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Mémoires d'un président de cour d'assises

itinéraire Collection dirigée

par Dan Franck

Jean Ullmann

M E M O I R E S

D U N

P R E S I D E N T

D E C O U R

D ' A S S I S E S

fayolle 23, rue de Choiseul

75002 Paris

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des publications de l 'éditeur de cet ouvrage, il vous suffit d 'adresser votre carte de visite aux

Éditions Fayolle, 23, rue de Choiseul, 75002 Paris

Tél. : 742-67-65

Couverture : Jerôme Lo Monaco

© 1978 Fayolle

Tous droits de traduction et d 'adaptat ion réservés pour tous pays.

ISBN 2-86221-035-8

A Martine et

à Nicole

Premier jour

« L'audience est ouverte. Accusé, quels sont vos nom, prénoms, date et lieu de naissance? »

La séance commencera ainsi. Nerveux et angoissé, j'évaluerai la salle. Puis je regarderai l'accusé. J'aurai pour lui une phrase, un geste. Dans son box, il restera sans voix, coincé entre deux gardes républicains, soucieux de l'impression qu'il laissera aux jurés. Par un mot, je tenterai de soulever la pesanteur qui invariablement se répand dans une salle de cour d'assises. Le procès, alors, commen- cera. Il durera trois jours. A son terme, Hervé, accusé de vol qualifié, de recel, d'homicide sur des agents de la force publique, Hervé connaîtra la sentence prononcée contre lui. Détention à perpé- tuité ou peine capitale. Sûrement pas moins.

Paris 6 septembre 1973. Soleil déjà froid qui glisse le long des façades.

Je marche dans cette rue Saint-Sulpice que je connais pour y vivre, cette rue, jadis rue des Aveugles, dont l'ancien nom est encore gravé dans la pierre, à l'angle de l'église. Boutiques à droite, boutiques à gauche, anachronisme des siècles : au-dessus du verre et des enseignes subsistent en- core les mansardes à poulie qui, autrefois, rece- vaient le grain des meuniers. Plus loin, les vieilles bâtisses se suivent les unes les autres, ornées d'écussons et de mascarons. Ici, jusqu'au XV siècle, poussaient des vignobles.

J'ai jugé près de deux cents affaires. Les procès n'ont jamais été faciles. Le flegme d'un président de cour d'assises n'est qu'apparence et maintien: il s'agit de se dominer. Face à la peine de mort, il se peut que les nerfs lâchent, qu'une fissure s'élar- gisse, que des doutes apparaissent. Mais il faut juger. L'angoisse, si elle existe, est irrecevable dans un prétoire. Elle reste personnelle. Au Palais, elle court le long des couloirs, mais elle demeure inexprimée. Chacun connaît la difficulté des dos- siers; chacun sait ce qu'encourt l'accusé. Personne n'en parle. La peine de mort, quand elle est là, quand elle rôde, quand on la devine, n'est pas réductible à une somme d'avis et d'opinions échan- gés superbement lors d'un dîner. La guillotine, c'est d'abord une machine dont on décide la mise en action en certains endroits; vivre cette décision ne relève pas du domaine des idées, mais de celui de la conscience. Et à moins que le jeu des circons- tances atténuantes ne lui soit favorable, Hervé risque fort d'être condamné à la peine capitale. Je connais l'avocat général : l'affaire présente une telle gravité qu'il lui sera difficile de requérir avec clémence.

Place Saint-Michel. Ici, étant jeune, je retrouvais mes amis. Ensemble, nous remontions le boulevard jusqu'au lycée Louis-le-Grand, « la vieille maison de la rue Saint-Jacques », comme l'appelait notre proviseur, M. Ferté. Nous vécûmes là les der- nières années d'une époque tranquille. Rastignacs en puissance, nous déambulions sur le trottoir gauche du Saint-Michel, laissant l'autre côté (« le trottoir des cocus ») à ceux qui préféraient l'Odéon à la place Maubert. Max Régnier débutait dans les cabarets; le studio des Ursulines passait Un chien andalou et l'Age d'or. Réunis au « May eux », au « Soufflot », au « d'Harcourt » ou au « Cluny »,

cafés « réservés », nous parlions des surréalistes et de leurs œuvres.

