Alice Miller - C'Est Pour Ton Bien

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Crest pour ton bien

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excellent

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Crestpour ton bien

Préface

On reproche à la psychanalyse de n'aider tout au plusqu'une minorité privilégiée, et ce d'une façon encore trèsconditionnelle. Ce reproche est parfaitement justifié, tantque les fruits de I'analyse demeurent effectivement propriétéexclusive de ce petit nombre de privilégiés. Mais il pourraiten être autrement.

Les réactions qu'a suscitées mon livre Le Drame deI'enfant doué m'ont appris que les résistances contre ceque j'avais à dire n'étaient pas plus fortes parmi lesprofanes - et l'étaient peut-être moins, dans les jeunesgénérations - que parmi les spécialistes; qu'il était doncutile et nécessaire de transmettre à I'ensemble du public Iesavoir acquis grâce à I'analyse par un petit nombre d'élus,et de ne pas l'emprisonner dans des bibliothèques. C'estce qui m'a conduite personnellement à la décision deconsacrer les prochaines années de ma vie à l'écriture.

Je voudrais dépeindre essentiellement des phénomènesqui se produisent en dehors de la situation psychanalytique,dans tous les domaines de I'existence, mais dont lacompréhension profonde repose sur l'expérience analyti-que. Cela ne signifie en aucune façon que je veuille< appliquer à la société )) une théorie toute faite, car jecrois n'arriver véritablement à comprendre un être humainque lorsque j'entends et que je ressens ce qu'il me dit sans

avoir besoin de recourir à des théories pour me protégercontre lui, ni même de me retrancher derrière ces théories.Toutefois, en matière de psychologie des profondeurs,notrerecherche, que ce soit sur les autres ou sur nous-mêmes,permet une connaissance de la psyché humaine qui nousaccompagne partout dans l'existence et qui affine notresensibilité, même en dehors du cabinet de I'analyste.

Cependant, I'opinion publique est loin d'avoir prisconscience que ce qui arrivait à l'enfant dans les premières

années de sa vie se répercutait inévitablement sur I'ensemble

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de la société, et que la psychose, la drogue et la criminalitéétaient des expressions codées des expériences de la petiteenfance. Cette idée est très souvent contestée, ou n'estadmise que sur un plan intellectuel, alors que la pratique(politique, juridique ou psychiatrique) reste fortementdominée par des représentations moyenâgeuses toutes péné-trées de projections du principe du mal ; tout cela pour lasimple raison que I'intellect n'a pas prise sur les domainesde l'émotionnel. Une connaissance émotionnelle peut-ellese transmettre au travers d'un livre ? Je I'ignore, maisI'espoir que I'ouvrage puisse déclencher chez tel ou tellecteur un processus intérieur me paraît assez fondé pourne pas négliger cette tentative.

Ce livre est né d'un besoin : celui de réagir auxnombreuses lettres reçues à la suite de la parution duDrame de l'enfant douë ; elles m'avaient beaucoup touchéemais je n'étais plus en mesure de leur répondre personnelle-ment. Je ne pouvais plus le faire par manque de temps,mais ce n'était pas la seule raison. Je me suis aperçueassez vite que je me devais d'expliciter davantage pour lelecteur mes pensées et mes expériences de ces dernièresannées, dans la mesure où je ne pouvais pas m'appuyersur une littérature existante. Des questions techniques demes collègues et des questions plus généralement humainesdes personnes concernées (l'un n'excluant pas I'autre !) se

sont dégagés à mes yeux deux ensembles de problèmes :

d'une part ma définition conceptuelle de la réalité de lapetite enfance, qui s'écarte du schéma pulsionnel de lapsychanalyse traditionnelle, d'autre part la nécessité decerner encore plus précisément la différence entre senti-ments de culpabilité et deuil. C'est à cela que se rattachela question cruciale et inlassablement répétée des parentssincèrement désireux d'améliorer la situation : que pou-vons-nous faire pour nos enfants à partir du moment oùnous avons constaté que nous étions sous I'emprise d'unecompulsion de répétition ?

Comme je ne crois pas à I'efficacité des recettes ni desconseils, au moins en ce qui concerne le comportementinconscient, je ne pense pas que mon rôle soit de lancerdes appels aux parents pour qu'ils traitent leurs enfants

Préfoce 9

autrement qu'ils ne peuvent le faire ; je voudrais plutôtmettre en lumière les corrélations, faire ressortir I'informa-tion vivante et sensible à l'enfant qui vit encore (plus ou

moins caché) en chaque adulte. Tant qu'on ne lui permetpas de se rendre compte de ce qui est arrivé, une part de

ia vie sensible est paralysée, et sa sensibilité aux humilia-tions de l'enfance demeure étouffée. Tous les appels à

I'amour, à la solidarité, à la compassion ne peuvent que

rester vains en I'absence de cette sympathie, de cette

compréhension premières qui sont absolument essentielles.

Lé problème prend des proportions particulièrementdramatiques chez les psychologues professionnels, parce

qu'ils ne peuvent pas utiliser leur savoir de spécialistes de

façon fruètueuse s'ils ne sont pas capables d'empathie vis-à-vis de leurs patients, quel que soit le temps qu'ils leurconsacrent. Cela vaut tout autant pour I'impuissance des

parents que ni un niveau culturel élevé ni le temps libreàont ils disposent ne peuvent aider à comprendre leurenfant tant qu'ils sont obligés de prendre une certaine

distance émotionnelle par rapport à la souffrance de leurpropre enfance. Inversement, en quelques secondes' -unemèr! qui travaille sera peut-être susceptible de mieuxcomprendre la situation de son enfant, si elle a I'ouvertured'esprit et la liberté intérieure requises pour y parvenir.

Je considère que ma tâche est de sensibiliser I'opinionpublique aux souffrances de la petite enfance, et c'est ce

que je tente de faire à deux niveaux différents, m'efforçantà ces deux niveaux d'atteindre, chez le lecteur adulte,I'enfant qu'il a été. Je le fais, dans la première partie de

ce livre, àu travers d'une présentation de la < pédagogie

noire >>, c'est-à-dire des méthodes éducatives suivant les-

quelles ont été élevés nos parents et nos grands-parents'

Chez certains lecteurs, le premier chapitre éveillera peut-

être des sentiments d'irritation et de colère qui peuvent

avoir un effet thérapeutique très bénéfique. Dans ladeuxième partie, je décris l'enfance d'une toxicomane,d'un dirigeant politique et d'un infanticide, qui ont toustrois été

-victimes dans leurs jeunes années de mauvaistraitements et de profondes humiliations. Dans deux de

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ces trois cas, je m'appuie très directement sur les récitsque m'ont faits les intéressés eux-mêmes de leur enfanceet de la suite et leur existence, et je voudrais aider lelecteur à percevoir ces témoignages bouleversants avec monoreille d'analyste. Ces trois destinées dénoncent les effetsdévastateurs de l'éducation, sa négation du vivant et ledanger qu'elle constitue pour la société. Même dans lecadre de la psychanalyse, et surtout dans celui du schémapulsionnel, il subsiste des traces de cette attitude pédagogi-que. J'avais d'abord pensé faire de l'étude de ce pointprécis un chapitre du présent ouvrage, mais, étant donnéI'ampleur du sujet, c'est devenu I'objet d'une autre publica-tion qui vient de paraître en Allemagne (Du sollst nichtmerken, Suhrkamp, l98l). J'y ai montré aussi, plusprécisément que je ne I'ai fait jusqu'à présent, en quoimes positions se démarquent des différentes théories et desdifférents schémas psychanalytiques.

Ce livre est issu de mon dialogue intérieur avec leslecteurs de mon précédent ouvrage dont il représente enquelque sorte la suite. On peut aussi le lire sans connaîtreLe Drame de I'enfant doué, mais si ce que j'écris ici devaitsusciter des sentiments de culpabilité au lieu d'un travailde deuil, il serait alors souhaitable de se reporter aussi àI'ouvrage précédent. Il est également important et utile dene pas perdre de vue, tout au long de cette lecture, que ceque je désigne sous le nom de parents ou d'enfants necorrespond pas à des personnes précises mais à des états,à des situations ou à des statuts qui nous concernent tous,parce que tous les parents ont été des enfants et que laplupart de ceux qui sont aujourd'hui des enfants devien-dront à leur tour des parents.

Pour terminer cette préface, je tiens à exprimer mesremerciements à un certain nombre de personnes sansl'aide desquelles ce livre n'aurait jamais vu le jour, outout au moins jamais sous cette forme.

La nature réelle de l'éducation m'a été révélée pour latoute première fois par son contraire, au cours de madeuxième analyse. C'est la raison pour laquelle mesremerciements vont tout particulièrement à ma seconde

Préface 1l

analyste, Gertrud Boller-Schwing, auteur d'un ouvrage

;;ôii;;".l tut I'expérience des patients intetrÉs (Der-ke i", S'eele des Gàisteskranken, Rascher, 1940)' C'est

ô*îqu'un qui a toujours attaché plus d'importance à

t;ctre qu'au comporiement, qui n'a jamais cherché .à,n'éduqu., ni à me faire la léçon, ni directement ni de

iàç* ààt"urnée. C'est précisémenl grâce à cette expérience

qu. 3'ui pu apprend.. b.aucoup de choses par moi-même'

d. fi ruôo" àili m'était la plui naturelle, et que j'ai été

sensibilisée à cette atmosphère éducative dans laquelle nous

baignons.Dans cette prise de conscience sont intervenues aussl'

pour une bonne part, d'innombrables conversations avec'mon fits, Martin MiU.t, qui m'ont constamment conduite

à une confrontation avêc les contraintes éducatives de

àa generation intériorisées dans mon enfance' C'est à

I'expîession riche et claire de son expérience vécue que je

doii en partie ma propre libération de ces contraintes' qui

nia été possible qu;à partir du moment oir je suis parvenue

à saisir les nuances lès plus infimes et les plus subtiles de

i'ætitua. éducative. Un ùon nombre des réflexions exposées

aan, ce livre ont été débattues avec mon fils avant que je

ne les coubhe sur le PaPier.Pour la rédaction du manuscrit, I'aide de Lisbeth

Brunner m'a été d'une valeur inestimable' Elle a non

seulement dactylographié ce texte mais aussi réagi spontané-

ment à tous lés .truiit..r avec intérêt et compréhension ;

elle a été, en fait, mon premier lecteur'

Enfin, j'ai eu la chance de trouver en la personne de

Friedhelm Herboth des Éditions Suhrkamp un lecteur qui

a profondément compris mon propos, qui n'a jamais

brutalisé mon texte .t tt'a suggéré que des corrections

riviittiqt.t qui préservaient eniièrement le sens original'

côtte aencatesse dans la manipulation du discours ainsi

que le respect et la compréhension de la pensée de I'autre'jè tes avais ressentis déjà, pour mon premier livre' comme

un don excePtionnel.C'est grâcè à Siegfried Unseld, qui avait été personnelle-

ment touché par Àon livre sur I'enfant doué' et grâce à

son interventiôn active' que mes travaux n'ont pas atterri

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chez un obscur éditeur spécialisé mais ont pu atteindre descercles plus étendus de << patients >>, c'est-à-dire de gensqui souffrent, ceux pour qui, en fait, ils avaient été écrits.Comme la rédaction de la revue Psyche avait refusé depublier la première des trois études, et que d'autres éditeursn'avaient pas non plus semblé très intéressés, à l'époque,c'est à I'ouverture des Éditions Suhrkamp que je dois laparution de l'édition allemande.

L'éducationou la persécution du vivant

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La punition suivit en grande pompe. Dix jours de suite.Dix jours trop longs pour toute conscience, mon pèreadministra solennellement de cinglants coups de baguettesur les poumes ouvertes de son enfant de quatre ans. Septampoules por jour : au total cent quarante ampoules et unpeu plus. C'étaiî h fin de I'innocence. Tout ce qui a pu sepasser au paradis avec Adam et Ève, Lilith, le serpent etla pomme, le juste déferlement du déluge biblique dans lestemps très anciens, la colère du Tout-Puissont et son indexvengeur - je n'en ai jamais rien su, C'est mon père quim'en a chassé.

Christoph Meckel (1980), p. 59.

Qui cherche à savoir ce qu'o été notre enfance, cherche àsavoir quelque chose de notre âme. Si la question n'estpas une simple formule rhétorique et si I'interlocuteur a Iapatience d'écouter, il sera bien forcé de constater endéfinitive que nous aimons avec horreur et haissons avecun inexplicoble amour ce qui nous a infligé les plus grandespeines et les plus terribles souffrances.

Erika Burkart (1979), p. 352.

lntroduction -

Il suffit d'avoir été mère ou père et de ne pas vivre dansun état de refoulement complet pour savoir par expérienceque I'on peut avoir quelque difficulté à tolérer certainsaspects de la personnalité de son enfant. Cette prise deconscience est particulièrement douloureuse lorsqu'on aimeI'enfant, que I'on voudrait le respecter dans toute saspécificité individuelle, et que I'on se rend compte que I'onn'y parvient quand même pas. La générosité et la tolérancene passent pas par I'intermédiaire du savoir intellectuel. Sinous n'avons pas eu, enfants, la possibilité de vivreconsciemment et de surmonter le mépris qui nous était

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infligé, nous le perpétuons. La seule connaissance des loisdu développement de I'enfant ne nous met pas à l'abri deI'insatisfaction ni de la colère lorsque son comportementne correspond pas à nos représentations idéales ni à nosbesoins, sans parler des cas où il semble mettre en périlnos mécanismes de défense.

La position des enfants est toute différente : ils ne sontpas entravés par un passé, et leur tolérance vis-à-vis desparents est absolument sans limites. L'amour filial empêcheI'enfant de découvrir la cruauté psychologique des parentsqu'elle soit consciente ou inconsciente et sous quelqueforme qu'elle prenne. Tout ce que I'on peut imposerimpunément à un enfant ressort clairement des derniersouvrages parus sur l'histoire de I'enfance (cf. par exemplePh. Ariès, 1960 ; L. de Mause, 1914; M. Schatzman,1978 ; I. Weber-Kellermann, 1979 ; R.E. Helfer et C.H.Kempe [dir. de publication], 1978).

Il semble qu'au fur et à mesure que I'on se rapprochede l'époque moderne, la mutilation, I'exploitation et lapersécution physiques de I'enfant aient été supplantées parune cruauté psychique, que I'on peut en outre présentersous la dénomination bienveillante et mystificatriced'< éducation >. Étant donné que, chez de nombreuxpcuples, l'éducation commence dès le berceau, dans laphase de la relation encore symbiotique avec la mère, ceconditionnement des plus précoces ne permet guère deconnaître la situation réelle de I'enfant. Par la suite, lebesoin de I'amour parental interdit également à I'enfantde se rendre compte du traumatisme qui persiste souventune vie entière, caché derrière I'idéalisation des parentsétablie dans les premières années.

Le père du paranoi'aque Schreber, dont Freud relate lecas, avait écrit vers le milieu du XIX" siècle plusieursmanuels d'éducation si populaires en Allemagne quecertains furent réédités quarante fois et traduits dansplusieurs langues. L'auteur y répétait inlassablement qu'ilfallait commencer d'éduquer l'enfant le plus tôt possible,dès son cinquième mois, pour le libérer des << germes dumal >>. J'ai trouvé maintes prises de position similaires

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dans les lettres et les journaux intimes de parents. Pourtout observateur extérieur, elles expliquaient très bien les

causes des atteintes profondes dônt souffraient les enfantsdevenus mes patients. Mais, au départ, ces derniersn'étaient pas en mesure de conclure grand-chose de ces

documents, et ce n'est qu'au terme d'une longue analysetrès approfondie qu'ils parvenaient à voir la réalité qui yétait décrite. Il fallait d'abord qu'ils se dégageassent deI'imbrication avec les parents pour définir les limites de

leur propre personnalité.Si la conviction que les parents ont tous les droits sur

eux et que toute cruauté - consciente ou inconsciente -est I'expression de leur amour reste si profondémentenracinél dans I'homme, c'est qu'elle se fonde sur I'intério-risation des premiers mois de la vie, de la période de laséparation de I'objet.

Deux extraits des conseils pédagogiques du docteurSchreber publiés en 1858 me paraissent illustrer le déroule-ment habituel de ce Processus :

Les premiers éléments sur lesquels seront mis à l'épreuveles principes moraux et éducatifs sont les caprices du tout-petit qui se manifestent par des cris et des pleurs sans

motif... Une fois vérifié qu'ils ne correspondent pas à unbesoin réel, que I'enfant n'est pas mal à I'aise, qu'il ne

souffre pas et qu'il n'est pas malade, on peut être sûr que

les cris sont tout simplement I'expression d'une humeurpassagère, d'un caprice, un premier signe d'obstir,rgtion' Ilne suifit plus, comme dans les premiers temps, d'adopterune attitude d'attente patiente, il convient déjà de manifes-

ter son opposition de façon un peu plus positive : par unerapide tentative de détourner I'attention, des formulessévères, des gestes de menace, des petits coups contre le

lit..., et, si tout cela ne suffit pas, par des admonestationsphysiquement tangibles, demeurant bien évidemment assez

ieeêrei mais réitérées à petits intervalles réguliers jusqu'àce que I'enfant se calme ou s'endorme...

Que I'on applique ce type de méthode une fois ou tout au

plus deux - et I'on est maître de I'enfant pour touiours'il suffit dès lors d'un regard, d'un mot, d'un seul geste de

menace pour le diriger. Et il faut bien penser que c'est leplus grand bienfait que I'on puisse apporter à I'enfant,

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dans la mesure où on lui épargne ainsi de nombreusesheures d'agitation qui nuiraient à son développement etoù on le libère de ces démons intérieurs qui prolifèrent etne se transforment que trop aisément en invincibles ennemisd'une existence sur laquelle ils pèsent de plus en plus---lourdement. (Cf. Schatzman, 1978, p. 32 et sq.)

Le docteur Schreber ne se doute pas le moins du mondequ'il combat en réalité ses propres pulsions chez I'enfant,et il ne fait pour lui aucun doute qu'il exerce son pouvoirdans I'intérêt exclusif de I'enfant :

Si les parents s'en tiennent fidèlement à cette ligne, ils en' sont bientôt récompensés par l'instauration de cet heureuxrapport, dans lequel I'enfant peut presque constammentêtre dirigé par le seul regard parental. (Cf. ibid., p. 36.)

On constate souvent que, même à un âge avancé, lessujets qui ont été élevés ainsi ne s'aperçoivent pas qu'ilssont exploités tant qu'on leur parle << aimablement >>.

On m'a demandé souvent pourquoi dans Ze Drame deI'enfant doué je parlais tant des mères et si peu des pères.Je désigne sous le nom de << mère > la principale personnede référence de I'enfant dans ses premières années. Il nes'agit pas nécessairement de la mère biologique, ni mêmeforcément d'une femme.

Je voulais à tout prix montrer que les regards d'interdic-tlon ou de mépris que percevait le nourrisson pouvaiententraîner à l'âge adulte de graves troubles, en particulierdes perversions et des névroses obsessionnelles. Dans lafamille Schreber, ce n'était pas la mère qui, dans leur plusjeune âge, <. dirigeait les enfants du regard, > c'était lepère. Et les deux fils furent atteints par la suite de maladiesmentales avec délire de la persécutiôn.

Jusqu'à présent je ne me suis jamais préoccupée dethéories sociologiques sur les rôles respectifs du père et dela mère.

Depuis quelques décennies, il y a de plus en plus depères qui assument aussi les fonctions maternelles positiveset manifestent à I'enfant tendresse, chaleur et compréhen-sion de ses besoins. Contrairement à l'époque de la famille

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patriarcale, nous nous trouvons actuellement dans unephase d'expérimentation très intéressante du point de vuedu rôle des sexes, et à ce stade j'aurais quelque difficultéà traiter du < rôle social > du père ou de la mère sanstomber dans des catégories normatives dépassées. Je mecontenterai de dire que tout jeune enfant a besoin pourI'accompagner dans I'existence non pas d'un être qui ledirige mais d'un être qui lui manifeste de l'empathie (que

ce soit le père ou la mère importe peu).

On peut faire de I'enfant une foule de choses dans les

deux premières années de sa vie, le plier, disposer de lui,lui enseigner de bonnes habitudes, le corriger et le punir,sans qu'il arrive quoi que ce soit, sans que I'enfant se

venge. Il n'empêche qu'il ne parvient à surmonter sans

difficulté l'injustice qui lui a été faite qu'à la condition depouvoir se défendre, autrement dit à la condition depouvoir donner à sa souffrance et à sa colère une expressionstructurée. S'il lui est interdit de réagir à sa manière, parceque les parents ne supportent pas ses réactions (cris,tristesse, colère) et les interdisent par de simples regardsou d'autres mesures éducatives, J'enfant apprend à se

taire. Son mutisme garantit certes I'efficacité des principesd'éducation, mais il recouvre en outre les foyers d'infectionde l'évolution ultérieure. Si les réactions adéquates auxvexations, aux humiliations et aux violences - au sens leplus large du terme - subies sont exclues, elles ne peuventpas non plus être intégrées à la personnalité, les sentimentssont refoulés, et le besoin de les exprimer de façonstructurée demeure insatisfait et sans espoir de satisfaction.Cette absence de tout espoir d'exprimer les traumatismesinconscients, avec les sentiments respectifs qui s'y ratta-chent, entraîne de graves troubles psychiques cbez laplupart des gens. Comme chacun sait, I'origine de lanévrose ne réside pas dans la réalité de ce qui s'est passé,

mais dans la nécessité du refoulement. Je tenterai deprouver ici que ce drame n'intervient pas uniquement dansla genèse de la névrose.

La répression des besoins instinctuels n'est qu'une partiede la répression massive qu'exerce la société sur I'individu.

lts âlen

hAtr du falt qu'elle ne s'exerce pas seulement àdulte mals dès les premiers jours de la vie, par

Itlntlrmédlaire des parents souvent pleins de bonnes intèn-tlonc, I'individu n'est pas en mesure de retrouver en lui-même sans aide extérieure les traces de cette répression.C'est comme un homme à qui I'on aurait impiimé unemarque dans le dos et qui, sans I'aide d'un miroir, nepourrait jamais la découvrir. La situation analytique estune de celles qui présentent cette sorte de miroir.

La psychanalyse reste le privilège d'une minorité, et sesrésultats thérapeutiques sont souvent contestés. cependant,lorsqu'on a observé à plusieurs reprises, sur dàs su;etidifférents, les forces qui se libéraient quand on parvenaità abolir les effets de l'éducation ; lorsqu'on voit àe quellefaçon destructrice ces forces s'investiisent sans .elu d.toutes parts, détruisant le vivant chez les autres commechez le sujet lui-même parce qu'il a appris dès sa plustendre enfance à le considérer comme néfaste et dangerèux,on aimerait bien transmettre à la société un feu d;I'expérience acquise par l,intermédiaire de la siiuationanalytique. La question de savoir si c'est seulement possiblereste à débattre. Toutefois, la société a au moins le droitd'être informée, autant que faire se peut, de ce qui seproduit réellement dans Ie cabinet du psychanalyste. Carce qui s'y découvre n'est pas uniquement I'affairê person-nelle de quelques malades et de quelques égarés mais nousconcerne tous.

Les foyers de la haine(Citations de textes des deux siècles derniers.)

- Il y a très longtemps que je m'interrogeais sur la façonde montrer, sous une forme tangible et non purementintellectuelle, ce que l'on fait dans bien des cas aux enfantsdès le début de leur existence, et les conséquences que celapeut avoir pour la société ; je me demandais iouventcomment raconter ce que découvrent les êtres dans leurlong et pénible travail de reconstruction des origines deleur vie. A la difficulté de présentation vient s'aj-outer le

La < pédagogie noire >> 2l

vieux dilemme : d'un côté I'obligation du secret, de I'autrela conviction que I'on découvre là un certain nombre derègles dont la connaissance ne devrait pas rester réservée àun petit nombre d'initiés. Par ailleurs je connais lesdéfenses du lecteur qui n'a pas fait d'analyse, les sentimentsde culpabilité qui s'instaurent en nous dès lors que I'onnous parle de cruauté tandis que la voie du travail dudeuil doit encore rester fermée. Que faire de ce triste savoiracquis ?

Nous sommes tellement habitués àlercevoir tout ce quinous est dit comme des prescriptions et des prédicatsmoraux que la pure information est parfois ressentiecomme un reproche et n'est, par conséquent, absolumentpas reçue. Nous nous défendons à juste titre contre denouvelles exigences, quand on nous a déjà trop demandéen nous imposant trop tôt, et souvent par la force, lesrègles de la morale. L'amour du prochain, le don de soi,I'esprit de sacrifice - que de belles formules, mais quellecruauté ne peuvent-elles pas cacher pour la simple raisonqu'elles sont imposées à I'enfant, et ce dès une époque oùles dispositions à I'amour du prochain ne peuvent pas êtreprésentes. Du fait de la contrainte, il n'est pas rare qu'ellessoient même étouffées dans l'æuf, et ce qui reste n'estalors qu'une inlassable astreinte. C'est comme une terretrop dure sur laquelle rien ne pourrait pousser, et le seulespoir d'obtenir malgré tout I'amour exigé réside dansl'éducation de ses propres enfants, que I'on peut à sontour contraindre impitoyablement.

C'est la raison pour laquelle je voudrais me garder detoute attitude moralisatrice. Je tiens explicitement à ne pasdire que l'on doit faire ou ne pas faire ceci ou cela, parexemple qu'il ne faut pas hair, car ce sont à mes yeux desphrases inutiles. Il me semble que mon rôle est plutôt demettre en lumière les racines de la haine que seuls peud'entre nous paraissent connaître, et de chercher à expliquerpourquoi ils sont si peu.

Je me préoccupais beaucoup de ces questions quand lelivre de Katharina Rutschky, Schwarze Piidagogik (1977)me tomba entre les mains. Il s'agit d'un recueil de

g ê|rit lplvr ton blcn

llxtll rur l'éducation, dans lesquels toutes les techniquestndltlonnelles de conditionnement du sujet à ne pas se

rendre compte de ce que I'on fait exactement de lui sontsi clairement décrites qu'elles confirment, à partir de laréalité, des reconstitutions auxquelles j'étais parvenue aucour du long travail analytique. C'est ainsi que j'eus I'idéed'extraire quelques passages de cet ouvrage excellent maistrès long, et de les réunir de telle sorte que le lecteurpuisse, en s'y appuyant, répondre pour lui-même et trèspersonnellement à des questions que je comptais soulever.Ces questions sont essentiellement les suivantes : Commentnos parents ont-ils été élevés ? Que devaient-ils et quepouvaient-ils faire de nous ? Comment aurions-nous punous en apercevoir alors que nous étions enfants ? Com-ment aurions-nous pu nous comporter autrement avec nospropres enfants ? Ce diabolique cercle vicieux pourra-t-ilêtre aboli un jour ? Et pour finir : la culpabilité n'existe-t-elle plus à partir du moment où I'on se bande les yeux ?

Il n'est pas totalement exclu que je cherche à obtenirpar la citation de ces textes un résultat radicalementimpossible ou complètement superflu. Car tant qu'unindividu ne peut pas voir quelque chose, il s'arrange pourne pas le voir, pour le mal comprendre et pour s'endéfendre d'une façon ou d'une autre. Si au contraire ils'en est d'ores et déjà rendu compte, il n'a pas besoin demoi pour s'en apercevoir. Ces considérations sont justifiées,et pourtant je ne voudrais pas renoncer à mon projet caril ne me paraît pas dénué de sens, même si, pour lemoment, relativement peu de lecteurs sont susceptibles detirer profit de ces citations.

Les textes choisis me semblent dévoiler des techniquesqui ont servi à dresser non seulement ( certains enfants >>

mais pratiquement à nous dresser, tous tarut que noussommes (et surtout nos parents et nos grand-parents), àne pas nous apercevoir de ce qui nous arrivait. J'emploieici le terme < dévoiler >>, alors que ces écrits n'avaient riende secret et furent au contraire édités et réédités maintesfois. Mais l?homme de la génération actuelle peut en tirerquelque chose qui le concerne personnellement et qui restaitencore dissimulé à ses parents. Cette lecture peut lui donner

La << Pédogogie noire '> 23

le sentiment d'avoir décelé un secret, quelque chose de

nouu.uu mais aussi de bien connu, qui jusqu'alors lui

"Àii"it sa vie et la déterminait en même temps' C'est

Ë;;*ll;ent I'impression.que j'ai eue à la lecture de

ia Pédasosie noire de Katharina Ru$'ch!{, Les traces que

ctttep=a-@ ri e s p Sy ch an alyt t q ues'

àànr'ru pàtitiqu. et dans les innombrables contraintes du

qr"iiài." me iont brusquement apparues plus clairement'

ce sont toujours l'<< entêtement >>, le caprice, I'esprit

frondeur et la violence des sentiments de I'enfance qui ont

po? r. plus de problèmes à l'éducateur. Il est inlassable-

L."t .uirp.lé qu! I'apprentissage de I'obéissance ne com-

*.n.. jâmais assez tôt. Prenons par exemple les réflexions

de J. Sulzer à ce sujet :

En ce qui concerne le caprice, il se présente comme un

*oy.n à'expression naturèl dès la première enfance' dès

iôiJ qu. I'enfant sait traduire son désir de quelque chos.e

par des gestes. Il voit un objet, qu'il voudrait obtenir ; il-n.

p"ut ias I'obtenir, cela le met en colère' il crie et tape

âes'pieai. ou bien, on lui donne quelque chose qui ne lui

conuient pas ; il le jette et se met à crier' Ce sont

de mauvaises habitudes dangereuses qui entravent toute

l'éducationetneproduisentriendebonchezl,enlant.slI'on n'élimit "

pal le caprice et la méchanceté' on ne peut

put "ppo*ar

à I'enfant une bonne éducation' Dès que ces

défauts apparaissent chez un enfant' il faut prendre

àiurg"n.. a"s mesures contre le mal' de manière à ce qu'ilnes'enracinepasencoreplusprofondémentparl'habitudeet que la perJonnalité de I'enfant ne soit pas entièrement

gâchée.ie conseillerai donc à tous ceux qui ont des enfants.à

éduquer de considérer l'élimination du caprice et de- la

mécùanceté comme leur tâche principale et de s'y attacher

aussi Iongtemps qu'il faut pour parvenir au but' Ainsi que

nous I'avons noté précédemment' on ne convalnc pas un

enfant qui ne parle pas par des explications ; il faut donc

éliminer le caprice pâr un moyen mécanique ; et à cet

égard il n'y a pas d'àutre façon qu.e de montrer à I'enfant

l,importancedelachose.Sil'oncèdeunefoisaucaprice,la sôconde fois il est plus fort et plus difficile à éliminer.

U C'est pour ton bien

Si les enfants ont eu I'occasion de s'apercevoir qu'ilsarrivaient à imposer leur volonté par la colère et les cris,ils ne manquent pas de réemployer ces mêmes moyens. Ala fin ils deviennent les maîtres de leurs parents et de leursgouvernantes et ont un esprit mauvais, capricieux etinsupportable, qui est par la suite une arme avec laquelleils persécutent et torturent leurs parents toute leur vie enrécompense de la < bonne >> éducation reçue. En revanchesi les parents ont la chance d'interdire le caprice dès ledépart par les remontrances sévères et la baguette, ils ontde bons enfants soumis et obéissants à qui ils peuventensuite donner une bonne éducation. Pour préparer unbon terrain à l'éducation, il ne faut pas cesser d'y travailler,jusqu'à ce que I'on sente que le caprice a disparu, car ilfaut à tout prix qu'il disparaisse. Il ne faut pas croire queI'on puisse faire quoi que ce soit de bon dans le domainede l'éducation tant que I'on n'a pas éliminé ces deuxdéfauts de base. Ce serait se donner du mal en vain. Ilfaut absolument établir d'abord la base.Ce sont donc les deux morceaux de choix sur lesquels ondoit fixer son attention dans la première année d'éducation.Quand les enfants ont plus d'un an, qu'ils commencentdonc à comprendre et à parler, il faut aussi s'occuper d'uncertain nombre d'autres choses, à la seule conditiontoutefois que le caprice reste I'objectif principal de tout letravail jusqu'à ce qu'il ait complètement disparu. Notrebut essentiel est toujours de faire de nos enfants des êtresjustes et vertueux, et il faut que les parents aient toujourscet objectif présent à I'esprit, chaque fois qu'ils regardentleurs enfants, pour ne pas manquer une occasion detravailler sur ce terrain. Il faut aussi avoir toujours trèsprésent à I'esprit le profil ou I'image d'une âme portée àla vertu, telle que nous I'avons décrite précédemment, demanière à savoir comment s'y prendre. Le premier principeet le principe le plus général auquel il faut veiller consisteà inculquer à I'enfant I'amour de I'ordre : c'est la toutepremière contribution à l'édification de la vertu. Mais d'ansles trois premières années cette démarche, comme toutesles autres que l'on entreprend avec I'enfant, ne peut êtreempruntée que d'une façon purement mécanique. Il fauttrès exactement faire tout ce que I'on entreprend avecI'enfant suivant les règles du bon ordre. La boisson et lanourriture, I'habillement et le sommeil, toute la petiteexistence quotidienne de I'enfant doit être bien ordonnée

La << Pédagogie noire >> 25

et ne jamais être modifiée en rien par son caprice ni par

ses humeurs' pour qu;ii uppt"tne dès.la. première enfance

à se soumettre rigoureusement aux règles du bon ordre'

l'àtat"ît.llon o6tttu" avec lui a une influence incontesta-

;1."^;; l;.tptil de I'enfant et lorsque les enfants sont

ttîuiî"èt itai,ot au uà" oiate' ils en déduisent que celui-

;ffili1il ; .", 1, n" se souviennent plus qu'on le leur

;;;.'it"é ;iifi.i"tt"*ànt' Si pour.faire plaisir à I'enfant

;r;;iiLTôràr. a" ,îpetite existence chaque fois qu'il

veut en faire à sa ète; il "tt u-ttté .à penser que I'on

n'attache pu, u"u,,"oi'î'ail*pottun"e à cèt ordre et qu'il

;"il";;;j""ts céder.à-tott càprice ; ce principe de base

;;;;i;";ir tes conséqueocés les plus dévastatrices sur

[" ni" morut" du sujet, ainïi qu'on peut le conclure aisément

de ce que noo, "no"t

âiï ptt"eat*ment de la nécessité de

l'ordre. Dès lors qu.i on ieut s'entretenir avec l'enfant' il

ï;;;'ffi;-tout", res àttusions de lui présenter I'ordre

;;;;;ïtilue cttose de sacré et d'inviolable' Lorsque

l'enfant demande ûq* chose qui va à I'encontre de

i';â;;; l i""t tui-ièponate: môn cher enfant' c'est

i*""rtiui", ce serait côttttuire au bon ordre' que I'on ne

ili,"Ëil enfreindre, et ainsi de suite ["']'L.- t..ona élément capital sur -lequel

on doit uxer son

effort dès le oepart]î""i fu deuxieme ou la troisième

;n;;, estl'obéisiance absolue aux parents et aux personnes

i"ïp**tr.t, et I'apprôbation de toul,:: qu'ils font' Non

seulement ces éléments sont tout simplement nécessaires à

i;-ffi; marche de l'éducation, mais. ils exercent une

influence tres prorJidt t"i-r;t"tt*ble -de l'éducation' Ils

;;;;ât;"tt.it a ieàt*tion parce ql'ils inscrivent dans

Ë;ti, Ë;tincipes'à;otdre ei d'obéissance aux lois' un

;#;; q"i -.tt

trauitue à obéir à ses parents se soumettra

sans difficultés aux ùis et aux règles âe la raison une fois

libre et devenu .o'''iiopt" maîtË,. parce qu'il aura déjà

ï.ir-iit"uirua" at-nt put agir selon sa volonté' Cette

obéissance revêt une têne importance qu'en f?it:. to:te

l'éducation n'est rien aiautre que I'apprentissage de I'obéis-

sance. c'est un ;;tp" t"'iu"tt"ilé-ent admis q.l:..I:'

;;;;;; p"iron,,uti'tés,- aestinees au.. souvernement d' Etats

i'Ju, -.nii.tt,

doivent apprendre I'art .de gouverner par

l'obéissance . Qui iiscit-obedire' nescit imperare*' mais on

. Qui ne sait obéir, ne sait commander'

26 C'est pour ton bien

ne peut en trouver qu'une seule raison, à savoir queI'obéissance donne à l,homme la volonté O. ,. ,ouÀ.itrè3y* l9i!, ce qui est la première qualité a,un gou""inâni.Une fois que, par un premier eifort d,édu.ition, on-â:.h1re le caprice de l'âme tendre de l,enfant, t,"rr.nti.i-0"I'effort doit donc porter sur l,obéissun.Ë.- Ëil";;obéissance n'est pas facile à inculquer a t,enfant. ti-esitout naturel que I'esprit veuille suivre sa propre volonté,et si -l'on ne s'y est pas pris correctement dans les deuxpremières années, on a du mal à atteindre son ilË;;suite. Ces premières années présentent en outre égalementI'avantage que I'on peut utiiiser la force et Ia contrainte.Avec le temps, les enfants oublient tout ce qu,ils ont vécudans-la toute petite enfance. Si I'on parvient ators a teurôter la volonté, par la suite ils ne se souviendront .iu_ui,d'en avoir eu une, et I'intensité des moyens que l,onaura dû mettre en æuvre ne pourra doni pas â"ài, à"conséquences néfastes.Il faut donc dès le début, dès lors que Ies enfants sontcapables rte comprendre quelque chose, t.u. *onti.i uu*ibien par la parole que par les actes qu'ils doivent iesoumettre à Ia volonté des parents. L,obéissanc, .onrirt"à ce que les enfants l) fassènt de bon gré ce qui feui

"riordonné, 2) renoncent à ce qui leur est intêrdit èt :js'estiment satisfaits des prescriitions qui reu, sont- f;it";:(Extrait de J. Sulzer, Verrurh uo, à", Èrri"h;-r;';;;Unterweisung der Kinder 2, 174g, cité d,après Xutfruiin"Rutschky, Schwarze pridagogik, abrégé aun, fu,uii"-K. i.;p. 173 et sq.)

On est étonné de I'ampleur du savoir psychologique quecet éducateur possédait déjà il y a ptus àé 0."* îie.i.rlïest parfaitement exact que les enfànts oublient avec lesannées tout ce qu'ils ont vécu dans Ia toute petite enfance.Certes << ils ne se souviendront jamais diavoir .; ;;;volonté >> mais la suite de la phràse est erronée, il n,estpas vrai que I'intensité des moyèns que l'on uu* dt-*.ti*en æuvre ne pourra (donc) pas avoir de conséquencesnéfastes.

c'est tout le contraire : les hommes de roi, res poriticiens,les psychiatres, les méd_ecins et les gardiens Oe;;il;;précisément affaire professionnellem-ent à c.s coriJ;;;"*;

La << pédagogie noire >> 27

néfastes toute leur vie, et bien souvent sans le savoir. Letravail de I'analyse demande des années pour en approcherles causes, mais lorsqu'il y réussit, il permet effectivementl'élimination des symptômes.

On se voit constamment objecter par des profanes qu'ily a des sujets qui ont indiscutablement eu une enfancedifficile sans pour autant devenir névrosés, tandis qued'autres qui ont grandi dans ce que I'on appelle générale-ment un < milieu protégé ) sont psychiquement malades.L'objectif est de prouver l'existence de dispositions innéeset de contester I'influence du foyer parental.

Le passage que nous venons de citer aide à comprendrecomment cette erreur peut (et doit ?) se répandre danstoutes les couches de la population. En fait, les névroseset les psychoses ne sont pas les conséquences directes defrustrations réelles mais I'expression du refoulement dutraumatisme. Lorsque tout I'effort entrepris vise à éduquerdes enfants de telle sorte qu'ils ne s'aperçoivent pas de cequ'on leur inflige, de ce qu'on leur dérobe, de ce qu'ilsperdent, de ce qu'ils auraient été et de ce qu'ils sont, etlorsque cette éducation est entreprise assez tôt, dans sa vied'adulte le sujet ressent la volonté de I'autre, sans parlerde son intelligence, comme la sienne propre. Commentpourrait-il savoir que sa propre volonté a été brisée alorsqu'il n'a jamais pu en faire l'expérience ? Et pourtant,c'est ce qui peut le rendre malade. Tandis qu'un enfantqui a vécu la faim, I'exode ou des bombardements en sesentant toujours considéré et respecté comme une personneà part entière, ne tombera pas malade à la suite de ces

traumatismes de la réalité. Il aura même une chance deconserver le souvenir de ces expériences (parce qu'il lesaura traversées avec des personnes de référence toutesdévouées à lui) et d'enrichir ainsi son monde intérieur.

Le passage suivant de J.G. Krûger laisse deviner pourquoil'éducateur attachait (et attache) tant d'importance à lutterénergiquement contre l'<< entêtement ).

J'estime pour ma part qu'il ne faut jamais frapper lesenfants pour des fautes commises par faiblesse. Le seulvice qui mérite des coups est I'entêtement. Il ne faut pas

28 C'est pour ton bien

battre un enfant.parce qu,il apprend mal, il ne faut pas Iebarrre parce qu,i[est to.Ue, i'iî"'flu, pu, le batrre parcequ'il a fait du mal sans le-vouloii,-il ne faut pas le battreparce qu'il pleure ; mais il est paifaitement légitime de Iebattre pour toutes ces fautes et iiê-me pour d,autres petiteschoses quand il les a faites pai màîtranceté. Si votre filsne veut rien apprendre poui ne pas céder à .. q"" ""r,voudriez, s'il pleure intentionnelfô_"nt pour vous braver,s'il fait du mal pour vous irriiËi,-Ur.f'r,il f"iil;;;;;tête :

Battez_le, faites Ie crier :Non, non, papa, non, non !

Car une telle désobéissance équivaut à une déclaration deguerre contre votre personne. Votre fils veut vous prendrele pouvoir, et vou,s ètes en Oroitïe-.ombattre la force parla fo1ce, pour raffermi. uotr.-uuÀiiii, ,un, quoi il n,estpas d'éducation. Cette correction n" àoii p", etr" prr._*imécanique mais le convaincre qu. uàu, êtes son maître.Pour ce faire, il ne faut pu, ,,uriàÀ. Slusqu,a ce qu,il fassece qu'il s'est antérieurement refusé à iaire p"..a;;;;;;:si vous n'observez pas-cette règre, vous livrez une batailredont son mauvais eiprit sortiii-irioirîr,unt en prenant laferme résolution de nè pas non prurïrir compte des coupsà l'avenir pour ne pus ètr" ,odir;-Ëtorité des parents.En revanche, si l,enfant s" ae"iareïi]icu oès la premièrefois et qu'il doive s'humilier A"uunt ilur, on peut être sûrqu'il n'aura plus Ie courage a" ," ,aUaffer à nouveau. Ilfaut cependant faire trcr -utt"ntion'àins t'aa-inistrationde ces corrections à ne pas i" f"i*.i emporter par lacolère. Car l,enfant esr. assez p";ôi;;;. Ë;;;d;;#votre faiblesse et considèrera ar,ors iàÀtn" un effet de racolère Ia sanction ,,ri devait i"i

"pp"*irre comme uneapplication de la justrce. par conséq-u'ent, si vous ne voussentez pas capable de -vous-

contenir, confie, 1,.*è"ulion'JËla. sentence à quelqu'un a,uutr",- noï sans tui enjoindretrès précisément de ne pas s'arrêter tani que l,enfant n,apas accompli la volonté du père et n,esi pu" ,.r,'irîdemander pardon..Ce parOôni if-f"rr,'ainsi que le notetrès justement Locke,- ,ron pu, iL -ùi-'."turer

tout à faitcertes, mais Ie lui rendre un peu froid, sans lui manifesterimmédiatement à nouveau votre pleine affection tant qu,iln'a pas réparé son crime pu. ui. àîeirrun." parfaite etprouvé ainsi qu'il était fermement aeciàe a rester un fidèlesujet de ses parents. Si I'on ,,v p.""Jàès le départ avec

La << pédagogie noire >> 29

I'habileté qui convient dans l'éducation de ses enfants, ilest certain que I'on sera rarement amené à recourir à desmoyens aussi violents ; mais ce ne sera guère évitable dansle cas d'enfants qui ne vous sont confiés qu'après avoir euI'habitude d'en l'aire à leur tête. Toutefois, surtout dans lecas d'enfants orgueilleux, et même lorsqu'il s'agit de fautesgraves on peut épargner les coups en les faisant par exemplemarcher pieds nus, en les privant de manger, en les faisantservir à table ou en essayant de les toucher par quelqu'autrede leurs points sensibles. (Extrait de J.G. Krùger, Gedankenvon der Erziehung der Kinder, 1752, cité d'après K.R.,p. 170 et sq.)

Là, encore, tout est dit ouvertement. Dans les traitésd'éducation plus récents, la volonté de pouvoir des éduca-teurs est beaucoup mieux dissimulée. On a mis au pointentre temps tout un dispositif d'arguments pour montrerla valeur et la nécessité des coups pour le bien de I'enfant.Là, encore, on parle ouvertement de < dérober le pouvoir >>,

de < fidèles sujets ), etc... et I'on dévoile donc la tristevérité qui est malheureusement toujours d'actualité. Carles motivations des coups sont restées les mêmes : lesparents luttent pour obtenir sur leurs enfants le pouvoirqu'ils ont dû eux-mêmes abdiquer auprès de leurs propresparents. La menace qu'ils ont senti peser sur eux dans lespremières années de leur vie et dont ils ne peuvent sesouvenir (cf. Sulzer), ils la vivent pour la première foisavec leurs propres enfants, et c'est seulement alors, devantde plus faibles qu'eux, qu'ils se défendent souvent trèspuissamment. Ils s'appuient ce faisant sur une foule derationalisations qui ont subsité jusqu'à aujourd'huil gienque ce soit toujours pour des raisons internes, autrementdit pour leurs propres besoins, que les parents maltraitentlcurs enfants, il est admis une fois pour toutes dans notrenociété que ce traitement doit être bon pour I'enfant. Leroin même avec lequel on entretient cette argumenationtrahit son ambiguïté. Bien que les arguments soient contrai-res à toute expérience psychologique, ils se transmettentdc génération en génération.

Il faut qu'il y ait à cela des raisons émotionnelles trèsprofondément ancrées en nous. Personne ne pourrait

30 C'est pour ton bien

prôner à la longue des << vérités > qui iraient à l,encontredes lois physiques (par exemple préiendre qu'ii;";;t;;i"pour un enfant de se promener en mailot oè uuin

"n t iu",et en manteau de fourrure en prein été) sans .n*ii, i"ridicute. Mais il esr tout à fait admis d;;"rË;; i"

nécessité des châtiments corporers, de t'trumiiiation Ëi iela mainmise sur l'autonomiê de rjenfant uu.. J.r-i.i*Ë,choisis comme << correction D, ( éducation ; ";;;;;igr;-ment du bien >>. On verra dans les extraits,uiuuntr, toujiui,d'après Echwarze ptidagogik, le profit que l,éducat.uip.rttirer de cette idéologiJ pôur_s.i propr., besoins ir; ;i;cachés et les plus inavoués. c'est ce qui expliqu. urri iàprofonde résistance à I'assimilation ei a t'ùtegrati;; à;;connaissances incontestabres acquises au cours de cesdernières décennies sur les lois de la psychologie

II y. a un grand nombre d,ouvrages qui traitent ducaractère néfaste et cruer de r'éducatiôn (ci. pu, .*.*ptËE. von Braunmiihl, L. de Mause, K.' Ruts.hky; tI.Schatzmann, K. Zimmer). pourquoi ée savoi, .".r.é_i_ii ,ipeu d'effet sur l,opinion publique ? J,ai t.rte â;urufyr.,autrefois les murtiples raisons individuelrer qui po"uui.niexpliquer ces difficultés, mais je pense que ie truit.*rnides enfants doit obéir. aussi à uné toi psychôrogiqr; ;à*r"1.qu'il convient de définir : l'exercice du pouvoiidel'adultesur I'enfant qui demeure, plus que tout autre, caché etimpuni. La mise en lumièré de ôe mécanisme'q";rir".;;universel semble superficielrement ailer à t'enànt.e àenotre intérêt à tous (qui renonce de bon gré à Ia porriùilitede se débarrasser des affects accumulés, et aux rationalisa-tions permettant de,s'assurer une bonne conscience ?) maiselle est d'une nécessité urgente pour les génération, à;;;;:En effet, comme av.ec les progrès de la technique it serade plus en plus facile de iuei des milliers O,nô__es

"nappuyant sur un bouton, il est de plus en plus importanide faire admettre par ra conscience pubrique toute rà ueritesur la manière dont peut naître re désir-d'anéantir lu ;i;de millions d'hommes. Les châtiments corporels ne sontqu'une forme de mauvais traitement, if, ,oni-to"i.rTJhumiliants parce que I'enfant ne peut pas se défendre et

La < pédagogie noire >> 3l

qu'il doit'en outre respect et reconnaissance aux parentspour tout cela. Mais en dehors des coups, il y a toute unegamme de mesures plus raffinées les unes que les autresqui sont prises ( pour le bien de I'enfant >> mais dont ilne peut guère percer à jour la nature profonde et qui ontprécisément de ce fait des conséquences catastrophiquessur son existence ultérieure. Que se passe-t-il par exempleen nous, lorsque nous essayons, en tant qu'adultes,d'imaginer ce que peut ressentir I'enfant dont P. Villaumedécrit l'éducation comme suit :

Lorsqu'on prend I'enfant sur le fait, il n'est pas biendifficile de le faire avouer. Il serait très facile de lui dire :

un tel ou un tel a vu que tu as fait ceci ou cela. Mais ilme paraît préférable de prendre un détour, et on peut enimaginer de multiples.Admettons que l'on ait interrogé I'enfant sur les mauxdont il souffre. On a appris de sa bouche même qu'iléprouvait telle ou telle douleur, tel ou tel trouble, qu'onlui décrit à son tour. J'imagine la suite :

<< Tu vois, mon enfant, que je sais quelles sont tes peines,je viens de t'en parler. Tu vois donc que je connais tonétat. J'en sais même encore davantage : je sais ce que tusouffriras encore dans I'avenir et je vais te le dire ; écoutemoi. Ton visage se flétrira, ta peau deviendra toute jaune ;tu auras les mains qui tremblent et une foule de petitsboutons sur le visage ; tes yeux se troubleront, ta mémoirefaiblira et ton esprit sera éteint. Tu perdras la gaieté, lesommeil, l'appétit, etc. >>

On ne trouvera guère d'enfant qui ne prenne peur à unpareil discours. Et I'on poursuivra :

<< Je vais t'en dire encore plus ; écoute moi bien ! Tu saisd'où te viennent toutes ces peines ? Tu ne le sais peut-êtrepas, mais moi je le sais. Tu les as méritées ! Je vais te direce que tu fais en cachette. Regarde, etc. >>

Il faudrait que I'enfant soit endurci à I'extrême pour nepas avouer dans les larmes.L'autre moyen de parvenir à la vérité est le suivantfi'emprunte ce passage à mes entretiens pédagogiques) :

J'appelai Heinrich. << Écoute moi, Heinrich, ta crise m'adonné beaucoup à réfléchir. (H. avait eu quelques crisesde petit mal). J'ai tourné et retourné tout cela dans ma

C'est pour ton bien

tête pour voir quelle pouvait en être la cause, mais je n'airien trouvé. Réfléchis un peu ; est-ce que tu ne sais rien ? >>

H. << Non, je ne sais rien. >> (Il ne pouvait effectivementrien savoir; car un enfant qui est dans ce cas Ià ne saitpas ce qu'il fait. Ce n'était d'ailleurs qu'une entrée enmatière pour ce qui allait suivre.)<< C'est quand même curieux ! Est-ce que tu te seraiséchauffé et que tu aurais bu trop vite ? >H. << Non. Vous savez bien qu'il y a longtemps que je nesuis pas sorti, sauf lorsque vous m'emmeniez. >>

< Je ne comprends pas - Je connais bien le cas d'un petitgarçon d'une douzaine d'années (c'était l'âge de Heinrich)qui a eu une histoire très triste - il a fini par en mourir. >r

(L'éducateur décrit ici le cas de Heinrich lui-même, sousun autre nom, pour lui faire peur.)< Il était pris lui aussi à I'improviste de tressaillements,comme toi ; et il disait que c'était comme si quelqu'un lechatouillait très fort. >>

H. < Mon Dieu ! Je ne vais pas mourir, au moins ? Moiaussi j'ai cette impression. >>

< Et quelquefois, on aurait cru que ces chatouilles allaientlui couper le souffle. >H. < Moi aussi. Vous ne I'avez pas vu ? > (On constatebien là que l'enfant ne savait véritablement pas quelle étaitla source de son malheur.)<< Ensuite, il a été pris d'un violent fou rire. r>

H. << Non, je commence à avoir peur, à ne plus savoir oùme mettre. ))

(L'éducateur invente ce rire, sans doute pour dissimulerses intentions. A mon avis, il aurait mieux valu qu'il s'entînt à la vérité.)<< Tout cela dura un certain temps ; et à Ia fin le riredevint si fort, si violent et si irrépressible qu'il s'étouffa etqu'il en mourut. >(Je racontai tout cela avec le plus grand calme, sans prêterattention à ses réponses ; en essayant de tout faire, jusquedans le choix des gestes et des expressions physionomiques,pour que cela pris I'allure d'un entretien amical.)H. ( Il est mort de rire ? On peut vraiment mourir derire ? >>

<< Bien sûr, puisque je te le dis. Tu n'as jamais eu unvéritable fou rire. Tu as I'impression que tout se resserredans ta poitrine et les larmes te viennent aux yeux. )H. << Oui, je sais. >>

La << Pédagogie noire ) 33

<< Bon, alors imagine que cela dure très longtemps et que

tu doives y résister, est-ce que tu es sûr que tu y arriverais ?

Tu pourrais t'arrêter parce que I'objet ou la chose qui

t'auiait fair rire cesserait de te faire cet effet, ou parce

qu'elle ne te paraîtrait plus aussi ridicule. Mais, ce pauvre

lurçon, "e niétait pas quelque chose d'aussi extérieur qui

l-e faisait rire, I'origine du rire était le chatouillement de

ses nerfs qu'il ne pouvait pas faire cesser selon sa volonté ;

et comme ce chatouillement durait, son rire dura aussi et

finit par le conduire à la mort. >>

H. < Le pauvre ! Comment s'appelait-il ? >>

<< Il s'appelait Heinrich. >H. < Heinrich ! > (Il me regardait' interdit.)(D'un ton indifférent) < Oui ! C'était le fils d'un commer-

çant de Leipzig. >

ir. " Rt ! Bon ! Mais d'où cela venait-il ? >(C'était la question que j'attendais. J'avais fait jusqu'alors

È va-et-vient dans la pièce ; à ce moment là, je m'arrêtaiet le regardai bien en face pour I'observer très exactement')<< D'après toi, Heinrich ? >H. < Je ne sais Pas. )<< Je vais te dirè quelle était la cause. (J'articulai ce qui

suit, lentement et avec insistance.) Ce garçon avait vuquelqu'un qui se faisait du mal en faisant des mouvements

birurt.t qui atteignaient les nerfs les plus sensibles de son

corps. Lé petit garçon I'imita sans savoir qu'il allait se

faire du mal. Il y prit tant de plaisir qu'il finit par mettre

les nerfs de son corps dans un état d'agitation inhabituellequi les affaiblit et entraîna sa mort' (Heinrich devenait de

plur rn plus rouge et manifestement embarrassé.) Il y aquelque chose qui ne va pas Heinrich ? >H.(Oh!Non.><< Est-ce que tu aurais encore ta crise ? >>

H. ( Oh I non. Est-ce que vous me permettez de me

retirer ? >>

<< Pourquoi, Heinrich ! Tu ne te trouves pas bien avec

moi?>H. ( Oh, si. Mais... >

<< Alors ? r>

H. ( Oh, rien. >

<< Ecoute moi, Heinrich, je suis ton ami, n'est-ce pas ?

Sois sincère. Pourquoi est-ce que tu as rougi et que tu t'estroublé ainsi au récit de I'histoire de ce pauvre garçon qui

a écourté ses jours de si pitoyable manière ? >

34 C'est pour ton bien

H. .< J'ai rougi ? Oh, je ne sais pas pourqqoi. Je leplaignais. ><< C'est tout ? - Non, Heinrich, il y a autre chose. Je lelis sur ton visage. Tu es de plus en plus troublé. Soissincère. Heinrich, par la sincérité tu te feras aimer de Dieuet de tous les hommes.H. < Mon Dieu. > (Il se mit à pleurer si fort et faisaittellement pitié que j'en eus aussi ies larmes uu* y.u* _-iile vit, me prit la main et l,embrassa de toutes ,., ior."r.f<< Alors, Heinrich, pourquoi pleures_tu ? >H. < Mon Dieu ! ))<< Tu veux que j9 t'épargne cet aveu ? Tu viens juste defaire ce qu'avait

{ai1 ce malheureux garçon, n,est_ce pas ? >H. < Mon Dieu ! Oui. > tCette dernière méthode est peut_être préférable lorsqueI'on a affaire à des enfants qui ont un caractère doux etsouple. La précédente a quelque chose de dur, dans lamesure ou c'est une véritable attaque portée à l,enfant.(P. Villaume, 1787, cité d'après K.R., p. l9 et sq.)

Dans cette situation, il ne peut pas y avoir de colère nide révolte de I'enfant contre cette ma;ipulation Oéguisée,car il n'est pas en mesure de déceler la manipulativqr u rr uùL p4ù çu ruesure qe oeceler la manipulation. Ilne peut s'éveiller en lui que des sentiments de peur, deho nïe, a, i n, e, u.i i e ;ï i : i :,ii,:i ff ii'nïï il, f i #i i;,î !douteassez vite, dès lors qu'il aura trouvé sa propre victime.Comme bien d'autres éducateurs, Villaume prend garde àce que ses méthodes passent inaperçues :

Il faut donc surveiller I'enfant, mais le surveiller, sans qu,ille remarque, sinon il se- cache, il se méfie et on ne peuiplus rien lui enseigner. Étant donné que la honte incitl detoute façon à se dissimuler ce type dtcarts, la cnose n,esien elle-même pas facile.En suivant un enfant partout (mais toujours sans êtreremarqué) et surtout dans les endroits intimes, if peularriver qu'on le prenne sur le fait.Il faut envoyer les enfants se coucher un peu plus tôt- dès qu'ils sont dans leur premier sommeil, leui enleveitout doucement la couverture, pour voir où'sont pfuae",leurs mains et s'il n'y a pas quelque autre signe. Mêmechose le matin, avant leur réveii.Dès qu'il sentent ou soupçonnent Ie moins du monde que

La < pédagogie noire >> 35

leur comportement secret est inconvenant, les enfants ontpeur et se cachent des adultes. C'est la raison pour laquelleje conseillerai de cont'ier le travail de surveillance à quelquequelque camarade et pour les filles à une jeune amie ou àune servante. Il va de soi que les surveillants en questiondoivent connaître le secret ou être d'un âge et d'uneconformation tels que sa divulgation ne puisse leur nuire.Ils sont alors en mesure, sous couvert d'amitié (et c'est dureste véritablement un service d'ami), d'observer les autres.J'irai même jusqu'à conseiller, si I'on est parfaitement sûrd'eux et que la surveillance l'exige, de faire dormir Iesurveillant dans le même lit que I'enfant. La honte et laméfiance disparaissent vite au lit. En tout cas, il ne faudrapas attendre longtemps pour que I'enfant se trahisse pardes paroles ou par des actes. (P. Villaume, 1787, citéd'après K-.R., p. 316 et sq.)

Le recours délibéré à I'humiliation, qui satisfait lesbesoins de l'éducateur, détruit la conscience de soi deI'enfant et le rend incertain et complexé mais on le présentecomme une bonne action.

Inutile de dire qu'il n'est pas rare qu'en louant avecoutrance les qualités de I'enfant les éducateurs éveillenteux-mêmes et contribuent à augmenter sa suffisance pourla bonne raison qu'ils ne sont eux-mêmes bien souvent quede grands enfants pleins de suffisance. [...] Le problèmeest ensuite d'éliminer cet orgueil. C'est indiscutablementun défaut qui, s'il n'est pas combattu à temps, se durcitet, se conjuguant avec d'autres dispositions égocentristes,présente un danger considérable pour la vie en société,tout à fait indépendamment du fait que la suffisance quise change en orgueil peut devenir ennuyeuse ou ridiculeaux yeux des autres. Elle risque en outre de restreindre demultiples façons le pouvoir de l'éducateur ; Ie bien qu'ilenseigne et à quoi il veut inciter, le sujet content de luicroit déjà le posséder, ou tout au moins être en mesured'y parvenir aisément, Ies mises en garde sont prises pourI'effet d'une anxiété exagérée, les réprimandes pour lessignes d'une horrible sévérité. L'humiliation est le seul etunique recours. Mais comment celle-ci doit-elle se présen-ter ? Avant tout, il ne faut pas beaucoup de mots. Lesmots ne sont en aucun cas le bon moyen de susciter ou de

36 C'est pour ton bien

développer les bonnes manières, ni d'éviter ou d,ériminerles mauvaises ; ils ne peuvent u!i, qu,.n corrélation avecune intervention à un niveau

-bien plus profond. Lesgrandes leçons de morale directes et les lôngs ."r**,punitifs, les satires acerbes et le sarcasme le plui u,n., ,àniles derniers moyens de parvenir au but , t., p..*iÀ

provoquent l'ennui et l'indifférence, res autres Ia iancæuret I'abattement. C'est toujours de ia vie que l,on till;;plus marquantes leçons. Il faut donc amener Ie sujet imbude lui-même dans .des situarions qui lui fasseni"pr."àr"

conscience de ses lacunes ,url, qui l,éducateur ,à fuirr.aller à proférer la moindre puroi. : que l,on pre..nt" -a

cet être indtment fier de sès connaissances àr; ;â;h";manifestement encore au-delà de ses forces et qu,on n,ailledonc pas le rroubler quand il essaie de volei ,ô ;il;mais que I'on ne tolère pas non prus de demi-mesui.

"i àËsuperficialité dans ces tentatives; lui qui se uant. Ae sonapplication, dès I'instant où celle_ci se relâche, qu,on h,irappelle brièvement mais sévèrement ses inutt.niionr, -"i

qu'on lui fasse découvrir lui_même le mot oublié ou malécrit dans sa _préparation ; en prenant bien soin d'évitertoutefois que l'élève ne soupçonne une intention aeriugree.Une méthode non moin. .ffi.u." .onrirt..u pour l,éduca_teur à faire goûter souvent à son élève ta proximitJ àegrands et nobles esprits: il faut toujours prer.nie, aI'enfant doué l,exemple de pr.ronnug", d-. l,"nuironr,"À.nivivant ou de personnages dél'histoiri qui s" soniài;irrd;par des dons encore plus brillant, oo iont parvenus en lesutilisant à la réalisation de choses admirables, ou .r,.or"I'exemple d'hommes qui sans etre aoiès de forces intellec_tuelles transcendantes se sont élevés pai

',effort ; ;;;;;;discipline de fer à un niveau bien supËrieur à ra désinvorturedu talent ; naturellement, il faut ll iaire, ta encore, sansétablir de rapport explicite avec t,etCve qui ne ;"r'q;;r;pas de faire en lui-même la comparaison. Enfin .n

"Ë qui

concerne les simples biens extériéurs, il ne sera pas inutiled'en rappeler le caractère précaire '"i

epnerner" pu, 0.,allusions occasionnelles aux phénomènes correspondants ;la vue d'un cadavre d'homm. i"u"", Ia nouvelle deI'effondrement d'une maison a. "oÀ*.."e humilie davan_

tage que les formules dissuasives et les réprimandes réité_rées. (Extrair de K.G. Hergang, padasisisàh, n"otiiziiià_ptidier, 1851, cité par K.R., p-.'412,irqi.l

La << pédagogie noire >> 37

Le masque de l'affection permet de cacher mieux encoreI'atrocité du mode de traitement :

Un maître d'école à qui je demandais un jour comment ilétait parvenu à ce que ses élèves lui obéissent sanschâtiments corporels me répondit : je m'efforce de persua-der mes élèves par tout mon comportement que je leurveux du bien et je leur montre par des exemples et descomparaisons qu'ils se font à eux-mêmes du tort s'ils nem'obéissent pas. En outre je pratique un mode de récom-pense consistant à marquer pendant les heures de classema préférence pour l'élève le plus complaisant, le plusdocile et le plus appliqué ; c'est lui que j'interroge le plussouvent, je lui permets souvent de lire son devoir devantles autres, je lui fais écrire au tableau ce qui doit y êtreinscrit. Je crée ainsi une émulation entre les enfants :

chacun a envie de se distinguer et chacun a envie d'être lepréféré. Si quelquefois l'un d'eux a mérité une punition,je le relègue au fond pendant les heures de classe, je neI'interroge pas, je ne lui fais rien lire, je fais comme s'iln'était pas là. D'une façon générale cela fait tellement depeine aux enfants que les punis pleurent à chaudes larmes ;et si d'aventure il y en a un qui ne veut pas se rendre àces méthodes douces, alors il faut que je le batte ; mais jefais précéder I'exécution du châtiment d'une préparationsi longue qu'elle I'atteint davantage que les coups eux-mêmes. Je ne bats pas I'enfant au moment même où il amérité la punition, je la repousse au lendemain voire ausurlendemain. J'en retire deux avantages : d'abord monesprit s'apaise entre-temps et je retrouve le calme dont j'aibesoin pour calculer exactement comment règler la chosele plus habilement ; par ailleurs I'enfant qui a péché ressentle châtiment dix fois plus fort non seulement sur son dosmais aussi par le fait qu'il est contraint d'y penserconstamment.Le jour venu de passer à I'exécution, je fais immédiatementaprès la prière du matin un discours émouvant à tous lesenfants en leur disant combien ce jour est un triste jourpour moi parce que la désobéissaice d'un de mes chersélèves me réduit à la nécessité de le frapper. Bien deslarmes coulent déjà, non seulement chez I'enfant qui varecevoir la correction mais aussi chez ses camarades. Quandj'ai terminé ce petit discours, je fais asseoir les enfants et

38 C'est pour ton bien

je commence ma leçon. Ce n'est qu'à la fin de la classeque je fais sortir du rang le jeune coupable, je lui annoncela sanction et je lui demande s'il sait ce qui la lui a value ?

Une fois qu'il a sagement répondu sur ce point. je luicompte ses coups en présence de tous les élèves ; puis jeme tourne vers les spectateurs en disant que j'espère detout mon cæur que ce sera la dernière fois que j'aurai étécontraint de battre un enfant. (C.G. Salzmann, 1796, citépar K.R., p.392 et sq.)

Pour survivre, I'enfant ne garde en mémoire que I'affec-tion de l'adulte associée à une soumission assurée du< jeune coupable )) et à la perte de I'aptitude à vivrespontanément les sentiments ressentis.

Heureux les parents et les maîtres qui ont su donner unesi bonne éducation à leurs enfants que leur conseil a laforce d'un ordre, qu'ils ne sont presque jamais contraintsd'administrer une véritable punition, et que même dansces rares cas, la privation de certaines choses agréablesmais non indispensables, la mise au ban de leur compagnie,le récit de la désobéissance à de tierces personnes dont lesenfants désirent I'admiration, ou d'auttes moyens du mêmeordre sont redoutés comme les plus sévères châtiments.Mais ce bonheur n'est échu qu'à une très faible minoritéde parents. La plupart doivent recourir de temps en tempsà de plus rudes moyens. Mais s'ils veulent amener leursenfants à une véritable obéissance, il faut que dans leurschâtiments aussi bien les allures que les paroles soientcertes sévères mais non furieuses ni hostiles.II faut êtrd calme et grave, annoncer la punition, adminis-trer cette punition et ne rien dire de plus ; jusqu'à ce queI'action soit terminée et que le jeune coupable châtié soità nouveau en mesure d'enregistrer de nouveaux conseils etde nouveaux ordres. [...]Si à la suite de l'administration du châtiment, la douleurse fait encore sentir un certain temps, il serait contre natured'interdire immédiatement les pleurs et les gémissements.Si l'on sent en revanche que I'enfant puni cherche à sevenger par ces plaintes lassantes, le premier moyen consisteà essayer de I'en distraire en lui conseillant d'autres petitesoccupations et d'autres entreprises. Si cela reste sans effet,on peut interdire les pleurs et punir la transgression de

Lq << Pédogogie noire >> 39

cette interdiction, jusqu'à ce Orllà la fin de la nouvelle

correction f"t pftuit tfurrêtent'-(Extrait de J'B' Basedow'

Methodenbu'h f;; ini' '"a Miitt" der Familien und'iàtter', tll3, ciité par K'R" p' 391 et sq')

Les pleurs qui sont la réaction n-aturelle à la douleur

doivent être réprimâ;;; unt nàuutUe correction' Mais il

;'iiiiùt.ri..ttniques de répression des sentiments :

Vovons maintenant l'effet des exercices d.'entraînement à

,i?#:t't'f i"ï"it'ott't""dmentt' Qui sait la force d'une

habitude établie, tun"u*ti--i;"rrott it -la constance qu'il

ffi;';;;til-ieiit.t' oi, on peut-considérer les sentiments

;;;;;;habitudes éiablies' Plus une âme est-f:T:,::

;â;;;., ;1"; eti. a a'entrgie pour surmonter dans certatns

cas particuliers une.. tenda-nce.ou T:-f:*"ise habitude'

On oourra donc uttltser tous les exercices par le^squels 1e's'

#J#';;o;;;;.;; à faire un effort sur eux-mêmes' qur

leur donnent patience li fttttte pour. réprimer leurs

tendances. gn consequence' tous les exercices de cet ordre

*Ëtrî"îiï".-i.u, 'oiiluttoioe aunt le cadre de l'éducation

ffi;;ili.t particuiièie et doivent être considérés comme

l'une des choses r..'îirrt-itnportantes' bien qu'ils soient

presque Partout oubliés'

iiïïpâ"i,ant beauc-o"up d'exercices de ce genre' et I'on

peut les concevorr de telle sorte que les enfants s'y

soumettent de bon gte, si I'on sait trguv:r la bonne façon

de leur parler, ., qut'f ;on tttutt bien. le temps qui leur

est imparti. f-'un Ati"t e*"itictt consiste par exemple à

;;' ;"tt" Demander à un enfant : est-ce que tu serals

capable de passer, un jout' quelques heures sans dire un

seul mot f r-,ri oo"nei *"it'de faire I'essai' jusqu'à ce

qu,il l,air réussi. B"rii,.,'ii ne-faut rien épargner pour lui

prouver que c'est.un"eïioitt at se dépasser ainsi' Répétez

l'exercice,comptlquez-ledetempsen-temps'l-oit^tlallongeant la durée it-t'ept"uut'.'oit tn donnant à I'enfant

l'occasion de parte' ôu Ën le faisant manquer a" ol^tl-o,l:

chose. Prolongez cet exercice jusqu'à ce que vous constatrez

que l'enfant v " *iti"i't"t ttiiàin" mâîtrise' confiez-lui

alors des secrets pour uoir s'il se montre, là aussi' capable

de se taire. S'il est uiiiue ut' point de savoir tenir sa langue'

il est aussi cupaUrt^à" Litn'A'uu"ts -choses et la fierté et

l'honneur qu'il en t"titt I'incitent à remporter d'autres

40 C'esl pour ton bien

épreuves. L'une d'entre elles peut consister à se priverde certaines choses que I'on aime. Les enfants sontparticulièrement attachés aux plaisirs des sens. Il fautessayer de temps en temps de les amener à se faire violenceégalement dans ce domaine. Présentez-leur de beaux fruitset mettez-les à l'épreuve au moment où ils sont sur le pointd'en prendre. Est-ce que tu saurais faire I'effort de garderces fruits pour demain ? Est-ce que tu serais capable d'enfaire cadeau à quelqu'un ? Procédez exactement commenous venons de l'indiquer pour les périodes de silence, Lesenfants aiment le mouvement. Ils n'aiment pas resterimmobiles. ContraignezJes à s'y entraîner de manière à cequ'ils apprennent à se faire violence. Mettez égalementleur corps à l'épreuve, dans toute la mesure où la santé lepermet ; faites leur subir la faim et la soif, supporter lachaleur et le froid, exécuter de durs travaux ; mais quetout cela se fasse avec le franc consentement de l'enfant ;car ce sont des exercices auxquels il ne faut pas lecontraindre, sinon ils n'ont plus aucune utilité. Je vouspromets que les enfants acquièrent par I'intermédiaire dece type d'exercices une âme plus courageuse, plus ferme etplus patiente, qui manifestera d'autant plus tôt son activitédans la répression des tendances mauvaises. Je prendraipar exemple le cas d'un enfant qui parle inconsidérémentà tel point qu'il parle bien souvent absolument sans raison.On peut éliminer cette mauvaise habitude par I'exercicesuivant. Après avoir longuement exposé à I'enfant samauvaise habitude, dites-lui: voyons si tu pourrais tedéfaire de cette habitude de parler à la légère ? Je vaisvoir aujourd'hui combien de fois tu parles sans réfléchir.A partir de ce moment-là, il faut prêter attention à tout ceque dit I'enfant, lui faire très clairement remarquer sonerreur chaque fois qu'il parle sans réfléchir et notercombien de fois cela se produit dans la journée. Lelendemain, on lui dit : hier tu as parlé sans réfléchir tantde fois ; voyons combien de fois cela va encore t'arriveraujourd'hui ? Et I'on continue ainsi. Si I'enfant a encoreun peu d'honneur et de bons instincts, on peut être sûrque par ce moyen il sortira progressivement de son erreur.Outre ces exercices d'ordre général, il faut aussi en pratiquerde spécifiques, qui visent directement la domination desémotions, mais qui ne doivent pas être entrepris avant queI'on ait utilisé les représentations mentionnées précédem-ment. Un seul exemple pourra servir de règle à tous les

La << PédaSogie noire >> 4l

autres car il faut que je restreigne-u-n-tt^îi:}fiiirt:i;;;";; pas être trop long'-Ao*tLtol^t^o;f,Ënî'*.t a.ir"ài*iri ;t que I'on ait d'ores :1.

o"11

lui par des représen;;il; ùui qu'il soit-enclin à réprimer

cette passio" t' o'î'iËiiJ d"tË également de le faire'

mettez-le à l'épreuvJ ill; f"t"" t;]l1Tt : annoncez-lui

que vous voulez ep'o"îtt L iË'istan"e dans la domination

de cette passion ' di";-ùi ;ien de se

'tenir sur ses gardes

et de se méfier dtt JliàiËt "iào^tgt de I'ennemi' Ensuite'

chargez secrètemenJ;ïiil"t i;iaire un atfront à I'enfant

au moment ou ttùi-ti ne s'y attendra Das pour volr

comment il " to*pî'i"t"'-S;if parvient' à ie contrôler' il

raut louer "t o'o,LiLiiuiiitËî"tsentir le plus intensé-

ment possibre re prâiiique t'on peut tirer du dépassement

de solmême' nn'iiË"iiiuui 1eiùttt-la même épreuve une

autre fois. Si t'enilnt ne rAis.t^e,-.Ras' il faut le puntr

sentiment "t rui iii!^àe-laire attention à mieux se temr

-,rn, uutr. rol'' rtauJiine !au1 pas s€Jnontrer sévère dans

ce cas-là' Quandiîv " pi";reurs,enfants' il faut donner

ceux qui ont bien sJrmo'nte une épreuve en exemple aux

autres.Mais il faut soutenir les enfants autant qu'on le peut dans

ces épreuves' ll faui l;;t-ài;; comment,se mettre en garde'

ll faut susciter Jl';ïj;;;ii.l"i^Î*se' dans toute la

mesure au possiuîe'-iàu' qu'itt nt::^luitttnt pas effarou-

cher par fa aifriciitË' t"t'if faut bien noter que ce type

d'épreuves ot*unâïïnJài'po'ition pnsitive de la part de

l'enfant, ,un' o"oirtîîe'ié-nL ot totalement stérile' voilà

ce qui nou' tt'nËiuii'àtuoit être dit sur cet entraînement'

(J. Sulzer,2 1748;;;; par r'n'' p' 362 et sq')

Si cette lutte contre l'affectivité'. a des effets aussi

funestes, c'est qu'orl'i;;;;;;â j{iu,"n* le nourrisson'

autrement dit avantïttt q* le moi de I'enfant ait pu se

déveloPPer.

ll y a encore une autre règle dont' les conséquences sont

très importa*tJ':oi;;'*îitt 9t:iîl autorisés de I'enrant

soient uniqutt"nJtutitfaits lorsqu'il se montre de bonne

composition et-inoiiensif ou tout au moins calme' et en

aucun cas au rJlieuË'ttt^t ou dtll* un comportement

î"à"iir..ntuï''à;"u"id,Î11',-"^".îî"î"îiË$:T'ii;;;i;;; même lorsque le besotn qut

42 C'est pour ton bien

besoin de nourrirull-,^bi.n fondé et parfaitement régulier- et ce n'est ou'ensuite, après une pËtite p;;;; ilii;;;;d o n ner sat i s faci i on. ô;,;t ;;;r. i",'.1,i"0,",.e es r égar em entnécessaire car ir r"ut ei"tt.r:'âl"i.nrunt ra moindre||tiJ,iï.iï":f.:-l qu'il pourrair extorquer quoi que

comporremen-iï'#:li,ï, K o"î;ïî;",lg"lls'apercevra très vite,-qla

";ar, ,auËrnent par Ie comporte_ment opposé, par la domination ae soi (meme ,;.;ii;,;;;encore inconsciente) qu'ir parvieni-a ,., fins. La bonnehabitude s'étabrir in.iovuui.r.ît'ui. (.*u.tement aussivite que dans le cas.inuerse-i;ir"'unTà opposée). Er c,esrdéjà beaucoup ; car f., .onrgàu.n'.eiîe t,etauiissemenr decette bonne base ont a", .urnifi.uiioïi aiu.rr.s et infiniesdans I'avenir. Mais on uoii ui.Tîi'Ëgïr.r."t à quel pointces principes, et bien a,uut.., àu-n,éi, ordre qui doiventêtre considérés comme r., pfu.lrporiun,r, peuvent êtredifficiles à appliquer lorsquË, .à_rï.,"r, le plus souventle cas, les enfants,de cet'agi,

-r-oru'prJsque exclusivementconfiés aux mains de serviteurs qui, au moins pour ce genre

$.irrTil,iTrrons, n'ont qu. irir'iul;;, un entende-meni

Par I'accoutumance dont nous venons de parler, l,enfanta déjà accompli un.progrès noruùi. àîns l,art de l,attente,.I_il :', préparé à':1; ?."Ëi;qiirj,ion, encore pruslmportante pour la.-suite, I,art au i.nàn".*ent. D,aprèsrout ce qui vient d'êrre dir il d;ir oîràir., assez évidenrque tour désir interdit - qu'ir ,oir ,iuiriur. à r,enfant lui_même ou non _ doit,.

""i;;;;;r;, in'r.ru, incondirion_nel avec une consrance absoluË.'ù;Ërefus à lui seul nesuffit pas ; il faut en même ,._p.-i"fri.r à ce que l,enfantadmette ce refus "arme.nent--e;;';ili, par une paroreun peu sévère, un-e menace ou autre,-à ce qu,.l fasse decette tranquille résignatiol une habitude étable. Surtoutpas d'exception ! _ er cela uurri ,. iàît-plus facilement etpJus rapidement qu'on

". r" ".oii."'!ulru.ur. Mais touteexception annule la règle et rend ptus"àlificite l,accouru_mance pour longre1p:. !n revanche, il faut ;irf"i;.tous Ies désirs autoriies ae l;i;;;';".c un affectueuxempressement.

c'est la seule et unique façon de faciliter à r,enfant rasaine et indispensable accoutumance à la domination et aucontrôle de sa volonté, à l,J;;ùlirr.À*ri ta distinctionentre ce qui est permis et ce qui;;-il;; ias, et |on n,y

La < pédagogie noire >> 43

parvient pas en lui supprimant peureusement toutes lessensations qu'éveille un désir interdit. Il faut que lesfondements de la force de caractère nécessaire soient posésassez tôt, et elle ne s'affirme, comme toutes les autresforces, que par l'entraînement. Si l'on décide de necon'rmencer qu'à une époque plus tardive, la réussite seraplus ou moins difficile et I'esprit de I'enfant non préparésera exposé à une impression d'amertume.Un très bon exercice dans I'art du renoncement, parfaite-ment adapté à cette classe d'âge consiste à donner souventI'occasion à I'enfant d'apprendre à regarder manger ouboire des personnes de son environnement immédiat, sansdemander lui-même quoi que ce soit. (D.G.M. Schreber,1858, cité par K.R., p. 354 et sq.)

L'enfant doit donc apprendre dès le départ à << se renierlui-même >, à étouffer en lui le plus tôt possible tout cequi << n'a pas la faveur divine >.

Le véritable amour vient du cceur de Dieu, de qui toutepaternité, au ciel et sur la terre, tire son nom (Éphésiens3, l5), le reflet et I'exemple nous en sont donnés parI'amour du Sauveur et c'est par I'esprit du Christ qu'il estengendré, nourri et entretenu dans le cæur de I'homme.Par cet amour qui vient d'en haut, I'amour naturel desparents est purifié, sanctifié, éclairé et renforcé. Cetamour sanctifié a pour fin ultime, et cachée à I'enfant,l'épanouissement de l'être intérieur, il n'a en vue que savie spirituelle, sa libération du pouvoir de la chair, sonélévation au-dessus des exigences de la simple vie naturelledes sens, son indépendance intérieure par rapport auxremous du monde environnant. Il est donc soucieux dès ledépart que l'enfant apprenne à se renier lui-même, à se

dépasser et à se dominer, qu'il n'obéisse pas aveuglémentaux instincts de la chair et des sens, mais aux pulsions et àla volonté supérieures de I'esprit. Cet amour sanctifié peuten conséquence aussi bien être dur que tendre, il peut aussibien refuser qu'accorder, chaque chose en son temps, ilsait faire le mal pour le bien, il peut imposer de lourdssacrifices, comme un médecin qui prescrit d'amères médica-tions, un chirurgien qui sait bien que la coupure de soninstrument fait mal, mais qui coupe quand même parcequ'il le faut pour sauver la vie. < Tu le frappes (l'enfant)

U C'cst pour ton bien

avcc les verges, mais tu sauves son âme de I'enfer. >> Cetteparole de Salomon donne toute Ia mesure de la dureté quepeut atteindre le véritable amour. Ce n'est pas la rigueurstoiQue ni I'intransigeance unilatérale de Ia loi, qui se

complaît en elle-même et préfère sacrifier le sujet ques'écarter le moins du monde de sa règle ; non, sa bontéprofonde transparaît en dépit de toute sévérité au traversde la gentillesse, de la pitié, de la patience pleine d'espoir,comme le soleil au travers des nuages. Il reste libre malgrétoute sa fermeté et sait toujours ce qu'il fait et pourquoi ille fait. (Extrait de K.A. Schmidt [dir. de publication],Enziklopridie des gesamten Erziehungs - und Unterrichts-wesens,2 1887, cité par K.R., p. 25 et sq.)

Étant donné que I'on croit savoir exactement quels sontles sentiments justes et bons pour l'enfant (comme pourl'adulte), on lutte aussi contre la violence qui est la véritablesource de l'énergie.

Parmi les manifestations qui se situent à la limite dela normalité, il faut compter la violence de l'enfant,comportement qui se présente sous de multiples formesmais débute généralement par le fait que la non-satisfactionimmédiate d'un désir qui s'est éveillé entraîne le déclenche-ment d'une activité d'une intensité inhabituelle dans lesecteur des muscles volontaires, avec des répercussionsannexes plus ou moins marquées. Des enfants, qui n'ontencore appris que quelques mots, et dont les plus hautesperformances consistent à se saisir des objets qui sont àleur portée, mais qui sont prédisposés au développementd'une nature violente, ont seulement besoin de ne pasobtenir un objet ou de se voir interdire de le garder pourse mettre à pousser des cris sauvages au milieu d'uneagitation incontrôlée. De là naît tout naturellement laméchanceté, cette particularité consistant dans le fait quele sentiment humain n'est plus soumis aux lois généralesdu plaisir et de la souffrance, mais est tellement dégénérédans sa nature profonde que, non content de n'y pasprendre la moindre participation, elle trouve du plaisir audéplaisir et à la souffrance des autres. Le déplaisir toujourscroissant qu'éprouve l'enfant de la perte du sentiment deplaisir que lui aurait apporté la satisfaction de ses désirsfinit par ne plus trouver sa satisfaction que dans Ia

La << Pédagogie noire >> 45

vengeance' c'est-à-dire dans I'impression réconfortante de

savoir son semblabit t*t i;"tptt!9 d" ce même sentiment

de déplaisir ou o"-'L-ùl*nté' Plys le réconfort de ce

sentiment o" u.ngtu"JJïtt-?pi"yt9 fréquemment' plus il

se fait valoir commJ"titt"it qui' à tout instant d'oisiveté'

peut mettre .n *uuË-ttt Ààvên" de sa satisfaction' A ce

stade l,enfan, ou.uù*-par sa .riotence à causer tous les

désagréments, a inniger ïout"' les contrariétés possibles et

imaginables u"* uu''-'Ë a-t"uft fin d'éveiller en lui-même

un sentimen, *utttptiUfJ à;uaoutit la- douleur des désirs

restés insatisfuitt' riË ltite erreur découle tout naturellement

la suivante, a tu"oitïut i"- nét5 de la -Runitiot- :-t:t]t^:,I"

besoin de mensongt, lè ttco"tt à la ruse et à la tromperre'

l,emploi d,expedieiis, ;;i; demandent qu'un entraîne-

ment pour umiut''iîli"tiàttion' L'irrésistible plaisir de

laméchancetéseformeprogressivementcommenousvenonsdeledire,a.ru.e."*u''iè'equelatendanceauvol, la cleptomanie] Cîrn*t conséquence annexe mais non

moins notable a.-i'ttitui initiale'- on voit se développer

également l'entêtement'

[...] Les mères, a-qui tt*t quand^même généralement

confiée l'éducation dàs enfants' savent rarement combattre

la violence.[...] Comme dans le cas de toutes les-maladies difficiles à

guérir, "n .. oui,*"oi"À" tt trouble psychique de la

violence, ,t tuu, uoiJitii" pt"t gtu"d soin à la prophvlaxie'

à la préventio" dti t"f' I-è miJux consistera à cet effet à

fonder tout. eo""ltiâîtu"tn ptincipe auquel on se tiendra

inébranlable**;ï';;l"t--r-eiruer it faut dans toute la

mesure du possiblJ tott*it" i'enfant à toutes les actions

susceptibles a'entiirt"tî"tôut ttnti*"ttt oue ce soit' agréa-

ble ou aoutou,.ui' dïffi;;;" ' Ûber den Kinderfehler

der Heftigkeil, riiô6, "ite

par K'R" P' 364 et sq')

Il y a ici une confusion très révélatrice de la cause avec

son effet, et l'on combat comme source du mal quelque

chose que l'on u toi-*ett- iait naître' Ce type de phéno-

mène ne se produii-pas uttiq"tT:nt.en pédagogie' mais

aussi dans les domainJJti" ptvchiatrie et de la criminolo-

;tr:u;'l;ir qt. r'ot;il;Ë i" 1 mal D par la répression

du vivant, tous tes moytnt tont bons pour le combattre

chez la victime.

