MDF Texte Final

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LE MAHABHARATA DES FEMMES K. MADAVANE Email : [email protected] Tel : Inde : 0091-9873705583 1

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LE MAHABHARATA DES FEMMES

K. MADAVANE

Email : [email protected] Tel : Inde : 0091-9873705583

2 0091-11-2674 1195 France : 0033-0786463256

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LES PERSONNAGES

Personnages masculins:( Les quatres personnages masculins devraient tre interprts par le mme acteur )

12345-

Le Fils LIvrogne Bhishma Yudisthira Karna

-variable -35 ans -sans age -30 ans -45 ans

Personnages fminins:(Les rles sont partags de telle faon que les 12 personnages peuvent tre interprts par 6 actrices. Cette distribution suit un raisonnement thmatique discernable dans la pice)

1 12 233 454 65 786 910 Choeur:

La Berceuse Mre Gandhari La Jeune Femme Soeur Rohini. Satyavati Kunti Amba Draupadi

-age -65 ans-60 ans-18 ans-18 ans-18 ans -35 ans-60 ans-20 ans-30 ans-

Polina Manko Dimitra Podara

Nadia Shrestha

Marion Barbero La Hengl

Julie Thuillier

4 Femmes N 1 10 -sans age (Ces rles devraient tre distribus parmi les actrices de la pice) ___________________

La Maldiction des toiles a t reprsente pour la premire fois au StudioThtre Alfred-Lalibert, UQAM, Montral (Mise en scne par K. Madavane) le 12 avril 1995.

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PREMIERE PARTIETABLEAU N 1____________________________________________________________________Personnages: LaBerceuse Fils Mre LaJeuneFemme.

____________________________________________________________________ L'espace scnique devrait tre un espace indtermin, intemporel et vide. Il y aurait peut-tre sur la scne un petit feu, d'une faon permanente. Ct cour, devant les marches d'un encadrement de porte, sont assis Mre et Fils. Au coin de la scne en retrait, un berceau fait avec un sari pli en deux est attach la branche d'un arbre. Une vieille femme - La Berceuse - chantera une berceuse1. Elle ne quittera jamais la scne jusqu' la fin de la pice. Cette chanson accompagnera la pice jusqu son dnouement. La berceuse nexplique pas la pice ni la pice ne justifie la berceuse. Elle est l comme une autre ralit, comme un espace, comme une atmosphre ou comme un paradoxe...presque comme une contradiction. LA BERCEUSE : (Une chanson) FILS : Un jour, ma mre dcida de mourir. Elle cessa de prendre de la nourriture. Aucun son ne sortait de sa bouche. Fermement, presque avec un sourire qui s'loignait de nous dune minute lautre, elle refusait de revenir sur sa dcision. Elle refusait avec une extrme douceur mme l'eau qu'on lui offrait boire. Nos larmes, nos chantages, nos colres n'avaient plus d'effet. Ou bien on l'internait dans une clinique pour suspendre indfiniment sa vie, goutte par goutte, loin de nous. Ou bien on la voyait s'teindre petit petit devant nous. Elle a toujours exprim son dsir de mourir, comme ses anctres, chez elle, au milieu du monde qu'elle aimait. Ses yeux brillaient et nous observaient pour la dernire fois. Les larmes aux yeux, onEn Inde, il nest pas tonnant dentendre mme de nos jours des berceuses dans les villages. Alors que les sujets de ces berceuses varient normment dune rgion une autre, le thme le plus populaire reste lenfance de Krishna. Bala Krishna ou enfant Krishna revient assez souvent dans ces chansons.1

6 s'est rsign la laisser partir. Son cur s'est arrt de battre vers midi. Elle avait 85 ans. Je l'aimais normment. LA BERCEUSE : (Une chanson) FILS : Ma mre aimait lire. Le soir, aprs le dner, on s'asseyait quelquefois, sur le seuil de la maison pour bavarder. Elle me racontait toutes les petites histoires du village. Elle me racontait ses silences. Elle me chantait son Mahabharata, le plus grand pome de l'humanit. Elle chantait des berceuses pour les enfants du monde entier. De temps en temps, sa voix rejoignait celle de ses anctres. Souvent, des tristesses profondes s'installaient en elle. Elle marmonnait alors des paroles dont le sens se perdait dans la profondeur de ses regards devenus soudain ternes et lointains. Je n'ai jamais su si elle discutait d'Indra Gandhi, de Phdre, de Lady Macbeth ou de ses grand-mres. Toutes les femmes du monde entraient et sortaient de son univers avec une facilit qui me donnait le vertige. Parfois, ses amies la trouvaient folle. Mais sa folie me fascinait. Je l'coutais longtemps. Je l'coutais souvent. Je ne la comprenais pas toujours. Nos dialogues n'ont t que des solitudes changes certains soirs, dans une ville ensoleille du Sud de l'Inde o la chaleur et l'humidit nous avaient empchs de dormir, o nous avions cess de compter les toiles pour savourer le plaisir de l'ternit. MRE : Il fait chaud, aujourd'hui. On n'entend plus la mer. Regarde les arbres. Aucune feuille ne bouge. Le monde entier attend quelque chose. FILS : Mre, raconte-moi une histoire. Mre commence raconter une histoire. Entre temps, La Jeune Femme entre en scne. MRE : Il tait une fois, dans une rgion trs loigne, vivait une jeune femme avec sa mre, sa soeur et ses frres. Le pre tait dcd depuis longtemps. Un jour On peut envisager le dbut de cette scne sous la forme dune danse. La jeune femme peut ventuellement venir tout en dansant (ou en chantant) pour montrer la joie de vivre de cette femme. MRE : Elle est ne du vent. Elle a pous le feu...

7 LA JEUNE FEMME : :...Je connaissais toutes les plantes et toutes les pines de mon jardin. Les sauvages surtout. Elles taient mes seules compagnes. Je leur confiais mes dsirs. Ma sur tait trop jeune pour me comprendre. Je passais des journes entires dans mon vaste jardin, derrire la maison. J'ignorais le monde extrieur. Ma joie tait entire. Un jour que je jouais avec les pines des aubergines, mon frre an m'appela. Je ne l'avais pas entendu. Et quand finalement, j'ai dcid de rentrer, les pines ne me laissrent plus partir. Elles tiraient mon sari qui se dchira sous la pression. Lchez-moi, s'il vous plat, je dois rentrer maintenant. Je reviendrai demain. . Mon frre an crut que j'tais avec un amant. Accompagn de mes autres frres, il merga dans le jardin pour nous tuer. Trop tard , leur dis-je. Ah! qu'ils taient comiques, mes protecteurs. Il vient de sauter le mur. Vous ne l'aurez jamais. Regardez, il vous chappe. . Ils m'ont crue et j'clatais de joie la vue de leur impuissance. Je riais en les regardant. Je riais encore quand ils m'attachrent un arbre. Ils ont dress le bcher. Ni les prires de ma mre, ni les pleurs de ma sur, ni mes cris n'ont eu un quelconque effet sur eux. Je brlais pour sauvegarder l'honneur de la famille. Et ma virginit s'est envole avec l'odeur de ma chair rejete, meurtrie au milieu de la vanit et de la barbarie. Dans un dernier souffle, j'ai maudit mes frres. Que cette race soit damne jusqu' la fin de l'ternit! Je vous poursuivrai partout travers les mers et les ocans. Vous paierez ce crime des malheurs de vos fils! Je bercerai vos remords et vos tortures! Ma dernire image de ce monde fut celle de ma petite soeur. Une goutte de rose aux yeux gars qui cherchait un sens sa douleur. Les larmes de ma mre coulaient comme les affluents du Gange. Elles n'avaient pas eu la force d'teindre cet incendie. MRE : Notre anctre disparut au milieu d'une fume noire, rejoignant ses amants et ses rves. Sa mre et sa sur quittrent jamais cette maison et cette rgion pour venir s'tablir loin loin trs loin Pondichry, ici. FILS : En Inde, chaque famille est ne d'une lgende. Mes anctres n'taient point des Dieux. Ils ont tous t de simples mortels l'exception de cette femme infortune qui entrana par sa maldiction la ruine d'un village et la condamnation perptuelle d'une longue ligne de mles. Qui tait-elle? Quels pouvoirs malfiques possdait-elle? Quelle a t sa puissance divine? Quels ont t ses rves de jeune fille? Nous ignorons tout d'elle. La postrit n'a mme pas retenu son nom, sauf la flamme de son terrible regard qui nous hante de gnration en gnration travers

8 des rves et des incarnations, travers des histoires et des rcits que la fureur des vagues nous apporte de temps en temps dans ce coin perdu de l'univers. Tempte et bruit de vague qui frappent les rochers. Obscurit sur eux. La Berceuse, Mre et Fils resteront sur la scne d'une faon permanente.

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TABLEAU N 2____________________________________________________________________Personnages: LIvrogne + LaBerceuse Fils Mre

____________________________________________________________________ LA BERCEUSE : (Une chanson) Debout dans un coin de la scne, Fils continue son histoire. Aprs son discours, il disparatra pour revenir jouer lHomme ivrogne. FILS : L'image de notre anctre hantait ma mre au point de la percevoir dans tous nos gestes, dans toutes nos penses. Dans chaque malheur de lhomme, elle cherchait dceler la maldiction de cette malheureuse femme. Lme de son anctre se promenait ainsi dune ville une autre, dune maison une autre ou dune histoire une autre. Pour elle, toutes les lgendes de notre petite rue ntaient que des manifestations de sa vengeance. Obscurit sur Fils. Il disparat pour revenir en tant quIvrogne. - Aprs la chanson, La Berceuse viendra sasseoir avec La Mre, devant la porte de la maison. LA BERCEUSE : Il vient de passer. MRE : Hum! LA BERCEUSE : Il a encore vieilli. Un de ses jours, il va claquer au rythme o il boit. Il arrive peine se tenir debout. MRE : Quest-ce quon peut faire? Elle ne veut pas lui revenir. Il ne veut pas loublier. LA BERCEUSE : Regarde, le voil. Il est revenu.

10 Il est minuit pass. LHomme ivre vient sur la scne et sadresse une porte imaginaire. Il ramasse quelques pierres imaginaires pour les jeter sur la porte. Il ne reoit aucune rponse. LIVROGNE : Donne-moi ma femme, sil te plat. Donne-moi ma femme.- Il jette des pierres contre la porte - Reviens, ma chrie, quel mal ai-je fait ? Pourquoi me punis-tu ainsi? Pourquoi mas-tu quitt? - Silence ou geste divrogne - Salope, tu es une trane - Il rflchit un peu - Oui, tu es une putain. Tu mas quitt parce que tu voulais baiser ce cochon, ce fils de pute. Il est riche. Cest a non? - Aprs une vole de projectiles - Donne-moi ma femme, sil te plat. Sil te plat, rends-moi ma femme. Tu verras, elle tabandonnera aussi. Cest sr. Vous ne pouvez pas tre heureux avec ma mort devant votre porte. LHomme ivre sassied au milieu de la scne. Il continue de phrases peine audibles pour les spectateurs. marmonner des

LA BERCEUSE : Regarde, aucun bruit nest sorti de cette maison. Pourtant, ils sont l, terrs derrire la porte. Je les sens. Jentends leur respiration derrire les serrures. Ils font semblant de dormir. Ils me dgouttent tous. Rien ne changera dans ce quartier. MRE : Oui. Rien ne changera ici. La rue na pas boug. La rue na jamais boug. Ctait toujours ainsi. Derrire chaque fentre, on peut deviner les regards veills et les souffles avides de scandales. LA BERCEUSE : Mais cette histoire est vieille de six ans, maintenant! Quest-ce quils attendent de plus? MRE : Rien. On se rveille pour vrifier limmobilit du temps. On regarde travers les barreaux des fentres pour sonder lpaisseur de la nuit. Aprs, ils se recoucheront calmement en remerciant toutes les divinits de leur avoir pargn une vie malheureuse comme celle de ce pauvre homme. LA BERCEUSE : Je nai jamais vu cette femme depuis le temps que je hante cette rue. Je ne la comprends pas. Elle ne sort jamais de cette maison. On ne lentend pas non plus. Que fait-elle toujours enferme, derrire cette porte qui ne souvre jamais. Le soir, on nallume plus la lampe huile au seuil. On dirait une maison abandonne. - Pause - Dailleurs, je nai jamais rien compris leurs affaires. Une histoire de fous dans une maison de fantmes. Le mari de cette femme est pourtant un beau garon.