7 mars 1969 Guy Hervé et Roger Malissard brisent la vitrine

d'un magasin, s'emparent de deux blousons de cuir, volent une voiture et démarrent. Il est près de minuit. Deux motocyclistes de la Préfecture de police, intrigués par le comportement de ces auto- mobilistes qui semblent vouloir les éviter, se lancent à leur poursuite. Ils parviennent à stopper le véhicule et, rapidement, constatent qu'il est volé : aucune clé n'apparaît au tableau de bord. Hervé — qui est au volant — donne ses papiers au brigadier Bisch tandis que le brigadier Vessereau interpelle Malissard. Hervé, alors, sort un revolver de sa ceinture et tire. Huit fois. Il tue Bisch, blesse son collègue. Puis il s'enfuit...

Près de trois mois plus tard, les policiers arrêtent Hervé. Dans la pièce qu'il occupe, ils trouvent un pistolet MAB de 7,65 mm et trois chargeurs pleins. Hervé se rend sans difficulté. Ses cheveux et sa moustache sont teints en roux. Dans son porte- feuille, les policiers découvrent une lettre datée du 15 mars, dans laquelle Hervé reconnaît être l'au- teur de quatre agressions à main armée et de la fusillade qui coûta la vie au brigadier Bisch. En outre, il affirme aux inspecteurs avoir voulu se suicider, mais n'en avoir pas eu le courage.

Malissard, quant à lui, fut arrêté dans une chambre d'hôtel. Il ne chercha ni à fuir ni à s'oppo- ser aux agents venus l'interpeller.

Me Philippe Lemaire assistera Hervé. Lourde tâche. Naguère, avec Me Badinter, il défendit Bontems. Les journaux, alors, titraient sur le drame de la maison centrale de Clairvaux, sur l'assassinat d'une infirmière et d'un gardien, sur la peine capi-

tale dont étaient passibles Bontems et Buffet. Tout au long du procès, Me Lemaire s'était battu pied à pied, s'efforçant d'épargner à Bontems la guil- lotine, que Buffet réclamait — non seulement pour lui, mais également pour son camarade. Les cir- constances atténuantes furent refusées. Le recours en grâce également. Au matin du 28 novembre 1972, Me Philippe Lemaire accompagna son client dans la cour de la Santé.

Le soleil se reflète sur l'ancienne résidence des rois capétiens, devenue, depuis le XV siècle, le Palais de Justice de Paris. Le bâtiment, aujourd'hui, ne suffit plus aux besoins de la justice : trop de procès, donc trop de personnel. Tant bien que mal, on a tenté de caser tout ce monde dans des lo- caux désormais exigus.

Au troisième étage de l'édifice se trouve le cabinet 111, dont j'aperçois la fenêtre. Là, avec M. Charnay, mon greffier, j'ai passé huit années de ma vie à constituer des dossiers pénaux. J'étais alors juge d'instruction, spécialisé dans les affaires de contrefaçon et de brevets d'invention. On m'avait attribué une pièce minuscule — le cabinet 111 — qui, auparavant, était l'arrière-salle d'un local plus vaste où venaient les avocats désireux de consulter leurs dossiers. Les dimensions des cabinets empêchaient les confrontations de plus de deux personnes; certains magistrats, parfois, installaient leurs témoins sur des chaises dans le couloir, au détriment du secret de l'instruction.

Je pénètre dans les bâtiments par la porte du quai des Orfèvres, préférant délaisser l'entrée prin- cipale pour ne pas rencontrer d'avocats : con- naissant l'affaire que je dois présider aujourd'hui, ils ne manqueraient pas de venir me saluer. Ces

contacts sont agréables, certes, mais il est des jours où la solennité glacée du Palais de Justice vaut mieux que des poignées de main compassées.

La galerie des Prisonniers, dont j'aime les voûtes aplaties, est vide. A gauche, aboutit la galerie Duc, qui traverse le Palais dans le sens de la largeur. A droite, c'est la Cour de cassation et la galerie Saint- Louis. La galerie Lamoignon fait suite à la galerie Duc. Sur la gauche, après les dépendances de la chambre des appels correctionnels, se trouve l'en- trée de la cour d'assises, réservée aux magi-strats et aux jurés. Au loin, tranchant sur la pénombre des couloirs, jaillit la lumière venue de la face ouest du Palais.

