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Monnaie, crédit et inflation : l’analyse de le Bourva revisitée
Documents de travail GREDEG GREDEG Working Papers Series
Jean-Luc Gaffard
GREDEG WP No. 2018-03https://ideas.repec.org/s/gre/wpaper.html
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Monnaie,créditetinflation:l’analysedeLeBourvarevisitée1
Jean‐LucGaffard2
GREDEGWorkingPaperNo.2018‐03
Résumé
Au cours des années 1970 un changement majeur est apparu dans le domaine de l’analysemacroéconomique:lesthèsesmonétaristessouslaconduitedeMiltonFriedmanontprislepassur les thèses keynésiennes issuesde la synthèsenéo‐classiquepour affirmer à la fois le rôlemajeurdelapolitiquemonétairedanslagenèseetledéveloppementdestensionsinflationnisteset,decefaitmême,lanécessitédelaneutraliserenimposantl’applicationd’unerèglevisantàfixer la quantité de monnaie en circulation. Ces thèses reposent sur l’idée que l’inflation estavanttoutlaconséquencedel’émissionexcessivedemonnaieparunebanquecentralesoumiseauxdesideratadegouvernementsimpécunieuxet,conjointement,quelaquantitédemonnaieencirculation est déterminée demanière exogène via lemécanisme dumultiplicateur de crédit.Ellesparticipentd’unretour,pastoujoursexplicite,àunedichotomieentrevariablesréellesetmonétairesquivamarquerprofondémentlathéorieéconomiquedevenuedominanteàpartirdecettepériodeetdontlesconséquencesvonts’avérerdommageablespourlacompréhensiondesévénementsetdesmoyensdepolitiqueéconomiquesusceptiblesd’yfaireface.Or,dèsledébutdesannées1960,unéconomistefrançais,JacquesLeBourva,développait,dansdeuxarticlesdelaRevueEconomique,uneapprocheradicalementopposée.Ilyfaitétatducaractèreendogènedelacréationdemonnaie,signifiantquecesontlescréditsquifontlesdépôtsetnonl’inverse.Ilénonceunethéoriedel’inflationquienfaitlefruitdedérivesducréditbancaireauxentreprisesrendant les déséquilibres de marché récurrents sinon cumulatifs. Cette approche est d’uneétonnanteactualitésil’onentendrépondreauxinterrogationsdumomentetrefonderl’analysemonétaireens’inscrivantdanslafiliationdeWicksell.
CodesJEL:B22,E5
Mots‐clés:Crédit,Inflation,Monnaie
1ContributionauxJournéesdel’AssociationCharlesGide2017«LascienceéconomiqueauXXèmesiècle:lasingularitéd’unépisodefrançais»,Nice,7‐9décembre2017.JeremercieJacquesLeBourvad’avoirprisle tempsde lireunepremièreversiondecettecontributionetdes’enêtreentretenuavecmoi. Jereste,évidemment,seulresponsabledel’interprétationproposéedesestravauxetdesvoiesderecherchequ’ilsouvrent.JeremercieégalementpourleurscommentairesRichardArenaetPierreDockès.2OFCESciencesPo,UniversitéCôted’AzuretInstitutUniversitairedeFrance
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1.Introduction
Le propos de ce qui suit n’est pas de simplement rappeler l’existence de travaux en
théorie monétaire d’un auteur français, en l’occurrence Jacques Le Bourva, dans un
contexte national particulier celui de la France des années 1950 à 1980, mais de les
situer dans une histoire de la pensée économique qui a vocation à identifier des
filiations intellectuelles et à éclairer des controverses et des réflexions sans cesse
remises sur le métier au regard des difficultés, tant théoriques que pratiques,
rencontrées.
Lesannées1960et1970constituent,àn’enpasdouter,unerupturedansledomainede
larechercheetde l’enseignementde l’économieenFrance.Dudébutdecettepériode,
date la création d’un cursus autonome de licence d’économie au sein des Facultés de
droitavantqueneseconstituent,après1968,desFacultésdescienceséconomiquesde
plein exercicedans la plupart desnouvelles universités. Cette rupture institutionnelle
s’est accompagnée d’une ouverture internationale de plus en plusmanifeste qui s’est
traduite par un véritable ancrage disciplinaire en même temps que par la quasi‐
disparitiond’unetraditionuniversitairefrançaisequientendaitrejeterapprochesaussi
biendéductivesqu’inductivesaubénéficed’unréalismesociologiquemanifestantainsi
unehostilitéàl’égarddelathéorie.3
Les jeunes économistes universitaires ont, alors, embrassé les querelles scientifiques
agitantlacommunautéinternationale,onpenseiciévidemmentàlacontroversesurla
théoriedecapital,àcellequiopposekeynésiensetmonétaristesou,encore,auxdébats
autourdecequ’ilétait,unmoment,convenud’appelerlathéoriedesdéséquilibres.Ilsse
sont surtout attachés à acquérir une culture scientifique puisée dans les apports des
économistes étrangers, principalement anglo‐saxons, non d’ailleurs sans redécouvrir,
par ce biais, les apports de grands économistes français du passé au premier rang
desquels Cournot et Walras. Certains d’entre eux ont nourri, par leurs travaux, les
théories du déséquilibre, les théories de la régulation, les théories de l’équilibre
temporaire qui ont, de ce fait, conservéune connotationnationale. La plupart d’entre
3Arena (2000) évoque cette attitude de principe qu’il fait remonter au début du 19ème siècle et quiexplique les refus d’accueillir les révolutions scientifiques successives (classique, néo‐classique,keynésienne) dont la conséquence est «un décalage désormais sensible entre la pensée économiquefrançaiseetlapenséeinternationalecontemporainedelangueanglaise»(p.999).
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euxsesont,toutefois,moulésprogressivementdanslescourantsd’analysedominantsà
l’échelleinternationale,rompantdéfinitivementavecunespécificitéhexagonale.
Ce profond renouveau fait, parfois, oublier l’existence de travaux académiques
antérieurs à cette période de rupture, qui s’inscrivaient pourtant dans la même
perspectivedeconstruireunepenséeanalytiquerigoureuseinscritedanslesdébatsde
la communauté scientifique internationale. Il en est ainsi des travaux de Jacques Le
Bourva.4Licencié èsLettres,AgrégédesFacultésdedroit, Professeurà l’Universitéde
Rennes,LeBourvaavaitrédigéàlafindesannées1940etaudébutdesannées1950une
thèse de doctorat d’Etat traitant du phénomène de l’inflation de l’après‐guerre dans
laquelleils’appuiesurdenombreuxtravauxenlangueanglaise,ceuxdeBoulding,Hicks,
Keynes, Lundberg, Patinkin, Pigou, Robertson, ou encoreWicksell pour n’en citer que
quelques‐uns(LeBourva1953).C’estdanscemêmeespritqu’ilpropose,audébutdes
années1960,uneanalysedel’inflationetdelacréationdemonnaiequ’ilinscritdansle
courantdelaBankingSchool.Cetteorientation,fondéesuruneconvictionanalytique,le
conduit,sansdoute,ànepasparticiperà lacontroversenaissanteentrekeynésienset
monétaristesquivatourneraubénéficedessecondsdanslesannées1970,carilrange
lesunsetlesautresdanslecampdestenantsd’unethéoriequantitativedelamonnaie
qu’iljugedépassée.Cetteattitudeluivaudrad’êtretrèslargementignoré.D’autantque
les monétaristes et plus tard les nouveaux classiques, dont les thèses contredisent
radicalementlessiennes,vontl’emportersurleterrainacadémiquecommesurceluidu
conseildepolitiqueéconomique.
