MISSION NOCTURNE - Decitre · toir : ne jamais accepter la première offre du client, et surtout ne...

7
PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-23/5/2011 13H57--L:/TRAVAUX/TEXTES/CALMANN/MISSION/TEXTE.438-PAGE5 (P01 ,NOIR) MISSION NOCTURNE Une aventure de Jill Kismet LILITH SAINTCROW Traduit de l’anglais (États-Unis) par Mélanie Fazi

Transcript of MISSION NOCTURNE - Decitre · toir : ne jamais accepter la première offre du client, et surtout ne...

Page 1: MISSION NOCTURNE - Decitre · toir : ne jamais accepter la première offre du client, et surtout ne jamais, jamais, commencer par plus de la moitié de ce qu’on est prête à donner.

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-23/5/2011 13H57--L:/TRAVAUX/TEXTES/CALMANN/MISSION/TEXTE.438-PAGE5 (P01 ,NOIR)

MISSIONNOCTURNE

Une aventurede Jill Kismet

LILITH SAINTCROW

Traduit de l’anglais (États-Unis)par Mélanie Fazi

Page 2: MISSION NOCTURNE - Decitre · toir : ne jamais accepter la première offre du client, et surtout ne jamais, jamais, commencer par plus de la moitié de ce qu’on est prête à donner.

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-23/5/2011 13H57--L:/TRAVAUX/TEXTES/CALMANN/MISSION/TEXTE.438-PAGE6 (P01 ,NOIR)

Titre original anglais :NIGHT SHIFT

A JILL KISMET NOVEL

Première publication : Orbit, Hachette Book Group, New York, 2008

Lilith Saintcrow, 2008

Pour la traduction française : Calmann-Lévy, 2011

COUVERTURE

Maquette : IcebergIllustration : Gene Mollica

ISBN 978-2-36051-032-0

Page 3: MISSION NOCTURNE - Decitre · toir : ne jamais accepter la première offre du client, et surtout ne jamais, jamais, commencer par plus de la moitié de ce qu’on est prête à donner.

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-23/5/2011 13H57--L:/TRAVAUX/TEXTES/CALMANN/MISSION/TEXTE.438-PAGE11 (P01 ,NOIR)

Prologue

— Asseyez-vous. Ici.Une chaise de bois isolée au milieu d’un plancher nu sous une

lumière fluorescente glaciale.Je m’installai prudemment, recourbai les doigts au bout des

accoudoirs et recommandai mon âme à Dieu.Enfin, je n’irais peut-être pas jusque là. Disons que je me

contentai de prier très, très fort.Il contourna la chaise d’un pas si léger qu’il n’émettait presque

aucun bruit sur le plancher. Mes armes et mon manteau repo-saient en tas près de la porte, et même l’unique couteau quej’avais gardé, à l’abri du fourreau attaché à ma cuisse, ne suffi-sait pas à me rassurer. J’étais enfermée dans une pièce avec untigre affamé qui marchait sans s’interrompre et se retournaitlégèrement à chaque pas.

Je ne bougeai pas.Je regardai plutôt à travers la pièce, laissant mes yeux se

perdre dans le vague. Pas assez pour me barricader dans ma tête– ce qui aurait signé mon arrêt de mort. Une chasseuse reste tou-jours sur le qui-vive, comme le répétait souvent Mikhail. Tou-jours. La moindre inattention est une invitation lancée à laMort.

Et la Mort adore ça.L’infernal devenait une ombre chaque fois qu’il passait devant

moi, dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, et jecommençais à me demander s’il allait revenir sur notre marché

11

Page 4: MISSION NOCTURNE - Decitre · toir : ne jamais accepter la première offre du client, et surtout ne jamais, jamais, commencer par plus de la moitié de ce qu’on est prête à donner.

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-23/5/2011 13H57--L:/TRAVAUX/TEXTES/CALMANN/MISSION/TEXTE.438-PAGE12 (P01 ,NOIR)

ou enfreindre l’accord. Mais bien sûr, il voulait justement que jeme pose cette question.

Attention, Jill. Ne te laisse pas démonter. Je déglutis et leregrettai aussitôt ; en le voyant marquer une pause infime, jedevinai qu’il avait remarqué le petit mouvement traître de magorge.

Je n’aime pas savoir qu’un infernal regarde fixement mon cou.Les amulettes nouées dans mes cheveux cliquetèrent quand le

métal béni réagit à la nuance de corruption infernale qui sedéversait dans l’éther. Celui-là était quelconque, alors que lesautres damnés sont magnifiques. Il était svelte, ordinaire, etdégageait une impression de faiblesse.

