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1 Innovation Santé 2015 - Leem Recherche Innovation santé 2015 En quelques mots… Portée par les avancées considérables de la recherche et de la technologie, la médecine est en train de vivre une nouvelle révolution. La poursuite des progrès déjà engagés et les nouvelles possibilités offertes par les biotechnologies, la génomique, l’imagerie, les nanotechnologies, les thérapies cellulaires ou géniques permettent une prise en charge nouvelle des pathologies et suscitent d’immenses et légitimes espoirs. Des progrès thérapeutiques, encore inimaginables il y a quelques années, sont déjà à notre portée et ouvrent la voie à la médecine régénératrice : des grands brûlés sont sauvés grâce à la culture de quelques cellules de leur propre peau, des greffes de cellules souches vont pouvoir pallier les conséquences de la dégénérescence de certains neurones ou de dysfonctionnements musculaires. Des essais cliniques sont en cours, des entreprises se sont récemment créées pour porter les efforts sur ces thématiques. Cette médecine de demain sera une médecine plus personnalisée, centrée sur le patient et organisée autour de lui, avec une prescription individualisée grâce à la pharmacogénomique et à des thérapeutiques ciblées, une nouvelle vision de la maladie fondée sur des mécanismes physio-pathologiques et sur la réponse thérapeutique globale et non plus sur la seule étude d’un organe. Le développement des vaccinations, l’identification de biomarqueurs et le développement de tests prédictifs afin d’identifier les personnes les plus à risques permettront d’agir plus tôt et plus efficacement et donneront un nouvel essor à la médecine préventive. Le traitement des maladies psychiatriques ou neurodégénératives comme l’Alzheimer, des maladies cardiovasculaires ou métaboliques comme l’obésité et le diabète, des maladies rares, pédiatriques, des cancers mais aussi des maladies infectieuses, resteront au cœur des enjeux de santé publique, tout comme les risques liés à l’environnement. Dans tous ces domaines, la France fait partie des acteurs clé. Ils doivent donc être des objectifs prioritaires. La médecine de demain sera aussi une activité de haute technologie. Un nouveau secteur économique à forte valeur ajoutée et peu délocalisable est d’ores et déjà en train de se créer dans d’autres pays. A côté des soignants, de multiples activités sont nécessaires : cohortes et biobanques, bioréacteurs

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    Innovation Santé 2015 - Leem Recherche

    Innovation santé 2015En quelques mots…

    Portée par les avancées considérables de la recherche et de la technologie,la médecine est en train de vivre une nouvelle révolution. La poursuitedes progrès déjà engagés et les nouvelles possibilités offertes par lesbiotechnologies, la génomique, l’imagerie, les nanotechnologies, lesthérapies cellulaires ou géniques permettent une prise en charge nouvelledes pathologies et suscitent d’immenses et légitimes espoirs.

    Des progrès thérapeutiques, encore inimaginables il y a quelques années,sont déjà à notre portée et ouvrent la voie à la médecine régénératrice : desgrands brûlés sont sauvés grâce à la culture de quelques cellules de leur proprepeau, des greffes de cellules souches vont pouvoir pallier les conséquencesde la dégénérescence de certains neurones ou de dysfonctionnementsmusculaires. Des essais cliniques sont en cours, des entreprises se sontrécemment créées pour porter les efforts sur ces thématiques.

    Cette médecine de demain sera une médecine plus personnalisée, centréesur le patient et organisée autour de lui, avec une prescription individualiséegrâce à la pharmacogénomique et à des thérapeutiques ciblées, une nouvellevision de la maladie fondée sur des mécanismes physio-pathologiques etsur la réponse thérapeutique globale et non plus sur la seule étude d’unorgane. Le développement des vaccinations, l’identification de biomarqueurset le développement de tests prédictifs afin d’identifier les personnes lesplus à risques permettront d’agir plus tôt et plus efficacement et donnerontun nouvel essor à la médecine préventive.

    Le traitement des maladies psychiatriques ou neurodégénératives commel’Alzheimer, des maladies cardiovasculaires ou métaboliques comme l’obésitéet le diabète, des maladies rares, pédiatriques, des cancers mais aussi desmaladies infectieuses, resteront au cœur des enjeux de santé publique, toutcomme les risques liés à l’environnement. Dans tous ces domaines, laFrance fait partie des acteurs clé. Ils doivent donc être des objectifs prioritaires.

    La médecine de demain sera aussi une activité de haute technologie. Unnouveau secteur économique à forte valeur ajoutée et peu délocalisable estd’ores et déjà en train de se créer dans d’autres pays. A côté des soignants,de multiples activités sont nécessaires : cohortes et biobanques, bioréacteurs

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    et unités de traitement des cellules souches, plates-formes logistiquesmultidisciplinaires, contrôles de qualité, biomatériaux, biomédicaments,nanomédicaments et médicaments issus de la biodiversité, gestion debases de données et bioinformatique, entre autres exemples.

    Les indicateurs globaux de la recherche et de l’innovation dressent de larecherche française un portrait inquiétant. La France possède néanmoinsdes atouts indéniables : une recherche publique de haut niveau avec deséquipes reconnues dans la compétition internationale, une recherche cliniquestructurée, des infrastructures déjà en partie constituées (banques decellules et de tissus, cohortes, centres d’imagerie, centres d’investigationclinique, accès privilégié à une grande biodiversité…), ainsi qu’uneorganisation des acteurs à même de faciliter la mise en œuvre deprogrammes pluridisciplinaires et de partenariats entre public et privé(agences publiques, pôles de compétitivité et cancéropôles, réseauxthématiques, associations de patients…).

    La compétition internationale est vive. Pour que la France soit dans lacourse et puisse répondre aux attentes de nos concitoyens en matière desanté publique, mais aussi d’indépendance sanitaire et de capacité de défenseface aux maladies émergentes et au bioterrorisme, il est impératif d’assurerdès aujourd’hui un effort financier important, mais ciblé et cohérent, ens’appuyant sur les complémentarités entre recherche publique et privée.

    Issu d’une fructueuse collaboration entre les organismes de recherche publiqueet les entreprises du médicament, réunis au sein du Leem Recherche, cetouvrage souhaite attirer l’attention sur l'ampleur des défis qui engagentl'avenir de la France et sur l'urgence de réponses ambitieuses et espèreéclairer les débats et les décisions du nouveau gouvernement.

    C’est pourquoi l’ensemble des acteurs des sciences du vivant demande unplan d’action global « Innovation Santé 2015 », bâti autour des propositionssuivantes :

    1. Augmenter considérablement l’effort de recherche publique, pourdévelopper une recherche fondamentale de pointe, source indispensableà l’innovation, et évaluer les résultats ;

    2. Faire de l’ensemble des sciences du vivant, sciences pour la vie, unepriorité clairement identifiée, notamment en médecine humaine etvétérinaire et en santé publique ;

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    Innovation Santé 2015 - Leem Recherche

    3. Focaliser les moyens financiers sur les domaines thérapeutiques où laFrance est compétitive ;

    4. Investir dans les infrastructures et les outils indispensables, développerdes plates-formes pluridisciplinaires ;

    5. Faciliter le renforcement de la recherche privée et aider la créationd’entreprises de haute technologie et de services autour des sciencesde la vie humaine et animale ;

    6. Adapter les formations, notamment pharmaceutiques, scientifiques,médicales et vétérinaires ;

    7. Assurer l’information des citoyens et permettre le débat ;

    8. Faire évoluer le cadre législatif et réglementaire pour ne pas pénaliserchercheurs et entrepreneurs, avec la révision attendue de la loi deBioéthique.

    L’innovation de demain, la médecine de 2015 et la place de la France sepréparent dès 2007. Les enjeux sont immenses et sont aussi bien éthiques,scientifiques, sociétaux, économiques et industriels que de santé publique.

    En cet automne 2007, les contraintes du financement à court terme desdépenses de santé occupent à juste titre les esprits, mais ne sauraient faireoublier la responsabilité de préparer l’avenir.

    Après de longues années de discrétion du discours politique au plus hautniveau sur la politique scientifique, l’ambition du défi que nous demandonsau nouveau Président de la République de relever est à la hauteur del’enthousiasme et de la volonté des acteurs de l’innovation en santé.

    Cet ouvrage, rédigé sous l’égide du Conseil Scientifique du Leem Recherchedresse un état des lieux de la situation de la recherche française, expliciteles principales avancées scientifiques et technologiques et leursconséquences possibles à la en lumière des enjeux médicaux. L’analysedes principaux goulets d’étranglements, des priorités à prendre en compteet des points majeurs sur lesquels faire porter les efforts, permet ensuitede proposer les éléments d’un plan d’action.

  • 1 - La recherche en France : une accumulation deconstats inquiétants

    2 - Les avancées considérables de la recherche etde la technologie : une palette de nouveauxconcepts et de nouveaux outils au service de lamédecine

    3 - Des enjeux médicaux majeurs

    4 - Le passage du progrès scientifique au progrèsthérapeutique : des goulets d’étranglementbien identifiés

    5 - Investir dans les formations, les infrastructureset les organisations adaptées

    6 - Enjeux et propositions

    6 - Sigles et abbréviations

    . . . . . . . . . . . . . . page 5

    . . . . . . . . . . . . page 27

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 61

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    S O M M A I R E

  • La recherche en France en 2007 :une accumulation

    de constats inquiétants

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  • Au cours du siècle dernier, la recherche en sciencesdu vivant et la médecine françaises ont donné à notrepays une place prééminente dans le combat mondialcontre les maladies. Mais en ce début de XXIe siècle,

    alors que les avancées de la science mondiale soulèvent des espoirsimmenses, la France ne joue plus un rôle à la hauteur de son histoireet de ses capacités.

    En l’an 2000, les chefs d’Etat des pays de l’Union européenne se sontfixé comme ambition de faire de l’Europe de 2010 « l’économie de laconnaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde », avecl’objectif de consacrer d’ici 2010 au moins 3 % du PIB à la recherche.Or aucun progrès significatif n’a été observé dans l’Hexagone, quistagne toujours aux environs de 2,2 % du PIB consacré à l’ensemblede la recherche fondamentale et appliquée et au développementtechnologique. Pire, la France a reculé en dix ans de la cinquième à laonzième place des pays de l’OCDE en termes d’efforts de recherchepar rapport au PIB1.