Iln’endemeurepasmoinsque l’analyseproposéeparLeBourvaaétéreconnue,dans
lesannées1980,commeunauthentiqueapportà lamacroéconomie5etqu’ellepermet
d’éclairerlacrisequetraverse,aujourd’hui,cettemêmemacroéconomie,offrantlesclés
d’unevéritablealternativeàlathéorie,issuedumonétarisme,encoredominante.
4OnnouspermettradementionnericilesnomsdePaulChamleyetdePaulCoulboisdontlesrechercheset l’enseignement dans les années 1950 et 1960, également en rupture avec la tradition universitairefrançaise, ont fortement influencé leurs élèves de l’époque à l’Université de Strasbourg devenus à leurtourprofesseurs,notammentR.DosSantosFerreiraetJ‐PFitoussi.5LesanalysesdeLeBourvasontapparuescommel’unedesprincipalescontributionsàlamacroéconomiedeséconomistesfrançaisdecettepériode(D’Autume1989,Pollin1989).Cejugementrésisteàl’épreuvedu temps sansdouteplusque lamême appréciation concernant la théorie desdéséquilibres, en fait lathéoriedeséquilibresàprixfixes.Sansdouteparcequecettedernières’avèreinapteàtraitersolidementdelaquestionmonétaireetdel’inflation.
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La pertinence conservée des analyses de Le Bourva tient bien sûr à leur ancrage
théorique,mais aussi au soucide répondreauplusprès àdesquestions concrètesde
politique économique loin d’un jeu intellectuel purement abstrait et surtout sans
préjugé doctrinal.6 Elles préfigurent les travaux réalisés ultérieurement par des
économistesquel’onrangedansuncourantqualifiédepostkeynésien,aupremierrang
desquelsKaldor(1982)7.Plusintéressant,ellesrelèvent,commenousauronsl’occasion
delesouligner,d’unedémarchevoisinedecelleadoptée,aucoursdelamêmepériode,
parTobin(1972)ouHicks(1974)dansleurtentatived’analyser,euxaussi,lescausesde
l’inflation.
Les analyses de Le Bourva peuvent être synthétisées en deux propositions contenues
dansdeuxarticlesde laRevueEconomique (LeBourva1959,1962): l’inflationestune
inflation de crédit ne se réduisant pas au seigneuriage et le montant de crédits
distribués est essentiellement déterminé par la demande de crédit. Ces propositions
prennent le contrepied exact de la thèsemonétariste suivant laquelle l’inflation est le
résultat de la monétisation de la dette publique et la quantité de monnaie est
déterminéeparl’offre.Ellesnesontpasmoinséloignéesdelavulgatekeynésiennedont
lemodèle de référence est unmodèle à prix fixes et offre demonnaie exogène. Elles
s’inscriventdansunefiliationdeWicksellquiétablitunlienentrelecomportementdes
banques, les déséquilibres sur le marché des biens et l’inflation dans le cadre d’une
économie de crédit. Elles donnent les clés d’une alternative à la macroéconomie
dominantedontlesprincipesetlesrèglesdepolitiqueéconomiquequiensontdéduites
nepermettentd’expliquerlestenantsetaboutissantsdelacrisequiasurgien2007‐08
ets’esttraduitedanscequecertainsontappeléunegranderécession.
6«Malgréladiversitédesécolesetdeschapelles,jepersisteàcroireenl’élaborationd’uneconnaissanceéconomiqueobjective.Biensûr,àlapointeavancéedesréflexions,desdivergencesexistent,commedanstous les autres domaines. Bien sûr aussi le rôle des passions ou des idéologies s’observent dans laproductiondesanalyseséconomiques.Maisjecroisqu’iln’yapasquecela.Lemarginalismen’apasétéinventé pour contrer le marxisme. Si les analyses d’équilibre général, à la Patinkin par exemple, nem’avançaient pas beaucoup pour étudier l’inflation, elles posaient tout de même des questionsimportantesàd’autreségards.»(LeBourva2000p.379).
7C’estcequesouligneLavoiepourquilestravauxdeLeBourvapréfigurentceuxdeKaldoretducourantqualifiédepostkeynésien(Lavoie1992).Cequi leconduitàpublieruneversionsynthétiséeen langueanglaisedesdeuxarticlesdelaRevueEconomiqueécritsparLeBourva(LeBourva1992).
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2.Surlessourcesdel’inflation
LeBourvaélaboreunethéoriedel’inflationenprenantprétextedurapportdesexperts
ayant guidé l’opération monétaire de 1958 dont l’objectif était un assainissement
monétaireet financierdansun contextede libéralisationdes échanges internationaux
(Le Bourva 1959). Le propos est d’éviter que le succès de l’opération, qui s’est
effectivementtraduiteparlerétablissementdescomptesextérieursetlareconstitution
desréservesdechange,n’induiseenerreurquantàlavraienaturedel’inflation.
Il s’agit, d’abord, de rappeler clairement la conception qualifiée d’officielle du
phénomène«Pourceuxquiréduisent inflationaudéficitbudgétaireouà l’impassede
Trésorerie,ladépréciationmonétairec’est‐à‐direlahaussedesprixapparaîtcommela
conséquence exclusive d’une mauvaise politique financière c’est‐à‐dire comme un
phénomène dont la cause est relativement exogène par rapport au système
économique»(LeBourva1959p.715).Ils’agit,ensuite,dereconnaîtrelacomplexitédu
phénomène. «Le processus cumulatif de hausse de prix qui constitue le phénomène
inflationnisteàexpliqueretcombattrenepeutpasêtrerattachéàuneseulecause:nile
déficitdesfinancespubliques,nil’accroissementdelamassemonétaire,nimêmel’excès
delademandeglobalesuroffreglobaleauniveaudesprixanciensnedonnentlacléqui
résoudrait le problème: le monisme est toujours une indigence» (ibid. p.716).
L’oppositionestradicaleaveclemonétarismebientôttriomphant.
Cette conviction conduit Le Bourva à suivre la démarche deWicksell et à choisir de
décrire une économie de crédit dont les performances dépendent de lamanière dont
sontarticuléslecomportementdeprêtdesbanquesetlesdéséquilibresperçussurles
marchésdebiensetdeservices.Cenesontpas,pourlui,lesvariationsdelaquantitéde
monnaiequisontlacausedesvariationsduniveaugénéraldesprix,maislesmontants
decréditsdistribuésparlesbanquesà leursclients.«Deuxattitudess’opposentquant
auxconditionsdanslesquelless’ajustentl’offreetlademandedemonnaie.Pourlesuns
(quantitativisteset Keynes)laquantitédemonnaieestfixéeparlesystèmebancairede
façon indépendante Si le besoin de monnaie ressenti dans l’économie augmente la
conséquenceestuneélévationdutauxdel’intérêtàmoinsquelesbanquierssedécident
àaccroîtrelaquantitédemonnaie(…)Pourlesautres(BankingschooletWicksell)les
banquiersnefixentpasunequantitémaisunprix.Lesystèmebancaireadopteuntaux
6
(ou un ensemble de taux) sur lemarchémonétaire et il prête ensuite tout ce que les
emprunteurs demandent à la condition qu’ils offrent des garanties suffisantes. Cette
politiquecorrespondàcequeD.HRobertsonanomméleprincipeducréditproductif»
(ibid.p.719).C’estcettedernièreconceptionqueretientLeBourvapourqui«c’est la
demande de monnaie, au taux fixé par les banquiers, qui détermine la quantité de
monnaie»(ibid.p.720).