U C'est pour ton bien

t...1 e l'école en particulier, la discipline doit passer avantI'enseignement. Il n'est pas de principe pédajogique plusfondamental que cerui selon requer tei eniantiaàiulnt 'et."éduqués avant de pouvoir recevoir un enseignement. Ilpeut bien y avoir une discipline sans enseignùnent, ainsique nous I'avons vu précédemment, mais il n,y a pasd'enseignement sans discipline.Nous nous en tiendrons donc à ceci : I'enseignement ensoi n'est pas la discipline, ce n'est pas encore un effort derecherche morale, mais il suppose lâ discipline.C- 'est ainsi que se déterminent également ies moyens de ladiscipline. Comme nous avons pu le voir, l,éducation nepasse pas avant tout par la parole mais par |,action, etquand elle se traduit par des paroles, ce ne doivent pasêtre des leçons mais des ordres.[...] Mais il ressort en outre de tout cela que la disciplineest' pour reprendre le mot de I'Ancien Testament, essentiel-Iement punition (musar). La volonté mauvaise qui, pourson propre malheur comme pour celui des auties, n,estpas maîtresse d'elle-même doit être brisée. La disciptineest, pour parler comme Schleiermacher, I'inhibition âe lavie, elle est en tout cas la restriction de l,activité vitale,dans la mesure où celle-ci ne peut pas se développer à songré mais doit être maintenue dans certaines limites etsoumise à certaines prescriptions ; et selon les cas eile peuiêtre également la restriction, aufrement dit ta suppi"siionpaftielle du plaisir de I'existence, de la ioie ae'vivre, eimême de la joie spirituelle, lorsque par exemple le membred'une communauté religieuse se voii privé t.-poruir.rn.ni,et jusqu'à I'accession à une nouvelle ferveur ieligieuse, déIa communion qui est Ia plus haute jouissun." p6rriùté

"nce bas-monde. Le fait que, dans I'ceuvre Ae l;eOucation,I'établissement d'une saine discipline ne pourra jamais sépasser du châtiment corporel ressort de la définiti,on mêmede la notion de punition. Son emploi précoce et energiquè,mais ménagé, est le fondement même de route veirtâutédiscipline, car c'est avant tout le pouvoir ae la ct airïuidoit être brisé. [...]Là où les instances humaines ne suffisent plus à maintenirla discipline' c'est l'instance divine qui doit interveniipuissamment et plier les individus cômme les peuplessous le joug insupportable de leur propre turpitude.(Enzyklopiidie des gesamten Erziehungs _ und (Jnter-richtswesens,2 1887, cité par K.R., p. 3gl et sq.)

La < pédagogie noire >> 47

L'< inhibition de la vie >> dont parlait Schleiermacherest affirmée sans ambages et louée comme une vertu, Maison oublie, comme chez beaucoup de moralistes, queles véritables bons sentiments ne peuvent même pas se

développer sans le fondement de la < violence >. Il fautque les théologiens moralistes et les pédagogues fassentpreuve de beaucoup d'imagination, ou au besoin qu'ilsreprennent les verges, car sur ce sol desséché par unediscipline trop précoce, I'amour du prochain ne s'épanouirapas très facilement. Toutefois il restera la possibilité deI'amour du prochain par devoir et par obéissance, autre-ment dit, une fois de plus, le mensonge.

Dans son ouvrage Der Mann auf der Kanzel (1979),Ruth Rehmann, elle-même fille de pasteur, décrit I'atmos-phère dans laquelle on grandissait parfois au sein de cesfamilles :

On leur raconte que les valeurs qu'ils possèdent dépassentpar leur immatérialité toutes les valeurs tangibles. De cesentiment de posséder des valeurs cachées naissent uneprésomption et une infatuation de soi qui se mêlent trèsvite indissociablement à l'humilité exigée. Et personne nepeut vous en libérer, pas même vous. Dans tous vos faitset gestes, vous êtes aux prises non seulement avec vosparents naturels, mais avec le Père suprême omniprésent,que vous ne pouvez pas offenser sans le payer par unsentiment de culpabilité. Il est moins douloureux de se

soumettre : être gentil ! Dans ces maisons, on ne parle pasd'<< aimer >> mais d'avoir de l'<< affection > ou d'être( gentil >. En remplaçant ce verbe par un nom ou unadjectif avec un auxilliaire, on coupe sa pointe à la flèchedu dieu paien et on la courbe pour en faire une allianceou un cercle de famille. On exploite cette dangereusechaleur au foyer familial. Et qui s'y est réchauffé une foisa froid partout ailleurs dans le monde.

Après avoir raconté I'histoire de son père de son pointde vue, elle qui était sa fille, Ruth Rehmann résume sesrentiments en ces termes :

tlt C,cct pour ton blen

C'ert cc qui me fait peur dans cette histoire : ce typeparticurier de soritude qui n" trrr.mbre pas à ra sorituâe,parce qu'elle est-.rout entourée.de gâ* Ëi.îr".jii;,r,sauf que l'être solitaire n,a pàs-a,autr. possibilité de serapprocher 1,:::_:* pu, un-Àouvemenr du haut vers Iebas, en se baissant comme sainitvtartin se penchant versle pauvre homme du haut delon .fr.uuf . On peut appelercela des noms les plus divers ,-fui." le-bien, aiàer, Oôiner,conseiller, consoler, .ns"igrre, lt' meme servir, cela nechange absotument rien arifait qu. r" h"r;;;;;; ràr.lî"r,le haut et le bas toujours le bu;,T que celui qui se trouveune fois pour toutel en taui ne-pru, p", se faire aider,conseiller, consoler ni enseigne; q,i:i q,i. .";;î;^ilË.besoin qu'il en puisse

"uoii, "ur-lans cette constellationbloquée il n'esr pas-de reciprLJË iossible, pas le moindresoupçon de ce que l,on nomme ,oiouriie Lri;;ilËffi,I'amour. Aucune misère rbrt il; ,nire.uùi.- i*rï;,";être pareil descende ae U traule-ilonrur" de son humbleprésomption.Ce pourrait être le rype particulier de solitude par lequel,en dépit d,un minuii.u"

"oni.ài" quotidien, on pèchecontre Ia parole,.et le communO.rn.nt de Dieu, sanss'apercevoir o5^llgn "rt .ôupuuiJ, .* Ia perception decertains péchés suppose uo ,àuoii,qui ,rnc-qui.ï;;; î;vue, l,ouie et I'entendemeft et ;;; ;u travers d,un dialosuedans'espace intérieur. cutniiro-iorr.r ; àû il;* ;ËË;la théologie, la sociologl; ù;; .à.pr.nar" Ia misère deson peuple et agir

".n éoniéqu.nce.

-r,Égrisr:;;Ë ;;cera d'un très bon æil. Les pË"t èlî" Ia voronté de savoirIui onr toujours pa.ru plus ;.*;ù" ceux de la volontéde ne pas savoir et ette a'toulËurrîJ*e prus agréabres ceuxqui cherchaienr'esselri.r oanr i'i"iisibre et négrigeaient revisibte comme secondaire. ti. 1iiïiiq.l

Le pédagogue doit jugurer très tôt Ia voronté de savoir,en partie aussi pour que l,enfant n. ,lup.rçoive pas tropvite de ce que I'on faif ae tui.----' ^'- "

L'enfant : D'où est-ce que viennent les enfants, Monsieur ?Le précepteur: IIs pouss."t-â".rl.i.nrr" de leur mère.Lorsqu,ils sont si qros ou,ils n;*r'ifu, de place dans soncorps, il faut qT:^t3: *er" t., "ffie, à peu près de Iamême manière que nous re raisons'iiirqu" nou. avons trop

La << pédagogie noire >> 49

mangé et que nous allons aux cabinets. Mais c'est trèsdouloureux pour les mères.L'enfant : Et c'est ainsi que I'enfant naît ?

Le précepteur : Oui.L'enfant : Mais comment arrive-t-il dans le corps de lamère ?Le précepteur : On ne le sait pas. Tout ce que I'on saitc'est qu'il y pousse.

L'enfant : C'est quand même bizarre.Le précepteur : Non, justement pas. Regarde, là, tu voistoute une forêt, c'est là qu'elle a poussé. ll ne viendrait àI'idée de personne de s'en étonner, car on sait bien que lesarbres poussent de la terre. Aucun esprit ne s'étonne nonplus de ce que les enfants poussent dans le corps de leurmère. Car il en a toujours été ainsi, depuis qu'il y a deshommes sur la terre.L'enfant : Et il faut qu'il y ait des sages-femmes aumoment où I'enfant naît ?

Le précepteur : Oui, précisément parce que les mèreséprouvent de si violentes douleurs qu'elles ne peuvent pas

en venir à bout toutes seules. Comme toutes les femmesne sont pas si endurcies ni si courageuses qu'elles puissentassister des gens qui doivent supporter de terribles douleurs,il y a dans tous les endroits des femmes qui, contre unpaiement, restent auprès des mères jusqu'à ce que lesdouleurs soient passées. De la même manière qu'il y a despleureuses ou des femmes qui font la toilette des morts,car laver un mort ou I'habiller, ce n'est pas non plusquelque chose que tout le monde aime faire, et c'estpourquoi les gens s'entendent à y gagner de I'argent.L'enfant : J'aimerais bien voir un jour un enfant naître.Le précepteur : Pour te faire une idée des douleurs et dela souffrance des mères, tu n'as pas besoin d'aller assisterà la naissance d'un enfant, car on en est rarement avertidans la mesure où les mères elles-mêmes ne savent jamaisà quel moment les douleurs vont commencer ; je t'emmène-rai voir le docteur R., un jour qu'il amputera un patientd'une jambe ou qu'il devra lui extraire du corps une pierre.Ces gens gémissent et poussent des cris exactement commeles mères lorsqu'elles vont mettre au monde un enfant.t. ..1

L'enfant : Ma mère m'a dit il n'y a pas longtemps que lasage-femme voyait immédiatement si I'enfant était un

50 C'esî pour ton bien

garçon ou une fille. A quoi est_ce que la sage_femme lereconnaît ?

Le précepteur : Je vais te le dire. Les garçons sont detoute façon plus larges de carrure et ont une ossature plusforte que les filles : rnais surtout ia main et le pied d,ungarçon sont toujours plus larges et moins formé, qu" iàmain er Ie pied d'unè fille. "ru

n,u, qu,à regard.i puiexemple la main de ta sæur qui a pourtant près d,un an etdemi de plus que toi. Tarnâin.ri-uien ptus r"ig.'àr. iàsienne et tes doigts sont plus épais et plus charnus. llsparaissent également plus

-courts bien qu,ils ne le soientpas. (J. Heusinger, : lg0l, cité par I(.n., p.Z:Z et-sq.l--"'

Une fois que I'on a abêti un enfant par des réponses dece type, on peut se permettre beaucouj de choses ;";;l;.Il est rarement utile et souvent dommageable de leurexpliquer les raisons pour lesquelles vous ne satisfaites pastels ou tels désirs. Et même'lorsque vous êres décidés àfaire ce qu'ils demandent, traUituei_les de temps

"n t.Àp,à attendre, à se satisfaire d,une pairi. a. .Ë q;;ii.'^;'"

demandé et à accepter avec reconnaissance un autrebienfait, différent de ce qu,ils uuui.ni demandé. 6iriip",un désir auquel vous êtes contraint de vous opposer, soitpar une occuparion, soit par la satisfaction ï. q"àfq".autre demande. Au moment où ils sont en train d.;;;;%de boire ou de s'amuser, dites_leur de temps ; Ë;;sur un ton d'affectueuse fermeté d,interrompre quelqulsminutes leur plaisir pour en(reprendre quelque chose d,au_tre. Ne satisfaites jamais unà demand. qu. ;o"; ;;;,rejetée au départ. Efforcez-vous ae iatisfai; q";lq";.;;les enfants d'un << peut-être ,. ô. p.uaetre devra se réaliserparfois, mais pas toujours, et en àucune façon dans le casd'une répérition intârdite de ta

-àemanOe. Si cerrainsaliments leur répugnent distingue, ilil, sont de il;;;commune ou particulière. Dans le dernier aur, uou,

-na

vous^donnez pas trop de mal pour passer outre à leurdégoût ; dans le premier .rruyË, àe "voir s,it, p.ef"ientsupporter la faim et la sôif pendant un certain t"*p, ptutàique d'absorber ce qui leur répugne. Si c,est le .ur, înèi..imperceptiblement un peu d'es-ariments en question àd'autres: s'ils les trouvent bons et les aigei."i

-Ui."lpersuadez-les par là-même des erreurs de leur irnuginuiùn.

La << pédagogie noire >> 5l

S'il y a vomissement ou si vous observez d'autres effetsphysiques rcgrettables, ne dites rien, et essayez de voir sipar ce subterfuge leur nature peut s'y habituer progressive-ment. Si cela n'est pas possible, il sera vain de chercher àles contraindre ; mais si vous constatez que I'imaginationseule est cause de ce dégoût, essayez de les en guérir en lesfaisant jeûner plus longtemps ou par d'autres moyens decoercition. Vous y réussirez plus difficilement, si les enfantss'aperçoivent que leurs parents ou surveillants manifestentquelquefois de la répugnance pour tel ou tel aliment. [...]Si les parents ou les surveillants ne sont pas capables parexemple de prendre des remèdes sans faire de grimaces nise plaindre, il ne faut pas qu'ils le laissent jamais voir àleurs enfants, mais au contraire qu'ils fassent bien souventcomme s'ils prenaient eux aussi ces médicaments qui ontmauvais goût et, qu'un jour ou I'autre, les enfantspourraient devoir absorber à leur tour. Ces difficultés,comme beaucoup d'autres, sont aussi écartées généralementpar I'accoutumance à une obéissance absolue. C'est dansle cas des opérations chirurgicales qu'elles prennent lesproportions les plus dramatiques. Si une intervention estnécessaire chez un jeune enfant, il ne faut pas en dire unmot à I'avance, mais procéder secrètement à tous lespréparatifs, passer à exécution et dire ensuite : voilà, monenfant, maintenant tu es guéri, la douleur va passer. Maisdans Ie cas où une nouvelle intervention est nécessaire, jene saurais donner de conseil universellement valable, nidire s'il faut recourir à certaines représentations ou aucontraire procéder sans elles, car la première solution estmeilleure dans certains cas et l'autre dans d'autres.

- Quand les enfants ont peur de I'obscurité, c'est toujoursde notre faute. On doit dès les premières semaines, surtoutdans la période où on les allaite la nuit, éteindre Ia lumièrede temps en temps. Si I'on a donné au départ de mauvaiseshabitudes, il faut guérir progressivement le mal. La lumières'éteint, on la rallume très lentement, et par la suite pluslentement encore, enfin il faut plus d'une heure pour yparvenir, entre-temps, on s'entretient joyeusement autourd'eux et I'on fait quelque chose que les enfants aimentbien. Alors on ne laisse plus de lumière la nuit ; on prendl'enfant par la main et on lui fait traverser des piècescomplètement obscures ; on I'y envoie ensuite tout seulchercher quelque chose qui Iui plaît. Mais si les parentsou les personnes responsables ont eux-mêmes peur de

52 C'est pour ton bien

I'obscurité, je ne saurais donner d'autre conseil que dedissimuler. (J.8. Basedowl, 1773, cité par K.R., p. 258 etsq.)

Il semble que la dissimulation soit un moyen universelde domination, même en pédagogie. La victoire finale estprésentée ici encore, de la même manière par exemple dansle domaine de la politique, comme la << bonne solution >>

du conflit.

1...1 3. Il faut aussi que I'enfant apprenne la dominationde lui-même, et pour ce faire il faut qu'il s'y exerce. Dansle cadre de cet effort s'inscrit ce que Stoy montre trèshabilement dans son encyclopédie, à savoir qu'il fautenseigner à I'enfant à s'observer lui-même, non pours'admirer, mais pour connaître les défauts contre lesmanifestations desquelles il doit employer sa force ; ensuiteon peut lui demander un certain nombre d'améliorations.Le petit garçon doit apprendre à se passer de quelquechose, il doit apprendre à se priver, il doit apprendre à setaire quand il est grondé, à se résigner quand il lui arrivequelque désagrément ; il doit apprendre à garder un secret,à s'interrompre dans son plaisir. [...]4. Du reste, en ce qui concerne I'entraînement à ladomination de soi, c'est uniquement le premier pas quicompte, I'un des principes pédagogiques les plus souventrépétés est celui selon lequel I'entreprise réussie est mèred'une volonté analogue : chaque nouvelle victoire ponc-tuelle augmente le pouvoir de la volonté de domination etdiminue celui de la volonté à combattre, jusqu'à ce quecette dernière pose les armes. Nous avons vu des enfantscolèreux qui, comme I'on dit, ne se connaissaient plusdans leurs accès de fureur, assister au bout de quelquesannées à peine comme des témoins étonnés aux crises decolère d'autres enfants et nous les avons entendus remercierleur éducateur. (En4ykloptidie...,, 1887, cité par K.R.,p. 374 et sq.)

Pour être sûr de bénéficier de cette reconnaissance, ilfaut entreprendre le conditionnement très tôt.

Il ne peut guère être malvenu de donner à un petit arbre

Lo < PédaSogie noire >> 53

la direction dans laquelle il doit pousser' alors que sur un

vieux chêne c'est impossible ["']';;;;; Jeune enfani aime un objet avec lequel il joue et

qui lui fait passer le temps' RegardezJe gentiment et

enlevezle lui avec un sourire, sans la moindre violence'

sans gest" sévère, et remplacez-le immédiatement' sans

faire àttendre I'enfant, par un autre jouet, un autre passe-

l"Àpt, de manière à ce qu'il oublie le précédent et prenne

l'autre de bon gré. La répétition fréquente et précoce de

cet exercice, au cours duquel il faut avoir I'air aussi enjoué

que possible, permettra de constater que I'enfant n'est pas

aussi inflexiblè qr'on l'accuse de l'être ni qu'on aurait pu

le rendre par un traitement déraisonnable' Il ne sera pas

lâcile à lienfant de se montrer capricieux vis-à-vis de

àu.iÀ"'"" qui par I'amour, le jeu et une affectueuse

surueillance aura su préalablement l'habituer à lui et gagner

sa confiance. A l;origine, un enfant n'est guère troublé. ni

tËuoitJ parce qu'on lui enlève un objet ou qu'on ne cède

;;t-t ; volonté mais parce-qu'il a besoin d'un passe-

temps et veut pouvoir àistrairè son ennui' La nouvelle

distiaction offeite fait qu'il se détache de I'objet qu'il a

antérieurement si violemment désiré' Dans le cas où il se

montreraitmécontentdelaprivationdel,objetquiluipi"it"ii, oir il pleurerait et crierait, il ne faudrait pas en

ienir compte, ni même le consoler par des caresses ou en

lui rendant l'objet qu'on viendrait de lui prendre' mais

càntinuer à detôurnôr son attention sur un autre objet

Ëta." uu nouvel amusement' (F'S' Block ' Lehrbuch der--Erziehungskunst zim Gebrauch fiir-christtiche Eltern und

k;;i;;;î*stehier,l780' cité par K'R'' p' 390 et sq')

Ces conseils me rappellent un malade, QU€ I'on avait

réussi très tôt à < déihabituer >> de sentir la faim < par

à-'uii..t,r.uses diversions ). Un ensemble complexe de

,y.ptO-., irrépressibles qui cachaient son insécurité pro-

i;;â" s'était aisocié put iu suite à ce dressage' Mais.la

diversion n'était bien évidemment que l'une des multiples

iotÀ"t de répression de sa vitalité' Le regard et le ton

ràni a."* tnétt odtt utilisées fréquemment et souvent

inconsciemment.

Parmi elles, il faut accorder une place particulièrement

tJline".i pârticulièrement importante à la punition muette

54 C'est pour lon bien

ou la réprimande muette qui se traduit par le regard oupar un geste approprié. Le silence a parfois plus de forceque beaucoup de mots et le regard plus de force que laparole. C'est à juste titre que I'on rappelle que I'hommedompte du regard des bêtes féroces ; il ne devrait doncpas avoir beaucoup de mal à maîtriser les mauvais instinctset les mouvements néfastes d'une jeune âme. Si nousprotégeons et tbrmons dès le départ comme il convient lasensibilité de nos enfants, un seul regard a parfois plusd'effet que le bâton et Ie fouet, sur des enfants que l'onn'a pas rendus insensibles aux effets de finesse. << L'æil levoit, Ie cæur en est brûlant > devrait être la plus nobledevise de la punition. Admettons que I'un de nos enfantsait menti, mais que nous ne soyons pas en mesure de lelui prouver. A table ou ailleurs, lorsque tout le monde estréuni, il faut amener la conversation comme par hasard.sur les gens qui mentent et montrer ce qu'il y a de honteux,de lâche et de pernicieux dans le mensonge en jetant unregard sévère sur le coupable. S'il n'est pas encore pervertipar ailleurs, il sera comme à la torture et en perdracertainement le goût d'être insincère. Mais Ie rapport tacited'éducation entre nous et lui gagnera en force. Au nombredes serviteurs muets de l'acte d'éducation, il faut compteraussi les gestes adéquats. Un léger mouvement de la main,un hochement de tête ou le simple fait de hausser lesépaules peut avoir plus d'effet qu'un flot de paroles.

- Outre la réprimande muette, nous disposons de laréprimande verbale. Là non plus, il n'est pas toujoursbesoin de beaucoup de mots ni de mots très forts. C'est leton qui fait la musique* même dans I'art de l'éducation.Celui qui a la chanee de posséder une voix dont le ton luipermet d'exprimer les états d'âmes ou émotions les plusdivers, a reçu en naissant de la mère Nature un merveilleuxmoyen de punition. On peut même en faire I'observationchez les tout jeunes enfants. Leur visage est rayonnantquand leur père ou leur mère leur parle gentiment, labouche se referme sur ses cris lorsque la voix paternellelui ordonne d'un ton grave et haut de faire silence. Et iln'est pas rare que de tout petits enfants reprennentdocilement le biberon qu'ils viennent juste de repousser,lorsqu'on leur ordonne sur un certain ton de reproche deboire. [...] L'enfant n'a pas encore une pensée assez

* En français dans le texte.

Lo << Pédogogie noire > 55

développée, il ne peut pas.pénétrer assez profondément

nos sentimentr, pou' se iendre compte très clairement que

ce n'est que par ;;;; et pour tol Pi"-l' par bienveillance

à son égard qut nàtt it'uont lui infliser la douleur de

la punition ; r., ie-uiri'*ations de noire amour ne lui

paraîtraient qua *ttttongères ou contradictoires' Nous-

mêmes, adultes, nous ne comprenons pas toujours la parole

biblique : celui q;;;; lt ôeigneur' il le corrise' Seules

une longue .*petitttlt-tt ttne toitgue observation de la vie'

et la convictlon qî" pài*i t"t uàl"utt terrestres de I'exis-

tence l'âme immortelie est à mettre au-dessus de toutes les

autres, nou, p.'ti;;;;;;t sentir la- vérité profonde et la

sagesse de cette ;;;;Ë - tt ne faut pas ncn plus de

passion dans la lJptitu"ot morale ; ce qui n'entpêche

qu'elle puisse il d;ili;"e et forte ; la passion diminue

le respect et ne nous *fait

;amais apparaître sous notre

meilleur jour' n'n-ieuancné il ne faut pas avoir peur

de manifest., r"'.orer., la noble ^colère

qui T9n!1 get

profondeurs ou ttnii**t moral offensé et révolté' Moins

l'enfant est habitirî à-àùittntt des attitudes passionnelles

.tt.l-..f"i qui t'eJuqut et plus la colère demeure exempte

à.-ou*ion,'ptut ilitpttssibn est forte' quand le tonnerre

et l'éclair e.ut.ntla-oitlair deuta être purifié' (A' Matthias

Wie erziehen 'i;;;;;; Sohn Beniamin ?'a 1902' cité par

K.R., P. 426 et sq')

Cornment un petit enfant pourrait-il avoir I'idée que le

besoin de tonnerr.-tt- à;etfàir est issu des profondeurs

inconscientes de l'âme de l'éducateur et n'a rien à voir

avec sa propre ame tnfuntine ? La comnaraison avec Dieu

donne le sentiment Jt ioutt puissance : de même que 'celui

qui a véritableme";i;l;i ;'attend pas de Dieu qu'il lui

donne d'explicatiottt,l"C' le livre de la Genèse)' I'enfant

ffi;; .ouâ"ttt. à iiaàulte sans demander de raisons'

Parmi les produits d'une philanthronie mal comprise' il

faut aussi .o-iiti iopini'on selon iaquelle le plaisir de

l' o b é i s s a n c e " Jo "

t t t ""t

i' i

"

-t à t p ie it t n

;i o

1. a 1 t:]: ::: j:

i'àiar. donné,'ùute obéissance aveugle étant'contrarre a

la dignité hu-ai*' Qui entreprend de répandre ce genre

de thèses dans les fùt" ou à l'école oubiie que nous-

mêmes, adultes, dans ia foi en une sagesse suprême' nous

devons nou, tou*tiire à un ordre divin de I'univers' et

56 C'est pour ton bien

que la raison humaine jamais ne peut se soustraire à cettecroyance. Il oublie que nous vivons tous, tant que noussommes en ce bas-monde, exclusivement dans la foi et nondans I'observation. De la même manière que nous devonsagir dans I'abandon de la foi en la sagesse suprême et enI'amour infini de Dieu, I'enfant doit vivre dans la foi enla sagesse de ses parents et de ses maîtres, y soumettre ses

actes et trouver là une école préparatoire à I'obéissancevis-à-vis du Père divin. Modifier ce rapport c'est commettrele sacrilège de mettre à la place de la foi la prétentionintellectuelle du doute et en même temps méconnaître lanature de I'enfant qui a besoin de la foi. Si l'on communi-que à I'enfant ses raisons, je ne vois absolument plus enquoi I'on peut encore parler d'obéissance. En fait, oncherche ainsi à !e convaincre et I'enfant qui est enfinconvaincu ne nous obéit pas, à nous, mais précisément àces raisons; à Ia place du respect pour une intelligencesupérieure s'instaure la soumission délibérée qui se complaîten elle-même. L'éducateur qui donne ses ordres, en endonnant aussi les raisons, légitime en même temps laformulation d'objections, et il fausse par là-même lerapport à I'enfant. Celui-ci entre dans le champ destransactions et il se croit l'égal de l'éducateur, mais cetteégalité ne s'accorde pas avec le respect sans quoi il ne peutpas y avoir d'éducation réussie. Celui qui, du reste, croitque I'amour ne s'acquiert que par une obéissance quis'appuie sur des raisons, se trompe lourdement, car ilméconnaît la nature de I'enfant et son besoin de se

soumettre à la force. Quand l'âme a I'obéissance, nous ditun auteur, I'amour ne peut pas être bien loin.Dans le cercle familial c'est le plus souvent la mère, faible,qui défend le principe philanthropique, tandis que le père,dans sa nature abrupte, exige I'obéissance absolue. Aussic'est surtout la mère qui est tyrannisée par ses petits, tandisque c'est au père qu'ils vouent le plus de respect, c'est laraison pour laquelle il est à la tête de I'ensemble et donneà I'esprit qui y préside son orientation. (L. Kellner', 1852,cité par K.R., p. 172 et sq.)

Il semble que I'obéissance soit aussi un principe absoluet incontesté de l'éducation religieuse. Le mot revientconstamment dans les psaumes et il est toujours lié à lamenace de la perte d'amour, en cas de péché contre le

La << Pédagogie noire >' 57

principe d'obéissance. Qui s'en étonne < méconnaît la

nuiu.Ë de I'enfant et sÀn besoin de se soumettre à laforce >>. (L. Kellner, cf. citation précédente')--fà giùr. esr urilisée également pour condamner les

pufrioÀ maternelles les plui naturelles qualifiées de mièvre-

rie.

N'est-ce pas une forme de mièvrerie qui' dès le berceau'

dorlote I'enfanl et le gâte de toutes les façons ? Au lieu de

I'habituer, dès le premier jour de son existence sur cette

terre, au respect dè I'ordre et du temps dans la.jouissance

de sa nourriture' et de poser ainsi les premiers éléments de

*aaura, de patience et de bonheur humain' I'amour mlevre

se laisse diriger par les cris du nourrisson' ["']L'amour miévre ne sait pas être dur, il ne sait pas interdire'

ifnetaitputOit.nonpourlevéritablebiendel'enfant'ilne sait que dire oui à ies dépens ; il se laisse dominer par

une au*gt. bonté comme par une pulsion n11ure.lle.,

aurorise là où it Jeurait inteidire, esr indulgent là où ilâ.uiuit punir, laisse faire là où il devrait s'opposer'

L'amoui mièvre n'a aucune claire conscience de ce que

doivent être les objectifs de l'éducation ; il ne prévoit.qu'à

court terme, ntui le bien de I'enfant mais emploie de

mauvais moyens, il se laisse mener par les impressions d,u

moment' au lieu de se laisser guider par la prudence.et ta

réflexion tranquille. Au lieu de conduire l'enfant il se laisse

éconduirepar'lui.l|n'aaucunevéritableforcederésistanceiranquille

-.t ,. luirr. tyranniser par I'opposition' I'entête-

rnint, t. caprice ou bién par les prières' les caresses et les

larmés du petii despote' Ii est tout le contraire du véritable

uÀàut qui n'a pu, ptut même de punir' La Bible dit

1i;f".reii"ttique'g0,i): Qui aime son fils lui prodigue.le

fouet, plus taid .. fils sera sa consolation, et un peu plus

loin dans ce même livre (30,9) : Cajole ton -enfant' il. te

terrorisera, joue avec lui, il te fera pleurer' l"'J tl arrlve

que les "niuntt

élevés dans cet amour mièvre commettent

de lourdes impertinences vis-à-vis de leurs parents' (A'

Matthias o, 1902, cité par K'R', p' 53 et s')

Et les parents ont si peur de ces < impertinences ' q.u'

ro.rt f.t Àoy.n, leur paiaissent quelquefois bons pour les

.*pein... Et ils dispôsent à cet êgard d'un vaste éventail

tt C'est pour ton bien

de possibilités, parmi lesquelles Ia privation d,amour danstoutes ses nuances joue un rôte primoroiài .à, "ùî"ïi",ne pcut en supporter le risque.

Il faut que l,enfant sente |,ordre et la discipline avantmême d'en avoir conscience, afin q",il uii Jè;-i';;il; d"bonnes habitudes e.r réprimé quelque peu le besoin dedomination de_r'é_goismedes sens uu ,o-"nt de l,éveil dela conscience. t...1Il faut donc accorder ule place primordiale à l,obéissancedans la manière dont l,éducurar.

"""ra" son pouvoir, cequi peut se faire par des regardi sévères, â., p".àrË.impératives, éventuellement puiru .ontrainte phvSô"" î"iréprime te mal même si elle ne ,uirii, p.u, a ,"riiiË. i. uiJ",et par la punition ; cette dernière ne dort pas nécessairementutiliser la douleurphysique mais peui uilèr, ,.ràn ià*p'f^.u,et la fréquence-de la âésobéissance, de-ta privatiàî aerécompenses à..1a réduction des tJmoignagei ;,;;;;;pour l,enfanr d'un^e nàture particulièreli."i ,.rriuiË, qri

:: T_g"rl. un peu frondeur, Ie fait que sa mère refuie àere prenore sur ses genoux, que son père refuse de luidonner la main, ou qu,on i. p.iu. àu ù*r., àu ,ti;, .;;:est ressenti comme une véritable punition. Sl pu, -i.,

témoignages d'amour on gagne par i'incrination Je r{;f";;;cerre inclination . même èsi susceptiut. o. l. ;;à;.";i;;sensible à la discipline.

t"'l Nous avons défini .obéissance comme Ia soumissionà une aurre volonté légitime. I...jIl faut que Ia volontÀ de l,éàucateur soit une forteresse,aussi inaccessibre à la ruse qu'à l'effionterie et n,accordantle droit d'enrrée que lorsque .,.ri tlÀueirrun., qui-irôpïà la porre. (Enzyktoptidie..., , t88i,-ciré ;; KlR. ;. fi;et sq.)

La façon dont on frappe avec l,obéissance à la porte del'amour, I'enfant I'apprènd n au b.rc.au >>, et bien souventil n'arrive malheureusement pas à l'oublier de toute sa vie.

[...] Pour passer maintenant au deuxième point essentiel,le soin de I'obéissance, il fuut coÀÀ"ncer par définir cequi peut ts passel.a cet égard aux toui premiers âges de lavie de I'enfanr. C'e.st à iT"t" tilr" -à"à

r" pédagogie attirenotre attenrion sur te faii que _emËàu b.;;;;i,-;f;;ï^;

Lo < pédagogie noire >> 59

une volonté propre et doit être traité en conséquence.(Ibid. p. 167.)

Si ce traitement est entrepris assez tôt et poursuivi defaçon assez conséquente, toutes les conditions sont réuniespour que le citoyen en question puisse vivre sous unedictature sans en souffrir, voire en s'identifiant avec ellesur un mode euphorique comme sous Ie régime hitlérien ;

car la santé et la vitalité d'une communauté politiquereposent aussi bien sur la pleine obéissance à la loi et àI'autorité publique qu'à l'énergie raisonnable de celui quidétient le pouvoir. Ce n'est pas moins vrai à I'intérieur dela famille, dans les problèmes d'éducation, il ne faut jamaisconsidérer Ia volonté qui commande et celle qui obéit à cecommandement comme des entités opposées : ce sont enfait des expressions organiques d'une seule et mêmevolonté. (Ibid.)

Comme dans la symbiose de la période de << I'enfant auberceau >>, il n'y a là aucune séparation entre sujet etobjet. Si I'enfant apprend à considérer même les châtimentscorporels comme des << mesures nécessaires >> contre les< malfaiteurs )), parvenu à l'âge adulte, il fera tout pourse protéger lui-même de toute sanction par I'obéissance,et n'aura en même temps aucun scrupule à participer ausystème répressif. Dans l'État totalitaire qui est le refletde son éducation, un sujet de ce type sera capable depratiquer n'importe quel mode de torture ou de persécutionsans en éprouver la moindre mauvaise conscience. Sa<< volonté >> est pleinement identique avec celle du gouverne-ment.

Ce serait un vestige de la prétention féodale de croireque seules les << masses incultes >> seraient sensibles à lapropagande, alors que nous avons pu voir à maintesreprises les intellectuels se laisser aisément gagner à lacause de différentes dictatures. Aussi bien Hitler queStaline avaient des adeptes étonnamment nombreux parmiles intellectuels qui leur vouaient une admiration pas-sionnée. L'aptitude à ne pas refuser la réalité perçue ne

60 C'est pour ton bien

dépend pas le moins du monde de I'intelligence mais durapport au moi authentique. L'intelligence peut au contraireaider à faire d'innombrables détouri lorsque I'adaptationest nécessaire. Les éducateurs I'ont toujouis su et uiitise àleurs fins suivant la formule selon laqueile le plus intelligenicède tandis que le plus sot s'obitine. Dans un tàitéd'éducation, H. Grûnewald (1g99) écrit par exemple :<< Je n'ai jamais trouvé d'entêtement chèz un .nfuntintellectuellement avancé ou présentant des qualités d'espritsupérieures D (Cf. K.R., p. %). plus tard, une fois adulte,un enfant possédant ces dons pourra faire preuve d'unéextraordinaire perspicacité pour critiquer lès idéologiesdiverses - et même dans la période de la puberté lesreprésentations réelles de ses propres parents _, parcequ'il dispose dans ces cas-là de ses facùltés intellectùeilesintactes. Mais à I'intérieur du groupe auquel il appartientlui-même (un courant idéologique ou une école théorique,par exemple) qui reflète la situation familiale de I'enfance,cet être conservera une docilité naive et une incapacité decritique qui semblent démentir les qualités brillantes qu'ilmontre par ailleurs. C'est que se perpétue là de façontragique Ia dépendance très ancienne vii-à_vis des parentstyranniques, dépendance qui demeure - comme le veutla < pédagogie noire > - cachée. C,est ainsi par .r.-pi.que Martin Heidegger était tout à fait capable de sedémarquer de la philosophie traditionnelle et diabandonnerce faisant les maîtres de son adolescence tandis qu,il nesut pas déceler les contradictions de l'idéologie hitlèriennequi devaient pourtant apparaître de façon évidente à sonintelligence. c'est qu'il vouait à cette idéologie la fascina-tion infantile et la fidélité qui n'autorisent pas la critique(cf. Alice Miller, 1979).

Avoir sa propre volonté et sa propre opinion étaitconsidéré comme une marque d'obstination, ei par consé-quent interdit. Quand on voit les sanctions qui ont pu êtreinventées pour cela, on peut comprendre qu,un enfantintelligent ait voulu se soustraire à ces effets redoutableset qu'ils y soit également parvenu sans peine.eu'il auraità payer un autre prix par la suite, il ne pouvait pas lesavoir.

La << pédogogie noire > 6l

Le père reçoit son pouvoir de Dieu (et de son proprepère), le maître d'école trouve déjà un terrain favorable àI'obéissance et le détenteur du pouvoir politique récolte cequi a été semé.

Au sommet de toutes sanctions, nous trouvons la méthodepunitive énergique, le châtiment corporel. De la mêmemanière que les verges sont à la maison le symbole de ladiscipline paternelle, à l'école la règle est I'emblèmesuprême de la discipline scolaire. Il fut un temps oir larègle était la panacée pour tous les méfaits commis àl'école, exactement comme les verges à la maison. Cette<< manière fleurie de parler à l'âme >>, est vieille comme lemonde et bien connue de tous les peuples. Quoi de plussimple que le principe selon lequel qui n'entend pas doitsentir? Le châtiment corporel pédagogique est un facteurénergique qui accompagne la parole et doit en renforcerI'effet. Cette action se manisfeste de la façon la plusnaturelle dans la gifle, dont nous avons gardé de notrepropre jeunesse le souvenir qu'elle était chaque fois précé-dée d'un tirement d'oreille. C'est indiscutablement unefaçon d'attirer I'attention sur I'organe de l'oui'e et sur sonutilisation. Elle revêt de toute évidence une significationsymbolique, au même titre que la mornifle qui touchel'instrument du langage et incite à en faire un meilleurusage. Ces deux modes de châtiments corporels sont lesplus naïfs et les plus caractéristiques ainsi que leur nomI'indique. Mais d'autres châtiments qui s'administrentencore de temps en temps véhiculent une forme de symbo-lisme. [...] Une pédagogie chrétienne qui ne prend pasl'être humain tel qu'il devrait être mais tel qu'il est nepeut fondamentalement pas renoncer à toute forme dechâtiment corporel. Pour certaines fautes, celui-ci constitueen effet la punition adéquate : il humilie et frappe, prouveconcrètement la nécessité de se plier à un ordre supérieuret laisse en même temps transparaître toute l'énergie deI'amour paternel.[...] Nous comprendrions parfaitement un maître conscien-cieux qui dirait: ( avant que d'abandonner le pouvoir derecourir à I'ultime ratio du bâton si besoin est, je préféreraisne plus être maître ). [...] < Le père punit son enfant, etsent lui-même les coups ; la dureté est un mérite quand tuas le cæur trop tendre > nous dit Rûckert. < Si le maître

62 C'est pour ton bien

est un véritable père pour ses élèves, il sait au besoin aimeraussi avec le bâton, d'un amour bien souvent plus profondet plus pur que bien des pères naturels. Et bien que nousdisions qu'un cæur jeune est un cæur de péché, nouscroyons malgré tout pouvoir affirmer que ce jeune cæurcomprend en règle gégérale cet amour, même si ce n'estpas toujours sur le moment. >> (Enzyklopridie...r, 1887,cité par K.R., p.433 et sq.)

Cet << amour > intériorisé accompagne parfois < le jeunecæur )) jusque dans son grand âge. Il se fera manipulersans résitance par les media puisqu'il aura été habitué à ceque toutes ses ( tendances > soient manipulées et qu'iln'aura jamais rien connu d'autre.

Le premier et le principal souci de l'éducateur doit être deveiller à ce que les tendances contraires et opposées à lavéritable volonté supérieure au lieu d'être éveillées etnourries par la première éducation (comme c'est si générale-ment le cas), soient au contraire entravées de toutes lesmanières dans leur développement ou tout au moinséliminées le plus tôt possible. [...] Autant il ne faut pasque I'enfant connaisse ces tendances qui nuiraient à uneformation supérieure, autant il faut au contraire qu'il sefamiliarise de la façon la plus approfondie et la plusdiverse avec toutes les autres, au moins après leurs premiersgermes. Il faut donc que l'éducateur suscite très tôtchez I'enfant de multiples et durables tendances de cettemeilleure espèce. Qu'il l'incite souvent et de différentesmanières à la joie, à I'allégresse, au ravissement, à l,espoir,etc., mais aussi, bien que plus rarement et plus brièvement,à la crainte, à la tristesse, et à tous les sentiments de cetordre. La satisfaction des multiples besoins, non seulementphysiques mais aussi et surtout spirituels, ou Ia privationde cette satisfaction et les différentes combinaisons desdeux lui en donnent suffisamment d'occasions. Mais ilfaut qu'il dispose tout de telle sorte que ce soit l,effet dela nature et non de sa volonté arbitraire ou toùt au moinsque cela semble l'être. Surtout en ce qui concerne lesévénements désagréables dont il ne faut pas qu'il trahisseI'origine lorsque c'est lui qui les a provoqués.(K.Weiller,Versucheines Lehrgebiiudes der Erziehungskunde, 1805,cité par K.R., p.469 et sq.)

La < pédagogie noire ,> 63

Il ne faut pas que l'on puisse découvrir le bénéficiairede la manipulation. L'aptitude à le découvrir est détruiteou pervertie par I'intimidation.

On sait bien que la jeunesse est particulièrement curieusesur ce point, surtout lorsqu'elle commence à être adulte,et qu'elle emprunte souvent les voies et les moyens les plusétranges pour découvrir la différence naturelle entre lessexes. Et I'on peut être sûr que toute découverte qu'ellefait toute seule, viendra alimenter encore son imaginationdéjà échauffée et mettra en péril son innocence. Ne serait-ce que pour cette raison il paraîtrait recommandé de ladevancer, et le cours en question le rend de toute façonnécessaire. Ce serait toutefois faire outrage à Ia pudeurque de permettre la Iibre présentation de la nudité d'unsexe à I'autre. Et pourtant, il faut que le petit garçonsache comment est fait un corps féminin ; et il faut que lapetite fille sache comment est fait un corps masculin, sinonils ne parviennent pas à avoir de représentation complèteet il n'y a pas de bornes à la rumination de la curiosité. Ilfaut qu'ils aient tous deux une connaissance sérieuse.Des planches anatomiques pourraient à cet égard donnersatisfaction; mais représentent-elles la chose assez nette-ment? Ne risquent-elles pas d'exciter encore I'imagination?Ne laissent-elles pas à leur suite le désir de comparer avecla nature? Toutes ces inquiétudes disparaissent si I'onutilise à cette fin un corps humain qui n'a plus d'âme. Lavue d'un cadavre impose le sérieux et la réflexion et c'estla meilleure atmosphère dans laquelle puisse se trouver unenfant en pareil cas. Rétrospectivement, les souvenirs qu'ilaura de cette scène prendront, par une association d'idéestoute naturelle, une tounure également grave. L'image quirestera inscrite dans l'âme n'aura pas la séduction excitantedes images spontanément produites par I'imagination oude la vue d'autres objets d'une moindre gravité. Si tousles jeunes pouvaient tirer I'enseignement sur la conceptionde I'homme d'un cours d'anatomie, il n'y aurait pas besoind'autant de préparations. Mais comme cette occasion esttrès rare, n'importe qui peut apporter I'enseignementnécessaire de la façon que nous venons d'indiquer. Voirun cadavre, ce n'est pas I'occasion qui manque. (J. Ouest,1787, cité par K.R., p.238 et sq.)

64 C'est pour ton bien

La lutte contre la pulsion sexuelle par des visionsde cadavres passe pour un moyen légitime de protégerl'<< innocence >> mais c'est aussi un moyen de préparer leterrain au développement de perversions. L'apprentissagesystématique du dégoût de son propre corps remplitégalement cette fonction :

L'effort pour enseigner la pudeur n'est de loin jamais aussiefficace, que le fait de présenter tout dévoilement de sanudité avec tout ce qu'il comporte comme une inconvenanceet une manière d'offenser les autres, comme il seraitoffensant de demander à quelqu'un, qui n'est pas payépour cela, d'aller vider le seau de nuit. C'est la raisonpour laquelle je préconiserais de faire laver des pieds à latête les enfants toutes les deux ou toutes les quatre semainespar une vieille femme laide et sale, en I'absence d,autrestémoins, à condition toutefois que les parents et lesresponsables aient un contrôle suffisant pour être sûrs quecette vieille femme ne s'arrête pas inutilement sur aucunepartie. Il faut présenter cette affaire aux enfants commequelque chose de répugnant, en leur disant que c'est laraison pour laquelle on paie une vieille femme pour secharger de ce travail qui est nécessaire à la santé et à lapropreté mais tellement répugnant que personne d'autreau monde ne voudrait s'en charger. Cela dans le but deprévenir le sentiment que pourrait susciter la pudeureffarouchée. (Cité par K.R., p.329 et sq.)

L'effet de Ia honte peut aussi être utilisé dans la luttecontre I'entêtement.

Ainsi que nous I'avons dit précédemment, il faut que lecaprice et I'entêtement soient brisés < dès les premièresannées par le sentiment d'un pouvoir nettement supérieur >>.

Plus tard, Ia honte a un effet plus persistant, surtout surles natures puissantes, chez qui le caprice est souvent dansle rapport le plus étroit avec le courage et la volonté.Quand l'éducation tire à sa fin, il faut qu'une allusiondiscrète ou ouverte à I'aspect hideux et malséant de cedéfaut soit placée pour que la réflexion et la volontéramènent les derniers restes d'obstination à leur juste place.D'après notre expérience, une conversation ( entre quatreyeux )) se révèle à ce dernier stade parfaitement adéquate.

La << pédagogie noire >> 65

En ce qui concerne I'entêtement infantile, il paraît extrême-ment étonnant que I'on ait si peu étudié ou éclairé jusqu'àprésent dans les domaines de la psychologie de l'enfant lamanifestation, la nature et le traitement de ce phénomènepsychique associal. (H. Grûnewald, Ûber den Kinderfehlerdes Eigensinns, 1899, cité par K.R., p.425.)

Tous ces moyens, il importe toujours qu'ils soient misen ceuvre très tôt.

Même s'il est vrai que I'on n'atteint bien souvent pas sonbut de cette façon, il faut rappeler aux parents intelligentsque c'est très tôt qu'ils doivent rendre leur enfant docile,souple et obéissant et l'habituer à dominer sa proprevolonté. C'est I'un des éléments essentiels de l'éducationmorale et le négliger est la plus grave erreur que I'on puissecommettre. L'accomplissement correct de cette tâche, sansaller à I'encontre de celle qui nous enjoint de faire vivrel'enfant heureux est Ie plus grand art des débuts del'éducation. (F.S. Bock, 1780, cité par K.R., p. 389.)

Les trois scènes suivantes montrent I'application desprincipes énoncés précédemment. Je cite ces passages

intégralement pour faire sentir au lecteur I'air que respi-raient quotidiennement ces enfants (ce qui fut vrai aumoins jusqu'à l'époque de nos parents). Cette lecturepourra aider à comprendre la genèse de la névrose. Cen'est pas un événement extérieur qui se trouve à sa sourcemais le refoulement des innombrables moments qui fontla vie quotidienne de I'enfant et que l'enfant n'est jamaisen mesure de décrire parce qu'il ne sait même pas qu'ilpourrait y avoir autre chose.

Jusqu'à sa quatrième année, j'ai enseigné à Konradessentiellement quatre choses : faire attention, obéir, sup-porter les autres et modérer ses désirs.La première, je la lui ai enseigné en lui montrant toutessortes d'animaux, de plantes et d'autres curiosités de lanature et en lui commentant des images ; la seconde, je lalui ai enseignée en lui faisant faire quelque chose selon mavolonté dès I'instant oir il était auprès de moi : la troisième,en invitant de temps en temps quelques enfants à jouer

66 C'est pour ton bien

avec lui, et dans ces moments-là je restais toujours présent ;

dès qu'éclatait une dispute, je cherchais exactement àdéterminer qui l'avait déclenchée et j'excluais pour uncertain temps le coupable du jeu ; la quatrième, je la luiai enseignée en lui refusant souvent ce qu'il désirait trèsintensément. C'est ainsi qu'un jour j'avais coupé uneportion de miel et j'en portais une grande coupe dans lapièce. Du miel ! Du miel ! s'exclama-t-il joyeusement, pèredonne-moi du miel. Il approcha une chaise de la table ets'attendait à ce que je lui fisse des tartines de miel avecdes petits pains. Mais je ne le fis pas, je posais la coupede miel devant lui en disant : Je ne te donne pas de mielmaintenant ; d'abord, il faut que nous allions ramasserdes petits pois au jardin ; quand ce sera fait nous mangeronstous les deux un petit pain avec du miel. Il me regarda,puis regarda le miel et s'en vint avec moi au jardin. Atable aussi, je m'arrangeais toujours, dans la distributiondes parts, pour qu'il fût servi en dernier. Un jour mesparents et Christelchen étaient invités à manger chez moiet nous avions du gâteau de riz, un plat qu'il aimaitbeaucoup ! Du gâteau, s'écria-t-il tout content en se

suspendant à sa mère. Oui, répondis-je, c'est du gâteau deriz et Konrad en aura aussi. On sert d'abord les grands etpuis les petits. Voilà, grand-mère du gâteau ? Grand-pèreaussi un peu de gâteau ! Mère, je t'en donne aussi unpeu ! Voilà pour père, pour Christelchen ; et cette part ?

Pour qui peut bien être cette part ? Konrad, répondit-iljoyeusement. Il ne trouvait rien d'injuste à cet ordre et jem'épargnais ainsi tous les ennuis qu'ont les parents quiservent toujours leurs enfants en premier quand un nouveauplat arrive sur la table. (C.G. Salzmann, 1976, cité parK.R., p. 352 et sq.)

Les << petits > sont sagement assis à table et attendent.Ce n'est pas nécessairement dégradant. Tout dépend de lafaçon dont l'adulte vit ce processus. Et en I'occurrence ilmontre ouvertement qu'il jouit de son pouvoir et de sa

<< grandeur ) aux dépens du << petit >>.

Il se produit quelque chose d'analogue dans I'histoiresuivante où seul le mensonge assure à I'enfant la possibilitéde lire en cachette.

Le mensonge est quelque chose d'indigne. Il est considéré

La << pédagogie noire >> 67

comme tel par celui même qui le profère, et il n'est pas unmenteur qui éprouve le moindre respect pour lui-même.Mais qui ne se respecte pas soi-même ne respecte pas nonplus les autres, et le menteur se retrouve ainsi en quelquesorte exclu de la société humaine.C'est ce qui explique qu'un petit menteur demande à êtretraité avec beaucoup de délicatesse de manière à ce quepar la correction de sa faute, son respect de lui-même, quia déjà souffert de toute façon de la conscience d'avoirmenti, ne soit pas encore plus profondément blessé ; etc'est une règle qui ne souffre pas d'exception : << Un enfantqui ment ne doit jamais être réprimandé ni puni en publicpour cette faute, et, sauf en cas d'extrême besoin, il nefaut même pas qu'elle lui soit mentionnée publiquement. >>

- L'éducateur fera bien de paraître étonné et surpris queI'enfant ait pu dire une contre-vérité plutôt que désarméparce qu'il a menti, et il faut qu'il fasse, autant quepossible, comme s'il prenait le mensonge (proféré sciem-ment) pour une contre-vérité (émise par inadvertance).C'est la clé de la méthode qu'employait M. Willich ayantdécouvert également des traces de ce vice au sein de sapetite société.Kâtchen se rendait parfois coupable de ce délit. [...] Elleavait trouvé une fois I'cccasion de se tirer d'affaire endisant une contre-vérité, et elle était tombée dans ce piège :un soir, elle avait si bien tricoté qu'elle pouvait réellementfaire passer le morceau de tricot pour I'ouvrage de deuxsoirs. Le hasard voulut en outre que la mère oubliât cesoir-là de se faire montrer le travail des fillettes.Le lendemain soir, Kâtchen s'esquiva subrepticement de lapetite société, prit un livre qui lui était tombé entre lesmains dans le courant de la journée, et passa toute lasoirée à lire. Elle fut assez rusée pour dissimuler à ceux deses frères et sæurs que I'on envoyait de temps en tempsvoir où elle était et ce qu'elle faisait, qu'elle lisait ; elle nese montra que le tricot à la main ou occupée de quelqueautre façon.Mais ce soirJà, la mère regarda le travail des enfants.Kâtchen montra son bas. Et il s'était effectivement beau-coup allongé ; seulement la mère crut remarquer quelquechose de bizarre qui n'était pas tout à fait sincère dans lecomportement de Kâtchen. Elle considéra l'ouvrage, se tutet décida de se renseigner sur Kâtchen. En posant quelquesquestions autour d'elle le lendemain, elle établit que

ilt

68 C'est pour ton bien

Kâtchen ne pouvait pas avoir tricoté la veille. Mais aulieu de la charger inconsidéremment d'une accusation demensonge, elle attendit Ie moment opportun pour entraînerla fillette dans une conversation où elle avait prévu de luitendre quelques pièges.Elle parlèrent des travaux de femmes. La mère dit qued'une façon générale par les temps qui couraient ils étaienttrès mal rémunérés et elle ajouta qu'elle ne pensait pasqu'une fillette de l'âge de Kâtchen avec son habileté àI'ouvrage, pourrait gagner assez pour s'assurer ce dont elleaurait quotidiennement besoin si elle comptait la nourriture,I'habillement et le logement. Kâtchen pensait au contraireet elle s'en exprima, qu'au tricot, par exemple, elle étaitcapable de faire deux fois plus de travail que sa mère nevenait de le compter en une heure. Sur ce point sa mère lacontredit vivement. La jeune fille s'enflamma à son tour,se coupa et déclara que I'avant-veille elle avait tricoté unmorcedu deux fois plus long que d'habitude.<< Qu'est-ce que cela veut dire ? > rétorqua alors la mère.<< Tu m'as dit hier soir que tu venais de tricoter la moitiéde la longueur dont avait augmenté ton bas. >>

Kâtchen rougit. Elle ne pouvait plus contrôler ses yeux quitournaient de tous côtés.(< Kâtchen, reprit la mère d'un ton sévère mais compatis-sant, le ruban blanc dans les cheveux n'a pas fait sonoffice ? - Je te quitte le cæur bien lourd. >>

Là-dessus elle se leva de son siège, se dirigea d'un airsolennel vers la porte sans se retourner vers Kâtchen quiaurait voulu la suivre et sortit de la pièce où elle laissa lafillette en larmes, bouleversée de dépit.Le lecteur aura compris que ce n'était pas la première foisque Kâtchen commettait cette faute depuis qu'elle étaitdans la maison de ses parents adoptifs. La mère lui enavait fait des remontrances et lui avait enjoint pour finirde porter à I'avenir un ruban blanc dans les cheveux. << Leblanc > avait-elle ajouté (< est, tout au moins on le dit, lacouleur de I'innocence et de la pureté. Tu feras bien,chaque fois que tu te verras dans un miroir de penser envoyant ton bandeau blanc à la pureté et à la vérité quidoivent régner sur ta réflexion et sur tes paroles. Lemensonge est une saleté, qui souille ton âme. >> Ce moyenavait fait son office pendant un certain temps. Mais cettenouvelle rechute détruisait aussi I'espoir que la faute deKâtchen restât un secret entre sa mère et elle. Sa mère lui

La << pédagogie noire >> 69

avait en effet assuré que si Kâtchen tombait encore unefois dans cette erreur, elle se sentirait obligée de recourir à

I'aide du père et par conséquent de lui découvrir la chose.

On en était maintenant parvenu à ce point-là, et il se

produisit effectivement ce que la mère avait promis. Carelle avait aussi pour principe de ne jamais proférer une

menace qui ne passât immédiatement à exécution le cas

échéant.Toute la journée, M. Willich parut très sombre, mécontentet pensif. Tous les enfants s'en aperçurent, mais seule

Kâtchen ressentait ses regards noirs comme des coups depoignard dans le cæur. La crainte de ce qui allait suivretortura la fillette toute I'après-midi.Le soir, le père convoqua Kâtchen dans son bureau pours'entretenir seul à seul avec elle. Elle le trouva toujoursavec le même air.< Kâtchen )) commença-t-il, << il m'est arrivé aujourd'huiquelque chose d'extrêmement désagréable' j'ai découvertune menteuse parmi mes enfants. ))

Kâtchen pleurait et était incapable d'articuler un seul mot.M. Willich : << J'ai été atterré d'apprendre par la mère que

tu t'étais déjà abaissée un certain nombre de fois à ce vice.Dis-moi, pour I'amour du ciel, mon enfant' comment se

fait-il que tu puisses t'égarer à ce point ? (Après une petitepause.) Maintenant sèche tes larmes. Les larmes n'arrangentrien. Explique-moi plutôt ce qui s'est passé avant-hier pourque nous puissions chercher une solution pour nous

débarrasser de ce mal. Dis-moi ce qui s'est passé hier soir ?

Où étais-tu ? Qu'as-tu fait ou que n'as-tu pas fait ? >Kâtchen raconta alors les choses comme elles étaient et

comme nous le savons. Elle ne dissimula rien, même pas

la ruse qu'elle avait employée pour induire ses frères et

sceurs en erreur sur ce qu'elle était en train de faire.< Kâtchen >r reprit alors M. Willich, sur un ton propre àéveiller la confiance, (( tu viens de me raconter que tuavais fait des choses que tu ne peux pas défendre. Mais,hier soir lorsque la mère a examiné ton tricot, tu lui as ditque tu avais tricoté sagement. Le tricot est incontestable-ment quelque chose de bien ; tu as donc raconté à la mèreque tu avais fait quelque chose de bien. Maintenant, dis-moi, quand as-tu senti ton cæur plus léger ? A l'instant,où tu viens de me raconter ce que tu avais fait de mal,mais qui est la vérité, ou bien hier, quand tu as racontéque tu avais fait le bien, et que ce n'était pas la vérité ? >

70 C'est pour ton bien

Kâtchen reconnut que I'aveu qu,elle venait de faire luisoulageait le cæur et que le mensonge était un viceabominable.[...] Kâtchen: << C'est vrai, j'ai été très sotte; mais jevous en demande pardon, mon bon père. >>

M. Willich : << Il n'est pas question de pardonner. Moi, tune m'as pas fait beaucoup de tort. Mais c,est à toi-mêmeet surtout à la mère que tu en as fait beaucoup. Du reste,je saurai en tenir compte, et même si tu mentais dix foisencore, moi, tu ne me tromperas pas. Lorsque ce que tudiras ne sera pas de toute évidence la vérité, je feraidésormais avec tes paroles comme avec de la monnaie donton n'est pas str qu'elle ne soit fausse. Je vérifierai,j'interrogerai, j'examinerai ; tu seras pour moi comme unecanne sur laquelle on n'est pas sûr de pouvoir s'appuyer ;je te regarderai toujours avec une certaine méfiance. >>

Kâtchen : << Ah, mon père, cette sévérité... )M. Willich : << Ne crois pas, ma pauvre enfant, quej'exagère ni que je plaisante. Si je ne peux pas me fiei àta sincérité, qui me garantit que je ne courrais aucun risqueen me fondant sur ce que tu me dirais ? Je m'aperçois,ma chère enfant, que tu as deux ennemis à combattre si tuveux éliminer ton penchant au mensonge. Veux-tu savoirquels ils sont, Kâtchen ? >>

Kâtchen : (se serrant contre moi, et I'air un peu tropaffectueuse et insouciante) ( Oh, oui, mon cher père. >M. Willich : << Mais y es-tu également assez préparée, es-tu assez bien posée en ton âme ? Je ne voudrais pas direquelque chose qui ne demeure pas gravé en ton âme etque tu aies oublié demain matin. ))Kâtchen : (Déjà plus sérieuse) << Non, c'est sûr, je m'ensouviendrai. >>

M. Willich : << Ma pauvre petite fille, tu serais vraiment àplaindre si tu pouvais encore prendre cela à la légère !

- (Après une pause.) Ton premier ennemi a nomirréflexion et légèreté d'esprit. - Au moment même où tumettais le livre dans ta poche et où tu t'esquivais pouraller le lire en cachette, à ce moment là tu aurais dûréfléchir. Comment ? Comment as-tu pu avoir le cæur defaire la moindre chose sans nous en avoir rien dit ?Comment as-tu pu en venir à cette idée ? Si tu avais penséque la lecture était permise - à la bonne heure, il t'auraitsuffit de dire: < ce soir, je voudrais lire ce livre, et s'ilvous plaît que mon travail d'hier au tricot vaille aussi pour

La << pédagogie noire >> 7l

ce soir )) - tu crois sans doute que cela t'aurait été refusé ?

Mais si tu pensais que ce n'était pas permis ? Aurais-tuvoulu faire quelque chose d'interdit derrière notre dos ?

Certainement pas. Tu n'es pas aussi mauvaise.

[...] Ton deuxième ennemi, ma chère enfant, est une faussehonte. Quand tu as fait quelque chose de mal, tu as hontede le reconnaître. Débarrasse-toi de cette peur. Et tonennemi sera vaincu. Ne te permets plus aucun ménagementni aucune réserve, même pas pour les plus petites fautesque tu commets. Que nous puissions et que tes frères etsæurs puissent lire dans ton cæur comme tu y lis toi-même. Tu n'es pas encore assez pervertie pour devoirvéritablement avoir honte de reconnaître ce que tu as fait.Seulement, il faut que tu ne te caches rien à toi-même etque tu ne dises plus les choses autrement que tu ne lessais. Même dans les trivialités du quotidien et même pourplaisanter, ne te permets plus de rien dire d'autre que cequi est.Je vois que ta mère t'a enlevé le ruban blanc que tu portaisdans les cheveux. ll est vrai que tu ne le méritais plus. Tuas souillé ton âme par un mensonge. Mais cependant tut'es rattrapée. Tu m'as avoué ta faute si loyalement que jene peux pas croire que tu m'aies tu ou déguisé quoi quece soit. Et c'est là encore à mes yeux une preuve de tonhonnêteté et de ta sincérité. Tiens, voilà un autre rubanpour ta coiffure. Il est un peu moins joli que le précédent.Ce n'est pas la qualité du ruban qui importe, mais Iavaleur de celle qui le porte. Et si celle-ci augmente devaleur, serait-ce pour moi une raison de lui prouver mareconnaissance en lui offrant un précieux ruban tressé defils d'argent ? >>

Là-dessus, il quitta I'enfant, se disant d'un côté, non sansquelque inquiétude, que du fait de la vivacité de sontempérament, les rechutes dans son erreur n'étaient pas

exclues, mais en même temps d'un autre côté avec I'espoir,que la vive intelligence dont elle était dotée et une démarchehabile à son égard apporteraient peut-être plus d'équilibredans son être et tarirait ainsi la source véritable de ce viceaffreux.Et au bout d'un certain temps il y eut effectivement unerechute. [...] C'était le soir, et I'on venait juste de demanderà tous les autres enfants comment ils s'étaient acquittés deleurs tâches. Les comptes rendus étaient parfaits, mêmeKâtchen avait su montrer quelques petites choses qu'elle

72 C'est pour ton bien

avait faites en plus de ce qui lui était demandé. Elle avaitcommis un seul oubli qu'elle passa sous silence, répondantmême à la question de sa mère comme si la chose avaitété faite. Il y avait quelques reprises à faire à ses bas.Kâtchen I'avait oublié. Mais au moment même où ellerendait compte de ce qu'elle avait fait et où elle y pensa,elle se souvint également que depuis quelques jours elles'était levée tous les matins plus tôt que les autres. Elleespéra qu'il en irait de même ce jour-là et se promit derattraper alors en toute hâte son oubli.Seulement les choses se passèrent tout différemment de ceque Kâtchen avait pensé. Par inattention, Kâtchen avaitlaissé traîner ses bas à un autre endroit que celui qui auraitété leur place, et sa mère les avait mis de côté depuislongtemps, alors que I'enfant pensait qu'ils étaient toujoursoù elle croyait les avoir mis. Sa mère était donc sur lepoint de reposer la question à Kâtchen en la regardantbien droit dans les yeux. Mais elle se souvint juste à tempsde I'interdiction que lui avait faite son mari de jamaisaccuser publiquement I'enfant de cette faute, et elle se

retint. Mais elle fut blessée au plus profond de son âmede voir avec quelle légèreté la fillette pouvait proférer unmensonge.Le lendemain matin, la mère aussi se leva tôt, se doutantbien de ce que Kâtchen pouvait avoir en tête. Elle trouvaKâtchen certes déjà habillée mais en train de chercher, etI'air passablement inquiète. la fille allait tendre la main àsa mère pour lui dire bonjour, et elle s'efforça donc deprendre son air d'amabilité habituelle.La mère considéra que c'était le moment propice. ( Ne tecontrains pas à mentir aussi avec tes mines >> dit-elle, < tuI'as fait hier soir déjà par ta bouche. Tes bas sont dansI'armoire là-bas depuis hier midi, et tu n'as pas pensé àles repriser ; comment as-tu pu m'affirmer hier soir qu'ilsétaient reprisés ? >Kâtchen : < Mon Dieu, ma mère, je suis perdue. >>

<< Tiens, voilà tes bas > dit la mère d'un ton parfaitementfroid et étranger. < Je ne veux rien avoir à faire avec toiaujourd'hui. Viens aux heures d'étude ou non : cela m'estégal : tu es une enfant abjecte. >>

La-dessus, la mère sortit, et Kâtchen s'assit en pleurant eten sanglotant, pour se dépêcher de faire ce qu'elle avaitoublié la veille. Mais à peine I'avait-elle entrepris que M.

La << Pédagogie noire >> 13

Willich entra dans la pièce avec un air d'une lugubre

sévérité et marcha silencieusement de long en large'

M. Willich : << Tu pleures, Kâtchen, que t'est-il arrivé ? >>

Kâtchen : << Ah, mon père, vous le savez déjà' >M. Willich : (< Je veux apprendre de ta bouche, Kâtchen,

ce qui t'est arrivé. >

Katchen (se cachant le visage dans son mouchoir) : << J'aiencore menti. >>

M. Willich : < Malheureuse enfant. Est-ce qu'il ne t'est

donc pas possible de dominer ta légèreté d'esprit ? >

Le chàgrin et les larmes empêchaient Kâtchen de répondre'

U. Wiltictr : << Je ne veux pas te submerger de paroles,

mon enfant. Que le mensonge est une chose infâme, tu lesais depuis déjà longtemps, et que les instants où tu laisses

échapper de ia bouche un mensonge sont ceux où tu ne

reussii pas à rassembler tes pensées, cela me paraît clair

également. Que faut-il donc faire ? Il faut agir, mon

eifant, et je iuis prêt à t'y aider comme un ami'

Que cette journéé te soit pour commencer une journée de

diuil poui la faute que tu as commise hier' Les rubaqs

que tu mettras aujourd'hui devront être noirs' Va et fais-

lè avant même que tes frères et sæurs ne se lèvent' >>

<< Calme-toi > rèprit M. rWillich lorsque Kâtchen revint

ayant fait ce qu'on venait de lui ordonner, ( tu trouveras

en moi un fidêle soutien dans ce malheur qui est le tien'Pour que tu sois encore plus attentive à toi-même, chaque

soir, avant d'aller te coucher, tu viendras dans mon bureau

et tu inscriras dans un livre, que je vais moi-même préparer

à cet effet : ou bien, auiourd'hui, j'ai menti, ou bien,

aujourd'hui, je n'ai Pas menti.Tu n'auras aucune réprimande à craindre de moi, même

dans le cas où tu devrais inscrire ce qui ne te ferait pas

plaisir. J'espère que le souvenir d'un mensonge proféré

iuffira à te protéger contre ce vice pour bien des jours'

Mais afin ae fairè moi aussi quelque chose qui puisse te

venir en aide dans la journée, de manière à ce que tu aies

plutôt quelque chose de bien que quelque chose de mal à

insctire, je i'interdis à partir de ce soir, où tu quitteras le

ruban ,tôit que tu portes, de porter un ruban dans tes

.h"u.u*. Cetti interdiction vaut pour un temps indéterminé,jusqu'à ce que ton registre du soir me persuade que--le

retièu* et là sincérité sont devenus chez toi de telles

habitudes que I'on ne semble plus devoir craindre aucune

rechute. Si les choses se passent pour toi comme je le

74 C'est pour ton bien

souhaite - tu pourras ensuite juger par toi-même de lacouleur de ruban qu tu peux mettre dans tes cheveux. >>

(Extrait de J. Heusinger, Die Familie Wertheim'z, 1800.cité par K.R., p. 192 et sq.)

La jeune Kâtchen est forcément convaincue qu'un pareilvice n'a pu se loger chez elle, que parce qu'elle est unecréature mauvaise. Pour se représenter que son noble etgénéreux éducateur a lui-même quelques difficultés avec lavérité, et que c'est la raison pour laquelle il torture Kâtchende cette façon, il faudrait que I'enfant ait une expériencepsychanalytique. Elle ne peut donc que se sentir trèsmauvaise face aux adultes qui sont bons.

Et que dire du père de Konrâdchen ? Ne peut-on pasvoir en lui le reflet de I'indigence de bien des pères denotre temps ?

Je m'étais fermement promis de faire son éducation sansjamais le battre. Mais les choses ne se passèrent pas commeje I'aurais voulu. Je me vis bientôt contraint, un jour, deprendre les verges.Le cas était le suivant : Christelchen était en visite cheznous et elle avait apporté une poupée. A peine Konrâdchenvit-il la poupée qu'il voulut la prendre. Je demandai àChristelchen de la lui donner, ce qu'elle fit. KonrâdchenI'ayant gardée un certain temps, Christelchen voulut lareprendre, mais Konrâdchen ne voulait pas la lui rendre.Que faire ? Si j'étais allé chercher alors le livre d'images,en lui disant de rendre la poupée à Christelchen, peut-êtreI'aurait-il fait sans protester. Mais je n'y ai pas pensé ; etmême si j'y avais pensé, je ne sais pas si je l'aurais fait.Je me disais qu'il serait quand même temps que l'enfants'habitue à obéir à son père au premier mot. Par consé-quent, je lui dis: Konrâdchen, tu ne veux pas rendre lapoupée à Christelchen ?

Non ! répondit-il violemment.Mais la pauvre Christelchen n'a pas de poupée !

Non ! rétorqua-t-il encore en pleurant et en serrant lapoupée contre lui, puis il me tourna [e dos.Je lui dis alors très sérieusement : Konrâdchen, tu doisrendre la poupée à Christelchen, c'est moi qui le veux.

La << pédagogie noire >> 75

Et que fit alors Konrâdchen ? Il jeta la poupée aux pieds

de Christelchen.Dieu, comme je pris peur. Je crois que le toit se serait

effondré sur ma tête, je n'aurais pas eu une frayeurpareille. Christelchen allait ramasser la poupée, mais je ne

la laissais pas faire.Konrâdchén, repris-je, ramasse immédiatement la poupée

et donnela à Christelchen.Non ! Non ! cria Konrâdchen.J'allai chercher des verges, je les lui montrai et je répétai :

Ramasse la poupée ou je vais te frapper avec les verges'

Mais I'enfant s'entêta et hurla : Non ! Non !

Je levai le bras avec les verges et je m'apprêtais à lefrapper.Seulèment, il y eut alors une autre intervention' Sa mère

me cria : Je t'en prie, pour I'amour du Ciel !

Je me trouvais pris entre deux feux' Mais je me résolus

vite et bien ; je pris la poupée, les verges et I'enfant sur le

bras et je passai dans une autre pièce, je refermai la porte

à clé derrière moi pour que la mère ne puisse pas nous

suivre, je jetai la poupée par terre et je dis : Ramasse la

poupée ou je te frappe ! Mais mon Konrad en resta à son

non.Alors je n'hésitai pas, vlan, vlan, vlan ! Tu vas ramasser

la poupée ? demandai-jeNon ! fut encore sa réPonse.

Alors il reçut des coups encote plus cuisants, et je répétai :

Ramasse immédiatement la PouPée !

Il la ramassa enfin ; je le pris par la main, le ramenai

dans I'autre pièce et dis : donne la poupée à Christelchen !

11 la lui donna.Ensuite il se précipita en hurlant vers sa mère et voulait se

cacher la tête contre elle. Mais elle eut assez d'intelligencepour le repousser en disant : va-t-en' tu n'es pas un gentil

garçon.Én iui disant cela, elle avait des larmes qui coulait sur ses

joues. Quand je le vis, je la priai de sortir de la pièce'-Ensuite,-Konrâdchen

cria encore pendant un quart d'heure

environ puis il se calma.Je peux dire que cette scène m'avait profondément boule-

u..ié, à la fois parce que I'enfant me faisait pitié et parce

que son obstination me navrait.A table, je ne pus rien manger, je laissai tout le repâs et

me rendii chez le pasteur pour m'épancher auprès de lui'

76 C'est pour ton bien

Et là je trouvai le réconfort. Vous avez bien fait, MonsieurKiefer, me dit-il. Tant que l'ortie est jeune, on peutI'arracher facilement ; mais si on la laisse pousser long-temps, les racines se développent, et quand on I'arracheensuite, Ies racines restent dans la terre. Il en va de mêmedes vilaines manières des enfants. Plus longtemps on lestolère, plus on a de mal à les en débarrasser, Et vous avezégalement eu raison de donner une bonne correction à cepetit cabochar. Dans six mois d'ici, il ne I'aura pas oublié.Si vous ne I'aviez frappé que très légèrement, non seulementcela n'aurait servi à rien pour cette fois, mais par la suite,il vous aurait fallu toujours le battre, et I'enfant se seraithabitué aux coups de sorte qu'à la fin ils lui auraient étécomplètement indifférents. C'est comme cela qu'en généralles enfants se moquent complètement d'être battus parleurs mères ; c'est que celles-ci n'ont pas le courage defrapper assez fort. C'est aussi la raison pour laquelle il ya des enfants si endurcis que même avec les pires correctionson ne peut plus rien obtenir d'eux. [...]Comme chez votre petit Konrad, ces coups sont encore unsouvenir de fraîche date, je vous conseille de profiter decette période. En arrivant à la maison, ordonnezlui touteune série de chose. Diteslui d'aller chercher puis deremporter vos bottes, vos souliers, votre pipe à tabac ;faites lui transporter des pierres d'un endroit à un autredans la cour. Il fera tout cela et s'habituera ainsi àI'obéissance. (C.G. Salzmann, 1976, cité par K.R., p. 158et sq.)

Les paroles de réconfort du pasteur sont-elles si démodéesque cela ? N'avons-nous pas appris en 1979 que deuxtiers de la population allemande étaient favorables auxchâtiments corporels ? En Angleterre, les châtiments corpo-rels ne sont pas interdits, et dans les internats ils fontpartie de la norme. Qui subira plus tard la réaction à ceshumiliations, quand il n'y aura plus de colonies ? Tousles anciens élèves ne peuvent pas devenir des maîtres pourêtre sûrs de trouver le moyen de prendre leur revanche...

Réeumé

Lw eitations qui précèdcnt ont été choisies pour caractéri-rcr unc Bttltudc qui ,ïe manifeste avec plus ou moins de

La << Pédagogie noire >> 77

fréquence non seulement dans le fascisme, mais aussi dans

d'autres idéologies. Le mépris et la persécution de l'enfantdans toute sa iaiblesse, ainsi que la répression de la vie,

de la créativité et de la sensibilité en lui comme en nous-

mêmes, s'étendent à de si nombreux domaines que nous

ne les remarquons presque plus. Les degrés d'intensité et

les sanctions varient mais on retrouve presque partout latendance à éliminer le plus vite possible l'élément infantile,autrement dit l'être faible, dépourvu et dépendant qui

nous habite, pour que se développe enfin l'être puissant,

autonome et -actif qui mérite le respect. Et quand nous

rencontrons ce même être faible chez nos enfants, nous lepoursuivons avec des moyens analogues à ceux que nous

àvons employés pour le combattre en nous-mêmes et nous

appelons cela l'éducation.

Dans ce qui va suivre, j'utiliserai à I'occasion la notion de

< pédagogie noire )) pour désigner cette attitude hautement

complexe, le contexte permettant chaque fois de compren-

dre quel aspect je fais passer au premier plan. Les différentsurp.ôts caractéristiques ressortent directement des citationsprècédentes qui nous enseignent les principes suivants :

i. qut les adultes sont les maîtres (et non pas les servi-

teurs !) de I'enfant encore dépendant ;

2. qu'ils tranchent du bien et du mal comme des dieux ;

3. que leur colère est le produit de leurs propres conflits ;

4. qu'ils en renCent l'enfant responsable ;5. que les parents ont toujours besoin d'être protégés ;

6. que les sentiments vifs qu'éprouve I'enfant pour son

maître constituent un danger ;

7. qu'il faut Ie plus tôt possible << ôter à I'enfant sa

volonté > ;

8. que tout cela doit se faire très tôt de manière à ce que

I'eniant << ne s'aperçoive de rien >> et ne puisse pas trahirI'adulte.

Les moyens de I'oppression du vivant sont les suivants :

pièges, mensonges, ruses' dissimulation, manipulation,intimidation, privation d'amour, isolement, méfiance,

78 C'est pour ton bien

humiliation, mépris, moquerie, honte, utilisation de laviolence jusqu'à la torture.

L'une des méthodes de la < pédagogie noire >> consisteégalement à transmettre dès le départ à l,enfant desinformations et des opinions faussés. ces dernières setransmettent depuis des générations et sont respectueuse-ment reprises à leur compte par les enfants, alors que nonseulement leur validité n'est pas prouvée, mais qu'il estprouvé qu'elles sont fausses. Entre autres opinions erro-nées, on peut citer par exemple les principes selon lesquels :l. le sentiment du devoir engendre I'amour ;2. on peut tuer la haine par des interdits ;3. les parents méritent a priori Ie respect en tant queparents ;4. les enfants ne méritent a priori aucun respect ;5. l'obéissance rend fort ;6. un sentiment élevé de sa propre valeur est nuisible ;7. un faible sentiment de sa propre valeur conduit àI'amour de ses semblables ;8. les marques de tendresse sont nocives (mièvrerie) ;f. il ne faut pas céder aux besoins de I'enfant ;10. la dureté et la froideur sont une bonne préparation àI'existence ;I l. une reconnaissance simulée vaut mieux qu'une sincèreabsence de reconnaissance ;12. l'apparence est plus importante que l'être ;13. les parents ni Dieu ne pourraient supporter la moindreinjure ;

\. le corps est quelque chose de sale et de dégoûtant ;15. la vivacité des sentiment est nuisible ;16. les parents sont des êtres dénués de pulsions et exemptsde toute culpabilité ;17. les parents ont toujours raison.

Si I'on songe à la terreur qui émane de cette idéologiesachant qu'elle était encore à I'apogée de sa puissance àudébut du siècle, on ne peut guère s'étonner que SigmundFreird ait dû couvrir du manteau d'une thèorie qui lafaisait passer inaperçue la connaissance défendue qu'il

La < pédagogie noire >> 79

venait d'acquérir au travers des déclarations de ses patients,et qui lui avait donné une compréhension inattendue de laperversion sexuelle que I'attitude de I'adulte pouvait entraî-ner chez l'enfant. Il était interdit à un enfant de son temps,sous peine de terribles sanctions, de s'apercevoir de ce queles adultes faisaient de lui, et si Freud en était resté à sathéorie de la perversion, non seulement il aurait eu àcraindre ses parents introjectés, mais il aurait eu à subirde réelles vexations et se serait vu totalement isolé et rejetépar la société bourgeoise. Il fallait que par mesure d'auto-protection, il formulât une théorie qui préservât la discré-tion, et dans laquelle tout ce qui était << mauvais >>

coupable, et injuste fût attribué au fantasme de I'enfant,les parents n'apparaissant que comme les écrans de projec-tion de ces fantasmes. Que de leur côté les parents, noncontents de projeter des fantasmes sexuels et agressifs surleur enfant, les satisferont sur lui parce qu'ils détiennentle pouvoir, ce n'était bien évidemment pas dit dans cettethéorie. Et c'est cette omission qui permit à tant despécialistes conditionnés par la pédagogie de se rallier à lathéorie des instincts, sans être forcés de remettre en questionI'idéalisation de leurs parents. La théorie pulsionnelle etstructurelle permettait de sauvegarder le commandementintériorisé dans la petite enfance : << Tu ne dois past'apercevoir de ce que te font tes parents. >> *

L'influence de la << pédagogie noire >> sur la théorie etla pratique de la psychanalyse me paraît d'une telle

' C'est seulement au cours de ces dernières années que je suisparv€nue à cette conclusion, en me fondant exclusivement sur moncxpérience psychanalytique, et j'ai été étonnée de trouver I'expressiond'une pensée concordant très exactement avec la mienne dans lefascinant ouvrage de Marianne Kritll (1979). Marianne Kriill est unerociologue qui ne se contente pas de théories, mais veut comprendre levécu et vivre ce qu'elle a compris. Elle s'est rendue sur ie lieu denaissance de Sigmund Freud, a visité la chambre que Freud a partagéeavec ses parents dans les premières années de sa vie et, après avoir lude nombreux ouvrages sur le sujet, elle a essayé de se représenter et deressentir I'expérience que I'enfant Sigmund Freud avait dt viwe etI'expérience qu'il avait dt enregistrer dans cette chambre.

80 C'est pour ton bien

importance que c'est une question sur laquelle je voudraisme pencher beaucoup plus longuement (cf. p. l0).

Ici, je me contenterai de ces quelques remarques : jevoudrais seulement, pour commencer, montrer, de façontrès générale, que le principe, profondément ancré en nouspar l'éducation, selon lequel il faut épargner ses parentsest essentiellement propre à nous voiler des vérités vitalesvoire à les déguiser en leur contraire, ce que beaucoupd'entre nous paient par de graves névroses.

Qu'arrive-t-il à tous ceux chez qui les efforts de l'éduca-teur ont été couronnés de succès ?

Il est impensable qu'ils vivent et développent leurssentiments véritables, car il y aurait parmi ces sentimentsla colère interdite et la révolte impuissante - surtoutlorsque ces enfants ont subi les coups et les humiliations,le mensonge et la tromperie. Mais qu'advient-il de cettecolère interdite et non vécue ? Elle ne s'évanouit pas maisse change avec le temps en une haine plus ou moinsconsciente de son propre soi, ou d'autres personnes desubstitution, qui cherche divers moyens de se décharger,moyens permis à I'adulte et bien adaptés.

Les Kâtchen et les Konrâdchen de tous les temps se sonttoujours entendus pour dire que leur enfance avait étél'époque la plus heureuse de leur vie. La génération desjeunes d'aujourd'hui est la première chez qui il se produitun changement à cet égard. Lloyd de Mause est bien lepremier savant qui ait analysé en profondeur I'histoire del'enfance sans enjoliver les faits et sans édulcorer aposteriori les résultats de ses recherches en les cachantsous des commentaires idéalisateurs. Cet historien de lapsychologie sait ressentir pleinement la situation qu'ilétudie, il n'a donc pas besoin de refouler la vérité. Et lavérité que son livre (1977) dévoile est triste et atterrante,mais elle apporte avec elle I'espoir d'un changement : celuiqui lit ce livre, et se rend compte que les enfants qui ysont décrits sont devenus eux-mêmes par la suite desadultes, ne peut plus s'étonner des plus sombres atrocitésde notre histoire. Il découvre où ont été déposés les germesde la cruauté, et il peut alors puiser dans cette découverte

La << pédogogie noire >> 8l

I'espoir que I'humanité ne soit pas livrée à tout jamais àcette horreur : une fois mises en lumière les règles incon-scientes du jeu du pouvoir et de ses méthodes de légitima-tion, nous devrions être capables de changer fondamentale-ment les choses. Mais tant que I'on n'a pas saisi ce goulotd'étranglement de la petite enfance, dans lequel se transmetet se perpétue I'idéologie de l'éducation, on ne peut pasvéritablement comprendre dans toute leur portée, les règlesde ce jeu.

