Mathématiques Surdité -...

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Thérèse Mangeret Monique Bonnet Corinne Gardie Françoise Labouré Laurent Matillat Yves Navarro Mathématiques et Surdité Avec la collaboration de : Eric Dinée M-L. Dieutegard Institut de Recherche Sur l’enseignement des Mathématiques Académie de Lyon Université Claude Bernard, Lyon I – 43, bd du 11 novembre 1918 69622 Villeurbanne cedex OVE - SSEFIS Recteur P. Louis Service de Soutien à l’Education Familiale et à l’Intégration Scolaire des jeunes sourds 129, boulevard Pinel - 69500 Bron

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Thérèse Mangeret

Monique Bonnet Corinne Gardie

Françoise Labouré

Laurent Matillat Yves Navarro

Mathématiques et

Surdité

Avec la collaboration de :

Eric Dinée

M-L. Dieutegard

Institut de Recherche

Sur l’enseignement des Mathématiques

Académie de Lyon Université Claude Bernard, Lyon I – 43, bd du 11 novembre 1918

69622 Villeurbanne cedex

OVE - SSEFIS Recteur P. Louis Service de Soutien à l’Education Familiale et à l’Intégration Scolaire des jeunes sourds

129, boulevard Pinel - 69500 Bron

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Dessins de Claude Tisseron

Mise en page de Jean Barbier

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Mathématiques et surdité - Sommaire

Groupe maths-surdité, IREM, SSEFIS 3

SOMMAIRE

A) Introduction .................................................................................................................... 5

B) Le jeune sourd ................................................................................................................ 9

1) L’enfant sourd et les problèmes de communication

Corinne Gardie , Laurent Matillat, enseignants spécialisés auprès

de jeunes sourds, explicitent la relation entre la surdité et les

difficultés cognitives qui en découlent .............................................................................. 11

2) LSF, LPC

Langue des signes française, et langage parlé complété. Corinne Gardie...................... 17

3) Réflexions à partir de ma pratique de psychologue clinicienne

auprès de jeunes sourds et malentendants Contribution de ML Dieutegard (SSEFIS Recteur P. Louis) ............................................ 20

C) Enseigner à de jeunes sourds .................................................................................. 23

1) Généralités sur le sourd en classe

Comment se comporter en face d’élèves sourds. F. Labouré,

professeur-ressource pour les sourds, professeur en lycée professionnel ....................... 25

2) Mésaventures d’un professeur qui découvre sa classe de sourds

Monique Bonnet, professeur de mathématiques en collège, raconte

ses découvertes et ses déboires en face de sa première classe de sourds ......................... 29

3) Méthodes pédagogiques adaptées à l’enfant sourd.

Laurent Matillat, enseignant spécialisé, avec la collaboration de Corinne Gardie ......... 32

4) Le médiateur linguistique Eric Dinée, adulte sourd, du SSEFIS Recteur P. Louis, présente et analyse

son métier et témoigne de son expérience ........................................................................ 34

D) Enseigner les mathématiques à de jeunes sourds ........................................... 41

1) La reformulation

F. Labouré montre comment transformer les énoncés afin de les rendre

accessibles aux élèves sourds ........................................................................................... 43

2) Le questionnement

Quelles questions poser à nos élèves pour comprendre leurs difficultés.

Monique Bonnet. .............................................................................................................. 46

3) Méthodes pour enseigner et démontrer, en collège et lycée. Yves Navarro et Thérèse Mangeret, professeurs de mathématiques ,

en collège et lycée, expliquent leurs techniques pédagogiques,

expérimentées en face d’élèves sourds.

Yves Navarro ..................................................................................................................... 49

Thérèse Mangeret .............................................................................................................. 59

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E) Conclusion .................................................................................................................... 69

F) Annexes ........................................................................................................................... 73

1) Témoignages des membres du groupe : motivations et bilans individuels .................. 75

2) L’orientation des jeunes sourds, statistiques (source SSEFIS Recteur P. Louis) ................................................................................. 81

3) Sigles ............................................................................................................................. 83

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9 Groupe maths-surdité, IREM, SSEFIS

A. IntroductionA. IntroductionA. IntroductionA. Introduction

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Mathématiques et surdité - Introduction

Groupe maths-surdité, IREM, SSEFIS

7

Vous êtes enseignant et vous allez avoir un ou des élèves sourds pour la première fois. Vous

vous demandez comment communiquer avec eux, comment vous faire comprendre, comment les

comprendre.

Ou bien vous avez des sourds depuis déjà quelques années, vous avez réussi à régler quelques

problèmes, mais vous vous demandez quelles sont leurs difficultés spécifiques, quel rôle joue la

surdité dans ces difficultés, et comment y remédier au mieux.

Nous nous sommes posés ces questions, avec parfois un fort sentiment d’isolement ; c’est

pourquoi nous voulons dans ces pages, modestement témoigner de notre propre expérience des

élèves sourds, de nos façons d’enseigner les mathématiques à ce public spécifique.

Nous sommes un groupe de six enseignants, de primaire, collège ou lycée, réunis dans ce but sur

l’initiative de Thérèse Mangeret, soucieuse de ne pas partir à la retraite sans transmettre un peu

des méthodes qu’elle avait mises au point pour ses élèves sourds.

- Corinne Gardie est enseignante spécialisée auprès d’enfants sourds ; elle travaillait en

primaire, au CROP de Lyon.

- Laurent Matillat est enseignant spécialisé auprès d’adolescents sourds en grande difficulté

à l’Institut Lonjaret de Châtillon d’Azergues.

- Monique Bonnet est professeur de mathématiques au collège Picasso de Bron, elle devait

prendre en charge des élèves sourds pour la première fois.

- Yves Navarro est professeur de mathématiques au collège Dargent de Lyon 8e ; il

accueillait des élèves sourds depuis plusieurs années, en classe intégrée.

- Françoise Labouré est professeur de Mathématiques et Sciences au lycée professionnel

Flesselles de Lyon ; elle a occupé le poste de professeur ressource académique pour la

surdité pendant deux ans.

- Thérèse Mangeret était professeur de mathématiques au lycée la Martinière Duchère, Lyon

7e ; elle a enseigné en classe de seconde spécialisée près de 20 ans, et en 1

ère, terminale,

BTS, en classe intégrée.

Notre travail s’est partagé en phases :

- d’observation, où nous nous rendions dans nos classes respectives,

- de documentation, où nous lisions des textes concernant notre sujet, où nous consultions des

spécialistes,

- de réflexion, à partir de tous nos acquis,

- d’expérimentation des méthodes dans nos classes,

- d’écriture d’une monographie pour la DAFAP ;

enfin il a débouché sur un stage PAF : Mathématiques et surdité, en mars 2004.

Les réactions et les questions de nos 35 stagiaires ont permis de terminer l’élaboration de ce

texte.

Nous avons pu également bénéficier de la réflexion de professionnels extérieurs au groupe :

Eric Dinée, interface au SSEFIS Recteur P. Louis, lui-même adulte sourd, a participé à plusieurs

de nos réunions et est intervenu au stage ; il analyse son rôle dans la classe ;

Marie-Line Dieutegard, psychologue clinicienne, SSEFIS Recteur P. Louis, a résumé pour nous

quelques réflexions issues de son expérience.

Nous retenons trois idées essentielles concernant notre pratique :

- les élèves sourds et déficients auditifs présentent tous un déficit langagier et un gros déficit

culturel dont il faut tenir compte et qu’il faut combler dans la mesure du possible ; mais ils

n’ont aucun déficit cognitif, ils apprennent autant et aussi bien que les autres ;

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Mathématiques et surdité - Introduction

8 Groupe maths-surdité, IREM, SSEFIS

- plus encore qu’avec les élèves entendants, il est important de travailler le sens et la logique

des concepts, d’utiliser leurs erreurs pour les aider à progresser ; mais il est nécessaire

d’adapter notre langage, de reformuler les énoncés écrits, il est indispensable de travailler

davantage qu’avec des entendants le vocabulaire et la syntaxe de la matière ; avec certains

élèves, à cause d’une communication plus lente, il faut trier les notions essentielles du

programme ;

- l’adaptation pédagogique consentie par le professeur et l’attention portée à leurs manques et

à leurs difficultés sont tout à fait utiles aux élèves entendants, particulièrement à ceux qui

sont en difficultés « de français ».

Aidés au départ par le SSEFIS, pris en charge administrativement par la cellule innovation de la

DAFAP (PASI), nous avons travaillé ensemble quatre ans, pour sortir de notre isolement,

partager notre expériences et nos interrogations, si possible apporter des réponses, les faire

partager à des collègues qui pourraient en avoir besoin.

La continuité pédagogique de notre groupe, du CP au lycée, a constitué un point fort. Elle nous a

permis d’éclairer les difficultés des uns et des autres, de comprendre ce qui avait été fait aux

cycles précédents, de savoir ce que deviennent nos élèves par la suite, de donner de la cohérence

à nos méthodes.

Ce travail commun nous a permis de modifier nos pratiques, chacun y a trouvé un grand

enrichissement et veut le faire partager.

Nous tenons à remercier les institutions qui ont facilité notre travail :

- la DAFAP (PASI) pour son aide administrative et financière, son soutien et le suivi de notre

projet,

- le SSEFIS, qui nous a aidés et qui participe à la publication de cet ouvrage,

- le lycée la Martinière Duchère de Lyon, qui nous a hébergés,

- le CROP de Lyon,

- l’IREM de Lyon, pour l’intérêt porté à notre travail, et pour la publication de cet ouvrage.

Nous remercions aussi vivement Jean BARBIER pour son travail de mise en page et Claude

TISSERON pour les illustrations.

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9 Groupe maths-surdité, IREM, SSEFIS

Mathématiques et surdité - Introduction

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Groupe maths-surdité, IREM, SSEFIS

B. Le jeune sourdB. Le jeune sourdB. Le jeune sourdB. Le jeune sourd

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Mathématiques et surdité – L’enfant sourd

10 Groupe maths-surdité, IREM, SSEFIS

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Mathématiques et surdité – L’enfant sourd

Groupe maths-surdité, IREM, SSEFIS 11

1) L’enfant sourd et les problèmes de communication.

L’acquisition du langage chez l’enfant

Corinne Gardie et Laurent Matillat

Afin de comprendre les éventuels problèmes de communication de l’enfant sourd, il nous faut

rappeler comment se développe le langage chez l’enfant entendant.

I) Le développement du langage chez l’enfant entendant

Ce développement commence dès la naissance, le nourrisson interagit avec son entourage

familier selon ce qu’il pense que l’enfant veut dire ou demander. Le bébé répond en fonction de

ses perceptions.

Les premiers échanges entre l’adulte familier et le nourrisson au cours de ses six premiers mois

de vie se définissent comme la construction du dialogue inter-subjectif.

« Pendant cette période, la mère et l’enfant élaborent ensemble, par ajustements mutuels, des

signaux de communication souvent très subtils (émissions vocales, sourires, regards, expressions

de visage, mouvements et attitudes du corps…). Ces signaux […..] permettent pourtant à la mère

et à l’enfant de « converser » ensemble à propos de ce qui existe entre eux dans l’ « ici et

maintenant » »1

C’est [….] « au cours du deuxième trimestre de la vie de l’enfant que la mère et l’enfant

apprennent à « parler » ensemble de ce qui leur est extérieur ; leurs actions conjointes pourront

se porter vers un objet extérieur à la dyade, et les objectifs de ces actions vont se diversifier2 ».

Cette deuxième phase a été appelée l’inter-subjectivité secondaire.

Pour J.S. Bruner (1995), les interactions avec l’entourage sont les conditions d’interactions

linguistiques nécessaires à l’acquisition du langage. Elles se construisent entre l’entourage et

l’enfant selon différentes procédures (ou formats d’interaction), dont la première est l’attention

conjointe vers l’extérieur.

1) L’attention conjointe vers les objets du monde extérieur.

Il se met en place une coordination regard - geste – action entre les acteurs de la communication

afin de se focaliser sur l’objet « ici et maintenant ».

Ainsi, l’adulte secoue, montre un ballon devant l’enfant en accompagnant oralement ses

mouvements du discours suivant : « Oh, le ballon, regarde le ballon… ».

Des interactions vont alors se mettre en place. Ainsi, l’adulte pourra lancer le ballon à son

compagnon en lui disant « attrape le ballon » et l’enfant tentera de s’en saisir. A ce stade, la

deuxième procédure va être mise en œuvre. Il s’agit de la structure conversationnelle.

2) La structure conversationnelle.

Elle est donnée par l’alternance des tours de rôle. L’adulte suit ce que dit (ou fait l’enfant) et

réciproquement. En reprenant l’exemple précédent lorsque l’enfant tentera de saisir le ballon,

l’adulte l’encouragera « oui, c’est bien, attrape le ballon… ». L’enfant émettra alors, à son tour 1 LEPOT – FROMENT C., CLEREBAUT N., L’enfant sourd, de Boeck université, Bruxelles, 1996, p.61.

2 Ibidem

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Mathématiques et surdité – L’enfant sourd

12 Groupe maths-surdité, IREM, SSEFIS

des sons, des « paroles » ou des actions auxquels l’adulte sera attentif et donnera du sens qu’il

renverra alors à l’enfant « oui, tu as presque attrapé le ballon… » Ou « oui, maintenant lance le

ballon ».

Un second exemple illustre bien ces procédés de communication. Il s’agit de l’arrivée du père.

On suppose que la mère et l’enfant sont à la maison, la mère entendant les pas du père ou la

voiture, attire l’attention de l’enfant « Oh, écoute, j’entends papa qui arrive ». Elle va tourner

alors son regard vers la porte d’entrée et attirer également l’attention de l’enfant vers la porte

d’entrée qui va s’ouvrir, livrant passage au père.

La structure conversationnelle peut alors se décliner ainsi : la mère dit « oui, c’est papa, bonsoir

papa » et attend les réactions de l’enfant qui va émettre des mouvements comme tourner la tête

en direction de la porte, sourire, babiller... La mère reprendra, à son tour, la « conversation » :

« oui, tu es content, c’est papa qui arrive… et l’enchaînement des « tours de parole » va se

poursuivre.

L’imitation des émissions vocales de l’enfant structure également les interactions langagières.

3)Les reprises imitatives et interprétatives marquent les débuts de l’imitation.

La mère imite les productions vocales de son enfant. Ainsi, si l’enfant émet « ba, ba, ba » à

l’arrivée du père, la mère va reprendre et interpréter cette émission en renvoyant à son enfant,

« papa, tu dis papa …».

Le comportement de l’enfant est ainsi repris, interprété par l’entourage. Celui-ci va sélectionner

et reprendre les émissions de l’enfant jugées pertinentes, les lui renvoyer dans un feed-back

dialogique, les justifier. Le comportement langagier de l’enfant est alors encouragé, valorisé et

prend alors à ses yeux, du sens et se justifie.

Ainsi, l’entourage va extraire d’une série de sons « ba, pa, pa, pa, pa, ba », en fonction du

contexte, « papa ou ballon » en renvoyant « oui, tu appelles papa », « oui, c’est un ballon ».

Il faut souligner ici le rôle du désir, qui est important.

La façon dont l’enfant va percevoir le désir de communiquer de son entourage et la qualité des

interactions influenceront sa façon de s’inscrire dans le langage.

L’acquisition du langage que nous venons de décrire concerne tout enfant. Celle de l’enfant

sourd va rencontrer des difficultés qui rendront son histoire singulière.

II) Le développement du langage chez l’enfant sourd :

Il va dépendre de toute une intrication de facteurs.

Les facteurs audiologiques :

Plus la déficience auditive est importante, plus elle est profonde et acquise tôt dans le

développement de l’enfant, plus les interactions langagières orales seront altérées, parcellaires et

lacunaires. L’enfant percevra peu (voire pas) les messages oraux qu’on lui adresse et renverra à

son entourage des réponses différentes de celles que celui-ci espérait. Ces réponses pourront

créer, une frustration communicationnelle importante pour l’entourage voire un certain

découragement à communiquer avec lui.

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Mathématiques et surdité – L’enfant sourd

Groupe maths-surdité, IREM, SSEFIS 13

Les facteurs cliniques généraux :

Ils jouent également un rôle très important. En effet, des hospitalisations précoces, répétées, des

maladies de la petite enfance ayant entraîné des séparations peuvent fragiliser l’enfant et rendre

plus difficiles les approches éducatives qui exigent, à la fois, de l’attention et une capacité à

résister aux frustrations.

Les facteurs génétiques : interviennent également.

A courbes audiométriques égales et dans des contextes similaires, certains enfants présenteront

des compétences remarquables pour lire sur les lèvres (lecture labiale) et pour décoder les

éléments phonétiques de la langue orale. D’autres enfants, dont la déficience auditive est

pourtant comparable ne possèdent pas ces prédispositions.

Les facteurs familiaux, sociaux et culturels : sont extrêmement importants.

L’investissement de la famille dépend, lui-même, d’une multiplicité de facteurs. Les

représentations parentales de la parole, du rôle du langage, de l’écrit vont influer sur

l’acceptation de la surdité et de ses conséquences et donc, sur la façon d’être et de communiquer

avec l’enfant.

Les facteurs subjectifs :

Ils jouent un rôle majeur. Tout enfant donne du sens aux perceptions qu’il ressent, à ce qu’il

éprouve corporellement. Ces représentations seront secondairement corrigées, affinées grâce aux

interactions langagières avec son entourage.

Chez les enfants sourds, pour qui la représentation visuelle est la modalité de perception la plus

immédiate et la plus opérante, les corrections et l’affinement par le langage seront plus difficiles.

Ainsi, un jeune enfant sourd me faisait part de son étonnement de ne pas voir monsieur Martin

alors qu’il pleuvait. Je ne comprenais pas le lien entre cette personne et la pluie. Or, il avait vu

cette personne auparavant, au moment où se déclenchait une averse, et il en avait déduit qu’il y

avait un lien de cause à effet entre l’arrivée de cette personne et la pluie ! Un enfant entendant

aurait plus facilement pu faire part ce cette déduction à son entourage et celui-ci lui aurait

expliqué qu’il s’agissait d’une coïncidence et non d’un lien de cause à effet.

De même, lors de la visite d’une usine d’incinération, une enfant de douze ans a expliqué à l’une

de mes collègues qu’auparavant, elle croyait qu’il s’agissait d’une «usine à fabriquer les

nuages». En effet, du fait de l’incinération, des « nuages » de fumée flottaient en permanence au-

dessus de l’usine. La perception visuelle, rapportée à ses connaissances (les nuages), l’avait

conduite à cette hypothèse. Ma collègue l’a alors interrogée en lui demandant à qui elle en avait

fait part, elle répondit qu’elle en parlait pour la première fois car sa famille communiquait

difficilement avec elle et que c’était vrai pour elle puisqu’elle voyait les nuages ! Ceci peut

expliquer les difficultés de géométrie qu’ont certains collégiens sourds à démontrer la nature

d’une figure car ils l’ont dessinée et ils voient que c’est, par exemple, un carré. La perception

visuelle est alors considérée comme une vérité.

Pour l’enfant sourd qui ne bénéficie pas d’une modalité linguistique adaptée avec son entourage

familial, « le bain de langage dans lequel évolue naturellement tout enfant entendant, se réduit

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Mathématiques et surdité – L’enfant sourd

14 Groupe maths-surdité, IREM, SSEFIS

souvent à quelques gouttes d’eau au fond de la baignoire » comme le fait remarquer F. Delhom,

linguiste et professeur au C.N.E.F.E.I. de Suresnes. Certaines idées ou représentations fausses ou

incomplètes qui se forment dans l’esprit d’un jeune sourd, sont non corrigées (ou le sont

partiellement) en fonction de ses possibilités d’expression et de sa compréhension des réponses

qu’on lui adresse. Elles vont perdurer et le gêner dans sa compréhension du monde et dans

l’élaboration de son langage.

Certains concepts comme celui de la construction du temps pourront être altérés du fait de la

déficience auditive de l’enfant si l’entourage n’aménage pas le milieu où vit l’enfant.

