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1 MATHÉMATIQUES ENSEIGNEMENT ET APPRENTISSAGE Avant de nous pencher sur les objectifs et les méthodes d’enseignement des mathématiques ainsi que sur les difficultés que certains enfants éprouvent pour les apprendre à l’école élémentaire, nous allons, en quelques mots, répondre à une première question : pourquoi enseigne-t-on les mathématiques à l’école ? La réponse à cette question a évolué au cours du XX e siècle, elle évolue encore aujourd’hui. On peut dire, sans risquer d’être démenti que les mathématiques permettent de résoudre des problèmes pratiques, technologiques ou théoriques. Il y a des mathématiques en physique, en biologie, en économie, dans les ordinateurs, dans les robots, dans les téléphones, dans les codes secrets... Mais, il faut bien le reconnaître, quand on est adulte et non-spécialiste, dans la vie courante, des problèmes que les mathématiques permettent de résoudre, on n’en rencontre pas souvent. Nos besoins de calculs sont, en général, assez bien résolus par les calculatrices. Pour beaucoup d’entre nous, ce sont plutôt les mathématiques qui nous posent des problèmes quand nous les rencontrons ! A – FAIRE, COMPRENDRE ET APPRENDRE DES MATHÉMATIQUES L’enseignement des mathématiques à l’école a, depuis une vingtaine d’année, pour objectif de contribuer à la formation du futur citoyen. Nous avons vu comment. Aider un élève en difficulté ne peut donc consister à lui fournir telle ou telle recette pour répondre à telle ou telle question technique. Pour enseigner des mathématiques, ou pour contribuer à certains apprentissages, il convient de bien connaître les contenus et les méthodes que l’enfant doit acquérir mais aussi de comprendre ce que sont les mathématiques, ce que veut dire faire des mathématiques, ce que veut dire comprendre ou ne pas comprendre en mathématiques, ce qu’on fait pour apprendre des mathématiques...

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MATHÉMATIQUESENSEIGNEMENT ET APPRENTISSAGE

Avant de nous pencher sur les objectifs et les méthodes d’enseignement des mathématiques ainsique sur les difficultés que certains enfants éprouvent pour les apprendre à l’école élémentaire, nousallons, en quelques mots, répondre à une première question : pourquoi enseigne-t-on lesmathématiques à l’école ? La réponse à cette question a évolué au cours du XXe siècle, elle évolueencore aujourd’hui.On peut dire, sans risquer d’être démenti que les mathématiques permettent de résoudre desproblèmes pratiques, technologiques ou théoriques. Il y a des mathématiques en physique, enbiologie, en économie, dans les ordinateurs, dans les robots, dans les téléphones, dans les codessecrets... Mais, il faut bien le reconnaître, quand on est adulte et non-spécialiste, dans la viecourante, des problèmes que les mathématiques permettent de résoudre, on n’en rencontre passouvent. Nos besoins de calculs sont, en général, assez bien résolus par les calculatrices. Pourbeaucoup d’entre nous, ce sont plutôt les mathématiques qui nous posent des problèmes quand nousles rencontrons !

A – FAIRE, COMPRENDRE ET APPRENDRE DES MATHÉMATIQUES

L’enseignement des mathématiques à l’école a, depuis une vingtaine d’année, pour objectif decontribuer à la formation du futur citoyen. Nous avons vu comment. Aider un élève en difficulté nepeut donc consister à lui fournir telle ou telle recette pour répondre à telle ou telle questiontechnique.Pour enseigner des mathématiques, ou pour contribuer à certains apprentissages, il convient de bienconnaître les contenus et les méthodes que l’enfant doit acquérir mais aussi de comprendre ce quesont les mathématiques, ce que veut dire faire des mathématiques, ce que veut dire comprendre oune pas comprendre en mathématiques, ce qu’on fait pour apprendre des mathématiques...

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Dans cette première partie, nous allons d’abord développer deux exemples pour approcher ce quesont les mathématiques. Un exemple tiré de l’histoire et un de problème simple que l’on peut poseren mathématique.De nombreux individus en difficulté disent ne rien comprendre en mathématiques. Nous allonsdonc tenter de répondre à la question : « que signifie comprendre en mathématiques ? » A cette fin,nous aborderons la question d’un point de vue interne aux mathématiques (ce qui pourrait être lepoint de vue de celui qui enseigne), et d’un point de vue externe aux mathématiques (ce qui pourraitêtre le point de vue de celui qui apprend).Puis nous présenterons les outils théoriques fondamentaux avec lesquels les chercheurs endidactique des mathématiques étudient les phénomènes d’enseignement et d’apprentissage de cettediscipline dans le cadre scolaire.

I. les mathématiques, quelle discipline scolaire ?

La question ici soulevée est celle des objectifs sociaux de l’enseignement des mathématiques àl’école.

1. Les mathématiques, un outil pour la vie pratique

Jusqu’aux années soixante, les manuels de mathématiques pour l’école primaire étaient conçuscomme des outils de calcul et de géométrie pour répondre aux problèmes de la vie quotidienne. Lesauteurs des programmes et des manuels distinguaient les problèmes qu’il convenait de poser dansles écoles de filles ou dans les écoles de garçons. Aux premières, on posait des problèmes inspiréspar l’hygiène, la cuisine, l’entretien ménager, la couture ou la gestion financière. Les secondsétaient confrontés à des problèmes de mécanique, de maçonnerie, de menuiserie, de plomberie, dechauffage, de transport...Les mathématiques enseignées devaient permettre aux futurs adultes de se préparer à la vieprofessionnelle mais aussi, et d’abord, à la vie pratique.

2. Les mathématiques, une formation de l’esprit

Durant la fin des années soixante, un tournant important marque l’enseignement à l’école primaireet au collège. Tous les élèves doivent y être scolarisés, la finalité change. La société évoluerapidement, la vie professionnelle aussi. La vie urbaine a fait disparaître les besoins de formation àla vie pratique, la mécanisation et l’automatisation progressent, les premiers ordinateurs font leurapparition. Cette société moderne demande une plus grande formation générale, notammentscientifique et technologique, l’enseignement des mathématiques n’est plus adapté, il estfondamentalement réformé.Les mathématiques ne sont plus censées fournir des recettes pour résoudre les problèmes de la viepratique, elles sont censées contribuer au développement des structures de l’intelligence chezl’enfant. La réforme des programmes est née d’une rencontre entre les travaux du psychologue JeanPIAGET et du groupe de mathématiciens Nicolas BOURBAKI.Jean PIAGET a élaboré un modèle pour interpréter l’apprentissage : l’enfant construit desconnaissances en agissant par réaction à un milieu. L’hypothèse constructiviste est fondamentale ets’oppose aux précédentes théories de l’apprentissage. Selon Jean PIAGET, le développementpsychologique de l’enfant est lié à son âge. Le psychologue a élaboré des tests issus du domainelogico-mathématique pour montrer l’existence de différents stades de développement.Le groupe BOURBAKI a tenté une reconstruction de l’ensemble des savoirs mathématiques à partirde la notion d’ensemble et de structure. Dans ces travaux, la structure d’un ensemble d’objets estpremière par rapport à l’objet.Avec les programmes de 1970, les mathématiques sont abordées de façon plus organisée et plusactive. L’enseignement des structures mathématiques domine, c’est ce qu’on a appelé la réforme dela mathématique moderne. Ce nouvel enseignement a nécessité un gigantesque effort de formation

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continue de la part des instituteurs et des professeurs. Des universitaires ont créé les IREM(Instituts de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques) afin de mieux comprendrecomment les élèves apprennent ce qu’on leur enseigne, afin de mieux connaître les difficultés qu’ilsrencontrent, et afin de développer la formation continue des personnels enseignants.