Les idéaux conscients des jeunes parents ont aujourd'huiincontestablement changé. L'obéissance, la contrainte, ladureté et I'insensibilité ne passent plus pour des valeursabsolues. Mais la réalisation de ces nouveaux idéaux estsouvent entravée par la nécessité de maintenir refoulée lasouffrance de sa propre enfance, ce qui conduit à unmanque d'empathie. Ce sont précisément les anciens Kât-chen et Konrâdchen qui ne veulent pas entendre parler demauvais traitements des enfants (ou en minimisent lesdangers) parce qu'ils ont eux-mêmes vécu apparemmentune ( enfance heureuse. > Mais leur manque d'empathietraduit très exactement le contraire : ils ont appris très tôtà serrer les dents. Les êtres qui ont eu la chance de grandirdans un environnement qui les comprenait (ce qui estextrêmement rare car, il y a peu de temps encore, onignorait totalement ce qu'un enfant pouvait souffrir) ouceux qui ont créé par la suite dans leur intériorité un objetd'empathie seront plus ouverts à la souffrance des autres,ou ne chercheront en tout cas pas à la nier. Ce serait unecondition nécessaire pour que les anciennes blessuresguérissent et n'aient pas besoin d'être recouvertes parI'intermédiaire de la génération suivante.

Les valeurs < sacrées > de l'éducation

Ensuite, c'est un plaisir secret, et tout particulier, de voirque les gens qui nous entourent ne se rendent pos comptede ce qu'il advient véritablement d'eux.

(Adolf Hitler, cit. Rauschning.)

Les êtres qui ont grandi dans le système de valeurs de

82 C'est pour ton bien

la < pédagogie noire >> et n'ont pas connu I'expériencepsychanalytique éprouveront certainement, face à monattitude anti-pédagogique, une angoisse consciente ou luiopposeront un refus intellectuel. Ils me reprocherontd'être indifférente à des valeurs sacrées ou d'afficher unoptimisme naïf sans savoir à quel point les enfants peuventêtre mauvais. Ces reproches n'ont pas de quoi m'étonner,leurs raisons ne me sont que trop connues. Néanmoins, jevoudrais établir une mise au point en ce qui concerneI'indifférence aux valeurs : pour tout pédagogue, il estentendu, une fois pour toutes, qu'il est mal de mentir, defaire du mal à quelqu'un ou de le vexer, de réagir par lacruauté à la cruauté parentale, au lieu de comprendre lesbonnes intentions qu'elle cache, etc. Inversement, il estconsidéré comme bon et positif que I'enfant dise la vérité,qu'il soit reconnaissant à ses parents de leurs bonnesintentions, qu'il ne s'arrête pas à la cruauté de leurs actes,qu'il reprenne à son compte les idées de ses parents, qu'ilsache adopter une attitude critique vis-à-vis de ses propresidées, et surtout qu'il ne fasse aucune difficulté pour se

soumettre à ce qu'on exige de lui. Pour inculquer àI'enfant ces valeurs presque universellement reconnues, nonseulement dans la tradition judéo-chrétienne mais aussidans d'autres traditions, I'adulte doit parfois recourir aumensonge, à la dissimulation, à la cruauté, aux mauvaistraitements et à l'humiliation, mais chez lui ce ne sontpl.rs des << valeurs négatives )) parce qu'il est déjà éduqué,et qu'il n'est contraint d'employer ces moyens que pourparvenir à I'objectif sacré, à savoir que I'enfant renonceau mensonge, à la dissimulation, au mal, à la cruauté et àl'égoïsme. Il ressort de ce que nous venons de dire qu'il ya dans ce système de valeurs une relativisation immanentedes valeurs morales traditionnelles : en fait, ce sont l'ordrehiérarchique et le pouvoir qui déterminent en dernierressort qu'une action est bonne ou mauvaise. Et ce mêmeprincipe régit toute la marche du monde. L'opinion duplus fort est toujours la meilleure ; celui qui a gagné laguerre finit toujours par être reconnu tôt ou tard, quelsque soient les crimes qu'il ait pu commettre pour parvenirà son but.

La << pédagogie noire >> 83

A cette relativisation des valeurs liée aux positions depouvoir, qui est un phénomène bien connu, je voudraisen ajouter une autre, résultant de la perspective psychanaly-tique. Dès lors que I'on cesse de prescrire des règles auxenfants, on est bien forcé de constater soi-même qu'il estimpossible de dire toujours la vérité sans jamais blesserpersonnne, de manifester de la reconnaissance sans mentir,là où on n'en éprouve aucune, de faire semblant de nepas voir la cruauté de ses parents et de devenir enmême temps un esprit critique autonomE. Ces doutes se

manifestent nécessairement, dès lors que I'on abandonnele système de valeurs abstraites de l'éthique religieuse oumême philosophique pour se tourner vers la ftalité psychi-que concrète. Les lecteurs qui ne sont pas familiers dece mode de pensée concrète trouveront sans doute marelativisation de ces valeurs traditionnelles, et la remise enquestion de l'éducation en tant que valeur en elle-même,choquantes, nihilistes, dangereuses et peut-être même naï-ves. Tout cela dépendra de leur propre histoire. Pour mapart, je peux dire qu'il y a indubitablement à mes yeuxdes valeurs que je n'ai pas besoin de relativiser et dont lespossibilités de réalisation détermineront sans doute à longterme nos chances de survie. Ce sont entre autres : lerespect des faibles, et par conséquent des enfants enparticulier, le respect de la vie et de ses lois, sans quoitoute créativité est étouffée. Dans aucune de ses variantes,le fascisme ne connaît ce respect, son idéologie répand lamort psychique et la castration de I'esprit. Parmi tous lesgrands personnages du troisième Reich, je n'en ai pastrouvé un seul qui n'ait subi une éducation dure et sévère.N'y a-t-il pas là de quoi s'inquiéter un peu ?

Ceux qui ont eu dès I'enfance la possibilité de réagirconsciemment ou inconsciemment de façon adéquate auxsouffrances, aux vexations et aux échecs qui leur étaientinfligés, c'est-à-dire d'y réagir par la colère, conserventdans leur maturité cette aptitude à réagir de façon adéquate.Adultes, ils perçoivent très bien, et savent exprimer, le malqu'on leur fait. Mais ils n'éprouvent pas pour autant lebesoin de sauter à la gorge des autres. Ce besoin ne se

84 C'est pour ton bien

manifeste que chez les êtres qui doivent toujours veiller àce que leurs barrages ne cèdent pas. S'ils cèdent, tout estpossible. Et il est donc assez compréhensible que la peurde suites imprévisibles entraîne chez une partie d'entre euxl'étouffement de toute réaction spontanée, tandis qu'elledonne lieu, chez les autres, à des décharges accidentellessur des personnes de substitution dans des accès de colèresubits et incompréhensibles ou à des actes de violenceréguliers conduisant au meurtre ou au terrorisme. Un sujetqui peut comprendre sa colère comme faisant partieintégrante de lui-même ne devient pas violent. Il n'éprouvele besoin de frapper I'autre que dans la mesure oùprécisément il ne peut pas comprendre sa fureur, parcequ'il n'a pas pu se familiariser avec ce sentiment dans lapetite enfance, qu'il n'a jamais pu le vivre comme faisantpartie de lui-même ; parce que c'était totalement impensa-ble dans son environnement.

Connaissant cette dynamique, on ne s'étonnera pasd'apprendre par les statistiques que 60 9o des terroristesallemands de ces dernières années sont issus de familles depasteurs. Le tragique de la situation vient incontestablementdu fait que les parents avaient les meilleures intentions dumonde avec leurs enfants. Tout ce qu'ils voulaient, c'étaitque ces enfants soient gentils, compréhensifs, sages,mignons, qu'ils n'aient pas trop d'exigences, qu'ils pensentaux autres, qu'ils ne soient pas égoistes, pas capricieux,pas têtus ni frondeurs, mais qu'ils soient reconnaissants etsurtout qu'ils deviennent pieux. Ils voulaient enseigner cesvaleurs à leurs enfants par tous les moyens et s'il le fallait,ils étaient même prêts à utiliser la force pour réaliser cesnobles objectifs pédagogiques. Si, une fois grands, ces

enfants ont commis des actes de violence, ils ont expriméce faisant à la fois le côté réprimé et non vécu de leurpropre enfance et le côté réprimé et non vécu de leursparents, qui n'était connu que d'eux seuls.

Lorsque des terroristes ont pris en otages des femmes etdes enfants innocents, pour servir un grand et noble idéal,qu'ont-llr fait d'autre que ce qu'on leur a jadis fait subirI eux-mômoc ? Au nom de la grande æuvre de l'éducation

La << pëdagogie noire >> 85

et des plus hautes valeurs religieuses, on a jadis sacrifié lepetit enfant vivant, et on I'a fait avec le sentimentd'accomplir quelque chose de grand et de bien. Ces jeunes

êtres, à qui on n'a jamais permis de se fier à leurs propressentiments, ont en quelque sorte ( enchaîné >> en réprimantleurs propres sentiments au profit d'une idéologie. Cesêtres intelligents et souvent de sensibilités très diverses,sacrifiés jadis sur I'autel d'une morale << supérieure ), se

sont eux-mêmes sacrifiés, une fois adultes, à une autreidéologie - souvent radicalement opposée - par laquelleils se sont laissés dominer jusqu'au plus profond d'eux-mêmes, comme ils s'étaient laissés entièrement dominerjadis, dans leur enfance.

C'est la tragique et impitoyable loi de la compulsion derépétition de I'inconscient. Toutefois, il ne faut pas ennégliger la fonction positive. Ne serait'ce pas encore bienpire, si l'æuvre éducative réussissait pleinement, si unmeurtre parfait et irrémédiable de l'âme enfantine pouvaitêtre commis sans que l'opinion publique en sache jamaisrien ? Lorsqu'un terroriste attaque, au nom de ses idéaux,des êtres sans défense, se livrant ainsi à la fois aux chefsqui le manipulent et à la police du système qu'il combat,il raconte inconsciemment, par sa compulsion de répétition,ce qui lui a été fait jadis au nom des nobles idéaux del'éducation. Et cette histoire qu'il << raconte >> peut êtrecomprise par I'opinion publique come un signal d'alarmeou comprise tout de travers, mais en tant que signald'alarme elle est la manifestation de la vie qui peut encoreêtre sauvée.

Mais qu'advient-il lorsqu'il n'est plus resté aucune tracede cette vie, parce que l'éducation a réussi parfaitement etjusqu'au bout, comme c'était par exemple le cas chez deshommes comme Adolf Eichmann ou Rudolf Hôss ? Onles a si bien formés à I'obéissance, et on les y a formés sitôt, que cette éducation n'a jamais failli, que cet édificen'a jamais eu la moindre fissure, qu'il est resté parfaitementimperméable et que jamais aucun sentiment ne I'a ébranlé ;

ces êtres ont exécuté jusqu'à leur dernière heure tous lesordres qui leur étaient donnés sans jamais en mettre en

86 C'est pour ton bien

question le contenu. Ils ne les ont pas exécutés parce qu'ilsconsidéraient que c'étaient des ordres justes mais toutsimplement parce que c'était des ordres, exactement commele veut la < pédagogie noire > (cf. p. 55).

C'est ce qui explique qu'Eichmann ait pu tout au longde son procès écouter sans la moindre marque d'émotionles déclarations bouleversantes des témoins ; mais qu'ayantoublié de se lever au moment de la sentence, il ait rougid'embarras quand on le lui a rappelé.

L'éducation de Rudolf Hôss a l'obéissance absolue dèsla plus tendre enfance résista également à toutes lesfluctuations du temps. Son père n'avait certainement pasvoulu faire de lui un commandant d'Auschwitz ; en tantque catholique rigoureux, il le destinait plutôt à une viede missionnaire. Mais il lui avait inoculé très tôt le principeselon lequel il faut toujours obéir aux autorités, quoiqu'ellesexigent.

Mes parents sortaient peu, mais recevaient beaucoup,surtout des membres du clergé. Avec les années, lessentiments religieux de mon père s'étaient encore affirmés.Dès que ses occupations lui permettaient quelques loisirs,il partait avec moi en pèlerinage : nous nous sommesrendus ainsi dans tous les lieux saints d'Allemagne, àEinsiedeln en Suisse et à Lourdes en France. Mon pèredemandait avec ferveur pour moi, futur prêtre, la bénédic-tion céleste. Pour ma part, j'étais un garçon très pieux :je prenais mes devoirs religieux au sérieux, j'aimais servirla messe comme enfant de chæur et je faisais mes prièresavec une profonde foi enfantine. L'éducation que j'avaisreçue de mes parents m'imposait une attitude respectueuseà l'égard de tous les adultes et surtout des personnes trèsâgées, indépendamment du milieu dont ils sortaient. Jeconsidérais comme mon premier devoir de porter secoursen cas de besoin et de me soumettre à tous les ordres, àtous les désirs de mes parents, de mes instituteurs, demonsieur le curé, de tous les adultes et même des domesti-ques. A mes yeux, ils avaient toujours raison, quoi qu'ilsdisent.Ces principes de mon éducation ont pénétré tout mon être.(R. Hôss, 1979, p. 19.)

La << Pédagogie noire >> 87

Lorsque les autorités exigeaient que.l'on joue le rôle de

.ornlnundunt de la machine de mort d'Auschwitz' comment

un homme comme Hôss aurait-il pu résister ? Et même

pius tard, après son arrestation, quand on le chargea de

ie.ia.t tui-même de son sort, non seulement il s'en acquitta

loyalement et consciencieusement, mais il exprima aussi

très correctement sa reconnaissnce pour la réduction du

i.-p, de détention (<< occupé de- façon intéressante >>)'

Ce rapport nous fournit une information extrêmement

prorond. sur la genèse d'un crime inconcevable dont les

victimes se comptèrent par milliers'- o"rr. ses souvenirs lei plus anciens, Rudolf Hôss évoque

le besoin compulsif de se laver qu'il éprouvait dans son

enfance, .t qii correspondait certainement à la tentative

J" t. OeUuruis., de cè que ses parents trouvaient en lui

à;iÀp", ou de sale. Ne trouvant aucune tendresse auprès

à" t"t parents, il la recherchait auprès des animaux'

d'autant que ces derniers n'étaient jamais battus par son

per. .àÀÂe il l'était lui-même et qu'ils accédaient ainsi à

iin ,uttg hiérarchique supérieur à celui des enfants'

On retrouve un système de valeurs analogues chez

Heinrich Himmler qui dit par exemple :

( ...comment pouvez-vous prendre plaisir à tirer^par sur-

prise sur les pàuures bêtes innocentes et sans défense qui

Lrout.nt paiiiblement à I'orée de la forêt ? A bien y

regarder, c'est de I'assassinat pur et simple"' La nature

esi si magnifique' et, après tout, chaque bête a le droit de

vivre >>. (J. Fest, 1963, P' 164')

Et ce même Himmler dit encore :

Il existe un principe absolu pour les SS : nous devons nous

.ànauit" aË racon loyale, correcte, fidèle et amicale à

l'égard de ceux qui appartiennent à notre propre sang' mals

à l;égard de personne d'autre. Je me moque éperdument de

;";;;; ". qu" deviennent les Russes ou les Tchèques' Le

sang pur et apparenté au nôtre des autres peuples' nous

nou"t i'upptopiietont, au besoin en volant leurs enfants et

.n f.t eiËuant chez nous. Que les autres peuples vivent

88 C'est pour ton bien

' dans le bien-être ou crèvent de faim, peu m,importe, celane m'intéresse que dans la mesure où nous.n uubn, besoincomme esclaves au service de notre civilisation. eue dixmille femmes russes soient mortes d'épuisement ouion encreusant des tranchées antichars ne m'importe que dans lamesure où ces tranchées destinées à la défènse dê I'Allema-gne auront été achevées... Jamais nous ne nous montreronsbrutaux ou sans cæur si ce n'est pas nécessaire, c,est bienévident. Nous autres Allemands qui sommes fé. ,.uf, aumonde à nous montrer corrects envers les animaux, nou,le serons également à r'égard de ces créatures hilain;;,mais ce serait un crime envers notre propre sang que denous inquiéterd'_elles et de leur apporler àes iOeàux... d.Fest, 1963, p. 155.)

Himmler était, à peu près comme Hôss, le produitpresque parfait de_.son père, qui était un pédagogue demétier. Heinrich Himmler rêvait, lui aussi, O'eaiqiii féshommes et les peuples. Fest écrit :

'Félix Kersten, un médecin qui soigna constamment Him_mler à partir de 1939 et louàit en [uelque ,ort" uup.". â"lui le rôle d'homme de confiance, a affirmé qu,Ui*Àf"iaurait mieux aimé éduquer les peuples étrangirs que tèsexterminer, et durant la guerre, pènsant a Ia paii quisuivrait, il rêvait de mettre sur pièd des unités ,irilituii*<< soigneusement formées et éduquées, qui auraiert ù;;mission d'enseigner à leur tour >.-(J. Fesi, 1963, p. l jzt-

Contrairement à.ce qui s'était passé chez Rudolf Hôss,dont l'éducation à I'obéissance avéugre avait étépteinemeniréussie, Himmler n'est manifestement pas tout à faitparvenu à satisfaire les exigences de dureté intérieure quilui étaient imposées. Joachim Fest interprète de rucoo tiJ,convaincante les atrocités commises pai Himmler

-.o**àune tentative permanente de se prouver à lui_même et deprouver au monde sa propre dureté. Il écrit :

Dans la parfaite confusion de tous les critères qu'entraînaitl'éthique totaritaire, la rigueur à r'égard des viciimes t.ou""précisément sa justification_ dans le fait qu'elle suppose ladureté envers soi-même. < Être durs envers nous_mêmes et

La << pédagogie noire >> 89

envers les autres, donner la mort et l'accepter. > Telle étaitI'une des devises de la SS, qu'Himmler ne cessait derépèter : le meurtre était bon et légitime parce qu'il étaitpénible. Pour la même raison, Himmler a toujours soulignéavec fierté, comme s'il s'agissait d'un titre de gloire, quedans ses activités criminelles la SS n'avait < jamais subi dedommage intérieur >>, ni cessé de se montrer ( correcte >.Il était dès lors logique que le niveau moral de la SS se

mît à croître avec le nombre de ses victimes. (J. Fest,1963, p. 162.)

Ne retrouvons-nous pas dans ces paroles la résonnancedes principes de la < pédagogie noire >>, la violence faiteaux mouvements de l'âme enfantine ?

Ce ne sont là que trois exemples parmi un nombreinfini d'êtres qui ont suivi une voie analogue et avaientincontestablement bénéficié d'une bonne éducation, etd'une éducation sévère. La soumission absolue de I'enfantà la volonté des adultes ne s'est pas seulement traduite parla sujétion politique ultérieure (par exemple dans le systèmetotalitaire du Troisième Reich), mais, avant même, par laprédisposition intérieure à toute nouvelle sujétion, dès lorsque le jeune homme quittait la maison familiale. Commentun être qui n'avait pu développer en lui-même que la seuleaptitude à obéir aux ordres qui lui étaient donnés aurait-ilpu vivre de façon autonome avec ce vide intérieur ? Lacarrière militaire était bien le meilleur moyen de continuerà se faire prescrire ce que I'on avait à faire. Quandsurvenait quelqu'un comme Adolf Hitler qui prétendait, àI'instar du père, savoir exactement ce qui était bon, justeet nécessaire pour les autres, il n'y a rien d'étonnant à ceque, dans leur nostalgie de soumission, tant de gens aientfêté la venue d'un tel personnage et I'aient aidé à conquérirle pouvoir. Tous ces jeunes gens avaient enfin trouvé pourla suite de leur vie un substitut de cette figure du pèresans laquelle ils étaient incapables de vivre. Dans I'ouvragede Joachim Fest (Das Gesicht des Dritten Reiches, 1963

- Les Maîtres du Troisième Reich) on voit très bien ladocilité, la totale absence d'esprit critique et la naivetéquasiment infantile avec lesquelles des hommes devenus

90 C'est pour ton bien

par la suite de grands noms du Troisième Reich parlent deI'omniscience, de I'infaillibilité et de la nature divined'Adolf Hitler. C'est ainsi qu'un tout petit enfant voit sonpère. Et ces hommes n'ont jamais dépassé ce stade. Jeciterai quelques passages, car je crois que pour la générationactuelle, sans ces citations, il n'est guère possible de sereprésenter à quel point ces hommes, qui devaient fairepar la suite I'histoire de I'Allemagne, manquaient d'assiseintérieure.

Hermann Goering disait :

Si un catholique est convaincu que le pape est infailliblepour tout ce qui concerne la foi et les mæurs, nous autres,nationaux-socialistes, déclarons avec la même convictionintime qu'à nos yeux aussi le Fûhrer est infaillible pourtout ce qui regarde les problèmes politiques et les questionsrelatives à I'intérêt national et social du peuple... C'estune bénédiction pour I'Allemagne qu'elle ait (chose rare !)la pensée la plus rigoureuse et la plus logique, unephilosophie véritablement profonde d'une part, et de I'autrela volonté dynamique ne reculant devant aucune extrémité.

Il déclarait encore :

Je n'obéis qu'à Adolf Hitler et au Bon Dieu ! (J. Fest,1963, p. 93.)

Ou bien :

Quiconque connaît la situation chez nous, remarquait-il,sait fort bien que chacun d'entre nous n'a de pouvoirqu'autant que le Fûhrer veut bien lui en accorder. C'estseulement avec le Fûhrer et derrière lui que I'on détient lepouvoir et les puissants moyens dont dispose l'État. SiI'on agissait contre sa volonté, ou même simplement sanslui, on se trouverait immédiatement réduit à I'impuissance.Un mot du Fùhrer et celui qu'il désire éliminer est renversé.Son prestige, son autorité sont illimités... (J. Fest, 1963,p.94.)

C'est réellement la situation d'un petit enfant vis-à-vis

La << pédagogie noire >> 9l

d'un père autoritaire qui nous est décrite ici. Goeringdéclarait ouvertement :

< Ce n'est pas moi qui vis, mais Hitler qui vit en moi ! >>...

< Chaque fois que je me trouve en face de lui, je fais dans

mes culottes >>...

<< ...c'est seulement vers minuit que je pouvais à nouveaumanger quelque chose ; j'étais dans un tel état d'énervementque j'aurais vomi ce que j'absorbais ; quand je revenaisvers neuf heures à Karinhall, il fallait que je me repose

d'abord quelques heures dans mon fauteuil pour calmermes nerfs. Ces rapports sont devenus pour moi une sortede prostitution morale. > (J. Fest, 1963, p.94.')

Dans son discours du 30 juin 1934, Rudolf Hess reconnaîttout aussi ouvertement cette même attitude et, bien queparlant en public il n'en éprouve pas le moindre sentimentde honte ni de gêne - phénomène qui pour nous' quarante-

six ans plus tard, est à peine imaginable. Dans ce discours,il dit :

<< Nous le constatons avec fierté : un seul être demeure à

I'abri de toute critique, et c'est le FÛhrer. Cela vient de ce

que chacun sait et sent qu'il a toujours raison, et auratoujours raison. Notre national-socialisme à tous est ancré

dans la fidélité inconditionnelle et le dévouement au Flihrer,une fidélité et un dévouement qui ne se posent pas dequestion sur le pourquoi de telle ou telle chose, mais se

contentent d'exécuter en silence les ordres donnés. Noussommes convaincus que le Fûhrer obéit à un appel supérieurqui lui ordonne de prendre en mains les destinées del'Allemagne. Cette conviction ne supporte pas de critique. >(J. Fest, 1963, p.268.)

Joachim Fest écrit à ce proPos :

Dans ses rapports dépourvus de nuances, Hess présente

des ressemblances frappantes avec d'autres dirigeants nazisqui, comme lui, avaient reçu dans leur enfance une

éducation sévère. Tout laisse à penser que Hitler profitalargement des carences d'une époque qui allait chercher

ses directives pédagogiques dans les cours des casernes et

92 C'est pour ton bien

élevait ses fils sr

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Lo << pédagogie noire >> 93

toute petite enfance et de l'époque où elle était véritable-ment dépendante de son père. Je pense ici très concrètementà une femme, fille d'un musicien qui avait certes remplacéauprès d'elle sa mère décédée mais disparaissait fréquem-ment pour partir en tournée. Elle était alors bien trop jeunepour supporter ces brusques séparations sans panique. Ily avait longtemps que nous nous en étions aperçues dansle cadre de I'analyse, mais I'angoisse d'être abandonnéepar son mari ne s'atténua qu'à partir du moment où autravers des rêves, à côté de I'image tendre et affectueusede son père, I'autre aspect, l'aspect brutal et cruel, ressortitde son inconscient. C'est à la confrontation avec cetteréalité qu'elle doit sa libération intérieure et son évolutionvers une autonomie désormais possible.

J'ai donné cet exemple, parce qu'il met en lumièredes mécanismes qui intervinrent peut-être aussi dans lesélections de 1933. L'enthousiasme pour Hitler ne peut pass'expliquer uniquement par ses promesses (qui ne fait pasde promesses avant des élections ?), il ne peut pas s'expli-quer par leur contenu mais par la façon dont elles étaientfaites. C'était précisément la gestuelle théâtrale, et ridiculeaux yeux de n'importe quel étranger, qui était devenuefamilière aux masses et qui avait de ce fait même un telpouvoir de suggestion. Un tout petit enfant est soumisexactement à la même suggestion lorsque son père qui estgrand, qu'il aime et qu'il admire, lui parle. Ce qu'il dit nejoue pratiquement aucun rôle. L'important, c'est la façondont il le dit. Plus il se donne des airs d'importance, plusil est admiré, surtout par un enfant qui a été éduquésuivant les principes de la < pédagogie noire >>. Lorsque lepère sévère, distant et inaccessible condescend à parler avecl'enfant, c'est une grande fête, et aucun acte de sacrificeet d'abnégation n'est assez grand pour mériter cet honneur.Que ce père, cet homme grand et fort, puisse le cas échéantêtre avide de pouvoir, malhonnête et, dans le fond, malassuré, un enfant bien élevé ne peut absolument pas s'enrendre compte. Et il en va de même pour tout ; un enfantqui est dans cette situation ne peut rien apprendre de plusà cet égard, parce que sa faculté d'apprendre a été bloquée

94 C'est pour ton bien

par I'obéissance imposée très tôt et par la répression dessentiments spontanes.

. Le prestige du père se nourrit souvent d'attributs (commela sagesse, la bonté, le courage) qu,if n. possède pas maisaussi d.'attributs que tout peré possede indiscut;bil;;(du point de vue de ses .niuntrf : le caractère unique, lagrandeur, I'importance et le pouvoir. si Ie père "u"r.

à"son pouvoir en réprimant chez l,enfant tout ésprit critique,ses faiblesses restent cachées derrière ces attributs certains.Il pourrait dire à ses enfants, .o-*. Adolf Hitler à sescontemporains, sans Ia moindre plaisanterie, ,, qu.fiechance pour vous de m'avoir ! r>

. Une_fois que I'on a compris cela, I,influence légendairede Hitler sur les hommes dl son .ntourug. ne paraît plusaussi mystérieuse. Deux passages de I,ouvrage de HermannRauschning ( 1973) peuvenr llllustrer :

Gerhart Hauptmann fut introduit. Le Fiihrer lui secoua Iamain et le regarda-dans les yeux. Cttait f. furn"u"-rqr"ràdont tout le monde parle, ie regarJ qui donne Ie frissonet dont un juriste.ha.ut placé et à,âg" mûr me dit";;;;;-que, I'ayant subi, il n'avait plus !u,un ae.ir, ceiui Oerentrer chez lui pour se recueiilir et assimiler .é ,ouu.ni,unique. Hitler secoua encore une fois la main d,H;;;:mann. C'est maintenant, pensaient les personnes présentes,que vont sortir les mots immortels qui .ntr.iont OunsI'histoire. < C'est maintenant n, p"nruit ffaupt_ànn-fui-même. Et le Fûhrer du- Reich, 'p"*

tu tro^irieÀË--fois,secoua la main du. grand poète, puis il purru uu uirit.rizuivant. Ce qui n'empêchà pu, b.iturt Hauptmann de{i1e- à ses amis, un peu plus tard, qu"

""t entretien avaitété le plus haut sommet ei la récompËnse a".u

"i" fp. zCii.

Rauschning écrit un peu plus loin :

J'ai souvent entendu confesser qu'on avait peuf de lui etque même un adulte ne I'abordaii pas ,ans aé. pufpiiæioosde cæur. On avair_le sentiment qu"..i h""rd;iËil;;;sauter subitement à la gorge pou, uous étrangler, ;; ";;;lancer un encrier au uisae€ ôu taire-âurrqué uuti, g".t.insensé. Dans tout c" quJ les < miracites o ,aconten-t- âeIeur entrevue, il y a beaucoup a;"ntt ousiasrne

-Ë;;

La << pédagogie noire >> 95

d'humilité hypocrite et souvent aussi de suggestion. Laplupart des visiteurs veulent avoir eu leur moment sublime.C'est l'histoire de Till I'Espiègle et de son image invisibledont personne ne voulait avouer qu'il ne I'avait pas vue.Mais ces mêmes visiteurs, qui ne voulaient pas ouvrir lesyeux, finissaient pas s'avouer un peu déçus lorsqu'on lesmettait au pied du mur. << Oui, c'est vrai qu'il n'a pas ditgrand'chose. Non, il n'a pas l'air d'un homme éminent...du moins je n'ai pas eu cette impression. >> Alors d'oùvient l'illusion ? Du prestige, du halo, du nimbe ? Lenimbe, oui, c'est le nimbe qui fait tout (p. 286).

Lorsque survient un personnage qui parle et se comportede façon analogue à son propre père, même I'adulte enoublie ses droits démocratiques ou n'en fait plus usage, ilse soumet à ce personnage, lui fait des ovations, se laissemanipuler par lui, lui accorde toute sa confiance, enfin selivre entièrement à lui et ne s'aperçoit pas de I'esclavagedans lequel il tombe, parce que I'on ne remarque pas cequi s'inscrit dans la continuité de sa propre enfance. Et àpartir du moment où I'on s'est rendu aussi dépendant dequelqu'un qu'on l'était de ses parents dans sa petitecnfance, il n'y a plus de moyen d'y échapper. L'enfant nepeut pas s'enfuir, et le citoyen d'un régime totalitaire nepeut pas se libérer. La seule soupape qui reste est l'éduca-tion de ses propres enfants. Et c'est ainsi que les citoyensdu Troisième Reich privés de leur liberté devaient faire delcurs propres enfants des êtres privés de liberté, de manièreà sentir quelque part encore leur propre pouvoir.

Cependant ces enfants, devenus à leur tour des parents,ont eu d'autres possibilités. Un grand nombre d'entre euxont compris les dangers de I'idéologie de l'éducation etcherchent avec beaucoup de courage et d'efforts de nouvel-lcs voies pour eux-mêmes et pour leurs enfants. Certains,cn particulier les écrivains, retrouvent le chemin de I'expé-rience de la vérité de l'enfance qui était barré auxgénérations passées. C'est ainsi que Brigitte Schwaigerécrit :

volxJ'entends la de mon père. Il dit mon prénom. Il

96 C'est pour ton bien

attend quelque chose de moi. Il est loin, dans une autrepièce. Et il attend quelque chose de moi, c,est par là quej'existe. Il passe devant moi, sans rien dire. Je ne seri àrien. Je ne devrais pas exister. (Schwaiger, 19g0, p,27.)Si ton uniforme de capitaine pendant la guerre, iu I'avaisporté dès le début à la maison, peut-être que beaucoup dechoses auraient été plus claires. - Un pèie, un vrai père,est un homme que I'on ne peut pas embrasser, à qui l,ondoit répondre, même quand il pose pour Ia cinquième foisla même question et qu,on a I'impression qu;il la posepour la cinquième fois pour vérifier que ses filles reitentdisposées à répondre toujours à un père qui a le droit devous couper la parole. (Ibid., p. 24 sq.)

Dès lors que des yeux d'enfants peuvent percer à jour lejeu de pouvoir de l'éducation, il y a espàir que l-'on selibère du carcan de la < pédagogie noire >, car ôes enfantsvivront avec des souvenirs.

A partir du moment où les sentiments ont droit de cité,Ie silence est rompu, et il ne peut plus y avoir de frein autriomphe de la vérité. Même les débats intellectuels sur laquestion de savoir < si Ia vérité existe ), (( si tout n,estpas relatif ), etc., apparaissent sous leur véritable jour,avec Ia fonction de protection qu'ils assurent, dès lors queIa douleur a mis à nu la vérité. Christoph Meckel nous enfournit une excellente illustration dans la façon dont ilprésente son père (Suchbild, 1980) :

Il y a en tout adulte un enfant qui veut jouer.Il y a aussi en lui un commandant qui veut punir.En cet adulte qu'était mon père, il y avait un enfant quijouait avec les enfants au paradis sur terre. Mais il y auàitaussi, collant à sa peau, une espèce d'officier qui voulaitpunir au nom de la discipline.Vains débordements d'affection de I'heureux père, Derrièrele père prodigue qui distribuait des pains de sucre, il yavait I'officier avec le fouet. Il réservait toute une série dechâtiments à ses enfants. Il disposait en quelque sorte detout un système de punitions, de tout un registre. pourcommencer, c'était la réprimande et I'explosion de colère

- supportables parce que cela passait comme le tonnerre.

La < pédagogie noire >> 97

Ensuite, il y avait les diverses façons de pincer, de tordre,de tirer les oreilles, la gifle et la tape derrière les oreilles.Venait ensuite l'interdiction de rester dans la pièce, puisl'enfermement dans la cave. Ensuite : la personne deI'enfant était ignorée, honteusement humiliée par un silenceréprobateur. On l'employait à faire n'importe quellescourses, on l'envoyait au lit ou on le condamnait à lacorvée de charbon. Enfin, comme un couronnement solen-nel, venait le châtiment, le châtiment pur et dur, la punitionexemplaire. C'était le châtiment du père, sa prérogativeexclusive dont il usait implacablement. Il était infligé aunom de l'ordre, de I'obéissance et de l'humanité, afin quejustice soit faite, et pour que cette justice soit bien inculquéeà I'enfant, on I'inculquait à coups de bâton. L'espèced'officier prenait sa badine et passait devant pour descendreà la cave. Derrière lui, suivait I'enfant, qui n'avait guèreconscience de sa culpabilité. n devait tendre les mains (lespaumes tournées vers le haut) ou se pencher sur les genouxdu père. Les coups tombaient impitoyablement, précis,comptés à voix haute ou tout bas, et sans délai. L'espèced'officier exprimait son regret de se voir contraint àcette mesure, il prétendait en souffrir et en souffraiteffectivement. Après le choc, venait la longue horreur :

I'officier ordonnait de prendre un air joyeux. Et, avec uneallégresse ostentatoire, il ouvrait la marche, donnant lebon exemple, dans une atmosphère à couper au couteau,et il se fâchait si I'enfant ne voulait rien savoir pour se

montrer joyeux. Plusieurs jours de suite, juste avant lepetit déjeuner, on répétait le châtiment dans la cave. IIdevenait un véritable rite et I'allégresse une brimade.Pendant le reste de la journée, il fallait oublier la punition.Il n'était pas question de faute ni de péché, et le bien et Iemal étaient des sujets inabordables. De joie, pour lesénfants, il n'y en avait pas. Pâles comme la craie, silencieuxou ravalant leurs larmes, fiers, tristes, blessés, amers etdésemparés, ils étaient coincés - même la nuit - sous lepoids de la justice. Elle s'abattait sur vous et elle donnaitle dernier coup, elle avait le dernier mot par la bouche dupère. L'espèce d'officier punissait même lorsqu'il était enpermission, et il se sentait déprimé quand son enfant luidemandait s'il ne repartait pas à la guerre (p. 55-57).

L'expérience qui nous est décrite ici a constestablement

98 C'est pour ton bien

été vécue très douloureusement, la vérité subjective dechacune des phrases citées est manifert.. quuni à

-rro,

go.nte_nu objectif, ceux qui en douteraient, pàrce que lesfaits leur paraîtraient trop monstrueux, n'uuiui.nt o";a'ràplonger dans les co-nseils de Ia < pédagogie noi.. , pàu,s'assurer de leur réalité. Il y a des ttreàrier unurytùurthautement élaborées, selon lesquelles on pourrait .à"rio?.À,tout à fait sérieusement les perceptions de |enfant, telesque Christoph Meckel nous leJ décrit ici, comme lesprojections de ses << pulsions agressives ou homosexuelles >i,et interpréter la réalité qui nous est présentée là comméI'expression du fantasme de |enfant. un sujet que l'emprisede-la < pédagogie noire > a déjà rendu incertain Oi cequ'il ressent se laisse aisément troubler et dominer encorepar ce genre de théories, une fois qu'il est adulte, même sielles sont en contradiction criant. uur. sa propre expérience.

C'est donc toujours un miracle que dej récits comÀecelui de christoph Mecker soient iossibles, * q" ilr--i,soient en I'occurrence en dépit de la < bonne éduËation >ireçue. Peut-être le doit-il au fait que cette éducation futinterrompue, au moins du côté paternel, penAant tesquelques années de guerre et de câptivité. L.s eties quiont été traités constamment de cette façon, pendant touteleur enfance et toute leur jeunesse, n'ont guère de chancesd'écrire des choses véridiques sur leur pèie, car, aun, i.,années décisives, ils ont dû quotidiennement apprendre àse.défendre de l'expérience dei souffrances qui iônduisentà la vérité. IIs finissent par douter de ce qui a été la véritéde leur enfance, et se ralient à des théories r.ro" i"râuéiË,I'enfalt n'est pas la victime des projections de f;iariié,mais Ie seul sujet émettant des projectlons.

_ Les coups que peut donner brusquement un homme enfureur sont le plus souvent I'explession d'un profonddésespoir, mais I'idéologie du châtiment corporel et laqoyance selon laquelle il serait inoffensif ont pour fonc_tions de dissimuler les conséquences de |acte et àe les fairepasser. inaperçues ; la manière dont I'enfant est renJusourd à la souffrance lui interdit sa vie durant t'acces a sapropre vérité. seuls les sentiments vécus pourraient être

plus forts que ces barrières,pas le droit de se manifester...

La < pédagogie noire >> 99

mais précisément, ils n'ont

Le mécanisme principalde la < pédagogie noire > :

dissociation et projection

En 1943, Flimmler fit son célèbre << discours de Poznan >>

où il exprimait au nom du peuple allemand, devant lestroupes de S.S., sa reconnaissance pour I'exterminationdes juifs. Je cite la partie du discours qui m'a aidée àcomprendre enfin, en 1979, un phénomène dont je cherchaisdésespérément I'explication psychologique depuis trenteans.

<< Je voudrais évoquer ici, en toute franchise, un chapitrebien pénible. Il faut absolument que nous en discutionsbien sincèrement entre nous, et pourtant, nous n'enparlerons jamais en public... Je veux parler de l'évacuationdes juifs, de I'extermination du peuple juif... Cela faitpartie des choses dont on discute facilement. < Le peuplejuif sera exterminé, déclare n'importe quel membre duparti, c'est bien évident, ça figure dans notre programme,la mise hors jeu des juifs, leur extermination, bon, onmarche >. Et voilà qu'ils viennent tous, nos braves quatre-vingts millions d'Allemands, et chacun présente son bonjuif. Oui, bien sûr, les autres sont des salauds, mais celui-là, c'est un juif formidable. Aucun de ceux qui parlentainsi n'a rien vu ni compris. La plupart d'entre vous saventce que cela veut dire cent, ou cinq cents, ou mille cadavresalignés. Avoir vu cela et être restés corrects - à l'exceptionde quelques faiblesses humaines -, voilà qui nous a forgéune âme d'acier. Voilà qui constitue une page glorieuse denotre histoire, une page qui n'a jamais été écrite et ne -

devra jamais l'être. Les richesses que possédaient les juifs,nous les leur avons prises. Mais ce n'était pas pour notreusage personnel. Ceux qui ont commis des fautes dans cesens seront châtiés, conformément à I'ordre que j'ai donnédès le commencement : quiconque s'approprie ne serait-cequ'un mark, est passible de la peine capitale. QuelquesSS se sont rendus coupables - ils sont d'ailleurs peu

100 C'est pour ton bien

nombreux -, €h bien ils seront condamnés à mort sanspitié. Nous avions moralement le droit, nous avions mêmele devoir vis-à-vis de notre peuple, d'exterminer ce peuplequi voulait nous anéantir. Mais nous n'avons pas le droitde nous enrichir ne serait-ce que d'un manteau de fourrure,d'une montre, d'un mark, d'une cigarette ou de quoi quece soit d'autre... Jamais je ne tolérerai que la gangrène, siminime soit-elle, s'installe. Là où elle se manifestera, nousla cautériserons en commun. Mais dans I'ensemble nouspouvons dire que nous avons accompli cette tâche sidifficile dans un esprit d'amour à l'égard de notre peuple.Nous n'en avons subi aucun dommage en nous-mêmes nidans notre âme ni dans notre caractère. (J. Fest, 1963,p. 160-161.)

Ce discours contient tous les éléments du mécanismepsychodynamique complexe, que I'on peut désigner globale-ment comme la dissociation et la projection des parties dumoi, et dont nous avons si souvent trouvé le reflet dansles textes de la < pédagogie noire. > L'éducation à unedureté'absurde exige que toute faiblesse (c'est-à-dire aussil'émotion, les larmes, la pitié, la compréhension de sapropre sensibilité et de celle des autres, les sentimentsd'impuissance, d'angoisse, de désespoir) soit ( impitoyable-ment > réprimée à I'intérieur du moi. Pour faciliter cettelutte contre tout ce qu'il y a d'humain à I'intérieur dumoi, on fournit au citoyen du Troisième Reich un objetcomme support de toutes ces réactions indésirables (parcequ'interdites dans la propre enfance du sujet et dangereu-ses) : le peuple juif. Un prétendu << Aryen >> pouvait sesentir pur, fort et bon, il pouvait se sentir au clair avecluimême et moralement irréprochable, libéré des émotions<< mauvaises ) parce que relevant d'incontrôlables réactionsde faiblesse, à partir du moment où tout ce qu'il redoutaitau plus profond de lui-même depuis son enfance étaitattribué aux juifs, et où I'on pouvait et devait menercontre eux une lutte collective inexorable et toujoursrenouvelée.

Il me semble que le risque de pareils crimes existeratoujours autour de nous, tant que nous n'en aurons pascompris les causes ni analysé le mécanisme psychologique.

La << Pédagogie noire >> 101

Plus le travail analytique progressait dans la description

de la dynamique de la perversion, et plus la thèse souvent

défendue depuis la fin de la guerre, selon laquelle I'holo-causte aurait été l'æuvre de quelques personnalités perver-

ses, me paraissait doûteuse. Les éléments caractéristiques

des troubles de la perversion, comme I'isolement, lasolitude, la honte et le désespoir faisaient totalement défautchez les exterminateurs : ils n'étaient pas isolés mais au

contraire soutenus par un groupe' ils n'avaient pas honte,mais au contraire ils étaient fiers, il n'étaient pas désespérés

mais au contraire euphoriques ou imperturbables.L'autre explication, selon laquelle c'étaient des hommes

qui croyaient à I'autorité et qui étaient habitués à obéir,n'est pas fausse, mais elle ne suffit pas à expliquerun phénomène comme I'holocauste, si l'on entend par

obéissance I'exécution d'ordres consciemment vécus comme

des contraintes imposées de I'extérieur.Des êtres sensibles ne se laissent pas transformer du jour

au lendemain en exterminateurs. Mais dans I'applicationde la << solution finale >>, il s'agissait d'hommes et de

femmes qui ne pouvaient pas être arrêtés par leurs propres

sentiments, parce qu'ils avaient été éduqués dès le berceau

à ne pas ressentir leurs propres émotions mais à vivre les

désirs de leurs parents comme les leurs propres. Enfants,ils avaient été fiers d'être durs et de ne pas pleurer,

d'accomplir ( avec joie > toutes leurs tâches, de ne pas

avoir peur, autrement dit, dans le fond : de ne pas avoirde vie intérieure.

Sous le titre Le Malheur indifférent, Peter Handke décritsa mère qui s'est suicidée à l'âge de cinquante et un ans.

La pitié et la compréhension de I'auteur pour sa tnère

sous-tendent tout le livre comme un fil rouge qui permet

au lecteur de comprendre pourquoi, dans toutes ses æuvres'ce fils doit si désespérément chercher L'Heure de lasensotion vraie (titre d'un autre ouvrage). Quelque part,au cimetière de son enfance, il a enterré les racines de ses

sentiments, pour épargner cette mère fragile en des temps

menacés. Handke décrit I'atmosphère du village où il agrandi dans les termes suivants :

102 C'est pour ton bien

Il n'y avait rien à raconter sur soi-même ; même à l'église,à la confession de Pâques, quand pour une fois dansI'année on pouvait dire quelque chose sur soi-même, cen'étaient que slogans du catéchisme qu'on marmottait etoù le moi vous apparaissait vraiment plus étranger qu'unmorceau de lune. Quand quelqu'un parlait de soi et ne se

contentait pas de raconter des choses sur le ton dela blague, on le qualifiait d'( original >. La destinéepersonnelle, à supposer qu'elle ait jamais eu quelque chosed'original, était dépersonnalisée jusque dans les restes desrêves et consumée par les rites de la religion, des usages etdes bonnes mcurs, de sorte qu'il n'y avait presque rien deI'homme dans les individus ; le mot << individu D n'étaitd'ailleurs connu que comme insulte.Vivre spontanément... c'était déjà se livrer à une sorte dedébauche... Frustré de sa propre histoire et de ses propressentiments, on devenait peu à peu << farouche >>, expressionemployée aussi pour les animaux domestiques, les chevauxpar exemple : on devenait sauvage et on ne parlait presqueplus ou bien on perdait la tête et on allait crier un peupartout. (P. Handke, p. 62-64.)

Cet idéal de I'insensibilité, commun à beaucoup d'au-teurs, se retrouve jusqu'en 1975 environ dans le courantgéométrique de la peinture abstraite. Dans la langue trèsparticulière de Karin Struck, cela donne :

Dietger ne peut pas pleurer. La mort de sa grand-mère I'aurait paraît-il beaucoup ébranlé, il I'aurait aiméeintensément. En revenant de I'enterrement, il aurait dit, jeme demande si je ne devrais pas écraser quelques larmes,écraser qu'il a dit... Dietger dit, je n'ai pas besoin derêves. Dietger est fier de ne pas rêver. Il dit : je ne rêvejamais, j'ai un bon sommeil. Dietger nie ses réactions etses sentiments inconscients, comme ses rêves. (K. Struck,1973, p.279.)

Dietger est un enfant de I'après-guerre. Et qu'en était-ilde ce que ressentaient ses parents ? Nous en avons peu detémoignages parce que cette génération exprimait encoremoins ses véritables sentiments que celle d'aujourd'hui.

Dans Sacftbild, Christoph Meckel cite des notes de son

La << Pédagogie noire >> 103

père, poète et écrivain libéral, pendant la dernière guerre

mondiale :

Dans le compartiment une femme, "' elle parle "" d"l "'méthodes dont usent les Allemands de toutes parts dans

l'administration- Corruption, prix prohibitifs et ainsi de

suite, le camp de concèntration d'Auschwitz' etc' - E1

iu"i iu. soldàt' on est si loin de ces choses' et au fond'

on ni s'y intérÉsse pas le moins du monde ; on est parti

pour unè tout autr; Ailemagne, et plus tard dans cette

guerre, on ne vÀuara pas s'être. enrichi' -mais^ ?::Lli

Ëonscience propre. Je n'ai que mépris pour cette- vermlne

àe civils. Ôn -est

peut-être bête, mais les soldats sont

louiôutt les sots â qui l'on fait payer tout ça' Pour

compenser nous avonJ un honneur' que personne ne peut

nouJ enlever - (24.1.1944')

En faisant un détour pour aller déjeuner-' témoin de

I'exécution de vingt-huit Polonais, en public' devant la

t ui" a,u" terrain dà sport. Il y en a des milliers qui bordent

les routes et joncheniles berges du fleuve' Un entassement

de cadavres, uua" toute la laideur' I'horreur que cela

comporte, .t pàurtu,,t un spectacle qui me laisse extrême-

ment froid.ô.rri qu. j'ai vus avaient attaqué et tué deux soldats et un

.iuii ufi"t*nd àu Reich. Exemple de spectacle populaire

de I'ère nouvelle. (27.1'1944')

A partir du moment où la sensibilité a été étouffée'

I'individu soumis fonctionne parfaitement et de façon

p"ii"itt..nt fiable, même là où il n'a à craindre aucun

contrôle de I'extérieur :

Je fais venir un colonel qui a quelque chose à.me

àemarrOe, ; il s'extirpe de là voiture et approche' Il se

;i;i"t, avec I'aide diun lieutenant qui baragouine' de. ce

iu;à"'fes a laissés cinq jours sans pain et dit que ce n'est

pas bien. Je réplique qu'il n'tst pas bien non plus d'être

àfri"i.. à la soide^de Badoglio, et je suis-très bref' Avec

un autre groupe d'officiers prétendument fascistes' qui me

présentent tous les papiers possibles et imaginables' je- fais

chauffer la voiture èt i" t" montre plus poli' (27 '10'1943 ;

ChristoPh Meckel, P. 62-63')

104 C'est pour ton bien

Cette adaptation parfaite aux normes de la société, àce. qu'on appelle Ia << saine normalité ,, .o_p*t;;;rnévidemment le risque que le sujet en question puisse êtreutilisé à de nombreuses fins." ôe

-n,àrt pâ, ;;;";;;;"d'autonomie qui se produit ici, puisqu,il n,y a jamais eud'autonomie, mais une intervé.iion 'a.,

"irur,r, -

àî n.présentent en enes-mêmes de toute -façon

"il; il;;-tance pour I'individu considéré, aussi fonÀi.Àp, ô;"i.principe de I'obéissance oo-ine--iàut son système devaleurs. On en est resté à I'idéalisaiion Aes parents et deleurs. eligggces, qui peut aisémeni-èt." trunsposée au Fûhrerou à I'idéologie correspondante. Étant donné qu, -i.,

parents ont toujours raison dans ce qu,ils exigent, Ë. n,.rtpas la peine de se casser la tête à chalue foisl pou*uuài,si leur exigence ponctueile .st eguiÀÀ.nt juste. D,ailleurs,comment pourrait-on en juger, où trouveràit_on les .iitci.r,quand on s,est toujouri taisie aire ce qui était bien ouTIJï l-on

n'a jamais eu I'occasiànde iaire iËË;r*qe ses propres sentiments, et qu'en outre toutes tes véltéitésde critique que les palgn-F ne supporrai.nt pu, prÀ.;;;;;un danger mortel ? Si I'adulte'n,a ,i.n Uati bri f"i s"iipropre' il se voit livré pour le meilleur et pour ie pire auxautorités, exactement comme le nourrissoi, uu* ,iui;rï;ses parents ; un ( non ) opposé aux détenteurs du;;;;"i;lui paraît à tout jamais môiteUeÀentîurrg.r.u*.

Les témoins de brusques renversements politiques rappor-tent toujours l'étonnante facilité avec laquelle ànt dlr;;-mes réussissent à s'adapter à la situation nouve[e. Irs sontcapables de se rallier du jour au lenàeÀain à des do;ri;;;radicalemenr opposées à celle qu,its-àefendaient Ë;;ilË- sans la moindre gêne. La reàtte d'hier .r, ,otui.*roieffacée à leurs yeux par le changem.ni d. pouvoir.-

---------

Et pourtant, même si cetté observation vaut pourbeaucoup, voire pour la majorité o;.rrtre nous, elle ne vautpas pour tous. Il y a toujours eu des individus isotes, àuine se laissaient pas aussi vite, ou pas du tout, .onuÉrËr.Avec nos connaissances psychanalytiques, nous pourrionsessayer de nous demander .. qui iait cette àiriJi"r".capitale et déterminante, autremènt dit .. qri-fui, q".certains individus sont si portés urr* ,â1., de meneurs-'ou

La << pédagogie noire >> 105

de << suiveurs >>, tandis que les autres sont complètementimmunisés à cet égard.

Nous admirons ceux qui font de la résistance dans lesÉtats totalitaires, et nous nous disons : ils ont du courageou une << morale solide >>, << ils sont restés fidèles à leursprincipes, > ou quelque chose comme ça. Nous pouvonsaussi nous moquer de leur naiveté en disant : << Nes'aperçoivent-ils donc pas que leurs paroles ne serviront àrien contre ce pouvoir écrasant ? Et qu'ils vont payer trèscher leur rébellion ? >

Mais les deux attitudes, aussi bien celle qui admire quecelle qui méprise, passent très certainement à côté de lavérité : I'individu qui, au sein d'un régime totalitaire,refuse de s'adapter, ne le fait guère par sens du devoir, nipar naïveté, mais parce qu'il ne peut pas faire autrementque de rester fidèle à lui-même. Plus je me penche sur cesquestions, plus j'ai tendance à penser que le courage,I'honnêteté et l'aptitude à aimer les autres ne doivent pasêtre considérés comme des << vertus >>, ni comme descatégories morales, mais comme les conséquences d'undestin plus ou moins clément.

La morale et le sens du devoir sont des prothèsesauxquelles il faut recourir lorsqu'il manque un élémentcapital. Plus la répression des sentiments a été profondedans I'enfance, plus I'arsenal d'armes intellectuelles et laréserve de prothèses morales doivent être importants, carla morale et le sens du devoir ne sont ni les sourcesd'énergie, ni le terrain propice aux véritables sentimentshumains. Les prothèses ne sont pas des éléments vivants,on les achète et elles peuvent servir à diverses personnes.Ce qui passait hier pour le bien peut aujourd'hui, suivantlcs décisions du gouvernement et du parti, passer pour lemal et la corruption et vice versa. Alors qu'un individuqui a des sentiments vivants ne peut qu'être lui-même. Iln'a pas d'autre solution, s'il ne veut pas se perdre. Lercfus, le rejet, la perte d'amour et les outrages ne lui sontpas indifférents, il les redoute donc, mais il ne veut paspcrdre son soi, une fois qu'il s'est formé. Et lorsqu'il sentque I'on exige de lui quelque chose à quoi tout son être

106 C'est pour ton bien

dit << non >>, il ne peut pas le faire. Il ne Ie peut pas, c,esttout.

Il en va ainsi des êtres qui ont eu la chance d'être assurésde I'amour de leurs parents, même s'ils devaient opposeiun ( non >> à leurs exigences. Ou bien des êtres qui n'ontcertes pas eu cette chance, mais ont appris plus iard, parexemple, dans le cadre de I'analyse, à piendie te risque delaperte d'amour pour retrouver leur soi perdu. Et à àucunprix, ils ne seraient prêts à y renoncer à nouveau.

Le caractère de prothèse des lois morares et des règresde comportement apparaît mieux que partout ailreurJ làoù tous les mensonges et les dissimuiations sont sans effet,dans la relation entre la mère et I'enfant. Le sens du devoiin'est- certes pas un terrain propice au développ.-.rrtde l'amour, mais à celui de sentiments récipro'ques deculpabilité. Par des sentiments de culpabilité qui durenttoute la vie et une reconnaissance qui lè paralysô, I'enfantest à tout jamais lié à la mère. L'écrivain Robêrt walser adit quelque part : << Il y a des mères qui se choississeniparmi leurs enfants un favori, qu'ellei endurcissent aubesoin par des baisers et dont elles enterrent... I'existence. >S'il avait su, s'il avait eu conscience sur le plan émotionntel,qu'il décrivait Ià son propre destin, il n'aurait sans doutépas- dû finir ses jours dans un hôpital psychiatrique.

Il est peu vraisemblable qu'un travail d'anaiyse et decompréhension purement intellectuelle, entreprii à l'âgeadulte, puisse suffire à effacer Ie conditionnement trésprécoce de I'enfant. L'être qui a appris dès sa plus tendreenfance comme une nécessité vitalè l,application de loisnon écrites, et le renoncement à ses propres sentiments,sera d'autant plus prompt à obéir plus tard aux lois écrites,et ne trouvera pas en lui de quoi se protéger contre elles.Mais comme un être humain ne peut pas nivre totalementdénué de tout sentiment, il se rallie à des groupes parlesquels les sentiments qui lui ont été interditJ;usqu'A'orssont admis, voire encouragés, et peuvent donC errlir, êtrevécus au sein d'un collectif.. Toute idéologie offre cette possibilité de décharge colrec-

tive des affects accumulés couplée.avec l,attacÈement à

La << pédagogie noire >> ,rmdes objets primaires idéalisés, qui est transféré à denouveaux personnages de chef ou au groupe tout entier,comme substitut de la bonne symbiose avec la mère que lesujet regrette. L'idéalisation du groupe investi de façonnarcissique garantit le caractère grandiose collectif. Étantdonné que toute idéologie est en même temps un boucémissaire pour tout ce qui est à I'extérieur du groupegrandiose, I'enfant méprisé depuis toujours et faible, quifait partie du moi mais n'a jamais eu le droit de I'habitervraiment, peut à nouveau y être méprisé et combattu. Lediscours de Himmler sur le < bacille de la faiblesse >, qu'ilfaut éliminer et brûler, fait très bien apparaître le rôle quiétait échu aux juifs dans ce processus de dédoublement dugrandiose.

De la même manière que la connaissance psychanalytiquedes mécanismes de dédoublement et de projection peutnous aider à comprendre le phénomène de I'holocauste,l'histoire du Troisième Reich nous fait apparaître plusclairement les conséquences de la < pédagogie noire >> : surle fond de la répression accumulée du caractère infantiledans notre éducation, on comprend assez facilement, oupresque, que des hommes et des femmes aient pu sansproblèmes apparents conduire à la chambre à gaz vnmillion d'enfants porteurs de ces parts de leur proprepsychisme qu'ils redoutaient tant. On peut même se

représenter qu'ils leurs aient hurlé dessus, qu'ils les aientbattus ou photographiés et qu'ils aient enfin trouvé là unexutoire à leur haine de la petite enfance. Leur éducationvisait dès le départ à exterminer tout ce qui relevait deI'enfance, du jeu et du vivant. Il fallait qu'ils reproduisentexactement de la même manière l'atrocité commise sureux, le meurtre de l'âme perpétré sur les enfants qu'ilsavaient été : chez ces enfants juifs qu'ils envoyaient à lachambre à gaz, ils ne faisaient jamais que reproduireinlassablement le meurtre de leur propre existence d'en-fants.

Dans son ouvrage Kindesmisshandlung und Kindesrechte(Mauvais traitements et droits de I'enfant), Gisela Zensrapporte les travaux psychothérapiques de Steele et Pollock

108 C'est pour ton bien

sur _des parents qui maltraitaient des enfants, à Denver.

En l'occurrence, les enfants sont traités en même tempsque les parents. La description de ces enfants peut nousaider à comprendre les origines du comportement desexterminateurs, qui avaient incontestablement été eux-mêmes des enfants battus.

Ces enfants n,étaient pratiquement jamais capables dedévelopper des relations objeètales correspondant à leurâge. Les réactions ouvertes et spontanéès vis-à_vis desthérapeutes étaient rares, aussi bienque l'expression aireciede I'affection ou de la colère. Sèul un petit nombied'enfants manifestait un intérêt direct pour lâ personne duthérapeute. Au bout de six mois de ùérapie

^a raison àe

deux séances par semaine, un enfant pouvait se montrerincapable de se souvenir du nom de ia thérapeut.. ni*que les enfants se soient manifestement intéreisés de plusen plus intensivement,à la thérapeute et qu,ils aient été deplus en plus liés à ellÇ la relatiôn s'interiompait de façontrès brutale à la fin de chaque séance, ei 1", enfantsquittaient Ia thérapeute comme si elle ne représentaitabsolument rien à leurs yeux. Les thérapeutes pensaientque cela provenait en partie de la nécessité de réaàaptationau milieu familial dans lequel il failait retourner, en partied'un manque de constance dans la relation oUjéctatô, quise faisait également ressentir lors des interrupiions âe'lathérapie du fait des vacances ou de maladiôs. Tous lesenfants niaient presque uniformément I'importance de cetteperte de I'objet qu'ils avaient pour la plupart déjà vécue àplusieurs reprises. Ce n'est que très leniement què quelquesenfants parvinrent à reconnaître que la sépaiation Oô tathérapeute pendant les vacances représentait quelque choseà leurs yeux, qu'elle les attristait ei les contraiiait.

Le phénomène le plus marquant est, d'après ces auteurs,I'incapacité de ces enfants à se détendre ei à s,amuser. Il yen a qui passaient des mois sans rire une seule fois, eiregardaient la salle où se déroulaient les séances commede < sombres petits adultes >>, dont la tristesse et ladépression étaient seurement un peu trop visibres. Lorsqu'ils

Lo << pédagogie noire >> 109

participaient à des jeux, on avait I'impression que c'étaitplus pour faire plaisir à la thérapeute que pour leur propreamusement. Beaucoup d'enfants avaient I'air de ne presquepas connaître les jouets ni les jeux, en tout cas pas avecles adultes. Ils étaient tout étonnés de voir que la thérapeuteprenait plaisir à jouer, et même à jouer avec des enfants.Et par identification avec elle, ils arrivaient à trouver eux-mêmes du plaisir à jouer.La plupart de ces enfants avaient une vision extrêmementnégative d'eux-mêmes, ils se décrivaient comme des enfants< bêtes )), ( que personne n'aimait >, eui << ne savaientrien faire >>, et qui étaient < vilains >>. Ils ne réussissaientpas à s'avouer fiers de quelque chose qu'ils savaientmanifestement bien faire. Ils hésitaient à entreprendre quoique ce fût de nouveau, avaient toujours peur de fairequelque chose de mal et avaient très vite honte. Certainssemblaient n'avoir aucune conscience d'eux-mêmes. Onpeut voir en cela le reflet de la conception des parents quine perçoivent jamais I'enfant en tant que personne auto-nome mais uniquement en fonction de la satisfaction deleurs propres besoins. Les multiples changements de foyersemblaient également jouer un rôle important. On peutciter le cas d'une petite fille de six ans qui, ayant étésuccessivement dans dix familles adoptives, ne comprenaitpas pourquoi elle gardait toujours le même nom quelleque fût la maison dans laquelle elle se trouvait. Les dessinsde personnages étaient tout à fait primitifs, et certainsenfants étaient complètement incapables de se dessiner eux-mêmes, alors que leurs aptitudes en ce qui concernait ledessin d'objets inanimés correspondaient tout à fait à leurâge.La conscience ou, pour mieux dire, le système de valeurs desenfants était extrêmement rigide et extrêmement primitif. Ilsse montraient très critiques vis-à-vis d'eux-mêmes commevis-à-vis des autres, et se révoltaient ou piquaient de trèsgrandes colères lorsque d'autres enfants enfreignaient leursrègles absolues du bien et du mal. [...]La colère ou I'agressivité vis-à-vis des adultes, ils étaientpresque totalement incapables de I'exprimer directement.En revanche, les jeux et les histoires qu'ils racontaientétaient pleins d'agressivité et de brutalité. Les poupées etles personnages imaginaires y étaient constamment battus,torturés et tués. Certains enfants reproduisaient dans leurjeu les mauvais traitements qu'ils avaient eux-mêmes subis.

ll0 C'est pour ton bien

Un enfant qui avait eu dans sa toute petite enfance, partrois fois une fracture du crâne, mimait constamment deshistoires dans lesquelles des hommes ou des animauxétaient blessés à la tête. Un autre enfant, que sa mèreavait tenté de noyer alors qu'il était bébé, commença sapremière séance de thérapie par le jeu en noyant un poupondans la baignoire et en faisant ensuite emmener la mère enprison par la police. Autant ces événements passés jouaientun rôle réduit dans les angoisses exprimées ouvertementpar les enfants, autant ils les préoccupaient dans leurinconscient. Ils n'étaient pratiquement jamais en mesured'exprimer verbalement cette préoccupation ; il y avaitaussi une intense rancæur et un besoin de vengeanceprofondément ancrés en eux, mais ils étaient liés à uneimmense peur de ce qui pourrait advenir si ces pulsions semanifestaient. Avec le développement des relations detransferl, dans le cadre de la thérapie, des sentiments dumême ordre s'orientaient également contre le thérapeute,mais presque toujours sous une forme passive-agressiveindirecte : les accidents au cours desquels le thérapeuteétait touché par une balle devenaient de plus en plusfréquents, ou bien on abîmait (( sans le vouloir >> sesaffaires. [...1En dépit du peu de contact avec les parents, les thérapeutesavaient la très nette impression que les relations parents-enfants étaient dans une très large mesure caractérisées parla perversion et Ia sexualisation. On peut citer le cas d'unemère qui couchait dans le lit de son fils âgé de sept ansdès qu'elle se sentait seule ou malheureuse, et beaucoupde parents exprimaient vis-à-vis de leurs enfants, alors biensouvent en pleine phase oedipienne, des besoins de tendressetrès intenses €t souvent concurrents. Une autre mère disaitde sa fille, âgée de quatre ans, qu'elle était < sexy > etcoquette, et elle prévoyait déjà qu'elle aurait certainementdes aventures malheureuses auprès des hommes. On auraitdit que ces enfants, d'une façon générale, étaient là pourla satisfaction des besoins de leurs parents, et n'étaientmême pas dispensés de la satisfaction de leurs besoinssexuels, qui retombaient le plus souvent sur les enfantssous la forme d'exigences déguisées et inconscientes. (C.Zens, 1979, p. 279 sq.)

On peut considérer que le << trait de génie > de Hitler

La << pédagogie noire ) I I I

consista à donner aux Allemands, éduqués si tôt à ladureté, à I'obéissance et à la répression des sentiments, lesjuifs comme objets de leurs projections. Mais I'utilisationde ce mécanisme n'avait rien de nouveau. On a puI'observer dans la plupart des guerres de conquête, dansl'histoire des croisades, de I'Inquisition, et même dansI'histoire la plus récente. Mais on n'a guère pris la peinede voir, jusqu'à présent, que ce que I'on nomme l'éducationde I'enfant repose en majeure partie sur ce mécanisme et,lnversement, que I'exploitation de ce mécanisme à des finspolitiques ne serait pas possible sans ce mode d'éducation.Le trait caractéristique de ces persécutions est qu'ellesrelèvent d'un domaine narcissique. C'est une partie dumoi que I'on combat, et non pas un ennemi réellementdangereux, comme par exemple dans le cas d'un réel risquede mort. Il faut donc bien distinguer ce type de persécutiondc I'attaque d'une personne étrangère, extérieure au sens

objectal du terme.L'éducation sert dans bien des cas à empêcher que ne

l'éveille à la vie chez son propre enfant ce que I'on a jadis

lué en soi-même. Dans son ouvrage Die Angst vor dem

Yater (La peur du père), Morton Schatzmann montre très

blcn que le système éducatif du pédagogue Daniel GottobMoritz Schreber, célèbre en son temps, était lié au besoin

de lutter contre certains aspects de son propre moi. Commebeaucoup de parents, Schreber poursuit chez ses enfants,ce qui en luimême lui fait Peur.

Les germes de noblesse de la nature humaine s'épanouissentpresque d'eux-mêmes dans toute leur pureté, si I'on écarteet si I'on élimine à temps la mauvaise herbe, le chiendent.Il faut le faire sans relâche et avec acharnement. C'est uneerreur pernicieuse et trop fréquente de se laisser bercer parI'espoir que les mauvaises manières et les défauts de

caractère des petits enfants s'effaceront d'eux-mêmes engrandissant. Certes, les pointes et les angles de tel ou teldéfaut s'arrondissent suivant les circonstances mais, si onle laisse faire, le mal reste profondément enraciné, et ilcontinue toujours plus ou moins à produire des instinctsempoisonnés et à entraver ainsi la prospérité du noblearbre de vie. Ce qui relevait chez I'enfant de mauvaises

ll2 C'est pour ton bien

manières devient chez I'adulte un véritable défaut decaractère qui ouvre la voie du vice et de la dépravation...Réprime tout chez I'enfant, éloigne-le de tout ce qui nedoit pas lui appartenir ; et guide-le constamment vers ceà quoi il doit au contraire s'accoutumer (cit. d'aprèsSchatzmann, 1978, p. 24 sq.)

La nostalgie de la < véritable noblesse d'âme > justifietoute cruauté vis-à-vis de I'enfant et de ses imperfections,et malheur à lui s'il perce à jour I'hypocrisie.

Le principe pédagogique selon lequel il faudrait << orien-ter > dès le départ I'enfant dans une certaine direction naîtdu besoin de dissocier du soi les éléments inquiétants desa propre intériorité et de les projeter sur un objetdisponible. Le caractère malléable, souple, sans défense etdisponible de I'enfant en fait I'objet idéal de ce type deprojection. L'ennemi intérieur peut enfin être combattu àI'extérieur.

Les spécialistes de la recherche sur la paix sont de plusen plus conscients de ces mécanismes, mais tant qu'onn'en voit pas la source dans l'éducation des enfants, outant qu'on la dissimule, on ne peut pas entreprendregrand'chose pour y remédier. Car des enfants qui ontgrandi investis des éléments exécrés de la personnalité deleurs parents, qu'il fallait combattre, ne peuvent pas espérertransférer ces éléments sur quelqu'un d'autre pour se sentirà nouveau bons, ( moraux >>, nobles et proches des autres.Alors que ce type de projection peut aisément se faire surn'importe quelle idéologie.

Existe-t-il une << pédagogie blonche >> ?

La douce violence

Les moyens de répression du vivant chez I'enfant ne sontpas toujours liés à des mauvais traitements extérieurementtangibles. On peut le constater avec I'exemple d'une familledont j'ai pu suivre I'histoire sur plusieurs générations.

A la fin du XIXe siècle, un jeune missionnaire se renditevec sa femme en Afrique pour convertir au christianismelcs adeptes d'autres croyances. Il réussit à se débarrasserainsi de ses doutes sur la foi, qui I'avaient torturé toute saJcunesse. Enfin, il était devenu, lui, un véritable chrétienqui employait toutes ses forces à tenter de rallier à sa foid'autres hommes, comme I'avait fait jadis son père. Cecouple eut dix enfants, dont huit furent envoyés en Europedès qu'ils eurent atteint l'âge scolaire. L'un de ces enfantsétait le père de Monsieur A., et il ne cessait de répéter à;on fils, enfant unique, la chance qu'il avait de grandir àla maison. Lui-même n'avait pu revoir ses parents quelorsqu'il avait trente ans. Très anxieux, il avait attenduces parents inconnus à la gare, et il ne les avait effectivementpo$ reconnus. Il avait souvent raconté cette scène, sanslrlstesse particulière, plutôt en souriant. Monsieur A.décrivait son père comme un homme gentil, affectueux,plcin de compréhension, reconnaissant, heureux et profon-dérnent pieux. Tous les parents et amis admiraient égale-nrcnt ces qualités en lui et, a priori, on ne voyait pas cequi pouvait expliquer qu'avec un aussi bon père, le filsroul'frît d'une grave névrose obsessionnelle.

Monsieur A. luttait depuis son enfance contre des penséesttbscssionnelles aliénantes à caractère agressif, mais n'étaitprutiquement pas en mesure de vivre des sentimentsd'irritation ni de mécontentement, sans parler de colère nide l'ureur, comme réactions adéquates à un quelconquerel'us. Il souffrait également depuis son enfance de n'avoir

ll4 C'est pour ton bien

pas < hérité > de la piété << sereine, naturelle et tranquille >de son père, s'efforçait d'y parvenir par Ia lecture dé textesreligieux, mais en était constammènt empêché par despensées << mauvaises D, parce que critiques, qui déclen_chaient en lui une peur panique. Il fallut très longtempspour que Monsieur A. réussisse, dans le cadre de sônanalyse, à formulei pour la première fois une critique sanséprouver le besoin de la déguiser sous la foime dephantasmes angoissants pour ensuite s'en défendre. Il yfut aidé par le fait que son fils entra juste à ce moment-lâdans un mouvement d'étudiants maixistes. Monsieur A.n'eut alors aucune difficulté à découvrir chez son fils lescontradictions, les limites et les intolérances de cetteidéolo€ie, ce qui lui permit ensuite de porter également unregard critique sur la psychanalyse en tànt que o religion >de son analyste. Au cours des diverses phasès du traisfert,le caractère dramatique de sa relation au père apparut déplus en plus nettement dans son expérience uêôue. Lesdéceptions se multiplièrent quant aux idéologies de certainspersonnages, idéologies dont la fonction de défense sedévoila de plus en plus. De violents affects de révolteéclatèrent contre toutes les mystifications possibles. unefois éveillée, la colère de I'enfant grugê le conduisitfinalement au doute vis-à-vis de touteJ les religions et detortes les idéologies politiques. Les obsessions diminuèrent,tnail elles ne disparurent totalement que lorsque ..isentiments purent être ressentis en liaison àvec le père qu,ilavait connu dans son enfance et qui était moit deiuislongtemps, mais qu'il avait intériorisé.

Dès lors, Monsieur A. vécut constamment dans sonanalyse la colère impuissante contre I'incroyable limitationlr r:l existence qui avait résulté de I'attitude de son père.pu-fait même que celui-ci étaft gentil, bon et reconnaisiant,il fallait ne rien demander, ne p:rs verser de larmes,toujours voir le < côté positif >> des choses, ne pas exercerde critique, ne jamais être mécontent et toujouis penser àceu( pour qui tout allait encore << beaucoup plus mal. >>

Les sentiments jusqu'alors inconnus de la révolte, firentdécouvrir à A. I'espace confiné de son enfance, d'où ilfallait bannir tout ce qui ne s'inscrivait pas dans cet univers

Existe-t-il une << pédagogie blanche >> I 15

( rayonnant )) et pieux. Et ce fut seulement une fois qu'ilett réussi à vivre intérieurement cette révolte (qu'il avaitd'abord dû dissocier de son moi et projeter sur son proprefils, pour la combattre en lui) et à en parler, qu'il découvritI'autre côté de la personnalité de son père. C'est dans sacolère et dans son propre deuil qu'il le découvrit ; personnen'aurait pu le lui faire découvrir, parce que ce côté fragiledu père ne s'était installé que dans le psychisme de sonfils, dans sa névrose obsessionnelle, il y avait atrocementrégné et avait paralysé le fils pendant quarante-deux ans.Par sa maladie, le fils contribuait à entretenir la piété dupère.

A partir du moment où A. eut retrouvé le mode desensibilité de son enfance, il put également éprouver cequ'avait ressenti I'enfant qui avait été son père. Il se

demanda : comment mon père a-t-il pu surmonter le faitque ses parents se soient séparés de huit enfants et lesaient envoyés si loin, sans jamais venir les voir, pourprêcher en Afrique I'amour du prochain ? N'aurait-il pasdt douter de cet amour et du sens d'une pareille activitéqui exige en même temps la cruauté vis-à-vis de ses propresenfants ? Mais, en fait, il n'avait pas le droit de douter,ninon la pieuse et sévère tante à qui il avait été confié nel'aurait pas gardé auprès d'elle. Et que peut faire, toutrcul, un petit enfant de six ans dont les parents vivent àdes milliers de kilomètres ? Il doit croire à ce Dieu quidemande des sacrifices aussi incompréhensibles (moyennantquoi ses parents sont de fidèles serviteurs d'une bonnecause), il doit devenir quelqu'un de pieux et de serein,pour se faire aimer, et pour parvenir à survivre, il doit se

nrontrer satisfait, reconnaissant, etc., avoir un caractèrel'ucile et rieur, pour ne fatiguer ni gêner personne.

Lorsque celui qui s'est développé ainsi devient père àron tour, il se heurte à des phénomènes qui risquentd'ébranler tout cet édifice péniblement élaboré : il a souslcs yeux un enfant vivant, il voit comment est véritablementl'ait un être, comment il pourrait être, si on ne l'enempêchait pas. Mais ses propres angoisses interviennentulors : il ne le faut pas. Si on laissait I'enfant vivre telqu'il est, cela ne signifierait-il pas que ses propres sacrifices

I 16 C'est pôur ton bien

et sa propre négation de soi n'étaient pas nécessaires ? Sepourrait-il qu'un enfant se développe à son avantage sansla contrainte de I'obéissance, la répression de la volonté,et la lutte contre le caprice et l'égoïsme préconisée depuisdes siècles ? Les parents ne peuvent pas admettre de tellespensées ; sinon ils sombreraient dans le plus profonddésarroi et perdraient pied eux-mêmes, privés du soutiende I'idéologie traditionnelle selon laquelle la répression etla manipulation du vivant constituent des valeurs suprêmes.Et c'est ainsi que les choses s'étaient effectivement passéespour le père de Monsieur A.*

Déjà, chez le nourrisson, il avait essayé de parvenir àun contrôle absolu de toutes les fonctions naturelles, et ilavait obtenu une intériorisation très précoce de ce contrôle.Il avait aidé la mère à éduquer I'enfant à la propreté, ilavait appris à l'enfant à attendre << gentiment >> qu'on luidonne à manger en le distrayant de manière à ce queles prescriptions concernant le rythme des repas soientparfaitement respectées. Tout petit, quand Monsieur A.n'aimait pas quelque chose, à table, qu'il mangeait trop<< goulûment > ou se tenait < mal ), on I'envoyait aucoin, et il devait regarder son père et sa mère terminertranquillement leur repas. Il faut croire que celui qui étaitau coin, c'était I'enfant envoyé en Europe, et qu'il sedemandait toujours quels péchés il avait bien pu commettrepour être ainsi éloigné de ses chers parents.

Monsieur A. ne se souvenait pas d'avoir jamais été battupar son père. Néanmoins, sans le vouloir et sans le savoir,le père procédait avec son enfant de la même façon cruelledont il avait usé avec I'enfant qui était en lui pour en faireun << enfant heureux >. Il avait systématiquement tout faitpour tuer tout ce qu'il y avait de vivant chez son premierenfant. Si le résidu vital ne s'était pas réfugié dans lanévrose obsessionnelle pour crier de là sa misère, ce filsaurait véritablement été psychiquement mort, car il n'était

* La mère avait également été élevée dans cette idéologie ; mais jeme limite au portrait du père, parce que le doute et en même temps lebesoin compulsionnel de croire jouent ici un rôle particulier, et aussiparce que cette problématique était essentiellement liée à la personnedu père.

Existe't-il une << pédagogie blanche >> ll7

en fait que I'ombre de l'autre, n'avait pas de besoinspropres, ne connaissait plus aucune émotion spontanée, et

ne vivait que le vide de la dépression et I'angoisse de ses

obsessions. C'est seulement dans le cadre de I'analyse, à

quarante-deux ans, qu'il découvrit I'enfant curieux, éveillé'intelligent et plein d'humour qu'il avait été et qui, pour lapremière fois, prenait vie en lui et suscitait des forces

ôréatrices. Monsieur A. se rendit compte avec le temps

d'une part que ses plus graves symptômes résultaient de larépresslon des principaux éléments vitaux de son moi,d'àutre part qu'ils reflétaient les conflits inconscients et

refoulés de son père. Les obsessions torturantes du filstrahissaient la fragilité de la foi du père et ses doutes non

vécus et rejetés. Si ce dernier avait su les vivre consciem-

ment, les exprimer et les intégrer, son fils aurait eu une

chance de grandir sans cette entrave, et de vivre plus tôtet sans I'aide de I'analyse sa propre vie dans toute sa

richesse.

C'est l'éducateuret non I'enfantqui a besoin de la Pédagogie.

Le lecteur aura compris depuis longtemps qu'en fait les

< principes > de la < pédagogie noire >> sous-tendent toutela pédagogie, si bien voilés qu'ils puissent être aujourd'hui'Étànt donné que des ouvrages comme celui d'Ekkehardvon Braunmtihl dénoncent très bien I'absurdité et la cruautéde la doctrine de l'éducation dans la vie actuelle, je

crois pouvoir me contenter d'y renvoyer le lecteur (cf'bibliographie). Si j'ai plus de difficulté que lui à partager

son optimisme, cela provient sans doute de ce que I'idéalisa-tion de leur propre enfance par les parents me paraît unobstacle inconscient énorme à leur processus d'apprentis-sage.

Ma position antipédagogique n'est pas non plus orientéecontre un certain type d'éducation mais contre l'éducationen soi, même lorsqu'elle est anti-autoritaire. Et cette

l18 C'est pour ton bien

attitude repose sur des expériences que je relaterai plustard. Pour commencer, je voudrais souligner qu,elle n,arien en commun avec l'optimisme rousseauiste dô la bonne(( nature >> humaine.

, D'abord, je ne vois pas I'enfant grandir dans une entitéabstraite qui serait la < nature >, mais dans I'environne-ment concret de ses personnes de référence, dont I'incon-scient exerce une influence considérable sur ion développe-ment.

- Ensuite, la pédagogie de Rousseau est manipulatrice au

plus haut degré. Il semble bien que parmi les pédagogueson ne s'en soit pas toujours rendu compte, maii BttcetrarAvon Braunmùhl l,a étudié et prouvé de façon très péné_trante. Parmi les nombreux exemples qu'il donne, je citeraile passage suivant tiré d,Émile ou pei'éducation l.

Prenez une route opposée à celle de votre élève ; qu,ilcroye toujours être le maître et que ce soit toujours vousqui le soyez. Il n'y a point d'aisujettissemeni si parfaitque celui qui garde I'apparence de la liberté; on ôaptiveainsi la volonté même. Le pauvre enfant qui ne sait iien,qui ne peut rien, qui ne connoit rien, n'esi_il pas à votrËmerci ? Ne disposez-vous pas, par rapport à iui, de toutce qui I'environne ? N,êtes-vouspas le maître de i'affectercomme il vous plaît ? Ses travaux, ses jeux, ses plaisirs,ses peines, tout n'est-il pas dans vos mains'sans qu,il lésache ? Sans doute, il ne doit faire que ce qu'il veut ; maisil ne doit vouloir que ce que vous vôulez qu'il furr. i if .idoit pas faire un pas que vous ne I'ayez prévu, il né doitpas ouvrir la bouche que vous ne sachiez ce qu,il va dire.(cité par Braunmiihl, p. 35 - Emile Livre II, p, 362, LaPléi'ade, (Euvres complètes, vol. IV).

Ma conviction de la nocivité de l'éducation repose surles constatations suivantes :

Tous les conseils pour l'éducation des enfants trahissentplus ou moins nettement des besoins de l,adulte, nombreuxet divers, dont la satisfaction n'est pas nécessaire audéveloppement de I'enfant et de ce qu'i1 y.a de vivant enlui, et par sucroît I'entrave. Cela vaut mème pour les caS

Existe-t-il une << pédagogie blanche >> l19

où I'adulte est sincèrement persuadé d'agir dans l'intérêtde I'enfant.

Parmi ces besoins, il faut compter : premièrement, lebesoin inconscient de reporter sur un autre les humiliationsque I'on a soi-même subies dans le passé ; deuxièmement,le besoin de trouver un exutoire aux affects refoulés;troisièmement, celui de posséder un objet vivant disponibleet manipulable : quatrièmement, celui de conserver sapropre défense, c'est-à-dire de préserver I'idéalisation desa propre enfance et de ses propres parents, dans la mesureoir la valeur de ses propres principes d'éducation doitconfirmer celle des principes parentaux ; cinquièmement,la peur de la liberté ; sixièmement, la peur de la réémergencedu refoulé que l'on retrouve chez son propre enfant etqu'il faut à nouveau combattre chez lui, après I'avoir tuéen soi, septièmement et pour finir, la vengeance pour lessouffrances endurées. Etant donné que dans toute éduca-tion I'une de ces motivations intervient, elle est tout auplus bonne à faire de I'enfant un bon éducateur. Mais enaucun cas elle ne peut I'aider à accéder à la liberté de lavie. Quand on éduque un enfant, il apprend à éduquer.Quand on fait la morale à un enfant, il apprend à faire lamorale ; quand on le met en garde, il apprend à mettre engarde; quand on le gronde, il apprend à gronder, quandon se moque de lui, il apprend à se moquer, quand onI'humilie, il apprend à humilier, quand on tue son intério-rité, il apprend à tuer. Il n'a alors plus qu'à choisir quituer : lui-même, les autres, ou les deux.

Je ne veux pas dire pour autant que I'enfant puissegrandir à l'état complètement sauvage. Il a besoin, pourson développement, de respect de la part de sa personnede référence, de tolérance pour ses sentiments, de sensibilitéà ses besoins et à ses susceptibilités, du caractère authenti-que de la personnalité de ses parents, dont c'est la propreliberté - et non des considérations éducatives - quiimpose des limites naturelles à l'enfant.