Un bébé entendant qui a faim pleure pour réclamer son biberon, il ressent une frustration car le

biberon ne lui est pas fourni dès ses premiers pleurs. Il attend, tout en entendant, sa mère bouger

des ustensiles dans la cuisine et lui parler : « Attends, tu as faim mais le biberon arrive ». Petit à

petit, il associe les bruits de préparation à une réponse à son besoin.

L’enfant sourd, lui, va pleurer puis se sentir frustré, mais il n’entendra ni les éléments sonores, ni

la voix de sa mère qui donne sens à son attente. Ensuite, surgira brutalement le biberon dans son

champ de vision.

La construction psychologique et la notion de temps seront développées d’une façon très

différente par les deux bébés. Des architectes ont proposé des maisons avec un mur de séparation

en verre entre la cuisine et d’autres pièces de la maison pour pallier ce type de problèmes mais

elles sont très onéreuses… J’ai questionné une mère de famille sourde qui a des enfants sourds à

ce sujet. Elle m’a expliqué qu’elle installait son enfant dans un siège bébé dès les premiers pleurs

et le plaçait sur la table de la cuisine d’où il pouvait suivre tous ses faits et gestes.

La communication intersubjective mère - enfant est un facteur prédominant.

L’établissement des relations affectives précoces se construit sur l’attachement mais ne se réduit

pas à celui-ci. Les ressentis maternels et les représentations de l’enfant par la mère jouent un rôle

important dans la qualité des relations affectives précoces.

Les parents entendants d’un enfant atteint de déficience auditive vont, à l’issue du diagnostic,

devoir faire le deuil de l’enfant entendant qu’ils imaginaient. La mère peut alors ressentir des

sentiments qui peuvent se décliner sur un mode de culpabilité, d’agressivité inconsciente contre

« l’enfant porteur de malheur ». Certaines mères pourront, au moment où les interactions sont

fondamentales avec leur enfant, cesser de lui parler et ne plus savoir comment se comporter avec

leur enfant puisqu’il n’entend pas. Certaines, vont se transformer, à l’excès, en rééducatrice de

leur enfant.

Le caractère de l’enfant, sa confiance en lui, la qualité affective de ses relations avec les autres et

sa tolérance à la frustration vont être influencés par les modalités et la qualité de cette

communication précoce.

Ce processus n’est pas uniquement d’ordre linguistique, il est aussi d’ordre cognitif et enfin

affectif dans la mesure où l’ensemble du développement affectif va être associé à des

significations sur la modalité gestuelle visuelle.

Suite à l’annonce de la surdité, les parents se trouvent confrontés à un choix abrupt entre des

moyens de communication qui vont privilégier l’audition et la parole (la voie audio-phonologique) et ceux qui les conduisent vers une voie gestuelle ou visuo-gestuelle.

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Mathématiques et surdité – L’enfant sourd

Groupe maths-surdité, IREM, SSEFIS 15

Les facteurs de modalité linguistique en usage avec les parents et les professionnels

qui entourent le jeune sourd sont importants même s’ils ne sont pas décisifs. En effet, le choix

des modalités communicationnelles : voie audio - phonologique, voie visuo-gestuelle ou une

voie conjuguant celles-ci se révèlera adaptée ou non selon le degré de surdité de l’enfant, son

âge, ses compétences intellectuelles et perceptives, l’investissement parental, la maîtrise de mode

ou du moyen de communication choisi, sa construction psychologique…

Tous les facteurs décrits ci-dessus, interagissent entre eux de façon complexe. L’orientation de

l’enfant vers telle ou telle voie communicationnelle est impossible à prévoir a priori. Il s’agit en

fait d’une solution adaptative individuelle.

•••• La voie audio-phonologique :

Si l’enfant est atteint d’une déficience auditive importante, son évolution spontanée ira vers la

surdi-mutité. L’appareillage précoce dont l’implantation cochléaire permet de générer une

perception auditive même chez des enfants à la surdité très profonde.

L’enfant sourd peut bénéficier d’informations à partir de l’oral qui lui est adressé, grâce à la

lecture sur les lèvres (ou lecture labiale) qui contribue à une perception partielle des formes de la

parole.

Il existe cependant de très nombreux sosies labiaux : maman et papa, bateau et manteau, seront

ainsi perçus comme identiques en lecture labiale.

Le L.P.C. ou Langage Parlé Complété est une technique (et non une langue) qui permet à

l’enfant de contourner les confusions labiales.

Pour certains enfants sourds, cette technique permet un apprentissage du français oral qui devient

alors leur langue première. L’intégration scolaire de l’enfant sourd est alors fortement valorisée

dans une visée normative.

Cependant, le langage ne peut être uniquement considéré comme un « outil » de communication.

Il a un rôle important dans la construction de l’identité psychique de l’enfant et dans le

développement de sa compréhension du monde.

L’enfant est souvent obligé de faire des hypothèses pour la compréhension du sens du message,

et de laisser en suspens des éléments de signification, qu’il utilisera ou non, dans la construction

du sens final.

Ainsi, un jeune enfant entendant qui voit un car pour la première fois, pourra penser qu’il s’agit

d’un camion s’il connaît ce type de véhicule et le mot qui s’y réfère. Il dira à son

entourage : « un camion » ou « je vois un camion » et l’entourage précisera alors qu’il ne s’agit

pas d’un camion mais d’un car, en ajoutant des précisions orales afin de lui permettre de

différencier les deux véhicules.

Pour l’enfant sourd, l’expression vocale demande une forte concentration et une tension

intérieure pour le contrôle de la parole. Plus les énoncés sont complexes et longs, plus la

concentration et la tension seront importantes.

De même, les précisions orales apportées par l’entourage demanderont une concentration sur les

mouvements des lèvres et les paramètres manuels du L.P.C.

Ce traitement des informations prend du temps et fatigue l’enfant, et entraîne, en conséquence,

un déficit d’informations. Souvent, les informations non adressées directement à l’enfant (le

discours lâche) sont réduites, résumées ou ne lui sont pas formulées.

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Mathématiques et surdité – L’enfant sourd

16 Groupe maths-surdité, IREM, SSEFIS

Peu de parents parviennent à donner à l’enfant tous les éléments langagiers qui ne lui ne sont pas

adressés directement. Or, ceux-ci sont très importants pour la compréhension des situations et la

connaissance du monde. Ces éléments participent également à l’augmentation et à

l’enrichissement du vocabulaire, ce qui explique, en partie, le déficit lexical observé chez

certains enfants sourds.

L’une des professionnelles qui travaillait avec moi, elle-même sourde sévère, qui oralisait et se

révélait très compréhensible, me confiait sa frustration enfantine lors des repas familiaux où les

énoncés oraux lui échappaient en grande partie. Lorsqu’elle demandait : « de quoi parlez-

vous ? », elle recevait une réponse synthétique et brève en comparaison de la durée et la richesse

des échanges oraux !

•••• La voie visuo-gestuelle : Le milieu familial (dont celui composé de parents sourds)

s’engage vers une communication mimique et gestuelle. Celle-ci prend alors sens précocement

dans le plaisir de l’interaction mère-enfant. Cette modalité communicationnelle est la Langue des

Signes Française (L.S.F.). Certains parents utilisent des modalités gestuelles qu’ils créent au sein

de la famille, ce qui va poser certains problèmes de compréhension lorsque l’enfant

communiquera hors de son milieu familial. Ainsi, l’un de mes élèves sourds utilisait le signe

lexical [LUNDI] de la L.S.F. qui était une création familiale pour signifier le prénom de son frère

cadet entendant, né un lundi. Son frère fréquentait une école ordinaire différente de la sienne. Il

ne pouvait donc jamais être à l’école avec lui. Cependant, il confondait le jour lundi avec le

prénom de son frère. Son frère et lundi constituaient, à ses yeux, une seule entité. Il m’a été très

difficile de lui faire comprendre qu’il pouvait être, en classe, le lundi, sans que son frère y soit.

Le choix de la L.S.F. qui constitue une langue étrangère pour les parents (sauf s’ils sont eux-

mêmes sourds) mais une langue première pour leur enfant témoigne d’une volonté de l’accepter

dans sa différence. Cette démarche exige un investissement coûteux (sur le plan cognitif, moral

et social). En effet, l’apprentissage de cette langue est long (comme toute langue) et « montre »,

expose au regard d’autrui la différence de l’enfant.

Ceci explique que beaucoup d’enfants sourds ne rencontrent la véritable Langue des Signes que

dans les collectivités d’enfants ou d’adultes sourds. Les parents qui choisissent cette option

s’orientent alors vers des structures spécialisées qui prennent en compte la Langue des Signes

dans et pour les apprentissages.

Entre ces deux positions, il existe des voies médianes employées par certains enfants sourds.

•••• Les voies médianes :

Certains d’entre eux parlent le français oral et utilisent, en parallèle, les signes du lexique de la

L.S.F. pour améliorer l’intelligibilité de leurs messages (dans la mesure où leur interlocuteur les

connaît).

D’autres utilisent l’oral mais la syntaxe de leurs phrases relève de celle de la L.S.F. Ils

produisent des énoncés incorrects au regard de la grammaire française. Ils « habillent »

artificiellement la syntaxe gestuelle de mots du français oral pour mieux se faire comprendre.

Quelle que soit la voie choisie, le sens des unités linguistiques (mot ou signe, ou mot et signe)

va devoir se construire au fil des expériences et des échanges, dans un langage intérieur

(interne à l’enfant) et dans un langage socialisé (partagé avec les membres de la communauté

parlant cette langue).

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Mathématiques et surdité – L’enfant sourd

Groupe maths-surdité, IREM, SSEFIS 17

2) LSF, LPC Corinne Gardie

L.S.F Langue des Signes Française

L.P.C Langage Parlé Complété ou Cued-speech

déf

init

ion

« Les communautés de sourds, ont de par le

monde, élaboré un mode de communication

original et diversifié : les langues des signes. […]

On parle donc de langue des signes allemande,

anglaise, française, etc. » Séro-Guillaume P.,

L’interprétation en Langue des Signes Française

(L.S.F.), thèse de doctorat, Université de la

Sorbonne Nouvelle (PARIS III), 1994, p.4.

On emploie le terme « signer » pour indiquer que

l'on « parle » la L.S.F.

« C’est un système d’aide à la lecture labiale; les

gestes n’ont pas de raison d’être en dehors de la

parole. Ce système s’inscrit dans une perspective

oraliste. » Ce système d’aide est un système

syllabique et phonétique "Rondal J., Henrot F.,

Charlier M., Le Langage des signes, Bruxelles,

Mardaga, 1986, p.49. Il été mis au point par O.

Cornett. « On […] code gestuellement les

phonèmes de la parole selon une découpe

syllabique » (Ibidem p.49). On code intégralement

ce que l'on dit.

Fo

nct

ion

nem

ent

Quatre paramètres au niveau des mains du

locuteur :

- Configuration : la forme de la main.

- Emplacement : de la main par rapport au

corps.

- Orientation : dans l’espace

tridimensionnel.

- Mouvement : intensité, ampleur,

directionnalité, rapidité, itérativité

Le principe repose sur 8 configurations de la main

représentant les consonnes qui sont combinées à 5

positions sur la face et le cou représentant les

voyelles (pour la langue française).

« […] Seuls les phonèmes-sosies labiaux ont

un complément différent, les phonèmes

directement identifiables en lecture labiale ayant

un complément identique. » (Ibid. p.49)

« c’est un système phonématique […] »

(Ibid. p.49)

Sta

tut

lin

gu

isti

qu

e La Langue des Signes Française est une vraie langue et non un code. Elle dispose d'un lexique

(vocabulaire), d'une grammaire et d'une syntaxe

qui lui sont propres.

Le L.P.C est un code gestuel qui reprend la

structure de la langue orale.

" Le système est conçu de manière à compléter la

lecture labiale de façon naturelle, en ajoutant

sélectivement de l’information discriminative "

(Lepot-Froment C., Clerebaut N., L'enfant sourd,

Communication et langage, Bruxelles,De Boek

Université, 1996, p. 286.

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Mathématiques et surdité – L’enfant sourd

18 Groupe maths-surdité, IREM, SSEFIS

Av

an

tag

es

La L.S.F. permet de faire entrer très tôt l'enfant sourd dans la communication, aussi tôt que l'enfant

entendant.

- « Elle permet l'accès à la généralisation,

conceptualisation, et à l'abstraction qui peut alors se

faire naturellement. […]. La construction du concept

se rapproche de celles des enfants entendants. Peu à

peu, le signe souvent symbolique recouvre le concept

ainsi construit […] »

AVEROUS A., BONNAL F., « Pourquoi le

bilinguisme dans le second degré ? » Le Courrier de

Suresnes, n°63, 1995.

- La L.S.F. est une langue. Elle permet toutes les

fonctions du langage et a un fonctionnement

autonome.

- Elle permet à l'enfant déficient auditif un fonctionnement linguistique et cognitif comparable à celui de l'enfant entendant avec le

français oral. Il pourra s'inscrire dans une

communication précoce et réelle avec son entourage.

- L'enfant peut être en position d'émetteur et de récepteur dans la communication.

- L'enfant ne reste pas dans l'incompréhension des messages qu'on lui adresse, il peut exprimer ses

doutes, ses peurs, ses questionnements.

- Il possédera une première langue et ses règles de fonctionnement. Il aura la maîtrise des règles de la

communication. Cela facilitera son apprentissage du

français oral et écrit.

(Fournier C., Delhom M., Bouillon, Kettler,

Moyens de communication et solutions éducatives

dans la scolarisation des enfants et des adolescents

déficients auditifs, Paris, 1985.)

- Il n’y a pas de retard cognitif En effet, l’expression gestuelle de l’enfant lui permet

de s’exprimer, de signifier ses émotions, son ressenti,

d’exprimer ses hypothèses à son entourage qui pourra

ainsi y avoir accès et les rectifier dans une modalité

adaptée à l’émission comme à la réception.

- Amélioration significative de la lecture labiale et de la compréhension du message oral.

- L'information avec la lecture labiale et un appareillage prothétique dépasse rarement le taux de 50% (40% selon Rondal) pour les sourds

profonds avec le L.P.C., le taux d'intelligibilité est

de 100 % dans les meilleurs cas, 90% sinon.

- Il peut être utilisé dès le début de la communication.

- Il est facile à apprendre par les adultes entendants

(une dizaine d'heures). Parallèlement, la L.S.F. est

moins rapide à apprendre.

- S’il y a un bon entraînement du codeur, le débit de la parole est normal.

- Il influence positivement l'acquisition de la morphosyntaxe

- Il favorise l'utilisation de la parole intérieure

- Il permet les représentations internes de la parole

- Il favorise et/ou permet la détection et la production de rimes.

- Il facilite la mémorisation.

Par « mémoriser, il est fait référence ici à l’habileté à

rappeler, dans l’ordre et immédiatement après leur

présentation, des listes d’items qui peuvent être

dénommés ». (Lepot-Froment C., Clerebaut N., L'enfant

sourd, Communication et langage, Bruxelles, De Boek

Université, 1996p. 304. "

- Avantage également en lecture / écriture

L’écrit français encode les séquences orales de la parole

grâce au codage alphabétique. Une lettre ou un groupe

de lettres codent un son (correspondance graphèmes -

phonème). Lorsqu’un enfant lit oralement, il reproduit

une séquence sonore. Pour comprendre celle-ci, il est

nécessaire qu’il ait pu lui associer un sens, une

représentation, une image mentale. Le L.P.C., en

favorisant la compréhension des séquences phonétiques

de la parole, facilite ainsi la compréhension de l’écrit.

Sinon, l’enfant procède à une lecture globale du mot.

De même, pour écrire un mot, si l’élève peut évoquer la

succession des sons (phonèmes) qui le composent et

connaît le principe alphabétique, il pourra s’appuyer sur

l’oral ou l’évocation de l’oral pour écrire le mot. Dans

le cas contraire, il devra mémoriser la suite des lettres

qui composent le mot sans support

- Il n’y a pas de retard cognitif

(L’enfant sourd, p. 289 à 311)

Dans l’hypothèse, où l’enfant parvient à construire à

l’aide du code, le français oral comme sa langue

première. Cela suppose que tous (ou la majorité) des

échanges langagiers, adressés directement, ou non à

l’enfant, soient codés par son entourage et que celui-ci

maîtrise le décodage. De plus, il faut que l’utilisation du

code soit précoce et que l’enfant puisse exprimer ses

représentations et ses hypothèses d’une façon

suffisamment compréhensible pour que l’entourage

puisse les compléter et les affiner.

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Mathématiques et surdité – L’enfant sourd

Groupe maths-surdité, IREM, SSEFIS 19

Inco

nv

énie

nts

- La majorité des enfants sourds naît de parents entendants, qui ne pratiquent pas la L.S.F. : 90 % des enfants déficients

auditifs naissent de parents entendants.

« Comment croire que des parents entendants

même les plus motivés pourront acquérir

cette compétence sur le tard, […] qu’ils ne

proposeront pas de mauvais modèles

linguistiques, des constructions fautives, et

des signes approximatifs […] »

- La L.S.F. ne possède pas d'écrit

« P. Ricœur dans " Evénement et sens dans le

discours " rappelle que l'écriture fixe la parole

en la soustrayant à la disparition, l'ouvre sur

un monde qui l'arrache à la seule situation de

dialogue et à la simple intentionnalité du

locuteur, lui donne enfin une audience

illimitée. Ces fonctions, la L.S.F., langue

orale, ne les assure pas ou pas au même

degré. »

"Les manifestations […] culturelles de la

L.S.F; sont vouées à l’éphémère […] sans

enregistrement vidéo. "

(Fournier C., Delhom M., Bouillon,

Kettler, Moyens de communication et

solutions éducatives dans la scolarisation des

enfants et des adolescents déficients

auditifs, Paris, 1985.)

- Le L.P.C. ne fonctionne pas de manière autonome. Il doit être articulé à la langue

française orale.

- Au début, l'émission et la réception sont rendues difficiles. L’enfant est longtemps

placé en situation de récepteur et non d’émetteur. Il existe donc un risque que

l’enfant soit davantage considéré comme un objet qui reçoit les paroles de son entourage et

les modèles linguistiques qu’elles véhiculent et

non comme un sujet, qui non seulement,

reçoit des éléments langagiers, mais s’exprime

également, en émettant, à son tour, des

énoncés.

- "Même très exercé, il est difficile pour le

praticien de traduire la prosodie (rythme,

intonation, mélodie), en particulier dans les

premiers échanges langagiers, surtout

hypocoristiques." (Fournier C., Delhom M.,

Bouillon, Kettler, Moyens de communication et

solutions éducatives dans la scolarisation des

enfants et des adolescents déficients auditifs,

Paris, 1985.)

- "L'aide que le cued-speech apporte à la lecture

labiale peut avoir un effet pervers en diminuant

l'attention du sujet à la lecture [labiale] seule.

Or, devenu adulte, le jeune sourd vivra dans un

monde qui ne pratiquera pas le L.P.C. et la

lecture sur les lèvres restera pour lui le moyen

essentiel pour comprendre la parole d'autrui."

(Ibid.)

- " Il existe quelques cas d'échecs, dans le cadre de

l'éducation précoce, les enfants n'ayant pas

compris que la valeur des kinèmes n'existait

qu'en relation avec les configurations labiales :

pour eux, les gestes étaient devenus des signes,

c'est-à-dire des unités signifiantes; à partir de

cette erreur, le processus d'acquisition du

système n'avait pu se développer normalement.

On a noté parfois aussi des problèmes

d'analyse visuelle chez certains sujets." (Ibid.)

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Mathématiques et surdité – L’enfant sourd

20 Groupe maths-surdité, IREM, SSEFIS

3) Réflexions à partir de ma pratique de psychologue clinicienne auprès de jeunes sourds et malentendants Marie-Line Dieutegard, psychologue clinicienne, SSEFIS Recteur P.Louis

Il n’y a pas une surdité mais des surdités ni un milieu éducatif mais des milieux éducatifs, des

approches culturelles, sociales différentes.

