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    MEMOIRE BAROQUE

    LE CODEXLE CODEXLE CODEXLE CODEX

    MARTINEZ COMPAÑONMARTINEZ COMPAÑONMARTINEZ COMPAÑONMARTINEZ COMPAÑON

    Et son CONTEXTEEt son CONTEXTEEt son CONTEXTEEt son CONTEXTE

    Florence Rousset

    D.E.M. de Musique Baroque A l ' E.N.M. de Villeurbanne

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     SOMMAIRE  

    PREAMBULE………………………………………………..…………………………………………….…3

    I Survol historique de l'Europe 4 

    A ) Début XVIème : l'Europe découvre le "Nouveau Monde". ......................................................................................4 

    B ) Eclairage sur l'histoire de l'Europe des XVI, XVII et XVIIIèmes  siècles..................................................................4 

    II L'Amérique Latine du XVIème au XVIIIème siècle : Fondation d'un Empire colonial 4 

    A ) Les avancées des conquistadors et la création progressive de 4 vices-royautés. .....................................................4 

    B ) Les effets du Colonialisme capitaliste dans le "Nouveau Monde"...........................................................................6 

    C ) L'Evangélisation par les missions ............................................................................................................................6 

    D ) Les rébellions ...........................................................................................................................................................6 

    III Implantation de la musique Baroque en Amérique Latine aux XVII  et  XVIIIèmes siècles 7 

    A) Le développement de la musique religieuse baroque en "Nouvelle-Andalousie" .....................................................7 B) Les maîtres-musiciens de la "Nouvelle-Castille" (comprenant le Pérou) ..................................................................8 

    IV Analyse des influences culturelles européennes, africaines et indiennes 9 

    A) L'apport des colonisateurs espagnols et européens....................................................................................................9 

    B) L'apport des esclaves africains .................................................................................................................................14 

    C) L'apport des autochtones amérindiens......................................................................................................................16 

    V Une pièce maîtresse du Baroque Andin : le CODEX "TRUJILLO DEL PERU" 22 

    A) Son auteur : le prêtre espagnol Baltazar Jaime Martínez de Compañón y Bajanda.................................................22 

    B) Le voyage de Martinez Compañon : provenances des musiques relevées...............................................................23 C) Analyse musicale du Codex Martinez Compañon ...................................................................................................23 

    C1 – L'instrumentation proposée par l'évêque 23 

    C2 - Formes et appellations des pièces musicales 24 

    C3 - Liste des 20 pièces musicales, sens des paroles et analyse de chacune 25 

    D) Aquarelles du "Trujillo del Peru" concernant la musique, les danses et fêtes .........................................................35 

    VI Hypothèses musicales pour l'interprétation personnelle de 4 pièces du Codex 40 

    VII Conclusion 42 

    VIII Bibliographie 43 

    BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................................................................................43 

    SITES INTERNET........................................................................................................................................................43 

    INTERPRETES du répertoire baroque d'Amérique du Sud et DISCOGRAPHIE .......................................................44 

    IX Pièces jointes 45 

    Affiche et Programme du concert du 27 mars 2010......................................................................................................45 

    Photos du concert ..........................................................................................................................................................47 

    En ANNEXE.................................................................................................................................................................47 

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    PREAMBULE : 

    Pour introduire ce travail de mémoire, je vais expliquer tout d’abord la raison qui m’a poussée àchoisir ce sujet.

    Après avoir suivi pendant mes études un cursus de violon essentiellement basé sur la musiquedite "classique", j'ai eu l'opportunité - entre autres à l'E.N.M. de Villeurbanne - de pouvoir approfondirl'interprétation de la musique savante baroque ainsi que m'ouvrir à des musiques traditionnelles dedifférentes régions du monde, dont la musique dite "des Andes". Je suis particulièrement sensible àtoutes ces musiques qui m'apportent du plaisir en jouant, mais aussi une technique instrumentale plusvariée (improvisation, ornementation…). Certaines de ces particularités techniques s’avèrent différentes,mais d'autres en revanche proches ou communes aux diverses esthétiques. Il est donc intéressantd'analyser les divergences et similitudes entre les musiques de chaque civilisation.

    On retrouve par exemple à travers le Monde et les époques des musiques et danses accompagnantdes rituels similaires, liés à la Vie (mariages, enterrements, fêtes saisonnières, fêtes religieuses…) et

    exprimant des sentiments universels (amour, joie, tristesse, nostalgie, séduction…). De plus, dans lafabrication et l'utilisation des instruments du Monde, on remarque l’invention de nombreux instrumentsfabriqués sur des principes comparables. Les évolutions spécifiques et petites différences de facture oud'esthétique sonore entre toutes ces inventions ont été conditionnées par les traditions et matériauxlocaux, mais nous montrent souvent des cheminements parallèles de création.

    Outre ces points communs inhérents dans les domaines sociaux et musicaux, on observe en plustout un réseau d'influences, de mélanges et d'évolutions stylistiques dus aux brassages de populations. Ondoit ces métissages culturels entre autres aux voyages des peuples nomades ou aux déplacementshistoriques de population, mais aussi (comme nous allons le voir dans ce mémoire) à l'autoritarisme depays colonisateurs et à l'apport de populations esclaves importées. Ces brassages humains et culturels

    suscitent des interactions entre musiques populaires et savantes, ainsi qu'entre musiques profanes etsacrées. Tout cela permet une évolution importante des styles et des instruments.

    Pratiquant moi-même à la fois la musique baroque sur instrument ancien et la musique desAndes, il me semblait intéressant de pouvoir me pencher pour mon mémoire sur l'interaction entre cesdeux types de musiques, entre autres en focalisant ma réflexion sur l'influence musicale descolonisateurs européens sur le continent amérindien à l'époque baroque.

    J'ai souhaité collaborer par ce mémoire aux "projets personnels" de Matthieu Bertaud et JulieLewandowski, élèves en DEM, qui justement voulaient susciter un échange musical entre ces deuxesthétiques. J'ai donc finalement choisi, après des premières recherches sur ce domaine, de m'intéresser

    plus particulièrement à un recueil ethnologique réalisé par l'évêque Martinez Compañon à la fin duXVIIIème siècle au nord du Pérou. Les musiques qu'il a recueillies et les aquarelles qu'il a peintes pourrelater la vie à son époque nous montrent un lieu de contacts et brassages importants. Pendant cettepériode de colonisation, il y a eu d'une part l'importation de la musique savante européenne et de sesinstruments, et d'autre part l'apport des esclaves africains et de leurs coutumes ; le tout se superposantaux traditions des autochtones indiens. Les confrontations, impositions et revendications de cultures, dereligions ou de rites profanes y ont fait naître par la force des choses des évolutions stylistiquesintéressantes.

    Parallèlement à ce mémoire, j'ai choisi d'interpréter avec des étudiants et professeurs des écolesde musique de Villeurbanne et Villefranche plusieurs partitions de ce recueil lors du concert du 27 mars2010 à l'auditorium de Villefranche. Je rajoute en complément de ce mémoire "l'enregistrement live" duconcert, ainsi que la présentation des hypothèses musicales choisies pour notre interprétation.

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    I Survol historique de l'Europe

    A ) Début XVIème : l'Europe découvre le "Nouveau Monde".

    Le passage du XV au XVIème siècle est capital dans le monde.Le Portugal, passé maître en matière de navigation (caravelles), développe le long de l'Afrique de

    l'Ouest ses comptoirs commerciaux. Contournant l'Afrique en 1498, le portugais Vasco de Gama

    découvre à l'Est la route maritime des Indes.En Espagne, les souverains catholiques reprennent le dessus sur les Arabo-andalous en les

    chassant : c'est la "Reconquista". Comme le Portugal, l'Espagne va aussi chercher à découvrir etconquérir de nouveaux territoires et richesses. Le génois Christophe Colomb propose ses connaissancescartographiques à l'Espagne et découvre également en 1498 (à l'opposé : en direction de l'Ouest entraversant l'Atlantique) ce qu'il appelle les "Indes occidentales". Il croyait avoir atteint les Indes du faitde la rotondité de la Terre, mais il s'agit en fait des Antilles.

    Le Pape, qui a la main-mise sur la politique européenne et qui avait prévenu l'affrontement de cesdeux pays, partage par le traité de "Tordesilla" (1497) le monde en deux zones : la zone portugaisecomprenant Afrique et Brésil, et la zone espagnole comprenant tout le reste de l'Amérique Latine.

    B ) Eclairage sur l'histoire de l'Europe des XVI, XVII et XVIIIèmes  siècles

     Religions :Au début du XVIème  siècle, naît en Europe du Nord Occidentale le mouvement du

    "Protestantisme" porté par Calvin et Luther, pour pallier aux excès de la chrétienté : c'est la "Réforme".De leur côté, les Catholiques réagissent par la "Contre-Réforme" ; il s'ensuit des guerres de religions. LePape encourage aussi l'Inquisition espagnole qui chasse les juifs et musulmans.

    En 1539 est créée la société des missionnaires "Jésuites".

     Arts (architecture, musique, beaux-arts, littérature…) : Au XV et XVIèmes siècles, le mouvement artistique de la "Renaissance" venu d'Italie se

    développe : les arts y sont emprunts d'équilibre et de sérénité. En musique, la polyphonie s'épanouit.Puis au XVIIème siècle va se produire une évolution vers plus de grandiloquence en rapport avec

    les affirmations religieuses. A la sobriété succèdent les mouvements, les contrastes, la perspective : c'estle style "Baroque". Il se développe particulièrement dans l'ex-Empire Romain-Germanique de CharlesQuint, c'est à dire en Espagne, Italie, Allemagne et Autriche.

    Au XVIIIème  siècle, les exagérations du baroque amènent le style "Rococo", qu'on appelle"churrigueresque" dans l'architecture espagnole tarabiscotée.

    II L'Amérique Latine du XVIème au XVIIIème siècle : Fondation d'un Empire colonial

    A ) Les avancées des conquistadors et la création progressive de 4 vices-royautés.

    Vers 1515, les colonisateurs espagnols "Conquistadors", mus par la soif de l'or et de la gloire,ainsi que par le désir de christianiser, débarquent en Amérique Centrale par les Antilles et Panama.

    Il y a alors deux grands Empires : au Mexique, celui des Aztèques avec pour capitale Mexico ;dans les Andes, l'immense empire des Incas, avec pour capitale Cuzco au Pérou. Ces deux Empires

    s’étaient constitués auparavant en quelque deux siècles sur des débris de diverses civilisations que cesdeux peuples nomades avaient réussi à fédérer.