Suivantcetteconception,lecréditprivéestsusceptibled’alimenterl’inflationycompris
en l’absencededéficitpublicdès lorsque lemontantdesprêtsnouveauxexcèdecelui
desdettesvenuesàéchéance.«Autotal,dansunrégimedemonnaieélastique,leniveau
généraldesprixn’estplusaccrochéàrien,cen’estpasluiquidépenddelaquantitéde
monnaie, c’est la quantité demonnaie qui dépend du niveau des prix» (ibid. p. 722).
L’ancragenominal–lastabilitédesprix–quel’onnepeutplusattribueraucontrôlede
l’offredemonnaieparuneBanquecentralenepeutdésormaisvenirquedesrelationsde
crédit,singulièremententrebanquesetentreprises,etdeleureffetsurlaformationde
déséquilibressurlesmarchésdebiensetdutravail.
L’autre conséquence de l’analyse proposée est qu’il n’y a plus de raison pour qu’une
création monétaire au bénéfice de l’Etat se traduise nécessairement par une
augmentationdelaquantitédemonnaieencirculation,uneinjectiondepouvoird’achat
et des tensions inflationnistes. «En effet si nous supposons d’abord que la demande
totaledemonnaiedansl’économienechangepasetquelesbesoinsdefondsdusecteur
privé restent les mêmes, l’afflux de la monnaie créée pour Etat va permettre aux
entrepreneurs de rembourser leurs dettes envers les banques sans demander de
nouveaux prêts. L’excédent de monnaie se résorbe automatiquement, l’Etat n’a pas
réussiàinjecterdemonnaiedansl’économie»(ibid.p.723).End’autrestermes,aulieu
de s’en tenir à incriminer le déficit des finances publiques, il importe de considérer
commentévoluent,respectivement,dettesprivéesetdettespubliquesavantdeformuler
undiagnosticsurl’originedetensionsinflationnistes.
Endénonçantlaconceptiondel’inflationquilarapporteauseuldéficitpublic,LeBourva
ouvre ledébat sur le rapportqu’entretiennent le secteurpublicet le secteurprivé.Le
monde qu’il décrit est un monde où les dettes privées progressent plus vite que les
crédits demandés par l’Etat et sont les véritables responsables de la hausse des prix.
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Rienn’interditquel’inverseseproduise.Maisrienn’interditnonplusdeconsidérerles
unes et des autres évoluent au cours du temps en relation avec le cycle économique.
C’estcedontLeBourva faitétatquand ilaffirmeque«l’affluxdemonnaiecrééepour
l’Etat vapermettre aux entrepreneursde rembourser leursdettes envers les banques
sans demander de nouveaux prêts (et donc que) l’excédent de monnaie se résorbe
automatiquement»(ibid.p.723),pourajouterplusloinque«c’estsouventlacrisedes
trésoreriesprivéesquiprovoquelacrisedelatrésoreriepublique»(ibid.p.724).Cette
dernière affirmation fait écho aux événements de la fin des années 2000 et au débat
théorique qui s’est développé quand il a été question de savoir s’il était pertinent de
réduireladettepubliqueaumomentoùlesagentsprivéssedésendettent.8
Reste,alors,pourLeBourvaàrecherchercequ’ilappelle«desélémentspositifsde la
théoriedel’inflation».Etd’évoquerlessourcesd’uneinitiationduphénomènequesont
l’excèsdelademandeglobalesurl’offreglobale, l’excèsdelademandesurl’offredans
certainssecteursouencorelahaussedescoûts,qu’ils’agissed’unehaussedessalaires
plusélevéequecelledelaproductivitéoud’unehausseduprixdematièresimportées.
Maiscesont làdessources immédiatesdont laseuleévocation,préciseLeBourva,ne
permetpasdejugerdeladuréeduprocessusinflationniste,desapropagationetdesa
dérive éventuelle, autrement dit de l’expliquer. Encore faut‐il, en effet, comprendre
comment des situations de déséquilibres se perpétuent. «L’inflation n’est pas un
changement uniquemais un processus cumulatif aumoins durant un certain temps»
(ibid.p.727).Delàl’importancesoulignéeparLeBourvadecomprendrel’enchaînement
desdéséquilibresetlerôlequ’yjouententrepreneursetsalariés.«Lacompréhensionde
l’inflationexigededécelerceseffetsd’induction,elleexiged’aborddecomprendreque
touscesaccroissementsn’étaientpasprésentsaudébutde lapériode inflationnisteet
que leur ampleur ne résulte pas directement du déséquilibre initial; entre lui et la
haussedesprixiln’existepasderapportsimple»(ibid.).Enbref,«l’inflationn’apparaît
pas comme la perturbation d’un état stationnairemais comme l’issue d’un processus
d’expansion»(ibid.p.728).
Ils’agitdoncdesuivre,étapeparétape,lecheminementdesvariablesdeprixenrelation
aveclesfluxdemoyendepaiement,autrementdituncycleducréditàlafaçondontil
8Ledangerestaujourd’huidénoncédevouloirsimultanémentréduiredettespubliquesetdettesprivéesalors que l’augmentation des premières doit faire pièce à la diminution nécessaire des secondes(EggertssonetKrugman2012)
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estenvisagéparWicksellàquiLeBourvaseréfèreexplicitement,maisaussiparKeynes,
RobertsonouencoreHicks.9Ilimporte,alors,demesurerleseffetsd’uneplusoumoins
grandeflexibilitédesprix,sachantqu’uneflexibilitéinstantanéeetgénéraliséeviderait
de son sens l’analyse proposée.10«C’est la géographie des prix flexibles et des prix
rigides qui permet de déterminer les secteurs où l’écart entre offre et la demande
aspireralesprixetlessecteursoùlesprixserontpoussésparlesprofitsetcoûts»(ibid.
p. 728).Deux typesdemarchés, lesuns àprix flexibles et les autres àprix rigidesou
visqueux sont ainsi considérés, qui structurent l’ensemble de l’économie. Les
mécanismesdenaissanceetdepropagationdel‘inflationensontlereflet.
S’agissant des prix industriels, ils sont fixés par les vendeurs sur des marchés
naturellement imparfaits.«Leseuilde l’inflationestalorsunseuilpsychologique liéà
l’apparition des marchés de vendeurs comme les nomment les professionnels. Il est
atteintlorsquedansunebranchelaplupartdesentreprisesapprochentlalimitedeleur
capacité de production installée et lorsqu’elles n’ont pas l’espoir ou la possibilité
d’accroître rapidement cette capacité et d’étendre leurs ventes. Il n’est pasnécessaire
quelademandeactuelledépassedebeaucoupcettecapacitépourqu’unglissementvers
lahausseseproduiseàpartirdumomentoùchaquevendeursaitquelesautressuivront
lemouvement.Uneraisonsupplémentairedereleverlesprixestailleursfournieparle
soucidedévelopperplustard lacapacitédeproductionetdemajorerenconséquence
les marges d’autofinancement Ce ne sont sans doute pas les branches les plus
concentréesquicherchent leplusàrelever lesprixcar lesgrandesentreprisesontun
horizon plus vaste et une possibilité plus grande de développer leur capacité de
production.»(ibid.p.730).
LeBourvasouligneainsilanécessitédes’interrogersurlesconditionsdeformationdes
prix sur des marchés qui différent en raison de la nature des déséquilibres qui
caractérisent inévitablementcesderniersetdu typederéactionquecesdéséquilibres
engendrent,impliquantdeconsidérerl’influencedescapacitésdeproduction,dutemps
9Wicksell(1898)estlepremieràdéveloppercetyped’analyseavantqu’ellenesoitrepriseparRobertson(1926)etKeynes(1930).Wicksell (1934)etKeynes(1936) l’abandonnerontauprofitd’uneanalyseentermes d’équilibre (Lundberg 1937). Hicks la reprendra ultérieurement dans un ouvrage associantexplicitementthéoriedesmarchésdebiensetdutravailetthéoriemonétaire(Hicks1989).10Dans ce dernier cas qui n’est autre que lemonde de l’équilibre général deWalras, lesmarchés sontsystématiquement et immédiatement soldés, les prix reflètent les fondamentaux (technologies etpréférences) et l’inflation ne peut résulter que d’une hausse de la quantité demonnaie en circulation,laquelleaffectelesprixabsolusetnonlesprixrelatifs.