A degré de surdité égal, deux sujets peuvent développer des capacités de communication orale et

écrite très différentes. En effet, les répercussions de ce handicap sensoriel dans le développement

du sujet seront tributaires de :

� l’âge du dépistage

� le degré de surdité

� la réaction parentale et familiale (stimulation éducative)

� l’appartenance à une famille sourde ou entendante (présence de la L.S.F.)

� précocité de la prise en charge (appareillage, implant, rééducation…)

� qualité des interactions familiales

Il est important de préciser qu’il n’existe pas à proprement parler de structure psychologique

spécifique de l’enfant sourd.

On peut toutefois identifier, chez le jeune déficient auditif, un certain nombre de traits,

d’attitudes communes mais cela ne constitue pas un profil psychologique.

Il est également difficile de dissocier ce qui peut être une conséquence directe du handicap de

l’ensemble des autres facteurs possibles (cf. : les points cités plus haut).

Quelques caractéristiques communes repérées

On peut observer parfois la présence d’une certaine « rigidité intellectuelle » avec difficultés

pour ces sujets à effectuer des généralisations, à se mouvoir aisément d’un cadre de référence à

un autre en établissant des liens. La pensée manque alors de labilité.

On peut également repérer aussi une forme de « passivité intellectuelle » qui met le sujet dans

une position à attendre beaucoup de celui qui sait d’où la création de liens de dépendance à

l’enseignant, une baisse de la prise d’initiative, une autonomie et une créativité dans le travail

plus inhibées.

Quant aux jeunes enfants sourds profonds, privés de paroles rassurantes et accompagnatrices

pour les guider dans leur découverte du monde et d’eux même, ils sont souvent soumis à

« l’intrusion ». Ils peuvent grandir sous le signe d’une double dépendance :

- Dépendants vis à vis de leurs perceptions solitaires (vue, olfaction, toucher…) qui ne

sont que très peu métaphorisées par des mots.

- Dépendants d’adultes tutélaires.

Le temps de l’exploration est souvent teinté de l’ignorance du sens. L’enfant sourd profond est

souvent privé de l’expérimentation et de l’effet « feed-back » du langage qui aident à consolider

les processus d’autonomie. D’où l’intérêt et le développement depuis quelques années des

accompagnements précoces.

Par ailleurs, dans son expérimentation sur le réel, le jeune sourd va le plus souvent considérer

Les états plus que les transformations (cf. prévalence du visuel) Ce constat nous fait entrevoir la

fragilisation du rapport de cause à effet. De plus, son expérience sur le réel n’est pas renforcée

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Mathématiques et surdité – L’enfant sourd

Groupe maths-surdité, IREM, SSEFIS 21

par l’effet rétro-actif de la langue qui permet d’affiner et de renforcer les schèmes déjà construits

par l’expérience et élaborer ainsi de façon plus sûre son champ de connaissance.

On peut peut-être penser également que le jeune sourd utilise des chemins différents pour

mémoriser : utilisation bien sûr du circuit visuel… augmenter le nombre d’informations sans

parfois les relier à des schèmes préalablement établis par des situations psycho-affectives où il y

aurait eu l’effet feed-back du langage. C’est un montage qui peut paraître plus artificiel, moins

intégratif.

De plus, l’étayage apporté à ces jeunes enfants sourds ou malentendants dans les différentes

sphères : rééducative, pédagogique ou familiale conduit parfois le jeune sujet à développer une

certaine passivité et à manquer d’anticipation sur les actions à mener. L’aide peut parfois réduire

son champ d’activité sur le réel et créer ainsi une certaine forme de dépendance.

L’accompagnement doit tenir compte de ces paramètres.

Il faut aussi préciser qu’en période adolescente, leur quête identitaire est similaire à celle des

autres mais pour eux, dans ce contexte préalable de dépendance, il s’agit d’une recherche

d’autant plus difficile à formuler, à élaborer et qui débouche sur la prise de conscience du

caractère irréversible de leur surdité.

Des phénomènes réactifs peuvent apparaître tels que le déni de leur handicap (surtout pour les

malentendants qui peuvent, dans l’interaction avec les entendants soutenir une certaine

illusion… port des appareils irrégulier…), le repli sur soi, l’instabilité de l’humeur, des épisodes

de somatisations.

Plus que les autres, l’enfant sourd puis l’adolescent va être davantage placé dans un processus

d’imitation et d’identification à celui qui sait. Son sens vif et ancien de l’hyperadaptation au

désir de l’Autre amène, chez lui, une difficulté à contacter, discriminer ses propres besoins et

désirs.

Enfin, il faut rappeler qu’il n’y a pas d’intégration sans souffrance… car c’est forcement pour

ces jeunes prendre conscience de leur différence, de leur handicap, de leurs limites.

C’est aussi développer des défenses : dans des processus d’évitement, de banalisation, dans

l’illusion parfois d’être comme…

- Dans des luttes contre la dévalorisation, la disqualification (venant des autres et de lui-même)

- Dans l’écart existant entre le milieu parfois sur-protecteur d’une famille et la dureté de la

rencontre avec ses contemporains entendants.

C’est devoir travailler plus, faire preuve de plus d’attention, de concentration relatives à l’effort

de suppléance mentale nécessaire dans les contextes d’apprentissage et de communication.

Une dernière petite remarque concernant les classes spécialisées où l’effectif est réduit ; c’est le

cadre d’un petit groupe qui met chaque sujet sous le regard et l’attention de l’enseignant… et de

ses camarades : difficile de souffler, de s’échapper… même si ce cadre de travail permet une

écoute plus juste du rythme de chacun et un apprentissage plus efficace, il peut, à certains

moments, devenir lourd et source de perturbations pour certains élèves.

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Mathématiques et surdité – L’enfant sourd

22 Groupe maths-surdité, IREM, SSEFIS

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Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon - SSEFIS

C. Enseigner à de

jeunes sourds

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Mathématiques et surdité – Enseigner à de jeunes sourds

24 Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS

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Mathématiques et surdité – Enseigner à de jeunes sourds

Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS 25

1) Généralités sur l'élève sourd en classe Françoise Labouré

Enseigner aux sourds peut paraître une mission impossible. Il n'en est rien et pour réussir au

quotidien il faut suivre son instinct mais il est utile aussi, pour se rassurer, de se référer à

quelques idées basiques.

Je m’appuie sur l'expérience que j'ai des élèves sourds intégrés en Lycée Professionnel en classe

ordinaire ou en classe spécialisée et sur les réflexions échangées avec des collègues de toutes

disciplines et de tous niveaux pour vous indiquer le comportement qui me parait susceptible de

vous aider efficacement pour obtenir des résultats plutôt satisfaisants et réconfortants.

AVANT D’ACCUEILLIR UN ÉLÈVE SOURD, il est utile de :

� Se renseigner sur sa surdité (origine, degré…), sur sa capacité à y remédier (gain prothétique

avec appareillage, capacité à lire sur les lèvres) et sur le type de communication qu’il utilise :

oral, LSF (Langue des Signes Française), LPC (Langue française Parlée Complétée), implant

cochléaire et micro HF. La date d'apparition du handicap et son dépistage précoce ou tardif

peuvent induire des problèmes psychologiques plus ou moins sérieux , dont il est utile d'être

informé.

A l'adolescence, les réactions d'opposition du jeune sourd sont encore plus fortes que celles d'un

entendant, car pour lui : "avoir une identité, c'est reconnaître sa surdité" ; d'où le refus possible

de l'intégration, des appareils ou au contraire la revendication d'appartenance à la communauté

sourde (référence à la culture sourde) ; c'est à ce moment là que la référence à un adulte peut être

très forte : trop se rapprocher d'un enseignant ou le rejeter.

� Se renseigner sur les difficultés liées au Handicap : les "nés sourds" n'ont pas de langue

première, sauf quand leurs parents sont eux-mêmes sourds

- ils n’ont pas baigné dans les mots, ne se sont pas approprié le langage donc ne sont pas (ou

mal) entrés dans la communication ;

- leur vocabulaire est moins riche, d’où difficulté de compréhension de la langue française à

l’écrit comme à l’oral, et difficulté à exprimer sa pensée ;

- pour la plupart des sourds, conceptualisation et abstraction posent encore plus de difficultés

qu'aux élèves ordinaires

� Essayer d’avoir quelques informations sur les problèmes personnels du jeune sourd (cursus

scolaire, famille qui le surprotège ou au contraire le rejette, famille oralisante ou non …..)

�Accepter de se remettre en question, de modifier parfois son comportement et certaines

pratiques pédagogiques pour faire passer des notions.

�Penser qu’il faudra avoir beaucoup de patience, ne pas se décourager devant certains résultats

décevants, accepter au début d'agir à l'intuition (nous avons tous, naturellement, des réflexes

devant les difficultés de nos élèves). Les réponses aux questions qu'on se pose ne viennent que

progressivement et on n'arrête jamais de s'en poser.

� Prévoir si possible de travailler en équipe : les contacts entre les enseignants des différentes

disciplines, spécialisés ou non, ainsi que l’orthophoniste et si possible les intervenants ( médecin,

psychologue…) des services de suivi et de soutien comme les SSEFIS (Service de Soutien à

l’intégration scolaire des jeunes sourds) sont indispensables.

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Mathématiques et surdité – Enseigner à de jeunes sourds

26 Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS

Il est intéressant de connaître le "projet individuel de l'élève" établi par le SSEFIS , projet

impliquant aussi la famille, l'établissement scolaire et tout organisme de suivi.

� Faire une demande d'heures de soutien si le jeune sourd est intégré dans une classe

d'entendants car la reprise, individuellement, de certaines notions et de la rédaction est

indispensable ; le soutien peut être assuré par un enseignant spécialisé ou ayant une bonne

pratique de la pédagogie adaptée aux sourds.

� Prévoir un investissement supplémentaire en temps de travail mais en compensation, on est

assuré d’un enrichissement certain sur le plan pédagogique.

On s’aperçoit très vite que les difficultés inhérentes à la surdité sont celles de la plupart de nos

élèves vues avec un plus ou moins fort grossissement et qu’essayer de remédier aux unes

apporte des remèdes aux autres.

LORS DE L’ACCUEIL D’UN ÉLÈVE SOURD, il est utile de :

� Présenter la surdité aux autres élèves (au moins à la classe, c’est souvent le SSEFIS qui s’en

charge). Il faut préciser dès la prise de contact que, contrairement aux lunettes qui peuvent

redonner une vision parfaite, l'appareil auditif n'apporte qu'une amélioration plus ou moins

grande de l'audition en demandant un gros effort d'adaptation à l'utilisateur.

� Donner à l’élève sourd la liste des noms de ses camarades car il ne pourra pas les mémoriser

lors des appels en classe.

� Expliquer quelques règles à observer pour le bien-être de chacun : qu’il est inutile de crier,

qu’il faut se placer en face du sourd quand on veut lui parler ou l’interpeller (ne pas lui taper

dans le dos = agression), qu’en groupe chacun doit parler à son tour.

� Ne pas désigner un entendant précis pour être « l’aide » d’un élève sourd mais favoriser

l’entraide entre le sourd et son voisin, et même tous les autres élèves. Il est indispensable que le

sourd se sente accepté dans le groupe classe avec son handicap sans représenter une gêne ni une

contrainte.

� Placer l’élève dans la salle. Le deuxième rang est souvent considéré comme la place idéale :

l’élève sourd est assez proche du professeur et capable de se rendre compte qu’un camarade

prend la parole si le premier rang se retourne.

Après plusieurs essais, j'opte plutôt pour le premier rang afin de surveiller les écrits dictés et

j'interviens pour signaler qu'il se passe quelque chose dans la classe.

� Expliquer que le sourd a droit comme tout élève handicapé à certains aménagements pour

passer les examens : interprète, tiers temps supplémentaire d’où des aménagements nécessaires

pour les contrôles, ce qui peut éviter en cours d’année les remarques des autres élèves.

� Adopter avec l’ensemble de la classe, en accord avec l'intéressé, un « moyen » pour attirer son

attention au moment opportun sans qu'il se sente harcelé à longueur de cours.

EN COURS D’ANNÉE, pour que l’intégration soit la plus fructueuse possible, il est utile de :

� Prendre en compte les particularités de la surdité, dans la relation prof-élève sourd et dans la

pédagogie mais avoir les mêmes exigences pour la discipline, la quantité de travail et sa qualité.

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Mathématiques et surdité – Enseigner à de jeunes sourds

Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS 27

Les élèves sourds posent parfois des problèmes de discipline au collège : sans langue maternelle,

ils n'ont pas le respect des lois. Que faut-il interdire ? exiger ? permettre ? avec ou sans

justification ?, avec ou sans explication ?.

� Bien préciser au départ qu’en dehors des aménagements spécifiques au handicap, les règles à

respecter sont les mêmes pour tous les élèves.

� Se familiariser dans la mesure du possible avec la LSF : même les sourds qui ne maîtrisent

pas très bien la LSF utilisent entre eux un minimum de signes avec la structure de cette langue :

- apprendre quelques signes utilisables en cours pour faciliter la communication et surtout

pour éviter les confusions.

- connaître la structure grammaticale de la LSF, pour comprendre les erreurs que font les

sourds en français et y remédier plus efficacement, pour réécrire des phrases sous une

forme plus accessible au sourd

- se faire aider par un élève pour apprendre à signer permet en contrepartie de lui demander

de faire des efforts pour améliorer sa diction et la structure de ses phrases. C'est aussi un

moyen de se rapprocher des difficultés du jeune sourd et de le valoriser.

- l'accès à la LSF apporte des qualités mentales intellectuelles au jeune sourd, mais aussi une

manière de penser différente. Pour s'exprimer en LSF, le sourd doit changer sans cesse de

point de vue dans son discours, ce qui lui fait acquérir une certaine réversibilité. L'accès à

la métaphore en français semble être favorisé par l'utilisation d'images : « réfléchir » se

traduit par le geste « se creuser la tête ». Il serait souhaitable que tous les sourds reçoivent

un enseignement bilingue.

� Penser à parler avec la meilleure diction possible, face à l’élève, jamais en écrivant au tableau,

avec un visage le plus expressif possible, en joignant un geste quand c’est opportun.

� Laisser du temps entre chaque phrase si on dicte un petit texte (le sourd ne peut pas lire sur

les lèvres et écrire en même temps). Vérifier souvent que la trace écrite est conforme à ce qui a

été dit.

� Penser qu’un élève sourd doit avoir une attention beaucoup plus soutenue qu’un entendant

pour suivre un discours, qu’il se fatigue plus vite, donc aménager des pauses par exemple sous

forme de travail personnel commencé en classe et à terminer en dehors du cours, pour lui

permettre de souffler.

� S’appuyer sur la mémoire visuelle : utiliser les couleurs pour se repérer au tableau, bien

différencier chaque tracé d’un dessin géométrique par exemple en le réalisant étape par étape

devant les élèves.

Les sourds sont visuels : la LSF est iconique, elle fait référence à des situations, elle est

spacialisée, elle apprécie le global et traduit la simultanéité des messages.

� Utiliser le rétroprojecteur : il permet de "montrer" à tous en même temps sur l’écran, d’écrire

sur le transparent en faisant face aux élèves, de réaliser des montages mobiles pour démontrer en

"faisant voir" tout en gardant la possibilité de revenir sur une partie de la démonstration.

Pour faciliter la tâche il est fort utile d’avoir aussi à disposition un ordinateur, un scanner et un

vidéo-projecteur surtout pour un groupe de plus de 3 élèves. (penser au financement par l'Etat de

matériels pédagogiques adaptés à usage collectif, en faveur d'élèves en situation de handicap,

BIR du 19/04/04)

� Distinguer la part indispensable de la langue et les situations dans lesquelles on peut court-

circuiter la langue. Ne pas donner la "place première" à la langue pour expliciter des notions ou

construire des concepts, mais utiliser plutôt des schémas ; lier les schémas aux situations et non

aux mots.

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Mathématiques et surdité – Enseigner à de jeunes sourds

28 Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS

Utiliser la symbolique mathématique au lieu du français écrit chaque fois que c'est possible.

Choisir une démarche déductive plutôt que des arguments d'autorité et des approches purement

formelles.

Pour un sourd, la langue est inductrice de fautes et de mauvais raisonnements.

� Enrichir le vocabulaire car une connaissance minimum de français correct est quand même

indispensable pour la poursuite d'études mais aussi pour la vie courante au milieu des entendants

- donner des synonymes ainsi que des tournures de phrases différentes,

- varier les situations,

- utiliser la méthode de "découverte" plutôt que l’exposé.

Pour un sourd, il est difficile de trouver le deuxième sens d'un mot quand il est déjà fixé sur un

premier, ce qui induit une certaine "psycho-rigidité" ; ceci semble lié au fait que le sourd ne peut

intercepter les mots de plusieurs conversations simultanées, ce qui l'empêche d'être acteur de

plusieurs conversations en même temps.

Quelle que soit sa discipline, chaque enseignant doit contribuer à l’amélioration de la

connaissance du français.

� Donner souvent des exercices reprenant des notions antérieures, il faut insister sur le travail de

mémorisation : souvent point faible des élèves sourds qui n’ont pas ou peu exercé leur mémoire

auditive dans la petite enfance.

Comment les élèves sourds se récitent-ils leur leçon ? (et se racontent-ils des histoires ?).

Faire travailler des problèmes récapitulatifs car les élèves sourds ont beaucoup de difficultés à

rassembler leurs connaissances et à fixer plusieurs idées en même temps, à cause encore du

phénomène de "psycho-rigidité".

� Penser à contrôler systématiquement la compréhension de ce qui a été dit (cours) ou lu (textes

d’étude : situations, exercices). La réponse "oui" à la question "as-tu compris ?" réserve en

général de mauvaises surprises.

Contrôler aussi les écrits des sourds : cours, réponses, corrections, car un mot mal écrit leur

apparaît comme un mot nouveau, il est appris tel que.

� Lors des contrôles

- si on explique une phrase, on l’explique à tous.

- distribuer le sujet en 1er

aux sourds et ramasser leur travail en dernier, en général le

supplément de temps accordé est ainsi suffisant.

- faire appel au "tiers-temps" pour les sujets de type "examen" pour ne pas risquer de

pénaliser l’élève sourd dans sa notation en cours d’année, (notes importantes pour les

changements de classe ou l’orientation).

� Reformuler les textes : cours, exercices, problèmes (voir le paragraphe sur la reformulation

dans le chapitre " Enseigner les mathématiques à de jeunes sourds")

Cette longue liste n’est ni exhaustive ni figée, elle est à compléter et à améliorer avec le

concours de toutes les bonnes volontés auprès des élèves sourds.

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Mathématiques et surdité – Enseigner à de jeunes sourds

Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS 29

2) Mésaventures d’un prof qui découvre sa classe de sourds Monique Bonnet

Au début, on m’a dit des généralités comme « il suffit de parler en face d’eux, et d’articuler »,

« il faut faire avec eux comme avec les autres », …

Donc je me suis placée face à eux, et j’ai articulé : j’ai découvert 2 ans après, à l’occasion d’un

petit film, toutes les grimaces que cela me faisait faire… cela m’a aidée à trouver un équilibre

entre une articulation exagérée et trop peu d’articulation. Il peut être utile de se regarder faire !

Cela mis à part, il m’a fallu aussi trouver un débit de parole approprié, qui me convienne, qui me

soit confortable, et qu’ils comprennent à peu près, s’ils sont attentifs. J’ai eu besoin d’un vrai

temps d’adaptation pour leur faciliter la lecture sur les lèvres, et cela m’a coûté quelques efforts.

Me placer face à eux, quand je leur parlais, c’était plus facile… Mais quand j’écrivais au tableau,

je ne pouvais plus parler ; cela ralentissait le cours. Alors j’ai pris un rétroprojecteur : ils

pourront lire sur mes lèvres puisque je serai face à eux… Effectivement, c’est une aide

considérable, d’autant plus que je n’ai plus besoin de me tourner pour montrer quelque chose au

tableau. Mais quand ils regardent l’écran, l’image projetée, ils ne me regardent plus, et donc ne

m’entendent plus…

Et si seulement ils regardaient l’image tous en même temps…, mais ils le font à des moments

différents, qui ne sont pas forcément ceux que je voudrais !