3. Les mathématiques, une discipline intégrée à l’éducation

Dès les années quatre-vingts, un bilan négatif a été tiré de la réforme de la mathématique moderne.L’enseignement était trop abstrait, trop formel et l’idée d’enseigner des structures qui, finalement,ne structuraient pas suffisamment d’objets mathématiques pour être pertinentes, a été abandonnée.Certainement, les promoteurs de la réforme ont confondu les fondements théoriques qui permettentde construire la théorie mathématique avec les notions fondamentales qui doivent être enseignéespour acquérir des connaissances mathématiques. Dans les programmes actuels, de l’école primairejusqu’au lycée, il ne reste rien des contenus enseignés à cette époque.Mais l’ambition d’enseigner les mathématiques en conformité avec les résultats de la recherche surl’apprentissage a été conservée. Ainsi, les programmes de 1985 recommandent d’enseigner lesmathématiques de façon telle que les élèves soit actifs, c’est-à-dire qu’ils résolvent des problèmes.L’objectif de la résolution de problèmes n’est plus de préparer à la vie courante mais de permettrel’acquisition des notions mathématiques. Ces problèmes sont donc issus à la fois des mathématiqueselles-mêmes, d’autres disciplines ou de la vie pratique.Les mathématiques participent à la formation du citoyen, elles contribuent à l’apprentissage et à lacompréhension d’autres disciplines, elles prennent part au développement culturel et personnel detous les individus. Développons ce point de vue.

Enseigner les mathématiques pour former les citoyensOn ne peut nier qu’un minimum de connaissances mathématiques soit utile à une relativeautonomie dans la vie quotidienne :- maîtriser la lecture, l’écriture et l’ordre de grandeur des nombres ;- savoir effectuer mentalement des opérations sur des nombres simples ;- savoir résoudre les problèmes arithmétiques courants (calcul d’une somme, d’un pourcentage,d’une proportion...) ;- connaître quelques figures géométriques simples et leur mesure.Mais il ne s’agit pas de proposer quelques recettes simples et directement utilisables.L’enseignement des mathématiques doit offrir des connaissances suffisamment solides pourpermettre une formation complémentaire à des fins professionnelles ainsi qu’une capacité de lectureet de critique des informations qui sont mises à la disposition des citoyens sous forme de chiffres,de graphiques ou de tableaux.

Enseigner les mathématiques utiles à l’apprentissage d’autres disciplinesLe collège prépare tous les élèves au lycée d’enseignement général, technique ou professionnel.L’enseignement doit donc permettre à tous de bénéficier d’un apprentissage suffisant pour aborderces études ainsi que pour évoluer ou se réorienter professionnellement. Le niveau mathématiqueutile au quotidien n’est alors plus suffisant.L’enseignement scientifique nécessite une formation plus complète en algèbre, une bonneconnaissance des fonctions, la maîtrise des représentations dans le plan et dans l’espace ainsiqu’une grande familiarité avec les moyens de calculs électroniques. Les sciences humaines et lessciences économiques requièrent une formation solide en statistique et en analyse pour étudier desphénomènes évolutifs...

Enseigner les mathématiques pour permettre le développement de chacunLes mathématiques contribuent comme toutes les disciplines, à la maîtrise de la langue, tant pour lacompréhension que pour l’expression. Elles contribuent à la formation au raisonnement et àl’argumentation.

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Mais les mathématiques ont aussi leur spécificité. Les objets qu’elles traitent sont idéaux, ilspeuvent être étudiés pour eux-mêmes, mais ils ne sont pas sans lien avec le réel, et le langage et lesoutils pour les étudier sont particuliers. Les mathématiques constituent l’une des activités de lapensée et de l’intelligence. L’école contribue à permettre à chacun d’accéder à la culture de cettediscipline, à une partie de notre humanité.

II. Faire des mathématiques ? Exemple d’une activité de mesure

L’exemple suivant, bien que schématique et particulier, permet d’appréhender la nature, la richesseet la diversité de l’activité mathématique.Afin d’étudier un sujet en activité, on distingue, en psychologie, les tâches réalisées suivant lesaptitudes que le sujet a dû mobiliser pour les effectuer. On distingue trois domaines : le domainecognitif, le domaine affectif et le domaine psychomoteur.En se limitant au domaine cognitif, Régis GRAS (1976) propose de distinguer principalement cinqcatégories d’activité :

- Connaissance des outils de préhension des faits mathématiques ;- Analyse des faits mathématiques et transposition ;- Compréhension des relations et des structures ;- Synthèse et créativité ;- Critique et évaluation.

Nous proposons d’illustrer ces cinq catégories par l’analyse d’une étude de la taille des boîtes deconserve cylindriques. De façon totalement fictive nous décrivons cette étude en indiquant encaractères gras les activités qui la composent (si certaines d’entre elles dépassent votrecompréhension des mathématiques, passez simplement à la suite de la description de l’étude sansvous attarder sur ces activités).

1. Connaissance des outils de préhension des faits mathématiques

Distinguer les parties qui composent le cylindre et connaître le vocabulaire correspondant à cesparties (cercle, disque, segment, rectangle...) pour observer et décrire les boîtes de conserve.

Manipuler des boîtes de conserve afin d’explorer l’importance des longueurs (celle de la hauteuret celle du diamètre ou du rayon de la base) pour rendre compte de leurs tailles.

Manipuler, par exemple avec de l'eau ou du sable, les boîtes de conserve pour rendre compte de leurvolume.Reproduire une manipulation en suivant des instructions précises : mesurer la hauteur, mesurer lediamètre de la base, mesurer le volume, avec des instruments adéquats.

À ce niveau, le sujet peut décrire les boîtes cylindriques et mesurer leur hauteur, leur base et leurvolume à l’aide d’une règle, d’un pied à coulisse et d’un verre doseur.

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2. Analyse des faits et transposition

Comparer différentes boîtes cylindriques par leurs hauteurs, par leurs bases ou par leurs volumes àl’aide de manipulations.Traduire une comparaison par un schéma ou par un graphique.

À ce niveau, le sujet dissocie les classements des boîtes cylindriques par la hauteur, par la base etpar le volume. Il compare les volumes de boîtes de même hauteur ou de même base, il schématiseces comparaisons.