9
éventuellementrequispourlesconstituer,dupouvoireffectifdemarché.
L’accent ainsi mis sur les processus de marché et le rôle directeur qu’y jouent les
entreprisesse trouveêtre,également,aucœurdesanalysesde l’inflationconduitesau
cours des années 1970par Tobin etHicks: des contributions aujourd’hui tout autant
ignoréesquecelledeLeBourva,maisquilajustifientetl’enrichissent.
PourTobin(1972),l’hétérogénéitédesmarchés,quitientàladiversitédesréactionsdes
entreprises aux déséquilibres, est à l’origine de l’inflation et de la relation de cette
dernièreauxautresvariablesmacroéconomiquesdontlechômage.Sil’onadmetqueles
prix sontplus flexiblesà lahaussequ’à labaisseet, corrélativementque lesquantités
sontplusflexiblesàlabaissequ’àlahausse,alorsunedispersionaccruedesdemandes
excédentaires sur les marchés de biens entraîne une aggravation simultanée de
l’inflationetduchômage.11.Iln’estpasanodind’observerquecesprixdévientdeleur
positiond’équilibre (que lesmarchésne sontpas soldés)pourdespériodesde temps
significatives,uneduréed’ajustementquinereflèteniirrationalitédescomportements,
ni imperfection ou asymétrie de l’information, mais est le propre d’une économie
monétairetellequelaconçoitKeynes(Tobin1995).
PourHicks(1974),lesasymétriesobservéestiennentàlanaturedesbienséchangés.Les
marchésàprixflexiblessontceuxsurlesquelslesprixréagissentviteetfortementaux
écartsentreoffreetdemande.Cesontlesmarchésdematièrespremièresetlesmarchés
decertainsproduitsalimentaires.Lesmarchésditsàprixfixessontcesmarchésoùles
prix sont fixés par les vendeurs qui réagissent plus ou moins vite et plus ou moins
fortement aux variations de leurs coûts et aux écarts entre offre et demande. Tout
dépend,alors,del’importancedespénuriesdematièrespremièresoudemaind’œuvre
ou,plusgénéralement,deslimitesdecapacitéquiaffectentl’offre,maisaussidulapsde
tempsnécessairepourque cespénurieset limites soient surmontées. Lesprix sur les
marchésàprixfixesneréagissentpasnécessairementauxpénuriessil’ons’attendàce
qu’elles soient temporaires, cesprixétant censésdépendredes coûtsnormauxetnon
descoûtsdumoment.Cepourraitnepasêtrelecasnotammentquandunehaussedes
11Cette explicationde la ‘stagflation’ faisant explicitement étatdemarchésnon soldés etdes réponsesasymétriquesauxdéséquilibresestégalementretenue,danslamêmepériode,parFitoussi(1973).
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prixdesbiensdeconsommationdéclencheuneinflationsalariale.12
Dèslors, leshaussesdesalaires,qu’ellessoientconsécutivesàdeshaussesdeprixdes
biens de consommation ou aux tensions sur le marché du travail, sont au cœur du
processus inflationniste, de son caractère cumulatif. La question est ainsi posée de
l’existence d’un seuil – la barrière inflationniste – au‐delà duquel le taux d’inflation
explose.13
Ces différentes considérations posent la question de l’ancrage nominal. Suivant la
théoriemonétaristedel’inflation,celui‐ciestassuréparlecontrôlesupposédel’offrede
monnaie. Dans l’économie de crédit décrite par Le Bourva et reprise de Wicksell, il
devrait être assuré grâce au maniement approprié du taux d’intérêt, ce qu’implique
l’instaurationderèglesdetauxcontingentesparlesquellesl’onentendaujourd’huiune
fonctiond’ajustementdutauxdirecteurdelaBanquecentraleenréponseàl’évolution
del’écartdeproductionetdel’inflation.14Iln’estpascertainquecepuisseêtretoujours
lecas.Ils’agitbiendefaireensortequeladistributiondecréditsnepermettepasquese
forment de manière pérenne et cumulative des déséquilibres de marché. Mais la
dimension institutionnelle des relations entre offreurs et demandeurs de crédit, leur
inscriptiondansuntempsplusoumoinslongpourraients’avérerêtreplusimportantes
que le seul coût ponctuel du crédit. Car ce sont elles qui affectent la séquence des
déséquilibres de marché. En des termes généraux, il apparaît, plus ou moins
explicitement, que lamaîtrise des prix et l’évitement de processus cumulatifs ne sont
réductiblesniaucontrôledel’offredemonnaie,niàcelledutauxd’intérêt.15
12Hicks avait, dans le passé, développé le même type d’analyse afin de comprendre les problèmeséconomiquesnésdelareconstructionaprèslaDeuxièmeGuerremondialeetnotammentleproblèmedel’inflation.Lareconstructionexigeaitdesinvestissementsdontlamiseenœuvreprenaitnécessairementdutempsdutemps.Lessalairesversésdevaientalimenterunedemandedebiensdeconsommationvis‐à‐vis de laquelle l’offre restait insuffisante. Il en est résulté des tensions inflationnistesqu’il aurait étédangereuxdecombattresystématiquementcarcelaauraitpénalisél’investissement(Hicks1947).13Lanotionestprésentedansl’analysemonétairedeHicks(1977)pourquicettebarrièresedéplaceaucoursdutemps.Elleestégalementprésentedansl’analysedeJoanRobinson(1971).14VoiràcesujetPollin(2005)15Cettediscussionpourraitéclairerlacontroverseayantopposé,aumomentdelalibérationdelaFranceen1944,Mendès‐FranceetPlevensurlaquestiondel’opérationd’assainissementmonétaire,lepremierproposantaucontrairedusecondl’échangedebillets,leblocagedesprixetceluidescomptesbancaires.Le laxisme l’a emporté sur la rigueur. Toutefois, si tel n’avait pas été le cas, l’inflation, certes due à laquantité excessive de monnaie en circulation, se serait de toute façon poursuivie en raison de lapersistance des pénuries, bien sûr de biens agricoles mais aussi de biens d’équipement industriel.
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L’intérêt que Le Bourva porte à la question de l’inflation tient à ce qu’il la considère
comme «le drame des économies contemporaines» bien avant que le phénomène ne
prenne véritablement de l’ampleur dans l’ensemble des pays occidentaux. Quand ce
moment va survenir, dans les années 1970, par une sorte d’ironie dans l’histoire des
idées, la thèse combattue par Le Bourva va prendre le dessus, lemonisme causal va
l’emporter. La vieille critique d’un keynésianisme avant tout axé sur le soutien
conjoncturelaumoyendeladépensepublique,quel’onaccused’engendrerunedérive
inflationnistevia l’endettementpublic,va l’emportersansvéritablements’attardersur
lacomplexitéduphénomène.16
3.Surlacréationetlapolitiquemonétaires
Lathéoriedel’inflationétablieparLeBourva,loindeproposeruneexplicationréelledu
phénomène,bâtiesurl’étatetl’évolutiondesmarchésdebiensetdutravail,reposesur
ce que l’on pourrait appeler, en se référant à Keynes, la théorie d’une économie
monétairedeproduction. Iln’estpas, eneffet,questionde ressusciterunedichotomie
entre secteur réel et secteur monétaire de l’économie comme allaient le faire les
monétaristes et les nouveaux classiques, mais bien d’énoncer une théorie monétaire
alternative à la théorie quantitative. Cette alternative repose sur le renversement du
rapportentretenuentrel’offreetlademandedemonnaie(LeBourva1962).
