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SPINOSI & SUREAU SCP d’Avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation 16 Boulevard Raspail 75007 PARIS CONSEIL D’ÉTAT SECTION DU CONTENTIEUX REFERE LIBERTE (art. L. 521-2 du code de justice administrative) MEMOIRE EN REPLIQUE POUR : 1/ La Ligue des droits de l’Homme 2/ Mme Françoise DUMONT 3/ M. Henri LECLERC SCP SPINOSI & SUREAU CONTRE : Le ministre de l’intérieur Sur la requête n° 396.220

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SPINOSI & SUREAU SCP d’Avocat au Conseil d’Etat

et à la Cour de cassation 16 Boulevard Raspail

75007 PARIS  

CONSEIL D’ÉTAT

SECTION DU CONTENTIEUX

REFERE LIBERTE (art. L. 521-2 du code de justice administrative)

MEMOIRE EN REPLIQUE

POUR : 1/ La Ligue des droits de l’Homme 2/ Mme Françoise DUMONT 3/ M. Henri LECLERC

SCP SPINOSI & SUREAU

CONTRE : Le ministre de l’intérieur

Sur la requête n° 396.220

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DISCUSSION I. En réponse au mémoire en défense produit par le ministre de l’intérieur, les requérants entendent présenter les observations suivantes. Sur la recevabilité II. En premier lieu, le ministre de l’intérieur prétend que « les conclusions principales des requérants ne pourront qu’être rejetées comme irrecevables » au motif que les mesures tendant à la suspension de l’état d’urgence ne relèveraient pas du champ des mesures susceptibles d’être ordonnées en référé (cf. le mémoire en défense, pages 4-5). II-1 A cet égard, et d’emblée, il y a lieu de relever que le ministre de l’intérieur ne conteste nullement la notable évolution de la jurisprudence du Conseil d’Etat quant à la reconnaissance de la possibilité pour le juge des référés, saisi notamment au titre de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, de prescrire des mesures qui ne présentent pas un caractère provisoire (cf. la requête introductive au point IX-3). Tout au plus le ministre tente-t-il de faire valoir que les demandes des requérants présentées à titre principal et subsidiaire ne relèveraient pas de l’exception ainsi reconnue. Mais l’argumentation forgée au soutien de cette thèse peine singulièrement à convaincre. II-2 En effet, le ministre se borne à affirmer que « la déclaration de l’état d’urgence n’emporte, par elle-même, aucune atteinte aux libertés fondamentales » et que « l’entrée en vigueur de ce régime reste sans effet sur l’exercice des droits et libertés » (cf. le mémoire en défense, page 5). Une telle assertion, pour le moins surprenante, ne saurait prospérer.

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II-2.1 D’une part, ainsi que les requérants l’ont déjà amplement démontré (cf. la requête introductive au point XIV-2.2), le seul fait qu’ils n’aient pas été directement visés, à ce jour du moins, par des mesures prises sur le fondement de l’état d’urgence est parfaitement indifférent. En effet, il convient de tenir compte de « l’effet dissuasif » qu’un tel régime est susceptible d’emporter sur le libre exercice des libertés fondamentales, telle que la liberté de manifester et de se réunir (v. Cour EDH, Grande Chambre, 15 octobre 2015, Kudrevičius et autres c. Lituanie, Req. n° 37553/05, § 100 ; v. aussi mutatis mutandis Cour EDH, Grande Chambre, 23 avril 2015, Morice c. France, Req. n° 29369/10, § 127). Dès lors, à rebours complet des affirmations du ministre de l’intérieur, cette seule circonstance suffit à révéler que l’existence même de l’état d’urgence affecte notablement l’exercice des droits et libertés de l’ensemble de personnes qui résident habituellement dans l’espace géographique d’application de ce régime. Tel est d’ailleurs précisément le sens univoque de l’ordonnance rendue en 2005 par le juge des référés du Conseil d’Etat (CE, Ord. 9 décembre 2005, n° 287.777). II-2.2 D’autre part, s’agissant tout particulièrement de l’association requérante, le ministre de l’intérieur ne conteste pas qu’il lui est parfaitement loisible d’alléguer d’atteintes portées aux intérêts et libertés fondamentales qu’elle s’est donnée pour mission statutaire de défendre. Et ce, même si elle n’a pas « directement et personnellement » subie de telles atteintes (cf. la requête introductive au point XI-4). Partant, les requérants ne peuvent que persister à conclure que le juge des référés est nécessairement compétent pour connaître des demandes formulées par les requérants à titre principal et subsidiaire, dès lors que seule une suspension – en tout ou partie – du régime de l’état d’urgence est à même de faire cesser les atteintes aux libertés fondamentales et donc d’assurer un exercice effectif de celles-ci.

