Miller Monachesi Clitiques

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Philip Miller : [email protected] Paola Monachesi :[email protected] A paraître dans Godard, Danièle (éd.). 2003. Les langues romanes : Problèmes de la phrase simple. Paris : Editions du CNRS. Les pronoms clitiques dans les langues romanes Philip Miller et Paola Monachesi U.M.R. 8528 « SILEX » du CNRS, Université Lille 3 et Uil-OTS, Université d'Utrecht 1 Introduction * Dans la grande majorité des langues, on trouve certains éléments dont le statut est problématique parce que leur comportement est en apparence intermédiaire entre celui des mots indépendants et celui des affixes habituels. S'ils semblent jouir d'une plus grande autonomie que ces derniers, ils s'appuient phonologiquement à un hôte, contrairement aux mots, et forment avec lui un seul mot prosodique. De tels éléments ont souvent été appelés clitiques par les comparatistes du 19 e siècle et les structuralistes, qui distinguaient proclitiques et enclitiques selon que le clitique s'attache prosodiquement au mot qui le suit ou qui le précède. L'intérêt pour les clitiques dans la tradition générative au sens large est lié à deux sources principales, d'une part l'analyse des pronoms clitiques (traditionnellement nommés faibles ou conjoints) en français de Kayne (1975), livre basé sur sa thèse non publiée de 1969 et l'étude typologique générale des différentes sortes de clitiques de Zwicky (1977). Dans ce travail, Zwicky passe en revue l'ensemble des types d'éléments qui ont pu être appelés des clitiques et relève les problèmes qu'ils soulèvent pour la syntaxe, la morphologie, la phonologie et leurs interfaces. L'une des distinctions les plus importantes qu'il propose est celle entre clitiques simples et spéciaux. Les clitiques simples résultent de ce qu'un mot, s'il est non accentué, peut être phonologiquement réduit et rattaché prosodiquement à un mot adjacent. Il s'ensuit qu'un clitique simple occupe la même position syntaxique superficielle que les morphèmes non réduits correspondants. Les clitiques spéciaux, par contre, sont des éléments prosodiquement dépendants d'un hôte et qui apparaissent comme variantes de formes libres autonomes, dont ils partagent le sens et qui peuvent avoir une phonologie similaire, mais dont la distribution syntaxique superficielle est différente. Dans le cadre de cette dichotomie, des éléments comme les articles ou les prépositions monosyllabiques dans les langues * Les auteurs tiennent à remercier Anne Abeillé, Julie Auger, Sabrina Bendjaballah, Berthold Crysmann, Elisabeth Delais-Roussarie, Paul Hirschbühler, Marie Labelle, Bernard Laks, Marc Plénat et Marleen Van Peteghem pour l'aide qu'ils leur ont apportée dans la rédaction de ce chapitre. Nous remercions aussi Anne-Marie Berthonneau et Anne Zribi-Hertz qui ont relu une version préliminaire et qui nous ont fait de nombreuses remarques ainsi que Danièle Godard pour ses nombreux commentaires et son soutien indéfectible. Enfin, nous tenons à remercier tout particulièrement nos collègues natifs d'autres langues romanes, Ileana Comorovski, Donka Farkaş, Josep Fontana, Rafael Marín, Alexandra Popescu, Liliane Santos, Lucia Tovena, Enric Vallduví et Marina Vigário, qui ont consacré beaucoup de temps à nous aider à éclairer des données souvent complexes. Cependant, ceux-ci ne peuvent en aucun cas être tenus responsables des erreurs de fait ou d'interprétation qui subsistent. PDF created with FinePrint pdfFactory trial version http://www.pdffactory.com

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Les pronoms clitiques dans les langues romanes

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Philip Miller : [email protected] Paola Monachesi :[email protected] A paraître dans Godard, Danièle (éd.). 2003. Les langues romanes : Problèmes de la phrase simple. Paris : Editions du CNRS.

Les pronoms clitiques dans les langues romanes

Philip Miller et Paola Monachesi U.M.R. 8528 « SILEX » du CNRS, Université Lille 3 et Uil-OTS, Université d'Utrecht

1 Introduction* Dans la grande majorité des langues, on trouve certains éléments dont le statut est problématique parce que leur comportement est en apparence intermédiaire entre celui des mots indépendants et celui des affixes habituels. S'ils semblent jouir d'une plus grande autonomie que ces derniers, ils s'appuient phonologiquement à un hôte, contrairement aux mots, et forment avec lui un seul mot prosodique. De tels éléments ont souvent été appelés clitiques par les comparatistes du 19e siècle et les structuralistes, qui distinguaient proclitiques et enclitiques selon que le clitique s'attache prosodiquement au mot qui le suit ou qui le précède. L'intérêt pour les clitiques dans la tradition générative au sens large est lié à deux sources principales, d'une part l'analyse des pronoms clitiques (traditionnellement nommés faibles ou conjoints) en français de Kayne (1975), livre basé sur sa thèse non publiée de 1969 et l'étude typologique générale des différentes sortes de clitiques de Zwicky (1977). Dans ce travail, Zwicky passe en revue l'ensemble des types d'éléments qui ont pu être appelés des clitiques et relève les problèmes qu'ils soulèvent pour la syntaxe, la morphologie, la phonologie et leurs interfaces. L'une des distinctions les plus importantes qu'il propose est celle entre clitiques simples et spéciaux. Les clitiques simples résultent de ce qu'un mot, s'il est non accentué, peut être phonologiquement réduit et rattaché prosodiquement à un mot adjacent. Il s'ensuit qu'un clitique simple occupe la même position syntaxique superficielle que les morphèmes non réduits correspondants. Les clitiques spéciaux, par contre, sont des éléments prosodiquement dépendants d'un hôte et qui apparaissent comme variantes de formes libres autonomes, dont ils partagent le sens et qui peuvent avoir une phonologie similaire, mais dont la distribution syntaxique superficielle est différente. Dans le cadre de cette dichotomie, des éléments comme les articles ou les prépositions monosyllabiques dans les langues

* Les auteurs tiennent à remercier Anne Abeillé, Julie Auger, Sabrina Bendjaballah, Berthold Crysmann, Elisabeth Delais-Roussarie, Paul Hirschbühler, Marie Labelle, Bernard Laks, Marc Plénat et Marleen Van Peteghem pour l'aide qu'ils leur ont apportée dans la rédaction de ce chapitre. Nous remercions aussi Anne-Marie Berthonneau et Anne Zribi-Hertz qui ont relu une version préliminaire et qui nous ont fait de nombreuses remarques ainsi que Danièle Godard pour ses nombreux commentaires et son soutien indéfectible. Enfin, nous tenons à remercier tout particulièrement nos collègues natifs d'autres langues romanes, Ileana Comorovski, Donka Farkaş, Josep Fontana, Rafael Marín, Alexandra Popescu, Liliane Santos, Lucia Tovena, Enric Vallduví et Marina Vigário, qui ont consacré beaucoup de temps à nous aider à éclairer des données souvent complexes. Cependant, ceux-ci ne peuvent en aucun cas être tenus responsables des erreurs de fait ou d'interprétation qui subsistent.

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romanes ont pu être classés comme des clitiques simples, tandis que les pronoms clitiques1 se rangent parmi les clitiques spéciaux. En effet, il est bien connu que les pronoms personnels dans les langues romanes se répartissent en deux grands types2. D'une part, les pronoms clitiques et, d'autre part, ce que l'on appelle traditionnellement les formes fortes, toniques ou disjointes, qui ont le même type de comportement distributionnel que les SN habituels3. (1) F a. Pierre te le donnera. I b. Pietro te lo darà. (2) F a. Pierre lira un livre pour Marie / pour elle. F b. Pierre donnera le livre à Marie. I c. Pietro darà il libro a Maria. On voit notamment en (1) que les pronoms clitiques apparaissent devant le verbe fini, contrairement à la forme forte elle en (2a) et aux SN et SP pleins en (2a,b,c). On constate également que le pronom datif te précède le pronom accusatif en (1) ; l'ordre inverse entre ces pronoms est agrammatical, alors que l'ordre accusatif – datif est un ordre possible pour les syntagmes pleins correspondants en (2). On peut donc en conclure que les pronoms clitiques sont des clitiques spéciaux. Dans cette étude, nous adopterons l'hypothèse lexicaliste, selon laquelle les mots morphologiquement complexes sont construits dans le lexique par la morphologie et insérés tels quels dans les constructions syntaxiques (voir p. ex. Lapointe 1980, Anderson 1992). Une phrase est ainsi une séquence de mots syntaxiques à laquelle les principes prosodiques postlexicaux font correspondre une séquence de mots prosodiques. Cependant la relation entre ces deux structures n'est pas biunivoque, les règles prosodiques pouvant rattacher un mot syntaxique à un autre pour former un seul mot prosodique (voir p. ex. Kaisse 1985, Nespor et Vogel 1986)4.

1 Nous adoptons la dénomination pronoms clitiques dans ce chapitre, parce qu'elle est aujourd'hui la plus répandue. Comme on le verra ci-dessous, cependant, il n'est pas du tout clair que l'ensemble des éléments ainsi désignés dans l'étude des langues romanes doivent être analysés comme clitiques dans les sens techniques du terme que nous discutons dans cette section introductive. Lorsqu'aucune ambiguïté n'est possible, nous omettons pronoms et désignons simplement par clitiques les éléments en question. 2 Voir cependant Cardinaletti et Starke (1999) qui distinguent trois classes, les clitiques, les pronoms faibles et les pronoms forts. 3 Autant que possible, nous donnons dans les exemples des phrases correspondantes dans les différentes langues romanes illustrées, en commençant par le français, ce qui rend en général les traductions inutiles. Cependant, dès que cela n'est pas possible, nous fournissons une traduction française, et si nécessaire une glose morphème par morphème. Chaque exemple est précédé de l'initiale de la langue qu'il illustre : F(rançais), P(ortugais), E(spagnol), C(atalan), I(talien), R(oumain), FQ (français québecois). On désignera les versions anciennes, standard et parlées d'une langue en faisant précéder ou suivre l'initiale par A, S ou P respectivement : AF = ancien français, FS = français standard, FP = français parlé. Sauf remarque particulière, nous nous limitons à l'espagnol et au portugais européens, et c'est ainsi qu'il faut donc entendre E et P. Nous utilisons en outre les abréviations suivantes : prés = présent, subj = subjonctif, acc = accusatif, dat = datif, pl = pluriel, sg = singulier, m = masculin, f = féminin, Ph = Phrase (au sens de IP en grammaire générative, voir Haegeman 1991). 4 Différents types de rattachements ont été proposés dans la littérature, voir par exemple Peperkamp (1997), Delais-Roussarie (2000) pour des discussion récentes.

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Dans ce cadre, les clitiques simples trouvent une place tout à fait naturelle. Il s'agit de mots indépendants sur le plan syntaxique qui sont rattachés postlexicalement à un mot adjacent (l'hôte) pour former un seul mot prosodique avec lui. On peut donc les appeler des clitiques postlexicaux. Nous suivons Kaisse (1985) et de nombreux autres en adoptant l'hypothèse selon laquelle les interactions phonologiques et morphophonologiques entre clitiques postlexicaux et hôtes sont différentes de celles qu'on constate entre affixes et bases. Notamment, nous posons que la structure morphologique interne d'un mot syntaxique, ainsi que l'identité des morphèmes qui le composent, ne sont pas accessibles aux règles postlexicales, mais seulement la structure phonologique et prosodique. Lorsqu'on les adopte strictement, ces hypothèses sont confrontées à un certain nombre de contre-exemples apparents bien connus et pour lesquels différents types de solutions ont été proposées (voir p. ex. Inkelas et Zec 1990 et notamment l'article de Hayes 1990 inclus dans cette collection). Tous les cadres théoriques reconnaissent d'une façon ou d'une autre l'existence d'une différence entre processus lexicaux et postlexicaux et c'est cette distinction qui sera cruciale et problématique dans la discussion des pronoms clitiques dans les langues romanes. Le cas des clitiques spéciaux est a priori plus complexe à traiter dans le cadre lexicaliste strict. Comme ils n'apparaissent pas dans la même position syntaxique que les syntagmes correspondants, l'analyse proposée pour les clitiques simples semble a priori inapplicable. Anderson (1992), Halpern (1995) et Fontana (1993, 1996), développant l'étude de Klavans (1985), ont proposé que la position des clitiques spéciaux pouvait s'expliquer par une combinaison de contraintes syntaxiques et prosodiques. La syntaxe détermine, d'une part, un type de constituant par rapport auquel le clitique est positionné (p. ex. Ph, SN) ; d'autre part, si le clitique se positionne par rapport à l'élément initial ou final du constituant en question ; et enfin s'il est positionné devant ou derrière cet élément. Par exemple, un clitique pourrait être positionné devant le premier élément de Ph (où Ph ne comprend pas le premier élément, constituant antéposé ou complémenteur, qui précède le verbe). Ensuite, des contraintes prosodiques déterminent l'item spécifique auquel s'attache le clitique selon qu'il est proclitique ou enclitique. Pour prolonger l'exemple, un tel clitique, qui serait prosodiquement enclitique, s'attacherait au constituant antéposé ou au complémenteur. En l'absence d'un tel hôte à gauche, deux types de solutions sont possibles selon les cas. Soit le clitique reste dans sa position normale et reçoit exceptionnellement un rattachement proclitique (cette analyse est essentiellement celle proposée par Fontana 1993, 1996 pour les pronoms clitiques en ancien espagnol) ; soit une opération postlexicale appelée inversion prosodique permet au clitique de se rattacher comme enclitique au premier mot du domaine P, ce qui revient à dire que la contrainte prosodique sur le rattachement du clitique prime sur la contrainte syntaxique de position. Cette analyse est proposée par Halpern (1995) pour différentes langues et est très proche de celle de Hirschbühler et Labelle (2000, 2001b) pour les pronoms clitiques dans les premiers stades de l'ancien français. Nous reviendrons sur ces questions en 2.1.6 ci-dessous et, comme nous le verrons, il est possible qu'une analyse de ce type soit encore partiellement applicable au

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portugais et au roumain. Une des conséquences de ce type d'analyse est que l'hôte du clitique spécial peut être de catégorie syntaxique très variable. Cependant, pour la majorité des langues romanes modernes, et notamment le français, l'italien, le catalan et l'espagnol, une analyse différente des pronoms clitiques peut être avancée, selon laquelle il ne s'agit en réalité pas du tout de clitiques spéciaux attachés postlexicalement, mais d'affixes flexionnels qui sont lexicalement attachés à une base 5 . Plusieurs types d'arguments seront avancés dans ce sens ci-dessous, notamment le fait que, dans ces langues, leur positionnement n'est pas déterminé par rapport au premier mot d'un syntagme donné, mais bien par rapport au verbe, auquel ils sont toujours contigus. De plus, on constate des interactions phonologiques et morphologiques de type lexical entre les pronoms clitiques et celui-ci. Le but de l'esquisse théorique qui précède est de situer clairement la description qui va suivre et non de prendre une position polémique6 . Si nous adoptons ce modèle comme cadre de travail, nous sommes néanmoins tout à fait conscients des problèmes qu'il peut soulever et nous essaierons de rester le plus près possible des données sans fuir celles qui nous paraissent problématiques et qui sont justement, pour cette raison, cruciales. Nous tentons en effet, dans ce chapitre, de faire une synthèse de l'état actuel des connaissances sur la question en insistant sur le côté empirique plutôt que sur les analyses. Il est évident que nous ne pourrons pas être complets, loin de là, mais nous espérons faire apparaître les problématiques et les résultats qui nous paraissent les plus pertinents. Nous essayerons de fournir une présentation détaillée des comportements particuliers des pronoms clitiques aux niveaux syntaxique, morphologique et phonologique, dans un certain nombre de langues et de dialectes romans. A cause de leurs nombreuses propriétés remarquables, les pronoms clitiques ont fait l'objet d'un grand nombre de recherches en linguistique (voir p. ex. Benveniste 1965 pour une synthèse des propriétés centrales pour le français). Au cours des trente dernières années ils ont été étudiés dans le cadre de la grammaire générative au sens large, notamment depuis la publication des importants travaux de Perlmutter (1970) et Kayne (1975), centrés sur l'espagnol et le français, qui les ont placés au centre des problèmes théoriques importants. Les travaux qui ont suivi se sont caractérisés d'une part par l'élargissement du nombre de langues et de dialectes étudiés, avec la prise en compte d'abord des langues nationales reconnues et, ensuite, de nombreuses variétés

5 Cette analyse a été soutenue entre autres par Miller (1992), Fontana (1993), Auger (1994), Monachesi (1999). Elle a été également proposée pour le roumain par Monachesi (1998, 2000) et pour le portugais par Crysmann (2000a,b), bien que pour ces deux dernières langues cela impose de recourir à des extensions de la théorie pour expliquer certains contre exemples apparents, notamment les cas de non contiguïté au verbe. Cependant, vu l'impossibilité de maintenir une analyse stricte en termes de clitiques postlexicaux, on peut penser que ces langues sont dans une phase de transition. Le même type d'hypothèse a également été proposé dans des cadres un peu différents par entre autres Rivas (1977), Jaeggli (1982) et Enrique-Arias (2000) pour l'espagnol, par Cummins et Roberge (1994) pour le français, et par Bonet (1991, 1995) pour le catalan. 6 Pour un ensemble de points de vue récents et variés sur le problème des clitiques en général voir les recueils de van Riemsdijk (1999), Gerlach et Grijzenhout (2000) et Muller (2001), ainsi que la thèse très utile de Gerlach (2002).

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plus restreintes. D'autre part, par une analyse plus détaillée des phénomènes à l'oeuvre dans chacune de ces langues, que ce soit au niveau de la syntaxe ou au niveau de la phonologie et de la morphologie. Ces études ont fait apparaître que les comportements de détail des pronoms clitiques au travers des différentes langues, et même souvent au sein d'une même langue, sont loin d'être uniformes, même si certaines propriétés sont partagées. Elles ont aussi fait apparaître une variété de propriétés au travers du champ de données qui couvre apparemment presque tous les cas imaginables intermédiaires entre celui de mot plein habituel et celui d'affixe flexionnel normal. Vu leur position à l'interface entre syntaxe, morphologie et phonologie, et la complexité du champ des données, les pronoms clitiques dans les langues romanes constituent un terrain particulièrement pertinent pour mettre à l'épreuve toute théorie linguistique.