    En 2005, le rapport Pébereau a pointé l’insuffisance des moyensconsacrés à la recherche et souligné qu’elle était d’abord à mettreau compte de la dégradation des finances publiques. Le budget de larecherche sert de variable d’ajustement. Au bilan, les dépenses publiquesde recherche ont diminué de 1993 à 2002, passant de 1 % à 0,8 % duPIB2. C’est l’attitude frileuse et peu courageuse d’un pays qui renonceà préparer l’avenir. Cette moindre participation du secteur public n’apas été pas compensée par une intensification de l’effort de recherchedes entreprises, autour de 1,2 % du PIB, soit une contribution nettementinférieure à celle des pays les plus innovants.

    LA RECHERCHE EN FRANCE :UNE ACCUMULATION DE CONSTATS INQUIÉTANTS

    SYNTHÈSE

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    1 - Perspectives de la science, de la technologie et de l’industrie, OCDE, édition 2006

    2 - Pébereau M. « Rompre avec la facilité de la dette publique », rapport au ministre de l’Economie,des Finances et de l’Industrie, 2005

  • Les rapports et études de toutes sortes se multiplient pour dressertoujours le même constat inquiétant sur le décrochage de la recherchefrançaise.Selon les critères internationaux de classement des performances enrecherche scientifique, la France ne figure pas dans le peloton de têtedes pays industrialisés. Elle a perdu du terrain par rapport aux Etats-Unis, au Japon, à l’Allemagne, au Royaume-Uni.La part de la France dans le volume mondial des publications est enbaisse depuis plusieurs années3. Les classements qualitatifs la mettenten queue du peloton, même si heureusement quelques centresd’excellence ressortent des comparaisons internationales.Concernant les brevets, la France a une position en apparenceflatteuse, sa part de dépôts de brevets européens et américainsn’étant dépassée que par les Etats-Unis, le Japon et l’Allemagne. Maispar rapport à sa population active, elle produit deux fois moins debrevets que l’Allemagne. Globalement, la valorisation de la recherchepublique reste un point faible, les partenariats publics privés sont trèsinsuffisants et la France ne tire pas des programmes européens lebénéfice qu’elle devrait.

    L’insuffisance de la recherche française est lourde de conséquencessur la santé de l’économie. La capacité d’un pays à innover est devenueun facteur essentiel de sa compétitivité. L’économie du XXIe sièclesera une économie de la connaissance. Les emplois créés dépendrontdu niveau de l’investissement en formation et en recherche scientifiqueet technologique. La Recherche et Développement (R&D) privéepâtit de la faiblesse des financements publics comme du manqued’attractivité d’un système français bien peu lisible.

    Les sciences du vivant sont officiellement une priorité de la recherchepublique française depuis 1999. Mais, comme l’a souligné le rapport dela Cour des comptes de mars 2007, cette déclaration solennelle,

    3 - Observatoire des sciences et des technologies. Key figures on sciences and technology, 2006

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  • réaffirmée de façon répétée, n’a quasiment pas été suivie d’effet.L’importance de ce secteur est depuis devenue une évidence pourl’opinion publique, consciente des avancées récentes de la biologie etdes impacts non seulement scientifiques, mais également industriels,médicaux, éthiques et sociaux. En revanche, les pouvoirs publics nedonnent pas l’impression d’avoir pris la mesure des enjeux et peinentà fixer de bien timides objectifs.

    Pendant ce temps, compte tenu de l’importance stratégique dessciences du vivant, la plupart des grands pays scientifiques ont choiside consacrer un effort financier important à ce secteur prioritaire.Etats-Unis, Royaume-Uni, Allemagne ont fait un effort bien supérieurà celui de la France, qui se trouve de plus en plus distancée. Sanscompter les puissances émergentes comme la Chine et l’Inde, ou dansune moindre mesure le Brésil, qui investissent fortement en R&D.

    En biotechnologie en particulier, la position de la France n’est pasbrillante malgré quelques réformes qui ont amélioré la situation desentreprises et une reprise toute récente des financements. Ellen’occupe que le troisième rang en Europe, avec 260 entreprises pour400 au Royaume-Uni, et surtout quatre fois moins d’emplois créés.80 % des biomédicaments en développement sont américains, un seulfrançais sur 670 molécules4. Seules 4 entreprises sont cotées enbourse en 2005 et leur capitalisation boursière est relativement faible.

    Tous les clignotants sont au rouge. La France était il y a une cinquantained’années un leader mondial de la recherche en sciences du vivant.Depuis, malgré de bonnes paroles et quelques réformes, la place dela France dans la compétition internationale n’a cessé de se dégrader.Pour autant, aucun seuil irréversible n’a heureusement été franchi.

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    4 - Rapport sur la place des biotechnologies en France et en Europe, OPESCT, Jean-Yves LE DEAUT,Député, 27 janvier 2005.

  • En recherche fondamentale, en recherche clinique comme dans lesecteur privé, la France possède encore quelques positions fortes.

    Pour éviter de devenir un acteur de second plan dans un secteuréconomique aussi stratégique, une impulsion forte en faveur dessciences du vivant et des biotechnologies est indispensable.L’ensemble de la chaîne est concerné, de la recherche fondamentaleau développement clinique, en passant par la recherche translationnelleou technologique. Un effort ponctuel en faveur d’un acteur n’est passuffisant. Universités, laboratoires de recherche publique, grandesentreprises, PME ou jeunes pousses, usines de bioproduction doiventbénéficier d’un élan partagé.

    Le présent livre blanc vise donc à sensibiliser l'ensemble des partiesprenantes à l'ampleur des défis qui engagent l'avenir de la recherchefrançaise dans les sciences du vivant et à l'urgence de réponsesambitieuses, qui soient à la hauteur de cet enjeu national majeur.

    1-1 La France ne tient pas les engagements pris à Lisbonne1-2 Les signes de décrochage de la recherche française1-3 Les faiblesses de la valorisation1-4 Les conséquences négatives sur l’économie française1-5 Un territoire faiblement attractif1-6 La place insuffisante des sciences du vivant1-7 Les efforts des autres pays1-8 Un objectif partagé : accroître la recherche privée1-9 Biotechnologies : le retard français1-10 Une politique globale est indispensable pour relever le défi

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    SOMMAIRE

  • Figure 1 : Dépenses de R&D en pourcentage du PIB entre 1991 et 2004

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    La France est un grand pays scientifique, riche d’un passé brillant, d’hommes et de femmesmondialement célèbres, de belles avancées conceptuelles et de grandes réussitestechnologiques.

    Après la seconde guerre mondiale, Pierre Mendès France puis le Général de Gaulle se sontinvestis dans la construction d’une puissante recherche publique, acte majeur de l’actiongouvernementale.Au cours du siècle dernier, la recherche en sciences du vivant et la médecine françaises ontdonné à notre pays une place prééminente dans le combat mondial contre les maladies.Mais en ce début de vingt et unième siècle, alors que les avancées de la science mondialesoulèvent des espoirs immenses, la France ne joue plus un rôle à la hauteur de son histoireet de ses capacités.

    1.1.La France ne tient pas

    les engagements pris à Lisbonne

    En l’an 2000, les chefs d’Etat des pays de l’Union européenne se sont fixé comme objectif defaire de l’Europe de 2010 « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plusdynamique du monde ». Un objectif ambitieux, appuyé sur un indicateur simple : consacrerd’ici 2010 au moins 3 % du PIB à la recherche.

    Or, malgré les engagements répétés du Président Jacques Chirac, aucun progrès significatifn’a été observé. La France stagne toujours aux environs du niveau de 2000, soit 2,2 % du PIBconsacré à la recherche fondamentale et appliquée et au développement technologique.Selon le dernier rapport de l’OCDE5, ce taux a même régressé, passant de 2,28 % en 2003 à2,16 % en 2004, comme le montre la figure ci-dessous.

    5 - Perspectives de la science, de la technologie et de l’industrie, édition 2006.

    Suède 3,98

    Finlande 3,48

    Japon 3,15

    Corée 2,63

    France 2,16

    1,5

    2

    2,5

    3

    3,5

    4

    4002999159911991

    %

    Suède Finlande Japon Corée France

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    La France est ainsi passée en dix ans de la cinquième à la onzième place au sein de l’OCDE,avec un effort qui a décru, alors que de nombreux pays augmentaient leur niveau d’investissementpendant cette période.Ainsi, les meilleurs élèves de l’Europe sont au Nord, avec un taux de 3,98 % en Suède et de3,48 % en Finlande en 2004. L’Allemagne est à 2,5 %, le Japon à 3,15 % du PIB.

    En 2005, le rapport Pébereau pointait déjà l’insuffisance des moyens consacrés à larecherche et soulignait qu’elle était d’abord à mettre au compte de la dégradation de lasituation des finances publiques. Le budget de la recherche sert en effet de variabled’ajustement, et est malheureusement servi en dernier lors des choix budgétaires. Au bilan,les dépenses publiques de recherche ont diminué de 1993 à 2002, passant de 1 % à 0,8 %du PIB6. C’est l’attitude frileuse et peu courageuse d’un pays qui renonce à préparer l’avenir.

    A-t-on oublié en chemin la stratégie dite de Lisbonne ? Alors que 2010 approche à grandspas, est-il encore possible de respecter l’engagement d’un taux de 3 % du PIB consacré àla recherche en France ?

    Comparer les budgets investis globalement n’est certes pas inutile, mais n’est pas non plustrès pertinent sans une analyse des secteurs privilégiés par chaque pays. En effet, la recherchemilitaire et les programmes technologiques occupent en France une place nettement plusimportante que dans la plupart des autres pays, ce qui laisse d’autant moins de place à larecherche publique, comme le collectif « Sauvons La Recherche » le rappelle avec justesse7.

    L’Europe dans sa globalité se laisse dramatiquement distancer. Le retard par rapport auxEtats-Unis se creuse, alors que l’objectif était de mettre un grand coup de collier pour lecombler : entre 2000 et 2003, 4 % de croissance des dépenses de R&D outre-atlantiquecontre 2,3 % en Europe, presque deux fois moins...

    Pendant ce temps, la Chine progresse de façon extraordinaire. Elle consacre une partchaque année plus importante de son PIB à une recherche qui commence à compter sur lascène internationale et offre aux chercheurs des conditions de travail très attractives. Voiciun pays qui a une vision stratégique cohérente et qui sait se donner les moyens de sesambitions.

    6 - Pébereau M. « Rompre avec la facilité de la dette publique », rapport au ministre de l’Economie, desFinances et de l’Industrie, 2005

    7 - Le Monde du 8 mars 2007.

