MOTRICITÉ ET SURDITÉ PSYCHOMOTRICIENNE

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MOTRICITÉ ET SURDITÉ PROPOS RECUEILLIS AUPRÈS DE MARIE-HÉLÈNE HERZOG PSYCHOMOTRICIENNE L'AVIS D'UNE PSYCHO-MOTRICIENNE En quoi consiste votre action auprès des enfants sourds ? J'ai travaillé pendant longtemps dans deux centres, qui recevaient des sourds profonds et sévères. Il s'agissait d'enfants sourds qui étaient dépistés à la naissance. Depuis vingt ans. nous faisons dépister à la naissance, ils sont donc appareillés dès l'âge de trois ou quatre mois. Ce qui fait que l'enfant, au lieu d'arrêter de babiller, continue à babiller, et tout son appareil audio- phonatoire est conservé. Ce sont des enfants qui ont une voix moins rauque. donc plus compré- hensible. L'enfant sourd peut avoir un bon lan- gage grâce à l'orthophonie niais une très grande difficulté à être intelligible. C'est ce qui va rendre son intégration très complexe. Il peut réussir à l'école, avoir de bonnes notes, mais connaître une intégration sociale difficile à cause de son inintelligibilité. Par exemple, il saura écrire « pantalon » parfaitement, mais au lieu de prononcer « p a n t a l o n » , il va dire « ptalon ». pour lui. ce sera « pantalon », il doit acquérir le rythme de la parole. C'est là où j'en viens à mon travail, le rythme de la parole, c'est un rythme corporel. On parle avec son corps. Plus reniant saura utiliser tout son corps, plus il sera capable d'en utiliser une partie, par exemple la bouche, pour être dans un acte moteur de la parole. Je m'intéresse beaucoup à toutes les prédisposi- tions, les prérequis au langage: le schéma corpo- rel, le rythme, (je travaille beaucoup sur le rythme). Je m'adresse à tous les âges. Mais en psychomo- tricité, cela va de 2 ans et demi à 14 ans. et après, c'est la relaxation. Je travaille en groupe et en individuel. L'enfant a besoin de bouger, de se dépenser, de passer sous une chaise, par dessus. toutes les stations spa- tiales sont très tra- vaillées, l'enfant sourd n'a pas le langage, or c'est le langage qui va aider l'enfant à contrô- ler son comportement. On n'en a pas l'impres- sion, mais c'est le mot « calme » qui va calmer l'enfant, à force de l'en- tendre prononcer, l'en- fant va s'apaiser, alors que l'enfant sourd, lui n'a pas le mot « calme ». De la même façon que tant que l'en- fant sourd n'a pas la notion de l'avant et de l'après. il est dans un « agi»immédiat, dans une totale spontanéité : quand la maman d'un enfant entendant, dit: « attends, tout à l'heure, tu l'auras ». l'enfant, même nerveux, instable, va attendre ; alors que l'enfant sourd est dans une situation qu'il ne comprend pas. qu'il ne maîtrise pas. d'où colère, irritation. Ce n'est pas forcément la surdité qui entraine des difficultés, parce qu'il y a des enfants sans problèmes, mais ce sont les consé- quences de cette surdité qui entraînent les diffi- cultés. Et pour ma part, je travaille sur les consé- quences de cette surdité. Il faut savoir aussi qu'on prend l'enfant très jeune, et qu'il y a une attente familiale très importante. Cette attente rejaillit obligatoirement sur le corps de l'enfant, attente de réussite, attente de le voir parler. Main- tenant on prend les enfants de plus en plus tôt en orthophonie, on ne les fait pas parler plus tôt. l'âge de la parole reste le même, donc la mère a tendance à avoir des attitudes de répétitions, d'angoisse qui rejaillissent sur son enfant. L'en- fant sourd est un enfant caricatural, ce que l'on trouve chez lui. on peut le trouver chez l'enfant entendant, en plus exacerbé. Et après avoir travaillé avec une population d'enfants sourds, vous avez été amenée à tra- vailler avec des enfants sourds qui avaient un autre handicap ? Je travaille depuis deux ans avec des enfants sourds psychotiques, dans un hôpital de jour pour enfants sourds psychotiques, qui n'ont aucun langage, ils sont très instables, très ner- veux.Ilsne font pas de sport, mais je les emmène une fois par semaine dans un stade, en plein air. Je leur fais faire des exercices d'assouplisse- ment, très succincts: par exemple, sauter sur un pied, ils ne connaissent pas forcément, ils savent le faire, mais ils ne vont pas le faire sur com- mande, parce qu'ils sont psychotiques. Certains n'agissent pas encore par imitation. L'encadre- ment est assuré par trois adultes pour cinq enfants, il y a une éducatrice. une stagiaire et moi psychomotiricenne Quelles formes d'activité leur faites-vous faire ? J'utilise beaucoup les jeux de balle, ballons de différentes grosseurs, des lancers de ballons. Quand ils sont vraiment très psychotiques, ils ne lancent pas. il n'y a pas d'échange, ils peuvent avoir peur du ballon, ou peur de le voir arriver, même s'il est en mousse, léger. Ils ne savent pas utiliser l'objet, en faire quelque chose. Ils sont d'abord intéressés par le corps de l'autre, avec des jeux de rapprochement, de proximité, de contact, de caresses. Au début, je prends le bal- lon et je le fais rouler sur le corps de l'enfant, à des vitesses différentes, très doucement, puis après, plus vite, (et ça. ils aiment beaucoup), et puis dans les mains, j'utilise beaucoup le mas- sage des mains, parce que ce sont des enfants, qui tapent, très fort, ils n'ont pas des sensations très concrètes, au niveau des mains, alors, ils portent à la bouche. 28 Revue EP.S n°266 Juillet-Août 1997 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