2 Propriétés syntaxiques particulières des pronoms clitiques Les premiers travaux générativistes sur les clitiques, comme Perlmutter (1970) et surtout Kayne (1975), se sont principalement penchés sur le statut syntaxique particulier de ces éléments. Leur statut problématique du point de vue de l'interaction entre syntaxe, morphologie et phonologie n'a pas été véritablement pris en compte avant la publication de Zwicky (1977). En partant du français, Kayne (1975) a mis en évidence une série de propriétés syntaxiques particulières des pronoms clitiques dont on a pu montrer par la suite qu'elles étaient typiques de la situation dans la plupart des langues romanes, bien que l'on constate beaucoup de variation dans le détail. Nous allons les passer en revue ci-dessous en mentionnant au fur et à mesure certains cas particuliers intéressants.

2.1 Position des clitiques dans la phrase

2.1.1 Clitiques positionnés par rapport à un verbe fini La propriété la plus immédiatement distinctive des pronoms clitiques dans les langues romanes est qu'ils n'apparaissent pas dans les mêmes positions que les SN ou SP pleins correspondants. Il s'agit donc de ‘clitiques spéciaux’ au sens de Zwicky (1977). Ceci est particulièrement clair pour les cas où la phrase comporte un verbe fini. En effet, dans ce cas, les pronoms apparaissent en général devant ce verbe, alors que la position habituelle des syntagmes pleins correspondants est derrière7. (3) I a. Martina legge il libro. F b. Martine lit le livre. (4) I a. Martina lo legge.

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F b. Martine le lit. (5) I a. *Martina legge lo. F b. *Martine lit le. Les données sont identiques de ce point de vue en français, en catalan, en espagnol, et en italien (sauf le cas exceptionnel de loro en italien, qui a été discuté en détail dans Monachesi 1999 : 119-133, et sur lequel nous n'aurons pas la place de revenir dans ce chapitre). En roumain, les pronoms sont proclitiques aux formes finies (6a), sauf pour certaines configurations avec le pronom féminin accusatif o. Dans les formes verbales avec auxiliaire de temps, alors que les clitiques en général sont sur l'auxiliaire (6b), cf. 2.1.5, le clitique o est sur le V infinitif avec l'auxiliaire du conditionnel (6e), et sur le participe passé avec l'auxiliaire du passé (6c) ; o est cependant proclitique à l'auxiliaire du futur (6d), la règle générale étant que o ne peut apparaître comme proclitique à un auxiliaire commençant par un voyelle (cf. Lombard 1974 : 128-129). (6) R a. Marina îl/o citeşte. [*citeşte-l/o] ‘Marina le/la lit.’ R b. Marina l-a citit. [*a citit-îl] ‘Marina l'a lu.’ R c. Marina a citit-o. Marina a lu-la. [*o a citit] ‘Marina l'a lu.’ R d. Marina o va citi. Marina la AUX.FUT lire. [*va citi-o] ‘Marina la lira.’ R e. Marina ar citi-o. Marina AUX.COND lire-la. [*o ar citi] ‘Marina la lirait.’ Le portugais, sur cette question, est exceptionnel dans les langues romanes. En effet, dans cette langue l'enclise est la position par défaut (7a,b). Le choix entre enclise et proclise n'est pas lié au statut fini ou non fini du verbe, mais est déterminé par la présence d'une série d'éléments qui forcent la proclise lorsqu'ils apparaissent devant le verbe (cf. Barbosa 1996, Rouveret 1999, Crysmann 2000a). Plus précisément, il s'agit des complémenteurs, des expressions wh-, de la négation, de certains quantificateurs et de certains adverbes (7c,d,e). En l'absence de tels éléments en position préverbale, les clitiques sont enclitiques (7a,f). Les propriétés communes à ces différents déclencheurs de proclise sont peu claires. (7) P a. A Marina lê-o. (La Marina lit-le) ‘Marina le lit.’ P b. *A Marina o lê. (La Marina le lit) P c. A Marina não o lê. ‘Marina ne le lit pas.’ P d. *A Marina não lê-o. P e. A Marina raramente o lê / *lê-o. ‘Marina le lit rarement.’ P f. A Marina lê-o /* o lê raramente. ‘Marina lit-le rarement.’

7 Le verbe fini dont il est question ici est soit le verbe plein, soit un verbe auxiliaire au sens d'Abeillé et Godard (ce volume). Lorsque le verbe fini est restructurant au sens d'Abeillé et Godard, les clitiques peuvent également apparaître sur le verbe complément non fini, voir 2.1.2 et 2.1.5.

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Enfin, l'ordre des clitiques entre eux n'est pas le même que l'ordre entre les syntagmes pleins correspondants. En effet, comme nous le verrons ci-dessous en 3.4, l'ordre des clitiques est fixe, contrairement à ce qui est le cas pour les syntagmes compléments (pour ceux-ci, des facteurs discursifs peuvent favoriser l'un ou l'autre ordre, mais l'ordre n'est pas syntaxiquement contraint). (8) F a. Martine donnera le livre à Jean /à Jean le livre. I b. Martina darà il libro a Gianni / a Gianni il libro. F c. Martine le lui /*lui le donnera. I d. Martina glielo /*logli darà. On notera en particulier que l'ordre entre les clitiques correspondants en français (8c) et en italien (8d) est inversé. De plus, en français, si l'on a un datif autre que lui, leur, on obtient l'ordre datif suivi de l'accusatif (9a), comme dans le cas italien correspondant (9b) et comme en (8d). (9) F a. Martine me le / *le me donnera. F b. Martina me lo / *lo me darà. On constate donc que des facteurs complexes régissent l'ordre des clitiques entre eux avec des variations entre les langues et au sein d'une même langue. Nous reviendrons en détail sur cette question en 3.4.

2.1.2 Clitiques positionnés par rapport à un verbe non fini Dans les cas où un clitique se combine avec un verbe à l'infinitif ou au participe, l'italien, le catalan, l'espagnol et le roumain exigent l'enclise, comme cela apparaît en (10) (cf. aussi 6c, 6e ci-dessus). On remarquera que seul l'italien permet la cliticisation au participe passé comme en (10b), la forme correspondante n'étant possible dans aucune des autres langues romanes étudiées (10e,i) (cf. p. ex. Fernández Soriano 1999 : 1261 pour l'espagnol, Crysmann 2000a : 78 pour le portugais). (10) I a. Martina vuole leggerlo. (Martina veut lire-le) ‘Martina veut le lire.’ b. Lettolo, fu facile decidere. (Lu-le, fut facile décider.) ‘Une fois qu'il fut lu,

il fut facile de décider’ c. Avendolo letto, fu facile decidere. (Ayant-le lu, ...) ‘L'ayant lu, ...’ E d. Martina quiere leerlo. e. *Leídolo, fue fácil decidir. f. Habiéndolo leído, fue fácil decidir. C g. Martina vol llegir-lo. h. Martina vol vendre'l. (Martina veut vendre le.) i. *Llegit-lo, va ser fàcil decidir. j. Havent-lo llegit, va ser fàcil decidir.

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P k. Tendo-o lido, foi fácil decidir. R l. văzîndu-mă ‘(en) me voyant’ On remarquera que le standard orthographique rattache les enclitiques au verbe dans toutes les langues (directement en italien et en espagnol, par un trait d'union ou une apostrophe selon les cas en catalan, par un trait d'union en roumain et en portugais). Ces conventions orthographiques reflètent le fait que les clitiques ne sont pas, dans ces phrases, malgré les apparences superficielles, dans la même position qu'un syntagme plein correspondant. En effet, contrairement aux syntagmes, les enclitiques ne peuvent en aucun cas être séparés du verbe, et cela dans toutes les langues romanes (voir ci-dessous 2.1.4). En français, par contre, on constate une proclise avec l'infinitif et le participe présent (le participe passé étant incompatible avec les pronoms clitiques), comme avec les verbes finis. (11) F a. Martine veut le lire. (vs. *lire-le) b. En l'ayant lu / En le lisant, il fut facile de décider. (vs. *ayant-le lu / *lisant-

le, ...) c. *Lu-le / *Le lu, il fut facile de décider. En portugais, les facteurs régissant le choix entre proclise et enclise fonctionnent exactement comme dans les phrases finies. Cette langue romane est ainsi la seule à avoir un choix entre position enclitique et proclitique qui ne soit pas régi par les seules propriétés flexionnelles du verbe (cf. Rouveret 1999, Crysmann 2000a,b, Duarte et Matos 2000). Ceci conduit à obtenir des exemples de proclitiques sur les infinitifs si ceux-ci sont précédés d'un déclencheur de proclise au sein même de l'infinitive comme en (12a), qui contraste avec (12b)8. (12) P a. Marina lamentava não o conhecer. ‘Marina regrettait de ne pas le connaître’ b. Marina lamentava conhecê-lo. ‘Marina regrettait de le connaître.’

2.1.3 Clitiques positionnés par rapport à un verbe à l'impératif En français standard, les clitiques apparaissent comme enclitiques avec les impératifs positifs, mais comme proclitiques avec les impératifs négatifs (13a,b). En français parlé, dans les impératives négatives sans ne, on trouve une alternance selon les dialectes entre une conservation de la proclise (13c) et une variante innovante où l'enclise se généralise à tous les emplois de l'impératif (13d) (voir Hirschbühler et Labelle 2001a pour une étude détaillée).

8 La situation est identique avec les infinitifs conjugués du portugais. Voir Crysmann (2000a : 83) sur les exigences de localité sur le déclencheur de proclise (qui n'a pas d'effet s'il est dans la principale).

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(13) F a. Lis-le ! F b. Ne le lis pas ! FP c. Le lis pas ! FP d. Lis-le pas ! En espagnol (Fernández Soriano 1999 : 1261), en catalan (Wheeler et al. 1999 : §12.2.2, §16.5.11) et en portugais la situation est assez similaire à celle du français standard, mais pour ces langues, il faut tenir compte du fait que les formes spécifiques de l'impératif (qui existent uniquement pour 2sg et 2pl) ne sont possibles que dans les impératives positives. Dans les ordres négatifs on trouve le subjonctif (sans élément introducteur du type que). Malgré la variété des formes, un principe unique gouverne la position des clitiques, à savoir qu'ils sont enclitiques dans les impératives positives (14a,c,e) et proclitiques dans les imperatives négatives (14b,d,f)9. Les mêmes principes de positionnement s'appliquent en roumain (14g,h)10. (14) E a. Léelo ! (imp) E b. No lo leas ! (subj) C c. Llegeix-lo ! (imp) C d. No el llegeixis ! (subj) P e. Lê-o ! (imp) P f. Não o leias ! (subj) R g. Citiţi-l ! (imp) R h. Nu-l citiţi ! (imp) En italien (Cordin et Calabrese 1988 : 552 ; Vogel et Napoli 1995), on trouve des formes impératives spécifiques à la 2sg, à la 1pl et à la 2pl. Ces formes sont compatibles avec la négation, sauf la 2sg qui est remplacée par l'infinitif en présence de la négation, comme en roumain. Par ailleurs, les formes du subjonctif sont possibles à toutes les personnes avec une valeur exhortative, mais elles relèvent d'un registre plus formel. Pour ce qui est du placement des clitiques, la situation est plus complexe que dans les autres langues. Avec les formes spécifiques de l'impératif, en l'absence de négation, seule l'enclise est possible (15a,d). Par contre avec la négation, la proclise et

9 Notons qu'en espagnol et en catalan, avec les emplois habituels du subjonctif (précédés de que), les clitiques précèdent le verbe, que la négation soit présente ou non. On contrastera ainsi C Llegim-lo ! ‘Lisons-le !’ avec És possible que el llegim ‘Il est possible que nous le lisions’, et on notera que lorsqu'on emploie un subjonctif avec que dans une principale pour exprimer un ordre, on obtient également la proclise : C Que el llegeixi ! ‘Qu'il le lise !’. 10 Il s'agit en (14g,h) de la 2pl, car pour 2sg (Citeşte-l !) c'est l'infinitif qui est utilisé avec la négation (Nu-l citi !). A la 2pl, la forme de l'impératif est identique à celle du subjonctif présent. Or, il est possible, en roumain, d'exprimer un ordre au subjonctif, sans proposition rectrice et sans la particule să (plus ou moins similaire à ‘que’). Dans ce cas on a des enclitiques : Bată-l Dumnezeu ! ‘Que Dieu le punisse !’ (cf. Lombard 1974 : 130, qui dit que de tels subjonctifs sont limités à des expressions figées exprimant une imprécation ou un souhait) ; avec să, les pronoms sont proclitiques : Să-l bată ! (cette dernière forme étant d'un usage courant). Le fait que dans des exemples comme (14g) on n'a aucun figement suggère qu'il s'agit bien d'un emploi impératif et non d'un subjonctif. Enfin, Lombard (1974 : 131) mentionne que, dans une coordination d'impératifs, on peut avoir proclise devant le second coordonné, comme en français classique (Haase 1930 : 417, p. ex. Faites-en faire des informations, et me les envoyez le plus tôt que vous pourrez).

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l'enclise sont toutes deux possibles (15b,c,e,f). Enfin, avec les formes du subjonctif (15g,h,i), la proclise toujours est obligatoire, même avec la négation. (15) I a. Leggi-lo ! I b. Non lo leggere ! I c. Non leggerlo ! I d. Leggete-lo ! I e. Non lo leggete ! I f. Non leggetelo ! I g. Lo legga ! I h. Non lo legga ! I i. *Non leggalo ! On notera que les mêmes types de contraintes rigides sur l'ordre entre clitiques, constatées dans le cas de la proclise pour les formes finies, se retrouvent également dans les cas d'enclise sur les formes non finies et les impératifs, bien que l'ordre entre les clitiques ne soit pas toujours le même en enclise et en proclise. Les impératifs correspondant à (9a,b) sont donnés en (16). On constate que l'ordre est préservé en italien, mais inversé en français standard (cf. 3.4 pour plus de détails). (16) I a. Dammelo ! F b. Donne-le-moi !

2.1.4 Contiguïté des clitiques avec le verbe Outre leur position linéaire particulière, les pronoms clitiques dans les langues romanes modernes doivent être contigus au verbe, sauf dans quelques cas particuliers très limités. Cette contrainte est catégoriquement respectée dans toutes les langues romanes en ce qui concerne les enclitiques11. (17) I a. *Leggi-bene-lo ! a'. *Voglio leggere-bene-lo. E b. *Lée-bien-lo ! b'. *Quiero leer-bien-lo. P c. *Lê-bem-o ! c'. *Quero lê/ler-bem-lo. R d. *Citeşte-bine-o ! d. *Marina ar citi-bine-o. En ce qui concerne les proclitiques, les exemples en (18) illustrent le cas général. (18) F a. *Martine le souvent lit. I b. *Martina lo non legge. E c. *Martina lo no lee. L'exemple français (18a) peut paraître peu convaincant parce qu'il est en général anormal de placer un adverbe devant un verbe fini, et que l'inversion de l'adverbe et du

11 L'infinitif ler se réduit à lê devant un clitique accusatif (cf. 3.2 ci-dessous), mais le choix de lê ou ler devant bem en (17c') ne change rien à l'agrammaticalité de la phrase. En (17c,c'), la forme choisie pour le pronom clitique est celle attendue après le verbe dont il est séparé par bem (cf. lê-o ; lê-lo). Cependant, après une forme verbale qui se termine par [m], le clitique 3m.sg.acc est réalisé -no (cf. ci-dessous 3.2) et on pourrait se demander si le problème posé par les exemples ne vient pas du choix de -o et -lo derrière un mot se terminant par [m]. Mais ceci n'est pas la bonne explication, vu que le remplacement par -no n'améliore en rien l'acceptabilité des exemples : *Lê/ler-bem-no !

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pronom clitique ne conduit pas à une phrase tout à fait acceptable (?Martine souvent le lit). Cependant, la phrase où le clitique est séparé du verbe est d'un degré d'inacceptabilité beaucoup plus extrême que la variante où l'adverbe apparaît devant le pronom clitique, au point même de sembler totalement ininterprétable. Par ailleurs, en français, où les clitiques sont proclitiques aux infinitifs, on peut montrer bien plus clairement la distinction. En effet les infinitifs peuvent être précédés par des adverbes12. (19) F a. Je veux bien le regarder. a'. *Je veux le bien regarder. Cependant, alors que les enclitiques ne peuvent en aucun cas être séparés du verbe, la situation est un peu plus complexe pour les proclitiques. En effet, le portugais et le roumain permettent quelques cas (classiquement appelés ‘interpolations’) où les clitiques peuvent être séparés du verbe par un nombre limité d'éléments, typiquement des adverbes ‘légers’. En portugais, il s'agit principalement de la négation não 13 . L'exemple (20a) est emprunté à Barbosa (1996 : 7). Notons cependant que l'ordre inverse (20b) est le seul naturel dans la langue ordinaire. Quant au roumain, il s'agit d'un nombre limité d'éléments adverbiaux d'intensité, mai ‘encore’, cam ‘un peu, à peu près’, prea ‘très’, şi ‘aussi’, tot ‘encore’, comme illustré en (20c). Cependant, ces éléments eux-mêmes doivent sans doute être analysés comme des clitiques adverbiaux (cf. Dobrovie-Sorin 1994 : 10sv ; 63sv, Monachesi 2000). (20) P a. Ela prometeu que lhe não diria nada. ‘Elle promit qu'elle lui ne dirait rien.’ P b. Ela prometeu que não lhe diria nada. R c. Îl mai văd. (le encore vois.1sg) ‘Je le vois encore.’ Pour conclure, même si dans quelques cas extrêmement limités les pronoms clitiques peuvent être séparés du verbe, ils ne peuvent en aucun cas apparaître dans une phrase où le verbe dont ils dépendent est absent, comme le montre l'agrammaticalité des réponses elliptiques (21a,b,c,d,e) et du gapping dans (22a,b,c,d) par exemple. On

12 En français classique, il est possible de violer la contrainte habituelle de contiguïté lorsque le verbe est à l'infinitif, et cela peut encore marginalement se faire dans un style archaïsant, comme dans Il a délibérément choisi de n'en pas tenir compte ; Puis j'avais découvert le moyen infaillible de ne les plus jamais confondre, ces deux exemples étant empruntés à Togeby (1982, I : 398). Il est à remarquer que la construction est un peu moins choquante avec les clitiques adverbiaux y et en comme le montre le contraste entre les deux exemples cités. Cependant, aucun exemple de ce type n'est attesté dans la langue courante. 13 Sur ce point, voir aussi Vigário (2003) et Crysmann (2000a : 85). Barbosa (1996 : 7) donne pour acceptables dans des dialectes portugais conservateurs du nord, et en galicien, des cas d'interpolation par un pronom sujet tonique. Par contre, Sánchez-Rei (1999) affirme que l'interpolation en général est agrammaticale en galicien contemporain. Selon les informateurs portugais consultés, les formes avec interpolations ne sont pas du tout naturelles en portugais contemporain. Il semblerait donc qu'elles soient en voie de disparition.