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    1.2.Les signes de décrochage de la recherche française

    Dans les années soixante-dix, la recherche fondamentale française était considérée commedynamique et la France tenait un rang honorable parmi les grandes nations. Ce temps estrévolu, et la « crise des chercheurs » de 2004 a clairement montré que le secteur traverseune période de déstabilisation et de doute très sérieux. L’unanimité des voix qui se sont faitentendre, de tous domaines et de tous niveaux, démontre l’existence d’un malaise de fond,qui demeure à l’heure actuelle.

    Si l’insuffisance conjoncturelle des moyens fait évidemment consensus, d’autres élémentsplus structurels sont régulièrement dénoncés avec force : inconstance des budgets, absenced’engagement stratégique et de perspective à moyen terme, défaut de pilotage, faiblecohérence avec la politique européenne, émiettement des structures de recherche publique,absence de masse critique.

    Autre travers français, si le nombre de chercheurs augmente un peu, les budgets de recherchene suivent pas suffisamment en proportion. Chaque chercheur dispose donc de moins enmoins de moyens pour travailler : entre 1997 et 2003, le nombre de chercheurs publics aaugmenté de 1,6 % par an, mais, dans le même temps, le budget scientifique par chercheura régressé de 1,9 %8. Et, d’après le dernier rapport de l’inspection générale des finances9,la dépense pour un chercheur du CNRS est de 30 % inférieure à celle d’un chercheur del’Institut Max-Planck, son équivalent allemand.

    Dans certains secteurs, la situation devient absurde, particulièrement dans celui dessciences de la vie, où la masse salariale représente une part du budget global très significative,de l’ordre de 80 %, bien supérieure à celle observée dans les autres pays.

    Rapports et études de toutes origines se multiplient pour dresser toujours le même constatinquiétant sur la situation française, au niveau sectoriel comme au niveau global. Et même siles biais de certaines études sectorielles peuvent être critiqués, les comparaisons internationalesglobales font l’unanimité. Et dans ce domaine, dès que l’on sort du village gaulois, lesclassements mondiaux, comme le classement de Shanghai, ne sont guère favorables à laFrance.

    Les classements internationaux des performances en recherche scientifique reposentgénéralement sur deux paramètres ; la production brute de savoir scientifique, c’est à direle nombre de publications, et l’impact des travaux sur l’ensemble de la communautéscientifique, c’est à dire le nombre de citations. Sur ces deux indices, la France est en recul.

    8 - Futuris 2006, « La recherche et l’innovation en France », sous la direction de Jacques Lesourne et DenisRandet, éditions Odile Jacob

    9 - Rapport sur la valorisation de la recherche, supervisé par Henri Guillaume, janvier 2007.

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    La part de la France dans le volume mondial des publications est ainsi en baisse depuisplusieurs années, de 5,3 % en 1998 à 4,8 % en 200310. La France ne figure plus dans le pelotonde tête des pays industrialisés. Elle a même reculé par rapport aux Etats-Unis, au Japon, àl’Allemagne, au Royaume-Uni.

    Mais publier en quantité ne suffit pas, pour peser dans la recherche internationale, il fautêtre lu et utilisé, c’est à dire être cité par d’autres auteurs. La qualité de la recherches’évalue donc principalement avec un indice qui mesure le nombre de citations par article.La position de la France n’est guère brillante, avec un taux calculé de 0,92 : toute l’Europedu Nord nous dépasse, y compris la Belgique avec un taux de 0,96. Les Etats-Unis demeurentloin devant à 1,49.

    De grandes différences s’observent toutefois entre les disciplines de recherche. Si l’indicateurfrançais est particulièrement faible en recherche médicale (0,82 citations par article), laFrance est mieux placée en biochimie, biologie moléculaire et cellulaire, ou encore enmicrobiologie par exemple. En revanche, pour un domaine traditionnellement fort commel’onco-hématologie, le classement n’est pas satisfaisant, avec un indice d’impact qui ne metla recherche française qu’au douzième rang mondial.

    La France est au-dessus de la moyenne en biologie appliquée et en mathématiques. Maismême dans ces deux domaines d’excellence, elle reste loin des meilleurs pays.

    10 - Observatoire des sciences et des technologies. Key figures on sciences and technology, 2006.

    Figure 2 : Indice global d’impact de la recherche en 2002Source : observatoire des sciences et des technologies

    1,49

    1,21 1,16 1,12 1,08 1,05 1 0,96 0,92 0,89

    0

    0,2

    0,4

    0,6

    0,8

    1

    1,2

    1,4

    1,6

    Etats-Unis AllemagneDanemarkPays-Bas Royaume-Uni

    ItalieFranceBelgiqueFinlandeSuède

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    Innovation Santé 2015 - Leem Recherche

    Un rapport du CNRS11 vient d’établir le classement des établissements français selon leurproductivité sur 10 ans, de 1996 à 2006, selon ces deux critères, quantitatif et qualitatif. Ilmontre que tout n’est pas sombre, heureusement. La France abrite encore de nombreuxcentres d’excellence qui tiennent bien leur rang dans leur discipline.

    Autre point de faiblesse, la faible lisibilité du système français est sûrement un handicapdans l’évaluation internationale des organismes de recherche. Les chercheurs sont éparpillésentre diverses structures de rattachement, ce qui fausse les classements. Mais il est clairque le manque de taille critique et la dispersion des efforts sont des handicaps dans denombreux domaines, et tout particulièrement en biologie et recherche clinique.

    1.3.Les faiblesses de la valorisation de la recherche

    Un indice classique pour juger de la qualité de la valorisation de la recherche concerne ledépôt de brevets. Dans ce domaine, la France semble avoir une position en apparencemeilleure, sa production de dépôts de brevets européens et américains n’étant dépasséeque par celle des Etats-Unis, du Japon et de l’Allemagne. Mais il faut relativiser : par rapportà sa population active, elle produit deux fois moins de brevets que l’Allemagne.

    En outre, les Français déposent peu de brevets dans les domaines clés du XXIe siècle, quesont les technologies de l’information et de la communication et les biotechnologies. 4%seulement des brevets français concernent les biotechnologies contre 8% aux Etats-Unis et10% au Canada.

    De plus, la France n’est plus qu’au dixième rang de l’OCDE pour la production de brevets« triadiques », ceux qui sont déposés simultanément en Europe, aux Etats-Unis et au Japonet protègent donc des avancées majeures.

    Et, plus inquiétant encore, la croissance du nombre de brevets triadiques déposés est bienmoindre chez nous que dans la plupart des pays développés, comme le montre la figuresuivante :

    11 - « Evaluation bibliométrique des établissements français », réalisé à partir des chiffres de la banque dedonnées américaine ISI-Thomson. Mars 2007.

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    Figure 3 : Evolution du nombre de dépôts de brevets triadiques

    (Europe, USA, Japon) entre 1990 et 2002 selon l’OCDE

    Autre point de faiblesse, la valorisation de la recherche publique : si globalement les laboratoirespublics déposent plus de brevets qu’il y a dix ans, le montant des redevances perçues necesse de baisser, notamment en raison de l’expiration des brevets détenus par le CNRS surdeux médicaments-phares, le Taxotere® (Sanofi-Aventis) et Navelbine® (Pierre Fabre). Al’heure actuelle, les revenus de la propriété intellectuelle ne représentent au total que 1 %de la dépense publique de recherche en France contre 5 % aux Etats-Unis12.

    Cependant, les brevets ne sont pas la seule voie de valorisation économique de la recherche.Le rapport Guillaume déjà cité déplore la stagnation globale des partenariats entre laboratoirespublics et entreprises, dont le volume global n’a pas fondamentalement augmenté depuis1992, malgré la multiplication de mesures d’incitation. Les contrats sont concentrés dansles structures dont c’est la vocation, comme le CEA et les écoles d’ingénieurs, mais ennombre trop insuffisant ailleurs.

    Ce moindre recours français au partenariat public-privé se traduit aussi par une faibleparticipation des équipes de recherche française aux programmes européens qui imposentdes collaborations avec les entreprises. Les inspecteurs ont calculé que, si le retard françaisse poursuit pour le 7e Programme Cadre Européen de Recherche et Développement (PCRD),« le manque à gagner pour la France sera de plus de 1 milliard d’euros par rapport à leurshomologues allemands et de plus de 500 millions par rapport aux laboratoires britanniques. »

    12 - Rapport sur la valorisation de la recherche, supervisé par Henri Guillaume, janvier 2007.

    + 296%

    + 107%

    + 77%

    + 70%

    + 64%

    + 63%

    + 41%

    + 33%

    + 28%

    0 50 100 150 200 250 300

    France

    Japon

    Royaume-Uni

    Pays-Bas

    Etats-Unis

    Danemark

    Allemagne

    Suède

    Finlande

    %

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    1.4.Les conséquences négatives sur l’économie française

    Ces constats sont de mauvais augure pour l’avenir économique de la France. L’inadaptationde la recherche française, les insuffisances de la valorisation et plus généralement des relationsentre recherche publique et recherche privée sont lourdes de conséquences sur la santé del’économie française. La capacité d’un pays à innover est en effet un facteur essentiel de sacompétitivité. Or la France peine à transformer ses résultats scientifiques en innovations.

    La France a l’une des croissances économiques les plus faibles de l’OCDE, nettement inférieure,depuis 1991, à celles des Etats-Unis et des pays européens les plus dynamiques que sont,entre autres, la Suède, la Finlande, le Danemark ou le Royaume-Uni13. Selon le rapport deMichel Camdessus14, cette situation n’est pas conjoncturelle : « La France connaît un rythmede croissance durablement ralenti. Notre croissance potentielle, le rythme de croisière possiblede notre économie, est vouée à ralentir de 2,25 % aujourd’hui à 1,75 % à l’horizon 2015 parle simple effet du vieillissement de la population. »

    Cette situation n’a rien d’inéluctable… Mais l’affaiblissement de la position française en matièred’enseignement supérieur, de recherche et d’innovation ne va pas manquer d’aggraver cettelangueur alors qu’une vague de découvertes scientifiques et technologiques d’une ampleuret d’une rapidité inédites bouleverse profondément l’économie mondiale.