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MOTRICITÉ ET SURDITÉ

PROPOS RECUEILLIS AUPRÈS DE

MARIE-HÉLÈNE HERZOG PSYCHOMOTRICIENNE

L'AVIS D'UNE PSYCHO-MOTRICIENNE

En quoi consiste votre action auprès des enfants sourds ? J'ai travaillé pendant longtemps dans deux centres, qui recevaient des sourds profonds et sévères. Il s'agissait d'enfants sourds qui étaient dépistés à la naissance. Depuis vingt ans. nous faisons dépister à la naissance, ils sont donc appareillés dès l'âge de trois ou quatre mois. Ce qui fait que l'enfant, au lieu d'arrêter de babiller, continue à babiller, et tout son appareil audio­phonatoire est conservé. Ce sont des enfants qui ont une voix moins rauque. donc plus compré­hensible. L'enfant sourd peut avoir un bon lan­gage grâce à l'orthophonie niais une très grande difficulté à être intelligible. C'est ce qui va rendre son intégration très complexe. Il peut réussir à l'école, avoir de bonnes notes, mais connaître une intégration sociale difficile à cause de son inintelligibilité. Par exemple, il saura écrire « pantalon » parfaitement, mais au lieu de prononcer « p a n t a l o n » , il va dire « ptalon ». pour lui. ce sera « pantalon », il doit acquérir le rythme de la parole. C'est là où j'en viens à mon travail, le rythme de la parole, c'est un rythme corporel. On parle avec son corps. Plus reniant saura utiliser tout son corps, plus il sera capable d'en utiliser une partie, par exemple la bouche, pour être dans un acte moteur de la parole. Je m'intéresse beaucoup à toutes les prédisposi­tions, les prérequis au langage: le schéma corpo­rel, le rythme, (je travaille beaucoup sur le rythme). Je m'adresse à tous les âges. Mais en psychomo­tricité, cela va de 2 ans et demi à 14 ans. et après, c'est la relaxation. Je travaille en groupe et en individuel. L'enfant a besoin de bouger, de se dépenser, de passer sous une chaise, par dessus.