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    Des aventuriers, ayant à leur tête Cortez au Mexique et Pizzarro au Pérou, partent à la conquêtede leur "El Dorado" avec la bénédiction de leur empereur qui rêve d'un empire nouveau qui naîtrait audelà des mers. Ils bénéficient de circonstances très favorables pour anéantir ces deux empires avec unepoignée de soldats à cheval et armés de poudre à canon.

    L'empire Aztèque est détruit et remplacé par la "Nouvelle Espagne" (Mexique - Caraïbe -Guatemala - Cuba). L'empire Inca est renversé pour en faire la "Nouvelle Castille" (Pérou - Bolivie).Une troisième vice-royauté appelée "Nouvelle Grenade" (Venezuela - Equateur – Panama -Colombie)est créée entre les deux autres. Enfin, une quatrième se situant plus au Sud se nomme "NouvelleAndalousie" (Argentine - Paraguay).

    Cet immense Empire Colonial ( cf carte ci-dessous) durera trois siècles (de 1521 à 1821),atteignant progressivement son apogée au XVIIIème siècle puis se disloquant seulement quelques annéesplus tard.

     Les quatre vices-royautés carte de l'Amérique du Sud dessinée par Martinez Compañon 

    Création de la Nouvelle-Espagne :

    Avec une poignée de cavaliers d'allure terrifiante (barbus à cheval), Cortez renverse la dynastieaztèque dirigée par "Moctezuma II" en 1524. Les populations mexicaines opprimées l'accueillentcomme le Dieu libérateur de la tyrannie aztèque et leur prédiction de retour du Dieu "Quetzalcoatl" parl'Est se trouve ainsi réalisée.

    Création de la Nouvelle-Castille :

    L'empire Inca s'étendait sur quelque 6000 km du Nord au Sud de l'Amérique latine avec laCordillère des Andes comme colonne vertébrale. Il avait un pouvoir tout puissant, maintenu par uneorganisation quasi militaire. Francisco Pizarro et ses deux frères, presque au même moment que Cortezchez les Aztèques, aidés par certains peuples, abattent l'Empereur Inca "Atahualpa", fils du soleil, à lafaveur d'une guerre de succession fratricide dans la famille royale.

    De l'autre côté de l'Atlantique, l'empire espagnol va commencer à chuter un demi-siècle plustard, principalement à cause de l'anéantissement par les Anglais de l'Armada navale espagnole.

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    III Implantation de la musique Baroque en Amérique Latine aux XVII  et  XVIIIèmes siècles  

    La richissime Espagne s'appauvrit dès le début du XVIIème  siècle. Le Portugal se détache del'Espagne. Le gaspillage généralisé et l'expulsion des Morisques entraînent une déstabilisation du pays quipousse les espagnols à émigrer en masse vers "l'El Dorado" sud-américain. Après le « siècle d’orespagnol » (se situant de la première moitié du XVIème  à la première moitié du XVIIème) une décadenceculturelle s'affirme, entre autres dans la musique. C’est à cette époque là, que le « Nouveau Monde » prendle relais de la création musicale espagnole.

    La musique baroque savante est alors introduite et se développe dans tous les territoires coloniséspar les missionnaires. Mais je laisserai volontairement de côté toute la richesse musicale présente enNouvelle-Espagne et en Nouvelle-Grenade, le sujet étant trop vaste… 

    A) Le développement de la musique religieuse baroque en "Nouvelle-Andalousie"

    A la fin du XVIème

     siècle, quelques pionniers religieux (Jean Vaisseau, Louis Berger, Anton Seppvon Reinegg), puis la congrégation des Jésuites, se mettent à former activement des chanteurs etinstrumentistes indiens, permettant l'interprétation d'œuvres baroques européennes.

    Puis à la fin du XVIIème siècle, des Jésuites européens compositeurs arrivent en Amérique du Sud.Deux d’entre eux vont représenter un apport notable dans la vice-royauté de "Nouvelle Andalousie" : Zipoliet Schmid.

    • Domenico Zipoli est un compositeur italien. Il arrive avec 80 Jésuites par l'Argentine et va composerénormément pour ces confréries (oratorios, opéra, sonates pour clavecin ou orgue...). Ses œuvres sontconnues dans toutes les "réductions" jésuites du Paraguay au Pérou. Elles sont d'ailleurs encore interprétées

    car représentatives du "baroque musical missionnaire". Domenico Zipoli meurt prématurément à 37 ans.

    • Martin Schmid est un Jésuite suisse qui prend la relève de Zipoli en 1730. Il est à l'origine de l'essormusical des réductions d'indiens Chiquitos et Moxos. C'est un artiste complet, à la fois constructeur,architecte, spirituel, artiste et social. De plus, très bon pédagogue, il recrute les meilleurs enfants pour lesformer au chant ou aux instruments, formant une schola cantorum. Pendant 37 ans il adapte la musique àl'oralité des Indiens, simplifiant le système du solfège par la solmisation. Il aura ainsi 40 musiciens dont 20choristes par église. L'orgue, amené de toutes pièces à dos d'homme, lui permet d’écrire des œuvresélaborées.

    Ces deux compositeurs, Zipoli et Schmid, vont composer au milieu du XVIII

    ème

     siècle un opéra dechambre "St Ignace de Loyola" (en castillan) pour convertir les autochtones paraguayens à un mode de vieeuropéen. Schmid y compile des pièces musicales de Zipoli et d'autres anonymes et y rajoute ses proprescompositions.

    La méthode d'évangélisation jésuite permet aux Indiens de participer aux festivités officielles enl'honneur de la royauté. Outre le chant, le jeu instrumental et le jeu scénique, ils fabriquent les décors ets'initient à la composition. Ainsi trois indiens chiquitos vont composer au XVIIIème siècle une "Aria paranuestra Reyna" en l'honneur de M-L. de Bourbon. Finalement, cette culture baroque imposée permetprogressivement, par l’effort persévérant des missionnaires, une maîtrise de la musique savante, parlaquelle certains colonisés retrouvent un semblant de leur identité perdue. 

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    B) Les maîtres-musiciens de la "Nouvelle-Castille" (comprenant le Pérou)

    Les mines d'argent de Potosi sont un apport économique important pour la Bolivie. Cette richessefavorise la vie culturelle et artistique, en même temps que l'essor de l'église catholique et de ses institutions(églises, couvents, universités). Le pouvoir civil de la noblesse y encourage la musique italianisée sacrée ouprofane à la mode.

    Les colons s'enrichissent et exploitent rudement les indiens. Ceux-ci meurent en masse

    (huit millions d'Indiens morts), souvent à cause d’épidémies, ce qui entraîne un déséquilibredémographique énorme, nécessitant un afflux important d'esclaves noirs venus des Antilles. Ces esclavesvont acquérir des prérogatives les rendant plus libres que les Indiens qui deviennent même esclaves desnoirs. Il se crée des confréries noires, adorant de faux saints noirs, qui se multiplient avec les différentesethnies. Ces noirs amènent leurs coutumes et leurs danses "bruyantes" accompagnées aux percussions,

     jouant même devant les églises le jour de l’office.Les Jésuites créent alors des chansons : les "villancicos negros", utilisant les rythmes des noirs,

    parfois même leur langue, et très souvent des onomatopées, afin d'orienter cette population noire versl'Eglise. Ils écrivent également des villancicos sur le même principe pour évangéliser les populationsindiennes. (cf description plus précise du villancico page 13)

    La musique savante de l'Altiplano reste essentiellement écrite par des compositeurs venusd’Espagne et d’Italie, mais peu à peu leurs élèves nés en Amérique du Sud prennent la relève en suivanttoujours l'esthétique musicale de leurs maîtres. Dans ces régions, quelques centres principaux de créationmusicale ressortent : Bogota, Cuzco, Lima, Chuquisaca (appelé aujourd'hui « Sucre » en Bolivie). On y aretrouvé de très nombreux manuscrits, plus ou moins bien conservés.

    A la cathédrale "Santa Fé" de Bogota, on peut noter l'apport musical de trois compositeurs :

    - Gutierre Fernandez Hidalgo (env. 1553-1620) né en Espagne. Ce compositeur a rejoint Bogota en1584 où il a composé un "salve regina", des "psaumes" pour les vêpres, plusieurs admirables

    "magnificats"…- José de Cascante (env.1630-1702) héritier musical d'Hidalgo. Il est né à Bogota. Il a écrit desœuvres exclusivement liturgiques ainsi que des villancicos dans lesquels il est un remarquable coloriste etrythmicien (ex : un "Villancico al Nacimiento" très rythmique, sur un rythme de danse "cueca" actuelle)

    - Juan de Herrera (env.1670-1738) né à Bogota. Il y prend la succession de Cascante en 1702,composant 40 œuvres presque exclusivement vocales dont 3 « messes de défunts » célèbres.

    À ces trois compositeurs et maîtres de chapelles vont succéder Francisco de Paula de Amaya, Juande la Cruz, Francisco Jimenez de Alarcon, Miguel Ossorio puis Salavador Romero.

    Dans les archives des églises ou couvents de Cuzco, Sucre  et Lima, on trouve des compositions des

    auteurs suivants :

    - Juan de Araujo (1646-1712) né en Espagne. Il est nommé maître de chapelle à Lima en 1670, puisà Cuzco, puis en 1680 à Chuquisaca où il finit ses jours.

    - Tomas de Torrejon y Velasco Sánchez (1644 en Espagne - Lima 1728) compositeur, musicien etorganiste. Il arrive à Lima en 1667. En 1676, il y est nommé maître de chapelle à la suite de Juan deAraujo. Ce compositeur a écrit en 1701 le tout premier opéra d'Amérique du Sud : "La Púrpura de la Rosa"et également beaucoup de pièces liturgiques en latin et de très nombreux villancicos en langue castillane.

    - Roque Ceruti (1683-1760) compositeur et violoniste italien. Il arrive à Lima en 1707 où ilcompose un opéra aujourd'hui disparu. Puis il devient maître de chapelle à Trujillo en 1721, puis à Lima en1728 où il succède à Tomas de Torrejon y Velasco jusqu'à sa mort en 1760. Il a écrit entre autres "la messe

    de Lima", les "Vêpres solennelles de St Jean Baptiste", une trentaine de villancicos, un magnificat... Cerutiamène avec lui en Amérique du Sud le style italien du baroque tardif qui va être tacitement accepté,finissant même par devenir à la fin du XVIIIème siècle la plus prestigieuse référence musicale.