    Il est d’autant plus urgent de réagir que la compétition s’élargit : le problème n’est plusseulement de rattraper les Etats-Unis, ambition qui pouvait laisser place à la tentation des’abriter sous l’aile d’un allié, mais de résister à l’énorme montée en puissance des paysémergents, dont la Chine, l’Inde ou le Brésil, qui nous concurrencent désormais dans lessecteurs les plus avancés et les plus stratégiques. En 2000, près de la moitié des exportationsde la Corée du Sud ou de Taïwan sont des produits de haute technologie, un quart déjà pourla Chine15.

    La R&D des entreprises pâtit de la faiblesse de l’effort public de recherche. Les comparaisonsinternationales montrent ainsi l’insuffisance de la part privée de la recherche française. Ellereprésente plus de la moitié du total des dépenses de recherche, soit environ 1,2 % du PIB,mais cette contribution est nettement inférieure à celle des pays les plus innovants pourlesquels les entreprises apportent les deux tiers de la dépense de R&D. L’objectif de lastratégie de Lisbonne en matière de recherche privée est d’atteindre 2 % du PIB. Encore unindicateur qui stagne en France, même si la situation est contrastée d’un secteur industrielà l’autre.

    13 - Panorama des statistiques, OCDE 2006

    14 - Le sursaut. Vers une nouvelle croissance pour la France. Rapport au Ministre de l’Economie, des Financeset de l’Industrie, 2004

    15 - Conférence des Nations Unies pour le commerce et le Développement, (CNUCED), 2003.

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    Dans le domaine des sciences du vivant, les secteurs publics et privés ont encore moins derelations financières que dans la recherche scientifique dans son ensemble. En particulier,les crédits de l’Etat destinés aux entreprises ne représentent que 0,7 % du total de leursdépenses de R&D, contre 11 % en moyenne pour l’ensemble des secteurs. Public et privéinteragissent peu, ce qui n’est pas favorable à la valorisation des résultats de la recherche.

    L’impact sur l’emploi est particulièrement net : 3,8 chercheurs dans les entreprises françaisespour 1000 emplois, contre 10 en Finlande, 7,4 aux Etats-Unis, 7,1 au Japon et encore 6,4 enSuède.

    La faiblesse de la recherche privée en France est clairement une conséquence de l’ensembledes éléments que nous venons de décrire.

    Autre élément, la création d’entreprises à partir de la recherche publique s’est fortementaccrue, particulièrement depuis la loi Allègre sur l’innovation de 1999, grâce à la politiqueincitative menée et à l’implication des collectivités territoriales, notamment dans la créationd’incubateurs. Mais les jeunes pousses françaises se développent bien plus lentement queles anglo-saxonnes et financent donc moins de R&D. Plus généralement, l’investissementen recherche n’est pas le point fort de nos PME, quelle que soit leur origine.

    1.5.Un territoire faiblement attractif

    Pour les grandes entreprises, quelle que soit leur nationalité d’origine, la compétition sedéroule clairement sur toute la planète. Elles investissent et installent leur recherche là oùelles peuvent recruter des chercheurs et tisser des liens simplement et rapidement avec unerecherche publique ouverte et productive.

    Dans ce domaine, la complexité du paysage français, le manque de visibilité, les complicationsadministratives inutiles, le peu d’efforts faits pour la recherche publique et l’enseignementsupérieur ne sont pas faits pour les inciter à investir en France, ni pour les retenir. Mêmeles start-up créées par des chercheurs publics ont du mal à rester sur le sol français.

    Ainsi, entre 2002 et 2005, la France n’a été choisie que dans 4 % des projets d’implantationen Europe de centres de recherche en biotechnologie et 11 % en matière de médicamentset cosmétiques16, pour respectivement 32 % et 24,6 % au Royaume-Uni, qui recueille 91 %des emplois créés en biotechnologie ! L’Allemagne vient ensuite, quasiment à égalité avecl’Europe du Nord.

    16 - « L’emploi dans l’industrie pharmaceutique en France, facteurs d’évolution et impact à 10 ans. »Etude Arthur D Litlle pour le Leem, 2007.

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    Les critères des entreprises pour choisir les lieux d’implantations de leurs investissements derecherche sont multiples. Mais l’Etat peut avoir un impact important en créant un environnementpropice ou au contraire en le laissant se dégrader. Les choix des entrepreneurs sont lemeilleur indicateur de l’état de l’attractivité d’un pays.

    Sans mesures vigoureuses, l’hypothèse la plus probable est que les entreprises étrangèresfocaliseront leurs investissements vers les Etats-Unis, les pays à fiscalité attractive commel’Irlande, les pays émergents et qu’aucune nouvelle implantation majeure n’interviendra enFrance.

    Ceci est tout particulièrement vrai dans le secteur du médicament, qui n’a enregistré durantces 10 dernières années aucune nouvelle création de site, hormis des sites de production, maisau contraire plusieurs fermetures de centres stratégiques de Recherche-Développement.

    1.6.La place insuffisante des sciences du vivant

    Pays de Claude-Bernard et de Louis-Pasteur, la France a longtemps bénéficié d’une imaged’excellence en sciences du vivant. De nos jours, le tableau est plus contrasté.

    Officiellement, les sciences du vivant sont une priorité de la recherche publique françaisedepuis le Comité interministériel de la recherche scientifique et technique (CIRST) de 1999.

    Au plan quantitatif, l’ensemble de la recherche publique en sciences du vivant représente2,4 milliards d’euros en 2005, soit le quart du budget civil de recherche. Tous financementsconfondus, la France a dépensé en 2001 5,3 milliards d’euros dans le secteur biomédical17,dont la moitié dans le secteur public (Etat et associations sans but lucratif) et l’autre moitiédans le secteur privé, essentiellement les entreprises du médicament et des dispositifsmédicaux.

    Mais comme l’a souligné le rapport très documenté de la Cour des comptes, publié en mars2007, la priorité solennelle donnée aux sciences du vivant, réaffirmée de façon répétée,n’a quasiment pas été suivie d’effet : de 24,1 % du budget civil de recherche en 1999, lessciences de la vie sont passées à 25,7 % en 2005. La progression des crédits a eu lieuessentiellement entre 1999 et 2002. En 2005 et 2006, les crédits alloués aux sciences du vivantn’ont pas augmenté plus que l’ensemble des crédits de recherche. Rien de durable n’a étémis en place.

    17 - Cour des comptes, rapport public thématique de mars 2007 : « la gestion de la recherche publique ensciences du vivant ».

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    Pourtant, les motivations mises en exergue en 1999, confirmées depuis, sont plus que jamaisd’actualité : « Les sciences du vivant sont actuellement dans une phase de transformationdont la rapidité, l’ampleur et les conséquences potentielles n’ont peut-être pas d’équivalentdans l‘histoire des sciences. (…) La France connaît, dans ce contexte, des atouts réelsmais aussi des faiblesses. En effet, si notre recherche bénéficie d’un certain rayonnementinternational grâce aux travaux de scientifiques de premier plan, elle souffre d’un manquechronique de moyens dans ce secteur. »

    L’importance de ce secteur est depuis devenue une évidence pour l’opinion publique, fortementsensibilisée aux impacts scientifiques, industriels et sociaux des avancées récentes de labiologie.

    La Cour des comptes souligne combien les relations financières entre le ministère de larecherche et les établissements publics se sont inscrites dans une perspective de courtterme, soumise aux aléas des politiques budgétaires annuelles. La multiplication dessources de financement et la relative faiblesse de leur montant unitaire demeure pénalisante,tant pour les chercheurs que pour la gestion des laboratoires. Les consolidations definancements épars que permettent la Lolf18 et l’ANR demeurent encore insuffisantes pourle secteur des sciences du vivant.

    Outre l’insuffisance du financement, la recherche biomédicale française souffre de lapolitique de saupoudrage menée pendant de longues années au titre de l’aménagement duterritoire. La dispersion nationale est très grande, les équipes sont trop souvent éparpilléesdans de petits centres et n’ont pas la taille critique. Ce constat que le rapport du CNRS19

    déplore est confirmé par l’étude du Pr Even20.Or, à l’instar de la physique, la recherche biomédicale exige de plus en plus des plateauxtechniques de haut niveau et l’implication d’équipes pluridisciplinaires, dans des institutsdisposant d’une masse critique certaine.

    1.7.Les efforts des autres pays

    La structure des financements de la recherche varie profondément d’un pays à l’autre, et lescomparaisons internationales ne sont donc pas aisées. La Cour des comptes s’est fondéesur une analyse de l’évolution des budgets des principales institutions d’Etat compétentespour pouvoir tirer quelques conclusions sur les efforts comparés des principaux paysconcurrents du nôtre.

    18 - Lolf : la loi organique relative aux lois de finances, votée en août 2001, réforme en profondeur la gestionde l’Etat. Le budget est réparti en 34 missions et non plus par ministère

    19 - « Evaluation bibliométrique des établissements français », réalisée à partir des chiffres de la banque dedonnées américaine ISI-Thomson. Mars 2007

    20 - Etude du Pr Philippe Even, juillet 2007 www.lesechos.fr

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    Compte tenu de l’importance stratégique du secteur des sciences du vivant, la plupart desgrands pays scientifiques ont également désigné ce secteur comme prioritaire et ont choiside lui consacrer un effort financier marqué.

    Ainsi aux Etats-Unis, le secteur des sciences du vivant est une priorité stratégique clairedes gouvernements américains depuis la fin de la dernière guerre mondiale. Sous l’impulsiondes Présidents Clinton puis Bush, les crédits publics affectés à la recherche en sciences duvivant ont été multipliés par deux entre 1998 et 2005, car ils voulaient asseoir la dominationéconomique des Etats-Unis dans ce domaine clé21.L’écart avec la France n’a cessé de se creuser depuis, alors qu’il est comparable pour lesecteur spatial. L’effort par habitant dans les sciences du vivant était le triple du nôtre en1999. Il est aujourd’hui au moins 4,5 fois plus élevé.Le budget du National Institute for Health (NIH), l’équivalent américain de l’Inserm, aaugmenté de 13,5 milliards de dollars en 1998 à 26,5 milliards en 2005 (près de 50 fois lebudget annuel de l’Inserm !), en augmentation de 93 %. En conséquence, la part dessciences du vivant dans le budget fédéral de recherche civile est passée de 47 % à 56 %.

    Au Royaume-Uni, l’effort public a aussi été bien supérieur à celui de la France. Sur l’ensembledes dotations publiques aux huit Conseils qui abritent la recherche publique, la part dessciences du vivant est passée de 36 à 45% entre 1999 et 2005. Le budget du Medical ResearchCouncil (MRC) a augmenté de 52 % et celui du Biotechnology and Biological Science ResearchCouncil (BBSRC) de 46 %.