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II-3 En tout état de cause, et de nouveau, il est indéniable le juge des référés peut enjoindre au Président de la République de procéder à un réexamen des circonstances de fait et de droit qui ont conduit à la mise en œuvre de l’état d’urgence. A cet égard, contrairement à ce qu’affirme le ministre de l’intérieur (cf. le mémoire en défense, page 4), le seul fait que le Président envisage de déposer un projet de loi prolongeant l’état d’urgence pour une durée supplémentaire de 3 mois ne saurait en aucune façon priver d’objet la demande présentée à ce titre par les requérants. En effet, il convient de rappeler qu’à ce jour encore et en vertu de la loi du 20 novembre 2015, l’état d’urgence a vocation à persister durant encore un mois, sauf si le Président de la République y met fin de façon anticipée en vertu de l’article 3 de cette dernière loi. Or, quelque soit le pouvoir d’appréciation concédée au Président de la République, il est acquis que l’exercice de ce pouvoir ne peut « échapper […] à tout contrôle de la part du juge de la légalité » (CE, Ord. 9 décembre 2005, n° 287.777). Dans ces conditions, à supposer même que le réexamen des circonstances soit déjà « réalisé de façon constante » par le Président de la République, comme l’affirme le ministre de l’intérieur, un tel réexamen demeure sous le regard juridictionnel. En outre, sauf à méconnaître profondément les règles constitutionnelles de répartition des compétences entre le Président de la République et le Gouvernement, d’une part, et le Parlement, d’autre part, le ministre de l’intérieur ne saurait préjuger de l’appréciation souveraine du législateur, si d’aventure celui-ci était appelé à se prononcer sur une prorogation de l’état d’urgence. Sur l’urgence III. En deuxième lieu, le ministre de l’intérieur avance que « le maintien du régime de l’état d’urgence ne crée, par lui-même, aucune situation d’urgence » (cf. le mémoire en défense, page 5).

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Là encore, une telle affirmation est radicalement infondée. III-1 D’une part, ainsi que les requérants l’ont déjà amplement démontré, l’existence même du régime de l’état d’urgence affecte l’exercice des libertés fondamentales des personnes qui résident à l’intérieur de sa zone géographique d’application, ce qui suffit en soi à caractériser la condition d’urgence requise par l’article L. 521-2 du code de justice administrative (cf. supra II-1 et la requête introductive au point XIV-1 et s.). Une fois de plus, il n’est d’ailleurs pas inutile de rappeler que telle fut nettement l’analyse du juge des référés du Conseil d’Etat en 2005 (CE, Ord. 9 décembre 2005, n° 287.777). III-2 D’autre part, la seule circonstance que « le Président a[it] annoncé qu’un projet de loi prorogeant l’état d’urgence serait présenté au conseil des ministres le 3 février prochain » (cf. le mémoire en défense, page 5) est sans aucune incidence sur la caractérisation de l’urgence. Une fois encore, le ministre de l’intérieur ne saurait préjuger de l’appréciation du législateur quand à une éventuelle prolongation de l’état d’urgence. A ce jour encore, l’urgence persiste dès lors que le régime ainsi déclaré le 14 novembre 2015 et prorogé par la loi du 20 novembre a vocation à persister jusqu’au 26 février 2016. Sur l’atteinte grave et manifestement illégale à des libertés fondamentales IV. En troisième et dernier lieu, le ministre de l’intérieur tente de faire valoir qu’en s’abstenant de mettre fin à l’état d’urgence, le Président de la République n’aurait pas porté, dans l’exercice des pouvoirs qu’il tient de l’article 3 de la loi du 20 novembre 2015, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales (cf. le mémoire en défense, pages 6 à 12).