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    - José de Orejon y Aparicio (1705-1765) chanteur et organiste né au Pérou. Il a été l'élève deThomas y Torrejón Velasco puis de Ceruti, auquel il succède en 1760 en tant que maître de chapelle àLima. Il a composé une vingtaine de villancicos, une passion selon St Jean, un Dixit Dominus, deslitanies…

    - Roque Jacinto de Chavarria (1688-1719) qui a composé 200 œuvres : liturgiques ("DixitDominus" dans le style espagno-italien) et beaucoup de villancicos.

    - Manuel de Mesa (1725-1773) héritier direct de J. de Araujo né en Amérique du Sud.- Antonio Duran de la Mota (1670-1746)- Blas Tardio de Guzman (1695-1762)- Fray Esteban Ponde de Léon (1692-1750) qui a composé l'opéra "Venid, Venid, Deydedas", ainsi

    que de la musique pour "la Loa" et pour "la Comedia de San Eustachio".

    Parallèlement à la musique purement liturgique et aux villancicos para-liturgiques cités plus hauts,on a retrouvé aussi à Cuzco un hymne processionnel à la Vierge pour 4 voix. Celui-ci est mondialementconnu aujourd'hui et est écrit en langue quechua : "Hanac Pachap Cussicuinin". Il date de 1631 et estpeut-être l'œuvre d'un compositeur indigène.

    Autre témoignage un peu plus tardif mais toujours du XVIIème  siècle péruvien à Cuzco, le"Codex Zuola" qui comprend 18 belles mélodies recueillies par un franciscain : Fray Gregorio de Zuola.

    Ces partitions ne comportent qu’une partie mélodique avec paroles mais sans accompagnement, à lamanière des mélodies populaires européennes. Cependant, comme pour le codex Martinez Compañon(rédigé un siècle plus tard) on peut vraiment rapprocher les airs qui le constituent des "villancicos" et"tonos humanos" espagnols. Ces derniers se transmettaient en Europe de manière écrite, mais les airsprésents dans ces codex péruviens, en revanche, se transformaient certainement oralement au gré des diversgroupes sociaux qui les adoptaient. Zuola et Martinez Compañon notèrent ces mélodies à un stade donné,sûrement après et avant des modifications orales.

    Ces deux manuscrits sont donc bien le reflet de l’époque coloniale populaire et métissée. Ils sedifférencient des œuvres purement religieuses composées par les Jésuites cités plus hauts, et de là serapprochent davantage du sujet qui m’intéresse : le mélange stimulant entre plusieurs cultures, entremusiques populaires et savantes, et entre musiques écrites et orales.

    Je vais donc me pencher maintenant sur l’analyse des apports culturels des trois peuples cohabitantdans le Nouveau Monde. 

    IV Analyse des influences culturelles européennes, africaines et indiennes

    A) L'apport des colonisateurs espagnols et européens 

    Les colons souhaitaient vivre sur ce nouveau continent selon leur culture d’origine, sans l’oublier niencore moins l’abandonner, mais au contraire en l’imposant aux autochtones. Ils amenèrent donc avec eux

    toute une panoplie d’instruments de musique, des formes musicales en vogue en Espagne, leur conceptiondu langage musical, mais aussi des danses et formules rythmiques. 

    1) dans l'instrumentarium :

    * VIOLONS : La famille des violons a intégré le continent sud-américain pour l'interprétation durépertoire jésuite sacré, mais le peuple se l'est rapidement approprié et ces instruments restent encoreaujourd'hui très utilisés dans le folklore de certaines régions. Les photos ci-dessous représentent desinstruments fabriqués récemment sur le modèle de violons d'époque : on voit le violin (violon), le violόn (basse de viole à 3 cordes et avec frettes) et le violonchelo (violoncelle). Le bois utilisé est le cèdre rouge,le meilleur matériau qu'ils aient pu trouver sur place. La forme (de la caisse de résonance et des ouïes)diffère selon les instruments et s'avère quelque peu différente de celle que l'on connaît en Europe. Onobserve également sur les deux gros instruments des chevilles en bois présentes aux angles des éclisses pourrenforcer la solidité de l’instrument.

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    Les "tacuara violin" sont des instruments de substitution fabriqués en bambou (tacuara) par lesautochtones présents dans les missions, parce que les jésuites leur interdisaient de sortir de l'église avec lesviolons. Ces instruments leur servaient dans les réunions et fêtes en dehors du lieu de culte. 

    tacuara violin 

    * HARPE :  La "harpe andine" est devenue un instrument important du patrimoine musicalpéruvien et de toute la Cordillère des Andes. C'est un instrument encore une fois importé par lesConquistadores et adapté pour répondre aux besoins d'expression musicale propres à ces régions.Notamment, sa caisse de résonance a été agrandie et la tension sur les cordes est plus faible que sur laharpe européenne. C'est un instrument diatonique, utilisant plus souvent le système modal, et qui n'adonc pas de pédale. Elle comporte une trentaine de cordes. La harpe est conçue pour être facile àtransporter, et certains musiciens en jouent en marchant (cf photos ci-dessous et aquarelles du codexMartinez Compañon). On observe très souvent deux longs pieds qui permettent une tenue assez

    horizontale en position assise. Elle est utilisée en instrument soliste et en accompagnement.

    Joueurs de harpe et de bandurria. Lima Pérou. Au début 20ème siècle. Danseurs et musiciens indiens Ayacucho Pérou. Début 20ème siècle.Les danseurs déguisés se préparent à exécuter la danse des ciseaux (qu'ilstiennent dans leurs mains) aux sons des harpes (portées à l'envers).

    Source : La musique des Incas et ses survivances par R et M d'Harcourt

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    * TROMPETTE MARINE :  La "trompette marine" fut aussi importée enAmérique du Sud par les européens. Elle était présente particulièrement dans les"réductions" jésuites et couvents, un certain nombre de chroniques d'époque nous enprouvant l'existence. Le nom "marine" n'a pas de rapport avec la mer, mais viendrait duterme "marial" progressivement dérivé. Cet instrument a pour origine le monocordemédiéval. La trompette marine peut atteindre deux mètres de haut. Lorsque l'archetfrotte l'unique corde, le chevalet, qui n'a qu'un seul de ses pieds en pression sur la table,vibre sous l'effet des vibrations : ce résultat percussif se nomme "effet de trompette".On n'utilise l'instrument qu'à travers les harmoniques de sa corde, telle une trompettenaturelle baroque, ce qui donnerait une explication supplémentaire à son nom.

    * GUITARE, VIHUELA, MANDOLINA, BANDURRIA, THEORBE : L'Europe apporte aussipar la colonisation la guitare, la "vihuela", la "mandolina", la "bandurria" et le "théorbe". Ces

    instruments à cordes pincées vont avec les siècles susciter la création de nombreux autres instrumentssemblables, dont les plus connus sont le "charango", le "cuatro", le "ukulélé", le "cavaquinho"…

    La guitare baroque comporte cinq paires de cordes appelés "chœurs", des frettes en boyau nouéesau manche, une rosace souvent faite en parchemin, des éclisses faites en marqueterie. Sur les aquarelles ducodex Martinez Compañon, on observe que la tête des guitares et particulièrement inclinée.

    Malgré que guitare et "vihuela" se ressemblent approximativement, la vihuela n'est pas l'ancêtrede la guitare car à cette époque on utilise les deux instruments parallèlement. La vihuela est un peu pluspetite et son dos est légèrement bombé. Elle est accordée en quartes comme le luth de la Renaissance (la-ré-sol-si-mi) et comporte quatre frettes sur le manche. On la trouve en Espagne mais aussi dans le sud del'Italie.

    La "mandolina" (ou "bandolim") est un instrument également importé par les européens ; elle yétait très jouée au XVIIème siècle. Ses origines viennent de l'Italie. Au Pérou, la mandoline est populairesurtout dans la région de Cuzco mais également présente plus au nord tout au long de la cordillère desAndes et sur la côte ouest du Pérou. Elle a quatre, cinq ou six paires de cordes selon comment elle a évoluédans les différents lieux d'Amérique du Sud.

    La "bandurria" a également été introduite. La bandurria représente chacun des instruments(soprano, ténor, baryton, basse) de la famille des luths espagnols, qui ont fait leur apparition au XVème siècle. C'est un petit instrument à caisse de résonance en forme de poire, doté de six cordes doubles, et dontle manche est muni de nombreuses frettes.

    Ces instruments vont apporter au Nouveau Monde une pratique de jeu spécifique, qui deviendraavec le temps énormément utilisée dans ce continent : la technique du "rasgueado". Cette pratique, venuetout d'abord de l'utilisation de la guitare napolitaine, puis très utilisée dans la musique populaire espagnoledu XVIIème siècle, consiste à racler ("rasguear" signifiant "gratter" en espagnol) plusieurs cordes à la foispar l'ouverture de la partie extérieure de la main droite, entraînant les frottements successifs de chacun desdoigts (comme le font actuellement les guitares en flamenco). Cela s'oppose à la pratique en "punteado"qui consiste à pincer les cordes.

