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l’enfermement

en questionun choix de société

Outil de Réflexion

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« Nous ne pouvons juger du degré de civilisation d’une nation qu’en visitant ses prisons »

Dostoïevski (Fedor Mikhaïlovitch)

COORDINATION 

Anne Fivé [email protected]

02 627 68 06

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Avant-propos - Éliane Deproost .................................................11

Introduction - Juliette Beghin .................................................... 15

Le système carcéral belge et les valeurs laïques : une incompatibilité éthique ?Marie-Ange Cornet ..................................................................... 21

L’action laïque au quotidien en milieu carcéral Jean Musway Mupeka ................................................................. 27

Approche historique et objectifs assignés à la prisonFlorence Dufaux........................................................................... 37

(Sur)vie en prison : conditions « ordinaires » de détentionDelphine Paci ............................................................................... 49

Un monde sans prison est-il possible ? ................................. 57

Les alternatives : une brèche dans les murs ?Juliette Béghin ............................................................................. 57

La médiation pénale : une alternative à la peine ?Cedric Tolley ................................................................................ 61

Prisons : un autre break est possibleL’exemple de la politique réductionniste de la FinlandeFlorence Dufaux........................................................................... 71

TABLE DES MATIÈRES

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De la peine privative de liberté comme ultima ratio à son abolitionCompte rendu de l’exposé de Philippe Mary au colloque organisé le 19 janvier 2011 par l’Ordre français du barreau de Bruxelles et Bruxelles Laïque ..................................................................... 79

Conclusion .......................................................................... 83

Bibliographie ...................................................................... 87

Adresses utiles .................................................................... 93

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un MOnDe SAnS PriSOn eST-iL POSSiBLe ?

Le mouvement laïque est présent depuis longtemps dans l’univers carcéral. Que ce soit par l’assistance morale aux personnes détenues ou par l’aide sociale aux justiciables et aux victimes, l’implication laïque se situait jusqu’ici principalement sur le plan individuel. La situation de crise qui touche prioritairement les personnes précarisées n’épargne évidemment pas les personnes incarcérées et leur famille. De plus, les conditions de détention contraires à la dignité humaine qui prévalent dans la plupart des prisons génèrent des difficultés et des souffrances pour lesquelles un accompagnement laïque a tout son sens.

Le système pénitentiaire belge et ses aberrations actuelles et de manière plus générale, la tendance à l’enfermement (des mineurs, des étrangers non autorisés, des personnes en difficultés psychiques, des personnes âgées...) qui se développe dans notre société soulèvent des questions politiques et sociales plus générales sur la gestion du vivre ensemble et des libertés individuelles. Ces questions interpellent clairement les valeurs et l’éthique laïques et donc son positionnement politique par rapport à ces questions.

La présente publication vise à comprendre pourquoi et comment le système carcéral belge actuel heurte les valeurs laïques et conduit à demander que des alternatives durables et significatives soient mises en place.

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UN MONDE SANS PRISON EST-IL POSSIBLE ?

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Avant-proposÉliane DeproostSecrétaire générale du Centre d’Action Laïque

« Par essence, nous sommes des animaux de groupe, programmés pour être empathiques, en résonance avec les émotions de l’autre. n otre biologie est faite pour vivre socialement. Tant est si bien que la plus grande punition consiste à isoler quelqu’un dans une cellule. »1 Cette évocation quelque peu provocatrice d’une récente lecture rappelle très justement que la peine de privation de liberté – l’emprisonnement physique – est loin d’être anodin pour un individu. La prison porte atteinte à une des libertés fondamentales de l’homme : la liberté de circuler, la liberté de se mouvoir. Elle est totale en prison. Chaque mouvement de la personne détenue est accompagné, encadré et surveillé, 24 heures sur 24. Les cellules sont fermées jusqu’à 23 heures par jour et les punitions pour mauvaise conduite se traduisent par une réduction encore plus grandede circulation (isolement dans l’espace de séjour du détenu, enfermement en cellule de punition, privation de parti-cipation aux activités collectives, pas de visites, de préau etc.).

En Belgique, aujourd’hui, près de 12 000 personnes, qu’elles soient présumées coupables (près de 35 % de la population carcérale), condamnées ou internées, sont privées, entre autres, de leurs libertés de mouvement et d’expression. Elles sont très souvent

1. Entretien avec Franc de Wall, biologiste et primatologue, professeur en éthologie des primates au département de psychologie de l’Université d’Emory à Atlanta. « Une société basée sur l’individualisme ne tient pas la route biologiquement », dans Psychologies, n°11, juillet-août 2011, p. 123.

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Le CAL a posé quelques premiers jalons visant à sensibiliser les citoyens et le monde politique aux défaillances de la politique pénitentiaire belge, en partenariat parfois avec d’autres acteurs : adoption d’un texte fondateur passant la politique pénitentiaire au crible des valeurs laïques, mise sur pied d’une vaste campagne d’affichage en Communauté française, organisation d’une journée de rencontre et enfin, des prises de position politiques publiques.

quatre affiches pour quatre idées reçues sur la prison. Poser ces questions, ce n’était pas nécessairement y répondre. Tel était l’enjeu de la campagne « Prison vole élève le débat » : amener le public à s’interroger sur le bien fondé de la prison comme moyen de coercition, de rempart contre la récidive et de réinsertion.

« parquées » à plusieurs dans des cellules individuelles de 9 m2 dans des conditions d’hygiène déplorables. non, les prisons ne sont pas des hôtels quatre étoiles comme certains aimeraient le croire. Oui, la plupart des personnes détenues subissent une double peine tant leur dignité d’être humain est atteinte. Oui, statistiquement, depuis toujours, ce sont les personnes les plus précarisées qui se retrouvent enfermées.

La « prison moderne » telle que nous la connaissons n’a pas toujours existé même si les pratiques d’enfermement, elles, semblent beaucoup plus ancestrales. Mais cela fait bientôt 200 ans que cette institution peine, en vain, à montrer son « efficacité »...

Dans un contexte carcéral extrêmement dur, de nombreux laïques posent quotidiennement des actes et prennent des engagements citoyens, à titre individuel ou collectivement, pour accompagner moralement et socialement les personnes détenues, celles qui viennent de sortir de prison, leurs familles ou encore les personnes qui ont été victimes. Cette action de solidarité, menée depuis bien longtemps par le mouvement laïque, justifie pleinement que le Centre d’Action Laïque ait pris, fin 2007, l’initiative de mettre sur pied un Groupe de réflexion sur la question de l’enfermement. il s’agit avant tout d’offrir un lieu de rencontre et de réflexion à toutes ces personnes ou associations actives en milieux fermés de divers secteurs (prisons, institutions publiques de protection de la jeunesse, centres fermés pour mineurs, institutions psychiatriques etc.).

en résonance avec cette action de terrain, le CAL mène, depuis plusieurs années, une réflexion laïque et critique et un débat public sur la réalité de l’enfermement et le rôle de ces structures dans notre société, sur les préjugés et stéréotypes liés à l’insécurité, à la peur de l’autre. Aujourd’hui, la tendance à vouloir enfermer les personnes s’accentue : multiplication des lieux d’enfermement pour mineurs (nouveaux centres fermés), pour personnes en séjour illégal (évocation de création de centres fermés – 127 ter), personnes en difficulté psychique, personnes âgées etc. Cette évolution soulève des questions politiques et sociales fondamentales et interpelle clairement les valeurs laïques éthiques.

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en Belgique ou dans le monde, l’enfermement vise à neutraliser physiquement des individus considérés comme portant atteinte à l’ordre social, économique, politique : prévenus et condamnés, jeunes délinquants, malades mentaux, étrangers (illégaux arrêtés ou demandeurs d’asile arrêtés à la frontière et maintenus en centres fermés), terroristes présumés ou opposants politiques.

il s’agit d’une mesure extrême basée sur les prérogatives régaliennes d’un État qui légitimise ce recours à la violence au nom de l’intérêt public et de la protection de la société. Dans les nations modernes, une telle réaction étatique devrait dès lors constituer l’ultime recours et ne concerner qu’une infime partie des citoyens. Pourtant, les lieux d’enfermement sécuritaires se multiplient au péril de nos valeurs démocratiques sans, du reste, susciter beaucoup d’émoi. Miroir de nos sociétés, une telle progression de l’enfermement reflète un constat inquiétant : les voies de l’exclusion empruntées par la peur se répandent et rivalisent avec les idéaux démocratiques centrés sur les libertés et les droits de l’homme.

Pour appréhender cette inflation du « carcéral », passons par la case prison, emblématique de l’emmurement et centre névralgique du régime de pénalité « moderne ».

Juliette BéghinCriminologue, déléguée sociopolitique à Bruxelles Laïque, administratrice à la Ligue des droits de l’homme et membre de sa commission « Prisons »

Introduction

Le présent Outil de réflexion vise à poursuivre cette indispensable action de sensibilisation. il rassemble des contributions riches en informations pertinentes et constats qui interpellent. il doit permettre à chaque lecteur de prendre la pleine mesure du fossé grandissant entre les valeurs laïques que nous défendons et la politique pénitentiaire actuelle de la Belgique.

Mais ce constat une fois dressé, faut-il lucidement envisager l’abolition de la prison ? Ou existe-t-il réellement des solutions de remplacement à la prison ? D’autres types de peine – dont certaines sont évoquées dans le présent document – sont mises en œuvre. Mais constituent-elles de réelles alternatives ? qu’en est-il de la mise en œuvre de la loi sur la médiation pénale ? Des portes s’ouvrent et semblent aussitôt se refermer faute de moyens ou encore sont mises en doute pour des raisons plus fondamentales... D’autres pays européens comme la Finlande ont pourtant adopté une véritable politique réductionniste.

nous comptons bien entendu sur chaque lecteur pour se construire sa propre opinion. Mais un fait est certain, nos perceptions du monde carcéral doivent changer et des réformes en profondeur doivent au plus vite être initiées par le législateur.

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des établissements, parfois jusqu’à l’insalubrité ; promiscuité due à la surpopulation 5; raréfaction du travail et donc des revenus ; nourriture, soins médicaux et exercices physiques insuffisants ; accès limité aux services psychosociaux ou culturels ; réouverture de quartiers de haute sécurité (« la prison dans la prison ») ; régimes déshumanisants des prisons dites modernes. Ces conditions engendrent un climat mortifère et pathogène créateur de violences.

Si la surpopulation carcérale est considérée comme un problème, force est de constater que ses causes restent négligées, voire ignorées par les responsables politiques et font largement l’objet de fantasmes. Sur les dernières décennies, la politique belge en matière carcérale n’a malheureusement pas brillé par sa cohérence. en 1996, le ministre de la Justice, Stefaan De Clerck, entame un processus de légalisation du monde pénitentiaire (loi Dupont) qui aboutira en… 2005. Dans sa note d’orientation Politique pénale et exécution des peines de l’époque (1996), De Clerck donne la priorité aux peines alternatives et abandonne, selon Philippe Mary, « l’idée que la seule vraie peine est la peine de prison et que les autres sont une faveur accordée aux délinquants » 6. Le ministre avançait trois arguments en faveur de cette prise de position : l’inefficacité de la prison en terme de récidive, le coût plus élevé de l’enfermement par rapport aux peines alternatives et le peu de prise en compte des victimes dans le processus d’incarcération des personnes condamnées 7. quelques années plus tard, deux ministres de la Justice et une affaire Dutroux entre-temps, aujourd’hui, le ministre De Clerck opte pour l’élargissement du parc pénitentiaire comme solution aux problèmes pénitentiaires, et il souligne que « l’emprisonnement constitue un élément-clef » 8 de

5. La Belgique compte près de 11 000 personnes incarcérées alors qu’elles étaient 5 677 en 1980, soit une augmentation de 74 % de la population carcérale en moins de 30 ans, (chiffres du SPF Justice). Causes principales : augmentation de la détention préventive (multipliées par 2,5 entre 1980 et 2005), retard et diminution des libérations conditionnelles, augmentation des durées de peines (doublées en 15 ans), allongement de la durée d’internement (d’où explosion du nombre d’internés).

6. Philippe Mary, « La nouvelle loi pénitentiaire, retour sur un processus de réforme (1996-2006) », dans Courrier hebdomadaire du CriSP n°1916, 2006, p. 6.

7. Ibidem. 8. Compte-rendu analytique de la séance de présentation du plan prison en

Commission de la Justice de la Chambre, 28/01/09, CrABV 52 COM 435, p. 6.

Si face à la transgression des normes établies, la réaction pénale n’est ni universelle, ni nécessaire dans tous les cas, elle constitue le socle de nos sociétés occidentales. L’affirmation des normes pour le maintien de la cohésion sociale et la protection de la société s’articule autour d’une vision hostile et négative qui cristallise le déviant comme ennemi du groupe tout entier. À l’encontre du malfaiteur, le dispositif pénal oppose des « peines » dont la peine privative de liberté qui en est la référence majeure. rhétorique crue qui renvoie à des états de souffrance, de douleur, de tristesse. On est donc dans une perspective de vengeance, de châtiment, d’affliction et de stigmatisation. il s’agit de répondre « au mal par le mal », de maintenir la cohésion sociale par la division, en prenant appui sur une responsabilité individuelle qui se situe hors du social.

La prison – au centre de ce système de type guerrier – vise en premier lieu à « surveiller et punir » 2. Autre fonction régalienne de la peine privative de liberté : la dissuasion qui, en réalité, n’a pas prouvé ses effets. Au fil des époques, des objectifs discursifs plus « humanistes » se sont greffés à la politique pénitentiaire : la prison pourrait servir à amender, changer la personnalité du délinquant, rééduquer, réadapter, réinsérer, réparer… Mais ces vernis « de légitimation » – colorants maladroitement apposés couche après couche – se craquellent et se fissurent, incapables de se maintenir. Face à cette polysémie de la peine, l’échec à chaque fois se répète. Au fil du temps, la prison semble changer autant qu’elle paraît immuable.

en Belgique 3, divers changements furent apportés ces dernières années au régime des prisons dans le but de réduire les différences par rapport à la vie en liberté et de reconnaître aux détenus des droits compatibles avec l’exécution de la peine 4. Ces changements n’en restent pas moins surdéterminés par la non mise en œuvre d’une grande partie des droits accordés et par l’état des conditions de détention qui se dégradent sensiblement : vétusté

2. Michel Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975.3. Philippe Mary, Frédérique Bartholeyns et Juliette Béghin, « La prison en Belgique :

de l’institution totale aux droits des détenus », dans Déviance et Société n°3, 2006, pp. 390-391.

4. Loi du 12 janvier 2005 relative à l’administration des établissements pénitentiaires et fixant le statut juridique interne des détenus (dite loi Dupont).

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en tout état de cause, la majorité des acteurs impliqués directement ou indirectement par cette matière dénonce les effets dévastateurs de l’incarcération et la marginalisation accrue qui en découle. La prison, loin de participer à la reconstruction des individus, aggrave leur état de déstructuration. Les obstacles qui jonchent le parcours postcarcéral (casier judiciaire aidant) amplifient cet état.

la politique pénale. La loi pénitentiaire de 2005, quant à elle, peine tristement à entrer en vigueur.

D’après les juristes, notre loi de 1990 sur la détention préventive est bonne mais elle serait mal appliquée. Dans les faits, 34,5 % de la population carcérale moyenne 9 se trouve en détention préventive, taux abusif et indécent – d’autant plus que la toute grande majorité des prévenus sont libérés avant une quelconque condamnation, ce qui prouve qu’on privilégie une arrestation forte pour un temps court et non pas une détention préventive légitimée par une dangerosité motivant une incarcération ayant court tout au long de l’attente d’un procès. il semble donc qu’il y ait un certain détournement des objectifs de la loi sur la détention préventive. Au niveau des libérations conditionnelles, elles ont incontestablement diminué depuis l’affaire Dutroux. On demande aujourd’hui au détenu toute une série de garanties et de conditions pour être libéré (logement, formation, travail, suivi psychologique), sans pour autant lui donner les moyens de mettre en œuvre son plan de reclassement. en effet, comment trouver du travail sans avoir de date de libération ? Comment trouver un logement sans savoir lorsque l’on sortira et sans avoir de revenus ?

quant à la formation des magistrats, la Belgique est largement à la traîne : les cours de criminologie sont quasiment inexistants dans les facultés de droit, l’écrasante majorité des juges (d’instruction et de fond) ne se rendent quasiment jamais en prison. ils sont dès lors totalement déconnectés de la réalité carcérale, alors qu’ils sont responsables des décisions relatives à toute détention. De plus, la formation des directeurs de prison ainsi que des agents pénitentiaires, si quelques efforts ont été faits en la matière lors de ces dernières années, demeurent également totalement insuffisante. Pour donner un exemple, la formation d’un agent dure six mois en Belgique, elle est de l’ordre de deux ans en France.

9. Direction générale des établissements pénitentiaires, Rapport annuel, 2010.

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Marie-Ange CornetDirectrice du Centre d’Action Laïque de la Province du Luxembourg

Le système carcéral belge et les valeurs laïques : une incompatibilité éthique ?