C'est précisément ce dernier point qui crée de grossesdifficultés aux parents et aux éducateurs, et ce pour lesraisons suivantes :

120 C'est pour ton bien

l. Lorsque des parents ont dû appprendre très tôt dansleur existence à ignorer leurs propres sentiments, à ne pasles prendre au sérieux, à les mépriser même et à s'enmoguer, il leur manque un sens essentiel dans les rapportsavec leurs enfants. Pour y suppléer, ils recourent à desprincipes d'éducation qui sont des espèces de prothèses.C'est ainsi qu'ils auront par exemple peur de manifesterleur tendresse, de crainte de gâter l'enfant, ou bien aucontraire, dans d'autres cas, ils dissimuleront derrière lequatrième commandement leur propre sentiment d'avoirété offensés.2. Des parents qui n'ont pas appris, quand ils étaientenfants, à ressentir leurs propres besoins et à défendreleurs propres intérêts, parce qu'on ne leur en avait paslaissé le droit, restent leur vie durant incapables des'orienter eux-mêmes, et ils en sont donc remis à des règlesd'éducation très strictes. Cette incapacité à s'orienterengendre malgré ces règles une très grande insécurité deI'enfant qui peut prendre indifféremment une tournuresadique ou masochiste. Nous allons en donner un exemple :un père qui a été dressé très tôt à obéir doit, dans certainscas, se montrer cruel et violent pour forcer son fils à obéir,parvenant ainsi à imposer pour la première fois de sa vieson besoin de respect. Mais ce comportement n'exclut pasque s'intercalent des périodes de comportement masochiste,au cours desquelles ce même père supporte tout, parcequ'il n'a jamais appris à défendre les limites de sa tolérance.Sous I'effet des sentiments de culpabilité qu'il éprouve àla suite de la correction injuste qu'il vient d'administrer,il se montre tout à coup inhabituellement permissif : iléveille ainsi I'inquiétude de l'enfant, qui ne supporte pasde ne pas savoir quel est le véritable visage de son père etadopte un comportement de plus en plus agressif etprovoquant pour I'amener à perdre patience. C'est ainsique I'enfant assume en définitive le rôle de partenairesadique qui remplace les grands-parerits, à la différenceque le père peut le dominer. Ce type de situations - danslesquelles << les choses sont allées trop loin >) - est utilisépar le pédagogue comme preuve supplémentaire de lanécessité de la discipline et de la punition.

Existel-il une << pédagttgie blanche >> l?l

3. Étant donné que l'enfant est souvent utilisé par ses

oarents comme 'îitiit"i ae

- lgur; Dropres parents'

^ rl

Lrt l'objet o'tn iittiià inrini de -désirs et d'espotrs

contradictoi'"' qoîît peut el au-clne façon satisfaire'

Dans les cas les pruï "xte*es'

la psychose' la toxicomante

ou le suicid. 'ontiËJiiîrtitti"tions' Mais bien souvent'

cette impuissance Ë"t*in" une-agressivité accrue qui con-

firme enco" uu*"'iàiî-aî--r'Ji"tateur la nécessité de

i'Ël':il:ï,iului'i; situation 1-"-"1:u"' dans Ie cadre de

l'éducation n antilaultoîi'ï" o des aniées soixante' lorsque

des enfants sont d;;;Àà adopterun certain comportement'

sue leurs paren;ï;; îàit'*"ttaité pour eux-mêmes"et

o u' ils considèreni aË ce iait comme généralement souhalta-

bte. Penda"t t''ilot"it'-iétituuies besoins de I'enfant

peuvent et'" "o*ii#;ttt ignorés"b;;; un cas oue j'ai

connu' on "ntouluu'Jài.pi;

;;;it-'n malheureux enfant

à casser t'n ut"t]-àà'i' u" *o*""]J- ou toot ce dont il

aurair rêve etaiiT.îil;;ili:^lï r"no* de sa- mere'

Lorsque des e"funis *Ë tt"tt"t ainsi perpétuellement incom-

oris et *unipurel"'ii,;Àï".îaunr unïesarroi qui entraîne

une agressivité comprenensrore' 'ralement répandue, et

,"**"t:iîil, iJ i#'!f,ff i;- ;' vois pas que'e

sienificatio" po'iii* ïi no"îtài11'oiutt au terme << éduca-

tion r>. Je n'r"'i;;t:';'u';" déftttt" des adultes' une

manipulatio' oo,lie.oËoo*.a t.or'piopt. insécurité et à

leur propre uu'J'îttâî-t[itte'.qte je peux certes compren-

dre mais oo"t it *îoi' nas'ig"orer-les dangers' Je peux

;4 ;;'1Ilr'îff î*îji ii: lhr**'u1'Til:T'?":1 iÏPrison, mals nvie en pnson' Oui 1'91t u"t-",

^1"" sur t'adaptation' la

soumission rt ïu=oir.iprine, pu-issent véritablement cont'-

buer à r'epuniîiJ"*i;';Y oetenu' Il v a dans le mot

<éducation"ïï:;":;''!;lli*gÏ'":"tïîXf,ffi l;lÏ-,i:*: Xï' J*'ï:,t'i\f i:i'â:"*#"*1;1 Mio re

rcnoncement t'o"ïete à toute maniputation et à la'représen-

tation de ces ;Ë;;ù;;; sienifie pas que l'o-n abandonne

l'enfant à t"i-;i;;' è"t rtii"nt â besoin d'être accompa-

122 C'est pour ton bien

gné physiquement et moralement par un adulte, il en abesoin à un très haut degré. Pour que cet accompagnementpermette à I'enfant de se développer pleinement, il fautqu'il présente les caractéristiques suivantes :

l. Respect de I'enfant ;2. Respect de ses droits ;

3. Tolérance pour ses sentiments ;4. Volonté de tirer de son comportement un enseignementsur :

a) la nature de cet enfant en particulier ;b) leur propre nature d'enfants, qui permette aux parents

un véritable travail du deuil ;c) sur les lois de la sensibilité, qui apparaissent bien

plus nettement chez I'enfant que chez I'adulte, parce queI'enfant vit ses sentiments de façon bien plus intense et,dans les meilleurs des cas, de façon bien plus directe queI'adulte.

Les expériences de la nouvelle génération prouvent quecette disponibilité est possible même chez les êtres qui ontété eux-mêmes victimes de l'éducation.

Toutefois, on ne peut pas espérer que la libération decontraintes séculaires s'opère en I'espace d'une génération.L'idée qu'en tant que parents, nous puissions apprendrede chaque enfant qui naît davantage sur les lois de la vieque nous n'avons appris de nos propres parents, paraîtrasans doute absurde et ridicule à beaucoup de personnesd'un certain âge. Mais même chez les jeunes, elle peutsusciter une certaine méfiance, car beaucoup d'entre euxont été plongés dans I'insécurité par un mélange delittérature psychologique et de < pédagogie noire > intério-risée. C'est ainsi qu'un père intelligent et très sensible medemanda par exemple si ce n'était pas abuser de I'enfantqu'espérer en tirer un enseignement. Venant d'un hommené en 1942, qui avait par ailleurs surmonté de très loin lestabous de sa génération, cette question me fit mesurer àquel point il fallait prendre garde, dès I'instant où I'onécrit sur la psychologie, aux risques d'interprétationserronées et d'insécurité supplémentaire.

Le désir sincère de tirer un enseignement de I'enfantpeut-il être un abus ? Sans ouverture à ce que I'autre nous

Existe-t-il une << pédogogie blanche >> 123

communique, il n'y a guère. de véritable affection possible'

Nous avons besoin d""t;;t comment s'articule la person-

nalité de l'enfant p""t it*"ir le comprendre' le soutentr

et l'aimer. p'un uuiË JotJ' i'tnrunt'a besoin de sa liberté

de mouvem.nt po"i"plîîàii u'tituttt sa personnalité de

façon adéquate' II i"iY;dî1t iLd'un décalase entre cles

buts et des moyenr,'ïîirî,i ot d,un processus dialogique

et dialectiqrre' o"';;;J tt écoutant' et I'on écoute

î: "î,â;

;i.* :':"' ;;, 1#iï** ;f*ii:I.#liiiï,|,i:'iT|lT"ïJi."'ii*-11ri:-':',ïl:l'î,:h;i''?besoin d,une ..r,Jin'.- Lmpathie avec lui' et l'empathte

ausmente avec. ce iti rt"îï'{*i:j"t lui' L'attitude de

ieiu.u,.u,'.li::f,Ïi5gii?:::f;',1;:ïSJd;i;:"i:ffi:i"i Xiii:ii;'i J" ii,ffi i:ii:'1j, *'i'#1;#X"l'enfant d'articulei-librement sa personnalité et manque en

même temps ro"iii"ioî^ à'^"ppràtore' c'est indiscutable-

ment un "uu"ooiJniînôtonî"itt' non seulement commrs

à l'égard 0., "nrJii"'ï;;;;î 'i't'on v regarde deplus

;,il ;;;i;"1 " çg:ff :nm**i:îi Xii''ifriT.i;

:iin*': J i JfJïËi: Ji' i" "i'i..""'.i emment r es so rti r

.Ë^à";iû ont alors suPPorté' . r-Les ouvragr, ;;ilid*àgiques -(par

ex' celui d'E' von

Braunmtihl) pt"u"ti apiorter une -aide

considérable aux

ieunes parents' ;'ilt t;^sont pas considérés comme une

< éducation à t'alt-J'etre parents >' rnais cornme un apport

d,informatio.r rôpfèmentai'", -t'rl.'-ttttottagement à de

nouvelles,*pe'iiu#iiï.;;; libération permettant un

uiPt"ntissage sans Préjugés'

Le dernier actedu drame muet :le monde reste épouvanté

Introduction

Il n'est pas facile de parler des mauvais traitementsinfligés aux enfants sans tomber dans un discours moralisa-teur. La révolte contre I'adulte qui bat I'enfant et la pitiépour I'enfant sans dét'ense sont tellement naturelles que, sigrande que soit la connaissance de la nature humaine, onest toujours tenté de juger et de condamner I'adulte poursa brutalité et pour sa cruauté. Mais où a-t-on vu ces deuxhommes exclusivement bons, alors que les autres seraientexclusivement mauvais ? Le fait qu'un individu maltraiteses enfants ne provient pas tant de son caractère et de sonnaturel que du fait qu'il a été lui-même maltraité dans sonenfance, et qu'il n'a pas pu se défendre. Il y a d'innombra-bles êtres qui, à l'instar du père de Monsieur A., sontgentils, affectueux et très sensibles et qui infligent quoti-diennement à leurs enfants des traitements cruels, au nomde ce qu'ils appellent l'éducation. Tant que les châtimentscorporels étaient considérés comme nécessaires et utilescette cruauté étart légitimée. Aujourd'hui ces êtres souf-frent, lorsque, par un besoin compulsionnel et un désespoirincompréhensible, << la main leur a échappé >> et qu'ils ontgrondé, humilié ou battu I'enfant, qu'ils voient ses larmeset sentent en même temps qu'ils ne pouvaient pas faireautrement et que ce sera pareil la prochaine fois. Et leschoses doivent nécessairement se reproduire ainsi tant queI'histoire de leur propre enfance demeure idéalisée.

Paul Klee est connu comme le merveilleux peintre detableaux extrêmement poétiques. Le fait qu'il y a'ùait aussiun autre aspect de sa personnalité, son unique enfant futpeut-être seul à le savoir. Le fils du peintre, Felix Klee,aujourd'hui âgé de soixante-douze ans, a pu dire à unjournaliste qui I'interviewait (Briickenbauer 29 février1980) : < Il avait deux visages, il plaisantait volontiers,mais dans l'éducation, il pouvait aussi jouer énergiquement

128 C'est pour ton bien

du bâton. > Paul Klee, a fabriqué apparemment pour sonfils de merveilleuses marionnettes dont trente ont étéconservées. Et le fils rapporte : << Dans notre petit apparte-ment, papa montait le théâtre dans I'embrasure de laporte. Quand j'étais à l'école, il avouait lui-même qu'iljouait quelquefois pour les chats... >> Toutefois le père nejouait pas seulement pour les chats, il jouait aussi pourson fils. Comment celui-ci lui en aurait-il voulu des coups ?

J'ai donné cet exemple pour aider le lecteur à se dégagerdes clichés des bons et des mauvais parents. Il y a desrnilliers de formes de cruauté que I'on ne connaît pasencore, parce que I'on ne s'est guère penchéjusqu'à présentsur les souffrances de I'enfant ni sur leurs conséquences.

C'est à ces conséquences qu'est consacrée cette partiede notre ouvrage. Les principales étapes de la vie de laplupart des êtres consistent à :

l. subir dans sa petite enfance des offenses que personnene considère comme telles ;2. ne pas réagir à la douleur par la colère ;3. manifester de la reconnaissance pour ces prétendusbienfaits ;

4. tout oublier ;5. à l'âge adulte, décharger sur les autres la colère queI'on a accumulée ou la retourner contre soi-même.

La plus grande cruauté que I'on inflige aux enfantsréside dans le fait qu'on leur interdit d'exprimer leur colèreou leur souffrance, sous peine de risquer de perdre I'amouret I'affection de leurs parents. Cette colère de la petiteenfance s'accumule donc dans I'inconscient, et comme ellereprésente dans le fond un très sain potentiel d'énergievitale, il faut que le sujet dépense une énergie égale pourle maintenir refoulé. Il n'est pas rare que l'éducation quia réussi à étouffer le vivant, pour épargner les parents,conduise au suicide ou à un degré de toxicomanie quiéquivaut à un suicide. Lorsque la drogue a servi à comblerle vide créé par le refoulement des sentiments et ltaliénationdu soi, la cure de désintoxication fait réapparaître ce vide.Et Iorsque la cure de désintoxication ne s'accompagne pas

Introduction 129

d'une récupération des facultés de vie on peut s'attendre à

des rechutês. Christiane F., qui s'exprime dans I'ouvrage

Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée"' nous

montre très clairement le tragique bouleversant de ce type

de vie.

La guerre d'exterminationcontre son propre moi

L'occasion manquée de la puberté

Avec leurs multiples moyens de domination, les parentsréussissent généralement à dresser le petit enfant de tellesorte que, jusqu'à la puberté, il ne leur pose pas deproblèmes. Le << refroidissement >> des sentiments et despulsions dans la période de latence répond à ce désird'enfant qui ne pose pas de problème. Dans l'ouvrage Dergoldene Kiifiç (La cage dorée) de Hilda Bruch, les parentsde filles anorexiques expliquent à quel point leurs enfantsétaient douées, épanouies, sages, adaptées et pleinesd'égards ; ils disent qu'elles réussissaient, et ils ne compren-nent pas ce brusque changement. Ils se retrouvent complète-ment désemparés devant une adolescente qui semble rejetertoutes les normes et dont le comportement autodestructeuréchappe aussi bien à tous les arguments logiques qu'auxraffinements de la < pédagogie noire. >>

Au moment de la puberté, I'adolescent se trouve con-fronté, bien souvent de façon tout à fait inattendue, àI'intensité de ses véritables sentiments, alors qu'il avait puréussir à les tenir à l'écart durant la période de latence.Avec I'explosion de sa croissance biologique, ces sentiments(fureur, révolte, amour, désirs sexuels, fanatisme, joie,émerveillement, deuil) veulent être pleinement vécus, maiss'ils l'étaient cela risquerait le plus souvent de compromettrela santé psychique des parents. Un adolescent qui exprime-rait ses véritables sentiments à l'état brut courrait le risqued'être emprisonné comme terroriste dangereux ou enfermédans un hôpital psychiatrique. Dans notre société le Hamletde Shakespeare et le Werther de Goethe ne pourraient sansdoute finir qu'en hôpital psychiatrique, et Karl Moorcourrait un risque analogue. C'est ainsi que le toxicomanetente de s'adapter à la société, en luttant contre ses

132 C'est pour ton bien

véritables sentiments i mais comme dans la tempête de la119::f ll ne peur pas se passer toui à rait J;euçîi.ii.r,"a retrouver ses émotions par l,intermédiaiie Je,tu à^.'ô.,ce à quoi il semble réusiir _;;; au moins au débur.Mais la position de ra société, ;;it" conserver ses droits :vivre des sentiments- int.nr., .T uioi.nr, conduit au mépris,à I'isolemeot, au.rejer, ; à;;;;; d. morr, c,est_à_dire, enun mot, à I'autodestruction.

. I,a nostalgie du rn.oi_ véritable, qui est à vrai direégalement justifiée et vitalemeni-ne..rruir", est sanctionnéepar le drogué lui_même, Oe ta Àème manière que lespremières émotions vitarês de la -

prri,. enfance ont étéjadis sanctionnées - par le meurtre du vivant. presquetous les héroïnomanes. racontent qu,ils ont vécu au départdes sentiments d'une int"nriieluôido^ inconnue. Et laplatitude et le vide de leur ui. Ë-o-JÀnere habituete reurdevient d'autant plus consci.rt.l^"""'

Etant donné qu.,ils n.. pauu*t pas se représenter, eu€cela soit également.possible sans n?iàin., ils épro.vent Iebesoin compréhensiùe oe ralàr..'i;._périence. Car dansces états exceptionnels, le jeune fro-_. vit ce qu,il auraitpu être, il entre en contact avec son moi, et cette rencontrene lui laisse bien évidemment pl;;;;un repos. Il ne peurplus << faire > sa vie a .otJ àJ,onËi, en quelque sortecomme si ce dernie-r_n,avait jamais ÈJe. '

*1it a?ràr.ài,que ce moi existe. Mais en même tr.p, il sait ;ô;il,;plus tendre enfance que ce moi véritabi. n,u aucune chancede survie. Il fait donc un compromis avec son destin : ilrencontrera de temos en temps ion moi, sans que personnele sache. II ne faui -êTg t;; a;; luj_^e_, le sache, carc.'est- l^a << drogue , .g1rj r.'.. rujir,l,effet < provient deI'extérieur > il est Oifflgife a-

"ùj.iri., il ne sera jamaisintégré comme une partie .qnrtidti*'du moi, le sujet nepourra ni ne devra jamais assumer la responsabilité de cessentiments' c'est ce que prouve son état dans les intervalresentre.deux injections : àpathie totuf.,- léthargie, vide ouleitltjon er angoisse - Ë ,r* J"Ër, comme un rêveoublié, qui ne neut pas avoir ta ,ioinor. influence surI'ensemble de I'existence.

<< La guerre d'extermination contre son propre moi >> 133

Même la dépendance d'une obsession absurde a sonhistoire. Étant donné qu'elle a sous-tendu l'ensemble deI'existence, dès ses tout premiers temps, le sujet ne laremarque presque pas. Une jeune femme de vingt-quatreans, héroïnomane depuis I'âge de seize ans, parle devantune caméra de télévision de la manière de se procurer dela drogue en faisant le trottoir, et de la nécessité d'avoirde la drogue pour << pouvoir supporter ces animaux >. Ellea un accent parfaitement authentique et tout ce qu'elle ditsemble proche et compréhensible. Seul le naturel aveclequel elle présente ce cercle vicieux comme la seule formede vie possible nous fait dresser I'oreille. Manifestement,cette femme ne peut se représenter absolument aucuneautre forme de vie, indépendante de ce cercle vicieux,parce qu'elle n'a jamais vécu quoi que ce soit qui ressembleà un libre choix. La vie sous I'emprise d'une obsessiondestructrice est la seule forme de vie qu'elle ait jamaisconnue, et elle ne peut donc pas se rendre compte de sonabsurdité. Nous ne serons pas étonnés de constater que

- comme bien souvent chez les toxicomanes - les deuxfigures parentales demeurent idéalisées. C'est la jeunefemme elle-même qui se sent coupable d'être si faible, defaire si terriblement honte à ses parents, et de les avoirtellement déçus. Elle semble également penser que << lasociété est coupable > - ce qui n'est bien évidemment pascontestable. Mais le véritable drame, le conflit entre lanostalgie du moi véritable et la nécessité de s'adapter auxbesoins des parents, n'est pas vécu, tant que le sujet veutprotéger ses parents de ses propres reproches. Ce drameapparaît très clairement par exemple au travers du récitque fait Christiane F. de sa vie.

Ouête et destruction du moi par la drogue(La vie de Christiane F.)

Christiane F. passa les six premières années de sa vie àla campagne où elle était toute la journée à la ferme,nourrissait le bétail et s'amusait << avec les autres dans lefoin. > Ensuite, la famille alla s'installer à Berlin, où elle

134 C'est pour ton bien

vécut avec ses parents et sa sæur cadette dans un deux/troispièces au onzième étage d,un in''n.uUie de la cité G;il;;:La perte brutale de I'environn..."i campagnard, descamarades de jeu habituels et de la liberté oè Àouuémentque I'on a à la campagne est en elle_même urr.r-pÈniÉ].pour un enfant ; elle-esr d,autanr plus tragiqur quu"iiiààitvivre tout cela dans ra solitude rt r'utt.na.r.onrtu*.n.niâdes coups et à des punitions arbitraiÀ et imprévisibles,

Grâce à mes bêtes, je serais assez heureuse si ça n,allaitpas de r.na] en pis ave_c mon père. Ma mère truuàiilà.iî,il reste à la maison. Le projàt d,agence matrimoniale esttombé à l,eau. Mon père àttend -qu'on f"i piàpÀ" ,ïboulot à sa convenancè. Il p"rr" r"Ëlournées;.;ir-;;.î

vieux divan râpé et il attenâ. Et ses èxplosions de fureurdeviennent de plus en plus fréquentes.Le soir, en rentrant de son travail, ma mère m,aide à fairemes devoirs. pendant un certain iemps, j,ai eu du ;;i-;distinguer la lettre H de la lettre K. ùa mère .,."pfiqur,avec une patience.d'ange. Mais je l,écoute à peine,'cai-jevois monter la colère dè mon pèie. Je connais la suite : ilva chercher Ia balayette dans là cuisine et me tape dessus.lpt:, il faut que je lui dise la différence enrre te H et leK. B-i9n entendu, je mélange tout, jlai droit à ";t];;;supplémentaire et on m'envbie uu iii.Telle est sa manière de m'aider à faire mes devoirs. Il veutque je sois bonne élèvc, que je devienne << quelqu,un. >>Après tout, son grand-pèie avait beâucoup d,argent, ilpossédait même une imprimerie et un journal, entre auties.Ap.es Ia guerre, jf3 eie exproprié p"i fu n.o.À. (CA;;er Allemagne de I'Est).- Alors mon ièr. "rt

furieux quunOil pense que ça ne marche pas bien f iecote.

Je me souviens encore aujourd'hui de certaines soiréesdans leurs moindres détails. Un. ioir, t. devoir .onri.-,"iià dessiner des maisons sur le cahier de calcul : six carreauxde -large, quatre de haut. J'en ai-fâit une et l;;;parfaitement comment m'y prendre. Soudain, *on pjr.s'asseoit à côté de moi. ti me aemana. a,ot à "; ;;i;aller la prochaine maisonnerre. lài li p"u, qu" l" ;;compte plus les carreaux,- je réponds au hàsarA.ô;.dl;me trompe, je reçois une baffe. Bientôt, tout en larmes- iesurs rncapable de formuler la moindre réponse. Alors ii se

<< La guerre d'extermination contre son propre moi >> 135

lève, se dirige vers le caoutchouc. Je sais ce que celasignifie. Il prend le bambou qui sert de tuteur au caoutchoucet hop, sur mon derrière, jusqu'à ce que j'aie les fesses àvif.Je commence à trembler dès qu'on se met à table. Si jefais une saleté c'est un drame, si je renverse quelque chosegare à mes fesses. C'est à peine si j'ose toucher mon verrede lait. J'ai si peur qu'il m'arrive un malheur à chaquerepas, ou presque.Tous les soirs, je demande très gentiment à mon père s'ilva sortir. Il sort souvent et nous, les trois femmes, on respirealors un bon coup. Ces soirées-là sont merveilleusementpaisibles. A son retour, il est vrai, il arrive que les chosesse gâtent. La plupart du temps, il a bu. Au moindreprétexte - par exemple des jouets ou des vêtements malrangés -, c'est l'explosion. Une des formules favorites demon père, c'est que I'important dans la vie est d'avoir deI'ordre. Et si, rentrant au beau milieu de la nuit, il estimeque mes affaires sont en désordre, il me tire du lit et meflanque une raclée. Après, c'est au tour de ma petite sæur.Ensuite il jette toutes nos affaires par terre et nous donnecinq minutes pour tout ranger impeccablement. En généralnous n'y arrivons pas et les coups pleuvent à nouveau.La plupart du temps, ma mère assiste à la scène, deboutau seuil de la porte, en pleurant. Il est rare qu'elle oseprendre notre défense car il la bat, elle aussi. Seule Ajax,ma chienne s'interpose souvent. Elle se met à gémir, leregard plein de tristesse. C'est encore elle qui sait le mieuxramener notre père à la raison car, comme nous tous, ilaime les chiens. Il lui est arrivé d'engueuler Ajax, mais ilne I'a jamais frappée.Malgré tout, j'aime et je respecte mon père. Je le trouvede loin supérieur aux autres. J'ai peur de lui, mais soncomportement me paraît somme toute normal. Les autresenfants de la cité Gropius ne sont pas mieux lotis. Ils ontmême parfois des coquarts, et leur mère aussi. On trouvecertains pères gisant ivres morts dans la rue ou sur leterrain de jeux. Mon père à moi ne se saôule jamais à cepoint. On voit aussi, quelquefois, des meubles voler d'unefenêtre et s'écraser dans la rue, pendant que des femmescrient au secours et que quelqu'un appelle la police. Cheznous, ça n'est donc pas si grave que ça.Mon père reproche constamment à ma mère de tropdépenser. Alors que c'est elle qui nous fait vivre. Parfois

136 C'est pour ton bien

elle riposte, elle lui dit que ses beuveries, ses femmes et ravoiture mangent le plus clair de notre argent. Alors ils enviennent aux mains,La voiture, la porsche, c,est ce que mon père aime le plusau monde. Il fastique tous les jours. C-,est sûremeni-iaseule porsche de la cité Gropius. fn tout cur, i"-n.^ïoi,pas d'autre chômeur roulant èn porsche.

A I'époque, bien,sûr, je ne comprenais pas ce qu,avaitmon père, ra raison de ses crijes répéiees. prus iaraseulement, quand j'ai commencé à en parler un piu pJussouvent avec. ma mère, j,ai pressenii t,e*ptcâtionl-ltn'était pas à la-hauteur, ràur simplement. if-eî"i, Jàï.àd'ambition, et. il ratait rout. Son pire te _eprlr"il aîàu."de cela. Grand-père avait mis *"1èr.

"n gàrO. àe, àu"otson mariage. Il quatifiair son fits de ""rri*.

-cË![;i1avait nourri pour-lui de grandes espérances , .;; ô;devait restaurer Ia famille dàns sa splendeur p"rrer, à;"i"niI'expropriarion. (p. 23.25.)... Mon væu Ie plus cher est de grandir vite, de deveniradulte, adulte coTryg mon père.

-D,exercer ur"i_.nt unpouvoir sur autrui. En attenàant, je mesure celui que jè

détiens. [...1Nous jouons presque tous les jours avec ma petite sæur.Au jeu que nous avons appris. Entre l,école d Ë;;i;;nous fouillons. celdriers

-e1 poubelles pour ramasser lesmégots. Nous les lissons du rèvers de la'main eiprf.-""ri

les fumons. euand ma sæur aemanàe a tir", "n.-ùàulÉînous lui tapons sur les doigts. Nous lui donnons nosordres : faire Ia vaiselle, palre, le chiffon a p""*ij..l

bref, effectuer les iâches mènagères dont nos p;il;;;;;ont chargées. Après quoi nous prenons nos poupées, nousenfermons la gamine dans I'appartement et nous allonsnous promener. Nous ne libérons Ia petite que quand ellea fini tout le rravail. G,.27_2g.)

Ch-ristiane, qui est souvent battue par son père pour desmotifs qui lui restent incompréh.rrriUt.r,'finit-;;;-;;comporter de telle sorte que ion père < ait une'bonnèraison de la battre. >> De ceite maniére elle le valo;is;;;ii;fait.du père injuste et imprévisible âu moins un peË àuipunit justement. c'est la seule possibilité qui r"i r.'rt. pJuisauver I'image du père aime èt idéalisé. -Eff,

"o.*-.n.,

<< La guerre d'extermination contre son propre moi >> 137

également à provoquer d'autres hommes pour faire égale-ment d'eux des pères punisseurs, d'abord le concierge, puisles professeurs et enfin, dans la phase de la drogue, lespoliciers. C'est un moyen de déplacer le conflit avec lepère sur d'autres personnes. Étant donné que Christianene peut pas parler de ces conflits avec son père, ni lesrègler avec lui, la haine originelle du père est refoulée dela conscience et accumulée dans l'inconscient. La lutte estmenée de façon substitutive avec les autres autoritésmasculines et, pour finir, toute la colère accumulée parI'enfant humilié, méprisé, incompris et abandonné à lasolitude se retourne vers le moi au travers de la toxicomanie.Dans la suite de son évolution, Christiane se fait subir àelle-même ce que son père lui a jadis fait subir : elledétruit systématiquement en elle toute dignité, manipule sasensibilité avec des drogues, se condamne à I'absence detoute expression verbale (cette enfant particulièrementdouée pour les langues) et à I'isolement, et ruine finalementaussi bien son corps que son esprit.

La description du monde de I'enfance de Christianeévoque parfois certaines descriptions de la vie dans lescamps de concentration, par exemple dans les scènessuivantes :

Évidemment, il s'agit en premier lieu d'embêter les autresenfants. On en attrape un, on I'enferme dans un ascenseur,et on appuie sur tous les boutons pendant qu'on immobiliseI'autre ascenseur. Le prisonnier est obligé d'aller jusqu'audernier étage, avec un arrêt à chaque étage. On m'a faitça assez souvent, de préférence quand je rentrais depromener ma chienne et que j'étais pressée de remonterpour ne pas être en retard au dîner. Ça durait un tempsfou jusqu'à ce qu'on arrive au onzième étage, et Ajaxs'énervait drôlement.Là où ça devenait dégueulasse, c'était de faire << le coupde I'ascenceur >> à un mômq qui a envie d'aller aux cabinets.En général, il n'arrive pas à se retenir. Mais ce qui étaitplus dégueulasse encore, c'était de prendre leur cuillère debois aux petits. La cuillère de bois est pour eux unaccessoire indispensable : son long manche leur permet

138 C'est pour ton bien

d'atteindre Ies boutons de I'ascenseur, sans elle, on estperdu, il ne reste qu'à grimper ses huit, neuf, dix ou onzeétages à pied. Car bien euiàemmeni L, urtrm enfants nevous aident pas, et les adultes pensent qu,on u.ut justes'amuser avec I'ascenseur et qu,on va te casse.. O.î:ii""-... Un après-midi, une dej souris file ,u, Ë-pJ6urcinterdite. Nous ne,la retrouvons pur. f. suis un ;J;;i;;mais je me console en pensant àu;.fi. est sûrement plusheureuse que dans une cage.Juste ce soir-rà, mon père vient dans notre chambre,regarde la

-cage à sourii et s,exclame I n Vui. elles nesont que deux ! Où est la troisième t'o l" n,ai aucunpressentiment tant sa quesrion À. purui, a.àf* Il-;;;jamais aimé les souris-et me dit touï i" temps de m,endébarrasser. Je lui expliqu" qu" dil; s,est sauvée duterrain de jeux.Mon père me regarde d'un air absolument dément. Jecomprends que d'ici trente secondes il ne se contrôleraplus. II se mer à hurler et à taper. J" ,ui, au lit. Coincée.Impossible de se sauve.r. Er il tup". Ii?u jurnd f;;;;;aussi fort, je pense qu'il va rn. tu.r. euana il se détournepour foncer sur ma sæur, je bondis initinctrvement vers Iafenêtre. Je crois que j'auiais sauré. D;;;zieme etage.--

-Mais mon père me rattrape et me jette ,ui t. Iit. Ma mère,pour chang€r, €st debout, en laimes, iu, f" seuil de laporte. Je ne la vois même pas. Je ne la vois qu" quunaelle se jette enrre mon père et moi. nif.lri tape dessus àcoups de poing.Mon père perd complètement les pédales. II traîne mamèr9 d.1n1 le couloir, sans arrêter de. Ia tabasser. Brusque-p:lt,- j'ai plus peur pour elle que pou,,ài. effe

"ssaiËêlui échapper et de s'ènfe.*", âunr-Ërali, a. bains. Maisil I'empoigne par les cheveux. a;;;;,;rs les soirs, dulinge rrempe dans la baignoire _ ;;; î,uuon, toujourspas de quoi nous payer une machine à laver. Mon pèreplonge la tête de ma mère dans fu Uuignoir. pleine d,eau.Je ne sais pas comment elle est ^;;;?;-; se dégager, sic'est mon père qui I'a lâchée ;" ;i ;iË slest libérée elle-même.

Mon père, livide, disparaît dans la salle de séjour. Mamère ouvre le pracard, prend son rnunt.àu et s,en va. Sansprononcer une parole.Elle reste I'un des moments les plus terribles de monexistence, cette minute où j'ai u, ,riu *aie partir, sans un

<< La guerre d'extermination contre son propre moi >> 139

mot, et nous laisser seules. Pendant quelques instants, jene suis capable de penser qu'à une chose : il va remettreça, recommencer à cogner. Mais rien ne bouge dans lasalle de séjour. Le seul son perceptible est celui de latélévision. (p.42.)

Personne ne peut sérieusement douter que les détenusd'un camp de concentration aient souffert des chosesépouvantables. Mais lorsqu'on nous parle de mauvaistraitements infligés à des enfants, nous réagissons defaçon étonnamment molle, et nous disons, suivant notreidéologie, (( c'est tout à fait normal, > ( il faut bien leséduquer )), ( cela se faisait à l'époque >>, << s'ils ne veulentrien entendre, il faut le leur faire sentir ), etc. J'ai entenduun jour un homme d'un certain âge raconter tout contentdans une petite assemblée que quand il était enfant samère le balançait au-dessus d'un feu de paille spécialementpréparé pour Ia circonstance : faire sécher son pantalon etlui faire passer I'habitude de mouiller sa culotte. ( Mamère était vraiment la meilleure personne que I'on puisseimaginer, mais c'était tout simplement la coutume cheznous à l'époque, ) ajoutait-il. Cette absence de sensibilitéaux souffrances que I'on a soi-même endurées dans sonenfance fait que I'on reste aussi étonnamment sourd auxsouffrances des autres enfants. Si ce qui m'a été fait, étaitnécessaire pour mon bien, ce traitement est à admettrecomme faisant partie intégrante de la vie, et il n'y a paslieu de le remettre en question.

Cette insensibilité prend sa source dans les mauvaistraitements que le sujet a lui-même subis et dont le souvenirpeut certes avoir été conservé, mais dont le contenuémotionnel, I'expérience profonde des coups et de I'humi-liation, a dû être dans la majorité des cas totalementrefoulé.

En cela réside toute la différence entre la torture d'unadulte et celle d'un enfant. Chez ce dernier, le moi n'estpas encore assez formé pour conserver une trace dans samémoire avec les sentiments qui s'y rattachent. On saitcertes - et même pas toujours - que l'on a été battu etque c'était pour votre bien - comme I'ont dit les parents -

l4O C'est pour ton bien

mais la souffrance résurtant de ce mauvais traitement restedans I'inconscient et empêche par la suite Ia sensibilité àla souffrance des autres. b'est ainsi que tes anciens enfantsbattus deviennent des pères "t

des -èies qui battent à reurtour leurs enfants, et parmi lesquels se recrutent égalementIes bourreaux, surveillants a"'"a.p, o. .on..ili;il;capos, gardiens de prisons et tortionnaires. Ils f;;d;;;;maltraitent et torturent p.ar besoin compulsion".r o. r6èlËiIeur propre histoire, et ils peuvent-Ë iàit. sans ra moindresympathie pour Ia victime parce qu,ils s,identifient i"nO;:lemenr à I'érément offensif. ces'ctiÀ ont été eux-mêmesbattus et humitiés si rôt qu'ils n'ottilâ.uis eu la p"*iuiiiiède ressentir consciemment en eux l,ènfant attaqué et sangdéfense, car cela aurait demandé ta p.esence a irur, ætJsd'une personne adurte qui leur raisaiiairaut. A ..ti. ,.riicondition I'enfant pourrait se vivre pour ce qu,il estréellement dans le moment, à savoir un ènfant faiËle, sangdéfense, battu et démuni,'et intéÀrer-..tt. partie de lui-même à son moi.

On pourrait théoriquement imaginer qu,un enfant aitété battu par son père mais qu'' aiiîu ensuite ater preurertout son. saoul auprès d'une tante, j"i ,u.àni* .. -qriiriétait. arrivé, et que cette tante n,ait pas essayé de faireoublier sa souffrance à I'enfant, ni à" :ustifie, t Ër;;';tqu'elle ait au contraire laissé à riévénement tout son poids,Mais il a rarement cette chance. I,e pa.t"naire conju;;i;;celui qui bat I'enfant est d'accoà- uu"" ses principesd'éducation ou en est lui-même uictim", en tout cas, il nepeut pas se faire I'avocat de I'enfant. Et Ia

" ;;rt";;;;liir^lT3inio_ns précédemment est une rare exception pourra Donne rarson que-fenfant ne peut guère ptus auoi. iàliberté intérieure qu'il rauoraii lour Ia rechercher etrecourir à elle. L'enfant préférerà prendre ,u, tui-i,.i-froyable isolement intérieui et re caàctere connict;"i ;;ses sentiments plutôt que de << moucharder > ses p*."ts.Les psychanalystes savent combien il peut ra'oiia'e1eÀpspour qu'entre autres choses Ie reprochè d'un enfan, ,riÀ"iidepuis trente, quarante, voire cinquànt. un, puisse êtreexprimé et vécu.

<< La guerre d'extermination contre son propre moî >> l4l

C'est entre autres choses aussi la raison pour laquelle lasituation d'un petit enfant qui subit de mauvais traitementsest pire et plus grave, quant aux conséquences qu'elle peutavoir pour la société, que la situation d'un adulte dans uncamp de concentration. Certes I'ancien détenu des campsse trouvera aussi dans des situations où il sentira qu'il nepourra jamais faire comprendre aux autres tout I'abîmede sa souffrance d'alors, et qu'on le regarde d'un air froid,sourd, indifférent, voire incrédule*, mais, à quelques raresexceptions près, lui-même ne doutera pas du tragique dece qu'il a vécu. Il n'essaiera jamais de se faire prendre lesatrocités qu'il a subies pour des bienfaits, ni de se

faire croire que I'absurdité des camps était une mesuredisciplinaire dont il avait besoin, ni d'essayer de rentrerdans le jeu des motivations de ses bourreaux. Il trouverades hommes qui auront vécu des expériences analogues etpartageront ses sentiments de révolte, de haine et dedésespoir d'avoir subi de telles atrocités.

L'enfant maltraité n'a aucune de ces possibilités. Ainsique je m'efforce de le montrer avec I'exemple de ChristianeF., I'enfant est seul avec sa propre souffrance non seule-ment au sein de sa famille mais même à I'intérieur de sonpropre moi. Et comme il ne peut partager sa souffranceavec personne, il ne trouvera pas non plus en lui-même delieu où épancher ses larmes. Il ne se crée pas une ( bonnetante >> imaginaire à I'intérieur du moi, il s'en tient àI'idéologie : < il faut serrer les dents et être courageux. >L'élément démuni et sans défense ne trouve pas à se logerau sein du moi, et il est persécuté ensuite partout dans lemonde à travers I'identification avec I'agresseur.

Un être qui, avec ou sans châtiments corporels, a étécontraint dès le départ à étouffer en lui I'enfant vivant,ou à le bannir, à le rejeter et à le persécuter, aura toute savie le souci de ne pas laisser cette menace intérieure se

* L'ouvrage de G, Niederlands, Folgen der Verfolguns (1980) (Lessuites de la persécution) fournit au lecteur au travers de I'expertisepsychiatrique une analyse très pénétrante de I'environnement de l'anciendétenu et de I'incompréhension que cet environnement lui oppose.

142 C'est pour ton bien

manifester à nouveau. Mais les forces psychiques sontd'une telle résistance qu'elles sont rarement étoufféesdéfinitivement. Elles cherchent perpétuellement des échap-patoires pour pouvoir subsister sous une apparencedéformée qui n'est pas toujours sans danger pour lasociété. L'une de ces formes est par exemple la projectionde l'élément infantile à lnextérieur, dans le moi grandiose ;une autre en est la lutte contre le < mal >> à l,intérieur desoi. La < pédagogie noire )) montre que ces deux formessont liées et que l'éducation religieuse traditionnelle lesassocie.

La comparaison entre les mauvais traitements infligés àun enfant et les mauvais traitements infligés à un adulteprésente, en dehors du degré de maturité du moi, de laloyauté et de I'isolement, encore un autre aspect. Le détenumaltraité ne peut certes pas opposer de résistance, il nepeut pas se défendre contre les humiliations, mais il resteintérieurement libre de harr ses géôliers. Cette possibilitéde vivre ses sentiments, et même de les partager avecd'autres détenus, lui donne la chance de ne pas devoirrenoncer à son moi. Mais cette chanceJà, précisément,I'enfant ne I'a pas. Il ne lui est pas permis de haii sonpère, parce que le quatrième commandement le lui interditet qu'on le Iui a enseigné depuis qu'il était tout petit ; ilne peut pas le hair parce qu'il doit avoir peur de perdreson amour ; et il ne veut pas le haii, parce qu'il I'aime.L'enfant ne se trouve donc pas comme le détenu d'uncamp en face d'un bourreau qu'il exècre mais en face d'unbourreau qu'il aime, et c'est précisément cette dramatiquecomplication qui aura I'influence la plus marquante sur lasuite de sa vie. Christiane F. écrit :

Au fond je ne I'ai jamais haï, j'en avais seulement peur.Et j'ai toujours été fière de lui : parce qu'il aimait lesanimaux, et parce qu'il avait cette puissante auto, saPorsche 1962. tt.44.)

Ces phrases sont bouleversantes parce qu'elles sontabsolument vraies : c'est exactement ce que ressent un

<< La guerre d'extermination conffe son propre moi >> 143

enfant. Sa tolérance est sans limites' il est toujours fidèle

ct même fier que son père, qui le bat. comme une brute'

ne fasse jamais d. ;;i;tîét" ; et il est prêt à to-ut lui

pardonner, a prerrOi. toujours lout: la faute sur lui' à

n'éprouver aucune iiui*, i oublier vite-ce.cui I'es-!-t1ii?:à s'efforcer par son comportement.d'éviter de recevorr

encore des coups, l--.t*Ët de savoir pourquoi son.'nèr9

ttî *!.àtrent,'à'l; compt"ndt"' tt-9: Inversement' il est

Ër;;;;qJun uaurt. -â moins'qu'il ne soir psychothéra-

neute - ,, .o*po,ie ainsi vis-à-vis d'un enfant' alors que

if;Ëirt"ii" ;;il;ù .ï-âep.naunt, c'est orariquement la

règle. Mais qu,uaui.i -]iJ"I.-à",ous les uif..ts refoulés ?

on ne peut pas d;;ilil"*ent les faire disparaître' Il

faut donc qu'ils -*itttt

détournés -vers des objets de

substitution' pour ô;;;;;it père' Sur ce point.aussi''le

récit de Christiane nàus donne une image très claire

iàitq"tff" parle de sa vie avec sa mère' entre-temps

O"oi"et, et du nouvel ami de sa mère' Klaus :

On a fini par se disputer' Pour des bricoles' Parfois' c'est

moi qui r. ptouùuuit' Le plu^s souvent' c'est-à cause de

mesdisques.vru'ne'.m'aoffertuntourne-disquespourmon onzièm.'ânnïntituite' Et' le-soir' je mets un disque

- j'ai qu.rquJt'Iu;;;'-;" ptu {: disco - et je le fais

gueuler à "" ;;;";;-ltt ty*p*t' un soir' Klaus se pointe

dans notre .;;;;t; me'dit de baisser le son' Je n'en

fais rien. '

iË"'r.r," .niÀu" le bras de l'électrophone du

ài.qur. Je le remeti et je me. pl1*" devant mon tourne-

disques pout .î-u*rer'l'accèi' Klaus me pousse' Je ne

supporte pas que cet homme me touche' J'éclate'

Cette même enfant, qui supportait sans se défendre- les

traitements r.t piuî-'ui"it*i de la part de- son père'

< éclate , i.*eoiuitmtni quu"A << cet homme la touche >>'

On observe très fréquemmènt un processus analogrre dans

le cadre de l'analyse' Des femmes qul souffrent de frigidité'

ou éprouvent u" fï"À de I'analyst-on ssntiment de dégoût

pour tout "on

uâît;- Ë; *-i' retrouvaient ainsi la

trace de ,orrurnrrî ttet a"titns d'abus sexuels commis 'sur

elles par t .rrc pii",ït niia3"tres hommes de la famille'

il;igi; eénérfue, ces sôuvenirs ne réapparaissent que sous

14 C'est pour ton bien

une forme émotionnelle très atténuée, I'affect violentreste pour commencer attachë au partenaire actuel. C,estseulement avec le temns que toute là gamme des déceptionsdevant ce père bien-aimé se dévoile : ra honte, r'h;iiia-tion, la colère, la révolte.

Dans le cadre de I'analyse, il n,est pas rare que dessouvenirs-écrans des scènes analogues avec des p.ironni,ryoins proches soient racontés uuant que ra connaissancede I'abus commis- par le père lui-meàe ,euppàraiss"-u:univeau de Ia conscience.

Qui était alors << l,homme > ? Si ce n,était pas le pèrelui-même, pourquoi I'enfant ne s,esi_elle pas àéf.rO"":iPourquoi n'en a-t-elle rien raconté à ses parents ? N,avait-elle pas vécu- auparavant quelque chose de similaire avàcson propre père, et n'avait-elle pas considéré alors te oevoirde se taire comme allant de soi ? Le dépla."..ni A",affects << mauvais )) sur des personnes plus indifférentespermet de sauvegarder Ia reration au père qui est considéréàconsciemment comme << bonne >. A partii d., mo-errt oùChristiane peut avoir ses affrontemônts avec Klaus, sonpère lui paraît << n'être plus le même homme. f...i'il,Ëmontre extrêmement gentil avec nous. Il me fait Ëaaeaud'un-autre dogue, une femelle. > (p. 47.) Et un p.u pfu,IOm :

M9n père s'est montré formidable et j'ai constaté qu,ilm'aimait - à sa manière. Maintenant, if

"-" tr"ii"it pr.Jire

en adulte. Et même, il m'a emmenée quelquefois q*;âïsortait le soir avec son amie.Il était devenu tout à fait raisonnable. Ir avait maintenantdes amis de son âge et ne leur cachait pu, quI ;;;i;;i;marié. Je ne I'appelais plus oncle Richaid. tiétai, ," fifi..Ft il paraissait fier de moi. une seure ombre au tauteau-iil a - c,était bien lui _ choisi la date a", uucun..r'"nfonction de ce qui les arrangeait, lui et ses amis. A la finde mes propres vacances. De sorte que je suis arriuèe-âma nouvelle école avec deux semainès dê retard tp. +Sl4e.)

. La. résistance qui n'a jamais été opposée à la violencedu père se manifeste alori contre les p'ràfesseu.s :

<< La guerre d'extermination contre son propre moi >> 145

Je ne me sens pas << quelqu'un >> dans cette école. Lesautres ont deux semaines d'avance. C'est beaucoup dansune nouvelle école. J'essaie la recette du primaire : jechahute, j'interromps les profs, je les contredis. Parfoisparce que, à mon avis, ils se trompent, parfois par principe.Je suis repartie en guerre. Contre les profs et contre l'école.Je veux être quelqu'un. Exister. (p. 49.)

Cette lutte s'étend ensuite aux policiers. Les explosionsde violences du père sont si bien oubliées, si profondément,que Christiane peut même écrire :

Jusqu'à présent, je n'ai connu d'autres représentants del'autorité haïssable que les gardiens d'immeuble, des gensqui vous tombent sur le paletot quand vous vous amusez.Les agents de police incarnent encore un monde intoucha-ble. Et voilà que j'apprends qu'à Ia cité Gropius nousvivons dans un univers policier. Que les flics sont beaucoupplus dangereux que les gardiens d'immeuble. Et si Piet etCharly le disent, ce ne peut être que la stricte vérité.(p. 55.)

Les autres lui proposent du haschisch et il est évident àses yeux qu'<< elle ne peut plus refuser. >>

Charly commence à me peloter. Je ne sais plus si je suistoujours contente. (p. 56.)

Un enfant docile et bien conditionné ne doit pas éprouverce qu'il ressent effectivement, mais se demande ce qu'ildevrait ressentir :

Je ne me défends pas. Je suis comme paralysée. J'aihorriblement peur. J'ai envie de me sauver à toutes jambes,mais je me dis : < Christiane, c'est le prix de ton admissiondans la bande. r> Je ne bouge pas et ne dis rien. Du reste,ce type m'impressionne terriblement. Seulement, Iorsqu'ilme demande de le caresser à mon tour et qu'il saisit mamain pour I'attirer vers lui, je me dégage et croisefermement mes mains sur mes genoux. (p. 58.)

Christiane a dû apprendre très tôt que I'amour et le

146 C'est pour ton bien

respect s'obtenaient par la négation de ses propres besoins,de ses émotions et de ses sentiments (que ce soit la haine,le dégoût, I'aversion, etc.), autrement dit par le sacrificede soi. Tout son effort vise uniquement à atteindre cesacrifice, autrement dit à être cool. Ce mot ( cool >> seretrouve d'ailleurs presque à chaque page de ce livre.Pour parvenir à cet état et ne pas éprouver d'émotions .

indésirables, il faut recourir au haschisch :

[...] alors que les alcoios traînent leur stress au Club et sedéfoulent par I'agressivité, les gars de notre bande sontcapables de tourner le bouton. Leur journée de travailterminée, ils font les trucs qui leur plaisent : fumer dudope, écouter de la musique cool... Et c,est la paix. Nousoublions toute la merde de la journée.Je ne me sens pas ellcore tout à fait comme les autres. Jesuis trop jeune, je crois. Mais ils sont mes modèles. Jeveux leur ressembler, apprendre d'eux à vivre cool, en sefichant des cons et de toute cette merde. (p. 59.)J'ai besoin d'être tout le temps un peu partie, un peu dansles vapes. Et j'en ai envie, pour échapper à toute cettemerde, merde à l'école et merde à la maison. (p. 61.)Je veux avoir I'air mystérieux, personne ne doit pouvoirme percer à jour, personne ne doit se douter que je nesuis pas aussi cool que je m'efforce de le paraître. (p.61.)Les problèmes, dans ma bande, ça n'existe pas. Nous neparlons jamais de nos problèmes. personne n'embête lesautres avec ses emmerdements à la maison ou au boulot.Quand nous sommes ensemble, cette saloperie de mondeextérieur n'existe plus. (p. 73.)

Le sujet prend conscience de son faux moi et il leconstruit et le perfectionne à grand peine. Un certainnombre de remarques illustrent très bien cet effort ;

[...] des mecs tout ce qu,il y a de plus cool. [...] Je letrouve encore plus cool que les mecs de notre bande.(p. 77.)Une foule de gens, sans aucun contact entre eux. (p. ZS.)C'est une bande très cool. (p. 82.)Dans l?escalier du Sound, je me cogne dans un garçon[...] I'air extraordinairement calme. (p. Sl.)

<< La guerre d'ertermination contre son propre moi >> 147

Mais cet idéal du calme le plus parfait est précisémentle plus difficile à atteindre pour un adolescent. C'est àl'âge de la puberté que I'homme vit ses sentiments de lafaçon la plus intense, et la lutte contre ces sentiments àI'aide de la drogue ----- équivaut à un meurtre de l'âme.Pour que le sujet puisse donc encore sauver une part desa vitalité et de sa sensibilité, il faut qu'il utilise une autredrogue qui ne le calme pas mais au contraire I'excite, le( remonte > et lui redonne le sentiment d'être en vie.L'essentiel reste cependant de pouvoir tout régler, contrôleret manipuler soi-même. De la même manière que lesparents réglementaient par les châtiments corporels lesréactions émotionnelles de I'enfant en fonction de leurspropres besoins, à douze ans, I'enfant s'efforce de manipu-ler ses propres émotions à I'aide de la drogue :

Au Sound, il y a de la drogue à gogo. Je prends de toutsauf de l'héroine : valium, ephédrine, mandrakes. En plus,bien sûr, je fume des tas de joints et, au moins deux foispar semaine, je me paie un voyage. Nous avalons stimulantset barbituriques par poignées, tout ça se livre un combatacharné dans I'organisme, et c'est ce qui provoque ces

sensations terribles. On peut choisir son humeur, il suffitde bouffer un peu plus de stimulants ou un peu plus detranquillisants. Quand j'ai envie de faire la fête au Sound,de me démener, je force sur l'éphédrine. Si je préfèrerester tranquillement dans mon coin ou voir un film aucinéma du Sound, j'ingurgite du valium et du mandrakes.Pendant quelques semaines, je nage de nouveau dans Iebonheur. (p. 84.)

Et Christiane F. poursuit :

Les jours suivants, je m'efforce de tuer en moi toutsentiment pour les autres. Je ne prends plus de comprimés,plus de LSD. Je fume un joint après l'autre et bois toutela journée du thé mélangé de haschisch. Au bout dequelques jours, je suis cool à nouveau. J'ai réussi à neplus aimer rien ni personne €xcepté moi-même. Je pense

avoir désormais la maîtrise de mes sentiments. (p. 89.)Je suis devenue très calme. Cela vient aussi du fait que jene prends plus de stimulants, mais de plus en plus de

148 C'est pour ton bien

tranquillisants. J'ai perdu toute ma vivacité. Je ne dansepresque plus. Je m'agite juste encore un peu quand je n'aipas pu trouver de valium.Je suppose que je suis beaucoup plus agréable à vivre pourma mère et son ami. Je ne réponds plus, je ne me batsplus, je ne m'oppose plus à rien. Parce que j'ai renoncé àchanger quoi que ce soit dans ma vie à la maison, Et jeconstate que ça simplifie la situation. (p. 90.)Je prends de plus en plus de comprimés.Un samedi où j'ai du fric, je vais trop loin. Comme je mesens complètement à plat, j'avale deux captagon, troiséphédrine, quelques coffies - des comprimés de caféine -en faisant descendre le tout avec une bière. Une foistotalement remontée je ne me plais pas non plus, alorsj'ingurgite du mandrakes et une bonne dose de valium.(p. 93, 94.)

Elle assiste au concert de David Bowie, mais ne peutpas s'en réjouir et se sent obligée d'avaler auparavant unebonne dose de valium. << Pas pour planer, juste pour restercool en écoutant David Bowie. > (p. 96.)

David BOwie commence. C'est le pied. Presque autant queje I'ai imaginé. Fantastique. Mais, aux premières mesuresde < It is too late >, << C'est trop tard >, je sombre.Brusquement me voilà à plat, comme une idiote. Cesdernières semaines déjà, quand je ne savais plus quoi ouqu'est-ce, cette chanson me donnait le cafard. Je trouvequ'elle décrit exactement ma situation. J'aurais bien besoinde mon valium. (p. 97.)

Lorsque les vieux moyens ne suffisent plus à assurer lecontrôle voulu, à treize ans, Christiane passe à I'héroine ;et au départ tout se déroule comme elle le souhaite :

De temps en temps une pensée m'effleure : << Merde, tun'as que treize ans et t'en es déjà à I'H. > Mais je lachasse tout de suite, je me sens trop bien pour réfléchir.Au début, il n'y a pas de crise de manque. Je me sensmerveilleusement cool toute la semaine. A la maison, pasune dispute. A l'école, je prends les choses très relax, jetravaille un peu et récolte de bonnes notes. Au cours dessemaines suivantes, ma moyenne remonte. Je me sens

<< La guerre d'extermination contre son propre moi '> 149

vraiment cool dans la vie, réconciliée avec les gens et les

choses, (P, l0l.)

Les êtres qui n'ont pas pu apprendre dans leur enfance

à se familiarise, au.. t. qu'ils ressentaient vraiment' et ày réagir librement, ont des difficultés considérables au

moment de la Puberté.

[...] Mais je traîne tout le temps des tas de problèmes'

ians memé bien savoir lesquels' Quand je sniffe les

problèmes s'envolent, mais il y a longtemps qu'un sniff ne

me fait Plus la semaine. (P' lll)J'ai peràu tout sens des réalités' Pour moi' la réalité est

irréelie. Ni hier ni demain ne m'intéressent. Je n'ai pas de

projets, seulement des rêves' Mon sujet de conversation

bteiere, c'est d'imaginer ce que nous ferions' Detlev et

moi, si nous avions- beaucoup d'argent' On s'achèterait

une grande maison, une grosse voiture, et des meubles

tout ie qu'il y a de plus classe' On rêve de tas de trucs

- sauf d'héroïne' (P. I 14)

Aveclepremiercoldturkeylapossibilitédemanipulationet I'indépeïdance vis-à-vis de ses propres sentiments dispa-

raissent. c'est une régression totale au stade du nourrisson.

Me voilà dépendante. De I'héroine et de Detlev' Ce qui

m'effraieleplus,c'estdedépendredeDetlev'Qu'est-cequ'un amour où I'un dépend totalement de l'autre ? Que

va{-il se passer si je suii obligée de supplier Detlev qu'ilme donne un peu de drogue ? J'ai déjà vu des fixer^s en

crise de rnunqu., je les ai vus mendier, s'abaisser' prêts à

subirtoutesleshumiliations'Moi,jen'aijamais-sudemander' Et je ne vais pas commencer avec Detlev'

Surtout pas. Sù me laisse le supplier, ça sera fini nous

deux. (P. 135.)Je penie à la manière dont j'ai traité les junkies en manque'

Jenecomprenaispascequileurarrivait.J,avaisseulementiemarqué qu'ils Staier,t vachement sensibles, totalement

désarmés, et très vulnérables' Un toxico en manque' c'est

tellement annihilé que ça n'ose même pas vous contredire'

Il m'est arrivé d'asJouvir sur eux mes appétits de puissance.

quand on sait s'y prendre on peut les démolir complète-

Àent. Il suffit de taper au bon endroit, de retourner

150 C'est pour ton bien

patiemment le fer dans la plaie, et ils s'écroulent. Quandon est en manque, on est assez lucide pour se rendrecompte qu'on est une loque. La façade cool s'est écroulée,on ne se juge plus au-dessus de tout et de tous.Je me dis : < Maintenant c'est à toi d'en baver quand tuvas être en manque. Ils vont s'apercevoir que tu es mocheet rarre. (P. 136.)

Dans cette angoisse du manque, il n'y a personne à quiChristiane puisse parler ; car sa mère << se trouverait malsi elle allait lui raconter ça. )) (( Tu ne peux pas lui faireça D, se dit Christiane, qui continue à supporter sa tragiquesolitude d'enfant pour épargner cette adulte qu'est sa mère.

Elle repense à son père au bout de très longtemps, lapremière fois qu'elle va << faire le tapin >> et qu'elle veut lecacher à son ami Detlev.

< Où as-tu pris ça ? T'as fais le tapin ? > Je le prends detrès haut : << Tu rêves. Moi, un truc pareil ? J'arrêteraisplutôt de me piquer. C'est mon père qui m'a donné del'argent de poche, il s'est tout à coup rappelé qu'il avaitune fille. >>

Si le haschisch laissait encore I'espoir d'une libérationet d'une indépendance << cool )), avec I'héroïne il apparaîttrès vite qu'il faut s'attendre à une totale dépendance. Le<< dope >>, la drogue dure, prend en définitive la fonctiondu père irascible et violent à qui I'on était entièrementlivré dans son enfance comme à I'héroïne maintenant. Etde la même manière qu'alors le moi des parents devaitrester caché, la véritable vie se vit là en secret, de façonclandestine, elle est cachée au début aussi bien à l'écolequ'à la mère.

Nous devenons tous de plus en plus agressifs. L'héro,I'agitation dans laquelle nous vivons, la bataille quotidiennepour le fric et pour I'H, le stress à la maison - il fautsans cesse se cacher, inventer de nouveaux mensonges àservir aux parents - mettent nos nerfs en compote. Onaccumule tant d'agressivité qu'on n'arrive plus,à se domi-ner, même entre nous. (P. 156.)

<< La guerre d'extermination contre son propre moi >> l5l

Le retour du père dans la dynamique psychique est très

nettement visiblé, peut-être pas pour Christiane mais pour

tout observateur, lorsqu'elle décrit sa première rencontre

avec Max-le-Bègue. ce récit simple et sincère suscite chez

le lecteur plus dé compréhension pour la nature et le drame

d'une perversion que -beuucoup

de traités psychanalytiques

ne serâient en mesure de le faire. Chritiane raconte :

Detlev m'a raconté Ia triste histoire de Maxle-Bègue' Ilest manæuvre' va sur ses quarante ans et vient de Hamburg'

Sa mère était une prostituée. Enfant, il a été battu comme

plâtre. Par sa mère et ses maquereaux, et aussi dans les

institutions où it a été placé. On lui a tznt tapé dessus

qu'il n'a jamais pu apprendre à parler convenablement' et

que mainienant il a Lèsoin d'une raclée pour arriver à la

satisfaction sexuelle.Nous allons chez lui' Je lui réclame tout de suite le fric'bienqu'ilsoitunhabituéavecquiiln'estpasnécessairede prèndre cette précaution. Il me donne effectivement

ceni cinquante maiks, et je suis assez fière de lui prendre

tant de fric d'une manière si cool'J'enlève mon T.shirt, et il me tend un fouet' On se croiraitau cinéma' J'ai I'impression de ne plus être moi-même'

Au début, je ne frapie pas fort' Mais il me supplie de lui

faire mal. Àlors i'y'vais. Il crie << Maman ! > et je ne sais

plus quoi. Je n;écoute pas, et j'essaie aussi de ne pas

iegarder. Mais je vois tout de même les marques sur son

.oipr, et puis çâ enfle, et même la peau éclate à certains

endroits. C'est répugnant et ça dure presque une heure'

Quand c'est enfin tJrminé, je remets mon T'shirt et je me

sauve en courant. Je dévale l'escalier à toute allure. Mais,

à peine dehors, mon estomac ne veut plus rien savojr' je

uornit 3utt" devant la maison' Après, c'est fini' Je ne

pleure pas, et je ne m'apitoie pas sur moi-même' Je sais

irès bién qu" ii je suis dans la merde, je n'ai à m'en

prendre qu'à moi-même.ie vais au métro Zoo. Detlev est là' Je ne lui raconte pas

grand-chose. Juste que je m'en suis tirée toute seule avec

i4ax-le-Bègue, et je lui montre les cent cinquante marks'(P. r47 .)ùtax-le-ilègue est notre client attitré commun, à Detlev et

à moi. On va chez lui tantôt ensemble, tantôt séparément'

Au fond, c'est un brave type, qui nous aime bien tous les

152 C'est pour ton bien

deux. Évidemment, avec son salaire de manæuvre, il nepeut pas continuer à nous payer cent cinquante marks.Mais il se débrouille toujours pour nous donner quarantemarks, le prix d'un shoot. Une fois, il a même cassé satirelire et, en ajoutant quelques pièces qui traînaient dansune soucoupe, m'a compté, sou pour sou, quarante marks.Quand je suis pressée, je peux faire un saut chez lui, luidemander une avance de vingt marks. Quand il les a, ilme les file.Max-le-Bègue a toujours quelque chose pour nous. Pourmoi, c'est du jus de pêche, ma boisson préférée. PourDetlev, c'est du pouding à la semoule - il adore ça. Maxle fait lui-même, et il y en a toujours dans le frigo. etcomme il sait que j'aime bien manger quelque chose aprèsle boulot, il achète un assortiment de yaourts Danone etdu chocolat. La flagellation est devenue pour moi uneaffaire de pure routine. Une fois cette formalité expédiée,je mange, je bois et je bavarde avec Max.Le pauvre maigrit de plus en plus. On lui coûte tout sonfric, et il n'a plus de quoi manger à sa faim. Il s'esttellement habitué à nous, il est tellement heureux avecnous, qu'il ne bégaie presque plus quand on est ensemble.(P. l4e.)Peu de temps après, il perd son boulot. Il ne s'était jamaisdrogué, même pas pour essayer, et le voilà complètementesquinté. Démoli par les camés. Nous, il nous supplie devenir le voir, juste pour lui rendre visite. Mais il ne fautpas demander ça à un fixer, ce n'est pas son genre.D'abord, il est incapable d'un tel mouvement vers autrui.Ensuite, et peut-être surtout, il n'a vraiment pas'le temps,il cavale toute la journée après le fric dont il a besoinpour sa drogue. Detlev explique tout ça à Max-le-Bèguequi nous jure de nous donner plein de fric dès qu'il enaura. <( Un toxico, lui dit Detlev sèchement, c'est commeun homme d'affaires. Il doit veiller chaque jour à ce queses comptes soient en équilibre. Il ne peut pas faire créditsous prétexte de sympathie ou d'amitié. ) (P. 150.)

Christiane et son ami Detlev se comportent ici commedes parents qui travaillent, qui exploitent l'amour et ladépendance de leur enfant (le prétendant) et finissent parle détruire. D'un autre côté, le touchant choix de yaourtschez Max-le-Bègue correspondait très certainement à une

<<Laguerred,exterminationcontresonpropremoi,>153

mise en scène de son (( bonheur de.l'enfance >' On peut

bien imaginer que;^;è;"';souclail.touiours de bien lui

donner à manger æ; I avoir -b-lttu' Mais en ce qul

concerne ChristianeÏ ;"; ;; ô'elle avait antérieurement

vécu avec son propre ptre' cette première rencontre avec

Max-le-Bègue n'au;t-jamais pu ( exister )) ainsi' A ce

moment là, c'est JïhË'it oèr'e1n ett" oui bat son client

non seulement sur o;it -ài' avec toute I'accumulation

de détresse O'u" t'ifini ;"'* - Cette identification avec

l'agresseur l'aide tïtî* a-itfouler sa. faiblesse' à se sentir

au contrairc to'tt ^li'ï

àeptn1- de I'autre et à survrvre'

tandis que I'être tefiiiuËiJ'ëniittiune' celui de I'enfant

éveillée, sensible, iiËTG;;' PJeine de vitalité et encore

ô;;il; étoufre de Plus en Plus :

Quand l,un de nous deux est en manque, l'autre n'a aucun

mal à l'écrab;;ill;; comptetement' on a beau se retrouver

ensuite urotti'-àî*ît-[iut I'un de I'autre comme deux

enfants, ou nirËÏntïo*U*"d-chose' C'est que chacun

voit désorm"iJJnîd#t i'i*ugt de sa propre déchéance'

on se fait h";;;; car on se trouve moche' alors on tombe

sur l'autre di"ftJi;;âm" chose' histoire de se prouver

i*l;',;:1,:';i,",ï:::i"i:: IL'i' bien entendu' sur res

'iïiïi"fktt"9;)"rolt.D:-11Ltî.,:,'llJï,*J:îtde ma 'e'","i" ";1i' 1"t"ry:il^olilÏ :l*::,mtli ill::'"*t*'ÏÏiË,'.'"1,$iiJfflli'i:;;il'i;;;rnérabre'Même rtt riiît"tïîi"ii-qti ttuinËni quelquefois sur les

quais du *il; î"-iài.r.n1 de. slace, it jusqu'à présent

j'ai échappé iittitt les rafles' (P' 190')

Ce vide intérieur' ce gel d'es rynfments finit par-rendre

la vie complèteileitJ u6'"t'ot et conàuit à des idées de

suicide :

Les toxicos meurent seuls. Le plus souvent dans des chiottes

puantes' JL"i"î;;il;-"1t""^* mourir' Au 'fond' ;e

x#iur *rtf ;ifqqryrgç:*i' T:ifixer, Pourquoi ça vit ? Pour I

I

154 C'est pour ton bien

autres ? Je me dis, cet après-midi là, qu'il vaudrait mieuxque je meure, rien que par amour pour rna mère, De toutemanière, je ne sais plus si j'existe ou non, (P, 213.)J'ai envie de mourir, mais j'ai une trouille terrible avantchaque piqûre. Peut-être aussi la vue de mon chat m'impresrsionne-t-elle. C'est moche de mourir quand on n'a pasencore vécu. (P. 215.)

C'est une grande chance que les deux journalistes duStern, Kai Hermann et Horst Rieck, aient mené avecChristiane un long entretien qui se poursuivit deux moisdurant. Le fait qu'il lui ait été donné, dans cette phasedécisive de la puberté, après I'horreur de ce qu'elleavait vécu, I'occasion de sortir de son terrible isolementpsychologique et de trouver des êtres prêts à l'écouter, àla comprendre, à s'intéresser à elle, et qui lui aient permisde s'exprimer et de raconter son histoire, peut avoir uneimportance déterminante pour le reste de sa vie.

La logique cachée du comportement absurde

Chez un lecteur capable d'émotion, le récit de ChristianeF. doit susciter un tel désespoir et un si profond sentimentd'impuissance qu'il ne peut rêver que d'oublier tout celale plus vite possible, comme une histoire inventée. Mais ilne le peut pas, parce qu'il sent que ce qui lui est racontélà est précisément la pure vérité. Si I'on ne s'en tient pasà l'histoire, et si I'on se pose tout au long de cette lectureIa question du pourquoi, on y trouve une explication exactenon seulement de la nature de la toxicomanie, mais ausside celle des autres formes de comportement humain quinous choquent par leur absurdité et que notre logiquen'arrive pas à comprendre. Devant un héroïnomane entrain de ruiner sa vie, nous ne sommes que trop enclins àrecourir à des arguments raisonnables ou, ce qui est pire,à vouloir intervenir avec des mesures éducatives. Beaucoupde thérapies de groupe travaillent même dans ce sens. Ilstombent de Charybde en Scylla sans éveiller chez le sujetle moindre intérêt pour le rôle que joue véritablement la

<< La guerre d'extermination conlre son propre moi >> 155

drogue dans sa vie, ni pour ce qu'il cherche inconsciemment

à transmettre par là à son entourage. Nous allons tenter

de I'illustrer par exemPle :

Au cours d'une émission de la deuxième chaîne de latélévision allemande (Z.D.F.) le 23 mars 1980, un ancien

héroinomane guéri depuis cinq ans raconte sa vie du

moment. On sent très bien son humeur dépressive et même

presque suicidaire. Il a environ vingt-quatre ans' il a une

àmie et raconte qu'on lui a permis d'aménager le grenier

de la maison de ses parents en appartement, et qu'il va y

apporter tout le cotrlort bourgeois avec tous les raffine-

*éntt possibles et imaginables. Ses parents, qui ne l'ontjamais iompris et qui ont considéré sa toxicomanie comme"un. ,ort. dé maladie mortelle, ont désormais besoin d'aide'

dit-il, et tiennent à ce qu'il continue à habiter chez eux.

Ce personnage se raccroche à la valeur de tous les petits

objéts qu'il peut posséder et pour lesquels il doit faire le

sacrifice de son autonomie. Il va vivre dans une cage

dorée, et I'on comprend très bien qu'il parle constamment

du riique de rechute dans I'héroinomanie' Si ce jeune

tto.*. avait suivi une thérapie, au cours de laquelle la

possibilité lui ait été donnée de vivre la rancæur accumulée

àun, ,u petite enfance contre des parents autoritaires, qui

le limitaient et réprimaient ses sentiments, il ne se serait

pas laissé enfermèr dans une cage et aurait malgré toutiourni à ses parents une aide plus réelle et plus authenttqyt'cette aide ne peut être librement offerte qu'à conditio_n

de ne pas se rendre dépendant comme un petit enfant' Si

on se rend dépendant des parents, il y a toutes. chances

pàu, qu'on chôrche ensuite à les punir par la toxicomanie

àu pui un suicide. Ces mises en scènes racontent en fait lavériiable histoire de l'enfance qui a été tue toute la vie'

En dépit de son énorme appareil de pouvoir, la psychia-

trie clasiique demeure fondamentalement impuissante tantqu'elle esiaie de remédier aux sévères dommages subis

dans l'éducation de la petite enfance par de nouvelles

mesures éducatives. Tout le système de sanctions des

hôpituu* psychiatriques, les formes les plus raffinées

156 C'est pour ton bien

d'humiliation du patient, ont pour but, tout commel'éducation, de faire taire enfin les modes d'expressioncodée du malade. Cela apparaît très bien dans I'exemplede I'anorexie, Que raconte en fait une anorexique, qui agrandi dans une famille aisée, entourée de biens matérielset intellectuels, et brusquement fière que son poids nedépasse pas trente kilos ? Interrogés, les parents affirmentI'harmonie de leur couple, et s'avouent bouleversés par cerefus de manger alors qu'ils n'ont précisément jamais eude difficultés avec cette enfant qui a toujours, au contraire,parfaitement répondu à leur attente. J'aurais tendance àpenser que, dans le tourbillon d'émotions de la puberté,cette enfant n'est plus en mesure de fonctionner commeun automate, mais qu'étant donné ce qu'a été jusqu'alorsson histoire, elle n'a aucune chance non plus de vivre lessentiments qui montent brusquement en elle. Elle racontedonc, par la façon dont elle se réduit en esclavage, serestreint et se suicide lentement, ce qui lui est arrivé dansla petite enfance. Cela ne signifie pas que les parents aientété fondamentalement mauvais : ils ont simplement vouluéduquer leur enfant de telle sorte qu'elle devienne ce qu'elleest effectivement devenue plus tard : une petite fillequi fonctionnait bien, qui travaillait bien, que beaucoupadmiraient. Bien souvent, ce n'étaient même pas lesparents, mais les gouvernantes. En tout cas I'anorexie trahittous les éléments d'une éducation rigoureuse : inflexibilité,dictature, système de surveillance, contrôle, incompréhen-sion et manque de sensibilité aux véritables besoins deI'enfant. A cela vient s'ajouter I'abus de tendresse alternantavec le rejet et l'abandon (orgies de nourriture et vomisse-ments). La loi suprême de ce système de police dit : tousles moyens sont bons pour que tu deviennes telle que nousavons besoin de t'avoir, et ce n'est qu'ainsi que nouspouvons t'aimer. C'est ce qui se reflète ultérieurementdans la terreur anorexique. Le poids est contrôlé à cinqgrammes près, et le coupable puni chaque fois qu'il dépassela limite.

Même Ie meilleur des psychothérapeutes est contraint defaire remonter le poids de ces malades extrêmementmenacées s'il veut qu'une converiation soit possible. Mais

<< La guerre d'extermination conte son propre moi >> 157

tout le problème est de savoir s'il explique à la l1lud:.";ir "ti

nécessaire de reprendre du poids en considérant

i"-;;;'il;;;; d; rot'ptoptt- moi comme I'objectif de

i; ;héd;i;,-ou s'il consièdre ie fait de reprendre du poids

;;;; i. seul obiectif de la thérapie' Dans ce dernier cas'

ir téJ..i" ,r" fuit que reprendre à son compte le système

O.-.àtii"i"te de l'êducuiion, et il peut s'attendre à une

;;.d;; â un "ttu"li-ttti d" svmptômes' si aucun de

1., 4..t" effets ne sJproduit, la deuxième éducation a

àga.Àt", iéussi, et pourvu que le cap de la puberté soit

pîrte, une absenc. pèt-antnte de vie est assurée'

Tout comportement absurde a son origine dans la petite

,tfto.., et ia cause en demeure introuvable tant que la

*î"ip"i"tiln des besoins phvsiques et.n9ychio111 9t^,t^tÎ"-fant n'est pas considérée par les adulte comme ce Ia

,iuuute, *âi, ,o*-e une mesure éducative nécessaire'

Ét*t àb""é que "téÀ.

les spécialistes ne sont pas à l'1bri

de cette erreur' ce que l'on nommeplus tard thérapie n'est

;;tf;f que la continuation involontaire de la cruauté

initiale. Il n'est put iutt qu'une mère donne du valium à

un enfant O'rrn an pà* q"'it dorme tranquillement qrrand

.U.-"""t sortir le'soir. il se peut que la chose ait été

ng."t*it" une fois. tr'tais si le valium devient un moyen de

*"nipufution du *to*tif enfant, s'est tln équilibre naturel

q"t ;t àétruit, en même temps qu'est causé très tôt un

;;ùi; àes ronctions végétatives. on peut aussi imaginer

q"i-tà"ttunt tard à la maison, les parents auront encore

;;;;;;i.-dé jouer avec leur enfant' puisqu'ils n'auront

nlus besoin d'avoir peur' Le valium fausse non seulement

il-i;iË;Ja t;enrà"t de s'endormir narurellement mais

**i t"t facultés perceptives' Très tôt' il est interdit à cet

;i;a de savoir àn'it-"tt seul dans l'appartement' il ne

;;;;";-t;ssentir *u p""1 et, une fois adulte' il ne saura

peut-être pas non ptus Oecrypter en lui-même les signaux

de danger.Pouiéviter un comportement absurde et autodestructeur

chez l'adutte, tes pirents n'ont pas besoin de faire de

ôita.t gitaét oà ôsvctrologie' S".lt réussissent à éviter de

il""tp"ro I'enfant'Ën fonôtion de leurs propre besoins'

158 C'est pour ton bien

d'abuser de lui et de troubler son équilibre végétatif,l'enfant trouvera dans son propre organisme la meilleureprotection contre les exigences indues. Le langage de soncorps et ses signaux lui sont familiers dès le départ. Si lesparents réussissent en outre à vouer à leur propre enfantle même respect et la même tolérance qu'ils ont eux-mêmesvoués à leurs parents, ils créent les conditions optimalespour la suite de sa vie. Non seulement le sentiment qu'ilaura de sa propre valeur, mais même la liberté dedévelopper ses facultés innées, dépendent de ce respect.Et, comme nous I'avons dit, pour apprendre ce respect,nous n'avons pas besoin de manuels de psychologie maisd'une révision de I'idéologie de l'éducation.

On se traite soi-même, sa vie durant, de la même façonque I'on a été traité dans la petite enfance. Et les plustorturantes souffrances sont souvent celles que I'on s'infligeultérieurement. Il n'y a plus aucun moyen d'échapper autortionnaire que l'on porte en soi et qui souvent se déguiseen éducateur. Dans les cas pathologiques, comme parexemple celui de I'anorexie, il exerce une dominationabsolue. Il en résulte un total asservissement de I'organismeet une terrible exploitation de la volonté. La toxicomaniedébute par une tentative de se soustraire à la dominationdes parents, par un refus de répondre à leurs edgences,mais elle conduit en définitive, par une compulsion derépétition, à un effort constant pour rassembler des sommesénormes et se procurer la << dope >> nécessaire : c'est enfait une forme d'asservissement tout à fait << bourgeois >>.

En lisant les histoires de Christiane F. avec la police etIes trafiquants, je revis brusquement le Berlin de 1945 lesmultiples moyens illégaux de s'approvisionner, la peur dessoldats occupants, le marché noir - les < trafiquants )d'alors. Je ne sais pas si c'est une association que je suisseule à établir. Pour beaucoup de parents de jeunestoxicomanes d'aujourd'hui, ce monde était le seul possible,car leurs yeux d'enfants n'en connaissaient pas d'autre. Iln'est pas exclu que, sur le fond du vide intérieur créé parla répression des sentiments, le décor de la toxicomaniesoit aussi en relation avec le marché rioir des années

<< La guerre d'extermination contre son propre moi >> 159

quarante. Contrairement à beaucoup de choses que je disici, cette idée ne repose pas sur des donnée scientifiquementvérifiables mais sur une inspiration personnelle et uneassociation subjective dont je n'ai pas vérifié de plus prèsla validité. Je la mentionne simplement parce que I'on voitparaître de toutes parts des études psychanalytiques sur lesconséquences tardives de la guerre et du régime nazi à ladeuxième génération, et que I'on se trouve constammentconfronté au fait assez étonnant que les enfants, fils oufilles, remettent en scène inconsciemment le destin de leurparents avec d'autant plus d'intensité qu'ils le connaissentmoins bien. A partir des quelques bribes d'informationqu'ils ont pu rassembler dans leur enfance sur Ie trauma-tisme subi par leurs parents à cause de la guerre, ilsdéveloppent, en fonction de leur propre réalité, des fantas-mes, qui sont souvent abréagis dans des groupes au momentde la puberté. C'est ainsi que Judith Kestenberg rapportele cas d'adolescents qui, dans les années soixante, en pleinepériode de paix et de prospérité, disparurent dans la forêt ;il se révéla ultérieurement, au cours de la thérapie, euêleurs parents avaient vécu la guerre comme partisans dansles pays d'Europe de I'Est, mais qu'ils ne I'avaient jamaisraconté en détail à leurs enfants. (Cf . Psyche 28, pp.249-26s.)

J'ai reçu un jour en consultation une anorexique de dix-sept ans, qui était très fière de peser exactement le mêmepoids que sa mère, trente ans auparavant, quand elle avaitété libérée d'Auschwitz. Il ressortit de I'entretien que cedétail était le seul que la fille connût du passé de sa mère,car cette dernière se refusait à parler de cette période etdemandait au reste de la famille de ne pas lui poser dequestions. C'est précisément ce qui reste mystérieux, ceque taisent les parents, ce qui touche à leurs sentiments dehonte, de culpabilité et d'angoisse, qui inquiète les enfants.L'une des principales possibilités d'échapper à cette menaceest I'activité fantasmatique ou le jeu. Le fait de pouvoirjouer avec les accessoires des parents donne à I'adolescentle sentiment de pouvoir avoir sa part de leur passé.

Ne se pourrait-il pas que cet univers en ruine qu'est lepsychisme de Christiane remonte aux ruines de 1945 ? Si

160 C'est pour ton bien

c'est le cas, comment en est-elle venue à cette répétition ?Le lien passe vraisemblablement par la réalité psychiquedes parents, qui ont grandi à une époque à,èxtrêmedénuement matériel et pour qui I'assurance de la viematérielle est donc le principe suprême de I'existence..L'enrichissement croissant a toujours servi à se défendrede I'angoisse de se retrouver jamais sur un champ de ruinescomme un enfant affamé et impuissant. Mais en fait, iln'est pas de luxe qui puisse vous débarrasser de cetteangoisse. Tant qu'elle reste inconsciente, elle poursuit sapropre existence. Et les enfants quittent ces appartementsluxueux où ils ne se sentent pas compris, pàrie que less-entiments et I'angoisse n'y sont pas admiJ ; ils passentdans le milieu de la drogue où ils occupent une fônctionde trafiquant, comme leur père dans le cadre de la grandeéconomie officielle, ou bien ils s'asseyent sur le trotioir etrestent là, comme ces petits enfants démunis et menacéssur un champ de ruines, ces enfants que leurs parents ontété réellement jadis, mais qui n'ont jamais eu Ie droit deparler avec personne de cette réalité. L'enfant des champsde ruines a été banni à tout jamais de leurs appartemenisluxueux et voilà qu'il réapparaît comme un esprit malfaisantchez leurs fils et leurs filles dépravés, avec lèurs vêtementseffrangés, leurs. visages apathiques, leur désespoir, leurétrangeté et leur haine pour tout ce luxe accumuié.

Il n'est que trop évident que les parents ne peuvent pasavoir la moindre compréhension pour cet adolescent enface duquel ils se trouvent brusquement, car tout homme estplus capable de se soumettre aux lois les plus rigoureuses,d'assumer les plus lourdes charges, de fournii les pluiincroyables efforts, de faire la plus brillante carrière, qued'avoir un mouvement d'amour et de cornpréhensi,onenvers I'enfant démuni et malheureux qu'il a jadis été etqu'il a ensuite banni à tout jamais de lui-même. Lorsquecet enfant réapparaît malgré lui sous l,apparence de sonfils ou de sa fille sur le beau parquet ciré àe son luxueuxsalon, il ne peut pas s'attendre à être compris. Tout cequ'il peut espérer trouver là, c'est l'étrangeté, la révolte,les conseils ou les sanctions, peut-être aussi la haine, maiisurtout un véritable arsenal de mesures éducatives, à I'aide

<< La guerre d'extermination contre son proprc moi >> 16l

desquelles les parents se défendent de la résurgence dumoindre souvenir de leur propre enfance malheureusependant la guerre.

Il y a aussi des cas où la confrontation qui a lieu, autravers des enfants, avec un passé non surmonté exercesur toute la famille un effet bénéfique :

Brigitte, née en 1936, très sensible, mariée, mère de deuxenfants, était en dépression, se cherchait un deuxièmeanalyste. Son angoisse des catastrophes était manifestementen relation thématique avec les attaques aériennes vécuesdans son enfance, mais elles subsistaient, en dépit de tousles efforts d'analyse, jusqu'au jour où - avec I'aide d'unde ses enfants - Ia patiente découvrit un point sensible,une blessure qui n'avait pu jusqu'alors être cicatrisée pourla bonne raison qu'on ne I'avait pas vue, et par conséquentpas soignée.

Lorsque son fils eut dix ans, exactement l'âge où elle-même avait vu son père revenir du front de l'Est, il se mitavec quelques camarades de classe à peindre des croixgammées sur les murs de l'école et à s'amuser avec d'autresaccessoires de la tragédie hitlérienne. La façon dont cetype d'<< actions > était à la fois caché et fait pour êtredécouvert dénotait évidemment un appel, et le drame deI'enfant était très nettement sensible. La mère eut néan-moins beaucoup de mal à I'appréhender et à la comprendredans le dialogue avec son fils. Ces jeux lui faisaienthorreur, elle ne voulait rien avoir à faire avec tout cela ;en tant qu'ancienne militante d'un groupe d'étudiantsantifascistes elle se sentait offensée par son enfant, etréagissait malgré elle de manière hostile et autoritaire.Les raisons idéologiques conscientes de son attitude nesuffisaient pas à expliquer les violents sentiments de rejetqu'elle éprouvait vis-à-vis de son fils. En profondeur,c'était la continuation de quelque chose qui lui étaitjusqu'alors resté inaccessible - même dans la premièreanalyse. Grâce aux nouvelles aptitudes sensibles dévelop-pées au cours de la seconde analyse, elle put retrouverémotionnellement la trace de toute cette histoire. Pourcommencer il se passa la chose suivante : plus la mère

162 C'est pour ton bien

manifestait d'incompréhension et de révolte devant les jeuxde son enfant, plus elle se donnait de mal pour les< faire disparaître D, et plus ils prenaient d'ampleur et defréquence. Le jeune garçon avait de moins en moinsconfiance dans ses parents et se liait de plus en plusétroitement à son groupe, ce qui suscitait les crises dedésespoir de sa mère. Le transfert permit de découvrir les

racines de cette fureur, ce qui modifia I'ensemble dela situation familiale. Pour commencer, la patiente futbrusquemment comme assaillie de questions torturantessur la personne et sur le passé de son analyste. Elle s'endéfendait désespérément, de peur de devoir perdre si elleles exprimait, ou craignant de recevoir des réponses qui laforceraient à le mépriser.