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remarquera que ceci est vrai même en portugais et en roumain où le clitique peut apparaître non contigu au verbe dans les quelques cas que nous venons de discuter14. (21) F a. Que voit Martine ? *Le./*Me. [= Martine le/me voit] I b. Che vede Martina ? *Lo./*Mi. P c. Que vê a Marina ? *O./*Me. R d. Ce vede Marina ? *O./*Îl./*Mă. R e. Cui îi vorbeşte Marina ? ‘A qui lui parle Marina ?’ *Îşi./*Îmi. ‘Leur. / Me.’ (22) F a. *Jean la voit, et Martine le/me. [= et Martine le/me voit] I b. *Gianni la vede e Martina lo/mi. P c. *O João vê-a e a Marina o/me. R d. *Radu îl vede şi Marina *o/*îl/*mă. [= şi Marina o/îl/mă vede] De même, les clitiques ne peuvent être directement cliticisés à une catégorie autre qu'un verbe, même si celle-ci peut régir un SP plein qui correspond à ce clitique. C'est ce que montrent des exemples comme les suivants, où, comme indiqué en (23a), le clitique est sémantiquement le complément datif de l'adjectif attribut, mais doit cependant avoir le verbe copule comme hôte (voir également les exemples (66), (67), (68) et (70) en 4.2 pour des exemples où en et y sont sémantiquement arguments d'un adjectif ou d'un nom complément d'un verbe mais sont attachés à ce dernier). (23) F a. L'article semble incompréhensible à Paul. F b. L'article lui semble incompréhensible. /*semble lui incompréhensible. I c. L'articolo gli sembra incomprensibile. /*sembra gli incomprensibile. E d. El artículo le parece incomprensible. / *parece le incomprensible. Enfin, même en l'absence de verbe, un adjectif épithète ne peut régir un clitique datif (24a,b,c). On doit recourir à une forme forte introduite par une préposition (24d,e,f). (24) F a. *Un article lui incompréhensible I b. *Un articolo gli incomprensibile E c. *Un artículo le incomprensible F d. Un article incompréhensible pour lui I e. Un articolo incomprensibile per lui E f. Un artículo incomprensible para él

14 Dans la section 3.1 nous parlerons de certains cas où les pronoms clitiques du roumain sont phonologiquement enclitiques au mot qui précède le verbe devant lequel ils sont placés (cf. (13j) et nu-l citi !, să-l bată ! dans la note 10). Cependant, de telles formes ne permettent pas de créer des exceptions à la règle générale qui exige que le clitique soit contigu à un verbe, car elles ne peuvent en aucun cas apparaître sans être suivies d'un verbe.

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2.1.5 La montée des clitiques Dans toutes les langues romanes, il existe des classes de verbes qui régissent des SV non finis et qui autorisent ou exigent que les compléments du verbe régi soient cliticisés sur le verbe recteur et non sur le verbe dont ils sont un argument sémantique. Dans les exemples en (25a,b), le pronom est l'argument du verbe enchâssé lire/leggere mais il doit se cliticiser sur le verbe recteur avoir/avere. En (25c), le pronom argument du verbe enchâssé peut se cliticiser soit sur celui-ci, soit sur le verbe recteur volere. Ce phénomène est traditionnellement désigné par le terme de ‘montée des pronoms clitiques’. (25) F a. Jean a lu le livre. / *Jean a le lu. / Jean l'a lu. I b. Gianni ha letto il libro. / *Gianni ha lettolo. / Gianni l'ha letto. I c. Gianni vuole leggere il libro. / Gianni vuole leggerlo. / Gianni lo vuole leggere. ‘Gianni veut lire le livre / veut lire-le / le veut lire.’ Il est intéressant notamment de contraster (25b) et (10b). En effet ce dernier montre qu'au moins en italien, dans les temps composés avec participe passé, l'impossibilité de conserver les clitiques sur le verbe plein ne peut s'expliquer par une incompatibilité du pronom clitique avec la forme même du participe passé15. On se reportera au chapitre d'Abeillé et Godard dans ce volume pour une analyse détaillée du phénomène de montée des clitiques dans les langues romanes. Elles montrent que la position spéciale des clitiques dans ces structures est une conséquence d'un phénomène plus général d'héritage des arguments du verbe non fini par le verbe recteur. Enfin, on notera que lorsqu'il y a plusieurs clitiques arguments d'un même verbe, ils ne sont pas libres de monter indépendamment les uns des autres. Si l'un des clitiques monte, les autres doivent le suivre (“bandwagon effect”), comme cela est illustré par les exemples italiens en (26)16. (26) I a. Gianni vuole darglielo. ‘Gianni veut donner-lui-le.’ I b. Gianni glielo vuole dare. I c. *Gianni gli vuole darlo. I d. *Gianni lo vuole dargli.

15 Cet argument pourrait être invoqué pour les autres langues romanes, où l'on a vu qu'il y avait une impossibilité d'attacher un pronom clitique à un participe passé. 16 On notera cependant que le clitique 3f.sg o du roumain reste sur le participe, même si un autre clitique monte : Le-am dat-o ‘(je) le lui ai donné’. Par ailleurs, on notera les exemples classiques du type Je l'en ai fait se souvenir (Martinon 1927 : 302) où le clitique réfléchi se reste sur l'infinitif alors que en monte (cf. Kayne 1975 : 427-8, Kayne 1991 : 661). Enfin, Kayne (1991 : 661) mentionne des exemples comme (i) de séparation de clitiques dans des dialectes de type franco-provençal, empruntés à Chenal (1986). Ce type de cas demeure cependant totalement marginal dans les langues romanes. (i) T'an-të deut-lo ? (2.sg.dat-avoir-3.pl.suj dit-3.sg.acc ?) ‘Te l'ont-ils dit ?’

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2.1.6 Conclusion L'ensemble des données discutées ici montre clairement que les pronoms clitiques dans les langues romanes sont des clitiques spéciaux au sens de Zwicky (1977), puisqu'ils n'apparaissent pas dans la position des syntagmes pleins qui leur correspondent. Cependant, le principe de positionnement des clitiques fait référence à des propriétés syntaxiques (contiguïté au verbe) et morphosyntaxiques (forme finie, non finie, impérative) et non prosodiques. Ceci nous fournit donc un premier argument en faveur de l'idée que les pronoms clitiques doivent en fait être analysés comme des affixes flexionnels du verbe, du moins dans les langues romanes modernes17. De plus, le fait que les clitiques doivent être contigus au verbe (sauf pour les exceptions très limitées notées en portugais et en roumain) montre qu'ils sont très sélectifs quant à la catégorie syntaxique de l'élément auquel ils s'attachent, caractéristique typique des affixes et non des clitiques selon les critères de Zwicky et Pullum (1983)18. Dans les variantes anciennes, on peut suggérer suivant Fontana (1993, 1996), Hirschbühler et Labelle (2000, 2001b) que les pronoms clitiques étaient au contraire de véritables clitiques spéciaux. Fontana avance que les clitiques en ancien espagnol se placent syntaxiquement devant le premier élément de Ph, mais qu'ils sont, par défaut, prosodiquement enclitiques. Il avance également que l'ancien espagnol était une langue dite V2 (similaire au néerlandais ou à l'allemand modernes), le verbe étant le premier élément de Ph, mais pouvant être précédé d'un constituant dans une position initiale. Ainsi on obtient des exemples comme les suivants, empruntés à Fontana (1996 : 55 ; 1993 : 20)19. (27) AE a. mas que=l diessen a los freyres del Temple mais que=le ils.donnent aux frères du Temple ‘mais qu'ils le donnent aux frères du Temple’ b. Esto=t lidiare aqui antel Rey don alfonsso ceci=te je.défie ici devant.le Roi don alfonsso ‘Je te défie sur ceci devant le Roi don Alfonsso’ c. tomo=l consigo por compannero il.prit=le avec.lui pour compagnon ‘il le prit avec lui pour compagnon’

17 Le fait que les clitiques se réalisent tantôt comme préfixes, tantôt comme suffixes, selon les propriétés morphosyntaxiques du verbe ne peut en aucun cas constituer un argument définitif contre une analyse affixale. En effet, d'une part, il existe des langues ou des morphèmes qui sont clairement des affixes ont la même propriété de ‘mobilité’ par rapport à la base (voir p. ex. Noyer 1994 et Bendjaballah 2002) ; d'autre part la forme des pronoms clitiques n'est pas toujours la même selon qu'ils sont proclitiques ou enclitiques (voir p. ex. Morin 1979b pour des données du français parlé, notamment le fait que y et en se réalisent /zi/ et /zã/ lorsqu'ils sont derrière le verbe dans de nombreuses variétés : ‘donne-z-en ; donne-moi-z-en’). 18 Voir cependant Monachesi (1998, 2000) et Crysmann (2000a,b) pour des propositions d'analyses en termes d'affixe pour les cas de non contiguïté en roumain et en portugais respectivement. 19 Le signe = est utilisé ici pour séparer le clitique du verbe auquel il est phonologiquement et orthographiquement attaché, montrant bien qu'il s'agit à chaque fois d'un enclitique.

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d. por que=las vos dexastes parce que=les vous abandonnâtes ‘parce que vous les abandonnâtes’ En (27a), on a une subordonnée et l'élément en position initiale est le subordonnant que, le verbe diessen étant le premier élément de Ph. En (27b), le SN objet est dans la position initiale et en (27c), c'est le verbe lui-même qui occupe cette position. L'exemple (27d) est intéressant car il montre un cas d'interpolation, qui serait tout à fait impossible en espagnol contemporain. De tels exemples sont possibles à cette époque parce que la structure syntaxique des subordonnées offre une position préverbale dans le domaine Ph, où apparaît le sujet vos qui sépare le clitique las du verbe. La disparition de cette possibilité en espagnol (et plus généralement dans toutes les langues romanes, sauf pour les exceptions limitées qui subsistent en portugais et en roumain, voir 2.1.4) conduit à éliminer le seul cas de figure où les clitiques ne sont pas contigus au verbe. Cette analyse, présentée ici de façon très simplifiée, semble pouvoir s'étendre à l'ensemble des langues romanes anciennes (même s'il ne subsiste aucun exemple attesté d'interpolation en ancien français, cf. Hirschbühler et Labelle 2000). De façon très schématique, on peut comprendre le changement qui s'est opéré en espagnol, en catalan, en italien, en roumain et en français de la façon suivante. Ces langues perdent leur statut V2, ce qui a conduit à augmenter considérablement le nombre de phrases où le verbe fini est en position initiale dans Ph et précédé d'aucun élément (rappelons que dans ces langues, y compris l'ancien français, un sujet anaphoriquement récupérable n'est simplement pas exprimé, et que dans ce cas le verbe est à l'initiale dans une principale SVO). Dans ces conditions, on trouve de plus en plus souvent des clitiques devant un verbe fini à l'initiale absolue de phrase ce qui force un rattachement de type proclitique20. Ce rattachement proclitique est ensuite étendu aux cas où le verbe fini n'est pas initial, conduisant à la proclise systématique sur le verbe fini que nous avons vue dans les langues modernes. Pour les impératives, au stade V2, Fontana fait l'hypothèse que le verbe lui-même est dans la position initiale devant Ph, sauf s'il est accompagné de la négation qui occupe alors elle-même cette position. Il s'ensuit que les clitiques sont enclitiques au verbe sauf si la négation est présente. Dans ce cas, ils sont enclitiques à celle-ci. On peut alors expliquer l'ordre des langues modernes, décrit en 2.1.3, comme un figement de cet ordre caractéristique des impératives positives, accompagné d'une réanalyse des clitiques dans les négatives comme proclitiques au verbe et non enclitiques à la négation (sauf en roumain, voir (14h)). En portugais, par contre, l'évolution du système se fait de façon très différente. On peut faire l'hypothèse que le statut phonologique d'enclitique a été privilégié 21 ,

20 Fontana montre que le rattachement proclitique existe même dans l'espagnol le plus ancien, mais qu'il est très rare puisque la structure syntaxique de la langue est telle qu'il existe normalement toujours un élément dans la position initiale devant Ph. 21 Voir ci-dessous la fin de la section 3.1.

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conduisant à une enclise sur le verbe par inversion prosodique (cf. Halpern 1995) dans les phrases à verbe initial. Avec l'augmentation en fréquence de ce type de construction, cette position est devenue la position par défaut, la proclise n'étant plus déclenchée par des contraintes prosodiques mais par la présence d'un ensemble bien délimité de types de syntagmes initiaux. Voir aussi Vigário (2003 : 309-314) pour une analyse plus détaillée de l'émergence de l'enclise en portugais européen, basée sur des facteurs prosodiques. On peut donc faire l'hypothèse que dans les langues romanes anciennes, les pronoms clitiques étaient des clitiques postlexicaux, dont la distribution était définie par une combinaison de contraintes syntaxiques et prosodiques typique des clitiques spéciaux. Cependant, un processus de morphologisation de ces éléments serait en cours (et est peut-être terminé dans des langues comme le français, l'espagnol, le catalan et l'italien) par lequel ils sont réanalysés comme affixes flexionnels du verbe.

2.2 Le redoublement des SN ou SP pleins par des pronoms clitiques En français standard et en italien, on constate une distribution complémentaire entre les pronoms clitiques et les syntagmes pleins correspondants, ce qui est illustré en (28) et (29). (28) F a. Martine lit le livre. b. Martine le lit. c. %Martine lei lit le livrei. d. Martine lei lit, le livrei. (29) I a. Martina legge il libro. b. Martina lo legge. c. *Martina loi legge il libroi. d. Martina loi legge, il libroi. La phrase (28c) est un cas où le SN objet direct le livre est dit ‘doublé’ par un clitique coréférent le. Il en va de même pour (29c). Il faut distinguer ce cas de celui de la dislocation à droite donné en (28d) et (29d). La différence de statut est indiquée à l'écrit par la virgule, qui marque une rupture intonative entre la phrase et le syntagme disloqué, cette rupture étant absente en (28c) et (29c). Les phrases avec redoublement par un clitique sont considérées comme inacceptables en français standard normatif et en italien. Les phrases avec dislocation (28d) et (29d) sont parfaitement grammaticales, bien que leur utilisation en discours soit soumise à certaines conditions (voir par exemple Ashby 1988, Lambrecht 1994). Cependant, en français parlé, ainsi que dans d'autres langues romanes, la phrase avec redoublement (28c) est tout à fait naturelle dans certains cas et tend alors à être préférée à (28a)22. Les données sur cette question sont extrêmement complexes, d'une part parce qu'elles sont soumises, dans chaque

22 Nous reviendrons sur le cas du doublement des clitiques sujet en français dans la section 4 ci-dessous.

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langue, à de fortes variations selon les dialectes et les registres, et d'autre part parce que la possibilité du doublement est liée en partie à des facteurs pragmatiques et discursifs complexes, ce qui rend incertains les jugements sur les phrases hors contexte. Ceci explique un certain nombre d'incohérences dans les données telles qu'elles sont présentées dans différents travaux antérieurs sur la question. Il n'est évidemment pas possible de faire le point sur ce problème complexe dans le cadre de ce chapitre. Cependant, on notera tout l'intérêt que représente ce domaine de variation pour les études typologiques sur la source des marques d'accord. En effet, depuis les travaux de Moravcsik (1974) et Givón (1976), on peut, sur des bases typologiques, faire l'hypothèse que les systèmes d'accord entre verbe et arguments résultent de la morphologisation de pronoms doublant les arguments en question, et que le développement de ce processus est soumis à certains principes universels. Givón propose que l'accord se développe d'abord avec les arguments qui sont les plus susceptibles d'être des topiques. En effet, il constate que l'accord apparaît plus rapidement avec des pronoms qu'avec des SN pleins, avec des SN définis plutôt qu'avec des SN indéfinis, avec des datifs plutôt qu'avec des accusatifs, avec des SN à référent humain plutôt qu'inanimé, etc. Dans cette perspective, une étude systématique de la variation sur ce point dans les langues romanes constituerait un champ remarquablement intéressant pour développer et vérifier de telles hypothèses, notamment en comparant avec les travaux sur les langues bantoues où un processus similaire est à l'oeuvre (voir Givón 1976, et p. ex. Bresnan et Mchombo 1987, Creissels 2001). On constate en effet que les données dont on dispose pour les langues romanes sont largement compatibles avec les hypothèses de Givón. Les premiers travaux qui ont discuté les conditions du doublement, par exemple, Farkas (1978) pour le roumain et Jaeggli (1982 : 12-14) pour l'espagnol, ont avancé que les paramètres pertinents étaient effectivement le statut pronominal ou non du SN objet, le fait qu'il soit datif ou accusatif, le fait qu'il soit animé ou non et spécifique ou non. Farkas fait en outre remarquer la pertinence des facteurs discursifs informationnels. En espagnol (cf. Jaeggli 1982 : 12-14, Suñer 1988 : 394, Fernández Soriano 1999, Franco 2000), par exemple, le doublement par un pronom clitique est obligatoire si l'objet direct ou indirect est un pronom fort, et ce dans tous les dialectes (30a, b). Pour ce qui est des objets non pronominaux, la situation varie en fonction de différents paramètres syntaxiques, sémantiques et pragmatiques, et selon les dialectes. En espagnol standard, quand les objets sont derrière le verbe en position non marquée, le doublement est possible avec les objets datifs pleins (30c) mais impossible avec les objets directs (30d,e). Il est cependant obligatoire avec certains verbes avec expérient datif (le clitique ne pouvant être omis que si l'expérient n'est pas exprimé et est interprété comme générique). (30) E a. Lo veo a él. / *Veo a él. ‘Je (le) vois lui’ b. Le hablo a él. / *Hablo a él. ‘Je (lui) parle à lui.’