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Mais à aucun moment l’argumentation forgée en ce sens par le ministre de l’intérieur ne parvient à emporter la conviction. Bien au contraire, la teneur même des affirmations ministérielles conforte pleinement l’analyse et les prétentions des requérants. V. En effet, et à titre liminaire, les requérants tiennent à rappeler fermement que si la lutte contre le terrorisme est un objectif majeur dont nul ne peut décemment contester la légitimité, elle ne saurait justifier que le régime de l’état d’urgence puisse se soustraire aux impératifs essentiels et même vitaux de l’Etat de droit (cf. la requête introductive au point XVI-1 et s.). Certes, les requérants n’ignorent pas combien l’état d’urgence recèle un véritable piège politique car, comme l’a souligné le Président de la commission des Lois de l’Assemblée Nationale, « y entrer était une décision consensuelle » mais « en sortir sera un acte délicat à prendre car tous les périls majeurs ne présentent pas une fin abrupte et nette » (Prod. 1 de la requête introductive). Plus encore, avec la Commission nationale consultative des droits de l’homme, les requérants ont conscience que « la cessation de l’état d’urgence est, à l’évidence, une décision politique difficile » (Prod. 10 de la requête introductive). Néanmoins, sauf à saper radicalement les fondements même de l’Etat de droit et de ses piliers que sont les droits et libertés fondamentaux, ce piège politique ne saurait se transformer en piège juridique. V-1 D’une part, l’état d’urgence ne doit pas se muer en régime de confort pour les autorités. Or, à cet égard, l’argumentation du ministre de l’intérieur est édifiante. En effet, le ministre en vient à justifier la persistance de ce régime non seulement par « la permanence d’une menace diffuse », mais aussi par de simples nécessités tenant à la lutte contre la délinquance ou la

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criminalité de droit commun (cf. le mémoire en défense, pages 8 et 10). Autant d’éléments qui ne peuvent que fonder un maintien perpétuel d’un régime pourtant conçu comme exceptionnel. Pourtant, comme l’a encore récemment rappelé le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe dans une lettre en date du 22 janvier 2016 qui reprend les propos du Président de la République, « l’état d’urgence […] n’a pas vocation à durer » (Prod. 1). V-2 D’autre part, et corrélativement, le régime de l’état d’urgence ne saurait se libérer des contraintes de l’Etat de droit. A ce titre, l’action des autorités publiques – en particulier exécutives – ne peuvent prétendre s’abstraire de tout contrôle public et juridictionnel. Dès lors, il est pour le moins incongru que le ministre de l’intérieur tente d’éluder un tel contrôle en affirmant qu’« il n’appartient pas aux requérants de discuter des méthodes des services de renseignement » (cf. le mémoire en défense, page 11). A rebours complet d’une telle assertion, qui illustre à l’envi les insuffisances manifestes de l’argumentation ministérielle, c’est au contraire aux autorités exécutives qu’il incombe de démontrer de façon étayée que les strictes conditions légales qui ont permis le déclenchement de l’état d’urgence persistent encore à ce jour. En d’autres termes, il lui revient de prouver qu’un « péril imminent résultant d’atteintes graves à l'ordre public » au sens exact de l’article 1er de la loi du 3 avril 1955 justifie la nécessité des mesures particulièrement invasives et restrictives prévues par le régime de l’état d’urgence. VI. Or, à la lecture de son mémoire en défense, force est de constater que le ministre de l’intérieur n’y parvient pas.

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Sur la disparition du péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public VII. Premièrement, le ministre de l’intérieur se borne à affirmer que la menace terroriste persiste encore à ce jour – ce que les requérants n’ont jamais contesté (cf. la requête introductive au point XIX-2). Mais il ne démontre pas qu’il s’agit bien d’un « péril imminent », au sens précis de l’article 1er de la loi du 3 avril 1955, « résultant d’atteintes graves à l'ordre public ». Au contraire, l’ensemble des arguments mobilisés par le ministre fait apparaître un décalage flagrant entre les conditions légales de l’état d’urgence et les justifications qui semblent présider à son maintien. VII-1. D’abord, le décalage est de nature géographique. En effet, pour justifier de la persistance de l’état d’urgence sur le territoire français, le ministre de l’intérieur n’hésite pas à évoquer sans plus de précision des projets d’attentats déjoués en Belgique et Allemagne (cf. le mémoire en défense, page 9). Plus encore, sont cités plusieurs attentats commis récemment au Mali, en Turquie, en Syrie, en Indonésie ou encore au Burkina Faso (Ibid. pages 8 et 9). Or, s’il n’est pas question de nier la gravité de ces actes terroristes, ni même de contester qu’ils pourraient aussi se produire en France, de tels évènements commis en Europe et dans le monde ne peuvent rationnellement justifier le maintien de l’état d’urgence, sauf à faire dépendre celui-ci de la situation géopolitique du terrorisme. Par ailleurs, la seule « ”stratégie de l’action oblique” » qui consiste « à organiser une action à partir du territoire d’un pays voisin » (Ibid. page 8) ne peut pas davantage fonder l’état d’urgence. De fait, aucune des mesures prévues par ce régime d’exception n’est de nature à faire obstacle à une telle action initiée par des individus qui, par hypothèse, résident précisément hors de la zone géographique d’application de l’état d’urgence.