3. Compréhension des relations et des structures

Reconnaître la relation : le volume est une fonction croissante du rayon de la base et de la hauteur.Structurer la relation qui lie le volume à la hauteur et au rayon (par exemple à l’aide d’ungraphique représentant la variation du volume en fonction de la hauteur et d’un graphiquereprésentant la variation du volume en fonction du rayon).Appliquer la relation pour justifier une comparaison de volumes en comparant les hauteurs deboîtes ayant des rayons dans un rapport donné ou en comparant les rayons de boîtes ayant deshauteurs dans un rapport donné. Exemple : comparaison de deux boîtes sachant que la hauteur de lapremière est le triple de la seconde et que le rayon de la première est la moitié de la seconde.Déduire d’autres comparaisons par cette méthode, par exemple dans le cas de trois boîtes.

À ce niveau, le sujet détermine la relation entre le volume, la hauteur et la base. Il utilise cetterelation pour comparer les volumes en fonction des hauteurs et des bases.

4. Synthèse et créativité

Valider, par un raisonnement, la relation de proportionnalité : le volume du cylindre estproportionnel au carré du rayon et à la hauteur. Élaborer la formule : v = π r² h. À l'aide de cetteformule, démontrer qu'une boîte cylindrique est plus volumineuse qu'une autre, inventer desdimensions pour qu'une boîte cylindrique soit plus volumineuse qu'une autre.Reconstituer la première méthode de comparaison, prévoir des réponses à des situations du type «comment conserver le volume en doublant le diamètre ? » ou « comment conserver le volume endoublant la hauteur ? »...Modéliser une situation différente et voisine comme celle de l'aire (surface) d'une boîtecylindrique, identifier les grandeurs qui vont intervenir.

périmètre = 2 π rdonc longueur = 2 π r

r

h

À ce niveau, le sujet établit la formule qui lie le volume à la hauteur et au rayon de la base :v = π r2 h. Il l’utilise pour des calculs ou des comparaisons. Il l’utilise pour prévoir les dimensionsd’une boîte connaissant des contraintes suffisantes. Le sujet élabore la relation entre l’aire de laboîte cylindrique en adaptant la démarche qui l’a conduit à l’expression du volume :a = 2 π r(r + h).

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5. Critique et évaluation

Formuler une hypothèse : le volume étant fixé, il existe au moins une boîte cylindrique ayant cevolume et étant d’aire (surface) minimale. Cette recherche permet d’optimiser le volume enfonction de l’aire c’est-à-dire d’optimiser le coût de production des boîtes de conserve.Déduire la nécessité d’exprimer l’aire en fonction d’une seule des deux variables (rayon ouhauteur) si le volume est fixé. Critiquer les deux choix envisageables pour prévoir le pluspertinent.Optimiser l’aire (surface) par la recherche du rayon adapté. Questionner la méthode de résolutionpour déterminer le rapport diamètre/hauteur réalisant l’aire optimale.

À ce niveau, le sujet utilise l’expression de l’aire en fonction du rayon à volume fixé

(a = 2 π r2 + 2 vr ) et calcule le rayon qui réalise l’aire minimale à volume fixé (

dvdr = 0 ⇔

4 π r – 2

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vr

= 0 ⇔ 2 π r3 = v). Il déduit des deux égalités v = π r2 h et v = 2 π r3 que h = 2 r et il

apporte la conclusion : « à volume fixé, l’aire d’une boîte cylindrique est minimale pour unehauteur égale au diamètre. »

BILAN : Cette étude a montré notamment que les boîtes cylindriques dont la hauteur est égale audiamètre sont les moins onéreuses à la production, on remarquera qu’elles sont largement utiliséesdans la distribution des produits en conserve. On remarquera aussi que les boîtes qui ne sont pasaussi haute que large sont souvent des boîtes qui contiennent des produits de luxe.

III. La question du sens en mathématiques

Un élève en échec en mathématiques ou plus généralement une personne en difficulté avec un faitmathématique évoque souvent, pour exprimer son embarras, son incompréhension de ce qui estécrit ou de ce qui est demandé. Il nous semble donc indispensable d’aborder la question de lacompréhension des mathématiques c’est-à-dire la question du sens en mathématiques. Nousl’aborderons d’un point de vue interne aux mathématiques (le point de vue de celui qui enseigne), etd’un point de vue externe aux mathématiques (ce qui pourrait être le point de vue de celui quiapprend).

1. Le sens et la notion de champ conceptuel

Gérard VERGNAUD (1991) a développé une théorie pour comprendre les filiations et les rupturesentre connaissances lors de l’apprentissage, il entend par connaissance aussi bien celles quis’expriment que celles qui se font. Selon cet auteur, un concept mathématique ne peut être réduit à

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sa définition dès que l’on s’intéresse à son apprentissage et à son enseignement. C’est à travers dessituations et des problèmes à résoudre que le concept acquiert du sens pour l’enfant.

Schème

Situations et schèmeCertaines situations sont traitées de manière analogue, Gérard VERGNAUD définit le schèmecomme « l’organisation invariante de la conduite, pour un ensemble de situations donné ». Parexemple, le dénombrement d’éléments est un schème, il varie dans sa forme selon que l’enfantcompte des bonbons, des assiettes disposées sur une table ou des personnes assises de manièreéparse dans un jardin, il n’en demeure pas moins une organisation invariante : coordination desmouvements des yeux et des gestes du doigt, énoncé de la suite numérique, cardinalisation del’ensemble dénombré par un soulignement tonique ou une répétition du dernier mot-nombreprononcé (« un, deux, trois, quatre, cinq ! » ou « un, deux, trois, quatre, cinq... cinq. »)Schème et conceptualisationUn schème repose toujours sur une conceptualisation implicite (pour laquelle on distingue souventles concepts-en-acte et les théorèmes-en-acte). Les erreurs les plus fréquentes ne proviennent pas deratés dans l’exécution du schème mais d’une conceptualisation insuffisante. Par exemple dans leschème du dénombrement, on distingue deux idées mathématiques indispensables au bonfonctionnement du schème : celle de bijection (association biunivoque) et celle de cardinal. Leserreurs de dénombrement proviennent bien souvent de l’une de ces deux idées, certains enfantsoublient de compter des éléments ou recomptent plusieurs fois le même, d’autres enfants neparviennent pas à associer le dernier mot-nombre prononcé au cardinal de l’ensemble dénombré :« un, deux, trois, quatre, cinq... douze ! »Schème et invariants opératoiresPour être pleinement opératoire, un schème doit être généralisé par le sujet aux diverses situationspour lesquelles le schème est efficace. Cette généralisation repose sur la reconnaissance desinvariants qui caractérisent les différentes situations. La reconnaissance d’invariants est donc la clefde la généralisation du schème. Mais un schème peut être aussi appliqué par un sujet à une classetrop large de situations, il doit alors en restreindre la portée. Par exemple pour dénombrer unecentaine d’objets, le schème du dénombrement doit être enrichi de procédures de regroupements, dedénombrements partiels, d’additions et/ou de multiplications...Schème et formes langagièresPour qu’un concept puisse être construit, il faut aussi pouvoir le désigner et en débattre. Il faut doncdes mots, des symboles et des signes pour le représenter et pour représenter les règles auxquels ilest soumis, les situations dans lesquels il s’inscrit et les procédures de traitement.Les formes langagières permettent la désignation, la communication mais, et c’est fondamental enmathématiques, elles aident à penser.