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c. Le hablo a Juan. / Hablo a Juan. ‘Je (lui) parle à Jean’ d. *Lo veo a Juan. / Veo a Juan. ‘Je (le) vois [à] Juan. e. *La veo la mesa. / Veo la mesa. ‘Je (la) vois la table. Certains dialectes, cependant, notamment latino-américains, ont un doublement quasi systématique des datifs pleins, et une forte préférence pour le doublement des objets directs animés et spécifiques. Dans ces dialectes les variantes avec clitique de (30c,d) sont très nettement préférées23 . De même, le doublement est obligatoire lorsqu'un complément datif ou accusatif marqué par a est placé devant le verbe. Il est obligatoire pour les accusatifs sans a placés devant le verbe s'ils sont définis. Divers arguments ont été avancés pour démontrer que les SN doublés ne sont pas disloqués dans une position non argumentale. Jaeggli (1986 : 34) montre que le doublement est soumis à la condition de subjacence ; Suñer (1988) observe que le constituant doublé n'est séparé par aucune rupture intonative. D'après les informateurs consultés, les faits du portugais semblent être assez proches de ceux de l'espagnol standard, mais nous avons trouvé très peu de données publiées à ce sujet. Les données du catalan (Wheeler et al. 1999 : 462-4) sont également assez similaires. Les pronoms forts objets directs et indirects doivent être doublés par un clitique. Dans les registres informels, on trouve un doublement dans les relatives et les questions wh- , et même lorsqu'un SN plein datif est présent derrière le verbe (cas considéré comme non standard par certains grammairiens). Il existe certains verbes à complément datif expérient comme plaure ‘plaire’ et convenir ‘convenir’ pour lesquels le doublement par un clitique est obligatoire dans tous les cas, que le datif soit un syntagme normal, un élément wh- ou un relatif. Enfin, il existe également une littérature abondante sur le doublement en roumain (cf. Lombard 1974 : 150-151, Farkas 1978, Dobrovie-Sorin 1990, 1994), qui montre que les mêmes types de facteurs sont à l'oeuvre. Selon Farkas (1978), quand l'objet direct est un pronom fort défini et suit le verbe, le doublement est obligatoire pour les pronoms [+humain], optionnel pour les pronoms [±humains] quand ils réfèrent à des non humains, et impossible pour les pronoms strictement non humains. Pour les pronoms objets directs indéfinis derrière le verbe, le doublement est impossible sauf en cas de référents partitifs spécifiques pour lesquels il est optionnel. Quant aux SN pleins objets directs placés derrière le verbe, le doublement est optionnel s'ils sont définis et humains (31a) ou s'ils sont indéfinis et ont un référent humain extrait d'un ensemble spécifique. Quand l'objet direct est devant le verbe, le doublement est plus fréquent dans tous les cas (comme le laisseraient attendre les généralisations de Givón) ; il devient obligatoire dans tous les cas où l'objet est défini, et optionnel si l'objet direct est indéfini

23 Voir Suñer (1988), Fernández Soriano (1999), Villada Moirón (2001 : 36sv) pour une discussion détaillée de la variation dialectale et des conditions syntaxiques et sémantiques sur le doublement. On notera enfin que dans certaines constructions à possession inaliénable le doublement de l'objet indirect est obligatoire, p. ex. *(Le) duele la cabeza a Mafalda ‘lui fait-mal la tête à Mafalda’ (Jaeggli 1982 : 13).

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humain (31b), ou indéfini non humain extrait d'un ensemble spécifique (31c) (ces exemples sont empruntés à Farkas 1978 : 88, 94). (31) R a. L-am văzut pe Ion. ‘J'ai vu Ion’ [je] 3m.sg.acc-ai vu PE Ion b. Pe un argat l-a mînat la cîmp. ‘Il a envoyé un des travailleur au champ.’ PE un travailleur 3m.sg.acc-a envoyé au champ [= un pris dans un groupe

déjà connu] c. O parte din pîine am mîncat-o eu. ‘J'ai mangé une partie du pain’ une partie du pain [j'] ai mangé-3f.sg.acc moi Avec les objets indirects, le doublement est courant. Il est toujours possible, et il est obligatoire avec les pronoms définis et les SN pleins préverbaux. Même les SN pleins à référent non animé placés derrière le verbe peuvent être doublés. Les études de Dobrovie-Sorin (1990, 1994) proposent des analyses détaillées des phénomènes de doublement, en particulier dans leur interaction avec le mouvement wh-, dans le cadre ‘principes et paramètres’.

2.3 Les pronoms clitiques et la coordination Kayne (1975 : 83, 97) remarque que les pronoms clitiques du français ne se comportent pas comme des syntagmes pleins du point de vue de la coordination. Pour commencer il est impossible de coordonner les clitiques entre eux24. Ceci est vrai dans toutes les langues romanes, sauf certains cas très limités en roumain, qu'il s'agisse d'enclitiques ou de proclitiques. (32) F a. *Martine le et la voit. I b. *Martina lo e la vede. E c. *Martina lo y la ve. C d. *La Martina el i la veu.

24 Morin (1981 : 19n) fait remarquer que des exemples avec coordination de clitiques sujets, comme le suivant, sont acceptables : (i) Le candidat doit s'adresser au surveillant lorsqu'il ou elle veut quitter la salle. Les emplois de ce type sont cependant très contraints et ne sont acceptables que dans un emploi “métalinguistique” (voir Miller 1992 : 150-151) où ils permettent d'éviter de se prononcer sur le sexe du référent. On remarquera par exemple que (ii), qui a pourtant exactement la même structure syntaxique, mais qui n'est pas susceptible d'une telle interprétation, est inacceptable : (ii) *Les candidats doivent s'adresser aux surveillant lorsqu'il et elle veulent quitter la salle. Ces types d'exemples avec interprétation métalinguistique sont très marginalement acceptables avec des pronoms objets, dans des cas de figure similaires à (i). (iii) ??Dans ce cas, le surveillant le ou la fera sortir. (iv) *Dans ce cas, le surveillant le et la fera sortir. Le type illustré en (iii) avec interprétation métalinguistique est également marginalement disponible en cas de proclise en italien, en espagnol et en catalan. De même qu'en français, les cas de type (iv) sont exclus dans toutes ces langues. En cas d'enclise, même l'interprétation métalinguistique est inacceptable. La convergence des données entre les langues est étonnante sur un point a priori aussi marginal et mériterait une investigation plus approfondie.

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P e. *A Marina não o e a vê. (33) I a. *Martina vuole vederlo e -la. ‘Martina veut voir le et la’ E b. *Martina quiere verlo y -la. C c. *La Martina vol veure'l i -la. P d. *A Marina quer vê-lo e -la. (34) F a. *Prends-le et -la ! I b. *Prendilo e -la ! E c. *Tómalo y -la ! C d. *Pren-lo i -la ! P e. *A Marina vê-o e -a. ‘Marina voit le et la’ P f. *Olha-o e -a. ‘Regarde-le et -la !’ En roumain, la situation est plus complexe. La coordination des enclitiques est impossible dans tous les cas, mais la coordination des proclitiques est parfois possible, au moins pour certains locuteurs. Ileana Comorovski, c.p., suggère qu'il s'agirait peut-être des cas où ces pronoms peuvent former un mot prosodique autonome. En effet, le verbe lexical à consonne initiale a scrie (‘écrire’) se combine avec les formes syllabiques des clitiques datifs de 1e et 2e personne, îmi et îţi, qui peuvent se coordonner (35a) (au moins pour certains locuteurs) et celles-ci peuvent former des mots phonologiques autonomes. Par contre, l'auxiliaire du passé a doit se combiner avec les formes non syllabiques mi et ţi, qui, elles, ne peuvent former un mot phonologique autonome et ne sont pas coordonnables (35b)25. (35) R a. Îmi şi îţi scrie. ‘[Il] me et te écrit.’ R b. *Îmi/mi şi ţi-a scris. ‘[Il] me et te a écrit.’ Vu le statut prosodiquement déficient des pronoms clitiques, l'impossibilité de les coordonner n'est a priori pas surprenante. On peut cependant observer que dans d'autres langues, des clitiques postlexicaux peuvent avoir des variantes non réduites qui, elles, sont coordonnables. Les raisons pour lesquelles cette stratégie est en général impossible dans les langues romanes ne sont pas claires et mériteraient d'être étudiées en détail, et cela d'autant plus qu'il existe des exceptions, notamment les cas roumains du type (35a) ci-dessus, et les cas à interprétation métalinguistique discutés dans la note 24. Ces cas exceptionnels montrent que ce ne peuvent être les propriétés prosodiques des clitiques en tant que telles qui rendent la coordination impossible, ni leur statut de clitique ‘spéciaux’ dans la terminologie de Zwicky (1977). Dans la perspective d'une analyse affixale des pronoms clitiques, cette contrainte trouve naturellement une explication

25 Ces données mériteraient d'être examinées de plus près, car la nature précise des conditions autorisant la coordination n'est pas claire. En effet, pour d'autres clitiques syllabiques, la coordination est impossible. (i) *Ma şi te vede. (‘[Il] me et te voit’) (ii) *Te şi îl vad. (‘[Je] te et le vois’)

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dans la mesure où il est habituellement impossible de coordonner des affixes flexionnels. Kayne (1975) faisait également observer une deuxième propriété remarquable des clitiques objets en français, à savoir qu'ils ne pouvaient avoir une portée large sur une coordination de verbes, comme le montre (36a). Les données sont similaires en italien comme indiqué en (36b)26,27. (36) F a. *Martine la voit et écoute. (comparer : Martine voit et écoute Marie) I b. *Martina la vede e ascolta. (comparer : Martina vede e ascolta Maria) Dans les autres langues romanes, cependant, les faits sont plus complexes. En cas d'enclise, la portée large est impossible dans tous les cas. Pour sauver les exemples (37), il suffit de répéter le clitique sur chaque verbe28. (37) I a. *Voglio vedere e ascoltarla. ([Je] veux voir et écouter.la) E b. *Quiero ver y escucharla. C c. *Vull veure i escoltar-la. P d. *Posso aplaudir e festejá-lo. ([Je] peux applaudir et fêter-le) P e. *Ele viu-me e cumprimentou. (Il vit-moi et salua) P f. *Ele viu e cumprimentou-me. (Il vit et salua-moi) Par contre en cas de proclise, les résultats semblent acceptables en portugais et en roumain. Pour l'espagnol et le catalan, les résultats semblent marginaux, mais pas tout à fait exclus29.

26 Kayne (1975 : 97n) remarque cependant qu'avec des paires de verbes du type V et re-V la portée large est possible : Paul les lit et relit sans cesse. De même pour l'italien, l'espagnol et le catalan : I Paolo lo legge e rilegge continuamente ; E Pedro los lee y relee sin parar ; C En Pere els llegeix i rellegeix sense parar. Comme le fait remarquer Josep Fontana (c.p.) d'un point de vue pragmatique cela n'est pas tellement étonnant, puisque l'action ‘V et re-V’ est conçue comme un seul événement complexe. La question demeure cependant de savoir comment cette propriété pragmatique peut lever ce qui est apparemment une impossibilité morphosyntaxique (voir d'ailleurs à ce sujet la note 28). Par ailleurs, les phrases de type (36a) semblent possibles en français jusqu'au 17e siècle au moins. Haase (1930 : 401) donne des exemples attestés de ce type (cependant, tous les exemples sauf un proviennent d'œuvres en vers et la répétition du pronom conduirait dans tous les cas à l'ajout d'une syllabe ; ces données demandent donc à être confirmées). 27 Il est important de voir que l'impossibilité n'apparaît que si la coordination concerne directement le verbe auquel serait attaché le clitique en l'absence de coordination. Des exemples comme Martine l'a vu et écouté sont parfaitement bien formés parce que le clitique ne se rattache pas aux éléments coordonnés vu et écouté, mais à l'auxiliaire a, qui a lui-même portée sur la coordination des deux verbes. En négligeant cette distinction cruciale, Vigário (2003 : 133), citant Matos, donne (i) comme contre exemple. (i) P Ele estava-lhe sempre a telefonar e a comprar livros. Il lui-était toujours à telephoner et à acheter des livres Or celui-ci est non pertinent pour les raisons indiquées, ce type de cas de figure étant grammatical dans toutes les langues romanes. 28 Les exemples (37e,f) et (38a) sont empruntés à Rouveret (1999 : 648). On notera que la portée large pour les enclitiques est exclue même dans les coordinations du type ‘V et re-V’ discutées dans la note 26 (I *Voglio leggere e rileggerlo continuamente ; F *Lis et relis-le sans cesse !, cf. Benincà et Cinque 1993), ce qui montre bien que l'explication pragmatique suggérée n'est pas suffisante en tant que telle.

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(38) P a. Afirmo que ele me viu e cumprimentou. ‘J'affirme qu'il me vit et [me] complimenta.’ P b. Todos o aplaudiram e festejaram. ‘Tous l'applaudirent et [le] fêtèrent.’ R c. Marina îl cunoaşte şi admiră. ‘Marina le connaît et [l']admire.’30 R d. Marina îmi scria şi telefona zilnic. ‘Marina m'écrivait et [me] téléphonait

tous.les.jours.’ E e. ??Martina la ve y escucha [comparer : Martina ve y escucha a María] C f. ??La Martina la veu i escolta [comparer : La Martina veu i escolta la Maria] Les difficultés posées par la portée large sur une coordination d'hôtes ne peuvent s'expliquer, dans le cadre d'une analyse des pronoms clitiques romans comme clitiques postlexicaux, simplement en termes du statut prosodiquement déficient des clitiques, car il n'y a aucune restriction universelle contre la cliticisation d'un élément prosodiquement faible sur l'un des membres d'une structure coordonnée (voir Miller 1992 : 155sv). Comme on s'y attend, le rattachement prosodique d'un clitique est une opération qui ne peut normalement pas être soumise à la condition sur les structures coordonnées, qui veut que les phénomènes syntaxiques s'appliquent de façon symétrique aux deux membres de celles-ci. En effet, seule la structure prosodique, et non la structure syntaxique, peut contraindre les opérations postlexicales. Par contre, il est bien connu que les affixes sont typiquement répétés sur chaque membre d'une coordination de mots, bien que certaines exceptions existent31. Le fait que l'on doive obligatoirement répéter un élément sur une coordination d'hôtes peut donc être considéré comme un argument très fort en faveur du statut affixal et non clitique postlexical de cet élément. Par contre, dans la mesure où il existe des affixes qui peuvent avoir une portée large sur une coordination de bases, la possibilité de la portée large, constatée pour les proclitiques dans plusieurs langues romanes, ne nous dit rien sur leur statut d'affixes ou de clitiques postlexicaux (cf. Miller 1992 : 155sv).

2.4 Règles syntaxiques affectant un verbe et les clitiques qui lui sont attachés L'italien et le catalan ont une construction syntaxique, typique du registre parlé, qui est parfois appelée dislocation à gauche du verbe (voir Benincà 1988 ; Monachesi 1999 : 31, Vallduví 2001). Il s'agit d'une construction où l'infinitif est disloqué à gauche, et

29 Il semble que l'on ait affaire à une situation de variation où la portée large correspond à un système plus ancien, mais encore partiellement accessible aux locuteurs modernes. Par exemple, Uriagereka (1995 : 105) donne l'exemple suivant de proclitique avec portée large comme bien formé : E Juan les hablará y perdonará ‘Juan leur parlera et [leur] pardonnera’ mais ce type d'exemple n'est pas considéré comme naturel par les natifs. De plus, il semble que la situation soit similaire en italien où certains locuteurs acceptent marginalement et dans les mêmes conditions les exemples de portée large d'un proclitique du type (36b). 30 Cependant, le résultat semble moins acceptable avec le pronom féminin accusatif o : ?Marina o cunoaste şi admiră. 31 P. ex. la portée large pour le suffixe ordinal -ième en français, comme dans. à la cinq ou sixième entrevue (Stendhal, cité dans Grevisse 1980 §892).

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doublé dans la phrase par le même verbe à l'indicatif, comme en (39a,b). Cette construction est disponible pour des infinitifs nus comme en (39a,b), mais aussi pour des infinitifs accompagnés d'un clitique, comme en (39c,d). Par contre, il est impossible de détacher de la sorte un verbe infinitif avec un complément de type syntagme plein, comme le montre l'agrammaticalité de (39e,f). (39) I a. Dormire, dormo benissimo. ‘[Pour ce qui est de ]dormir, je dors très bien’ C b. Dormir, dormo molt bé. I c. Vederla, la vedo ogni giorno. ‘[Pour ce qui est de] la voir, je la vois chaque jour’ C d. Veure-la, la veig cada dia. I e. *Vedere Martina, la vedo ogni giorno. ‘[Pour ce qui est de] voir Martine, je la vois chaque jour’ C f. *Veure la Martina, la veig cada dia. On constate que du point de vue de cette construction, un verbe nu et un verbe muni de clitiques sont traités de la même façon, par opposition à la combinaison d'un verbe et d'un syntagme. Ceci s'explique aisément si on admet que la dislocation à gauche du verbe s'applique à un constituant de niveau X0, et non à un syntagme et fournit donc un argument pour dire que l'unité formée par un verbe et les clitiques qui y sont attachés est une unité lexicale dès le niveau de la syntaxe. Dans le cadre lexicaliste adopté ici, ceci implique une analyse affixale des pronoms clitiques italiens et catalans (cf. Zwicky et Pullum 1983). En effet, à défaut, il faudrait supposer que les résultats de la cliticisation postlexicale puissent être "visibles" par une règle syntaxique, ce qui contredirait le principe d'inaccessibilité de la phonologie par la syntaxe (voir Miller, Pullum et Zwicky 1997)32.

2.5 Le statut obligatoire de la cliticisation. En français, il est généralement impossible d'employer une forme forte du pronom en position de complément s'il existe un clitique correspondant, comme cela apparaît en (40a,b,c,d). On peut donc dire que la cliticisation des pronoms objets est obligatoire. Il y a cependant deux cas de figure qui permettent d'échapper à cette contrainte, d'une part en cas de modification, par exemple un focus en que (40e,f), ou de coordination du pronom forme forte (40g,h), d'autre part s'il s'agit d'une stratégie permettant d'éviter une séquence de clitiques illicite (40i,j, cf. section 3.4 ci-dessous). Cependant, pour les cas

32 Un argument similaire a été également avancé pour le français sur la base de l'alternance entre Ils m'ont vu et M'ont-ils vu ? Kayne 1975 : 92sv analyse cette dernière phrase comme résultant de l'inversion d'un noeud V dominant m'ont avec le pronom sujet, et en tire un argument pour considérer que le clitique objet est adjoint au verbe. Cependant, cet argument perd une grande partie de sa force du fait que l'inversion du verbe n'est possible qu'avec un clitique sujet, et non avec un SN plein : *M'ont les garçons vu ? Dans la mesure où on a de bonnes raisons de penser que les clitiques sujets sont eux-mêmes des affixes (voir section 4), on peut douter du fait qu'il s'agisse d'une opération syntaxique d'inversion et considérer qu'on a simplement affaire à un problème de position des morphèmes dans le mot.