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MRE : Oui, ctait un bel homme. Il tait jeune quand il s'est mari avec elle. Il tait amoureux d'elle. Il la trouvait belle comme une desse. Il lui apportait tous les soirs des guirlandes de jasmins. A tout moment de sa vie, il ne pensait qu' elle. Ses amis lui demandaient toujours de ses nouvelles. Ils lui demandaient toujours les dtails de ses prouesses amoureuses. Ils rvaient de cette femme avec lui. Lui, il tait content de parler tous de sa femme et de son bonheur. Oui, oui, il lui transmettait avec soin les plaisanteries de ses amis. - Pause - travers leurs bats amoureux, il lui transmettait aussi ladmiration de ses amis. Comme il tait heureux de les rendre jaloux! Pauvre garon! La Berceuse coute cette histoire comme si ctait pour la premire fois.- Un geste trs philosophique qui montre limpuissance de ltre humain MRE : Un beau jour, elle a disparue. - Pause -. MRE : A chacun son malheur. Mais je savais que cela se terminerait ainsi. LA BERCEUSE : Quest-ce que tu veux dire? MRE : ELLE na pas encore pardonn. Elle est toujours l en train de se venger de tous nos fils. Je ne sais comment la calmer. LA BERCEUSE : Elle? Qui est-ce? MRE : Toujours la mme. Cest ELLE. Cest lanctre. Jentends toujours sa maldiction qui nous poursuit. Jentends toujours le feu brler et sa chair disparatre en fume. Elle hante mes rves et me rveille minuit. Elle hurle comme une chatte quon viole. Ses plaintes soulvent les tuiles de notre toit. A chaque saison, je rpare tous les trous au-dessus de ma tte mais je ne peux pas empcher les feux de son regard traverser le plafond pour matteindre. Nuit et jour, mille flches dargent me transpercent et tchent ma natte. Et pendant la mousson, ses larmes coulent comme des lianes de banians pour prendre racine au plus profond de mon tre. Dans le jardin, les plantes ont gard ses rires et sa chaleur. Chaque matin, avant le lever du soleil, tu peux encore recueillir ses douleurs et ses penses sur les pines des cactus.

12 A lombre du tamarinier2 son haleine me brle le cou. - Pause - Elle est l nous regarder de ses yeux rouges. LA BERCEUSE : Arrte, tu deviens folle maintenant. La Berceuse se lve pour la quitter. Mais malgr elle, une peur lenvahit mais elle reste silencieuse. - lIvrogne, sapproche tout doucement de La Berceuse et la surprend en reprenant sur le mme ton la dernire phrase de Mre. LIVROGNE : Oui, elle est l me fixer de ses yeux rouges. LA BERCEUSE : Aaaaah! Elle sursaute. LIVROGNE : Oui, elle est l me regarder de ses yeux rouges. - Il vient prendre par la main la Berceuse qui a presque peur de sy rendre. Tenez, elle me regarde travers le trou de la serrure. - Il pleure comme un enfant Elle ne veut pas me revenir. Cette crotte de chvre ne veut pas me la rendre. Je suis sr que ce salaud la emprisonne. - lhomme invisible - Fils de chienne, lche-la, cest ma femme. Cest moi qui lai baise, le premier. Je suis son mari - Je suis sr quil la maltraite tous les jours. Lautre jour, je suis all voir la police pour la secourir. Ils mont battu. Je vous assure. Je ne vous mens pas. Regardez, jai encore des marques sur mon dos. - Il soulve sa chemise pour leur montrer des traces qui sont invisibles au public Mre - Vous ne pouvez rien faire pour moi? Vous habitez cette rue depuis si longtemps. Vous ne pouvez pas lobliger rendre ma femme? - En colre - Vous tes tous une bande de lches. Vous tes des lches. Il quitte la scne. Je reviendrai. Vous navez pas termin avec moi. Vous vous cacherez toujours derrire cette porte. Je reviendrai. - LIvrogne disparat de la scne -. MRE : - Les paroles de Mre devraient tre dites sur un ton grave. Elle ne pleure pas mais elle prie avec une grande dignit. Une ambiance religieuse envahit la scne.- Mre, pourquoi nous tourmentes-tu, ainsi? Jai perdu mes oncles et tous mes frres. Cela ne te suffit pas? Tous les soirs, je prie pour que tu nous pardonnes, pour que ton me se repose en paix. Fais-moi un signe. Dis-moi ce que tu veux! Je nen peux plus. Je ne veux pas perdre mon fils. Je construirai un temple pour toi. Chaque anne, nous organiserons une fte pour ta gloire. Tous nos fils et tous leurs filsLe tamarinier est un arbre commun en Inde. Le fruit de cet arbre, le tamarin, est trs utilis dans la cuisine indienne. Dans la croyance populaire lombre de cet arbre ne donne pas la fracheur. De plus, on vite de sendormir son ombre de peur que son feuillage abrite des fantmes ou esprits.2

13 marcheront sur le feu pour se faire pardonner. Sois clmente avec nous. Aie piti de moi. Bruit de cloches religieuses. La Berceuse se dirige lentement vers le berceau. Projecteur sur le Fils Il a abandonn son rle de lIvrogne et se tient derrire Mre. FILS : Au plus profond de mon tre, des images me hantent et me suivent. Il y a tout d'abord celle du cadavre d'un inconnu qui flottait sur le Grand Etang. Pourquoi est-ce que je m'obstine toujours de penser que c'tait celui de lIvrogne de minuit, lhomme aux pierres? Il rentrait petit petit dans la lgende de cette rue pour disparatre comme les autres, un matin de la mousson. Et elle? Quels ont t ses sentiments? Pourquoi persistait-elle rester derrire cette porte? Que craignait-elle au juste? Pouvons-nous jamais deviner toutes les aventures dun silence? Pourquoi l'obscurit est-elle toujours plus riche que la lumire? Je nai jamais vu cette femme. Il y a des fleurs qui s'panouissent l'ombre des feuilles. Il y a des feuilles qui disparaissent sans connatre les couleurs de l'arc-en-ciel. Il y a des parfums qui vous envahissent l'abri des arbres. Je veux croire que cette femme est toujours vivante, pleurant un amour perdu. Certains soirs, ses larmes traversent les ondes et les ocans pour envahir la solitude des mes qui croient encore aux fes et aux fantmes. Tout en parlant, Fils vient sasseoir prs de Mre. LA BERCEUSE : (Une chanson) Obscurit sur scne.

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TABLEAU N3 ____________________________________________________________________Personnages: Bhishma Satyavati Ambalika3 Ambika Amba + Soeur LaBerceuse Fils Mre

____________________________________________________________________ La voix se fait entendre tout d'abord dans les coulisses. SUR : Maman! Qu'est-ce que je fais avec la sauce? Tu m'entends Maman! MRE : Tu la jettes. Et n'oublie pas de verser de l'eau dans le riz. SUR : Qu'est-ce que je fais avec le reste? MRE : Mets-le sparment dans un bol. On va en donner aux mendiants tout l'heure. C'est la mre qui murmure la berceuse tandis que la fille vient s'asseoir devant la porte. SUR : Pousse-toi un peu, toi. Moi aussi, je voudrais m'asseoir ct de Maman. FILS : J'espre que tu as couvert tous les plats. La dernire fois, j'ai trouv un lzard mort dans le rassam4 .

Les personnages dAmbalika et Ambika ont t remplacs par des marionnettes gantes muettes lors de la reprsentation en Inde. Leur dialogue a t supprim ou partag avec Sur. 4Le rassam est un plat piquant, liquide et trs lger. Il est typique du Sud de l'Inde. Les Indiens l'emploient comme digestif.3

15 SUR : Si tu n'as pas confiance en moi, rien ne t'empche d'aller vrifier toi-mme au lieu de donner des ordres comme un pacha. De toute faon, notre maison est un vritable zoo: on y trouve des lzards, des souris, des scorpions, et j'en passe. On reoit mme de temps en temps la visite des serpents dans le jardin. MRE : C'est le pays. C'est la saison. Comme disait la mre de votre pre, ils ne sont pas plus mchants que les hommes. FILS : J'aimais bien cette grand-mre. Elle me faisait un peu peur. Chaque matin, aprs avoir fait sa prire pour le Dieu Soleil, Grand-mre n'oubliait jamais de verser du lait dans un bol qui se trouvait au fond du jardin. a, c'est pour le Dieu Serpent me disait-elle. SUR : lever un serpent dans son propre jardin! Brr! Elle devait tre un peu folle, notre grand-mre. MRE : C'est le Cobra qui avait adopte votre grand-mre. Elle ne le drangeait pas. C'tait son Dieu elle. Et il protgeait votre grand-mre! SUR : Belle protection! Tu parles! Une simple morsure, hop, et on est parti! MRE : Elle vivait avec la nature! La mort ne lui tait pas trangre. Elle est morte comme elle a vcu, calmement. A chacun sa mort, dira-t-on. Tout ce qui est n doit mourir un jour. Mme le divin Krishna mourra dans Le Mahabharata. L'invincible Bhishma, le fils de la desse Ganga, n'tait pas immortel non plus. Il avait pourtant reu le pouvoir de mourir l'heure de son choix. SUR : Pourquoi a-t-il dcid de mourir, alors? Il tait fatigu de vivre? MRE : On n'est jamais fatigu de la vie. Mais il est mort parce qu'un jour, une femme avait dcid que Bhishma devait mourir. SUR : Pourquoi? MRE : Elle le hassait. C'est une de ces haines profondes, ancestrales qui ne vous quitte pas et qui vous poursuit travers les ges. On la rencontre toutes les poques. SUR : Comment s'appelait-elle?

16 MRE : Dans Le Mahabharata, elle portait le nom d'Amba. FILS : Raconte-nous cette histoire, mre. -Pause MRE : Jadis, tous les hommes vivaient heureux. Le Mahabharata est l'histoire de l'humanit qui ne connatra plus jamais le bonheur parfait. Au dbut de cette histoire, vivait un prince gnreux. Il possdait toutes les qualits qu'un homme puisse esprer dans sa vie. Il s'appelait Bhishma. Pour viter toute querelle de succession, il accepta que son demi-frre succde au roi son pre. Il renona tout jamais au trne de ses anctres et l'amour des femmes. Mme les Dieux taient impressionns par une telle gnrosit. SUR : Et qu'est-ce qu'ils lui ont donn en retour? Nos Dieux accordent souvent des faveurs ceux qui leur plaisent. Sinon, ils les maudissent. Avec les Dieux, c'est simple. MRE : Des pluies de fleurs tombaient du ciel pour chanter la gloire de Bhishma. On entendait partout l'cho de son nom. C'est alors qu'il obtint le pouvoir de choisir la date et l'heure de sa mort. SUR : Tu vois! FILS : Tais-toi, sil te plat! Laisse maman parler. MRE : La Mort ne faisait plus peur Bhishma. SUR : Il n'a jamais aim une femme dans sa vie? MRE : Jamais. SUR : Non, ce n'est pas ce que je voulais savoir. Est-ce qu'il n'a jamais connu de femme dans sa vie? A cette poque, on peut faire beaucoup de choses trs discrtement.