L'analyste la laissa patiemment formuler ses questionsdont il comprenait le poids et I'importance, mais sans yrépondre ; comme il sentait qu'en fait ce n'était pas luiqu'elles concernaient, il n'avait pas de raisons de les

repousser par des explications prématurées. Et c'est alorsqu'apparut très nettement la petite fille de dix ans, qui enson temps n'avait pas eu le droit de poser de questions àson père. La patiente se disait qu'en fait à l'époque ellen'y avait pas pensé. Et pourtant il paraît assez évidentqu'une enfant de dix ans qui a attendu toutes ces longuesannées le retour d'un père bien-aimé lui demande : < Oùétais-tu ? Qu'as-tu fait ? Qu'as-tu vu ? Raconte-moi unehistoire ! Raconte-moi ce qui s'est vraiment passé. >>

D'après Brigitte, rien de tout cela n'avait été fait. Dans lafamille, << ces choses >> étaient marquées d'un tabou, onn'en parlait jamais avec les enfants, et ces derniers sentaientqu'ils n'avaient pas le droit de s'enquérir du passé de leurpère. Le sentiment de curiosité réprimé alors consciemment,mais déjà paralysé dans les phases antérieures par laprétendue << bonne éducation >>, se manifestait dans toutesa vivacité et avec toute son insistance dans la relation àI'analyste. Il avait certes été paralysé mais pas complète-ment anéanti. Et quand il put renaître, la dépressiondisparut. Pour la première fois, au bout de trente ans, lapatiente put s'entretenir avec son père de ce qu'il avaitvécu pendant la guerre, ce qui fut, pour lui aussi, un grand

<< La guerre d'extermination contre son propre moi >> 163

soulagement. Car la situation était désormais différente :

elle était assez forte pour pouvoir I'entendre exprimer ses

opinions sans devoir se nier elle-même, et elle n'était plusI'enfant dépendante. Mais, à l'époque, ces conversationsn'auraient pas été possibles. Brigitte comprit qu'enfant sapeur, de perdre le père bien-aimé en lui posant desquestions n'avait pas été sans fondement, car son pèreaurait alors été incapable de parler de ce qu'il avait vécusur le front. Il s'était toujours efforcé de liquider parI'oubli les traces de toute cette époque. Sa fille s'étaitparfaitement adaptée à ce besoin et elle était arrivée àn'avoir sur le Troisième Reich qu'une information lacunaireet purement intellectuelle. Elle défendait la théorie selonlaquelle il fallait juger cette période objectivement et ( sansémotion ), comme un ordinateur, qui compterait les mortsde tous les côtés sans en avoir d'image et sans éprouverde sentiment d'horreur.

Or, Brigitte n'était précisément pas un ordinateur maisune personne extrêmement sensible avec une pensée trèsnuancée. Et comme elle devait réprimer tout cela, ellesouffrait de dépression, d'un sentiment de vide intérieur(elle avait souvent I'impression de se trouver devant << unrnur tout noir >>), d'insomnies et de la dépendance vis-à-vis des médicaments qui étaient censés réprimer sa vitaliténaturelle. La curiosité et le besoin de recherche de cetteenfant intelli$ente, qui avaient été transférés à des problè-mes purement intellectuels, resurgirent presque littérale-ment comme << le diable que I'on a chassé de son jardinressurgit dans le jardin de son fils >>*, d'où elle essayaégalement de les chasser, le tout uniquement parce gue,dans une compulsion de répétition, elle s'efforçait toujoursd'épargner son père introjecté et I'insécurité émotionnellede ce père. Les représentations que I'enfant se donne du<< mal.> découlent toujours des attitudes de défense de sesparents : est << mal >> ou risque de l'être tout ce quiaugmente I'insécurité des parents. Il en résulte des senti-ments de culpabilité qui résistent à toute analyse ultérieure

* Pestalozzi : < Chasse le diable de ton jardin, tu le retrouveras dansle jardin de ton fils. >

164 C'est pour ton bien

tant que leur histoire n'a pas été vécue consciemment.Brigitte eut la chance que ce < diable >> en elle, autrementdit I'enfant vivant, curieux, intéressé et critique, fût plusfort que son adaptation, et elle put intégrer cet élémentoriginel à sa personnalité.

A ce moment là, les croix gammées perdirent leurpouvoir de fascination sur son fils, et il apparut trèsclairement qu'elles remplissaient une fonction multiple.D'une part, elles avaient servi à < abréagir > la volonté desavoir refoulée chez .Brigitte, et de I'autre elles avaienttransféré sur I'enfant le sentiment de déception éprouvévis-à-vis du père. A partir du moment où elle put vivretous ces sentiments dans sa relation avec l'analyste, ellen'eut plus besoin d'utiliser I'enfant à cette fin.

Brigitte me raconta son histoire après avoir écouté unede mes conférences. Quand je lui demandai I'autorisationde la publier, elle me la donna volontiers, car elle éprouvaitle besoin, comme elle me le dit elle-même, de communiquerson expérience à d'autres et << non plus de la taire >.

Nous étions toutes deux persuadées que son malheurétait le reflet de la situation de toute une génération quiavait été éduquée au silence et qui consciemment ou (leplus souvent) inconsciemment en souffrait. Étant donnéqu'en Allemagne, jusqu'au congrès des psychanalystes delangue allemande de Bamberg (1980), la psychanalyse nes'est guère préoccupée de ces problèmes, seuls des individusisolés ont eu jusqu'à présent la possibilité de se libérer dece tabou du silence, non seulement intellectuellement maisaussi, comme par exemple dans le cas de Klaus Theweleit,sur le plan émotionnel (cf . Mtinnerphantasien - Fantasmesmasculins -).

C'est ainsi que les réactions violentes de la deuxièmegénération à la diffusion télévisée du film Holocauste futcomme une émeute en prison... C'était la prison du silence,de I'interdiction d'interroger, de l'interdiction de ressentir,de I'idée aberrante que I'on pouvait surmonter de pareilleshorreurs (( sans émotion >. Serait-il donc souhaitable defaire de nos enfants des êtres qui pourraient sans difficulté

<< La guerre d'extermînation contre son propre moi >> 165

entendre parler du passage à la chambre à gaz d'un milliond'enfants sans tolérer en eux-mêmes des sentiment derévolte ni de souffrance au sujet de cette tragédie ? A quoinous servent des savants qui peuvent écrire des livresd'histoire à ce propos, en se souciant uniquement deI'exactitude historique objective ? A quoi serait donc censéeservir une telle aptitude à la froide objectivité devantI'horreur ? Nos enfants ne risqueraient-ils pas alors detomber sous le joug de n'importe quel nouveau régimefasciste ? Puisqu'ils n'auraient rien d'autre à perdre quele vide intérieur. Au contraire : un tel régime leur donneraitI'occasion d'orienter vers une nouvelle victime les senti-ments refoulés dans I'objectivité scientifique et non vécus,et de décharger enfin au sein d'un groupe grandiose cessentiments archaïques indomptés parce qu'enfermés enprison.

La forme collective du comportement absurde est bienla plus dangereuse, car personne ne s'aperçoit plus de sonabsurdité et elle finit par passer pour la << normalité >>.

Pour la grande majorité des enfants de I'après-guerre enAllemagne, il allait de soit qu'il aurait été incorrect outout au moins inconvenant de poser à leurs parents desquestions précises sur la réalité du Troisième Reich ;souvent même c'était carrément défendu. Le silence surcette période, c'est-à-dire sur le passé des parents, faisaitpartie des << bonnes manières >> au même titre que lanégation de la sexualité au début du siècle.

L'influence de ce nouveau tabou sur le développementdes formes actuelles de névrose ne serait pas difficileà prouver empiriquement, mais le système de théoriestraditionnelles n'en continue pas moins à résister à cetteexpérience, car non seulement les patients mais même lesanalystes sont victimes de ce tabou. Il leur est plus facilede poursuivre avec les patients les compulsions et lesinterdits sexuels découverts depuis longtemps par Freud,et qui ne sont peut-être même plus les nôtres, que lesinterdits de notre temps, c'est-à-dire aussi de leur propreenfance. L'histoire du Troisième Reich nous apprendraitpourtant entre autres choses que la monstruosité réside

166 C'est pour ton bien

bien souvent dans le << normal >>, dans ce que la grandemajorité considère comme < parfaitement normal et natu-rel >.

Les Allemands qui ont vécu, enfants ou adolescents, lapériode des victoires du Troisième Reich et ont voulu,dans la suite de leur vie, rechercher honnêtement leurpropre vérité, ont forcément eu de considérables difficultésà cet égard. Ils ont découvert une fois adultes I'atroceréalité du système national-socialiste et ils ont intégré cesavoir intellectuellement. Et pourtant la résonance deschants, des discours, des foules en délire perçue très tôt etliée à d'intenses émotions de I'enfance continuait à vivre eneux - inaltérée par tout le savoir acquis ultérieurement. Dansla plupart des cas, ces impressions étaient associées à dessentiments de fierté. d'enthousiasme et d'heureux espoir.

Comment un individu pourrait-il concilier ces deuxmondes - la connaissance émotionnelle héritée de I'en-fance et la connaissance opposée acquise ultérieurement -sans nier une part importante de son moi ? La paralysiedes sentiments comme I'avait tentée Brigitte, et la perte deses racines semblent souvent la seule solution pour résoudrece conflit et ne pas sentir cette tragique ambivalence..

Je ne connais pas d'æuvre dans laquelle précisémentcette ambivalence, qui est celle d'une grande partie detoute une génération en Allemagne, s'exprime mieux quele film de Hans-Jùrgen Syberberg, Hitler - Un filmd'Allemagne qui dure sept heures. Syberberg n'a rien voulud'autre que présenter sa vérité subjective et, se laissantaller à ses sentiments, à ses fantasmes et à ses rêves, il abrossé un tableau d'histoire contemporaine dans lequelbeaucoup se retrouveront parce qu'il donne les deuxperspectives : celle de l'être clairvoyant, celle de I'illusionséductrice.

La fascination de I'enfant doué devant la musiquewagnérienne, la solennité des défilés, les vociférationsdu Fûhrer à la radio, incompréhensibles mais chargéesd'émotion ; la vision de Hitler comme une marionnette àla fois puissante et inoffensive - tout cela a sa place dansce film. Mais tout cela a sa place à côté de la révolte, de

<< La guerre d'extermination contre son propre moi >> 167

l'horreur et surtout de la souffrance authentique de

I'adulte, que I'on n'avait guère sentie jusqu'alors dans les

films sur lè même sujet, parce que cela supposait I'abandondu schéma pédagogique de l'accusation et de l'amnistie'Dans plusieurs scènes du film, on sent la souffrance - non

seulement pour les victimes de la persécution, mais aussi

pour les victimes de I'illusion et peut-être plus encore pour

i'absurdité des idéologies en général, qui prennent la

succession des parents éducateurs de la petite enfance'Seul un homme qui avait pu vivre la façon dont il s'était

laissé prendre à cette illusion' sans le nier, pouvait le

représenter avec I'intensité de deuil que I'on ressent chez

Syberberg. Ce film vit par I'expérience du deuil et, sur leplan émotionnel, il en apprend davantage au spectateur

iur le caractère totalement creux de I'idéologie national-socialiste - au moins dans quelques scènes particulière-

ment puissantes - que beaucoup d'ouvrages objectifs et

très blen documentés. C'est également I'une des rares

tentatives qui aient été faites de vivre avec un passé

incompréhensible plutôt que d'en nier la réalité.

L'enfance d'Adolf Hitler :De I'horreur cochée à I'horreur monifeste

< Ma pédagogie est dure. Il faut éliminer la faiblesse. Dansmes Ordensburgen, nous formerons une jeunesse dont lemonde aura peur. Je veux une jeunesse violente, domina-trice, courageuse et cruelle. Il faut qu'elle sache endurer lasouffrance. Elle ne doit rien avoir de faible ni de tendre.Que l'éclat de la bête féroce libre et magnifique brille ànouveau dans ses yeux. Je veux que ma jeunesse soit forteet belle... c'est ainsi queje pourrai créer I'ordre nouveau. D

(Adolf Hitler)

lntroduction

L'envie de m'informer plus précisément sur I'enfanced'Adolf Hitler me vint seulement au cours de la rédactionde ce livre et elle m'étonna passablement. Je voulus savoirsi la conviction - acquise dans ma pratique psychanalyti-que - de I'origine réactionnelle (et non pas innée) ducaractère destructeur de l'homme pourrait être confirméepar le cas d'Adolf Hitler, ou serait au contraire entièrementremise en question, si Erich Fromm et quelques autresétaient dans le vrai. L'enjeu me paraissait assez importantpour effectuer cette démarche ; pourtant j'ai profondémentdouté, au départ, qu'il me fût possible d'éprouver lamoindre empathie pour cet homme, le plus grand criminelque je connaisse. L'empathie, autrement dit la tentativede revivre un destin d'enfant comme il a pu être vécu parun enfant, et non pas de le juger avec des yeux d'adultebien éduqué, est mon seul instrument de compréhension,et sans elle toute ma recherche aurait été vaine et dénuéede sens. J'ai été très heureuse de constater que j'avaisenfin réussi à ne pas perdre cet instrument, et à considérerHitler comme un être humain.

Pour ce faire, il me fallut me dégager de la cathégorie

170 C'est pour ton bien

traditionnelle et idéalis.atrice de I,<< humain > fondée3 *r'.:.ll:n et ra projectlàn âi, i,ràr, Ë, voir que rhoret la << bête > n" ,i.*.ruur.* p*ï#;,"rï;",î#l,f Ii'i*::""^1'*1'."*lp'206)-i;"i;i'animarn'ép'.o,lI a tragiq.ue,comp urs i on'a {;9 ;*gil;, #ïft ,"riliil#;::"0."^oj.:r: l.j j ll.ir ri q

".r- I irËeees dan s I a p etienfance, comme on.pzut r, "ïrl Ë';-"'.îff'àrï, ,ii

f,."Ili:l:l:S:ryj En toui.i,:i;;; connais ou. u,,,bien Ia dimension ae 'incons"i;;i

; ïrï'irff,:i: Xil,ilt "* :::. l,o y,"^o.,.1 F ;."f.Ë. j,i;i, à p,é,.nt, j e n,j amais rencontié r' ex t rême-ùeriiirriË,i.ï"d;ii:'ii;*,ill1,i,*.1:.,:-::: *tq.;d; ;:; Ël*uin, que je peuxen suivre les traces et en cherct

", i*-*ir"ir. i;rrr"j:ï:peux pas renoncer.à.::jf iy:rro.garion, tant que je neveux pas me faire instrument de rilorreur, autrement dittant que je ne veux pas.en être le p-*. et l,intermédiairenon averti (et par conséquent innô.*i, mais aveugle).Si nous rournons Ie àos a l;ir.à.iréhensible et que,désarmés, nous Ie oualifions d;.,-il;;; )), nous renonçonsvéritablement à Ie comprendre. Et nous risquons d,autantplus d'y prêter encore notre soutien Ia prochaine fois, entoute innocence et en toute naiVeté.

D'innombrabres pubrications sur Ia vie d,Adorf Hitrersont parues au cours des,trente_cinq Jernières années. J,aiincontestabrement entendu oir. piJrËurs fois que Hitreravait été battu par son père, :r i,uj-rnïàe lu il y a quelquesannées dans la monogiaphià O" U.fÀ Stierlin, sans quecette information m'àit.-toucrre.-purri.urièrement. Maisdepuis que je suis sensibi{:à.

"" prJureme de

'humiliationde l'enfant dans les premières ;;;;;'à. sa vie, I,informa-tion acquise antériùr.-*i-il;" in poids bien plusconsidérable pour m.oi.^Je .. pôr. r" question suivante :comment a pu être I'enfance de cet homme, pour qu,il ait:j:.j^:"1. :l vie possédé pu. ru r,ui*,îiiu,il ait si aisémenrreussr à entraîner les autres aans cétte traine ï G;îi;lecture de Schwarze padasosiili;;â"s"gie

noire) er dessentimenrs qui s'éve'lc..nl én -oia-.Ji,. occasion, je suisbrusquement parvenue.à me ..p?J.ri.. et à ressentir cequi avait pu se passer dans r" À-"iràT'âe ra fam'le Hitler,

L'enfance d'Adolph Hitler l7l

alors qu'Adolf Hitler était tout petit. Le film en noir etblanc que j'avais dans la tête se changea en film en couleur,qui se mêla progressivement à mes propres expériences dela dernière guerre au point de n'être plus un film mais lavie même : non seulement une vie qui s'était déroulée àun moment donné et dans un cadre donné mais une viequi, par ses conséquences et l'éventualité de sa répétition,nous concerne aussi tous ici et aujourd'hui, me semble-t-il. Car I'espoir que I'on puisse réussir, à long terme, àéviter la mort de I'humanité par les armes nucléairesà I'aide d'accords raisonnables est une pure illusion,irrationnelle et contraire à toute expérience. Au moins sousle Troisième Reich, sinon à plusieurs reprises dans lesépoques antérieures, nous avons pu constater que la raisonne constituait qu'une petite partie de I'homme et mêmepas la plus puissante. Il a suffi de la folie d'un Fûhrer, etil a suffi de quelques millions de citoyens bien éduqués,pour anéantir en quelques années la vie d'innombrablesinnocents. Si nous ne faisons pas tout ce que nous pouvonspour comprendre la genèse' de cette haine, les accordsstratégiques les mieux élaborés ne nous sauveront pasnon plus. L'accumulation d'armes nucléaires n'est qu'unsymbole des sentiments de haine accumulés, et de I'incapa-cité dont ils s'accompagnent de percevoir et d'exprimer lesvéritables besoins.

L'exemple de t'enfance d'Adolf Hitler nous permetd'étudier la genèse d'une haine dont les effets firent desmillions de victimes. La nature de cette haine destructriceest bien connue des psychanalystes depuis longtemps, maison ne peut guère attendre d'aide de la psychanalyse tantqu'elle conçoit cette haine comme I'expression de la pulsionde mort. Même les disciples de Melanie Klein, qui décriventtrès précisément la haine de la petite enfance, mais laconsidèrent comme innée (pulsionnelle) et non réaction-nelle, ne font pas exception sur ce point. C'est sans douteHeinz Kohut qui appréhende le mieux ce phénomène de lahaine - avec sa notion de fureur narcissique que je metsen relation avec la réaction du nourrisson à la non-disponibilité de I'objet primaire (1979).

172 C'est pour ton bien

Mais pour comprendre la genèse d'une haine insatiablequi dure toute une vie, comme celle d'Adolf Hitler, il fautfaire un pas de plus. Il faut quitter le terrain familier dela théorie des pulsions et vouloir bien se poser la questionde ce qui se passe chez I'enfant qui est, d'un côté, humiliéet rabaissé par ses parents et qui a, d'un autre côté, ledevoir impératif d'aimer et de respecter la personne quiI'offense et de n'exprimer en aucun cas ses souffrances.Alors que I'on n'attendrait jamais quelque chose d'aussiabsurde d'un adulte (sauf dans les cas de relations sado-masochistes caractérisées), c'est ce que les parents attendentdans la plupart des cas de leurs enfants, et dans iesgénérations passées, cette attente était rarement déçue.Dans ces premières années de la vie, on parvient encore àoublier les pires cruautés et à idéaliser I'offenseur. Maistoute la mise en scène ultérieure trahit le fait que I'histoirede la persécution de la petite enfance a été enregistréequelque part ; elle se déroule alors devant les spectateurset leur est rapportée avec une incroyable précision, maisprécédée d'un arrtre signe : I'enfant torturé devient dansla nouvelle version le tortionnaire. Dans le cadre' dutraitement psychanalytique, cette histoire se joue dans lecadre du transfert et du contre-transfert.

Si la psychanalyse voulait bien se libérer de son attache-ment à I'hypothèse de la pulsion de mort, avec le matériaudont elle dispose sur le conditionnement de la petiteenfance, elle pourrait apporter une contribution bien plusimportante à la recherche sur la paix. Malheureusement, ilsemble que la plupart des analystes ne se soucient pas desavoir ce que les parents ont fait de leurs enfants, etabandonnent ce thème aux thérapeutes du groupe familial.Étant donné que ces derniers, â lerrr toui tt" travaillentpas en utilisant le phénomène de transfert, et s'attachentessentiellement à modifier l'interaction entre les membresde ce groupe, ils arrivent rarement à connaître les événe-ments de la petite enfance comme on le fait au cours d'uneanalyse approfondie.

Pour montrer comment l'humiliation, les mauvais traite-ments et le viol psychique d'un enfant s'expriment dans

L'enfance d'Adolph Hitler 173

tout le reste de sa vie, il suffirait de raconter minutieusementUne scule analyse. Mais cela n'est guère possible pour des

tlhons de discrétion. Inversement, la vie de Hitler a été,

Jurqu'à son dernier jour, observée de si près, par de si

nombreux témoins qui en ont rendu compte, qu'il n'estpas difficile de retrouver dans ces documents la mise en

tcène de la situation de la petite enfance. En dehors des

déclarations de témoins et des faits historiques qui ontlllustré son action, sa pensée et sa sensibilité se sontexprimées, même si c'est sous une forme codée, dans ses

nombreux discours et dans son livre Mein Kampf (Moneombat). Il serait extrêmement fructueux et intéressantd'essayer d'expliquer toute I'activité politique de Hitler en

fonction de I'histoire des souffrances de sa petite enfance.

Mais c'est une tâche qui dépasserait le cadre de ce livre oùll nous importe essentiellement de trouver des illustrationsdcs effets de la < pédagogie noire >>. C'est la raisonpour laquelle je me limiterai à quelques points de cettebiographie, en accordant toutefois un intérêt tout particu-tier à certaines expériences de I'enfance auxquelles les

biographes n'ont guère prêté d'attention jusqu'à présent.

Étant donné que les historiens s'occupent des faits exté-rieurs et les psychanalystes du complexe d'(Edipe, il sembleque peu d'entre eux se soient sérieusement demandé ce

que cet enfant avait pu ressentir, ce qu'il avait emmagasinécn lui alors qu'il était dès son plus jeune âge quotidienne-ment battu et humilié Par son Père.

D'après les documents dont nous disposons' nous pou-vons assez facilement nous faire une image de I'atmosphèredans laquelle Adolf Hitler a grandi. La structure de sa

famille pourrait être considérée comme le prototype durégime totalitaire. La seule autorité incontestée et souventbrutale y est le père. La femme et les enfants sonttotalement soumis à sa volonté, à ses caprices et à ses

humeurs ; ils doivent accepter les humiliations et les

injustices sans poser de question et même avec reconnais-sance ; I'obéissance est leur premier principe de vie. Lamère a certes son domaine dans I'entretien de la maison,où elle tient lieu d'autorité vis-à-vis des enfants quand le

174 C'est pour ton bien

père n'est pas là, où elle peut, autrement dit, se vengersur encore plus faible qu'elle des humiliations qu'elle aelle-même subies. Dans l'État totalitaire, cette fonction està peu près celle des forces de sécurité, ce sont les gardiensd'esclaves, qui sont eux-mêmes des esclaves, qui exécutentles désirs du dictateur, le représentent en son absence,terrorisent et punissent en son nom, et règnent sur tousceux qui n'ont aucun droit.

Ceux qui n'ont aucun droit, ce sont les enfants. Sijamais ils ont des cadets, il s'ajoute encore un domaineoir ils peuvent abréagir leur propres humiliations. Dès lorsqu'il y a plus faible ou plus démuni que soi, on n'est plusle dernier esclave. Mais parfois, comme dans le cas deChristiane F., on occupe en tant qu'enfant un rang encoreinférieur à celui du chien, car on n'éprouve pas le besoinde battre le chien, si I'on a déjà I'enfant pour ce faire !

Cette hiérarchie, que nous pouvons étudier très précisé-ment dans l'organisation des camps de concentration (avecles gardiens, les capos, etc.) est parfaitement légitimée parla < pédagogie noire >>, et elle est sans doute même encoremaintenue dans certaines familles. Les résultats que celapeut donner chez un enfant doué apparaissent très précisé-ment dans le cas d'Adolf Hitler.

Le père - son destin et sa relation au fils

En ce qui concerne les origines et la vie d'Aloïs Hitleravant la naissance d'Adolf, Joachim Fest écrit :

Le 7 juin 1837, dans Ia maison du paysan JohannTrummelschlager au numéro 13 à Strones, la fille de fermeAnna Schicklgruber, célibataire, accoucha d'un enfant quifut baptisé le jour même du prénom d'Alois. Dans leregistre paroissial de Dollersheim, la case dans laquelledevait figurer l'identité du père demeura vide. Aucunemodification ne fut apportée à ce document lorsque, cinqans plus tard, Ia mère épousa I'ouvrier meunier JohannGeorg Hiedler, chômeur << indigent >r. Bien plus, la mêmeannée, elle confia son fils à un frère de son mari, le paysanJohann Nepomuk Hûttler, de Spital, sans doute parce

L'enfance d'Adolph Hitler 175

qu'elle craignait de ne pouvoir élever l'enfant convenable-ment. Quoi qu'il en soit, si I'on en croit la tradition, les

Hiedler étaient si pauvres << qu'ils ne possédaient mêmepas de lit et couchaient dans une auge à bestiaux. >>

L'ouvrier meunier Johann Georg Hiedler et son frère, lepaysan Johann Nepomuk Hûttler, figurent parmi les pèresputatifs d'Aloïs Schicklgruber. Si I'on en croit une assertionplutôt hasardeuse, mais provenant néanmoins du procheentourage d'Hitler, le troisième serait un juif de Graznommé Frankenberg, au domicile duquel travaillait MariaAnna Sckicklgruber au moment de sa grossesse.

Quoi qu'il en soit, Hans Frank, qui fut pendant denombreuses années I'avocat d'Hitler avant de devenirgouverneur général en Pologne, a apporté dans le cadrede ses dépositions devant le tribunal de Nuremberg untémoignage sur ce point. Il a certifié qu'en 1930 Hitleravait reçu d'un fils de son frère consanguin une lettre quipouvait être une manæuvre de chantage. Le signataire yfaisait d'obscures allusions à << certaines circonstances bienprécises de I'histoire de notre famille >>. Ayant reçu mandatde tirer confidentiellement la chose au clair, Frank trouvaquelques arguments en faveur de I'hypothèse selon laquelleFrankenberger aurait été le grand-père d'Hitler. MaisI'absence de tout document écrit sur ce point la fait paraîtreéminemment douteuse, même s'il est peu vraisemblablequ'à Nuremberg Frank ait pu être tenté d'attribuer unancêtre juif à son < Fiihrer r>. Des recherches récentes ontencore affaibli ces présomptions, de sorte qu'aujourd'huicette thèse n'est plus guère défendable. D'ailleurs, saplausibilité importe peu ; ce qui lui confère une certaineimportance, en particulier sur le plan psychologique, c'estqu'à la suite des découvertes de Frank, Hitler fut contraintde nourrir des doutes sur son ascendance. De nouvellesrecherches entreprises par la Gestapo sur I'ordre d'Himmleren août 1942 ne permirent pas de résoudre l'énigme. Laversion qui fait de Johann Nepomuk Hiittler le pèrerépond à certaines combinaisons d'amour-propre, mais ellecompofte autant de lacunes que toutes les autres théoriesformulées au sujet du grand-père. Les unes et les autresbaignent dans I'obscurité de circonstances confuses quiportent l'empreinte de la misère, de l'abrutissement et dela bigoterie paysanne. En fait, Adolf Hitler ne savait pasqui était son grand-père.Vingt-neuf ans après la mort à Klein-Motten, près de

176 C'est pour ton bien

Strones, de Maria Anna Schicklgruber, qui avait succombéà une << hydropisie pulmonaire >>, et dix-neuf ans après lamort de son mari, Johann Nepomuk Hûttler, frère duprécédent, se présenta en cornpagnie de trois témoins chezI'abbé Zahnschirm, curé de Dollersheim. Il sollicitait lalégitimation de son < fils adoptif >>, I'employé de douanesAlois Schicklgruber, qui entre-temps avait presque atteintIa quarantaine. A vrai dire, il n'était pas lui-même le père.Cette paternité incombait à feu son frère, Johann Georg,qui en avait d'ailleurs fait I'aveu, ainsi que pouvaient lecertifier ses compagnons.Trompé ou convaincu par ses interlocuteurs, I'abbé céda àleur insistance. Dans le vieux registre paroissial, il remplaçale mot < illégitime >> qui figurait à la date du 7 juin 1837par la mention < légitime >, il remplit la case réservée aupère comme on le lui demandait et il ajouta faussementdans la marge : (( que Georg Hitler figure comme le père,les témoins mentionnés ci-dessous certifiant que l'intéresséavait reconnu être le père de I'enfant Alois, né de AnnaSchicklgruber et avait sollicité l'inscription de son nomdans le présent registre. + + + Josef Romeder, témoin ;+++ Johann Breiteneder, témoin; +++ EngelbertPaukh. >> Comme les trois hommes ne savaient pas écrire,ils signèrent de trois croix et I'abbé ajouta leurs noms.Mais il négligea d'écrire la date, de même sa propresignature faisait défaut, tout comme celle des parents(décédés depuis longtemps). Bien que contraire à la loi, lalégitimation fut effective : à partir de janvier 1877, AloïsSchicklgruber se nomma Aloi's Hitler.L'initiative de cette intrigue villageoise incombait sansaucun doute en partie à Johann Nepomuk Hiittler, car ilavait élevé Alois et il en était fier. Aloïs venait d'êtrepromu et il était arrivé à une fonction que jamais unHûttler ou un Hiedler n'avait exercée avant lui. Rienn'était donc plus compréhensible que le désir de perpétuerson propre nom par I'entremise de son fils adoptif. MaisAloïs était également fondé à souhaiter un changement denom, car ayant fait entre-temps une carrière respectable,cet homme énergique et consciencieux pouvait éprouver ledésir de lui donner I'assise solide et sûre d'un nom<< honorable >. Placé en apprentissage dès l'âge de treizeans, il avait cependant résolu d'abandonner son métier pourentrer dans I'administration autrichienne des Finances. Ilavait avancé rapidement et, en fin de compte, il avait été

L'enfance d'Adolph Hitler 177

promu en qualité de fonctionnaire des douanes dans laclasse la plus élevée qui lui fût accessible, compte tenu desa première instruction. Il était particulièrement heureuxde représenter les autorités dans les manifestations officiel-les, et il attachait de I'importance à ce qu'on lui donnâtcorrectement son titre. L'un de ses collègues à I'Office desdouanes a déclaré qu'il était << strict, minutieux et mêmepédant >>. A un parent qui sollicitait son avis pour le choixde la carrière de son fils, il répondit que le servicedes finances exigeait une obéissance totale et un espritconsciencieux. Ce n'était pas une profession qui pouvaitconvenir < à des ivrognes, des prodigues, des joueurs etautres gens à la conduite immorale >>. Ses photographies,qu'il fit exécuter, principalement à I'occasion de sespromotions, ont conseryé I'image d'un homme imposantqui permet de déceler, sous les traits méfiants du fonction-naire, une solide vitalité et un désir de respectabilitébourgeoise. Avec son uniforme aux boutons étincelants, ilse présente à I'observateur comme un caractère qui nemanque pas de dignité et de suffisance. (J. Fest, p. 7.)

A cela il faut ajouter, qu'après la naissance de son fils,Maria Schicklgruber a reçu pendant quatorze ans (quatorzeannées durant) une pension alimentaire du commerçantjuif dont parle J. Fest. Dans sa biographie de Hitler parueen 1973, Fest ne cite plus le rapport de Frank dans sestermes exacts, mais il le citait dans son ouvrage antérieur,paru en 196J où l'on peut lire :

< Le père d'Hitler était I'enfant illégitime d'une cuisinièredu nom de Schickelgruber, originaire de Leonding près deLinz et travaillant chez un ménage de Graz. Cette demoiselleSchickelgruber, grand-mère d'Adolf Hitler, était employéechez des Juifs du nom de Frankenberger au moment oùelle mit au monde son enfant (plus exactement : au momentoir elle devint enceinte.) (N. de I'A.) Pour son fils quiavait à l'époque près de dix-neuf ans (l'affaire se situevers les années 30 du siècle dernier), ce Frankenbergerpaya à la fille Schickelgruber, depuis la naissance deI'enfant jusqu'à sa quatorzième année, une pension alimen-taire. La famille Frankenberger et la grand-mère d'Hitlerentretinrent pendant des années une correspondance dontil semble ressortir que tous les intéressés savaient et

178 C'est pour ton bien

reconnaissaient tacitement que I'enfant de la fille Schickel-gruber avait été conçu dans des circonstances qui faisaientôbligation aux Frankenberger de payer une pension alimen-taire... > (J. Fest, 1963, P.22.)

Si tout le monde le savait si bien au village qu'on le

racontait encore cent ans après, il est impensable qu'AloTs

lui-même n'en ait rien su. On ne voit pas très bien nonplus comment les gens de son entourage auraient pu croireà une telle générosité sans raison particulière. Quoi qu'ilen soit, Alois était marqué d'une multiple opprobre :

l. celle de la Pauvreté ;

2. de la naissance illégitime ;

3. de la séparation de la mère à l'âge de cinq ans et

4. du sang juif.Sur les trois premiers points, il n'y avait aucun doute ;

le quatrième n'était peut-être qu'une rumeur' mais cela ne

rendait pas les choses plus faciles. Comment se défendred'un bruit qui court, de quelque chose dont personne n'oseparler ouvertement et qu'on ne fait que murmurer ? [l est

plus facile de vivre avec des certitudes, même les pires.

ôn peut par exemple faire une telle ascension dans sa

carrière professionnelle qu'on efface toute trace de

pauvreté. Et Aloi:s y réussit effectivement. Il réussit égale-

ment à mettre enceintes ses deux futures épouses avant lemariage, de manière à faire revivre activement chez ses

enfants le destin d'enfant illégitime dont il avait souffertet à s'en venger inconsciemment. Mais la question de sa

propre origine resta toute sa vie sans réponse.- Llincertitude sur sa propre origine, si elle n'est ni vécue

consciemment ni consciemment soumise à un travail de

deuil, peut plonger l'individu dans I'angoisse et le troubleles plus profonds, surtout lorsqu'elle est liée à un bruithonieux que I'on ne saurait ni confirmer ni réfuterentièrement.

On m'a raconté récemment I'histoire d'un homme de

près de quatre-vingts ans, émigré d'Europe de I'Est, -vivant

âepuis trente-cinq ans en Europe occidentale avec sa femmeet ses enfants, qui eut la stupéfaction de recevoir il y a

L'enfance d'Adolph Hitler 179

peu de temps, d'Union soviétique, une lettre de son filsnaturel, alors âgé de cinquante-trois ans et qu'il croyaitmort depuis cinquante ans. L'enfant était avec sa mère aumoment où celle-ci avait été fusillée. Le père avait ensuiteété détenu comme prisonnier politique et, persuadé queI'enfant était mort, il n'avait jamais eu I'idée de lerechercher. Mais le fils, qui portait le nom de la mère,écrivait dans sa lettre qu'il n'avait pas eu de répit depuiscinquante ans et que, de bureau d'information en bureaud'information, il avait toujours formé de nouveaux espoirsqui s'étaient effondrés tour à tour. Cependant, au boutde cinquante ans, il avait quand même réussi à retrouverce père dont il ignorait au départ jusqu'au nom. On peutimaginer I'idéalisation de ce père inconnu et les espoirsmis dans les retrouvailles. Car il avait nécessairement falluune énergie énorme pour parvenir à retrouver un hommeen Europe occidentale à partir d'une petite ville de provinceen Union soviétique.

Cette histoire montre qu'il peut être d'une importancevitale pour un individu de tirer au clair le problème deson origine, et de rencontrer celui de ses parents qu'il neconnaît pas. Il n'est guère vraisemblable qu'Alois Hitlerait pu vivre consciemment ce type de besoins ; en outre, ilne pouvait guère idéaliser le père inconnu alors que lebruit courait que celui-ci aurait été juif, ce qui signifiaitdans son entourage I'opprobre et I'isolement. La procéduredu changement de nom à quarante ans, avec ses multiplesactes manqués, telle que nous la décrit Joachim Fest,montre bien que la question de son origine était extrême-ment importante en même temps. que conflictuelle pourAlois.

Or les conflits émotionnels ne s'éliminent pas avec desdocuments officiels. Tout ce poids de trouble intérieurcombattu par I'effort, la placerde fonctionnaire, I'uniformeet le comportement arrogant se répercutaient sur lesenfants.

John Toland écrit :

Aloïs dut boire plus que de coutume et devint à coup sûrquerelleur et irritable. Sa tête de Turc était Aloïs junior.

180 C'est pour ton bien

Depuis quelque temps le père, qui exigeait une obéissanceabsolue, ne s'entendait plus avec le fils, qui refusait de lalui témoigner. Par la suite, Aloïs junior se plaignit amère-ment que son père le battait souvent <( sans pitié avec unfouet énorme >> ; mais dans I'Autriche de cette époque, iln'était pas rare que I'on rouât de coups les enfants ( pourleur bien. >> Une fois, le garçon fit l'école buissonnièrependant trois jours pour achever la construction d'unbateau-jouet. Le père, qui avait encouragé ce type d'acti-vité, fouetta le jeune Alois, puis le tint << contre un arbrepar la peau du cou >> jusqu'à ce qu'il perdît connaissance.On racontait aussi qu'il fouettait Adolf, quoique moinssouvent, et qu'il < battait fréquemment le chien jusqu'à cequ'il rampât sur le sol en mouillant le plancher. >> Cetteviolence, si l'on en croit Alois junior, s'étendait même àla docile Klara, ce qui, si la chose est vraie, doit avoir faitsur Adolf une impression ineffaçable. (J. Toland, 1979,p.29.)

ll est assez intéressant de copstater que Toland nous dit<< si ces indications sont exactes >>, alors qu'il possède lui-même un témoignage de la sæur de Hitler, Paula, qu'il nepublie pas dans son ouvrage, mais à laquelle se réfèreHelm Stierlin dans sa monographie en renvoyant auxarchives J. Toland. Ce témoignage nous dit :

C'était surtout mon frère Adolf qui provoquait la rigueurde mon père et il recevait chaque jour sa part de coups.C'était un garnement grossier et effronté et tous les effortsde son père pour lui faire passer I'insolence à force decoups et le convaincre d'entreprendre une carrière defonctionnaire restèrent nuls et non avenus. >> (Helm Stierlin,1980, p. 28.)

Si la sæur de Hitler, Paula, a personnellement racontéà John Toland gue son frère, Adolf, << recevait chaquejour sa part de coups >>, il n'y a pas de raison d'en douter.Mais tous les biographes ont la même difficulté à s'identifieravec I'enfant, et ils minimisent inconsciemment les mauvaistraitements infligés par les parents. Le passage suivant, deFranz Jetzinger, est très significatif à ce sujet :

L'enfance d'Adolph Hitler 181

On a écrit également que le gamin aurait été rudementbattu. On se refère à ce sujet à une prétendue déclarationd'Angela qui aurait dit : < Rappelle-toi, Adolf, commeavec notre mère, nous retenions le père par les pans deson uniforme quand il voulait te battre ! >> Mais cetteprétendue déclaration est très suspecte. Depuis l'époque deHafeld, le père ne portait plus d'uniforme depuis long-temps ; la dernière année où il avait porté son uniforme,il n'était pas dans la famille ; il aurait donc fallu que ces

scènes se fussent déroulées entre 1892 et 1894, alorsqu'Adolf n'avait que quatre ans et Angela à peine douze ans ;

âlors, elle n'aurait jamais osé retenir un aussi redoutable père

par les pans de son uniforme. Cela a dû être inventé parquelqu'un qui n'était pas très au fait de Ia chronologie !

Le < Fiihrer >> lui-même racontait à ses secrétaires, à qui ilaimait bien conter des sornettes, que son père lui avaitadministré un iour trente coups sur les reins ; mais il a étéprouvé que le Fûhrer racontait parfois dans ces cercles des

choses qui n'étaient pas vraies ; et ce récit est d'autantmoins crédible qu'il l'associait à des histoires d'Indiens etse vantait qu'à I'instar des Indiens, il avait subi ce

traitement sans broncher. Il se peut bien que ce gamindocile et frondeur se soit fait administrer de temps entemps une correction ; il le méritait bien ; mais en aucuncas on ne peut dire qu'il faisait partie des enfants battus ;

son père était fondamentalement un homme de progrès.Avec ce genre de théories forgées de toutes pièces, on nerésout pas l'énigme de Hitler, on ne fait que Ia compliquer.On a au contraire bien I'impression, que le père de Hitler,qui avait déjà plus de soixante et un ans à l'époque où ilvivaient à Leonding, laissait faire beaucoup de choses etne se souciait guère de l'éducation de I'enfant. (Jetzinger'1957, p. 94.)

Si les témoignages historiques de Jetzinger sont exacts,et il n'y a aucune raison d'en douter, il ne fait que

confirmer, par sa << démonstration >>, ma conviction pro-fonde qu'Adolf ne fut pas uniquement battu une foisgrand, mais l'était déjà tout petit, à moins de quatre ans.

En fait, on n'aurait même pas besoin de ces éléments, cartoute la vie d'Adolf en fait la preuve. Ce n'est pas parhasard que, dans Mein Kampf, il parle lui-même trèssouvent de I'enfant (< disons >) de trois ans. Jetzinger

182 C'est pour ton bien

pense manifestement que tout cela n'était pas possible.Pourquoi, en fait ? Combien de fois le petit enfant n,est_il pas la victime du mal dont I'adulte se défend en lui_même ?* Dans les traités d,éducation que nous avons citésprécédemment et dans les ouvrages du Dr. Schreber, trèspopulaires en leur temps, le châtiment corporel du tout-petit est explicitement préconisé. Et I'on ne cesse derappeler qu'il n'est jamais trop tôt pour extirper le malafin que < le bien puisse se développèr sans encombres >>.

Par ailleurs, il suffit de lire les jouinaux pour savoir quedes mères battent leurs nourrissons, et nous en sauriônspeut-être encore plus sur ce point si les pédiatres parlaientlibrement de ce qu'ils constatent tous les jou.i ; Àui,jusqu'à une date récente (au moins en Suisse) f.',..i"imédical leur interdisait formellement de le faire, ât actuelle-ment ils continuent sans doute à se taire par irabitude ou( par correction >. Si quelqu,un doutait donc qu'AdolfHitler ait subi très tôt des châtiments corporets, te passalede la biographie de Jetzinger que nous venons de ôiter ùifournirait sur ce point une information objective, uien queJetzinger cherche en fait à prouver le contraire - tout àumoins au niveau conscient. Inconsciemment il a perçuautre chose, et cela se ressent dans la contradictiônflagrante du récit. car ou bien Angela devait uuoit p.u.de ce < terrible père >>, auquel cas Àloi.s n,était pas âussidoux que Jetzinger veut le faire paraître, ou Uien I etaitainsi, auquel cas Angela n,aurait pas eu besoin d,avoirpeur.

Si je me suis arrêtée aussi longtemps sur ce passage,c'est qu'il me permet de montrer à quel point les Ui,igiapË.iso.nt $éf91més par le désir d'épargnei les parentsl f esitrès- significatif que Jetzinger pàrtJae ( sornettes > rà oùHitler raconte I'amère vérité de son existence, affirme quiHitler ne faisait ( en aucun cas >> parti. d.r n enrarrts

* Les travaux publiés par- R-ay E. Hetfer et C. Henry Kempe (1979)sous le titre The Battered Chitd n,apprennent guère au Ëctzur ticompréhension et la connaissance déJ motivations des cnatirneniscorporels infligés aux tout petits.

L'enfance d'Adolph Hitler 183

battus > et que ce gamin insolent et désobéissant avaitbien < mérité ses coups >>. Car son père était un homme<< lout à fait progressiste >. On pourrait discuter de ce queJctzinger entend par progressiste, mais indépendammentde cela il y a des pères qui extérieurement semblent avoirune pensée très progressiste, et qui vis-à-vis de leursenfants, voire d'un de leurs enfants, celui qu'ils ont élupour cela, ne font que répéter I'histoire de leur enfance.L'attitude pédagogique, qui se fixe pour objectif principalde protéger les parents des reproches de I'enfant peutdonner lieu aux interprétations psychologiques les pluscurieuses. C'est ainsi que Fest pense par exemple que ceseraient seulement les rapports de Frank sur les originesjuives de son père qui auraient déclenché chez Hitler uneagressivité contre le père. Ma thèse selon laquelle la hainedu père, fondée dans l'enfance, aurait trouvé chez AdolfHitler un exutoire dans la haine des juifs, est à I'opposéde celle de Fest selon laquelle ce serait à l'âge adulte, en1938, qu'Adolf Hitler aurait commencé à haii son pèreaprès avôir appris par l'intermédiaire de Frank qu'il étaitpeut-être d'ascendance juive. Fest écrit :

Nul ne peut dire quelles réactions la découverte de cesfaits provoqua chez le fils qui s'apprêtait à prendre lepouvoir en Allemagne ; mais certains indices laissent àpenser que la sourde agressivité qu'il avait toujours éprou-vée à l'égard de son père se changea désormais en unehaine déclarée. Dès le mois de mai 1938, quelques semainesaprès I'annexion de I'Autriche, il fit transformer en champde manæuvres la localité de Dôllersheim et ses environs.Le lieu de naissance de son père et le cimetière où reposaitsa grand-mère furent rasés par les chars de la Wehrmacht.(J. Fest, 1963, p.22.)

Une telle haine du père ne peut pas être seulement leproduit d'un esprit adulte, ce ne peut pas être uniquementune sorte d'antisémitisme << intellectuel > ; une pareillehaine a nécessairement des racines profondes dans I'obscu-rité du vécu de I'enfance. Il est assez significatif queJetzinger pense lui aussi que la < haine politique >> contreles juifs s'est << changée >> après les révélations de Frank

184 C'est pour ton bîen

en << haine personnelle >> contre le père. (Cf. Jetzinger,p.s4.)

A la mort d'Aloîs, la Linzer Tagepost du 8 janvier 1903publia une notice nécrologique dans laquelle on pouvaitlire :

<< Les propos tranchants qui tombaient parfois de ses lèvresne sauraient démentir le cæur chaleureux qui battait sousce rude extérieur... En toute occasion champion énergiquede le loi et de I'ordre, de culture universelle, il faisaitautorité sur tous les sujets qui se présentaient à lui. >Sur la pierre tombale, un portrait oblong de I'ancienfonctionnaire aux douanes, les yeux fixés devant lui avecdétermination. (J. Toland,1979, p. 35.)

Smith parle même de << son profond respect des droitsdes autres et de son souci de leur bonheur >. (Stierlin,p.23.)

Le < dehors un peu frustre >> de ces ( personnes pleinesde respect > peut être pour leurs propres enfants unvéritable enfer. J. Toland nous en donne lui aussi unexemple :

Au cours d'une crise de rébellion, Adolf résolut de s'enfuir.Averti de ces projets, Aloïs boucla l'enfant dans sachambre, à l'étage. Durant la nuit, Adolf essaya de seglisser entre les barreaux de la fenêtre. N'y parvenant pastout à fait, il ôta ses vêtements. Il entendit les pas de sonpère dans I'escalier, et, s'étant retiré en hâte, drapa sanudité dans un tapis de table. Cette fois, Aloïs ne luidonna pas le fouet mais éclata de rire et cria à Klara demonter voir le ( garçon à la toge >>. Le ridicule blessaAdolf plus que n'importe quelle cravache, et il lui fallut<< longtemps pour se remettre de cet épisode >>, devait-ilconfier à Hélène Hanfstaengl.Des années plus tard, il dit à I'une de ses secrétaires qu'ilavait lu dans un roman d'aventureb que le fait de ne pasexprimer sa douleur constituait une preuve de courage.< Je décidai alors de ne plus jamais pleurer quand mon pèreme fouetterait, Quelques jours plus tard, j'eus I'occasion demettre ma volonté à l'épreuve. Ma mère, effrayée, se

L'enfance d'Adolph Hitler 185

réfugia devant la porte. Quant à moi, je comptai silencieuse-ment. les coups de bâton qui me cinglaient le postérieur, >>

A partir de ce jour, prétendait Hitler, son père ne le touchaplus jamais. (J. Toland, p.32.)

Tous les passages de ce style donnent bien I'impressionqu'Aloïs reportait sur son fils la fureur aveugle qu'avaientéveillée en lui les humiliations de son enfance, et les luifaisait payer en le battant. Il éprouvait manifestement lebesoin compulsif de reporter plus particulièrement sur cetenfant les humiliations et les souffrances de son enfance.

Une autre histoire pourrait nous aider ici à comprendreles arrière-plans d'un tel besoin compulsif. Au cours d'uneémission de télévision américaine, un groupe de jeunesmamans parlent des mauvais traitements qu'elles ontinfligés à leurs tout jeunes enfants. L'une d'elle racontequ'un jour, ne pouvant plus supporter d'entendre I'enfantpleurer, elle I'a arraché à son berceau et I'a brusquementfrappé contre le mur. Elle fait ressentir très profondémentau spectateur le désespoir qu'elle a éprouvé alors et raconteensuite que, ne sachant- plus que faire, elle a recouru auservice téléphonique qui existe manifestement aux États-Unis pour ce genre de cas. La voix qui lui répond autéléphone demande qui elle a véritablement voulu battre. Asa propre stupéfaction, la jeune femme s'entend répondre :

< moi-même )), et elle éclate en sanglots.Je voudrais expliquer par là comment je comprends les

mauvais traitements infligés par Aloïs à son fils. Tout celane change rien au fait qu'Adolf, qui ne pouvait rien savoirde tout cela alors qu'il était enfant, vivait sous uneperpétuelle menace et dans un véritable enfer, dans I'an-goisse permanente et le traumatisme réel ; qu'il était enmême temps forcé de réprimer tous ces sentiments, et nepouvait même sauver sa fierté qu'en réussissant à cachersa souffrance et à la rejeter elle aussi.

Quelle jalousie inconsciente et irrépressible ne fallait-ilpas que I'enfant ait suscitée chez Aloïs, ne serait-ce quepar sa seule existence ? Enfant < légitime >> d'un couplemarié, fils d'un employé des douanes, et d'une mère qui

186 C'est pour ton bien

n'était pas forcée de le confier à d,autres parce qu,elleétait trop pauvre,-vivant avec un père qu,ii

"ÀrrËir*it(dont il pouvair même ressentir ptryslquemerl ru piËL*",de façon si concrète et si duratte qu,it n. O.uit-_à.,pas I'oublier de toute sa vie), n'était-ir pur tre, .*a.t.-rr,ce qu'Aroi's avait souffert toute sa vie o. n.-pas c,*,-"tqu'il n'était jamais arrivé à être en dépit d. tou,'r.sefforts,,parce que pon ne parvient jama'is a-.hu-"g.."i.destin de I'enfance ? On ne p"ut que l,accept., .iïiui.avec la vérité du passé, ou le ienier complètement et fairesouffrir les autres pour compenser.

.Beaucoup d'entre nous ont des difficurtés à admettre latriste. vérité qui veut que la cruauté frappe Ie plus souventdes innocents. Il faut. dire qu. i;on apprend dès saplus tendre enfance à considéier tàutes les cruautés deI'éducation comme des punitio.; à; ses propres fautes.Une enseignante m,a racônré qu,J la suite â. Ë;;"j;;;d'Holocauste à la térévision prusieurs élèves de sa classepensaient que ( Les juifs uuui.nt dû faire qu.iqu, ;Ë;de mal, sinon on ne les aurait pu, puni, ."_rn. i-u lr.-"""'. .

C'est- ainsi qu'il faut compr.ndr" tous les efforts desbiographes pour artribuer au petit Adorf t"", r., pé.rrà,possibles et imaginables, essentiellement la paressq i,i;r;:Ience et le mensonge. un enfant naît-il *.nt.ur i Ëi-Lmensonge n'est-il pas quelquefois Ie seul moyen a.,u*ir.à1y.c. yl père pareil et de sauvegarder un reste

-d; ;;dignité ? Quand on est entièremen-t livré aux ""priÀ à!quelqu'un, comme c'était le cas d'Adolf Hitler f"i à" [f.,,d'autres), Ia dissimulation et les mauvair., not", a f;e"tf,ne constituent-irs pas lgs seurs moyens de s'assurer en ,."r.iun peu d'autonomie ? C'est pourquoi il y a il;-i;;

l3is-onr de penser que les réciis, faits utteii.ur._.;; p;;Hitler, d'une discussion franche et ouverte avec son pèreà propos du choix de son métier sont une version réviséede la réalité, non pas parce que le fils était . h;À.ï;nature;>, mais parce. qu'avec ce père il n,y uuuit pu, à.discus-sion possible. Ce passage de Mein Kampf .;;;rp";;sans doute davantage a h reàité des choses :

L'enfance d'Adolph Hitler 187

Je pouvais m'arranger pour garder pour moi ce que jepensais intérieurement, je n'avais pas toujours besoin derépondre. Il me suffisait d'avoir moi-même pris la fermedécision de ne jamais devenir fonctionnaire pour metranquilliser intérieurement. (Cité d'après K. Heiden, 1936,p. 16.)

ll est très significatif que le biographe Konrad Heidenqrri cite ce passage conclue : << donc, un petit cachottier. >>

Or nous attendons précisément d'un enfant qu'il s'exprimeouvertement et sincèrement dans un régime totalitaire, etcn même temps qu'il obéisse au doigt et à l'æil, qu'il aitdc bonnes notes, qu'il ne réponde pas à son père et qu'ilfasse toujours son devoir.

A propos des difficultés scolaires de Hitler, le biographeRudolf Olden écrit lui aussi (1935) :

La mauvaise volonté et I'inaptitude se renforcent très vitemutuellement. Avec la brusque disparition du père, unpuissant moteur disparaît (!) (R. Olden, 1935, p. 18.)

Les coups devaient donc être le moteur du travailscolaire. C'est d'autant plus étonnant que c'est ce quedéclare le même biographe, qui écrit un'peu plus haut, àpropos d'Aloïs :

Même retraité, il avait conservé la fierté caractéristique deI'officier de la fonction publique et exigeait qu'on s'adressâtà lui en lui disant Monsieur et en I'appelant par son titre.Les paysans et les journaliers se tutoient. Par dérision, ilsaccordèrent à cet étranger I'honneur qu'il réclamait. Maisil n'établit pas de bons rapport avec son entourage. Pourcompenser, il avait instauré dans son propre foyer unesorte de dictature familiale. La femme lui était soumise, etpour les enfants, il avait la main rude. C'était surtoutAdolf qu'il ne comprenait pas. Il le tyrannisait. Quand ilvoulait le faire venir, I'ancien sous-officier sifflait avec ses

six doigts dans la bouche. (Olden, p. 12.)

Pour autant que je sache, cette scène rapportée en 1935,alors que beaucoup de gens qui avaient connu la familleHitler vivaient encore à Braunau et qu'il n'était pas encore

188 C'est pour ton bien

trop difficile d'obtenir des informations, ne se retrouvepas dans les biographies de I'après_guerre. L,image deI'homme qui appefle son enfant^ et Ié rait ..ntr".; Lsifflant, comme on appelle un chien, évoque t.U.À"ni-t.,descriprions des campJ de concent.uiion- qîir-n.-rlut "pî,s'étonner si les biographes récents l,ont omise _ pui in"gêne compréhensible. A cera il faut ajouter ru tËnàun."commune à toutes res biographies de minimiser r" urrtâiitedu père en laissant entenâre que les crratimlnts;;;;;i,étaient alors la norme, voire en essayant de réfuter ces<< calomnies )) contre le père, comme té tentË-pa;-;;;ili.Jetzinger. Marheureusement, les minutieur., ueiiri.àiiîn,de Jetzinger ont été r'une des principur.r rout..r--à.,travaux ultérieurs. .or, ,ses thèseJ psychologiqu., n.-radifférencient guère de celles d'un elôit !

La manière dont Hitler enfant avait véritablement vuson père, il Ia montra, en reprenant inconr.i.*Â.nï'roncomportement et en re rejouant activement dans l'histoiremondiale. Le dictateur aux gestes saccadés, ;;;r-ril;;i;;a.vec son uniforme, tel que Chaplin I,a représente Aans sànfilm ou tels que le voyaient ses ennemir,

",étuit ei"i, ,"",le-regard critique de_-son fils. Le grand Fûhrer, ;;a;;admiré du peuple allemand, c,étiit l,autre ÀiàrE-'.rf"iqu'aimait et admirait Klara, Ia mère soumise, aont i, touipetit Adolf avait incontestablement partagé.t" r"rp".i-"iI'admiration. Ces deux aspects intéiiorir5, A" *:r-ïeË

apparaissent si nettement dans les mises en scène urtérieuiesde la vie d'Adolf (que I'on songe seulement au salut < HeilHitler >>, à I'enthousiasme Aei foutes, etc.) que l,on avéritablement I'impression que ses dons d'artlste t'au.uiànipoussé avec une force irrésiitibre à représenter .t a À.ii..en scène dans toute la suite de sâ vie les p;;iJ;;;visions

-du père tyrannique, demeurées, inconscieit;;;

profondément gravées en lui. Elles sonirestées inoubliabiespour tous ceux qui ont vécu cette époque, bien qu,un.partie des contemporains aient vécu en lui Ie aictate#lânsI'horreur de I'enfant maltraité et une autre partie dans leplein dévouement et le plein assentimenf A. lbl;;;innocent' Tout grand artiste puise son inspiration il;

L'enfance d'Adolph llitler 189

Itlnconscient de son enfance, et l'æuvre d'Adolf Hitlerlurait pu aussi être une æuvre d'art, si elle n'avait pascoûté la vie de millions d'hommes, si tant de victimesn'uvaient pas dû subir ses souffrances non vécues etrefoulées dans le moi grandiose. Mais en dépit de I'identifi-cation avec I'agresseur, certains passages de Mein Kampfmontrent aussi directement comment Adolf Hitler avaitvécu son enfance.

Dans deux pièces d'une cave habite une famille de septtravailleurs. Sur les cinq enfants, un marmot de trois ans.C'est l'âge où un enfant prend conscience. [...] L'étroitesseet I'encombrement du logement sont une gêne de tous lesinstants : des querelles en résultent. Ces gens ne vivent pasensemble mais sont tassés les uns sur les autres. Lesminimes désaccords qui se résolvent d'eux-mêmes dans unemaison spacieuse occasionnent ici d'incessantes disputes.[...] Quand il s'agit des parents, les conflits quotidiensdeviennent souvent grossiers et brutaux à un point inimagi-nable. Et les résultats de ces leçons de choses se font sentirchez les enfants. Il faut connaître ces milieux pour savoirjusqu'où peuvent aller l'ivresse, les mauvais traitements.Un malheureux gamin de six ans n'ignore pas des détailsqui feraient frémir un adulte. Empoisonné moralement, etphysiquement sous-alimenté, ce petit citoyen s'en va àl'école publique et y apprend tout juste à lire et à écrire.Il n'est pas question de travail à la maison, où on lui parlede sa classe et de ses professeurs avec la pire grossièreté.Aucune institution humaine n'y est d'ailleurs respectée,depuis l'école jusqu'aux plus hauts corps de l'État ;religion, morale, nation et société, tout est traîné dans laboue. [...] Mais cela finit mal, lorsque I'homme tire deson côté dès le début de la semaine et que la femme entreen conflit avec lui pour les enfants mêmes . Les querellescommencent, et, à mesure que I'homme se détache de safemme, il se rapproche de I'alcool. Chaque samedi, ils'enivre ; luttant pour elle et pour ses enfants, la femmelui arrache quelques sous, le plus souvent en le poursuivantsur le chemin de I'usine à la taverne. Quand la nuit leramène enfin à la maison, le dimanche ou le lundi, ivre etbrutal, mais les poches vides, des scènes pitoyables sedéroulent...

190 C'est pour ton bien

J'ai assisté cent fois à des histoires semblables. > (Cit.Stierlin, 1980, p. 30.)

Bien que la blessure profonde et durable de sa dignitéait interdit à Adolf Hitler de se représenter la situation decet enfant (< disons >) de trois ans comme la sienne, à lapremière personne, il ne peut subsister aucun doute sur lecontenu vécu de cette description.

Un enfant que son père n'appelle pas par son nom maisen le sifflant comme un chien a au sein de la famille lemême statut anonyme et dénué de tout droit que < lejuif > sous le Troisième Reich.

Hitler a véritablement réussi, par une compulsion incon-sciente de répétition, à transférer son propre traumatismefamilial à I'ensemble du peuple allemand. L'instaurationdes lois raciales contraignait tous les citoyens à prouverleurs origines en remontant jusqu'à la troisième générationet à en tirer les conséquences. Des origines mauvaises ousimplement douteuses pouvaient valoir pour commencerI'opprobre et I'humiliation et plus tard la mort - et ce enpleine paix, dans un État qui se voulait un État de droit.C'est un phénomène qui ne se retrouve nulle part. CarI'Inquisition par exemple poursuivait les juifs pour leurcroyance, mais elle leur laissait la possibilité du baptêmepour survivre. Sous le Troisième Reich il n'y avait pas decomportement, d'effort ni de mérite qui pût être dequelques secours que ce soit - en tant que juif on était,de par son origine, condamné à I'humiliation et plus tardà la mort. Ne trouve-t-on pas là un double reflet du destinde Hitler ?

l. Le père de Hitler n'avait pas la possibilité non plus,en dépit de tous ses efforts, de sa réussite, de son ascensionsociale et professionnelle du statut de cordonnier à celuide fonctionnaire des douanes, d'effacer la << tache >> deson passé, de la même manière qu'il était plus tard interditaux juifs de se défaire de l'étoile jaune. Cette tache étaitrestée, et elle I'avait opprimé toute sa vie. Il se peut qu'outreles raisons professionnelles, Ies nombreux déménagements(onze d'après Fest) aient eu aussi cette motivation-là : lebesoin d'effacer les traces. Cette tendance est également

L'enfonce d'Adolph Hitler l9l

très nette dans la vie d'Adolf : << Lorsqu'en 1942 on luiannonça que dans le village de Spital (région d'origine de

ron père - A.M.) on avait érigé un monument, il eut unde ses accès de fureur épouvantables >>, rapporte Fest.

2. En même temps, I'instauration des lois raciales étaitln répétition du drame de sa propre enfance. De lamême manière que le juif n'avait plus aucune chance dee'échapper, I'enfant Adolf n'avait jadis aucune chance de

rc dérober aux coups qu'il recevait de son père, car lacause de ces coups résidait dans les problèmes du père nonrésolus, dans le refus du deuil de sa propre enfance, etnon dans le comportement de I'enfant. Ces pères ont pourhabitude d'arracher de leur lit les enfants endormis quandlls n'arrivent pas à surmonter une humeur (quand ils se

Bont sentis incertains ou mal à I'aise quelque part enrociété, par exemple), et ils battent alors I'enfant pourrétablir leur propre équilibre narcissique (cf. Christiane F.,p.2s).

Le juif avait la même fonction sous le Troisième Reich,qui voulait se remettre à ses dépens de la honte de laRépublique de Weimar : c'est exactement la fonctionqu'avait eu Adolf toute son enfance. Il fallait qu'il attendîtà tout instant à ce qu'un orage éclatât au-dessus de sa

tête, sans qu'aucune idée ni aucun effort ait pu le détournerou lui permettre de l'éviter.

Étant donné qu'aucune tendresse ne liait Adolf à sonpère (il est assez significatif que dans Mein Kampf ilI'appelle << Monsieur Père >>), la haine se développa en luidc façon continue et univoque. Ce n'est pas la même chosepour les enfants dont les pères ont des accès de fureurmais peuvent entre-temps jouer de nouveau très gentimentavec leurs enfants. La haine ne peut plus alors être cultivéeù l'état pur. Ces êtres ont des difficultés d'un autre type :

ils recherchent des partenaires présentant une structuretendant aux extrêmes, se sentent liés à eux par millechaînes, ne peuvent pas les quitter et attendent toujoursque le bon côté triomphe durablement pour désespérer àchaque nouvel éclat. Les liens sado-masochistes de ce type,qui trouvent leur origine dans la personnalité double d'un

192 C'est pour ton bien

des parents, sont plus forts que les liens d'une relationamoureuse, ils sont indestructibles et équivalent à uneautodestruction permanente.

Adolf, lui, était sûr que les châtiments continueraient.Quoi qu'il fît, cela ne changeait rien aux coups auxquelsil-pouvait quotidiennement siattendre. Il ne lui i.rtuit âon.plus qu'à nier la doureur, autrement dit à se nier tui+nêmeet à s'identifier avec l'agresseur. personne ne pouvaitI'aider, pas même sa mère qui se serait arors *ise etie-mêqe en péril, puisqu'elle auisi était battue. fcf. iÀfa"à,p. 28)

cette situation de perpétueile menace se reflétait trèsexactement dans celle des juifs sous Ie Troisième Reich.Essayons d'imaginer une scène : un juif est dans l" ;;;-ilva chercher du lait, par exemple, brusquement un hommequi porte le brassard des S.A. se précipite ,u, fui, ii .àihomme à le droit de lui faire toui ce qu'il veut, iout ceque son imagination du moment lui suggère et tout ce queréclame dans le moment son inconscient. Le juif n" pêutplus avoir aucune influence sur tout cela _ d; plus-q*jadis I'enfant Adolf. Si Ie juif se défend, on'.i;.i; d;'l;piétiner à mort et on a re droit de re faire, .o.iii. iuoi,avec Ie petit Adolf âgé de onze ans quand h r,etuit Ëniuipour échapper à Ia violencé paternefe, avec trois autrescamarades, sur un radeau bâti de leurs propres mains quidevait se laisser porter au fil de la riviêre. pour Ë;;i;idée d'une fugue, on l,aurait presque battu à ;o;. -aCi.

Stierlin, p. 28). Les juifs n'ont désormais, .u* non piur,plus aucune possibilité de s'enfuir, toutes les voies reurînibarrées et mènent à la mort, comme res rails s'arrêtaieni âI'entrée de Treblinka ou d'Auschwitz, Ià s,arrêtait iu

"i".c'est exactement ainsi que se sent un enfant quotiaiénne-ment battu et qui seulement pour avoir pensé â s,enfuir, afailli se faire tuer.

Dans la scène que je viens de décrire et qui, sous demultiples variantes, s'est produite d'innon'ùruut., roi,entre 1933 et 1945, le juif devait tout subir comme unenfant impuissant. Ir devait supporter que cette créaturehurlante et hors d'elle-même, véritablement ctrangee ;nmonstre avec son brassard de S.A., lui verse le lait sur la

L'enfance d'Adolph Hitler 193

tête, en appelle d'autres pour les faire rire (de mêmequ'Aloïs se moquait de la toge d'Adolf) et se senteincroyablement puiSsant à côté de cet autre être humainentièrement livré à lui et à son pouvoir. Si ce juif aime lavie, il ne prend alors aucun risque pour se prouverson courage et sa fermeté d'âme. Il se tient tranquille,intérieurement plein d'horreur et de mépris pour sonagresseur, exactement comme jadis Adolf, qui commençaitavec le temps à percer à jour la faiblesse de son père etamorçait une vengeance avec ses échecs scolaires quivexaient le père.

Joachim Fest pense que la cause de l'échec scolaired'Adolf ne résiderait pas dans sa relation à son père, maisque c'était plutôt l'élévation du niveau à Linz, où il n'étaitplus à la hauteur d'enfants issus de familles bourgeoises.D'un autre côté, Fest écrit qu'Adolf était un << élève éveillé,plein de vitalité et apparemment doué >. (P. 9.) Pourquoiun enfant de ce type échouerait-il, si ce n'est pour lesraisons qu'il donne lui-même, mais auxquelles Fest ne veutpas croire, lui prêtant une ( répugnance précoce à touttravail régulier ) et une très nette tendance à I'indolence >>.

(P. 9.) Aloïs aurait pu s'exprimer ainsi, mais que son plusgrand biographe, qui apporte ensuite dans des milliers depage la preuve des capacités de Hitler, s'identifie avec lepère contre I'enfant, on pourrait s'en étonner, si ce n'étaitla règle. Presque tous les biographes reprennent à leurcompte les critères de valeur de I'idéologie de l'éducation,nelon laquelle les parents ont toujours raison, tandis quelcs enfants sont paresseux, gâtés, << obstinés >> et capricieux(p. 9), dès lors qu'ils ne fonctionnent pas exactement etdons tous les domaines comme on le voudrait. Et si lescrrfants ont le malheur d'exprimer une critique à l'égarddes parents, ils sont souvent suspectés de mensonge ; Festécrit :

Par la suite, afin d'ajouter quelques retouches impression-nantes et sombres à ce tableau (comme s'il en avait étébesoin ! A.M.), il (Hitler) en (son père) fit même univrogne qu'il était contraint d'arracher par des supplications

194 C'est pour ton bien

et des menaces < à des salles de café puantes et enfumées >>

pour le ramener à la maison après des scènes << d'unehonte affreuse >. (P. 9.)

Pourquoi y aurait-il là un noircissement artificiel dutableau ? Parce que les biographes sont d'accord pourreconnaître que le père buvait au café puis rentrait fairedes scènes à la maison, mais affirment tous qu'il << n'étaitpas alcoolique )). Ce diagnostic, << pas alcoolique >>, suffità effacer tout ce que faisait le père et à démentirI'importance de I'expérience vécue de l'enfant, à savoir lahonte et I'humiliation au spectacle de ces horribles scènes.

Il se produit un phénomène analogue, lorsqu'au coursde leur analyse, des patients cherchent à parler avecd'autres membres de leur famille de leurs parents décédés.Ces parents, déjà parfaits de leur vivant, se voient aisémentpromus par la mort au rang d'anges et abandonnent leursenfant dans un enfer de remords. Étant donné qu'il n'y apratiquement pas une personne de leur entourage quiconfirmerait les sensations éprouvées par ces hommes, etces femmes dans leur enfance, ils sont les seuls à en porterle poids et se croient de ce fait très mauvais. Les choses

1

ne se passèrent certainement pas différemment pour Adolf/Hitler lorsqu'il perdit son père à l'âge de treize ans et qu'ilne rencontra plus dès lors dans son entourage que la figureidéalisée du père. Qui aurait pu lui confirmer alors lacruauté et la brutalité d'Aloïs si les biographes se donnentencore aujourd'hui tant de mal pour présenter sous unjour anodin les châtiments qu'il infligeait quotidiennementà I'enfant ? Dès I'instant où Adolf Hitler réussit à transpo-ser son expérience du mal sur le < juif en soi >, il réussitégalement à rompre son isolement.

On ne peut guère imaginer entre les peuples d'Europede lien plus sûr que celui de I'antisémitisme. Il a toujoursconstitué un moyen de manipulation très apprécié desdétenteurs du pouvoir, et se prête de toute évidenceadmirablement à la dissimulation des intérêts les plusdivers, de sorte que les groupes extrémistes les plus opposéss'entendent parfaitement sur la menace que représentent

L'enfance d'Adolph Hitler 195

les juifs, et sur leur bassesse. Hitler adulte le savaltpuisqu'il dit un jour à Rauschning : < Si le juif n'existaltpas, il aurait fallu I'inventer. >

D'où I'antisémitisme tire-t-il son éternelle faculté dorenaissance ? Ce n'est pas très difficile à comprendre. Onhait le juif non pas parce qu'il est ou fait ceci ou cela.Tout ce que sont ou font les juifs se retrouve égalementchcz les autres peuples. On hait le juif, parce que I'onporte en soi une haine qui n'est pas permise, et que I'onéprouve le besoin de la légitimer. Or, le peuple juif seprête tout particulièrement bien à cette légitimation. Sapersécution ayant été perpétuée depuis deux millénairçspar les plus hautes autorités de l'Église et de l'État, onn'avait pas honte de son antisémitisme, même lorsqu'onuvait été élevé suivant les principes moraux les plusrigoureux et que I'on avait honte par ailleurs des mouve-nrents de l'âme les plus naturels qui soient. (cf.p. ll3 etsq.) Un enfant élevé dans le carcan des vertus imposéeslrop précocement se précipitera sur le seul exutoire permis,< prendra > son antisémitisme (c'est-à-dire son droit à lahaine) et le conservera toute sa vie. Mais cet exutoiren'était sans doute pas aussi aisément accessible à Adolf,parce qu'il touchait un tabou de la famille. Plus tard, àVienne, il put savourer le plaisir de lever cet interdit tacitect, parvenu au pouvoir, il lui suffit d'ériger en vertusuprême de la race arienne Ia seule haine permise et légitimetlans la tradition occidentale.

Ce qui me fait supposer que la question de I'ascendanceétait tabou dans la famille Hitler, c'est I'importancedémesurée qu'il accorda ultérieurement à cet élément. Saréaction au rapport de Frank en 1930 me renforce danscette idée. Elle trahit le mélange de savoir et d'ignorancetrès caractéristique de la situation de I'enfant, et reflète letrouble qui régnait dans la famille à ce sujet. On peut lirecntre autres choses dans ce rapport :

Adolf Hitler lui,-même savait que son père n'était pas nédes rapports sexuels de Maria Schicklgruber avec le juifde Graz, il le savait par les récits de son père et de sagrand-mère. Il savait que son père était issu des relations

196 C'est pour ton bien

de sa grand-mère avec son futur mari avant le mariage.Mais ces deux-là étaient pauvres, et le juif paya pendantdes années à ce ménage misérable une pension alimentairequi était très attendue. Comme il pouvait payer, on l'avaitfait passer pour le père, et le juif paya sans faire de procèsparce qu'il aurait redouté l'exposé de la procédure et latransformation de la chose en une affaire publique. (Citéd'après Jetzinger, p, 30.)

Jetzinger commente la réaction de Hitler dans les termessuivants :

Ce passage retranscrit manifestement les réactions deHitler aux révélations de Frank. Il était naturellementprofondément bouleversé, mais il ne pouvait pas le laisserparaître devant Frank et fit donc comme si ce qu'on luirapportait n'était pas tout à fait nouveau pour lui ; il ditqu'il savait par les récits de son père et de sa grand-mèreque son père n'était pas le fils du juif de Graz. Mais, dansle trouble de I'instant, Adolf s'est complètement égaré |

Sa grand-mère était dans la tombe depuis plus de quaranteans, elle ne pouvait donc rien lui avoir raconté ! Quant àson père ? Il aurait fallu qu'il le lui ait raconté alorsqu'Adolf n'avait même pas quatorze ans, puisque c'estalors que son père était mort ; on ne dit pas ce genre dechoses à un gamin de cet âge et on ne lui dit surtout pas :<< Ton grand-père n'était pas juif ! >> quand, de toutefaçon, il ne peut pas être question de grand-père juif !

Hitler répondit ensuite qu'il savait que son père était issudes relations entre sa grand-mère et son futur mari avantleur mariage. Pourquoi avait-il donc écrit des annéesauparavant dans son livre que son père était fils d'unpauvre petit paysan journalier ? L'ouvrier meunier quiétait le seul avec qui sa grand-mère eut pu avoir desrelations prémaritales, uniquement après qu'elle fût revenuevivre à Dollersheim, n'avait jamais été charpentier de savie ! Et accuser la grand-mère d'avoir eu la malhonnêtetéd'indiquer comme père celui qui pouvait payer, que ce fûtI'initiative de Hitler ou de Frank, correspond à un modede raisonnement sans doute courant chez les sujets dépra-vés, mais ne dit rien de I'origine ! En fait, Adolf Hitler nesavait absolument rien de ses origines ! On n'éclaire

L'enfance d'AdolPh Hitler 191

généralement pas les enfants sur ce genre de choses'

(Jetzinger, P. 30 et sq.)

Un embrouillement aussi insupportable dans la famillepeut entraîner des difficultés scolaires chez un enfant (parce

quc le savoir est interdit, autrement dit menaçant et

dangereux;. En tout cas, par la suite, Hitler voulut savoir

très exactement pour chaque citoyen jusqu'à la troisièmegénération quelles étaient ses origines et s'il ne ( se cachait

pas là derrière > quelque ancêtre juif.

A propos de l'échec scolaire d'Adolf, Fest fait plusieurs

observations, disant en particulier qu'il se prolongea au-

delà de la mort du père, ce qui est censé à ses yeux

ôpporter la preuve que cet échec n'était pas en relation

avôc le père. A cela on peut opposer un certain nombre

d'arguments :

l. ies citations de la Pédogogie noire montrent très

clairement que les maîtres prennent volontiers la succession

ctcs pères dâns le châtiment des enfants, et montrent aussi

lc blnéfice qu'ils en tirent pour la stabilisation narcissique

clc leur moi.2. Lorsque le père d'Adolf mourut, il avait été intériorisé4epuis lôngtemps par son fils, et les maîtres se présentèrent

comme dei subitituts du père, dont on pouvait essayer de

se défendre avec plus de succès. L'échec scolaire fait partie

cles rares moyens que I'on a de punir le père-maître'

3. A onze ans, Adolf a été presque battu à mort pour

avoir voulu se libérer par la fuite d'une situation qui luidevenait insoutenable. C'est également à cette époque que

mourut son frère Edmund, le seul être plus faible que lui,auprès de qui il avait sans doute pu faire encore I'expérience

d'ùn peu de pouvoir. Nous n'en savons rien. C'est en toutcas à ce moment là que commence l'échec scolaire, tandisque I'enfant avait jusqu'alors de bonnes notes' Qui sait ?Peut-être que cet enfant éveitlé et doué aurait trouvé unautre moyen, un moyen plus humain, de traiter la hainequ'il avait accumulée si l'école avait su fournir plus de

matière à sa curiosité et à sa vitalité. Mais la découverte

des valeurs de I'esprit lui fut également rendue impossible

198 C'est pour ton bien

par cette première reration au père profondément dégradéequi se reporta sur les maîtres Ët sur-i,école.Dans une fureur identique a c.it.s du père, l,enfantd'alors ordonne ultérieurem'ent Je tiote, tes fiure, i.r'etî.,qui pensent librement. c'était des livres qu,Adorf haïssaitet n'avait jamais lus,-mais qu'' auiait p.iit-cir. p"'îË'.tcomprendre, si on. lu] avâit permis dès f. Aip-t-d.développer ses aptitudes. I-a ïestruction des rivres etl'anathème jeté sui les artistes etaieni egur....rfà., -Jr.n,de se venger du fait que cet .nfuni àoué avait été privé duplaisir de l'écore. ce que je v.u* àire ici il;-rt;i;;.par une anecdote.

J'étais un jour assise sur un banc de jardin public, dansune grande ville que je ne connaissais pas. A èOte ae màivint s'asseoir un vieilï;;;;;;"ni.'oi, par la suire avoirquatre-vingt-deux ans. Je re remarquui a Ëaure a. il-rlrr"pleine d'intérêt ..et respectueuse ,iànt '

s,adressait auxenfants en train de jàuer, .t jtngugeai avec lui uneconversation au cours de laque[e- il- me ru.oniu 1.,expériences de sordat pendant ruti.Àier. eu..r" rn-ônàiuri.u You! savez, > me àit-il, n j'aie" moi;" urg.;;;di;;::,t-qiï"mpagne partout. >> Il m,est arrivé si souvent devolr mes camarades tomber, touchés par une grenade oupar une bombe, alors que je me trouvais à leurs côtés,que je restais vivant et que le n,étais _è_r--pur-;1"il.;Peu

. importe que dans re

"Oeiaii-ies choses se soienrexactement passées comme il le disait, mais ..t t orn.,exprimait dans l'image qu'il aonnait ae son moi une grandeconfiance dans son des.tj.n..Et j.,n. iu, pus étonnÈe, l;ril;je lui demandai ce qu'étaient-aeuenus'ses frères et sæurs,qu'il me réponde : n lls rorrt tour-.orts, j,etais i; Ë;j;:min.'>> Sa mère aimait U.uu.ouJ-lu vie, racontait_il.

Quelquefois_, au printemps, .tte-iEueittait lL ;l;;;;;écouter le chant des oiseaux dans-là ioret auani lu;''uirËà I'école. C'étaient ses plus beau* -sàuuenirs.

Lorsque jelui demandai si on I'avait Uurtu,li--. répondit : << Battu,pratiquement pas, peut-être qu.rno" plre avait quelquefoisla,main trop leste, et chaquà fois c-eia me mettait très encolère, mais il ne le faisait:u-uir1n-prer.n.. d.;;;;;

L'enfance d'Adolph l:Iitler 199

ellc ne I'aurait pas toléré. Mais vous savez, poursuivit-il,une fois j'ai été horriblement battu - par un maître. Dansles trois premières années d'école, j'étais le meilleur élève.l,a quatrième année, il arriva un nouveau maître. Celui-cim'accusa un jour d'une faute que je n'avais pas commise.ll me prit dans son bureau et me battit, et me battit encriant comme un possédé : Tu finiras par dire la vérité ?

Mais, comment aurais-je pu la dire ? Pour lui, il auraitl'allu que je mente, ce que je n'avais encore jamais faitparce que je n'avais pas besoin d'avoir peur de mesparents. Je supportai donc les coups un quart d'heuredurant, mais à partir de ce moment-là je ne me suis plusintéressé à ce que I'on faisait en classe et je suis devenuun mauvais élève. J'ai souvent regretté de n'avoir paspassé le baccalauréat. Mais je crois qu'à l'époque je n'avaispas le choix. >>

Cet homme semblait avoir bénéficié d'un tel respect dela part de sa mère, qu'il respectait ses propres sentimentsct était en mesure de les vivre. C'est ainsi qu'il s'apercevaitde sa colère quand son père avait la main trop leste, qu'ils'apercevait que le maître voulait le pousser au mensongeet I'humilier, et il ressentait aussi le deuil d'avoir à lepayer par le renoncement à une bonne formation scolaireparce qu'il n'y avait alors pas d'autre voie. J'avais étéfrappée par le fait qu'il ne disait pas comme la plupartdes gens << ma mère m'aimait beaucoup >>, mais << ma mèreaimait beaucoup la vie >>, et je m'étais souvenu que j'avaisécrit cela un jour à propos de la mère de Goethe. Ses plusbeaux moments, cet homme les avait vécus avec sa mèreen sentant le plaisir qu'elle éprouvait à écouter chanter lesoiseaux et qu'elle partageait avec lui. Cette chaleureuserelation à la mère rayonnait toujours dans les yeux duvieillard, et le respect que sa mère avait éprouvé pour luis'exprimait infailliblement dans la façon dont il s'adressaitmaintenant aux enfants en train de jouer. Il n'y avait dansson attitude rien de supérieur ni de condescendant maissimplement de I'attention et du respect.

Si je me suis arrêtée si longuement sur les difficultésscolaires de Hitler, c'est qu'elles illustrent dans leurs causes

2N C'est pour ton bien

comme dans leurs_ effets ultérieurs le cas de millionsd'autres hommes. Le nombre de partisans .ntt orrsiast",qu'il réunit a su prouver qu'ils étaient à peu picr ,rrîJîrg,et avaient été éduqués comme lui. Les biogiaphes ""irrr,montrent encore combien nous sommes loù a,uuoi, aoa_pris à quel point un enfant a droit au respect. JoachimFest, qui a fourni un travail énorme et très approfondipour décrire la vie-de Hitler, ne croit pas Ie fils iuand'irdit. ce qu'il a souffert au iait Ae lo,i père, et iî;;;r"qu'Adolf << dramatise > ces difficultés, comme si quelqu,unpouvait seulement prétendre en savoir dil;r"Ë;-;;;,point qu'Adolf Hitler lui-même.

On ne s'étonnera plus de I'effort de Fest pour épargnerles parents si 'on

ionge à la place qu'' tient dans rapsychanalyse. Tant que ies tenanis croient n. à."oirîtË,que pour la libération de la sexualité _ à peu prè; da;;Lsens de wilhelm Reich -, ils négligent aes arpects de;irif;.Ce qu'un enfant qui nta ja-âiJ Uènéficié d; ;;il;respect, et n'a donc pas non plus pu en Aguetoppei pourlui-même, fait d'une sexualité << libérée ,r, oou, TJî";;;;avec la prostitution des adolescents et ra ioxicomàrir. ô,,y apprend entre autres choses la dépenda"., epo.rùniuùù(vis-à-vis des autres et vis_à_vis oè r,rréro,n;i;lË;.ii;conduit la < liberté > des enfants tant qu,ell;

"" Ë;;;avec leur propre dégradation.Non seulement les châtiments corporels infligés auxenfants, mais même leurs suites sont si Uien inieg.e.ï

notre vie que nous n'en remarquons même ptus t'ausriràite.La < disposition hérorque, âr, ;eunes à partii i;Ë-Ëguerre (et ce à l,aube de leur vie i; et a ,. fuiré-ir;;-;;;les intérêts des autres, est peut_être également fid ;;i;lqu'au moment de la puberte, la haine"refoulée ;;tilt;enfance est encore une fois réactivée. Les jeunes il;;;;la détourner de leurs parents, si on leur donne

"r; il;;;concrète d'un ennemi qu'ils ont alors toute liberte oe ha'ir.C'est la raison pour iaquelle, au cours de ta premiÀreguerre mondiale, tant de jeunes peintres et poèies sontvolontairement partis au fiont. t;espoi, O, ,Ë fiùer.; d"I'oppression familiale leur faisait - ,'uuou.., la musiquemilitaire. L'héroine est un substitut qui remplit entre

L'enfance d'Adolph Hitler 201

lUtres choses également cette fonction, sauf que la fureurdortructrice se retourne en I'occurrence contre son propreSorps et contre son propre moi.