Mais il effrayait mon professeur. Il le terrifiait, même.Seuls les idiots n’ont pas peur des infernaux. Il n’y a pas de

honte à ça. Il faut apprendre à ne pas avoir honte de sa peur,sous peine qu’elle vous ralentisse. Et ça, on ne peut pas se lepermettre.

— Donc…Je faillis sursauter quand son haleine caressa mon oreille.

Chaude et charnelle, bien trop humide pour appartenir à unhumain. Il respirait tout contre moi, et ma chair se hérissa envagues concentriques sous l’effet de la révulsion. La chair de poulese déploya sur ma peau comme si des écailles s’y hérissaient.

— Voilà le marché.Ses mots exercèrent une pression d’une obscène tiédeur contre

ma peau nue. Quelque chose frôla délicatement mes cheveux etl’argent se mit à crépiter d’étincelles bleues. Un chuintementfrôla mon oreille, dont la peau me parut soudain bien trophumide.

Ce n’était pas moi qui transpirais. C’était son haleine qui secondensait sur moi.

Oh, mon Dieu. Une remontée de bile faillit m’étrangler. Je laravalai et me tins tranquille, alors que chaque muscle de moncorps me hurlait de bouger, de me casser d’ici.

— Je vais vous marquer, ma chère. Tant que vous porterezcette marque, vous aurez un portail imprimé dans la chair.À travers lui, vous pourrez puiser une énergie sorcière, et engrande quantité. Elle vous rendra plus forte, et plus rapide– comme aucun de vos collègues chasseurs ne l’a jamais été.

12

Page 5: MISSION NOCTURNE - Decitre · toir : ne jamais accepter la première offre du client, et surtout ne jamais, jamais, commencer par plus de la moitié de ce qu’on est prête à donner.

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-23/5/2011 13H57--L:/TRAVAUX/TEXTES/CALMANN/MISSION/TEXTE.438-PAGE13 (P01 ,NOIR)

Vous aurez l’avantage de la puissance brute en matière de sorcel-lerie, y compris cette camelote que les petits joueurs de votreespèce osent appeler de la magie.

L’infernal se tut. Une vague d’air froid caressa mon oreillehumide. Une goutte unique de condensation glissa le long de lacoquille de cartilage externe, se mit à grossir et me tortura en mechatouillant tel un doigt mort et flasque, descendant jusqu’àl’emplacement tendre et vulnérable où l’oreille rejoint le cou.

— J’irai même jusqu’à vous aider à défendre cette ville contreceux qui menaceraient sa tranquillité. C’est bon pour lesaffaires, la tranquillité, vous savez.

Un petit rire gargouillant frôla ma joue, charriant une haleinede charogne.

Je réussis à la boucler. « Ne dis rien tant qu’il ne t’aura pasoffert tout ce qu’il compte t’offrir, milaya. » Mikhail, toujoursde bon conseil. J’avais été formée, non ? Enfin, plus ou moins.J’étais chasseuse à part entière, et je tenais là l’occasion dedevenir… quoi au juste ?

De m’améliorer. C’était une occasion en or, et s’il estimait queje devais la saisir, je le ferais. Pas question de tout foutre en l’air.

Pas question de décevoir mon professeur.Alors tais-toi, Jill. Garde ton sang-froid.Je respirais toujours par la bouche ; l’air empestait l’infernal et

la corruption. Sentir ce goût sur ma langue m’horrifiait presqueautant que l’inspirer par le nez.

Je ne savais pas trop ce qui était pire.Quelque chose de dur et de râpeux comme la langue d’un chat

jaillit pour toucher le creux situé derrière mon oreille, déran-geant quelques mèches au passage. Si je n’avais pas été aussirésolue à ne pas bouger, avec tous les muscles verrouilléscomme la vieille caisse de Val, j’aurais sans doute sursauté.

Et alors, je serais morte.Mais la sensation s’effaça si vite que je doutai de l’avoir vrai-

ment éprouvée. Sauf que cette petite goutte de condensationavait bel et bien disparu, non ?

Et merde. Maintenant, je transpirais trop pour en être sûre.L’infernal éclata de nouveau de rire.— Très bien, petite chasseuse. Voilà le marché : vous porterez

ma marque et utiliserez son pouvoir comme bon vous semble.

13

Page 6: MISSION NOCTURNE - Decitre · toir : ne jamais accepter la première offre du client, et surtout ne jamais, jamais, commencer par plus de la moitié de ce qu’on est prête à donner.

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-23/5/2011 13H57--L:/TRAVAUX/TEXTES/CALMANN/MISSION/TEXTE.438-PAGE14 (P01 ,NOIR)

Une fois par mois, vous viendrez me rendre visite et vous pas-serez un moment avec moi. Ce sera tout – un petit momentchaque mois. Pour un usage exceptionnel du pouvoir que jevous accorde, vous devrez peut-être passer un peu plus de temps.Disons cinq ou six heures ?