Les journalistes de la presse judiciaire sont déjà là. J'en connais certains, ceux qui perpétuent la tra- dition des grands chroniqueurs. Les autres ne m'intéressent pas : je n'aime ni leur subjectivité ni la passion, souvent politique, qu'ils insufflent à leurs articles. Des yeux, je cherche Frédéric Potte- cher. De tous les représentants de la presse, c'est sans doute celui qui m'est le moins étranger : pendant la guerre, nous étions dans le même camp, prisonniers des Allemands. Nous travaillions dans des bureaux et j'aidais Pottecher à se réveiller quand les gardiens arrivaient. J'estimais cet homme dont j'avais lu les reportages dans « Paris-Soir ». Sa personnalité m'avait séduit. Il imitait parfaitement les voix de Daladier, de Reynaud ou de Briand; allongés sur nos châlits, nous l'écoutions pendant des heures, oubliant les rigueurs de la détention. Un jour, lui et moi fûmes punis, et contraints, durant une journée, de suivre le régime dit de la « Straff compagnie », ou compagnie disciplinaire. Il s'agissait d'effectuer des exercices d'une rare stupi- dité : se lever, se coucher, courir à cloche-pied en tenant le talon du camarade qui nous précédait. Le tout était, bien sûr, ponctué par les coups de sifflet d'un adjudant qui, progressivement, accé-

lérait le rythme de ses injonctions. Un feldwebel attendait ceux qui tombaient, une matraque à la main. Frédéric me suivait, soufflant, râlant, jurant.

A la fin de la journée, l'épuisement eut raison de lui, et je dus le ramener sur sa paillasse, où il s'effondra lourdement. Le lendemain, il affecta de porter son calot de travers, signe d'un méconten- tement extrême : Pottecher exprimait son humeur par son accoutrement; suivant la position de son béret, chacun connaissait les états d'âme du grand reporter de « Paris-Soir ».

« Malade », Frédéric parvint à obtenir sa libé- ration. A l'occasion de son départ, il tint à nous faire un discours. Tout en se grattant (les parasites ne manquaient pas), il commença à parler. Puis, il sortit un méchant bout de chocolat, qu'il croqua rapidement. Enfin, il éclata en sanglots. Entre deux hoquets, il nous expliqua que la pensée de nous laisser en Bavière lui était insupportable.

Je demande aux deux appariteurs chargés de s'occuper des jurés s'ils ont vu mon ami. Ils me répondent que non et s'étonnent du nombre de journalistes présents.

« Affaire importante, dis-je, dont la presse a beaucoup parlé. » Je leur serre la main et traverse le couloir. M. Wilmès, greffier de la cour d'assises, demeure invisible. Cet homme, collaborateur pré- cieux, reprit au Palais la charge de son père. J'ad- mire sa compétence : je sais combien il est malaisé de préparer les audiences, de faire venir les dossiers du greffe criminel, de veiller aux convocations des témoins et des experts.

Pierre Callaud, avocat général, est dans son bureau. Par la porte restée entrouverte, je le regarde, me demandant, une fois de plus, comment il concilie son humanité naturelle avec la rigueur de sa tâche.

Je connais Callaud depuis trente-sept ans. J'ai

tant de fois scruté ses expressions lors de procès difficiles que je sais, à une crispation de la lèvre, à un mouvement de la mâchoire, dans quel état se trouve l'avocat général. Aujourd'hui, il est tendu et nerveux.

« Bonjour Pierre », dis-je en entrant. Callaud me désigne un siège : « Bonjour Ullmann. » Il articule mon nom à sa manière, roulant les « 1 »

et appuyant sur le « u » — qu'il prononce « ou ». Je voudrais l'interroger sur le sens de ses réquisi- tions... et lui, sans doute, sur la composition du jury. Mais nous nous abstenons : question de pudeur.

« Sais-tu, demande-t-il, que les gardiens de la paix assisteront au procès d'aujourd'hui? »

Il me tend une dépêche de l'A.F.P., que je lis :

GARDIENS DE LA PAIX INVITÉS A ASSISTER AU PROCÈS GUY HERVÉ AUX ASSISES DE PARIS

MARS 24 SEPTEMBRE (AFP)

LE SYNDICAT PROFESSIONNEL DE LA POLICE NATIONALE (CRÉE EN AVRIL 1973) INVITE LES GARDIENS DE LA PAIX DE LA POLICE NATIONALE A ASSISTER CHAQUE JOUR, DU 26 AU 29 SEPTEMBRE, A PARTIR DE 13H30, AUX SÉANCES DE LA COUR D'ASSISES DE PARIS LORS DU PROCÈS DE GUY HERVÉ QUI ASSASSINA DANS LA NUIT DU 7 AU 8 MARS 1969 UN BRIGADIER MOTOCYCLISTE DE LA PRÉFECTURE DE POLICE DE PARIS.