MRE : -Un peu irrite-. Non. Sa fidlit au serment a t totale. SUR : -Rsigne, mais trs peu convaincue de la rponse-. Il nest pas marrant !

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FILS : Qui tait sa belle-mre ? MRE : Satyavati, la belle princesse du Roi des pcheurs. FILS : Son demi-frre fut donc couronn roi sa place? MRE : Oui. SUR : Il s'est mari lui? MRE : Oui. En ce temps l, la coutume tait de conqurir sa femme. Comme le roi tait jeune et faible, c'est Bhishma qui est all se battre pour lui. Au lieu d'une femme, il ramena trois princesses. Richement habilles, les trois princesses5 rentrent en grande pompe. Bhishma salue Satyavati. BHISHMA : Satyavati, quand mon pre s'est mari avec vous, je vous ai promis que je renoncerais tout jamais au trne de mes anctres. Voil, je vous ramne les trois filles du roi de Kassi, qui assureront votre fils des hritiers dont vous pourrez tre fire. SATYAVATI : Que la bndiction des Dieux soit toujours avec toi.Trs satisfaite, Satyavati passe devant chacune des princesses. Chaque princesse lui

offre le respect qu'elle doit la reine-mre. Amba, lane des trois princesses, reste un peu lcart. Satyavati relve le visage d'Amba . SATYAVATI : Amba, tu pleures? Tu n'es pas contente de devenir la premire reine d'un si grand royaume? Amba salue trs respectueusement Satyavati et Bhishma. AMBA : Oh! Je vous supplie de me pardonner. SATYAVATI :Parle, ma fille.Dans la version qubcoise, Ambika et Ambalika, les deux surs dAmba avaient des rles importants. Dans la version anglaise de Delhi, ces deux princesses taient remplaces par des marionnettes gantes. Elle ont perdu leurs voix.5

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AMBA : - Aprs une hsitation - Bien avant son intervention pour nous conqurir, j'avais choisi le roi Salva comme poux. Il le savait. Avec l'accord de mes parents, je devais me marier avec lui. Maintenant, je suis devenue votre esclave. Mais mon coeur refuse toujours d'appartenir un autre. Sachant cela, faites ce que bon vous semblera. BHISHMA : - Aprs avoir jet un coup d'oeil interrogateur Satyavati - Il est juste que tu rejoignes le roi Salva. Tu es libre de quitter ces lieux. Je te donnerai une escorte pour ton voyage. - Amba sort. ( Amba ne sort pas vritablement de la scne puisque sa sortie et sa rentre ne sont spares que par quatre rpliques. Elle peut tout simplement simmobiliser sur la scne, le dos tourn au public) - A Satyavati. Mre, vous pouvez faire maintenant les prparatifs du mariage de votre fils avec les deux autres princesses, Ambika et Ambalika. Musique de mariage. FILS : Et Amba, qu'est-ce qu'elle est devenue? Est-ce qu'elle s'est marie avec Salva? SUR : Bien sr que non. Sinon Amba n'aurait plus eu de raison de dtester Bhishma. Toi, tu es vraiment bte. MRE : Amba est revenue chez Bhishma. AMBA : Bhishma, tu dois me sauver. Salva m'a rejete. SATYAVATI : Pourquoi? AMBA : Il ne veut plus de moi. Il ne dsire plus se marier avec moi. SATYAVATI :Mais le Roi Salva t'a aime! Et tu n'as aim que lui. De plus, Bhishma t'a conquise pour son frre. Il ne t'a pas touche. Il ne t'a mme pas dsire. AMBA : Oui, je lui ai dit tout cela. Je lui ai mme dit que je n'tais vierge que pour lui. Mais il a peur de Bhishma. SATYAVATI : Ma pauvre fille! A prsent, que veux-tu faire?

19 AMBA : Vous tes les responsables de mon malheur. C'est Bhishma qui doit rsoudre ce problme. - Elle se retourne vers Bhishma - Bhishma, dans ton ardeur de plaire Satyavati, tu as vaincu et humili plusieurs rois et princes. Bhishma, tu as pris ma main droite et m'a emmene de force dans ton palais. Comment peux-tu esprer maintenant qu'un autre homme m'accepte pour femme? A prsent, personne ne veut de moi. Ma vie est ruine par toi. Que ma fminit ne soit pas perdue! Bhishma, tu dois te marier avec moi. BHISHMA : C'est impossible. Je ne le peux plus. Tu le sais. Je suis li jamais par mon serment. Je ne pouvais pas savoir ton amour pour Salva. Tu peux partir o tu veux. Tu es libre maintenant. Rentre chez ton pre. AMBA : Non, je ne suis plus libre. Non, je ne rentrerai pas chez mon pre. Ah! c'est trop facile de se dbarrasser ainsi de moi. SATYAVATI : Tu aurais d dvoiler Bhishma ton secret avant mme qu'il ne livre bataille Salva. Pourquoi ne l'as-tu pas fait? - Silence d'Amba - Tu voulais prouver le courage de Salva. Tu aurais bien souhait que Salva t'pouse en sortant victorieux de cette bataille. Silence d'Amba. AMBA : Et mme si j'avais t capable d'arrter cette lutte ingale, penses-tu vraiment que Salva m'aurait accepte pour autant? SATYAVATI: Alors de quoi te plains-tu? AMBA : Je ne me plains pas. Je vous maudis tous. Maudit soit mon pre qui a voulu plaire tout le monde! Maudit soit le roi Salva qui a peur de tout le monde! Maudite soit Amba qui a mendi tout le monde une vie conjugale! Maudits soient les Dieux qui sont responsables de ce monde misrable! Mais Bhishma, tu es la vritable cause de mon malheur. Tu es fier de tes succs. Tu es devenu orgueilleux de ta virginit. Tu te crois immortel parce que tu peux reculer ta mort comme tu l'entends. Bhishma, c'est Amba qui est ta mort. Par ignorance ou par bravoure, tu m'as souille aux yeux de tout le monde. Tu m'as rejete au nom de ton serment. Moi aussi, je fais solennellement un vu. Je n'aurai qu'un seul but, je n'aurai qu'une seule pense dans ma vie: te dtruire. Ne m'oublie jamais. Je suis ta mort. Je reviendrai. Amba sort de la scne. Bhishma reste pensif.

20 SUR : Et ben dis donc. Elle ne rigole pas cette femme. En l'espace de quelques secondes, Amba a maudit tout le monde. FILS : Qu'est-ce que tu veux dire? SUR : Maudit soit mon pre! Maudit soit le roi Salva! Maudite soit Amba! Maudits soient les Dieux! Aprs cela, qu'est-ce qui te reste? - Pause -Tu ne trouves pas qu'Amba ressemble un peu notre anctre, celle qui a maudit toute la race masculine de notre famille. FILS : Oh! SUR : Tu ne comprends pas. Elle rit. Il faudrait imaginer tout un jeu affectif/comique entre Soeur et Fils pour quelle se place, tout en riant, trs vite au milieu de la scne un peu comme La Jeune Femme du dbut. L'identification entre Soeur et La Jeune Femme - joues par la mme actrice - ne doit tre ni totale ni brusque. Elle est par contre phmre et intermittente. Cette identification doit apparatre soudain au public comme une vidence, ou comme une vrit laquelle on na pas pens au dbut. Cette transformation ne passe pas pour autant inaperue aux yeux de Mre qui crot voir en sa fille l'incarnation de sa malheureuse anctre. Mre panique, pleure et essaie d'arrter la perptuation des maldictions. Mais cest trop tard. Sur entre presque en transe, comme possde par une force plus grande quelle, et reprend les mmes gestes (ou les mmes pas si cest une danse) de la Jeune femme. Je riais en regardant mes frres. Je riais encore quand ils m'attachrent un arbre. Ils ont dress le bcher. Ni les prires de ma mre, ni les pleurs de ma sur, ni mes cris n'ont eu un quelconque effet sur eux. Je brlais pour sauvegarder l'honneur de la famille. Et ma virginit s'est envole avec l'odeur de ma chair rejete, meurtrie au milieu de la vanit et de la barbarie. Dans un dernier souffle, j'ai maudit mes frres. Que cette race soit damne jusqu' la fin de l'ternit! Je vous poursuivrai partout travers les mers et les ocans. Vous paierez ce crime des malheurs de vos fils! Je bercerai vos remords et vos tortures! MRE : Arrte! Ne fais pas a! Ne fais pas a!

21 Elle gifle sa fille. Tout en pleurant, elle continue de marmonner des phrases que personne nentend. Etourdie par la gifle, elle ne comprend plus ce qui se passe autour delle. Elle reprend petit petit son esprit et comprend la gaffe quelle a commise.- Mre pleure. SUR : a va. a va! Calme-toi. C'est moi, ta fille! Dun ton un peu brusque et presque fche. Qu'est-ce que vous pouvez tre superstitieux alors! On ne peut mme pas s'amuser avec vous. LA BERCEUSE : (Une chanson)

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TABLEAU N 4 ____________________________________________________________________Personnages: Bhishma Satyavati Ambalika6 Ambika7 Amba + Soeur LaBerceuse Fils Mre

____________________________________________________________________ MRE : Sept annes se sont coules. Le fils de Satyavati meurt soudain sans laisser d'enfants. Pour sauver le royaume, Satyavati se retourne une fois de plus vers Bhishma. SATYAVATI :Tu restes le seul descendant mle de notre famille. Je te prie de renoncer au serment que tu as fait pour le bien-tre de ton pre et du mien. Accepte la couronne, marie toi avec les deux femmes de ton frre. C'est la volont de ta mre et le dsir de tous les sages du pays. BHISHMA : Oh! Satyavati! Mon serment est ma raison de vivre. C'est mon serment qui me donne ma force et ma vrit. Bhishma ne renoncera jamais sa vrit. Oh! Mre, je vous en supplie. N'insistez pas. SATYAVATI :Bhishma, il ne nous reste alors qu'une solution. BHISHMA : Parlez, Mre. SATYAVATI :Le temps est venu pour moi de dvoiler le plus grand secret de ma vie. Mon pre qui tait le roi des pcheurs, priait chaque matin son Dieu Shiva pour6 7

Marionnette Marionnette

23 obtenir un enfant. Un jour, il captura dans son filet un norme poisson dor qui luttait en vain pour chapper la mort. Vaincu et rsign, ce poisson aux yeux d'meraude interpella mon pre: Oh! roi, mon heure est venue. Je le sais, mais je veux sauver mon enfant. Ouvre vite mon ventre avant ma mort. Tu y trouveras une trs belle fille. Elle s'appelle Satyavati. Elle est de descendance divine. Adopte-la. Elle fera ton bonheur . - Une petite pause- . BHISHMA : Ctait donc l'origine de votre naissance. SATYAVATI : Malgr ma trs grande beaut, j'ai eu un seul regret qui a attrist toute ma jeunesse. J'ai hrit de ma mre cette terrible odeur de poisson. Elle me rendait malheureuse. Un jour, un ermite, d'une grande puissance spirituelle, est venu chez nous. Il m'a offert de transformer mon odeur en un parfum dlicieux si j'acceptais de lui donner un fils. J'ai consenti ses avances condition que je sois capable de garder ma virginit. Ce fils est Vyasa, le grand sage, aux cheveux rouges et au visage effrayant que tu connais bien. Il sait tous les livres sacrs. Je suis sre qu'il acceptera de nous aider. BHISHMA : Vyasa est donc notre anctre tous. Il est l'auteur de notre existence. Appelez-le. Il saura rsoudre notre problme en accordant aux veuves de votre fils une descendance digne de notre ligne. Lumire sur Mre et Soeur. SUR : Maman, est-ce vrai que le Mahabharata a t crit par le grand Vyasa? MRE : On le dit. SUR : Mais toi, tu dois le savoir, puisque tu nous racontes si bien la vie de tous ces personnages. MRE : Tous ces personnages ont peupl mon enfance et ma vie. SUR : A t'couter, on dirait que tu les connais tous personnellement. Mais dismoi, tu ne penses pas que nos anctres se soient bien amuss au bon vieux temps? MRE : Qu'est-ce que tu veux dire?