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de coordination, il est beaucoup plus naturel, en tout cas en français oral spontané, de doubler les formes fortes coordonnées par un pronom clitique comme en (40g',g")33. (40) F a. *Marie voit moi/toi/elle/lui/nous/vous/eux. b. Marie me/te/le/la/nous/vous/les voit. c. *Marie parle à moi/toi/elle/lui/nous/vous/eux. d. Marie me/te/lui/nous/vous/leur parle. e. Marie ne voit que moi/toi/elle/lui/nous/vous/eux. f. *Marie ne me/te/le/la/nous/vous/les voit que. g. Marie voit Pierre et moi / toi et lui / ... g' Marie nous voit(,) Pierre et moi. g" Marie vous voit(,) toi et lui. h. *Marie me voit Pierre et. i. *Marie me te présente. j. Marie me présente à toi. Les autres langues romanes34 , hormis l'italien, peuvent à première vue sembler similaires à cet égard, mais il s'avère que les faits doivent presque certainement être analysés autrement que pour le français standard35 (le français parlé étant par contre très similaire aux autres langues romanes). L'élément qui fait apparaître cet écart est le doublement obligatoire des pronoms forts, discuté dans la section 2.2. En effet, on constate que, contrairement au français et à l'italien, lorsqu'on a un pronom fort modifié ou une coordination de pronoms comme en (40g,i), ceux-ci sont normalement doublés par un clitique. Ceci est illustré dans les exemples suivants : (41) E a. *Veo solo a él. ‘[Je] vois seulement à lui’ b. Lo veo solo a él. ‘[Je] le vois seulement à lui’ c. *Hablo solo a él. ‘[Je] parle seulement à lui’ d. Le hablo solo a él. ‘[Je] lui vois seulement à lui’ (42) R a. *Maria nu vede decît pe mine. ‘Maria ne voit que PE moi’ b. Maria nu mă vede decît pe mine. ‘Maria ne me voit que PE moi’ c. *Maria nu vorbeşte decît mie. ‘Maria ne parle qu'à moi’ d. Maria nu-mi vorbeşte decît mie. ‘Maria ne me parle qu'à moi’

33 A l'écrit, on hésiterait à écrire (40g', g") sans une virgule séparant le SN coordonné, en faisant ainsi une dislocation à droite. Voir 2.2 sur le doublement. Anne Zribi-Hertz (p.c.) suggère que l'une des différences entre les versions avec et sans doublement (40g', g") et (40g) est que l'absence de doublement n'est possible que dans des emplois où la référence du pronom est construite ostensivement. Lorsqu'il s'agit d'une reprise anaphorique d'éléments topicaux, le doublement serait nécessaire. 34 Le portugais brésilien est totalement exceptionnel à cet égard. En effet l'utilisation de pronoms forts sans doublement est tout à fait habituelle, voir Galves (1997). 35 Il est possible que même le français standard soit plus proche des autres langues romanes que nous ne le suggérons. En effet, comme nous le suggère Anne Zribi-Hertz (p.c.), avec certains modifieurs de pronom, l'absence de doublement n'est possible que dans les cas de référence ostensive : Je vois seulement lui. vs. Je le vois seulement lui. (voir aussi note 33)

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e. *Văd pe tine şi pe el. ‘[Je] vois PE toi et PE lui’ f. Vă văd pe tine şi pe el ‘[Je] vous vois PE toi et PE lui’ (43) P a. ??Vejo a ele e a ela. ‘[Je] vois à lui et à elle’ b. Vejo-os a ele e a ela. ‘[Je] vois-les à lui et à elle’ c. ??Vê a mim e a ela. ‘[Il] voit à moi et à elle’ d. Vê-nos a mim e a ela. ‘[Il] voit-nous à moi et à elle’ Ainsi dans ces langues, ce n'est pas tant la cliticisation des pronoms qui est obligatoire, que le doublement. L'italien, par contre, semble se situer à l'autre extrémité. Il est difficile de dire que la cliticisation des pronoms est obligatoire dans cette langue. La non cliticisation (sans doublement) est possible même sans modification du pronom objet, ni coordination, par exemple dans des cas de focalisation contrastive.

2.6. Conclusion L'ensemble des propriétés syntaxiques discutées dans cette section suggèrent, comme nous l'avons déjà dit, que les pronoms clitiques dans les langues romanes sont en réalité des affixes flexionnels du verbe, ou sont du moins impliqués dans un processus de grammaticalisation aboutissant à ce statut. Il nous faut cependant mentionner ici, pour la réfuter, une objection qui a souvent été soulevée contre une telle analyse, à savoir le fait que les clitiques soient régulièrement attachés à un mot dont ils ne sont pas les arguments du point de vue sémantique. C'est le cas dans les constructions avec montée des clitiques en (25), mais aussi dans des exemples comme (23) où le clitique est l'argument sémantique de l'adjectif attribut alors qu'il apparaît sur le verbe copule.36 S'il est vrai que ces phénomènes rendent impossible l'analyse affixale la plus simple qu'on puisse imaginer, les formalismes grammaticaux fondés sur les systèmes de traits comme HPSG ou LFG permettent des analyses strictement lexicalistes de ces phénomènes de montée. L'idée centrale est que l'élément recteur, déclencheur de montée pourra recevoir comme marques de flexion, dans le composant morphologique, toute combinaison possible de clitiques. Ainsi fléchi, il sélectionnera comme complément un constituant qui se serait combiné avec les clitiques en question. Ce type d'analyse a été proposé de façon détaillée dans divers travaux, notamment Miller (1992), Miller et Sag (1997), Monachesi (1999), Crysmann (2000a,b).

3. Propriétés phonologiques et morphologiques particulières des pronoms clitiques

Nous avons vu dans les sections précédentes que les pronoms clitiques dans les langues romanes ont des propriétés qui, à première vue, semblent intermédiaires entre celles des mots et celles des affixes. Dans cette section, nous examinerons dans quelle mesure les 36 Voir aussi les exemples avec en et y dans la section 4.2. On trouve des exemples où, comme pour les clitiques datifs dans (23), ils sont sémantiquement les arguments d'un complément du verbe qui les porte (66), (67), (68), (70), ainsi que des exemples où ils correspondent à des compléments non régis du verbe (voir note 64), et où ils ne sont donc pas des arguments de celui-ci au sens habituel.

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données phonologiques et morphologiques sur le comportement des pronoms clitiques permettent d'éclairer le statut de ceux-ci, à l'interface entre syntaxe, morphologie et phonologie37. Nous verrons une fois de plus que les comportements sont loin d'être uniformes, à la fois d'une langue à l'autre, et même au sein d'une même langue. La complexité des données observées et la variété des situations intermédiaires que l'on constate sont telles qu'il est difficile de dégager des réponses uniformes, simples et totalement convaincantes, sur le statut des pronoms clitiques au travers des différentes langues ni même au sein de chacune de celles-ci. Aucune des diverses solutions spécifiques qui ont été avancées dans la littérature ne s'impose clairement au regard des données. Ainsi, dans l'état actuel des connaissances, toute réponse ferme sur le statut des pronoms clitiques ne pourra être obtenue que grâce à d'importants présupposés théoriques. Cependant, une telle démarche, aussi intéressante qu'elle puisse être, ne doit pas conduire à occulter le degré de complexité effectif. Cela conduirait à déproblématiser, en quelque sorte, un champ de données empiriques dont la complexité même devrait au contraire conduire à faire avancer nos théories sur les interfaces entre les composants.

3.1 Clitiques et prosodie Pour commencer cette discussion, nous nous tournerons vers les interactions prosodiques entre clitiques et hôte, et plus précisément vers le comportement prosodique de l'unité résultant de la cliticisation des pronoms au verbe qui en est l'hôte. On verra que, selon les langues, le comportement des pronoms clitiques est plus ou moins proche de celui des affixes, mais cependant non identique, en particulier en ce qui concerne les proclitiques. En français, l'effet des enclitiques sur le placement de l'accent est parfaitement identique à celui des suffixes, à savoir que l'accent est déplacé sur la dernière syllabe, si celle-ci n'a pas pour noyau un schwa. Re'garde ! alterne avec Regarde-'les ! qui est lui-même entièrement comparable au résultat de l'ajout d'un suffixe flexionnel : Regar'dez ! (cf. Delais-Roussarie 1999 : 22)38. Pour les proclitiques la situation est moins claire ; Delais-Roussarie (1999 : 21) suggère qu'ils ont un statut différent de celui des préfixes par rapport à l'accent d'insistance qu'on trouve optionnellement à l'initial de mot. Celui-ci peut, selon cet auteur, tomber sur le préfixe re-, mais non sur le clitique le dans Paul le reverra demain. Cependant, les faits eux-mêmes ne sont pas aussi clairement établis qu'elle le suggère : un accent contrastif sur me dans Il me le donnera ne paraît pas

37 Sur cette question, voir entre autres Auger (1994, 1995), Bonet (1995), Delais-Roussarie (1999), Gerlach (2002), Halpern (1995), Labelle (1985), van der Leeuw (1997), Miller (1992), Monachesi (1999), Peperkamp (1997), Popescu (2000), Vigário (1999, 2003), Watson (1997), Zwicky (1987). 38 Nous utilisons ici une apostrophe devant une syllabe pour marquer qu'elle porte l'accent tonique. Nous n'insistons pas ici sur l'enclitique le, qui est exceptionnel s'il est analysé phonologiquement comme /lə/, car il appartient alors à un petit groupe de cas (parmi lesquels l'emploi de Parce que ! comme réponse elliptique) où une syllabe finale ayant un /ə/ pour noyau serait accentuée en français (cf. Regarde-'le ! vs. *Re'garde-le !). Diverses solutions ont été proposées dans la littérature sur ce point, l'une d'entre elles étant de considérer qu'il ne s'agit pas en synchronie d'un /ə/ mais d'un /ø/.

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impossible dans un contexte approprié.39 Il semble donc qu'en français le comportement des pronoms clitiques de ce point de vue est au minimum très proche de celui des affixes. En italien, la présence d'un accent de mot variable rend les données plus intéressantes. En effet, celui-ci ne peut normalement remonter au delà de l'antépénultième. L'ajout d'un suffixe qui conduirait à une violation de cette contrainte entraîne en général un déplacement de l'accent vers la droite. Par contre, l'ajout d'enclitiques ne conduit jamais à un déplacement d'accent, même quand cela conduit à accentuer une syllabe en-deçà de l'antépénultième : Te-'le-fo-na-mi (‘téléphone-moi’), Pren-'de-te-ve-lo (‘prenez-le pour vous’)40. Ce type de donnée a été utilisé par Nespor et Vogel (1986), par exemple, pour soutenir que les pronoms clitiques ne faisaient pas partie du mot prosodique. Cependant, le suffixe flexionnel de 3e personne du pluriel -no ne produit pas non plus de déplacement de l'accent lorsqu'il conduit à un accent avant l'antépénultième : te-'le-fo-na-no (‘ils téléphonent’), in-'ter-ro-ga-no (‘ils interrogent’). Nespor et Vogel (1986 : 148, 163n.2) considèrent que ces cas n'invalident pas la règle générale parce qu'ils représentent un petit ensemble de cas prédictibles. Cependant, comme le fait remarquer Monachesi (1999), le cas des pronoms enclitiques constitue également un petit ensemble de cas prédictibles et on voit mal ce qui justifierait de les traiter différemment. Monachesi propose que la flexion de 3pl et les clitiques en italien sont adjoints au mot prosodique, et que c'est le mot prosodique minimal qui constitue le domaine d'assignation de l'accent. Par ailleurs, le comportement des dialectes italiens fait apparaître des situations plus complexes. En napolitain (cf. Bafile 1993, Monachesi 1999), par exemple, la situation est globalement similaire à celle de l'italien (l'accent ne peut en général apparaître avant l'antépénultième, la distribution des clitiques par rapport au verbe est identique). Cependant, lorsqu'on trouve deux enclitiques (à l'impératif notamment), on constate que l'accent de mot tombe sur le premier de ceux-ci. Par exemple, dans /prta'tillə/ (porte+2sg.dat+3sg.acc), l'accent porte sur le premier des deux clitiques. Monachesi montre que l'analyse la plus appropriée du phénomène est de considérer que le groupe des clitiques est rattaché au verbe par une opération de type composition, c'est-à-dire une opération lexicale. En catalan, en espagnol et en portugais, la présence de clitiques peut également conduire à ce que l'accent se place en deçà de l'antépénultième (p. ex. P di'ziamo-no-lo ‘disions-nous-le’), où le clitique tombe sur la cinquième syllabe avant la fin, cf. Vigário 1999 : 224 ; 2003 : 134). Contrairement à l'italien, il semble n'y avoir aucun cas où la suffixation flexionnelle ou dérivationnelle conduise au même résultat, ce qui suggère 39 Ces faits vont à l'encontre de l'affirmation courante selon laquelle les clitiques ne peuvent être accentués. En français les enclitiques finaux sont toujours accentués, et les proclitiques peuvent porter un accent contrastif lorsqu'il s'agit d'établir un contraste. Par contre, ils ne peuvent jamais porter un accent focal (c'est-à-dire celui qui porte sur la syllabe normalement marquée par l'accent de mot, lorsqu'un mot est la réponse à une question qu-), voir Bolinger (1961). Nous remercions Anne Zribi-Hertz d'avoir attiré notre attention sur cette référence. 40 Nous utilisons le trait d'union pour marquer ici les frontières de syllabes.

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que les clitiques ne font pas partie du domaine dans lequel est défini l'accent lexical. Cependant, vu les divers types d'opérations de rattachement prosodique qui ont été proposées dans la littérature (voir p. ex. les références données dans la note 4) il est difficile de considérer ceci comme une objection totalement concluante contre le rattachement lexical des clitiques. On pourrait par exemple invoquer une analyse similaire à celle de Monachesi pour l'italien, avec adjonction du clitique au mot prosodique (voir cependant Vigário 2003 :186-195 pour des arguments contre cette position). Pour conclure cette section, nous allons discuter brièvement deux cas, en roumain et en portugais, où les propriétés prosodiques des clitiques conduisent à les attacher prosodiquement comme enclitiques à un mot qui précède le verbe, et qui semblent être des survivances des propriétés des clitiques dans les langues romanes anciennes évoquées en 2.1.6. Considérons d'abord les exemples roumains en (44) (voir aussi les exemples note 10). (44) R a. Mama-l place. ‘Maman l'aime.’ (Popescu 2000 : 784) R b. Nu-l / N-o / Nu-i aştept. ‘(Je) ne le / ne la / ne les attends (pas).’

(Dobrovie-Sorin 1994 : 71) R c. Nu ştie că-l / c-o / că-i aşteaptă mama. ‘(Il) ne sait (pas) qu'il / qu'elle /

qu'ils attend(ent) maman.’ (Dobrovie-Sorin 1994 : 70) Dans ces exemples on voit que, si le clitique est postitionné devant le verbe, il est cependant enclitique au mot qui précède, un nom en (44a), la négation en (44b), un complémenteur en (44c). Le statut enclitique est conforme à l'intuition des locuteurs, comme l'indique le trait d'union (qui est orthographique). Par ailleurs, il est confirmé par les interactions phonologiques avec le mot précédent, par exemple la disparition de la voyelle de nu et de că suivi du pronom accusatif o en (44b) et (44c) respectivement. Selon Dobrovie-Sorin (1994 : 71) et Popescu (2000 : 784), les clitiques roumains peuvent se rattacher optionnellement vers la gauche ou vers la droite dans ce type de cas. Il est crucial cependant de noter que le clitique ne peut apparaître comme enclitique dans des configurations comme celles en (44) sans être suivi par le verbe. Ainsi (45a,b) sont des réponses elliptiques agrammaticales aux questions Qui l'aime ? et Qui attend-il ? De plus, il est impossible de coordonner l'élément sur lequel le clitique est enclitique en répétant le clitique comme en (45c). Par contre, sans répétition du clitique, la phrase est possible (45d). (45) R a. *Mama-l. R b. *Nu-l. R c. *Tata-l şi mama-l plac. ‘Papa-le et Maman-le aiment.’ R d. Tata şi mama-l plac. ‘Papa et Maman-le aiment.’

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Ces deux facteurs suggèrent que le rattachement du clitique à l'élément précédent ne peut être lexical41. L'analyse qui semble la plus plausible, vu ces phénomènes, est que les clitiques en roumain peuvent encore être des clitiques postlexicaux (cf. 2.1.6). Dans ce cas, ils se positionnent devant le premier élément de Ph (qui est, étant donné les propriétés syntaxiques du roumain, soit le verbe, soit l'un des adverbes qui peuvent séparer le clitique du verbe dans les cas d'interpolation discutés en 2.1.4) et ils ont une tendance au rattachement enclitique 42 . Il est possible que cette analyse soit synchroniquement en concurrence avec une analyse affixale, ce qui rendrait compte de la possibilité de choix entre enclise et proclise. Pour le portugais européen, il a été soutenu par Carvalho (1989) que les clitiques sont toujours prosodiquement enclitiques. Ainsi, les cas que nous avons traités comme proclitiques dans la 2e partie seraient en fait à analyser une fois de plus comme des cas de clitiques postlexicaux précédant le verbe mais se rattachant prosodiquement à l'élément qui le précède. Voir cependant Vigário (2003 : 54-55, 184-203) qui soutient une position opposée à celle de Carvalho. Dans le cadre de ces observations, il est intéressant de rappeler que ce sont justement le roumain et le portugais qui permettent encore des cas (limités) d'interpolation.

3.2 Interactions morphophonologiques particulières entre clitiques et hôte Une seconde voie d'investigation sur le statut des clitiques consiste à étudier les types d'interactions morphophonologiques qu'ils ont avec leurs hôtes afin de voir si leur comportement ressemble plutôt à celui des affixes ou à celui de mots indépendants prosodiquement déficients. Ce critère, dû au départ à Zwicky et Pullum (1983), pose cependant parfois certains problèmes d'interprétation, dans la mesure où l'on constate que les interactions morphophonologiques peuvent ne pas être identiques pour différentes classes d'affixes qui sont clairement lexicalement attachés (d'où l'idée classique d'une morphologie stratifiée où les affixes sont divisés en groupes s'attachant à des strates successives et où l'applicabilité des règles phonologiques est définie par strate, voir Kiparsky 1982). Dans cette perspective, le fait qu'un pronom clitique ne présente pas les mêmes interactions phonologiques avec son hôte qu'un affixe ayant les mêmes propriétés phonologiques peut soit signifier qu'il n'est pas lexicalement attaché, soit qu'il est bien lexicalement attaché, mais à une strate où le type d'interaction en question n'est pas applicable. Cette difficulté d'interprétation des données est d'autant plus problématique dans le cas des pronoms clitiques que, s'ils ont un statut affixal, ils seront inévitablement parmi les affixes les plus récemment morphologisés dans les langues romanes. Conséquemment, on peut s'attendre à ce qu'ils soient attachés dans des

41 Il faudrait cependant vérifier dans le détail que ceci n'est pas en contradiction avec le type d'interaction phonologique attesté dans ces contextes, par exemple la chute de la voyelle finale devant le clitique o attestée en (44b, c). Notons cependant que même s'il s'agissait d'une interaction typiquement lexicale, les stratégies de phonologie précompilée proposées par Hayes (1990) permettent de rendre compte de tels cas, à condition que seuls un nombre limité de mots grammaticaux soient concernés, ce qui serait sans doute le cas ici. 42 Cette analyse est proche dans l'esprit de celle proposée par Dobrovie-Sorin (1994).