Si la raison d’être principale de la prison est de réduire la délinquance, dans les faits, elle génère davantage de problèmes qu’elle n’en résout. La prison est en crise depuis bien longtemps (prisons fermées pour cause de vétusté, malaise des surveillants, surpopulation carcérale, conditions de détention inacceptables, manque de formations, manque de travail etc.) voire, pour certains, depuis son origine 10. Dès lors, faut-il réformer en profondeur notre système pénitentiaire en proposant d’autres alternatives voire en envisageant d’autres conceptions de la pénalité et, à plus long terme, de la gestion de la société ? La reconnaissance légale et la mise en œuvre d’un statut juridique interne 11 accordant des droits aux personnes détenues en prison suffisent-elles ? Faudrait-il au contraire préconiser la suppression de la prison ? Les interrogations sont nombreuses. On pourrait aussi y ajouter la question des victimes. il est évident que tout acte qui place une personne en position de victime doit être dénoncé ; il heurte les valeurs fondamentales de toute vie en société. Mais, notre système n’enferme-t-il pas trop et trop vite les protagonistes d’un conflit en deux pôles « auteurs-victimes » ?

10. Michel Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975.11. Cf. loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l’administration pénitentiaire

ainsi que le statut juridique des personnes détenues, dite « loi Dupont ».

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il faut ajouter à cela le fait qu’un passage en prison redouble toutes ces discriminations par l’échec de la réinsertion. en effet, en plus de pâtir de l’image fantasmatique et déshumanisée que la société véhicule sur ceux qui sont passés en prison, les membres de ces mêmes groupes de population, à la sortie de prison, ne bénéficient d’aucun outil d’insertion supplémentaire et sont privés de ressources sociales, économiques ou symboliques pour se réinsérer.

La loi dite « Dupont » qui fixe le statut des personnes détenues entend rappeler le principe qu’une condamnation à l’incarcération n’est censée priver l’individu que de sa liberté de mouvement et respecter le reste de ses droits, mais son esprit demeure lettre morte malgré l’entrée en vigueur d’un certain nombre de ses articles. La liste des droits humains bafoués en prison serait trop longue à détailler. Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants (CPT) alerte régulièrement nos gouvernements au sujet des conditions de détention, conditions aggravées du fait de la surpopulation et d’infrastructures vétustes ou insalubres 12.

L’un des fondamentaux de la laïcité est la liberté. Force est de constater que la prison prive le détenu de toute forme de liberté. en matière de liberté d’expression, les contacts avec l’extérieur sont largement entravés et si les écrits peuvent être diffusés à l’extérieur et même à l’intérieur, ils sont frappés en tous cas d’autocensure, le règlement des prisons excluant toute violence de forme ou de contenu et une critique du système pouvant être signe d’un comportement empêchant toute libération conditionnelle. La capacité de révolte en prend donc un sérieux coup. La liberté de conscience est elle aussi entravée par les conditions matérielles dans lesquelles vivent les détenus : entretiens avec les conseillers moraux non confidentiels, salles de prière inaccessibles, livres interdits (en langues étrangères ou parfois même le Coran). enfin, la privation de liberté de mouvement, objet même de la peine, ne peut qu’apparaître excessive : tous les mouvements sont accompagnés, les détenus vivent en cellule surpeuplée, vingt-trois heures par jour dans bien des cas.

12. Lire l’article « (Sur)vie en prison : conditions "ordinaires" de détention » de Delphine Paci en pages 49-55.

un nombre important d’acteurs de terrain ou encore d’associations ou centres de recherche scientifique ont incontestablement au cours des dernières décennies faits des propositions de réforme visant à donner de nouveaux fondements à notre système pénal et pénitentiaire. Sont-ils suffisamment écoutés, voire associés à la mise en place de politiques alternatives ? nous ne le pensons pas. Le CAL a, pour sa part, la modeste ambition de développer une démarche critique face à une série de préjugés, stéréotypes ou dogmes très prégnants en matière d’enfermement et de tout ce qui s’y rapporte (délinquance, insécurité, migrations, jeunesse...) et de vouloir réintroduire le débat là où la démocratie est la plus précarisée. Or, s’il est un lieu dans nos démocraties qui heurte la dignité de la personne humaine, il s’agit bien de la prison.

Toute démarche de réflexion au sein du mouvement laïque se base sur une série de valeurs, ciment d’un projet de société en progrès, fondée sur la dignité égale de toute personne humaine, la justice et la démocratie. Confrontée à la réalité carcérale, notre réflexion se heurte immédiatement à la violation des principes fondamentaux de la laïcité, situation qui nous met au défi de remettre au travail les valeurs qui guident nos interventions sur le terrain et nos démarches de dénonciation dans les médias et les lieux de concertation avec les pouvoirs publics.

rappelons tout d’abord que la laïcité, entendue au sens politique, vise à construire une société juste, progressiste et fraternelle par le biais d’institutions publiques impartiales, garantes des droits humains et de l’égale dignité de tous les êtres humains. Or, dans la « chaîne pénale » qui devrait être à notre sens, plus que dans tout autre domaine, le reflet de la justice en démocratie, ni les autorités policières (aux stades des contrôles, de la constatation des délits et de l’arrestation), ni les instances judiciaires, ni les institutions pénitentiaires, ni les tribunaux d’application des peines ne s’avèrent impartiaux. Ainsi, par rapport à d’autres groupes sociaux plus aisés, les personnes issues de l’immigration ou défavorisées se voient davantage contrôlées, plus vite arrêtées, plus lourdement condamnées, plus systématiquement emprisonnées, incarcérées dans des conditions plus précaires et moins facilement libérées sous condition.

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Or, la justice pénale ne renvoie plus à un quelconque idéal progressiste de société par le biais de son action, elle se contente de gérer, de manière étroite, les entrées et sorties de prison d’une part, la captivité de l’autre.

De plus, le système judiciaire et les mandataires publics, en se laissant influencer par l’émotion de la population exacerbée par les médias, et ce faisant, ne cessent d’allonger la liste des délits qui conduisent à la prison ferme démontrent que des changements législatifs peuvent avoir de fortes conséquences sur l’incarcération, particulièrement des groupes sociaux fragilisés comme en témoigne l’explosion des statistiques de détention, en ce y compris des mineurs. Les laïques se doivent donc d’ouvrir un large débat sur les excès de la judiciarisation de pans entiers des relations familiales et sociales ou sur l’usage de sa liberté individuelle (liberté de disposer de son corps, de circulation, d’association, libertés politiques etc.) encore trop souvent puni.

notre esprit critique est également fortement à mobiliser : le dossier des prisons montre combien l’esprit critique et notre capacité de révolte peuvent être anesthésiés par un discours sécuritaire récurrent et les faits divers relatés par des médias qui utilisent presque exclusivement les sources policières. De plus, les fictions grand public, qu’elles soient américaines ou européennes, formatent l’opinion publique dans le même sens.

Sur le terrain, il faut départir de ce sentiment d’urgence – et on peut le comprendre par la réalité catastrophique – et se concentrer sur la rencontre individuelle, participative et émancipatrice, une rencontre qui prend du temps mais qui rend la dignité à l’autre. il nous faut aussi quitter nos sabots confortables de travailleurs sociaux ou d’éducateurs afin de cesser d’écouter au profit d’un véritable échange. enfin, nous devons abandonner nos pratiques du « parler sur » et donner aux détenus la possibilité d’établir avec nous un corpus de constats et de revendications à porter devant les autorités publiques.

rappelons ensuite que si l’une des utilités assignées à la prison est la responsabilisation des personnes détenues en vue de leur future réinsertion, les mécanismes propres au système carcéral empêchent de l’atteindre. Ainsi, le détenu est entièrement infantilisé : l’organisation de ses journées, de ses repas, de ses loisirs, de ses apprentissages et de la manière dont s’effectuera sa détention dépend uniquement de l’administration pénitentiaire. De plus, dans ce lieu, la seule possibilité de survie est d’intégrer l’assujettissement et de n’interroger ni le cadre, ni le fonctionnement.

enfin, l’institution carcérale tente de dissoudre fondamentalement la solidarité entre personnes détenues, voire de la rendre impossible, tout échange ou don restant dans les faits interdit. Conséquence : la demande d’être assisté émerge dans toute démarche de réinsertion, demande à laquelle répondent d’autant moins bien les services sociaux dans et hors prison, asphyxiés qu’ils sont par le manque de moyens et l’exigence de rentabilité des pouvoirs publics, car l’assistanat est moins coûteux en temps que l’émancipation. L’émancipation pourrait passer par la formation mais ce secteur, dépendant de la Communauté française, est sous-financé et difficilement efficient pour six raisons au moins : les conditions de travail liées au milieu carcéral, l’infantilisation des personnes détenues et le manque de cohérence de leur plan de détention, les transferts des détenus vers une autre prison (coupant brutalement un module de formation en cours), la difficulté d’apprentissage en enfermement, le fait que la plupart des formations ne sont pas qualifiantes et ne débouchent pas sur un vrai diplôme et enfin l’offre ultralimitée en formation.Dans une société progressiste à laquelle travaille la laïcité, on imagine assez bien que la dignité humaine sera respectée pour tous et que l’intégration de tous dans la société sera réalisée. Or, non seulement l’enfermement est un mécanisme qui engendre systématiquement la relégation, mais il va à l’encontre de la dignité, et ce faisant, il est par lui-même indigne d’une société démocratique. Dès lors, cette société devrait mettre toutes ses forces à trouver des alternatives qui permettent de renouer avec la dignité (sur ce sujet et sur tous les sujets liés à la précarisation, mais aussi sur la dignité des victimes).

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Fermeture partielle de la prison de Verviers, évasion violente à la prison d’Andenne, grève à la prison de Saint-Gilles, préavis de grève de l’ensemble du personnel pénitentiaire… : l’actualité récente relative aux prisons belges semble au bord de l’overdose médiatique, une overdose qui risque d’entraîner les citoyens dans la caricature et peut-être même de déformer la réalité.

ils sont nombreux les indicateurs qui montrent que le système carcéral belge est en crise voire au bord de l’implosion. et cette crise, qui couve depuis des années, semble inéluctable au regard de la nature et des missions de la prison. elle amène à poser la question de l’utilité ainsi que de la pertinence de la prison aussi bien pour le détenu que pour la société. Le fonctionnement, le mode ainsi que les conditions de vie en prison souffrent des multiples carences. et pour tenter de pallier ces carences, des associations de la société civile, dans les limites de leurs moyens et finalités, accomplissent quotidiennement un important travail permettant modestement de redonner au détenu, déshumanisé, sa dignité humaine. nous nous proposons ici de présenter l’action laïque au quotidien en milieu carcéral, ou plus précisément la laïcité organisée comme mouvement de réflexion et comme mouvement d’action en matière d’enfermement.

L’action laïque au quotidien en milieu carcéralJean Musway MupekaAncien conseiller moral (Fondation pour l’Assistance Morale aux Détenus - FAMD) dans les prisons de Forest, Jamioulx et Saint-Gilles et actuellement coordinateur de projets à la régionale de Charleroi du Centre d’Action Laïque

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Pourquoi préconiser de poser des filets ou d’armer les agents alors qu’il est démontré que le durcissement des conditions d’enfermement entraîne la violence des évasions ?Pourquoi préconiser le fichage ethnique de la délinquance 13, proposition qui comporte le risque de produire des boucs émissaires et stigmatiser une partie/catégorie de la société, alors que les causes de la délinquance sont à rechercher ailleurs (particulièrement dans les conditions économico-politico-sociales de sa production) et non dans une appartenance sociale ?

il s’observe aisément ainsi que face aux problèmes liés à l’enfermement, les décideurs semblent préférer s’attaquer aux effets à court terme plutôt qu’aux causes et au long terme. Face aux problèmes de délinquance et d’enfermement, les décideurs politiques privilégient les effets d’annonce, les mesurettes émotionnelles à court terme plutôt que les solutions cohérentes à long terme. Alors qu’opter pour le tout répressif ou pour l’hypersécuritaire, durcir la politique pénale est contre-productif, que l’enfermement se révèle être plus un problème plutôt qu’une solution, les décideurs ne semblent pas préoccupés par le fait d’amorcer une réflexion sérieuse sur les alternatives à l’enfermement, enfermement qui a montré et montre chaque jour son non-sens. C’est donc dans un contexte de chaos que la réflexion et l’action du CAL s’ouvrent au monde de l’enfermement. Sa réflexion et son action se veulent différentes : placer au centre le détenu comme personne et citoyen, se préoccuper des causes qui favorisent l’émergence des problèmes et tenir compte des effets à court, moyen et long termes de l’enfermement sur le détenu et la société.

13. Les statistiques de l’enfermement par nationalité que donne le Rapport d’activités 2010 de la Direction générale des établissements pénitentiaires signale que 6 détenus sur 10 en 2010 étaient de nationalité belge, soit 57,3 %, et 10,7 % de nationalité marocaine, 5,4 % algérienne, 2,4 % yougoslave, 2,2 % roumaine, 2,1 % française, 1,9 % hollandaise, 1,8 % italienne, 1,7 % turque, et 1,0 % congolaise…

Un système carcéral en crise

Alors que des études démontrent qu’il n’y a aucun lien entre le taux de criminalité/délinquance et celui de pénalité, les prisons belges connaissent un taux anormalement élevé d’enfermement et internement des personnes. Outre cette surpopulation, elles en connaissent d’autres dont notamment ceux relatifs à la vétusté et au délabrement des infrastructures, aux évasions de plus en plus violentes, aux suicides et morts « suspectes », aux mutineries des détenus, aux grèves à répétition des agents, à l’explosion du nombre des internés…. Tous ces problèmes et bien d’autres sont autant de révélateurs du malaise et de la crise que connaît le système carcéral belge. ils sont aussi le signe, ou mieux, la conséquence du déficit d’une politique cohérente en matière de gestion des délits et crimes au sein de la société. ils montrent comment et combien les missions assignées à la prison sont marquées et/ou couronnées du sceau de l’échec, échec aussi bien pour le détenu que pour la société. Même les solutions/réponses proposées face aux problèmes qui s’y posent semblent caractérisées par une inadéquation ainsi qu’une volonté de s’attaquer aux effets plutôt qu’aux causes profondes à l’origine des dits problèmes.

La plupart des études sur les conditions et l’impact de la détention montrent comment et combien l’enfermement est criminogène et contre-productif, et ce au regard des effets dévastateurs et pathogènes sur le détenu. en effet, comment prétendre resocialiser une personne en la maintenant dans un cadre foncièrement asocial et quasiment inhumain ? Comment parvenir à une réinsertion sans offrir en amont les conditions matérielles ou symboliques pour y parvenir ? Comment responsabiliser une personne en la maintenant dans un système dont le fonctionnement contribue à l’humilier, l’infantiliser et le déresponsabiliser ?

Les réponses face aux échecs et carences de l’enfermement sont inadéquates. en effet, pourquoi répondre au problème de surpopulation carcérale par l’extension et l’augmentation du parc pénitentiaire plutôt que d’interroger les choix politiques à l’origine du problème ?

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- « Les prisons belges au bord de l’implosion » (communiqué de presse du Conseil interphilosophique pour l’assistance morale et religieuse dans les prisons), 24 février 2011 ;

- « Synthèse du rapport du CPT (Comité européen pour la prévention de la torture) et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du Conseil de l’europe » (synthèse approuvée et portée par le CAL, la LDh et l’OiP), 9 juillet 2010 ;

- « nouvelles prisons : un scénario catastrophe… ou « comment le gouvernement peine à être constructif pour endiguer le phénomène de surpopulation » (carte blanche signée par le CAL, la LDh et l’OiP), 11 mai 2009 ;

- « regard laïque sur les propositions de politique générale du ministre de la Justice et sur le Masterplan 2008-2012 "pour une infrastructure carcérale plus humaine" » – 24 septembre 2008

- « La prison est inhumaine : que fait le gouvernement ? » (carte blanche signée par le CAL, Bruxelles Laïque, le SLAJV et la FAMD), 23 avril 2008 ;

- « Assistance morale et religieuse aux détenus : "quantité négligeable" pour le gouvernement fédéral ? » (conférence de presse), 18 décembre 2002.

La régionale de Bruxelles Laïque a consacré plusieurs articles de son trimestriel Bruxelles Laïque Échos à la problématique de l’enfermement parmi lesquels :- Florence Dufaux et Juliette Béghin, « Les internés en prison :

"déchets" de la société », n°72, 2011 ;- Julie Van neijverseel et Cedric Tolley, « Atelier d’expression citoyenne

à la prison de Forest », n°68, 2010 ;- Juliette Béghin, « Autonomie et responsabilité à l’ère de l’État

social sécuritaire », n°68, 2010 ;- Juliette Béghin, « L’enfer me ment », n°66, 2009.

Le CAL comme mouvement d’action

Loin d’être un mouvement compassionnel et/ou charitable qui se limite à se lamenter sur le sort inhumain des détenus, la laïcité organisée en Belgique passe de la réflexion à l’action, surtout et prioritairement quand les conditions de vie des personnes s’opposent à son projet de société ainsi que ses valeurs de liberté, de justice, de solidarité…

Le CAL comme mouvement de réflexion

en détention, la personne passe par des moments d’humiliation (menottes), de désocialisation (exclusion), de déresponsabilisation ou encore d’infantilisation (contrôle régulier sur la vie individuelle, matérielle comme affective). Dans la plupart des prisons belges, les conditions de vie sont quasiment inhumaines. elles ont la particularité d’être en décalage avec une société basée sur la démocratie et le respect des droits de l’homme. C’est donc logiquement qu’elles interpellent particulièrement le mouvement laïque qui milite pour « une société juste… garante de la dignité de la personne et des droits humains assurant à chacun la liberté de pensée et d’expression… ». C’est donc motivées par cet idéal sociétal, que la réflexion ainsi que l’action du mouvement se sont ouvertes au domaine de l’enfermement. Les réflexions en la matière sont menées aussi bien par le CAL, les régionales, les maisons de la laïcité que certaines associations constitutives comme affiliées ainsi que d’autres qui partagent les valeurs laïques et humanistes.Depuis 2008, le mouvement laïque a mis sur pied un groupe de travail « enfermements » chargé de réfléchir sur les différentes formes prégnantes d’enfermements dans la société au sens large (les prisons, les centres fermés, les iPPJ, hôpitaux psychiatriques, maisons de repos et/ou de soins…) et de prendre position en matière d’enfermement.

en 2008, le magazine du CAL Espace de libertés (n°368, octobre 2008) a sorti un dossier spécial « Derrière les murs » et la revue La pensée et les Hommes a consacré un de ses numéros au « Microcosme carcéral ».