24 SUR : Dans nos histoires anciennes, il y a toujours des infidlits et des adultres. Malgr cela, ces femmes sont considres comme vertueuses et elles deviennent presque des desses. - Mre regarde Soeur d'un air svre - C'est vrai, quoi, nous ferions la mme chose, de nos jours, nous serions considres comme des ... MRE : Tais-toi! SUR : C'est a, ferme ma bouche, quand tu ne sais pas comment me rpondre. Il n'empche que dans le Mahabharata, on trouve beaucoup de femmes qui ont plusieurs maris en mme temps. FILS : Quest-ce que tu racontes ? Seule Draupadi avait eu cinq maris. SUR : Bien sr que non ! Mme sa belle-mre Kunti en avait cinq : - Elle commene compter avec ses doigts Surya, Pandu, Dharma, Vaiyu et Indra. Cinq au total. Trs contente - Nos Dieux adorent rpandre gnreusement la terre de leurs rejetons. MRE : Tu es bien bavarde, aujourd'hui. SUR : Oh! Je ne les blme pas, ces femmes. Au contraire. - Elle clate de rire Enfin, continue ton histoire. Il ne faut surtout pas que tu t'arrtes maintenant. - D'un air ironique - Alors, Vyasa a donn des enfants puissants Ambika et Ambalika? MRE : Oui, mais ces enfants auront chacun un dfaut qui les empchera de rgner en paix. Malgr les avertissements de Satyavati de faire attention, de ne pas dplaire au grand sage, Ambika a gard ses yeux ferms toute la nuit. Le visage de Vyasa tait terrifiant. Ses cheveux taient rouges comme le feu. Son odeur tait insupportable. Au moment de la quitter, il lui a dit : Puisque tu as ferm les yeux, ton fils Dhritarashtra sera aveugle. BHISHMA : Le futur roi aveugle? Cela ne se peut pas. Il ne peut tre roi. Un roi ne peut tre aveugle. MRE : Aprs avoir su le malheur dAmbika, - En montrant Satyavati - Satyavati a pri de nouveau la clmence de Vyasa pour qu'il fasse un fils Ambalika. Un deuxime choix, a-t-elle dit. Puisque le fils dAmbika ne peut tre couronn, celui dAmbalika sera le roi de ce royaume.

25 SUR : Quel crime a-t-elle donc commis, la pauvre Ambalika. A-t-elle ferm elle aussi ses yeux? MRE : Elle tait terrifie l'ide de le rencontrer. Elle tait ple quand elle a reu dans sa chambre. En la quittant, il a dit: Tu auras un fils valeureux. Mais, puisque tu es si effraye de moi, ton fils sera tout blanc comme tu l'es maintenant. On l'appellera Pandu le ple . SUR : Vivra-t-il longtemps? MRE : Non. Il mourra trs jeune la suite d'une maldiction. Sa femme Kunti aura cinq fils grce la bienveillance des Dieux. On les appellera les cinq Pandavas. SUR : - Sur sadresse directement Satyavati - Tu es satisfaite? Tu l'as, ta descendance. Les 100 Kauravas d'un ct, et les Cinq Pandavas de l'autre. Maintenant, dis-moi une chose: de quel ventre sortiras-tu l'hritier du trne de ton mari? En montrant les ventres de ces deux princesses/marionettes - De ce ventre ou de lautre? FILS : Ce sont les Kauravas qui ont plus de droit que les Pandavas. Ce sont eux qui doivent rgner sur le royaume. Ils sont plus lgitimes que les fils de Pandu. SUR : Idiot, qui parle de lgitimit ici? Tu n'as rien compris. Aucun de leurs enfants n'est lgitime, mais les cinq Pandavas sont des fils des Dieux. Leur descendance bnficiera de la protection divine pour gagner nimporte quelle guerre. - A Bhishma - Toi Bhishma, toi le fils de la Desse Ganga, toi l'unique force lgitime de notre race, mme toi, tu ne peux pas me contredire? Ai-je raison ou non? BHISHMA : Nos enfants vont se dchirer comme les plus farouches ennemis traditionnels, en rejetant l'affection et les conseils de leurs anctres et en oubliant leurs liens de parent. Si on utilise les marionnettes sur scne, une lutte froce sengage entre Ambika et Ambilika pour la revendication de lhritage de leurs anctres. Cette scne est une prmonition de la lutte fratricide qui va clater entre les frres et cousins de la mme famille. Rivalit naturelle, complicit contre une ennemie commune, ou vritable affection qui lient malgr tout ces deux surs, doivent coexister dans cette scne. Satyavati se rend compte quelle vient de dclencher la plus grande tuerie de lhistoire.

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SATYAVATI : Bhishma, qu'ai-je donc fait? Mon remde est pire que le mal. Entends-tu dj la haine ricaner nos portes? Les clairs grondent au-dessus de nos palais. Toutes les puissances du mal vont sortir de nos entrailles pour dtruire notre famille et notre terre. Tout mon corps est pris d'une vieille peur. Oh! Vyasa mon fils, qu'as-tu fait? Pourquoi? Pourquoi? Je ne comprends pas. Pourquoi maudire une faiblesse? Pourquoi punir une peur? Pourquoi affliges-tu un si grand malheur aux enfants de ta race? Je t'ai seulement demand des enfants. Tu m'as donn des frres ennemis ternels. BHISHMA : Silence de Bhishma. SATYAVATI : Que le destin est cruel! Bhishma ! Comme le destin nous punit svrement quand on s'oppose son cours. Je sens maintenant tout le poids de cette injustice! Toute ta gnrosit, toute ton affection, toute ta force et mme ton terrible serment ne peuvent dsormais empcher cette guerre fratricide que j'ai dclenche. Je le sens. J'ai attir sur ma famille le pire des flaux. Tous mes enfants vont s'entre tuer. Pardonne-moi, mon fils. Bhishma, pardonne-moi. BHISHMA : Silence de Bhishma. SUR : Bhishma, qui accorderas-tu ta fidlit? Amba rentre et assiste la prdiction de Bhishma. BHISHMA : Je serai fidle la couronne. Mais je serai enchan, je le crains, au plus injuste de nos fils. - Pause - Une trange obscurit envahit ma lumire. J'entends des voix inconnues m'appeler vers des rivages lointains. J'entends la maldiction des toiles. Je vois la plus farouche des guerres dtruire cette terre. J'assisterai la destruction de la fine fleur de notre race. La terre sera gouverne dsormais par la cupidit et par l'intolrance. SATYAVATI : Et aprs? BHISHMA : Aprs? SUR : Oui, aprs? Qu'est-ce qu'il y a? BHISHMA : Aprs, plus rien. Le monde vieillira sans enfant.

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SATYAVATI : Et toi, mon enfant? Que deviendras-tu dans ce chaos? AMBA : Il mourra comme les autres. Il mourra grce moi. SUR : Amba, toi? SATYAVATI : - Presque dsespre, Satyavati se tourne vers Mre - Mais Bhishma ne peut mourir. Il est immortel. Il ne mourra que s'il choisit de le faire. Il est impossible de le tuer. MRE : - Silence de Mre-. AMBA : Oui, tout le monde me l'a dit. Mais j'tais aveugle. Je n'coutais que ma haine. J'ai parcouru toutes les forts et tous les dserts la recherche de ta mort. Alors j'ai march, j'ai march jour et nuit. Je me suis dirige vers le Nord, l o les paroles et le silence cessent d'exister. J'ai renonc tout. Je me suis tourne vers les Dieux. MRE : Un jour, une voix divine lui dit. VOIX OFF : Amba, je suis satisfait de toi. De ton vivant, tu ne pourras pas tuer Bhishma. Mais console-toi, aprs ta mort, dans ta prochaine vie, tu russiras dtruire ton ennemi. AMBA : Non, non, je ne veux point de ce don. Dans ma vie prochaine, je ne me rappellerai pas de ma haine. Je ne serai pas capable de savourer la joie de ma vengeance. Je veux conserver la mmoire de ma haine. VOIX OFF : Ne crains rien Amba. Dans ta nouvelle incarnation, ta mmoire ne te sera pas infidle. Tu te rappelleras tous les incidents de ta vie prsente. Tu renatras femme. Et plus tard, tu deviendras un homme. Ton nouveau nom sera Shikandini. Tu auras le plaisir de tuer toi-mme ton ennemi. Ta vengeance est assure. Je te le promets. AMBA : Voil, je suis impatiente maintenant. Je veux mourir tout de suite. Le but de ma vie prsente est achev. Je vais faire un grand feu et je vais brler ce corps devenu inutile. Que les Dieux soient maudits s'ils m'ont trompe. Bhishma, je te retrouverai plus tard quand tu seras prt. Mon nouveau nom est Shikandini. Ne l'oublie pas.

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SUR : Les Dieux sont des beaux salauds. MRE : Pourquoi tu dis a? SUR : Tu ne vois pas? D'un ct, les Dieux accordent Bhishma le pouvoir de l'immortalit et de l'autre, ils provoquent la haine d'Amba. Ce que la main droite te donne, la main gauche te l'arrache. SATYAVATI : - A Bhishma - Tout est donc inutile. SUR : Oui, tout est inutile. SATYAVATI : Ton origine divine, les rves de mon pre, ton serment, la belle promesse des Dieux, tout n'est que poussire, tout n'est que feuilles mortes que la premire brise du matin ramasse pour les jeter dans la poubelle de l'ternit. - Silence - Toi aussi Bhishma, tu vas connatre la mort. Tout est donc inutile. Bhishma, tu as t la naissance de notre race. Le destin te demande aussi d'assister la destruction de notre race. Adieu, mon enfant. Nous nous reverrons un jour. BHISHMA / FILS :: Oui, la vision d'Amba n'est pas fausse. Ses Dieux ne l'ont pas trompe. J'ai dpos mes armes et j'ai accept de mettre fin cette longue vie qui m'a paru soudain inutile. Une des flches d'Arjuna m'a travers mortellement. Mais mon agonie n'a pas mis fin la guerre. Les Kauravas et les Pandavas ont continu longtemps se battre. - - Pause. Obscurit sur la scne. Un seul projecteur sur Bhishma - Oui, nous nous reverrons tous un jour. Le hasard ne cesse jamais de nous tonner. Sa main invisible ne nous amne jamais l o on aurait souhait aller. Dans cette courte randonne, que d'images nous accumulons, que de souvenirs nous rcoltons, que de rendez-vous nous manquons! Certaines images disparaissent jamais pour se rfugier au plus profond de notre tre afin de vivre leur destine l'abri de notre regard. D'autres, plus vivantes et plus fidles, nous accompagnent tout au long de notre vie sans perdre leur intensit et leur parfum. Tels des fantmes, ces images nous traversent et nous conduisent vers un destin imprvisible et insoluble. - Obscurit sur scne- . LA BERCEUSE : (Une chanson)

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ENTRACTE

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DEUXIEME PARTIE

TABLEAU N5

____________________________________________________________________Personnages: Rohini + Soeur LaBerceuse Mre

____________________________________________________________________ A l'intrieur de la maison, le soir. Soeur et Mre sont en train de manger. Mre termine presque son repas. MRE : Appelle ton frre. Demande-lui de venir manger. SUR : S'il a faim, il viendra. Il est en train de compter les toiles. MRE : Les plats vont refroidir. Appelle-le, s'il te plat. Moi, je ne peux pas crier. SUR : Tu viens manger ou non? Tu m'entends? FILS : (Voix off. Le Fils parle de l'extrieur de la maison) Je n'ai pas faim maintenant. Je viendrai manger plus tard. SUR : Les plats ne seront plus chauds. Tant pis pour toi. FILS : (Voix off) Ce n'est pas grave. SUR : - A Mre- Ca va comme a? Tu es satisfaite maintenant? Toi et ton fils! Pause - Tu veux un peu de riz? MRE : Non, a ira comme a. J'ai termin maintenant.