LE SYNDICAT, QUI ÉVOQUE LES QUATRE ANNÉES ET DEMI QU'IL A FALLU POUR QUE LE ROLE SOIT INSCRIT AU TRIBUNAL PRÉCISE QUE CETTE MANIFESTATION SE FERA DANS « LA DIGNITÉ, LE CALME ET LA DISCIPLINE POUR TÉMOIGNER DE LA SOLIDARITÉ PROFESSIONNELLE ET MORALE, QUI UNIT LES AGENTS DANS CE LOURD TRIBUT PAYÉ A LA SOCIÉTÉ ».

D'AUTRE PART, LE SYNDICAT DÉCLARE QU'IL « VA SE MONTRER ATTENTIF AU JUGEMENT QUI SERA RENDU » ET

S. M... Fleury Mérogis 1er Décembre 1976 Fleury Mérogis

Monsieur Ullmann, Président de la Cour d'assises de Paris

Il y a maintenant presque un an que j'ai été jugé par la Cour d'assises de Paris dont vous étiez Président à cette époque. J'ai été condamné par cette même Cour à trois années d'empri- sonnement ferme; depuis quelques mois la peine prononcée est terminée. Je tiens à vous dire que j'étais et je suis innocent, ce n'était pas moi l'auteur de la tentative de vol qualifié commise à l'hôtel Victoria Palace.

J'ai été très étonné de constater de la manière dont j'ai été jugé et préjugé, cela au début, à l'arrestation, comment a été menée l'instruction, tous les points me disculpant ont été négligés volontairement. Veuillez recevoir Monsieur le Président Ullmann, l'expression de mes sentiments respectueux.

C.-R. G... Le 30 Janvier 1974 Fleury-Mérogis

Monsieur le Président

J'ignore si cela se fait, mais je tiens à vous remercier ainsi que vos assesseurs et les membres du Jury pour l'impar- tialité dont vous avez fait preuve et la confiance que vous avez mise en moi par ce verdict prononcé hier.

Maître C... a dû vous remercier de vive voix hier, comme je le lui avait demandé, de ma part mais je tenais à vous l'écrire.

A l'avenir, vous pouvez être persuadé ainsi que le Jury et vos assesseurs, que plus jamais je ne me retrouverai devant un tribunal quel qu'il soit.

Je vous prie de croire Monsieur le Président en mes plus sincères salutations.

K. C... Paris, la Santé, le 16 Mars 1973 La Santé

A Monsieur ULLMAN Président de la Cour d'Assise de Paris

Monsieur le Président

C'est à la veille de comparaître devant votre juridiction que j'ai décidé de vous adresser cette lettre pour vous dire, ce que l'appréhension et l'émotion m'empêcheront d'exprimer le Jour du Jugement.

Cette émotion qui m'étreint déjà est dictée par l'angoisse de passer aux yeux du public pour un être que je ne suis pas.

Voilà, à présent deux ans, jour pour jour que je suis prévenu dans cette prison pour un acte que l'on peut qualifier d'odieux. J'en suis moi-même conscient et avec le recul, je considère mon geste avec plus de clairvoyance. Vous dire que je le regrette est d'une logique la plus commune et qui peut appeler l'ironie. Pourtant, lorsqu'il me faudra répondre à vos questions, ces regrets seront à mes yeux, les seuls et réels arguments de ma défense.

Lorsque je regarde les éléments du drame, qui me conduit ici, je repense à l'adolescent que j'étais, la finalité d'une simple rixe qui devait avoir pour moi des conséquences effroyables. Aujourd'hui c'est l'homme devant ses propres responsabilités que je suis devenu, qui vous écrit. Ces respon- sabilités, je suis près à les assumer avec tout le courage qui me reste, après une détention déjà trop dûre.