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strates plus tardives que les affixes plus anciens. En effet, dans la mesure où le degré d'idiosyncrasie morphophonologique tend à augmenter avec le temps, on s'attend à ce qu'il y ait de toute façon relativement peu d'interactions particulières entre clitiques et hôtes, et en tout cas beaucoup moins qu'entre les bases et les affixes plus anciens. Dans cette section, nous passerons en revue un éventail des types d'interactions morphophonologiques particulières que l'on constate entre les clitiques et leurs hôtes43 dans les différentes langues romanes ainsi que des cas où les clitiques divergent dans leur comportement par rapport aux affixes classiquement reconnus comme tels. Pour des études détaillées sur ces questions voir par exemple Vigário (2003) pour le portugais, Miller (1992), Auger (1994), Delais-Roussarie (1999), pour le français, Peperkamp (1997), Monachesi (1999) pour l'italien, Monachesi (2000), Popescu (2000) pour le roumain, et Gerlach (2002) pour une discussion plus générale. On peut distinguer des cas où l'idiosyncrasie est liée à un hôte spécifique et d'autres où elle est phonologiquement conditionnée. Pour le premier type, on peut mentionner, par exemple, le verbe aller, pour lequel on constate une absence de réalisation phonologique du clitique y devant le radical ir-. On contrastera Pierre y va, Pierre y allait, et *Pierre y ira, ce dernier ne pouvant se réaliser que sous la forme Pierre ira. Or cette élision d'un /i/ devant un radical commençant par /i/ n'est pas une règle productive dans la phonologie du français (y illustrera ne peut en aucun cas se réduire à illustrera)44. Un autre exemple du même type est la réalisation de la séquence je suis comme chuis [i] et de je sais comme chais [e] en français parlé. Le phénomène est spécifique à ces deux verbes et ne peut être attribué à une règle phonologique productive, puisque la séquence homonyme je suis (1sg du verbe suivre) ne peut se réduire à [i] dans la plupart des variétés de français parlé. Pour le second type, phonologiquement conditionné, en français, on trouve, par exemple, un phénomène de semi-vocalisation ou d'insertion de yod entre le proclitique y et un verbe à initiale vocalique qui le suit (‘ils y allaient’ pouvant être réalisé [izjalε] ou [izijalε]). Johnson (1987) y voit l'application exceptionnelle, à un niveau syntagmatique, d'une règle opérant, dans son système de morphologie stratifiée, aux strates 1 et 2 (p. ex. colonie + -al → [kolonjal]) mais non à la strate 3 (le préfixe anti- étant par exemple rattaché à la strate 3, ce qui explique l'absence de semivocalisation dans des mots comme antiaérien). On pourrait, comme le fait Miller (1992 : 180), en conclure que, bien au contraire, le comportement du clitique y dans ce cas suggère justement qu'il est attaché lexicalement avant le niveau 345. Cependant l'interprétation de ce phénomène est

43 Nous n'envisageons donc pas ici les interactions particulières entre clitiques (cf. 3.4), mais seulement celles entre clitique et verbe hôte. 44 Voir Miller (1992 : 176-7) qui montre que ira doit pouvoir être interprété comme la réalisation de y+ ira, et que l'ensemble des cas ne peut être traité si l'on pose une simple absence de y. 45 Un argument supplémentaire en faveur de cette position serait le fait que ni (qui est pourtant monosyllabique non lexical et non accentué) ne se comporte pas comme y : ni en courant ne peut subir

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très problématique en raison de l'incertitude qui règne sur le détail des données, notamment en ce qui concerne la variation (voir notamment Delais-Roussarie 1999 : 21 pour une interprétation inverse). De même la réduction de la à [l] (Martine l'accepte) et de tu à [t] (t'es prêt) devant des hôtes à initiale vocalique ne peut pas non plus être le résultat d'une règle phonologique productive (voir Morin 1979b : 4, 24 ; Miller 1992 : 176sv). On trouve des phénomènes similaires dans les autres langues romanes. Nous en citerons ici quelques exemples. En italien, on trouve une réduction facultative des clitiques accusatifs lo et la à [l] devant un hôte à initiale vocalique (Martina l'elegge ou lo elegge ‘Martina le choisit’). Ceci ne peut pas être le résultat d'une règle phonologique productive (cf. Monachesi 1999), et cela d'autant plus que le clitique prédicatif lo, homonyme du clitique accusatif, ne peut pas se réduire pas dans les mêmes environnement (Martina lo è vs. *Martina l'è ‘Martina l'est’). En roumain, on constate également des idiosyncrasies dans la réalisation des clitiques (voir Lombard 1974 : 134sv et Monachesi 2000 ; voir aussi Popescu 2000 et Gerlach 2002 pour des interprétations inverses de ces faits). Par exemple, on constate une élision facultative de la voyelle des clitiques qui se terminent en [ă] devant un verbe qui commence avec un [a] ou un [o] non accentué, illustrée en (46a,b). Par contre, si le verbe est un auxiliaire, l'élision est obligatoire (47a,b). On notera que pour les emplois non auxiliaires du verbe a avea (‘avoir’), l'élision est optionnelle même si la forme phonétique est identique à celle de l'auxiliaire (48a,b). Ceci montre bien que l'élision ne peut être due à un règle phonologique productive. (46) R a. Mă aşteaptă. ‘[Il] m'attend.’ b. M-aşteaptă. ‘[Il] m'attend.’ (47) R a. M-a invitat. ‘[Il] m'a invité.’ b. *Mă a invitat. (48) R a. M-ai acolo. ‘[Tu] m'as là.’ b. Mă ai acolo. ‘[Tu] m'as là.’ De même, le clitique se est facultativement élidé devant un verbe qui a un [a] ou un [o] non accentué à l'initiale (49a,b). Par contre, l'élision est impossible pour les clitiques te, ne, ou le dans les mêmes contextes (50a,b). (49) R a. Se aşează. ‘[Il] s'assied.’ b. S-aşează. ‘[Il] s'assied.’ (50) R a. Te aşteaptă. ‘[Il] t'attend.’ b. *T-aşteaptă. ‘[Il] t'attend.’

une semi-vocalisation : *[njãkurã]. Il y aurait donc bien une différence de statut entre un mot prosodiquement faible comme ni et le clitique y.

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En portugais, le clitique accusatif 3m.sg peut se réaliser sous les formes o, lo et no (les données sont parallèles pour les autres clitiques accusatifs os (3m.pl), a (3f.sg) et as (3f.pl)). Le choix entre ces formes (voir Vigário 1999 : 228-9, 2003 : 141-143) dépend de la phonologie de l'hôte. Si le verbe qui précède (ou le clitique qui précède) se termine par une consonne, celle-ci est élidée et le clitique apparaît sous la forme lo (p. ex. dás [donner.prés.2sg] + 3m.sg.acc → dá-lo). Si le verbe qui précède se termine par une diphtongue nasale le clitique apparaît sous la forme no (p. ex. comem [manger.prés.3pl] + 3m.sg.acc → comem-no). Pour certains locuteurs, la réalisation no est limitée aux cas où la diphtongue nasale correspond à la réalisation du suffix de 3pl. Dans les autres cas, la forme o apparaît (p. ex. como [manger.prés.1sg] + 3m.sg.acc → como-o). Comme l'indique Vigário, il est clair que ces variations ne peuvent être dues à des règles phonologiques productives en portugais. De même, en portugais, la présence de certains clitiques derrière une consonne finale conduit à l'élision de celle-ci. Cette élision se produit de façon systématique devant les clitiques accusatifs, comme nous venons de le voir. Mais pour les autres clitiques, l'élision ne concerne que des combinaisons spécifiques. Par exemple, la consonne finale tombe si elle fait partie du marqueur 1pl et que le clitique qui suit est un datif de 1e ou 2e personne du pluriel (nos ou vos) à l'exclusion des autres clitiques datifs (me, te, lhe, lhes). Ainsi, damos [donner.prés.1pl] + 1pl.dat → damo-nos mais damos + 3pl.dat → damos-lhes. De même, si le -s final n'est pas celui de la marque de 1pl, l'élision ne se produit pas, même devant les clitiques datifs nos et vos, p. ex. dás [donner.prés.2sg] + 1pl.dat → dás-nos. Par contre, toujours en portugais, Vigário (1999 : 224sv, 2003 : 134sv) met en évidence certains processus phonologiques lexicaux qui s'appliquent entre affixes et bases mais non entre pronoms clitiques et verbes hôtes. Par exemple, selon Vigário, la diphtongaison nasale est une règle lexicale qui s'applique uniquement en position finale de mot. Or cette règle n'est pas bloquée par l'ajout d'un enclitique, ce qui suggère que celui-ci est ajouté postlexicalement. (51) P a. batente [e] / *[j] ‘marteau de porte’ b. batem *[e] / [j] ‘[ils] battent’ c. batem-te *[e] / [j] ‘[ils] te battent’ De même, il existe selon Vigário une règle lexicale de centralisation de /e/ qui s'applique lorsque la voyelle est suivie d'un segment palatal hétérosyllabique, p. ex. le e de abelha (‘abeille’) est réalisé // et non /e/. Or cette règle ne s'applique pas dans le cas similaire où le segment palatal fait partie d'un enclitique, p. ex. dê-lha (‘donne-le-lui’) où e est réalisé /e/ et non //. Cependant, il existe différentes exceptions à cette règle (cf. Vigário 2003 : 78-82) et l'interprétation des données s'avère être complexe à plusieurs niveaux. Elle est en cela représentative de la situation dans l'ensemble des langues

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romanes. D'abord, on constate une variation dialectale importante sur les phénomènes dont il est question, qui complique la tâche de collection de données uniformes. Ensuite, les analyses proposées ne sont pas a priori évidentes et demanderaient à être poussées plus loin. Enfin, même en admettant que la caractérisation des données et l'analyse de base du phénomène soient correctes, on peut tirer des conclusions divergentes selon les hypothèses théoriques que l'on se donne. En effet, certains auteurs ont proposé l'existence d'une morphologie syntagmatique ‘précompilée’ (voir p. ex. Hayes 1990), qui permet de rendre compte, au niveau de la phonologie et de la morphologie lexicales, d'alternances morphophonologiques dépendantes de l'environnement syntaxique ; Vigário (2003) propose d'adopter les mécanismes de Hayes pour traiter les clitiques du portugais comme des clitiques postlexicaux tout en rendant compte de leurs propriétés morphophonologiques idiosyncrasiques. De même, comme nous l'avons vu dans la section précédente, diverses extensions de la théorie de la hiérarchie des constituants prosodiques, et notamment la possibilité de l'adjonction, permettent de prévoir des interactions divergentes parmi les affixes selon qu'ils font partie du mot prosodique minimal ou qu'ils sont adjoints à celui-ci. Enfin, si l'on adopte les principes de la ‘morphologie distribuée’ (cf. Harley et Noyer 1999, Harris 1997a,b), l'ensemble du débat sur le statut affixal ou clitique des pronoms clitiques romans perd la plus grande partie de son intérêt. En effet, au niveau de la syntaxe, les affixes et les clitiques sont traités de la même façon, comme des matrices de traits sans substance phonologique, tandis qu'au niveau morphologique et phonologique la distinction entre processus lexicaux et postlexicaux n'est pas considérée comme pertinente46.

3.3 Lacunes dans les paradigmes Une autre propriété considérée par Zwicky et Pullum (1983) comme caractéristique des affixes est l'existence de lacunes dans les paradigmes (qui sont dits ‘défectifs’ dans la terminologie traditionnelle). Les clitiques postlexicaux, par contre, ne doivent pas, selon eux, exhiber de lacunes dans leurs paradigmes de combinaison (sauf si celles-ci sont dues à des principes phonologiques généraux). En effet, dans la mesure où leur cliticisation est un phénomène postlexical, elle ne peut être contrainte, dans un modèle lexicaliste, par des propriétés spécifiques de l'hôte sur lequel s'appuie le clitique. Or, on constate des cas de lacunes dans les paradigmes des pronoms clitiques. Comme pour les idiosyncrasies morphophonologiques, on peut distinguer les cas où ces lacunes concernent la combinaison des clitiques avec leur hôte et ceux où elles concernent la combinaison des clitiques entre eux. Seul le premier cas sera traité dans cette section, le second étant renvoyé au cadre plus général des contraintes sur la séquence des clitiques, qui sera traité en 3.4. Voici quelques exemples pertinents. En français, par exemple, on constate, avec la grande majorité des verbes, une lacune dans le paradigme des clitiques sujets inversés pour présent de l'indicatif à la

46 Voir par exemple Harley et Noyer (1999 : 4)"In D[istributed] M[orphology] the distinction between two types of phonology — ‘lexical’ and ‘postlexical’ — is abandoned."

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1sg : *Chante-je vs. Chantes-tu ? Chante-t-il ? etc.47. Quelques verbes ont une forme avec le clitique je inversé (p. ex. suis-je, puis-je, dois-je, ...) mais les locuteurs francophones varient dans la liste précise des verbes permettant je enclitique48. De même, Miller (1992 : 175-6) note que, parmi les temps composés du français, l'impératif passé est exceptionnel en cela qu'il est impossible d'y avoir des clitiques objets. On constrastera ainsi les deux phrases Aie mangé ton potage avant mon retour ! et *Aie-le mangé avant mon retour ! Notons que le verbe plein avoir à l'impératif n'exclut pas les clitiques objets : Aie-le toujours présent à l'esprit ! Enfin, on peut remarquer l'impossibilité des clitiques réfléchis sur avoir verbe plein (*Heureusement qu'on s'a ; que nous nous avons)49. En italien, Benincà et Cinque (1991) notent que les participes présents peuvent être suivis par tous les clitiques datifs (52a). Pour les clitiques accusatifs, ceux de première et de deuxième personne sont possibles (52b), alors que ceux de troisième personne ne ne le sont pas, sauf marginalement la forme masculin pluriel li, lorsque le participe est au pluriel (52c). Si cependant le participe est au singulier, même le masculin pluriel est exclu (52d). (52) I a. I compensi spettanti-mi/-ti/-gli/-le /-ci/-vi ‘les compensations m' / t' / lui (3sg.m.dat) / lui (3sg.f.dat) /nous / vous ...

appartenant’ b. Gli argomenti riguardanti-mi/-ti/-ci/-vi ‘les arguments me / te / nous/ vous concernant’ c. Gli argomenti riguardanti*-lo/*-la/*-le/?-li ‘les arguments le / la / les (3pl.f.acc) / les (3pl.m.acc) concernant’ d. *L'argomento riguardante-li. ‘l'argument les concernant’ Enfin, on peut considérer que dans des exemples roumains comme ceux de (6), répétés ici en (53), on a un cas de lacune dans les paradigmes. En effet, la nécessité d'utiliser le pronom accusatif féminin o comme enclitique sur la forme non finie, et non comme proclitique sur l'auxiliaire lorsque celui-ci commence par une voyelle, peut être

47 Nous ignorons ici la forme chanté-je qui n'est plus usitée sauf dans un style écrit archaïsant. Notons de plus que l'on ne peut invoquer une quelconque raison pragmatique pour expliquer l'inacceptabilité des formes de type *Chante-je ? puisque des phrases comme Est-ce que je chante ce soir ? ne posent aucun problème. 48 On notera que puis-je est par ailleurs un cas d'idiosyncrasie morphophonologique, puisque le -je enclitique sélectionne l'allomorphe /pi/ de pouvoir et exclut l'allomorphe /pø/ (*peux-je) alors que les deux sont acceptés (avec cependant des variations liées au registre) pour je proclitique (je peux, je puis). 49 Remarquons que le sens que devraient avoir ces phrases, si elles étaient bien formées (approximativement ‘Heureusement qu'on est là l'un pour l'autre’), est parfaitement cohérent. On notera par ailleurs l'existence d'une certaine variation sur ces jugements, certains locuteurs trouvant par exemple nous nous avons moins mauvais que on s'a (sur cette propriété de avoir, voir Morin 1984, Abeillé et Godard 2002).

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considérée comme un mécanisme de supplétion pour des formes manquantes avec proclitiques du type *o a et *o ar50. (53) R a. Marina o citeşte. ‘Marina la lit.’ b. Marina a citit-o. (Marina a lu-la) ‘Marina l'a lu.’ c. Marina o va citi. (Marina la AUX.FUT lire) ‘Marina la lira.’ d. Marina ar citi-o. (Marina AUX.COND lire-la) ‘Marina la lirait.’

3.4 Contraintes sur l'ordre et la réalisation des séquences de clitiques Les contraintes qui pèsent sur l'ordre et la réalisation des séquences de pronoms clitiques constituent l'une de leurs propriétés les plus remarquables. Perlmutter (1970), dans le premier travail générativiste important sur la question, s'est attaché à décrire ces contraintes pour l'espagnol et le français. Perlmutter conclut à l'impossibilité d'un traitement syntaxique motivé de celles-ci et propose une analyse où toutes les combinaisons de clitiques sont produites en syntaxe, le résultat étant ensuite filtré, au niveau de la structure de surface, par une matrice de séquences possibles. Malgré certaines tentatives pour rendre compte de l'ordre des pronoms clitiques en syntaxe51, la grande majorité des linguistes travaillant sur la question ont suivi Perlmutter dans ses conclusions même s'ils n'ont pas adopté l'analyse par filtrage qu'il proposait. Trois traits principaux caractérisent ces contraintes. D'abord l'ordre entre les clitiques est fixé pour chaque dialecte et présente des caractéristiques qui ne semblent pas pouvoir être explicables par des principes syntaxiques habituels. Ensuite de nombreuses combinaisons de clitiques sont impossibles alors qu'on ne peut a priori les exclure pour des raisons syntaxiques ou sémantiques. Enfin, la morphophonologie des séquences de clitiques relève clairement de la phonologie lexicale, avec l'apparition de nombreuses formes en combinaison qui sont imprédictibles à partir des formes isolées. Considérons les exemples en (54) et (55) par opposition aux variantes inacceptables données en (56) à (58) : (54) F a. Martine {le lui / lui} envoie. I b. Martina glielo spedisce. R c. Marina i-l trimite. E d. Martina se lo envía. [*Martina le lo envía.] (55) F a. Martine me l'envoie. I b. Martina me lo spedisce. R c. Marina mi-l trimite. E d. Martina me lo envía. (56) F a. *Martine lui l'envoie.

50 On explique parfois l'impossibilité de ces formes par le fait que le verbe commence par une voyelle. Cependant, cette explication ne peut être suffisante, vu que o monte sur le verbe modal a avea de + supin. 51 P. ex. Fiengo et Gitterman (1978) (voir Morin 1979a pour une critique détaillée de leurs propositions). Voir cependant Laenzlinger (1993) pour une proposition plus récente et plus intéressante.