Champ conceptuel et sens en mathématiques

ConceptGérard VERGNAUD considère un concept comme un triplet de trois ensembles :- l’ensemble des situations où intervient le concept et qu’il appelle le référent ;- l’ensemble des invariants sur lesquels reposent l’opérationnalité des schèmes, et qu’il appelle lesignifié ;- l’ensemble des formes langagières et non langagières qui permettent de représenter le concept, sespropriétés, les situations et les procédures de traitement, et qu’il appelle le signifiant.Champ conceptuelPlusieurs concepts interviennent généralement dans une situation et cela de façon simultanée.Prenons par exemple une situation d’achat où interviennent trois arguments : le prix payé, la sommeversée et la monnaie rendue. La situation peut renvoyer au concept d’addition (somme versée = prix

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payé + monnaie rendue) mais aussi au concept de soustraction (monnaie rendue = somme versée - prix payé. Le concept d’addition renvoie aussi à des situations différentes comme celle du calculdu nombre total d’animaux que possède Paul sachant qu’il a trois chiens et deux chats ou du calculde la taille de Caroline qui a grandi de 7 cm en un an et qui mesurait 1,35 m. Des situations liées àl’addition font intervenir les concepts de cardinal, de mesure, de transformation temporelle, deréunion d’ensemble, de composition de mesure...Gérard VERGNAUD propose d’appeler champ conceptuel des structures additives l’ensemble dessituations dont le traitement implique une ou plusieurs additions ou soustractions ainsi quel’ensemble des concepts et des théorèmes qui permettent d’analyser ces situations.Le sens en mathématiquesIl conclut que le sens est une relation du sujet aux situations et aux signifiants. Ce sont les schèmesévoqués chez le sujet individuel par une situation ou par un signifiant qui constituent le sens decette situation ou de ce signifiant pour cet individu.Par exemple, le sens de l’addition est pour, un sujet individuel, l’ensemble des schèmes qu’il peutmettre en œuvre pour traiter les situations auxquelles il lui arrive d’être confronté et qui impliquent,selon lui, l’idée d’addition, c’est aussi l’ensemble des schèmes qu’il peut mobiliser pour opérer surles symboles qui représentent l’addition.

2. Le sens et la notion de rapport au savoir

Abordons maintenant la question du sens des activités et des savoirs mathématiques, non plus dupoint de vue des psychologues ou des mathématiciens mais du point de vue des élèves qui vont àl’école, au collège ou au lycée, qui font des mathématiques et qui en apprennent.

Rapport à l’école, rapport au savoirLa réussite des apprentissages dépend du sens que l’enfant attribue au fait d’aller à l’école, d’y fairedes choses et d’y apprendre des choses. Bernard CHARLOT, professeur en sciences de l’éducation,a coordonné une recherche sur le rapport des élèves à l’école et au savoir, c’est-à-dire surl’ensemble des images, des attentes et des jugements qui portent à la fois sur le sens et sur lafonction sociale du savoir et de l’école, sur la discipline enseignée, sur la situation d’apprentissageet sur soi-même. Les résultats ont été publiés en 1994 : « École et savoir dans les banlieues... etailleurs »Cette recherche voulait explorer ce que recouvre, pour les enfants, le fait d’aller à l’école et detravailler pour apprendre en partant de ce qu’ils disent eux-mêmes de leur vécu scolaire. Elle reposeprincipalement sur une enquête auprès de trois cents élèves suivis durant plusieurs années quilivrent au chercheur un « bilan de savoir » c’est-à-dire une production écrite en réponse à laconsigne suivante : « J’ai... ans. J’ai appris des choses chez moi, dans la cité, à l’école, ailleurs.Qu’est-ce qui est important pour moi dans tout ça ? Et maintenant, qu’est-ce que j’attends ? »En conclusion de ce travail, les auteurs distinguent quatre rapports à l’école et au savoir différentsqui sont associés à des investissements différents des élèves sur l’école, sur l’apprentissage, sur letravail scolaire, sur le travail professionnel...Aller à l’école pour grandir et devenir adultePour certains élèves, l’école n’a guère de sens en terme de savoir car ils s’en remettent au tempspour devenir grand, et par-là même devenir adulte, être intelligent et avoir un métier. Ainsi l’écoleest d’abord le lieu où l’on se fait des copains, l’école est un lieu de socialisation mais rien n’est ditsur l’acquisition de savoir.Des élèves en disent plus sur ce rapport à l’école : on va à l’école pour devenir adulte mais ce n’estpas à l’école qu’on apprend la vie ni à l’école qu’on apprend son métier.Ces élèves vont donc à l’école comme les adultes vont au travail. Être un bon élève consiste àassister à tous les cours, à venir à l’heure, à ne pas se faire remarquer, à écouter l’enseignant, à fairece qui est demandé, à participer en classe, à lever la main avant de prendre la parole... On comprendque certains élèves « décrochent » de ce travail scolaire sans salaire, sans gratification immédiate,