Tout est à réorganiser ; il faut prévoir deux temps : un temps pour parler et se faire entendre, et un temps pour qu’ils regardent ce que je veux montrer ; il faut prévoir d’écrire

l’important sur le transparent, notamment le vocabulaire nouveau, ce qui permet de montrer le

mot écrit, puis, en le prononçant, de les entraîner à le reconnaître sur mes lèvres ; là encore, cela

ralentit… Mais incontestablement, le rétroprojecteur, c’est mieux que le tableau.

C’est mieux aussi parce que je ne les quitte plus des yeux : et ils ont beaucoup plus de difficulté

à se parler « discrètement » en langue des signes, ce qu’ils faisaient allègrement derrière mon dos

auparavant !

Difficulté supplémentaire : non seulement ils ne comprennent pas quand je parle, mais je ne les

comprends pas non plus quand ils parlent à leur tour ! Au début, je ne les faisais plus parler, en

fait, puisque je ne comprenais pas ; et puis je me suis aperçue que je ne connaissais pas le son de

leur voix, alors que d’autres professeurs les comprenaient, eux ; alors je me suis mise à les faire

parler, prononcer les mots nouveaux, réciter des phrases de cours, donner des résultats de

problèmes… En fait, quand je m’attends à ce qu’ils vont dire, je comprends assez bien ; en

revanche, quand ils disent autre chose, c’est difficile ; il m’est nécessaire de prendre le temps de

m’habituer à leur voix et à leur prononciation. Si vraiment je ne les comprends pas, ils écrivent

sur une ardoise.

On m’a annoncé un interface dans la classe ; ouf ! avec la LSF, ils vont tout comprendre ! Et

bien non, la LSF est une langue de communication courante, qui ne comporte pas de mots

scientifiques ; donc, pour signer « médiatrice », par exemple, ou « symétrie centrale », ou

« opposé d’un nombre », et même pour distinguer chiffre et nombre, il faut inventer des signes,

ou bien épeler les mots en alphabet signé. Je passe donc du temps à prononcer les mots

nouveaux, et à les montrer écrits en même temps, pour qu’ils lisent facilement sur mes lèvres le

vocabulaire spécifique des mathématiques.

Depuis que j’ai des sourds signants, j’ai appris quelques signes bien pratiques pour

communiquer : les élèves adorent m’en apprendre de nouveaux, et ils apprécient que je fasse un

effort pour communiquer dans leur langue, sans se moquer de mes gestes maladroits.

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30 Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS

Apprendre quelques signes me permet aussi de mieux les comprendre, et de moins faire de

contresens : il m’est arrivé de me fâcher parce que j’avais confondu un signe anodin de la langue

des signes avec un geste insultant… Leurs gestes à eux sont si précis, qu’ils ont des nuances que

je perçois difficilement.

Utiliser quelques signes est aussi un moyen de retrouver une communication rapide, qui est un

des manques essentiels à l’enseignement dans ce type de classe, à mon sens. Cela dit, la présence

de l’interface facilite énormément la communication dans les deux sens et m’est devenue

indispensable. Au fil du temps, sa présence devient un pivot de la gestion de l’hétérogénéité de la

classe (hétérogénéité de niveau et de mode de communication).

Au départ aussi, on m’a dit « tu verras, un sourd, c’est bruyant ». Alors quand ils sont arrivés en

claquant leurs affaires sur la table, en faisant racler les chaises par terre, en s’exclamant

bruyamment, je me suis dit que c’était normal : c’est parce qu’ils sont sourds, et qu’ils

n’entendent pas le bruit qu’ils font.

Quelle surprise pour moi d’aller visiter des collègues, enseignants à des sourds, et de

m’apercevoir que tout un travail de socialisation était fait en primaire. Si mes élèves sourds de

collège se comportaient ainsi, ils savaient parfaitement ce qu’ils faisaient, et donc, ils profitaient

de ma naïveté !

La fois suivante, quand ils ont recommencé, je leur ai dit que ça ne marchait plus, que je savais

qu’ils savaient qu’il ne faut pas faire tous ces bruits, et je leur ai demandé de se comporter

normalement. Problème : ils n’en avaient pas vraiment envie, bien sûr (c’était une classe difficile

au point de vue discipline). Je me fâche : je crie ! Réaction immédiate de leur part : ils tournent

la tête… et je peux bien m’égosiller, ils n’entendent rien ! Le sentiment de rejet et d’exclusion,

ce jour là, était bien de mon côté…

Petit à petit, j’ai appris à obtenir la communication, à obtenir qu’ils me regardent même quand

c’était pour leur reprocher leur comportement. Il m’arrive d’écrire au tableau pour ceux qui ne

veulent vraiment pas communiquer, et c’est l’effet de groupe qui fonctionne alors, les autres se

faisant une joie de traduire… A manier avec précaution, parce que le discours devient public, et

ce n’est pas toujours approprié. On peut aussi écrire au crayon à papier sur leur cahier, ou sur

une ardoise.

Un règlement s’est instauré dans la classe : lever le doigt, attendre que le professeur soit

disponible pour venir, ou écouter, ne pas faire de bruits intempestifs, s’excuser quand il y a eu un

comportement incorrect, etc. Etre exigeant avec eux est payant, comme avec d’autres élèves ; ils

sont peut être sourds, mais ils sont élèves avant tout. J’ai mieux su faire respecter la loi quand

j’ai considéré que leur handicap n’était un problème que pour la pédagogie, et quand j’ai su

écarter mes états d’âme vis à vis du handicap.

Autre difficulté encore : comment attirer l’attention d’un élève quand il ne vous regarde pas et

qu’il n’entend rien ? En provoquant une vibration, m’a-t-on dit, ou un bruit fort qu’il peut

entendre… Me voilà à taper du pied quand j’ai des talons qui sonnent, à taper sur le bureau ou

sur le tableau, à gesticuler pour qu’ils perçoivent un mouvement et qu’ils lèvent la tête… C’est

un réflexe difficile à acquérir pour moi, parce qu’il est tout à fait en dehors de mes

comportements habituels en société. Mais eux ne sont pas choqués, même si je tape fort sur la

table pour les appeler ; eux mêmes, entre eux, gesticulent ou font un bruit fort pour s’interpeller.

Maintenant que je sais les interpeller, je leur pose des questions : « comment tu sais que c’est

juste ? » et l’élève répond « oui ». Interloquée, je répète ma question et j’obtiens la même

réponse… J’ai mis quelques temps à intégrer le fait que nos élèves sourds ont pris l’habitude

d’ignorer un certain nombre de questions qu’ils ne comprennent pas, et de répondre « oui »

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Mathématiques et surdité – Enseigner à de jeunes sourds

Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS 31

plutôt que de faire répéter ; les questions les plus courantes étant des questions du type

« oui/non », avec moins d’efforts, ils obtiennent ainsi souvent qu’on les laisse tranquilles…

Il a fallu que je m’obstine un peu pour obtenir de vraies réponses.

Au début aussi, les élèves m’ont souvent dit : « je ne peux pas apprendre, je suis sourd, je n’ai

pas de mémoire ». Et je les croyais. Jusqu’au jour où, chez d’autres collègues, j’ai constaté que

de la mémoire, ils en avaient au moins autant que les entendants… A partir de ce jour-là, j’ai fait

apprendre et réciter les leçons, avec les mêmes résultats qu’avec les autres élèves, à ceci près

que, quand le vocabulaire devient difficile, la grammaire surtout, je simplifie les phrases quand

c’est possible, ou bien je fais apprendre avec un support d’images qui bougent (comme un film, à

partir de transparents dynamiques, ou bien d’images informatiques, ou simplement de dessins

successifs ou de gestes). Leur langue est composée de gestes dynamiques, ils sont performants à

saisir et retenir des images en mouvement.

Enfin, quand j’ai commencé à intégrer toutes ces façons de faire avec les élèves sourds, je me

suis aperçue que je n’osais plus parler en écrivant au tableau dans mes classes d’entendants, que

j’articulais avec eux comme avec les sourds, que j’avais le réflexe d’un signe au lieu d’une

consigne orale, … C’est déstabilisant ! Mais je m’adapte.

En fait, la plupart des habitudes que j’ai prises avec mes élèves sourds, et le réflexe d’attention à

leurs incompréhensions, sont utiles aux élèves en difficulté dans mes classes d’entendants ; et je

me félicite chaque jour de cette expérience, que je ressens comme bénéfique pour eux comme

pour moi.

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32 Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS

3) Méthodes pédagogiques adaptées à l’enfant sourd. Laurent Matillat,

avec la collaboration de Corinne Gardie

Permettre à l’élève de s’engager dans l’action

Il me paraît important de partir de situations pédagogiques qui s’appuient sur l’action des

élèves déficients auditifs. En effet, ceux-ci se sentiront plus impliqués et performants dans

l’activité que dans la simple écoute d’une leçon. « On apprend par l’action, la manipulation.

On connaît quelque chose parce qu’on sait le faire, et sa représentation est sensori-motrice,

inscrite dans nos muscles » dit Bruner.

… en levant les implicites • chaque fois que l’enseignant, l’apprentissage, la situation, la tâche fait appel à une norme, à

une convention que l’élève peut ne pas connaître, l’enseignant doit alors la lui apporter

(parole, mime, dessin) ;

• chaque fois que la tâche ou l’enseignant fait appel à la culture et à une connaissance du

monde qui a pu échapper à l’élève du fait de sa déficience : il est alors possible de lui faire

chercher lui-même le renseignement manquant, en lui indiquant où il peut trouver les

informations, quels outils sont à sa disposition, en lui rappelant les liens à favoriser;

• chaque fois que ce qu’on lui demande de faire contient justement des implicites (rédaction de

l’énoncé, consignes comportant des sous étapes non formulées explicitement, sous-entendus,

non formulation des critères de réussite,…).

… pour qu’il parvienne à se représenter cette action, à se distancier de l’objet Il faut cependant aller plus loin que la simple action et que l’élève puisse se représenter un

objet, une activité, sans l’avoir devant les yeux. Piaget nous a appris que lorsqu’un enfant

s’engageait dans l’action, il était possible pour lui de réussir sans forcément comprendre

pourquoi. D’où l’importance de revenir sur une situation vécue, de se la rappeler, de se

souvenir de ce que l’on a fait afin d’en prendre conscience. Or, cela est difficile pour les

élèves sourds car cela fait appel au langage, à la mémoire des mots ou mémoire lexicale.

… en favorisant l’explicitation des situations - grâce à la reformulation par un schéma, un dessin, une image, des mots, …, ce qui peut

impliquer l’aide de l’interface de communication,

- grâce à un questionnement adapté qui permet de vérifier la compréhension de la situation

par les élèves,

- grâce à une matérialisation par des couleurs, des codes, de tous les liens (de temps, de

cause, de conséquence, et à la formulation des attributs des concepts étudiés).

… en utilisant un support visuel qui favorise la prise de conscience Tout d’abord, il me paraît, important de dire qu’un enfant sourd ne possède pas forcément un

potentiel visuel supérieur à celui d’un enfant entendant. C’est pourquoi il est important de lui

faire faire un travail d’analyse, de déductions, d’inférences à partir d’images (intrus,

différences, identification des liens, recherche des implicites). Le travail en équipe

pluridisciplinaire paraît tout à fait important (arts plastiques, publicité, …) dans cette

perspective.

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Mathématiques et surdité – Enseigner à de jeunes sourds

Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS 33

L’image peut ainsi permettre :

• de fixer dans l’espace, un moment du discours, de la manipulation. Un enfant sourd

signant n’est pas forcément à l’aise dans la linéarité du discours qui est constitutive des

langues audio-vocales : quand on écoute quelqu’un qui parle, les mots nous parviennent

les uns à la suite des autres, dans un certain ordre, sans retour en arrière possible (une

seule dimension ; image de la bande magnétique). L’image, elle, est en deux, voire trois

dimensions. Les liens de signification n’y sont pas linéaires. C’est pourquoi, l’image

permet à l’élève déficient auditif de délinéariser le discours, de l’immobiliser en quelque

sorte, le temps de réfléchir sur son expérience, de créer des liens. Lorsque la L.S.F. est la

langue première d’un jeune déficient auditif, l’image lui permet de se rapprocher du

fonctionnement non linéaire et pluridimensionnel de sa langue.

• de symboliser les situations pour construire des concepts. Je pense qu’avec des élèves

sourds, il peut être pertinent de partir d’une symbolisation figurative, qui montre une

situation particulière, qu’ils ont vécue. Les photos, ou un film vidéo, de ces élèves en train

de manipuler, me servent de support pour l’évocation de cette situation. Je leur demande de

représenter ce qu’ils ont fait par un dessin ; ils commentent leurs dessins, et je note dessus

ce qu’ils me disent. A partir de là, une discussion peut avoir lieu pour identifier les parties

communes à toutes les situations particulières. Lorsqu’il y a consensus, la symbolisation schématique commune, qui s’éloigne de la situation réelle, vécue, et qui la généralise,

peut être retenue. Elle débouchera alors sur une symbolisation langagière (mot,

expression) qui permet d’évoquer la situation et les objets, même quand ils ne sont plus

présents. Mais les élèves sourds ont souvent peu d’appétence à utiliser les mots, ils s’en

méfient, ce qui entraîne des difficultés supplémentaires. Je pense qu’il est nécessaire, dans

le cadre de soutien ou de l’accompagnement scolaire, par exemple, d’aborder la polysémie

des mots dans chaque discipline scolaire et de travailler en français ce qui a pu être vu en

mathématiques ou dans une autre matière en construisant des répertoires de mots utiles,

dans chaque matière. l’élève doit, en effet, prendre conscience qu’un « signifiant » (mot),

ne désigne pas non seulement un simple objet, mais également, et en même temps, un

ensemble d’attributs, de relations, de propriétés qui lui sont attachés. Il faut toujours

favoriser la mise en relation de divers signifiants pour un même objet.

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34 Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS

4) Le médiateur linguistique au SSEFIS Eric Dinée Médiateur linguistique et pédagogique

SSEFIS Recteur Pierre Louis

Généralités

Il existe d’autres appellations pour décrire le travail du médiateur linguistique, celui d’aide à la

communication, celui d’un interface LSF (le plus connu mais aussi au caractère un peu ambigu).

La dénomination interface prête parfois à confusion … le clavier sert d’interface entre l’homme

et la machine mais peut-on qualifier un être humain d’interface de communication entre le

professeur et l’élève sourd ? Oui, à condition que son travail soit reconnu par les acteurs qui

interviennent de près comme de loin dans la scolarisation des élèves sourds. C’est pourquoi je

vais vous décrire mon travail dans ce qui suit.

Sachez que le travail du médiateur linguistique nécessite des compétences toutes particulières.

Quelles sont ces compétences ? Les questions que l’on se pose ? Quels sont les rapports que

j’entretiens avec les élèves ? Quels sont les rapports que j’entretiens avec les enseignants ?

Quelle est la part de l’éthique chez l’interface ? Pour le médiateur lui-même sourd : quelles

spécificités ?

La fonction d’interface de communication est apparue pour la première fois à la fin des années

80 à l’ANPEDA. De nos jours, des interfaces de communication travaillent un peu partout en

France dans les différents réseaux surdité, on les retrouve pour beaucoup dans le privé.

Les règles de travail restent encore floues car il s’agit d’un métier aux nombreuses fonctions. Le

médiateur intervient auprès d’un public en majorité de personnes sourdes mais aussi entendantes

qui ont besoin de mieux comprendre l’usage de la LSF, qui ont besoin de conseils,

d’informations, besoin de partager les expériences et les pratiques.

Au niveau de la formation, il n'y a pas de diplôme exigé mais il est demandé que la personne ait

un niveau universitaire équivalent à bac +2, voire bac +3. Une culture générale solide lui

permettra d’intervenir dans différents domaines sans difficulté notamment dans le milieu

scolaire. Une spécialisation dans une discipline scolaire est appréciée.

De nos jours, il existe certaines facultés qui préparent les étudiants à ce métier ; c’est le cas à

l’université de Provence : Département des Sciences du langage - D.U. "Langue des Signes". Le

D.U. "Langue des Signes" vise à préparer ses stagiaires à l'accès aux différentes formations

existantes d'enseignants spécialisés auprès des déficients auditifs, d'interprètes et d'interfaces

LSF - Français. Il existe de nos jours plus de formation préparatoire à l’université qu’auparavant

: c’est le signe d’une prise de conscience que la LSF est “plus” qu’un simple outil pédagogique :

elle est une langue à part entière ; le statut de la langue change. Les mentalités évoluent petit à

petit, on n’a plus à être pour ou contre une langue qui existe désormais.

Pour ce qui concerne la reconnaissance du métier, il n’en existe pas actuellement ce qui pose un

problème au moment de l’embauche : quel statut va t-on octroyer au futur candidat ? Pour ma

part, on m’a octroyé le statut d’éducateur scolaire spécialisé bien que je ne possède pas de

diplôme d’éducateur mais une licence universitaire scientifique (licence de Biologie mention

Biologie Générale et Sciences de la Terre).

L'Assemblée Nationale a voté une nouvelle loi (3 février 2005) concernant l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Il y est question de

la LSF et de son enseignement. Ce texte de loi va permettre d’ouvrir de nouvelles perspectives et

viserait aussi à reconnaître le travail des interprètes et interface LSF et leur donner enfin un

véritable statut.

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Mathématiques et surdité – Enseigner à de jeunes sourds

Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS 35

Rôle du médiateur linguistique

1) Le médiateur linguistique est un traducteur :

> Il traduit le message d’une langue A vers une langue B, du français vers la LSF et vice versa.

Cela lui demande une connaissance égale des deux langues mais aussi des deux cultures : on

aboutit au bilinguisme et biculturalisme.

> Il facilite la compréhension du message oral dicté par l’enseignant, souvent difficile à

appréhender pour un jeune sourd.

A plusieurs reprises, j’ai observé que les jeunes sourds scolarisés dans les différents

établissements scolaires ne possédaient pas toujours un bon niveau en LSF. Ceci, en raison de

l’absence d’une politique générale de l’enseignement de la Langue des Signes. Mais aussi parce

que :

� Certains élèves ont des contacts plus ou moins réguliers avec la communauté

sourde référente voire pas du tout.

� La majorité des enfants sourds naît de parents entendants, qui ne pratiquent pas la

LSF.

� Le profil des élèves a changé : on rencontre de plus en plus d’élèves issus de

l’immigration, ce qui complique la tâche au niveau linguistique (langue du pays

d’origine, langue française, traditions et cultures).

Par conséquent, selon leur niveau, les élèves sollicitent plus ou moins le médiateur.

En Mathématiques, il y’a tout un travail à faire sur le vocabulaire en LSF. Traduire un dialogue

courant ne pose aucun problème mais qu’en est-il lorsqu’on aborde un cours de mathématiques

(ou une autre discipline) et tout le lexique spécifique qui va avec ? Les sciences demandent un

vocabulaire bien particulier que les élèves n’ont pas souvent en français. Leur faible niveau en

français ne permet pas de bien utiliser les livres ou les textes en cours. Le même problème se

retrouve en LSF, beaucoup de mots scientifiques n’ont pas leur équivalence en LSF et plus le

niveau d’étude est élevé, plus il demande un vocabulaire précis.

Cela demande une concertation étroite entre l’interface, l’interprète, le professeur de LSF et

l’enseignant pour entamer une recherche et une réflexion plus poussée. Le but étant de créer un

registre lexical LSF spécifique à la discipline reconnu à la fois par les élèves et les traducteurs

en classe. C’est un travail de longue haleine qui est en train de se faire à l’Académie de la

Langue des Signes situé à Paris (ALSF).

Exemple 1 : en français courant aussi bien qu’en LSF, les notions de quantités et de volumes ne

sont pas distinguées. Or, en sciences physiques, la distinction est nécessaire. Ce qui n’est pas

possible si les signes utilisés pour ces deux notions sont les mêmes.