toutes les stations spa­tiales sont très tra­vaillées, l'enfant sourd n'a pas le langage, or c'est le langage qui va aider l'enfant à contrô­ler son comportement. On n'en a pas l'impres­sion, mais c'est le mot « calme » qui va calmer l'enfant, à force de l'en­tendre prononcer, l'en­fant va s'apaiser, alors que l'enfant sourd, lui n'a pas le mot « calme ». De la même façon que tant que l'en­fant sourd n'a pas la notion de l'avant et de l'après. il est dans un « agi » immédiat, dans une totale spontanéité : quand la maman d'un enfant entendant, dit: « attends, tout à l'heure, tu l'auras ». l'enfant, même nerveux, instable, va attendre ; alors que l'enfant sourd est dans une situation qu'il ne comprend pas. qu'il ne maîtrise pas. d'où colère, irritation. Ce n'est pas forcément la surdité qui entraine des difficultés, parce qu'il y a des enfants sans problèmes, mais ce sont les consé­quences de cette surdité qui entraînent les diffi­cultés. Et pour ma part, je travaille sur les consé­quences de cette surdité. Il faut savoir aussi qu'on prend l'enfant très jeune, et qu'il y a une attente familiale très importante. Cette attente rejaillit obligatoirement sur le corps de l'enfant, attente de réussite, attente de le voir parler. Main­tenant on prend les enfants de plus en plus tôt en orthophonie, on ne les fait pas parler plus tôt. l'âge de la parole reste le même, donc la mère a

tendance à avoir des attitudes de répétitions, d'angoisse qui rejaillissent sur son enfant. L'en­fant sourd est un enfant caricatural, ce que l'on trouve chez lui. on peut le trouver chez l'enfant entendant, en plus exacerbé.

Et après avoir travaillé avec une population d'enfants sourds, vous avez été amenée à tra­vailler avec des enfants sourds qui avaient un autre handicap ?

Je travaille depuis deux ans avec des enfants sourds psychotiques, dans un hôpital de jour pour enfants sourds psychotiques, qui n'ont aucun langage, ils sont très instables, très ner­veux. Ils ne font pas de sport, mais je les emmène une fois par semaine dans un stade, en plein air. Je leur fais faire des exercices d'assouplisse­ment, très succincts: par exemple, sauter sur un pied, ils ne connaissent pas forcément, ils savent le faire, mais ils ne vont pas le faire sur com­mande, parce qu'ils sont psychotiques. Certains n'agissent pas encore par imitation. L'encadre­ment est assuré par trois adultes pour cinq enfants, il y a une éducatrice. une stagiaire et moi psychomotiricenne

Quelles formes d'activité leur faites-vous faire ? J'utilise beaucoup les jeux de balle, ballons de différentes grosseurs, des lancers de ballons. Quand ils sont vraiment très psychotiques, ils ne lancent pas. il n'y a pas d'échange, ils peuvent avoir peur du ballon, ou peur de le voir arriver, même s'il est en mousse, léger. Ils ne savent pas utiliser l'objet, en faire quelque chose. Ils sont d'abord intéressés par le corps de l'autre, avec des jeux de rapprochement, de proximité, de contact, de caresses. Au début, je prends le bal­lon et je le fais rouler sur le corps de l'enfant, à des vitesses différentes, très doucement, puis après, plus vite, (et ça. ils aiment beaucoup), et puis dans les mains, j'utilise beaucoup le mas­sage des mains, parce que ce sont des enfants, qui tapent, très fort, ils n'ont pas des sensations très concrètes, au niveau des mains, alors, ils portent à la bouche.

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Ils peuvent sortir petit à petit de leur psychose, établir des contacts, entrer en relation. Au début, ils ne regardent pas. ils regardent ailleurs, et puis à un moment donné, ils vont mieux, ils vont por­ter leur regard vers autrui.