    * ORGUE et CLAVECIN :  Dès la fin du XVIème  siècle, aurait commencé au Pérou laconstruction locale des orgues  afin de fournir l'Église catholique, car cet instrument est le principal

    accompagnateur des liturgies depuis le Concile de Trente (1545-1563). L'Europe ne suffisant pas àimporter des orgues, les facteurs d'orgues, d'abord espagnols, apprennent le métier à des créoles et indienssans doute évangélisés. Un nombre très important d'orgues de facture similaire a été retrouvé dans larégion de Cuzco. On parle donc de "l'école de Cuzco", école qui se serait étendue à des régions plus

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    reculées du Pérou, de Bolivie, et peut-être même du nord de l'Argentine actuelle. Les "réductions" jésuitesont encore une fois une grande importance dans le développement de cet instrument : Antonio Sepp etMartin Schmid, cités plus haut, ont créé des ateliers de fabrication d'orgues dans leurs réductionsrespectives. Pour ce qui est des deux orgues de la cathédrale de Cuzco, les facteurs d'orgues qui les ontexpertisées puis restaurées ont noté un accord particulièrement bas, le LA correspondant à une fréquencemoyenne de 380 Hertz. Quant aux clavecins, il existait également des ateliers de fabrication en Amériquedu Sud, entre autres dans la mission « San Javier » de Santa Cruz en Bolivie.

    facteur d'orgue indigène, photographié au Pérou(région de Canchis) dans les années 1930 par Martin Chambi

    * FLÛTES et INSTRUMENTS à VENT :  Nous allons le voir plus bas, les autochtonesindigènes utilisaient avant l'arrivée des colons plusieurs types de flûtes. De leur côté, les européensutilisaient dans la musique savante la flûte à bec  (ou « flûte douce ») et le traverso. Il semblerait quel'usage de flûtes traversières ait été importé d'Europe, donnant depuis les traversières actuelles nommées"palahuito" et "aykhori  / mohoceño" (cette dernière étant pourtant souvent pentatonique). En ce quiconcerne les flûtes à bec indiennes d'aujourd'hui appelées "pinkillo" et "tarka", elles n'existaientvraisemblablement pas au Pérou à l'époque des conquistadors malgré la connaissance par les indiens dusifflet (nombreuses poteries en argile avec sifflet servant d’appeaux pour la chasse) ; l'apport de cetteembouchure serait donc à nouveau l'œuvre des européens. Quant aux doigtés et spécificités des perces, ilest certain que l'Europe a apporté de sérieuses modifications puisqu'elle amenait avec elle la tonalité et sestempéraments. Les flûtes indiennes à l'origine pentatoniques et modales ont été depuis percées

    différemment pour obtenir un doigté proche des flûtes à bec baroques.

    palahuito mohoceño

    L'Europe a également apporté à l'Amérique du Sud un double instrumentpopulaire : la "flûte de tambourin", ou "galoubet-tambourin", "flaviol", "pinkul'u","pifano y tamburil" (nombreuses autres dénominations…). La flûte ne comportant

    que trois trous est jouée d'une seule main, ce qui permet au musicien d'additionner avecle tambourin le rythme à la mélodie. On retrouve ce double instrument en Espagne, auPortugal, en Provence, en Catalogne, en pays Basque, en Flandres et en Angleterre. Ilest très populaire et utilisé principalement dans les fêtes extérieures.

    On le retrouve peint dans une quinzaine d'aquarelles du Codex MartinezCompañon, particulièrement en accompagnement de danses avec déguisementsd'animaux.

    Autre instrument à vent apporté par l'Europe et dont certains écrits nous relatent l'existence auPérou : la "chirimia" (instrument à anche double, hautbois primitif ressemblant à une bombarde).

    chirimia 

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     2) dans les formes musicales :

    L'Espagne a apporté en Amérique du sud plusieurs formes musicales telles que le "villancico" etle "tono humano".

    Le villancico était à l'origine une chanson populaire paysanne espagnole remontant au XIIIème siècle (l'origine de ce terme est "vilain"). Peu à peu, l'Eglise s'approprie ce genre : le contenu desnouvelles compositions en devient souvent (mais pas exclusivement) religieux pour s'inclure dans laliturgie. De nombreux villancicos sont composés pour les fêtes et particulièrement pour les fêtes de laNativité (Noël), afin d'attirer et convertir la plèbe inculte. Le villancico se rapproche donc du " tonodivino", autre nom pour désigner une composition chantée sacrée.

    Le tono humano est lui aussi l'un des principaux genres du XVIIème siècle espagnol et portugais,mais c'est un chant profane. Il se rapproche donc beaucoup de la forme dite "tonada" (qui signifie"chanson" en espagnol) que l'on retrouve dans le codex Martinez Compañon, les appellations étantencore une fois pas toujours très fixes ni claires à cette époque. Le tono humano se constituaitgénéralement d'un refrain avec couplet, selon la forme strophique.

    Une grande partie des villancicos et tonos humanos sont écrits sous forme d'une chanson à unevoix avec accompagnement par une vihuela, mais parfois aussi à deux, trois ou quatre voix. Ces piècessont très populaires. Elles sont très souvent notées et transmises sur manuscrit. Mais malheureusement,une grande partie de ces recueils vont disparaître à jamais dans l'incendie de plusieurs bibliothèques de

    Madrid. La mode évolue et ces formes vont peu à peu décliner en Espagne au cours du XVII

    ème

     siècle.C'est en Amérique Latine qu'elles retrouvent une nouvelle vie. Les villancicos s'avèrent trèsutiles pour évangéliser. Le tono humano et la tonada correspondent bien au besoin de chants profanespopulaires. Ces compositions sont donc adaptées à leur nouveau milieu, par le choix des rythmiques, dela langue chantée (à la fois latin, espagnol, langues indiennes et africaines)… Vu le grand nombre de cescompositions, on en a retrouvé beaucoup de traces dans les archives des différents lieux, ce qui permetde pallier aux pertes des modèles espagnols.

    Puis parallèlement à cette implantation des villancicos et tonos humanos en Amérique du Sud,apparait à Madrid dans la seconde moitié du XVIIIème  siècle une forme musicale qui devint vite trèspopulaire : la "tonadilla escénica" (tonadilla étant un diminutif de tonada…). Il s'agissait d'une sorted'opéra-comique miniature, durant au plus une vingtaine de minutes, et qui faisait office d'interlude (à

    l'instar des "intermezzi" italiens) entre les actes d'un ouvrage théâtral plus important.Outre ces genres mélangeant musique savante et musique populaire, la musique purement

    savante et religieuse  européenne aura une grande influence sur la création musicale baroque enAmérique du Sud : elle sera à l’origine du répertoire "baroque missionnaire" (dont j’ai parlé plus haut).La création musicale dans les "réductions" jésuites est intense. Les jésuites compositeurs venus d’Europeainsi que leurs élèves nés en Amérique du Sud poursuivent l’esthétique musicale européenne.

    Dans leurs œuvres on note énormément de pièces typiquement religieuses en latin : messes ouextraits (kyrie, gloria…), magnificat, salve regina, dixit dominus, te deum, psaumes, motets, cantates,oratorios…. Mais on trouve aussi des sonates et des opéras (avec airs en solo ou duo et récitatifs).

    Les effectifs instrumentaux sont ceux que l’on trouve dans la musique savante européenne, à

    savoir l'orchestre à cordes, quelques instruments à vent et l'orgue… Les orchestres sont composéssouvent d'une trentaine de musiciens, les instrumentistes étant des autochtones et noirs formés par les jésuites de manière solide et scolaire. On a retrouvé des écrits de l’époque relatant les salaires payés àdes chanteurs noirs pendant les offices de l'église San Pablo au XVIIème siècle, ainsi que des chroniquesvantant un orchestre de noirs comprenant des "chirimia" et "clarin"…

    L'écriture musicale donne une sonorité très souvent "européenne". En effet, on y observe lesmêmes caractéristiques qu'en Europe, sans noter particulièrement d'apport sud-américain : la pratique ducontrepoint, de la diminution et de l'ornementation, de la basse-continue, du double-chœur… L'harmonieest évidemment basée sur la Tonalité bien établie, avec ses modes Majeur et Mineur, et les modulationsse font essentiellement aux tons voisins.

    De manière générale, il faut souligner que les musiques tonales européennes  (populairescomme savantes) ont été un apport fondamental pour la création musicale nouvelle dans ce continent.Les mélodies andines vont pour la plupart évoluer, devenant désormais harmonisées  tonalement  etcontenant davantage de notes. 

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     3) dans les danses et leurs rythmiques :

    Dans les villes, les populations espagnoles amènent avec elles leurs danses. On voit entre autressur les aquarelles du codex Martinez Compañon des femmes andalouses bien coiffées et vêtues dechemisiers en dentelles, corsets et jupes à multiples jupons colorés. L'utilisation de mouchoirs par lesfemmes dans leur jeu chorégraphié de séduction, pratique à l'origine espagnole, est devenue depuis unecaractéristique de plusieurs danses sud-américaines ("zamba" argentine…). On voit également deshommes avec leur chapeau et leurs costumes nobles qui s'habillent à la mode européenne.

    En Europe, la danse est très présente à cette époque. D'un côté, la "belle-danse" représente toutesles danses aristocratiques liées aux festivités de la cour et au théâtre. Mais il existe en parallèle denombreuses danses restées populaires (parfois également devenues aristocratiques). On trouve descontredanses, pavanes, gaillardes, courantes, sarabandes, allemandes, chaconnes, passacailles, gavottes,menuets, canaries, jacaras, rigaudons, bourrées, passepieds, tambourins, gigues, forlanes, etc… Sicertaines de ces danses ont été importées, elles ont obligatoirement apporté au métissage plusieursparamètres : les costumes, mais aussi les chorégraphies ainsi que les musiques avec leurs rythmiques.

    Sur ce point justement, les rythmiques espagnoles constituent un apport considérable pour lesformes musicales futures en Amérique du Sud. Un certains nombre de ces danses étaient basées sur unestructuration mensurale de type ternaire (en 3/4 ou en 6/8), comme par exemple les passacailles,gaillardes, chaconnes, courantes, sarabandes, gigues… Au XVIIème  siècle, Gaspar Sanz, célèbre

    compositeur-vihueliste espagnol, publie plusieurs recueils mentionnant non seulement les jeux enrasgueado et en punteado mêlés, mais aussi contenant des pièces apparentées à la danse, dont denombreux jacaras et canarios qui alternent des rythmes « sesquialtères » (le rapport de longueur entre euxétant d’une fois et demie). Les mesures en 3/4 comprenant les rythmes "noire-noire-noire" alternent avecd'autres mesures en 6/8 comprenant "deux noires pointées", ces deux formules rythmiques étant parfoisadditionnées verticalement en polyrythmie. On trouve ce même type de contenu rythmique dans despièces composées en Amérique hispanique au XVIIIème  siècle comme le "Codice Saldivar" de Leόn(Mexique) et l'opéra "La púrpura de la rosa" (Lima).Ce rapport entre 3/4 et 6/8 est également notable dans les "hémioles" baroques nombreuses en mesureternaire au niveau des cadences, où la redivision d'une séquence rythmique de six valeurs estmomentanément faite de manière binaire.

    On a là un matériau rythmique qui sera plus tard la base de très nombreuses danses qui vont secréer en Amérique du Sud : "joropo", "pasaje" et "danza" (au Vénézuela), "bambuco" et "pasillo" (enColombie), "lundú", "alcatraz" et "marinera" (au Pérou), "cueca" (en Bolivie et Chili), "zamba","chacarera", "gato", "malambo", "bailecito", "vidala" et "chamamé" (en Argentine)…

    Dans ces danses, il est quasiment impossible et inutile de déterminer si l'aspect binaire oul'aspect ternaire l'emporte, l'un suscitant toujours l'autre. Les interprètes disent qu' "il faut jouer binaire enpensant ternaire et jouer ternaire en pensant binaire".