31 Elle avale un peu vite le riz. Elle tousse. Soeur frappe sur sa tte et lui donne boire. SUR : Doucement, doucement. Bois de l'eau. Tu vas t'touffer. - Mre continue tousser - Quelqu'un pense toi. Soeur continue de manger - Mre se lave les mains et vient s'asseoir sur la natte. MRE : Krishna! Oh! Krishna! Combien de temps dois-je donc traner ma carcasse? SUR : Dis-moi, Quel Krishna, appelles-tu ton secours? Le Dieu Krishna ou le Krishna du Mahabharata? MRE : C'est le mme. SUR : Je ne comprends pas. Le Krishna de Mahabharata est mort. Donc il n'est plus Dieu. - A un geste d'irritation de Mre - Non, non, je ne te taquine pas. Je sais que c'est ton Dieu favori, mais je voudrais comprendre. MRE : Il n'y a rien comprendre. Krishna est l'incarnation de Vishnou sur terre. Un point c'est tout. - Pause-. SUR : Mre, qui t'as appris toutes ces histoires? MRE : Quelles histoires? SUR : Les histoires que tu nous racontes. Les histoires mythologiques, le Ramayana, le Mahabharata. MRE : Personne. On ne les apprend pas. On les coute. Soeur va calmement vers l'endroit o il y a de l'eau boire et trempe toute sa tte dans l'eau. Elle vient s'tendre prs de Mre. SUR : Tout cela me semble si trange. MRE : Pourquoi?

32 SUR : Je ne sais pas. Quand tu racontes ces histoires, je ressens quelque chose que je n'arrive pas expliquer, une vibration particulire. On dirait que les murs nous coutent. Je sens des souffles bizarres dans la maison. Parfois, j'ai presque peur. Cette maison est srement hante. MRE : Bien sr qu'elle est habite. Neuf gnrations de notre famille ont vcu sous ce toit. Ce sont tes anctres qui sont l et qui respirent. C'est dans cette maison que j'ai rencontr la mort pour la premire fois. C'est ici que j'ai vu ma grand-mre s'teindre tout doucement comme la flamme d'une lampe huile. C'est ici que j'ai vu des mes partir. Oui, nous ne sommes pas seuls dans cette maison. SUR : Tu ne me comprends pas. J'ai l'impression d'tre entoure de fantmes. Je vois souvent Amba marcher sur notre toit. Le regard des yeux rouges de Vyasa me poursuit au-del de toutes les frontires. La nuit, je n'ose plus ouvrir mes paupires. Et toi, tu parles dans ton sommeil. Tu n'es plus avec nous. Tu veux mourir. Je le sens. Tu n'attends que le mariage de ton fils pour nous quitter. C'est pour cela que tu veux absolument te dbarrasser de moi. Tu veux me voir marie trs vite avec n'importe qui. Dis-le. MRE : Je veux te voir marie, oui. Mais pas avec n'importe qui. SUR : Je ne veux pas me marier maintenant. Et mes tudes? Qu'est-ce que tu en fais? Je veux continuer mes tudes. Je veux tout d'abord trouver du travail. Je ne veux pas dpendre de mon mari. MRE : Tu peux le faire aprs ton mariage. SUR : Oui, avec des marmots dans les bras. Merci. MRE : coute-moi, s'il te plat.- Sur un geste de la fille, Mre exprime un signe d'impuissance. Aaah ! SUR : Tes filles sont vivantes aussi. Tu as seulement peur pour ton fils. Tu es obsde par cette vieille histoire. Cette maldiction n'existe que dans ta tte. MRE : Si, elle existe. Je vois encore notre anctre brler dans le feu. Je la vois encore maudire tous nos fils. SUR : Ce sont des histoires que ta grand-mre a inventes.

33 MRE : Non. J'ai vu mourir mes trois oncles sans fils. J'ai vu disparatre mes deux frres trs jeunes. Oh! Je ne sais plus comment t'expliquer. SUR : Alors, marie ton fils d'abord. Pourquoi dois-je le faire avant lui? MRE : Ne fais pas l'idiote. Tu le sais bien. On ne peut pas marier un garon quand sa soeur a dj atteint l'ge de pubert. C'est notre coutume. SUR : Coutumes, traditions, maldictions. Je n'en peux plus. De quoi as-tu peur? Que je prenne un amant avant mon mariage? Que je m'enfuie avec lui? MRE : Non. Mais, il faut que tu te maries. SUR : Tu veux me sacrifier pour une lgende. MRE : Tes deux autres soeurs sont bien heureuses de leur mariage. Elles ne s'en plaignent pas. SUR : Elles ont la mmoire courte. Pause- . Aprs tous ces sacrifices, crois-tu vraiment que ton fils vivra heureux. MRE : Je ne veux pas mourir malheureuse. Je ne veux pas que mon me erre comme un fantme, la bouche ouverte. SUR : Tu es malade. On doit entendre le bruit du vent qui siffle. Sinistre atmosphre. MRE : Je ne veux pas tre comme ce vent qui siffle ce soir. Ahhh! ROHINI : Rohini 8entre. - Mre s'adresse Rohini comme quelqu'un qui la connat trs bien.

Rohini est, comme on verra plus tard, une tante de Mre, qui est morte probablement trs jeune. A Montral, lors de la cration de cette pice, Rohini tait prsente ds la premire scne. Bien que muette jusquau tableau 6, Rohini est intervenue discrtement dans toutes les scnes. Qui est-elle? Est-elle relle? Ou est-elle purement le fruit de la folie dune vieille femme? Toujours est-il que sa prsence seule provoque des ractions bizarres parmi les personnages: par exemple la Mre retrouve son enfance et oublie compltement sa fille. Rohini appartient un no mans land. Elle tablit certainement un lien entre deux mythologies, entre deux espaces. Et elle disparat comme Sur sans laisser des traces.8

34 MRE : Qui est l? Rohini, c'est encore toi? ROHINI : Silence. SUR : - Pensant que sa mre lui adresse la parole - Maman, c'est moi. Je suis l, prs de toi. MRE : Rohini, pourquoi erres-tu ainsi? Pourquoi viens-tu toujours me hanter? Je suis fatigue. Je n'en peux plus. Va-t-en. ROHINI : Tais-toi. - On entend de nouveau trs fort la plainte des vents- La nuit est sinistre. Tu entends ce vent dans les branches des bambous? coute. C'est la plainte des mes qui se dchirent leurs pines. Elles pleurent avec leurs jumelles qui hurlent au fond des mers. Elles pleurent ces femmes qui s'vaporent de leur forteresse sans laisser de traces, sinon ce long et interminable couloir de sons. Saistu maintenant pourquoi les coquillages sont toujours vides? coute-les raconter leurs histoires! coute les ces larmes qui s'vadent des profondeurs de leurs enfers! A qui veut les entendre, elles confient certains soirs, pendant des sicles et des sicles, leur dsespoir, leur solitude et leur colre. Pauvres mes perdues dans le dsert de cette plage, o les pas meurent en naissant. Pause-. Les vers luisants sont tous morts en brillant. MRE : Aujourd'hui, c'est le deuxime jour sans lune. Le ciel est clair. Tu vois ce groupe d'toiles. SUR : Qu'est-ce qui se passe, maman? Rveille-toi. MRE : Il y en a cinq. Regarde, l-bas, l'toile la plus brillante. C'est Rohini. SUR : Maman. Tu me fais peur. Ne parle pas comme un fantme. Ne nous quitte pas maman. Je t'aime. - Et elle se couche sur les genoux de sa mre pour pleurer. MRE : Rohini tait la dernire sur de ma mre. Je l'admirais beaucoup. Elle battait tous les garons du village. Ma mre me disait toujours que ses surs et elle taient unies comme les cinq doigts de la main. Elles jouaient ensemble. Elles dormaient ensemble. Elles pleuraient ensemble. Un jour, la plus grande s'est marie et a quitt la ville. Depuis, le soleil ne se lve plus l'est. ROHINI : Quand j'tais enfant, j'avais une bote. C'tait une toute petite bote. J'y enfermais tous mes secrets, toutes mes fleurs, toutes mes larmes et toutes mes dents.

35 Un jour, je l'ai remplie du sable de notre rivire. Et j'y ai cach une graine. Chaque matin, je l'ouvrais pour surprendre mon arbre grandir. Tous les soirs, je fermais ma bote pour le protger des mauvais esprits. Des jours, des nuits et des annes s'coulrent sans rsultat. Mais j'attendais toujours mon arbre. Une nuit, j'ai entendu toute la maison bouger. Horreur! Les racines de mon arbre avaient envahi tous les recoins de la cuisine. Le toit tait dmoli. MRE : Rohini ne s'est jamais marie. Aucun homme n'est venu la demander en mariage. Pourtant, c'tait la plus belle. Elle avait toujours t le dsespoir et la honte de ses parents. Elle n'obissait personne. Elle refusait de faire les travaux de la maison. Elle partait le matin et revenait le soir. Si la porte de la maison tait ferme, elle se couchait sans manger devant la maison, comme une mendiante. Mais elle adorait travailler dans les champs de riz pendant la moisson. ROHINI : C'est bte les pis de riz. Ils se tiennent debout pendant toute leur vie pour qu'on vienne les couper. Un bon coup! Les voil tous couchs sagement. a, c'est un travail pour les femmes! -Elle clate de rire -. MRE : Pourquoi crasais-tu toujours les fleurs de nnuphars chaque fois que tu en possdais une? ROHINI : Elles sont idiotes ces fleurs. MRE : Et tu rentrais alors dans une colre pouvantable. J'tais trs jeune cette poque. C'tait horrible de te voir ainsi. Je n'ai jamais os te demander les raisons de cette haine. Tes yeux taient toujours tristes. Tu croyais aux fantmes et aux rincarnations. ROHINI : Aprs ma mort, je suis sre que je deviendrai le vent qui souffle les jours de temptes pendant la mousson. Je traverserai les mers et les terres pour hanter le monde entier. MRE : Avec toi, on voyageait beaucoup. Tu nous amenais dans tous les pays, dans les nuages et dans les enfers. Partout. Tous les soirs, tu me prenais dans tes bras. Depuis un certain temps, Rohini n'coute plus Mre et regarde de plus en plus Kunti. Elle vient d'entrer sur scne comme une somnambule qui cherche quelqu'un ou quelque chose. Mre arrte de parler et elle aussi commence regarder dans la mme direction.

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TABLEAU N6

____________________________________________________________________Personnages: Kunti Draupadi Rohini + LaBerceuse Fils Mre

____________________________________________________________________ ROHINI : C'est Kunti. C'est la mre des cinq Pandavas. MRE : Pauvre Kunti! ROHINI : Oui, pauvre Kunti, comme tu le dis. MRE : Laisse-la tranquille. ROHINI : Non. Au contraire. Elle m'attend. Elle se lve et se tient debout devant Kunti. Les deux femmes se regardent les yeux dans les yeux. Kunti se dgage petit petit. Elle continue. Kunti! Pourquoi veux-tu toujours nier l'vidence? Pourquoi te drobes-tu la vrit? Pourquoi choisis-tu la lchet et le silence? Pourquoi refuses-tu l'affection de la lumire? KUNTI : Qui es-tu? ROHINI : Je suis le vent qui agite ton coeur. Je suis les vagues qui ne se fatiguent jamais. Je suis l'odeur de la vase qui repose au fond de tes ocans. KUNTI : Si tu es ce que tu dis, trouve-moi ce que je cherche.