Le mouvement laïque se manifeste sur la problématique de l’enfermement à travers des analyses, des interpellations, des prises de position, des lettres ouvertes au gouvernement, des communiqués de presse ou encore des cartes blanches… dont notamment :- « Tilburg : la colonie pénitentiaire grandit…. Bon anniversaire !

ou Surréalisme belge à Tilburg : le plus grand établissement de condamnés définitifs de Belgique se trouve… au Pays-Bas ! » (texte signé par le CAL, la LDh et l’OiP), 24 mars 2011 ;

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détenu » et de faire-valoir leur parole dans l’espace public. Comme autre action à l’intérieur de la prison, la Maison de la laïcité de Charleroi a collaboré avec l’artiste Piet Vandenhende qui se définit comme « ancien alcoolique, ancien SDF, ancien détenu » et qui a trouvé la voie de la réinsertion par le biais de la peinture et de la sculpture pour réaliser une exposition à la prison de Jamioulx. 16 Deux soirées ont été consacrées à des débats sur les thèmes de la délinquance, du sens de la détention, de la réinsertion.

en collaboration avec la Crer (Coordination contre les rafles, les expulsions et pour la régularisation), Bruxelles Laïque a organisé le 24 mars 2011 une soirée sur le thème de la détention des étrangers en centres fermés, soirée-débat précédée de la projection du film Illégal d’Olivier Masset.

Dans le cadre du Festival des Libertés, en partenariat avec Bernard De Vos, délégué général aux droits de l’enfant, la journée du 22 novembre 2011, adressée aux jeunes, a été consacrée à l’enfermement des mineurs.

Le CAL Luxembourg, outre l’action qui est menée depuis plusieurs années à l’intérieur des prisons de la province, a une démarche porteuse qui contribue à sensibiliser le grand public sur l’effet déstructurant de l’enfermement sur le détenu et sa famille. il a notamment mis sur pied le jeu « non Lieu » et, avec le Service Laïque d’Aide aux Justiciables de la Province de Luxembourg, l’exposition « Clair et Obscur » qui contribuent à faire mieux connaître l’univers carcéral et à questionner l’utilité d’une institution au taux d’échec si évident. Parmi les activités que son équipe mène au sein de la prison, il y a notamment ce qui suit : aide à la réinsertion (prison d’Arlon), la bibliothèque : « Évadez-vous… grâce aux livres » (prison d’Arlon), soutien à l’organe de concertation (prison d’Arlon), opération « Boule de neige » (prisons d’Arlon et de Saint-hubert), usage des drogues et réduction des risques (prison de Saint-hubert), « Des livres et nous » (prison d’Arlon, groupes de paroles et entretiens individuels (prison de Saint-hubert)…

16. Cf. rapport d’activités de la Direction générale des établissements pénitentiaires, 2010, p. 94.

Avec 13 conseillers moraux rémunérés travaillant à temps partiel et 25 conseillers moraux bénévoles, chargés, du côté francophone, d’assurer de l’assistance morale individuelle et collective en prison et un service social qui s’occupe, en région bruxelloise, d’accompagner les détenus ainsi que leurs proches pendant et après la détention, la Fondation pour l’Assistance Morale aux Détenus (FAMD), réalise, depuis 1964, un travail important dans le domaine de l’enfermement. Au-delà de l’aide individuelle, voici quelques-uns des projets d’activités collectives mis en œuvre en 2010 : atelier de chant à la prison de Forest, projet poésie dans les prisons d’Oudenaarde, de Gand et de Bruges, café philo « Paroles » à la prison de nivelles, concert « Belgas Por Soleares » à la prison de Berkendael, atelier d’éducation aux médias à la prison de Berkendael, jury de détenues au Festival des Libertés à la prison de Berkendael, atelier d’éducation à la tolérance à la prison d’ittre, groupe de réflexion laïque à la prison d’Andenne, « Cicatrices » 14 dans l’ensemble des prisons belges, atelier Djembé à la prison d’hasselt, « groupe de parole » à la prison d’hasselt, atelier « Mindfulness – Méditation » à la prison de Wortel, cérémonie laïque à la prison d’hasselt, colis de fin d’année dans l’ensemble des prisons belges…

en collaboration avec la FAMD, Bruxelles Laïque a organisé un atelier d’expression citoyenne avec les détenus de la prison de Forest : l’objectif de ce projet, dont la démarche repose sur les valeurs laïques (de liberté, d’autonomie, d’égalité et de dignité humaine) et obéit à deux lignes directrices (l’égalité et la capacitation 15 ), a été de permettre aux personnes incarcérées participantes de se sentir acteur et citoyen et non réduites à leur seule étiquette de « délinquant

14. Ce projet consiste en un recueil d’histoires et de photographies sur les cicatrices des détenus. il contribue à promouvoir le travail des conseillers moraux et à sensibiliser le public sur l’univers carcéral ainsi que sur la diversité des histoires individuelles.

15. Méthode qui postule que chaque personne est porteuse de savoirs, de compétences et d’habiletés diverses. et notre démarche entend que le projet que nous menons ensemble soit l’occasion de mettre ces savoirs, ces compétences et ces habiletés au service de ce projet commun. et de la sorte que chacun puisse voir ces capacités à l’œuvre et, éventuellement, se les approprier et les intégrer personnellement. L’expérience commune est donc considérée comme un processus d’autoformation. un moyen par lequel nos capacités mises en commun produisent une augmentation de la capacité de chacun.

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et sportif. La Fédération est représentée et active dans diverses institutions publiques et associations qui s’occupent des détenus, des victimes et des auteurs non incarcérés.

Conclusion

La présentation des réflexions et actions initiées et menées par le mouvement laïque dans le monde de l’enfermement constitue un inventaire indicatif d’une approche différente de l’enfermement carcéral qui, tout au long de son histoire et au gré de ses missions, s’est révélé, aussi bien pour le détenu que pour la société, être plus un problème qu’une solution.

Le CAL namur aborde également la problématique de l’enfermement carcéral et des autres formes d’enfermement à travers notamment le ciné-débat autour de la projection de « Prison hôtel, descente en enfer ou séjour en all-in » : 35 personnes (adultes et scolaire) y ont pris part.

Le CAL de la province de Liège dit « non aux centres fermés » et poursuit ainsi un combat qui vise la fermeture de ces centres inacceptables.

La prison étant un univers qui suscite peur, émoi, silence, ou indifférence… et qui génère préjugés, stéréotypes, fantasmes ou légendes, la réflexion laïque tente de contribuer à les déconstruire et de faire passer l’opinion publique de l’émotion à la raison. un travail de sensibilisation à l’extérieur de la prison est plus que nécessaire. C’est dans ce cadre que, depuis 2009, la régionale du CAL de Charleroi s’adresse aux publics scolaires et d’éducation permanente, à travers l’animation « Prison : entre mythe et réalité », afin de les 17amener, au départ d’un support ludique et du témoignage d’une expérience professionnelle en milieu carcéral, à déconstruire les préjugés sur la prison afin de passer du mythe ou de la fiction à la réalité, à questionner l’utilité sociétale de la prison ainsi que les enjeux et défis qui s’y révèlent, et à partager les prises de position du CAL sur l’enfermement.

La Fédération des Services Laïques d’Aide sociale aux Justiciables (FSLAJ), comme organe de réflexion et de recherche sur les moyens et la méthodologie d’encadrement des détenus et des victimes. Leurs efforts portent sur l’éthique tant dans le monde carcéral que dans les rencontres avec les justiciables dans la société. elle tente, par son travail de terrain, d’atténuer les effets d’une éventuelle victimisation (en ce qui concerne les victimes) et de fournir une écoute aux personnes « étiquetées » comme ex-détenus ou auteurs d’infractions et leurs proches. La Fédération propose une aide sociale, psychologique, une aide à la réinsertion et à la réalisation du plan de détention pour les détenus, une aide à la formation ainsi que des activités ponctuelles de type culturel

17. De janvier à décembre 2010, 235 élèves des écoles secondaires du territoire de Charleroi et 40 adultes stagiaires de la « P’tite Main Fleurusienne » du CPAS de Fleurus ont participé à cette animation.

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La prison telle qu’on la connaît aujourd’hui n’a pas toujours existé. Au Moyen Âge, les châtiments corporels prévalaient. Ensuite sous l’Ancien Régime, avec l’avènement du mercantilisme, les personnes condamnées vont servir de force de travail que cela soit dans la flotte maritime ou pour le développement des colonies. À cette époque, les personnes pauvres sont aussi soumises au travail forcé.

À la fin du xViiie siècle naît la « prison moderne ». Mais contrairement aux attentes qui pèsent sur elle, toutes les missions qui lui sont assignées sont vouées à l’échec.

Afin de pouvoir identifier les missions officielles assignées à la prison, il semble utile de revenir, de manière succincte, sur l’historique de cette institution. La prison, telle qu’on la connaît aujourd’hui, c’est-à-dire comme lieu d’enfermement destiné à faire purger leur peine aux personnes condamnées par la justice pénale n’a pas toujours existé. Si cette institution, qu’on appellera « prison moderne », date de la fin du xViiie siècle, les pratiques d’enfermement, elles, semblent beaucoup plus datées. il est cependant intéressant de noter qu’on n’enferme pas toujours, au cours de l’histoire, pour les mêmes raisons ou pour les mêmes objectifs.

Approche historique et objectifs assignés à la prisonFlorence DufauxSociologue, criminologue, membre de l’Observatoire international des prisons - section belge francophone, auteur d’un mémoire de fins d’études sur le travail pénitentiaire et ancienne conseillère morale en prison

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L’enfermement des pauvres est devenu systématique au xViie

siècle à tel point que l’on parle du siècle du « grand renfermement ». La détention ne vise pas spécialement les personnes suspectes d’avoir commis des infractions mais bien les indigents et mendiants locaux appartenant à la communauté, les personnes oisives, les « vagabonds » – étrangers venus d’une autre ville, les personnes considérées comme atteintes de trouble mental etc. Au sein d’institutions telles que l’hôpital général, ces individus sont soumis au travail obligatoire, censé participer à les assainir moralement et les remettre sur le « droit chemin », dans le cadre des normes sociétales en vigueur.

Sous l’Ancien régime, la grande constante dans la gestion des populations déviantes, locales ou non, c’est le travail forcé, agrémenté, dans certains cas, de l’enfermement ou du bannissement. remarquons donc que le travail comme peine précède l’avènement de la prison moderne. L’esquisse des prémisses historiques de l’enfermement montre que les institutions punitives, répressives et d’incarcération ne naissent pas par hasard et sont fonction des conceptions du monde dans lesquelles elles sont créées.

Naissance de la prison moderne

À la fin du xViiie siècle, époque des Lumières, des voix s’élèvent pour que l’État punisse de manière moins arbitraire, moins cruelle, plus lisse, plus utile et moins dégradante. La prison moderne naît sur le mythe fondateur d’une sanction plus efficace et plus humaine. en effet, la justice de l’Ancien régime était considérée comme trop féroce, arbitraire et barbare.

C’est donc au moment où la liberté acquiert le statut de valeur suprême (liberté des échanges, liberté du travail avec la fin des tutelles, liberté de la main d’œuvre, liberté de la révolution française) que l’on décide que les gens qui doivent subir une sanction subiront une peine d’enfermement. La privation de liberté devient ainsi une peine en soi. il s’agit en fait de construire des édifices afin d’incarcérer

Moyen Âge et Ancien Régime

Ainsi, au Moyen Âge, les personnes soupçonnées d’avoir commis quelque infraction étaient soumises à la « question », enfermées à titre préventif pour éviter qu’elles ne prennent la fuite. Leur étaient infligées toutes sortes d’épreuves physiques afin de déceler si elles étaient coupables ou non devant la justice de Dieu (par exemple, les personnes suspectes devaient marcher sur des braises, résister à la douleur etc.). Par la suite, lors d’un verdict de culpabilité, la peine consistait en un châtiment ou supplice d’ordre corporel. La pratique de l’enfermement s’appliquait également, sous Charles quint depuis 1532, aux personnes « inutiles au monde », comme une forme de contrôle des populations déviantes. elle visait les personnes considérées comme folles, les mendiants, les vagabonds ou encore les potentiels récidivistes 18.

Sous l’Ancien régime (de la deuxième moitié du xVe siècle à la fin du xViiie siècle), avec l’avènement du mercantilisme − doctrine marchande visant à l’enrichissement des nations par le commerce extérieur − on considère que les personnes condamnées, les brigands, les malfrats et vagabonds − ainsi que leur force de travail − peuvent servir l’enrichissement de la nation. ils sont dès lors envoyés dans les galères, bateaux de la flotte maritime au fond desquels se trouvaient des personnes enchaînées, condamnées à ramer leur vie durant. Cette forme d’institution répressive est celle qui a duré le plus longtemps (environ 300 ans). rappelons que la prison moderne n’existe que depuis un peu plus de 200 ans. Les bagnes, équivalent terrestre des galères, apparurent ensuite. il s’agissait des arsenaux maritimes dans les ports où se construisaient les matériaux de la marine de l’État. Suite à la fin de la guerre maritime entre la France et l’Angleterre, en 1815, l’industrie maritime de guerre s’effrite. Les détenus furent dès lors bannis en Guyane afin de participer au développement économique des colonies françaises. Dans une optique mercantiliste, les supplices et les châtiments corporels n’étaient plus utiles, contrairement à la force du corps des brigands et des malfrats qui représentait leur outil de travail.

18. Yves Cartuyvels, « Pour des alternatives aux enfermements », colloque organisé par l’Ordre français du Barreau de Bruxelles et Bruxelles Laïque, 19 janvier 2011.

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sur les êtres humains et le système basé sur le couple isolation-moralisation se révèle totalement contre-productif. Le personnel disponible pour rendre des visites de bonne morale aux détenus n’est pas assez nombreux et le fait de désocialiser complètement des êtres humains ne participe en rien à leur resocialisation escomptée.

Idéal réhabilitatif

Ce régime carcéral étant un échec retentissant, Adolphe Prins, nouvel inspecteur général des prisons, entame une profonde réforme du système carcéral visant à soigner et à réadapter les détenus qui peuvent l’être. Sa méthode consiste en une division entre deux types de détenus : ceux qui ont commis une erreur de parcours et ceux qui sont profondément atteints par le vice, « les irrécupérables, dégénérés, défectueux, incapables de vivre en société ». Dans le cadre d’un esprit d’hygiéniste, il convient de neutraliser ces derniers. en ce qui concerne les premiers, Adolphe Prins va donc proposer une classification et une division des systèmes carcéraux en fonction de l’évolution de la personnalité des prisonniers. L’idée est de créer un système et un régime progressif en fonction de la notion de dangerosité, en se basant sur des données scientifiques – la science étant, à cette époque, considérée comme source de vérité irréfutable et porteuse de solutions aux problèmes humains. On tente d’étudier les gens, de tester leur degré de dangerosité, d’observer leur comportement et d’agir en conséquence, entre autres en adaptant leur régime, dans une visée « thérapeutique » de travail sur soi afin de se réadapter socialement. en outre, la notion de dangerosité sociale a été directement associée à l’idée de classe sociale, selon l’adage « classe laborieuse, classe dangereuse ». Le mouvement ouvrier était considéré comme un milieu emprunt de vices. il s’agissait d’enfermer les gens pour les extraire d’un milieu social, dit dégénéré, et de les rendre plus sociables et donc meilleurs pour la société. Ce système n’a pas fonctionné non plus. La « thérapeutique » des détenus par l’enfermement, le travail et la classification, ce régime progressif demeure, lui aussi, un échec.

les personnes condamnées aux travaux forcés. À nouveau, c’est par le travail que l’on pense réformer les personnes déviantes et les rendre meilleures. On se rend compte que finalement, même si on veut une sanction lisse et édulcorée, la pratique des travaux durs et non rémunérés demeure, comme au temps de la corvée moyenâgeuse, raison pour laquelle les criminologues parlent de « mythe fondateur de la prison moderne », éloignée de la réalité de terrain.

Évolution carcérale en Belgique : de 1930 à nos jours

La Belgique peut être divisée en trois périodes importantes : l’idéal punitif au xixe siècle, l’idéal réhabilitatif au xxe siècle, la perte du sens de la peine depuis la fin du xxe siècle et le cumul des fonctions qui lui sont attribuées.