Exemple 2 : comment les élèves sourds font-ils la distinction entre le poids (N) et la masse

(KG) ?

Exemple 3 : cours HG – Ancien régime et tiers état (4ème

): mettre au point des signes pour

désigner le clergé, l’archevêché, évêque, moine, prêtre, abbatiale, monastère ? Le travail de

traduction est parfois difficile à réaliser.

Remarque : il faut surtout éviter l’invention de signes locaux compris seulement par quelques

interlocuteurs. Pour ce faire, la constitution d’un réseau et la mise en commun d’expériences et

de pratiques est un préalable indispensable.

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Mathématiques et surdité – Enseigner à de jeunes sourds

36 Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS

2) Le médiateur linguistique est un observateur :

> Il rend compte des difficultés rencontrés par les élèves en classe : soit il en fait part à

l’enseignant soit il agit (il remplit son rôle de soutien)

> Puisqu’il intervient sur le terrain, il est l'observateur privilégié de toutes les interactions qui se

déroulent dans les cours.

> Lorsqu’une classe est à petit effectif et que j’observe qu’elle n’offre pas d’effet ‘’entraînant’’,

j’interviens si je le juge nécessaire (tout dépend du contexte où je me situe) pour relancer les échanges et rendre le cours plus interactif.

J’encourage les élèves à aller au tableau, à s’exprimer, à participer davantage. Un élève sourd qui

ne participe pas peut signifier qu’il souhaite masquer ses difficultés et lacunes. Il peut éprouver

de la honte ou la peur d’être ridicule. Il est important que je lui redonne confiance. Nous sommes

là pour travailler, apprendre, découvrir tout en respectant le niveau intellectuel de chacun.

Il s’agit d’apporter un regard positif sur les potentialités des élèves sourds, de leur donner confiance en leur capacité de compréhension.

> Le médiateur peut contribuer à réguler l’agitation ambiante de la classe spécialisée (attitude, comportement, excitation). Dans une classe, j’avais observé à un moment donné qu’il existait un poids écrasant de certains

élèves qui ne laissaient guère le temps de prise de parole aux autres et donc je suis intervenu

pour réguler les attitudes. (Respecter la prise de parole de chacun et lever le doigt lorsqu’on veut

s’exprimer) J’interviens auprès du professeur pour lui demander s’il peut interroger tel élève qui

commence à être en marge du cours… parce que non sollicité.

> Tout comme certains élèves entendants, certains élèves sourds perçoivent les disciplines

comme un ensemble de cours sans relation entre eux (surtout en 6ème

et 5ème

). Ils ont également

des difficultés à faire le lien entre la théorie et la pratique.

Durant un cours de Physique, un élève sourd en 3ème

apprend une nouvelle notion du cours

d’électricité : les résistances électriques d’un circuit permettent de faire baisser l’intensité qui y

circule. Après traduction et vérification de la bonne compréhension de cette notion, le professeur

donne un exercice d’application du cours : Lorsqu’on place une résistance électrique d’une

valeur de 10 ohms dans un circuit, la lampe L brillera normalement. Cette résistance est

remplacée par une autre d’une valeur de 47 ohms, quel résultat allons nous obtenir ? Justifier.

Patatra !!! Pas de panique, je les accompagne et leur explique la relation qui existe entre la

notion apprise et l’exercice qui a suivi.

3) Le médiateur linguistique est un pédagogue : > Il peut fournir une aide pédagogique complémentaire à l’enseignant en lui faisant part de

ses observations et lui apporter (quand cela est possible !) des conseils pour pallier les difficultés

que rencontrent les élèves.

J’observe que les élèves sourds ont plus besoin d’appréhender les applications de la culture

mathématique dans la vie quotidienne pour comprendre l’importance des mathématiques et les

motiver. Je mémorise, note mon observation et attends la fin du cours pour rencontrer

l’enseignant et lui proposer une solution : dédier deux ou trois séquences sur les applications

mathématiques dans la vie quotidienne.

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Mathématiques et surdité – Enseigner à de jeunes sourds

Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS 37

Une enseignante habituée à enseigner à des élèves sourds m’a dit qu’elle ne savait pas toujours à

l’avance quelle tournure prendrait la forme de son prochain cours tellement les réactions des

élèves sourds étaient imprévisibles ! On peut se décourager très vite ! Je reste à l’écoute et partage les doutes, les appréhensions et inquiétudes des professeurs pour les épauler.

> Le médiateur avant d’intervenir en classe doit solliciter (quand il le peut) l’enseignant afin de prendre connaissance des objectifs pédagogiques à atteindre.

Par exemple, il y’a quelque années, j’étais intervenu dans un cours de chimie, voici le

déroulement : le professeur parle de chlorure d’hydrogène et écrit le nom au tableau.

Naturellement, je traduis avec la dactylologie HCl pour être plus rapide. Mais je ne m’attendais

pas à ce que le professeur demande aux élèves de lui rappeler la formule chimique du chlorure

d’hydrogène ! J’avais déjà donné la réponse aux élèves à son insu … (Il s’agit d’une faute de

parcours, je me nourris de mes erreurs pour ne plus recommencer et réfléchis deux fois avant de

traduire en herchant où le professeur veut en venir.)

> Il apporte des reformulations plus explicites pendant le cours. En classe spécialisée, il arrive

parfois que l’enseignant et moi même travaillions en synergie afin de rendre le message écrit

plus compréhensible aux sourds :

� par la compétence de l’enseignant

� par l’expérience et le savoir faire du médiateur.

Le travail qui consiste à reformuler les écrits d’une manière plus explicite est quelque chose de

très fréquent en cours avec ces élèves ! Les textes des livres collégiens sont difficilement

assimilables et souvent inaccessibles pour un élève sourd. On lit par exemple sur un livre de SVT

la phrase suivante : « … les êtres vivants ne sont pas répartis au hasard, ils occupent un milieu en

fonction de conditions physico-chimique précises. » Cela n’a aucun sens pour un élève sourd !

S’il était écrit que les êtres vivants (animaux et végétaux) occupent un espace précis et non pas «

au hasard », les choses deviendraient plus simples … J’explique le vocabulaire avec le

professeur (espace = endroit, précis, hasard = fortuite = sans savoir avant). Les définitions

données par les dictionnaires sont aussi difficilement accessibles pour les élèves sourds. Un mot

peut avoir plusieurs sens, lequel correspond au contexte situé ?

Mon expérience personnelle

Quels sont les rapports que j’entretiens avec les élèves ?

Il faut savoir qu’un médiateur intervient dans une classe si l’enseignant le souhaite. Cependant, il

faut prendre également en compte le niveau de communication de l’élève, sa capacité à suivre

une aide à la communication de manière soutenue dans le temps.

Lorsque j’interviens dans une classe d’élèves entendants où sont intégrés des élèves sourds, ma

présence en cours suscite beaucoup de questions de la part des élèves (mais aussi du professeur)

Il est important de leur expliquer mon rôle en début d’année (dissiper la confusion interface/

interprète par exemple). Ma présence suscite chez certains élèves entendants une envie

d’apprendre la LSF et ils souhaitent parfois une initiation.

Je suis particulièrement attentif à la polysémie des termes employés en cours mais également aux

termes qui se ressemblent: ‘’on retrouve la forme d’un losange dans un cric de voiture’’ (ne pas

confondre avec une crique ou un cirque) Ce qui peut paraître tout à fait banal pour l’enseignant

ne l’est pas forcément pour un sourd, qui a beaucoup de difficultés à s’approprier l’intégralité

des informations.

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Mathématiques et surdité – Enseigner à de jeunes sourds

38 Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS

Toujours dans le souci de pouvoir donner le meilleur de moi même, c’est à dire traduire

fidèlement les propos de l’enseignant, je vais vous décrire certaines situations auxquelles j’ai été

confronté…

- Le cours bat son plein et porte sur les organes actifs du mouvement, l’enseignant parle, je

traduis. Mais les regards des élèves sont dénués de réflexion, et je me rends compte que les

élèves sourds dorment éveillés ! Je frappe un grand coup de la main, ils se réveillent, ils n’ont

rien suivi ! D’une certaine manière, le médiateur pousse les élèves à suivre activement le cours.

- Nous sommes en cours de Physique, l’enseignante écrit au tableau. Mais voilà que les élèves

discutent entre eux sur un tout autre sujet en langue des signes de manière à ce que l’enseignante

ne puisse pas comprendre. Du coup, pendant que le professeur écrit au tableau, je traduis les

échanges des élèves à voix haute…

« Tu as vu le film hier soir ?

- Non je me suis couché tôt

- Qu’est ce que tu fais ce week-end ? »

Entendant cela, le professeur a demandé aux élèves de se remettre au travail. Les élèves voyant

que je traduisais leurs conversations m’ont foudroyé du regard mais cela leur a vite passé. Par le

fait que je suis aussi atteint de surdité et ayant un vécu un peu semblable au leur, mon geste est

perçu un peu comme une trahison. Mais la classe a retrouvé son attention parce que l’interface a

traduit; il a traduit dans le but que l’enseignant agisse… bien souvent les enseignants n’osent

réprimander ! Parce qu’il s’agit d’élèves sourds ? Probablement.

Le médiateur doit savoir intervenir sans brusquer l’enseignant.

Il peut arriver en fonction des besoins que j’intervienne auprès d’un seul élève sourd intégré dans

une classe d’entendants. C’est le cas auprès d’une élève en 2ème

année de BEP CSS. Je reste assis

à ses côtés pendant le cours et lui donne une traduction signée mais je peux apporter également

un soutien scolaire important.

C’est au cas par cas, les besoins ne sont jamais les mêmes et le contexte est chaque fois différent.

Quels sont les rapports que j’entretiens avec les enseignants ?

A mes débuts, j’ai rencontré la réticence de certains enseignants vis-à-vis de ma présence. Mais

je mets cette réticence sur le compte de la méconnaissance de mon statut. Après un mois

d’intervention en général, les professeurs s’adaptent à ma présence jusqu’à m’oublier

parfois…c’est le but recherché. Ainsi, pour me faire connaître et pour cerner les besoins en

interface, je participe à chaque rentrée scolaire aux réunions de pré-rentrée mises en place dans

les établissements. Il existe une réelle demande non sur un seul site mais sur plusieurs sites. La

constitution de mon emploi du temps n’est pas une mince affaire ! Il faudrait que je sois partout

à la fois … Cela peut étonner mais les interfaces ne sont pas nombreux.

Pour une discipline donnée, j’accompagne le professeur pour une année scolaire entière, il vaut

donc mieux avoir d’excellentes relations ! J’ai toujours à l’esprit que je suis accueilli, que

l’enseignant peut refuser ma présence à son cours. Ce qui demande de ma part : du professionnalisme, une écoute attentive et un brin de psychologie…

En aucun cas, je ne me substitue à l’élève, ni au professeur.

J’encourage les enseignants à sanctionner les élèves si faute il y a. Ils n’osent pas, ils disent que

cela va passer ! L’absence trop longue d’interdits conduit les élèves sourds a être

marginaux….pourquoi seraient-ils exclus du règlement intérieur ?

J'encourage les élèves à participer aux cours.

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Mathématiques et surdité – Enseigner à de jeunes sourds

Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS 39

Quelle est la part de l’éthique chez l’interface ?

J'ai déjà dit que les règles sont pour l’instant floues ; car il s’agit d’un métier récent aux

nombreuses fonctions. Le médiateur n’est pas tenu par des règles déontologiques à l’inverse des

interprètes, il lui est donc possible de dévoiler le contenu de ses observations à l’équipe

professionnelle qui suit l’élève sourd. Le médiateur doit assimiler les deux langues et les deux cultures. Il instaure la confiance. Il participe aux réunions de concertations des enseignants de

l’établissement et de l’équipe spécialisée du service. Il remplit chaque année la partie qui le

concerne dans le projet individuel d’intégration scolaire de chaque jeune.

Quelques interrogations cependant :

- Est-ce que le médiateur peut se permettre, durant un instant, de sortir de son statut afin de faire

une remarque à l’enseignant ? Exemple : l’interface s’aperçoit que les élèves trichent au nez et à

la barbe de l’enseignant, il se tait mais alors il devient complice des élèves, que doit-il faire ?

- Il arrive que durant un contrôle, un élève me sollicite pour une meilleure compréhension des

consignes. Seulement, les élèves entendants croient à tort que je donne les réponses en LSF…

Pour le médiateur lui-même sourd : quelles spécificités ?

Qui a dit que ce statut était réservé uniquement aux entendants ? Bien sûr, le médiateur sourd

doit pouvoir oraliser et porter des prothèses auditives. Chaque entendant se dira qu’il peut y'avoir

une gêne pour l’audition qui rendra dans ce cas l’exercice acrobatique! Vrai et faux… Certes,

j’ai vécu des situations intenses où le discours allait très vite ! Je suivais la première phrase, je

courais après la seconde pour ensuite décrocher dès la troisième…. Mais en général, je fais signe

au professeur de faire une pause. Il y aura toujours un décalage dans le temps entre ce qui se dit

oralement et ce qui sera signé. Tous les interprètes vous diront d’ailleurs la même chose ! La

traduction est parfois un exercice périlleux ! Parce que je suis aussi une personne sourde :

� ma présence incite le professeur à aller plus lentement,

� à utiliser davantage le tableau,

� à marquer des pauses,

Ce qui est, en somme, bénéfique pour tout le monde…

Pour ma part, je pense que le médiateur sourd peut offrir, suivant le contexte, une longueur

d’avance par rapport à son homologue entendant.

Il est un référent linguistique indéniable pour le jeune sourd. Nos jeunes sourds ont une

représentation souvent très floue de la langue, que ce soit la langue française ou la langue des

signes. Souvent, ils n'ont pas de vrai référent linguistique comme peut l'avoir un enfant bilingue

(anglais, français). Par ailleurs, l'enseignant spécialisé utilise souvent toutes les langues, ce qui

ajoute de la confusion chez l'enfant. Ce rôle de référent n’est pas à négliger, il joue dans la construction de l’identité individuelle et sociale de chaque élève.

Mr DOREY, psychologue clinicien thérapeute qui travaille avec les adolescents sourds lyonnais

dit que: " le sujet (l’élève sourd) ne connaît pas le retour langagier de l’autre ; l’enfant ne sait pas

qui il est si personne ne le lui dit : le jeune sourd est en recherche de sa propre identité."

Le médiateur sourd sait comment pense un sourd, à quoi il fait référence ! Il sait déceler les

imperceptibilités, les confusions légères mais qui font toute la différence et qui passent trop

souvent à côté de l’attention des enseignants.

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Mathématiques et surdité – Enseigner à de jeunes sourds

40 Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS

En tant qu’adulte sourd, il permettra à un jeune de se projeter dans l’avenir. L’élève ne se

posera plus la question de savoir ce que deviennent les sourds après avoir franchi le cap des 18-

20 ans ? Le médiateur sourd a lui-même été un élève sourd avec son propre vécu, ce qui a

marché pour lui, ce qui a dérapé.

Christian CUXAC (chercheur linguiste à Paris VIII) et Yves DELAPORTE (Ethnologue CNRS)

dénomment les adultes sourds comme de véritables pourvoyeurs de langue.

Recevoir des sourds en cours ne suffit pas pour les connaître. Vous, enseignants entendants,

aurez toujours une connaissance limitée de la surdité, uniquement dans un cadre scolaire. Vous

ne voyez que la partie visible de l’iceberg…

Le médiateur sourd doit savoir se gérer lui-même et rester avant tout professionnel dans son

action, maîtriser son travail; il doit disposer de compétences multiples car les attentes de la

part des enseignants sont nombreuses.

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42 Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS

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Mathématiques et surdité – Enseigner les mathématiques à de jeunes sourds

Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS 43

1) La reformulation Françoise Labouré

Tous les jeunes sourds rencontrent des difficultés dans la compréhension de la langue, même

écrite, ce qui est difficile à imaginer, mais qui doit être pris en compte pour tester les capacités

autres que décrypter un texte ou s'exprimer en français écrit.

Si l'on veut contrôler les connaissances mathématiques d'un élève sourd, il faut éliminer toute

gêne induite par la maîtrise imparfaite du français.

Si l'on exclut le vocabulaire purement mathématique dont l'apprentissage ferait l'objet d'une autre étude, le vocabulaire des énoncés se présente soit sous forme de consignes

spécifiques (vocabulaire de base), soit sous forme de texte explicatif d'une situation problème (ce

que j'appelle "texte périphérique").

Les consignes de base doivent être expliquées et reformulées pendant les séances d'entraînement

et certaines, exigibles lors des contrôles et des examens en fonction du niveau des études,

doivent être apprises par les élèves sourds (calculer, montrer, démontrer, en déduire,

justifier …).

Celles qui ne sont pas exigibles doivent être explicitées chaque fois qu'elles sont utilisées, en

remplaçant la formule initiale par un synonyme ou une périphrase sans donner d'indications

supplémentaires sur la méthode de résolution (« justifier » est reformulé par « dire pourquoi,

expliquer bien les raisons », « noter » par « écrire »)

Dans tous les cas et en particulier pour le texte périphérique, il s'agit de remplacer le vocabulaire

initial par du vocabulaire accessible aux sourds, d'écrire autant que possible en phrases courtes à

la forme active, de supprimer le maximum de subjonctifs et de pronoms relatifs pour améliorer la

compréhension du texte sans toutefois apporter des précisions qui ne permettraient plus aux

élèves de faire la preuve des connaissances exigées.

La reformulation établie en présence des élèves sourds, en situation d'apprentissage, apporte un

complément non négligeable à la connaissance de la langue française Il est souhaitable de garder

autant que possible une articulation entre le français et les maths. Il est aussi très intéressant de

travailler au quotidien les reformulations en collaboration avec l'orthophoniste.

Pour toutes reformulations et en particulier celles des contrôles et des examens, la collaboration

entre l'orthophoniste et l'enseignant de la spécialité est indispensable.

Lors des examens :

Si la demande a été exprimée préalablement, la CDES décide des conditions particulières faites

au candidat. Celui-ci, en plus du tiers-temps, peut disposer d'un assistant spécialiste d'un mode

de communication familier au candidat : enseignant spécialisé de l’enseignement au jeune sourd,

orthophoniste, interprète en LSF, codeur LPC. Cet assistant doit aider à la compréhension des

questions posées, peut donner des précisions par écrit mais ne peut pas intervenir sur les

réponses. En fait, il convient de s'assurer que le candidat en situation de handicap se trouve dans

des conditions de travail de nature à rétablir l'égalité entre candidats.

Aucun texte en vigueur ne donne des précisions strictes sur la manière de procéder à cette

assistance. Suivant les académies et même les établissements, je me suis trouvée confrontée à

différentes pratiques : les termes et les phrases du sujet jugés inaccessibles aux sourds sont

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Mathématiques et surdité – Enseigner les mathématiques à de jeunes sourds

44 Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS

reformulés par écrit sur un feuillet donné au candidat le plus vite possible en début d'épreuve, ou

alors l'assistant reste près du candidat tout au long de l'épreuve et répond aux demandes qu'il

juge justifiées, ou encore les deux pratiques sont mêlées. Mais dans tous les cas, le professeur de

la spécialité, en l'occurrence ici le professeur de mathématiques, intervient de concert avec le

spécialiste responsable de la reformulation afin que celui-ci n'ait pas de doute sur le vocabulaire

spécifique dont la connaissance est exigée du candidat.

Lors du quotidien du cours, pour la reformulation, il est nécessaire de :

� Différencier situation d'apprentissage et situation de contrôle

� Apprécier le niveau des élèves : par exemple certains termes spécifiques reformulés en

seconde, peuvent être exigés au Bac

� Préciser l'objectif à atteindre :

� Tester une simple notion mathématique en résolvant des exercices courts.

Il faut exprimer les consignes et les questions à l'aide de plusieurs phrases courtes, de mots

simples et utiliser les symboles.

� Faire acquérir le vocabulaire spécifique aux énoncés, en utilisant des textes purement

mathématiques :

Il faut partir d'un énoncé très simplifié, le complexifier progressivement jusqu'à utiliser

l'énoncé initial sans reformulation.