    Sur cette ambivalence entre 3/4 et 6/8, les cultures indigènes et africaines vont ensuite adjoindreleur façon différente de placer les temps forts et les temps faibles qui seront en fait souvent inversés(même principe que dans le jazz). Par exemple, dans le "samba" brésilien actuel, le tambour "surdo"marque le second temps plus fort que le premier, et dans la "chacarera" argentine actuelle, le tambour

    "bombo" marque un premier temps quasi inaudible, puis augmente en crescendo sur le deuxième puistroisième temps (à l'inverse d'une valse).

    Pour conclure sur l'apport musical "forcé" des colonisateurs, on peut dire qu'il a eu pour effet defaire naître une nouvelle musique principalement populaire propre au continent sud-américain, biensouvent à partir de la musique savante ou semi-savante européenne.

    B) L'apport des esclaves africains

    Il faut rappeler que les esclaves venus d'Afrique étaient déjà présents aussi en Espagne et auPortugal dès le XVème  siècle où ils avaient eu au fur et à mesure une influence non négligeable sur lapratique musicale.

    Pour ceux qui furent envoyés sur le sol américain, dès leur arrivée, ils se regroupaient vite entreeux (en "naciones" et "cabildos") afin de garder une certaine identité et une protection contre le maître

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    blanc. De ce fait, leurs pratiques anciennes survivaient un peu mais devaient s'adapter aux moyensmatériels et aux lois/interdictions sur place. Elles étaient de plus déjà soumises à un métissage car lesesclaves qui se regroupaient ne provenaient pas toujours d'un même pays ni d'une même ethnie, maisd'abord d'un même port de débarquement.

    Ils étaient très nombreux, représentant un pourcentage démographique beaucoup plus imposantque de nos jours. Les noirs pouvaient obtenir avec le temps des postes de musiciens professionnels et dedanseurs parfois maîtres de ballet. 

    1) dans l'instrumentarium :

    La musique africaine met en avant les percussions. Les esclaves noirs utilisaient desmembranophones à double peau qu'on nomme "atambores" et "atabales". Les populations d'origineafricaine se rassemblaient régulièrement pour des cérémonies rituelles. Ces réunions étaient néfastes auxyeux des colonisateurs car elles faisaient beaucoup de bruit et avaient un lien direct avec la survivance decroyances chamaniques. Des lois administratives et ecclésiastiques furent édictées en conséquence pourtenter de stopper cela : interdiction des rassemblements, interdiction de posséder des tambours à peau…

    Les noirs inventèrent alors au Pérou le "cajόn", percussion constituée d'une boîte uniquement enbois. Cet instrument était certainement au départ fait d'une caisse destinée à la cueillette des fruits ou à lapêche des poissons.

    Les esclaves africains avaient d'autres idiophones percussifs. Ils claquaient souvent des mains,intégrant physiquement musique et danse. Les "claves" ou "wood-block" (bouts de bois entrechoquésentre eux) étaient faciles à reconstituer avec les matériaux du pays. On sait qu'ils jouaient aussi du "güiro"(racloirs). Leurs "balafons" africains furent ré-adaptés en Amérique du Sud pour devenir les "marimbas"(série de lames en bois frappées avec résonateurs en calebasse ou bois). Ils utilisaient également des"mâchoires de chevaux ou d'ânes" dont les dents branlaient en tapant dessus. Tous ces instruments sontvisibles sur les aquarelles du codex Martinez Compañon.

    Plusieurs lettres écrites par des colons mentionnent également l'utilisation de la "kora"(instrument africain à cordes pincées dont la caisse de résonance est en calebasse), de grelots fabriquésavec divers morceaux métalliques et d'une petite flûte nasale (l'air étant impulsé par le nez).

    Quant à la voix, les paroles contiennent très souvent des onomatopées rythmiques.

    Joueurs de Marimba. Mexico. Début XXème siècle.Source : La musique des Incas et ses survivances par R et M d'Harcourt  

     2) dans les formes musicales :

    Les esclaves africains sont arrivés sur le continent sud-américain avec des musiques quiparticipaient fortement à leur vie sociale. Elles étaient souvent assez répétitives et basées essentiellementsur les percussions ou du moins sur le rythme. Les sensations de pulsations, de temps forts et temps faiblesétaient différentes du "goût" européen. Les motifs mélodiques étaient plutôt construits sur des échelles

    modales, comme le montrent les notes des lames composant les balafons africains.Par la confrontation avec d'autres rythmes venus entre autres d'Espagne, les musiciens africains

    ont joué un rôle important dans la construction de nouvelles cellules rythmiques très complexes et de cefait stimulantes pour les musiciens et danseurs.

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    Ils ont développé des rythmes faisant ressortir les contretemps, comme les syncopes etsyncopettes. Si on prend par exemple le rythme "syncopette - deux croches" très utilisé, on peut sentirtrois appuis irréguliers*  : long, long, court, ce qui a donné naissance au rythme fondamental de lahabanera, de la milonga, du tango… *

    D'autres combinaisons toujours d'origine africaine, plus complexes car mélangeant davantage detemps longs et temps courts, sont aussi présentes actuellement dans les musiques afro-cubaines etbrésiliennes entre autres (rythmiques tenues par les claves…).

     3) dans les danses :

    Les esclaves africains dansaient beaucoup, avec des mouvements du corps très spontanés, sansretenue, à tel point que les colons les trouvaient grotesques et surtout possédés par le diable. Ilsadjoignaient aussi à la danse les frappements des mains et des pieds. Les danses africaines"d’ombligada" (nombril, bas-ventre) avaient parfois rapport avec la fertilité et l’érotisme ; elles ont éténommées par la suite "lundum", "landó", "samba landó"…

    Aujourd'hui encore existe au Pérou une danse qui descend tout droit de ces esclaves africains descôtes péruviennes au XVIIème  siècle : le "festejo". C'est une danse qui reprend l'utilisation au départespagnole du mouchoir, mais de manière ré-adaptée, car celui-ci est ici attaché au bas du dos de la femme.L'homme tente de toucher le mouchoir avec une flamme tout en dansant, prétexte africain pour

    "endiabler" la danse, car évidemment la femme doit remuer vigoureusement le postérieur pour éviter quele mouchoir ne prenne feu. C'est une danse qui utilise aussi la pratique par les hommes du " zapateo"(frappements virtuoses des pieds) et se rapproche ainsi du "malambo", danse actuellement caractéristiquedes gauchos de la pampa argentine (le nom venant peut-être d'un quartier de Lima au XVIème siècle oùhabitaient les esclaves noirs). Le zapateo (ainsi que le frappement des mains) est également présent dansd'autres danses sud-américaines, comme la "chacarera" argentine et la "marinera" péruvienne. Mais lezapateo est aussi une pratique caractéristique dans le "flamenco" espagnol (né au XVIIIème avec l'apportdes tsiganes européens) et on remarque que, de leur côté, les civilisations pré-colombiennes utilisaientégalement des petits pas rapides martelant le sol. Au final, on pourrait plutôt émettre l'hypothèse que cettepratique existait simultanément dans divers endroits du monde.

    Une autre danse très populaire aujourd'hui en Argentine est la "zamba". Elle symbolise la

    conquête de la femme par l'homme : appel du regard, fuite de la femme, poursuite de l'homme... avec àla fin la femme qui baisse son fameux mouchoir et l'homme qui s'approche. Le terme "zamba" signifiaitau XVIIème  la fille métisse (d'un couple africain-indien) donc cette danse serait en lien avec le peupleafricain. Certains écrits disent que cette danse est d'origine africaine, mais d'autres disent qu'elle vientd'une contredanse espagnole. De toute manière, comme je l’ai évoqué rapidement plus haut, les esclavesafricains avaient déjà eu une influence musicale en Espagne, créolisant et popularisant des danses tellesque le fandango, la jota, le boléro, pour en faire dès la fin du XVIIIème siècle espagnol ce qu’on appelledes "bailes de tierra" (danses de terre, campagnardes, en opposition aux danses de salon). Ces « bailesde tierra » ont donné naissance un peu plus tard au Pérou à la "zamacueca", qui elle-même a évolué versd’autres danses comme la « marinera », la « cueca » et la « zamba ».

    C) L'apport des autochtones amérindiens

    Le peuple autochtone amérindien était constitué de nombreuses ethnies et tribus isolées (parexemple dans les Andes : Amahuara, Mochica, Nazcas, Tiahuanaco…) qui parfois étaient fédérées dansdes civilisations étendues (aymara, chibcha, inca, mapuche…). Il y avait en conséquence de nombreuseslangues et pratiques… que je suis forcée de survoler globalement dans les explications ci-dessous.

    1) dans l'instrumentarium :

    Les diverses populations indigènes utilisaient dans toute la région andine la flûte de pan, qu'on

    appelle "siku" (en langue aymara), ou "zampoña" (en espagnol, du fait du son produit très fort etressemblant de loin à la cornemuse "zampoña") ou "antara" (en langue quechua au Pérou). Cet instrumentreste toujours actuellement très utilisé dans ces pays. Il est fabriqué en roseau, mais a également étéconstruit parfois en argile, en pierre, en bois, en métal ou avec des grosses plumes de condor. Il secompose de deux rangées de tubes ("ira" et "arca") que l'on place parallèlement au corps et dans lequel on

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    souffle verticalement. De ce fait le siku est joué par deux musiciens qui se répartissent les notes desrangées respectives (cette pratique à deux s'appelle le jeu en "comparsa"). Mais il peut être également jouépar un seul musicien qui joint les deux rangées. Il existe différentes tailles de siku, les appellations étant,de la plus petite à la plus grande : "chulis", "maltas", "zankas" et "toyos" (tubes de 5 cm jusqu'à 1m.70).Le siku peut être joué en grand groupe (appelés "sikuris") pour les diverses fêtes et cérémonies. L'échellede l'instrument actuel est parfois encore pentatonique dans certaines zones de la Cordillère ouspécialement avec la flûte de pan équatorienne : le "rondador". Mais la plupart du temps l'échelle estdiatonique. De nos jours, les sikus peuvent être complétés par des rangées chromatiques ou accordés afinde pouvoir jouer l'ensemble des notes du répertoire actuel.Le siku est présent dans quatre aquarelles du Codex Martinez Compañon où il est joué à chaque fois demanière individuelle. (cf plus bas le chapitre sur les aquarelles)

    sikus modernes en roseau sikus très anciens retrouvés en Bolivie sikus très anciens retrouvés au Péroudifférentes tailles en pierre de talc sculptée en argile

     siku : pièce archéologique recueillie par Martinez Compañon

    Il est mentionné également dans la musique du baroque missionnaire l'utilisation de flûtes de pangéantes dites "bajunes gigantes". Elles dépassent bien la taille d'un mètre et sont composées de feuilles depalmier très fragiles enroulées. Elles sont faites pour être jouées par deux interprètes, au même titre queles "sikus" de petite taille (une partie de dix tubes, donc dix notes : "Macho", et l'autre également de dixtubes pour dix autres notes : "Mama"). Le son produit est grave, profond et velouté. Ces "bajunes" étaientutilisées par les indiens Moxos et Chiquitos sur leurs territoires dans les hauts plateaux andins, avantl'arrivée des Jésuites. Ces derniers en s'installant ont trouvé l'instrument fort intéressant puisqu'il permet de

     jouer des notes graves, registre que les autochtones n'arrivaient pas à chanter. Il a donc été alors très utilisédans toute la musique liturgique des missions. Après l'expulsion des Jésuites en 1767 l'instrument futabandonné progressivement.