Idéal punitif

Au xixe siècle, la sanction est considérée comme nécessaire parce qu’elle va permettre d’éduquer. Le rappel à la loi remettrait les gens dans le droit chemin. À la naissance de la Belgique, Édouard Ducpétiaux est nommé inspecteur général des prisons. Lui-même connut l’enfermement dans les prisons hollandaises. Son idée est d’éviter la contamination morale en prison. Son objectif porte sur l’amendement des personnes incarcérées, par le travail, la prière et l’étude afin d’éviter cette contagion morale du vice. Ainsi naît l’isolement cellulaire total. Lors des activités communes, le port de la cagoule est obligatoire, la règle du silence absolu. il y a entre chaque personne, des murs, des stalles, pour éviter tout contact. Par ailleurs, des personnes extérieures à la prison viennent rendre visite aux détenus : aumôniers catholiques, comités de patronage de bonne morale, gens de bonnes mœurs. il s’agit d’agir sur les individus incarcérés en leur propageant la bonne morale pour qu’ils deviennent meilleurs pour eux et la société. La prière et le travail sont censés apporter le salut aux personnes qui ont fauté. Cependant, l’isolement total s’avère avoir des effets particulièrement néfastes

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que le système pénitentiaire est, depuis sa naissance, marqué par l’échec de ses missions officielles. il ne peut survivre qu’en se réformant successivement et en renouvelant constamment ces objectifs. Finalement, l’objectif réel de l’enfermement reste la neutralisation et la contention.

La protection de la société, de par l’enfermement de personnes délinquantes, est certes fonctionnelle. Mais elle ne semble pas l’être sur le long terme : faute de sens donné au temps passé en prison, de par la carence en possibilités de travail, formations, activités, entretiens psychosociaux, de par la perte d’autonomie qu’induit la détention, la peine privative de liberté est porteuse d’effets préjudiciables et néfastes. L’incarcération produit une perte des repères spatio-temporels, une dégradation des relations sociales et familiales, un appauvrissement économique ainsi qu’une violence institutionnelle qui engendre souvent un sentiment de colère ou de victimisation de la part des détenus. La prison, dont la plupart des détenus sortent peu apaisés et en accord avec eux-mêmes et la société, est-elle réellement un gage de protection de la société sur le moyen / long terme ?

et pourtant, la critique relative à la prison se répète, dans le sens où ce sont inlassablement les mêmes griefs qui lui sont reprochés depuis 200 ans, malgré ses évolutions.

Cet historique brièvement esquissé permet de mettre en exergue le constat suivant : les pratiques d’enfermement, depuis toujours, touchent particulièrement les personnes précarisées.

Force est de constater que la prison ne touche pas de manière égalitaire toutes les personnes et tous les illégalismes. Premièrement, certaines infractions mènent davantage à l’incarcération que d’autres. Ainsi, les petites infractions signalées à répétition sont, souvent, davantage assorties d’un mandat d’arrêt qu’une affaire de délinquance économique et financière. Différents facteurs expliquent ce processus sélectif que l’on retrouve dans toute l’histoire de la prison. Certaines infractions sont plus aisément détectables. Ainsi, le vol à la tire est identifiable à l’œil nu par tout un chacun, ce qui

Effritement du sens de la prison et critique de l’institution carcérale

Petit à petit, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le constat du double échec des idéaux punitif et réhabilitatif fait place à une volonté, dans les discours, de normalisation des conditions de détention, toujours dans le but de réintégrer les délinquants. Cela signifie que l’on tente de rendre autant que possible la vie en prison semblable à celle de l’extérieur, en se basant sur les législations internationales. Au-delà de la privation de liberté, les gens ont droit aux soins de santé, à la culture, à l’éducation, à la vie familiale. Par ailleurs, dans les années 70, plusieurs voix s’élèvent pour critiquer l’institution carcérale en tant que telle, dans un mouvement parallèle de remise en question de l’hôpital psychiatrique. Sont, entre autres pointés du doigt deux éléments : d’une part, « tout de suite la prison, dans sa réalité et ses effets visibles, a été dénoncée comme le grand échec de la justice pénale », d’autre part, « les successives réformes de la prison sont nécessaires à sa pérennité ».

Force est de constater que, malgré la volonté de normalisation et l’adoption, dans ce sens, d’une loi relative à l’administration des établissements pénitentiaires et fixant le statut juridique interne des détenus en 2005 (dite loi Dupont), les conditions de détention en prison ne s’améliorent pas, entre autres à cause de la surpopulation et du délabrement des édifices carcéraux, dont la grande majorité furent construits au début du xxe siècle. nous reviendrons en infra sur le fait que ces deux facteurs relèvent de choix politiques et non d’une situation de fait sur laquelle personne n’aurait de prise.

quant à l’échec de la prison, nous nous permettons de le mettre en parallèle avec le cumul des fonctions qui lui sont assignées : amendement, rééducation, resocialisation, réadaptation, réintégration, réinsertion, responsabilisation etc. Le cumul des objectifs relatifs à l’enfermement renvoie au vide substantiel de sens quant à l’exécution réelle de la peine privative de liberté.

On assigne à l’enfermement des objectifs qui n’aboutissent pas. Or, ces objectifs sont basés sur un paradoxe : vouloir réinsérer ou réintégrer les gens en les mettant au ban de la société, en les isolant de celle-ci. Les diverses fonctions octroyées à la prison montrent

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D’une part, il y a une augmentation de la répressivité, sans qu’aucune étude ne puisse démontrer que la criminalité est en augmentation. Ainsi, entre 1980 et 2010, la population moyenne annuelle présente derrière les barreaux a augmenté de 85 % : les détenus étaient, en moyenne, 5 677 en 1980 23 pour 10 536 en 2010 24. Les causes de cette « explosion carcérale » sont connues : augmentation de la détention préventive (multipliée par 2,5 entre 1980 et 2005), retard et diminution d’octroi de libérations conditionnelles, augmentation des durées de peines prononcées (doublées en 15 ans), allongement de la durée d’internement psychiatrique (on passe de 310 internés en prison en 1995 à 1.096 en 2010, soit une augmentation de 250 %). il est de la responsabilité politique et judiciaire de prendre à bras le corps le problème de la surpopulation en tentant de diminuer cette tendance à la répressivité accrue, en menant une réflexion de fond sur le sens de la sanction, en révisant le Code pénal qui date de 1867, en appliquant les lois de manière juste afin de permettre à tout justiciable d’envisager un futur et une reconstruction personnelle.

D’autre part, la gestion des risques s’inscrit au cœur du pénitentiaire. en termes de régime carcéral, les personnes considérées comme dangereuses feront l’objet de conditions de détention particulièrement strictes, jusqu’à l’isolement total, renouvelé durant de nombreux mois voire plusieurs années. en termes de libération conditionnelle, avant d’octroyer un avis positif, le tribunal d’application des peines étudiera quelles sont les probabilités de récidive. Psychologues et assistants sociaux évalueront ces risques. Actuellement, les missions qui leur sont assignées se réduisent à l’expertise. Avant, ils apportaient aux personnes incarcérées soutien et écoute, les accompagnaient dans leurs démarches et les aidaient à retrouver une certaine forme de stabilité émotionnelle et familiale. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. On constate le retour d’une nouvelle notion de dangerosité. Pourtant, dans bien des situations, ce n’est pas la personne elle-même qui est dangereuse mais des facteurs extérieurs qui peuvent ou non engendrer un passage à l’acte, comme le fait d’avoir un environnement social serein, une occupation (formation ou travail), un logement etc. Aujourd’hui, les psychologues et assistants sociaux internes à

23. Direction générale des établissements pénitentiaires, Rapport annuel, 1999.24. Direction générale des tablissements pénitentiaires, Rapport annuel, 2010.

n’est pas le cas d’une opération de blanchiment d’argent ou d’un délit d’initié. De plus, certains quartiers, certaines activités, certains individus sont davantage surveillés que d’autres 19 : une répression accrue de la petite délinquance plutôt que de la criminalité en col blanc relève également d’un choix politique.

Deuxièmement, à infraction égale, un juge d’instruction a davantage tendance à délivrer un mandat d’arrêt à l’encontre d’une personne qui n’a pas de logement, pas de titre de séjour ou pas d’emploi 20. Par la suite, lors du jugement, le juge au fond a tendance à valider la période de détention préventive en condamnant la personne qui a été ou qui demeure incarcérée. en Belgique, 34,5 % des personnes incarcérées sont en détention préventive 21 : il s’agit là d’un des taux les plus hauts d’europe. Selon le ministre de la Justice Stefaan De Clerck, un tiers d’entre eux n’ont pas de titre de séjour. On peut légitimement penser qu’un nombre important de prévenus n’ont pas de domicile – il s’agit d’un des critères légaux de l’application de la loi sur la détention préventive. un membre de la direction de la prison de Forest relate qu’à Pâques, un individu a été écroué pour tentative de vol de chocolat. L’intitulé de l’infraction laisse à lui seul sous-entendre la situation sociale de l’inculpé : récidiviste, sans famille, sans revenu, sans logement, sans papiers...

Ainsi, si la prison est avant tout une « institution pour pauvres » 22, ce n’est pas spécifiquement que les personnes plus précaires délinquent plus, c’est qu’ils sont davantage sanctionnés à tous les maillons de la chaîne pénale, de par des choix de politique criminelle et l’attitude individuelle des acteurs judiciaires (surveillance de la police, signalement au Parquet, délivrance du mandat d’arrêt, condamnation au fond). On observe actuellement, dans le cadre d’une prison dénuée de tout idéal, une vision davantage pragmatique et sécuritaire du recours et de la gestion de la détention.

19. Lode Walgrave et Conny Vercaigne, « La délinquance des jeunes autochtones et allochtones à Bruxelles », dans Fabienne Brion et al., Mon délit ? Mon origine. Criminalité et criminalisation de l’immigration, Bruxelles, De Boeck-université, 2000.

20. Anne-Marie Marchetti, « Fabriques de misère », dans EcoRev, n°15, 2004.21. Direction générale des établissements pénitentiaires, Rapport annuel, 2010. 22. Anne-Marie Marchetti, op. cit.

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sanctions mais plutôt des lieux d’écoute où elle peut être reconnue dans sa souffrance, également pour pouvoir sortir de cette position de victime et redevenir acteur dans la société. redevenir acteur, être reconnu dans sa souffrance, voilà également ce que permet actuellement le dispositif de médiation pénale tel qu’introduit en 1994. De nos jours, la société développe des modes particuliers de gestion des conflits, basés sur la mise en spectacle des faits divers et du pouvoir de punir de l’État. De par la mobilisation des affects, en réduisant la question de l’insécurité socioéconomique ou existentielle à la peur du crime et la peur de l’Autre, médias et politiques se livrent à une surenchère dangereuse. La prison, souvent mise sous les projecteurs lors d’incidents et d’événements, est pourtant également coulée sous une chape de plomb quant à son quotidien réel. il y a donc une sorte d’ambivalence de statut entre visibilité, spectacle et invisibilité de la prison qui participe, en retour, à accroître les sentiments de panique, voire d’effroi.

Si l’on considère qu’une société sans crime n’existe pas, que la prison échoue à toute fonction dissuasive et qu’elle produit plutôt des effets préjudiciables, pour les détenus d’une part, pour la société de l’autre, en augmentant le sentiment d’insécurité et de rejet de l’autre, il convient sans doute de se poser la question du type de réaction sociale ou pénale, ainsi que du type de sanction ou non que l’on voudrait voir appliquer lorsqu’il y a transgression de la norme. La prison, malgré ses échecs patents, doit-elle demeurer la référence, le noyau dur, de réaction à une infraction ? quel mode de résolution de conflits et quel type de consensus social veut-on pour notre société ?

la prison n’ont plus le temps de soutenir les détenus dans leurs démarches en vue de préparer leur plan de reclassement. C’est donc aux services extérieurs à la prison, qui ont moins de moyens humains et techniques, d’accompagner les reclus dans leurs efforts de (ré)insertion.

De manière plus générale, alors que la prison peine à montrer son efficacité, quel que soit le but qui lui est assigné, force est de constater la politique actuelle d’expansion carcérale, de par la construction prochaine de nouvelles prisons. Ainsi, alors que d’autres prisons sont délabrées et qu’il n’est aucunement certain qu’elles soient vouées à la fermeture, les politiques ont décidé d’investir un milliard d’euros dans la construction d’environ 2 600 places supplémentaires de prison au lieu de s’attaquer à la rénovation du bâti déjà existant. Cette politique est inquiétante. elle ne s’attaque pas aux causes de la surpopulation. Les études et la réalité de terrain ont montré que les places nouvellement créées sont aussitôt remplies. Ce fut encore le cas avec la création des prisons d’Andenne (1997) et ittre (2002), ouvrant plus de 800 places, qui ne résorba en rien la surpopulation. Aujourd’hui, la Belgique, inventive, délocalise ses détenus aux Pays-Bas, à la prison de Tilburg. un an après son ouverture, les 500 places de Tilburg ne suffisaient déjà plus : il fallut étendre sa capacité de 150 nouvelles places.

Cette politique est donc non seulement un échec patent, mais représente surtout un choix d’investissement massif dans les institutions répressives, au détriment des politiques sociales, familiales, culturelles, scolaires ou de réinsertion. elle participe à réaffirmer la primauté de la prison comme sanction-clé, malgré les nombreuses critiques dont elle fait l’objet. elle relègue aussi symboliquement les peines dites alternatives au second plan. Si nous ne nous pencherons pas de manière détaillée sur la question des peines alternatives, nous nous permettrons simplement de citer la médiation pénale 25 qui consiste en la création d’un dialogue entre l’auteur et la victime via une tierce personne. Pourtant, une étude récente de l’institut national de criminalistiqueet criminologie démontre que les victimes n’attendent pas spécialement une confrontation via la justice pénale, son vocabulaire et ses

25. Lire l’article de Cédric Tolley « La médiation pénale, une alternative à la peine ? » en pages 61-70.

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Depuis de nombreuses années, l’Observatoire international des prisons (OIP) dénonce les conditions de détention et les manquements aux droits humains fondamentaux dont la population carcérale belge fait l’objet. L’OIP souligne que le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) notifie régulièrement à la Belgique des rapports sans concession suite aux visites qu’il effectue dans les lieux de privation de liberté. Jusqu’à présent, l’OIP constate que les réponses apportées par la Belgique notamment l’augmentation du parc carcéral n’ont pas d’effet sur la surpopulation.

L’Observatoire international des prisons (OiP) a pour objectifs la surveillance des conditions de détention des personnes privées de liberté et l’alerte sur les manquements aux droits humains dont la population carcérale peut faire l’objet. Son objectif principal est donc de « briser le secret » qui entoure les lieux de détention. Avec comme références les droits de l’homme et le respect de la personne humaine, l’OiP considère que chacun a droit, en tous lieux, à la reconnaissance de sa personnalité juridique et que nul ne peut être soumis à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. L’OiP agit en dehors de toute appartenance politique et se positionne en faveur de l’application des textes nationaux et internationaux relatifs aux droits humains quel que soit le motif qui a présidé à la détention de la personne considérée.

(Sur)vie en prison : conditions « ordinaires » de détentionDelphine PaciAvocate, directrice de l’Observatoire international des prisons - section belge francophone

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d’éclairage, inexistence d’installations sanitaires ou chasse d’eau accessible uniquement depuis l’extérieur de la cellule, absence de nettoyage, literie douteuse, odeur nauséabonde etc.

D’autres établissements modernes organisent un régime de vie tellement froid et éloigné de l’humain que les personnes détenues leur préfèrent encore l’insalubrité des vieilles prisons.Lorsque l’on aborde le thème des prisons et plus particulièrement de ses conditions de détention, l’on ne peut contourner la question centrale de la surpopulation. en 50 ans, la population carcérale a plus que doublé, alors que la délinquance, elle, n’a pas augmenté. À la prison de Forest par exemple, il y a plus de 600 détenus pour 400 places. Les conséquences de cette surpopulation sont diverses et touchent tous les domaines : travail, hygiène, salubrité, soins de santé, sécurité, alimentation, relations entre détenus et agents pénitentiaires etc.

Les cellules, conçues pour une ou deux personnes, occupent souvent trois voire quatre détenus, dans la promiscuité la plus totale. une paillasse est entreposée par terre, ne permettant plus aux détenus de se mouvoir dans leur minuscule cellule. Le manque de travail et de formation à l’intérieur de l’établissement se fait encore plus cruellement ressentir que d’ordinaire.Le budget dont dispose la prison pour nourrir ses occupants étant fonction de la capacité théorique de l’établissement, les quantités alimentaires par détenu sont considérablement restreintes en cas de surpopulation.Les assistants sociaux, psychologues, médecins, en sous-effectifs, ne peuvent exercer leur fonction correctement, par manque de temps. il y a également plus de tensions et de violences latentes, notamment dues à la promiscuité. L’hygiène minimale n’est pas respectée (pas de douches, linges non changés, seaux d’urine non vidés). Les détenus passent entre 23 et 24 heures sur 24 dans leur cellule, les sorties au préau étant supprimées ou réduites au minimum.

Les membres de l’OiP récoltent des informations auprès de personnes en contact avec les lieux de détention. La mise sur pied d’un « réseau d’information » constitué de sources diverses permet à la fois une récolte régulière d’informations et la vérification de la véracité de celles-ci par leur recoupement. en pratique, les membres accumulent des informations sur les lieux de détention ciblés. Pour obtenir ces informations, toutes les sources disponibles sont utilisées : médias, documents officiels et rapports des organismes nationaux et internationaux de défense des droits humains (par exemple le rapport du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), rapports du secteur associatif en lien avec la situation des personnes détenues, documents et questions parlementaires. La principale source d’informations provient de personnes en contact avec la réalité quotidienne des lieux de détention, que celles-ci s’inscrivent ou non dans une structure déterminée (personnes détenues, familles, services d’aide aux justiciables, visiteurs de prison, personnel pénitentiaire etc.).Tous les deux ans, l’OiP publie une notice, photographie de la situation carcérale du pays 26. La situation n’a rien de réjouissant.