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dont la gratification future est très aléatoire. Alors les contraintes ne sont plus respectées, l’enfantest un mauvais élève, il « déconne », « délire » et « se laisse entraîner... »Mais quand ils « s’accrochent », quand ils remplissent le contrat, ces enfants pensent, que s’ils ontde mauvaises notes c’est parce que les enseignants ne « leur » ont pas bien appris, n’ont pas su« leur » faire comprendre. Ils sont convaincus qu’on n’apprend pas par soi-même mais que c’estl’enseignant qui apprend à l’élève. Pour eux, le fait d’avoir un « bon » professeur qui fait des« cours intéressants » et qui « parle aux élèves » est fondamental car c’est sous cette conditionqu’ils pourront s’intéresser, travailler à l’école et, par conséquent, apprendre. Les professeurs qui« endorment » ou qui « paniquent les élèves » les démobilisent totalement.Aller à l’école pour avoir un bon métierPour certains élèves, aller à l’école est une sorte de promesse d’avenir liée au métier qu’ilsexerceront ou qu’ils rêvent d’exercer. Ces élèves se distinguent dans la relation qu’ils font entrel’école et le métier.Ceux qui limitent le sens de l’école à l’obtention d’un métier, qui ne relient pas la possibilitéd’avoir un bon métier au fait d’avoir appris, considèrent qu’ils doivent rester à l’école le pluslongtemps possible, poursuivre leurs études le plus loin possible. Certains d’entre eux considèrentalors que le seul objectif est de « passer » et s’appliquent à entretenir le meilleur rapporttravail/passage, ils valorisent l’image de l’élève qui en fait le moins possible et qui passe.D’autres vont un peu plus loin, il faut bien travailler pour poursuivre ses études le plus longtempspossible. Mais nous avons déjà vu que « bien travailler » est une expression ambiguë qui peutrecouvrir une exigence institutionnelle plus qu’une activité intellectuelle. Le savoir, pour ces élèvesn’est pas dissocié de la situation qui l’a introduit ni de leur activité dans cette situation. De telsélèves peuvent dire que « l’addition c’est quand on calcule ce qu’il faut payer pour tous les achats »Pour des élèves de ce groupe, une difficulté à faire le lien entre ce qui se fait à l’école et l’obtentiondu bon métier est qu’ils ne perçoivent pas en quoi ce qu’ils apprennent à l’école pourra leur servirdans leur vie professionnelle. Et pour cause, comme nous l’avons vu pour l’enseignement desmathématiques, l’objectif n’est pas d’apprendre des outils qui serviront plus tard... Dès qu’ilsrencontrent leurs premières difficultés, ces élèves trouvent difficilement des raisons de se mobiliseret se limitent souvent au respect des règles de l’école. Ce qui n’est pas forcément facile au collège àcause du travail à faire à la maison.Aller à l’école pour apprendre la viePour les élèves qui évoquent l’apprentissage de la vie dans leur bilan de savoir, ce qui est enseignéà l’école doit être utile. Mais l’utilité qui est évoquée est bien différente de celle des élèves qui nevont à l’école que pour avoir un bon métier. Aller à l’école c’est acquérir et mettre en œuvrecertaines compétences utiles dans la vie : s’exprimer, s’organiser, penser, réfléchir...Pour ces élèves, le savoir, ce qu’on apprend à l’école, n’est pas confondu avec la situationd’apprentissage, l’apprentissage a un objet mais un objet qui n’est pas un contenu intellectuel outhéorique. L’objet de l’apprentissage est la situation elle-même, apprendre c’est penser la situationet par extension, apprendre permet de penser le monde : « se faire sa propre opinion sur les gens,sur ce qui se passe autour de nous. »Aller à l’école pour apprendre des choses importantesDans leur bilan de savoir, certains élèves ne parlent guère de leur métier et de l’avenir. Cela ne veutpas dire qu’ils vont à l’école pour le Savoir et non pour avoir une bonne place dans la société, maisle savoir est attribué d’une valeur en lui-même et cette valeur est une monnaie d’échange. Ainsi lesdifférentes disciplines ne sont pas des moyens d’étiqueter l’emploi du temps scolaire mais bien uneorganisation du savoir.Aller à l’école c’est acquérir du savoir et le savoir est un objet intellectuel qui se construit, quis’énonce, qui se critique, qui évolue... L’élève est actif dans des situations d’apprentissage pourapprendre mais l’objet de l’apprentissage n’est pas la situation, même élargie à la vie et au monde,l’objet de l’apprentissage est le savoir.

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Rapport au savoir et sens en mathématiquesLe classement des rapports à l’école et au savoir auquel l’enquête menée par Bernard CHARLOT aabouti ne permet pas de classer les élèves eux-mêmes. Certains ne se retrouvent pas entièrementdans l’une des quatre catégories décrites. Pourtant, il faut constater que les élèves les plus prochesdes deux premières catégories sont les élèves qui sont le plus en difficulté à l’école ou au collège.On n’en trouve guère à l’entrée en seconde générale ou technologique.Nous avons vu que l’objectif de l’école, en ce qui concerne l’enseignement des mathématiques,n’est plus d’apporter des recettes utiles dans la vie pratique or c’est précisément ce que pensent lesélèves des milieux populaires. Faut-il, pour qu’ils travaillent à l’école, en toute mauvaise foi, lespersuader que les mathématiques sont utiles ? En les enfermant dans un tel rapport au savoir, ons’assure d’une démission de ceux qui, bien vite, réaliseront que les mathématiques leur sont, et leurseront inutiles.Pour faire des mathématiques, et donc pour en apprendre, le sujet doit s’engager dans la tâche. Orpour beaucoup d’élèves, résoudre un problème numérique consiste à effectuer les bons calculs avecles nombres de l’énoncé pour trouver la bonne réponse. Faire des mathématiques consiste àappliquer la dernière règle enseignée aux données de l’exercice. Avec une telle interprétation dusens des activités mathématiques, les élèves se retrouvent en situation d’exécutant et non ensituation d’acteur. Ils répondent à des questions de mathématiques mais restent en dehors duproblème de la situation or nous l’avons vu, pour Gérard VERGNAUD, ce sont les situations et lessignifiants qui permettent au sujet de construire le sens des concepts.Les didacticiens des mathématiques se sont donnés pour objet d’étude, les phénomènesd’enseignement et d’apprentissage du savoir mathématique. Ils interprètent ces phénomènes commeles relations entre l’enseignant, l’élève et le savoir.

IV. La didactique des mathématiques

La didactique des mathématiques est un champ de recherches au carrefour de plusieurs scienceshumaines (science de l’éducation, psychologie, sociologie, ergonomie...) qui a pour objet l’étudedes phénomènes d’enseignement et d’apprentissage des mathématiques dans le cadre scolaire.

1. Une approche systémique

Les didacticiens envisagent leurs études dans le cadre d’un système à trois partenaires : l’élève (E),le maître (M) et le savoir (S). Cette approche systémique des relations entre ces trois partenairesconduit à dégager trois notions fondamentales : 1 la transposition des savoirs, 2 le contratdidactique, 3 la conception des notions mathématiques :

E

M

SS

M

E S

31 2

ME

La transposition didactiqueLa notion de transposition didactique développée par Yves CHEVALLARD (1985) permet derendre compte des modifications opérées sur le savoir mathématique (ou savoir savant) pour qu’ilsoit enseigné. L’institution scolaire, en élaborant des programmes, des brochures pédagogiques,etc., participe à une première transposition du savoir mathématique en contenu d’enseignement (ousavoir à enseigner). Le maître, à son tour, opère une seconde transposition pour transformer lecontenu d’enseignement en situation d’apprentissage destinée aux élèves (ou savoir enseigné).Cette notion a son importance pour l’étude de l’enseignement mais aussi pour celle del’apprentissage car quand l’élève a résolu un problème proposé par son enseignant il a construit une

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connaissance liée au contexte de ce problème. Pour devenir un savoir mathématique, cetteconnaissance doit être décontextualisée du problème et énoncée avec sa forme langagière habituellesous la responsabilité scientifique du maître.