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I b. *Martina lo gli spedisce. R c. *Marina l-i trimite. E d. *Martina lo se/le envía. (57) F a. *Martine le m'envoie. I b. *Martina lo mi spedisce. R c. *Marina îl-mi trimite. E d. *Martina lo me envía. (58) F a. *Martine me lui / lui me présente. [cf. Martine me présente à lui.] I b. *Martina mi gli / gli mi presenta. [cf. Martina mi presenta a lui.] E c. *Martina me le / le me presenta. [cf. Martina me presenta à él.] Pour commencer, on constate qu'en français, l'ordre entre les clitiques accusatifs et datifs dépend des personnes des clitiques en question. Si les deux clitiques sont de troisième personne, le clitique accusatif précède le clitique datif, voir (54a) vs. (56a). Par contre, si le clitique datif est de première ou de deuxième personne et le clitique accusatif de troisième personne, le clitique datif doit précéder le clitique accusatif voir (55a) vs. (57a). Aucune contrainte de ce type n'est attestée entre les syntagmes pleins correspondants. De même, ces exemples montrent que l'ordre entre clitiques accusatifs et datifs de 3e personne est opposé en français (où le datif suit l'accusatif) et en italien, roumain et espagnol (où l'accusatif suit le datif), voir (54) et (56). Or il semble impossible de corréler cette différence d'ordre à d'autres contrastes syntaxiques plus généraux qui opposeraient le français, d'une part, et l'italien, l'espagnol et le roumain, d'autre part (ceci est d'autant plus vrai que la séquence lui le de (56) est attestée dans certaines variétés régionales de français qui n'ont par ailleurs aucune différence syntaxique notable avec le français standard). Ensuite, les exemples (54) à (58) font apparaître que certaines combinaisons de clitiques sont impossibles ce qui constitue un exemple supplémentaire de lacune dans les paradigmes (cf. 3.3). Par exemple, (58) montre qu'il est impossible de combiner me accusatif et lui datif. Cette contrainte est présente dans toutes les langues romanes (et apparemment dans les séquences de clitiques dans d'autres langues non apparentées) et a fait l'objet de diverses tentatives d'explication (voir p. ex. Haspelmath 2001 pour une discussion récente). Mais la plupart des contraintes de ce type sont beaucoup plus idiosyncrasiques. Par exemple, la séquence me te est généralement exclue dans les langues romanes. Cependant, elle est possible en roumain à condition que le pronom de 1e personne soit datif et celui de 2e accusatif : Marina mi-te trimite (‘Marina t'envoie à moi’). On remarquera par ailleurs qu'en français, pour une partie des locuteurs, la séquence me te est acceptable dès lors que les deux pronoms sont datifs, situation qui apparaît dans des constructions comme Pierre me te semble fidèle, où, de plus, me doit être interprété comme le complément de semble et te comme celui de fidèle. Enfin, il est en général difficile d'avoir des séquences de plus de deux clitiques. Une fois de plus, on voit mal comment des contraintes syntaxiques habituelles pourraient expliquer ce genre

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de contrainte, puisque les formes fortes et les syntagmes pleins n'y sont absolument pas soumis. Enfin, on voit apparaître de nombreuses idiosyncrasies morphophonologiques dans la réalisation des séquences de clitiques. En espagnol, la combinaison des clitiques datifs (le, les) et accusatifs (lo, la, los, las) de 3e personne provoque le remplacement du clitique datif par le clitique se, comme cela apparaît en (54d) (voir Perlmutter 1970). En français, il est normal, (même à l'écrit, cf. Grevisse 1980, §1070.2) de réaliser les séquences le/la/les + lui/leur par lui/leur, comme cela apparaît pour lui dans la 2e variante de (54a) (voir p. ex. Morin 1979b, Auger 1994, Miller 1992 pour de nombreux exemples de ce type en français). De même, en portugais (voir Hutchinson et Lloyd 1996 : 39, Vigário 1999, 2003 : 141sv) les séquences correspondant à la combinaison des clitiques de 3e personne datifs (lhe, lhes) et accusatifs (o, a, os, as) sont réalisées lho, lha, lhos, lhas, où la marque de nombre -s est celle de l'accusatif, celle du datif étant neutralisée. De même, les clitiques datifs de 1e et 2e personne (me, te, nos, vos) fusionnent avec les accusatifs de 3e personne (p.ex. avec o on obtient respectivement mo, to, no-lo et vo-lo). En italien, dans la combinaison des clitiques datifs et accusatifs (p. ex. lo) de 3e personne, la distinction entre le datif singulier masculin gli et le féminin le est neutralisée, et l'on obtient glielo dans les deux cas, *lelo étant impossible. De même, si l'on crée une situation où l'on s'attendrait à avoir une séquence du réfléchi si et de l'impersonnel si, au lieu de la séquence si si attendue, on obtient ci si. Ainsi, en (59a) on a un si réfléchi et en (59b) un si marquant l'impersonnel. Si on transforme (59a) en impersonnelle comme en (59c), au lieu de l'ajout d'un second si on obtient ci si. (59) I a. Si veste pesante. ‘Il se vêt pesamment.’ I b. Si mangia bene. ‘On mange bien.’ I c. Ci si/*Si si veste pesanti. ‘On se vêt pesamment.’ Il est intéressant de noter ici que l'idée souvent invoquée pour expliquer ce phénomène, à savoir une contrainte contre la répétition de deux clitiques de forme identique, n'est pas suffisante, même si elle contient certainement une part de vérité. En effet, une séquence comme se se est possible si le premier se est la conjonction ‘si’ et le second le clitique impersonnel, p. ex. Se se la sente (‘S'il en a envie’ litt. ‘Si [il] se la sent’). Le clitique si (comme tous les clitiques se terminant en -i) apparaît toujours sous la forme se devant les clitiques commençant par l et n, ce qui constitue d'ailleurs encore une autre idiosyncrasie morphophonologique. De même, dans les situations où l'on pourrait s'attendre à une combinaison du clitique locatif vi et du clitique de 2e personne de pluriel homophone, on obtient vi ci et non vi vi. (Cf. Monachesi 1999 : 28sv). Ce type de phénomène apparaît dans toutes les langues romanes et est particulièrement développé en roumain (voir Monachesi 1998, Popescu 2000) et encore plus en catalan (voir Bonet 1991, 1995, Harris 1997a,b, Wheeler et al. 1999 : 202sv). Dans cette dernière langue, pour ne prendre qu'un seul exemple parmi de nombreux cas, la combinaison du clitique neutre ho et du clitique locatif hi conduit, dans la langue

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parlée à Barcelone, à une forme totalement inattendue li comme le montrent les exemples suivants empruntés à Bonet (1995 : 622). (60) C a. Això, ho portaré a Sabadell demà. ‘Ceci, [je] 3.neut porterai à Sabadell

demain.’ C b. A Sabadell, hi portaré això demà. ‘A Sabadell, [je] y porterai ceci

demain.’ C c. Això, a Sabadell, li portaré demà. (*ho hi / *hi ho) ‘Ceci, à Sabadell, [je] l'y porterai demain.’ Même si cela demanderait à être prouvé dans le détail pour chaque cas, il apparaît clairement que les irrégularités morphophonologiques complexes que nous avons évoquées dans les paragraphes qui précèdent ne peuvent être le résultat de règles phonologiques postlexicales productives, ce qui rend inimaginable une construction postlexicale des séquences de pronoms clitiques52. C'est pour cela que tous ceux qui se sont interessés à la question depuis Simpson et Withgott (1986) ont conclu que les séquences de clitiques devaient être construites en morphologie, même si certains des auteurs qui soutiennent cette position s'opposent à celle qui est soutenue ici en ce qui concerne le rattachement de la séquence ainsi construite avec le verbe (p. ex. Popescu 2000, Gerlach 2002). Afin de rendre compte des contraintes sur l'ordre et la compatibilité des clitiques, on propose généralement de les analyser en termes d'une matrice morphologique de positions (‘template’) du type illustré dans les tableaux 1 et 2. Dans ces tableaux, les colonnes successives indiquent l'ordre d'apparition des clitiques. Les clitiques apparaissant dans la même colonne ne peuvent se combiner entre eux. Le tableau 1 présente la matrice de positions pour l'italien53. Sauf cas très exceptionnels, la séquence comporte un maximum de deux éléments.

52 Ceci est admis même par les opposants au statut affixal des clitiques, comme par exemple Vigário (1999, 2003). 53 Voir Monachesi (1999 : 203sv) pour l'inventaire de toutes les séquences de clitiques attestées dans un corpus italien de 13 millions de mots. Le tableau 1 rend compte de l'ensemble de ces séquences. Cordin et Calabrese (1988 : 589) proposent une version différente où les colonnes I et II du tableau 1 sont séparées en cinq : (i) mi ; (ii) gli, le (datif) ; (iii) vi ; (iv) ti ; (v) ci. Ceci permet de rendre compte de certaines combinaisons marginales (elles ne sont d'ailleurs pas attestées dans le corpus de Monachesi) que ne permet pas le tableau ci-dessus (p. ex. ?mi gli, ?gli ti) ; en contrepartie, il faut poser des incompatibilités entre colonnes (p. ex. il faut interdire les combinaisons de de (i) et (iv) (*mi ti) et de (iii) et (iv) (*vi ti), ce qui est automatique dans le tableau 1). De plus, il n'est pas clair que ces combinaisons marginales relèvent d'une matrice de positions, puisque l'ordre ?gli mi n'est pas jugé plus mauvais que l'ordre ?mi gli prévu par la matrice de Cordin et Calabrese.

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Position I II III IV V VI mi ci (adv) si (réfl) lo si (imp) ne ti la gli li le (dat) le (acc) ci vi

Tableau 1 : Matrice positionnelle des clitiques en italien (Monachesi 1999 : 23) Pour le français, le tableau suivant a été proposé par Perlmutter 1970 : 226. Remarquons d'abord qu'il est destiné aux proclitiques et qu'il inclut des positions pour les clitiques sujets (colonne I) et pour le clitique négatif ne (colonne II), qui n'existent pas en italien standard. Pour les enclitiques, les colonnes III et IV doivent être inversées en français standard. De plus, on constate globalement une beaucoup plus grande variabilité de l'ordre des enclitiques, d'abord entre les différentes variétés de français (ce qui se trouve également de façon limitée pour la proclise), mais surtout, dans certaines configurations, pour un même locuteur, qui pourra par exemple alterner entre Donne-moi-le ! et Donne-le-moi ! Position I II III IV V VI VII je ne me le lui y en tu te la leur il, elle nous les on vous etc. se

Tableau 2 : Matrice positionnelle des clitiques en français (Perlmutter 1970 : 226) En plus des contraintes imposées par le tableau en tant que tel, on doit interdire la combinaison d'éléments provenant des colonnes III et V pour exclure les exemples de type (58a), avec cependant le problème (similaire à celui noté ci-dessus pour me te dans %Pierre me te semble fidèle) que les séquences de type me lui/leur sont acceptables pour certains francophones quand les deux clitiques sont datifs (%Pierre me lui semble fidèle). Par ailleurs, il est souvent dit que la séquence ne peut comporter au total que deux clitiques objets (provenant des colonnes III à VII)54. De plus, on doit stipuler diverses autres difficultés de cooccurrence qui ne concernent pas toujours des colonnes 54 On notera cependant la parfaite acceptabilité d'exemples du type Pierre me la lui a fait raconter, relevés par Tasmowski (1985), où l'on a d'une part une séquence de trois clitiques objets, d'autre part des membres des colonnes III et V (séparés cependant dans ce cas par un élement de IV, sans lequel la séquence devient inacceptable). L'acceptabilité de ces exemples est d'autant plus étonnante qu'on peut penser qu'il ne doit pas s'agir d'occurrences fréquentes.

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entières (voir p. ex. Morin 1979b, 1981), surtout pour l'enclise (p. ex. *menons-l'y ; *lui y parler vs. m'y parler). Enfin, il est bien connu que, dans toutes les langues romanes, les datifs éthiques échappent largement aux contraintes imposées par les matrices de ce type, ce qui est peut-être à mettre en rapport avec la possibilité pour certains locuteurs de produire des séquences me lui avec me datif (p. ex. %Paul te m'a donné une de ces gifle, Leclère 1976 : 93). Ce comportement est en contradiction totale avec l'esprit de la morphologie de position incarnée par les matrices. Au-delà des difficultés déjà mentionnées, on peut reprocher à ce type de représentation le fait qu'il manque de puissance explicative, puisque rien n'y motive le classement des clitiques en colonnes, ni l'ordre des colonnes, ni les contraintes de compatibilité. Certaines personnes ont tenté de proposer des explications syntaxiques et/ou sémantiques et/ou phonologiques à ces phénomènes. On consultera par exemple Watson (1997) qui, tout en admettant que la séquence de clitiques est construite morphologiquement, explique l'ordre et la cooccurrence en termes des traits ±ACCUSATIF et ±INDIVIDUATION, combinés à certaines contraintes phonologiques ; de même, Laenzlinger (1993) propose une explication syntaxique de l'ordre et de la cooccurrence basée également sur des traits morphosyntaxiques et sémantiques. La question reste ouverte cependant de savoir jusqu'à quel point les explications proposées peuvent être généralisées à tous les cas de figure de l'ensemble des langues et des dialectes de façon cohérente. D'autres travaux récents ont proposé d'expliquer les phénomènes d'ordre, de cooccurrence et d'idiosyncrasie en termes de la théorie de l'optimalité, qui permet beaucoup de flexibilité dans l'explication grâce à la possibilité de hiérarchiser les mêmes contraintes différemment selon les langues ou les dialectes (voir p. ex. Grimshaw 1997, Popescu 2000, Legendre 2000, Gerlach 2002). Cependant, dans ce type de cadre, on peut considérer que le manque explicatif se situe au niveau du choix et de la hiérarchisation des contraintes. Dans les deux types d'explications que nous venons d'évoquer, la motivation des contraintes proposées est d'une plausibilité variable. Par exemple, le fait d'invoquer la hiérarchie de l'animé de Siewierska (1988) (1 > 2 > 3 > humain > animaux supérieurs > autres organismes > matière non organique > abstraits) et une hiérarchie des arguments (sujet > objet indirect > objet direct) et de suggérer que les clitiques tendent à être ordonnés en fonction de celles-ci (comme le font p. ex. Watson 1997 et Gerlach 2002) paraît a priori intéressant. Cependant de tels principes généraux sont clairement insuffisants. Par exemple, la séquence le lui de (54a), où le est objet direct et peut référer à un inanimé, et lui est objet indirect et réfère à de l'animé contredit la hiérarchie de Siewierska et la hiérarchie des arguments. Watson et Gerlach proposent des explications pour cette séquence fondée sur des principes auxiliaires mais c'est à ce niveau que les choses peuvent sembler beaucoup moins convaincantes. Une autre hypothèse sur le statut des régularités partielles sur lesquelles sont fondées les explications que nous venons d'évoquer serait qu'il s'agit de figements morphologiques diachroniques d'ordres anciennement motivés, mais qui depuis leur

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figement ont été modifiés par des phénomènes de métathèse morphologique et de syncrétisme entre morphèmes (voir Hyman et Mchombo 1992 pour une argumentation de ce type en faveur de la lexicalisation d'une série d'affixes en chichewa).

3.5 La mésoclise et les interactions entre clitiques et affixes Dans un modèle lexicaliste, un clitique postlexical doit a priori être plus à l'extérieur que les affixes attachés à la même base. C'est ce qu'exprime le critère de Zwicky et Pullum (1983) selon lequel les clitiques, mais non les affixes, peuvent s'attacher à un hôte qui contient déjà un clitique. Deux types de cas sont répertoriés dans les langues romanes où l'on a en apparence un pronom clitique dans une position située entre la base verbale et un suffixe, ce qu'on appelle parfois un cas de ‘mésoclise’. Le cas le plus connu de ce type est celui du futur et du conditionnel en portugais où, lorsqu'on s'attendrait à avoir des enclitiques, on constate que les pronoms clitiques apparaissent entre la base verbale et le suffixe de temps et personne.55 Si cependant on se trouve dans un cas où un déclencheur de proclise est présent dans la phrase, le suffixe se trouve directement attaché à la base verbale. (61) P a. falaremos ‘nous parlerons’ P b. falar-lhe-emos ‘nous lui parlerons’ P c. não lhe falaremos ‘nous ne lui parlerons pas’ Sur base de ces faits, Zwicky (1987) et Halpern (1995) ont suggéré que les pronoms clitiques portugais doivent être analysés comme des affixes. Cependant, plusieurs auteurs ont contesté la validité de cette analyse. Leeuw (1997 : 139sv) propose une analyse détaillée du phénomène, dans le cadre de la théorie de l'optimalité, dans des termes qui reviennent à nier la pertinence de la distinction entre affixes et clitiques dans un cas de ce type. Vigário (1999, 2003 : 147sv) suggère que la marque de temps et de personne (dont on sait par ailleurs que, comme dans les autres langues romanes, elle dérive du verbe latin habere) a un double statut. D'une part, dans des exemples comme (61a,c), elle fonctionne comme un véritable affixe flexionnel entièrement morphologisé. Par contre, dans les exemples de mésoclise, comme en (61b), elle fonctionnerait comme un verbe, qui sert d'hôte aux clitiques, et qui se combine avec un infinitif par composition. Vigário donne différents arguments en faveur de cette analyse, notamment en montrant que les formes avec mésoclise comportent deux mots phonologiques et ont deux accents primaires. Elle mentionne par ailleurs le fait que certains locuteurs portugais utilisent une forme innovante falaremos-lhe à la place du type (61b), où le clitique est derrière la marque de temps et de personne. Selon elle, dans de telles variantes, l'analyse du marqueur de temps et de personne comme verbe disparaît, et il ne subsiste que le statut de suffixe normal. On notera cependant que l'ensemble de ces

55 On trouve des exemples similaires en roumain archaïque, voir Lombard (1974).

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données n'est pas nécessairement incompatible avec une analyse entièrement morphologique des formes en question. Le second cas où l'on peut suggérer qu'un suffixe apparaît derrière un clitique concerne des formes rencontrées dans certaines variétés d'espagnol parlé, où le suffixe de troisième personne du pluriel -n peut se trouver derrière un enclitique, et non devant comme cela est exigé dans la langue normative. On obtient ainsi, à la place de siéntense ! (‘asseyez-vous !’, sentar.subj.prés-3.pl.réfl) des formes comme siéntesen (Fernandez Soriano 1999 : 1257) où la marque de 3e personne de pluriel -n n'apparaît pas sur la base verbale, mais derrière le clitique réfléchi se. Ce type de cas semble être un argument très fort en faveur du statut affixal des pronoms clitiques (ou plus précisément des enclitiques) dans les variétés d'espagnol en question, dans la mesure où il paraît très difficile d'attribuer un statut autre qu'affixal au morphème -n.