La majorité des lieux de détention n’est pas conforme aux règles d’hygiène et de sécurité les plus élémentaires. Ainsi, dans certains établissements, l’on constate de manière non exhaustive la présence d’animaux nuisibles (souris, rats, cafards etc.), de moisissures sur les murs, de cuisines déclarées impropres, de chauffages ou de systèmes électriques défectueux. L’infrastructure sanitaire est, quant à elle, particulièrement préoccupante. De nombreuses cellules demeurent dénuées de toilettes, contraignant les détenus à assouvir leurs besoins dans des seaux hygiéniques exposés au regard de leur(s) codétenu(s). Le papier toilette est tantôt vendu tantôt fourni gratuitement en quantité rationnée. il existe également des insuffisances au niveau du nombre de douches disponibles, de leur état et de leur entretien. Des limitations quant à leur utilisation sont instaurées de manière arbitraire et aléatoire (par exemple, une douche tous les trois jours, même s’il fait 35 degrés en cellule pendant l’été). La situation dans certains cachots se caractérise par une absence encore plus criante d’hygiène élémentaire : manque

26. www.oipbelgique.be (menu « Document » - notice).

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CPT demande dans son rapport le suivi des enquêtes et souhaite « qu’il soit clairement indiqué au personnel pénitentiaire de la prison de ittre que les mauvais traitements physiques infligés aux détenus, ainsi que toute forme de provocation, sont inadmissibles et seront sévèrement punis » 29. C’est tout dire… en termes de soins médicaux, le CPT relève une fois de plus le manque criant de personnel et dénonce la qualité des soins dentaires. Dans chaque notice, des problèmes récurrents sont dénoncés par l’OiP : attente démesurée pour voir un médecin, être plâtré, transféré vers un hôpital, erreurs et retards dans les diagnostiques, violation du secret professionnel (consultation médicale en présence d’agents…).Bref, notre système carcéral va mal, et tout le monde s’accorde aujourd’hui - même les deux précédents ministres de la Justice – pour dire que nos prisons ne sont pas dignes d’un État de droit.nous sommes loin de la prison idéale rêvée par certains réformistes, une prison qui préparerait à la réinsertion, ce mot très à la mode, qui ne veut pas dire grand-chose. Pour être réinséré, encore faut-il avoir été inséré un jour dans cette société qui nous a exclus en nous enfermant.

nous avons, à l’OiP, la conviction profonde que l’on enferme trop : sans-papiers, précarisés, chômeurs… se retrouvent sous mandat d’arrêt alors qu’une délinquance plus perfide peut bénéficier de plus d’indulgence.Sans une véritable réflexion sur la prison, sa légitimité, son utilité et sur la peine et son efficacité (remise en cause par nombre d’auteurs), le système aujourd’hui existant, qui pourtant montre sa défaillance, a encore de beaux jours devant lui. Aucun des objectifs vantés par la prison n’est rempli : la prison a un effet contaminant (un détenu nous disait à ce propos « en prison, tu rentres avec un diplôme de petit délinquant, tu ressors avec un master en criminalité »), la violence y est exacerbée, l’enseignement y est absent ou totalement insuffisant. La prison crée la rupture avec l’extérieur (perte d’emploi, divorce, délitement de l’autorité parentale) et fragilise donc fortement l’individu. C’est une machine à récidive, à l’opposé de l’intérêt de la société.elle ne réhabilite pas l’individu, puisque le casier judiciaire est

29. Voir le dernier rapport du CPT, op. cit., p. 94.

Cette situation débouche sur des grèves fréquentes d’agents pénitentiaires qui, si elles sont compréhensibles, ont pour effet d’aggraver encore la situation des personnes détenues. Durant ces périodes parfois très longues, les détenus ne peuvent recevoir de visites, n’ont plus accès au téléphone, voient les contacts avec leur avocat fortement perturbés, ne peuvent pas assister à leur procès.

L’OiP constate qu’il n’existe toujours pas, en Belgique, de service minimum lors des grèves des agents pénitentiaires. Or il n’est pas rare de connaître à l’occasion de ces grèves de véritables dérapages de la part des agents de police, des décès liés à des négligences… régulièrement et sans relâche, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants notifie à la Belgique des rapports sans concession, faisant suite aux visites effectuées dans les lieux de privation de liberté belges 27.Ces rapports rédigés par des experts internationaux ne font que confirmer le triste tableau connu des OnG et acteurs de terrain. 28

La défense sociale est particulièrement montrée du doigt. Ainsi, le CPT rappelle que des personnes jugées inaptes à subir une peine car en état de démence ou déséquilibre mental, sont parquées dans des dortoirs de 20 lits, en attente d’un transfert vers un établissement de défense sociale (eDS) qui peut prendre quatre ans.Les annexes psychiatriques de nos prisons sont des parkings sans soin, où toutes les pathologies sont mélangées, où l’état mental du malade détenu ne peut que s’aggraver.Des faits de violences graves et de traitements inhumains et dégradants ont été rapportés au CPT. il s’agit notamment de faits commis par des policiers lors de grèves à Forest (passages à tabac de détenus, humiliations, injures…), de morts suspectes (Jamioulx) et de faits commis par des agents à la prison de ittre. Le

27. « Le Comité anti-torture du Conseil de l’europe publie un rapport sur la Belgique », communiqué de presse du 23 juillet 2010, sur www.cpt.coe.int. (menu « États » - Belgique).

28. Voir le dernier rapport du CPT au gouvernement belge relatif à la visite effectuée en Belgique du 28 septembre au 7 octobre 2009, 23 juillet 2010 et la réponse donnée par le Gouvernement belge, 22 février 2011, sur www.cpt.coe.int (menu « États » - Belgique).

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non efficace des gouvernements successifs, n’est pas budgétaire. un détenu coûte cher. Construire de nouvelles prisons aussi. une certaine presse augmente ses ventes à travers la désinformation du public : celle qui véhicule des idées aussi farfelues qu’un Bruxelles devenu Chicago, de l’existence de dangers à tous les coins de rue, d’une justice laxiste alors que les condamnations sont de plus en plus sévères… Contrairement aux idées véhiculées, il n’y a aucune augmentation de la délinquance constatée depuis bien longtemps.un fait divers tragique survient, les médias s’en emparent et le traitent avec sensationnalisme, les politiques se sentent obligés de réagir, une loi spectacle est votée… et rien n’est réglé.

Sortir du carcéral, nous diront certains, c’est prendre des risques. Mais le risque n’est-il pas inhérent à la vie ? notre civilisation a tellement fait reculer de fléaux qu’elle n’accepte plus rien : ni la maladie, ni les accidents, ni le risque qu’une personne soit libre et récidive. et si nous redevenions plus modestes ?On ne peut enfermer quelqu’un à vie ; la personne détenue sortira un jour, sans doute bien plus mal en point qu’à son entrée en prison, brisée par des mois ou des années dans une petite cellule surpeuplée, sans estime de lui.

notre système carcéral participe à la fragilisation l’ordre public.

lourd de conséquences sur un devenir professionnel souvent peu engageant à la base. nombre de personnes détenues ont un niveau d’instruction extrêmement bas. elle ne permet pas d’adoucir le sentiment d’insécurité d’une victime, qui ne comprend pas le passage à l’acte et reste avec ses questions.La prison punit, mais le temps de la punition bête – si tant soi que l’on accepte qu’une punition puisse avoir des qualités – n’a-t-il pas vécu ?Les solutions préconisées par les gouvernements successifs démontrent à quel point la question est sensible. Jamais parole d’experts n’aura été aussi peu entendue.

L’augmentation du parc carcéral n’a pas pour effet la diminution de la surpopulation. il est admis que plus on construit des places de prisons, plus on enferme. Malgré toutes les études, le gouvernement s’engouffre dans cette voie, via son « masterplan ».Le CPT a ainsi rappelé à la Belgique que le fait de construire de nouvelles prisons « n’est pas susceptible, en soi, de résoudre durablement le problème de la surpopulation. en effet, il a été observé dans nombre de pays – y compris en Belgique – que la population carcérale a tendance à augmenter au fur et à mesure que la capacité carcérale s’accroît ». On pourrait adopter des politiques résolues et cohérentes de limitation du nombre de personnes en détention mais surfer sur la vague sécuritaire, adopter des mesures à très court terme – comme la très chère et très contestable mesure consistant au transfert de détenus vers les Pays-Bas, sans leur consentement – semble plus porteur électoralement. Deux détenus s’évadent en hélicoptère, et l’installation de filets ultracoûteux est décidée alors qu’il s’agit d’un phénomène marginal. Si la Belgique a tant de problèmes avec ses prisons, force est de constater que la responsabilité est politique. La Belgique manque d’hommes politiques courageux. une loi est votée en 2005, instaurant enfin un cadre juridique à la détention… mais elle n’entre en vigueur qu’au compte-goutte et demeure, dans les faits, impossible à concrétiser ! Au final, cette loi, en préparation pendant dix ans, laisse un sentiment amer. Son esprit de normalisation s’éloigne au fur et à mesure qu’elle entre en application, au profit des impératifs sécuritaires. La raison de l’inaction, ou plutôt de l’action

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L’absence de réflexion sur les objectifs à poursuivre par la mise en place de mesures ou peines alternatives conduit à un désenchantement certain : au lieu de remplacer la peine de privation de liberté, ces alternatives s’y ajoutent et ouvrent le champ des possibilités de l’arsenal répressif et à son renforcement. Le regard porté par les magistrats sur ces alternatives ne permet pas non plus de s’éloigner des connotations négatives et douloureuses que la rhétorique de la peine semble exiger…

Bien que la prison reste un lieu foncièrement méconnu, ces différents constats ne pouvaient plus être ignorés du politique et ont ouvert le champ à de nouvelles mesures et peines dites alternatives : médiation pénale (loi du 10 février 1994), travail d’intérêt général (TiG) ou formation comme condition de probation (loi du 29 juin 1964 concernant la suspension, le sursis et la probation modifiée par la loi du 10 février 1994) et puis la peine de travail autonome (loi du 17 avril 2002) 30.

en principe, une alternative constitue une solution de remplacement à la peine de privation de liberté. A priori donc, ces sanctions – qui se déroulent dans le cadre de vie de la personne – visent à éviter l’exclusion radicale opérée par l’emprisonnement. Mais très vite, d’autres finalités (lutte contre la surpopulation, lutte contre

30. nous n’évoquons pas le bracelet électronique qui est une modalité d’exécution de la peine de privation de liberté.

Les alternatives : une brèche dans les murs ?Juliette BéghinCriminologue, déléguée sociopolitique à Bruxelles Laïque, administratrice à la Ligue des droits de l’homme et membre de sa commission « Prisons »

UN MONDE SANS pRISON EST-IL pOSSIBLE ?

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l’impunité, outil contre le classement sans suite…), souvent incompatibles entre elles, sont envisagées pour ces sanctions dites alternatives.

La peine de travail 31, par exemple, a été pensée comme une alternative constructive et économique aux courtes peines de prison jugées inefficaces et préjudiciables. Mais très vite, le discours a pris une autre tournure : « La peine de travail ne va certes pas vider les prisons 32, mais si elle peut déjà contribuer à combattre un certain sentiment d’impunité, ce n’est pas si mal. » 33

il en résulte des mesures et des peines présentées comme évidentes, sous le couvert d’une apparence de consensus, où chacun peut y mettre ce qu’il veut, « où chacun va faire son petit marché » 34 et où la contradiction des objectifs n’est nullement étudiée, ce qui permet des « revirements aberrants mais incontestés ».

Cette absence de réflexion conduit à un désenchantement certain : les nouvelles mesures et peines, au lieu de remplacer les peines de privation de liberté, s’y ajoutent. elles permettent de diversifier la gamme des peines, de remplacer d’autres mesures moins restrictives. elles ouvrent le champ des possibilités de l’arsenal répressif et mènent, de ce fait, à son renforcement.

Contrairement à la mise en place d’une façon innovante de penser la réaction sociale (la réaction de la société vis-à-vis des auteurs d’infraction), le dispositif dit alternatif a importé la vision individualisante et hostile du système pénal classique. Par exemple, en 2002, le travail d’intérêt général (TiG) a été érigé en peine autonome une fois qu’on en a prouvé le caractère punitif.

31. La PTA consiste en une prestation effectuée gratuitement par le condamné pendant son temps libre.

32. La peine de travail ne permet pas de lutter contre la surpopulation dont la cause principale concerne les longues peines.

33. Doc. Parl. , Sénat, 2011-20002, 2-7778/7, rapport fait au nom de la Commission de la Justice, p. 21.

34. Pierre reynaert, « Pourquoi tant de peines ? La peine de travail ou les métastases de la pénalité alternative », dans Adrien Masset et Philippe Traest (éds), L’exécution des peines – De strafuitvoering, Bruxelles, La Charte, 2006, coll. « Les dossiers de la Revue de droit pénal et de criminologie », n°13.

Sur le terrain, ensuite, les magistrats 35 considèrent (en général) les sanctions alternatives comme des faveurs […] réservées aux délinquants ayant commis des délits pas trop graves. ils estiment que ces sanctions sont insuffisamment punitives pour permettre une application plus large.

On pourrait conclure qu’il existe comme une impossibilité à faire reconnaître les alternatives à l’enfermement tant qu’elles ne répondent pas aux connotations négatives et douloureuses que la rhétorique de la peine semble exiger 36. retour en quelque sorte à la case départ. Retour à un talion modéré et humain. retour aux thèses foucaldiennes aussi : ne serait-ce pas une manière de diffuser hors de la prison, dans les satellites les plus éloignés du noyau central classique du système pénal, les fonctions de surveillance et de rétribution ? ne sommes-nous pas finalement face à des pratiques « d’intégration dans la vie sociale courante du mécanisme d’exclusion en le rendant plus acceptable » ?

35. Sonja Snacken, « Justice et société : une justice vitrine en réponse à une société en émoi ? L’exemple de la Belgique des années 1980 et 1990 », Sociologie et sociétés, Les réformes de la pénalité contemporaine. Enjeux sociaux et politiques, Montréal, Presses universitaires de Montréal, 2001, vol. 33, n°1, p. 120.

36. exemple de la formation : cf. Cl. Françoise, D. Kaminski, « La fonction normative en matière pénale : valorisation et obstacles à son effectivité », dans Revue de Droit Pénal et de Criminologie, mai 2008, n°3, pp. 522-546.

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Qu’est-ce que la médiation pénale ? Quelles sont les difficultés de sa mise en œuvre ? La médiation pénale est-elle une des pistes sérieuses pour sortir de la surpopulation carcérale ? Ouvre-t-elle des perspectives pour échapper aux inerties cruelles du système pénal ? nous le voyons ça et là dans le présent Outil de réflexion, le système pénal et, en particulier la peine privative de liberté, échouent complètement à réduire la criminalité et, plus largement, à limiter la violence faite aux personnes dans notre société. il semble qu’au contraire, les modalités pénales que nous connaissons actuellement accentuent la détresse des personnes qui les subissent, la déchéance sociale et économique de leurs familles et, partant, les facteurs sociaux les plus criminogènes. De même, si l’on s’en tient à observer les missions et les objectifs annoncés du système pénal, nous ne pouvons que constater son échec manifeste. nous nous mettons donc en recherche d’alternatives qui correspondent de façon plus adéquate aux effets recherchés.

Cedric TolleySociologue, délégué sociopolitique à Bruxelles Laïque

La médiation pénale : une alternative à la peine ?

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du cadre de médiation et d’une méthodologie visant à favoriser le dialogue et le respect mutuel des parties. Ses outils sont, outre ses compétences relationnelles personnelles, la neutralité, l’impartialité (ou la multipartialité), l’indépendance à l’égard de toute institution et de tout pouvoir et l’absence de pouvoir de décision ou d’arbitrage.La neutralité invite le médiateur à ne porter aucun jugement de valeur ou jugement moral à l’égard des personnes qu’il reçoit et des questions qui les occupent.

L’impartialité suppose qu’il ne prenne parti pour aucune de ces personnes. Ce qui se traduit aussi dans l’absence de tout pouvoir d’arbitrage : si au regard d’une quelconque norme ou loi, l’une des parties devait avoir raison contre l’autre, ceci n’est pas du ressort du médiateur et du processus de médiation et n’entre donc pas en ligne de compte dans la régulation du conflit au moyen de la médiation. Ainsi, si les parties viennent à s’accorder positivement sur une solution illégale, pour peu que cette solution ne soit pas contraire, par exemple, à la dignité humaine ou à l’intégrité d’un tiers, le médiateur n’a pas à intervenir en faveur de la norme éventuellement transgressée. C’est le cas, par exemple, si deux voisins finissent par se mettre d’accord pour que leur haie mitoyenne soit taillée à trois mètres alors que le règlement communal impose qu’elle ne dépasse pas deux mètres.Certains médiateurs préfèrent utiliser le terme de multipartialité. indiquant par cela que plutôt que ne prendre parti pour aucune des personnes en médiation, ils prennent parti pour toutes. Être avec tout le monde plutôt que n’être avec personne. Cette position est parfois justifiée dans le cas où il existe une grande dissymétrie entre les personnes en médiation. notamment quand un lien hiérarchique difficile à dépasser lie les parties ou lorsqu’une des personnalités en présence est manifestement dominatrice à l’égard d’une autre. Dans ce cas, le médiateur peut être amené, par des méthodes qui sont propres à sa pratique, à déplacer le centre de gravité du dispositif de médiation du centre géométrique vers une position qui équilibre mieux les rapports interactionnels entre les parties.