    Joueurs de bajunes et danseurs sur la place devant une égliseSource : Les chemins du Baroque dans le Nouveau Monde d'Alain Pacquier

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    La "kéna" ou "quéna" est une flûte indienne précolombienne (c'est à dire utilisée avant l'arrivée deChristophe Colomb). Elle est courante dans toutes les régions d'Amérique du Sud, ayant franchi depuislongtemps la frontière du Pérou et du vieil empire incaïque desquels elle est originaire. Cette flûtecomporte une encoche à son embout nécessitant une embouchure particulière pour l'instrumentiste. Elle aun ambitus de deux à trois octaves. Sa longueur est variable : il existe des modèles plus grave ("kénacho")et des plus petits ("kénillas"). La kéna est fabriquée en roseau épais, mais certains facteurs actuels utilisentparfois aussi le bois d'ébène ou le bambou et elle fut autrefois construite également en os, en métal, enpierre… Pendant la période incaïque, la kéna pouvait exécuter une gamme pentatonique mais il sembleraitque les civilisations Nazca et Chimu aient utilisé des échelles plus fournies.On voit une kéna dans les pièces archéologiques recueillies par l'évêque Martinez Compañon mais aucunede ses aquarelles ne représentent ce type de flûte, pourtant si courant.

    pièce archéologique recueillie par Martinez Compañon 

    Parallèlement à ces flûtes, les civilisations amérindiennes, particulièrement cellesexpertes en poterie, fabriquaient des petits "sifflets" ou "vases sifflants" ou "ocarinas" très

     jolis, souvent en forme d'oiseaux, d'animaux ou d'humains, utiles pour la chasse.

    Comme autres instruments à vent précolombiens existe la famille des "trompes". Elles sont deformes tubulaires, parfois droites ou incurvées ou même repliées. Chez certaines populations le pavillonest évasé. Il en existe aussi de toutes simple faites d'un gros coquillage percé à sa pointe.

    Une de ces trompes, très courante dans les fêtes et dans l’accompagnement des travaux agricoles,est née certainement pendant cette période de colonisation : elle s’appelait « clarin », mais aujourd’hui senomme aussi « erke ». La photo ci-contre, prise par Henry Reichlen au XXème  siècle, montre cetinstrument toujours très utilisé dans la région.Le clarin mesure jusqu’à 3m.50 et est fabriqué dans un bambou « carrizo ».L’embouchure est latérale mais s’utilise comme toute trompe droite en pinçantles lèvres. L’instrument est soutenu sur le côté à bout de bras. Il contient un

    pavillon évasé parfois fait d’une demie calebasse. Les sons qui sortent sontpuissants, rauques et déchirants. Il semblerait que cet instrument n’ait pas uneorigine andine pré-colombienne pure, mais qu’il ait été introduit à l’époquecoloniale par des échanges avec les populations de la forêt amazonienne quipossédaient de grandes trompettes de bois.

    Autre instrument très typique des peuples indigènes : les grelots « maichiles ». En effet, on enobserve sur beaucoup d'aquarelles du Codex Martinez Compañon, entourant les chevilles des musiciens etdanseurs. Ils sont soit métalliques ("chancharra" avec chaque petit grelot de forme sphérique oupiriforme), soit faits de gros haricots colorés ("zacapa") ou de coquillages marins ("churu"). Actuellement,les grelots sont aussi faits avec des ongles de chèvre. Ils portent plusieurs noms avec un sens auditif :"chalchas" (ou "chulus", "chullchus", "chacchas", "chajchas"…).

    aquarelle du Codex M. Compañon, objet recueilli par M.Compañon. chalchas actuels avec ongles de chèvres 

    On retrouve dans les objets recueillis par Martinez Compañon également d'autres

    instruments idiophones comme le "hochet" : récipient (en argile, bois, calebasse…) rempli degrains (graviers, graines, boulettes d'argile…) complété par un manche en bois. (cf ci-contre)

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    Des instruments racloirs  existaient aussi comme pour les populations venues d'Afrique : on aretrouvé des os ou des baguettes de bois contenant toute une série de raies profondes qui étaient racléesavec un bâton. Cet instrument étaient certaines fois amélioré par le rajout d'une caisse de résonance.

    Quant aux percussions, les populations amérindiennes utilisaient deux sortes detambours : certains à deux faces et d'autres ne comprenant qu'une seule membrane.Les premiers sont nommés "wankar", faits de peaux sèches de daim, de lama, etparfois même de prisonniers de guerre. Les autres tambours, légèrement plus petits,se tiennent sous le bras et sont construits dans un tronc de bois creusé ou en terrecuite : les "tinya". A cette époque, les indiens n'utilisaient qu'une seule baguette assezcourte et leurs tambours étaient légers et maniables.

    Tinya représentée sur une aquarelle de Martinez Compañon.

     2) dans le contenu musical :

    La musique des indigènes est une musique de tradition orale, ce qui lui a permis une évolutionrapide au contact des apports extérieurs.

    Les civilisations précolombiennes ont exploité essentiellement la gamme pentatonique dans leurs

    mélodies. Cela peut être démontré grâce aux instruments retrouvés comme les sikus et kénas très anciens.Les notes présentes étaient : do-ré-mi-sol-la (ou la même échelle transposée bien sûr). Si on prend cettegamme en descendant, on peut choisir de terminer par telle ou telle note qui aura donc une importance denote fondamentale dans la mélodie. Cela nous conduit vers cinq modes possibles :

    - le premier "A" : la sol mi ré do (do – mi … tierce majeure)- le second "B" : sol mi ré do la ( la – do … tierce mineure)- le troisième "C" : mi ré do la sol- la quatrième "D" : ré do la sol mi- le cinquième "E" : do la sol mi ré

    En réalité, sur la totalité des airs d’origine pré-colombienne retrouvés en Amérique du Sud dans lespeuplades reculées, il y en a une très grosse majorité qui utilisent le mode B (particulièrement au Pérou) ;le mode A est assez souvent utilisé également ; le mode D est représenté particulièrement dans la régionde l'Equateur ; le mode C est un tout petit peu présent aussi dans cette région spécifique ; et enfin le modeE est inexistant.

    Il faut noter également que les modes majeur et mineur n'expriment nécessairement pas lesmêmes sentiments pour les amérindiens que pour les européens. À cette époque, la rhétorique dans lamusique savante européenne était particulièrement développée : les choix d'une tonalité mineure oumajeure pour leur affect, ainsi que de la note tonique pour le tempérament qu’elle induit, revêtent uneimportance toute particulière. En Amérique du Sud, bien que ce ne soit pas des tonalités à proprementparlé mais juste des modes à tierce mineure ou majeure, il arrive que certains chants en « mineur »expriment dans leurs paroles la joie et la danse, et que d'autres en « majeur » expriment la désespérance.

    Deuxième remarque très importante : les mélodies précolombiennes ne comportaient pasd'accompagnement harmonique.

    Quant aux ornements  présents (appoggiatures, broderies et gruppetti) faisaient toujours partiedes échelles modales et pouvaient donc ne pas être conjoints avec les notes réelles.

    Dès l'arrivée des mélodies européennes et de la musique liturgique jésuite, les indiens entendent denouvelles sonorités et vont les adopter partiellement dans la transformation de leur patrimoine musicalexistant. On l'observe par petites touches dans ces mélodies d’origine pré-colombienne.

    Par exemple, des ornements conjoints à leur note réelle et sortant de ce fait de l'échelle modale debase, vont être rajoutés dans les mélodies.

    Par ailleurs, celles-ci seront peu à peu accompagnées par des instruments à cordes pincées et doncharmonisées tonalement.La gamme pentatonique ne sera plus le seul cadre mélodique. Dans certains airs seront rajoutées des

    notes ou altérations, soit simplement par goût musical ayant évolué, soit parce que les paroles ont été

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    traduites en espagnol et que le nouveau nombre de pieds diffère de la mélodie. En effet, il faut soulignerque le métissage s'est fait mélodiquement mais aussi par le choix des langues utilisées dans les chansons.Si on reprend les deux modes A et B les plus utilisés, les notes rajoutées sont celles-ci (en gras) :

    A : do  si  la sol fa#  mi ré doB : la  sol (ou sol# parfois)  fa#  mi ré do si  la

    La septième note (sol ici) est parfois altérée pour obtenir une "sensible", comme dans la musiqueeuropéenne. *

    Après avoir réfléchi sur les échelles mélodiques, voici quelques remarques quant aux rythmes employés. Les indigènes utilisent, comme dans d'autres régions du monde, des rythmes* permettantd'accentuer chaque pulsation. Le temps y est bien marqué par une attaque brève suivie rapidement par uneautre note en rebond. On trouve ces rythmes dans beaucoup d'airs indiens, lents comme vifs. Il y a aussibeaucoup de syncopettes. Plus haut, j'évoquais la possibilité que les populations noires aient amené cegenre de rythme en Amérique du Sud, mais c'est peut-être une pratique simultanée de diverses cultures.Particulièrement pour le rythme, il semble assez difficile de déterminer les apports de chacune d'elles. Ilfaut noter que le rythme de la syncopette dans les mélodies des Andes est à rapprocher dans soninterprétation du rythme du triolet, le flou entre ces deux rythmes créant un chaloupement très expressif, etmontrant bien que ces musiques ne sont pas de tradition écrite.