Lloyd de Mause qui, en tant qu'historien de la psycholo-

llc, s'intéresse essentiellement aux motivations et auxflntasmes de groupe qui sont à la base de ces motivations,I recherché par quels fantasmes étaient commandés lespcuples qui déclaraient la guerre. En revoyant ses docu-ments, il fut frappé par le fait que, dans de nombreuxdlscours des dirigeants de ces peuples, on retrouvaitconstamment des images rappelant le phénomène de lansissance. Il y était souvent question d'une situationd'étranglement dans laquelle se trouvait le peuple quidéclarait la guerre et dont il espérait enfin se libérer pareette guerre même. L. de Mause pense que ce fantasmereflète la situation réelle de I'enfant au moment de lanaissance, restée gravée en chacun d'entre nous comme untraumatisme et donc soumise à une compulsion de répéti-tlon. (Cf. L. de Mause, 1979.)

Une observation pourrait s'inscrire à I'appui de cettethèse : le sentiment d'être étouffé et de devoir se libérerne se manifeste pas chez les peuples réellement menacés,comme par exemple en Pologne en 1939, mais là où ce n'estpas réellement le cas, comme par exemple en Allemagne enl9l4 et en 1939 ou chez Kissinger pendant la guerredu Vietnam. Il s'agit donc indubitablement, lors d'unedéclaration de guerre, de la libération d'une menace, d'unétouffement et d'un rabaissemerfi fafiasmatiques, De ceque je sais aujourd'hui de I'enfance, et que j'essaie enparticulier de montrer avec l'exemple d'Adolf Hitler, jedéduirais cependant plutôt que sont revécues dans le désirde guerre non pas le traumatisme de la naissance maisd'autre expériences. Même la plus difficile des naissancesreste un traumatisme unique, fini, qu'en dépit de notref'aiblesse et de notre taille à cette époque nous avonssurmonté activement ou avec I'aide de tierces personnes.Au contraire l'expérience du châtiment corporel, de l'humi-liation psychologique et de la cruauté qui se répèteinlassablement, à laquelle on ne peut pas échapper et dans

202 C'est pour ton bien

laquelle il n'y a pas de main tendue parce que personnene veut voir I'enfer en tant que tel, est un état permanentet constamment revécu, qui ne se termine pas par un crilibérateur, et qui ne peut s'oublier qu'à I'aide de ladissociation et du refoulement. Ce sont ces expériencesnon dominées qui doivent trouver à s'exprimer dans lacompulsion de répétition. Dans I'enthousiasme de celui quidéclare la guerre vit I'espoir de se venger enfin deshumiliations passées et, sans doute aussi, du soulagementde pouvoir enfin haiï et crier. L'enfant de jadis saisit lapremière occasion de pouvoir enfin être actif et de ne plusdevoir se taire. Là où le travail du deuil n'a pas été possible,on essaie, au travers de la compulsion de répétition, defaire que le passé n'ait pas été et de gommer la tragiquepassivité d'alors par I'activité présente. Mais comme I'onne peut pas y réussir, parce que le passé ne se change pas,ces guerres ne conduisent pas I'agresseur à une libération,mais en définitive à la catastrophe, même dans les cas devictoire provisoire.

En dépit de ces dernières remarques, on peut aussiimaginer que le fantasme de la naissance joue un rôle ici.Pour un enfant qui est quotidiennement battu et qui doitle supporter en se taisant, la naissance est peut-être le seulévénement de son enfance dont il est sorti vainqueur, nonseulement dans ses fantasmes mais réellement : sinon, iln'aurait tout simplement pas survécu. Il a franchi le goulotd'étranglement, il a pu ensuite crier et il a quand mêmeété soigné par des mains secourables. Ce bonheur est-ilcomparable à ce qui s'est passé ensuite ? Il n'y aurait riend'étonnant à ce que nous tentions d'utiliser ce grandtriomphe pour surmonter les défaites et le sentimentd'abandon des périodes ultérieures. C'est dans ce sens qu'ilfaudrait entendre les associations avec le traumatisme dela naissance dans les déclarations de guerre : comme unrefus du traumatisme réel et caché qui n'est pris au sérieuxnulle part dans la société et qui demande donc à être remisen scène. Dans Ia vie d'Adolf Hitler, les guerres des Boersà l'école, Mein Kampf et la deuxième guerre mondialeconstituent la partie visible de l'iceberg. L'origine cachée

L'enfance d'AdolPh Hitler

d'une telle évolution ne peut pas -se

trouver dans I'expé-

rlence du passage par le èanal-de la naissance' que Hitler

I cn commun avec tous les hommes' En revanche' tous

les hommes n'ont pas été torturés comme lui tout au long

dc leur enfance.

Qu'est-ce que ce fils n'a pas entrepris pour oub.lier le

trairmatism. âr, ug..ttions pàternelles : il a su dominer la

;Ë;ai;Gàunt. uli.rnande, il a gagné les masses' mis à

les pieds les gouvernements des autres pays d'!'ulope'.Ilcnt parvenu à un pouvoir presque illimité' Mais la nuit'

;;di; sommeil, tà où l'incônscient fait revivre à I'homme

i.*".*pJii"nces de la petite enfance' il n'y avait- plus

d-ji.rtuîputoire : le père terrifiant.lui annaraç1{t et I'hor-

i.uitËâeployait. Rauschning écrit (pp' 284-285) :

Ce qui est plus grave et indique déjà le aé,t"t^t,:itl 1ll'espiit, ce sont les phénomènes- de persécutton et

- oe

dédoublement âe la personnalité' Son insomnie n'est

vraiment put uutt" choïe que la surexcitation du système

nerveux. Il s'éveille 'ouuettt

la nuit' Il faut alors qu'on

uilu*" ru r"-iei", Dans ses derniers temps, il fait- venir

des jeunes gens qu'il oblige à partager ave9.tr1l t::^TYi::d'épouvante. A certains moments' ces états morbloes

prennent un caractère d'obsession' Une personne de son

!nio,rr"g" -'u ait qu'il s'éveillait la nuit en poussant-des

cris convulsifs. ll appelle au secours' Assis sur le bord du

lit, il est "orn-.

puirfuysé. Il est saisi d'une panique qui-le

fait trembler au'point de secouer te tit' Il profère des

vocifération. .ôniut"t et incompréhensibles' Il halète

' comme s'il était sur le point d'étouffer' La même personne

m'a raconté une de cei crises, avec des détails que je me

refuserais a "toie

ii ma source n'était aussi sûre' Hitler

était debout,-âans sa chambre, chancelant, regardant

autour de lui diun aii egaré. - << C'est lui ! C'est lui ! ilest venu ici. ,i gJ-issail_il. Ses lèvres étaient bleues. La

sueur ruisselait à grosses gouttes' Subitement' il prononça

deschiffressansaucunsens'pursdesmots,desbribesde phrases. C'était incroyable' Il employait des -termesbizarrement uir.tnblét, tout à fait étranges' Puis de nou-

veau, il etait reJevenu silencieux' mais en continuant de

remuer les tevres. On I'avait alors frictionné' on lui avait

204 C'est pour ton bien

fait.bgile quelque chose. puis subirement, il avait rugi l;:l1-'^3j 9T: 1..**. eui est rà ? D l f;dp;il;;i.dIe parquet et hurlait. On iavait ,assu.é-àn-t,rir!

',.rquçL trr nuuart. un I'avalt rassuré en lui disant quril

ne se passait rien d,extraordinaire et alors il s,était ca'l-js'était calméun peu. Ensuite, il avait dormi pendant de longues teuriset était redevenu à peu près normal et supportable pourquelques temps.

. Bieg gqg la plupart des personnes de l,entourage de Hitleraient été d'anciens enfanti batrus (ou Uien piecisE;;il;;,

cette raison), person_ne n,a compris le lièn ù*;;;;,panique et ses < chiffres > incoÀpréhensibles. f,urrgôirserefoulée dans I'enfance^ pendant ôu;it comptaitla;;il,assaillait brusquement l'adurte au ùmmet dè sa gloire sàisla forme de cauchemars auxquels il ne pouvait échapperdans la solitude de la nuit.

L'extermination du monde entier n'aurait pas suffi àéloigner le père d'Adolf Hitler de sa chamùre, .ui- l"destruction du monde ne suffit pu, a Aetruire stn ;;;p;;inconscient, elle ne I'aurait pu, ïu, .e-. si Hitler avaitvécu. plus longtemps, car ia sôui.. de sa traine ètaitintarissable - elle coulait même Au", ,o" sommeil...

,.. Pour ceux qui n'ont jamais ressenti res forces del'inconscient, il peut paraître naif de vouloir ."piiqu.iI'æuvre de Flitler par son enfance. Il y a encore beaucoupd'hommes (et de femmes) pou, p.nrÉr que < les affairesde gosses sont des affairês- ae gàsres ), que Ia politiqueest une affaire sérieuse, une affàire d,adultes ;;; ;;;un jeu d'enfants. Ils trouvent ces associations et*rio ui..I'enfance bizarres ou ridicures parce q,r'il, veulent ouùri..- et c'est bien compréhensible - ra vérité o. ..tiË pèJàà..Si la vie de Hitler se prête si bien à la Jémonstration J,rrrr"th-èse, c'est que Ia continuité y apparaît mieux q* p"irôriailleurs.-Dès la petite enfanée, li uit dans re àÈrii â"-r"libérer

.d9 jgug parernel en jouant à la guerre. Ii ;;;;d'abord les Indiens, puis les'Boers au combat contre les

oppresseurs : << Cette grande bataille historique ne mit paslongtemps à devenir m-on principat souci p..ràno.i;;;;it:il dans Mein Kampf,

"t A'uitt.ur, ân voit s,esquisser

L'enfance d'Adolph Hitler 205

nquiétante progression qui va du besoin de I'enfance au

llnger du sérieux : < Dès lors, je m'enthousiasmai de pluslh plus pour tout ce qui se trouvait lié de façon quelconquelvec la guerre ou, par conséquent, avec le métier des

lfmes >. (Mein Kampf, cité par J. Toland, p. 33.)

Lc professeur d'allemand de Hitler, Huemer, rapporteQu'adolescent < il accueillait bien souvent les leçons et les

' lBmarques de ses maîtres avec un mécontentement maldllrimulé ; mais que, de ses camarades, il exigeait uneloumission inconditionnelle >r. (Cf. J. Toland.) L'identifi-iltlon précoce avec le père tyrannique fit que, d'après undcn témoins de Braunau, tout petit déjà, monté sur lelohmet d'une colline, Adolf << tenait de longs discourspa;sionnés* >>. Braunau, Hitler y vécut les trois premièreslnnées de sa vie, I'ascension du Fûhrer a donc commencétrès tôt. Tenant ces discours, I'enfant vivait les discoursdu père grandiose, tel qu'il le voyait alors et il se vivait entnême temps lui-même dans l'assistance comme l'enfantrdmiratif des premières années.

Les grands rassemblements de masses organisés ultérieu-rement avaient aussi cette fonction, c'était l'élément de lapetite enfance du Ftihrer qui s'y manifestait. L'uniténarcissique et symbiotique du Fûhrer avec son peupleI'exprime très clairement dans les paroles de son ami de

Jeunesse Kubizek, devant qui Hitler tint de nombreuxdiscours. John Toland écrit :

Ces Harangues [...] évoquaient pour Kubizek un volcanen éruption ; I'on se serait cru au théâtre. << Je ne pouvaisque rester bouche bée, passif, en oubliant d'applaudir. >>

Il lui fallut un certain temps pour se rendre compteque son ami ne jouait pas la comédie mais qu'il était<< parfaitement sincère >>. Il s'aperçut aussi que Hitler netolérait que I'approbation, et Kubizek, plus captivé parl'éloquence d'Adolf que par ce qu'il drsait, ne la luiménageait pas... Adolf semblait deviner les sentiments deson camarade. < Il savait toujours ce dont j'avais besoin,

r Communication orale de Paul Moor,

206 C'est pour ton bien

ce que je voulais. Quelquefois, j'avais le sentiment qu,ilvivait ma vie aussi bien que la sienne propre. > (p. 40.)

On ne peut guère imaginer de meilleur commentaire dulégendaire pouvoir de séduction de Hitler en matièred'éloquence : tandis que les juifs représentaient la partiehumiliée et battue de son moi de I'enfance, qu'il cherchaità éliminer par tous les moyens, le peuple allemand à sesgenoux, représenté ici par Kubizek, était la part noble deson âme, celle qui aimait le père et était aimée de lui. Lepeuple allemand et le camarade de classe reprennent lerôle d'Adolf, enfant sage. Le père protège la pure âmeenfantine des menaces qu'il porte en lui-même, en faisantdéporter et exterminer les juifs, afin que Ia parfaite unitéentre le père et le fils puisse enfin être rétablie.

Ces considérations ne sont bien évidemment pas écritespour ceux qui pensent que les << rêves ne sont que duvent )), et que I'inconscient est une invention de l'<< espritdérangé >. Mais il ne me paraît pas exclu que même ceuxqui se sont déjà penchés sur les problèmes de I'inconscientéprouvent un sentiment de méfiance ou d'indignationdevant ma tentative d'expliquer toute I'action de Hitler àpartir de son enfance, parce qu'en fait ils ne veulent pass'occuper de toute (( cette histoire inhumaine >. Mais peut-on vraiment imaginer, que Ie bon Dieu ait brusquementeu I'idée de faire descendre sur terre un ( monstre nécro-phile > à peu près au sens où le pense Erich Frommlorsqu'il écrit :

Comment expliquer que ces deux êtres moyens, équilibrés,tout à fait normaux et en aucun cas destructeurs, aient pumettre au monde ce futur monstre ? (Cité par Stierlin,p. 47.)

Je suis absolument persuadée que derrière tout crime secache une tragédie personnelle. Si nous nous efforcions dereconstituer plus exactement l,histoire et la préhistoire descrimes, nous ferions peut-être davantage pour en éviter denouveaux qu'avec notre indignation et nos sermons. Onm'objectera peut-être que tous les enfant battus ne devien-

L'enfance d'Adolph Hitler 207

n€nt pas des meurtriers, sinon tous les hommes le seraient.C'est vrai dans un certain sens. Mais les choses ne se

Fassent pas aussi paisiblement que cela entre les hommes,ft I'on ne peut jamais savoir ce qu'un enfant fera et seragontraint de faire vis-à-vis de I'injustice qu'il a subie, il yI d'innombrables << techniques >> de comportement à cettlard. Et surtout nous ne savons pas encore comment se

présenterait le monde si les enfants étaient élevés sanshumiliations et s'ils étaient respectés et pris au sérieux parlours parents comme des êtres humains à part entière. Pourma part, je ne connais en tout cas pas un exemple d'êtrequi ait bénéficié dans son enfance de ce respect* et qui aitéprouvé par la suite le besoin de tuer.

Mais nous ne savons pas encore ce que c'est que ladégradation de I'enfant. Le respect de I'enfant et laconnaissance de ce que peut être son humiliation ne sontpas des notions intellectuelles. Sinon, il y a longtempsqu'elles seraient généralement établies. Ressentir avec I'en-funt ce qu'il ressent lorsqu'il est dépouillé, blessé, humilié,c'cst en même temps revoir comme dans un miroir lesrouffrances de sa propre enfance, ce dont beaucoupd'hommes se défendent parce qu'ils en ont peur, alors qued'autres I'admettent et en éprouvent le deuil. Les êtres quiont suivi ce chemin du deuil en savent ensuite davantagerur la dynamique du psychisme qu'ils n'auraient jamaispu çn apprendre dans les livres.

La chasse aux hommes d'origine juive, la nécessité deprouver sa << pureté raciale > jusqu'à la troisième généra-tion, la gradation des interdictions en fonction de la puretédes origines paraissent au premier abord grotesques. Eneffet, on ne peut en comprendre le sens que si I'on se

représente que, dans les fantasmes inconscients d'AdolfHitler, elles matérialisaient deux puissantes tendances :

d'un côté, son père était le juif haï qu'il méprisait, faisaitchasser, persécuter par ses prescriptions et terroriser, carson père aurait aussi été frappé par les lois raciales s'il

* Par respect de l'enfant, je n'entends en aucun cas l'éducationprétendument anti-autoritaire, dans la mesure où celle-ci est un endoctri-nement de I'enfant et méprise donc son propre univers. (cf, p. l2l)

208 C'est pour ton bien

avait encore vécu. Mais en même temps - et c'était l'autretendance -, les lois raciales scellaient la rupture d'Adolfavec son père et avec ses origines. A côté de la vengeancecontre le père il y avait, parmi les principales motivationsdes lois raciales, la terrible incertitude de la famille Hitler :il fallait que le peuple tout entier prouvât la pureté de sesorigines en remontant jusqu'à la troisième génération parcequ'Adolf Hitler aurait bien voulu savoir avec certitude quiavait été son grand-père. Et surtout, le juif devint porteurde tous les traits méprisables et mauvais que I'enfant avaitpu découvrir chez son père. La représentation qu'avaitHitler de la judéité, avec son mélange très caractéristiquede grandeur et de pouvoir démesurés et diaboliques (lacoalition des juifs prêts à détruire le monde) d'un côté etla faiblesse et la fragilité du juif dans toute sa laideur, deI'autre, reflète la toute-puissance que même le plus faibledes pères possède sur son fils : le fonctionnaire des douanesfaisant des scènes pour exprimer son insécurité profondeet détruisant véritablement l'univers de I'enfant.

Il arrive fréquemment qu'au cours d'une analyse, lapremière pointe de critique du père soit amenée par lesouvenir refoulé d'un tout petit incident dérisoire. Parexemple le père, grand et qui prend des proportionsdémesurées aux yeux de l'enfant, ëtatt complètementridicule en chemise de nuit. L'enfant n'avait jamais eu uncontact étroit avec son père, il avait toujours eu peur deJui, mais dans cette image du père avec sa chemise de nuitcourte s'est réservée dans ses fantasmes une part devengeance qui est utilisée, lorsque I'ambivalence se mani-feste dans I'analyse, comme arme contre le monumentdivin. C'est à peu près de la même manière que Hitlerdiffuse dans le Sttirmer sa haine et son dégoût contre lejuif < puant ) pour inciter les gens à brûler les æuvres deFreud, d'Einstein et d'innombrables autres intellectuelsjuifs qui avaient une véritable grandeur. L'apparition decette idée, qui permet le transfert de la haine accumuléecontre le père sur les juifs en tant que peuple, est trèssignificative ; elle est décrite dans un passage de MeinKampf de la façon suivante :

Depuis que j'avais commencé à m'occuper de cette question

L'enfance d'Adolph Hîtler 209

et que mon attention avait été attirée sur les juifs, je voyaisVienne sous ull autre aspect. Partout où j'allais, je voyaisdes juifs et plus j'en voyais, plus mes yeux apprenaient àles distinguer nettement des autres hommes. Le centre dela ville et les quartiers situés au nord du canal du Danubefourmillaient notamment d'une population dont I'extérieurn'avait déjà plus aucun trait de ressemblance avec celuides Allemands.., Tous ces détails n'étaient guère attrayants,mais on éprouvait de Ia répugnance quand on découvraitsubitement sous leur crasse la saleté morale du peuple élu.Car était-il une saleté quelconque, une infamie sous quelqueforme que ce fût, surtout dans la vie culturelle, à laquelleun juîf au moins n'avait pas participé ? Sitôt qu'on portaitle scalpel dans un abcès de cette sorte, on découvrait,comme un ver dans un corps en putréfaction, un petityoupin tout ébloui par cette lumière subite... Je me mispeu à peu à les haïr. (Cité par J. Fest, p. 35.)

Lorsqu'on réussit à diriger toute la haine accumuléecontre un même objet, c'est au départ un grand soulage-ment. (< Partout où j'allais, je voyais des juifs... >). Lesrcntiments jusqu'alors interdits et évités peuvent se donnerlibre cours. Plus on en a été empli et plus ils ont étéclppressifs, plus on est heureux d'avoir enfin trouvé unobjet de substitution. Le père, lui, resté épargné par lahaine, et I'on peut rompre les digues sans pour autantrisquer d'être battu.

Mais le plaisir de substitution ne rassasie pas - nullepart cela ne se prouve mieux qu'avec I'exemple d'AdolfHitler. Pratiquement jamais aucun homme n'a eu lepouvoir qu'avait Hitler d'anéantir impunément tant devies humaines, et tout cela ne lui valut pourtant aucunrepos. Son testament le montre très explicitement.

On est stupéfait de voir à quel point I'enfant a faitsienne la manière d'être de son père quand on a vécu laseconde guerre mondiale et qu'on lit le portrait que faitStierlin du père d'Adolf :

Cependant il ne semble pas que cette ascension sociale se

soit faite sans problèmes pour lui-même ni pour les autres.Alois était certes travailleur et consciencieux, mais il

210 C'est pour ton bien

était aussi relativement fragile sur le plan psychologique,excessivement agité et peut-être même, dans certainespériodes, carrément atteint de troubles mentaux. Nousdisposons au moins d'un document qui semble dire qu'ilavait fait un séjour dans un asile d'aliénés. Selon unpsychanalyste, il présentait également un certain nombrede traits psychopathologiques, comme par exemple sonaptitude à tourner et à exploiter les règlements à son profittout en conservant I'apparence de la tégalité : en résumé,il alliait à une grande ambition une conscience moraleextrêmement accommodante, (Par exemple, lorsqu'ildemanda une dispense du pape pour son mariage avecKlara - qui légalement était sa cousine -, il soulignaI'existence des deux jeunes orphelins qui avaient besoindes soins maternels de Klara mais omit fort habilement dementionner qu'elle était enceinte.) (Stierlin, p. 88-89.)

Seul I'inconscient d'un enfant peut copier si fidèlementI'un de ses deux parents, que chaque trait de son caractèrese retrouve chez lui, même si les biographes ne s'en soucientpas.

La mère - sa position dans la familleet son rôle dans la vie d'Adolf

Tous les biographes s'entendent à dire que Klara ( aimaitbeaucoup son fils et qu'elle le gâtait >>. Notons pourcommencer que cette formule renferme en elle-même unecontradiction, si aimer signifie être ouvert et sensible auxvéritables besoins de I'enfant. C'est précisément dans lecas inverse que I'enfant est gâté, c'est-à-dire comblé defaveurs et de cadeaux dont il n'a pas besoin, à titre desubstitut de ce que, du fait de ses propres manques, onn'est pas en mesure de lui donner. L'excès dans ce senstrahit donc un véritable manque que la suite de la vieconfirme. Si Adolf Hitler avait véritablement été un enfantaimé, il aurait à son tour été capable d'amour. Or, ses

rapports avec les femmes, ses perversions (cf. Stierlin,p. 4l) et d'une façon générale son rapport distancé et froid

L'enfance d'Adolph Hitler 2ll

lux autres montrent bien que d'aucune façon il n'a connul'amour.

Avant la naissance d'Adolf, Klara avait eu trois enfants,morts de diphtérie en I'espace d'un mois. Les deux premiersétaient sans doute tombés malades avant la naissance dutroisième qui était mort lui aussi dans les trois jours. Adolfnaquit treize mois plus tard. Je reprends ici le tableau trèscomplet de Stierlin :

Naissance Décès

17/s/t885 8/r2/r887Age du décès

2ansl. Gustav(diphtérie)2.rda(diphtérie)3. Otto(diphtérie)4. Adolf5. Edmund(rougeole)6. Paula

et sept mors23/9/1886 2/l/1888 I an et 4 mois

1887 1887 2 ou 3 jours

près de 6 ans20/4/8924/3/t894 2/2/l9AD

2t/t/1896

La légende fait de Klara une tendre mère qui, après lamort de ses trois premiers enfants, aurait reporté touteson affection sur Adolf. Ce n'est peut-être pas un hasardsi tous les biographes qui ont tracé cet adorable portraitde madone étaient des hommes. Une femme d'aujourd'hui,sincère, et qui a elle-même été mère, peut sans doute se

représenter de façon un peu plus réaliste les événementsqui avaient précédé la naissance d'Adolf, et se faire uneimage plus exacte de I'environnement psychologique danslequel la première année de sa vie, toujours déterminantepour la sécurité de l'enfant, â FU se dérouler.

A l'âge de seize ans, Klara Pôtzl vient s'installer aufoyer de son ( oncle Aloïs > où elle doit s'occuper de safemme malade et de ses deux enfants. Avant même que safemme soit morte le maître du logis la met enceinte etquand elle a vingt-quatre ans, Aloïs, qui en a quarante-huit, l'épouse ; elle met alors au monde trois enfants enI'espace de deux ans et demi et perd ces trois enfants en

212 C'est pour ton bien

I'espace de quatre à cinq semaines. Essayons de nousreprésenter la chose un peu plus précisément : le premierenfant, Gustav, est atteint de diphtérie en novembre ;Klara ne peut guère le soigner, parce qu'elle est déjà surle point d'accoucher du troisième enfant, Otto, qui, trèsvraisemblablement contaminé par Gustav, meurt au boutde trois jours. Peu après, avant NoëI, Gustav disparaît àson tour et trois semaines plus tard la petite lda. Klara adonc dû vivre en quatre à cinq semaines une naissance etla mort de trois'enfants. Il n'est pas besoin qu'une femmesoit particulièrement sensible pour être déséquilibrée parun choc pareil, surtout avec un mari autoritaire et exigeant,alors qu'elle-même sort à peine de l'adolescence. Peut-êtrecette catholique pratiquante vécut-elle ce triple décès commeun châtiment divin pour les relations extra-conjugalesqu'elle avait eues avec Alois ; peut-être se reprocha-t-ellede n'avoir pu soigner suffisamment Gustav à cause de sagrossesse. En tout cas, il faudrait qu'une femme soit debois pour ne pas être ébranlée par ces coups du sort ; orKlara n'était pas de bois. Mais personne ne pouvait I'aiderà vivre le deuil, ses devoirs conjugaux subsistaient auprèsd'Aloi's ; I'année même de la mort d'[da, elle est à nouveauenceinte, et en avril de I'année suivante elle met au mondeAdolf. Du fait même que dans ces conditions elle n'avaitpas pu vivre le travail du deuil, la naissance d'un nouvelenfant devait nécessairement réactiver le traumatismerécent, et susciter en elle les pires angoisses et un profondsentiment de doute sur ses aptitudes à la maternité. Quellefemme, avec un passé pareil, n'aurait pas eu dès lagrossesse I'angoisse d'une nouvelle expérience identique ?

Il n'est guère pensable que, dans la première période desymbiose avec la mère, son fils ait sucé avec le seinmaternel le repos, la satisfaction et la tranquillité. Il estau contraire vraisemblable que I'inquiétude de la mère, lesouvenir tout récent des trois enfants morts, réactivépar la naissance d'Adolf, et I'angoisse consciente ouinconsciente de voir cet enfant mourir à son tour sesoient transmis au nourrisson comme dans des vasescommuniquants. La rancæur contre son mari égocentrique,qui la laissait seule avec sa souffrance psychique, Klara ne

L'enfance d'AdolPh Hitler 213

pouvait pas non plus la vivre consciemment ; elle dut laïaire resientir d'autant plus vivement à I'enfant dont elle

n'avait pas besoin d'avoir peur comme d'un maître et

seigneur.iout cela est le destin ; il serait vain de chercher

le coupable. Beaucoup d'hommes connurent un destin

analogue. Par exempÈ Novalis, Hôlderlin, Kafka' qui

ut.utJnt la mort de plusieurs frères et sceurs, en furent

profondément marqués, mais ils eurent la possibilité d'ex-

primer leur souffrance.Dans le cas d'Adolf Hitler, il vint s'y ajouter le fait

qu'il ne pouvait partager avec personne ni ses sentiments'

iifu proio"de inquiétude résultant du trouble de la relation

avec'la mère, qu'il était contraint de les réprimer et de

faire en sorte que son père n'en remarquât rien pour ne

pas s'attire. enco.e dés coups' tl ne lui restait donc

plus d'autre possibilité que celle de I'identification avec

l'agresseur.ljn uutr. élément intervient encore, qui résulte lui aussi

de cette situation familiale particulière : les mères qui

Àettent au monde un enfant après en avoir perdu un

idéalisent souvent I'enfant disparu (comme les occasions

manquées d'une vie malheureuse). L'enfant vivant se sent

Jonc'obligé de faire des efforts particuliers et des choses

extraordinaires pour ne pas être inférieur à celui qui est

mort. Mais le véiitable amour de la mère va le plus souvent

au défunt idéalisé, qui présente dans son imagination

iout.t les qualités --si seulement il avait survécu' Van

Cogtru.onrulemêmedestin,alorsqu'iln'avaitperduqu'un frère.

J'ai reçu un jour en consultation un patient qui me

parlasuruntondenostalgieparticulièrementardentedutonheur et de I'harmonie de son enfance. Je suis habitué

à ces modes d'idéalisation, mais en I'occurrence je trouvai

dans le ton quelque chose que je ne comprenais pas' Dans

le courant dè I'entretien, il se révéla que cet homme avait

àu un, sæur qui était morte à l'âge de deux ans à peine'

"i q"i avait manifestement des capacités extraordinaires

poui rot âge : elle pouvait uréter-rd^uryent soigner sa mère'

iorrqu. celË_ci étaiimalade, elle lui chantait des chansons,

214 C'est pour ton bien

( pour la calmer >, elle.savait des prières tout entières par::i: :i.. Lorsque je demandai à cet homme ,;ii plrJ"itvrarment que c'était possible à cet âge, il ms ft;;;"comme si j,avais commis Ie pire des saèriièg., .t .Ëàii,<< normarement non, mais eire était ainsi iuit. --.'Jtuitune enfant véritabrement extraordinaire. > Je lui fis remar-quer quê res mères idéarisaient t.c*ouu.nt leurs enfantsdécédés, je lui racontai l,histoire de Van Gogh .i],":à"iàique c'était parfois très difficile pour l'eniant *i"i*"td'être constamment comparé à uïe représentation aussigrandiose qu'il n'avait aucune chance â, pouuoi. j";;,égaler. L'homme recommença à parler mécaniquement descapacités extraordinaires de ru rèut en répétanï qu;il!àithorrible qu'elle soit morte. fuf"i, Ururquement, il s,arrêta,ébranlé par le deuil de la mori d;-; sæur _ c,était rourau moins son interprétation _, qui remontait à trente_cinq ans en arrière. J.,eus I'imp.érrio" que c,était peut_être

l:"frl:::Jois eu'il versait-àes -iur.n.,

sur son propreqesrrn cl'enfant, car ces larmes étaient vraies. é;-i;iseulement alors que je compris t. tàn etrunger et artificielg.ui m'a.vait

-frappée au dé'but ;. l; consultarion. peut_être avait-il inconsciemment été coniraint de ;. ;o;;;;,comment sa mère aurait parlé de sa première enfant. liparlait de sa propre enfanèe uu..lu -ô*. g*naii"qr;;;que la mère aurait eue à propos O. ,a fiff.-dé.d;r;;;;par Ia fausseté du ron, il me

"o.-,rrriqualt ti "èriie'q*cela cachait à propos de son p.oprc J.rtin.Je pense souvent à cette hisioire lorsque je reçois lavisite de personnes qui ont .u un. constetation familialeana,logue. Quand je les interroge sui-." point, elles meparlent toujours de tout Ie culte-que iion entretient autourdes tombeaux des enfants Aisparus, un àutte qui s;;;;;J;souvent des décennies durani. plus l'équ'iui. nui.irriàuïde la mère est fragile, plus elle ,til ê chances ;â;ir;;;par Ia mort de I'enfant. cet enfani aurait .o-p.nîè-iou,

ses .propres manques, toutes les souffrances 'de ;" ;;conjuguale et toutes res difficurter rur.ite.s par les u.rr.,enfanrs. Il aurait été pour ette-ta-,imcr.', iaeàr.-ôuiI'aurait protégée de toui res maux - si seurement il avaitvécu.

L'enfance d'Adolph Hitler 215

Étant donné qu'Adolf vint au monde après trois autresenl'ants décédés, je ne peux pas imaginer que la relationque sa mère eut avec lui puisse être conçue comme uneprrre relation d'<< amour et de don de soi >>, ainsi que lesbiographes nous la présentent. Ils semblent tous penserqu'Adolf Hitler aurait été trop aimé par sa mère (ils voientdans son attitude un excès d'amour) et que ce serait laraison de son intense besoin d'admiration et de prestige.Parce qu'il aurait eu une symbiose trop profonde et tropdurable avec sa mère, il aurait constamment cherché à larccréer dans la fusion narcissique avec les masses. Ontrouve parfois aussi des phrases de ce type dans les histoiresdc la maladie en psychanalyse.

Il me semble que c'est encore un principe d'éducationprofondément ancré en nous qui est à l'æuvre dans cegenre d'interprétations. Les traités d'éducation conseillenttoujours de ne pas < gâter >> les enfants par trop d'amourct de délicatesse (ce qu'ils appellent << I'amour mièvre >>),

mais au contraire de les endurcir pour les préparer dès ledépart à la vraie vie. Les psychanalystes I'exprimentdifféremment en disant qu'il faut << préparer I'enfant àsupporter des frustrations >>, comme si un enfant ne pouvaitpas I'apprendre tout seul dans I'existence. En fait, c'estcxactement I'inverse : un enfant qui a reçu une véritableaffection arrivera mieux à s'en passer, une fois adulte, quequelqu'un qui n'en a jamais bénéficié. Lorsqu'une personnecst < avide > d'affection, c'est donc toujours le signequ'elle cherche quelque chose qu'elle n'a jamais eu et nonqu'elle ne veut pas renoncer à quelque chose qu'elle a eucn trop grande abondance dans son enfance.

Quelque chose peut de I'extérieur paraître une faveursans en être une. Un enfant peut être comblé de nourriture,de jouets, de soins (!) sans pour autant avoir jamais étéreconnu et respecté pour ce qu'il était. En ce qui concerneHitler, on peut bien imaginer qu'il n'aurait jamais pu êtreaimé par sa mère en tant qu'enfant qui haïssait son père,ce qu'il était pourtant en réalité. Si sa mère a jamaisété capable d'aimer, et non pas uniquement de fairescrupuleusement son devoir, la condition était nécessaire-ment qu'il fût un enfant sage, qu'il << pardonne et oublie >r

216 C'est pour ton bien

tout ce que lui fui:3i, son père. Un passage très significatifde smith montre bien queia mère d'e Hitrer aurait été bienincapable de re soutenii dans srs àiiii.uttes avéc stn;è* ,

c'était essentielrement l'attitude dominatrice du maître dutogis qui inspirait à sa femme et à ses ;;f.il'î^;I",profond respect. flême après sa mort, la vision de sespipes suspendues dans la ôuisine imposait ra déférence etlorsque sa veuve voulait souligner quelque .fror" j"n, ùconversation, elle montrait d\rn signe ies pip.r, Ëo.rn.pour invoquer I'autorité du maître. (Cité par Stierlin,p- 2s.)

Si Klara avait transféré aux pîpes suspendues au mur le( respect >> qu,elle portait de son-vivant à son *;;i,;;;;peut g.uère imaginer que son fils ait jamais pu fui ;;il;ce qu'il ressentait réenement. surtoui que dâns tes ranàs-mes de sa mère, ses trois frères et sæùrs décédés

"uui."tcertainement toujours été des < enfants sages )) et que, dufait qu'ils étaient au ciel, ils ne pou""i.nî ur"ù.;-;h,rien faire de mal.Adolf ne pouvait donc bénéficier de l,affection de ses

l?i:llt qu'au prix d,une totale dissimulatior, .i ;; -i;

negaûon de ses véritabres sentiments. De là était issuôfattitude qui fut la sienne tout "u

iâ"g de sa "Ë;iô;Fest détecte comme un fir rouge àu* tout. son histoire.Au début de sa biographie o.iiitr.r,-l eciit Ëô;Ë;;phrases suivantes qui sônt capitares et parfaitemeri pËiti:nentes :

Toute sa vie, il s'est efforcé de dissimuler et d,idéaliser:on propre personnage. Il n'y a guère a,exempte àànsI'histoire qu,un homÀe ait apporté"une application aussiméthodique er aussi méticuleùse à styliser'ô" il;;;;;la rendre humainement indéchiffiabie. ra représentationqu'il se faisait de rui-même ressembrair n,oir. uu po.tïàiid'un. homme qu'à un monument-derrièà Ëdi^ii-;perpétuellement cherché à se cacher. (Fest, p. 3)

- - -

. Un être qui a été aimé par sa mère n,éprouve jamais lebesoin de se dissimuler ainsi.

L'enfance d'Adolph Hitler 217

Aclolf Hitler cherchait systématiquement à rompre toutt0ntect avec son passé ; il ne permettait pas à son demiftère Alois de I'approcher ; il força sa sæur Paula quilfoccupait de sa maison à changer de nom. Mais sur la;cène politique internationale il fit rejouer inconsciemmenth véritable drame de son enfance - précédé d'un autrellgne. C'était /zi désormais le seul dictateur, comme jadislon père, le seul qui avait quelque chose à dire. Les autresitavaient qu'à se taire et obéir. C'était lui qui inspirait lapeur, mais qui avait aussi I'amour de tout un peuple à sespleds, comme jadis Klara, soumise, était aux pieds de sonm&ri.

On sait quelle fascination Hitler exerçait sur les femmes.ll incarnait à leurs yeux la figure du père qui sait exactementcc qui est bien et ce qui est mal, et il leur offrait en outreun exutoire pour la haine qu'elles avaient accumulée danslcur enfance. Ce fut cette combinaison qui valut à Hitlerles foules d'hommes et de femmes qui se rallièrent à lui.Car tous ces êtres avaient été formés à I'obéissance, ilsavaient été élevés dans le sentiment du devoir et des vertuschrétiennes ; ils avaient dû apprendre très tôt à réprimerlcur haine et leurs besoins. Et voilà qu'arrivait un homme,qui ne remettait pas en question cette morale bourgeoisequi était la leur, qui pouvait au contraire tirer profit de ladiscipline qu'on leur avait apprise, qui ne suscitait doncen eux ni problèmes ni crises intérieures d'aucune sorte, etmettait au contraire entre leurs mains un moyen de vivre$ous une forme parfaitement légale la haine accumulée encux depuis le premier jour de leur vie. Qui n'en aurait pasl'ait usage ? Le juif fut dès lors considéré comme coupablede tout, et les véritables persécuteurs, les parents souventvéritablement tyranniques, purent en tout bien et touthonneur demeurer protégés et idéalisés.

Je connais une femme qui n'avait jamais été en contactavec un juif, jusqu'au jour où elle entra au < BundDeutscher Mâdel > (Ligue des jeunes Allemandes). Elleavait reçu une éducation très sévère, ses parents avaientbesoin d'elle à la maison pour s'occuper du ménage, tandisque ses autres frères et sæurs (deux frères et une sæur)étaient déjà partis. Elle ne put donc pas apprendre de

218 C'est pour ton bien

métier, bien qu'elle eût des ambitions professionnelles tprécises et les capacités requises pour les réaliser. Elleraconta beaucoup plus tard avec quel émerveillementavait découvert dans Mein Kampf << Ies crimes des juifset quel soulagement elle avait éprouvé de savoir qu'ilavait là des gens que l'on pouvait franchement haïr. Elle'n'avait jamais pu envier ouvertement ses frères et sæursqui pouvaient poursuivre la carrière qu'ils voulaient. Maisce banquier juif à qui son oncle avait dû payer des intérêtspour un emprunt, c'était, lui, un exploiteur qui vivait auxdépens du pauvre oncle avec lequel elle s'identifiait. Enfait, elle était exploitée par ses parents et elle enviait sesfrères et sæurs, mais une jeune fille bien ne devait paséprouver de tels sentiments. Et voilà que se présentait unesolution inespérée et tout à fait simple : on avait le droitde haïr tant qu'on voulait et I'on restait malgré tout, ouprécisément à cause de cela, I'enfant bien-aimée de sonpère et la fille parfaite au service de la patrie. En outre,on pouvait projeter I'enfant < méchant > et faible que I'onavait toujours appris à mépriser en soi sur les juifs, quiétaient effectivement faibles et désarmés pour ne plus sesentir que fort, pur (aryen) et bon.

Et Hitler lui-même ? C'est là que commençait toute lamise en scène. Pour lui aussi il est vrai qu'il maltraitait enIa personne du juif I'enfant désarmé qu'il avait jadis étéde la même manière que son père I'avait maltraité. Et dela même manière que son père ne s'arrêtait jamais, lebattait tous les jours davantage et avait failli le tuer alorsqu'il avait onze ans, Adolf n'en avait jamais assez et dansson testament, alors qu'il avait fait exterminer six millionsde juifs, il écrivait encore qu'il fallait exterminer le reste.

Comme chez Alois, et chez tous les pères qui battentleurs enfants, c'est I'angoisse de la résurrection et du retourpossible des parties dissociées du moi qui se manifeste là.C'est la raison pour laquelle ce besoin de battre n'en finitjamais - au-delà se cache I'angoisse d'une renaissance deI'impuissance, de l'humiliation et du désarroi auxquels lesujet a essayé d'échapper toute sa vie à I'aide du moigrandiose : Aloïs avec sa fonction de fonctionnaire desdouanes, Adolf en devenant le Ftihrer, d'autres peut-être

L'enfance d'AdotPh Hitter 219

n tônt que psychiatres ne jurant que par les électrochocs

lu cn tant qu. *to""i" 'piËr"n'é:

ti:Ï"t^î:îÏtt*:ili:T:::

tH:Ï'"i".ï;;" .o"l o"", professeurs prescrivant

let opinion, ou ,ou' 'i*ptt-t"f to iant qut pères éduquant

burs enfants. oans toîs ces efforts' ce ne sont pas les

lutres qui sont.t;t;;ilJi"i ràt si191s)' tout ce que font

ocs homme, to"quiiË *éptittttt ou rabaissent les autres'

yrre en fait à ériminer leur propre impuissance passée et à

lvlter le travail du deuil'

Dans son intéressante étude sur Hitler' Helm 'stierlinpnrt de l'idée qu'Aàîif eiàit i"consciemment < délégué >>

Dsr sa mère pour ," t*tti' L'Allemagne opprimée serait

iilil;îàrîù" a' iuil;;' c-'est peut-être vrai' mais dans

l'ncharnement de ta p-oursuite de son .action s'expriment

lndubitable*.n, uu*ià;riir;; ùteiett.intonscients qui lui

ront propres. C'est un gigun*tque.,combat pour libérer son

propre moi des t'^ttt"J;unà humiliation sans bornes dans

leouel l,Allemagn, "ri "ngugée à titre symbolique _--__:''T;; iu-t'J*rut pas I'autre : sauver sa mère est aussr

pour un enfant urr.l"ôon de lutter pour sa propre existence'

Autrement cht: sr Ëlii;; a'eOor avait été une femme

forte, elle ne l'aurait-pu' t"po'e - t9]t au moins dans les

fantasmes a. t'.nruii:-à';;; souff-rances' à I'angoisse

nermanente et à laiiit aJr"-;;' Mais commt tlJtj:l|'fi:,ïffi;u,nîie"?tomplètement soumise à son marl'

clle ne pouvait o"t ot"iË*ti'ittr""t'.Maintenant tl fll*

ii:ii""i". Ë d,t; ii nrÉtuene) de I'ennemi' pour avorr

ensuite une mere -pu",

forté' débarrassée de tout sang

juif, qui tui apportli"ieËttræ' ies.enfants imaginent très

souvent, dans teu;;'i"ntàtÀtt' qu'ils doivent libérer ou

sauver leur mère'potî'qt;tilt sàit enfin vis-à-vis d'eux

celle dont its auraiJni iuOit eu besoin' Cela devient parfois

même ,rrr. o.tup'itil" a pttitt temps dans la suite de

l'existence. rtrui' eîuii^oo"ie que iamais un enfant n'a la

possibilité O. ,uuut'- 'a mère' ia comnulsion de répétition

de cette impuissance, conduit immanouablement à l'échec'

voire à ru .u,u,iil;;;;*ô;;î .;Ë n'est Pas vécue et

identifiée a ,u ,o,rrJJ.'on Ëâutruit poursuivre la pensée de

Stierlin dun, .tttJ"î'ùîtiï-tn É"euee svmbolique cela

220 C'est pour ton bien

donnerait à peu près le résultat suivant : la libération deI'Allemagne, et la destruction du peuple juif jusqu'audernier de ses représentants, autrement dit l'éliminationtotale du mauvais père, auraient été pour Hitler lesconditions qui auraient fait de lui un enfant heureux,grandissant dans la paix et la tranquillité auprès de samère bien-aimée.

Cet objectif symbolique inconscient revêtait naturelle-ment un caractère illusoire puisqu'on ne peut pas modifierle passé, mais toute illusion a son sens que I'on décèleaisément quand on connaît la situation de I'enfance. Lesanamnèses et les renseignements fournis par les biographes,qui pour des raisons de défense passent bien souvent soussilence des éléments essentiels, déforment fréquemment cesens. C'est ainsi que l'on a beaucoup écrit et fait denombreuses recherches pour savoir si le père d'Aloîs étaitalcoolique.

Mais la réalité psychique de I'enfant a souvent fortpeu de rapport avec les données dont les biographes( prouvent > ultérieurement I'exactitude factuelle. Le soup-çon de la présence de sang juif dans la famille pèsebeaucoup plus lourdement sur un enfant qu'une certitude.Or, Aloïs avait déjà dû souffrir de cette incertitude, etAdolf a forcément perçu ces bruits, même si I'on n'enparlait guère ouvertement. C'est précisément ce que lesparents veulent taire qui préoccupe le plus les enfants,surtout lorsqu'il s'agit d'un traumatisme fondamental deIa vie de leur père.

La persécution des juifs < permit > à Hitler de < recti-fier > son passé dans ses fantasmes. Elle lui permit :

1. de se venger de son père, devenu suspect comme demi-juif ;2. de libérer sa mère (l'Allemagne) de ses persécuteurs ;3. d'obtenir I'amour de la mère avec moins de sanctionsmorales et davantage de vrai moi (c'est en tant qu'antisé-mite virulent que Hitler fut aimé du peuple allemand etnon en tant que bon enfant catholique, ce qu'il devait êtrepour sa mère) ;4. d'inverser les rôles - c'était /uj désormais le dictateur,

L'enfonce d'AdolPh Hitler 22I

Srcst ri luî que tout devait obéir' comme tout devait

fadis obéir à son pltt, qui organisait' lui' les camps de

Gonccntratlon oans -i"tq'itr' là hommes étaient traités

ffiË ii-iauuit été';;;; son enfance' (It v a ne-u {eFhnnces pour qu'un être invente quoi que ce soit de

nlonstrueux' sans ie connaitte d'une façon ou d'une

llttrc par expérience' Seulement' nous avons tendance à

iniiii*it.. les expériences de I'enfance)'

!, En outre, la persécution des juifs oermettait à Hitler

de persécuter eî rti--eÀt ta raiutessà de I'enfant qu'il

Drojetait sur ses victimes, pour ne pas vivre le travail du

Ë;;ii;t;;io,,rtriance passée' parce que la-mère n'avait

ir*.tl * -r

v àia.t. En cela, comme dans la vengeance

lnconscient. .onr,. les bourreaux de la petite enfance'

Hitler rejoignait un eiunO-nombre d'Allemands' qui avaient

grandi dans la même situation'

Dans la constellation familiale d'Adolf Hitler telle que

nous la décrit Sti.iiit,-f"'*ett bien-aimée qui délègue la

fonction salvatrice à I'enfant est malgré tolt encore là

pour le protéger ât fu violence du père' Même dans la

version ædipienne de Freud, it y a toujours cette figure-de

la mère aimée, aimante et idéalisée' Dans son ouvrage

Mtinnerphantosiei, ilu"t Theleweit approche beaucoup

plus de la réalité d" ",f 'nè'"', bien qu'il n'ait pas peur de

tirer des textes qu'il cite leurs conséquences ultimes' Il

constate q.r. .n.j-ttt ttptettntants. de I'idéologie fasciste

qu'il a analysés, on retrouve toujours I'image du père

sévère, qui inflige des châtiments corporgJl' et celle de la

mère tendr. a, p,otttttitt' C'ttt < la meilleure femme du

monde >>, le ( b";-;;;; >, la femme < intelligente' fo'rte

de caractèr., r.*iuliËii'ptàro"oément religieuse " (cf'

Theleweit vol. l,'p'-iili' ôhez -les mères des camarades

ou chez leurs be[eï-mères' on admire en outre un trait de

caractère, dont on souhaite en même temps de toute

évidence que sa pi"ptt *eie ne le possède pas : la dureté'

l'amour A, ru pui'itl-llattitude pruisienne (< un Allemand

;J;Ë; ru''";, 1ia lttet" de fer qui ( apprend sans

broncher lâ mort de ses fils >'

222 C'est pour ton bien

Voici une citation de Theleweit :

9. n9 fut cependant pas cette nouvelle qui donna le coupde grâce à Ia mère. Là guerre tui àeuora!u;;;ïilr,;iË1.surmonta ; et quelque chose de dérisoire, à côté, iu tuu,Le fait que la Lorraine devint française et avec elle lesmines de fer. (p. 135.)

Mais qu'advenait-ir lorsque sa propre mère présentait enmQme temps les deux aspeCt ? - '-rvuv'lqr wr

Hermann Ehrhardt raionte :

Une nuit d'hiver je dus passer quatre heures dehors dansla.neige, jusqu'à ce que *u .ncrË àÈctare enrinqu;-i"""i,été assez puni. (Ibid. p. 133.)

Avant de << sauver )) son fils en admettant qu,il a < étéassez puni >>, Ia mère Ie fait quand même utt.iùil q""iràheures dans Ia neige:..U1 enfânt n. frut pas comprendrepourquoi sa mère qu'il aime tant lui iait tânt dt;;i-ii;;peut pas se représenter que cette femme géante à ,;; Ë;;a peur de son mari comme une toute pétite fille, .i i;i;inconsciemment payer à son petit garion les humiliationsqu'elle a elle-même subies aâ"s sJn ènfance. un

"nru"isouffre nécessairement de cette dureté. Mais il n,a t";l;droit de vivre ni de montrer ..ti. rtuffrance. Ir ne luireste plus qu'à Ia dissocier de son moi et à Ia projetei surd'autres, autrement dit à attribur, â-à., mères étrangèresces aspects de dureté de sa propre mère et à aller .ri.or.I'admirer chez elles.

Comment Klara Hitler aurait_elle pu aider son fils alorsqu'elle était ele-même la servante oocite et soumise de sonmari ? De son vivant, elle l,appehil-<, oncle Alois >>, etaprès sa mort elle .regardait reipectueusement ses pipessuspendues au mur de la cuisin" chaque fois que qu.fqîiu"prononçait son nom.

Que se passe-t-il chez un enfant, Iorsqu'il voit constam-ment cette même mère qui lui parle d'amour et d,affection,Iui prépare soigneusement à mang.. ei iui chante d. L;lr";chansons, se changer en statue dà sel et assister i_purriUièau spectacle de ce fils battu jusqu'au sang par son père ?

L'enfonce d'Adolph Hitler 223

Quc doit-il ressentir alors qu'il espère toujours en vain sonlldc ; comment doit-il se sentir alors que dans sa torturell cspère toujours qu'elle fera intervenir son pouvoir quiÊEt ù ses yeux immense ? Or cette intervention salvatriceh'& pas lieu. La mère regarde son enfant humilié, moqué,lorturé, sans prendre sa défense, sans rien faire pour lellbércr, elle se rend par son silence solidaire des tortionnai-t6l, clle livre son fils. Peut-on attendre d'un enfant qu'ilb comprenne ? Et peut-on s'étonner que son amertumelfétcnde aussi à la vision qu'il a de sa mère, même s'il lalGfoule dans I'inconscient ? Consciemment, cet enfant auralens doute le sentiment d'aimer intensément sa mère ; etplns tard, dans ses rapports avec les autres, il aura toujoursle ncntiment d'être livré, exploité et trahi.

l,a mère de Hitler n'est certainement pas une exception,Ctest au contraire très vraisemblablement encore bienlouvent la règle, sinon même I'idéal de beaucoup d'hom-mcs. Mais une mère qui n'est elle-même qu'esclave peut-Cllc vouer à son enfant le respect dont il a besoin pourdévclopper sa vitalité ? Dans cette description des massestlréc de Mein Kampf on devine le modèle de féminitéqu'Adolf Hitler a pu se donner :

< L'âme de la masse, écrit-il, n'est accessible qu'à tout cequi est entier et fort.De même que la femme est peu touchée par des raisonne-ments abstraits, qu'elle éprouve une indéfinissable attirancesentimentale pour une atitude entière et qu'elle se soumetau fort tandis qu'elle domine le faible, la masse préfère lemaître au suppliant, et se sent plus rassurée par unedoctrine qui n'en admet aucune autre près d'elle que parune libérale tolérance. La tolérance lui donne un sentimentd'abandon; elle n'en a que faire. Qu'on exerce sur elle unimpudent terrorisme intellectuel, qu'on dispose de sa libertéhumaine, cela lui échappe complètement et elle ne pressentrien de toute l'erreur de la doctrine. Elle ne voit que lesmanifestations extérieures voulues d'une force déterminéeet d'une brutalité auxquelles elle se soumet toujours... >(Cité par Fest, 1974, p. 51.)

Dans cette description de la masse, Hitler décrit très

224 C'est pour ton bien

précisément sa mère et la soumission dont elle faisaitpreuve. Ses principes politiques fondamentaux s'appuientsur des expériences acquises très précocement : la brutalitéI'emporte toujours,

Fest souligne également le mépris de Hitler pour lesfemmes, mépris qui s'explique très bien par la situationfamiliale. Fest écrit :

Sa théorie de la race reflétait des complexes d'envie et un€misogynie invétérée. La femme, affirmait-il a introduit lepéché dans le monde et la facilité avec laquelle elle cèdeaux artifices lubriques du sous-homme proche de I'animalitéest la principale cause de la pollution du sang nordique.(Fest, p. 36.)

Peut-être Klara appelait-elle son mari << oncle Alois >>

par une profonde timidité. Mais en tout cas il le tolérait.Peut-être même l'exigeait-il, de même qu'il exigeait de sesvoisins qu'ils s'adressent à lui en lui disant (< vous D etnon pas (( tu > ? Adolf aussi I'appelle < Monsieur monpère >>, dans Mein Kampf, ce qui venait peut-être d'uneexigence du père intériorisée très tôt. Il est vraisemblablequ'Aloïs cherchait par ce type d'exigences à compenser lemalheur de sa petite enfance (transmis par la mère, pauvre,célibataire, et d'origine inconnue) pour se sentir enfin lemaître (Herr : monsieur, maître). De cette idée à celle quece serait la raison pour laquelle les Allemands durent se

saluer douze années durant par (( Heil Hitler >, il n'y aqu'un pas. L'Allemagne tout entière devait se plier auxexigences les plus extrêmes et les plus spéciales du Fûhrercomme jadis Klara et Adolf au père tout-puissant.

Hitler flattait la femme < allemande de pure race germa-nique )) parce qu'il avait besoin de ses hommages, de sesvoix aux élections et de ses services. Il avait aussi eu besoinde sa mère. mais il n'avait jamais eu de véritable intimiténi de rapport chaleureux avec elle. Stierlin écrit :

N. Bromberg (19761) analyse comme suit les pratiquessexuelles de Hitler : <( .. . pour arriver à la pleine satisfactionsexuelle, il fallait que Hitler regarde une jeune femme

L'enfance d'AdolPh Hitler 225

accroupie au-dessus de lui qui urinait ou déféquait sur son

visage. > Il retatË À-t*i"'ut épisode << de masochisme

érogène uu "ou"-dË;;i Hitler'se jeta aux pieds d'une

jeune actric" uut*iiàJît l"i attunou d" lui donner des

coups de pi.o' ëË'àï;-tilt s'v refusait' il la conjura

d'accéder a ,u aJÀunâ"' Bn même.temDs il se couvrait

lui-même a'ur."iii'Jn''ti * Lia"it à ses'pieds d''une telle

façon qu'ell. riniiTît"rui "éatt' Quald elle lui donna des

coups de pieds, il s''excita' et comme.elle accepta de lui en

donner encore oit; ;;;;;'q;'ii le.réclamait' son excitation

s'accrut encore"ï"'îiiieônce d'âge entre Hitler et les

jeunes femmes *Jt fttqutUes il eut une quelconque forme

de relation se*u"tie iotittponauit.approximativement aux

vingt-trois un, qui'teià;;i;;; perièt sa mère"' (stierlin'

note P. 4l')

Il est totalement impensable qu'un homme qui aurait

ét;;.tdt;Ënt aimé pui tu mère dans son enfance' comme

l'affirment ta ptupaii-des biographes de Hitler' "tl l:ilîfrù; Là-puiriorrs sado-masochistes de ce tvpe qur

ffi;;;;t-;n- rrouuË ttes ancien' Mais il faut croire que

il;.;;;;ption de I'amour maternel ne s'est pas encore

complètement détacieî'Jt i'iJeologie de la < pédagogie

noire >>.

.

Hésumé

Si quelque lecteur devait prendre ces considérations sur

ru î.Iii. înrunce d'Adolf Hitler pour du sentimentalisme'

voire pour une tentative d'<< excuser >> ses crimes' il aurait

bicn évidemment rËîroit d" comptelfre ce qu'il aurait lu'

,;ii.J qu. i'ui e"tii, ààn' le seni.où il le peut ou s'v sent

obtigé. L", perroiË;;i ont dû. annr9nd19. très tôt à

( serrer les dents '^'.''"n."nt, dans leur identification avec

l'éclucateur, toute compréhension pour un enfant comme

tla la mièvrerie ou àu tàntitntntalisme' En ce qui concerne

lc problèm" a" ru tituËili'e' :'ui précisément choisi Hitler

parce que 3" n" connàis pas diautre criminel qui ait autant

rJc vies trumaines su' ia^ conscience' -Mais lorsqu'on a dit

< coupable )' on î'"'"ttàtt rien dit' Nous avons bien

226 C'est pour ton bien

évidemment tout à fait Ie droit et il est même nécessaired'incarcérer les meurtriers qui mettËnt notre vie en péril.Juleu'à présent, on n'a pas trouvé d'autre *ov.n â.-riËndéfendre. Mais cela ne chànge rien au fait que Ë prrrù, à.meurtre est I'expression d'un tragique destin O. f;J"iàn.., etla prison est une façon tragique-dË sceller ce destin.

Si au lieu de rechercher de nouveaux faits, on enrecherche la signification dans l'ensemble o. r;tririoir. quin9ys -elt connue, on découvre dans l,étude de Hitler Tevéritables mines qui n-'ont encore pratiquem.ri-pu, etgexploitées et que Ie public ignore don^c encore. pour autantque je sache par exemple, le fait extrêmemert iÀporilntque Ia sæur de Klara -Hitler,

bossue et schizophr.n.,-t"tante Johanna, ait vécu depuis sa naissance et tout au longde son enfance dals le rnê*. foyei n,a p*tiq".rn"r,'ii,été pris en considérarion. oans"res-bioôrupri.r'Ë ïàlues,. en tout cas, je n,ai jamais vu cet élément mis enrelation avec la loi de |euthânasie sous le Troisièmr nù.rr.Pour remarquer ce-lien, il faut pouvoir ..rr""tir,-1.,sentiments qui se développent chi) un enfant exposéquotidiennement à un comportement aUsura. ell;q#iarr,et à qui il est en même tèmps interdit oe maniieïil;;angoisse ou sa colère, et même d'exfrimer ,." àr.rri"*.Même Ia présence dans la maison d,uie tante schizophrènepeuj être exploitée-. positivement par un enfant, maisseulement à la condition qu'il puisse communiqu.i riùiè-ment avec ses parents sur le plan émotionnel .t qu,ii p*rr.leur parler de ses angoisses.

Dans un entretien avec Jetzinger, Franziska Hôrl, l,em_ployée de maison au moment dé h naissance d;ft;iilitque c'est à cause de cette tante qu'elle n,a p", pu;ù;;;;I'atmosphère de cette maison ptus lorËieff;ï"ô;c'est à cause d'elle qu'elle est paiiie. Eir. ae.i"r" tËuisimplement : << Je ne pouvais plui rester ct er .àiæ ;ù;;de_boszue. ) (Cf. Jetânger, p. gf .) -

L'enfant de la famillè, lui n'a ias le droit de dire deschoses pareilles, il.doit toui supio.t., ; il ; p;; ;;;partir. Une fois adulte et parvenu âu pouvoir, AdôH Hitl;;trouva le moyen de sé venger uu centuple de cetie

L'enfonce d'Adolph Hitler 227

malheureuse tante et de son propre malheur : il fit éliminercn Allemagne tous les malades mentaux qui étaient selonlui (autrement dit, selon lui, enfant) des êtres < inutilisa-bles > pour une société << saine >>. Adulte, Hitler n'étaitplus tenu de supporter quoi que ce fût, il pouvait mêmea débarrasser >> I'Allemagne tout entière de la malédictiondcs malades mentaux et des faibles d'esprits, et il n'étaitpas le moins du monde embarrassé pour trouver des alibisldéologiques à cette vengeance toute personnelle.

Si je n'ai pas traité dans ce chapitre de I'origine de laloi sur I'euthanasie, c'est qu'il m'importait essentiellementici de montrer les conséquences de l'humiliation actived'un enfant à travers un exemple très explicite. Étantdonné que ce type d'humiliation, associé à I'interdictionde parler, est un facteur de base de l'éducation et serencontre partout, on néglige souvent son influence sur lasuite de l'évolution de I'enfant. En disant que les châtimentscorporels sont habituels ou même en étant convaincu qu'ilssont nécessaires, pour inciter à apprendre, on ignoreI'ampleur du drame de l'enfance. Et comme on ne voitpas le lien avec les crimes commis ultérieurement, le mondepeut en être scandalisé en négligeant d'en rechercher lesorigines, comme si les meurtriers tombaient du ciel.

J'ai seulement pris ici Hitler comme exemple pourmontrer :

l. que même le plus grand criminel de tous les temps n'estpas venu au monde comme criminel ;

2. que le fait de comprendre le destin d'un enfant n'empê-che pas de mesurer I'horreur de la cruauté ultérieure (celavaut aussi bien pour Aloïs que pour Adolf) ;3. que la persécution repose sur le mécanisme de défensecontre le rôle de victime ;4. que I'expérience consciente de son propre rôle devictime protège mieux du sadisme, c'est-à-dire du besoincompulsionnel de torturer et d'humilier les autres, que ladéfense contre ce rôle ;

5. que I'obligation de ménager ses parents, issue duquatrième commandement et de la << pédagogie noire >>,

228 C'est pour ton bien

conduit à ignorer des.facteurs décisifs de ra petite enfanceet de l'évolution ultérieure d'un être ;6. qu'un adulte ne résout pas ses problèmes par lesaccusations, I'indignation et Ès sentiments de culpabilitémais doit chercher à comprendre les cÀrrelations ;7. que la véritable compréhension sui fe pfan èmotionneln'a rien à voir avec une pitié ni un sentimËrtdil;;;;;;étage ;

9: aue le fait qu'une corrélation soit générale ne nousdispense pas de l,analyser, bien au cànùaire, prù;;;il;est ou risque d'être le destin de tous :9. que l,abréaction. d. J1 haine est' Ie contraire de sonexpérience vécue. L'expérienc.

"rt un" réalité i*"Ëry"iique, I'abréaction est.une action qui piut coûter aux autresla vie' Lorsque Ia voie-de.expéri'enciËnsciente est barréepar les inrerdits de ! << pédagogie noire ii

-;-;;i;;ins-uffisances des parents, la seuË ,lfution est l,abréaction.Celle-ci peut se présenter sous Ia for*. à..tructrice, commechezHitler, ou autodestructrice, .o.*. chez Christh;'Ë:Mais elle peut aussi,.comme chez la Ofupur, des criminelsqui atterrissent en prison, signifier à ia fois d;.;il;;;du moi et celle de lautrel C,est ô qui apparaît trèsclairement au travers de I'exemple de-jUrgen Bartsch dontje traiterai dans le prochain ctrapitre.

- -

Jilrgen BartschComprendre une vie par la fin

<< Mais il y a quand même une question qui restera touioursposée er à laquelle aucune culpabilité ne change rien :pourquoi fout-il seulement qu'il y oit des êtres ainsi faits ?

Sont-ils pour Ia plupart nés ainsi ? Mon Dieu, q.uel uimefaut-il donc qu'ils aient commis avant Ia naissonce ? >>

(Extrait d'une lettre de prisonde Jùrgen Bartsch)

lntroduction

Ceux qui ne jurent que par les études statistiques et tirentde là leurs connaissances psychologiques considèreront tousmes efforts pour essayer de comprendre le cas d'enfantscomme Christiane F. ou Adolf Hitler comme inutiles etrléplacés. Il faudrait pouvoir leur prouver statistiquementque tant et tant de cas de mauvais traitements infligés àcles enfants ont donné par la suite presque le même nombrede meurtriers. Mais cette démonstration est infaisable, etcc pour les raisons suivantes :l. Les mauvais traitements sont toujours infligés encachette, et il est difficile d'en apporter la preuve. L'enfantlui-même déguise et refoule ce type d'expériences.2. Même lorsque les témoins oculaires sont nombreux, ilsc trouve toujours un certain nombre de personnes pourdire le contraire. Et, bien que les témoignages soient alorscontradictoires, comme dans le cas de Jetzinger, on croitplutôt les gens extérieurs que I'enfant lui-même, parcequ'ils aident à sauvegarder l'idéalisation des parents.3. Étant donné que le rapport entre les mauvais traitementssubis par des enfants, parfois même de tout jeunes enfants,ct les crimes commis ultérieurement n'est pratiquement pas

établi ni pris en considération par les criminologues, nipar la plupart des psychologues, les études statistiques

230 C'est pour ton bien

faisant ressortir ce type de facteurs ne sont pas trèsfréquentes. Toutefois, il y en a quelques-unes.

Seulement, ces études statistiques ne me paraissent pasune source absolument fiable, même lorsqu'elles confirmentmes propres thèses, car elles partent souvent de formuleset de critères admis qui sont insignifiants (<< une enfanceprotégée >>), flous et ambigus (<< un enfant très aimé >)falsificateurs (<< un père sévère mais juste >) ou encoreporteurs de contre-vérités flagrantes (( il fut aimé etgâté D). Je refuse donc de m'en remettre à un tissuréticulaire de concepts dont les trous sont si gros que lavérité passe au travers ; je préfère, comme dans le chapitreconsacré à Hitler, essayer d'emprunter un autre chemin.Au lieu de I'objectivité de la statistique, je recherche lasubjectivité de la victime concernée dans toute la mesureoù ma sensibilité me permet de la comprendre. Et alors,je découvre le jeu de I'amour et de la haine ; d'un côté lemanque de respect et d'intérêt pour l'être autrefois dépen-dant des besoins de ses parents, I'abus, la manipulation,la restriction de la liberté, I'humiliation et les mauvaistraitements, et de I'autre, les caresses, les gâteries et lestentatives de séduction, dans la mesure où I'enfant estressenti comme une partie de soimême. La valeur scientifi-que de cette thèse est garantie par le fait qu'elle estvérifiable, repose sur un appareil théorique minimum, etque même le profane peut la confirmer ou la réfuter. Lesreprésentants des tribunaux ne sont-ils pas des profanesen matière de psychologie ?

On voit assez mal comment des études statistiquestransformeraient des juristes indifférents en êtres sensibles,à l'écoute des autres. Et pourtant, par sa mise en scène,tout criminel hurle son besoin de compréhension. Lesjournaux relatent quotidiennement ce type d'histoires, maisils n'en retiennent malheureusement que le dernier épisode.La connaissance des causes réelles du crime est-elle suscepti-ble d'apporter un changement dans la mise en æuvre dela sanction ? Non, tant qu'il s'agit de déterminer laculpabilité et de punir. Mais cela pourrait au moins servirà faire comprendre que I'accusé n'est jamais le seulcoupable, comme on le verra mieux que partout ailleurs

Jttrgen Bartsch 231

dans le cas de JÛrgen Bartsch' mais -qu'il

est la victime

d' un enchaînement âT'"it*tt'ances.tragiques' La sanctron

ct l'incarcération "';;;;;;-pas évitees Dour autant' dans

la mesure ou it raJi'oitiit;;-collectivité' Mais il v a

une certaine airrerencJt"ltJ "pptt-Ï:: toujours le principe

de la < pédagogre-noire >>' et punir le criminel en lut

infligeant unt p"'n" ?ttp'i'onnement' et percevoir la

tragédie d'un être lil1iti ry l-:: permet alors d'en-

ii*ir.nat. une psychothérapie en pnson'

on pourrait par ïHil:;;n' ioutott charses financiè-

rcs, permer,,t uu*'â!ffii Ë'ftll*t ou de faire de la

*.uip,u,"...'q:îl{.'"';|*f ':ï:"îîï:t,::'ili:Ïfiï'JtT::::ff :.1'iiii'il::,i:;fr i:il^Ë*.rr::t:i,"*'iïiiiendurés "t

tes sentiire-nis oe t,aine refoulés. ce qui réduirait

sans doute rt ut'oin-Je remettre en scène ce passé et d'en

;'tAm"*:i5JtJ:il',i*! r",'^-1:

u"' te'e attitude' ir

faut avoir to*oli' qu;"n luit' lorsou'on prononce une

condamnation, it'i"e Jt p*ttlién' Nous sommes tellement

prisonniers au "nËi'îiJË torpuuilisation que nous avons

beineàimaginer'lT'Jriiî"ïi'ir,î'jîi1,î"ii jiJi5:i"',;$,:lç",ll:XïT'i:ii"iff

Tifi ,*î,-îiËn.me'"

temps on me ;;## ;;ï;;"tter de << victimes'>''d€

< disculpe, l'J';ï;#.i; ,"-"llt*t que chacun doit

malgré tout être 'It'pàntaurt

de- ses actes' Ces reproches

sont eux uu"' 4t"""'id;iË{à"-11 'oédagogie noire >>'

et ils monrr..,t ui.nï.riprir. des culnabilisations initiales'

ll doit être très âiiiiliËîïompttnai'" que I'on puisse voir

la tragédie o""i'i''i-*îJr' ou-o'"n meurtrier' sans pour

autant minimiser l'horeur d: ::1:tfrt ni le danger qu'il

représente' Si je àevais renoncer a-i;ont ou à I'autre de

ces deux attltudes' je m'inscrirati llut facilement dans le

schéma de la fïeâàeoeit noil:Ji' Mais mon souci est

précisément o'à"tuppËr à ce t:li*u en me timitant à

informer et en renonçant à morahser'

Les pédagos;;;;i 'normémeni

oe mat à comprendre

ma façon O" uJii-t"s choses car.' comme ils le disent' ils ne

peuvent .. ,,u.rro.iËr;;;; o a-.-.. que j'écris' Si c'était

232 C'est pour ton bien

à leur bâton ou à leurs méthodes d'éducation qutilcs'accrochaient jusqu'alors, ce changement ne serait pas unegrande perte. Le renoncement à ses principes d'éducationpermettrait peut-être au pédagogue lui-même de vivre leg

angoisses et les sentiments de culpabilité qui lui ont étéjadis inculqués à coups de bâton ou par les méthodes lesplus raffinées, dès lors qu'il ne les détournerait plus surles autres et plus particulièrement sur les enfants. Etla résurgence de ces sentiments refoulés lui fourniraitprécisément une assise plus authentique et plus sûre queles principes d'éducation. (Cf. A.. Miller, 1979\.

Le père d'un analysant, qui avait eu lui-même uneenfance très dure, sans jamais en avoir parlé, torturaitparfois d'une manière abominable son fils, en qui il se

retrouvait. Mais ni le père ni le fils ne s'étaient renducompte de cette cruauté qu'ils considéraient tous deuxcomme une (( mesure éducative r> normale. Lorsque le fils,atteint de graves symptômes pathologiques, entama uneanalyse, il était très < reconnaissant > à son père, commeil le disait lui-même, de l'éducation rigoureuse et de la< discipline rigoureuse )) que ce dernier lui avait imposées.Le fils, qui s'était inscrit pour faire des études de pédagogie,découvrit au cours de I'analyse Ekkehard von Braunmûhlet ses écrits anti-pédagogiques qui I'enthousiasmèrent. Aucours de cette période, il rendit visite à son père et s'aperçuttrès clairement pour la première fois que son père luiinfligeait de perpétuelles vexations, soit en ne l'écoutantpas, soit en se moquant de tout ce qu'il lui racontait et enle tournant en dérision. Lorsque le fils le lui fit remarquer,le père, qui avait été lui-même professeur de pédagogie,lui répondit le plus sérieusement du monde : << Tu peuxm'en être reconnaissant. Plus d'une fois dans ta vie tuauras à supporter que l'on ne fasse pas attention à toi, ouque l'on ne prenne pas au sérieux ce que tu dis. Si tu I'asappris auprès de moi, tu y seras déjà habitué. Ce que I'onapprend jeune, on s'en souvient toute la vie. >> Le fils,alors âgé de vingt-quatre ans, en fut interloqué. Combiende fois n'avait-il pas entendu ce type de discours sansmettre le moins du monde en question son contenu. Cettefois cependant, il fut pris de colère et, citant une phrase

Ji)rgen Bartsch 233

lu'il avait lue chez. srySmiilr]'^:1.,1tj : < Si tu voulais

vr'iment contlnuer à m'éduquer suivant ces principes' en

hlt, tu devrais uu"i -' tuèr' car un jour ou I'autre rl

hudra que je t.ur.. Et c'est comme ça que tu pourrals

ilffié}ï"r-t. *i,i'*l n rc père lui reprocha certes son

lnsolence et sa pr"-siàil;; -uit.pout le fils ce fut un

lvénement décisif' î;'é*à;t s'oriêntèrent dès lors dans

ttï,iîï1,îî1,îîHl';. dire si. cette anecdote s'inscrit parmi

les exemples de la.-peâ"g"git loll" >> ou de la < pédagogie

blanche >. Elle *;Jt;-;;;;e à I'esprit parce qu'elle me

paraît faire une t'a"'iiion intéressante avec I'affaire Jtrgen

Bartsch. e., "o"" àt-son analyse' cet étudiant de vingt-

quatre ans était * tii""ï"iiu1e at si épouvantables

fantasmes ruo'quti^'qir;ii-avait la^terreur de finir par

commettre un ioruittËia;' M;tt' lrace à la perlaboration

de ces fantasmes Ë;;i;;;" atI'utttlvse et à la prise de

conscience 0., "tîtio"i i"i'iut"'- atl oêtt et à la mère'

ces angoisses disffilïi !i -1*t- it*p' que d'autres

symptômes, faisa''J pUce a une év-olution plus saine et

cnfin libéré". Lt''ïu'îtu'rnes de vengéâ"tt dans lesquels il

oe voyait toulouri assassinant -un enfant s'expliquèrent

comme tu tran,riài;;i""ï;i; hitÏ du père qui I'empê-

chait de vivre, t" iiê'nt temps que comme une identification

avec l'agrerr.u' ;îi;;;;;i;tt I'enfant qu'il était lui-

même. r'ai choisi;;;ôie avant de traiier du cas de

Jûrgen Bartsch ;; àtt ià suis frappée en I'occurrence

par l'analogi. tnitt'ru'lynumioue. psychologique de ces

deux vies, Uitn qui ftt ittutt aient ete dans les deux cas st

différentes.

< Tombé du ciel ? >

Je me suis entretenue avec-de nombreuses personnes

qui, avant tu Ë;;;;; âe rattraiina Rutschkv sur la

< oédagogit ""l;i;'ï;tii ttoitiriees de la cruauté avec

ffi;;Ë1ï.rr"",r'ei"i.ni et.ue. << autrefois >>. Les gens

avaient ee,te'uË;;'ii-iii*p"ttio" que la < pédagogie

234 C'est pour ton bien

Le 6 novembre 1946, Karr-Heinz Sadrozinski - le futurJii,rgen _Bartsch -, fils naturel a;unà-u.uue de guerrotuberculeuse et d'un travailleur ruirànni., froffanaaiï-iui

abandonné par sa mère àl'hôpit"t d;;ii;;uitta subreprice_ment avant la date prévle. euelques inoi, pfur-iu.à,Gertrud Bartsch, femme d,un riche'bàucne. a,Èrrrn, iuihospitalisée dans le même etaUrisseÀeni pour subir un€<< opération totale >. Elle décida

"u." ,on mari de prendreI'enfant c.hez elle, malgré tes reticences des responsables

des- adoptions aux serviCes de I'enfance,,eii".n.", pouit"ntsi fortes que la véritable aOoption ne'r.'fi, q""-r"piî.ïplus tard. Les nouveaux parents étaient très sévères, etisolèrent complètement leui rirs aaoptii-à", uu,r., enfantsso-us prétexte qu'il ne devait pas apprendre qu,il avait étéldopj:. Lorsque le père achetà un";;;;''à; uôucnerie faiiique Jtirgen eût le plus tôt possible ,on piopr" magasin) etque Madame Bartsch dut la prendre en

-ctrareel ; il;d.'abord la grand-mère puis toute une sérL de bonnes qui

s'occupèrent de I'enfant.

I l]ag: de dix ans, Jûrgen Bartsch fut ptacé dans uneinstitution d'enfants de Rheinbacf, qui .ornptait une ving-taine de pensionnaires. De cette atmospfrêre relativementasrjable, I'enfant passa à douze u". àunïun établissementcatholique où trois cents enfantr, pu.-iLrquels un certainnombre.{. 9T déjà considérés.comme-âilti"tt.r, étaientsoumis à Ia discipline militaire ta ptus.igou."us".Ji.irgen Bartsch a tué de 19.62 à f g6O qdtre petits garçons,et il estime lui-même qu'il a fair airs lï même périodeplus d'une centaine de tentative, quï-n o"t pas abouti.Chaque meurtre présentait ae rega.res'vaiiurri"r, mais corres_

Jûrgen Bartsch 235

pondait en gros au même schéma : après avoir attiré unpetit garçon dans un ancien abri anti-aérien vide de laHeegerstrasse à Langenberg, tout près de la maison desBartsch, il le forçait à lui obéir en le battant, I'attachaitavec de la ficelle de charcutier, manipulait ses partiesgénitales, tout en se masturbant dans certains cas, tuaitI'enfant en l'étranglant ou en I'assommant, coupait le corpsen morceaux, vidait les entrailles et la cage thoracique, etenterrait les restes. Les variantes intervenarent dans lamanière de découper le cadavre, selon qu'il lui arrachaitles membres, le décapitait, le castrait, lui arrachait lesyeux, découpait des morceaux de chair dans les fesses oudans les cuisses (pour les sentir ensuite) ou tentait vainementun rapport anal. Dans les récits extrêmement détaillés queJiirgen Bartsch fit lui-même au cours de I'instruction etdu procès, il soulignait qu'il atteignait le comble deI'excitation sexuelle non pas en se masturbant, mais endécoupant le corps, ce qui lui procurait une sorte d'orgasmeininterrompu. Lors de son quatrième et dernier meurtre, ilréussit ce qui lui était toujours apparu comme I'objectifsuprême : ayant attaché sa victime à un poteau, il découpaI'enfant qui hurlait sans I'avoir préalablement tué. (p.22et sq.)

Lorsque de pareils crimes sont portés à la connaissancede l'opinion publique, ils soulèvent, et c'est bien compré-hensible, une vague de révolte, de désarroi et d'horreur.On s'étonne en même temps qu'une telle cruauté soitpossible, et ce chez un jeune garçon aimable, sympathique,rcnsible et intelligent qui ne présentait pas les traits d'untcdoutable meurtrier. A cela venait s'ajouter le fait, enl'occurrence, que son histoire et celle de son enfancene présentaient à première vue rien de particulièrementlnsupportable ; il avait grandi dans une famille bourgeoiseclussique, qui ressemblait à beaucoup d'autres, une familleâvcc une foule d'animaux en peluche, avec qui l'on pouvaitr'identifier. Beaucoup de gens pouvaient se dire : << Nousn'&vons pas été élevés autrement, tout cela n'a riend'anormal et si l'enfance jouait un rôle dans cette affaire,nuus devrions tous devenir criminels. > Il fallait donc queçct enfant fût < né anormal )), on ne voyait pas d'autrecxplication. Même les rapports des neurologues soulignaient

236 C'est pour ton bien

que Jûrgen Bartsch n'était pas issu d,un milieu particuil31,"*ul::o.ï:,p1i, d,urie b;;;. àîn. qui s,occPiri.o: tui, qu'il auuit uÈ",r-à*; aii',l,jniiiH:iiry9.1éeeqs

> et qu'il portait O*. *if Ia ,"sponsabientière de ses actes.Nous avons donc,une fois de plus, comme dans Ie c

l'*Î,"'::jiYi l: lg;t" ;;"o;;#; To,,ect, et i n orrensià qui, pour d'incompréhensiûr., ."ir#:ii;:iii.if" *ol:_:, j":"i';ilffi; iini'r.u, berceau. rVIes monstres ne tombe"t pu. àr rËi"iiË'r'ffiï"i;#ffiiij,..,1**::s,.1,^p:ïlÊ::iÉ;. ù". T"r, iue ron connaît rermécani smes d' i denti ii ca;i;; ;;;' I;_i:!#:' jlXXii, iidu moi, de projecrion et de transîert de ses propregproblèmes de I'enfance ,ui

-ron*'.ïrunr, qui font del'éducation une véritabl; i*regriioi,'on ne peut ptus secontenter d'explications moyenâgrur.r. I- o.sqrî,oî Jd; ;;outre, Ia puissance

.de . d;i-r-à", ,u. I,individu,I'intensité er le caracrer. purri*;;Ëiï, revêtent, on voitdans la vie de chacun de ces ,i rnànJrî., >> Ia suite logiquede son enfance. Ngus nous efforcerons d,illustrer cetteproposition par ta vie de lureÀ Èàiir"i.

Auparavant, Iu. qqg:gql qui se pose est de savoirpourquoi il esr si difficile àJ fuir" accéder l,opinionpublique à une approche ngv"frariiytique de l,homme.l:lt toî,Jïi u er*oi""ielàiriffi;, et vit depuis trenreans en R.F.A.. s'étonna b.;;;""p de la conceptionde I'homm" qui semb-tail ê;;;*ËlË' des fonctionnairescompétenrs au cours ou pr..i., p;;;;r. Il n,arrivait pas àcomprendre que tous ceux qui particrpatent à ce procès1-{ent pas remarque .r qui Ë;;i;;médiarement sautéaux yeux, à lui, étranger. II est Ui* euia.nt que toutesalle de tribunar reflètË res-r"r*.r"Ët les tabous d,unesociété. ce qu'une société ;; ;dË; ioir, ses juges er sesavocats ne Ie voient pas non pt"s.'tutais ff

-"r, ,i"î.ïir"p

3:* de parter.dg olu,ùAi;:";;Ë, rapporreurs er lesJuges sont aussi des hommes. L oni sàns Ooute été élevésà peu près comme, ruræ" Ëri"i,"'it, ont idéalisé cesystème dès leur nlus jeune àge et trouvé des moyensd'abréacrion adéquats. "CoÀ..ii iouiruirnr_ils brusque_

Jùrgen Bartsch 237

prendre conscience de I'horreur de cette éducation|;nr que tout l'édifice s'effondre ? L'un des objectifsprlncipaux de la < pédagogie noire > est précisément d'em-p&her dès le départ de voir, de sentir et de juger ce

lue I'on a subi dans son enfance. Une formule trèsltractéristique revient dans tous les rapports qui dit quer bien d'autres ont été élevés de cette manière )), sans

|ommettre pour autant des crimes sexuels. On justifie lellrtème d'éducation en vigueur, en montrant que seuls deslndividus isolés, ( anormaux D, en sont sortis criminels.

ll n'y a pas de critères objectifs qui nous permettraientde considérer une enfance plutôt qu'une autre commeI particulièrement malheureuse >>. La manière dont unenfant vit son destin dépend de sa sensibilité, et celle-civarie d'un individu à I'autre. Il y a en outre toujoursdans une enfance d'infimes chances, ou au contraire desclrconstances catastrophiques, qui ne sont pas visibles deI'extérieur. Ces facteurs de la destinée de chacun ne sont3uère modifiables.

Mais ce qui peut se modifier, et qui se modifiera, c'estla connaissance des conséquences de notre action. Dans ledomaine de la protection de l'environnement, il n'est plusquestion non plus d'altruisme ni de << bonne conduite >>

depuis que nous savons que la pollution atmosphérique etla pollution des eaux mettent en péril notre propre survie.C'est seulement à partir de là que peuvent être édictéesdes lois qui mettent un terme à la pollution à outrance deI'environnement. Ce n'est plus une question de moralemais d'autodéfense.

Des principes analogues peuvent s'appliquer en ce quiconcerne la psychanalyse. Tant que I'enfant est considérécomme une poubelle dans laquelle on peut déverser impuné-ment tous les < déchets d'affects >r, la pratique de la< pédagogie noire )) ne se modifiera guère. Et dans lemême temps, nous nous étonnerons de la multiplicationdes psychoses des névroses, des cas de toxicomanie dans lajeunesse, nous nous révolterons en nous avouant désarméscontre les perversions sexuelles et les actes de violence, etnous nous exercerons à considérer les guerres d'extermina-tion comme faisant partie intégrantè de notre existence.

238 C'est pour ton bien

Mais dès lors que les connaissances psychanalytiquer.auront pénétré dans I'opinion publiquf '_ ."--â"i-roproduira certainement un jbur ou liautré grâce à o. jrunetêtres qui grandiront prus- iibres :, ; roi àe ia . p"rlr"".,parentale > fondée sur |absence ée tout droit de |enfantdans I'intérêt de'humanité n" r.tu prus défendabre. Ir nosera plus considéré comme naturer qùe des pu*nt, ài.t ur-gent sans retenue leur corère et leui rancæur sur

'enfant,alors. qu,ils exigent de lui Oès sàn pfu, i.un" â;;'1"domination de ses affects.