A quel âge ont-ils été pris en mains ? Ceux qui vont au stade ont entre 8 et 15 ans, on les prend par groupes éducatifs, faits par rapport à leur niveau, et ils ont des niveaux de mater­nelle. Par exemple, parmi ces enfants il y a une petite fille de 13 ans. handicapée très fortement, elle a une débilité motrice et intellectuelle. Dans la cour de récréation, elle est toujours en train de donner un coup de pied, mais je suis totalement incapable devant un filet de football, de lui faire envoyer le ballon, de lui faire faire le mouvement de tir au but. elle se bloque. 11 y a des enfants qui peuvent être très mauvais en groupes éducatifs et très bons en sport. Un exemple: pour un enfant, myopathe de surcroît, ma salle de psychomotri­cité est transformée depuis trois ans en salle sportive, on fait du tennis, du football, du volley-ball, du handball, tous les deux, et on marque les points... et il marque. Il a fait d'énormes progrès au niveau de l'équilibre, ce qui était important, parce qu'il était incapable de marcher talons-pointes, sur des plots, ou de reculer, il était accro­ché à moi, maintenant, il y parvient. Le passage par l'activité sportive a été pour lui. importante. J'utilise le sport dans ma pratique avec les sourds comme avec les enfants entendants L'enfant en difficulté a un âge réel et un âge intellectuel, et les deux sont en grande dysharmonie chez lui. dans le cas ci-dessus, le score permet à l'enfant d'être en harmonie avec son âge réel, c'est un ter­rain d'expression qui lui convient.

Considérez-vous que les éducateurs sportifs doivent avoir une formation spécifique pour enseigner aux enfants sourds ? Certains enfants sourds demandent une commu­nication spécifique que les professeurs n'ont pas toujours. Il faut des consignes très précises, simples, des phrases très courtes, il faut parfois les répéter, se dire que l'enfant sourd va avoir une appréhension visuelle des choses. S'il joue

au ballon, au football par exemple, il est obligé de regarder ses partenaires. l'arbitre et le ballon, beaucoup plus qu'un autre joueur, donc il va peut-être jouer plus lentement, mais ce n'est pas pour autant que le football lui est interdit. Pour intervenir efficacement auprès de cette popula­tion, une journée de formation est indispensable pour que l'intervenant connaisse quelques signes de LPC (langage parlé complété), qu'il sache qu'il faut se mettre en face, articuler, pas forcé­ment leur parler fort parce que ça résonne dans leur appareil, attendre qu'ils soient près de vous pour qu'ils vous voient parler, qu'il soit informé du fait que l'enfant sourd a des pertes dans les aigus, et conserve les sons graves. Et ce n'est pas parce qu'il porte des appareils qu'il entend for­cément les consignes, même celui qui entend bien n'enregistre pas toujours les consignes. Sans parler de formation, l'éducateur pourrait aller dans un centre de sourds, être reçu une demi-journée pour voir ce qu'est un enfant sourd dans sa globalité, voir différents enfants afin de l'aider à mieux comprendre son élève sourd. Vous en avez qui ont un bon langage, d'autres qui ont une bonne parole, d'autres qui sont nerveux, instables, d'autres qui sont inhi­bés, d'autres sont angoissés. Il n'y a pas un type d'enfant sourd. Mais il est vrai que les enfants sourds ont plus de difficultés d'attention que les autres, et l'éduca­teur peut oublier et parler trop vite. Moi-même, j'apprends un peu de gestuel, mais je n'ai pas le langage gestuel parfait.

L'accès à la pratique sportive ne représente-t-il que des avantages, ou y aurait-il des incon­vénients ? - Je pense qu'une trop grande rigidité dans l'ap­prentissage d'un sport peut être vécue comme une grande contrainte pour l'enfant sourd, sauf si vraiment c'est un sport qu'il adore, on voit des enfants difficiles entendants s'intégrer parfaite­ment dans un sport très difficile. Il ne faut pas oublier le plaisir chez l'enfant sourd, on l'oublie trop souvent. Il est tellement sollicité dans sa rééducation, à la maison par ses parents, ses grands-parents, et par ses rééduca­teurs aussi, le sport peut donner à l'enfant sourd

le jardin secret qu'il n'a pas puisque l'école n'est pas un lieu où il se rend seul : ses parents sont présents dans le centre spécialisé, ainsi qu'à la rééducation orthophonique.