� Faire résoudre un problème :

En situation d'apprentissage : laisser un temps de réflexion, expliquer avec

questionnement pour aider l'élève à donner lui-même du sens au texte.

En situation de contrôle ou d'examen :

Les consignes dont la connaissance n'est pas exigée sont à reformuler.

Il faut apprécier les parties de l'énoncé nuisibles à la démonstration des capacités

mathématiques, les simplifier à l'aide de synonymes et de périphrases, sans donner

d'indications mathématiques. Seul ce que j'appelle le "texte périphérique" ou "l'enrobage"

peut être expliqué.

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Mathématiques et surdité – Enseigner les mathématiques à de jeunes sourds

Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS 45

Quelques exemples de reformulation

Texte initial Reformulation

Niveau seconde, situation d’apprentissage

1) Trouver deux nombres pairs consécutifs

dont la somme est 198.

(On désignera par x et (x + 2) chacun de ces

nombres)

1) x est un nombre entier pair

(x + 2) est un autre nombre entier pair. Ces

deux nombres entiers pairs se suivent, on dit

qu'ils sont consécutifs. Leur somme est 198.

Trouvez x puis(x + 2).

2) Déterminer l'entier naturel qu'on doit

ajouter aux deux termes de la fraction

7

5pour obtenir une fraction égale à

10

9

2) On ajoute le même nombre entier x aux deux

termes (numérateur et dénominateur) de la

fraction 7

5.

Comment s'écrit la nouvelle fraction ?

Cette nouvelle fraction est 10

9

Trouvez le nombre x.

3) Dans une entreprise, on emploie 240

ouvriers. Il y a quatre fois plus d'hommes

que de femmes. Combien y a-t-il

d'hommes et de femmes dans cette

entreprise ?

3) Dans une entreprise : 240 personnes

(hommes et femmes) travaillent.

Il y a 4 fois plus d'hommes.

Combien de femmes travaillent ?

Combien d'hommes travaillent ?

Sujet de BEP

1) On admet que le calcul de la puissance P

de cette éolienne de diamètre D est donnée

par la relation : P = 250 D2

2) Déterminer graphiquement le diamètre

d'une éolienne dont la puissance P est de

125000 W

1) P = 250 D2 est la formule pour calculer la

puissance P de cette éolienne de diamètre D.

Vous pouvez l'utiliser sans la démontrer.

2) Une éolienne a une puissance P égale à

125 000W. Quel est son diamètre ? Trouvez la

réponse en utilisant le graphique.

Niveau première

1) une phase de lancement

2) dresser le tableau de variation

3) Déterminer la limite de f en …

4) On note C la représentation graphique

5) Comment ce résultat se traduit-il

graphiquement ?

6) On admettra que le frottement …

1) une étape de démarrage

2) faire le tableau de variation

3) Donner la limite de f en …

4) On appelle C la représentation ……

5) Comment ce résultat se représente-t-il sur le

graphique ?

6) On dira que le frottement …..

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46 Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS

2) Des questions qui obtiennent des réponses Monique Bonnet

Poser des questions est une activité habituelle de l’enseignant, pour aider les élèves, pour savoir

ce qu’ils ont dans la tête, pour mieux comprendre leurs erreurs et adapter les explications ou les

exercices proposés. Mais trop souvent, entendant ou non, l’élève ne sait pas répondre, ou ne

donne aucun renseignement exploitable.

Couramment, l’enseignant cherche à dialoguer : « Monsieur ? Je ne trouve pas pareil qu’au

tableau ! » « Ah ! Qu’est-ce que tu as trouvé ? » « 3 kg » « comment tu as fait ? » « J’ai divisé

15 par 5 » « et pourquoi ? » « ben, … je sais pas… ». Fin du dialogue !

Certaines questions, issues de l’entretien d’explicitation (*), permettent de poursuivre ce

dialogue, de débloquer ces situations, essentiellement en évitant de demander « pourquoi », et en

demandant plutôt « comment, quoi, quand, … ».

Ces questions sont plus précises que des « pourquoi », et avec des élèves sourds, nos paroles ont

intérêt à être les plus explicites possibles, bien adaptées, pour être efficaces.

Un exemple, en classe de 5e « spécifique » (classe regroupant uniquement des élèves

sourds), lors de la correction d’un problème du Concours Kangourou, dont voici l’énoncé :

Nicolas ouvre son livre et remarque : « la somme des nombres indiquant les numéros des deux pages que je vois est 21 ». Quel est leur produit ?

Le sujet propose 5 réponses ; les élèves en ont proposées 3 différentes, mais jamais la

bonne ; je n’indique rien, je constate seulement qu’ils ne sont pas d’accord entre eux et je

demande comment savoir quelle est la bonne réponse.

N. intervient pour dire qu’il n’a pas compris l’énoncé.

- que comprends tu quand tu ne comprends rien ?

- que le livre a 21 pages !

et la plus grosse partie de la classe a compris comme lui…

- comment sais-tu que le livre a 21 pages ?

- parce que j’ai lu les mots « livre, nombres, deux pages et 21… »

A., lui, dit :

- il y a 2 nombres et ça doit être 20 et 21 puisque le livre a 21 pages ; le produit est

donc 420.

Je me dis qu’A. s’est servi de plus de mots dans l’énoncé que N., car il s’est servi du mot

« produit ».

- de quels mots vous êtes vous servis ? de quels mots ne vous êtes vous pas servis ?

Ils ne se sont pas servis de « somme » ni de « numéros ». Nous traduisons ensemble le mot

« somme », qu’ils relient pour certains à l’addition, mais sans savoir quoi additionner. En

revanche, ils « voient » le 21 comme un numéro de page. Je leur demande quels mots

remplacent le « que je vois »,

- qu’est ce qu’il voit, Nicolas ?

Ils ne savent pas, la grammaire ici est difficile. Je sors alors un livre pour montrer que les

pages ont des numéros, et que, si les n° sont 20 et 21 (ou 21 et 22, A. hésite), cela ne veut

pas dire que le livre a 21 pages.

- alors, quand vous ouvrez votre livre, vous voyez quoi ?

- des problèmes !

- et des numéros de pages ?

Ils n’en voient qu’un, au début, puis 2. Et le livre a plus de 200 pages. Le doute s’installe :

numéro et nombre de pages, ce n’est pas la même chose.

- alors, que voit Nicolas quand il ouvre son livre ?

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Mathématiques et surdité – Enseigner les mathématiques à de jeunes sourds

Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS 47

Ils parlent entre eux, je ne comprends rien… j’attends

et au bout de quelques instants, j’entends « 10 et 11 ». A. a trouvé.

- comment tu sais que c’est juste, 10 et 11 ?

A cette question, A. indique que 10 + 11 = 21 et donc que la bonne réponse est 110 = 10 ×

11. Nous ouvrons le livre aux pages 10 et 11 et nous reprenons l’énoncé.

Ce jour-là, la classe a l’air convaincue. Je n’ai pas vérifié en prenant d’autres pages, parce

que l’exercice avait déjà duré trop longtemps…

(C’est une transcription de situation de classe, qui ne peut pas retransmettre les gestes, mimiques, écritures au tableau et autres moyens pour que nous nous comprenions, les élèves et moi)

On peut faire une liste non exhaustive de questions utiles et qui obtiennent régulièrement des

réponses.

Des questions pour savoir s’ils ont compris, ce qu’ils n’ont pas compris, leur

démarches, les conceptions qu’ils ont dans la tête : - qu’est-ce que tu as compris ? (plutôt que « as-tu compris ? » ; les sourds, encore plus que

les autres élèves, répondent « oui » systématiquement quand on leur demande s’ils ont

compris…)

- comment tu sais ça ?

- comment tu as fait ? comment tu t’y es pris ?

- comment tu savais qu’il fallait faire ça ?

- par quoi tu as commencé ? et ensuite, tu as fait quoi ?

- quand tu as lu, tu as lu quoi ? comment tu as lu ?

- quand tu regardes, tu vois quoi ? tu te dis quoi ?

Des questions pour aider les élèves à chercher, pour les débloquer sans souffler la

réponse :

- comment tu sais que tu ne sais pas faire ? (quand un élève dit qu’il ne sait pas faire)

- et quand tu ne sais pas faire, qu’est-ce que tu sais faire un petit peu ?

- jusqu’où tu sais faire ?

- qu’est-ce qui te bloque , t’ennuie, te fais douter ?

- quel est ton but, quand tu fais ça ? tu fais ça pour faire (trouver) quoi ?

- quand tu as fait n’importe quoi, tu as fait quoi ?

- quand tu ne vois rien, tu regardes quoi ? qu’est-ce que tu te dis ?

- de quoi t’es tu servi dans l’énoncé ? de quoi ne t’es tu pas servi ?

- et quand tu ne comprends pas, tu comprends quoi ? (quand ils disent qu’ils ne

comprennent pas)

- et quand tu ne comprends pas, tu comprends jusqu’où ?

Des questions pour terminer une recherche : - comment tu sais que c’est juste ? que c’est faux ? que c’est fini ?

Toutes ces questions sont des questions qui visent à décrire ce qu’a fait l’élève quand il a

cherché son exercice : comment tu sais, comment tu fais, plutôt que pourquoi tu dis ça, pourquoi

tu fais ça. Souvent, quand on demande « pourquoi » aux élèves, ils cherchent une réponse du

cours, ils cherchent à se justifier.

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Mathématiques et surdité – Enseigner les mathématiques à de jeunes sourds

48 Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS

On peut aussi aider l’élève à sortir du « je ne sais pas », « je n’y comprends rien », avec des

questions sur ce qui se passe dans sa tête à ce moment-là (et quand…, qu’est ce que tu

comprends, qu’est ce que tu fais, qu’est ce que tu vois, qu’est ce que tu te dis,…). Les sourds

aussi se disent des tas de choses, en tout cas ceux auxquels j’ai eu affaire. Et s’ils ne répondent

pas quand je leur demande ce qu’ils voient mais continuent à réfléchir, je propose

systématiquement « qu’est-ce que tu te dis ».

Ce type de questions permet à l’élève de sortir du jugement sur sa démarche, d’en décrire les

étapes, de décrire les critères de décision : cela permet à l’enseignant d’analyser alors la

démarche en question, d’en tirer les causes d’erreurs et d’adapter sa remédiation. Il arrive aussi

fréquemment que l’élève lui-même, en décrivant sa démarche, comprenne ce qui n’allait pas, et

corrige son erreur spontanément.

Pratiquer ces questions est plus difficile avec des sourds signants qu’avec des élèves oralisants,

mais cela fonctionne quand même, y compris par l’intermédiaire d’un traducteur, s’il traduit

précisément.

(*) L’entretien d’explicitation en formation initiale et en formation continue, de Pierre

Vermersch, chez ESF, 1994

Pratiques de l’entretien d’explicitation, sous la direction de Pierre Vermersch et de Maryse

Maurel, chez ESF, 1997

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Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS 49

3) Méthodes pour enseigner et démontrer, en collège et au lycée Yves Navarro et Thérèse Mangeret ont inséré, en fin de chaque partie, des documents, qui sont des fiches de travail pour les élèves,

ou des photocopies de travaux d’élèves.

Yves Navarro, enseignant en collège

Organisation générale de l’année scolaire

La progression des différents chapitres peut se révéler importante. L’élève HA (handicapé

auditif) doit se sentir, en début d’année, rassuré afin de prendre confiance en lui. Je veille donc à

débuter par des chapitres où il est en général plus à l’aise. Je commence par du calcul

numérique : des révisions et les chapitres sur les nombres relatifs et les fractions.

L’aspect calculatoire des mathématiques est en principe mieux assimilé que l’aspect écriture et

raisonnement.

Au mois d’Octobre j’aborde la géométrie avec le chapitre sur le théorème de Pythagore qui est

un bon tremplin entre le côté géométrie et le côté calcul.

Après cela on peut se consacrer à un chapitre basé exclusivement sur la déduction et la

démonstration, en s’appuyant sur des règles vues en 5ème

et le chapitre sur Pythagore.

Lorsque le principe de raisonnement déductif est intégré on peut aborder tous les nouveaux

chapitres de géométrie et les nouvelles propriétés.

Organisation des cours

Dans mes classes seulement trois HA sont intégrés aux autres élèves. Ces heures de classe

commune sont importantes et constituent une véritable intégration. Il est donc primordial de

solliciter les élèves HA pendant ces heures afin de stimuler leur apprentissage. Ces élèves sont

traités comme tous les autres élèves.

En plus de ces heures communes les HA bénéficient d’une heure de soutien, où ils sont seuls

avec moi. Pendant cette heure il est indispensable de prendre du temps pour laisser s’exprimer

les élèves. Il reviennent sur le déroulement des heures en classe entière, et les échanges sont

riches d’informations sur ce qui s’est passé, et sur ce qui a été concrètement perçu par les élèves.

Il convient également de reprendre systématiquement leur cahier pour contrôler toutes les traces

écrites (riches encore d’enseignement).

Aux examens les élèves HA bénéficient d’un tiers temps, et l’heure de soutien peut également

être utilisée pour terminer un contrôle écrit

Difficultés spécifiques aux HA

1-Problèmes de vocabulaire

Un des premiers problèmes rencontré est celui du vocabulaire. Lorsque celui-ci n’est pas

maîtrisé les énoncés mathématiques n’ont plus de sens.

Deux raisons principales semblent expliquer ces difficultés :

1ère

cause : l’oubli (mémorisation difficile chez le mal entendant).

Exemple : l’élève ne sait plus ce qu’est un triangle équilatéral, une médiatrice, etc…

Pour palier à ce problème seul la répétition, et la fréquence des exercices, semblent permettre

une meilleure assimilation.

2ème

cause : la confusion entre certains termes.

Ce sont des mots ayant des phonétiques ou des orthographes voisines

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50 Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS

Ex : Equateur pour Equation, médiatrice pour bissectrice, membre pour nombre, etc.

Les exemples sont nombreux et souvent déroutants (on les découvre en heure de soutien)

2-Lecture des énoncés

On constate que cette lecture peut être partielle, ou bien vidée de ses liens logiques. Elle perd

alors tout son sens et met l’élève en échec.

Ex : « les élèves ne lisent pas jusqu’au bout »

Placer le point K tel que KA = KB (ce qui est souligné n’est pas lu et ils ne

savent pas où placer K

Tracer la droite perpendiculaire à (EG) et passant par G (ce qui est souligné

n’est pas lu, et ils ne savent pas tracer la droite).

3-Enoncés particulièrement difficiles

On rencontre dans certains ouvrages des énoncés qui sont pour des élèves HA particulièrement

confus et mal adaptés. Il vaut mieux alors soit les reformuler soit carrément les éviter.

Ex : - Trouver le plus petit entier supérieur à -99,99

- Je prends trois nombres consécutifs, si j’ajoute le double du premier et le

triple du deuxième j’obtiens le quadruple du troisième.

Comment enseigner la démonstration

La démonstration en géométrie nécessite un travail à plusieurs niveaux :

- Au niveau du vocabulaire

- Au niveau de la lecture des énoncés

- Au niveau de la mise en place du raisonnement

- Vocabulaire et lecture d’énoncés

Nous avons parlé dans le paragraphe précédent des problèmes du vocabulaire. Seul un travail

régulier et répétitif permet des résultats. Bien sûr il ne s’agit pas d’apprendre par cœur des

lexiques de mots mais de réactiver chaque fois que c’est possible tout le vocabulaire oublié.

Pour aider les élèves sur la lecture des énoncés, plusieurs activités peuvent leur être proposées.

1er

type d’activités (à développer à partir de la classe de 5ème

)

Faire construire des figures géométriques à partir d’un énoncé. Cela permet de contrôler la bonne

compréhension du vocabulaire et du sens général du texte et si nécessaire il faut reformuler les

tournures des phrases qui posent problème.

2ème

type d’activité

Faire rédiger des énoncés à partir de figures géométriques codées. C’est un travail plus délicat

car il fait appel à des notions de français (grammaire, orthographe, construction de phrases).On

peut alors exploiter la production de l’élève de deux façons :

Soit on échange les énoncés entre deux élèves et on leur demande de réaliser la figure d’après le

texte de leur camarade. Les discussions qui en découlent sont très instructives et permettent de

donner plus de sens à leurs écrits.

Soit on peut également laisser s’écouler plusieurs jours après l’écriture et redonner le texte à son

auteur. Celui-ci doit alors dessiner la figure et il percevra par lui-même les manques et les erreurs

de son propre travail. C’est sans aucun doute, une réelle source de progrès.

(Voir dans le document 1 un exemple de figure et des productions d’élèves).

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Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS 51

- Mise en place du raisonnement

Premier travail : Il faut montrer la nécessité d’apporter la preuve d’un résultat. En géométrie,

tout particulièrement, on doit faire comprendre que ce que l’on voit sur la figure n’est pas une

justification suffisante pour répondre à une question.

Donner du sens à ce grand principe en démonstration n’est pas chose facile. En effet dans toute

leur scolarité jusqu’à présent beaucoup de réponses sont basées sur l’observation du dessin.

Il s’agit donc de choisir des activités dans lesquelles la figure ne permet pas d’apporter une

réponse convaincante.

Exemple : Tracer un triangle BOD rectangle en O tel que : OB = 17,5cm et OD = 10,5cm

Sur [OB] placer le point A tel que AB = 7,5cm. Sur [OD] placer le point C tel que

CD = 4,5cm.Tracer les segments [AD] et [BC]. Ils se coupent en I. Des deux triangles

AIB et CID quel est celui qui a la plus grande aire ?

Cet exercice permet d’obtenir des réponses contradictoires (suivant les mesures prises par les

élèves) et donne ainsi plus de sens à la preuve. (Celle-ci ne s’appuie sur aucune mesure, elle est

objective et argumentative.)

Deuxième travail : Dans un deuxième temps il faut faire prendre conscience à l’élève qu’un

résultat est lié à une condition initiale. Ici on peut s’appuyer sur le théorème de Pythagore où

l’élève comprend assez facilement qu’il faut avoir un triangle rectangle pour utiliser la propriété.

Il peut réaliser ainsi le lien entre une cause et une conséquence schématiser en mathématique

par : Si…………. Alors………………

On met alors en place le chaînon déductif basique qui s’écrit toujours selon le même protocole

Les données : je sais que …

La propriété : Si …Alors …

La conclusion : Donc …

Je pense que, si l’on veut que l’élève rédige correctement une démonstration, il faut exiger ce

cadre rigide, il sera pour lui un fil conducteur systématique.

Difficultés face à la démonstration

Une fois les outils et les principes de base posés, il n’en demeure pas moins différents types de

difficultés. On peut alors essayer à travers quelques activités spécifiques de remédier à ces

difficultés.

1- Difficultés d’apprentissage des propriétés

J’ai pu remarquer que l’énoncé de la propriété lui-même n’est pas correct. L’élève écrit une

phrase peu rigoureuse, souvent imprécise et incomplète, voir carrément fausse ou dénuée de

sens. Un apprentissage par cœur des propriétés est nécessaire, pour faciliter celui-ci je fais

associer à chaque propriété une figure type. Dans certains cas on peut même y associer une

figure active (sorte de bande dessinée où la figure est évolutive).

Voir exemple dans le document 2.

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52 Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS

2- Confusion entre la propriété directe et sa réciproque

Cette confusion est significative pour le théorème de Pythagore et sa réciproque et l’élève

mélange indifféremment les deux. Je fais donc écrire clairement pour chaque propriété à quoi

elle sert et à quelle question elle répond. Le théorème de Pythagore sert à calculer la longueur

d’un côté, sa réciproque sert à prouver qu’un triangle est rectangle

3 – Confusion entre les données et les conclusions

Il est fréquent de voir des élèves utiliser la conclusion pour prouver un résultat ou prouver

quelque chose qui est donné.

Une première méthode de travail consiste à faire établir une liste de toutes les données d’après

l’énoncé. La règle est ensuite simple, tout ce qui n’est pas écrit sur la liste est à justifier par un

chaînon déductif.