La médiation

La médiation, dans son acception théorique, est un processus consensuel de régulation des conflits qui place la responsabilité des parties prenantes au centre du dispositif. Par l’intervention d’une tierce personne impartiale et sans aucun pouvoir de décision, elle entend favoriser la communication et la compréhension mutuelle entre les personnes qui vivent un litige. Ainsi, le médiateur n’a aucune fonction d’arbitrage et ne réfère à aucun système normatif autre que celui auquel les personnes en médiation se réfèrent elles-mêmes.

en cela, le dispositif de médiation répond à deux principes qui nous sont particulièrement cher : le refus de tout dogme et le refus de toute transcendance. Ceci contrairement au dispositif pénal qui impose dogmatiquement qu’on applique un « tarif » légal répondant uniformément aux crimes et aux délits constatés par les instances de contrôle et de répression. S’il existe quelques aménagements en termes de « circonstances atténuantes » qui permettent de prendre en compte les situations particulières des personnes concernées, le système pénal reste aux antipodes de toutes considérations de dialogue, de communication, de compréhension mutuelle, de responsabilité et même de prise en considération de la victime de l’infraction pénale dont la parole n’est entendue sous autre forme qu’accusatrice dans un premier temps (partie civile) et revendicatrice ensuite en vue, éventuellement, d’empêcher la libération conditionnelle de l’auteur de l’infraction.

La médiation, quant à elle, vise à permettre que chaque personne singulièrement prise dans la situation conflictuelle puisse entendre, comprendre et s’approprier les intérêts et les dispositions personnelles de ses interlocuteurs dans une optique d’empathie et d’acceptation de l’altérité nécessaire à ce travail d’empathie. il s’agit donc pour le médiateur de travailler à l’instauration ou à la restauration d’un dialogue sain et responsable. À cette fin, si le médiateur doit feindre de tout ignorer du droit en vigueur ou de toute discipline spécialisée qui pourrait être mobilisée dans le cas qui occupe les personnes en médiation, il est le dépositaire

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que les situations particulières des justiciables puissent être mieux prises en compte. Cette loi a été modifiée plusieurs fois et pour la dernière fois par la loi du 22 juin 2005 qui entrera en vigueur le 6 août de la même année. À la lecture des travaux parlementaires de ces lois, il ressort que les motivations sont diverses. il s’agit d’alléger le dispositif pénal (arriéré judiciaire, surpopulation pénale), d’accélérer la procédure judiciaire, de diminuer le nombre de classements sans suite, de prendre mieux en compte les conséquences de l’infraction pour la victime, de responsabiliser l’auteur de l’infraction plutôt que de lui imposer une peine qui n’éveille à aucune conscience civique.

Certains, dont nous sommes, aimeraient voir dans la médiation pénale une alternative à la peine ou, plus fondamentalement, une alternative au système pénal. en réalité, la médiation pénale telle qu’elle est prévue pas le législateur et telle qu’elle est mise en oeuvre concrètement s’écarte considérablement de l’idéal de la médiation que nous avons décrit sous le titre précédent. en outre, elle reste une pratique très marginale qui, selon Pierre reynaert 37, est progressivement vidée de sa philosophie initiale par les parquets qui tendent à la réduire à l’imposition de conditions sans passer par un débat contradictoire.

retraçons le cheminement du processus de médiation pénale tel qu’il est censé être appliqué en Belgique.

Lorsqu’une plainte aboutit sur le bureau du procureur, celui-ci doit prendre la décision soit de la classer sans suite, soit de poursuivre et de demander une enquête à un juge d’instruction ou à la police, soit de saisir le tribunal, soit de proposer au justiciable d’entrer dans un processus parallèle, celui de la médiation pénale. Dans ce dernier cas et si le justiciable accepte la proposition, le procureur oriente le justiciable vers une maison de justice où un médiateur sera désigné pour prendre en charge certains aspects de la procédure, dont la médiation. que le processus aboutisse à la satisfaction des parties ou non, le dossier revient ensuite vers le procureur qui décide selon des critères qui échappent au médiateur et aux parties, si le

37. À l’occasion du colloque « Pour des alternatives à l’enfermement » organisé par Bruxelles Laïque, l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles et l’institut des droits de l’homme, le 19 janvier 2011.

L’indépendance du médiateur est ce qui lui permet d’agir pleinement dans l’intérêt des personnes qui font appel à lui, sans devoir faire entrer dans le dispositif de médiation quelque intérêt étranger à ces personnes qui pourrait fausser une pleine prise en considération des intérêts particuliers des parties.

L’absence de pouvoir de décision ou d’arbitrage est le principe qui tranche le plus clairement avec les modalités habituelles de règlement de conflit. Lorsque nous faisons appel à un conciliateur qui va sanctionner une décision, à un négociateur qui est lui-même partie prenante, à un tribunal qui éventuellement entendra chacun mais qui prendra seul les décisions, à un arbitre qui va dire qui a tort et qui a raison, ou même à un ami qui est engagé personnellement d’une manière ou d’une autre, nous sommes toujours en présence d’un tiers qui recèle un quelconque pouvoir sur la situation litigieuse ou sur les parties. À l’inverse, en médiation, les personnes en situation de conflit sont entièrement actrices du problème qui les occupe. C’est aux parties qu’il appartient de mobiliser leur créativité propre pour dégager des pistes de résolution à un problème dont elles sont les mieux qualifiées pour en connaître les recoins les plus tortueux. Ce sont enfin les parties qui décident ensemble si les conditions de règlement de leur conflit sont remplies et/ou satisfaisantes pour elles.

Pour le surplus, outre que le médiateur est tenu au secret professionnel, le cadre de médiation doit garantir la confidentialité des échanges, dans le but de favoriser l’honnêteté et la franchise de ceux-ci et de ne pas biaiser la relation de médiation en permettant, par exemple, que le contenu des échanges puisse servir ensuite d’argument devant quelque instance d’arbitrage.

La médiation pénale

en Belgique, la médiation pénale est instituée par la loi du 10 février 1994 qui modifie le Code d’instruction criminelle en conséquence (article 216). nous la devons particulièrement à l’activisme d’une frange progressiste du parquet désireuse de fluidifier la justice et

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notre justice connaît maintenant une disposition qui la rapproche du dispositif connu aux États-unis d’Amérique qui prévoit qu’un justiciable puisse “plaider coupable”. une charge particulière pèse maintenant sur le “présumé coupable”, puisqu’en cas d’échec de la médiation, il sera connu comme “en aveux” par le procureur et donc par le tribunal qui pourrait être saisi de l’affaire qui le concerne. De surcroît, cette situation biaise sensiblement la relation de médiation dans le sens où l’une des parties est, en quelque sorte, dans l’obligation d’aboutir alors que l’autre partie, la victime reconnue, dispose du droit de mettre fin à la médiation comme un moyen de pression sur l’auteur de l’infraction. Or, l’idéal de médiation tel que décrit plus avant doit permettre aux parties de disposer d’un cadre égalitaire au sein duquel ces dernières peuvent agir librement et dans le respect des intérêts de chacun. La médiation pénale telle que prévue par le législateur ne permet malheureusement pas de garantir cet aspect important du dispositif de médiation.

il y a pire. La loi qui institue la médiation pénale confond, sous l’appellation de médiation pénale, différentes dispositions pénales qui ne relèvent en rien de la médiation. Ainsi, lorsque le procureur propose à “l’auteur présumé de l’infraction” d’entrer dans un processus de médiation pénale, il peut assortir cette proposition d’une injonction thérapeutique, d’une demande de réparation en faveur de la victime, d’un travail d’intérêt général ou d’une obligation de formation. et, dans le cas où le justiciable accepte la proposition, tous ces assortiments seront placés sous le contrôle de la maison de justice dont dépend le médiateur pénal. Dans de nombreux cas, sinon dans une majorité des cas, c’est même le médiateur en personne qui sera chargé d’assurer le contrôle des différentes dispositions prises par le parquet. et il devra in fine rendre compte au procureur de l’attitude du justiciable à l’égard de chacune de ces dispositions. il est donc difficile d’envisager dans ces conditions que le médiateur puisse garantir la neutralité, l’impartialité, l’indépendance et l’absence de pouvoir du processus de médiation. reste sans doute la confidentialité des échanges lors des séances de médiation stricto sensu. C’est beaucoup et c’est bien peu.

processus de médiation doit être considéré comme une réussite ou un échec. Si le parquet prend une décision positive, l’action publique est éteinte, ce qui signifie qu’il ne pourra plus y avoir de poursuites concernant la plainte initiale. Si le parquet prend une décision négative, le procureur peut alors décider de poursuivre l’action publique et de demander une enquête ou de déférer au tribunal. il peut aussi décider de classer sans suite.

Dans les faits, aux dires de certains acteurs de la médiation pénale, il semble que les affaires qui auraient été classées sans suite et qui entrent dans le processus de médiation vont souvent jusqu’au tribunal en cas d’échec de la médiation. Bien qu’il n’y ait pas d’étude quantitative à ce sujet, ceci tend à relativiser quelque peu l’idée que la médiation pénale puisse être un facteur de désengorgement de la justice ou une alternative à la peine. Par contre, elle serait bien une alternative au classement sans suite.

il faut noter que si la loi laisse au parquet une très grande latitude quant à l’utilisation ou non de la médiation pénale, il existe certaines restrictions. Contrairement à une idée qui s’entend parfois, il n’y a pas de restriction concernant les types de crimes ou de délits concernés. La restriction principale porte sur le fait que le procureur ne peut pas proposer de médiation pénale dans le cas où il aurait requis une peine de plus de deux années d’emprisonnement si l’affaire avait dû passer au tribunal. La restriction porte donc sur la qualification des faits et non sur les faits eux-mêmes.Par ailleurs, la situation de médiation est quelque peu mise à mal dans le cadre de la procédure pénale. Alors qu’idéalement, les parties décident elles-mêmes de faire appel à la médiation, la médiation pénale se met en place à l’initiative du procureur saisi d’une infraction supposée. Pour que la médiation puisse effectivement être mise en place, il faut que l’auteur supposé de l’infraction reconnaisse les faits devant le parquet et accepte d’entrer en médiation. Cette disposition plombe donc la présomption d’innocence qui devrait être garantie jusqu’à preuve du contraire dans le cas d’une procédure pénale classique. Ceci n’est pas anodin, car en cas d’échec de la médiation, échec dont le procureur est seul juge, la procédure pénale classique reprend son cours. Ce qui signifie que

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cuisante par le médiateur professionnel qui pose un regard réflexif sur ses pratiques et leur contexte, elles sont moins saillantes au regard des usagés de la médiation pénale qui jusqu’alors avaient surtout affaire à la police.Bon gré, mal gré, les médiateurs pénaux font ce qu’ils peuvent. Mais de leurs expériences et de leurs observations, des réflexions et des pratiques qui pourraient entrer dans une réelle perspective d’alternative au système pénal sont en train de naître.

Alternative ?

nous le voyons, l’alternative à la peine ou au système pénal se trouve moins dans le dispositif de médiation pénale telle qu’il est prévu par la loi et appliqué par le parquet et les maisons de justice que dans le principe même de la médiation et dans l’expérience accumulée par les médiateurs et les personnes qui ont recours à la médiation.

La médiation peut bel et bien représenter une des alternatives aux modalités pénales (et plus généralement judiciaires) de régulation des conflits. elle est un dispositif qui a cette particularité originale de rendre aux protagonistes d’un litige le pouvoir et les responsabilités pleines et entières de donner des suites positives et respectueuses de leurs intentionnalités respectives, aux problèmes qui les occupent. La pratique de la médiation à l’intérêt d’ouvrir les perspectives de toutes créativités et de permettre de sortir des sentiers battus jusqu’à la surcompression pour tendre vers des solutions qui comprennent toute la complexité des rapports entre les personnes concernées par un litige.

Ainsi, si une réflexion sur la médiation mérite d’être poursuivie et intensifiée, elle n’accédera pas au titre d’alternative réelle sans qu’une réflexion profonde ne soit partagée à tous les niveaux à propos de l’échec des voies pénales et judiciaires. Car, en effet, la paresse qui consiste à éviter de mettre en question les institutions et les pratiques usées auxquelles nous sommes habitués est aussi celle qui nous permet d’accepter quotidiennement que perdurent

et pourtant, la médiation, l’instauration d’un climat de dialogue propice à ce que les parties accèdent à une certaine altérité et à la prise en compte mutuelle de ce qui est important pour l’autre, doivent aussi avoir lieu pour que le processus aboutisse et que le parquet ne décide pas de le frapper du sceau de l’échec. Les médiateurs pénaux doivent donc mobiliser des trésors de créativité pour construire un cadre de médiation plus ou moins viable. Ainsi, ils tentent tant bien que mal de sérier les différents aspects de leur travail. D’un côté, les obligations liées au processus pénal, d’un autre côté, le travail de médiation à proprement parler. ils essayent de transmettre aux parties l’information nécessaire à ce qu’elles comprennent bien ces différents aspects et qu’elles entendent bien que malgré que les charges multiples qui incombent au médiateur le place dans une situation paradoxale, il est en mesure de garantir, lors des séances de médiation (stricto sensu), un cadre neutre, impartial etc. Par ailleurs, les médiateurs et les maisons de justice oeuvrent régulièrement à raffermir la protection du dispositif de médiation en cherchant à standardiser, à rationaliser et à dépersonnaliser le compte-rendu fait au parquet afin que ce compte-rendu ne représente pas une mise en péril radicale du cadre de la médiation.

Pratiquement, de l’avis de nombreux médiateurs pénaux, cette gymnastique audacieuse rend l’entreprise de médiation (stricto sensu) difficile, mais ne la compromet pas pour autant. D’une part, la médiation pénale est un processus qui s’adresse à des personnes en conflit et, souvent, en souffrance. À ce titre, les biais sont partout. Communément, il est déjà très difficile d’obtenir l’adhésion à un dispositif de médiation de la part de personnes en souffrance. il est d’autant plus difficile d’y parvenir que les personnes sont, comme nous le sommes tous, culturellement portées à rechercher l’arbitrage auprès d’un tiers plutôt que le consensus. D’autre part, il est peu commun qu’une quelconque procédure prenne au sérieux les intérêts personnels et complexes des justiciables. et ceci est propice à éveiller une curiosité minimum à l’égard du dispositif que propose le médiateur. Les injonctions paradoxales sont courantes, notamment dans l’environnement des catégories sociales les plus enclines à devenir « usagées » de la justice pénale. On peut alors penser que si ces injonctions paradoxales sont vécues de façon

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« Engageant une politique dite "réductionniste", la Finlande est parvenue en 25 ans (1975-2000) à passer "d’un taux de détention de 120 à 50 détenus pour 100 000 habitants", alors que sa criminalité était plutôt en augmentation ». 1

Une prise de conscience d’un réel « problème » relatif au grand nombre de personnes détenues dans ce pays en mettant l’accent sur le développement social comme « la meilleure politique qui soit en matière pénale » 2, une attitude raisonnable des médias, des autorités judiciaires coopérantes et l’existence d’une politique coordonnée à tous les niveaux de la chaîne pénale (police, parquet, juge d’instruction, juge au fond) sont sans doute quelques-uns des éléments nécessaires à la mise en place d’une cohérence en matière de politique pénale.

1. Sarah Dindo, Les prisons en France Volume 2, Alternatives à la détention : du contrôle judiciaire à la détention, Commission nationale consultative des droits de l’homme, Paris, La documentation française, 2007, p. 160. Les guillemets intérieurs citent Sonja Snacken, audition CnCDh, 30 mai 2006.

2. Stéphanie Coye, « Leçons finlandaises », dans Dedans-Dehors, revue de l’OiP, n°60, mars-avril 2007, numéro consacré aux alternatives à la prison.

Florence DufauxSociologue, criminologue, membre de l’Observatoire international des prisons - section belge francophone, auteur d’un mémoire de fins d’études sur le travail pénitentiaire et ancienne conseillère morale en prison

prisons : un autre break est possible…L’exemple de la politique réductionniste de la Finlande

et croissent les souffrances causées à autrui. Souffrances que notre système judiciaire sénile échoue à soulager.

S’il est bon que cette réflexion soit menée par des spécialistes de tous poils et portée devant nos responsables politiques, il est indispensable que chacun puisse se l’approprier et soit invité à y prendre une part active. Car il s’agit finalement d’une réflexion courageuse, libérée des pesanteurs et des inerties de nos institutions et de nos habitudes, sur le type de société qu’ensemble nous voulons vivre et habiter, sur les types de rapports que nous voulons entretenir avec nos familles, nos amis, nos voisins et toutes les personnes que nous pourrions être amenés à rencontrer au cours de notre vie.

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taux actuels de détention assez bas en europe. 44 et ceci, sans que, en conséquence, le pays connaisse de sensible différence quant à l’évolution de son taux de criminalité, en comparaison à ses voisins scandinaves. 45

un ensemble d’éléments permet de comprendre l’évolution de la situation finlandaise, qui apparaît clairement comme le fruit d’une politique volontariste et concertée. nous nous pencherons tout d’abord sur les facteurs sociologiques puis sur les instruments légaux mis en place pour permettre de dédoubler le taux de détention dans ce pays.