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VII-2 Ensuite, et de façon plus marquante encore, l’argumentation du ministre de l’intérieur atteste d’un décalage temporel. Le contraste est effectivement saisissant entre, d’une part, l’imminence et l’immédiateté du danger requises par la loi du 3 avril 1955 et, d’autre part, la « permanence » de la menace, au surplus « diffuse », décrite par le ministre (cf. le mémoire en défense, page 8). Affirmer que l’organisation terroriste Daesh dispose des moyens humains et matériels pour commettre des attentats ou encore qu’elle diffuse sa propagande sur Internet pour en conclure que le péril « peut survenir en tout lieu et tout moment » (cf. le mémoire en défense, page 8) ne saurait suffire à caractériser l’imminence d’un tel péril résultant d’atteintes graves à l’ordre public. Or, une fois encore, sauf à méconnaître gravement la lettre et l’esprit de la loi du 3 avril 1955, seule une telle imminence peut justifier la persistance de l’état d’urgence. Réciproquement, en l’absence de ces strictes conditions légales, il doit immédiatement être mis fin à ce régime exceptionnel. Sur la disparition de la nécessité des mesures exceptionnelles permises par le régime d’état d’urgence VIII. Deuxièmement, le ministre de l’intérieur persiste à affirmer que « la possibilité de mettre en œuvre les mesures offertes par le régime de l’état d’urgence demeure nécessaire » (cf. le mémoire en défense, page 9). Pourtant, le ministre n’apporte aucun élément susceptible d’étayer une telle assertion. VIII-1 D’emblée, il y a lieu de relever que le ministre de l’intérieur ne conteste absolument pas le bilan opérationnel chiffré établi en particulier par la commission des Lois de l’Assemblée Nationale, lequel révèle objectivement – pour reprendre les mots de son Président

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– que « l’essentiel de l’intérêt de ce que l’on pouvait attendre de ces mesures semble, à présent, derrière nous » (cf. la requête introductive au point XXI et s.). Tout au plus le ministre tente-t-il d’éluder ce constat en affirmant que « l’efficacité des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence ne saurait […] se résumer à un bilan chiffré ni aux seules suites judiciaires qui y sont réservées » (cf. le mémoire en défense, page 10). Or, une telle affirmation interpelle singulièrement. En effet, l’argumentation ministérielle confirme – implicitement mais nécessairement – qu’à ce jour, l’efficacité concrète et véritable des mesures permises par l’état d’urgence n’est plus de mise. Plus encore, cette efficacité ne constitue même plus l’objectif premier poursuivi par les autorités. VIII-2 Dans l’espoir de compenser cette perte manifeste d’efficacité du régime de l’état d’urgence, le ministre de l’intérieur renvoie à d’autres stratégies et objectifs. Mais là encore, sans aucunement convaincre. VIII-2.1 Il est d’abord pour le moins frappant que le ministre de l’intérieur affirme que la diminution du recours aux mesures relevant de l’état d’urgence s’explique par une prétendue « méthode » des services de renseignement – que le ministre se refuse d’ailleurs à « dévoiler » –, laquelle consisterait à « relâcher un peu la pression ressentie par les personnes faisant l’objet d’une surveillance afin de les amener à se dévoiler » (cf. le mémoire en défense, page 11). VIII-2.2 Ensuite, selon le ministre, « l’état d’urgence désorganise les filières qui soutiennent, encouragent, incitent les nouvelles recrues, armes et financent le terrorisme » ou encore permet « de dessiner les profils des individus radicalisés et les formes de la menace » (Ibid.). Or, à cet égard, il convient de rappeler que, selon les travaux de la