Une autre méthode, consiste à faire rédiger un problème dans son intégralité (énoncé +questions)

à partir d’une figure aux données surabondantes

Voir exemple dans le document 3.

4 - L’élève ne sait pas comment démarrer

Le rôle de l’enseignant est de donner des pistes pour que l’élève puisse commencer à réfléchir,

pour que la question lui permette d’évoquer des règles. Il faut en quelque sorte amorcer le

processus.

J’explique aux élèves que les questions en géométrie sont souvent de même nature, elles sont

peu nombreuses (en quatrième notamment) et tournent toujours autour des mêmes thèmes :

Montrer qu’un quadrilatère est un parallélogramme.

Monter que deux droites sont parallèles.

Montrer que deux droites sont perpendiculaires.

Etc.

Prenons par exemple la question « montrer que deux droites sont perpendiculaires ».

En principe l’élève repère assez facilement la question et comprend ce qu’il doit prouver. Au

brouillon je lui demande alors d’écrire les propriétés qui se présentent sous la forme :

Si ……………………. alors les droites sont perpendiculaires

L’élève peut ainsi visualiser la ou les propriétés qui lui paraissent utilisables dans le contexte de

l’exercice.

Pour faciliter ce travail de mémoire des propriétés je fais établir pour chaque question type une

fiche méthode. Pour notre exemple il consultera la fiche « Comment montrer que deux droites

sont perpendiculaires »

Dans un premier temps ce travail peut se faire avec l’enseignant qui guide la réflexion de l’élève

puis progressivement il s’organise seul.

Toutes ces fiches sont indépendantes consultables à tout moment et sont complétées et enrichies

tout au long de l’année par de nouvelles propriétés. (Voir exemple de fiches en annexes).

Parallèlement je fais faire à l’élève un travail d’évocation qui permet d’acquérir un peu plus

d’intuition et d’expérience. Il doit être capable d’associer à chaque théorème une configuration.

Pour stimuler ce travail on peut décliner plusieurs types d’exercices :

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Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS 53

Donner une liste de théorèmes et demander une figure correspondante à chacun d’eux.

Inversement donner une série de figures et demander à quel(s) théorème(s) on peut les

associer.

A partir d’une configuration codée plus ou moins complexe demander les propriétés

susceptibles d’être utilisées. (Voir exemples dans les documents 4 et 5).

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54 Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS

Document 1

O

B

HE

A

Voici une figure codée. Ecrire une suite d’instructions qui pourraient donner cette figure.

Production d’élèves :

• Tracer un cercle de centre O

• Tracer ensuite la droite [EB] perpendiculaire au cercle, elle coupe le cercle en A

• Tracer la droite [EH] passant par le milieu du cercle et par O.

• Relier A à H et H à B.

• Tracer un cercle au centre O

• Tracer un diamètre EH et placer le point A sur le cercle

• Tracer le symétrique de E par rapport à A qui s’appellera B

• Et tracer les segments AH et BH.

• Tracer un cercle de centre O.

• Tracer une droite [EH] passant par O, puis tracer la droite [EA] et que la droite HA se

rencontre. Tracer [HB] qui est l’hypoténuse du parall élogramme et [AB] qui est égale à

[EA].

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Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS 55

Document 2

Présentation d’une propriété par une suite de dessins

Propriété 1

paralleles

Si........ alors................

Propriété 2

Si..... alors.............

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56 Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS

Document 3

TRAVAIL SUR LA DÉMONSTRATION

I – On donne la figure ci-dessous

A

B C D

Voici une liste de propriétés que possède

cette figure :

1 – Le point C est le milieu de [BD].

2 – BD = 2AB.

3 – Le triangle BAD est rectangle en A.

4 – Le triangle ACD est isocèle en C.

5 – ABC = 60°

6 – ADC = 30°

7 – Le triangle ACD est isocèle.

II – 1 - Effectue la construction de cette figure en utilisant le minimum de propriétés (choisies

parmi les propriétés ci-dessus). Indique au fur et à mesure le numéro des propriétés utilisées.

2 - Rédige un énoncé traduisant ta construction

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Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS 57

Document 4

FICHE MÉTHODE

Comment démontrer que :

Deux droites sont perpendiculaires ?

1

Si deux droites sont parallèles et si une

troisième est perpendiculaire à l’une

alors elle est perpendiculaire à l’autre

2

Si un quadrilatère est un losange

alors

ses diagonales sont perpendiculaires

3 …

4 …

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58 Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS

Document 5

TRAVAIL SUR LES CONFIGURATIONS

A

B

M

A

B

M

A

B

M

O

M

Α

Μ

Β

Ο

Α

Β

C

M

N

Α

B

C

MN ∆

A

B

C

M

NA

B

C

M

N

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Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS 59

Thérèse Mangeret, en seconde Spécialisée

J’ai enseigné plus de 15 ans en seconde spécialisée. Il y avait entre 6 et 12 élèves suivant les

années, sourds et malentendants. Vous trouverez en annexe des copies de cours ou exercices pris

dans le classeur de mes élèves, avec leurs fautes éventuelles.

1 : Organisation de l’année scolaire

Comme Yves, je commence l’année scolaire par des notions peu verbeuses : Révisions de

calcul, ensembles de nombres, intervalles, équations, en faisant la « chasse aux erreurs ». Je

commence la démonstration en Novembre, lorsque nous nous comprenons mieux, puis j’alterne

les chapitres plus calculatoires, les plus faciles pour eux, avec les chapitres qui nécessitent plus

de raisonnement et de verbalisation, afin de ne pas les décourager.

2 : Organisation du cours et des exercices

Expliciter. Visualiser

L’usage de polycopiés est à proscrire, car les sourds ne peuvent pas lire la feuille, tout en lisant

sur les lèvres. Le cours est clairement séparé entre exercices et cours, et entre algèbre, géométrie,

et statistiques. Je lis, j’écris au tableau, et je signe : « cours, exercices, pour demain.. » Cela évite

que les élèves ne mélangent les différentes activités.

Cours

Toutes les notions nouvelles sont introduites à l’aide d’exercices, jusqu’à compréhension totale.

Puis j’écris au tableau un cours à trous, que les élèves vont compléter.

J’ouvre, dans la partie droite du tableau, une large marge, où j’écris les explications, les calculs

annexes, les méthodes, répétées autant de fois que nécessaire. Les élèves reproduisent cette

disposition sur leur feuille. (Document 6)

Codage par les couleurs

Les définitions sont écrites en vert, les propriétés en rouge, et les explications annexes, en

marge, avec de la craie orange. Cela permet aux élèves de se repérer dans le cours, et de « voir »

l’essentiel d’un coup d’œil.

Exercices d’application et problèmes plus complexes

Pour les parties plus techniques, demandant de l’entraînement, comme les résolutions

d’équations par exemple, je donne des listes d’exercices, et chaque élèves apporte son travail au

bureau, où je le corrige. Cela me permet de débusquer les origines de leurs erreurs, souvent des

lacunes venant d’une mauvaise assimilation antérieure, et d’adapter ma pédagogie à chacun.

Pour les problèmes plus longs et complexes, ils travaillent sur table, et je passe dans les rangs.

3 : Problèmes de vocabulaire, de liens logiques

Problème des petits mots

Les élèves sourds ne « voient » pas bien les « petits mots » : de, dans, et, ou, dessus, dessous,

avant, après. Il faut insister sur leur sens et leur utilité. Ne jamais utiliser d’abréviations, qui

dérivent très vite hors de leur sens. Utiliser des gestes pour préciser leur signification.

(Document 7)

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60 Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS

Problèmes avec l’ordre

Pour les sourds, l’espace est structuré par rapport au corps. On peut, pour faire comprendre les

notions de « positif », « négatif », « supérieur », « inférieur », si difficiles pour eux, se placer de

profil devant un axe dessiné au tableau, au niveau de zéro. Le nombres positifs seront devant,

les négatifs derrière.

Il faut tout écrire, définir chaque mot nouveau.

Pas d’implicite, utiliser, et exiger un vocabulaire très précis, et employé avec pertinence.

Liens logiques.

Il faut passer du temps sur les connecteurs logiques, sans compliquer. « Si .. alors », « comme ..

alors », « donc », « équivaut à » suffisent.

S’il y a un public auprès duquel on peut se servir utilement des flèches et doubles flèches

bannies ailleurs, c’est celui des malentendants. Elles correspondent si bien à leur visualisation !

Inconvénient : Ils les confondent avec le signe =.

Pour y remédier, on doit montrer la différence entre calcul et énoncé, entre équation et égalité

vraie, par exemple. Ici aussi, il est indispensable d’être extrêmement rigoureux. (Annexe 3)

4 : Problèmes de calcul avec les symboles, les signes

Plus encore que les autres, les sourds confondent les signes opératoires et les règles de calcul.

Le signe – leur pose problème :

Par exemple, pour dire : « a est inférieur à zéro », ils écrivent : « -a »

ab = c devient b = ac, ou b = c/a, ou b = a/c au choix.

3x = 0 devient x= 3 ou x = – 3 ou x = 1/3.

Sans se lasser, il faut leur faire retrouver leur faute, en remplaçant par des exemples numériques.

Je fais doubler systématiquement les traits de fractions par de parenthèses, lors des mises au

même dénominateur.

5 : Comment les faire décrocher de leurs « recettes de cuisine »

Les sourds ont du mal à comprendre les liens logiques, donc à les mémoriser. Il n’y a pas, ou

peu d’effet boule de neige des connaissances. Pour pallier à leurs difficultés, ils ont la tentation

de s’accrocher à des recettes de cuisine.

Pour lutter contre cette dérive, il faut aller à la racine du sens, faire comprendre, puis

appliquer. (Document 9)

On peut aussi poser les problèmes à l’envers (exemple : retrouver l’inéquation dont voici

l’ensemble de solutions), faire rédiger des synthèses, qui les obligent à réfléchir, à organiser

leur connaissances. (Documents 8 et 10)

6 : Comment enseigner la démonstration.

La démonstration est, certainement, le plus grand écueil que le professeur de mathématiques

rencontre avec ses élèves malentendants.

Pour construire la chaîne de déductions, j’utilise des déductogrammes. Puis, je leur demande de

rédiger à partir de déductogrammes donnés. Enfin, lorsque les deux exercices sont maîtrisés,

ils doivent faire le travail complet, sur des problèmes dont le nombre d’étapes va croissant.

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Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS 61

En séparant la partie déductogramme de la rédaction, il est possible de savoir si les difficultés

sont de l’ordre du raisonnement ou de l’expression.

Les difficultés à faire une relation de cause à effet peuvent venir de difficultés spatiales ou

temporelles.

Quant aux difficultés relevant de l’expression, elles sont plus faciles à remédier en maths qu’en

lettres. Chaque mot étant univoque, il n’y a pas, en maths, ces pièges terribles des doubles sens.

Déductogrammes : A chaque pas de démonstration, l’hypothèse est entourée en vert, la

conclusion en rouge, elles sont reliées par une flèche. Sur cette flèche, dans un cadre, est écrite

la propriété utilisée

Lorsqu’on passe au pas suivant, la conclusion précédente devient nouvelle hypothèse. Pour

marquer son changement de statut, on dessine, autour du cadre rouge précédent, un nouveau

cadre vert.

Les différentes hypothèses du problème peuvent générer des raisonnements parallèles, conver-

geant vers la conclusion finale. On organise alors le déductogramme dans le travers d’une

feuille. (Document 11)

Difficultés avec les figures. Les malentendants disent qu’ils « ne voient pas les figures ». C’est

assez surprenant lorsqu’on connaît leur sens de l’observation. En fait, ils ne saisissent pas la

dynamique de la figure. Cela est lié à leur difficulté à créer des liens logiques. Pour recréer cette

dynamique, je réalise des bandes dessinées, où la figure est décomposée en plusieurs étapes.

Sous chaque dessin, on écrit le membre de phrase correspondant. (Document 2)

7 : Mise en équation de problèmes

Voici une autre grande difficulté pour les sourds : passer du langage usuel au langage

mathématique. Ils additionnent les difficultés que leur posent les deux langages.

Pour les aider, tout d’abord, il faut s’assurer qu’ils connaissent les mots du texte. Il faut

également reformuler le texte en phrases simples.

L’usage de tableaux d’organisation de données est souvent efficace. Cela oblige à clairement

séparer les différentes étapes du raisonnement.

Enfin, comme une équation est une égalité, poser la question clé : Quelles sont les grandeurs

égales dans ce problème ? (Document 12)

8 : Conclusion

Ces méthodes ne sont pas exhaustives, mais représentatives de l’esprit dans lequel on peut

travailler. D’autre part elles conviennent aussi aux entendants, surtout s’ils ont des difficultés.

On peut les adapter à toutes les matières.

Enfin, ne soyez pas culpabilisés si vous n’arrivez pas à toujours les mettre en oeuvre. C’est

impossible, par manque de temps. Mais, dans les passages difficiles, leur utilisation peut

beaucoup aider.

Il faut cependant garder à l’esprit les règles de base :

Expliciter au maximum, visualiser, faire raisonner, en travaillant le sens. Etre exigeant,

avec soi-même, avec eux.

En restant fidèle à ces lignes directrices, on obtient, lentement, mais sûrement, des

résultats.

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62 Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS

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Mathématiques et surdité – Enseigner les mathématiques à de jeunes sourds

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Document 8

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Document 9

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Mathématiques et surdité – Enseigner les mathématiques à de jeunes sourds

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Document 10

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Document 11

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Document 12

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Mathématiques et surdité - Conclusion

70 Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon - SSEFIS

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Mathématiques et surdité - Conclusion

Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon – SSEFIS 71

Nous espérons que ces pages vous auront aidés, et pourquoi pas, que d’autres équipes

poursuivront le travail.

Nombreuses sont les pistes à explorer, en termes de culture, de connaissance du monde, de

lecture et de lexique, d’utilisation de l’image et de l’informatique, d’interdisciplinarité, de

mémorisation, d’outils pédagogiques, et bien d’autres encore…

Les mathématiques sont une matière à faible lexique parmi toutes les matières scolaires, et en ce

sens, elle est plus facilement accessible aux élèves sourds. Les enseignants d’autres matières

rencontrent encore plus de difficultés que nous ; un travail commun serait fructueux.

Ce travail supplémentaire que représente l’adaptation de son enseignement à des élèves sourds,

peut sembler trop lourd.

A ce propos, nous pensons tout d’abord que l’enseignant, quand il est volontaire pour ce travail,

doit s’accorder du temps car il ne peut pas s’investir sur tous les aspects à la fois. Rappelons

ensuite que nous ne pouvons pas suppléer à tous les manques ; en particulier, il est nécessaire

d’adapter ses objectifs aux moyens accordés par l’institution. Enfin, nous vérifions tous les jours

que nos réflexions et nos changements en direction des élèves sourds bénéficient à l’ensemble de

nos élèves entendants. Cela nous conforte dans notre évolution et notre investissement.

Il n’y a pas de recette miracle qui permette de régler tous les problèmes, ni de réponse à toutes

les interrogations.

Il est nécessaire et utile d’être avec nos élèves, sourds ou entendants, exigeants, rigoureux, et

généreux. La surdité est un handicap lourd, il faut du temps, beaucoup de temps et beaucoup

d’énergie à l’enfant sourd pour parvenir à une communication satisfaisante. Nous essayons de

faire une partie du chemin vers eux.

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Mathématiques et surdité - Conclusion

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Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon - SSEFIS

F. AnnexesF. AnnexesF. AnnexesF. Annexes

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Mathématiques et surdité - Annexes

74 Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon - SSEFIS

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Mathématiques et surdité - Annexes

Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon - SSEFIS 75

ANNEXE 1ANNEXE 1ANNEXE 1ANNEXE 1

Témoignages des membres du groupe, extraits de la monographie écrite pour la DAFAP

(juin 2004).

1/ Quelles ont été nos motivations pour entrer et rester dans ce projet ?

Thérèse Mangeret

Il y a environ 15 ans je me suis retrouvée en face d’une seconde d’élèves sourds, sans formation,

munie de quelques conseils sommaires : parler en face, articuler. Les collègues qui avaient pris

cette classe les deux années précédentes, avaient jeté l’éponge au bout d’un an. Les difficultés

que j’ai rencontrées me sont vite apparues très complexes. Lors d’un stage, j’ai pu bénéficier de

quelques conseils méthodologiques d’un collègue de collège : visualiser, utiliser la couleur. A

partir de là, j’ai réussi à imaginer quelques méthodes.

En 2000, j’ai reçu dans ma classe une stagiaire IUFM. Sa visite fut à l’origine de ce projet :

d’une part, mes méthodes, qui avaient fini par me paraître banales, l’ont étonnée, d’autre part,

j’ai réalisé qu’il existait un vrai besoin, et que je pouvais aider les collègues exposés aux mêmes

difficultés que moi.

Corinne Gardie

Enseignante spécialisée, j’ai exercé, au début de ma carrière, auprès d’élèves déficients auditifs

scolarisés partiellement ou totalement en collège. L’une de mes fonctions consistait à

accompagner l’intégration de ces jeunes et à jouer le rôle d’interface entre ceux-ci et leurs

professeurs. J’ai alors pris conscience de la nécessaire complémentarité de nos actions

pédagogiques et de nos compétences. La mutualisation des expériences et des savoirs, possible et

souhaitée par les membres du groupe, a été un élément déterminant dans mes motivations. De

plus, la « problématique linguistique » des enfants sourds qui utilisent la L.S.F. comme mode de

communication m’intéresse particulièrement. La communication gestuelle n’a pas été écartée et

ses enjeux ont pu être abordés avec ouverture et tolérance de la part de tous les professionnels du

groupe. Cette réflexion sans a priori m’a séduite et incitée à poursuivre nos échanges et nos

interrogations à propos de nos pratiques professionnelles.

Laurent Matillat

Etant enseignant spécialisé auprès d’enfants sourds, j’ai été amené à travailler en collaboration

avec des professeurs de mathématiques dans un cadre d’interface (traduction en langue des

signes) ainsi que dans un cadre de soutien. Sur le terrain, il est parfois difficile d’échanger :

manque de temps, pas assez d’affinité avec les collègues. C’est pourquoi je me suis souvent senti

isolé pour réfléchir sur ma pratique professionnelle afin de la faire évoluer, et pour faire face aux

problèmes que je pouvais rencontrer. J’ai donc été motivé pour participer à ce groupe, car il me

permettait de rencontrer des enseignants désireux de prendre du temps afin d’échanger, de

réfléchir sur nos pratiques professionnelles, de nous présenter modestement les outils de travail

que nous avions pu construire et que nous pensions être adaptés aux élèves sourds.

J’ai été séduit par l’idée de mutualiser nos expériences d’enseignants en mathématiques auprès

d’élèves déficients auditifs dans le but de les confronter, de les améliorer, et de les transmettre.

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Mathématiques et surdité - Annexes

76 Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon - SSEFIS

D’autre part, l’hétérogénéité du groupe, a été une source de richesse. La présence d’enseignants

spécialisés aux côtés de professeurs de collèges a été une motivation importante pour trois

raisons. D’une part, j’ai ressenti le besoin de faire part de mes remarques aux professeurs qui

intègrent les élèves afin d’améliorer la prise en charge des élèves déficients auditifs. D’autre

part, il m’a parut très informatif d’écouter les remarques des collègues afin de faire évoluer ma

pratique professionnelle aussi bien dans le travail d’enseignement que dans celui de soutien.

Enfin, les niveaux d’enseignement qui s’étendaient de l’école primaire au lycée, étaient source

de richesse dans la mesure ou l’on pouvait avoir à réfléchir à des situations d’enseignement

variées donc à des difficultés qui dépassaient mon seul champ d’intervention.

Monique Bonnet

Je suis venue dans le groupe parce que j’allais avoir des élèves sourds l’année suivante, et que je

me demandais comment m’y prendre avec eux. Je pensais apprendre auprès du groupe des

méthodes pédagogiques adaptées, et jouer le rôle du « candide ». Les visites entre collègues

m’ont montré ce qu’il est possible de faire avec des élèves sourds et m’ont donné des éléments

de comportements à adopter avec eux, notamment au niveau de la discipline en classe.