Facteurs sociologiques

Identification et formulation d’un problème politique et sociétal

Tout d’abord, les années 60-70 sont marquées par la prise de conscience d’un réel « problème » relatif au grand nombre de personnes détenues dans ce pays – fortement plus élevé que dans les contrées voisines. À l’époque, l’identification du taux d’incarcération comme problème politique et sociétal est aussi interprétée comme un fait engendré par l’influence historique de la longue domination russe sur le pays (à noter que la Fédération de russie détient, à l’heure actuelle, le plus haut taux de détention en europe 46 ). Selon Tappio Lappi-Seppäla, directeur de l’institut national de recherche sur les politiques juridiques en Finlande, « les spécialistes chargés des travaux de planification et des recherches relatives aux réformes étaient animés de la conviction quasi unanime que le taux d’incarcération [...] était une honte, et qu’il serait possible de diminuer considérablement la quantité et la durée des peines d’incarcération infligées sans que cela ait de graves répercussions sur la criminalité ». Ce mouvement de pensée s’est accompagné

44. À titre d’exemples comparatifs, le taux de détention de la Belgique est de 95,6 pour 100 000 habitants en 2006. il est de 125 pour 100 000 pour la même année aux Pays-Bas.

45. Yvonne Jewkes and Gyle Letherby, Criminology : a reader, Londres, Sage Publications, 2002.

46. À savoir 608,6 détenus pour 100 000 habitants (taux de 2006, statistiques européennes officielles – Space i, Council of europe Anual Penal Statistics).

À l’heure où le ministre de la Justice Stefaan De Clerck annonce à grands frais la construction « inexorable » de treize nouvelles prisons, en invoquant l’urgence 38 et en ne manquant pas de susciter le trouble et la perplexité 39 chez d’aucuns, il n’est peut-être pas inutile d’aller voir ailleurs chez l’un ou l’autre de nos voisins européens afin de s’inspirer éventuellement de leur politique carcérale ou d’en retenir certains éléments, et de questionner la dimension inéluctable d’une politique pénitentiaire expansionniste.

rappelons, en la matière, que selon la recommandation du Comité des ministres du Conseil de l’europe, « l’extension du parc pénitentiaire devrait être plutôt une mesure exceptionnelle, puisqu’elle n‘est pas, en règle générale, propre à offrir une solution durable au problème du surpeuplement » 40.

À ce sujet, l’exemple de la Finlande apporte d’intéressants éléments d’une politique pénitentiaire que l’on peut qualifier à maints égards d’audacieuse, cohérente et fructueuse. L’approche particulière développée dans ce pays apporte de nombreuses solutions structurelles au problème de surpopulation en pratiquant une politique réductionniste qui s’étale sur plusieurs décennies.

Dans les années 50, la Finlande possède un des taux de détention les plus élevés d’europe, quatre fois plus élevé que le reste des pays scandinaves (190 détenus pour 100 000 habitants) 41. Ce taux va progressivement baisser pour atteindre, en 2000, le seuil minimal de 50 détenus pour 100 000 habitants 42, puis s’élever aux environs de 70 pour 100 000 tout au long des années 2000 43 – soit un des

38. De quelle urgence parle Monsieur le Ministre ? Celle des trente années de surpopulation, celle des quinze années d’insalubrité de certaines prisons ou celle de la plus récente illégalité du gouvernement pour non entrée en vigueur de la loi Dupont ?

39. « nouvelles prisons : un scénario catastrophe... », carte blanche parue dans Le Soir, 11 mai 2009.

40. recommandation n° r (99) 22 du Comité des ministres concernant le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale, 30 septembre, Conseil de l’europe, 1999.

41. Pierre-Victor Tournier, Politique pénale en Europe. Bonnes pratiques et exemples prometteurs, Strasbourg, Conseil de l’europe, 2005.

42. Sonja Snacken, dans Sarah Dindo, op. cit.43. Sonja Snacken, op. cit. ; Pierre-Victor Tournier, op. cit. ; Stéphanie Coye,

op. cit. ; nicolas Bernard, “La jutice en Finlande”, mars 2009, sur www.info-finlande.fr.

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criminelles, mais cela pointe deux éléments : cette collaboration scientifique a contribué à permettre ou à renforcer d’une part la cohérence et d’autre part l’indépendance d’une politique par rapport aux éventuelles pressions émotionnelles et/ou médiatiques.

La formation des magistrats

en outre, l’ouverture d’esprit des juges, la pleine conscience du problème du haut taux d’incarcération et leur volonté de participer au processus de changement de politique pénitentiaire, relèvent entre autres du fait que le droit pénal et la criminologie sont largement enseignés lors des études universitaires alors que de nombreux colloques et formations continues s’organisent tout au long de la carrière des magistrats 48. Leurs pratiques « prétoriennes », c’est-à-dire leurs décisions judiciaires sur le terrain, avaient, semble-t-il, évolué avant même que le législateur ne modifie les lois en faveur d’une politique carcérale réductionniste .

Le « non-effet sécuritaire »

enfin, il convient de pointer les relations particulières entre médias, politique et opinion publique. Selon Sonja Snacken, professeur de criminologie à la Vrije universiteit Brussel et expert pour le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), ayant travaillé sur plusieurs ouvrages relatifs aux prisons en europe 49, « en Finlande, la politique criminelle est considérée comme trop importante pour la laisser soumise aux pressions de l’opinion publique » 50. Par ailleurs, lors de la mise en place de cette politique réductionniste,

48. Selon Tapio Lappi-Seppälä. Cf. nicolas Bernard, op cit.49. Frieder Dunkel et Sonja Snacken, Les prisons en Europe, op. cit ; Dirk Van Zyl

Smit, Sonja Snacken, Principles of European Prison Law and Policy : penology and human rights, Oxford, Oxford university Press, 2009 ; Sonja Snacken, Les prisons en Europe, Pour une pénologie critique et humaniste, Bruxelles, Larcier, 2011.

50. Sonja Snacken, « Analyse des mécanismes de la surpopulation pénitentiaire », dans La surpopulation pénitentiaire en Europe, Groupe européen de recherches sur la justice pénale, Bruxelles, Bruylant, 1999.

de mutations dans l’idéologie pénale. Le rôle de la punition s’est vu relativisé compte tenu des nouvelles analyses sous-tendues par un calcul des coûts et bénéfices, analyses prônant par ailleurs le développement social comme « la meilleure politique qui soit en matière pénale » 47.

Une politique cohérente, coordonnée et concertée

ensuite – et il s’agit là d’un point essentiel –, il convient de remarquer la continuité des mesures entreprises au long de vingt à trente années de politique réductionniste. Ainsi, à l’étude depuis la fin des années 60, les premières mesures juridiques (voire ci-dessous) entreront en vigueur en 1971 et se poursuivront jusque dans les années 90. il s’agit donc d’une politique pensée sur le long terme, qui ne s’est pas conçue au gré de quelconques faits divers médiatiques et a résisté aux voltes-faces émotionnelles par une volonté politique forte ainsi qu’un consensus général. une attitude raisonnable des médias, des autorités judiciaires coopérantes et l’existence d’une politique coordonnée à tous les niveaux de la chaîne pénale (police, parquet, juge d’instruction, juge au fond) sont sans doute quelques-uns des éléments nécessaires à la mise en place d’une cohérence en matière de politique pénale.

Les experts Helsinki

Selon Tappio Lappi-Seppäla, les chercheurs ont été amenés à jouer un rôle particulier dans le cadre de l’ambitieuse réforme du monde pénitentiaire. C’est au sein du monde académique que sont puisées les ressources et les compétences qui vont permettre l’évolution pénale finlandaise : non seulement ce sont des spécialistes qui penseront et initieront les mutations carcérales mais c’est aussi en lien étroit avec le monde académique et parfois en son sein que seront recrutés et que travailleront les différents ministres de la Justice. Cela ne résout pas la question complexe et ambiguë des relations d’autonomie et d’indépendance entre recherche et politique, entre autres précisément dans le cadre des politiques

47. Stéphanie Coye, op. cit.

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la construction de nouvelles prisons, nous retiendrons que les facteurs sociologiques ayant permis à la Finlande de diminuer son taux de détention sont les suivants : l’identification du nombre élevé de personnes incarcérées comme un problème sociétal et comme honte pour le pays, la décision de mener une politique coordonnée aux différents niveaux de pouvoir et ce, sur plusieurs décennies, le fait de faire appel à des criminologues expérimentés pour penser cette matière, la formation soutenue des magistrats ainsi que la volonté politique et médiatique de ne pas surfer sur la peur et l’émotionnel. nous nous pencherons maintenant plus concrètement sur les instruments légaux ayant permis la diminution du taux de détention.

Mesures juridiques

en 1971, l’une des premières mesures consista a limité la détention préventive aux seuls délinquants violents et dangereux. La libération conditionnelle, quant à elle, est généralisée et intervient d’office au bout du tiers ou des deux tiers de peine ; 99 % des détenus en bénéficient 56. À la fin des années 70, la Finlande a augmenté le montant des amendes pénales afin de pouvoir l’appliquer à des délits plus importants et de limiter ainsi le recours à la détention ou pour pouvoir combiner amende et peine de sursis. De plus, en 1991, il fut demandé aux juges de prononcer les peines les plus courtes en jours et non en mois. Plusieurs réformes successives ont d’ailleurs diminué la durée minimale de celles-ci, qui atteignent aujourd’hui 14 jours (minimum à prester avant de pouvoir bénéficier d’une libération conditionnelle). en outre, la même année, un service communautaire – équivalent du travail d’intérêt général ou de la peine de travail autonome en Belgique – a été introduit puis étendu à l’ensemble du territoire trois ans plus tard.

Concernant les mineurs, les possibilités de renoncer aux sanctions ont été élargies et la loi de 1989 prévoit que l’emprisonnement ferme ne peut se justifier que par des motifs extraordinaires. Cela a

56. intervention orale de Myriam de Crouy Chanel, substitut général de la Cour d’appel d’Amiens, 17 juillet 2008, Amiens. sur www.justice.gouv.fr/index.php?rubrique=10030&article=15381.

il ne fut pas négligé non plus d’entreprendre une discussion avec la population afin d’expliquer pourquoi le pays s’engageait dans cette voie. en outre, la structure économique des médias freine également la surenchère sécuritaire. Vendus traditionnellement par abonnement annuel, les journaux sont moins contraints à recourir au fait divers sensationnel pour faire du chiffre et vendre. enfin, pour Tapio Lappi-Seppälä, l’élaboration de politiques sociales en amont de la répression et le fait de clarifier « les effets (modestes) des sanctions atténue la confiance non fondée qu’a le public envers le système pénal » 51, ce qui diminue les pressions exercées sur ce dernier et facilite les efforts pour réduire le recours à l’incarcération 52 . Ainsi donc, dans un tel contexte médiatique et politique (peut-être un peu affaibli ces récentes dernières années), le mythe sécuritaire s’emballe moins rapidement que ne gonflent les baudruches et ne hurlent les sirènes de ses voisins occidentaux en ces temps d’insécurité socio-économique. « Pour roland Barthes, le mythe abolit la complexité des actes humains, leur donne la simplicité des essences » 53. Le mythe gomme les nuances, réduit des données complexes à de fausses images, crée des croyances et confère de fausses idées à certaines matières. Au niveau sécuritaire, il s’agit d’une diminution marquée de la société à accepter les risques ordinaires du vivre ensemble, qui façonne à la justice une image erronément laxiste. en Belgique, combien d’entre nous savent qu’à criminalité égale, la population carcérale a augmenté de 85 % en 30 ans 54 et que la durée moyenne de détention a plus que doublé en 15 ans ? 55

en bref, si ces quelques chiffres nous laissent à tout le moins songeur quant à l’idée que la seule solution à la surpopulation consiste en

51. Stéphanie Coye, op. cit.52. Loc. cit.53. roland Barthes, Mythologies, Paris, Éd. du Seuil, 1957, pp. 204-205, cité par

Dominique de Fraene, « La prévention n’a pas de limites, dans Journal du Droit des Jeunes, 1998, p. 35. .

54. La population carcérale moyenne était de 5 677 détenus en 1980 (Direction générale des établissements pénitentiaires, rapport annuel, 2000) tandis qu’elle atteignait le chiffre de 10 536 en 2010 (Direction générale des etablissements pénitentiaires, rapport annuel, 2010).

55. Charlotte Vanneste, La population carcérale à Bruxelles, actes du colloque organisé en 2008 par le groupe PS du Parlement bruxellois : « Le détenu, un citoyen comme un autre ! », pp. 23-32.

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Dans la législation pénale, la prison figure comme sanction pour quasi toutes les infractions. Or, lorsque la société doit réagir à l’égard de l’auteur d’une infraction, il convient de prendre en compte avant tout les « conséquences de la réaction répressive pour le délinquant, la victime et la société (qui) ne peuvent être pires que les conséquences de l’infraction ».

La prison est une antisolution puisque son coût est prohibitif pour tout le monde. L’auteur y perd sa liberté et ses proches sont touchés par la peine ; la victime est rarement dédommagée par les auteurs en prison (sans travail etc.) et la société paye le coût exorbitant de l’incarcération.

Le point de départ de la pensée abolitionniste réside dans le fait qu’il faut abolir la prison car elle est injuste et inégalitaire. L’ultima ratio signifie que la peine privative de liberté ne doit être utilisée que quand toutes les autres solutions ont été épuisées ou quand on a à faire à des crimes trop graves. elle va se justifier de deux manières : 1) dans nos sociétés libérales, la liberté est une valeur majeure et sa

privation de liberté doit rester exceptionnelle. une philosophie qui se retrouve dans la loi sur la détention préventive qui stipule que la règle, c’est la liberté ;

2) la prison crée de nombreux problèmes, il faut donc faire tout ce qui est possible avant et au lieu d’y recourir.

Compte rendu de l’exposé de Philippe Mary, professeur ordinaire à l’Université libre de Bruxelles, faculté de Droit et de Criminologie, colloque organisé par l’Ordre français du barreau de Bruxelles et Bruxelles Laïque le 19 janvier 2011

De la peine privative de liberté comme ultima ratio à son abolition

permis de diviser par dix le nombre de mineurs incarcérés 57.

enfin, il convient encore de mentionner le type de régime carcéral existant en Finlande : 30 % des personnes incarcérées se trouvent dans des établissements ouverts où ils peuvent circuler à leur guise et se retrouver davantage dans la société plutôt qu’en dehors de celle-ci. De plus, tout détenu, qu’il soit en régime ouvert ou un régime fermé, perçoit un salaire. en contrepartie, il doit payer le gîte et assumer certains prélèvements obligatoires. il peut participer à des travaux d’intérêt général (construction de routes et de ponts, restauration de monuments historiques etc.) ou s’impliquer dans des activités industrielles ou agricoles 58.

Ainsi, en matière de politique carcérale, il n’y a effectivement pas de secret ou de formule magique : afin de diminuer le nombre de personnes détenues, il convient d’agir sur au moins trois facteurs : réduire le recours à la détention préventive, faciliter les libérations conditionnelles et diminuer la durée des peines. De plus, la mise en place de solutions de remplacement à la prison ne fonctionne comme telle que dans le cadre d’une volonté plus générale de réduction des sanctions et de frein à l’extension du filet pénal 59.

57. L’ensemble de ce paragraphe est largement inspiré de Stéphanie Coye, op. cit.58. nicolas Bernard, op. cit.59. Sans entrer dans les détail, les mesures dites alternatives, comme la peine

de travail autonomie (travail d’intérêt général), la médiation ou le bracelet électronique, apparaissent dans les faits bien souvent comme des alternative à l’arrêt des poursuites, au non-lieu, au sursis ou à la libération conditionnelle non accompagnée de surveillance électronique, plutôt qu’à une alternative à l’emprisonnement ferme. il convient donc d’être vigilant lorsqu’on parle des alternatives à la détention. Cependant, certaines garanties légales permettent de limiter ces risques (comme le fait de pouvoir attribuer ces sanctions pour des délits importants, le fait de ne pas les cumuler à une (partie de) peine de prison à purger, le fait de la permettre pour des récidivistes etc.).

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Des tentatives dans ce sens ont déjà été entamées dans les années 70 par Louk hulsman, herman Bianchi etc. Mais aussi plus proche de nous en Belgique par Lieven Dupont, père de la loi pénitentiaire de 2005, qui reste néanmoins très « virtuelle » puisque appliquée de manière sélective. Ce dernier va radicaliser le principe de subsidiarité. À partir du moment où le système pénal va léser des liens juridiques (liberté, mobilité etc.), l’intervention, la légitimité même du système pénal, doit être justifiée (en quantité et en qualité) dans son ensemble mais aussi dans chacune de ses activités. On ne peut pas justifier le système pénal uniquement en référence à ses buts. Mais on doit se demander pourquoi la réalisation de ses buts (peu importe lesquels : neutralisation, réinsertion etc.) exige des moyens aussi brutaux que les sanctions à l’œuvre dont il reste à prouver le caractère indispensable. Ainsi, quand la société doit réagir, en vertu du principe de subsidiarité, elle doit utiliser tous les moyens non pénaux, tous les moyens socialement et individuellement les moins coûteux. Ce n’est que quand ces moyens sont épuisés que le recours au système pénal peut être envisagé, en privilégiant ici encore les moyens les moins coûteux. Pour Lieven Dupont, il faut penser autrement le problème et pour cela rompre avec le principe de proportionnalité et le remplacer par le principe du coût social de la réaction pénale selon lequel « les conséquences de la réaction répressive pour le délinquant, la victime et la société ne peuvent pas être pires que les conséquences de l’infraction ».