Je suis prêt à prouver à la cour, ce dont je suis capable et à concrétiser mes dires dans la mesure où elle me laissera ma chance. Car Monsieur, je refuse de croire qu'à mon âge l'on soit irrécupérable, et cette seule lettre en est le témoi- gnage.

Je vous prie, Monsieur le Président, de prendre en consi- dération cette lettre, de croire en ma sincérité et en mon honnêteté.

Veuillez, je vous prie agréer l'expression de mes sentiments respectueux.

C.-M. P... Le 23 Mars 1968 PONTOISE

à

Monsieur le Président Palais de Justice

PONTOISE

Monsieur le Président,

J'ai été jugé le 20 MARS 1968 pour le meurtre de mon épouse. Je sais que mon chagrin est sans consolation, que je n'étais pas capable de commettre un tel acte comme j'ai essayé de la dire, mais avec beaucoup de maladresse; que je n'ai jamais pu me défendre comme j'aurais dû. Je sais aussi que j'ai besoin d'affection mais, Monsieur le Président, je voudrais tant que l'on me fasse confiance — c'est tellement important pour moi — et que l'on sache qu'aujourd'hui mon âme n'est pas si mauvaise, et que la pensée de ma mère, non plus, ne m'avait jamais quitté.

Je vous prie de croire, Monsieur le Président, en l'expres- sion de mes sentiments bons, et respectueux.

Les accusations de Madame G... étaient bien fausses. J'ai bien tué mon épouse sous l'empire de la PASSION. Notre vie était bien difficile à comprendre c'est cette passion qui avait faussé mon jugement à l'époque.

Note

Condamné à quinze ans de réclusion criminelle et libéré avant l'expira- tion de sa peine, cet homme s'est suicidé par le feu, dans la rue. Sans commentaire.

Dan Franck

L. G... La Santé 10-11-73

Monsieur le Président,

Avant tout, je m'excuse de prendre la liberté de vous écrire, mais je ne sais a qui exposer mon cas et c'est à vous que je m'adresse car je suis certain qu'en dehors du Président il y a aussi le côté humain et compréhensif.

Lorsque j 'aurai terminé ma peine il me faudra repartir à zéro avec cinq cent francs en poche, l'impossibilité d 'un travail manuel (vu mes fractures à la colonne vertébrale et aux deux jambes) et sans spécialités intellectuelles.

Le Directeur m 'a parlé de Melun où il y a la possibilité de se diriger sur l ' imprimerie c'est un travail lucratif, et qui offre des débouchés même à des gens comme moi malgré le casier judiciaire chargé. Étant donné ma bonne conduite et ma résolution de changer, il veut bien essayer de me diriger vers cette centrale, mais je crois qu'il faut un appui. Je veux avoir une vie normale, Monsieur le Président, c'est une chance pour moi de changer, j 'a i besoin d'aide, en me dirigeant sur cette Centrale, sur ce métier, vous pouvez me donner cette chance, j 'espère que c'est dans vos possibilités et surtout que vous voudrez bien vous pencher sur mon cas.

Je vous remercie infiniment pour tout et vous demande de croire,

Monsieur le Président,

à mon plus sincère respect.

L. B... La Santé

Monsieur Ullmann,

Cette lettre que j 'espère vous lirez — est la conscience d 'un Reste d 'Homme. J 'ai eu le triste privilège d'être condamné à six années de Réclusion Criminelle. J'avais commis un crime. Je devais être puni. Mais doit-on ressembler à un ver de terre pour avoir des circonstances atténuantes. Êtes-vous Humain?

Comment croyez-vous que l 'Homme sorte d 'une prison où il passe 23 heures sur 24 dans une surface égale à votre table de salle à manger? Vous avez écouté ces experts qui sont de véritables voyants à Boule de Cristal qui m 'on t vu 10 minutes chacun et savez tout de ma vie — en surface. Mais à l ' intérieur il y a un cœur, donc une Ame. Mais cette Ame vous ne pouvez pas y toucher quel que soit votre pouvoir.

Car mon Ame est pure, et si vous avez pu voir ce corps que je suis, c'est grâce a mon petit être cher qui est avec sa maman.

Je ne vis que pour cela.

Avez-vous seulement des enfants? Si vous en avez pas vous ne pouvez pas comprendre.

Si vous en avez regardez vos enfants ou peut-être petits- enfants vivre — Rire manger et dormir — c'est beau très Beau encore faut-il avoir des yeux et un cœur sur ce cœur. Je m'arrête.