    Pour le type de mesure cadrant les mélodies indiennes, on trouve des 2/4, des 3/4, des 6/8 (lents,

    moyens, ou vifs), des 5/4, des changements de mesure au milieu de certains airs, mais très peu de 4/4.Pour ce qui concerne les formes musicales, on observe que la majorité des airs indiens ne

    comportaient qu'une seule idée thématique répétée avec une cadence suspensive puis se terminant par unecoda conclusive. Il existait aussi beaucoup d'autres airs comprenant deux idées thématiques, la deuxièmeidée concluant davantage que la première. On trouvait aussi des airs avec la forme du rondeau (couplets etrefrain) et parfois des préludes instrumentaux précédant le chant.

    On peut diviser les chants en plusieurs catégories thématiques et rythmiques dont les principalessont : les chants religieux pour divers rites (hymnes au Soleil, aux Dieux), les chants pour narrer lesexploits d'êtres mythologiques ou d'éminents personnages incas (les "jailli"), les lamentations funéraires("llantos"), les chants d'amour et de peine ("arawi"), les chants d'adieu ("kacarpari"), les chants festifs et

     joués aussi instrumentalement ("wayno", "san juanito", "taki", "ttakteo"…).

     3) dans les danses et fêtes :

    Dans l'empire Inca, les fêtes avaient différents thèmes. Elles étaient toujours composées de chants,danses avec costumes, rituels, beuveries alcooliques (avec la « chicha », alcool de maïs), et musiques (letambour "tinya" y étant souvent présent).

    *Certaines étaient en rapport avec les différentes saisons et les risques agricoles afin d’entrer en

    communication avec les esprits et de s'attirer leurs faveurs, comme par exemple :- au moment des premières pluies de septembre, pour protéger des épidémies (avec jeûne,nettoyage…)

    - pour le labour de janvier, les cultivateurs travaillant et chantant tous à la même cadence- pour l'équinoxe de printemps en mars, pour repousser les gelées nocturnes- pour les semailles puis les récoltes du maïs- pour les moissons- pour recenser les troupeaux de lamas en juillet.

    *D'autres fêtes sont liées à la vie sociale, comme par exemple :- pour la première coupe des ongles (« corte de la uñas ») ou des cheveux (« landaruto ») des

    enfants- pour l'initiation des jeunes hommes en décembre (douleurs à supporter, libations, chants et dansestrès vifs "taqui huari")…

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    *D'autres encore sont liées au royaume Inca et ses dirigeants, pour honorer des naissances, funérailles(avec des chants "llantos"), ou des victoires militaires (avec sacrifices)…

    *D'autres enfin sont reliées à l'adoration des Dieux ou de la Terre-Mère (la "Pachamama"). Par exemple àl’occasion du solstice d'été, on fête le Dieu Soleil, la lune, les étoiles et éclairs (avec des chants,danses et offrandes).

    Dans ces fêtes on trouvait différents types de danses adaptées aux circonstances :- des danses lentes rituelles avec incantations pour différents métiers (laboureurs, bergers, pêcheurs

    et chasseurs…)- des danses vives et excentriques, avec costumes et parfois masques (cf aquarelles du codex)- des danses nobles des Incas ("guayaya")- des danses pour les divinités (exemple : le "Quishpicóndor")- des danses en rapport avec l'Histoire- des danses chorégraphiées avec un nombre très important de danseurs (jusqu'à 1000) pour des

    occasions exceptionnelles- des danses guerrières- des danses de couple et de séduction (exemple : la "zamacueca")

    Toutes ces fêtes, mêlant profane et sacré, destinées à se concilier les esprits et divinités de laNature, étaient vues par les ecclésiastiques comme la persistance d’idolâtries marquant un paganismeprofondément ancré. Ces fêtes les inquiétaient d’autant plus que c’était l’occasion de grandsrassemblements populaires, avec souvent des mascarades incompréhensibles pour eux. Ils ont doncinterdit certaines de ces fêtes, et en ont re-christianiser d’autres par prosélytisme. Celles-ci se sonttransformées en fêtes mariales (par exemple le 8 septembre, jour commémoratif de la naissance de laVierge : fête du « Wanchaku » qui commémore par la même occasion la mort d’Atahualpa) et en diversesfêtes patronales avec processions (par exemple la fête du « Corpus christi » dont la date correspond à cellede l’ancienne « Inti Raymi », fête incaïque du Soleil)…

    Ces nouvelles fêtes ou carnavals mélangeaient donc à la fois des rites catholiques, des rites païenset des bouffonneries.

    Conclusion sur le brassage des influences européennes, africaines et indiennes :

    L'époque de la colonisation espagnole a marqué un véritable tournant dans la construction d'uneculture propre au Nouveau Monde. Cette nouvelle culture a été la conséquence de l'exploitation despopulations indigènes et africaines et de l'imposition d'une culture différente, mais le brassage qui s'en estsuivi a permis un développement culturel positif pour chacune de ces populations. Celles-ci se sontégalement métissées humainement car les européennes n'ont pas émigré en masse, ce qui donna beaucoupd'enfants métis : les "mestizos" étant les métis issus de blancs et de noirs, les "cholos" étant les métis

    issus de blancs et d'indiens et les "zambos" étant les métis issus de noirs et d'indiens.

    Pour le brassage musical on peut dire qu’il y a eu d’un côté la musique savante baroque qui adéveloppé une spécificité stylistique par le biais des missions, et d’un autre côté les couches populairesqui ont intégré les diverses pratiques du moment pour les mélanger et en faire naître peu à peu unrépertoire nouveau enrichi de ces apports.

    Nous allons voir maintenant que l'évêque Martinez Compañon arrive au Pérou à cette mêmepériode foisonnante de brassage et que son codex est une mine d'informations sur la richesse de cemétissage. 

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    V Une pièce maîtresse du Baroque Andin : le CODEX "TRUJILLO DEL PERU"

    A) Son auteur : le prêtre espagnol Baltazar Jaime Martínez de Compañón y Bajanda( † 1738 – 1797 )

    Né en 1738 en Navarre, ce chanoine érudit reçoit uneformation musicale à l'école du baroque tardif. Il demande et obtientdu Roi de devenir chantre à la cathédrale de Lima au Pérou, lesJésuites venant d'être expulsés d'Amérique.

    Il arrive à Lima en 1768. D'abord secrétaire du Concile deLima, il est nommé dix ans plus tard par le Pape, évêque du diocèsede Trujillo.

    Dans ce nouveau diocèse auquel il va s'attacherparticulièrement au point de le regretter quand il devra le quitter, ilparticipe personnellement au développement social, économique,culturel et cultuel de son diocèse :

    - construction d'écoles, de canaux, d'églises et de villages,

    - introduction de méthodes pour le travail de la terre,- enseignement personnel du plain chant aux séminaristes.Il marque son opposition à l'élimination de la culture inca

    ainsi qu'au développement de l'esclavage colonial.

    Trois ans après sa nomination, entre 1782 et 1785, il entreprend de longs voyages au Nord duPérou pour découvrir le territoire dont il a la charge. De par sa curiosité, son sens de l'humanité et sonérudition, il souhaite effectuer un travail très complet d'ethnologie, l'Histoire générale de son diocèsequ'il nommera le codex "Trujillo del Peru".

    Dans son travail, Baltazar Jaime Martínez de Compañón y Bajanda observe et note avecenthousiasme le plus de détails possibles sur la vie de son diocèse. Il réalise lui-même 1411 aquarelles

    (dont 38 se rapportent directement ou indirectement à la musique), note sur des portées vingt piècesmusicales (avec leur paroles), et récolte plus de 800 objets archéologiques.Ce travail n'aboutira malheureusement pas totalement car le Pape le nomme archevêque de Bogota en1788 où il meurt neuf ans plus tard (en 1797). Mais il a entre-temps envoyé au Roi de Madridl'intégralité de ses relevés (neuf volumes d'écrits) ainsi que toutes les pièces archéologiques. Tout cetravail est encore à la bibliothèque du Palais Royal à Madrid et est disponible en intégralité sur internet.(cf nom du site dans bibliographie)

    Martinez Compañon offre donc par le codex "Trujillo del Peru" une monumentale histoirepermettant de connaître le quotidien d'une société multiculturelle en formation à cette époque. Et cecodex ne constitue pas qu'un écrit ethnologique, c'est également une œuvre artistique très belle, pleinede finesse et de vie.

    Ces aquarelles recensent les diverses couches de population : les milieux aisés venus d'Europe,les métis, les indigènes, les africains. Martinez Compañon peint nombre de métiers, nous apportant deprécieux détails sur la médecine, le tissage, la chasse et la pêche, l'agriculture et l'élevage des animaux.Il édite des cartes, des listes d'habitants et de rues, des plans d'architecture. Il montre aussi les divers

     jeux, fêtes et danses de l'époque. Il tire le portrait de beaucoup de religieux (dont le sien ci-dessus) ainsique de colonisateurs dirigeants. Il peint aussi l'intérieur de tombeaux, preuves de la civilisation inca. Ilréalise également un véritable recensement de très nombreuses espèces végétales (arbres, plantes, fleurs,graines) et animales (poissons, mammifères, insectes, oiseaux, coquillages). Enfin, il note sur partitionvingt airs dansés de tradition orale recueillis en dehors des lieux de culte, dans des endroits très variés(volume II du recueil, E 176 à E 193).Sa curiosité, son ouverture, et sa proximité avec le peuple l'emmènent loin des sentiers battus, desmilieux religieux ou aisés, pour découvrir la richesse de son diocèse sous tous ses aspects.

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    B) Le voyage de Martinez Compañon : provenances des musiques relevées

    Pour dix de ces musiques, l'évêque mentionne le lieu de provenance, ce qui fait ressortir sixsecteurs géographiques principaux, décrits ci-dessous :

    1 - Fêtes de Noël à Trujillo

    (n° 1, 2 et 19)

    2 - Musique et danse de la culture"chimu" à Lambayeque(n° 10 et 11)

    3 - Divertissement populaire dansune chicheria (bas fonds) du port dePaïta

    (n° 7)

    4 - Musique à Chachapoyas(n° 13 et 15)

    5 - Cérémonie musical à Cajamarca en hommage au dernier monarqueInca "Tupac Amaru II" arrêté etassassiné.(n° 14 et 18)

    6 - Fête à Guamachuco (lieu précisintrouvable avec les noms actuels)(n° 16 et 17)

    C) Analyse musicale du Codex Martinez Compañon

    C1 – L'instrumentation proposée par l'évêqueSur les vingt pièces musicales relevées, la grande majorité sont en même temps chantées et

    dansées, aspects souvent indissociables pendant les festivités. Trois pièces seulement sont des dansesaccompagnées uniquement instrumentalement (n° 4, 5 et 12).