L’heure était aux négociations. Je m’humectai les lèvres et leregrettai aussitôt, car ses yeux se braquèrent sur ma bouche.

— Une demi-heure. Maximum.Voilà au moins une leçon que j’avais apprise en faisant le trot-

toir : ne jamais accepter la première offre du client, et surtout nejamais, jamais, commencer par plus de la moitié de ce qu’on estprête à donner.

Parfois, on peut choisir qui vous achète et pour combien.C’est ça, le vrai pouvoir.— Vous m’offensez. (Mais l’infernal ne paraissait absolu-

ment pas offensé. Au contraire, il semblait ravi, tandis que saterne voix de ténor s’insinuait dans mon oreille.) Trois heures.Vous voyez comment je me montre généreux pour vous ?

C’est trop facile. Reste sur tes gardes.— Une heure par mois, deux maximum, et vous m’aiderez

sur mes enquêtes. C’est ma dernière offre, l’infernal, ou je mecasse. Je ne suis pas venue pour me faire entuber.

Pourquoi est-ce que j’étais venue, d’ailleurs ? Parce que Mik-hail me l’avait demandé.

S’agissait-il là d’une autre mise à l’épreuve que je venais derater, ou de réussir ? Et si je venais de franchir une limite quiallait me valoir une mort atroce ? C’est toujours délicat de mar-chander avec des infernaux ; en règle générale, les chasseurs secontentent de les tuer. Mais cette fois, rien d’aussi simple. C’étaitsoit une excellente idée, soit une sale façon de mourir.

Après un long silence retentissant, la pièce se mit à vibrercomme une bulle de savon. Un bourdonnement s’éleva, évo-quant une gigantesque nuée de mouches.

Le helletöng. La langue des damnés. Elle sous-tendait la sur-face du monde visible comme la graisse sous-tend la peau,ridant la tension de surface de ce qu’on essaie d’appeler le monderéel.

— D’accord, petite chasseuse. Marché conclu. Si vousacceptez.

14

Page 7: MISSION NOCTURNE - Decitre · toir : ne jamais accepter la première offre du client, et surtout ne jamais, jamais, commencer par plus de la moitié de ce qu’on est prête à donner.

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-23/5/2011 13H57--L:/TRAVAUX/TEXTES/CALMANN/MISSION/TEXTE.438-PAGE15 (P01 ,NOIR)

Ma gorge sèche et irritée me faisait l’effet d’un désert. Une touxtraîtresse menaçant de me trahir se changea en rire douloureux.

— Qu’est-ce que vous en tirez, Perry ?La matière sèche, écailleuse et baladeuse frôla de nouveau ma

peau et s’arrêta une fraction de seconde contre ma gorge, àquelques millimètres de l’endroit où battait mon pouls paniqué.Je n’ai jamais été foutue de ralentir les battements de mon cœur,Mikhail passait son temps à me mettre en garde…

— Parfois, nous aimons nous trouver du côté des anges. (Lavoix de l’infernal baissa jusqu’à un murmure qui aurait étéintime sans le grondement de l’Enfer perceptible juste en dessousde nous.) ça rend la fin plus douce. Et puis, la tranquillité, c’estbon pour les affaires. Alors, marché conclu, petite chasseuse ?

Et merde. Mikhail, j’espère que tu as raison. Si j’acceptais,ce n’était pas à cause de l’infernal, ni parce que l’idée d’une tellepuissance me tentait.

J’acceptais parce que Mikhail me l’avait demandé, même si ladécision m’appartenait. Ce n’était pas vraiment un marché dePactisant si j’agissais pour mon professeur, n’est-ce pas ?

N’est-ce pas ?— Marché conclu.Deux mots de rien du tout. Ils sortirent le plus naturellement

du monde, spontanément et sans à-coup.Des doigts brûlants, durs comme le fer, se refermèrent violem-

ment sur mon poignet droit.— Oh, parfait.Avec un petit claquement humide évoquant un bébé affamé à

la table du petit déj, il arracha mon bras de l’accoudoir etretourna l’intérieur tendre et pâle de mon poignet vers la froidelumière fluorescente. Mon cœur se mit à jouer les marteau-piqueurs, l’adrénaline tapissa mon palais desséché d’un goût decuivre, et je ravalai un cri.

Il était trop tard. Par ces deux mots de rien du tout, je venais designer un contrat.

J’allais maintenant savoir si Mikhail avait raison et si j’allaisconserver mon âme.