La thèse défendue reprend de Wicksell la proposition suivant laquelle les banques
commercialesserventintégralementlesdemandesdecréditformuléesautauxd’intérêt
qu’elles fixent. «Il paraît (…) nécessaire d'abandonner l'idée d'un multiplicateur de
crédit qui est un fossile de la théorie quantitative et de donner une autre explication
techniqueaudéveloppementducréditbancaire.Afind'êtrecohérenteavec l'ensemble
des idéesmonétaires, cette analysedoitmontrerque les banquierspeuvent répondre
sanslimite,s'ilsledésirent,auxdemandesdecrédit.Ilfautdoncqu'ilsnesoientpasliés,
audépart,parunmontantdeliquiditéspréexistantes;ilfautqueleursprêts,enmême
temps qu'ils alimentent les dépôts demandés, sécrètent les liquidités dont ils ontMendès‐Francesoulignera,d’ailleurs,plustardque l’inflationnepeutêtrecombattuequ’enaugmentantl’offreouendiminuantlademande.16Sil’endettementpubliccroissantestuneréalitéincontestableauxEtats‐Unisaucoursdecettepériodeet porte la responsabilité de la dérive inflationniste, il est difficile de l’attribuer à des politiquesbudgétairessimplementconjoncturellesalorsledéficitcroissantestmanifestementlerésultat,nond’unepolitiqueconjoncturelleditedefinetuning,maisderupturesstructurellesassociéesàlanouvellepolitiqued’aidesocialeetauxdécisionsd’interventionmilitaireextérieure.
12
besoin.»(LeBourva1962p.30).
L’économiedécriteestuneéconomiedeproductionetnonuneéconomied’échangeréel.
Leprincipalrôlereconnuaucréditestd’assurerlepréfinancementdelaproduction.Il
n’est certespasquestion ici d’investissementmaisbiende rémunérerdes facteursde
production.17«Silesentrepreneursnepossèdentaucuneencaisseaudépartetdoivent
rémunérer les facteurs de production avant d'écouler leurs produits, ils n'ont d'autre
solutionqued'emprunterauxbanques la totalitéde lamonnaiequ'ils versent comme
revenus aux facteurs de production, en particulier aux salariés. A mesure que cette
monnaie est dépensée pour l'achat des biens de consommation, elle revient aux
entreprises,quipeuventainsirembourserleursfournisseursdematièrespremièrespar
exemple,ouplussimplementdésintéresserlabanquedevenuetitulaire,aprèsescompte,
descréancesnéesdanslesrapportsentrelesentreprises.Lamonnaieserésorbeainsi,
jusqu'à laprochainecréationquivapermettreunenouvelledistributionderevenus.»
(ibid. p. 38).Cette analysen’ade sensqu’endehorsd’un régime régulieroud’unétat
stationnaire.L’économiedécriteesthorsdel’équilibre.
Est‐ceàdirequelaquantitédemonnaieestsimplementendogène?Laréponseestque
le banquier dispose d’un pouvoir de rationner le crédit et de prendre ainsi en
considération le degré de risque encouru, mais que l’emprunteur reste à même
d’anticiper cette situation. «L'offre de crédit du banquier à l'égard d'un seul client,
touteschoseségalesparailleurs,n'estcertainementpas infinimentélastique, lerisque
croissantdubanquier,commel'avaitdéjàsoulignéKalecki,fixeunelimiteauprêtquele
banquier serait disposé à consentir. Comme le risque joue également du côté de
l'emprunteur, ilestd'ailleurs fortpossiblequecelui‐cicessed'emprunteravantque la
limitequesefixelebanquiersoitatteinte.»(ibid.p.43).LeBourvareprendicicequ’il
écrivaitdéjàdanssathèsededoctorat.«Ilexisteunefranged’emprunteursinsatisfaits,
quiseraientdisposésàsolliciterducréditauprèsdesbanquesautauxd’intérêt fixéet
qui ne peuvent l’obtenir, par suite du contrôle quantitatif exercé, en dehors de toute
actiongouvernementale,parlesbanquierssoucieuxdenepasaccroîtreleursrisques»
(LeBourva1953p.218).IldevraitêtreclairquelathéoriedéfendueparLeBourvanese
17Il n’est pas absurde, cependant, de mentionner ici Schumpeter (1934) pour qui le crédit est lecomplémentnécessairedel’innovation,autrementditlecomplémentdel’acted’entreprendreconsistantàdétournerlesressourcesdeleursemploisactuels.
13
réduitpasàunethéoriedelamonnaieendogèneetretientlapossibilité,ensituationde
concurrence imparfaite, d’un rationnement du crédit par les banques.18Sans doute
faudrait‐ilretenirqu’ilexisteuneasymétrieentrelestentativesderestreindrelevolume
descréditsdistribuésetcellesdel’accroître.Lespremièressontpossiblesquoiquepeu
vraisemblablesquandlessecondessontvouéesàl’échec.
«Au total, en l'absence de restrictions de crédit, le système bancaire nous paraît
fonctionner dans les conditions suivantes : les prêts sont le point de départ de la
créationmonétaire, lesbanquessontpratiquementassurées,nonseulementdans leur
ensemble, mais aussi pour chacune d'elles, de retrouver en dépôts l'équivalent des
sommesavancées.Cesdépôtssonttransformésenbilletsdanslamesurenécessairepar
laBanquecentrale,cesontdonc lesprêtset lesdépôtsquiengendrent lesbillets,non
l'inverse.» (ibid. p. 52). Finalement, «les périodes exceptionnelles exceptées, la
politiquemonétairen'empêchepaslestendancesdefondquipoussentàlacréationde
lamonnaiedesemanifester.Lesbanquiersn'ontpasunpouvoirabsolu,ilssubissentle
marché bien plus qu'ils ne le contrôlent. La conduite de la monnaie ressemble à la
pratiqueduvolàvoile.»(ibid.p.56).
Qu’enest‐il,alors,vraimentde lanatureduprocessus inflationniste?Dansdesétudes
ultérieures, Le Bourva poursuit la réflexion en introduisant explicitement une
distinctionentre inflationdemonnaieet inflationdecrédit (LeBourva1972,1978). Il
exprimel’idéequelavisiondel’inflationn’estpaslamêmesuivantquel’ons’intéresse
auxvariationsde laquantitédemonnaie, autrementdit auxvariationsdespassifs, ou
aux sources de la création monétaire, autrement dit aux actifs. Dans le premier cas,
l’intérêtportesurlesménagesquidétiennentlaplusgrandepartdesavoirsmonétaires.
La théorie de la demande de monnaie est une théorie de la demande des ménages.
L’inflationapparaîtquandlesménagesdétiennentplusdemonnaiequ’ilsneledésirent.
Dansledeuxièmecas,ils’agit,nonseulement,de«respecterl’ordredeschoses,lesprêts
font les dépôts» (Le Bourva 1978 p. 20), mais surtout de considérer les besoins de
financement qui sont d’abord ceux des entreprises. Il y a là un renversement de
perspective essentiel puisqu’il s’agit rien de moins que de substituer l’entreprise au
18CetteanalyseseradéveloppéeparStiglitzetWeiss(1981).
14
ménagedansl’ordredepréséancedesagentséconomiques.19
Ces entreprises ont, nous rappelle LeBourva, deux sortes de besoins de financement.