37 ROHINI : Karna est ton fils an. Il est le fils du Soleil que tu as abandonn, tout enfant, sur un fleuve. Elle tombe comme une pierre sous le poids de la rvlation. Elle se rveille sous les caresses de Mre, et pleure. KUNTI : Malheur moi! ROHINI : Oui, ma pauvre Kunti, malheur toi! Karna a rejoint maintenant le camp des ennemis de tes fils. Ton fils favori, Arjuna, que tu as conu avec Indra, le Roi des Dieux, a jur de tuer Karna. Mre infortune, tu as mis au monde deux grands guerriers, deux frres ennemis. KUNTI : Que vais-je faire? - Elle prie et pleure. Dieux tous puissants! Aidez-moi! ROHINI : Encore tes Dieux! Ils t'ont donn un enfant chacun. Dharma, le Dieu de la Mort, t'a donn Yudisthira qui est la sagesse incarne. Vayu, le Dieu du Vent, t'a donn le puissant Bhima. Indra, le Roi des dieux, t'a bnit de l'invincible Arjuna. Et les Dieux jumeaux aux yeux dors sont les pres de Nakula et Sahadeva. Tous tes enfants sont des fils de Dieux. Que veux-tu de plus? Tu n'es pas encore satisfaite? KUNTI : Mais mes fils vont se battre avec Karna, mon premier n. Mes cinq Pandavas vont se battre avec leur frre an. ROHINI : Tu t'en tonnes? pouse des Dieux, crois-tu que la jalousie n'existe pas au Paradis. KUNTI : Mais il faut empcher ce carnage entre mes fils. Je ne veux pas la guerre. Je ne veux plus le royaume. Pas ce prix. ROHINI : Voil, Draupadi, ta belle-fille, l'pouse de tes cinq fils. Je ne crois pas qu'elle soit de ton avis. Furieuse Draupadi entre en scne presque en larmes. Elle tombe aux pieds de Kunti, aussi bien par fatigue que pour exprimer le respect qu'elle doit Kunti. Kunti aide Draupadi se relever. KUNTI : Relve-toi. Calme-toi. Dans ce tableau, Fils incarne Yudisthira qui restera muet pendant toute la scne.

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DRAUPADI : Me calmer? Comment le pourrais-je dsormais? Ton fils an, Yudisthira, dsire ardemment la paix. - Draupadi regarde Yudhistra/Fils - Il baisse sa tte comme le jour o il a jou aux ds, o il a tout mis et tout perdu, tous ses biens, son royaume, ses frres, sa libert et moi, son pouse. Et maintenant, que nous sommes revenus de notre exil, pour rclamer nos droits et notre royaume, ton fils an ne demande que cinq villages. Il s'humilie devant Duryodhana, notre ennemi mortel. KUNTI : Quel mal y a-t-il dsirer la paix? DRAUPADI : A Kunti. - Mais, moi, je veux la guerre. - A Yudisthira/Fils. Yudhisthira, coute-moi. Ton cousin Duryodhana nous a dpouills de notre royaume et de nos biens en trichant au jeu des ds. Duryodhana m'a fait trane par les cheveux devant toute une assemble d'hommes. Sous l'instigation de Karna, Duryodhana a ordonn d'arracher mes vtements dj tachs par le sang de mes menstruations. Devant toi et tes frres, mes cinq maris invincibles, j'ai t trane, insulte et humilie. Yudisthira, tu tais l comme aujourd'hui, la tte baisse. Personne n'est intervenu. Absolument personne. Ce jour-l, la haine, la honte et la peur dominaient cette assemble de lches. Tous des lches! KUNTI : Mais le dieu Krishna t'a sauve. DRAUPADI : Oui, mais quel prix? Krishna n'a pas voulu nous viter les 13 ans d'exil dans la fort au milieu des animaux sauvages et des dmons froces. KUNTI : Malheur ceux qui provoquent la guerre pour le seul bnfice de la fortune. Dans cette guerre que tu dsires tant, nombreux seront nos proches parents qui connatront la dfaite et la mort. Du plus profond de mon tre, j'abhorre la guerre. DRAUPADI : Ne pas se battre signifie aussi pauvret et humiliation pour tes fils. Pour le pauvre, la mort est plus douce que la misre. KUNTI : Mais la destruction de nos amis et de nos proches n'est pas non plus une victoire. DRAUPADI : Kunti, tu es ma belle-mre. Selon ton commandement, j'ai pous tes cinq fils. Je ne t'ai jamais dsobie. J'ai toujours suivi tes conseils et tes ordres sans discuter. Mais prsent, mon coeur rejette de toutes ses forces ton dsir de paix.

39 Pause - Kunti, regarde mes cheveux. Tu les connais bien. Tu aimais en faire des nattes toutes les semaines. Jadis, j'avais l'habitude de les arroser de parfums de santal et d'arme de fleurs. Regarde maintenant ce qu'ils sont devenus. Sales et nous comme les serpents des dserts. Sens-les. Tiens! Tu n'aimes plus leur odeur? Oui, ils dgagent les vapeurs de la mousse des montagnes et le fumier des bouses de vaches. Chaque soir, de petites cratures s'y abritent et y construisent leurs nids. Je les laisse tranquilles, car elles me font souffrir. Quand l'obscurit envahit la terre, seules ces cratures sont mes vritables amantes. Elles hurlent comme moi leur impatience de goutter le sang de Duryodhana et de Karna. - Bruits nocturnes, criquets etc. coute-les me rpondre comme au premier jour de mon serment. Non, non, je ne vous oublie pas. -Draupadi imite les cris de chacals et de hynes -- Vous dchirerez ces corps un jour. Je vous le promets. J'ai rv toutes les nuits vous, en train de vous vautrer au milieu des cadavres de mes ennemis. Et moi, j'aurai leur sang pour laver mes cheveux. KUNTI : Moi aussi, j'ai rv toutes les nuits ces cadavres mutils. Je vois l'invincible Bhishma, transperc de mille flches. La tte de Drona, spare de son corps, cherchant son fils Aswathama. Mais je vois aussi la disparition des tres que tu aimes plus que ta vie. DRAUPADI : Qu'importe, pourvu que ma vengeance soit intacte. Que le monde entier sombre dans l'obscurit, pourvu que ma flamme brle encore. Nous avons vcu comme des mendiants pendant 13 ans dans la fort. - A Yudisthira/Fils. Yudisthira, rappelle-toi, seule notre volont de vengeance nous a donn ce courage de surmonter toutes nos peines et nos douleurs. - A Kunti - Maintenant, tout le monde aspire la paix. Yudisthira croit que notre Dharma, la vrit suprme, est uniquement dans le maintien de la paix. Yudisthira brle d'un feu que nous ignorons tous. Il brle de devenir l'homme le plus pur et le plus parfait de toute la cration. Oui, je le vois. Pour atteindre ce but, Yudisthira sacrifiera ses biens, ses frres, sa femme et ses enfants. Qu'importe les souffrances de ses proches, pourvu que Yudisthira devienne le martyr parfait. Soit. Mais la paix, je ne la voudrai jamais. Je ne connatrai pas le sommeil tant que Karna et Druyodhana ne seront pas dtruits. - Elle pleure - Mre comment pouvez-vous accepter cette situation? Est-ce donc si difficile de me comprendre? Rpondez-moi. A Draupadi. ROHINI : Je te comprends. Cesse de pleurer. Penses-tu vraiment que ton ennemi Druyodhana acceptera les propositions de paix? coute ton coeur. N'entends-tu pas la guerre gronder dj dans l'univers? Sens autour de toi. Elle est dj l. Elle est

40 partout. Tout le monde l'attend. Ton heure est venue, ma fille. Va. Laisse le destin suivre son cours. Dpart de Draupadi.

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TABLEAU N7

____________________________________________________________________Personnages: Karna Kunti Rohini + LaBerceuse Fils Mre

____________________________________________________________________ KUNTI : Il faut arrter mes fils. Il faut les arrter. Ils vont tous au dsastre. ROHINI : Kunti, il te reste peut-tre une chance d'arrter la guerre et de conserver ainsi tous tes fils. KUNTI : Laquelle? ROHINI : Va voir ton fils Karna. Dvoile-lui son auguste origine. Rvle-lui ton affection. S'il accepte de se rallier ses frres, Duryodhana n'osera mme plus songer la guerre. KUNTI : Oui, oui, tu as raison. Bhishma et Drona ne veulent pas la guerre non plus. De plus, ils n'ont jamais approuv les actions de Duryodhana. Seul Karna est son alli le plus fidle et le plus puissant. Karna est mon fils. Il coutera mes paroles qui sont les plus sages et les plus bnfiques pour lui et pour ses frres. O est-il? ROHINI : L, au seuil de sa destine. Fils/Karna est assis/couch prs de l'encadrement de la porte. KUNTI : Me pardonnera-t-il? Karna se lve de sa position et se dirige vers un coin de la scne o il va faire sa prire au Dieu Soleil. Kunti fait signe de se diriger vers lui. Rohini l'arrte.

42 ROHINI : Kunti. Attends un peu. Regarde. Ton poux cleste, le Dieu Soleil vient ton secours pour convaincre votre fils. Le soleil se lve sur l'ocan, inondant l'univers de sa chaleur d'espoir. Kunti se dirige lentement vers Karna. Entre temps Mre est en colre contre Rohini. MRE : Rohini, quel jeu joues-tu ? Silence de Rohini Tu sais trs bien que Karna nacceptera jamais cette offre. ROHINI : Oui, je le sais. MRE : Alors pourquoi ce jeu ? Sans relever la remarque de Mre, Rohini, va sasseoir la place de Mre comme pour raconter une nouvelle histoire. La mise en place des acteurs (ou la mise en scne) doit mettre en relief que, aprs lentre-acte, cest Rohini qui devient la conteuse. Tu es sourde ou quoi ? Toi qui connais toutes les histoires, dvoile Kunti la fin du Mahabharata. Rvles lui la mort de Karna. ROHINI : Penses-tu vraiment que Kunti me croira ? Tu es une mre aussi. coute ton cur. Accepteras-tu si facilement la mort de ton enfant ? MRE : Non. Arrte. Ce nest pas possible. Il doit y avoir une solution. Je ne peux pas accepter cette situation. Kunti ne doit pas rencontrer Karna. ROHINI : Trop tard. Regarde. MRE : Non. Je dois aider Kunti. Karna prie le Soleil au bord de l'ocan - Bruits d'oiseaux du matin - Les rayons du soleil inondent tout d'abord Karna, puis envahissent la scne - Musique de cloches religieuses - Aprs sa prire, Karna se retourne et remarque Kunti, sa mre. KARNA : Je te salue Oh! Kunti, je suis Karna, fils de Radha et d'Adhiratha. Dis-moi ce que je peux faire pour toi? KUNTI : Karna, parmi tous les ennemis de mes fils, tu es le plus droit, le plus franc et le plus gnreux. J'ai toujours t fascin par l'clat de ta noblesse. J'ignorais les