    L’Allemagne a su par un ensemble de politiques rattraper le retard pris dans les années1980. La priorité donnée aux sciences du vivant a fait passer leur part dans le budget globalde 9,2 à 11,1% de 1998 à 2004. Les aides fédérales ont notamment augmenté de plus de40 %. Cet effort s’inscrit dans une stratégie de développement des biotechnologies qui aporté ses fruits. L’Allemagne devance ainsi nettement la France et se rapproche de laGrande-Bretagne.

    Au bilan, ces quatre pays scientifiques ont identifié les sciences du vivant comme prioritaireà la même période de la fin des années 90 et décidé d’augmenter de façon significative lescrédits publics qui leur étaient destinés. Mais la France l’a fait dans une proportion bienmoindre que ses concurrents. Elle n’a pas du tout comblé son retard historique par rapportaux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, et, bien au contraire, continue de reculer.

    Comme Alice devant la Reine de Coeur22, la France n’a pas compris qu’il faut courir deux foisplus vite pour ne pas rester sur place…

    21 - Rapport sur « la place des biotechnologies en France et en Europe », OPESCT, Jean-Yves LE DEAUT,Député, 27 janvier 2005.

    22 - « Alice au pays des merveilles », Lewis Carroll, 1889.

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    1.8.Un objectif partagé : accroître la recherche privée en santé

    Les investissements insuffisants du secteur public enmatière d’enseignement supérieur etde recherche ne sont pas compensés par une intensification de l’effort de recherche desentreprises privées. Leurs dépenses de R&D représentent 52 % de la dépense intérieure derecherche-développement (DIRD), soit 1,2 % du PIB. Cette contribution est nettementinférieure à celle observée dans les pays les plus innovants, avec par exemple 75 % de laDIRD d’origine privée au Japon, 66 % en Allemagne, 65 % en Suède.

    Selon le classement de la Commission européenne, le secteur «produits pharmaceutiques& biotechnologie» succède en 2006 au secteur «équipement & technologie» comme premierinvestisseur en R&D. Mais parmi les quinze premières entreprises mondiales investissantdans la R&D, une seule est française, sanofi-aventis à la douzième place. Les quatre premièresplaces sont occupées par des entreprises américaines, les laboratoires pharmaceutiquesPfizer et Johnson & Johnson, respectivement en tête et en troisième position23.

    Néanmoins, dans le secteur de la santé, la recherche privée reste encore un point fort de laFrance, sur lequel il faudrait s’appuyer. Le secteur pharmaceutique français se situe en effetau deuxième rang en termes de dépenses R&D, derrière l’industrie automobile, mais devantles NTIC et l’aéronautique, avec un montant annuel de 4 milliards d’euros investis enrecherche, financé à 99 % par les entreprises, une proportion sans équivalent.

    Deplus, avecenmoyenne12%duchiffred’affaires consacréà laR&D, c’est le secteuréconomiquefrançais dont l’effort en R&D est le plus important, comme le montre la figure ci-dessous.

    Figure 4 : Poids de la dépense intérieure de recherche-développement (DIRD)

    des six plus grandes branches de recherche industrielle

    Source : ministère de la Recherche

    23 - Etude de la Commission européenne, octobre 2007. http://iri.jrc.ec.europa.eu/research/scoreboard_2007.htm

    0

    3 000

    2 000

    1 500

    1 000

    500

    3 500

    2 500

    industrieautomobile

    millionsd'euros

    pharmacie équipement decommunication

    constructionaéronautique

    et spatiale

    instrumentsde précision

    chimie

    2004 2003

    1 3571 373

    3 3653 192

    3 028 2 9932 730 2 763

    2 267

    2 641

    1 433 1 420

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    Innovation Santé 2015 - Leem Recherche

    Toutefois, après plusieurs décennies de croissance, le budget de la recherche pharmaceutiqueen France plafonne depuis quelques années, reflet de la perte d’attractivité du territoire,sous l’effet notamment des contraintes imposées par la politique de maîtrise des dépensesd’assurance maladie.

    Une autre conséquence est la stagnation de la recherche clinique en France, les essais cliniquesétant essentiellement financés par les industries de santé. Les travaux réalisés par le Leem,grâce aux enquêtes menées en 2002 et 200424-25, ont permis de lancer un cri d’alarme surla recherche clinique française La France n’est guère attractive et subit de plein fouet laconcurrence d’autres pays européens plus dynamiques et des pays émergents.

    En ligne avec l’objectif de Lisbonne de consacrer 3 % du PIB à la recherche, dont les 2/3financés par les entreprises, l’Etat a décidé d’accroître la dépense intérieure de recherche-développement des entreprises du médicament de 10 % sur trois ans26, pour atteindre uneperformance comparable à celle du Royaume-Uni. L’augmentation du nombre de chercheursdans les laboratoires pharmaceutiques serait dans ce cas un objectif important.

    Il faut espérer que cette impulsion politique ne restera pas un vœu pieux, mais sera le pointde départ d’une stratégie de long terme, à l’image de celle que suivent avec constance lesEtats-Unis depuis la seconde guerre mondiale.

    1.9.Biotechnologies : le retard français

    Les biotechnologies, c’est à dire l’utilisation d’un ensemble de techniques issues notammentdu génie génétique et de la biologie cellulaire pour la production de biens et de services, sontvenues renouveler le lien traditionnellement très étroit entre la recherche et les applicationsdans le domaine de la santé et du vivant en général.

    L’avancée des connaissances dans le domaine des biotechnologies et leurs débouchés surdes avancées thérapeutiques illustrent très bien le bénéfice tiré des collaborations entrerecherche académique et recherche industrielle. En effet, pour la plupart, les produitsbiotechnologiques trouvent leur origine dans ce type de collaboration, avec transfert deconnaissance à différents stades. Par exemple, en France près de la moitié des brevets dansle domaine des biotechnologies est déposée par des équipes publiques.

    24 - Attractivité de la France pour les essais cliniques : évaluation par les laboratoires promoteurs.Thérapie 2003 ; 58 : 283-9

    25 - Attractivité de la France pour la recherche clinique internationale : une étude dresse un constat peufavorable et suggère des voies d’amélioration. Thérapie 2004 ; 59 : 629-38

    26 - Lors de la réunion du Conseil Stratégique des Industries de Santé (CSIS), communiqué du 5 février 2007.

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    Les activités de recherche des entités publiques peuvent ensuite déboucher soit sur la cessionde licences, soit sur la création d’entreprise. Ainsi en France, ce processus est à l’origined’environ la moitié des créations d’entreprises de biotechnologie et une grande part desdéveloppements est réalisée grâce à la création de ces « jeunes pousses ».

    Les biotechnologies sont un excellent baromètre de la capacité d’innovation d’un pays. Orla position de la France dans cette nouvelle industrie n’est pas non plus brillante, même sielle s’améliore lentement. Elle n’occupe que le troisième rang en Europe, loin derrière leRoyaume-Uni et l’Allemagne. Les Etats-Unis puis le Canada dominent au niveau mondial etleur écart se creuse avec l’Europe.

    En 2004 au Royaume-Uni, 400 entreprises de biotechnologie emploient 19 000 personnes.En Allemagne, 360 pour 13 500 emplois. En France, 260 entreprises de biotechnologieseulement, mais surtout le secteur n’emploie que 4 500 personnes. Les financementsmanquent, le nombre de brevets déposés diminue.

    Surtout, les entreprises créées en France peinent à se développer : lorsqu’on s’intéresse auxentreprises cotées, le retard français en 2005 est encore plus flagrant27, comme le montrela figure ci-dessous :

    Figure 5 : Entreprises cotées et capitalisation boursière (août 2005)Source : France Biotech, Panorama 2005 des Biotechnologies.

    27 - Avec une amélioration encourageante, 13 entreprises cotées au 15 septembre 2007, d’après le dernierPanorama des Biotechnologies de France Biotech. http://www.france-biotech.org

    319

    105

    4215 4

    US UE FranceAllemagneUK0

    50

    100

    150

    200

    250

    300

    350

    0

    50 000

    100 000

    150 000

    200 000

    250 000

    300 000

    350 000

    400 000

    450 000

    sociétés cotées 2005

    capitalisation boursière

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    Les applications des biotechnologies concernent principalement l’alimentation, l’environnementet la santé. Dans ce dernier secteur, lesmédicaments directement issus des biotechnologiesreprésentent maintenant une part très importante des nouvelles molécules mises sur lemarché, 40 % en 2003. En 2003, le marché comptait déjà 120 produits, nombre qui a doubléen 7 ans28. Les perspectives d’évolution du marché mondial sont très prometteuses.300 biomolécules sont en essais cliniques de phase 3. Mais près de 80 % sont développéespar des laboratoires américains. Sur les 20 % recensés en Europe, la moitié est auRoyaume-Uni. Et un seul produit pour la France…

    Cette position de faiblesse de la France est probablement due à de multiples facteurs :faiblesse du financement public de la recherche fondamentale, insuffisance de la valorisation,difficultés de la création d’entreprises, frilosité de l’épargne et des marchés financiers,manque de synergies…

    Certes, la situation des entreprises de biotechnologie s’est améliorée notablement depuisquelques années grâce à quelques réformes clé, comme la création du statut de jeuneentreprise innovante ou la loi Allègre qui facilite les rapprochements entre chercheurs etindustrie.

    Dans ce contexte, la naissance des pôles de compétitivité, qui rassemblent des industrielsgrands et petits, des laboratoires académiques et des établissements d’enseignement, areprésenté un facteur favorisant de collaborations et de transferts de technologies, générateursde projets innovants, qui devrait donner des résultats tangibles d’ici quelques années.

    La reprise des financements en 2006-2007 est un signe encourageant. Mais les réformesdemandent à être poursuivies et amplifiées pour permettre à la France de revenir au niveaudes pays les plus dynamiques.

    Pour reprendre les propos de Jean-Yves Le Déaut dans son rapport de 2005, « La partien’est toutefois pas perdue. Le décollage a bien eu lieu, en France et en Europe, mais un nouvelélan plus soutenu, plus constant et plus coordonné s’avère nécessaire (…) Il est urgent defortifier l’industrie pharmaceutique, tant au niveau national qu’européen, en soutenant larecherche publique mais aussi les partenariats publics privés, en favorisant l’innovation, envalorisant les relations entre jeunes pousses des biotechnologies et groupes pharmaceutiques,en améliorant l’environnement réglementaire et fiscal. »

    28 - Rapport sur la place des biotechnologies en France et en Europe, OPESCT, Jean-Yves LE DEAUT, Député,27 janvier 2005.