    Il est frappant de lire les indications de l'évêque au sujet de l'effectif instrumental : il parleuniquement de violon, de chanteurs, de flageolet et tambourin ainsi que de basse (signifiant bassecontinue). Aucune autre indication sur les instruments que l'on voit dessinés dans ses aquarelles ou quecertains écrits d'époque nous relatent (kéna, flûte de pan, clarin, marimba, claves, grelots, mâchoired'âne…). Pourtant, l'évêque semble vouloir réaliser son travail ethnologique de manière minutieuse(détails très précis dans les dessins, persévérance dans l'énormité du travail par une quantité

    d'aquarelles…). On pourrait donc supposer qu'il est évident pour lui, de par sa formation musicale, queles parties de "dessus" et de "basse continue" peuvent être jouées indifféremment par divers instrumentsadaptés, comme dans les pratiques baroques. On pourrait également penser que les morceaux qu'il aentendus ont été interprétés plusieurs fois par divers effectifs instrumentaux, la musique étant jouée

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    spontanément dans les festivités avec les instruments présents. Par le terme "violon", MartinezCompañon désignerait donc plus largement la partie instrumentale du "dessus", différenciée de la partiechantée et de l'accompagnement harmonique. Ce qui laisse aux interprètes une grande liberté pour fairerevivre ces musiques.

    On peut déplorer également le fait qu'il n'ait pas pu noter les mélodies de l'ensemble des scènesmusicales qu'il a pu peindre (avec flûtes de pan, clarin, guitares ou vihuelas, mandolines, marimbas…),ou qu'il n'y ait pas de lien direct nommé entre une partition et une aquarelle. Le manque de temps a dûcertainement empêcher de plus nombreux ou plus précis témoignages musicaux.

    Malgré des interrogations restantes sur l'interprétation, la musique de ce codex attire aujourd’huibeaucoup de musiciens car elle garde une sève simple et belle. J'ai pu observé, dans mes recherches, quedes pièces du Codex Martinez Compañon ont été jouées par des musiciens baroques européens, desmusiciens baroques d'Amérique du Sud, par des amateurs de tous styles, par des enfants (intégrés dansde gros projets pédagogiques fédérateurs), par des spécialistes du répertoire andin, et même parSusana Baca dans une réadaptation particulière. (cf dans bibliographie divers noms d'interprètes…)

    C2 - Formes et appellations des pièces musicales

    L’évêque Martinez Compañon a utilisé quatre appellations différentes pour désigner les airs qu’il

    a notés : « tonada/tonadilla », « cachua/cachuyta », « bayle » et « lanchas ». Les autres chroniqueursde l’époque employaient également ces quelques termes qui restaient assez généraux. Aujourd’hui, enrevanche, les noms de danses du folklore sont vraiment très nombreux et précis, mais parfois un mêmenom de danse peut s’interpréter différemment selon les régions où on l’emploie.

    - Dans ce Codex, le terme de "tonada" revient à onze reprises et celui de son diminutif"tonadilla" apparaît une fois. Il représente donc la majorité des thèmes. Sept d’entre ces danses ontcomme indication de tempo Allegro, mais deux sont de caractère Andantino (ainsi que la tonadilla), etenfin la dernière est une procession lente. Le mot tonada signifie « chanson » et vient du mot « tono »,chanson qui existait en Espagne (nous l’avons vu plus haut : les « tonos humanos »). A l’heure actuelle,il existe en Argentine une danse nommée « tonada ».

    - Le deuxième terme que l’on retrouve est "cachua". Il apparaît quatre fois et son diminutif"cachuyta" une fois. Plusieurs cachuas ont des paroles religieuses et ont été notées par l’évêque pendantdes fêtes christianisées à l’époque de la colonisation. A trois reprises, le tempo est Allegro, mais unecachua est de caractère Majestuoso et la cachuyta est de tempo Andantino. Elles sont souvent basées surune mesure binaire, de type « huayno » (structure précolombienne). Il semble donc par les indications deMartinez Compañon que les cachuas soient la plupart du temps joyeuses. Dans les descriptions dedanses de cachuas traditionnelles relatées aujourd’hui, il est indiqué que ces danses se font souvent encouple avec des gestes doux plutôt lents, et qu’elles ont été aussi chorégraphiées par les danseuses« pallas » en danses collectives. Elles commencent de manière lente, lancinante, presque monotone, (cequi n’est nullement mentionné par l’évêque à l’époque), puis une accélération se produitimperceptiblement, et enfin elles finissent dans un déchaînement joyeux, parfois frénétique.

    - Le terme de "bayle" désigne deux airs du Codex. Il s’agit de danses (« bailar » en espagnolsignifiant danser) qui ne sont pas chantées mais uniquement instrumentales. L’une d’entre ellesmentionne l’usage du double instrument « pifano y tamboril » avec un tempo Presto.

    - Enfin, le dernier terme "lanchas" est employé une seule fois. Le mot « lancha » signifie bateauen espagnol, peut-être pour évoquer un balancement dans la danse. On ne retrouve pas vraiment detraces de ce mot dans d’autres recueils de danses mais il semblerait que cette danse soit pratiquée enEquateur avec des foulards. Nous verrons plus bas dans l’analyse de ce morceau qu’elle se différencie

    des autres airs du Codex par sa complexité inventive rythmique et mélodique ainsi que sa longueur.

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    C3 - Liste des 20 pièces musicales, sens des paroles et analyse de chacune

    Il est bon de se munir de l’Annexe ci-jointe contenant l’ensemble des manuscrits et ré-éditions,pour pouvoir comprendre les analyses ci-dessous. Pour chacune d’entre elles, j’en ferai ressortir lanature, la forme, les aspects harmoniques, rythmiques et mélodiques. La quasi totalité des pièces,Martinez Compañon a noté en clé de Sol la partie instrumentale (sauf dans de courtes introductionslaissant place ensuite au chant, certainement par économie de papier), en clé d’Ut 1 le chant (ainsi que

    clés d’Ut 3 et 4 pour des rajouts de voix plus graves), et enfin en clé de Fa la basse continue. 

    1 – Cachua a duo y a quatro, con violines y bajo Al Nacimiento de Christo Nuestro Senor (folio 176)(traduction) Cachua à 2 et 4 avec violons et basse pour la naissance de notre Seigneur Jésus Christ.

    Cette cachua a été entendue et notée pendant la fête religieuse de Noël à Trujillo. Les parolesexpriment l’adoration totale des fidèles envers le petit enfant Jésus, dans une langue castillane maisindianisée à plusieurs endroits. En cela, on pourrait rapprocher fortement (ce que n’a pas fait l’évêque)cet air d’un villancico. Peut-être qu’il l’aurait nommé ainsi si cette mélodie avait été écrite directementpar un Jésuite, mais comme il ne la découvre qu’oralement elle peut venir d’une mélodie plus ancienneindienne (la voix principale étant très simple et ne tournant que sur 4 notes).

    Elle est de caractère joyeux, Allegro, en La mineur. Cette pièce comprend beaucoup plus delignes mélodiques écrites que les autres morceaux du Codex : 2 parties de violon souvent à la tierce, 4parties chantées dont deux principales qui se suivent également à la tierce, et enfin la basse continue.

     Harmonie : Cette dernière est basée uniquement sur 2 accords : tonique et dominante. A la foisdans les parties mélodiques, mais aussi une fois dans la basse, on voit indiqué que les sol sont dièses (entant que sensible), donc ce morceau est vraiment tonal à l’époque où Martinez Compañon l’entend.

    Forme :  Il y a d’abord une courte introduction instrumentale ; puis à partir du moment où leschanteurs interviennent, les deux violons diminuent sur des rythmes de doubles croches. Aprèsl’introduction, on note trois parties chantées avec reprises, les deux premières mettant en avant deuxchanteurs souvent à la tierce, puis la dernière faisant intervenir un chœur à quatre partieshomorythmiques et harmonisées (ce qui est rare dans le codex). Il faut rajouter que même l’usage de latierce dans les parties en duo montre une évolution plus évoluée que dans plusieurs autres airs du codex,où certains duos sont uniquement à l’unisson.

    Pour le Rythme, on note que les parties chantées commencent systématiquement sur un accord dedominante donc sur le deuxième temps de chaque mesure. Les mesures sont en 2/4 et pourraient êtreaccompagnées rythmiquement par un rythme de « huayno » (1*). Si on détaille rythmiquement lapremière mesure instrumentale, on peut regrouper les notes en 3 parties : longue, longue, courte (2*) ;ce qui rappelle le questionnement sur l’origine de ces rythmes. (cf p.16, l’influence africaine…)

    1* : 2* :

    2 – Cachua a voz y bajo Al Nacimiento de Christo Nuestro Senor ( fol. 177)Cachua avec voix et basse pour la Naissance de Notre Seigneur Jésus ChristCette deuxième cachua rejoint vraiment la première, de par son caractère, son lieu de provenance

    et son sens. Elle a été recueillie lors des mêmes festivités et parle cette fois-ci de l’envie de danser etchanter « à la mode de chez nous » pendant cette nuit de Noël. Puis le refrain est repris par plusieurspersonnes à l’unisson, avec des paroles répétées en boucle « quillalla » (non traduisibles). Le mot« kiyaya » désigne encore actuellement une danse et les danseuses qui l’interprètent. Celles-ci sonthabillées en tunique bleue avec des rubans rouges et reprennent en chœur à chaque refrain les paroles« kiyaya ». Ce qui est étonnant c’est que Martinez Compañon ne mentionne pas que le refrain est reprispar tous, il rajoute juste une autre partie mélodique. Pourtant il le fait dans un autre air du codex. Mais

    on peut tout de même voir que cette tradition des « kiyaya » a perduré, et je pense qu’on peut mettre enrelation cette chanson dansée avec l’aquarelle 3, visible plus bas p.29-30.

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     Harmonie : La tonalité est ici aussi La mineur ; l’harmonie comprend 4 accords. Dans la mélodieon remarque mesure 1 l’usage de la note Ré répétée, qui est donc la 7ème de dominante de la basse ; il y aaussi plus loin mesure 8 un Fa qui serait à la fois appoggiature et 9ème de dominante passagère.

    Forme : Ce morce