II faudra bien que quelque chose change dans l,attitudedes parents lorsqu'ili ,'âp.r."uiàni que ce qu,ils ontpratiqué de bonne foi jusqu'à prerËnt en re considérantcomme < l'éducation nécessaire >> n'est uu- roJ-q]r-',îahistoire de vexations, a'nuÀiiiuiionr et de mauvais traite-ments. De plus, I'opinion publique ,,ouurunt â;;il;;plus à l'idée du rapport entre ciime et expérience de Iapetite enfance, le fait que rout ;;ù; révèle une histoire::*: que I'on peut liie Oun, .fru.un des détails et dansla mlse en scène de I'acte, ne restera plus un ,;;J;;.spécialistes. Mieux nous étudieron, .Ë, corrélations, mieuxnous attaquerons te rempart derrière lequel ;;'i;tu*criminels- sont jusqu'à présènt i*pune-."t produits. L,ori-gine de I'acte de vengeance ultérièur réside à;;;l;î#;;;I'adulte peut raisser libre .ou*

-a-

"on ugr.rrivité contreI'enfant,- alors que les réactio"r-ufi..tiues de l,enfant.encore plus intenses que celles de'aouiie,-ro;rilt#;;

avec la plus grande viôlence et punies d* irr", iiÀàirr."r*sanctions.Lorsqu'on sait, à travers .la pratique psychanalytique,par quelles retenues d'agressivité

"t à quét prix, il Ëi;;devue de.la santé, les êtrés.no;;.;, qripurrlliù;ô;

doivent vivre, on peut se dire qu" "l.Jiune

grande chance,et non pas la chose la plus naiurelle du monde, de n,êtrepas devenu criminel. II y a certes d,autres moyens de vivreavec ces refoulements, comme par exempl. fu"prv.fràr;,'i;toxicomanie ou l'adapration purtuit"ôui p..*rl'.r.oË iidélégation des refoulèments t,;;;;ùe enfant, mais il ya dans I'histoire du crime ,."u.i à.r'tu.r.urs spécifiquesqui interviennent bien plus fréquemment qu,on ne veut

Jiirgen Bartsch 239

habituellement I'admettre. Ils se manifestent aussilouvent dans le cadre de I'analyse sous la formeflntasmes qui n'ont pas besoin d'être transposés en actes,précisément parce que I'expérience de ces affects permetlcur intégration et leur maturation.

Oue nous apprend un meurtrelur l'enfance du meurtrier ?

Non seulement Paul Moor a entretenu avec JûrgenBartsch une très longue correspondance pour essayer de lecomprendre, mais il a en outre cherché à recueillir desrenseignements auprès de tous ceux qui étaient susceptiblesde lui apprendre quelque chose à son sujet et qui se

montraient disposés à le faire. En ce qui concerne lapremière année de I'enfant, ses recherches donnèrent lesrésultats suivants :

Dès le jour de sa naissance, le 6 novembre 1946, JûrgenBartsch se trouva dans un milieu pathogène. Immédiate-ment après l'accouchement on sépara l'enfant de sa mère,tuberculeuse, qui devait mourir quelques semaines plustard. Il n'y avait pas de mère de remplacement pour cebébé. A I'hôpital Wôchner, à Essen, j'ai trouvé Anni, quiest encore en service aujourd'hui, et qui se souvient encoretrès bien de Jûrgen : < Il était très rare que I'on garde lesenfants plus de deux mois à l'hôpital. Mais Jûrgen restaonze mois chez nous. > La psychologie moderne nous aappris que la première année de vie était la plus importantepour un individu. La chaleur maternelle et le contacthumain ont une valeur irremplaçable pour le développementultérieur de I'enfant.Mais à la crèche de I'hôpital, déjà, la position économiqueet sociale des futurs parents adoptifs commença à détermi-ner la vie du bébé. Écoutons encore ce qu'en dit cettemême infirmière : << Madame Bartsch a payê spécialementpour que I'enfant reste ici. Elle avait décidé avec son maride I'adopter, mais les responsables hésitaient parce qu'ilsavaient quelques incertitudes sur les origines de I'enfant.Sa mère avait aussi été une enfant naturelle. Elle avaitaussi été prise en charge un certain temps par I'assistance

trèsde

240 C'est pour ton bien

publique. On ne savait pas exactement qui était leNormalement, au bout d'un certain délai, on envoyaitenfants orphelins dans un autre établissement,Madame Bartsch ne voulait pas en entendre parler.I'autre institution, il y avait des enfants de toutes originæ;même de parents asociaux. Je me souviens encore des yeulrayonnants qu'avait cet enfant. Il avait commencé à sourirctrès tôt, il suivait du regard, levait la tête, il avait appriltout cela très, très tôt. Un jour il avait découvert qu'ilpouvait faire venir I'infirmière en appuyant sur un bouton,et cela I'amusait beaucoup. Il n'avait aucune difficultéalimentaire. C'était un enfant parfaitement normal, épa.noui, agréable. >>

D'un autre côté, il y avait des développements d'un€précocité pathologique. Les infirmières avaient dû mettreau point des méthodes d'exception puisqu'un enfant d'unâge aussi avancé constituait déjà en lui-même une exception.A mon grand étonnement j'appris que les infirmièresavaient réussi à rendre I'enfant ( propre > avant mêmequ'il eût atteint I'âge de onze mois. L'infirmière Annitrouva mon étonnement assez étrange. < Il ne faut pasoublier ce qu'était la situation à l'époque, juste un anaprès la guerre que I'on venait de perdre. tl n'y avait pasd'équipes pour nous. >> Aux questions que je Iui posaipour savoir comment elle et ses collègues avaient réussi àobtenir ce résultat, elle me répondit avec une certaineimpatience. << Nous I'avons tout simplement mis sur le pot.On commençait à six ou sept mois. Nous avions desenfants ici, à I'hôpital, qui marchaient déjà à onze mois,et eux aussi ils étaient déjà presque 'propres'. > Il fautcroire que I'on ne pouvait pas espérer d'une infirmièreallemande de cette génération, même aussi gentille quecelle-là [...], des méthodes d'éducation progressistes.Au bout de onze mois de cette existence pathogène, I'enfantqui se prénommait désormais Jûrgen arriva chez ses parentsadoptifs, dans la famille Bartsch. Tous ceux qui connaissentassez bien Madame Bartsch savent que c'est une << obsédéede propreté >>. Peu après la sortie de I'hôpital I'enfantrégressa par rapport à son anormale précocité et redevintsale. Madame Bartsch en était dégoûtée.Les amis et connaissances des Bartsch virent bien que Iebébé avait toujours des traces de blessures. MadameBartsch avait toujours une nouvelle explication pour cesbleus, mais elles n'étaient guère convaincantes. Au moins

Jiirgen Bartsch 241

une fois au cours de cette période' le père' éprolvé'

Gerhard gurt*"t',-"o;iessa à un ami.gu'il sone;-1| ,1 ::

A-iîot.. , < Elle bat le petit d'une telle façon que 1e ne

peux tout simptetneni pius te supporter' >> Une autre fois'

Ën?.n atlant' Monsieur Bartsch voulant se faire excuser

à. pàiiit si p;éci;itamment dit : < ll faut que je rentre'

sinon elle -" r. tiiiâ-l- ràitt de le battre' >> (Moor' 1972'

p. 80 et sq.)

Jiirgen lui-même ne peut bien évidemment rien raconter

de cette époque mai' Ët nombreuses angoisses dont il se

iouvient ne sont certainement pas sans rapport avec ces

ffiil" o ioo, pttit" i;;*i* déià terriulement peur du

tapage que faisait t*" lettr "i' y:: chose que j'avais

;?ïil;;qué. a rtp-"q"t: je ne I'ai presque jamais vu

8ourire. )

<< Pourquoi cette peur dont j'ai parlé ? Ce n'était pas tant

de l'aveu qut atJ uut"t tnfuntt'. Je n'ai sans doute pas

àit q".-j;eàit rt touriit-douleur du -cours

enfantin ! Tout

ce qu'ils on, pr, ." fuit" endurer ! Se défendre ? Essayez

un peu o. uou, âii"nait, quuna vous êtes t" ot1r: f^tll 1Îiu- ËUrt. ! J'avais tellement peur gue ie ne pouvals nl

chanter ,ri ruir. âi r" Ëv-""ttrq"e. a i'écôte ! Les raisons ?

pour comm.n..ii.r-"iiunts què l'on ne voit pas en dehors

des heures de classe ne Sont pas reconnus, suivant la

maxime : << Il se croit mieux que nous ! > Que I'enfant en

question n" puit* pu"ôu ttt u*ille pas se ioil{1à,:u:Ët-uutt.t n" font aïcune différence' Pour ma part' Je ne

pouvais put. JË- passais certaines après-midi chez mon

professeur, Vf "^iàtt

ffÛnnemeier'.certains jours à Werden

chez ma gtu"à-tÀi" où je dormais au grenier' les autres

"ptèt-.iaî a faienutrg dâns le magasin' Résultat : partout

et nulle pur, .tttT toilpas de camarades' pas d'amis parce

qu'on n" .orrnJil p"iiô"""'-ce sont les principales raisons'

Mais il fuu, v-i.i5t"i'qtrtfqu" chose : jusqu'à I'entrée à

l'école, ie suis presque toujourg resté enfermé dans la

vieille priso"';";;-l;'t lnêties à barreaux et la lumière

artificielle toute la journée' Des murs de trois mètres -de

haut, tout t"t'pr"tt]itietJiction ae sortir autrement qu'en

donnant la mâin à ma grand-mère' Interdiction de jouer

avec les """"Jîtr""it' 5ix années durant' J'aurais risqué

de me ,ufit, tn'pfut-t u un tel et un tel ne sont pas les

242 C'est pour ton bien

gens qu'il te faut ! > On reste donc docilement à la maison,mais là, on gêne, et on vous bouscule d'un coin à unautre, on reçoit des coups alors qu'on ne les mérite pas eton n'en reçoit pas lorsqu,on en mériterait. papa et mamann'ont pas Ie temps, papa, on en a peur, parce qu'il se mettout de suite à crier, et maman, eileètait deja coÀptetrrn.nthystérique à l'époque. Mais surtout : n'avoir uu.un contictavec les gens de son âge, parce que, comme nous l,avonsdit, c'était défendu ! Comment J'intég.er alors ? Chasserla terreur de ce qui peut vous arriver en jouant ? Au boutde six ans, c'est trop tard. >> (p. 56 et sq.)

_ -Cette séquestration jouera par la suite un rôle important.L'adulte entraînera des'petits garçons dans un bunkersouterrain et c'est là qu'il les tuera. N'ayant personne dansson enfance qui comprenne sa souffrance, il n. peut ;;;la vivre, il est contraint de la réprimer et de n ,re .ienlaisser paraître >.

< Je n'étais pas lâche du tout, et je I'aurais été si j,avaislaissé paraître ma souffrance aux yeux de qui que ." ,"ii.Il se peut que cela ait été une errèu., mais c'était en toutcas ce que je croyais. Car tout enfant a sa fierté, vousdevez le savoir. Non, je ne pleurais pas chaque fois que jerecevais des coups, j,aurais trouvé ça .lâche',

"t ,u, Ë,point au moins j'étais courageux : je ne laissais rienparaître. Mais en fait, sérieusement, vers qui est_ce quej'aurais pu me tourner, auprès de qui m'épàncher t M;;parents ? Pour autant qu,on les aime, on est bien forcé dese rendre compte avec horreur que dans ce domaine,jamais, jamais au grand jamais, ils n'ont pu Oeu.ioJp.i-iËmoindre atome de compréhension. J,ai dit ifs n,oni pu ièfaire, je ne me suis pas contenté de dire qu,ifs ni iàfaieoi-na9 {ait, j'espère que vous saurez y voir un signe ae Àonindulgence ! Et, encore une chose qui n'est p", -un

,"pro.frËmais un simple fait : je suis fermèment persuadé, j,en aimême fait I'expérience sur mon propre corps, que mesparents n'ont jamais su comment on devaii iraiter desenfants. > (p. 59.)

C'est seulement en prison que Jiirgen adresse pour lapremière fois des reproches à sès parents :

Jûrgen Bartsch U3

<< Vous n'auriez jamais dû me couper pareillement desautres enfants, c'est ce qui a fait qu'à l'école je n'étaisqu'un malheureux froussard, Ensuite vous n'auriez jamaisdû m'expédier chez ces sadiques en soutane et une foisque je m'étais enfui parce que le supérieur avait abusé demoi, vous n'auriez jamais dû me ramener au pensionnat.Mais bien sûr vous ne le saviez pas. Maman n'auraitjamais dû jeter dans le poêle le livre d'éducation sexuelleque devait me donner tante Martha quand j'4vais onze oudouze ans. Pourquoi, en vingt ans, n'avez-vous pas jouéune seule fois avec moi ? Mais peut-être que tout ça auraitpu arriver aussi à d'autres parents. Pour vous au moinsj'étais un enfant désiré. Même si pendant vingt ans je n'aipas pu m'en rendre compte, et si je ne m'en aperçoisqu'aujourd'hui, c'est diablement tard ! >>

<< Lorsque ma mère poussait le rideau sur la droite etrevenait comme un dragon de la boutique en balayant toutsur son passage, si je me trouvais sur son chemin, vlim,vlam je prenais une paire de claques. Uniquement parceque j'étais sur son passage, trop souvent c'était la seule etunique raison, Quelques minutes après j'étais de nouveaule gentil petit garçon qu'il fallait prendre dans ses bras etembrasser. Alors elle s'étonnait que je m'en défende etque j'aie peur- Tout petit déjà, j'avais peur de cette femme,exactement comme j'avais peur de mon père, mais lui, jele voyais encore moins. Tout ce que je me demandeaujourd'hui, c'est comment il pouvait supporter ça. Parfoisil travaillait de quatre heures du matin à dix ou onzeheures du soir, sans interruption, le plus souvent à préparerde la charcuterie. Lui, je ne le voyais pas de la journée, etsi jamais je le voyais ou I'entendais, c'était quand il passaitcomme un ouragan, en hurlant. Mais tout petit, quand jefaisais encore dans mes couches, c'était lui qui s'occupaitde moi, II me le racontait lui-même: << C'est moi quilavais et changeais tes couches. Ma femme ne l'a jamaisfait. Elle en était incapable, elle n'a jamais pu y arriver. >>

Je n'ai jamais voulu déprécier ma mère. J'aime bien mamère, je I'aime beaucoup, mais je ne crois pas que ce soitquelqu'un capable de comprendre grand-chose, Ma mèredoit m'aimer beaucoup. C'est absolument étonnant, sinonelle ne ferait pas tout ce qu'elle fait pour moi. Avant, j'aipris pas mal de coups. Elle a cassé des portemanteaux surmon dos, quand par exemple je ne faisais pas bien mesdevoirs, ou pas assez vite,

244 C'est pour ton bien

Le bain était un- rituel établi. Ma mère m,a toujour!baigné. Elle n'a jamais urréij ,ilî n,ai jamais proresréalors que quelquefois .y,aurais Uien Ju-.nui. de dire : << MonDieu, maintenant... > Mais je n" sais-même pas, il se peuttrès bien que j'ai considéréa j;q,r'au bout comme toutnaturel. En tour cas il n,aur"it pâ. fall, ;;;-;; ff;entre. Là alors, j'aurais hurlé.Et cela a duré jusqu'à mes dix_neuf ans, jusqu,à ce que jesois arrêré: je me lavais moi-mê-. ies pieos er les mains,et ma mère me lavait la tête, le cou-et-le dos. i.;;;Ëaurait peut-être encore etg noimai, mais elle descendaitaussi sur le bas_ventre et sur le haut des cuisses, elle melavait pratiquement tout, de traut

"n bas. Elle en faisaitbeaucoup n_lus ou.e moi. La prupuit Iu ,.rnpr, je ne faisaismême absolument rien-,_alori d;li. ;r"ir : << Lave_toi lespieds et les mains. >> Ni ma ;;;;ir"n père ne m,ontjamais dit qu'ir failait quel.'rà ."rilie re sexe sous reprépuce. Et, en me lavant, ;";il;. s,en occupait pasnon plus,Si je ne trouvais pas tout cela un peu bizarre ? C,est unsentimenr que l,on sent monrer * J;;;"afi"lij;#pendant eueleues_secondes ou q""fô"., minutes et qui estsur le point de nercer, mais il niurrillju-ais tout à fait àla surface. Je liai bi.; ;;;;,i,;;o i", direcrement. Jene I'ai ressenti qu'indire_cte.;"Ë toutefois on peutressentir quelque chose indirectemËnt.Je ne peux pas me-souvenir d'avoirlàmais été tendre avecma mère, de I'avoir.pris,e dans -". uru, et d,avoir essayéd'être doux avec ellè. fe me-rà""f..i confusément quequelquefois le soir, en regardant la télévision, qu"nà-i;eâ]idans Ie lit entre mon !è.e ", Àu-*er., elle m,a pristendrement cornme.ça, Àais cela--nla pas an arriver plusde deux fois en ouatre ans, et d,ailleuri je m,en défendaisplutôr. Ma mère n,.n u;u-uir-eË'r-rlïir.ureuse, mais j,ai::,ij:ït éprouvé une- espèce a,t,oii.u, â son egard. Je nesa$ pas comment il faudrait appeler ça, peut_être l,ironiedu..destin, ou quelque

"rror" a:"rr.oiJ'ptus triste. Toutpetit, quand je rêvaij 9"..? .e.r, ou-ùi.n eile me vendait,ou bien elle se nrécipitait il';;i';"ec un couteau.La deuxième chose s'êst malt err.u"r"r*n, effectivementproduite par la suite,

C'était en 1964 ou lf6j. Je c_rois que c,était un mardi,parce qu'à ce moment_là c'était ,.ui"À.rrt le mardi et lejeudi que ma mère était au ;"gjririll-riiiernberg. pendant

Jtirgen Bartsch 245

la pause de midi, on déplaçait les morceaux de viande eton lavait les tables. Ma mère en lavait la moitié et moiI'autre. On lavait aussi les couteaux qui se trouvaient dansun seau. Je dis que j'avais fini, mais elle était dans unmauvais jour et répondit : << Tu es loin d'avoir fini ! ><< Non ! >> << Regarde, reprit-elle, regarde s'il te plaît lesglaces, elles sont toutes à refaire. > Je répondis < Je ne lesreferai pas parce qu'elles sont déjà impeccables. > Elleétait au fond, près de la glace. J'étais à trois ou quatremètres d'elle. Elle se pencha vers le seau. Je me demandaice qui se passait. Alors elle en sortit un beau couteau deboucher, bien long, et elle me Ie lança à peu près à hauteurdes épaules. Je ne sais plus s'il cogna contre une balanceou ailleurs, en tout cas il atterrit sur une planche. Si je neI'avais pas évité au dernier moment, elle m'aurait touché,J'étais raide comme un morceau de bois. Je ne savais plusdu tout où j'en étais. Tout était d'une certaine façontellement irréel. Ensuite, elle se précipita sur moi, mecracha au visage et commença à hurler en disant que j'étaisde la merde. Et ensuite elle ajouta encore : << Je vaisappeler Monsieur Bitter - c'était le directeur des servicesde I'assistance publique à Essen - pour qu'il vienne terechercher et que tu retournes là d'où tu es venu puisquec'est là ta place ! > J'ai couru dans la cuisine où était lavendeuse, Madame Ochskopp, qui faisait la vaisselle dudéjeuner. Je me suis planté devant I'armoire et je m'yaccrochais en disant : < Elle m'a lancé un cout€au. >> << Tues fou, me répondit-elle, ça ne va pas dans ta tête. > J'aidévalé I'escalier, je me suis enfermé dans les cabinets, etlà, assis, j'ai pleuré comme une vache. Quand je suisremonté, ma mère allait et venait dans la cuisine. Elleavait ouvert l'annuaire du téléphone. Sans doute qu'elleavait véritablement cherché le numéro de Monsieur Bitter.Pendant un certain temps, elle ne m'a plus parlé. Sansdoute pensait-elle que j'étais un être mauvais, qui se laisselancer un couteau et se contente de l'éviter, je ne saispas. ><< Je voudrais que vous entendiez mon père ! Il a un organetout à fait extraordinaire, une véritable voix d'adjudant-chef, de chef mécanicien, une voix de militaire. Différenteschoses peuvent la déclencher - sa femme ou quoi quece soit d'autre qui lui déplaît. Quelquefois c'était desbraillements effroyables, mais je suis sûr qu'il est à centlieues de le ressentir lui-même ainsi. Il ne peut pas

246 C'est pour ton bien

faire autrement, Quand j'étais petit, pour moi, c'étaitépouvantable. J'ai une foule de souvenirs de cet ordre,Et il avait toujours des ordres d'adjudant et des blâmes àdistribuer. Il ne peut tout simplement rîen y faire, je I'aidéjà dit. Mais il a quelque chose dans la tête, c'est sûr, etdonc on ne peut pas lui en vouloir.Au cours du premier procès, le président du tribunal ademandé à mon père : << Monsieur Bartsch, comment sefait-il qu'à Marienhaussen il y ait eu tant de châtimentscorporels, puisqu'il paraît qu'il y régnait une pareillebrutalité ? > Mon père a répondu, mot pour mot : << Mais,en définitive, ils ne I'ont pas tué. D C'était une réponseclaire.Pratiquement, dans la journée, je ne pouvais avoir aucuncontact avec mes parents. Bien sûr, ma mère passait detemps en temps devant moi comme une fusée, mais jamaisun enfant n'aurait pu lui adresser la parole. Je n'osàismême pas ouvrir la bouche, car je sentais que je gênaispartout, et ce qu'on appelle la patience, ma mère n'en ajamais fait preuve extraordinairem€nt. Bien souvent, j'aireçu des coups pour la simple raison que j'avais vouluposer une question ou demander quelque chose et que cefaisant je la gênais.Intérieurement je ne I'ai jamais comprise. Je sais qu'ellem'aimait et qu'elle m'aime encore beaucoup, mais il fautqu'un enfant le sente, c'est en tout cas ce que j'ai toujourspensé. Pour ne donner qu'un exemple (mais ce n'estabsolument pas une exception, j'ai souvent vécu des chosesde ce genre) ma mère ne voyait rien d'anormal à meprendre un instant dans ses bras pour m'embrasser et, uneminute après, en s'apercevant que j'avais oublié de quittermes chaussures, à attraper un portemanteau dans I'armoirepour me le casser sur le dos. Il se passait beaucoup dechoses de ce genre, et chaque fois quelque chose se brisaiten moi. Cette façon de vous traiter, ces choses, je n'aijamais pu les oublier et je ne pourrai jamais, je suis là etc'est plus fort que moi. Certains ne manqueront pas dedire que je n'ai pas de reconnaissance. Ce n'est pas trèsvrai, car tout cela est ni plus ni moins que I'impressionvécue, que j'ai éprouvée, et la vérité devrait quand mêmemieux valoir que de pieux mensonges.Pour commencer, mes parents n'auraient jamais dû s'épou-ser. Quand deux êtres à peu près aussi incapables I'un queI'autre d'éprouver des sentiments fondent une famille, il

Jtirgen Bartsch 247

me semble que cela ne peut rien produire. d'autre que des

catastrophes. Le mot à'ordre était toujours le même :

;iiÈË, tu es le plus jeune, tu n'as de toute façon rien à

àii" ; "" iunt qu'.nfuni, tu n'as pas à parler tant qu'on ne

te demande rien. >>

<< C'est à la maison que je suis le plus triste' tout y est

à'rn" ri puifaite trygiène' on a l'impression qu'on devrait

marcher ïur la pointe des pieds, tellement c'est propre'

,uitout le soir dè Noel' quanA je descends dans la salle à

;;;g;t. Il y a beaucoup de cadeaux pour moi' c'est

rudement bien, et au *oittt ce soirJà, ma mère maîtrise

un tant soit peu son tempérament de la douche écossaise'

à. ,o*. qu'on se, dit, peut-être que tu (moi' en I'occurrence)

il;;;; àubfier'un peu ta propre bassesse ce soir' et

;;il;;, il y a quelque chose comme de l'électricité dans

i'"ir q"l faii que-l'on sait que ce sera encore de la merde ;

si seulement on pouvait chanter un chant de Noël' et ma

mère dit : << Chante donc un chant de Noël ! ) et je

réponds : << Non, non, je ne sais -P1t :t puis je suis trop

;;;;e pour ça I >, mais en réalité je pense : <-Tueur

â;"nrunit chantant NoëI, s'il n'y a pas de quoi devenir

fou ! > J'ouvre mes paquets et je me réjouis' ou en tout

"ur, :" fais semblant. Ma mère ouvre aussi ses paquets'

mes .adeaux et elle est réellement contente' Entre-temps'

le dîner est prêt, une poule au pot, avec la poule' et mon

per. "rriu.,'deux

heuies après moi, il a travaillé jusqu'à

i.tt. t.ut.-là. Il jette un appareil de cuisine quelconque

aux pieds de ma mère, elle en a les,larmes atu( yeux

à'é*àtiorr, et il grommelle quelque chose qui pourrait

vouloir dire < Joyeux Noël ! >>' [l s'assied à table : << Alors'

qu;.rt-., qui se passe ? Vous venez ou non ? r> On ingurgite

ià roup. en silence, on ne touche même pas à la poule'

Pendant tout ce temps' on n'échange pas un seul mot' Iln;V u q". la radio qui-marche doucement, comme tout le

i.rt" a. la journée' << L'espoir de stabilité nous apporte

force et récànfort en ces temps"' >> Le dîner est terminé'

ùon pet" s'asseoit et braille de toutes ses forces : << Bon

et alois maintenant qu'est-ce qu'on fait ? >> le plus fort

àrriit p"ur, vraiment irossier' o ott.n" fait rien > répond

Inu *i.. et elle s'enfuit dans la cuisine en pleurant. Je me

dis : < Qu'est-ce qui me punit, le destin ou Dieu ? >> mais

j" -'upùcois touf de suite que ce ne peut être ça' et il me

ieuieni à I'esprit un sketch que j'ai vu à la télévision:

u8 C'est pour ton bien

< La même chose que I'année dernière, Madame ? >r

<< - La même chose que lous les ans, James. >r

Je demande timidement : << Tu ne veux pas regarder ceque nous t'avons offert ? >r << Non ! > Il est assis là et fixela nappe d'un regard vide. Il n'est pas encore huit heures.Je n'ai plus rien à faire en bas ; je m'éclipse et je remontedans ma chambre et je me demande sérieusement : << Tute jettes par la fenêtre ou non ? >> Pourquoi est-ce que jedois vivre I'enfer ici, pourquoi vaudrait-il mieux être mortque vivre une chose pareille ? Parce que je suis unmeurtrier ? Ce ne peut pas être la vraie raison, parce quece n'était pas différent cette année de toutes les autresannées. Ce jour-là a toujours été le pire, surtout bien strdans les dernières années, où j'étais toujours à la maison.Il arrive un jour où tout, mais alors vraiment touts'accumule.Bien sûr, mon père (et ma mère aussi, bien entendu) faitpartie des gens qui sont persuadés que l'éducation desnazis avait aussi ses bons côtés. << Bien sûr >, aurais-jepresque envie de dire, que j'ai déjà entendu mon pèredéclarer (dans des conversations avec des gens de la mêmegénération, qui pensent en fait presque lous comme ça),<< là au moins il y avait encore de la discipline, il y avaitde I'ordre, et il ne leur venait pas de mauvaises idéesquand on les avait mis au pas )) etc.,. Je crois que laplupart des jeunes de mon âge doivent renoncer à aborderdans la famille le thème du Troisième Reich parce qu'ilsdoivent tous redouter d'apprendre alors des choses queI'on n'a pas envie de savoir.L'histoire avec le couteau dans le magasin, je suis certainque c'était après le troisième crime, mais il s'était passédes choses analogues (bien sûr toujours avec ma mère),pas tout à fait aussi terribles, auparavant. A peu près tousles six mois, même avant le premier crime. C'était toujoursquand elle me frappait. EIle était furieuse quand j'évitaisles coups. Il fallait que je reste impassible pendant qu'elleme tapait dessus. A seize ans et demi, à dix-neuf ans,quand elle voulait me frapper avec quelque chose qu'elletenait à la main, je le lui prenais tout simplement. Pourelle, c'était le pire. Elle le ressentait comme une révoltealors que ce n'était qu'une défense forcée, parce qu'ellen'est pas particulièrement faible. Et dans le moment, jen'avais même pas peur de me blesser. C'est quelque chosequ'on remarque.

Jûrgen Bortsch 249

C'était toujours parce que i-il"1t,^:tneint la consigne

i ;;;ï,,.,iËve '",:lï;:,"ïl;iïil:ËË3 ou parce que

j'avais réPondu'

J, ai raissé parler Jùrgen.Bartt:h :l-loment sans I'inter-

tompre pour faire 'JtËnti' au lecteur^ce Que pouvait être

l'âtrnosphère d'une lËàitË'o "*tv:e' on est assis là et on

ôeoute, et si I'on "tttt ;; ott àit'r" patient' sans chercher

I l'éduquer' sans tt' otopoËtr aucune'théorie' on s'aperçott

ou'il s'ouvre dans Ë";til-iu*ili* bien protégé un

véritubte enfer, aont'ii iiÏollffi ni rt patient lui-même

;t"Jf;',?l''#l;:,*'H3'î::'';ii:ï,iIeru'genBIT:'Iluraient été de n.,.iriJu-rr-p*nts. s'ils avaient su que le

comportement urteiiËiiïti"ot fils- aurait révélé au public

leur propre totpoïË'ntît i ô"-"'est Dâs exclu' mais on

pcut aussi penser oît"itï"rt de teurspioores compulsions

lnconscientes' lts "àî'uitnt de touteJa"on pas pu le traiter

.uiir*.n,'T9"ter#ti;i"i"i"'-'*ur"ùîÎÏ';.'ril'fJ"t';x;té';il informés' ils ne 1:ultlttÏ.f"ï.Ji]"ori{rt-î.f,insion,,att%.ri'î:::"1,**'*'Âîiïî.,,ii'li-T'lI'auraient pas Ïorce aJ j:::ï;;,, -"ilt ïe Marienhausen

:;"3',.; tffi:,"f iî|, îïË: 3i"'.'Ë.ï;'àL.luiuti o"'

des témoins ont faii apparaitre. uo tou'i du procès' montre

bien Que lu . oâ;Jti" loil.t ]]- gotint encore notre

;;Ë;i:bt voici quelques citations :

<< En comparaison, et même indépendamment o:-lul."'

Marienhaustfi'"il liènfer' -on

tnrit tutholique' mais cela

n'arrange p"t l'î"ttt"tts' Je me-souviens seulement des

coups distribÏet t" permanence par ces hommes en soutane'

que ce '"tt ;;à;J-!tJ.t';"'11 ç classe' à la chorale'' et

même, ç^ Ë"1"t gênait pas' 'à'

l'église' Les pumtrons

complètemetii t'Jrôît1'esier'debout en pvjama' tous en

rond dans r""t""t'-j"tqu'à "" 'qut Ë ptemier s'effondre)'

au travail o;'ï;;il-;n4:* aânt itt tttumps' alors qu'il

est interdit # àt;;;alter des enfants (retourner le fotn'

ramasser les pommes de te"e' --ies

betteraves' et les

coups de uâto'" pour ceux qui lfluitnt trop lentement)'

l'impitoyauË"ïoIàu^""tion (nécessaire au développe-

250 C,est pour ton bien

ment !) des < locho.lneries > épouvantables entre gamins,le << silence > complètement aîtiàturel à table, à partird'une certaine heure, .r.... .i-ia, remarques troublantes,comptèremenr anormale, adressées.a ar,

"rfln; ;ï'1.premier qui reg-arde seulement un. o.r filres de cuisine serS_battu. > (p. 105.)Un jour le diacre Hamacher, dans Ie dortoir (parce quej'avais parlé alors. qu-,it re-gnait-ie prus_rigoureux silence)m,a donné une teue-claqu"î*1" ,"i, "riê"-"Ë^d;Ë;lits plus ,otn...I:l a." ù_-n, _uui_uuunr, te < père caré-chète > m,avait cassé sur i. O"rriêr, une grosse règle debois et il comptait sérieusement-;;; j. la rembourse.Une fois, en première, :;uuuii-iu grippe et j,étais à,|infirmerie avei_ re pei."".utàet". Non seurement irenseignait Ie catéchisme, rnals

-.n même temps il étaitinfirmier. A côté g" ;"i, -;i I avait un garçon quiavair beaucoup de fièvre. ir-l"ie.r,et. .;;;":j;;"_riilthermomèrre que.lque purr, ilrrii-iàuint quelques minutesaprès, reprit Ie thèrmômeire, l" ,egarda et battit l,enfantcomme plâtre. Le garçon, qui aiait qr"ra

-âeàË.îr,terrible fièvre,, se toidait OânrJour'f.s sens en criant. Jene sais pas s'il.s'en est seute*ent ,enAu comp1..-t;";;cas, il s'agitait dans tous f", iànr. Le catéchète, enbraillant : << Il a mis le tt.r.o.éiie sur Ie chauffage. >>- Il oubliair que. ce n,était pir-i;iliï", er que le chauffagen'érair pas allumé. , (n. tOOly

Il faut que lienfant apprenne à supporter sans broncherles absurdités et les sautes d,humeui de ses éducateurs,sans éprouver de sentiments. d. h;id et en même tempsqu'it parvienne à bannir .t à t;;ii;; en lui le besoin deproximité physique et affective o;un éir. qui Ie soulageraitde ce poids. C'est en fait une peifË_un.. surhumaineque I'on exige des enfants mais qu'e t-,àî n'attendrait jamaisd'un adulte.

<< Pour commencer papu a dit : << Si jamais nous enattrapons deux ensemble ! > et quanO ",Ëri

urri"Ë,;i;;eu d'abord la volée de-coups nuËituàt", ,i_pr"*.i,j-rinîdoute encore pire qu,à r,r,uuiiuo.lïii. n,.rt pas peu dire.Ensuite, bien évidèm.."r, irl.ro"Àin, Ie renvoi. MonDieu, en fair on avait moins ;;;.-;; ce renvoi que descoups. Et enfin Ies discours traûituet a ""

,uirt, .JÀLJoi

Jtirgen Bartsch 251

on reconnaissait les garçons de cette espèce, etc,.. du genre,un garçon qui a les mains moites est homosexuel et faitdes cochonneries, et qui fait ce genre de cochonneries estdéjà un criminel. On nous disait pratiquement ça sur ceton et surtout, on nous disait que ces saletés criminellesvenaient immédiatement après le meurtre - même trèsexactement en ces termes : immédiatement après le meurtre.PaPu en parlait presque tous les jours, et il ne fallait pascroire que la tentation ne pût pas I'atteindre lui aussi. Ildisait que c'était en soi quelque chose de naturel, que,pour reprendre sa propre expression, << la sève montait >>...

J'ai toujours trouvé cette expression épouvantable... Maisil n'avait jamais succombé à Satan, et il en était fier. Onentendait ça pratiquement tous les jours, pas dans lescours, mais toujours entre-temps.Le matin, on se levait à six heures ou six heures et demie.Silence absolu, Ensuite il fallait se préparer en silence, ettoujours en rang par deux, bien sagement, descendreI'escalier pour se rendre à la chapelle et célébrer la messe-On sortait de la messe, toujours en silence, et toujours enrang deux par deux. (P. 108 et sq.)Les contacts personnels, les amitiés en tant que tellesétaient interdits. Qu'un élève joue trop souvent avec I'unde ses camarades, c'était interdit. Ils considéraient quetoute amitié en tant que telle était suspecte, parçe qu'ilspensaient que si on se faisait un ami, on lui mettraitforcément la main à la braguette. Derrière le moindreregard, ils soupçonnaient toujours quelque chose de sexuel.On peut inculquer pas mal de choses à des enfants à coupsde bâton. Et ça reste. On le conteste aujourd'hui, mais siles choses sont faites comme il faut, si I'on sait qu'il fautque ça reste, ça reste effectivement, et pour moi, beaucoupde choses sont restées jusqu'à aujourd'hui. (P. I I l.)Lorsque PaPu voulait arriver à savoir quelque chose, àsavoir qui avait fait telle ou telle chose, il nous faisaitfaire le tour de la cour en courant sans arrêt, jusqu'à ceque les premiers suffoquent et s'effondrent,Il parlait souvent (plus que souvent), dans tous les détails,des horribles pratiques d'extermination des juifs sous leTroisième Reich, il nous montrait des photographies deça. Et on avait I'impression qu'il en parlait sans déplaisir,(P. 118.)A la chorale, PaPu aimait à frapper au hasard, le premierqu'il attrapait, et il en avait I'écume aux lèvres. Souvent il

252 C'est pour ton bien

cassait Ie bâton sur le dos de celui qu,il frappait, et làaussi . avair cette fureur in.oÀùn.nsibre et r,écume auxcoins de Ia bouche. , fp. rzô.i-'.^'

Ce même individu, qui met toujours en garde contre lespérils de la sexualité et.of"a*. jËiï.nu.rr, artire Jrirgendans son lit, un jour où l,enfant est malade :

< II voulait que.je Iui rende son poste de radio. Les litsétaient urr., éroilner r* ,r, i".i lurr.r. Je me suis revéavec ma ttèu.:,^,:lje lui ai apportét. post". Ë;;;;;,,,";d'un coup il a dit : n puisquJ ru-L, u.nu jusque là, viensdonc dans mon lit.Je n'ai pas encore càmpris. On est resté allongé l,un àcôté de I'autre un certain. temps, ]urqu,uu moment où ilm'a attiré conrre.tui en glissanillïuin par derrière dansmon pantalon. C,était assez nouveau en soi, mais en mêmetemps, I'un dans l.l1utre, pu, ,i nàuu"au que ça. Le matindans Ia gaterie à l,église,:;;Tiii plus combien de foisipeut-être quatre fois, peui-êtr.,.piquund nous étions assisI'un à côté de I'a.utre, il ruioit, ;;;;" par inadverrance, unmouyement quelconque pour arriver a-touctrei ;;;;Ë;.Ce jourJà au lit, il uuuijgfir*Jl" ,""i, dans mon pantalonet

' m'a < caressé >' Ir

"a ruiiu"-e-e chose devant etpuis .il a essayé de me *urlurù"rl mais ça ça n,a Dasmarché, tout simprement à cause à"'r" nè"rËldl rîdlu""l.-,i"^:"i: plus exactement quelle formute il a emptoyé,mars en tout cas il^m,a dit qu,il me casserait h cË;Ë;ije ne savais pas Ia ferme;,

" @.'i;;;

. On. peut imaginer la difficulté que peut avoir un enfantà sortir d'une relle situatio;;;;r-;;Jur," uia. extérieure.Et pourtant,- Jûrgen ose tenter une fuite qui lui ferapourtant sentir, de façon encore plus nette, que sa situationest désespérée er qu'ii est ""ri;;.;;i,.rf au monde :

<< A Marienhause_n, avant cette histoire avec papu, en fait,je n'avais ftr1ï"^î r; il;ËË^i" ra maison, maisbrusquement. une fois que mes pu-r"nt, m,y eurent ramené,je fus pris d'un cararo'gpou;il;: J,étais rrès souventen rapporr avec papu et je ne pouuui, i*"ti";.;;ê;;ï;rester Ià. J,étais parti de fufuri-.nfruuren et je ne pouvais

Jtlrgen Bartsch 253

pas imaginer qu'il fatlût y revenir. D'un autre côté, jeI'avais tout à fait prévu : si tu rentres à la maisonmaintenant, tu vas prendre une terrible raclée. C'est pourça que j'avais peur. Je ne pouvais plus ni avancer, nireculer.Près de la maison, il y a une grande forêt ; c'est là que jeme suis réfugié. J'y suis resté pratiquement de I'après-midijusqu'au soir. Mais brusquement, j'y ai vu arriver mamère. Quelqu'un avait dû me voir. Je I'ai vue derrière unarbre. Elle appelait : 'Jûrgen, Jûrgen, où es-tu ?' Et alorsje suis allé avec elle. Bien sûr I'engueulade et les hurlementsont commencé aussitôt.Mes parents ont alors téléphoné immédiatement àMarienhausen. Je ne leur ai rien raconté. Ils ont passé desfours à téléphoner à Marienhausen, puis ils sont venus metrouver et ils m'ont dit : 'Bon, ils veulent bien quandmême te donner une chance ! Tu peux y retourner., Biensûr j'ai prié et supplié : 'Je ne veux pas y retourner.' Maisquand on connaît mes parents, on sait que là, il n'y avaitrien à faire.

Jiirgen Bartsch ne parle pas uniquement de ce qu,a étéMarienhausen pour lui, il raconte par exemple aussi ce quis'y est passé pour un de ses camarades :

C'était un bon camarade. Il était à Marienhausen bienavant moi. Il était de Cologne et, dans notre classe, c'étaitlui le plus petit. Sa ville de 'Cologne', it ne fallait pas luien dire du mal. Le nombre de fois où il s,est battù parceque quelqu'un avait insulté sa ville, je ne saurais le dire.Comme ce n'est jamais d'une 'ville' dont il est questionmais toujours des êtres qui l'habitent, cela signifie qu,ilavait toujours le mal du pays.Il faut dire qu'il y était depuis plus longtemps que moi.Dans le chæur, comme il était le plus petit, il se retrouvaitirrémédiablement au premier rang, ce qui veut dire quepratiquemment à chaque répétition il recevait sa part decoups sur les reins ou sur la figure. Mon dieu, bien plusque sa part, car il y avait aussi le dernier rang qui étaitrelativement protégé. Le nombre de fois où il a pu recevoirdes gifles et des coups de pieds, je ne saurais pas non plusle dire. Il ne s'agit pas de chanter ici les héros, il ne nousle pardonnerait pas. Car il n'était pas un héros et n'avait

254 C'est pour ton bien

jamais voulu en être-un. Lorsque papu ou le gros catéchètol,avaient dans le cotimateur, ii criait pl;, À;';;.î"ïr,i*autres, il hurlait sa souffranc.,i io.t qu,on aurait cru queces murs saints et exécrés allaient ,,.rr*àr"ie'Err

v.u yEn 1960, au cours-d,un .u.p â-Àuth près de Niedeggen,un soir d'éré, le père ptitzlic-h (papu) àe.ia" q";oî?irritle .perdre'. Ce d9yar1 et." un'lru, très amusant. MaisHerbert n'en savait rien car p.^à"n. ne Ie rui avait dit.on le traîna au fond de ta

-roèt, on-r" ii..Ë,îrr-,r.bâillonna, on Ie mit dans un ,* à. couchage blanc et onle laissa tà. Il y resra jusqu,à rnir"ii. Ce qu,itîaïl"rrrnrir,je ne saurais Ie dire.'après

--inuii,-it-."r-"a'roî'ï*moqueries et aux gros rires, c,était un jeu, t.j, urn,irànL,euerques annees après qu'ii ,uiôuitte ira"li"rrr*r.r, ,n"i,alors qu,il était encore ioin d,êtie aduft., au-*u;i\r""randonnée en montagne, il s,est tué. II ;;"i, ;ô; #.battu et rorturé et pôur.*ii. llnsuite,. C,érair Ie pluspetit de notre classe.. ll s,appelaii fterUert Grewe. Et c,étaitun bon camarade. tO. n1'.i

Marienhausen n'est qu,un exemple parmi tant d,autres...

< Au début des années 1970 au Dom-Bosco_Heïm deCotogne il s'esr produit un",àrt" a. ,.;il;Ëil#Ët,connaître la presse er ta rétévision.. Les ù"ii.rilr";;;-1l'époque, à Marienhaur.n, ";eiàrrn"rent

personne ont faitaujourd'hui que les serviôes i.-ï;ur.irti"."-p"ùrù".'âàCologne ont retiré. tous leurs .niunr, du Dom_Bosco_Heimoir ils étaient n]acé1, uppur.r_.nf fur.. qu,ils ne peuventplus se permetrre de lèi y faisi".l6n dit que les maîtresfaisaient rouler les enfants ;-b; des escaliers en lesbattant, qu'irs les piétinaient cairement avec Ies chaussures,qu'ils reur enfonçàient ra teteâansl-u .uu"rr" des cabinets,etc., res mêmes praisanteries qu'*a nous à Marienhausen.Exactement Ia même ctorr,'_CrnJ'Aun, ce Dom-Bosco_Heim dirigé par res bons pères,;È-r;r. on disait égarementdans

-les rapports qu" qu"tr. rnuit-rJ, avaient constammentabusé des enfantJ qui t.ui a;t.rr confiés. or Ie pèrepiitzrich a éré éducatéur precisém.ni"aun. ..i et"uriri...ide Cologne après 1960. ,, fp. riôj^"'

Dans cet enfer, Jû^rgen Bartsch trouve aussi quelquechose de positif dont ifest .".or" ,""*naissant : pour Ia

Jùrgen Bartsch 255

prcmière fois il n'est plus le seul souffre-douleur commec'était le cas à la maison et à l'école. Enfin, il y a là unerolidarité ( contre les éducateurs sadiques >> :

<< Le bon côté était si important pour moi, que j'auraispeut-être même enduré des choses encore pires. L'essentielrestait d'avoir vécu enfin I'expérience merveilleuse de n'êtreplus exclu. Il y avait une extraordinaire solidarité des élèvescontre les éducateurs sadiques. J'ai lu un jour un proverbearabe qui dit : 'L'ennemi de mon ennemi est mon ami.'J'aurais voulu que vous connaissiez ça, cet extraordinairesentiment de solidarité, cette union entre nous. Le souvenirembellit sans doute les choses, mais en I'occurrence je necrois pas que je le fasse. Pour une fois je n'étais pas unparia. Nous nous serions tous plutôt fait couper enmorceaux que de trahir un camarade. C'était totalementexclu. >> (p. l3l.)

La répression des << mauvais' instincts > continue parI'intervention psychiatrique qui, estimant qu'il ne peut pasdominer ses instincts ( trop violents >>, tente de lui venircn aide par une opération de castration des suites desquellesil meurt en 1977. L'idée est presque grotesque si I'on songequ'à onze mois, Jùrgen était propre. Il fallait que ce soitun enfant particulièrement doué pour avoir réussi cetteperformance, et cela dans un hôpital, où il n'y avait mêmepas de personne de référence. Pour ce qui était de< dominer ses instincts >>, Bartsch avait prouvé par là qu'ilen était particulièrement capable. Mais c'était précisémentlà le drame. S'il ne s'était pas dominé si bien ni silongtemps, ses parents adoptifs ne l'auraient peut-être pasadopté, ou ils I'auraient confié à quelqu'un qui auraitpeut-être montré plus de compréhension.

Les dons de Jiirgen I'ont aidé, pour commencer, às'adapter aux données de I'environnement pour arriver àsurvivre: tout supporter en silence, accepter sans révoltede rester enfermé dans la cave et obtenir quand mêmede bons résultats à l'école. Mais devant I'explosion deI'affectivité au moment de la puberté, ses mécanismes dedéfense n'étaient plus assez forts. C'est exactement ce que

256 C'est pour ton bien

nous observons dans le monde de la drogue. Onpresque tenté de dire < heureusement >>, si les conséqde cet effondrement n'entraînaient pas la suite detragédie :

<< Bien sûr, j'ai dit plus d'une fois à ma mère : ,Attendtseulernent que j'aie vingt et un ans !' Cela encore, j'osaille dire. Alors ma mère répondait évidemment : ,Oui, oui,imagine-toi ça, d'abord tu es de toute façon trop bêtcpour pouvoir vivre ailleurs que chez nous. Ensuite, slvraiment tu t'en allais, tu verrais bien, au bout de deuxjours, tu serais de nouveau Ià.' Et comme elle le disait, àce moment-là, je le croyais. Moi-même je n'aurais paspensé pouvoir vivre plus de deux jours tout seul àI'extérieur. Pourquoi, je n'en sais rien. Et je savais bienaussi qu'à vingt et un ans, je ne m'en irais pas. C'étaitclair comme de I'eau de roche, seulement j'avais quandmême besoin de laisser échapper un peu de pression. Mais,que je I'aie sérieusement envisagé, ce serait totalementabsurde de le dire. Je ne I'aurais jamais fait.Quand j'ai commencé à travailler, je n'ai pas dit : ,ça mcplaît', je n'ai pas non plus dit:.c'est horrible !'. En fait,j'y ai très peu réfléchi. > (p. 147.)

C'est ainsi que tout espoir de vie autonome est étoufféen germe. Comment appeler ça autrement qu'un meurtrede l'âme ? C'est une catégorie de meurtre dont la criminolo.gie ne s'est jusqu'à présent jamais préoccupée, elle ne I'amême pas perçue, dans la mesure où elle est parfaitementlégalisée. Seul le dernier acte d'un long enchaînement estpassible des sanctions des tribunaux, et ce dernier actereprésente souvent très précisément, mais sans que le sujetlui-même en ait conscience, la préhistoire du crime.

La description précise de ses ( actes > que Jùrgen Bartschadresse à Paul Moor montre bien que ces crimes n'ont,dans le fond, pratiquement rien à voir avec la < pulsionsexuelle >, même si Jtirgen Bartsch lui-même était persuadédu contraire et opta de ce fait en définitive pour unecastration. L'analyste peut tirer de ces lettres une certaineinformation sur I'origine narcissique d'une perversion

Jtirgen Bartsch 257

sexuelle, une information, que les études spécialisées n'ontpas encore exploitée suffisamment.

Jûrgen Bartsch lui-même ne comprend pas véritablement,et se demande à plusieurs reprises pourquoi son instinctsexuel est séparé de ce qui se produisait là. il y avait des

camarades de son âge qui I'attiraient, qu'il aimait et dontil aurait voulu obtenir I'amitié, mais tout cela est nettementdifférent de ce qu'il faisait avec les petits enfants. Il écritaussi qu'il ne se masturbait pratiquemment pas avec eux.

Ce qu'il remettait en scène là, c'était une situationd'humiliation profonde de menace, d'anéantissement de ladignité, d'aliénation et de terreur infligées à ce petit garçon

en culotte de peau qu'il avait été autrefois. Il éprouvaitune excitation particulière à plonger son regard dans les

yeux apeurés, soumis et désarmés de sa victime où il se

rencontrait lui-même, rejouant dans la plus profondeexcitation la destruction de son moi - non plus cette foisen tant que victime démunie mais en tant que tortionnairepuissant.

L'ouvrage de Paul Moor étant aujourd'hui épuisé, jeciterai ici de longs passages du récit que fait Jûrgen Bartschde ses propres actes. Ses premières tentatives, il les faitavec Axel, un petit garçon du voisinage.

< Quelques semaines plus tard, ce fut exactement la même

chose. 'Viens avec moi dans la forêt' et Axel me dit :'Non, là ça va te reprendre !' Je l'ai quand même emmené

en lui promettant de ne rien lui faire. Mais évidemment'cela m'a repris. J'ai déshabillé I'enfant de force, et alorstout d'un coup j'ai eu une idée diabolique. Je lui ai ànouveau crié : 'Comme tu es là, tu te couches sur mes

genoux, les fesses vers le haut ! Tu peux bouger les jambes

ii tu as mal, mais ne remue pas les bras ni le reste ! Je

vais te donner treize coups sur le derrière en allant de plus

en plus fort ! Si tu ne veux pas je te tue !' C'était encore

une menace creuse, tout au moins j'en étais moi-mêmeencore persuadé !

'D'accord ? !'Bien sûr - que pouvait-il faire d'autre ? Une fois qu'il aété dans la position que je lui avais indiquée sur mes

258 C'est pour ton bien

genoux j'ai fait exactement ce que je venais de dire. J,aifrappé 9.t-

frappé, de plus en plui foii, et l,enfanr ,,ugiiaitant qu'il pouvait avec les jambes, mais pour r" .rit.î-iebronchait pas. Je ne.me suis pas arrêté àirei^ "";;;;;i;lorsque ma main m'a fair si mal qu, .i. n, pu""ii, pË,

taper.Ensuite, la même chose : complètement dégrisé, un senti-ment d'humiliation terrible vis_à_vis de ;i_méme ; ;;quelqu'un d'autre, que l'on aime quand -e-. u.uu"àuillç désespoir à pleurer en quelque ,à.tr. Du reste, Axel nepleurait Fas, même à ce moment-ià ii n, se montrair pasnon plus particulièrement terrorisé. Il est seulement restélongtemps, très longtemps silencieux.Je lui ai demandé de me battre. II aurait pu me battre àmort, je ne me serais. pas défendu, mais il;; ;.;"it";;;A la fin, c'est moi qui pleurais. ,fUâintËnant, tu ne voudrassans doute plus entendre parler de moi,, iui ai_je dil-;;retournant à la maison. pas de réponse.Le lendemain, dans-l'après_midi, ii

"siquana même revenume voir, il est entré, mais pour ainsi diie ptu, aoul"rn.niplus peureusement que dthabitude. ,Je t,en p.",-;il;jamais,' m'a-t-il seulement dit. Vous ne le croirer'p'."i_

être pas, je ne |ai _pas cru moi-même au départ, mais ir nem'en

^voulait pas,!, on a encore iouJ souuent ensemble,jusqu'à ce qu'il déménage, -aii ,il;ai bi.;;;;;;l;

m'étais tellement fait peur à moi_même au cours de ce

*ft:.: ?t:odr,. que jé uie"s ae-raconrer, que j,ai eu lapatx un moment.,Un ,tout petit moment, .o_*. il est;;bien dit dans Ia Bible. > (p.'135.) -----'

<< Pour les pires choses, tout ce que je peux dire, c,est queilai toujours eu I'impression, à pâiiii aiu" cerrain moment(l'âge de treize ou quatorze ans), de n'avoir plus d,influencedirecte dessus, de ne pouvoir uiâi,nrnipus faire autrement.J'ai prié, j'ai espéré, cru que cela au nioins pourrait servirà qlel-que chose, mais cela

"on piurït servi à rien. r>< IIs étaient tous si petits, bien plui petits que moi. Ilsavaient rous tellement peur qu,ils ïe ,. agf.n.iui";;;rî

moins du monde. > (p. 137.)< Jusqu-'à 1962, il ne s'agissait que de déshabiller, demanipuler, et ainsi de suite. plus taià, quanO il y a eu lebesoin de tuer, il s'est pr€sque touîâL'iuit. u..orpugnède celui de- découper. n;aboid :. n;à*is que des lames demsoir en tête, mais après la prernière ioil j,ui .o_rn.n.e apenser aux couteaux, à nos couteagx. > (p. tfg.)

Jiirgen Bartsch 259

Il n'est pas înutile de retenir à titre de remarque annexece qui suit :

< Quand j'aime quelqu'un pour sa personne, comme ungarçon aimerait une fille, c'est bien plus que quand ilcorrespond comme victime à la représentation idéale deI'objet que je recherche instinctivement. Ce n'est pas qu'ilme faille alors faire un effort pour me retenir d'une façonou d'une autre, ça ne voudrait rien dire. Dans ce cas,l'instinct disparaît automatiquement, )) (p. 155.)

Avec les petits garçons, c'était tout différent :

<< Au moment même, j'aurais beaucoup aimé que I'enfantse défende, même si I'impuissance de ces enfants constituaiten général un attrait pour moi. Mais j'étais sincèrementpersuadé que Ie petit garçon n'aurait eu aucune chancecontre moi.Frese, j'ai essayé de I'embrasser, mais cela ne correspondaitpas à un plan préétabli. C'était en quelque sorte provoquépar la situation. Je ne sais pas comment, d'une seconde àI'autre, ce désir était là, Il me semblait qu'entre-tempsce ne serait pas mal. Pour moi, c'était quelque chosed'entièrement nouveau. Viktor et Detlef, je ne les avaisjamais embrassés. Si je dis aujourd'hui qu'il avait enviede se faire embrasser on me répondra : 'Ordure, si tut'imagines que quelqu'un va te croire !' - pourtant c'estla vérité. D'après moi, ça s'explique uniquement par lefait que je I'avais terriblement battu avant. Si j'essaie deme représenter ce qu'il en était pour lui, de me mettredans sa situation, il me semble que la seule chose qui luiimportait était de savoir où était le pire, qu'est-ce quifaisait Ie plus mal. Je veux dire que me faire embrasserpar quelqu'un qui me fait horreur m'est encore relativementmoins insupportable que de recevoir par derrière, de cemême individu, des coups de pieds dans les couilles. Quandon réfléchit, c'est compréhensible. Mais au moment j'étaisassez sidéré. Il disait : 'Encore, encore,' alors en définitivej'ai continué. Je crois que ce doit être vrai, que la seulechose qui lui importait, c'était ce qui était le moinsinsupportable. > (p. 175.)

On ne peut pas manquer d'être frappé par le fait que

260 C'est pour ton bien

{y.g.:l Bartsch, qui raconte si souvent et de façon sidétaillée les tortures qu,il a inniee", a a., .rrf*rr,-rà.tun,très bien quels sentiments il a;ll; chez les autres, neraconte qu'à contrecæur, brièvement, sans précision etd'une manière touj.ours *nt*int.,'i., ,ouu.nirs de scènesgÈ .]^rrl tui qui était la victimeimiuirrun,.. A huit ans, ilfait l'objet d'abus sexuels Ue fa pJrl-de son cousin âgé detreize ans, et à treize ans il ,. ,ËtÀu, dans le lit de sonmaître et surve'rant. Le décahje eitre reatté subjectiveet réalité sociare apparaît rà d"e ircon particulièrementcriante. Dans Ie svstème de valeurs àu petit garçon, JtirgenBartsch se perçoii dans la ,.e".ï. iîeurtre comme le plusfort, avec une puissante conscie.rce'de soi, bi." ;;,ii^;.sache maudit aux yeux de tous. Alors que dans les autresscènes, c'est ra souffrance ..roure.ïà la victime humiliéequi remonte en lui et suscite un. fronr. insupportable.C'est, entre autres choses, uurri là raison pour laquelletant de personnes ne se souvi.nn.nt pu, au tôuiàr, ;ffi;reçus dans leur enfance, ou s,en iouviennent ;il;ï;sentiments .qui s'y rattachent, autrement dit de façontotalement indifférente et ( cool )).

si je raconte ici rhistoire de |enfance de Jtirgen Bartschdans ses propres termes, ce n'est pu, pou, le << disculper >>,comme les juges le reprochent à L psychanalyr., niire_Jpour accuser ses oarents, mais pouimontrer que tout actei::le u u-n sens, .i qu. pour le àé.ouuii, il faut d,abord selibérer de la comoùrriôn d.;;;ïoir les corrétations.ce que j'ai pu lire dans res :ou.'rraux sur lurgen Bartschm'a certes bouleversée,

_maiJ pà, ïÉiur_ée moralement,car je sais que ce que Jtirgen'Bart;;; u fait se présentesouvent chez certains patienls rous ra ior*.'à. i#ffi;;lorsque la possib'ité rèur rri aonîe"*ae raire réapparaîrreau niveau de la conscience f.s ,u".*urs refoulées de lane{!e enfance (cf. .p: 233). M;;-;,.rt précisément parcequ'ils ont la possib'ité d'en parË ei àË"conrier à querqu,unleurs sentiments de haine Ët-à;- il;; qu,its peuvent se

910-.,".Tr. de transp_oser leurs funiur*., en action. Cettepossib-ilité, Jiirgen Bartsch ne .a utrÀiu-.nt jamais eue.Dans la première année Oe sa uie, ifn;à p* eu de personne

Jûrgen Bartsch 261

de référence, jusqu'à son entrée à l'école, il n'a pas eu ledroit de jouer avec d'autres enfants, ses parents n'ont pasnon plus joué avec lui, et à l'école il est vite devenu lesouffre-douleur. Il est assez compréhensible qu'un enfantisolé de cette façon, et à qui I'on a appris I'obéissancedans sa famille à coups de bâton, ne soit pas parvenu à se

faire uneplace dans la communauté des autres enfants dumême âge. Il avait des angoisses épouvantables et setrouvait donc d'autant plus persécuté par les autres enfants.La scène qui fait suite à l'évasion de Marienhausen montrebien la solitude infinie de cet adolescent, entre la famillebourgeoise < bien protégée > et I'institution religieuse. Lebesoin de tout raconter à la maison, et la certitude quepersonne ne I'aurait cru, la peur de se présenter chez sesparents et le désir d'aller s'épancher auprès d'eux - n'est-ce pas la situation de milliers d'adolescents ?

A I'internat, Jûrgen se soumet en fils docile de sesparents aux interdits du lieu, c'est pourquoi il réagit avecstupéfaction et colère lorsqu'un de ses anciens camaradesde classe raconte, au cours du procès, qu'il avait << naturel-lement >> couché avec un autre garçon. Il était certespossible de contourner les interdits, mais pas pour desenfants qui avaient appris dès le berceau à obéir sous lamenace. Ces enfants-là s'estiment heureux de pouvoirservir la messe, et de pouvoir approcher ainsi au moins unêtre vivant en la personne du prêtre.

La combinaison de violence et d'excitation sexuelle dontle tout petit enfant fait I'objet auprès de ses parents, quil'utilisent comme leur propriété, s'exprime souvent sous laforme de perversions ou de délinquance. Même les meurtresde Jûrgen Bartsch reflètent avec une effroyable exactitudede nombreux éléments de son enfance :

l. L'abri souterrain dans lequel il assassine les enfantsrappelle les descriptions que fait Bartsch de sa séquestrationdans la cave avec les barreaux et les murs de trois mètresde hauteur.2. L'acte est précédé d'une << recherche >. Lui aussi a faitI'objet d'une << recherche ) avant I'adoption, et par la suiteil a été (non pas tout de suite mais très lentement) empêchéde vivre.

262 C'est pour ton bien

3, C'est avec un couteau, avec (( nos couteaux )), commeil dit, qu'il découpe ses victimes.4. Il est excité lorsqu'il plonge son regard dans les yeuxépouvantés et impuissants de la victime. Dans ces yeux,c'est lui-même qu'il rencontre, avec les sentiments qu'il adû réprimer. En même temps, il se vit dans le rôle deI'adulte excité et perverti aux mains de qui il a autrefoisété livré.

De multiples choses s'expriment dans les actes meurtriersde Jûrgen Bartsch :

l. La tentative désespérée d'obtenir en cachette, et d'arra-cher au destin, la < satisfaction des pulsions > interdites.2. L'évacuation de la haine accumulée et condamnée parla société contre les parents et les éducateurs, qui lui ontinterdit de faire I'expérience de quoi que ce fût de vivantet ne se sont jamais intéressés qu'à son comportement.3. La mise en scène de la dépendance totale vis-à-vis de laviolence des parents et des éducateurs, projetée sur le petitgarçon en culotte de cuir (comme Jûrgen Bartsch en portaitquand il était petit).4. La provocation compulsionnelle de I'horreur et dudégoût dans I'opinion publique, sentiments que sa mèreavait autrefois éprouvés, lorsque dans sa deuxième annéeJtirgen avait recommencé à se souiller.

Dans la compulsion de répétition - comme dans beau-coup de perversions -, le sujet recherche Ie regard de lamère. Les ( actes )) de Jtirgen Bartsch suscitent uneprofonde horreur (justifiée) dans I'opinion publique, dela même manière par exemple que les provocations deChristiane, faites pour tenter de rnanipuler son père, quiétait un être imprévisible, causent en réalité des difficultésau concierge, à ses professeurs et aux policiers.

Si I'on ne peut concevoir comme motivation de I'infanti-cide qu'une << sexualité pathologique >>, on reste incapablede comprendre un grand nombre d'actes de violence denotre temps, et totalement impuissant devant eux. Jerapporterai brièvement ici un cas dans lequel la sexualiténe joue pas de rôle particulièrement important, mais qui

Jùrgen Bartsch 263

en revanche reflète de façon assez tragique I'histoire de

t'tl.luifï;n at Dîe zeit du27 juillet 1979 apublié un article

sur une enfant at-itt-t* uni' rt'lutv.Bell' condamnée en

1968 par un tribunJi^;;thh i.tu oe.ttntion à perpétuité

pour deux *.u""'' ËirË u aujo-urd'hui vingt-deux ans'

elle est en prison t;";';;;;ènéritie jusqu'à présent d'un

tiuit.ttnt psychothérapeutique'Je cite cet article :

Deux petits garçons' de deux et trois ans' ont été assassinés'

Le président at-iïinltu* de Newcastie prie l'accusée de

se lever- l-u nir"i"-iô;;à qu.'elte est déjà debout' Marv

Bell, accusét iil;;T;iânti"iatt' a en tout et pour tout

lTI;n,Iu, 195?, Beuy Mc c.., âgée de dix-sept -uT., a

donné te jour''it"Ëiit* -nari

rtospital de{orbridge'

Gateshead, a "nJi"I"tt nrelgqme.e Mary' < Enlevez-mot

cette bestiol";';t-;;;i; ?criée Bettv avec un mouvement

de recul rottqu"l qutiôutt -inutts.après la délivrance' on

voulait rui ttittliËîi*iaunt les bias' Lorsque Marv eut

atteint t'agt ai'i'otu';;;: ia-mete Bettv s'en alla un jour

faire une pt;;;;;Jt;ec elle - "tttttment suivie par

sa sæur int"'r'r,oque". betty con-duit Mary a une agence

d'adoptions' ô;;;;;"" oit ont lieu les entretiens sort une

femme.n ru'ilJtîîùit ilt I'on n'a oas voulu lui donner

de bébé o"*;;iie- Ài piettna-u*tnf ttop jeune et qu'elle

va partir t" ;lit:#ii;ïttiv -iui

dit : u J'ai amené celle-ci

pour la f"i'";;;;;;t' p-ttnJ'-ru d-onc ! > Bettv abandonne

ainsilap.tdî;;t'à'l'inconnueetelles'enva't"'lAl'école, r"r"'v *'?i'Jt-'ujouts remarquer-parT gl'elle

bousculait tË'-à"t"' enfants' qu'elle ies battait et les

griffait' gfft et'itei"it-les.pigeons' elle avait aussi précipité

son petit *"tiil-i" rond d'un abri anti-aérien de deux

mètres a" r'uiii^"i'-u;';"llt de béton' Le lendemain elle

serra dange;;;ltttJ it cou à trois petites filles sur un

terrain d" i;'ï';;uf -unt'

elle. entrâ dans une nouvelle

école, où d#; At *tlt"t'qui-t'"uaient eue comme élève

déclarèrent "fietùtt*ent :

^( ll vaut mieux ne pas trop

aller fouille'-ïàït * "it ni dans. ses origines' > Plus tard

encore' ut"'f;;;;;"uii" àt police qui avait' conn-u Jvlarv

au cours dt i;î:;;;"" nienË1tt1'" dit : " Elle s'ennuvait'

Elle était à l" f;à;;;; ieeardait un chat qui grimpait le

264 C'est pour ton bien

long de la gouttière, alors elle m,a demandé si elle pouvaitle faire entrer.Nous avons

"ïl:l,Ia fenêtre ; eile a pris le chat er elle acommencé à jouer avec lui par terre avec un bout delaine... puis j'ai levé les v"u"-.i j,ai vu qu,elle tenait Iechat par la peau-qy "ou,

,u.la nuque. Mais ensuite je mesuis aperçue qu'elle le serraii teilement que l,animal nepouvair plus resp.irer et qu,il "n

uuait ra raîÀue;;;;;;".Je m'y suis nrecipirée etle r. iuiai u.;u;il"d"r;;iiJ:nlui disant: .Tu.ni p.u" p* f"il'ru, tu lui fais mal., Etelle m'a répondu : -,Mais,

if îe le sent pas, et de toutefaçon j'aime faire gu mai u"* p.ùt", "r,ir.J àuiî"'JJn,pas capables de se défendre !' >r

Mary a raconté I ury autre surveillante qu,elle aimeraitbien devenir, infirmière _ .;;;;; qu,ators je pourraisplanter des aiguiles dans les irnrl l,ui^e bien faire malaux gens.' La.mère de Mary, Betty, gpousa uuËc-Ë-;;;,Bitri Betr, mall err^e entretàLit-Ë ;îiil îi" iïlïii[assez particulière..Après te procèi a" Vfu.V, -g"tty

";;jl.;;à un policier sa ,spécialitéi : ;j" î", fouette,, lui dit_ellesur un ton qui trahissait l,étonnemenf de ;;;stltr;-;;;ine re savait pas._'Mais j'ai ;;j;s tenu les fouets horsde portée des enfants ;, - '- ---r--^

Le comportement de Mary Bell ne laisse guère de doutesur le fait que sa mère, qui l;avaii_ir. uu monde et rejetéeà dix-sept ans et elgrcait t" Iriaig;^il l,on vient de voir,a torturé, menacé et vraisembtaUfenient tenté d,assassinerMary, exactement comme celle_ci I,a fait avec le chat etavec les deux enfants, simplement iin,y ""uii

pur-â."fàipour le lui interdite.

_ Une psychothér1Oie egt onéreuse, on le lui reproche assezsouvent' Mais est-il. moins onereu* a incarcérer une enfantde onze ans pour le

.1esia1t d.;;, j*rs ? II faut qu,unenfant qui a été maltrairé si jeunr'lia h possibilité dera99nte1-.$'une façon ou d'unl autre t,in3risii*-ô;ifîsubie. S'il n,a personne à q-ui la àfr", if ,. irou".ï^ f!langage qu'il faudrait, et if n. p."i r, raconter qu,enrefaisant exactement ce qui lui a etË fait. C,est ce qui nousfait horreur. Mais, en reàite, n;;;;"rs éprouver certehorreur devant le premier ,"éu.ti.,

".iui qoi a été commisen secret et impunément, peut_êtie fourriorr;;;;i;;;

fûrgen Bartsch 265

rider malgré tout I'enfant à vivre consciemment son histoirelans plus avoir besoin de la raconter au travers deredoutables mises en scènei.

Les murs du silence

J'ai relaté I'histoire de Jûrgen Bartsch pour montrer, àpartir d'un exemple concret, ce que les détails d'une miseen scène de meurtre nous donnaient comme clés dela compréhension du meurtre psychologique subi dansl'enfance. Plus ce meurtre psychologique se situe à unedate précoce, plus le sujet a de difficultés à le saisir, moinsll est en mesure d'en témoigner par des souvenirs et desparoles, et plus il en est réduit à la mise en scène pourI'exprimer. C'est la raison pour laquelle je m'attacheesse4tiellement aux premières expériences de la vie lorsqueje cherche à comprendre les racines profondes d'un compor-tement de délinquance. En dépit de cet intérêt toutparticulier, il m'est arrivé la chose suivante : après avoirrédigé tout ce chapitre et contrôlé les passages que j'avaisretenus dans le livre, je m'aperçus que j'avais sauté lepassage le plus important pour moi. C'était la citation surles coups que recevait le bébé.

L'omission de ce passage, qui revêtait pourtant pourmoi une importance considérable puisqu'il confirmait mathèse, m'a semblé prouver la difficulté que nous avions ànous représenter une mère en train de battre un bébé, àne pas nous défendre de cette image et à en assumerpleinement les effets émotionnels. C'est sans doute laraison pour laquelle même les psychanalystes s'occupent sipeu de ces choses, et pour laquelle les conséquences de cesexpériences de l'enfance ont été si peu étudiées.

Ce serait mal comprendre mon propos et le déformerque de voir dans ce chapitre un acte d'accusation de

* Au moment même où je relis les épreuves de ce livre, j'apprendsdans les journaux que Mary Bell a été libéÉe de prison, qu'elle estdevenue entre-temps une << femme séduisante D et ( a exprimé le désird'habiter à proximité de sa mère. >>

266 C'est pour ton bien

Madame Bartsch. Je voudrais précisément, au contraiéchapper à tout discours moralisateur pour montrer uniqment des liens de cause à effet, montrer plusque les enfants battus battent à leur tour, que lesmenacent, que les humiliés humilient et que ceux quisubi un meurtre psychique perpétuent le même meurtEn ce qui concerne la morale, il faudrait dire qu'il ytoujours une cause pour qu'une mère batte un toutenfant. Étant donné que nous ignorons tout de I'enfde Madame Bartsch, les causes demeurent obscures. Melles existent incontestablement, comme elles existpour Alois Hitler. Condamner une mère qui bat son enf,et évacuer ainsi I'ensemble du problème est certes pluÇfacile que de faire apparaître la vérité entière, mais c'estle signe d'une morale douteuse. Car notre impuissancc'morale isole encore davantage les parents qui maltraitentleurs bébés et elle accentue le drame qui les entraîne àcette violence. Ces parents éprouvent le besoin compulsifd'utiliser I'enfant comme soupape, précisément parce qu'ilsne peuvent pas comprendre leur propre drame.

Comprendre ce drame ne signifie pas non plus queI'on doive contempler en silence des parents qui ruinentl'existence de leurs enfants, aussi bien sur le plan psychiqueque physique. Il devrait aller de soi qu'on leur retire lagarde et la responsabilité légale de leurs enfants en leuroffrant la possibilité d'un traitement psychothérapique.

L'idée de traiter du cas Jûrgen Bartsch n'est pas de moi.Je la dois à une lectrice du Drame de I'enfant doué que jene connais pas encore et qui m'écrivit une lettre dont jeme permets de citer ici des passages, avec son accord :

<< Certes les livres ne peuvent pas faire ouvrir les prisons,mais il est des livres qui redonnent courage pour s'yattaquer avec des forces neuves. Votre livre a été pourmoi de ceuxlà.Quelque part dans ce livre, vous parlez des châtimentscorporels infligés aux enfants (ie ne trouve pas le passageà I'instant et je ne peux donc pas m'y.référer précisément),et vous dites ne pas pouvoir en parler en ce qui concerneI'Allemagne parce que vous n'avez pas d'information

I

Jûrgen Bartsch 267

suffisante*. Je peux vous tranquilliser sur ce point' et

.o"iit*.t vos piies soupçons' croyez-vous que les camps

de concentration nazis âuraient été p-ossibles si la terreur

physique et tous'Jt- utttttoires' bâton' verges' fouet'

n'avaient pas été o.iegft à"ti touttt les chambres d'enfants

en Allemagne t t"toilÀême' j'ai aujourd'hui trente-sept

;t;Ë;""tèt" at tt"it ttTuits' et-clest avec des résultats

inégaux que je *;tlro*t "n"otl at surmonter les effets

désastreux o, ."ttt ieuetité des parents' ne serait-ce que

;;;;; *es "nf"nti

grandissent un ?;u plus libres'

Dans une 'tutt. neià'iq-ù' qui dure maintenant depuis près

;t q;;. ans' je nt ùutsii pas à,.chasser de ma structure

intérieure ,,i a t.nàtt ftumaitte la figure du père qut'3g1"t!!

et punit- n"n, unt-euentuelle réédition de votre livre' Je

crois que uou, piuutt donner à I'Allemagne la toute

première pru.. t'iIJ qui tontttne les--mauvais traitements

d'enfants- C'est dans "os 'ues

que meurent le plus d'enfants

de tous les pays d'Europe' et ce qui se..neJne111--{!

Ëà"ài"ri"n àn'eé*tutio; aàns tes chambres d' enfants reste

enfermé derrière ilU*ffir de silence et de défense' Et

ceux qui, pu, u,,-Lt'àin intérieur' et encouragés par une

analyse' ,. ,.n,tnt obligés de- regarder derrière le mur se

tairont a t.o, tou', puicË qu'ift sàvent très bien que nul ne

les croirait ,'rc tL'ontaient ce-qu'ils y ont vu' Pour que

vous ne tiriez p'aJàî conclusions.fausses: ce n'est pas

dans une misérable cité pour asociaux que i'ai reçu mes

corrections, -uir"àuor-i.-cadre bien rangé d'une << hTitl:harmonieuse " àt-iu-uÀnne bourgeoisie' Mon père était

Pasteur' ))

C'est cette lectrice qui a 9t!ir:'. mon attention sur

t'ouvrage de Paul ù;J;i Ë lti dois de m'être penchée

sur I'histoire de ce tut q"i à'u btut"oup appris' A cette

;;;";i;;;r;ai également beaucoup appris sur mes propres

défenses. e t'epoqutl-i;uuuit ftt.ti entendu parler du

procès de Jûrgen Bartich' mais je ne m'en étais pas

préoccupée aauantuiJ^"J;;it iu ttttit de cette lectrice m'a

engagée dans une;;; ;t'l; n'avais plus d'autre solution

qué O. Poursuivre jusqu'au bout'

* Ma pensée n'est pas retraduite ici exactement (cf' A'M' Le drame

de I'enfont doué P'89)'

268 C'est pour ton bien

Sur.cette voie, j'ai appris également qu'il était totalemerroné.de croire que les enfants subisiaient Oauantajemauvais traitements_en Allemagne qu,ailleurs. quetqulf,comme nous avons du mal à supporter une véritê attérrarnous nous en défendons par des illusions. Et l,une do,formes les plus fréquenteJ de défense est re oepucemenidans I'espace et dans le temps. C'est ainsi qu. ,ràu, ";;;par exemple moins de difficulté à nous representer que lefenfants des siècles passés ou de pays lointain, aieîi pùsubir de mauvais traitements qu;à

- nous représenter

'limême chose ici et maintenant. Il y a aussi un ult." .rpÀi, ilorsqu'une personne' comme par exempre ra rectrice'ooninous-venons de parler,-se décide courageusement à ne plucse dérober à la vérité de son histoiè et à s,y expàsirentièrement au nom de ses propres enfants,

- p"ui_êiro

aimerait-elle au moins garder ttaeê que Ia vérité n'"rt pu,partout aussi atterrante, et qu,en d'autres temps, dânsd'autres pays, les choses se passaient ou se passent mieuxet plus humainement que chez elle. Sans àucun .rp"fu;nous ne pourrions pratiquement pas vivre, et l,eipoiisuppose sans doute un certain degré d'illusion. persuâdéeque le lecteur saura conserver les illusions dont il u u.ràin,je. donnerai ici quelques indications sur l,idéologie àËl'éducation qui est encore torérée et protégée par le ,;l.rùde nos jours dans un pays comme la SuissJ@ai consequeni,pas uniquement en Allemagne). Je ne citeùi qu. quËiàu",exemples extraits d'une documentation imiortante' au< Sorgentelephon > d'Aefligen, canton de Berne, documen_tation qui fut envoyée à- plus de 200 lournaux, Aonlseulement deux consacrèreni chacun un àrticle uui ruit,rapportés ici*.

5.2., Aargau : Un petit garçon de 7 ans subit de mauvaistraitements de la part de son père (coups ae poinJmartinet, séquestration, etc.). Lâ mère dèclare il,.lËreçoit aussi des coups. Les causes : arcool et airrrcuircsfinancières.St Gall : Une petite fille de 12 ans ne peut plus supporter

* J'apprends en relisant les épreuves qu'entre_temps trois revues deparents se sont décidées à publier ces documents.

Jflrgen Bartsch 269

de vivre à la maison, chaque fois qu'il se passe quelquechose, ses parents la battent à coups de ceinture-Aargau : Une petite fille de 12 ans reçoit de son père descoups de poing et des coups de ceinture. La raison : ellene doit pas avoir d'amis parce que son père la veut pourlui tout seul.7.2., Berne : Une petite fille de 7 ans s'est enfuie de chezelle. La raison : pour la punir sa mère la bat avecI'instrument qui lui sert à battre les tapis. D'après la mère,jusqu'à l'âge de I'entrée à l'école, on peut battre lesenfants, car jusqu'à cer âgeJà, psychologiquement, celane leur fait aucun mal.8.2., Zurich: Une fille de 15 ans est élevée très sévèrement-Pour la punir on lui tire les cheveux ou on lui tord enmême temps les deux oreilles, Les parents pensent que leurfille doit être traitée durement parce que la vie est dure etqu'un enfant doit sentir cette dureté très tôt si I'on neveut pas qu'il devienne trop mou-14.2., Lucerne : Un père couche son fils de 14 ans le dossur ses genoux et le plie jusqu'à ce qu'il entende uncraquement de colonne vertébrale (< faire la banane >). Lecertificat médical atteste un déplacement de vertèbres,Raison de cette punition : le fils a volé un couteau depoche dans un supermarché.15.2., Thurgau : Une petite fille de l0 ans est désespérée-Pour la punir, son père a tué son hamster et I'a coupé enmorceaux sous ses yeux.16.2., Solothurn : Un garçon de 14 ans se voit formellementinterdire de se masturber. Sa mère le menace de lui couperle sexe s'il recommence. D'après sa mère, tous ceux quifont ça vont en enfer. Depuis qu'elle a découvert cecomportement chez son propre mari, elle utilise << tous lesmoyens possibles )) pour lutter contre cette honte.Graubûnden : Un père frappe sa fille de 15 ans de toutesses forces sur la tête. L'enfant perd conscience.'Le certificatmédical fait état d'une fracture du crâne. Cause : la filleétait rentrée une demi-heure trop tard à la maison.17.2., Aargau : Un garçon de 13 ans est forcé à uncommerce sexuel avec son oncle. Le jeune garçon a enviede se suicider, non seulement à cause de la chose enelle-même, mais parce qu'il a peur maintenant d'êtrehomosexuel. Il ne peut rien dire à ses parents, cela ne luirapporterait que des coups.Basel-Land : Une fillette de 13 ans a été battue par son

270 C'est pour ton bien

garder pour elle.

survants :

1:,i,1:^:*^t: ,_êt: : coups poncruels ou prolongés avecI'alliance. Ampoules : tej mâitres;Ë"Ë'ne sont pas les

ami-(18 ans) et contrainte à coucher avec lui. Commcl'enfant a terriblement peur de ses p"r"ni., elle veut toutBâle : un petit garçon de 7 ans souffre d,angoisses terribles.La peur .le gagne roujours u.r, *iji .t Jure lusqu,à la finde I'après-midi. La mère ne u"ui pur-.nvoyer son fittconsulter un psychologue : d,abord, iis n,ont pas d,argent,ensuite, il ne sait pas ce qu'il dit. Ëtt.-rË iui, quunaËàrïun peu de souci, car il déjà tenté à deux reprises de scjeter par la fenêtre.20.2., Aargau : Un père bat sa fille et menace de luiarracher les yeux si. elle_continue de-n fréquenter D sonami. La raison : les deux jeunes g"n, .tui.nt partis pendantdeux jours.71.2.., Z.urich : Un père suspend son fils de Il ans pendantquatre heures par les piedi à un mur. Ènsuite if pf.rgil'enfant dans un bain froid. f_

""f"ït 1 vote dans unsupermarché.27.2., Berne: Un maître donne toujours des gifles à sesélèves à titre d'exemple ;_-après

"tàqir. Ëin., l,enfant doittarre une culbute. L'effet douloureui provient de larépétition ininterromoue jusqu'à ." lr.'i,.nrunt ne puisseplus se relever.29.2., Zurich : Une fille de 15 ans est battue par sa mèrefepuis six ans (avec le balai, àes

-.1i,ï.rrr, un câbleélectrique). Eile est désespérée ; ";;; o"iià, sa mère.

3f":r^r:"i_1i:,1": cer organis-me (te Sorgentelephon)11iste,.

on a enregisiré t., tvi., -â.

ïauuuis trui

9oup! : Ia gifle : coup violent et répété d,une main surI'oreitle, ou bien auec ie going, ;; ;;;;"'*ain rendue lepouce replié. Gifle-sandwich : gine des deux mains, avec Iepoil.g, avec les deux poings "rËrnuti"...ii sur différenresparties du corps. Double : coups a, poing à.s deux mains,Avec les coudes : violents .oup, à" iouj"'aonnés dans Iecorps de la victime.

Arvec les bras:_coups donnés avec res bras et avec lescoudes sur tout le corps.

seuls à frapper aujourd'hui .n.or" t ";;p, de règle, les

ltements

Jûrgen Bortsch 271

parents en usent également. On tape avec une règle sur lapaume de la main ouv€rte, sur le dos de la main, sur les

doigts, sur le bout des doigts réunis et tournés vers lehaut. Plus rarement : ampoules faites avec Ie bord de larègle.Courant électrique: certains enfants ont déjà senti ( desverges brûlantes sortant de la prise de courant >, par unebrève mise en relation avec le courant électrique ou parune électrification de la poignée de la porte de leurchambre.Plaies : certains coups produisent des plaies : avec la mainouverte (plaies occasionnées par les ongles) avec le poing(plaies ouvertes par l'alliance), avec la fourchette, lecouteau, le bord du couteau, la cuillère, le fil électrique,des cordes de guitare (utilisées comme des verges). Piqûresqui forment des plaies : avec des aiguilles, aiguilles àtricoter, des ciseaux. Fractures provoquées en faisanttomber la victime sur le dos, en la jetant par la fenêtre, enla précipitant au bas des escaliers, en refermant sur elleune portière de voiture, en lui piétinant le corps ou Ia cagethoracique (côtes cassées), par des coups de poing sur latête (fracture du crâne), des coups donnés avec I'arête dela main.Brûlures : avec des cigarettes que I'on éteint sur le corps,des allumettes emflammées que I'on éteint sur le corps,des tisons incandescents, de l'eau bouillante, par unedécharge électrique, avec un briquet.Strangulation : à main nue, avec un fil électrique, unefenêtre de voiture (on remonte la vitre, la tête de I'enfantse trouvant prise dans I'ouverture).Hématomes : sous I'effet de coups, fermeture de portièresde voiture, un doigt, une main, un membre tout entier oula tête d'un enfant se trouvant dans I'embrasure. Coupsde pieds, coups de poing. Cheveux arrachés : par touffessur la tête, sur la nuque, sur les côtés, dans la moustache,sur la poitrine ou dans la barbe (chez les adolescents).Suspendre: des enfants ont rapporté que leur père lessuspendait par les pieds du mur et les y laissait pendantdes heures.Torsions : tordre une oreille ou les deux oreilles en mêmetemps, faire croiser les bras derrière le dos et serrer ;( masser >> les tempes avec les articulations des phalanges,les clavicules, le tibia, le sternum, sous les oreilles, lanuque; faire craquer: coucher I'enfant le dos sur ses

272 C'est pour ton bien

I'eau.