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    1.10.Une politique globale et ambitieuseest indispensable pour relever le défi

    Tous les clignotants sont au rouge. La France était, il y a une cinquantaine d’années, un leadermondial de la recherche en sciences du vivant. Depuis, malgré de bonnes paroles etquelques réformes, la situation n’a cessé de se dégrader.

    Pour autant, aucun seuil irréversible n’a heureusement été franchi. En recherche fondamentale,en recherche clinique comme dans le secteur privé, la France possède encore quelquesfleurons. Le déclin n’est pas inévitable. En 2006, quatre jeunes biologistes français ont étésélectionnés parmi les vingt lauréats du European Young Investigator Awards, toutesdisciplines confondues. La relève est là, sachons ne pas la désespérer.

    De plus, les sciences du vivant se nourrissent désormais considérablement des apportsd’autres disciplines, notamment de la physique et des mathématiques qui sont des pointsforts de la France. Sachons en tirer parti.

    Une nouvellemédecine est en train de voir le jour. D’ici 2015, la prise en charge de nombreusespathologies aura été bouleversée. L’alternative est claire : être partie prenante de cetterévolution, ou bien être réduit à acheter produits et technologies développés ailleurs,accéder plus tard que les autres aux progrès thérapeutiques et laisser se développer sansnous un secteur économique dynamique. Comme de nombreux économistes l’ont souligné29,la facture serait alors très lourde.

    Pour éviter ce scénario noir, il faut une impulsion forte en faveur des sciences du vivant etdes biotechnologies, au sens le plus large du terme. L’ensemble de la chaîne est concerné,de la recherche fondamentale au développement clinique, en passant par la recherchetranslationnelle ou technologique. De même un effort ponctuel en faveur d’un acteur n’estpas suffisant. Organismes publics, universités, grandes entreprises ou jeunes pousses,usines de bioproduction et laboratoires de recherche doivent bénéficier d’un élan partagé.

    Lesbiotechnologies sont essentiellement fondéessur la scienceet leur essor est intrinsèquementlié au progrès des connaissances en sciences du vivant. Une caractéristique de la médecinede demain est la variété des procédés mis en œuvre et des produits utilisés. La dimensionpluridisciplinaire est fondamentale. Tout un ensemble de disciplines scientifiques et detechnologies sont impliquées et se nourrissentmutuellement : technologies de l’information,imagerie, bioinformatique, modélisation, nanotechnologies, sciences desmatériaux, chimie,génomique, protéomique…

    29 - Notamment Lionel Fontagne et Jean-Paul Fitoussi, « Désindustrialisation-délocalisation », Conseild’Analyse Economique, Novembre 2004.

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    Innovation Santé 2015 - Leem Recherche

    Tout le champ du vivant est concerné, homme, animaux, plantes commemicro-organismes,sans oublier environnement et écosystèmes. Toutes les échelles sont impliquées, del’organisme au gène en passant par le tissu, la cellule, l’ADN comme l’ARN. Cettepluridisciplinarité soulève des problèmes d’organisation, de coordination, de formation,d’infrastructures complexes qu’il faut aussi traiter sous peine de voir rapidement freinée ladynamique que l’on espère enclencher.

    De nombreuses voix s’élèvent pour réclamer un « PlanMarshall » pour la recherche françaisedans les sciences du vivant. Cet ovrage vise donc à sensibiliser l'ensemble des parties prenantesà l'ampleur des défis qui engagent l'avenir et à l'urgence de réponses ambitieuses, quisoient à la hauteur de cet enjeu national majeur.

  • Les avancées considérablesde la recherche et de la technologie :une palette de nouveaux conceptset de nouveaux outils au service

    du progrès médical

    2

    Innovation Santé 2015 - Leem Recherche

    27

  • Grâce aux possibilités offertes par les biotechnologies,les protéines recombinantes et les anticorpsmonoclonaux ont déjà profondément modifié lediagnostic et le traitement de nombreuses pathologies.

    Plus de cent soixante biomolécules sont à la disposition des patients.

    De plus, la recherche et le développement sont un continuumqui utilisetoutes les techniques disponibles, et rares sont aujourd’hui lesmédicaments d’origine chimique classique dont le parcours n’a pasnécessité, à un stade ou à un autre, le recours aux biotechnologies,par clonage d’une cible ou un test sur unmodèle animal transgéniquepar exemple. C’est donc déjà une grande part de l’arsenal thérapeutiqued’aujourd’hui qui n’existe que grâce aux biotechnologies. Des avancéesthérapeutiques majeures en sont issues, comme les antirétrovirauxou les anticancéreux ciblés par exemple

    Le séquençage du génome humain, l’étude du polymorphisme desgènes, ainsi que la pharmacogénomique, permettent d’envisager denouveaux concepts thérapeutiques, comme la médecine prédictive,qui vise à prévenir ou même à guérir certaines maladies grâce à unedétection précoce degènes deprédisposition. Lamédecine personnaliséepermet d’adapter un traitement aux caractéristiques génétiques d’unindividu, en particulier pour tenir compte de son métabolisme ou desa capacité à répondre à un médicament. C’est déjà une réalité. Lesapplications pratiques de ces concepts sont encore peu nombreuses,mais devraient se développer rapidement.

    L’efficacité thérapeutique ou la tolérance d’un médicament étaientjusqu’à présent évaluées comme lamoyenne statistique des réponsesindividuelles, ce qui ne préjuge pas de son effet chez un individudonné. On supposait qu’un échantillon assez large serait représentatifde la population et qu’on y retrouverait les mêmes proportions devariants génétiques. Désormais, il est possible de soumettre les

    SYNTHÈSE

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    LES AVANCÉES DE LA RECHERCHE ET DE LA TECHNOLOGIE :UNE PALETTE DE NOUVEAUX CONCEPTS ET DE NOUVEAUXOUTILS AU SERVICE DE LA MÉDECINE

  • patients participants aux essais cliniques à un génotypage préalable,afinde tenterde relier l’efficacité thérapeutiqueet la toléranceà l’existenced’éventuelles caractéristiques génétiques. La pharmacogénétiquedevient partie prenante du développement clinique.

    De nouvelles formes de thérapies sont en train de voir le jour. Lathérapie génique, longtemps restée un espoir théorique, commenceà entrer dans la réalité et a donné naissance au concept de « l’ADNmédicament », validé par de premiers essais sur l’animal et surl’homme. Les thérapies cellulaires et tissulaires bénéficient dudéveloppement de la biologie cellulaire et ouvrent la voie à lamédecinerégénératrice, capable en remplaçant les cellules défectueuses derétablir le fonctionnement d’un organe. La démonstration de la preuvedu concept en clinique est faite, mais il reste à confirmer ces premiersrésultats et surmonter les problèmes de développement et deproduction de ces nouveaux produits.dont le cadre réglementaire estencore en discussion.

    Médicaments issus des biotechnologies,médecine prédictive,médecinepersonnalisée, thérapie génique et cellulaire, ces nouvelles voies dela médecine sont déjà une réalité. Des étapes clé ont été franchies, lesperspectives de développement sont immenses, permettant d’envisagerde nombreuses applications à l’horizon 2015.

    De nouveaux outils, souvent inimaginables au siècle dernier, denouvelles techniques, telles que l’étude globale du transcriptome parles techniques de génomique fonctionnelle ou de protéomique, sedéveloppent au service d’une médecine qui évolue très rapidement.L’infectiologue va pouvoir identifier l’agent pathogène au lit dumalade,sans attendre plusieurs jours le résultat du laboratoire. Lecancérologue analyse l’expression anormale des gènes dans latumeur pour adapter le traitement, au lieu de choisir « en aveugle »une chimiothérapie en fonction de l’organe atteint.L’imagerie fonctionnelle facilite la recherche des métastases etpermet d’étudier la réponse des tumeurs aux agents anti-tumoraux.

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  • Elle permet l’étude non invasive des anomalies du fonctionnementcérébral et offrira dans l’avenir la possibilité de détecter les maladiesneurologiques à un stade précoce infra-clinique.

    Le vaste champ des nanotechnologies, qui n’en sont qu’à leursbalbutiements, devrait révolutionner le diagnostic médical et offrirdes approches thérapeutiques nouvelles.

    Enfin, les progrès de la bioinformatique et de lamodélisation permettentde commencer à organiser et analyser à grande échelle l’incroyablequantité d’information engendrée par les technologies à haut débit.Une nouvelle compréhension desmultiples réseaux d’interactions quifont les systèmes vivants commence à voir le jour.

    Mais l’aventure scientifique ne va pas s’arrêter là.

    La biologie moléculaire est, après cinquante ans de progrès etd’applications extraordinaires, en train de changer de paradigme. Eneffet, le décryptage du génome a remis en cause des conceptsfondamentaux de la biologie.

    Le modèle originel, passage linéaire du gène à la protéine, se révèlechaque jour plus simpliste. Le séquençage du génome a notammentébranlé les certitudes initiales avec une première surprise : les gèneset les protéines sont bien moins nombreux qu’on ne l’imaginait. Lacomplexité est à un autre niveau, avec à chaque étape des possibilitésde démultiplications et d’interactions. Une nouvelle source d’explicationsde certaines maladies, comme les cancers ou les maladies neuro-dégénératives, s’ouvre avec de nouvelles perspectives thérapeutiquesà la clé.

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  • Innovation Santé 2015 - Leem Recherche

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    2-1 Les biotechnologies, une nouvelle frontière

    2-2 Biologie moléculaire et biotechnologies ont donnéun nouvel essor au développement de petites molécules

    2-3 Les biomatériaux

    2-3 L’imagerie fonctionnelle

    2-4 Nanosciences et nanotechnologies

    2-5 Génétique médicale et génotypage

    2-6 Génomique, pharmacogénomique et post-génomique

    2-7 La thérapie génique

    2-8 Des thérapies cellulaires et tissulaires à la médecinerégénératrice

    2-9 Les perspectives de la biodiversité

    2-10 De la biologie moléculaire à la biologie systémique :vers un nouveau paradigme prometteur

    SOMMAIRE

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    Portée par les avancées considérables de la recherche et de la technologie, la médecineest en train de vivre une nouvelle révolution. La poursuite des progrès déjà engagés etles immenses possibilités offertes par les biotechnologies, la génomique, l’imagerie, lesnanotechnologies, les thérapies cellulaires ou encore la médecine régénératrice ouvrent lavoie à uneprise en chargenouvelle des pathologies et suscitent d’immenses et légitimes espoirs.