Pensez-vous qu'une très forte politique d'inté­gration scolaire est menée volontairement par le ministère des affaires sociales ou de l'édu­cation nationale ? Il serait souhaitable qu'une loi stipulant qu'une classe intégrant un enfant handicapé comporte moins d'élèves, soit instituée. Cela aiderait l'en­seignant et ferait montre de respect pour son tra­vail. Actuellement, on demande aux éducateurs s'ils sont volontaires. Parfois il y a un seul ensei­gnant sportif pour trois classes, alors l'éducateur sportif a moins de choix, il faut donc l'aider plus qu'un autre.

S'intéresse-t-on suffisamment à l'activité phy­sique de l'enfant sourd qu'il soit en milieu sco­laire intégré ou en milieu spécialisé ? L'important, quand on lui fait pratiquer l'activité physique, ce n'est pas la quantité de pratique, (car ils ont un emploi du temps normal de l'éta­blissement scolaire), mais la façon dont on s'intéresse à son corps. L'enfant sourd a besoin a un âge beaucoup plus jeune qu'un autre de l'édu­cation sportive, du fait qu'il est dans l'apprentis­sage précoce beaucoup plus tôt. L'enfant sourd, pour être intégré en milieu normal en CP. doit avoir un an d'avance sur les acquisitions du CP, pour que l'intégration se fasse au mieux, que ce soit une socialisation et pas un apprentissage. La psychomotricité est abordée dans les centres spé­cialisés. Je trouve que dans le milieu scolaire normal, il y a un manque entre le CP et le CMI, c'est-à-dire qu'en maternelle, ils vont avoir de la psychomotricité presque tous les jours, et en CP/CE1, ils n'en auront que si l'enseignant aime ça, (ce n'est pas encore obligatoire). En tant que psyehomotricienne, je considère que l'enfant qui commence les apprentissages doit obligatoire­ment avoir un vécu au niveau de son corps, plus il connaîtra son corps, plus il sera à même d'in­hiber une partie du corps pour faire attention, pour écrire, pour apprendre à rester « immo­bile ». Mais, j'ai tendance à dire également que

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le s o u r d comme l ' e n t e n d a n t a le droit au plaisir, tous les cillants auprès desquels j'interviens sont tellement sollicités par les apprentissages desti­nés à combler leur handicap que je souhaiterais que la pratique sportive soit pour eux un loisir, que ce ne soit pas une discipline de plus.

Vous semble-t-il indispensable qu'il y ait un volant « activités physiques et sportives » ou cette intégration scolaire, peut-elle avoir lieu sans activités physiques et sportives ? Le corps fait partie de la vie de l'école, pourquoi ferait-on travailler la tète et pas le corps ? L'en­fant, c'est un tout, sa tète et son corps, d'autant plus chez l'enfant sourd qui utilise tout son corps pour communiquer, l'éducation sportive le conduit à mieux maîtriser, à mieux connaître son corps. Étant donné que tout petit, il ne connaît pas les mots sur le corps. « la main, ça s'appelle main, le bras, s'appelle bras ». il a des difficultés de schéma corporel.

Mais cette non identification de son propre corps doit engendrer des perturbations au niveau psychologique extrêmement graves ? Très graves, parfois jusqu'aux troubles du com­portement et à la psychose. Il bouge son corps, mais il ne 1'« habite » pas.