R_efroidissement (rare) : les enfants sont plongés dansDaln ct'eau froide. Le retour à la température normaledouloureux.Immersion.: pour punir des enfants qui éclaboussentsarre de bains, on leur enfonce plusieuis fois Ia tête sr

genoux et le plier en arrière jusqu'à ce que Iavertébrale craque (< banane >)-Saignée (rare) : une petite fiilé Oe l0 ans s,est vu ouvrirveine du coude et on a laissé coulei i"-rung jusqu,àqu'elle perdît connaissance. A ce mome;_Ë';;;furent pardonnées.

deux jours entiers. Toutes r"r t.oir-ir.ui-.r on Ia réveilrait,ou gl la plongeait dans I'eau tout endormie. Les errfanËsouffrant d'énurésie sont.égalem.nt puni, en étant privérde sommeil. Un appareif iface àâ,i, -i.

lit de l,enfantl'éveilte dès qu'it mouilte ,à iii"riË. -ôr, -pru,

cirer le call.T_o.li, garçon qui ne dormir pu, unr'seule nuit sanrrnrerruptlon en trois ans. par ailleurs on << calmait > sanervosité avec des médicaments. Ses résultats scolaires s,enressentirent. La mère ne lui donna plus ies médicamentgque de temps en temps. A ce môment_là, I,enfant simoltra de plus en plus perturbé dans son comportementsocial : nouvelle source dè châtiment corporef.Travail forcé : méthode utilisée pri*ip-"i..ent dans legzones rurales. Comme punition,

- I'enfànt doit travailèitoute. Ia nuit, nettoyer la cave jusqu,à -puisement,

unisemaine ou un mois duranr, truu"iilË, touj les ,oir, âprJ,la classe jusqu'à 23 heures et le matin i ùrrfu de 5 heures(même le dimanche).

Privation de sommeil (rare) : comme punition, une filletb9: l_l,"nr fur empêchée de'dormir tiu'nôuiii.."nt pendant

*:t_:t,l:r_:_l-ptusieursieprire" aes eni"J, à", raconté queIeurs parents emmenaient des "iÀriii.r,- à""îa;ilil#;

l*:- *:,.î111!l ro*qu.;ii, ;;i;il ";;;;;" dffi,;chose sur les rayons, un" aou"";;i;i;;r";;Ëà,,"iJ'lcil

Alimentation : I'enfant est contraint de manger ce qu,il avomi. Après qu'il ait mangé, on force t'enrant a.. ir.iirele doigt dans la bouche pour se faire vomir. II doit ensuiteT.alger ce qu'il vient de régurgiter.Piqûres : injections de soluiion-s de ser dans res fesses dansles bras ou dans les cuisses trar.O. On

-p.u, .ir", le casd'un denriste qui a déjà utilisé ."ttÉ -Ètt JA".

et terminait en leur piquant la nuque.

Jiirgen Bartsch 273

Cachets : pour résoudre le problème du coucher, les enfantsse voient administrer des somnifères et des suppositoires àhaute dose. Un enfant de 13 ans raconte qu'il s'éveillaittous les matins engourdi et avait beaucoup de difficultés àapprendre.Alcool : on met parfois de la bière, du schnaps ou d'autresalcools forts dans le biberon des tout petits. Les enfantsdorment mieux et ne gênent pas les voisins en pleurant.Livres (rare) : les enfants sont contraints de tenir un oudeux livres à bout de bras au-dessus de la tête, jusqu'à cequ'ils aient une ( crampe >>. Une petite fille raconte qu'enmême temps elle devait s'agenouiller sur une bûche.Coups de tête I un jeune garçon raconte que son pèremettait sa tête le plus près possible de la sienne. Au boutd'un moment il la cognait à petits coups contre celle deson fils. Le père se vantait de cette technique, à laquelle ilfallait s'exercer pour ne pas se faire mal soi-même.Contre-coup : c'est une méthode consistant à simuler unaccident. On appelle I'enfant pour transporter un objetlourd. En le transportant, I'adulte lâche brusquement. Lecontre-coup blesse souvent les doigts, la main ou le piedde I'enfant lorsque le poids s'abat sur lui.Torture : un petit garçon et sa grand-mère ont rapportéque le père avait installé dans I'ancienne cave à charbonune véritable chambre de torture. Il attachait I'enfant àun poteau et le fouettait. Selon la rigueur de la punition ilchangeait de fouet. Il laissait souvent I'enfant attaché toutela nuit.

Pourquoi tous les journaux, ou presque, qui ont pourprincipale fonction d'informer ont-ils passé sous silenceces nouvelles bouleversantes ? Qui protège qui de quoi ?

Pourquoi I'opinion publique suisse ne devrait-elle pasapprendre que d'innombrables enfants vivent dans cebeau pays un véritable martyre entièrement solitaire ?

Qu'obtient-on par ce silence ? Ne pourrait-il pas être utile,même aux parents qui prodiguent ces mauvais traitements,de savoir que le malheur de l'enfant maltraité qu'ils ontjadis été eux-mêmes est enfin pris en considération ?Comme les actes de Jûrgen Bartsch, les nombreux crimescommis à l'égard des enfants sont une manière de raconterà I'opinion publique un passé oublié. Quelqu'un qui n'avait

274 C'est pour ton bien

pas le droit de << voir >> ce qu'on lui faisait ne peut pas leraconter autrement qu'en faisant à un autre ce qui lui aété fait. Mais les media, qui sont censés'æuvrer pourI'amélioration de la société, pourraient, semble-t-il, app.en-dre à comprendre ce langage, à partir du moment où-il neleur est plus interdit de < voir >>.

Conclusions

Le lecteur trouvera peut-être assez curieux de voirjuxtaposés les récits de trois cas aussi différents. Je les aiprécisément choisis et réunis parce qu'ils présentent endehors de leurs différences des points communs qui sontaussi valables pour beaucoup d'autres cas :

l. Dans les trois cas, nous sommes en présence d'uneextrême destructivité. Chez Christiane elle est dirigée contreelle-même, chez Adolf Hitler contre les ennemis réels ouimaginaires, chez Jtirgen Bartsch contre les petits garçonsen qui il cherche toujours à s'anéantir lui-même tout endétruisant Ia vie d'autres enfants.2. Cette destructivité m'apparaît comme la décharge de lahaine accumulée et refoulée dans I'enfance et comme sontransfert à d'autres objets ou au soi.3. Les trois sujets en question ont été maltraités etprofondément humiliés dans leur enfanbe, et ce de façoncontinue. Ils ont vécu dès leur plus jeune âge dans unclimat de cruauté et ils y ont grandi.4. La réaction saine et normale à ce type de traitementserait, chez un enfant sain et normal, une fureur narcissiqued'une plus forte intensité. Mais dans le système d'éducationautoritaire de ces trois familles, ce mouvement était le plussévèrement réprimè.5. De toute leur enfance et de toute leur jeunesse, ces êtresn'ont jamais eu une personne adulte à qui ils auraient puconfier leurs sentiments et plus particulièrement leurssentiments de haine.6. Chez ces trois personnes, il y avait le même besoinpulsionnel de communiquer au monde I'expérience de lasouffrance endurée, de s'exprimer. Les trois ont d'ailleursun certain don de I'expression verbale.7. Etant donné que la voie d'une communication verbalesimple et sans risque leur était interdite, ils ne pouvaient

276 C'est pour ton bien

communiquer leur expérience au monde que sous la formede mises en scène incônscient.r. -'8. Toutes ces mises en s.enà' suscitent dans le mondeextérieur un sentiment d,horreu, .i a. .epuirion-, ;;"i';.s'éveille qu'au dernier u.t. O. .. â.u*. et non pas à lanouvelle des mauvais traitements infligés a un.nfint.

*9. Il est vrai que dans leur .o.purriàn a.?pJiiioï, ..,êtres réussissent par reur mise en'rÀ. à attirer sur eux laplus grande attention du monde extérieur, mais

-its 'ytrouvent Ieur compte de la même manière qu,un-.nf"ntrégulièrement battu.bénéficie elur.*nt d,une forme d,at-tenrion, mais pernicieuse. tCfrriitiàne constitue à cet égardune exception, dans la mesure où elle u eu ta-cù;;;il"rencontrer au moment de la puberté oeux eires ôi;;; ;"parler avec elle.)10. Ces trois êtres n'ont connu de tendresse qu,en tantlf^::::lJ-.r-r, .l..rulr .que propriété de teurs parents,Jamars pour ce qu'ils étaient. C,est le besoin d; t.;;;;r;;,associé à I'émergence de pulsion, A"riru.trices de l,enfance,qui Ies conduit au moment de la puberté et de l,adolescenceà ces mises en scène uramatiquà;--"'

- !.r trois -cas

que .nous avons présentés ici ne sont passeulement des individus mais uu'rri-à* ,"pier.riànî"Jàgroupes caractéristiques. On parvient mieux à ."_p.."Oràces groupes (toxicomanes, délinquants, suiciduir.r, t-.iro.ir_tes et même un certail type d'homÀIs politiques), si l,onessaie de retracer'histoiie o'un tur-inài"iJr-.iïàpîirï

drame caché de son enfance. touÀ-tes mises en scène deces êtres hurlent en fait, uu.. j., uu.iantes diverses, leurbesoin de_compréhension, rnuir.tt", Ëfont sous une formetelle qu'eiles suscitent toutes res réactions dans l,opinionpublique sauf Ia compréhensd: itrp;ir de trouver enfinun monde meilleur que celui qui uo-u, a été offert à lanaissance, tout en recréant intarraùi.rn.nt les mêmesconstellations, fait partie integranl; d; fu .o*pufrion^îËrépétition.

_^si I'on.ne p-eut pas parrer de la cruauté que l,on a subie,parce qu'on I'a vécue si tôt que la mémbire

",v "ti.i"iplus, il faut une démonstration ae cruauté. Christiane le

Conclustons 277

fait par une démarche d'auto-destruction, les autres en secherchant des victimes. Lorsqu'on a des enfants, cesvictimes sont toutes trouvées, et la démonstration peut sefaire impunément sans que I'opinion publique en prenneseulement note. Mais lorsqu'on n'a pas d'enfants, cornmedans le cas de Hitler, la haine refoulée peut se déversersur des millions d'êtres, et tant les victimes que les jugesrestent interdits devant une pareille bestialité. DepuisHitler, et son idée de détruire des millions d'hommescomme de la vermine, plusieurs décennies se sont écouléeset les moyens techniques qui étaient alors nécessaires sesont entre-temps certainement beaucoup perfectionnés. Iln'en est que plus important d'essayer de suivre un tantsoit peu cette évolution et de comprendre d'où pouvaitvenir une haine d'une intensité et d'une insatiabilité tellesque celle de Hitler. Car avec tout le respect que I'on doitaux explications historiques, sociologiques ou économiques,le fonctionnaire qui ouvre le robinet de gaz pour asphyxierdes enfants, et même celui qui a fnventé ce dispositif, sontdes êtres humains et ont été des enfants. Tant que I'opinionpublique ne veut pas comprendre que d'innombrablesmeurtres psychiques sont perpétrés tous les jours sur desenfants, et que la société doit en subir les conséquencesnous allons à tâtons dans un labyrinthe obscur - malgrétoutes les bonnes intentions des plans de désarmement.

Lorsque j'ai conçu toute cette partie de mon livre, je nepensais pas qu'elle m'amènerait à aborder les problèmesde la paix. J'éprouvais simplement le besoin de faireconnaître aux parents ce que j'avais appris sur la pédagogieen vingt ans de pratique psychanalytique. Ne voulant pasparler de mes propres patients, j'ai choisi des cas quis'étaient eux-mêmes déjà livrés à I'opinion publique. Maisl'écriture est comme une grande aventure, dont on ne saitjamais, au départ, jusqu'où elle va nous conduire. Si j'aidonc abordé les problèmes de la paix, ce ne pouvait êtreque comme un voyageur de passage, car ces questionsdépassent de loin mes compétences. Mais l'étude de la viede Hitler, la tentative psychanalytique d'expliquer ses actesultérieurs par les humiliations et les injures endurées dans

278 C'est pour ton bien

son enfance ne pouvaient pas s'arrêter là. Elles meconduisaient nécessairement à m'interroger sur le problèmede la paix. La réflexion qui en résulte a un aspect pessimisteet un aspect optimiste :

L'aspect pessimiste, c'est I'idée que nous dépendons bienplus que nous ne voudrions l'admettre d'individus (et nonpas uniquement d'institutions) qui peuvent s'emparer desmasses dès lors qu'ils représentent leur système d'éducation.Les êtres qui, enfants, ont déjà été manipulés par unsystème pédagogique ne peuvent pas s'apercevoir, une foisadultes, de tout ce que I'on fait d'eux. Les figures deFûhrer en qui les masses voient un père représentent enfait (au même titre que le père autoritaire dans chaque casparticulier) I'enfant qui se venge, et dont les masses ontbesoin pour servir leur propre objectif (la vengeance). Etla seconde dépendance, celle du grand Fùhrer lui-mêmevis-à-vis de son enfance, de l'immense potentiel de haineimprévisible et non intégrée qu'il porte en lui, constitue leplus grand danger.

Mais il ne faut pas négliger pour alrtant I'aspect optimistede cette analyse. Dans tout ce que j'ai pu lire au coursde ces derniers temps sur I'enfance de criminels oud'exterminateurs, nulle part je n'ai trouvé la bête, I'enfantmauvais, que les pédagogues croient devoir éduquer au<< bien >>. Je n'ai trouvé partout que des enfants sansdéfense qui avaient été maltraités par des adultes au nomde l'éducation et bien souvent pour servir des idéauxsupérieurs. Mon optimisme repose donc sur I'espoir queI'opinion publique n'acceptera plus que soient dissimulésles mauvais traitements au service de l'éducation, dès lorsqu'elle aura compris :

l. que cette éducation n'est pas fondamentalement conçuepour le bien de I'enfant mais pour satisfaire les besoins depuissance et de vengeance de ses éducateurs et2. que non seulement I'enfant maltraité mais, en dernierressort, nous tous pouvons en être victimes.

Angoisse, colère et deuil,'mia"ii pas-de sentiments de culpabilité

sur to voie d'une conciliation

Même Ia cruauté involontaire fait mal

Lorsqu'on se plonge dans les manuels d'éducation des

deux siècles derniers, on découvre les moyens qui ont étéemployés systématiquement pour empêcher les enfants desavoir, et plus tard de se rappeler, la manière dont les

traitaient leurs parents.J'ai essayé d'expliquer, à partir de la compulsion de

répétition de I'exercice du pouvoir, pourquoi les vieuxmoyens d'éducation étaient encore si répandus. Ce qu'unêtre peut subir comme injustice, humiliation, mauvaistraitement et abus ne reste pas, contrairement à ce queI'on pense généralement, sans effet. Le drame est queI'effet des mauvais traitements se répercute sur de nouvellesvictimes innocentes, même si la mémoire n'en est pas restéedans la conscience de la victime elle-même.

Comment sortir de ce cercle vicieux ? La religion ditqu'il faut pardonner I'injustice subie et que c'est seulementà partir de ce momentJà que I'on est prêt à I'amour etlibéré de toute haine. Ce n'est pas faux en soi, mais oùtrouver la voie du véritable pardon ? Peut-on seulementparler de pardon, lorsque vous savez à peine ce que I'onvous a vraiment fait et pourquoi on vous I'a fait ? Or,enfants, nous avons tous été dans cette situation. Nous nepouvions pas savoir pourquoi on nous humiliait, on nousabandonnait, on nous menaçait, on se moquait de nous,on nous traitait comme un morceau de bois, on jouaitavec nous comme avec des marionnettes, ou on nousbattait jusqu'au sang, ou bien encore I'un et I'autre à tourde rôle. Pire : nous ne devions même pas nous apercevoirque tout cela nous arrivait parce qu'on nous présentaittous les mauvais traitements comme des mesures nécessairespour notre bien. Même I'enfant le plus intelligent ne peutpas discerner un mensonge pareil quand il sort de la bouchede ses parents bien-aimés qui lui manifestent par ailleursleur affection. Il est obligé de croire que le traitement qui

282 C'est pour ton bien

lui est infligé est juste et bon pour lui, et il n'en tiendrapas rigueur à ses parents. Simplement, une fois adulte, ilfera la même chose avec ses propres enfants, en voulantse prouver par là que ses parents ont bien agi envers lui.

N'est-ce pas ce que la plupart des religions entendentsous le nom de pardon : élever l'enfant dans la traditionde la discipline de ses pères en l'<< aimant )) et en l'éduquantau respect de ses parents ? Mais un pardon qui repose surla négation de la vérité et utilise un enfant sans défensecomme exutoire n'est pas un véritable pardon, et c'est laraison pour laquelle les religions ne parviennent pasainsi à vaincre la haine, mais au contraire l'attisentinvolontairement. La colère contre les parents, rigoureuse-ment interdite mais très intense chez I'enfant, est transféréesur d'autres êtres et sur son propre soi, mais elle n'est paséliminée du monde, au contraire : par la possibilité qui luiest donnée de se déverser sur les enfants, elle se répanddans le monde entier comme une peste. C'est pourquoi ilne faut pas s'étonner qu'il y ait des guerres de religion,bien que cela constitue dans le fond une contradiction ensoi.

Le véritable pardon ne posse pas à côté de la colère,mais il passe par elle, C'est seulement à partir du momentoù j'ai pu me révolter contre I'injustice qui m'a été faite,lorsque j'ai identifié la persécution en tant que telle et puhaiï mon bourreau, que la voie du pardon m'est ouverte.Pour que la colère, la rancæur et la haine ne se perpétuentpas éternellement, il faut que I'histoire des souffrancesde la petite 'enfance soit entièrement dévoilée. Elles se

changeront en deuil et en douleur de savoir que les chosesaient dû être ainsi, et dans cette douleur, elles feront mêmeplace à une véritable compréhension, Ia compréhension deI'individu devenu adulte qui voit ce qu'a été I'enfance deses parents et, libéré de sa propre haine, peut enfinéprouver une véritable sympathie. Ce pardon ne peut pass'obtenir par des prescriptions ni des commandements, ilest vécu comme une grâce et survient spontanément dèslors qu'il n'y a plus de haine refoulée et interdite pourempoisonner l'âme. Le soleil n'a pas besoin de contraintepour briller lorsque les nuages se sont retirés, il brille tout

Même la cruauté involontaire faft mal 283

naturellement. Mais ce serait une erreur que d'ignorer que

les nuages constituenl-on oUttutte' à partir du moment oir

ilyena." Làitôu'"n adulte a eu la chance de remonter jusqu'aux

"rËir"J a. iùutti.. ;;'ii "

subie dans sa vie individuelle

;;;Ë"itr. uu.. des ùntiments conscients' avec le temps'

ii ;;.pt;"dtà o. rui-*cÀt, et de préférence sans I'aide

d'aucune assistance éJututiut ni rJligieuse' que ce n'est

p"rî"t plaisir, par puissance et par vitalité que ses parents

i'à"iioituté ei'maliraité commè ils I'ont fait' mais parce

q";ii, tt n"uvaient Pas faire.autrement' et qu'en ayant eux-

mêmes été victimes'autrefois, ils croyaient aux méthodes

traditionnelles d'éducation'

Beaucoup d'hommes ont de grandes difficultés à com-

prendre le simple;;i qt; toui bo.urreau a un iour été

vict{me, pourtant ii;;ràt assez évident qu'un être qui a

pu dès l'enfance J;;i;libte et fort n'a pas le moindre

besoin d'en humili.t on autre' Dans ses notes de journal

Paul Klee rapporte le souvenir suivant :

De temps en temps ie faisais- quelques petites misères à

une petite filk;;i'Ët"it p-as joii" ei nortait des prothèses

parce qu'ell" "i"i,'ittl"*ues tora"et' Jouant les gentils

petits garço"t- d;;;;i io"t" ro famille' et en- particulier

devant la mère ô" it considérais comme un être un p€u

inférieur, je priai lei instances supérieures de me confier

I'enfant pour une pgtite promenade. Un moment' nous

allâmes tranq"iilelâni *"in dans la main' puis' arrivés au

premier .tt"*pl^oîitt p"-*tt-de-terre fleurissaient et où

ïl y avait a.t Jo"tinttlei, ou peut-être même un peu avant'

nous nous 'où;;1\" âerriêre I'autre' Au bon momelt'

je donnai ""'iiË"t-Àp a *u petite nrotégée' Elle tomba

et je la .u."*i.n i.â.r à sa mère, pour rapport€r d'un

air tout innàce"t : << Elle est tombée >' Je refis cette

manæuvre "r,aott un certain nombre de fois' sans que

Madame E"c;;:;"pçon"ât ru vérité' J'avais dû bien la

:ue.i t"inq à-six ansi' (Klee' 1957' p' l7')

Le petit Paul Klee joue là très vraisemblablement une

scène qu'il a lui-mêmè vécue avec son père' A propos de

son père, il n'y a qu'un court passage dans son journal :

Longtemps je vouai une foi inconditionnelle à Papa et ie

284 C'est pour ton bien

tenais sa parole (Papa sait tout) pour pure vérité. Il n'yavait que ses côtés de vieux monsieur moqueur que je nepouvais pas supporter. Une fois, me croyant seul, j'imagi-nais et mimais des personnages. Brusquement, un << pf ! >de dérision me troubla et me vexa profondément. Je devaisencore entendre ce << pf ! >> à d'autres reprises. (p. 16.)

La moquerie d'un être que I'on aime et admire esttoujours douloureuse, et I'on peut imaginer que le petitPaul Klee en était profondément blessé.

Inversement, on ne peut pas prétendre que la souffranceque I'on inflige à l'autre piir un besoin compulsionnel n'estpas une véritable souffrance, et que le petit Paul Kleen'avait fait aucun mal à la petite fille sous prétexte queI'on en sait les raisons. Le fait de voir les deux aspects deschoses nous fait découvrir tout le drame, mais il nouspermet aussi de changer. La compréhension du fait qu'avecla meilleure volonté du monde, nous ne sommes pas tout-puissants, que nous sommes sous I'emprise de compulsionset que nous ne pouvons pas aimer notre enfant commenous le voudrions, devrait tout au plus nous conduire audeuil, mais non à des sentiments de culpabilité, car ceux-ci nous promettent un pouvoir et une liberté que nousn'avons pas. Chargés de sentiments de culpabilité, nousen chargerons notre enfant et nous I'attacherons à nouspour la vie. Au contraire, dans le deuil, nous pouvons luidonner sa liberté.

La distinction entre deuil et sentiments de culpabilitépourrait donc peut-être contribuer aussi à rompre le silenceentre les générations en ce qui concerne les crimes nazis.L'aptitude au deuil est le contraire des sentiments deculpabilité ; le deuil est la douleur de savoir que les chosesse sont passées comme elles se sont passées et que rien nepeut modifier le passé. Cette douleur, on peut la partageravec les enfants, sans avoir besoin d'avoir honte, tandisque les sentiments de culpabilité, on essaie de les refoulerou de les faire supporter aux enfants, ou encore les deuxà la fois.

Comme le deuil dégèle les sentiments, il peut aussiconduire de jeunes êtres à se rendre compte de ce que leuront fait leurs parents en les éduquant très tôt à I'obéissance,

Même Ia cruauté învolontaire fait mal 285

selonlesbonsprincipesdel'éducationtraditionnelle'Cela;;;;;;";r â" doutoureuses explosions de colère lorsque

le sujet prend conscience que ses parents' qui ont plu-s d.e

;"q";;it ans déjà, àéiendent touJours leurs vieux princi-

pes, ne peuvent pas comprendre la colère de leur enfant

Ià"r,., Ët ,ont Ùlessés ét vexés par ses reproches' on

aimerait alors pouvoir retirer tout ce que I'on a dit' faire

que tout cela ne t"- toit put passé' putt" que la vieille

angoirr. bien connu. tttuit et que I'on a peur de tuer ses

parents par ces reproches' Lorsque de telles formules vous

ont été répétées urrr, 'ouuent,

elles peuvent faire effet

toute une vie.Et pourtant, même lorsqu'on se retrouve encore seul

"u.. ô.tt. colàre qui vient de se manifester' parce que

les parents ,r. ,ont pas plus capables de la supporter

qu'u'ùutuuant, la simple expression,de ce sentiment peut

Ë;fi;; Je sortir-â"'l'impàsse de I'aliénation de soi' Le

véritable enfant, I'enfant parfaitement sain' I'enfant qui

na ptut absolument pas comprendre pourquoi ses -parents

lui font du mal et lui interdiient en même temps de crier'

d. ;i;t"; .t -e*" âe partq lorsqu'il a mal' peut enfin

vivre. L'enfant d;; ; adapté à toujours-essayé de

comprendre cette absurdité ei il I'avait admise comme

allant de soi. Mais cette pseudo-compréhension' il la payait

en devant renoncer à seJ sentiments, au sens de ses propres

besoins, autrement dit à son propre moi' L'accès à I'enfant

initiut,'nor-ut, révolté, qui ne- comprenait pas et se

rebellait, était donc toujours resté barré' Lorsque cet enfant

;;ïb# chez I'adult., il dé.ouvre ses racines et ses forces

vives.L'expression et l'expérience- des .reproches-.de.

la petite

.ttfun.l ne signifie put q"t I'on devienne dès lors pour

autant un être uniquement de reproche' mais très exacte-

*.ri r. contraire.'Du fait même que l'on a vécu ces

sentiments qui étaient dirigés contre.les parents' on n'est

pi"t oùfige â'en rechercher l'abréaction sur des personnes

de substitution. Seule la haine contre des obiets de

,.rurtitution est infinie et insatiable, ainsi que ngul l'avons

vu avec l'exemple d'Adolf Hitler' parce qu'à I'intérieur de

286 C'est pour ton bien

la conscience, le sentiment s'est détaché de la personne àlaquelle il s'adressait à I'origine.

C'est pourquoi je pense que pouvoir exprimer desreproches contre ses propres parents est une chance: ellepermet d'accéder à la vérité de soi-même, permet le dégelde I'affectivité, le deuil et même, dans le meilleur des cas,la réconciliation. En tout cas elle fait partie du processusde guérison psychique. Toutefois on se tromperait complè.tement si I'on croyait que j'adresse personnellement desreproches à ces vieux parents. Je n'en ai pas le droit, et jen'ai pas de raison de le faire : je n'ai pas été leur enfant,je n'ai pas été contrainte au silence par eux, je n'ai pasété élevée par eux, et en tant qu'adulte, je sais que commetous les autres parents, ils ne pouvaient pas faire autrementque se comporter comme ils I'ont fait.

C'est précisément parce que je veux inciter I'enfant quiexiste chez I'adulte à vivre ses sentiments, à exprimer sesreproches, et que je ne les prends pas à mon compte,précisément parce que je n'accuse pas les parents, que jeprépare à certains de mes lecteurs de considérables difficul-tés. Il serait bien plus facile de dire que I'enfant estcoupable de tout, ou que les parents sont coupables detout, ou bien de répartir les parts de culpabilité. C'estprécisément ce que je ne veux pas faire parce qu'en tantqu'adulte, je sais qu'il n'est pas question ici de faute maisd'impossibilité de se comporter autrement. Mais commec'est quelque chose qu'un enfant ne peut pas comprendreet que c'est en essayant d'y parvenir qu'il se rend malade,je voudrais I'aider à ne pas avoir à comprendre plus qu'ilne peut. Par la suite, ses enfants auront la chance de vivreavec un véritable père et une véritable mère qui ressententdes sentiments authentiques.

Même ces explications ne suffiront sans doute pas àéclaircir les malentendus qui interviennent souvent à cesujet, car leurs racines sont ailleurs que dans les capacitésintellectuelles. Un individu qui a dû apprendre dès sonplus jeune âge à se sentir coupable de tout et à considérerses parents comme des êtres au-dessus de tout reproche nepourra puiser dans mes thèses qu'angoisse et sentimentsde culpabilité. C'est chez les êtres d'un certain âge que la

Même la cruauté involontaire fait mal 287

force de cette attitude adoptée dès I'enfance s'observe lemieux.' Dès I'instant oir ils se trouvent en situation de

dépendance ou de dénuement physique, ils peuvent se

sentir coupables de la moindre vétille et même considérerbrusquement leurs enfants devends adultes [comme] lesjuges les plus sévères, si toutefois ils ne sont pas restés

cntièrement soumis. Du fait qu'ils sont ainsi, il faut les

protéger et, tant par scrupule que par peur des conséquencespossibles, les enfants devenus adultes se retrouvent condam-nés au silence.

Étant donné que nombre de psychologues n'ont pas eu

non plus la possibilité de se libérer de cette angoisse, et deprendre conscience que les parents ne mourraient pas

forcément de voir le vrai visage de leurs enfants, ils onttendance, en ce qui concerne leurs clients et patients, àpermettre le plus rapidement possible une << réconciliation >

avec leurs parents. Mais si la colère initiale n'a pas été

vécue, cette réconciliation reste illusoire. Elle ne fait que

masquer la haine inconsciente accumulée ou rejetée surd'autres êtres, soutient le faux moi du patient, au besoinaux dépens de ses enfants, qui sont sûrs d'avoir à supporterles effets de leurs véritables sentiments. Et pourtant' en

dépit de ces complications, il y a de plus en plus d'ouvragesdans lesquels des jeunes gens engagent avec leurs parents

un dialogue plus libre, plus ouvert et plus franc qu'il n'yen eut jamais (cf. Barbara Frank, Ich schaue in den Spiegelund sehe meine Mutter, 1979 - Je me regarde dans unmiroir et je vois ma mère - ; et Margot Lange MeinVater. Frauen erztihlen vom ersten Mann ihres Lebens,1979 - Mon père. Des femmes parlent du premier hommede leur vie). Cela laisse espérer qu'avec le nombre d'écri-vains critiques on verra augmenter le nombre de lecteurscritiques qui n'iront pas, sous I'effet de la < pédagogienoire >>, puiser dans la littérature scientifique (que ce soitdans les domaines de la pédagogie elle-même ou de lapsychologie, de la philosophie morale et des biographies)des sentiments de culpabilité ni de quoi renforcer les leurs.

Sylvia Plath et l'interdiction de Ia souffrance

Tu me demondes pourquoi ma vie est l'écriture ?Si c'est ce qui me nourrit .?

Si le jeu en vout la chandelle ?Surtout si c'est bien payé ?

Quelle pourrait sinon être Io raison ?...J'écris seulementPorce qu'il y a en moî une voixQui ne veut pas se taire.

Sylvia Plath

Toutes les vies et toutes les enfances sont pleines defrustrations, il ne peut pas en être autrement ; car mêmela meilleure des mères ne peut pas satisfaire tous les désirset tous les besoins de son enfant. Cependant ce n'est pasla souffrance des frustrations qui entraîne le troublepsychique mais I'interdiction de cette souffrance, I'interdic-tion de vivre et d'exprimer la douleur des frustrationssubies, interdiction qui émane des parents et qui a le plussouvent pour but d'épargner leurs défenses. L'adulte a ledroit de lutter avec Dieu, avec le destin, avec les autoritéset avec la société lorsqu'on Ie trahit, qu'on outrepasse ses

droits, qu'on Ie punit injustement, qu'on I'exploite ouqu'on lui ment, mais I'enfant n'a pas le droit de lutteravec les dieux, ni avec ses parents, ni avec ses éducateurs.Il n'a pas le droit d'exprimer ses frustrations, il doitréprimer ou nier ses réactions affectives, qui s'amassenten lui jusqu'à l'âge adulte pour trouver alors une formed'exutoire déjà différente. Ces formes d'exutoires vont dela persécution de ses propres enfants par I'intermédiairede l'éducation jusqu'à la toxicomanie, à la criminalité etau suicide, en passant par tous les degrés des troublespsychiques.

La forme d'exutoire la plus agréable et la plus profitableà la société est la littérature, parce qu'elle ne crée desentiments de culpabilité pour personne. Elle permet de

290 C'est pour ton bien

formuler tous les reproches en se dissimulant derrière unpersonnage imaginaire. Nous le verrons avec un exempleconcret, celui de Sylvia Plath, car outre le mélange decréation littéraire et de réalité dans I'expression du troublepsychotique et le suicide final, nous disposons en I'occur-rence de lettres personnelles et de déclarations de la mèrede Sylvia Plath. L'incroyable besoin de produire et latension permanente sont toujours soulignés lorsqu'on parlede son suicide. Sa mère aussi revient toujours sur ces

éléments : les parents d'êtres suicidaires essaient toujoursde se raccrocher à des motifs extérieurs ; les sentiments deculpabilité les empêchent de voir la véritable réalité deschoses et de vivre le deuil.

La vie de Sylvia Plath n'a pas été plus difficile que cellede milliers d'autres gens. Elle souffrait sans doute desfrustrations de son enfance plus intensément que d'autresdu fait de son extrême sensibilité, mais elle éprouvait aussides joies plus intenses. Et la cause de son désespoir n'étaitpas la souffrance mais I'impossibilité de communiquercette souffrance à qui que ce fût. Dans toutes ses lettreselle affirme et réaffirme à sa mère qu'elle va très bien.L'idée que la mère ait pu garder pour elle des lettresnégatives et ne pas en autoriser la publication est uncontre sens sur le drame de cette vie. Ce drame (et dumême coup l'explication du suicide) réside précisémentdans le fait qu'il est impossible que d'autres lettres aientété écrites, parce que la mère de Sylvia avait besoin decette confirmation, ou parce que Sylvia pensait que samère n'aurait pas pu vivre sans cette confirmation. SiSylvia avait aussi pu écrire des lettres agressives oumalheureuses à sa mère, elle n'aurait pas eu besoin de se

suicider. Si la mère avait pu vivre le deuil de ne pas êtrecapable de comprendre I'abîme de la vie de Sylvia, ellen'aurait jamais permis la publication de cette correspon-dance, parce que précisément le fait que sa fille elle-mêmeréaffirme qu'elle allait très bien lui aurait été trop pénible.Mais Aurelia Plath ne peut pas se livrer au travail dudeuil, elle ne sait qu'avoir des sentiments de culpabilité, etles lettres lui servent à prouver qu'elle n'est pas coupable.

Sylvîo Plath et l'înterdictîon de la souffrance 291

On peut prendre comme exemple de justifTcation cettecitaticin :

Le poème suivant, que Sylvia écrivit à l'âge de quatorzeans, luî a été inspiré par I'effacement accidentel descouleurs d'une nature morte pastel, qu'elle venait determiner et qu'elle avait placée sur la table de la vérandapour nous la montrer. Nous étions en train de I'admirer,Warren, Grammy et moi, lorsqu'on sonna à la porte.Grammy quitta son tablier pour aller ouvrir et le jeta surIa table en passant, le tablier effleura le pastel dont unepartie s'effaça. Grammy était inconsolable. Mais Sylvia luidit d'un ton léger : << Ne t'en fait pas ; je I'arrangerai. >r

C'est ce soir là qu'elle écrivit pour la première fois unpoème à consonnance tragique.

Je me croyais invulnérable

Je me croyais invulnérabie,Je me croyais à tout jamaisinaccessible à Ia souffiance -bien défendue contre la douleur întérieure,le tourment.Le monde était tout îlluminé de soleil de marsmon esprit traversé d'éclots verts et.ormon cæur plein de joie, et pourtant si sûrde cette douleur douce et aiguë que seule caclrcla joie.Mon esprit volait plus vite que la mouette,qui sîllonne les hauteurs à perdre Ie souffleet de ses ailes de grand voilierraye l'étendue faussement bleuedu ciel.(Comme Ie cæur de l'homme doit être faible,un pouls qui bat, quelque chose qui tremble,un instrument fragile et brillant,un înstrument de verre qu,i un jour chante etun jour pleure.)Et brusquement le monde est devenu gris,L'obscurité a chassé la jo;ie.Et il n'est resté que Ie vide sourd et douloureuxque des mains inattentives avaient touché,détruitmon filet tout argenté de bonheur.

292 C'est pour ton bien

Les mains se sont anêtées, interdites,comme elles m'aimaient, elles ont pleuré,quand elles ont vu mon firmoment tomber,en lombeaux,(Comme Ie cæur de I'homme doit être faible,un pouls qui bat, quelque chose qui tremble,un instrument fragile et brillant,un instrument de verre qui un jour chante etun jour pleure.)

M. Crockett, son professeur d'anglais le montra à uncollègue qui dit : < C'est incroyable que quelqu'un d'aussijeune ait pu vivre quelque chose d'aussi destructeur. >Lorsque je rapportai à Sylvia ce que M. Crockett m'avaitdit de cette conversation, elle rit d'un air sournois et dit :

<< A partir du moment où l'on publie un poème, tous ceuxqui le lisent ont le droit de I'interpréter à leur façon. r>

(Plath, 1975, p. 28.)

Lorsqu'une enfant sensible, comme Sylvia Plath, sentqu'il est vital pour sa mère de ne voir dans sa souffranceque I'effet de la destruction de I'aquarelle, et non laconséquence de la destruction du soi et de son expressionsymboliquement vécue dans I'aquarelle, elle fera tout pourlui cacher ses véritables sentiments. La correspondance estun témoignage patent de la construction de ce faux moi.Le vrai moi s'exprime dans The Bell Jar (1978) - Lacloche de détresse - mais il est assassiné par le suicide, etla mère élève un monument au faux moi avec la publicationdes lettres.

On peut voir avec cet exemple ce qu'est exactement lesuicide : c'est la seule possibilité qu'a le vrai moi des'exprimer, et elle lui coûte la vie. Beaucoup de parents secomportent comme la mère de Sylvia Plath. Ils s'efforcentdésespérément de trouver le bon comportement et cherchentensuite dans le comportement de I'enfant la confirmationdu fait qu'ils ont été de bons parents. L'idéal qui consisteà être de bons parents, autrement dit à bien se comportervis-à-vis de I'enfant, à bien l'élever, à ne lui donner nitrop ni trop peu, ne signifie en fait rien d'autre qu'être de

Sylvia Plath et I'interdiction de la sou.ffiance 293

bons enfants, sages et appliqués, de ses propres parents.Mais dans cet effort, on ignore nécessairement la souffrancede son propre enfant. Je ne peux pas être véritablement àl'écoute de mon enfant, si je suis intérieurement préoccupéed'être une bonne mère ; je ne peux être disponible pource qu'il a à me dire. Cela apparaît dans différentesattitudes :

Bien souvent les parents ne s'aperçoivent pas des frustra-tions narcissiques de I'enfant, ils n'en ont aucune idée,parce qu'ils ont eux-mêmes appris dès leur plus jeune âgeà ne pas prêter d'importance à leurs propres frustrations.Il arrive a:ussi qu'ils les remarquent, mais pensent alorsqu'il vaut mieux, pour I'enfont, qve lui-même n'en prennepas conscience. Ils s'efforcent alors de le détourner decertaines perceptions très précoces et de lui faire oublierses expériences les plus anciennes, le tout, en croyant agirpour son bien, parce que I'enfant ne pourrait pas supporterla vérité et qu'elle risquerait de le rendre malade. Quec'est exactement I'inverse, et que c'est précisément lanégation de la vérité qui le rend malade, ils I'ignorent.C'est un phénomène que j'ai particulièrement bien observésur le cas d'un petit bébé qui, à la suite d'une graveanomalie congénitale constatée dès la naissance, devait êtrenourri attaché d'une façon qui ne pouvait qu'évoquer les

chambres de torture. Par la suite, la mère s'efforça toujoursde protéger sa fille, devenue adulte, de ce << secret >> et delui < épargner >> de savoir quelle avait été la réalité de ce

passé. Elle ne pouvait dont pas I'aider à faire enfins'exprimer en elle cette connaissance passée qui resurgissaitsous la forme de symptômes pathologiques.

Si la première attitude repose exclusivement sur desévénements de sa propre enfance restés inconscients, il s'ymêle dans la seconde I'espoir absurde que le passé puissese corriger par le silence.

Dans le premier cas, la règle est : ( ce qui n'a pas ledroit d'être ne peut pas être, >> dans le second : << si I'onne parle pas de ce qui c'est passé, rien ne s'est passé. >>

La malléabilité d'un enfant sensible est pratiquementinfinie, de sorte qu'il assimile intérieurement presque tous

294 C'est pour ton bien

ces principes. Il peut s'y adapter parfaitement, et pourtantil reste une sorte de mémoire physique et la vérité ne semanifeste plus que sous la forme de troubles ou desensations pathologiques et parfois également dans lesrêves. Dans le cas d'une évolution psychotique ou névroti-que, on est en présence d'une autre forme d'expression deI'intériorité que personne ne peut comprendre et qui devientaussi pénible, pour I'intéressé lui-même et pour la société,que les réactions de I'enfant aux traumatismes subis étaientautrefois pénibles à ses parents.

Comme nous I'avons dit à plusieurs reprises, ce n'estpas le traumatisme en lui-même qui rend malade mais ledésespoir total, inconscient et refoulé de ne pouvoirs'exprimer au sujet de ce que I'on a subi, de n'avoir pasle droit de manifester de sentiments de colère, d'humilia-tion, de désespoir, d'impuissance ni de tristesse, ni mêmele droit de les vivre. C'est ce qui conduit beaucoupd'individus au suicide, parce que I'existence ne leur sembleplus valoir la peine d'être vécue à partir du moment oùtous ces sentiments profonds, qui font la texture du vraisoi, n'ont absolument pas le droit de vivre. Bien sûr, onne peut pas poser de postulat disant que les parents ont ledevoir de supporter ce qu'ils ne peuvent pas supporter,mais on peut toujours les confronter à la certitude que cen'est pas la souffrance qui a rendu leurs enfants malades,mais le refoulement de cette souffrance que I'enfants'imposait pour l'amour de ses parents. J'ai constaté àmaintes reprises que cette découverte pouvait être pour lesparents une véritable révélation, qui leur ouvrait la possibi-lité du travail du deuil et les aidait à atténuer leurssentiments de culpabilité.

La douleur de Ia frustration subie n'est ni une honte niun poison. C'est une réaction naturelle et humaine. Si elleest interdite verbalement ou averbalement, voire chasséepar la violence et par les coups comme sous le règne de la< pédagogie noire >>, le développement naturel est entravé etI'on crée les conditions d'un développement pathologique.Adolf Hitler ne raconte-t-il pas fièrement qu'il était arrivéun jour à compter les coups que lui donnait son père enmême temps que lui, sans pleurer ni crier. Là-dessus il

Sylvia Plath et I'interdiction de la souffrance 295

imagine fantasmatiquement que, de ce jour, son père ne

I'a plus battu. Je pense que c'est un fantasme car il est

invraisemblable que, chez Aloïs, les raisons de donner des

coups se soient évanouies du jour au lendemain : ces

motivations ne venaient pas du comportement de I'enfant,mais des humiliations qu'il avait luimême subies dans sonenfance et qui restaient comme un problème non résolu.Mais le fantasme du fils est au moins le signe qu'à partirde ce jour il n'a plus gardé le souvenir des coups que luidonnait son père : par la répression de la douleur psychique,et avec I'aide de I'identification à I'agresseur, le souvenirdes châtiments corporels ultérieurs est aussi tombé sous lecoup du refoulement. C'est un phénomène souvent observéchez des patients : la réapparition de certains sentimentsfait resurgir en eux le souvenir de scènes dont ils avaienttoujours énergiquement nié la réalité.

La colère non vécue

En octobre 1977,le philosophe Leszek Kolodowski reçutle prix de la paix de I'association des libraires allemands.Dans son discours solennel, il parla de la haine en se

référant à un événement qui ameutait beaucoup de gens àl'époque : le détournement d'un avion de la Lufthansa surMogadishu.

Kolakowski disait qu'il y avait quand même toujours eudes hommes qui n'éprouvaient aucune haine, et appoftaientainsi la preuve que l'on pouvait aussi vivre sans haine. Iln'y a rien d'étonnant à ce qu'un philosophe s'exprimeainsi puisque l'être humain s'identifie à ses yeux avec l'êtreconscient, Mais pour quelqu'un qui est quotidiennementconfronté à des manifestations de ta réalité psychiqueinconsciente, et qui mesure tous les jours les conséquencescatastrophiques que peut avoir I'ignorance de cette réalité,diviser les hommes en bons et mauvais, en êtres qui aimentet en êtres qui haïssent, ne va plus de soi. Il sait que lesconcepts moralisateurs déguisent la vérité plus qu'ils ne ladévoilent. La haine est un sentiment humain, normal, etun sentiment n'a encore jamais tué personne. Peut-onimaginer une r5action plus adéquate que la colère ou lahaine devant les mauvais traitements d'enfants, le violde femmes, la torture d'innocents, surtout lorsque lesmotivations de ces actes restent obscures ? Un être qui,dès le départ, a la chance de pouvoir réagir à la déceptionpar la colère, intériorisera les parents qui ont su lecomprendre, et n'aura pas besoin par la suite d'une analysepour arriver à vivre avec ses sentiments, et même avec lahaine. Je ne sais pas s'il existe des êtres qui soient ainsi,en tout cas, je n'en ai jamais rencontré. Mais ce quej'ai vu souvent, ce sont des êtres qui ne connaissaientvéritablement pas le sentiment de la haine, qui avaientdélégué leur haine à d'autres, sans le savoir, sans le vouloirou sans s'en apercevoir. Ils souffraient dans certains cas

298 C'est pour ton bien

d'une grave névrose obsessionnelle avec des fantasmes dedestructivité, et si ce n'était pas eux, c'était leurs enfants.Souvent, ils avaient été soignés pendant des années pourdes troubles physiques qui étaient en réalité d'originepsychique. Quelquefois ils souffraient de graves dépres-sions. Mais dès lors que la possibilité leur était donnéedans I'analyse de vivre la colère de la petite enfance, cessymptômes disparaissaient et avec eux I'angoisse de portertort à quelqu'un avec ce sentiment. Ce n'est pas la hainevécue mais la haine accumulée intérieurement et répriméepar des idéologies qui conduit à des actes de violence et àla destruction, nous l'avons démontré à partir du casd'Adolf Hitler. Tout sentiment vécu et éprouvé fait placeavec le temps à un autre, et la haine du père la plusviolente, si elle est consciente, ne poussera jamais un êtreà commettre un meurtre, sans parler d'exterminer despeuples entiers. Alors que Hitler réprima complètementses sentiments de l'enfance et détruisit des masses devies humaines parce que ( I'Allemagne avait besoin dedavantage d'espace vital >>, parce que << les juifs menaçaientle monde )), parce qu'il voulait << une jeunesse cruelle pourcréer un monde nouveau >>... La liste des prétendues<< raisons > pouvait se poursuivre à I'infini.

Comment s'expliquer qu'en dépit du développement desconnaissances psychologiques, dans les enquêtes qui ontété faites au cours de ces dernières décennies, les deux tiersde la population allemande déclarent encore qu'il est bien,juste et nécessaire de recourir aux châtiments corporelsdans l'éducation des enfants ? Et qu'en est-il du derniertiers ? Combien compte-t-il de parents qui éprouventmalgré eux le besoin compulsif de battre leurs enfants ?

On ne peut pas comprendre cette situation si I'on ne tientpas compte des éléments suivants :

l. Pour que les parents ressentent ce qu'ils font à leursenfants, il faudrait qu'ils aient d'abord ressenti ce qui leura été fait dans leur propre enfance. Mais c'est précisémentce qui leur a été interdit. A partir du moment où I'accès àcette prise de conscience est barré, les parents peuvent

La cotère non vécue 299

battre, humilier ou torturer leurs enfants de n'importequelle façon sans se rendre compte du mal qu'ils leur font,et même, ils ne peuvent pas faire autrement.2. Lorsque le drame de leur enfance reste entièrement

dissimulè derrière des idéalisations chez des êtres par ailleurs

de bonne foi, il faut que la connaissance inconsciente de

cet état de choses s'exprime indirectement. C'est ce qui se

produit par I'intermédiaire de la compulsion de répétition'itour dei raisons qui leur restent incompréhensibles, ces

êtres recréent toujours des situations et nouent toujoursdes relations dans lesquelles ils torturent leurs partenaires,

sont torturés par eux ou les deux à la fois.3. Du fait que la torture de ses propres enfants est un

moyen d'éduiation considéré comme légitime, I'agressivité

refoulée et accumulée trouve là un exutoire facile'4. Comme par ailleurs les réactions agressives aux mauvais

traitements physiques ou psychiques infligés par les parents

sont interdites par presque toutes les religions, le sujet en

est réduit à ce tYPe d'exutoires.

il n'y aurait pas de tabou de I'inceste, disent les

sociologues, si I'ittirance sexuelle entfe parents ne faisaitpas paitie des pulsions naturelles. C'est la raison pour

iuquètt. ce tabou se rencontre cheztous les peuples civilisés'

et est inscrit dès le départ dans l'éducation.Il doit nécessairernent y avoir un parallèle en ce qui

concerne les sentiments agressifs de I'enfant vis-à-vis de

ses parents. Je ne sais pas du tout comment d'autrespeuples, qui n'ont pas comme nous de quatrième comman-

àement, ônt résolu ce problème, pourtant, où que jeregarde, je vois l'ordre dè respecter les parents mais nullepait I'exigence du respect de I'enfant. Ne pourrait-on pas

pr.tr.., pâr analogie avec I'interdit de I'inceste, qu'il faut

àu. ".-rèspect

soii inculqué à I'enfant le plus tôt possible,

put." que les réactions naturelles de I'enfant vis-à-vis de

ies parènts risqueraient d'être si violentes que les parents

aurâit à craindre de se faire battre, voire assassiner par

leurs enfants ?

Mais tout cela n'est pas nécessaire. Nous entendons

constamment parler des innombrables horreurs de notre

300 C'est pour ton bien

temps, et pourtant il me semble que I'on peut trouver unelueur d'espoir dans la tendance qui consiste à affronter lestabous établis et à les mettre en question. Si le quatrièmecornmandement est utilisê de manière que les parentsrépriment les mouvements d'agressivité naturelle et lègitimede l'enfant dès son plus jeune âge, de telle sorté queI'enfant n'a qu'une possibilité : celle de les transmettré àla génération suivante, I'abolition de ce tabou serait ungrand progrès. Si ce mécanisme devenait conscient, si desêtres avaient le droit de voir ce que leur ont fait leursparents, ils essaieraient de répondre vers le haut et nonpas vers le bas. Cela voudrait dire par exemple que Hitlern'aurait pas eu besoin de tuer des millions d,hommes, s'ilavait eu Ia possibilité dans son enfance de se rebellerdirectement contre Ia cruauté de son père,

Lorsque j'affirme que les nombreuses humiliations pro-fondes et les mauvais traitements qu'Adolf Hitler u subisdans son enfance de la part de son père, sans pouvoir yrépondre, on eut un effet sur son insatiable haine, je risquefort d'être mal comprise. On peut me rétorquer qu'unindividu ne conduit pas à lui tout seul un piuple- toutentier à des destructions de cette ampleur, que la criseéconomique et les humiliations de la République de Weimarsont intervenues également dans la genèse de la catastrophe.Tout cela ne fait aucun doute, mais ce ne sont pas des<< crises > ni des (( systèmes ) qui ont tué, ce sônt deshommes, des hommes dont les pères avaient toujours puêtre fiers de I'obéissance de leurs petits.

Bien des choses que I'on considère depuis des décenniesavec la plus profonde indignation morale et une incompré-hension horrifiée peuvent s'expliquer à partir de là. Unprofesseur américain fait par exemple depuis des annéesdes expériences de transplantations du cerveau. Dans uneinterview accordée à la revue Tele, il rapporte qu'il estdéjà parvenu à transplanter le cerveau d'un singe sur unautre singe. Il ne doute pas que, dans un avenir assezproche, la même opération soit possible chez I'homme. LeIecteur a en I'occurrence le choix entre plusieurs attitudes :il peut être émerveillé du progrès scientifique, ou bien sedemander comment de pareilles absurditéJ sont possibles

La colère non vécue 301

et à quoi peut servir une activité de ce type, Mais, arrêtépar une information annexe, il peut aussi avoir unerévélation. Le professeur White parle de ( sentimentSreligieux >> qu'il éprouverait dans I'exercice de son activité.Au journaliste qui I'interroge plus précisément sur ce point,il répond qu'il est d'un catholicisme très strict et qucd'après ses dix enfants il a été élevé comme un dinosaurc.Je ne sais pas exactement ce qu'il veut dire par là, malej'imagine qu'il veut évoquer par cette expression decméthodes antédiluviennes d'éducation. Qu'est-ce qui I'at-tire en fait dans son activité ? Dans l'inconscient duprofesseur White, il se passe vraisemblablement la choscsuivante: en consacrant toute son énergie et toute savitalité à I'objectif unique de parvenir un jour à transplanterun cerveau humain, il satisfait le désir qu'il a longtempsnourri dans son enfance, de changer le cerveau de sonpère ou de ses parents. Le sadisme n'est pas une maladieinfectieuse dont on se trouve brusquement atteint, il seprépare longuement dans I'enfance et naît toujours desfantasmes désespérés d'un enfant qui, dans une situationsans issue, cherche quand même une issue.

Tout analyste qui a une certaine pratique connaft ces

cas d'anciens enfants de pasteurs, à qui il n'a jamais étépermis d'avoir de << mauvaises >> pensées, et qui sonteffectivement parvenus à ne pas en avoir, même si c'estau prix d'une grave névrose. Lorsque dans le cadre deI'analyse les fantasmes de I'enfance ont enfin droit derenaître, ils ont toujours un contenu cruel et sadique. Cesfantasmes sont un condensé des anciens fantasmes devengeance et de la cruauté introjectée des parents qui ontessayé d'étouffer, voire ont réussi à étouffer, la vitalité deI'enfant à coup de prescriptions morales inapplicables.

Chaque être doit trouver sa forme d'agressivité s'il neveut pas se changer en docile marionnette entre les mainsdes autres. Seuls les êtres qui ne se laissent pas réduire austatut d'intruments d'une volonté étrangère peuvent impo-ser leurs besoins personnels et défendre leurs droits légiti-mes. Mais cette forme d'agressivité adaptée et adéquatereste interdite à tous ceux qui ont été élevés et ont vécu

302 C'est pour ton bien

toute leur enfance dans la croyance absurde qu'un hommepouvait n'avoir jamais que des pensées bonnes et pieuseset être en même temps sincère et véridique. Le seul fait devouloir satisfaire à cette exigence impossible peut menerun enfant au bord de la folie. Rien d'étonnant à ce qu'iltente de se libérer da sa prison par des fantasmes sadiques.Mais même cette tentative est interdite et doit être refoulée.C'est ainsi que la partie compréhensible et supportable dece fantasme reste entièrement cachée à la conscience,coiffée de la pierre tombale de la cruauté aliénante, etcoupée du moi. Cette pierre tombale, qui d'une façongénérale n'est guère cachée, est quand même quelque choseque I'on redoute, et que I'on cherche toute sa vie à éviter.Et pourtant nulle part au monde il n'y a d'autre voie pourtrouver le vrai moi que précisément I'unique qui longe lapierre tombale si longtemps évitée. Car avant qu'un hommepuisse développer la forme d'agressivité propre qui lui estadaptée, il faut qu'il ait découvert en lui-même et ressentiles vieux fantasmes de vengeance refoulés parce qu'inter-dits. Eux seuls sont suceptibles de le conduire à sa véritablerévolte d'enfant, à sa véritable colère, qui peuvent ensuitefaire place au deuil et à la réconciliation.

L'évolution de Friedrich Diirrenmatt, qui s'est vraisem-blablement faite sans analyse, peut nous servir ici d'illustra-tion. Ayant grandi dans une maison de pasteur, lorsqu'ilcommence à écrire, il jette d'abord à la tête du lecteur lagrotesque absurdité, la fausseté et la cruauté du monde.Même les plus grandes démonstrations de froideur, mêmele cynisme le plus perfide ne peuvent pas effacer les tracesdu vécu de la petite enfance. Comme chez HieronymusBosch, c'est un enfer vécu qui nous est décrit là, même siI'auteur n'en a plus la connaissance directe.

Quelqu'un qui n'aurait pas appris par lui-même que lahaine fait rage le plus brutalement et le plus cruellementlà où les liens sont aussi les plus intenses n'aurait jamaispu écrire La visite de la vieille dame. Et malgré toutes cesexpériences très profondes, le jeune Diirrenmatt s'en tientrigoureusement à ce principe de froideur qu'un enfants'impose lorsqu'il faut que ses sentiments demeurententièrement cachés à son entourage. Pour se libérer de la

Lo colère non vécue 303

morale d'une famille de pasteur il faut d'abord qu'il rejetteles vertus d'abord prisées qui lui sont devenues suspectes,comme la pitié, I'amour du prochain, la compassion, etqu'il puisse enfin exprimer sous une forme violente et avecune certaine distorsion les fantasmes interdits de cruauté.A l'âge mûr, il semble qu'il n'ait pas le même besoin decacher ses véritables sentiments, et dans les æuvres plustardives de Dûrrenmatt on perçoit moins la provocationque le besoin insatiable d'asséner à l'humanité des véritésdésagréables, ce qui est en fait lui rendre service. Car unenfant comme Dtirrenmatt a forcément très bien su percerà jour son entourage. Dans la mesure où il est capable detraduire par le processus de création littéraire ce qu'il avu, il aide aussi le lecteur à devenir plus attentif et plusvigilant. Et comme il a vu de ses propres yeux, il n'a pasbesoin de se laisser corrompre par des idéologies.

C'est une forme de perlaboration de la haine de l'enfancequi est en elle-même profitable à I'humanité et n'a pasbesoin d'être < socialisée >>. Les anciens analysants, euxnon plus, n'ont plus besoin de faire du mal aux autres, àpartir du moment où ils ont regardé en face le << sadisme >>

de leur enfance. Au contraire, ils deviennent, en fait,moins agressifs dès lors qu'ils vivent avec leur agressivitéet non plus contre elle. Ce n'est pas une sublimation depulsion mais un processus de maturation normal, quidébute dès que les obstacles ont été écartés. Il n'y a plusbesoin d'effort, puisque la haine refoulée a été vécue etnon plus abréagie. Ces hommes et ces femmes deviennentbrusquement plus courageu( que jamais, autrement dit, ilsne s'adressent pas comme par le passé au-dessous d'euxmais directement << au-dessus >>. Ils n'ont plus peur de fixerdes limites à ceux qui les dominent, et ils n'ont plus besoind'humilier leurs partenaires ni leurs enfants. Ils se sontvécus en tant que victimes, et n'ont plus besoin de couperde leur moi ce rôle inconscient de victimes ni de la projetersur d'autres. Mais d'innombrables êtres humains ont besoinde passer par ce chemin de la projection. Ils le font entant que parents avec leurs enfants, en tant que psychiatresavec leurs malades, en tant que chercheurs avec lesanimaux. Personne ne s'en étonne, personne ne se révolte

304 C'est pour ton bien

contre cela. Ce que le professeur White fait avec lescerveaux de singes est honoré du nom de science, et lui-même n'en est pas peu fier. Où est la frontière avec leD'Mengele qui faisait à Auschwitz des expériences sur leshommes ? Étant donné que les'juifs n'étaient pas considéréscomme des hommes, ses expériences étaient même parfaite-ment légitimes << moralement ). Pour comprendre commentMengele put faire cela et le supporter, il nous suffirait desavoir ce qui lui avait été fait dans son enfance. Jesuis sûre que I'on découvrirait là une horreur à peinecompréhensible de I'extérieur, que lui-même considérait enrevanche comme la meilleure éducation possible et àlaquelle il était intimement persuadé de < devoir beau-coup >.

Le choix des objets disponibles sur lesquels ont peut sevenger de ce que I'on a souffert dans son enfance estpratiquement illimité, mais sur ses propres enfants, lemécanisme se produit en quelque sorte de lui-même.Presque dans tous les vieux manuels d'éducation onexplique pour commencer comment combattre le capriceet la tyrannie du nourrisson, et comment punir le plussévèrement possible l'<< entêtement >> du tout-petit. Lesparents qui ont été eux-mêmes tyrannisés suivant cesméthodes sont bien entendu très pressés de se libérer àI'aide d'un objet de substitution et vivent, dans la colèrede leur enfant, leur propre père tyrannique qui se trouvelà enfin à leur merci - comme les singes sont à la mercidu professeur White.

On remarque souvent, dans les analyses, que les patientsont le sentiment d'être extrêmement exigeants dans lesbesoins les plus infimes mais les plus importants pour euxsur le plan vital, et qu'ils s'en veulent énormément. C'estainsi par exemple qu'un homme qui a acheté une maisonpour sa femme et ses enfants ne se reconnaît pas le droitd'avoir dans cette maison une pièce à lui, dans laquelle ilpourrait se retirer, ce qui est en fait son plus profonddésir. Ce serait présomptueux ou << bourgeois >>. Maiscomme, ne disposant pas de cette pièce, il étouffe, il songeà quitter sa famille pour s'enfuir au désert. Une femme,entreprenant une analyse après toute une série d'opérations,

La colère non vécuc 30!

se considérait comme trop exigeante parce qu'clle ntételtpas assez reconnaissante de ce que lui avait apportâI'existence et demandait toujours davantage. Dans le courtde I'analyse, on s'aperçoit qu'elle éprouve depuis dorannées un besoin compulsif d'acheter toujours de nouveauxvêtements dont elle n'a guère besoin et qu'elle ne portepresque jamais, et qu'elle adopte ce comportement à titrede substitution pour une autonomie qu'elle ne s'étaitjusqu'alors jamais permise. Toute petite, elle avait déjàentendu dire par sa mère qu'elle était trop exigeante, elleen avait eu honte et s'était donc efforcée toute sa vie derester modeste. C'était aussi la raison pour laquelle, iln'était pas question au départ qu'elle fît une psychanalyse.Il fallut d'abord que les chirurgiens lui ôtassent quelquesorganes pour qu'elle se le permît. Alors il apparut progressi-vement que cette femme avait été le champ d'action surlequel sa mère avait tenté de s'imposer contre son proprepère. Auprès de ce père tyrannique jamais la moindrerésistance n'avait été possible. Mais la fille se laissa prendre,dès le départ, dans une telle constellation que tous sesdésirs et tous ses besoins étaient considérés d'embléecomme des exigences démesurées, et des prétentions exagé-rées contre lesquelles la mère se défendait avec uneindignation morale. Dans tous ses élans d'autonomie, lafille éprouvait donc un sentiment de culpabilité, et ellecherchait à les cacher à sa mère. Son væu le plus profondétait de rester simple et modeste, tandis qu'elle souffraitdu besoin compulsif d'acheter et d'entasser des chosesinutiles, ce qui était une manière de se prouver cetteprétention abusive dont I'avait toujours accusée sa mère.Elle vécut des moments très durs dans son analyse, jusqu'aujour où elle arriva à se débarrasser du rôle tyrannique deson grand-père. Mais il se révéla alors qu'elle s'intéressaitfort peu aux biens matériels - dès lors qu'elle pouvaitréaliser ses véritables besoins et être créative. Elle n'eutplus besoin d'acheter des choses inutiles pour prouver à samère une exigence tyrannique ou se ménager une secrèteautonomie, et elle put enfin se préoccuper de ses véritablesambitions intellectuelles et spirituelles sans en éprouver desentiments de culpabilité.

306 C'est pour ton bien

Cet exemple illustre quelques-unes des thèses exposéesdans tout ce chapitre :

l. Exprimant ses besoins les plus normaux et les plusinoffensifs, I'enfant peut être ressenti par ses parentscomme exigeant, tyrannique et dangereux, s'ils ont eux-mêmes souffert par exemple de I'autorité d'un père tyranni-que dont ils n'ont pas pu se défendre.2. L'enfant peut réagir à ces < attributions ) par uneexigence effective issue de son faux soi de manière àincarner aux yeux de ses parents le père agressif qu'ilsrecherchent toujours.3. Traiter ce comportement de I'enfant ou du futur patientau niveau des pulsions, et vouloir I'aider en l'éduquant au(( renoncement pulsionnel >>, serait ignorer la véritablehistoire de cette tragique représentation de soi-même etabandonner le patient à sa solitude.4. Il n'y a pas besoin de rechercher le << renoncementpulsionnel > ni la < sublimation >> de la < pulsion demort ), à partir du moment où l'on a compris les racinesd'une action destructrice'ou agressive dans I'histoire de savie, dans la mesure où à partir de ce moment-là les énergiespsychiques se changent d'elles-mêmes en créativité à condi-tion qu'aucune mesure éducative n'ait été prise.5. Le travail du deuil sur ce qui s'est passé irréversiblementest la condition slne quo non de ce processus.6. Ce travail du deuil, lorsqu'il est vécu dans le cadre deI'analyse avec I'aide du transfert et du contre-transfert,conduit non seulement à de nouvelles formes d'interactionavec des partenaires actuels, mais aussi à une modificationintrapsychique structurelle.

La permission de savoir

Les parents ne sont bien évidemment pds uniquementdes bourreaux, mais il est important de savoir que dansbien des cas ils le sont aussi, et très souvent sans mêmes'en apercevoir. C'est un fait généralement assez peu connuet au contraire très contesté même chez les analystes, etc'est la raison pour laquelle je tiens particulièrement à enparler.

Les parents qui aiment leurs enfants devraient avoirplus que personne la curiosité de savoir ce qu'ils fontinconsciemment à leurs enfants. S'ils ne veulent rien ensavoir tout en se réclamant de leur amour, c'est qu'ilsn'ont pas véritablement le souci de la vie de leurs enfants,mais celui d'une sorte de comptabilité dans leur propreregistre de culpabilité. Et ce souci qu'ils portent en euxdepuis leur plus jeune âge les empêche de développerlibrement leur amour pour leurs enfants, et d'en tirerquelque enseignement que ce soit. Le domaine de la< pédagogie noire ) ne se limite pas à quelques principesd'éducation dépassés datant des siècles derniers. Ils étaientcertes appliqués alors consciemment et ouvertement alorsqu'on hésite davantage à les proclamer aujourd'hui, mais lapédagogie noire s'insinue quand même dans les principauxdomaines de notre existence. C'est précisément sonomniprésence qui la rend si difficile à cerner. C'est commeun virus, avec lequel nous aurions appris à vivre dès notreplus tendre enfance.

C'est aussi la raison pour laquelle, bien souvent, nousne nous doutons pas que nous pourrions vivre mieux etplus heureux sans lui. Les êtres les meilleurs du monde,habités des meilleures intentions comme par exemple lepère de A. (cf. p. ll3) peuvent en être atteints sans mêmele soupçonner. S'ils n'ont pas fait par hasard I'expérienced'une analyse, ils n'ont pas eu d'occasion de s'enapercevoir, c'est-à-dire qu'ils n'ont jamais été amenés à

308 C'est pour ton bien

remettre en question les convictions i composante affectivequ'ils ont héritées de leurs parents dès leur plus jeune âge.En dépit de leur sincère désir d'instaurer un mode decohabitation démocratique, la discrimination et I'absencede droits de I'enfant demeurent dans le fond une chosenaturelle à leurs yeux, car du fait même de ce qu'a étéI'expérience de leur propre enfance, ils ne peuvent guèrese représenter quelque chose d'autre. Leur stabilité estgarantie par le fait que cette attitude a été ancrée très tôtdans leur inconscient.

A cela vient s'ajouter un autre facteur de stabilisation.La plupart des adultes sont eux-mêmes des parents. Ilsont éduqué leur enfants en puisant dans les réservesinconscientes de I'expérience de leur propre enfance, etn'avaient guère la possibilité de se comporter autrement queleurs parents autrefois. Lorsqu'ils se trouvent directementconfrontés à l'idée que c'est dans son plus jeune âge queI'on peut faire à un enfant le plus de mal, et le mal quilaissera les traces les plus profondes, ils éprouvent bienévidemment des sentiments de culpabilité le plus souventinsupportables. C'est précisément chez les êtres élevéssuivant les principes de la < pédagogie noire D que I'idéede n'avoir pas été des parents idéaux peut susciter devéritables tortures, parce qu'ils ont vis-à-vis de leurs parentsintériorisés le devoir de ne pas avoir commis de fautes. Ilsauront donc tendance à se défendre d'acquérir de nouvellesconnaissances en la matière, en s'efforçant avec d'autantplus d'acharnement de se réfugier derrière les règlestraditionnelles d'éducation. Ils s'attacheront d'autant plusà répéter que la répression des sentiments, le devoir etI'obéissance ouvrent les portes d'une vie noble et juste, etque c'est (( en serrant les dents ) que I'on devient adulte ;ils sont obligés de se défendre de toute nouvelle informationsur l'univers du vécu de la petite enfance.

Les informations pertinentes ne sont pourtant pas diffici-les à trouver on peut même les recueillir << dans la rue >>.

Si I'on observe les enfants d'aujourd'hui qui grandissentdans une plus grande liberté, on en apprend beaucoup sur

La permission de savolr 309

les véritables lois de la vie affective demeurées cachécs auxgénérations précédentes. Prenons un exemple :

Une mère se trouve sur un terrain de jeu avec se petltÊfille de 3 ans, Marianne, qui s'accroche à ses jambes etsanglote à vous fendre le cæur. Comme j'en demande laraison, la mère me répond, pleine de compréhension,qu'elles reviennent juste de la gare où elles étaient alléesattendre papa et que papa n'est pas arrivé. Seul le papad'Ingrid est descendu du train. Je dis : << Oh, tu as dtêtre bien déçue ! >> L'enfant me regarde, de grosses larmesroulent sur ses joues, mais elle jette déjà un coup d'æilvers les autres enfants et deux minutes après elle s'amusejoyeusement avec eux. La douleur profonde ayant été vécueet non pas refoulée et contenue, elle a automatiquement faitplace à d'autres sentiments, plus joyeux.

Si I'observateur est assez ouvert pour tirer un enseigne-ment de cette scène, il ne peut qu'en être attristé. Il se

demandera forcément s'il se peut que tous les sacrificesqu'il a dû lui-même s'imposer n'aient pas été nécessaires.La colère et la douleur passent manifestement très vite sion les laisse s'exprimer. Se pourrait-il qu'il n'ait pas éténécessaire de lutter une vie entière contre I'envie et lahaine, et que leur puissance hostile que I'on sentait en soin'ait été que le produit et la conséquence de la répression ?

Se pourrait-il que la répression des sentiments, l'< équi-libre > calme et maître de soi que I'on s'est péniblementimposé, et dont on est si fier, ne représente en faitqu'un sinistre appauvrissement et non pas une ( valeurculturelle >> comme on s'est habitué jusqu'alors à leconsidérer ?

Si le témoin de la scène décrite précédemment étaitjusqu'alors fier de sa maîtrise de soi, une partie de cettefierté pourrait bien se transformer en colère, d'avoir ététrompé toute sa vie et frustré de la liberté de ses sentiments.Et cette colère, si elle est vraiment exprimée et vécue, peutpermettre le deuil de I'absurdité de ses propres sacrifices.Cette démarche qui va de la colère au deuil permet derompre le'cercle vicieux de la répétition. Qui n'a jamaispris conscience d'avoir été victime, pour avoir été élevédans I'idéologie du courage et de la domination de soi,

310 C'est pour ton bîen

risque fort d'être enclin à se venger sur la générationsuivante de son propre rôle de victime resté inconscient.Lorsque, au contraire, après une phase de colère on peutparvenir à éprouver le deuil, on éprouve aussi le deuil durôle de victime de ses propres parents, et I'on n'a plusbesoin de persécuter ses enfants. L'aptitude au deuilconstitue une alliance avec les enfants.

Cela vaut également pour les rapports avec les enfantsadultes. J'ai eu un jour un entretien avec un très jeunehomme qui en était à sa deuxième tentative de suicide etme dit : << Depuis la puberté je souffre de dépression etma vie n'a aucun sens. J'ai d'abord cru que c'était à causedes études, parce qu'il y a là tant de choses absurdes.Mais maintenant j'ai passé tous mes examens, et le videest encore plus terrible. Mais ces dépressions n'ont rien àvoir avec mon enfance, ma mère m'a dit que j'avais euune enfance très heureuse et très protégée. >

Nous nous sommes à nouveau rencontrés quelquesannées plus tard. Entre-temps, la mère de ce jeune hommeavait fait une analyse. La différence entre les deuxconversations était frappante. Il avait développé sa créati-vité non seulement dans son métier, mais dans tous lesautres domaines, et désormais il vivait incontestablementsa vie. Dans le cours de la conversation, il me dit :<< Lorsque ma mère est sortie de sa coquille grâce àI'analyse, elle a perdu ses æillères et elle a vu ce qu,ilsavaient tous les deux fait avec moi. Elle a commencé parm'encombrer avec ça en m'en parlant de plus en plussouvent - manifestement pour se soulager ou pour recevoirmon absolution -, en m'expliquant comment avec leursbons principes d'éducation, dans le fond ils m'avaientempêché de vivre. Au début, je ne voulais rien savoir, jel'évitais, je me mettais en colère contre elle. Mais, avec letemps, je me suis aperçu que ce quelle me racontait alorsétait la vérité. Il y avait quelque chose en moi qui savaittout cela depuis longtemps, mais je n'avais pas le droit dele savoir. Maintenant, ma mère montrait qu'elle avait laforce de regarder en face ce qui s'était passé et d'ensupporter tout le poids, sans rien épargner, renier, ni

La permission de savoir 3ll

déformer, parce qu'elle sentait qu'elle-même avait été aussiune victime, et je me sentais le droit de laisser s'exprimerce que je savais de mon passé. Ce fut un grand soulagement,de n'avoir plus à se jouer la comédie. Et ce qu'il y ad'étonnant, c'est qu'avec tout cet échec dont nous avonspris conscience tous les deux, je ressens ma mère commeun être bien plus humain, bien plus vivant et bien pluschaleureux que jamais dans le passé. Moi aussi je me sensplus libre et plus authentique. C'en est fini des effortspermanents pour déguiser la vérité. Elle n'a plus besoinde me prouver son amour pour couvrir ses sentiments deculpabilité ; je sens tout simplement son affection et sonamour. Elle n'a plus besoin non plus de me dire ce quej'ai à faire, elle me laisse être comme je suis, parce qu'elle-même en a le droit et qu'elle n'est plus sous I'emprise degrands principes. C'est une lourde charge dont j'ai étélibéré. J'ai plaisir à vivre, et j'y suis arrivé sans avoirbesoin de passer par une longue analyse. Mais aujourd'hui,je ne dirais plus que mes tentatives de suicide n'avaientrien à voir avec mon enfance. Tout simplement je n'avaispas le droit de m'en apercevoir, et cela ne faisait sansdoute qu'aggraver mon trouble. >>

Ce jeune homme décrivait là un processus qui est àI'origine de bien des troubles psychiques : la répression dece que I'on a su dans la petite enfance, qui ne peut se

manifester que par des symptômes physiques, par unecompulsion de répétition ou par I'effondrement dans letrouble psychotique. John Bowlby a écrit une étudeintitulée : << On knowing what you are not supposed toknow and feeling what you are not supposed to feel >>

(1979\ où il témoigne d'expériences analogues.

En relation avec cette histoire de tendance suicidaire, ilétait assez instructif pour moi de constater que, mêmedans des cas graves, chez des sujets jeunes, on peut se

dispenser d'une thérapie, si les parents ont la possibilitéde rompre le mur du silence et de la négation de la véritéet de confirmer à l'enfant que ses symptômes ne sont pasdu vent, qu'ils ne sont pas les suites d'un surmenage, dedivagations, d'un amollissement, d'une mauvaise lecture,

312 C'est pour ton bien

de mauvaises fréquentations, d'un conflit pulsionnelinterne, etc. A partir du moment où les parént, n'ontplus besoin de lutter fièvreusement contre ieurc propr"ssentiments de culpabilité et donc de les décharger sùr lèursenfants, mais qu'ils ont appris à admettre leur destin, ilsdonnent à leurs enfants la liberté de vivre non plus contremais avec leur passé. La connaissance physiq.te êt affectiveque porte en lui l'enfant devenu adulte peut alors concorderavec sa naissance intellectuelle. A partir du moment où cetravail du deuil est possible, les parenw se sentent alliésavec leurs enfants et non pas séparés d'eux - c'est unfait assez peu connu, parce que l,on tente rarement cegenre d'expériences. Mais là où elles sont possibles, lesfausses informations de la pédagogie s'effacent pout iuit"place à une connaissance de la vie que châcun peutatteindre à partir du moment où il pèut se fier à sespropres expériences.

Postfoce

Après avoir terminé et envoyé à l'éditeur le manuscritde cet ouvrage, je me suis entretenu de problèmes d'éduca-tion avec un jeune collègue très sensible, dont j'estimebeaucoup les travaux et qui est lui-même père de deuxenfants. D'après lui, il était regrettable que la psychanalysen'ait pas encore su poser les principes d'une pédagogiehumaine. J'exprimais quelques doutes sur la possibilitéd'une pédagogie humaine, disant que ma pratique psycha-nalytique rn'avait appris à percevoir les formes de manipu-lations les plus subtiles et les plus raffinées qui cherchaientà se faire passer pour une pédagogie. J'expliquai maconviction que toute pédagogie devenait superflue dès lorsque I'enfant avait pu avoir auprès de lui dans son enfanceune personne stable, qu'il pouvait utiliser au sens oùI'entend également rilinnicott, qu'il ne devait pas craindrede perdre, par qui il n'avait pas à craindre d'être abandonnés'il exprimait ce qu'il ressentait. Un enfant qui est pris ausérieux, respecté et soutenu dans ce sens-là peut faire sapropre expérience de lui-même et du monde et n'a pas desanctions à craindre de l'éducateur. Mon interlocuteur étaitd'accord sur ce point, mais pensait qu'il était quand mêmeimportant pour les parents de recevoir un certain nombrede directives concrètes. Je lui répondis par une formuleque j'ai déjà utilisée : << Si les parents réussissaient à porterà leurs enfants le même respect qu'ils ont toujours porté àleurs propres parents, ces enfants parviendraient à dévelop-per toutes leurs aptitudes dans le meilleur sens. )

Après un bref éclat de rire, mon collègue me regarda leplus sérieusement du monde et dit au bout d'un moment desilence : << Mais, ce n'est pas possible... D ( Pourquoi ? >demandai-je. << Parce que... parce que... les enfants neprennent pas de sanctions contre nous, ils ne nous menacentpas de nous abandonner si nous ne nous comportons pasbien. Et même s'ils le disent, nous savons qu'ils ne le

314 C'est pour ton bien

feraient pas...>> Mon collègue devenait de plus en pluspensif et me dit alors, en articulant très lentement : << Voussavez, je me demande si ce que I'on qualifie de pédagogien'est pas tout simplement un problème de pouvoir et sinous ne ferions pas mieux d'écrire davantage sur lesrapports cachés de pouvoir, eu€ de nous casser Ia têtepour inventer de meilleures méthodes d'éducation ? ><< C'est précisément ce que j'ai essayé de faire dans mondernier livre >>, répondis-je.

Le drame de I'individu bien élevé réside dans le faitqu'une fois adulte il ne peut pas savoir ce qui lui a étéfait, ni ce qu'il fait lui-même, s'il ne s'en est pas aperçutant qu'il était enfant. Des foules d'institutions en profitentet en particulier les régimes totalitaires. En cette époquede manipulation, la psychologie peut aussi rendre deterribles services au conditionnement de I'individu, de lafamille et de peuples tout entiers. Le conditionnement etla manipulation de I'autre ont toujours été une arme etun instrument de I'exercice du pouvoir, même s'ils sedéguisent sous les noms d'<< éducation >> ou de < thérapeuti-que )). Étant donné que l'exercice du pouvoir sur les àutreset I'abus de ce pouvoir ont le plus souvent pour fonctiond'empêcher l'émergence de nos propres sentiments d'im-puissance, et sont donc le plus souvent commandés parI'inconscient, les arguments d'ordre éthique ne peuventpas interrompre ce processus.

De la même manière que la technique a contribué àfaciliter Ie génocide sous le Troisième Reich, la connaissanceplus précise du comportement humain fondée sur I'informa-tique et la cybernétique peut conduire à un meurtrepsychologique de I'homme plus radical et plus efficace quel'ancienne psychologie intuitive. Il n'y a pas de moyen dese défendre de cette évolution ; même la psychanalyse n'enest pas un dans Ia mesure où elle court elle aussi le risqued'être utilisée comme moyen de pouvoir dans des institutsde formation. La seule solution qui reste à mes yeuxconsiste à renforcer l'objet de ces manipulations dans cequ'il ressent, à I'aider, en lui faisant prendre consciencede son inféodation, à se défendre, par ses propres forces

Postlace 315

et par l'expression de ses sentiments, du meurtre psychologi-que qui le menace.

Ce ne sont pas les psychologues mais les poètes qui fontI'avant-garde de leur époque. Au cours des dix dernièresannées les ouvrages autobiographiques se sont multipliés,et I'on observe très bien que I'idéalisation des parentss'atténue chez les auteurs les plus jeunes. La disposition às'exposer à Ia vérité de sa propre enfance et I'aptitude à lasupporter sont nettement plus marquées dans la générationde I'après-guerre. Des portraits de parents tels qu'on entrouve dans les ouvrages de Christoph Meckel (1980),Erika Burkart (1979), Karin Struck (1975), Ruth Rehmann(1979), Brigitte Schwaiger (1980), Barbara Frank (1979) etMargot Lang (1979), n'auraient guère été imaginables il ya trente ans, ni même vingt. J'y vois un grand espoir surla voie de la vérité, et en même temps la confirmation quemême un très léger allègement des principes d'éducationporte ses fruits, en permettant au moins aux auteurslittéraires une prise de conscience. Le fait que la scienceles suive à retardement est une chose bien connue.

Pendant cette même décennie où les auteurs littérairesdécouvrent l'importance affective de I'enfance et démas-quent les effets dévastateurs de I'exercice du pouvoirdéguisé sous le nom d'éducation, dans les universités,quatre années durant, les étudiants en psychologie appren-nent à considérer I'homme comme une machine pourmieux maîtriser son fonctionnement. Si I'on pense autemps et à l'énergie consacrés, dans les meilleures annéesde la vie, à gâcher la dernière chance de I'adolescence et àmaintenir en veilleuse, par la force de I'intellect scientifique,les sentiments particulièrement intenses qui se manifestentalors, on ne peut pas s'étonner qu'après ce sacrifice cespsychologues fassent aussi de leurs patients et de leursclients des victimes, et les traitent comme des instrumentsde leur savoir et non comme des êtres créatifs et autonomes.Il y a des traités de psychologie, prétendument objectifs etscientifiques, qui rappellent par leur acharnement autodes-tructeur l'officier de La Colonie pénitentioire de Kafka.L'attitude innocente et même confiante du condamné se

retrouve au contraire chez l'étudiant qui voudrait bien

316 C'est pour ton bien

pouvoir croire qu'en quatre ans d'études il n'a perdu queses forces et non pas sa substance.

Le peintre ou le poète expressionniste qui s'exprimaitau début du siècle a mieux compris la névrose de sontemps (ou en tout cas I'a mieux exprimée inconsciemment)que les professeurs de psychiatrie qui étaient ses contempo-rains. Les symptômes hystériques des patientes étaient lamise en scène inconsciente du traumatisme de leur enfance.Freud a réussi à décoder cette langue incompréhensiblepour les médecins, ce qui lui valut moins de reconnaissanceque d'hostilité parce qu'il avait osé toucher à des tabousde l'époque.

Les enfants qui s'aperçoivent de trop de choses sontpunis, et ils intériorisent si profondément les sanctionsqu'adultes ils n'ont plus à s'apercevoir de rien. Maiscomme, en dépit de toutes les sanctions, certains ne peuventpas renoncer à << s'apercevoir >> de beaucoup de choses,on peut espérer que, malgré la technicité de plus en pluspoussée des études psychologiques, Ia vision de la coloniepénitentiaire de Kafka ne s'applique qu'à certains domainesde notre existence et peut-être pas pour toujours. Carl'âme humaine est pratiquement indestructible, et ses

chances de renaître demeurent tant que le corps vit.

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Suhrkamp,Zimmer, Katharina (1979), Das einsome Kin4 Munjch, Kôsel.

Table des matières

Préface.

["'éducation ou la persécution du vivant

[,tt < pédagogie noire ))

Introduction....Les foyers de la haineRésuméLes valeurs (( sacrées >> de l'éducationLc mécanisme principal de la < pédagogie noire ) :

dissociation et proj ection

Existe-t-ilune < pédagogieblanche > ?

La douce violenceC'est l'éducateur et non I'enfant qui a besoin de lapédagogie. ll7

Le dernier acte du drame muet : le monde resteépouvanté 125

Introduction

La guerre d'extermination contre son propre moi

L'occasion manquée de la puberté

l3

l515

20768l

99

ll3ll3

t27

l3lr31

Quête et destruction du moi par la drogueLa logique cachée du comportement absurde

L'enfance d'AdolfI'horreur manifeste

Hitler : de I'horreur cachée à

lntroductionLe père - son destin et sa relation au filsLa mère - sa position dans la famille et son rôle

r33154

169

169t74

2r0225

229

dans la vie d'AdolfRésumé

Jtirgen Bartsch. Comprendre une vie par la fin

32A C'est pour ton bien

Introduction -.... .

< Tombéduciel ? )) -.--- 233

Que nous apprend un meurtre sur I'enfance dumeurtrier ? -... 239Lesmursdu silence 265

Conclusions..-..- 275

Angoisse, colère et deuil, mais pas de sentiments deculpabilité sur la voie d'une conciliation

Même la cruauté involontaire fait mal

279

28t

SylviaPlath et I'interdiction de lasouffrance 289

Lacolèrenonvécue 297

Lapermissiondesavoir 307

Postface 313

Bibliographie. 317

Cet ouvrage a été reproduit et achevé d'imprimer sur Roto-Pagepar I'Imprimerie Floch à Mayenne en septembre 1999.

No d'éd. FVzlOzl16. - No d'impr. 46928. - D.L. octobre 1984.(Imprimé en France)