    Si le XXIe a été celui des sciences physiques, dont les applications ont bouleversé nosmodesde production, de consommation et jusqu’à notre mode de vie, il est probable que celui quicommence sera celui des sciences du vivant.Nous allons dans les pages suivantes tenter de résumer les avancées récentes et lesperspectives thérapeutiques ouvertes, particulièrement dans les domaines où la Francepossède beaucoup d’atouts.Ce chapitre espère donner un aperçu des évolutions et des révolutions en cours, à traversquelques exemples, mais ne prétend pas à la moindre exhaustivité.

    2.1.Les biotechnologies, une nouvelle frontière

    Les biotechnologies connaissent depuis plusieurs décennies une période d’intense innovationqui touche de nombreux domaines. Sans que nous en ayons toujours conscience, elles ontdéjà donné naissance à une nouvelle industrie, ou plus précisément à quatre secteurs : lesbiotechnologies vertes trouvent leurs applications dans l’agriculture et l’alimentation, lesbiotechnologies blanches ont pour objet la production de molécules à partir de biomasseet sont la base d’une chimie durable, la bleue désigne la biotechnologie marine, enfin lesbiotechnologies rouges, qui nous intéressent ici, concernent les applications médicales.

    Contexte et enjeux

    Depuis des centaines d’années, l’homme utilise des outils biologiques, pour fabriquer parexemple vins et fromages. Mais c’est le décryptage des mécanismes fondamentaux dumonde vivant au vingtième siècle qui lui a permis de façonner le vivant à sa main.La génétique a construit un modèle de l’hérédité portée par les gènes, la biologie cellulairepuis moléculaire leur a donné un support, la molécule d’ADN. Les ARN copient l’informationcontenue dans les gènes et l’apportent à la machinerie cellulaire qui, à partir de ces plans,fabrique lesmilliers de protéines qui font l’incessant travail de garder en vie les êtres vivants.

    Les biotechnologies modernes ont donc déjà une longue histoire. Elles sont nées, il y a unecinquantaine d’années, de ces connaissances scientifiques, qui ont permis de modifier defaçon volontaire des cellules vivantes.Aujourd’hui, même si le terme de biotechnologie garde un petit côté futuriste, des millionsde patients bénéficient chaque jour de médicaments issus du génie génétique, commel’insuline recombinante qui améliore la vie des diabétiques depuis plus de 20 ans

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    Dans le secteur de la santé, le terme de biotechnologie désigne en particulier les techniquesde génie génétique qui permettent de transférer un gène d’un organisme à un autre, ce quifut fait d’une bactérie à une autre en 1971. Le génie génétique, ou ingénierie des gènes,prend son essor en Californie puis sur la cote Est des Etats-Unis, suite au plan cancer lancépar Richard Nixon. L’objectif a été de développer les outils permettant de découper (enzymesde restriction), séquencer (séquençage de l’ADN en 1976 puis automatisation du séquençagepar Lee Hood en 1981) et construire des gènes. L’insuline est le premier gène synthétiquecommercialisé.Il devient alors possible de faire fabriquer par une bactérie, une levure ou une cellule demammifère en culture une protéine humaine ayant un intérêt thérapeutique, puis, aprèspurification, de l’injecter au malade. La protéine thérapeutique ainsi fabriquée est diterecombinante.

    Aujourd’hui, plus de 160 protéines recombinantes1 ont déjà obtenu leur autorisation demisesur le marché en Europe : hormones comme l’insuline, l’érythropoïétine ou les hormonesthyroïdiennes, enzymes métaboliques comme l’urate oxydase, interférons, cytokines etfacteurs de croissance, facteurs de coagulation comme le facteur VII ou le facteur VIII,protéine permettant la coagulation dont manquent les hémophiles A.La production de ces protéines par génie génétique en cellules procaryotes ou en cellulesde mammifères a permis d’en disposer en abondance et sans risque de contamination, soitpour se substituer à la protéine naturelle auparavant extraite, soit pour de nouveaux usagesthérapeutiques, dans le cancer notamment.

    Mais les biotechnologies recouvrent des domaines et des technologies très divers. L’OCDEen propose une définition extrêmement large : « l’application des sciences et des techniques àdes organismes vivants, qu’il s’agisse d’éléments ou de produits pour transformer les matériauxvivants ou non, dans le but de produire des connaissances, des biens ou des services ».

    Les anticorps monoclonaux sont une autre réussite des biotechnologies, issue de la biologiecellulaire et de l’immunologie. Leur sortie des laboratoires a été très difficile. Près de trenteans de tâtonnements ont été nécessaires avant qu’ils ne changent la vie des malades. Enimmunisant des souris avec un antigène précis, puis en fusionnant les lymphocytesproducteurs d’anticorps obtenus avec des cellules tumorales, Milstein et Köhler ont obtenuen 1975 une cellule hybride (ou hybridome), capable de se multiplier à l’infini et produisantun anticorps unique dirigé contre l’antigène choisi au départ. Ces anticorps purs et ciblés,contrairement aux sérums disponibles jusqu’alors, vont permettre des avancéesconsidérables de la recherche et révolutionner les tests de diagnostic.

    En revanche, leur utilisation thérapeutique, très séduisante en théorie, va être très longueà réussir en pratique. L’efficacité n’est pas au premier rendez-vous, en raison probablementd’une compréhension insuffisante des pathologies. L’origine murine entraîne des effetssecondaires insurmontables et oblige à « chimériser » ou « humaniser » les anticorps

    1 - Walsh G., Trends Biotechnol., Nov.2005, 23(11): 553-8. Biopharmaceuticals: recent approvals and likelydirections.

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    monoclonaux. Enfin, en 1995, unanticorpsmonoclonal dirigé contreun vecteur de l’inflammation,le TNF alpha, exerce un effet neutralisant et apporte un progrès remarquable dans le traitementde maladies comme la polyarthrite rhumatoïde.Une dizaine d’anticorps monoclonaux sont actuellement commercialisés en France, et denombreux autres sont en développement.

    Les biotechnologies sont au cœur de l’innovation thérapeutique

    Depuis le premier médicament commercialisé il y a 25 ans, les biotechnologies se sontprogressivement imposées comme un moteur majeur de l’innovation thérapeutique.C’est le secteur des produits de santé qui, depuis quelques années, montre la plus fortecroissance, supérieure à 10 % par an. 40 % des nouveaux produits approuvés en 2003 étaientdes produits biotechnologiques et cette tendance devrait perdurer, près de 30% des produitsen développement appartiennent à cette catégorie.Les principaux domaines en croissance concernent les vaccins, les peptides et protéinesthérapeutiques, dont les anticorps monoclonaux représentent une grande part, les produitspour thérapie génique et leurs procédés de production.

    Le domaine thérapeutique qui est visé par le plus grand nombre des nouveaux produits estle domaine du cancer, mais de nombreux autres domaines sont également concernés (luttecontre les infections, maladies inflammatoires chroniques, maladies métaboliques, troublesde la coagulation, troubles de la croissance et de la fertilité, …) Celui des maladies rares aaussi bénéficié de nombreuses avancées au cours des années récentes. Ainsi, deuxmaladiesrares dues à des déficits enzymatiques spécifiques, la maladie de Pompe et la maladie deMaroteaux-Lamysont depuis quelquesmois respectivement soignées par deux biomédicamentsinnovants.

    Les tout premiers biomédicaments étaient des peptides ou des protéines de substitution,identiques aux protéines humaines, comme de nombreuses hormones.Des protéines impossibles à extraire du corps humain ont ensuite été fabriquées sanslimitation de quantité, comme le TPA utilisé en cas d’infarctus du myocarde. Une autreapproche thérapeutique dans le traitement des maladies articulaires graves comme lapolyarthrite rhumatoïde a été la mise au point de récepteurs solubles du TNF alpha. Lesprotéines humaines peuvent aussi être modifiées pour mieux répondre aux besoins desmalades. L’interféron indiqué dans le traitement de l’hépatite C a pu être amélioré pour neplus nécessiter qu’une injection par semaine au lieu de trois.

    Les protéines circulant naturellement dans le corps humain sont probablement désormaisidentifiées en grande part. En revanche, les anticorps monoclonaux offrent une palette depossibilités d’action sur de nombreuses cibles, encore largement inexplorée. Ils ont apportéune véritable révolution thérapeutique, dans le traitement du cancer notamment. Par leurmécanisme d’action, ils agissent spécifiquement sur un récepteur donné, par exemple, lerécepteur à un facteur de croissance, et ils ont donné lieu aux premières approches demédecinepersonnalisée. Seuls les patients dont la tumeur exprime le récepteur visé sont traités, lesautres ne le sont pas et l’on évite ainsi de traiter des patients qui n’en tireraient aucun bénéfice.

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    Les biotechnologies ont fait changer les vaccins de dimension. Les vaccins classiques,toujours très utiles, utilisent soit un agent pathogène inactivé chimiquement, soit unesouche atténuée, sélectionnée pour ne plus être virulente. La recombinaison génétique évitede manipuler les agents pathogènes et permet d’utiliser l’antigène vaccinant seul, sansaucun risque d’infection.Pour beaucoup de maladies infectieuses, notamment celles qui affectent les pays endéveloppement, les vaccins représentent la meilleure des solutions pour la santé publique.Avec la perspective du changement climatique, les pays développés pourraient prochainementêtre confrontés à des défis de santé publique analogues.

    Par ailleurs, l’actuelle menace de pandémie grippale nous rappelle que, pour les paysdéveloppés, le besoin vaccinal peut être aussi un enjeu majeur de santé publique. Dans cedernier cas, les chercheurs des firmes concernées ontmis au point des procédés de productionqui permettraient de mettre un vaccin spécifique à disposition des pouvoirs publics quatreà cinq mois seulement après l’isolement et l’identification de la souche responsable.