Est-ce que les psychoses que vous avez ren­contrées chez les enfants sourds, sont, à votre avis, dues à leur état de surdité, ou est-ce qu'elles viennent d'ailleurs ? Il y a un facteur neurologique, un facteur surdité, un facteur psychologique. Il y a beaucoup d'en-céphalopathies dans les psychoses chez les sourds, le neurologique et le psychologique s'imbriquent complètement. Et on ne peut pas dire que l'un est dominant par rapport à l'autre. Nous avons affaire à des familles souffrantes, leur choc psychologique est très important, on ne peut pas l'ignorer. La famille a tendance à peu se mettre en cause personnellement sur un traite­ment, mais à beaucoup s'impliquer sur celui de l'enfant. Les enfants qui ont des troubles psy­chomoteurs, sourds ou non, peuvent avoir des difficultés du fait que les parents n'ont pas su jouer avec leur enfant, les toucher, être près d'eux.

L'apprentissage de la parole et de la lecture sur les lèvres est encore présenté aujourd'hui comme le premier, voire l'unique moyen pour l'intégration du sourd dans la société, que pensez-vous de cette convention ? Je participe au conflit oral/gestuel, étant la nièce d'une dame qui a créé un centre de sourds le COPA. (fermé il y a quatre ans), qui était le seul centre oraliste. contre le gestuel. En tant que psy-choniotricienne (les orthophonistes ont très peur que l'enfant, apprenant le gestuel, ne parle plus) je pense que donner aux enfants en difficulté un apprentissage plus facile au départ peut le rendre plus facile après. C'est la même chose pour les langues étrangères on sait très bien qu'en appre­nant très jeune une langue étrangère, on est plus apte à acquérir les autres langues étrangères, par la suite. En donnant très tôt à l'enfant un langage gestuel, on lui donne une capacité au langage, à la communication, qui peut être un avantage dans l'apprentissage au langage oral. 11 faut amé­liorer la loi qui n'est pas encore très précise, elle conseille, mais ne rend pas obligatoire l'appren­tissage des deux pratiques. Mais maintenant, il y a des adultes sourds dans tous les centres de sourds et ils apprennent le gestuel aux enfants et aux membres de l'équipe pluridisciplinaire.

RÉPONSES AUX IDÉES REÇUES ÊTRE SOURD SIGNIFIE NE RIEN ENTENDRE : FAUX La surdité totale est très rare ; la plupart des sourds ont des restes auditifs plus ou moins importants, souvent localisés dans les fré­quences graves. Ne pas confondre « entendre » et « com­prendre » ; un sourd peut réagir à un bruit de voix et ne pas comprendre ce qu'on lui dit.

UN SOURD APPAREILLÉ EST COMME UN ENTENDANT : FAUX La prothèse auditive de type « contour » ne restitue pas une audition normale, elle ampli­fie les sons (les bruits parasites comme la voix de l'interlocuteur). Plus la surdité est profonde, moins l'apport de la prothèse est efficace pour la compréhension de la parole,

CHEZ LES SOURDS. LA LECTURE LABIALE REMPLACE L'AUDITION : FAUX La lecture labiale ne restitue pas tout ce qui est dit : certains sons sont invisibles sur les lèvres (K.I.R). d'autres sont identiques (B,M,P). Les phrases : « il mange des frites ». « il marche très vite » sont identiques sur les lèvres. C'est pour cela que les sourds demandent que la lecture labiale soit com­plétée par d'autres moyens : gestes, sous-titres, L.P.C Plus la surdité intervient tard dans la vie. plus le sourd aura du mal à lire sur les lèvres. Chaque individu a plus ou moins de disposi­tions naturelles pour apprendre à lire sur les lèvres. Essayez de comprendre le journal télévisé ou un film sans le son...

LE BRUIT NE PEUT GÊNER LES SOURDS : FAUX C'est vrai pour certains d'entre eux. C'est faux pour beaucoup de sourds et de malen­tendants qui sont très sensibles aux vibra­tions. Une ambiance bruyante est difficile à supporter pour un sourd appareillé.