Le contrat didactiqueLa notion de contrat didactique a été introduite par Guy BROUSSEAU (1986) pour interpréter desréalisations d’élèves en réponse à une situation proposée par le maître. Le contrat est pour unegrande part implicite, il fixe les attentes réciproques de l’enseignant et des élèves. Le contratcomporte des règles de fonctionnement des différents acteurs de la classe mais aussi des règles quiconcernent les activités mathématiques dans le contexte de chaque situation d’apprentissageproposé par le maître.En ce qui concerne les règles de vie de classe on parlera plutôt de contrat pédagogique car il neporte pas essentiellement sur des règles qui concernent le savoir mathématique. En revanche denombreuses règles qui varient d’un enseignant à l’autre, concernent directement le savoircontextualisé dans les situations proposées aux élèves ainsi que l’activité mathématique attenduepar le maître. Citons « en vrac » quelques exemples parfois contradictoires :- dans un problème, il y a une solution à trouver, cette solution est unique et, pour l’obtenir, il faututiliser toutes les données de l’énoncé ;- dans un problème c’est la dernière règle qui a été vue en classe qu’il faut appliquer ;- ce que l’enseignant affirme dans la leçon est une vérité intangible ;- quand le maître pose une question, il y a une réponse juste que les élèves peuvent trouver dans untemps assez court ;- pour résoudre certains problèmes il faut parfois utiliser des règles qui n’ont pas été vues enclasse ;- si un élève « sèche » trop longtemps sur une question, l’enseignant est là pour l’aider en luidonnant une partie de la solution...L’IREM de Grenoble a réalisé une expérience célèbre où la référence au contrat didactique pourrésoudre le problème est manifeste : on a proposé à des élèves de CE1 et de CE2 le problèmesuivant « Sur un bateau, il y a 26 moutons et 10 chèvres. Quel est l’âge du capitaine ? » Sur 97élèves interrogés, 76 ont donné l’âge du capitaine en utilisant les nombres de l’énoncé, répondantde façon absurde à une question qui ne l’était pas moins !L’intérêt de cette notion est d’analyser les situations proposées aux élèves et les réponses qu’ilsélaborent de façon à identifier si une réponse provient du problème mathématique posé par lasituation ou provient d’autres facteurs. Autrement dit si l’élève répond à la question ou au maîtrequi la pose.

Les conceptions des notions mathématiquesLes didacticiens ont introduit la notion de conception d’une notion mathématique pour rendrecompte de la façon dont l’élève s’approprie les connaissances en situation. Plus précisément, lesconceptions sont des objets théoriques fabriqués par les didacticiens pour justifier de façonraisonnée les productions de certains élèves.Prenons par exemple une question de représentation de fractions. En demandant à des élèves de laclasse de CM2 à celle de 4e, ce qu’ils diraient et ce qu’ils dessineraient à un camarade de CE2 pour

expliquer 13 ,

34 et 2,3, Marie-Jeanne PERRIN (1984) montre que le partage de « galettes »

constitue la référence majoritaire et presque unique des nombres rationnels, la deuxième étant lareprésentation « baguette » issue d’activités de partage ou de graduation. Elle montre aussi certaineserreurs suffisamment fréquentes pour laisser à penser qu’elles ne sont pas accidentelles. La

confusion entre 13 et

14 est la plus répandue.

Analysons un exemple de réponse :

12

13

34 2,3

Une représentation comme celle qui est proposée ci-dessus montre une confusion entre 1/3 et 1/4.L’élève a colorié une part sur quatre, mais il a aussi colorié une part et en a laissé trois blanches.Nous interprétons là une confusion entre une part coloriée pour trois blanches et une part coloriéepour trois parts. C’est-à-dire une confusion entre le rapport partie / partie-complémentaire et lerapport partie / tout. Mais les deux représentations suivantes nous montrent que des partssuffisamment différentes pour que l’on puisse supposer que l’élève n’a pas cherché à les dessineridentiques. Marie-Jeanne PERRIN les interprète comme issues d’une conception de la fractionqu’elle appelle « juxtaposition de deux entiers ».On le comprend, l’intérêt de cette notion est d’aider à comprendre les erreurs des élèves et dechercher à apporter des réponses adaptées, mais il est aussi une forme d’appel à la vigilance lors dela transposition didactique aussi bien pour les concepteurs de programme que pour les enseignants.

2. La situation didactique

En reprenant l’hypothèse constructiviste de l’acquisition des connaissances, Guy BROUSSEAU aélaboré (principalement de 1978 à 1986) une théorie des situations didactiques c’est-à-dire unmodèle de situations d’apprentissage. Il distingue le milieu didactique qui est construit parl’enseignant pour mettre les élèves en situation d’activité d’apprentissage, différentes phases del’activité des élèves, ainsi que l’institutionnalisation des savoirs qui se déroule en interaction entrele maître et les élèves.

Le milieu didactiqueLe milieu didactique est un système constitué par le maître, les élèves et une situation-problème oùle savoir nouveau doit être produit par les élèves pour résoudre le problème.Afin que les élèves cherchent à résoudre ce problème pour lequel ils ne disposent pas de tous lesmoyens nécessaires, il faut que ce problème soit suffisamment clair et mobilisateur. GuyBROUSSEAU parle de dévolution du problème pour évoquer cette qualité du problème.Dans ces situations, le moteur de l’apprentissage est souvent que l’élève soit amené à abandonnerune conception obsolète ou une procédure de résolution inefficace, mais résistante, au profit decelle que le maître veut mettre en place.

Les phases d’action, de formulation et de validationLes didacticiens proposent que l’activité des élèves lors de la résolution des situations-problèmes,passe par trois phases. Une phase d’action qui est la phase de résolution brute du problème, unephase de formulation où les élèves expriment leurs démarches de résolution et une phase devalidation où ils doivent justifier mathématiquement leurs productions. Les phases de validationsont d’autant plus fructueuses que les élèves, en petits groupes, doivent se convaincre pourexprimer une proposition commune au reste de la classe.Durant la phase d’action, si la dévolution du problème est suffisante, les élèves doivent pouvoirtravailler sans l’aide de l’enseignant qui n’intervient pas directement au niveau du savoir maisseulement pour relancer ou préciser certaines choses. On parle alors de situation ou de phaseadidactique pour insister sur le fait que l’élève répond au problème mathématique comme s’il n’yavait pas d’intention d’enseigner de la part du maître : la résolution a lieu sous la responsabilité del’élève et non sous celle de l’enseignant.

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L’institutionnalisation du savoirLorsque le maître, s’appuyant sur les productions des élèves, expose les connaissancesmathématiques qui doivent, au moins momentanément, être retenues, on parled’institutionnalisation.Pour que les connaissances puissent acquérir le statut de savoir durant l’institutionnalisation, il estfondamental que les élèves, accompagnés par le maître, opèrent une décontextualisation desconnaissances.Comme les travaux de Bernard CHARLOT le laissent apparaître, la décontextualisation desconnaissances est une phase délicate de l’apprentissage. Elle permet de faire, à partir desconnaissances, un objet (le savoir) qui n’est plus imbriqué dans la situation et dont le sujet (l’élève)n’est plus un acteur (on parle parfois de dépersonnalisation des connaissances).