Fresnes le 23 mai 1973

Monsieur le Président de la Cour d'Assises Palais de Justice 75 — Paris

Monsieur le Président,

Par ce moyen je voudrais vous faire part des sentiments que j'éprouve aujourd'hui à l'égard du jugement prononcé par la cour d'assises le 22-5-1973.

Permettez-moi tout d'abord de vous remercier pour votre impartialité et votre mansuétude, manifestées tout personnellement au cours de cette audience.

Toutefois, je tiens également à vous préciser que mon interprétation de la justice ne peut-être susceptible de modification, distinguant les conclusions du Jury et du tribunal proprement dit.

Certes, la Justice a rendu son verdict; néanmoins, si c'est là sa représentation formelle et définitive, je persiste à douter de son efficacité.

La vindicte publique, la vengeance ou son esprit n'ont pas été sans influencer la décision; la crainte peut- être...

Je ne suis pas victime de la société; je suis coupable d'un acte grave... mais une fois seulement. J'ai été jugé, condamné, et ai effectué cinq années de la peine qui sanctionna une culpabilité établie et reconnue.

Treize années plus tard, il ne s'agit plus de juger mais d'une humiliation et d'une élimination implacables. La sentence du 22-5 est vraisemblablement le résultat logique de mon comportement. Cependant a-t-on essayé d'analyser ou seulement de comprendre celui-ci ? A plus forte raison qu'au climat qu'il suscita doivent s'ajouter les impressions défa- vorables produites par l'aspect physique du personnage. Voilà autant de questions posées.

Maintenant que l'œuvre de la Justice est accomplie, mon avenir immédiat est tracé pour au moins six ans, et dès lors la société satisfaite se désinterresse de mon sort. Croit-elle ainsi m'assurer de mon entière participation à son entité? Viendra-t-on aussi et encore me parler d'amendement? de repentir ?

Mon opposition profonde face aux évènements m'incite à une réflexion intime : les valeurs vraies autorisent- elles la conscience humaine à condamner froidement à deux reprises un même homme pour un seul et même acte, et cet homme peut-il accepter cet état de choses sans se révolter?

Vous le constatez, Monsieur le Président, ces sentiments exprimés sont les miens. S'ils sont incomplets ou utopiques, je ne pense pas qu'ils soient entièrement faux. Évidemment je laisse à votre libre arbitre le sens que vous voudrez bien leur donner.

Daignez agréer, Monsieur le Président, l'expression de mon profond respect.

H. G. Fresnes

Paris, le 1/12/76 S. J.

Monsieur le Président,

Veuillez t rouver dans ce petit paquet a t tenant à cette lettre, un objet que je crois discret et que j ' aura is souhaité voir placé dans la salle de délibération du jury.

Il va sans dire que si la moindre objection s'élève à l 'encontre de cette réalisation, c 'est à vous même que je l'offre, en hommage à la distinction de votre culture et à l 'urbanité de vos relations.

Croyez, Monsieur le Président au très vif plaisir que j 'a i eu à faire votre connaissance et à l 'expression de mes respectueux sentiments.

P.S. Cette statuette représente la Vierge de Lourdes, telle que l 'a décrite Ste Bernadette.

Pour Monsieur le Président J. Ullmann A Dreyfus Martyrisé Juin 1976

Jadis Contre l'iniquité Zola avec courage Pour sauver Dreyfus Chercha la Vérité Et publia : « J'accuse » Mettant bas tout l'ouvrage des Gens « dits » Bien Pensants mais de petite conscience Voulant, tels des Forbans En état de démence Noyer Justice et Vérité

De même fit Voltaire Pour défendre Callas! D'une aussi triste affaire Démasquant le Judas Hypocrite et partial Capitaine Sans honneur et dignité qui, Pour satisfaire la foule Voulait aussi noyer la Vérité

Conclusion A mauvaises causes Inutiles Débats La Vérité toujours triomphera laissant la conscience des Misérables en cause Jusqu'à leur mort tourmentée N'ayant plus autre chose à léguer à leur descendance qu'un souvenir de malhonnêteté

Juges et Magistrats à quelles peines avez vous été condamnés? pour l'affaire Dreyfus?

le savez Vous? J'aimerai savoir

T.