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commission des Lois de l’Assemblée Nationale, l’objectif de désorganisation n’a pu être poursuivi que durant la première semaine suivant les attentats, avec « la volonté de jouer sur l’effet de surprise lié à la proclamation de l’état d’urgence et la déstabilisation psychologique des réseaux de délinquants ». Et ce, dans le « but de déstabiliser un microcosme radicalisé, d’éviter des répliques d’attentats bénéficiant de l’effet de sidération post-13 novembre et de s’assurer que les individus concernés n’avaient pas échappé à des procédures judiciaires anti-terroristes (Prod. 1 de la requête introductive, pages. 4 et 5). Mais tel ne fut plus le cas dans les semaines suivantes et plus encore à ce jour, ainsi que l’a également constaté la commission des Lois. Par ailleurs, à rebours de ce que tente de suggérer le ministre de l’intérieur, aucune des mesures permises par le régime de l’état d’urgence ne permet de contribuer à un travail de renseignement aux fins notamment de « dessiner les profils des individus radicalisés et les formes de la menace » (cf. le mémoire en défense, page 11). Bien au contraire, le ministre reconnaît lui-même que la mise en œuvre de ces mesures aiguise l’attention des personnes soupçonnées et affecte donc notablement l’efficacité de leur surveillance (Ibid.). IX. En définitive, l’argumentation du ministre révèle amplement que la seule et unique justification de la persistance de l’état d’urgence réside dans la volonté des autorités exécutives d’« atten[dre] un renforcement durable et proportionné des moyens à la disposition des institutions » (Ibid.). Or, non seulement un tel but est en décalage total avec les critères légaux de l’état d’urgence et l’objectif assigné à un tel régime d’exception. Mais en outre, une telle approche méconnaît radicalement le fait que le droit commun – en particulier la procédure pénale en matière de terrorisme et de criminalité organisée ou encore les vastes moyens administratifs de renseignement – permet d’ores et déjà de répondre aux objectifs que le ministre de l’intérieur prétend assigner à l’état d’urgence.

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A cet égard, contrairement à ce qu’affirme le ministre de l’intérieur, « la fin de l’état d’urgence » n’empêcherait nullement « un traitement juridique idoine (cf. dissolution d’associations, par exemple) » (cf. mémoire en défense, page 11), sachant que, dès à présent, les autorités compétentes préfèrent édicter de telles mesures sur le fondement des règles légales de droit commun (pour un exemple récent et concret, cf. la requête introductive au point XXIII). X. Certes, la suspension de l’état d’urgence pourrait conduire à mettre fin aux mesures d’assignation à résidence prises sur le fondement de l’article 6 de la loi du 3 avril 1955. Or, à cet égard, les requérants tiennent d’emblée à s’interroger sur le chiffre, avancé par le ministre, de « près de 350 personnes » qui seraient actuellement assignées à résidence (cf. le mémoire en défense, page 11). Pourtant, le nombre total et cumulé de personnes ayant fait l’objet d’une telle mesure depuis le 14 novembre 2015 s’élevait à 382 au 13 janvier 2016 et bon nombre de ces mesures ont depuis été rapportées. En outre, et d’une part, il importe de rappeler qu’il ne saurait être question « de maintenir sur le long terme des personnes en assignation à résidence, alors même qu’aucun élément ne permettrait de les renvoyer, en vertu de nos règles relatives au procès équitable, devant une juridiction de jugement » (Entretien avec le sénateur Michel Mercier – Prod. 9 de la requête introductive). D’autre part, il est parfaitement loisible au juge des référés du Conseil d’Etat de suspendre le régime de l’état d’urgence dans sa totalité ou, le cas échéant, de certaines de ses modalités seulement. XI. Dans ces conditions, les requérants ne peuvent que réaffirmer que la suspension de tout ou partie de l’état d’urgence permettrait de faire cesser l’atteinte grave et manifestement illégale à l’ensemble des libertés fondamentales qu’emporte son maintien injustifié à ce jour.

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PAR CES MOTIFS, et tous autres à produire, déduire, suppléer, au besoin même d’office, les exposantes persistent dans les conclusions de leurs précédentes écritures.

SPINOSI & SUREAU SCP d’Avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation

Productions :

1. Lettre du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe en date du 22 janvier 2016 à l’attention du Président de la République.