    En plus des nouveaux vaccins contre la méningite, commercialisés ces dernières années,une avancée majeure et récente apportée par la recherche dans ce domaine est apportéepar les vaccins préventifs de certains cancers. Ainsi des vaccins préventifs du cancer du colde l’utérus provoqué par le papillomavirus viennent d’êtremis à la disposition du corpsmédical.Ils sont fabriqués à partir de pseudoparticules virales produites par des levures, sans aucunrisque d’infection. Administrés aux jeunes filles avant leurs premières activités sexuelles,ces vaccins ont un pouvoir protecteur très élevé et l’on peut s’attendre à une diminutiondramatique de ce type de cancer chez les populations vaccinées.

    Les vaccins thérapeutiques sont très attendus, qui permettraient d’agir contre le virus dusida après l’infection ou de traiter certains cancers. Dans unemaladie comme la polyarthriterhumatoïde, où les anticorps monoclonaux sont très efficaces pour neutraliser certainescytokines, les vaccins thérapeutiques pourraient permettre d’induire une réponse naturellepolyclonique, avec un produit plus simple et moins coûteux.

    Apparentées aux biomédicaments, on peut aussi citer les approches plus futuristes quereprésentent la nouvelle génération « des médicaments du gène », notamment avecl’utilisation des ARNs interférents. Leur mise au point résulte des avancées scientifiquesmajeures qui sont en cours dans le domaine de la régulation de l’expression des gènes.Dans un premier temps, ces nouveauxmédicaments permettent d’inhiber le fonctionnementde gènes et, par là, permettent de traiter desmaladies résultant de la production de protéinespathogènes. On attend des retombées thérapeutiques prochaines dans la dégénérescencemaculaire liée à l’âge et dans certaines maladies virales.

    Plus innovante encore est l’approche qui consiste à transférer le gène d’intérêt (le « transgène »)dans un organisme entier, un animal, une plante. Au cours des dix dernières années, denombreuses protéines d’intérêt thérapeutique ont été produites à l’aide d’animaux ou deplantes trasngéniques. L’une d’elles, l’antithrombine, extraite du lait de chèvres transgéniques,a obtenu son autorisation de mise sur le marché en Europe en 2006. En France, plusieurs

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    sociétés ont fait de la transgenèse un axe stratégique de leur activité, comme MeristemThérapeutics qui développe une lipase recombinante extraite des feuilles de tabac ou dugrain de maïs, ou le LFB qui développe un facteur de coagulation, le facteur VII, extrait dulait de lapin.

    Après l’ingénierie des gènes (génie génétique), apparaît donc l’ingénierie des protéines dansles années 80, puis des ARNs dans les années 90. Plus récemment, une ingénierie des lipideset des glucides, molécules qui viennent se greffer sur les protéines au cours de leurfabrication dans la cellule, a aussi commencé à se développer. Cette ingénierie de toutesles grandes clases demacromolécules biologiques utilise les connaissances du vivant pourdétourner les mécanismes cellulaires et permet de fabriquer des « outils », molécules,cellules ou animaux, utilisables en santé humaine.

    Aujourd’hui, plus d’une centaine de nouveaux biomédicaments sont en cours de développementavancé, ce qui laisse prévoir un enrichissement majeur des outils offerts aux cliniciens, pourtraiter mieux un plus grand nombre de patients.

    2.2.Biologie moléculaire et biotechnologies ont donné

    un nouvel essor au développement de petites molécules

    La recherche et le développement sont un continuum qui utilise toutes les techniquesdisponibles, et rares sont aujourd’hui les médicaments d’origine chimique classique dontle parcours n’a pas nécessité, à un stade ou à un autre, le recours aux biotechnologies, parclonage d’une cible ou un test sur un modèle animal transgénique par exemple. C’est doncdéjà une grande part de l’arsenal thérapeutique d’aujourd’hui qui n’existe que grâce auxbiotechnologies.

    Les progrès de la biologie moléculaire ont permis d’identifier précisément de nouvellescibles et d’élaborer des tests permettant de cribler efficacement des molécules trèsspécifiques.

    Dès lesannées70, plusieurséquipesà travers lemondeont travailléparallèlementà l’identificationet au développement des statines, à partir d’une nouvelle cible, l’HMG-CoA-réductase,enzyme limitante pour la synthèse hépatique du cholestérol.L’administration d’une statine produit effectivement un effet hypocholestérolémiant. Cinq grandessais cliniques ont démontré, pour la première fois, qu’un traitement hypocholestérolémiantpouvait prévenir les événements cardiovasculaires avec un effet favorable sur la mortalitétotale, compte tenu de la bonne tolérance. Cette démonstration de baisse de lamortalité leura valu un service médical rendu majeur décerné par la commission de la transparence.

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    Une étude publiée tout récemment2 montre qu'un traitement à long terme (cinq ans) parune statine permet de réduire le taux de mortalité due à des évènements coronarienspendant les dix années suivantes.Les statines sont l’une des classes thérapeutiques les mieux étudiées, avec plus de 100 000patients inclus dans des essais cliniques. L’enjeu est désormais de parvenir à exploiter aumieux cet acquis en termes de santé publique.

    Depuis l’apparition de l’épidémie de sida au début des années 80 et l’identification du rétrovirusen 1983 à l’institut Pasteur, l’industrie pharmaceutique a amplement démontré sa capacitéà relever rapidement le défi du développement de médicaments de plus en plus efficacescontre cette maladie, à partir des progrès obtenus dans la connaissance du génome viral,des fonctions des protéines impliquées et de la physiopathologie de la maladie.Les premiers traitements ont été disponibles dès 1987 avec l’AZT. En 1995, l’arrivée d’unenouvelle classe, les antiprotéases et lamise au point des protocoles de trithérapie permettentun progrès considérable, avec la diminution de la charge virale et la lutte contre l’affaiblissementdes défenses immunitaires. Le taux de décès a chuté en dix ans de 70 %.Près de 90médicaments sont sur le marché aujourd’hui, incluant plus de 20 antirétroviraux,ce qui a permis de transformer le sida en une pathologie chronique avec laquelle on peutvivre.Les résistances grandissantes aux traitements existants suscitent le développement denouveaux traitements, que se soient les inhibiteurs de la fusion, les inhibiteurs de l’intégraseou les inhibiteurs de protéases, et plusieurs recherches de vaccins. L’industrie continue à semobiliser, avec pas moins de 77 molécules contre le sida et ses effets en développement.

    La Leucémie Myéloïde Chronique (LMC) est caractérisée par l’existence d’une translocationchromosomique bien précise, aboutissant à la formation d’un chromosome anormal.L’identification de la protéine modifiée, une tyrosine kinase impliquée dans la régulation dela croissance cellulaire, a permis de cribler desmolécules inhibitrices spécifiques. Moléculeemblématique, le premier inhibiteur de kinase (Glivec), développé par Novartis, a ainsi étérapidement testé en clinique dans cette pathologie mortelle. Les résultats sans précédent,obtenus avec ce traitement ciblé d’un dérèglement moléculaire, ont bouleversé la prise encharge des patients, avec un taux de survie à 5 ans de près de 90%. Depuis, le Glivec a obtenud’autres indications, dans les tumeurs stromales gastro-intestinales, dont il a révolutionnéle pronostic, puis dans d’autres types de leucémies.Chez certains patients traités par Glivec, se développe néanmoins à long terme une résistanceau traitement. Des inhibiteurs de deuxième génération sont en cours d’essai clinique etsemblent capables de pallier ce phénomène.

    Cette nouvelle approche ciblée du traitement des cancers se développe depuis très vite,visant spécifiquement soit une anomalie moléculaire à l’origine de la transformationtumorale, soit un phénomène indispensable au développement de la tumeur comme lanéoangiogenèse.

    2 - New Engl J Med. Volume 357:1477-1486. October 11, 2007.

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    Tous les outils de la biotechnologie sont utilisés pour identifier puis valider les ciblesbiologiques, construire les tests in vitro ou in vivo, les modèles cellulaires ou animaux.Les progrès de la chimie organique permettent de concevoir des molécules quasiment surmesure, parfois très complexes, et d’en optimiser les procédés de fabrication. Une fois lacible biologique identifiée, l’analyse de sa structure tridimensionnelle par cristallographieaux rayons X de la protéine cristallisée guide la conception de petites molécules, capablesd’interagir spécifiquement avec le site souhaitée, telle une clé dans une serrure. Lamoléculeainsi identifiée sera ensuite optimisée puis le candidat médicament soumis à une batterieimpressionnante de tests.

    La pharmacopée actuelle n’utilise pas plus de 324 cibles, dont 264 humaines3, sur lesdizaines demilliers que le séquençage du génome humain a dévoilé. Les chimistes ont encorede beaux jours devant eux.

    Outre le coût de production plus faible, les petites molécules peuvent plus facilement passerpar voie orale, avantage certain notamment pour le traitement de maladies chroniques.

    La France possède une communauté de chimistes et de pharmacochimistes de niveauinternational et c’est le premier pays à avoir constitué une collection nationale demoléculessynthétisées par ses laboratoires académiques (Chimiothéque nationale). C’est probablementun gisement de molécules bioactives, car différent des collections commerciales ouindustrielles.

    Macromolécules biologiques et petites molécules offrent deux approches thérapeutiquescomplémentaires, qui peuvent parfois s’enrichir mutuellement. L’efficacité d’un anticorpsmonoclonal est la meilleure validation de la cible visée, sur laquelle pourront ensuite êtredéveloppée de plus petites molécules. Un anticorps monoclonal peut aussi être utilisé pourguider un médicament de chimiothérapie vers une cible spécifique.

    2.3.Les biomatériaux

    Les biomatériaux4 peuvent être définis comme des matériaux non vivants utilisés dans undispositif médical destiné à interagir avec les systèmes biologiques. Ils peuvent être naturels,à base de collagène, cellulose, chitine, corail… ou synthétiques :métaux et alliages, céramique,polymères et matières molles, résorbables ou non.

    3 - How many drug targets are there? John P. Overington, Bissan Al-Lazikani and Andrew L. Hopkins.Nature drug discovery

    4 - « Biomatériaux », rapport des Pr Laurent Sedel et Christian Janot, société française de chirurgieorthopédique et traumatologique, http://www.sofcot.fr.

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    Les biomatériaux représentent une des grandes avancées thérapeutiques de ces quarantedernières années. Ils travaillent sous contrainte biologique et sont voués au remplacementd'une fonction ou d'un organe, ils sont présents dans de très nombreuses stratégiesthérapeutiques. On estime à environ 3,2millions les personnes qui en France sont porteusesd'un biomatériau.

    Les biomatériaux posent des problèmes scientifiques, mais aussi économiques, éthiques,réglementaires