4. Les clitiques sujets et les clitiques adverbiaux

4.1 Les clitiques sujets Dans la majorité des langues romanes un sujet anaphoriquement ou déictiquement récupérable n'est pas exprimé par un pronom, mais simplement indiqué par la marque de flexion suffixale de personne (certaines théories posant cependant la présence d'un pronom phonologiquement vide ‘pro’ en position sujet, voir p. ex. Haegeman 1991). Ainsi, (62a) est bien formé en italien. En français et dans la plupart des dialectes du nord de l'Italie56, par contre, on constate l'existence de clitiques sujets obligatoires dans ce genre de contexte, ce qui apparaît dans (62b,c). (62) I a. Mangia. ‘Il mange.’ b. El magna. / *Magna. ‘Il mange.’ (trentin, Rizzi 1986 : 391) F c. Il mange. / *Mange. Kayne (1975) a proposé une analyse des clitiques sujets du français essentiellement identique à celle des clitiques objets, en termes de mouvement du pronom depuis la position syntaxique normale du sujet vers une position adjointe au verbe. Cette analyse en termes de mouvement permettait entre autres de rendre compte de la distribution complémentaire que l'on constate entre clitique sujet et SN plein en français standard normatif, parallèle à la situation décrite en (28c) pour les clitiques objets. Cependant, dans la plupart des variétés de français parlé, on constate une présence très systématique du clitique sujet qui double le SN plein quand il est présent. Il en va de même dans les dialectes italiens discutés par Rizzi (1986). Ce doublement s'étend même, dans les dialectes italiens et dans certaines variétés de français, à des SN quantifiés indéfinis comme un enfant, quelqu'un ou personne.

56 Nous tirerons nos exemples pour ce chapitre de Rizzi (1986) ; voir également Poletto (1999).

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(63) FS a. *Personne il ne mange. FQ b. en campagne, quand quelqu'un il dansait... (Auger 1994 : 97) FP c. Ben oui mais alors personne il a une table exhaustive ? (exemple trouvé

sur un forum de discussion sur la toile). d. Gnun l'a dit gnent. ‘Personne il a dit rien.’ (turinois, Rizzi 1986 : 396) Ces phénomènes ont conduit Rizzi (1986) pour les dialectes italiens, Auger (1994) pour le français parlé québécois, et Zribi-Hertz (1994) pour la variété de français parlé de France parfois appelé le français ‘avancé’, à conclure que les pronoms clitiques sujets étaient en fait des marqueurs d'accord avec le sujet. Auger (1994) fait par contre remarquer qu'on ne trouve pas, en français parlé, de doublement de SN quantifiés indéfinis en position objet et en conclut que les clitiques objets ne sont donc pas (encore) des marques d'accord en français parlé57. Cette asymétrie entre sujet et objet, ainsi que l'ordre d'apparition du phénomène de doublement systématique avec différents types de SN, vont tout à fait dans le sens de la hiérarchie des marques d'accord de Givón (1976), discutée en 2.2. ci-dessus, selon laquelle les pronoms sujets se grammaticalisent en marque d'accord avant les pronoms objets et les SN définis déclenchent l'accord plus tôt que les SN indéfinis. Nous avons parlé en 3.2 et 3.3 des idiosyncrasies morphophonologiques et des lacunes qu'on constate avec les clitiques sujets en français, ce qui suggère qu'ils ont à la fois le statut de marque d'accord et d'affixe lexicalement attaché. Ces mêmes arguments montrent que les pronoms objets peuvent être analysés comme des affixes dans toutes les variétés actuelles de français parlé. Par contre, comme on vient de le dire, il n'est pas clair que les pronoms objets fonctionnent en français comme marques d'accord58. Ce constat a conduit Miller (1992) et Auger (1994) à contester l'idée parfois exprimée selon laquelle le statut de marque d'accord est un préalable au statut d'affixe dans les langues romanes. Cette position rapproche la situation d'une langue comme le français de certaines langues bantoues où les marqueurs de sujet et d'objet ont clairement le statut d'affixes lexicalement attachés, mais où seul le sujet est un marqueur d'accord (voir p. ex. Givón 1976, Bresnan et Mchombo 1987 et Creissels 2001). Un indice supplémentaire du statut d'affixe lexicalement attaché des pronoms sujets en français parlé est le fait, noté par Miller (1992 : 158) et Zribi Hertz (1994 : 138), qu'on doit répéter le pronom sujet avec une coordination d'hôtes, contrairement au français standard (voir section 2.3 ci-dessus). Ainsi, Elle chante et elle danse est très nettement préféré à Elle chante et danse en français parlé. Rizzi (1986 : 403) montre que la même chose est vraie en trentin où seul La canta e la balla avec répétition du clitique sujet la est acceptable.

57 Dans la perspective de Givón (1976), on pourrait suggérer que les clitiques objets sont déjà des marques d'accord en français parlé, mais que l'accord n'est pas déclenché par tous les types de SN. 58 Dans certains cadres théoriques on pourrait les appeler des pronoms incorporés, p. ex. Baker (1988).

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Dans la section 2.5, nous avons parlé du statut obligatoire de la cliticisation des pronoms objets en français. Les pronoms sujets sont à cet égard plus complexes. En effet, si le doublement des formes fortes sujets est la norme dans toutes les variantes usuelles de français parlé, le français standard permet des sujets formes fortes non doublés, mais uniquement à la 3e personne (Lui viendra ; Eux viendront ; mais *Moi viendrai ; *Toi viendras). Cette asymétrie, déjà étudiée par Benveniste (1965 : 201), n'a pas encore été expliquée de façon satisfaisante.

4.2 Les clitiques ‘adverbiaux’ Pour conclure cette section, nous dirons quelques mots des clitiques dits ‘adverbiaux’ (la dénomination traditionnelle n'est pas heureuse, car dans beaucoup de cas ils correspondent à des syntagmes pleins qui ne sont pas des adverbes) qui existent en français (en et y), en italien (ne, ci et vi), et en catalan (en, hi)59 . Sur le plan morphologique et phonologique, ces éléments ont clairement le même statut que les pronoms clitiques objets habituels. Cependant, leurs fonctions possibles dans la phrase sont beaucoup plus variées (voir p. ex. Sandfeld 1970: 134-168 et Pinchon 1972 pour le français ; Wheeler et al. 1997 : 186-196 pour le catalan ; Cordin et Calabrese 1988 : 559-565 et 633-644 pour l'italien)60. Une première fonction de EN est de permettre l'anaphore de SP en de (I di, da ; C de). Le clitique Y est similaire à cet égard et permet l'anaphore de SP avec toutes les prépositions locatives du type à, dans, sur, sous, ...(I a, in, ... ; C a, en, ...)61,62. Ceci est illustré dans les exemples (64) et (65)63. (64) F a. Les étudiants n'en sont pas sortis. [en = de cette amphi] I b. Gli studenti non ne sono usciti. [ne = da questo anfiteatro] C c. Els estudiants no n'han sortit. [en = d'aquesta aula] F d. Il en a parlé. [en = de ce cas]

59 Pour alléger le texte, lorsque les langues montrent le même comportement, nous utiliserons EN pour représenter le pronom catalan et français ainsi que le ne italien et Y pour désigner le pronom français et les pronoms italiens ci et vi, ainsi que le catalan hi. Nous ne prenons pas en compte ici les différences entre ci et vi en italien. 60 Pour des études sur des questions plus spécifiques concernant ces clitiques, voir entre autres Belletti et Rizzi (1981), Haverkort (1999), Milner (1978), Ruwet (1990). 61 Dans les trois langues, il y a une restriction importante sur la pronominalisation par Y des SP en à, à savoir qu'il est nécessaire qu'ils ne puissent pas être pronominalisables par des clitiques datifs (voir aussi note 63). On notera cependant que cette contrainte est moins claire dans certaines variétés de français parlé (considérées comme non standard) où y remplace lui : %J'y ai dit... Cordin et Calabrese (1988 : 562) rapportent un phénomène similaire dans les parlers régionaux en Italie, aussi bien méridionale que septentrionale : %A Marie, ce l'ho detto ieri ‘A Marie, [je] y l'ai dit hier’. 62 En catalan (cf. Wheeler et al.1999 : 191sv), hi permet de pronominaliser une plus grande variété de SP, comprenant des non locatifs, p. ex. Sortia amb en Terenci, però ja no hi surt. ‘Elle sortait avec Terenci, mais elle n'y sort plus’ = ‘mais elle ne sort plus avec lui’. 63 Dans les trois langues, EN et Y ont le plus souvent des antécédents non humains. Cette contrainte est cependant loin d'être absolue, voir p. ex. Ruwet (1990), Sandfeld (1970), ainsi que l'exemple catalan de la note précédente. De même, le verbe penser (65d,e,f) permet l'apparition de y avec un antécédent humain. Dans les trois langues, on constate, avec certains verbes, une alternance entre datif et Y selon le statut humain ou non de l'antécédent, p. ex. Il lui/y a dédié l'après-midi [à son ami / à son travail].

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I e. Ne ha parlato. [ne = di questo caso] C f. N'ha parlat. [en = d'aquest cas] (65) F a. Il y allait souvent. [y = à Paris] F a'. Tu n'y étais pas. [y = dans ta maison] I b. Ci andava spesso. [ci = a Parigi] I b' Non c'eri. [ci = a casa tua] C c. Hi anava sovint. [hi = a París] C c'. No hi eres. [hi = a casa teva] F d. Il y pense. [y = à son examen] I e. Ci pensa. [ci = al suo esame] C f. Hi pensa. [hi = en el seu examen] Ces exemples montrent que le SP pronominalisé peut être un complément locatif (64a,b,c, 65a,b,c, 65a',b',c')64. Il peut également être un complément non locatif introduit par une préposition (64d,e,f) et (65d,e,f). De plus, comme pour le cas des clitiques datifs régis par des adjectifs évoqués en (23), les clitiques adverbiaux peuvent apparaître sur un verbe alors qu'ils sont sémantiquement régis par un adjectif attribut de celui-ci, comme illustré en (66) et (67)65. (66) F a. Il en est très content. [en = de sa voiture]

I b. Ne è molto contento. [ne = della sua macchina] C c. N'éstà molt content. [en = del seu cotxe] (67) F a. Il s'y sent attaché [y = a ce laboratoire] I b. Egli ci si sente legato. [ci = a questo laboratorio] C c. Ell s'hi sent vinculat [hi= al seu laboratori] Par ailleurs, le clitique EN peut correspondre à un complément de nom issu de l'objet du verbe, comme en (68). Les exemples parallèles avec y sont cependant impossibles, comme cela apparaît en (69), bien que le nom régisse dans les trois langues un complément en à. De plus, en français et en italien, mais non en catalan, avec une classe

64 Dans les trois langues, les exemples sont moins naturels lorsque le SP locatif n'est pas un argument du verbe souscatégorisé par le verbe. Cependant, avec Y, si le contexte prépare la relation entre le lieu et l'activité, les phrases sont acceptables. (i) F J'aimais aller à cette discothèque. Je savais que Marc y dansait chaque nuit. I Mi piaceva andare a quella discoteca. Sapevo che Marco ci ballava ogni notte. C M'agradava anar a aquella discoteca. Sabia que en Marc hi ballava cada nit. Par contre, il semble impossible dans les trois langues de pronominaliser par EN un SP locatif en de dans les mêmes conditions : *Marc en a plongé [du dessus de la falaise] ; *Marco se ne è tuffato ; *Marc se n'ha capbussat. 65 Ces constructions sont cependant soumises à des contraintes qui restent à élucider. Par exemple, alors qu'une phrase comme Il y est fidèle [y = à ses principes], similaire à (67a), est acceptée par les francophones, les variantes italienne et catalane de cet exemple sont rejetées par nos informateurs, malgré le parallélisme apparent avec (67b,c) : I *Ci è fedele. [ci = ai suoi principi] ; C *Hi és fidel. [hi = als seus principis].

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limité de verbes66, EN peut correspondre à un complément de nom issu du sujet, comme en (70). (68) F a. Je n'en connais pas le nom. [en = de l'auteur de ce livre] I b. Non ne conosco il nome. [ne = dell'autore di questo libro] C c. No en conec el nom. [en = de l'autor d'aquest llibre] (69) F a. *Je ne m'y rappelle pas le voyage. [vs. Je ne me rappelle pas le voyage à

Paris] I b. *Non ci ricordo il viaggio. [vs. Non ricordo il viaggio a Parigi] C c. *No hi recordo el viatge. [vs. No recordo el viatge a París] (70) F a. L'auteur en est célèbre. [en = de ce livre] I b. L'autore ne è celebre. [ne = di questo libro] C c. *L'autor n'és cèlebre. [en = d'aquest llibre] Notons encore que le catalan est exceptionnel en ce qu'il permet l'utilisation de hi pour pronominaliser certains attributs (SAdj ou SN)67. Enfin, EN et Y apparaissent dans de nombreuses expressions idiomatiques dans les trois langues. En français on a par exemple en avoir marre, il y a, etc. Voir Wheeler et al. (1999 : 195) et Cordin et Calabrese (1988 : 640) pour des exemples similaires en catalan et en italien. Le deuxième emploi central de EN est celui qu'on appelle partitif ou quantitatif (cf. p.ex. Milner 1978), dans lequel il sert d'anaphore à un antécédent nominal non spécifique. Par exemple, en (71), l'antécédent pourrait être livres, livres anglais, livres de grammaire, etc. (71) F a. Il en veut (trois) [, de livres]. I b. Ne vuole (tre) [, di libri]. C c. En vol (tres) [, de llibres]. Sur base du contraste entre (72) et (73), il est souvent affirmé (cf. Belletti et Rizzi 1981) que cet emploi est limité à la position objet direct des verbes transitifs et au sujet postverbal des verbes inaccusatifs. Cette donnée a été utilisée comme argument en faveur d'une représentation syntaxique de l'inaccusativité, le sujet préverbal du verbe

66 La nature exacte de la classe de verbes permettant la pronominalisation en EN du complément du sujet comme en (6) a fait l'objet de débats, et il est souvent affirmé qu'il s'agit des verbes inaccusatifs (voir Belletti et Rizzi 1981, par exemple, mais voir aussi Tasmowski 1990 pour un point de vue différent). 67 Wheeler et al. (1999:193-4) donnent les exemples suivants : Digué que el ferro es tornaria or, però no s'hi va tornar. ‘Il a dit que le fer deviendrait de l'or mais il ne l'est pas devenu’ [litt. ne s'y est pas tourné]. —És gaire salat aquest arròs ? —Sí que l'hi trobo. ‘—Est-ce que ce risotto est très salé ?’ —Je trouve que oui.’ [litt. je l'y trouve]. Wheeler et al. notent également que cet emploi de hi (ainsi qu'un emploi similaire de en) apparaît dans la langue parlée pour les attributs des verbes ser, estar, semblar, esdevenir et aparentar, bien que la norme exige que ces verbes pronominalisent leur attribut avec le pronom neutre ho.

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inaccusatif étant en position d'objet en structure profonde et se comportant comme un objet dans cette position du point de vue du EN quantitatif68. (72) F a. *Trois en sont venus. [en = de clients]. I b. *Tre ne sono venuti. [ne = di clienti]. C c. *Tres n'han vingut. [n' = de clients]. (73) F a. Il en est venu trois. [en = de clients]. I b. Ne sono venuti tre. [ne = di clienti]. C c. N'han vingut tres. [n' = de clients]. Cependant, en italien et en catalan, de nombreux locuteurs ont le même contraste avec des verbes clairement inergatifs comme dormir et téléphoner, ce qui met serieusement en doute les propositions de Belletti et Rizzi69. (74) F a. *Trois en ont téléphoné. [en = de clients]. I b. *Tre ne hanno telefonato. [ne = di clienti]. C c. *Tres n'han telefonat. [n' = de clients]. (75) F a. *?Il en a téléphoné trois. [en = de clients]. I b. %Ne hanno telefonato tre. [ne = di clienti]. C c. %N'han telefonat tres. [n' = de clients]. Il apparaît donc que les clitiques EN et Y ont des fonctionnements très complexes et en même temps très convergents dans les trois langues étudiées.

5. Conclusion Les pronoms clitiques dans les langues romanes ont fait l'objet de nombreux travaux. Cependant, on n'a pas toujours suffisamment mis en lumière leur rôle clef pour la compréhension des propriété des interfaces entre les composants de la théorie linguistique. Les études précédentes se sont généralement focalisées sur un seul aspect de la cliticisation, le plus souvent sur les phénomènes syntaxiques, en négligeant les propriétés morphologiques et phonologiques. Dans ce chapitre, nous avons essayé de donner une vue d'ensemble de la complexité des données, en prenant en compte à la fois les propriétés syntaxiques, morphologiques et phonologiques des pronoms clitiques dans diverses langues romanes. Ce survol fait clairement apparaître le défi posé par ces éléments aux théories grammaticales. Leurs propriétés morphophonologiques doivent être réconciliées avec leurs caractéristiques syntaxiques. Ainsi, les clitiques constituent un domaine d'une importance cruciale pour comprendre les interactions entre les différents modules de la

68 (72b) et (74b) sont acceptables en italien avec un accent focalisant sur Tre. 69 Voir sur cette question Centineo (1996 :230-231) pour l'italien et Cortés et Gavarró (1997) pour le catalan.

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grammaire et leur organisation interne. C'est dans cette perspective qu'il nous semble pertinent de les étudier. Les données que nous avons présentées font apparaître un grand degré de variation dans les comportements des pronoms clitiques, à la fois au sein d'une même langue, et parmi les langues. De ce point de vue, ce domaine constitue un champ d'investigation particulièrement riche pour la problématique de la variation, à la fois synchronique et diachronique, au sein d'un groupe de langues très proches. Au vu de la variation constatée, il semble très difficile de soutenir que les clitiques correspondent à une catégorie unitaire définissable de façon uniforme. Cependant, nous croyons qu'il y a une tendance, dans la majorité des langues romanes, à ce que les pronoms clitiques se comportent comme des éléments morphologiques. En particulier, nous concluons que leurs propriétés sont très proches de celles des affixes flexionnels. Les clitiques du portugais et, dans une certaine mesure, ceux du roumain posent problème à cette hypothèse, vu les particularités constatées, notamment dans leur positionnement par rapport au verbe. Nous pensons que des recherches futures pourront montrer de façon plus convaincante que les clitiques dans ces deux langues sont à un stade intermédiaire de morphologisation.

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