UN ENFANT SOURD DE NAISSANCE NE CRIE PAS. NE PARLE PAS : FAUX

Un enfant né sourd crie, pleure, exerce ses organes vocaux comme n'importe quel bébé. Mais, à l'âge où l'enfant entendant va com­mencer à gazouiller, l'enfant sourd va rester muet. L'acquisition d'une parole intelligible par un sourd de naissance exige de nombreuses années d'entraînement quotidien. La qualité du résultat dépend de nombreux facteurs, et au premier rang de ceux-ci, de la motivation de la famille et de la compréhension des édu­cateurs.

LES SOURDS COMMUNIQUENT TOUS PAR SIGNES : FAUX

Les personnes devenues sourdes, ainsi que les enfants sourds de naissance éduqués en milieu ordinaire, ne connaissent générale­ment pas la langue des signes. Jusqu'à ces dernières années, ce mode de communication n'était pas enseigné dans les écoles spécialisées, mais les enfants l'ap­prenaient au contact de leurs camarades. On assiste depuis peu d'années à une réha­

bilitation des méthodes gestuelles et en par­ticulier de la langue des signes pour l'éduca­tion des enfants sourds.

LES SOURDS NE PEUVENT PAS CONDUIRE : FAUX

Les sourds de naissance ou devenus sourds peuvent passer leur permis de conduire. Toutes les enquêtes ont montré qu'ils étaient de bons conducteurs et avaient moins d'ac­cidents que les entendants, car ils étaient plus attentifs.

UN COUPLE DE SOURDS AURA TOU­JOURS DES ENFANTS SOURDS : FAUX

Les parents sourds peuvent avoir des enfants entendants. La surdité a souvent des causes accidentelles (rubéole, difficultés à l'accouchement, méningite,..). Même quand elle est héréditaire, la surdité n'est pas forcé­ment transmise à tous les enfants du couple.

LES SOURDS NE PEUVENT EXERCER QUE DES METIERS MANUELS : FAUX

On a longtemps dit que les sourds n'étaient à l'aise que dans le concret et ne pouvaient que difficilement accéder à l'abstraction. Cela dépend essentiellement de la qualité de l'éducation qu'ils reçoivent. De plus en plus de sourds font des études secondaires et supérieures. En France, cela demande pour l'instant une volonté excep­tionnelle.

ON CROIT RÉCONFORTER UN SOURD EN MINIMISANT SON HANDICAP PAR RAPPORT AUX AUTRES HANDICAPS : FAUX

« Imaginez, si vous étiez aveugle ou dans un fauteuil roulant » ; c'est une phrase souvent répétée. La surdité est un lourd handicap invisible et déroutant.

Texte issu du Recueil Conseil ARPADA (ARPADA.FSCF) - 22, rue Oberkampf, 75011 PARIS.

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Est-ce qu'il ne va pas par confort, rester dans son langage gestuel ? Là est toute la difficulté, j'ai tendance à penser que non. Ce qui n'est pas encore t'ait actuelle­ment, c'est une adaptation de l'orthophonie au l'ait que l'enfant sourd a un gestuel. L'enfant entrant dans la communication, a déjà des connaissances. En orthophonie, on croyait partir de zéro avec l'enfant sourd, c'est faux. De toute façon, c'est faux aussi pour l'enfant entendant, il s'approprie le langage, le connaît avant de le par­ler ; l'enfant sourd, également. L'enfant sourd qui a le gestuel a plus d'abstractions que l'enfant sourd qui ne l'a pas C'est beaucoup plus facile de dire un mot difficile en gestuel qu'en oral. La querelle s'est un peu atténuée, dans tous les centres de sourds maintenant vous avez du lan­gage oral el du langage gestuel, l'enfant sait très bien distinguer celui qui comprend le gestuel de

celui qui comprend l'oral, à moi qui comprends relativement peu le gestuel, les enfants me font de l'oral, par contre aux éducatrices qui font beau­coup de gestuel, les enfants parlent en gestuel.