Le Finlandais Tornut, quant à lui, reprend la thèse de Durkheim sur la « normalité du crime ». Si le crime n’est pas « moralement » acceptable, il existe en tout temps et lieu. C’est pourquoi aucune politique criminelle du système pénal ne devrait indiquer que « le but est d’éliminer la criminalité » puisqu’il s’agit d’un objectif inatteignable. il s’agit même d’une posture plus utopique que la posture abolitionniste. Selon lui, la politique criminelle doit se définir comme « comprenant tous les efforts de politiques sociales qui se donnent pour but principal de réglementer la somme totale des coûts sociaux y compris la souffrance humaine résultant de la criminalité et de distribuer ses coûts sociaux équitablement entre les parties impliquées (le criminel, la victime, la communauté politique en général). il s’agit là d’un moyen d’éviter les craintes

Dans la pratique, la tendance est différente puisqu’on assiste à une augmentation des populations pénitentiaires dans tous les pays européens. en Belgique, on assiste à une augmentation de 48 % de 1990 à 2008. Sommes-nous face à un regain de punitivité ? il est en tout cas incontestable que le droit pénal moderne rend impossible la philosophie de l’ultima ratio. il s’agit d’un droit obsolète, hérité du xViiie siècle et dont le Code pénal n’a pas été réformé en Belgique de manière substantielle depuis 1867.

À l’origine (au xViiie siècle) des auteurs comme Beccaria vont instituer comme principes constitutifs du droit pénal, ceux de la proportionnalité et de la modération des peines. une position promulguée par Beccaria en réaction à la cruauté des peines de l’époque (supplices, peine de mort etc.). La peine de prison apparaît donc comme une peine civilisée. Mais ce modèle pose trois problèmes qui vont faire obstacle à une autre pensée. Tout d’abord, dans la législation pénale, la prison figure comme sanction pour quasi toutes les infractions. On est loin de l’ultima ratio consistant à faire de la peine privative de liberté la solution ultime, le dernier « remède ». Le sursis, par exemple, ne se trouve même pas dans le code puisque c’est une loi à part et la peine de travail n’est évoquée que dans le Livre ier ayant trait aux principes généraux. ensuite, ce modèle ne prend en considération qu’un seul « mal », celui causé par le crime, à l’exclusion de tout autre dommage comme le dommage aussi causé par la peine (à l’auteur ou à son environnement). enfin, seuls deux types de relations sont pris en considération : la relation entre le criminel et la société (en somme, faire en sorte que le criminel ne cause plus de tort à la société représentée par le ministère public, donc on exclut d’autres protagonistes dont la victime) et la relation entre la peine et le peuple (le peuple en tant qu’élément à dissuader). C’est donc l’appareil de justice pénale – dont la prison reste un de ses moyens d’action privilégié – qui reste l’ultime acteur actif sur la scène pénale et sur la scène du crime. une situation qui explique l’impasse dans laquelle nous sommes encore aujourd’hui et donc l’aporie (contradiction qu’on n’arrive pas à résoudre) que cela génère au niveau intellectuel. La prison, et parallèlement le système pénal, n’est donc pas la solution mais le problème. On doit donc en conclure que la seule solution, c’est se tourner vers l’abolition.

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Face aux critiques récurrentes dont le système pénal fait l’objet et la prison en particulier, comment expliquer sa pérennité ? il semblerait que le levier de la peur, utilisé le plus souvent dans une logique sécuritaire, soit d’une efficacité redoutable. Dans nos sociétés, cette peur, mise en exergue par certains médias ou dirigeants, constituerait-elle l’axe privilégié pour renforcer un sentiment d’appartenance communautaire ?

Certaines hypothèses criminologiques avancent que le crime voire le sentiment d’insécurité sont en réalité des sujets politiques qui permettent aux États-nations de maintenir une légitimité face à la perte de souveraineté (et donc de contrôle) sur les questions économiques et sociales à l’ère de la mondialisation. Comment, en d’autres termes, attirer toute l’attention sur le sentiment d’insécurité « physique » pour tenter de faire oublier la montée inexorable de l’insécurité sociale, économique et politique. un tel système a besoin de produire des « boucs émissaires », ceux-là mêmes qui cumulent les facteurs de désaffiliation. On assiste à de nouvelles formes de domination et d’asservissement : ceux et celles qui ne disposent pas des moyens pour se responsabiliser et prendre en main leur existence sont également ceux et celles qui subissent cette injonction alors que les conditions leur permettant d’y répondre ne leur sont pas données. La prison, en bout de course

La peur de l’autre, la peur de soi… leviers politiques ?

Conclusion

liées au fait qu’une alternative puisse créer plus de problèmes ou entretiendrait la même logique. À l’aune de cette définition, la prison est une antisolution puisque son coût est prohibitif pour tout le monde. L’auteur y perd sa liberté et ses proches sont touchés par la peine ; la victime est rarement dédommagée par les auteurs en prison (sans travail etc.) et la société paye le coût exorbitant de l’incarcération.

À l’inverse, ce critère du coût impose l’abolition. Même si l’abolition de la prison n’entraîne pas l’abolition de l’enfermement. Ainsi, trois types d’enfermement pourraient perdurer : • celui nécessaire dans le cadre des instructions judiciaires

(exemple : pour permettre les reconstitutions) ;• pour les faits particulièrement graves (à cet égard, pourquoi ne

pas s’inspirer de la loi de 1930 – quasi pas appliquée – de mise à disposition du gouvernement qui énumère les faits particulièrement graves qui justifient la mise à disposition du gouvernement et les reprendre pour justifier la peine privative de liberté ?) ;

• et enfin, la problématique des troubles psychiques qui pourrait nécessiter une prise en charge hospitalière. Même si certains juristes craignent que ces voies plus administratives offrent moins de garanties juridiques que le procès pénal (droit de la défense etc.). Le directeur de l’établissement de défense sociale (eDS) Les Marronniers stipulait d’ailleurs lui-même « qu’à pathologie égale, celui qui rentre comme psychiatrisé y reste quelques semaines, en défense sociale, quelques années ».

en conclusion, il est plus facile de penser l’abolition du système pénal lorsqu’on a pensé avant, l’abolition de la prison. Si l’on n’arrive pas à l’abolition du système pénal et que l’on pose la question de « par quoi remplacer la prison ? », la réponse est « par rien » puisqu’il existe déjà dans notre système un arsenal de réactions amplement suffisant. il n’est donc pas nécessaire d’aller imaginer encore autre chose au risque sinon de se retrouver dans le risque du continuum ou du pire.

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réductionniste, l’ampleur du phénomène de surpopulation et les objectifs d’extension du parc pénitentiaire ne présagent rien de réjouissant : les régimes d’exclusion s’installent et se répandent au-delà des prisons… Le choix de gouverner – non plus par la peur (comme dans les pays dictatoriaux) – mais sur la peur de l’Autre aura des effets à long terme dramatiques.

Cette situation appelle un examen scrupuleux et l’ouverture d’un large débat démocratique portant notamment sur la dialectique politique/médias :• les réactions émotives et précipitées sont, par définition, peu

rationnelles et peu réfléchies. elles vont donc à l’encontre du libre examen ;

• la prise de décisions à portée générale en réaction à un ou quelques cas particuliers ne semble pas la bonne marche de raisonnement pour le développement d’une politique qui prend en compte la rationalité, l’universalité et l’intérêt général ;

• la politique « du coup par coup » n’est pas compatible avec un débat démocratique et la confiance dans le discernement des citoyens ;

• l’état d’urgence ou d’exception que semblent justifier ces faits divers dramatiques se caractérise précisément par la « mise au frigo » des principes de l’État de droit (séparation des pouvoirs entre exécutif, législatif et judiciaire mis sous pression, libertés fondamentales…) qui sont aussi ceux de la laïcité politique.

Outre cette tendance actuelle à l’appréhension émotionnelle des enjeux sécuritaires (dont on pourra, par ailleurs, interroger les antécédents éventuels), la démarche libre exaministe s’avère des plus pertinentes pour aborder l’univers carcéral en tenant compte du nombre de préjugés, de stéréotypes, d’a priori, de fantasmes, de rumeurs, de légendes urbaines qui circulent au sujet des prisons, de la délinquance, de l’insécurité, de la jeunesse, des migrants etc. Ces idées reçues vont parfois jusqu’à constituer de véritables dogmes en la matière. en tant que laïques, il nous revient donc de porter un regard critique sur cet univers, d’interroger le bien-fondé des idées les plus répandues, de remettre en question le discours dominant (voire le prétendu bon sens) et de déconstruire les dogmes.

des circuits pénaux, constitue une forme aboutie et épurée de ce processus de désaffiliation et d’exclusion.

La prison fonctionne comme une machine qui rend invisible de toute une frange des populations précarisées. Son « succès » en termes d’augmentation du nombre d’écrous et de taux d’incarcération (nombre de détenus pour 100 000 habitants) s’explique, selon les criminologues, par la persistance et l’aggravation de la crise socioéconomique. en amont de l’incarcération, au cours de celle-ci et lors de la libération, ce sont les personnes qui ont le moins de moyens économiques, sociaux et culturels à qui l’on demande le plus de se responsabiliser et de prouver leur capacité à s’en sortir.

Faire subir le poids des situations sociétales de certains individus est d’autant plus pervers que de nombreuses études ont démontré qu’il n’y a pas de lien de causalité entre le taux de criminalité et le taux de pénalité (dont le taux d’incarcération). un lien, par contre, est établi entre « périodes de crise socioéconomique et augmentation du taux de pénalité » indépendamment du taux de criminalité enregistrée 60. La sévérité pénale est surtout associée aux réactions émotionnelles de la population, à l’importance donnée aux dispositifs d’aide sociale, à l’inégalité des revenus, au délitement des structures politiques et aux cultures juridiques discriminantes. C’est pourquoi « les États-providence solides connaissent une moindre inégalité des revenus, des crimes moins violents, une plus grande confiance et légitimité auprès du public. ils ont moins recours à la répression populiste et se caractérisent par un taux de détention plus bas. ils se développent plus facilement en cultures politiques corporatistes consensuelles […] une telle culture politique […] se montre plus apte à maintenir un bon équilibre entre les droits de l’homme des auteurs et ceux des victimes » 61.

Chez nous, l’absence de percée des alternatives comme réelles solutions de remplacement de la prison, la tendance à faire de la politique de fait divers au lieu d’opter pour une politique résolument

60. Charlotte Vanneste, Les chiffres des prisons. Des logiques économiques à leur traduction pénale , Paris, L’harmattan, 2001.

61. Sonja Snacken « Facteurs de criminalisation : une approche comparative européenne », dans Revue de Droit Pénal et de Criminologie, n°12, décembre 2008, p. 1227.

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La manière dont l’enfermement répond aujourd’hui aux questions de la délinquance, de la marginalité, de la relégation, de la désaffiliation etc. soulève une question bien plus profonde qui a toujours préoccupé les défenseurs de la laïcité, celle de l’articulation entre responsabilité, émancipation et solidarité. Cette question renvoie notamment à un enjeu crucial de toute société qui ne laisse pas les laïques indifférents : l’articulation entre les droits et les devoirs de l’individu et de la collectivité.

enfin, l’enfermement constituant la modalité principale de la pénalité dans nos sociétés, il renvoie aux questions de la sanction, de la culpabilité et de la fonction d’autorité (dont le modèle dominant demeure le schéma patriarcal qui se réfère en dernière instance au Père fondateur). Autant de notions judéo-chrétiennes (en Occident mais plus généralement inscrites dans la structure de toute religion) dont les laïques devraient pouvoir se démarquer ou qu’ils pourraient refonder au regard de leurs conceptions et références.

Au vu de l’échec répété de la prison et des objectifs qui lui sont assignés, il semble plus que temps de lever la chape de plomb qui l’entoure, de questionner sa position centrale en terme de réponse aux infractions et, de manière plus générale, de repenser les modes de réaction aux illégalismes, en sortant du mythe de la sanction et de la punition. Penser la prison autrement, penser une société sans le systématisme de l’enfermement qui s’avère contraire aux droits de l’homme et aux valeurs laïques, ne devraient plus constituer un tabou au xxie siècle.

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- MArY, Ph., « Le travail d’intérêt général et la médiation pénale face à la crise de l’État social : dépolitisation de la question criminelle et pénalisation du social », dans MArY, Ph. (dir.), Travail d’intérêt général et médiation pénale. Socialisation du pénal ou pénalisation du social, Bruxelles, Bruylant, 1997.

- Ph. MArY, F. BArThOLeYnS, r. BeAuThier, J. BeGhin, Ph. BeLLiS, D. De FrAene, C. nAGeLS, M. PreuMOnT, S. SMeeTS, C. STreBeLLe, C. TAnGe et F. VAnhAMMe, « Pénalité et changement social. quelle justice pénale pour le xxie siècle ? À propos d’un projet de recherche », dans Revue de droit pénal et de criminologie, 2001, n°11, pp. 958-969.

- MArY, P., BArThOLeYnS, F., BeGhin, J., « La prison en Belgique : de l’institution totale aux droits des détenus ? », dans Déviance et Société, n°3, 2006.

- MinCKe, Ch., De l’utopie à l’aveuglement, la médiation pénale belge face à ses idéaux fondateurs, thèse de doctorat, FuSL, 2006.

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L’ENFERMEMENT : UN CHOIX DE SOCIÉTÉ EN QUESTION

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À partir du menu « Éducation permanente », la section consacrée aux campagnes du CAL permet d’accéder à quelques ressour-ces sur l’enfermement : des informations objectives sur le systèmecarcéral belge et un reportage de CanalCAL sur les conditions de détention inacceptables à la prison de Forest.

UN MONDE SANS PRISON EST-IL POSSIBLE ?

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Associations laïques actives en milieu carcéral

Fédération des Services Laïques d’Aide aux Justiciables ASBLrue Lelièvre 55000 NamurTél. : 081/26.13.52E-mail : [email protected]

• Service Laïque d’Aide aux Justiciables et aux Victimes de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles II ASBL

Siège social et service d’aide aux détenus et prochesavenue Ducpétiaux 148 1060 BruxellesTél. : 02/537.54.93E-mail : [email protected] web : www.aideauxdetenus.be

Aide aux victimes et aux procheschaussée de Waterloo 2811060 BruxellesTel : 02/537.66.10E-mail : [email protected]

Adresses utiles

Sites internet :

- Champ pénal : http://champpenal.revues.org Champ Pénal est une revue électronique gratuite en libre accès. elle publie des contributions rigoureuses participant à l’analyse des fondements socioculturels, juridiques, politiques, historiques,

pratiques qui façonnent le champ pénal. La vocation de la revue est de diffuser des textes bilingues (français/anglais). elle est soutenue par le Cnr S et la mission de recherche Droit & Justice.

- Centre d’Action Laïque : www.laicite.be

- Observatoire international des prisons, section belge francophone :

www.oipbelgique.be

- Ligue des droits de l’homme : www.liguedh.be

- Réseau Détention & Alternatives : www.detention-alternatives.be

- Coordination des associations actives en prison : www.caap.be

idéologies, économiques et scientifiques des discours et

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UN MONDE SANS PRISON EST-IL POSSIBLE ?L’ENFERMEMENT : UN CHOIX DE SOCIÉTÉ EN QUESTION

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Centre d’Action Laïque du Luxembourg ASBLrue de l’Ancienne Gare 2 6800 Libramont-ChevignyTél.: 061/22.50.60E-mail: [email protected] web: www.cal-luxembourg.be

Autres adresses utiles

Observatoire International des prisons (OIP) - section belge francophonerue du Boulet 221000 BruxellesE-mail : [email protected] web : www.oipbelgique.be

Ligue des Droits de l’Homme ASBL - Belgiquerue du Boulet 221000 BruxellesTél. : 02/209.62.80Fax : 02/209.63.80E-mail : [email protected] web : www.liguedh.be

Réseau Détention & Alternatives ASBLClos Reine Astrid 1374000 LiègeSiège d’activités bruxellois : rue Maurice Liétart, 311150 BruxellesTél./Fax : 02/380.98.93E-mail : [email protected] web : www.detention-alternatives.be

Coordination des Associations Actives en Prison (CAAP) ASBLrue du Commerce 68 A1040 BruxellesE-mail : [email protected]él./Fax: 02/513.67.10Site web: www.caap.be

• Service Laïque d’Aide aux Justiciables de la Province du Hainaut ASBLrue des Puits L’Eau 10 boîte 37500 TournaiTél. : 069/77.73.43E-mail : [email protected]

• Service Laïque d’Aide aux Justiciables

de la Province de Namur ASBL rue Camille Henry 775500 DinantTél. : 082/22.73.78E-mail : [email protected]

• Service d’Aide aux Justiciables de l’arrondissement judiciaire

de Liège II ASBLrue Saint-Lambert 84-864040 HerstalTél. : 04/264 91 82E-mail : [email protected]

• Service Laïque d’Aide sociale aux Justiciables

de la Province de Luxembourg ASBLavenue de Bouillon 456800 LibramontTél. : 061/29.24.95E-mail : [email protected]

Fondation pour l’assistance morale aux détenus - FAMD (Fondation d’utilité publique)avenue de Stalingrad 541000 BruxellesTél. : 02/537.59.28E-mail : [email protected]

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Achevé d’imprimer en décembre 2011 pour le 1 tirage et en mars 2014 pour l’édition mise à jour

sur les presses d’Antilope Printing à Lier (Belgique)

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