes Terres de l’Ouest Cameroun.

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Tableau 1 : Evolution des indices de morcellement dans le département des Bamboutos

villages superficie/ha

population

rurale

1987

Nombre

ménages

indice de

morcellement

(ha/hab.)

indice de

morcellement

(ha/ménages)

Accroissement

annuel entre

1976-1987

(%)

estimation

2005

indice de

morcellement

(ha/hab.)

Bagam 28800 10951 1985 2.63 14.51 2.18 16213 1.78

Bamendjing 10700 3007 623 3.56 17.17 0.85 3504 3.05

Bamenyam 6500 3318 594 1.96 10.94 1.91 4679 1.39

Bati 4200 2301 556 1.83 7.55 2.24 3444 1.22

Bamougong 1600 4141 631 0.39 2.54 -0.68 3664 0.44

Bangang 11000 28201 4615 0.39 2.38 -0.18 27302 0.40

Batcham 7400 32199 5064 0.23 1.46 1.84 44841 0.17

Balatchi 3000 7720 1222 0.39 2.45 0.92 9110 0.33

Bamessingué 7100 14470 2420 0.49 2.93 4.4 31947 0.22

Babadjou 16000 20487 3322 0.78 4.82 1.14 25153 0.64

Babété 2200 6362 1053 0.35 2.09 0.96 7562 0.29

Bafounda 2700 3038 590 0.89 4.58 0.53 3342 0.81

Bamendjinda 2200 6601 1185 0.33 1.86 3.48 12350 0.18

Bamendjo 1700 4921 769 0.35 2.21 1.8 6804 0.25

Bamenkombo 8500 6008 1172 1.41 7.25 0.22 6251 1.36

Bamesso 1600 1386 293 1.15 5.46 -2.74 846 1.89

Total

Bamboutos 115200 155111 26094 0.74 4.41 3.5 291138 0.40

Tableau 2 : Superficie des terres immatriculées dans 2 villages densément peuplés et 1 village

moins peuplé du département des Bamboutos

superficie Bangang Pourcentage Batcham Pourcentage Bamendjing Pourcentage

Moins de 1000 m_ 34 10.90 58 20.14 - -

1000-3000 117 37.50 95 32.99 - -

3000-6000 53 16.99 50 17.36 - -

6000-10000 33 10.58 34 11.81 - -

1 ha et plus 75 24.04 51 17.71 - -

Total 312 100.00 288 100.00 - -

moins d'1 ha - - - - 5 7.81

1ha - 5 ha - - - - 24 37.50

5 ha - 10 ha - - - - 19 29.69

10 ha - 20 ha - - - - 12 18.75

20 ha et plus - - - - 4 6.25

Total - - - - 64 100.00

Source : service départemental des domaines des Bamboutos

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Tableau 3 : Quelques records de superficie des terrains immatriculés dans les zones faiblement

peuplées des Bamboutos

Lieu superficie Profession du titulaire Résidence sexe

Village de

naissance

Bamenyam 50 ha2125 ca commerçant Douala Masculin Bamenyam

Bamenyam 53 ha 0400 ca commerçant Kumba Masculin Bamenyam

Bagam 80 ha 4807 ca

Administrateur civil hors

échelle Yaoundé Masculin Baham

Bagam 102 ha 5473 ca Fonctionnaire retraité Mbouda Masculin Bafou

Bagam 39 ha 7400 ca Elève Mbouda Féminin Bagam

Bagam 53 ha 2800 ca Ménagère Mbouda Féminin Bagam

Bamendjing 31 ha 1300 ca Urbaniste Bamenda Masculin Batcham

Bamendjing 24 ha 7700 ca Ingénieur agronome Bafoussam Masculin Bandjoun

Bamendjing 26 ha 7700 ca Secrétaire Dschang Masculin Menoua

Bamendjing 19 ha 9400 ca Directeur de Banque Douala Masculin Bafang

Bamendjing 36 ha 3811 ca Dentiste Bafoussam Masculin Menoua

Source : service départemental des domaines des Bamboutos

Tableau 4 : Répartition des propriétaires de titres fonciers en fonction de leur résidence et de

leur profession à Bati

zone de résidence

Profession Ville Campagne Total Pourcentage

Fonctionnaires 30 3 33 36.66

Commerçants 22 6 28 31.11

Agriculteurs 10 9 19 21.12

Autres 9 1 10 11.11

Total 71 19 90 100

Pourcentage 78.88 21.12 100

Source : Tsabang Fomena (2001)

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