Donc les enfants de l'école de votre tante, si on écarte tous les problèmes de société actuelle, se sont intégrés à la société ? Oui, pour certains. Le problème de l'enfant sourd qui parle bien, c'est qu'il n'est bien accepté ni dans la communauté sourde, ni com­plètement dans la communauté entendante, il est entre les deux, ce qui peut poser problème à l'adolescence, alors que l'enfant qui a le gestuel, est bien dans son identité. Avant, les familles étaient très présentes, mainte­nant les deux parents travaillent, viennent de loin. Avant, les gens déménageaient pour faire éduquer leur enfant dans ce centre, à Paris et ils

étaient là à chaque rééducation, soit le père soit la mère. Alors que maintenant, dans le CEOP dans le 15e où j'ai travaillé aussi, les parents vien­nent une fois par mois ou tous les deux mois. Maintenant avec le chômage, ils ne peuvent plus demander une demi-journée pour accompagner leur enfant handicapé. Tout change, évolue, mais s'il y a du gestuel pour l'enfant, il f a u t que la famille apprenne le gestuel et parfois, c'est diffi­cile pour les parents qui ne sont pas prêts à « faire leur deuil » de l'enfant idéal. Sans compter qu'à un certain âge. il est difficile d'apprendre une nouvelle langue, alors que les enfants eux apprennent très vite, il y a un décalage : l'enfant parle très bien en gestuel el les parents commu­niquent peu.

Quand conseilleriez-voiis aux familles d'ins­crire leur enfant sourd, dans une association sportive ? La difficulté sur le plan pratique, c'est que dans l'association, personne n'est formé pour accueillir un sourd, avec un petit questionnaire et un entretien avec la famille. La question de savoir si le sport est bon pour l'enfant sourd ou pas. est un faux problème car ses besoins sont les mêmes que ceux de l'enfant normal. On n'utilise pas s u f f i s a m m e n t le sport dans le cadre scolaire surtout en CPE. CEI. quand il est utilisé. C'est une raison importante pour que les associations sportives se mobilisent pour l'accueil des enfants sourds dans la pratique sportive normale, et plus particulièrement pour les enfants de cet âge-là. Mais justement quand même pour que cette pra­tique s p o r t i v e reste un plaisir, il ne faut pas qu e l l e soit programmée entre l'orthophoniste, le rééducateur, l'école. L'enfant a très peu de temps pour être chez lui. jouer avec ses frères et soeurs, il fait tellement d'allées et venues, il est vrai que les familles ont tendance à ne pas penser à une activité extrascolaire très tôt (vers 6 ans).

Donnerait-on une priorité « au sport » à cet âge-là par rapport à l'apprentissage d'arts plastiques ou d'activités culturelles ? Oui. mais je pense aux associations avec des approches d'activités très ludiques, donc aux activités des sports de balles, qui proposent des situations ludiques, des situations de jeux, plus que la gymnastique ou un autre. Les enfants s o u r d s peuvent avoir un très beau gestuel et être très mal à l'aise dans leur corps. C'est toute la différence entre le schéma corporel et l'image du corps, ils peuvent avoir un bon schéma corporel et une très mauvaise image de leur corps, il leur faut une maîtrise pour habiter leur corps. L'es­pace est vide pour eux, il y a toute une approche importante par rapport à l'espace. Maintenant avec leurs prothèses, ils entendent de plusieurs directions, ils ont une appréhension de l'espace un peu meilleure, mais, l'appréhension du champ arrière est quand même quelque chose de difficile, même pour l'adulte.

En conclusion, rien ne saurait mieux exprimer l'importance du corps dans la communication que le témoignage du sourd lui-même: « Avant d'aborder une personne, je regarde l'expression de visage qu'elle a. traduit-elle le calme, la dis­persion, l'impatience, la disponibilité ? Cela me donne une idée de ce que je peux attendre d'elle et si notre rencontre va bien se passer ou non... » Gwenda, 25 ans. professeur sourde.

(Extrait de « Psychomotricité, relaxation et sur­dité » M.H. Herzog. éd. Masson). •

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