Elles ont besoin de financer les dépenses qui interviennent, durant le cycle de
production, avant l’achèvement et la vente des produits, en d’autres termes des
dépensesencapitalcirculant,principalementdespaiementsdesalaires.20Descréditsde
trésorerie sont octroyés, une monnaie nouvelle est créée sans quoi les entreprises
seraientcondamnéesàlafaillite.Toutefois,entrelesrevenus,lavaleurdelaproduction
etlamassedescréditslaconcordanceestassurée.Lefinancementbancaireestsain(Le
Bourva1972p.14).Siinflationilya,c’estuneinflationparlescoûtsencesensqu’elle
dépenddenégociationsquifixent,parailleurs,lestauxdesalaireouleprixdesmatières
premières.
Les entreprises doivent également financerdes investissements en capital fixe, «ceux
dontlarécupérationfinancièren’apaslieudanslecadredel’annéemêmeoùlesfonds
ontétédépensés,maiss’étaleaucontrairesurtouteslesannéesd’amortissement»(Le
Bourva1978p.21).Descréditsbancairessontoctroyésquipermettentàl’entreprisede
dépenserplusqu’ellenegagne.Unpouvoird’achatestainsimisàdispositiondesagents
économiques, «puis utilisé par eux pour acquérir des biens faisant partie du produit
final disponible sur lesmarchés» (Le Bourva 1972 p. 7). Si inflation il y a, c’est une
inflationparlademandedèslorsquel’excèsdedemandepèsesurlesprixdufaitqueles
capacités de production sont saturées. Il reste possible d’opérer ce type de
transformationbancairetoutenayantuntauxd’inflationmodeste.End’autrestermes,
lecréditestàlasourcedel’inflation,maisl’inflationdecréditpeutrestermodérée.21
Danscesconditions,LeBourvaémetdesréservesquantauxréellespossibilitéspourla
BanqueCentraled’effectivementrestreindrelecréditvialapolitiquemonétaire.«Cette
modération dans l'usage de la politique monétaire s'explique aisément. La monnaie
19Iln’estpasindifférentdenotericiquecetteposition,opposéeàlapositionmonétaristecommeensuitedesnouveauxclassiques,estaussicelledeKeynes20LeBourvaretientici l’argumentairedeHicksqu’ilcite.«Si l’onimitelapratiquenormaledesaffairesconsistant à ne pas prélever un profit jusqu’à ce que les biens soient effectivement vendus et, si l’onnégligelacomplicationdueàladésintégrationverticaled’unmêmeprocessusentredifférentesfirmes,lavaleur du capital circulant se ramène (approximativement) à celle du travail incorporé. Il n’y a pas deproportionnalité stricte entre cette valeur, àun instantparticulier, et la valeurdu fluxutilisé…mais ilexisteunebonneproportionnalitéapprochée»(Hicks1969p.151).21Cette analyse est à rapprocher de celle, déjà mentionnée et formulée par Hicks, des tensionsinflationnistescaractéristiquesd’unepériodedereconstruction(Hicks1947).
15
prendnaissanced'aborddans l'ensembledesrelationsquise formentà l'occasiondes
transactionsentre lesentreprises.Lecréditprivéprécède lecréditbancaire.Maisune
foisquelespremièresbasesdelacréationmonétaireontétéaccomplies,iln'estguère
possible d'enrayer le déroulement des étapes ultérieures sans désarticuler
complètement le fonctionnement de l'économie.» (ibid. p. 55). Et d’ajouter que«contrairementàuneopinionrépandue,lapolitiquemonétairenedoitpassebornerà
modifier les rapports entre les banques et la Banque centrale, elle doit aussi se
répercuterauniveaudesrapportsentre lesclientset lesbanquesordinaires,voireau
niveaudesrelationsentrelesclientseux‐mêmes»(ibid.).Orlamaîtrisedecesrapports
n’est réductible ni à la fixation d’un objectif de croissance désirée d’un agrégat
monétaire,nimêmeàcelledutauxd’intérêt.
Lesentreprises,sontconfrontéesaudilemmesuivant.«Oubienleshaussesnominales
de salaires et de prix sont importantes et l’essentiel des crédits nouveaux autorisés
financerontlesbesoinscorrespondantsencapitalcirculant,maissansquelesquantités
deproduitsetd’emploisaugmentent.Oubienleshaussesnominalessontlimitées,alors
le même montant de crédits nouveaux peut servir pour partie au capital circulant
nécessaireàl’embauchedetravailleursetàl’augmentationdesstocks,pourpartieaux
investissements en capital fixe, à la croissance, pour partie même aux équipements
collectifs réalisés par l’Etat» (Le Bourva 1978 p. 29). Dès lors, contenir l’inflation
devientpossibleàconditiondecombinerlapolitiquemonétaireavecunepolitiquedes
revenus nominaux. Implicitement, Le Bourva écarte la possibilité pour la Banque
centrale d’éradiquer l’inflation, en fait les anticipations inflationnistes, en augmentant
brutalement et fortement le taux d’intérêt devenu ainsi, dans une perspective
wicksellienne,trèssupérieurautauxnaturel.22.
4.Unevoietoujoursàexplorer
Lapériodeactuelleest,certes,biendifférentedecellequeLeBourvaavaitsouslesyeux.
Lepériln’estplusl’inflationmais l’absenced’inflationoupireladéflation.Quiplusest
cetteabsenced’inflationvadepairdanscertainspaysavecunesituationdepleinemploi
censée favoriserdeshaussesde salairesqui, pourtant, ne semanifestentpas. Lepéril
22LeBourvam’ad’ailleursconfirméqu’àl’époque,conseillerduCréditLyonnais,ilavaitjugéimprobableune telle augmentation du taux d’intérêt. Ce que l’expérience, notamment américaine, va démentir audébutdesannées1980.
16
évoquéestceluid’unestagnationséculaireou,àtoutlemoinsd’unerepriseralentiede
l’activité économique après la crise de 2008. La théorie économique dominante est
défaillante à en donner une explication convaincante. C’est qu’elle reste aveugle à la
réalité d’une économie monétaire telle que Le Bourva l’envisageait en rapport avec
l’analyse de Wicksell: une économie de crédit, une économie de production et une
économied’entrepreneurs.
LesanalysesdeLeBourva, les intuitionsqu’ellescontiennent,sontautantdepistesde
réflexion qui nous éclairent sur les difficultés de lamacroéconomie contemporaine à
rendre comptedesproblèmesdumoment.L’erreur théoriquequ’ildénonçaitdans les
années1960persisteencoreaujourd’hui.Elleconsiste,nonseulement,àfairedel’offre
demonnaiecentrale laseulecausedesvariationsdeprix,maisaussià ignorerque les
marchés sont généralement en déséquilibre. L’alternative réside dans une analyse
monétaire effectivement d’inspirationwicksellienne qui reconnaît dans l’inflation une
inflationdecréditetrendcomptedel’articulationentreladistributiondecréditsetune
plusoumoinsgrandeflexibilitédesprixetdessalairesenréactionauxdéséquilibresde
marché.
L’impassedanslaquellesetrouvelapolitiquemonétaireeuropéenneillustrelajustesse
de cette démarche analytique. Si les mesures monétaires de facilité quantitative
(quantitative easing) ont été indubitablement efficaces pour enrayer le mécanisme
cumulatif de crise de la dette, elles se sont avérées inopérantes par elles‐mêmes à
permettreunereprisedurabledel’activité.Lapremièreraisonestqu’iln’existepasune
demande de biens et services qui justifierait une demande de crédit et rendrait
opportune l’offre de crédit. Une seconde raison, sans doute plus importante, est que
nombred’entreprises sontdans l’incapacitéd’effectuerdes anticipations fiables sur la
demande future, et doncde s’engager dansdes projets d’investissement à long terme
exigeant de disposer d’un capital patient via les banques ou les marchés financiers.