B - LES DIFFICULTÉS EN MATHÉMATIQUES

Nous l’avons vu, apprendre des mathématiques est une activité complexe qui suppose une activitédans laquelle celui qui apprend s’engage.Cet engagement mobilise des aptitudes cognitives qui supposent que le sujet dispose de structuresopératoires adéquates. Et cette condition n’est pas suffisante. En effet, si des difficultés cognitivesengendrent un échec en mathématiques, tout échec d’un enfant ne s’explique pas par un retard dedéveloppement. Nous avons vu que la dimension sociale du rapport à l’école et au savoir pouvaitentraîner des difficultés d’apprentissage.La dimension affective de la relation aux mathématiques ne doit pas non plus être négligée.Plusieurs auteurs, à partir de théories psychanalytiques, se sont interrogés sur les causesinconscientes des réussites et des échecs en mathématiques.La didactique propose, elle aussi, des pistes pour expliquer certaines difficultés d’apprentissage quisont spécifiques aux objets mathématiques.

Nous allons aborder dans cette partie, les apports de trois disciplines pour interpréter les difficultésen mathématiques :

- les apports de la psychologie cognitive et du développement ;- des travaux en neuropsychologie ;- les apports de la psychologie affective ;- les apports de la didactique des mathématiques.

I. Les apports de la psychologie du développement

Le développement intellectuel de l’enfant passe, selon Jean PIAGET en 1955, par trois périodesbien définies :- de 0 à 2 ans, de la naissance à l’apparition du langage, durant la période sensori-motrice, l’enfantforme le concept d’objet ;- de 2 à 11-12 ans, durant la période de préparation et d’organisation des opérations concrètes,l’enfant acquiert le langage, la notion de classe, de nombre et de causalité mais sa pensée reste liéeau concret ;- de 11 à 16 ans, durant la période des opérations formelles, l’enfant acquiert la possibilité d’opérerdans l’abstrait, de formuler des hypothèses et de les vérifier.

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Les nombreux travaux qui ont succédé à ceux de Piaget montrent queles stades de développement sont certainement moins nets qu’ils nel’apparaissaient dans les années 1950, il s’agit sans doute plutôt decompétences liées à certains stades qui s’acquièrent et se mobilisentde manière différenciée suivant l’âge de l’enfant et en fonction destâches proposées. C’est la théorie des « vagues » de Robert SIEGLER(1999) illustrée par le schéma ci-contre

Dans « La genèse du nombre chez l’enfant », Jean PIAGET et Alina SZEMINSKA (1941) ontmontré que la connaissance de la comptine numérique par un enfant de cinq ans n’est pas unecondition suffisante pour déduire l’acquisition de la notion de nombre. Pour ces auteurs, le nombreest solidaire d’une structure opératoire qui s’élabore par la synthèse, en un seul système, de deuxstructures plus simples que sont la sériation et la quantification de l’inclusion des classes. Lastructure de sériation permet de classer des objets par ordre croissant ou décroissant. La structure dequantification de l’inclusion de classe permet de comparer les effectifs de deux ensembles d’objetssachant que l’un est inclus dans l’autre. Cette synthèse ne s’effectue pas d’emblée pour tous lesnombres mais elle est progressive.

La connaissance du niveau de développement opératoire atteint par un élève en échec à un momentdonné peut révéler un problème de développement intellectuel ou au contraire d’évacuer ce typed’interprétation des difficultés d’apprentissage rencontrées. Des outils d’évaluation sont utiliséespar les psychologues en ce qui concerne les opérations concrètes comme les opérations formelles,on en trouve également qui sont plus spécifique des activités numériques.

Nous ne souhaitons pas présenter ici ces outils utilisés pour étudier le développement opératoire del’enfant ou de l’adolescent, mais simplement exposer quelques épreuves afin de donner quelquesrepères sur le développement opératoire de l’enfant.

1. Exemples d’épreuves de conservation des quantités

Conservation de petits ensemble discrets d’élémentsNous allons décrire l’épreuve des « jetons » de PIAGET & SZEMINSKA (1941).TechniqueMatériel : 10 jetons rouges et 10 jetons bleus.Déroulement de l’épreuve : l’expérimentateur dispose sur la table 6 à 8 jetons bleus en les alignantpour la première situation et en les plaçant en cercle pour la seconde situation. Il demande à l’enfantde composer une collection numériquement équivalente avec des jetons rouges : « Mets la mêmechose (beaucoup) de tes jetons... le même nombre... autant... de rouges que j’en ai mis de bleus...pas plus pas moins. »Après avoir noté la conduite de l’enfant,l’expérimentateur dispose, si cela estnécessaire, les éléments rouges et bleus encorrespondance terme à terme, et s’assure quel’enfant juge correctement l’équivalence descollections. L’expérimentateur procède alors àune modification de disposition en espaçantles jetons d’une des collections, ou en lesresserrant, de manière à former une ligne pluslongue ou plus courte : « Y a-t-il la même chose... le même nombre... de bleus et de rouge ou non ?Où y a-t-il plus ? Comment le sais-tu ? »

Contre-argumentation : si la réponse de l’enfant est conservatoire, l’expérimentateur attirel’attention de l’enfant sur la configuration : « Regarde comme cette ligne est longue, n’y a-t-il pas

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plus de jetons ? » Si la réponse est non-conservatoire, l’expérimentateur rappelle l’équivalenceinitiale : « Mais tu te rappelles, avant, on avait bien placé un jeton rouge devant chaque bleu ; alorsun enfant me disait qu’il y a la même quantité de rouge et de bleus maintenant ; que crois-tu ? »On pose en outre une question de quotité : « compte les bleus (l’expérimentateur cache les rougesde la main) : combien y a t-il de rouges, peux-tu deviner sans compter ? Comment sais-tu ? »Conduites

Non-conservation (jusqu’à 4-5 ans) : Pour la constitution de la seconde collection dans les deuxsituations, l’enfant peut procéder à un comptage, ou constituer une disposition figurale quelconqueou effectuer une correspondance globale ou terme à terme.Les jugements sont non-conservatoires pour les deux situations : « Il y a plus de rouge parce que lesbleus sont tout serrés » La question de quotité peut être résolue ou non.Conduites intermédiaires : les collections sont constituées par une correspondance terme à termecorrecte. Les questions de conservations donnent lieu aux conduites suivantes :- soit le jugement est conservatoire pour l’une des situations mais non conservatoire pour l’autre ;- soit on note des hésitations et oscillations de jugement pendant chaque situation : « il y a plus debleus... non de rouge... c’est la même chose tous les deux », etc.Les réponses de conservation ne sont pas justifiées par des arguments explicites et complets.Le problème de quotité est résolu correctement, par exemple : « il y a 7 rouges alors je devine 7bleus aussi. »Conservation (dès 5 ans) : Les deux situations donnent lieu à des jugements stables de conservationqui sont justifiés par l’un ou plusieurs des arguments suivants :- arguments d’identité : il y a la même chose parce qu’on avait bien mis avant et qu’on n’a pasenlevé, on a seulement serré » ;- arguments de réversibilité : « on pourrait mettre aussi les autres en tas, ou remettre l’un à côté del’autre, alors il n'y a pas plus de bleus ou de rouges » ;- argument de compensation : « ici les rouges c’est une longue ligne, mais il y a de l’espace entreles jetons, alors ça fait la même chose. »

Conservation de la longueur (quantité continue)Nous allons décrire l’épreuve de conservation de la longueur de PIAGET, INHELDER etSZEMINSKA (1948).