43 raisons de la douleur que j'prouvais toujours en te rencontrant. Aujourd'hui, je le sais. Et je suis venue...- Kunti hsite - ...te demander une faveur. KARNA : Silence. KUNTI : - Plus hsitante encore mais dtermine de tout lui dire, Kunti continue -Tu n'es pas le fils de Radha et d'Adhiratha. Tu es le fils du Dieu Soleil que tu vnres chaque matin. Tu es n avec des boucles d'oreilles et un bouclier d'or qui ont grandi avec toi, comme une cuirasse vivante. C'tait le don de ton divin pre pour te protger de tous les dangers de ce monde. Mme enfant, tu rayonnais d'une trs grande beaut. MRE : Karna, Kunti te dit la vrit. Tu es le fils de Surya, le Dieu Soleil qui illumine chaque matin l'univers. Cest ton pre qui ta toujours prvenu des dangers qui te menacaient. KARNA : Je suis le fils de Radha et d'Adhiratha. MRE : Tu es un Kshatriya. KARNA : On m'appelle le fils du cocher. KUNTI : Que cette pithte soit jamais abolie de ton nom! Tu es de la race des Kshatriyas. Tu es le fils de Kunti. Tu es mon fils. Karna, je suis ta mre. KARNA : Kunti, je ne peux admettre ce que tu viens de dire. Jamais je ne dtruirai les souvenirs d'enfance, d'affection et d'amour qui me lient mes parents adoptifs. Pause - J'ai t abandonn, peine nouveau-n, sur les eaux d'une rivire. Oh! Mre! Ce grand tort que tu m'as fait au risque de mettre en danger la vie mme de ton premier-n a t le principal destructeur de ma gloire et de mes mrites. Comment pourrais-je appartenir dsormais la race de mes anctres, quand tu as refus de m'allaiter avec tes caresses maternelles, les rites religieux propres aux Kshatriyas. Quel est donc l'ennemi qui aurait pu tre plus cruel que toi? KUNTI : Karna, j'tais jeune. Pause - Je n'ose mme plus soutenir la flamme de tes yeux que j'ai dsire admirer toutes les secondes de ma vie. J'ai perdu pour toujours le sommeil. Regarde-moi. Regarde ce que je suis devenue aprs ma trahison: une loque de chair misrable qui ne cesse de se promener dans des souterrains interminables.

44 Kunti tombe aux pieds de Karna. Il ne la pas vue se prosterner derrire lui. MRE : Ta mre tombe tes pieds, mon enfant, pour que tu lui accordes le pardon. KARNA : Mre ! Karna sursaute et vite qu'elle lui touche les pieds. Il la relve presque religieusement- Mre, que puis-je faire pour toi? Que viens-tu chercher ici? O veux-tu m'amener? KUNTI : Chez ta mre. Te donner enfin le droit qui est le tien. Te prier de prendre le titre de fils an des Pandavas. Te faire dcouvrir l'affection de tes frres. Karna, je souhaite te ramener chez toi. KARNA : Chez mes ennemis? L o brille Arjuna, le fils d'Indra? KUNTI : Oui, mais tes frres ne sont pas tes ennemis. Si vous tes unis, que ne pourriez-vous pas accomplir? Entour de frres tels que mes fils, tu rayonneras comme le Dieu Vishnou lui-mme. Toutes les possessions des Pandavas seront les tiennes. Demain tu seras couronn empereur d'Indraprastha, le royaume de tes anctres. Et le sixime jour, la belle Draupadi sera ton pouse. MRE : Fils gnreux et irrprochable, suis les conseils de ta noble mre. Du bien sortira de cette dcision. KARNA : Qui es-tu, toi ? MRE : Je suis une mre, moi aussi. KUNTI : Viens nous rejoindre, je t'en supplie. KARNA : Kunti, pourquoi as-tu dcid de venir m'offrir la couronne aujourd'hui? MRE : Karna, ce nest pas jamais trop tard de tout recommencer. Il nest jamais trop tard darrter une guerre fratricide. KARNA : Elle m'a reni quand j'tais enfant. Elle ne ma pas reconnu quand Drona m'a demand les origines de ma naissance. MRE : Elle ne savait pas cette poque que tu tais son fils.

45 Karna sadresse tour tour Mre et Kunti. La confusion (sil y a confusion) de Karna est aussi celle du Fils. KARNA : A Mre- Rejet et humili par tes fils, penses-tu qu'il y a encore une place honorable pour moi parmi vous? Duryodhana m'a tout donn. Il m'a donn un nom. Il m'a donn l'honneur. Et avant tout, Duryodhana m'a donn son amiti. Je ne le trahirais point. Je ne renierai jamais la parole que je lui ai donne. A Kunti - Si je suis puissant aujourd'hui, c'est grce sa gnrosit. Si aujourd'hui, tes fils ont peur de moi, c'est grce Duryodhana. C'est encore cette peur qui te pousse aujourd'hui venir offrir ton affection ton premier-n. Tu crains que je ne tue tes fils. Avoue-le. MRE : Oui, elle ladmet. Elle a peur de voir ses fils sentretuer dans cette terrible peur. Oui, elle a aussi peur de te perdre dfinitivement. KARNA : A Mre- Elle a peur de me perdre ! Ha ! Si je n'tais rest qu'un simple fils de cocher, cherchant encore ses origines, sa lchet et son honneur n'auraient jamais donn ce courage d'admettre publiquement mes origines dont elle est fire maintenant. A Kunti - Sache Kunti que j'ai appris, bien avant toi, le secret de ma naissance. Oui, j'ai su que j'tais le fils du Dieu Soleil. Mais mon choix reste inbranlable. Non. Kunti, je n'accepte pas ton offre. Ce que j'ai perdu, je l'ai perdu pour toujours. Rien au monde ne pourrait refaire ce noeud sacr que tu as rompu ma naissance. KUNTI : Abattue, Kunti se retourne pour quitter les lieux. KARNA : A Kunti - Kunti, attends un peu. Personne ne me quitte les mains vides. A Mre - Je peux lui offrir quelque chose. Je ne tuerai pas son fils an Yudisthira. J'pargnerai aussi Bhima, son second fils. Je promets aussi de laisser la vie sauve ses fils jumeaux Nakula et Sahadeva. A Kunti - Je me battrai seulement avec Arjuna, ton fils favori. L'un de nous deux doit mourir. Si je suis tu par Arjuna, je mourrai heureux. Ainsi aurai-je rempli ma promesse et pay mes dettes envers Duryodhana. De cette faon, aprs la guerre, tu auras toujours cinq fils. KUNTI : Oh! Krishna ! Dieu tout puissant! Devrais-je donc voir mes fils s'entretuer? Karna, mme si ce que tu dis est possible dans la bataille, une chose est certaine. Les Kauravas sont condamns la mort. Ton courage et ta valeur auront t inutiles. KARNA : Kunti, j'ai eu une vision cette nuit. Tes cinq fils portaient des vtements blancs et des couronnes de diamants. Ils taient tous assis sur des montagnes

46 d'ossements humains. Kunti, tu as raison, tous les ennemis de tes fils seront massacrs. Ma mort est certaine aussi. Que tes fils rgnent pour toujours sur ce monde. A Mre - Toute ma vie a t inutile cause delle. MRE : Non, mon fils. Nous ne sommes pas responsables de nos destines. KARNA : J'ai toujours t poursuivi par la maldiction des toiles. Ni mes origines divines, ni mes doutes, ni ma valeur, ne m'ont permis de dtruire ce cercle damn o elle m'a install ds ma naissance. Que me reste-t-il de ce pass lointain? L'image efface d'une caresse perdue, le souffle mourant d'une berceuse pleurante, que ma faible mmoire d'enfant s'est acharne conserver. Mre, tu as t la cause de tous mes malheurs. KUNTI : Elle pleure. KARNA : S'il est vrai que tu as souffert un peu pour moi, fais-moi une promesse. Ne dvoile jamais l'origine de ma naissance tes fils! Qu'Arjuna ignore toujours que je suis son frre an! Le jour venu, qu'Arjuna se batte avec moi avec toute la haine et la fureur qu'il n'a jamais cess de m'exprimer depuis le premier jour de notre rencontre. Que j'aie enfin cette bataille qu'Arjuna m'a toujours refuse sous prtexte que je n'tais que le fils d'un cocher. Lui, fils de Dieu, et moi, le btard. Silence. Mre, Kunti et Rohini se sparent sans se dire adieu. Tte baisse, sanglotante, Kunti quitte lentement les lieux sans se retourner. Karna est seul sur la scne. Soudain il pousse un grand cri de rage ou de dsespoir. Aprs un instant, il se reprend. KARNA/FILS : Ce soir-l, tout me fut interdit. Elle tait prs de moi. Je ne pouvais l'approcher. Elle est loin de moi. Je sens encore son parfum. Sa chaleur m'a donn les angoisses d'une nouvelle naissance. Tous les vents du dsert manaient de son regard brlant pour arracher mes nouvelles racines. Les feuilles d'automne peuventelles choisir leurs supplices? Ma folie n'a d'gale que l'immensit des solitudes que je traverse aujourd'hui. Changement d'clairage - Crpuscule - Musique triste. L'obscurit tombe lentement comme si ma douleur n'tait pas dj suffisante. Tout autour de moi, les ombres des arbres se dressent comme des gants drangs dans leur sommeil. Les oiseaux se sont endormis. Au plus profond de leur abri, quoi

47 rvent-ils ce soir? Pourquoi la voix des berceuses me parait-elle toujours triste? Un long frisson parcourt mon corps. Ai-je peur finalement de la mort? Je m'enfonce de plus en plus dans les souffrances de ses ondulations qui trouvent un cho dans les mandres de mon coeur la recherche d'un fantme. Fille du ciel, pouse du soleil, elle s'vanouira l'horizon, laissant derrire elle son voile o les sillons recevront mes larmes infertiles. Tout l'heure, son regard m'annonait la mort de l'univers et les rves de l'ternit. J'ai compris soudain la disparition des toiles filantes et l'agonie des vents. J'entends au loin les cris d'un enfant qu'on touffe. Karna simmobilise par terre compltement recroquevill comme un enfant. Obscurit sur la scne. Tambour de guerre. Rumeurs de bataille; Cris de guerre. Voix humaines. Dsolations. LA BERCEUSE : (Une chanson)

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TABLEAU N8

____________________________________________________________________Personnages: Draupadi Rohini. Kunti + LaBerceuse Fils Mre

____________________________________________________________________ Mre est assise avec la Berceuse au fond de la scne. Le corps de Karna reste toujours tendu sur la scne. A lautre bout on voit une ombre ( Draupadi ) se faufiler lentement. Elle est sre de ses mouvements et elle sait ce quelle vient chercher. Rohini est assise lcart dans un coin de la scne. Petit petit on dcouvre que Draupadi a sa chevelure teinte de couleur rouge comme le sang. Elle apparat belle et terrible comme la desse Kali. ROHINI : Cest triste, nest-ce pas? Elle sursaute. DRAUPADI : Qui parle? Qui est l? ROHINI : Tu ne trouves pas que cette salle soit devenue soudain sombre. Draupadi reconnat Rohini. Fatigue, Draupadi se dtend et sassied loppos de Rohini. DRAUPADI : Que fais-tu ici, seule dans lobscurit? ROHINI : Je respire ce silence. Le silence de la paix!