J’ai pris conscience des spécificités des sourds, au fur et à mesure des difficultés rencontrées :

classe spécifique, puis sourds intégrés dans une classe d’entendants, puis sourds non oralisants,

Le groupe a soutenu ces prises de conscience et m’a donné des moyens pour y répondre.

Yves Navarro

Enseignant les mathématiques depuis 3 ans à des élèves HA (Handicapés Auditifs) intégrés dans

certaines de mes classes (3 au maximum), j’ai été contacté en 2001 par le SSEFIS et mis en

relation avec Mme Mangeret professeur de mathématiques au lycée de la Martinière. Cette

enseignante m’a fait part de son projet de rédaction d’un document pédagogique, à l’usage des

professeurs de mathématiques, accueillant des élèves malentendants.

N’ayant eu aucune aide spécifique, ni aucune formation propre à ce type d’enseignement, la

création d’un ouvrage de référence m’est apparue comme une idée constructive et nécessaire.

En effet, je travaillais avec ces élèves HA comme avec les autres. Bien sûr, je percevais leurs

difficultés et je leur assurais des heures de soutien classiques, sans savoir si ce type

d’enseignement était réellement adapté à leur mode de raisonnement. Et puis, j’ai eu dans ma

classe une élève avec laquelle la communication s’est révélée particulièrement difficile, car cette

jeune fille oralisait très mal. La nécessité d’un enseignement différent m’est nettement apparue.

Pour atteindre cet objectif, je ne pouvais pas rester isolé dans mon collège. J’avais besoin

d’échanger mes expériences, mes échecs et mes doutes avec des personnes déjà sensibilisées à ce

type de problèmes. Parmi les enseignants engagés dans ce projet, certaines connaissaient mes

élèves depuis le primaire, et d’autres allaient les accueillir au lycée. Le suivi de l’évolution de

ces élèves était pour moi un atout pédagogique supplémentaire.

La constitution de ce groupe allait me permettre de mieux comprendre les difficultés et les

blocages de mes élèves HA, et partant, d’être plus efficace dans mon enseignement.

Françoise Labouré

En 1989, le LP F.Léger à Argenteuil admettait ses 2 premiers élèves sourds en 1ère

bac pro, j'ai

été volontaire pour les accueillir en math et sciences dans une classe ordinaire et je ne l'ai jamais

regretté. Un éducateur spécialisé assistait à mes cours sans intervenir, pour faire ensuite office

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Mathématiques et surdité - Annexes

Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon - SSEFIS 77

de répétiteur auprès de ces 2 élèves : il complétait le contenu de leurs cahiers de cours grâce à sa

propre prise de notes, expliquait le vocabulaire non compris, et reprenait les notions

mathématiques mal assimilées.

J'ai découvert en quelques semaines ce que pouvait être le monde des sourds grâce à l'amabilité

et aux compétences de ce collègue, alors que, sans son aide, bon nombre de mes interrogations

seraient longtemps restées sans réponse.

Les problèmes liés à la surdité m'ont intriguée et j'ai très vite été passionnée par la recherche et

la mise en œuvre de méthodes palliatives. J'ai donc pris en charge tous les élèves sourds admis

au LP les années suivantes, avec la grande chance d'être entourée par une orthophoniste, une

interprète en LSF, une jeune professeur de français sourde elle-même ainsi qu'une jeune femme

sourde m'initiant à la LSF. Leurs critiques constructives et judicieuses m'ont amenée très vite à

essayer de modifier ma façon d'enseigner pour m'adapter au handicap.

En 1995, je suis arrivée au LP Flesselles à Lyon en même temps que 4 élèves sourds admis en

4ième

technologique ; soupirs de soulagement de la direction : j'étais celle qui savait… donc

chargée d'office de l'enseignement des maths et des sciences dans cette classe. De nouveau, j'ai

pu participer à un travail d'équipe avec des collègues dynamiques associant élèves sourds et

entendants dans une démarche originale impulsée par l'enseignante spécialisée de français.

Enseignante sans formation à la pédagogie, j'ai toujours regretté le manque d'échanges de

pratiques entre collègues. Il ne suffit pas d'être détenteur du "Savoir" pour le transmettre de

façon satisfaisante et appropriée à chaque type d'auditeur. C'est pour cette raison que j'ai

recherché toutes les occasions de travailler en collaboration avec toute personne s'occupant des

élèves.

Aussi lorsque le SSEFIS m'a proposé de participer à un regroupement de professeurs de math

enseignant à des élèves sourds, j'ai accepté avec enthousiasme dans le but de mettre en commun

des pratiques pédagogiques pour les améliorer et d'en faire profiter des collègues qui n'ont pas

comme moi été épaulés dans leur démarche.

2/ Ce que le groupe nous a apporté, pour nous-même, pour notre pratique professionnelle.

Corinne

La collaboration avec des professeurs du secondaire a modifié positivement mon regard, quant à

certaines réalités vécues, au début de ma carrière… Les élèves sourds étaient parfois

essentiellement perçus, par les enseignants d’intégration, comme des jeunes « atteints de

nombreux déficits : communicationnels, langagiers, intellectuels, conceptuels ». Ils se

retrouvaient alors en difficulté pour comprendre un enseignement majoritairement centré sur la

transmission orale des connaissances. J’ai, à l’intérieur du groupe, pu mesurer combien le regard,

les méthodes d’enseignement et les réflexions pédagogiques des enseignants avaient évolué… A

l’ère du seul constat négatif que j’avais vécu, a succédé une ère de recherche de solutions et de

différenciations pédagogiques adaptées aux difficultés (qui n’étaient pas occultées pour autant)

du collège et du lycée.

Ma participation à cette réflexion m’a conduite à privilégier ou à renforcer certains aspects des

mathématiques en primaire : compréhension de la numération de position, recherches et tris

d’informations dans des énoncés dessinés ou signés en Langue des Signes, justification de

réponses proposées, propositions de réponses erronées…

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Mathématiques et surdité - Annexes

78 Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon - SSEFIS

Laurent

Sur un plan personnel, les visites dans nos classes respectives m’ont beaucoup enseigné sur la

pratique de chacun, qui s’étendait des classes primaires jusqu’au lycée. Puis, dans un second

temps, nous avons pu échanger, à partir de situations concrètes observées, sur les approches

pédagogiques de chacun et les théories sous-jacentes. C’est particulièrement ces aller-retour,

entre les éléments théoriques que nous avons pu trouver sur la pédagogie adaptée à la surdité et

la façon dont chacun se débrouille «intuitivement » sur le terrain, qui m’ont intéressé. Nous en

sommes venus à chercher ce qui pouvait différer entre l’enseignement à un enfant sourd et à un

enfant en difficulté scolaire, étant donné que certains enseignants avaient une expérience en

Z.E.P.

Ces échanges ont influencé ma pratique professionnelle. Ils m’ont montré à quel point le langage

était important dans l’acquisition et la prise de conscience des concepts mathématiques. C’est

ainsi que je me suis penché sur des techniques d’aide à l’évocation comme l’entretien

d’explicitation. Mais face à des élèves sourds qui éprouvent des difficultés de langue, comment

les aider à verbaliser, à reformuler leur raisonnement ? Je me suis donc interrogé sur le rôle de

l’image comme support à l’évocation. Je me suis ainsi rendu compte qu’il était très important de

poser des éléments qui n’étaient pas entendus par les élèves, de délinéariser notre discours et que

l’image, l’utilisation de l’espace de la classe, du tableau, des couleurs étaient autant de petites

astuces facilitant l’accès aux connaissances pour les jeunes sourds.

D’autre part, le fait d’écouter les préoccupations des enseignants du groupe à des niveaux

d’enseignement postérieurs au mien m’a permis de me rendre compte de ce qui était demandé, ce

qui m’a donné la possibilité d’adapter mon enseignement par rapport à ce qui pouvait être

attendu pour mes élèves dans la suite de leur scolarité. Notamment, j’ai été amené à être plus

exigeant sur la présentation et la rédaction des devoirs de mes élèves, tout particulièrement en ce

qui concerne les explications qu’ils pouvaient donner.

Monique

Je connaissais déjà l’enseignement des mathématiques en primaire et en lycée ; mais je ne

connaissais pas du tout l’enseignement à des élèves sourds ; voici ce qui a changé dans ma

pratique depuis 3 ans, au contact du groupe :

- parler face aux élèves et ne pas parler quand j’écris au tableau ; répéter ce que dit un élève pour

que les autres lisent sur mes lèvres ce qui vient d’être prononcé, articuler, parler plus

lentement,…

- utiliser plus de moyens visuels :

∗ plus de dessins, de schémas, de symboles,

∗ plus grande utilisation de la couleur,

∗ meilleure utilisation du rétroprojecteur : transparents plus nombreux, plus lisibles, des

transparents « dynamiques » en géométrie ;

- utiliser une caméra associée à une télévision : cela remplace l’épiscope ;

- approfondir le travail sur le vocabulaire des mathématiques, les consignes, commencer à

adapter les énoncés ; considérer différemment les erreurs dues au français ;

- adapter mes exigences (qui avaient beaucoup baissé au départ, mais c’était une erreur) :

∗ concernant la discipline et le comportement en classe,

∗ concernant la mémorisation, la récitation des leçons,

∗ concernant la communication orale,

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Mathématiques et surdité - Annexes

Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon - SSEFIS 79

∗ concernant le niveau des exercices, des activités,

∗ concernant les évaluations, les textes, le temps donné pour ces évaluations ;

- me méfier davantage des manques culturels, et de l’impression que ces élèves savent donner

d’avoir compris ; pour les élèves peu sourds, me méfier de croire qu’ils entendent aussi bien

qu’ils parlent…

- utiliser des signes en classe spécifique (classe regroupant uniquement des élèves sourds,

certains non oralisants, utilisant la LSF) ; cela relève plus du langage commun entre eux et moi

que de véritables signes de LSF, mais cela facilite leur compréhension, accélère la

communication, me permet de vérifier parfois qu’ils parlent bien de maths entre eux, me

permet de mieux les comprendre car ils signent en me parlant, …

Ce qui n’a pas changé :

- travailler le sens des notions, le raisonnement, être rigoureuse dans les méthodes, cohérente

au maximum ;

- mettre les élèves en activité, bâtir à partir de ce qu’ils savent ;

- motiver la recherche des réponses, l’analyse de leur pertinence et des erreurs par des

confrontations entre élèves (voire des débats) ou des situations problèmes ;

- utiliser des questions issues du questionnement d’explicitation.

Toutes ces adaptations sont en évolution constante et changent selon le public ; mais toutes sont

petit à petit réinvesties d’une façon ou d’une autre auprès des élèves entendants, notamment de

ceux qui sont en difficulté, mathématiques ou surtout, langagières…

Présence d’un interface dans ma classe

Cette année, je bénéficie pour la classe spécifique (élèves non oralisants) de la présence durant la

moitié du temps d’un interface. Celui ci possède les deux langages (LSF et français parlé) et

facilite la communication et l’activité des élèves dans la classe. Je reste cependant l’enseignante

et le référent de la matière.

Cela demande à l’enseignant de s’habituer à une présence adulte dans sa classe, mais le gain de

communication est tellement énorme que la présence de l’interface me paraît tout à fait

indispensable. Quand il n’est pas là, je suis contrainte d’écrire et de faire écrire les élèves, sans

cesse.

Yves

La première année de notre travail de groupe a été une phase d’observation des différentes

pratiques d’enseignement depuis le primaire jusqu’au lycée. A tour de rôle, nous assistions à une

séance de cours, découvrant ainsi des méthodes différentes souvent innovantes et parfois même

surprenantes. Cette expérience a été pour moi une formidable ouverture vers les autres.

Nous avions tous rencontrés les mêmes problèmes, nous avions tous eu les mêmes interrogations

et nous restions souvent seuls face à nos doutes. La dynamique du groupe nous a permis de

rompre notre isolement. Nous étions réconfortés à l’idée de surmonter ensemble nos difficultés

personnelles.

Dans un deuxième temps nous avons analysé nos différentes observations et rassemblé par écrit

nos nombreux échanges. Toute cette période m’a permis de mieux connaître le monde de la

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Mathématiques et surdité - Annexes

80 Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon - SSEFIS

surdité, l’aspect psychologique et humain de l’élève HA, son mode de fonctionnement. Il ne

suffit pas de répéter ou d’écrire ce que l’enfant sourd n’entend pas, son apprentissage passe par

d’autres clefs.

Sur le plan professionnel, j’ai été amené au fil du temps à bouleverser mes habitudes

d’enseignement. J’ai testé de nouvelles pratiques, j’en ai abandonné d’autres. Le suivi de nos

différentes expériences, de l’école primaire jusqu’au lycée, m’a permis d’envisager les pro-

grammes de mathématiques de notre système scolaire sous un éclairage diffèrent et de mieux

percevoir les articulations entre les différents niveaux.

Enfin un dernier point important nous a marqués : nous avons constaté que les problèmes

rencontrés chez les enfants HA se retrouvent à des degrés plus ou moins apparents chez d’autres

élèves non atteints de surdité. Ainsi tout ce qui est fait pour l’enseignement à un HA peut être

transcrit à un élève entendant.

Françoise

Au cours de ces 3 années, mes plus grandes découvertes ont été la révélation sur le terrain du

travail de l'enseignante du 1er

degré (je suis restée ébahie devant l'utilisation associée du LPC et

de la LSF pour tirer le meilleur des petits élèves sourds), ainsi que l'ingéniosité dont doit faire

preuve notre collègue pour éveiller ses élèves qui en plus d'être sourds sont en grande difficulté.

La méconnaissance des pratiques d'enseignement du 1er

degré et des classes spécialisées m'est

apparue comme un frein immense à l'amélioration de l'enseignement dans le 2nd

degré. Cette

constatation doit certainement s'appliquer aussi aux classes dites " ordinaires", si bien qu'un

travail de réflexion au sein d'équipes composées d'enseignants du primaire, du collège et du

lycée serait sans doute très bénéfique.

Thérèse

Ces trois années de travail ont été très riches. Rétrospectivement, je réalise combien cela pouvait

paraître utopique de vouloir réunir des enseignants de tous niveaux, et pourtant, nous avons

surmonté les obstacles, et fait de cette différence, dans le respect mutuel, notre principale

réussite.

Sur le plan de ma pratique en classe, j’ai pu améliorer mes méthodes, et surmonter des obstacles

qui me paraissaient insurmontables, par exemple, la démonstration. Ce fut une école de rigueur,

certes, mais pour une fois, je n’étais pas seule face aux problèmes, nous les partagions. Cela m’a

donné le courage d’avancer, malgré la charge de travail.

Nous sommes au bout de notre projet, dans la phase d’écriture, nous allons transmettre aux

collègues qui nous suivent quelques bases pour réussir.

C’est une très grande satisfaction pour moi.

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Mathématiques et surdité - Annexes

Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon - SSEFIS 81

ANANANANNEXE NEXE NEXE NEXE 2222

L’orientation des jeunes sourds, statistiques

Nous remercions le SSEFIS Recteur P. Louis (ex-SSEFIS Secondaire) qui nous a aimablement

communiqué les chiffres et les renseignements ci-dessous :

O.V.E. S.S.E.F.I.S. SECONDAIRE

129, Boulevard Pinel69500 BRON

Tél : 04.78.78.71.00Email : [email protected]

RESULTATS AUX EXAMENS SUR 4 ANS

ANNEES – 2000 – 2001 – 2002 - 2003

Année 2000

32 candidats

Année 2001

36 candidats

Année 2002

38 candidats

Année 2003

38 candidats

TOTAL

2000

2001

2002

2003

Présentés Reçus % Présentés Reçus % Présentés Reçus % Présentés Reçus % Présentés Reçus %

Brevet National des Collèges 14 12 86 14 11 79 9 6 67 13 9 69 50 38 76

C.A.P. 4 3 75 1 1 100 4 3 75 2 2 100 11 9 82

B.E.P. ou C.A.P. après la 3ème 4 3 75 7 5 71 13 10 77 9 8 89 31 26 84

Bac Professionnel 4 4 100 4 2 50 6 2 33 3 2 67 17 10 59

Baccalauréat 4 4 100 7 7 100 4 2 50 8 8 100 23 21 91

B.T.S. 2 2 100 3 2 67 2 2 100 3 1 33 10 7 70

32 28 88 36 28 78 38 25 66 38 29 79 142 111 78

Ce bilan n'est qu'une approximation de l'état des lieux sur le Rhône, car les élèves sourds

scolarisés dans le second degré ne sont pas tous suivis par le SSEFIS.

Les résultats sont encourageants pour les enseignants que nous sommes.

Les études post-bac sont difficiles à suivre, d'autant plus que les étudiants sourds n'ont plus alors

le soutien du SSEFIS. Les professeurs de faculté semblent peu sensibilisés à la surdité.

Dans le monde du travail, le sourd est confronté au manque d'informations auditives : sonnerie,

appareils de contrôle, communication en réunion… Il parvient à y remédier par certains

aménagements, des "petits trucs" personnels et aussi par le travail en équipe qui peut permettre

d'accéder "à ce qui a échappé".

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Mathématiques et surdité - Annexes

82 Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon - SSEFIS

Parmi d'anciens élèves des lycées de Lyon, on trouve :

- des comptables détenteurs d'un BTS et même d'un DPECF et d'un DECF travaillant chez

Schneider Electric, à la Banque de France, dans une Société de presse,

- un chef d'atelier possédant deux BTS (CIRA et FEE),

- un ingénieur recherche au CNRS avec un diplôme INSA et un DEA (semi-conducteurs),

- des secrétaires,

- une docteur en pharmacie,

- une technicienne chez L'Oréal possédant un BTS Cosmétique,

- une infirmière diplômée,

- une professeur (licence de lettre (Université de Savoie) et CAPEJS),

- etc.

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Mathématiques et surdité - Annexes

Groupe Maths-surdité, IREM de Lyon - SSEFIS 83

ANNEXE 3ANNEXE 3ANNEXE 3ANNEXE 3

Explicitation des sigles utilisés

A.L.S.F. Académie de langue des signes

A.N.P.E.D.A. Association nationale des parents d’enfants déficients auditifs

C.A.P.E.J.S. Certificat d’aptitude professionnelle à l’enseignement des jeunes sourds

C.D.E.S. Commission départementale de l’éducation spécialisée

C.N.E.F.E.I. Centre national d’éducation et de formation à l’enfance inadaptée.

C.R.D.P. Centre régional de documentation pédagogique

C.R.O.P. Centre de rééducation de l’ouïe et de la parole

D.A.F.A.P. Délégation académique à la formation et à l’action pédagogique

D.U. Diplôme universitaire

I.R.E.M. Institut de recherche sur l’enseignement des mathématiques

L.P.C. Langage parlé complété

L.S.F. Langue des signes française

P.A.F. Plan académique de formation

P.A.S.I. Plan d’aide et de suivi à l’innovation

S.S.E.F.I.S. Service de soutien à l’éducation familiale et à l’intégration scolaire.

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Titre : Mathématiques et Surdité

Auteurs : Monique Bonnet, Corinne Gardie, Françoise Labouré, Thérèse Mangeret

(responsable du groupe), Laurent Matillat, Yves Navarro (groupe Maths-

surdité).

Editeurs : IREM de Lyon ; SSEFIS

Date : 2005

Résumé : De plus en plus d’enseignants accueillent et accueilleront des élèves

sourds.

Comment se faire comprendre d’enfants qui n’entendent pas ? Quelles

sont leurs difficultés spécifiques ? Comment leur enseigner les

mathématiques, développer leur logique ?

Une équipe d’enseignants du primaire au lycée apportent leurs réponses

à ces questions. Ils témoignent des adaptations nécessaires de la

communication et de leurs répercussions sur l’enseignement, pour que

celui-ci reste centré sur le sens et le raisonnement.

Mots clés : Surdité, communication, mathématiques, équipe, outils pédagogiques,

partage d’expériences.

Format : A4

N° ISBN : 2-906 943-58-4