L’économiefaitfaceàdesdéfaillancesinter‐temporellesdedemandeeffectivesignifiant
que les entreprises ne peuvent ou ne veulent pas échanger les revenus attendus du
produitfuturcontrelesservicesdesfacteursrequispourl’obtenir,plussimplementne
peuvent ou ne veulent pas emprunter pour financer l’investissement. Ce à quoi une
17
politique monétaire de bas taux d’intérêt ne peut, à elle seule, répondre au risque
d’ailleursd’êtreàl’originedelaformationd’unenouvellebullefinancière.23
Si les conditions étaient effectivement réunies pour que les acteurs économiques
partagent une vision à long terme, c’est‐à‐dire si banques et actionnaires étaient en
positiond’offriruncapitalpatient, les investissementsengagésdonneraient lieuàune
distributiondepouvoird’achat(auversementdesalaires)etdoncàuneaugmentation
delademandecourante.Iln'yauraitpasdecontrepartieimmédiateducôtédel’offrede
biensdeconsommationpour lasimpleraisonqu’ilexisteun tempsdegestationavant
que ces investissements ne deviennent opérationnels. Plutôt que de l'abondance de
liquidités,c'estdecetexcèsde lademandesur l’offredebiensqueviendrait lahausse
desprixtantrecherchéeaujourd'huiparlaBanqueCentraleEuropéenneaprèsavoirété
tantcombattue.
Cette inflation, alimentée par le crédit, ne serait pas nécessairement cumulative et de
longuedurée.D’abordparceque lesprixpourraient s’avérer relativement rigides: les
entreprises faisant le choix d’éviter une volatilité préjudiciable à leur propre calcul
économiqueainsiqu’àceluideleursclients,aveccommeeffetderaccourcirleurhorizon
temporel.Enoutre,cetteinflationdevraitêtretemporaireenétant laconditiondeson
extinction future, dans la mesure où elle accompagne la construction d’une offre de
biensetservicesquiviendraitultérieurementéquilibrerlademande.Ilyauraitpeude
chances,alors,d’observerunedérivedesanticipations inflationnistes.Lebutques’est
donnéelaBanqueCentraleEuropéenneseraitainsiatteint,maispard’autresvoiesque
celleenlesquellesellecroitouqu’ellepréconise.
Sil’onpeutconsidérerquelesentrepreneursobtiennentlesfondsqu’ilsdemandentau
taux d’intérêt fixé, il n’en demeure pas moins que les conditions d’engagement des
détenteursdecapitaux,oriententletyped’investissementretenuet,parsuite,lanature
etl’ampleurdesdéséquilibresdemarchéàvenir.
Ainsi, des taux d’intérêt bas et/ou un engagement financier long favorisent des
investissementslongs,c’est‐à‐direexigeantdelongsdétoursdeproductionsusceptibles
d’engendrer une distribution de pouvoir d’achat sans contrepartie immédiate en
23C’estlediagnosticquipeutêtreformuléàproposdelasituationduJaponaucoursdesdeuxdécenniesquisesontécouléesaprès1990(Leijonhufvud2008).
18
production de biens de consommation, des excédents de demande, des tensions
inflationnistes dont la durée fait courir le risque qu’elles deviennent cumulatives en
raisond’unespiraleprix‐salaires.Destauxd’intérêtélevésetunengagementfinancier
court favorisent des investissements courts auxquels sont associées des tensions
inflationnistesmodéréespeususceptiblesd’êtrecumulatives.
Enfait, leschosespeuventêtrepluscompliquées.Ilpeutarriverquedestauxd’intérêt
basaillentdepairavecunengagement financiercourtetvice‐versa.Celasignifiequ’il
faut dissocier les effets de variations des taux d’intérêt de ceux produits par des
variations des moyens de financement disponibles. Cela ne signifie pas qu’il faille
privilégier l’existence d’une contrainte d’encaisses nominales au demeurant
improbable24, mais qu’il convient de prendre en considération les conditions de
l’allocation inter‐temporelledesmoyensde financementou, plus exactement, la façon
dontjouelacontraintedefinancementaucoursdutemps.25
Sans doute, suivant cette perspective, il n’y a pas deplace pour la préférencepour la
liquiditéentenduecommeétantlechoixdedétenirdelamonnaieplutôtquedestitres,
autrementditcommeunethésaurisation.Letauxd’intérêtn’estpaslesimplefruitdecet
arbitrage,maisrenvoieauxconditionsdefinancement.Enfait,ilimportedereconnaître
que la préférence pour la liquidité procède, non d’un choix ponctuel entre actifs
substituables, mais d’un choix séquentiel consistant, dans un contexte d’information
incomplète, à préserver la gammede choix futurs la plus large possible alors que les
décisionsd’investissementenactifsréelssontirréversibles(Hicks1974).Cetteliquidité
est la propriété d’actifs financiers qui ne sont ni des actifs circulants ni des actifs
spéculatifs, mais sont des actifs de réserve mobilisables pour réaliser les
investissements en actifs réels au moment opportun et dans le montant voulu, qu’il
s’agisse d’actifs liquides ou d’une capacité assurée d’emprunt. Une entreprise sera
d’autantplusliquidequ’elledétientunecapacitéd’empruntetlabanquepourraaffecter
l’investissement bien plus par ce canal qu’en faisant varier son taux d’intérêt. Il n’y a
guère, en l’occurrence, de différence entre une économie de crédit (ou économie à
découverts) et une économie demarchés financiers (ou économie de fonds propres)
24Cequefont,malencontreusement,certainsmodèlestelsqueceluideClower(1967)conduisantàfairedel’échangemonétairelacausededéfautsdecoordination,lesquelsn’existentpas,parhypothèse,encasdetrocparfait.25VoirsurcepointAmendola(1991),AmendolaetGaffard(1998).Pollin(2000,2005)
19
puisque ce qui est déterminant endernier ressort c’est la capacité des entreprises de
drainerdesfondspourrépondreaubesoind’investir,quecesoitparémissiond’actions
ouparempruntauprèsdesbanques.26
L’interactionainsianalyséeentrephénomènesréelsetmonétaires,entreactifsréelset
financiers ne peut que conduire à remettre en cause l’un des piliers de l’analyse de
Wicksellàsavoirl’existenced’untauxd’intérêtnaturel,autrementditd’untauxdeprofit
qui serait indépendantdes comportementsmonétaires et financiers, existencedont le
corollaireest,évidemment,l’existenced’unéquilibrestrictementréeldelonguepériode.
C’est ce qu’a fait Keynes si l’on en croit Hicks. «Ce qui doit être comparé au taux
d’intérêt du marché ce n’est pas le taux d’intérêt réel de Wicksell, mais l’Efficacité
MarginaleduCapital,influencéenonseulementparlesfacteursréelsdeWicksell,mais
aussipar les anticipationsdeprix et,même,plus généralement, par l’étatd’espritdes
entrepreneurs» (Hicks 1977 p. 66). Hicks retrace, pour sa part, ce que peut être le
fonctionnementd’uneéconomieendéséquilibrecaractériséepardesvariationsdesprix
desbienscapitauxetdesbiensdeconsommation,desvariationsdessalairesnominaux
et l’interaction entre le taux d’intérêtmonétaire et ce qu’il dénommeun pseudo taux
naturelquiestlui‐mêmeunevariablemonétaireetdépenddesanticipations(ibid.).27
Laquestiondesmouvementsdeprix et de salaires, absentede l’analyse keynésienne,
revientainsisurledevantdelascène.Mais,alorsquedanslaperspectivemonétariste
repriseparlesnouveauxclassiques,prixetsalairesdoiventêtreflexibles,l’opportunité
deleurrelativerigiditéliéeaumodedefonctionnementdesmarchésretrouveunsens.