49 DRAUPADI : Je te retrouve partout. Tu me poursuis? ROHINI : Non. Je tattendais. DRAUPADI : Ctait plus fort que moi. Il fallait que je vienne ici. Elle regarde tout autour delle. Un trange silence enveloppe la scne. Rohini crot deviner les penses de Draupadi. ROHINI : Ctait ici que tout a commenc. DRAUPADI : Oui, ctait ici que tout a commenc. Je me rappelle de tous les gestes de cette journe, de tous les mots prononcs ce jour-l. L, tait Duryodana avec tous ses frres dans toute sa gloire. En face, mes maris, humilis et nus comme des esclaves, organisaient dj leurs rgiments. ROHINI : lcart de tout le monde, le beau Karna tadmirait calmement. Silence de Draupadi. Elle ne relve pas cette ironie. Rohini sourit du silence de Draupadi. Aprs un certain temps o on note clairement la colre de Draupadi, Rohini se lve pour aller goutter la brise de lextrieur. On entend le bruit dun vent doux et froid. Kunti entre en scne mais Draupadi na pas encore remarqu sa prsence. ROHINI : La mer est calme aujourdhui. Les pcheurs peuvent quitter leur logis. La rcolte sera bonne demain. Le soleil se lvera sur un monde nouveau. En colre. DRAUPADI : Mais quel monde? KUNTI : Ton monde toi, Draupadi! DRAUPADI : Kunti!Toi? KUNTI : Oui, cest moi Kunti. Pause - Aujourdhui tu es la reine de lunivers! Je suis venue vrifier si tu as enfin retrouv ta paix maintenant que tes cheveux sont tremps du sang de tes ennemis. - Silence de Draupadi Regarde cette salle du trne, elle vibre encore de ton sermon dhier et de tes victoires daujourdhui! Pause - Lhumanit entire noubliera jamais cette guerre. Quelle belle vengeance!

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Aprs une courte pause, avec amertume. DRAUPADI : Oui, ctait une belle vengeance! ROHINI : Les fantmes de la plaine de Kurukshetra ne retrouveront jamais le sommeil. DRAUPADI : Les vivants nont plus. ROHINI : Je perois une amertume dans ta voix. Y-aurait-il un Kaurava qui taurait chapp? KUNTI : Tous les Kauravas sont morts. Sa mission est accomplie. Sa puissance et son rang sont rtablis. Les larmes coulent lentement sur les joues de Draupadi. ROHINI : Pourquoi, pleures-tu ma chre Draupadi? Ironique, KUNTI : Des larmes sur tes joues! Et pourtant Bhima a tenu sa promesse. Bhima a bu le sang de ses cousins. Pour ton plaisir, Bhima a rempli le monde entier de cadavres pourris. Tes cheveux ont t lavs et nourris du sang des fils de Gandhari. DRAUPADI : Krishna! Krishna! Assez ! KUNTI : Arjuna a tenu sa promesse. Arjuna a dtruit linvincible Karna. Kunti prend le corps inerte de Karna/Fils et le met sur ses genoux. Elle pleure.- Il tait mon premier n! - De trs gros sanglots schappent de sa poitrine - Pardonne moi, Karna ! Pardonne moi ! Incontrlable, Kunti hurle sa douleur. DRAUPADI : Quoi ? Karna tait le frre an de mes cinq maris ? Comment est ce que cest possible ? Comment as-tu pu laisser Arjuna entretenir la flamme de sa haine contre Karna ? Mre, comment pouvais-tu tre si cruelle ? Comment as-tu consenti un tel crime ? Elle se tourne vers Rohini et demande Et Karna, le savaitil ? KUNTI : Silence.

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ROHINI : Fils du Soleil, abandonn lchement par sa mre et ha par un frre jaloux, Karna a prfr la mort laffection de ses siens. DRAUPADI : Kunti, pourquoi ce crime ? Rponds moi. KUNTI : Que pourrais-je te dire maintenant ? Comment pourrais-je te dcrire la peur dune jeune mre non marie ? Draupadi, que sais-tu de la solitude dune jeune fille, seule dans son grand jardin ? Que connais-tu de ma vie ? Pause Qui aurait pu conseiller cette jeune mre que jtais, emprisonne par un tourbillon dombre, dobscurit et de doutes ? Mon amant de quelques instants disparut jamais abandonnant derrire lui un cur dans un corps rempli de remords et un nouveau n rayonnant de lumire dans mes bras fragiles tremblants dune peur ancestrale. DRAUPADI : Kunti, comment as-tu pu dissimuler un si terrible secret? Que de vies seraient pargnes si nous savions su temps le secret de la naissance de Karna ! Que les femmes ne soient plus capables dsormais de garder un secret ! KUNTI : Jai retrouv mon fils abandonn que pour le voir assassin lchement dans cette guerre dsire par tous. Oh ! Karna, tu es n comme un clair de soleil dchirant les sombres nuages dun ciel de mousson. Et tu as disparu comme une toile filante dans un monde cruel qui ne mrite point ta gnrosit. DRAUPADI : Je ralise maintenant pourquoi sa disparition ma entrane dans des tnbres et des souffrances que je ne pouvais ni contenir ni dvoiler. Pause Oh Dieu Krishna, tu connaissais toutes les destines! Pourquoi nous as-tu donc pousss sauvagement dans cette voie avec tant de persvrance? Pour la premire fois, je sens ton absence et ton indiffrence. Aujourdhui, un fil de fer me pntre et dchire mon coeur. Pourquoi ce silence? Quels sont nos crimes? Sommes-nous tous que de simples victimes? - Pause - Quel est ce vide qui menvahit? Qui suis-je? ROHINI : Tu es Draupadi. DRAUPADI : Oui, je suis Draupadi. La guerre est finie. Mais mes cinq enfants ont t assassins pendant le sommeil. Notre victoire na plus aucun sens maintenant. Petit petit, toutes les femmes rentrent sur la scne sur un fond de musique ambigu. Elles vont sasseoir chacune sous un faisceau lumineux comme si elles allaient raconter une histoire. Tout ce mouvement ne doit pas prendre plus de deux ou trois minutes.

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TABLEAU N9

____________________________________________________________________Personnages: Gandhari Lechoeur:FemmesN110. + LaBerceuse Fils Mre Ilfautnoterquedanscetableau,MredevientGandhari

____________________________________________________________________ FEMME N1 : Je suis Uttara. J'ai perdu mon mari Abhimanyu. FEMME N2 : Je suis Ganga. J'ai perdu mon fils Bhishma. FEMME N3 : Je suis Hindimbi. J'ai perdu mon fils Ghatokkacha. FEMME N4 : Je suis Kunti. Arjuna a tu mon fils Karna quand il tait sans armes et sans dfense. FEMME N5 : Je suis Uttara. J'ai perdu mon mari Abhimanyu. Il avait 16 ans. FEMME N6 : Je suis Ganga. J'ai perdu mon fils Bhishma, perc de mille flches. Il tait pourtant immortel. FEMME N7 : Je suis Hindimbi. J'ai perdu mon fils Ghatokkacha. Il a t tu par Karna. FEMME N8 : Je suis Kunti. Arjuna a tu mon fils Karna quand il tait sans armes et sans dfense. Devant une telle tratrise, mme le soleil s'est cach derrire les nuages.

54 FEMME N9 : Je suis Draupadi. Mes cinq enfants ont t assassins pendant leur sommeil. Comment pourrais-je me consoler? Qui pourrait le faire? Dans cette scne, Mre devient Gandhari. FEMME N 10 (MRE /GANDHARI) : Moi, je peux. Je suis Gandhari. - Une des femmes attache un bandeau noir autour des yeux de Mre - Je suis ne princesse. J'ai pous Dhritarashtra, le roi aveugle. Reine de l'univers, j'tais la mre de 100 fils. Duryodhana tait mon fils an. Ds sa naissance, il mettait les cris nocturnes d'un chacal, en proie de terribles doutes. On avait prdit qu'il serait la cause de la destruction des Kauravas. Et pourtant, je l'aimais parce qu'il tait mon premier-n. Ce corps que j'avais soign de tout mon amour aveugle, est dvor maintenant par des vautours et des corbeaux. Draupadi, tu pleures la mort de tes cinq fils. Mais, moi, j'ai perdu 100 fils. Pas un n'a survcu ce terrible carnage. Nous sommes toutes condamnes mourir sans enfants. Oh! Dieu Krishna! Le monde entier te considre comme l'incarnation de Vishnou sur terre. Tu es le Dieu tout puissant qui rgne sur tous les tres vivants. Tu es la Mort et la Vie. Tu es le Commencement et la Fin. Maintes fois, tu as sauv l'humanit entire de la destruction. Ne pouvais-tu pas me laisser un seul fils vivant, un seul pour la protection de mes vieux jours, pour allumer mon bcher ma mort. Tu as t injuste envers moi, envers mes enfants. Derrire chaque dfaite de mes fils, j'ai reconnu ton uvre. Oh! Krishna, Dieu de tout le monde mais ennemi de mes fils, reois donc la plus grande des maldictions. Tu verras tes amis, ta famille, tes proches et ta race entire se dchirer entre eux et disparatre avant toi. Quant toi, Oh! Krishna! tu mourras seul, abandonn au milieu d'une fort. Je te maudis. Ce que tu as voulu protger et sauver de la destruction, va bientt disparatre en poussire. Sache que ce monde s'appellera dsormais le Kali-Yug, le monde de Kali. Ce sera un monde sans Krishna. De ton paradis admire ton oeuvre pourrir lentement vers sa destruction finale. Observe-la, mais n'y reviens plus. Mouvements circulaires presque dansants ( ou animal ) des femmes par rapport aux faisceaux de lumire. Elles captent une une les faisceaux parallles en disant ( ou en murmurant ) : Je suis UttaraJe suis SubhadharaJe suis GangaJe suis HindimbiJe suis KuntiJe suis RohiniJe suis DraupadiJe suis Gandhari, etc. . La lumire se dplace lentement sur Mre et Fils. Atmosphre sinistre et infinie.

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TABLEAU N10____________________________________________________________________Personnages: LaBerceuse Fils Mre

+ Touslesautrespersonnages. ____________________________________________________________________ On entend trs fort la plainte des vents. - Sinistre atmosphre - Bruit des vagues d'un ocan agit lors des temptes. ROHINI : ROHINI : La nuit est sinistre. Tu entends ce vent dans les branches des bambous? coute. - On entend de nouveau trs fort la plainte des vents - Tout le monde reste fig pour quelque secondes pour couter ces plaintes - C'est la plainte des mes qui se dchirent aux pines. Pauvres mes perdues dans le dsert de cette plage, o les pas meurent en naissant. Les vers luisants sont tous morts en brillant. LA JEUNE FEMME : Un jour, que je jouais avec les pines des aubergines, mon frre an m'appela. Je voulais partir mais les pines tiraient mon sari pour me retenir. Lchez-moi, s'il vous plat. . Mon frre an crut que j'tais avec un amant. Je brlais pour sauvegarder l'honneur de leur famille. Je brlais pour le malheur de mes frres. On devrait faire une chorgraphie avec toutes les femmes pour mettre en relief la premire scne o La Jeune Femme a t brle sur un bcher. Une sorte de chorgraphie spirale montante. FILS : En Inde, chaque famille est ne d'une lgende. Mes anctres n'taient point des Dieux. Ils ont tous t de simples mortels l'exception de cette femme infortune qui entrana par sa maldiction la ruine d'un village et la condamnation ternelle d'une longue ligne de mles. Qui tait-elle? Nous ignorons tout d'elle. Obscurit sur cette partie de la scne.

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MRE : Le feu continue toujours de brler. Si seulement, on avait trouv ce village. On aurait pu Elle aurait peut-tre Enfin Silence. On entend la berceuse seulement. FILS : Les lieux de mes anctres disparurent ainsi de la mmoire des hommes et des femmes, sauf cette histoire qui hante encore ma mre. MRE : Elle a hant toutes les femmes de notre famille. On a dit que les habitants de ce village avaient construit un temple pour apaiser la colre de notre anctre. Ma grand-mre a vainement cherch ce temple. Sa grand-mre elle s'tait aussi puise dans cette tche pendant toute sa vie. Je n'ai pas t plus chanceuse que les autres. La Mre se lve pour rentrer. Je vais aller dormir maintenant. FILS : Moi, je reste. Je vais continuer compter les toiles. Elle quitte la scne. Obscurit progressive sur la scne tandis qu'on entend toujours la berceuse. LA BERCEUSE : (Une chanson)

FIN