«Cette ‘rigidité’ n’est pas une question d’illusion monétaire, c’est une question de
continuité»(Hicks1974p.108).Desprixetsalairesexcessivementflexiblesnepeuvent
qu’entamer la crédibilité du calcul économique, réduire l’horizon temporel des
entreprisesetengendrerunprocessuscumulatif.
26IlrevientàGoodhart(1984)etàMoore(1988)citésparLavoie(1992)demontrerquelesdeuxtypesd’économieintroduitsparHicks(1974)nesecomportentpasdifféremmentsignifiantquelesanalysesdeLe Bourva ont une portée théorique générale et ne sont pas cantonnés à une situation institutionnelleparticulière.27LeBourvas’estsouventouvertdelanécessitéd’abandonnerl’idéed’untauxdeprofitquiseraituntauxintrinsèque de rentabilité du capital, en fait le taux d’intérêt naturel de Wicksell, distinct du tauxmonétaire,impliquantderenouvelerlathéoriedelarépartitionensuivantlespasdeJoanRobinsonetdeproposeruneexplicationdutauxdeprofitqui le feraitdépendreenpartiedutauxd’intérêtfixépar lesbanques,autrementditd’unevariablemonétaire.
20
Pourquel’inflationsoitmodéréeetnoncumulative,lesagentsprivésdoiventavoirdes
anticipations inélastiques qui proviennent de leur capacité cognitive à déterminer les
véritablescausesdel’inflationetdelacapacitédesautoritésmonétairesàêtreenphase
avec les besoins de l’économie. Bien que réagissant aux déséquilibres demarché, les
entreprisesdéterminentlesprixenseprojetantdanslefutur.Unerelativerigiditédans
la formation des prix est susceptible de permettre que les anticipations soient
inélastiques au lieu de constituer la source d’un biais inflationniste. Porteuse de
modération des tensions inflationnistes, elle est garante d’une capacité de croissance
relativement équilibrée de l’économie dans le futur. La justification rationnelle en est
quelesdéséquilibrescourantsdemarchénecommuniquentpaslesbonssignauxetqu’il
est de ce fait préférabled’attendrededisposerdeplusd'information avantd'engager
des changements de prix qui auront des effets sur l'investissement et les coûts. Les
rigiditésnominales,loindeconstituerl’originedesdéséquilibres,constituentunmoyen
de prévenir que ces déséquilibres soient cumulatifs. En effet, le signe des demandes
excédentaires effectives peut différer de celui des demandes notionnelles
(walrasiennes) (Leijonhufvud1992/2000p. 46). Les variations de prix ou de salaires
qui en résultentn’irontpasnécessairementdans lebonsenset leseffets serontalors
d’autantplusdommageablesquecesvariationsserontplusfortes.Ilyabeletbien,dans
cecontexte,uncoûtdechangementdeprix.C’est lecoûtencourudufaitdevariations
inappropriéesdesprixquienjustifierationnellementlarigidité.28
Il revient aux autorités financières de permettre aux entreprises de contenir les
déséquilibresauxquelsilauraitétéerronéderépondrepardesvariationsexcessivesdes
prix. Ne pas réagir brutalement à des tensions finalement modérées sur les prix qui
résulteraientdedépensesd’investissementdestinéesàpallierl’insuffisancedecapacité
fait partie de la solution. De même qu’en font partie les mesures qui favorisent le
28Aceproposundébatquipeutsemblerirréalisteaprisplacequiopposentceuxquifontdesprixfixeslacause des tendances inflationnistes et ceux qui, au contraire, dénoncent les effets d’une trop grandeflexibilité.Suivant lespremiers,desprixparfaitement flexiblessontassociésàuntauxd’inflationstablelui‐même déterminé par la quantité demonnaie en circulation. Ces prix parfaitement flexibles ne sontjamaisexcessivementvolatilespourlaraisonqu’ilexisteunespéculationnécessairementstabilisante(onachète bas et vend haut) et parce que les données fondamentales changent lentement. Ils évoluent aumêmerythmequel’indicepuisqu’iln’yaaucunefriction.Lavariabilitédutauxd’inflation,préjudiciableàl’allocation des ressources, est alors le fruit de rigidités ou de viscosités qui sont responsablesd’ajustements intermittentsetspasmodiques.(Woodford2003).Suivant lesseconds,desprix visqueuxconstituent un ancrage qui aide à stabiliser l’économie alors que des prix excessivement flexibles eterratiques font que la stabilité inter‐temporelle est détruite, créant possiblement les conditions d’uneforteinflationquivadepairavecdesdestructionsinappropriéesdecapacité,ladisparitiondesmarchésinter‐temporelsetleraccourcissementdel’horizontemporeldesagents(HeymannetLeijonhufvud1996)
21
déploiement d’un capital patient, qu’il s’agisse de l’organisation des relations entre
banques et entreprises non financières ou des conditions de gouvernance de ces
entreprises.
Quandlesconditionsd’uneadaptationréussieàunenouvelledonneprévalent,enpartie
enraisondel’actiondesautoritésfinancières,l’inflationnesedéveloppepascommeune
promenade aléatoire et les changements courants ne sont pas extrapolés. Les
anticipationsdeprixsonteffectivementinélastiques.L’inflationdoitcréerlesconditions
desaproprelimitation.Encontribuantàéviterdesfluctuationsinappropriéesdesprix
etde l’investissement, lapolitiquedes autorités financièresest, alors, temporellement
cohérente.
5.Conclusion
L’analyse,dontlestravauxdeLeBourvafournissentlalignedirectrice,vérifiel’intuition
selonlaquelle«iln’estpassagedecontinueràlamanièredessuccesseursdeWicksell
(Lindahl et Myrdal) de convertir le modèle de Wicksell en un modèle sophistiqué
d’équilibre dans le temps, l’investissement courant dépendant des anticipations et
l’équilibre étant la condition dans laquelle les anticipations ne sont pas désavouées»
(Hicks 1977 p. 66). Le contraste est total avec l’analyse moderne qui se réclame de
Wicksellmais pour conclure que la politiquemonétaire doit amener le taux d’intérêt
monétaireauniveaudutauxnaturel,maisaussisegarderd’agirsurlesfluxdecréditet
d’affecter ainsi l’allocation des ressources, laquelle doit relever des variations de prix
aussiflexiblesquepossible(Woodford2002,2003).
Aussi est‐il question ici rien moins que de reprendre un filiation interrompue et de
proposerunrenversementpointparpointd’unethéoriemonétaireetd’unethéoriede
l’inflation issues du monétarisme non sans conseiller à ceux qui s’engageraient dans
cettevoied’éviter toutenfermementdansunechapelleetdeméditercettecitationde
SpinozarepriseàsoncompteparLeBourva(2000):«nepasrailler,nepaspleurer,ne
pasdétester,maiscomprendre».
22
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Documents De travail GreDeG parus en 2018GREDEG Working Papers Released in 2018
2018-01 Lionel Nesta, Elena Verdolini & Francesco Vona Threshold Policy Effects and Directed Technical Change in Energy Innovation 2018-02 Michela Chessa & Patrick Loiseau Incentivizing Efficiency in Local Public Good Games and Applications to the Quantification of Personal Data in Networks2018-03 Jean-Luc Gaffard Monnaie, crédit et inflation : l’analyse de Le Bourva revisitée