L’épreuve est analogue à la précédente, l’expérimentateur propose une première comparaison dedeux longueurs matérialisées par deux fils flexibles, les fils étant rectilignes. La réponse correcte del’enfant est un préalable à la poursuite de l’épreuve. Il modifie alors la configuration des deux filsen proposant de nouveau de comparer les longueurs :

A

BB

A

B

A

Les conduites donnent des résultats différents : non-conservation jusqu’à 6-7 ans et conservationdès 8 ans.Une épreuve de ce type (étalonnée) figure dans un test psychologique, l’EDC (Échelle deDéveloppement Cognitif de l’enfant) de C. CHEVRIE-MULLER, A.M. SIMON & M.T.LENORMAND, elle est réussie à 22% pour les enfants de 7 ans, 76% pour les enfants de 8 ans.

2. Un exemple d’épreuve de sériation (classement)

Nous allons décrire l’épreuve des « bâtonnets» de PIAGET & SZEMINSKA (1941). Une épreuveanalogue sans écran figure également dans l’EDC, elle est réussie à 45% pour les enfants de 7 ans,80% pour les enfants de 8 ans.

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Matériel : Une série de dix bâtonnets de 16 à 10,6 cm de longueur avec un décalage de 0,6 cm ; unécran.Présentation : On donne à l’enfant les 10 bâtonnets en désordre.

Déroulement de l’épreuvea) Sériation à découvert : « Tu vas faire un joli escalier avec tous ces bâtons en les mettant en ordre,l’un à côté de l’autre. » Éventuellement l’expérimentateur peut commencer avec trois bâtonnets ouposer le plus petit en incitant l’enfant à continuer (méthode ascendante).

b) Sériation derrière écran : Si l’enfant a réussi la sériation, on le place derrière un écran en luidonnant les dix bâtonnets en désordre. « Cette fois c’est moi qui vais faire l’escalier ; donne-moi lesbâtons un à un, comme je dois les mettre... dans l’ordre qu’il faut pour faire l’escalier. »

ConduitesAbsence de séries (3-4 ans).A un premier niveau l’enfant ne comprend pas la consigne, il arrange quelques baguettes plus oumoins parallèlement, sans ordination.Petites séries et sériations sans basesa) L’enfant construit des couples formés d’un petit et d’un grand bâtonnet, ou des trios formés d’unpetit, d’un moyen et d’un grand mais ces couples ou ces trios sont juxtaposés sans être coordonnésentre eux.b) L’enfant parvient à construire un escalier plus ou moins correct pour le sommet des baguettesmais il ne s’occupe pas des bases.c) L’enfant construit une série d’environ cinq éléments mais n’arrive pas à intercaler les baguettesrestantes.Réussite par tâtonnements (environ 6 ans). Par tâtonnement, l’enfant parvient à effectuer unesériation entière et correcte. Cependant, à ce niveau, il ne parvient pas à sérier systématiquement leséléments dans la situation comportant un écran.Réussite opératoire (6-7 ans)L’enfant réussit (avec ou sans écran) en prenant le plus petit (ou le plus grand) de tous les élémentsqui restent en les mettant tous à la verticale ou contre le bord de la table.

3. Un exemple d’épreuve de quantification de l’inclusion

Nous allons décrire l’épreuve des « fleurs » de PIAGET et INHELDER (1959).Technique : Le matériel est composé d’un bouquet de 10 marguerites jaunes et de 2 ou 3 rosesrouge artificielles. L’expérimentateur fait nommer à l’enfant les fleurs et s’assure qu’il connaît lestermes « marguerites », « roses » et « fleurs » et que les marguerites et les roses sont des fleurs.

Déroulement de l’épreuveQuestion 1 : « Y a t-il, dans ce bouquet, plus de marguerites ou plus de fleurs ? »Après la réponse de l’enfant : « Comment le sais-tu ?... Plus de... que de quoi ? » Si l’enfant répond« que de roses », on demande à l’enfant d’énoncer la question qui lui a été posée, et en cas d’erreur,on répète cette question.Question 2 : « Il y a deux petites filles qui voudraient faire des bouquets. L’une fait un bouquet avecles marguerites. Ensuite elle me rend les marguerites. L’autre petite fille fait son bouquet avec lesfleurs. Quel bouquet sera le plus grand ? »

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Question 3a : « Si je te donne les marguerites, qu’est-ce qu’il me reste dans le bouquet ? »Question 3b : « Si je te donne les fleurs, qu’est-ce qu’il me reste dans le bouquet ? »Question 4 : « Moi, je vais faire un bouquet avec toutes les marguerites, et toi tu vas faire unbouquet avec toutes les fleurs. Qui aura le plus grand bouquet ?... Comment le sais-tu ?

ConduitesAbsence de quantification inclusive (5-6 ans)L’enfant se montre incapable de comparer le nombre d’éléments d’une sous-classe à celui d’uneclasse plus générale dans laquelle elle est incluse ; il procède systématiquement à la comparaison dedeux sous-classes, et répond alors qu’il y a plus de marguerites que de fleurs ; quand on luidemande « plus de marguerites que de quoi ? », il répond généralement « plus de marguerites quede roses ». A ce niveau, on constate parfois des erreurs aux questions portant sur la soustraction dessous-classes (3a et 3b).Conduites intermédiairesPeu de conduites intermédiaires sont observables, on note des hésitations de la part de l’enfant et àla question : « Y a-t-il plus de marguerites ou plus de fleurs ? » il répond parfois « C’est la mêmechose » et argumente en disant « les marguerites sont aussi des fleurs. » A ce niveau, les questionsportant sur la soustraction sont réussies.Réussite de la quantification inclusive (7-8 ans)Toutes les questions sont réussies avec parfois de l’étonnement de la part de l’enfant à l’énoncé dela première question.

4. Un exemple d’épreuve d’opération formelle

L’exemple que nous allons présenter est un problème de logique des propositions. Environ 50% desélèves de 12-13 ans réussissent à ce problème.

Êtes-vous un bon détective ?

Vous allez faire quelques petits problèmes dont les énoncés sont un peu embrouillés. Vous voustrouverez dans la situation d’un détective qui recueille des indices variés pendant son enquête etqui cherche à découvrir la vérité par son raisonnement et sa déduction. Le détective fait dessuppositions et recherche des preuves avec ce qu’on lui dit et avec ce qu’il observe.Maintenant lisez les trois phrases de l’énoncé qui suit et, en réfléchissant bien, essayez de savoir siles conclusions qui sont placées au-dessous de l’énoncé sont vraies ou fausses.Il y a plusieurs bonnes réponses à cocher.

Énoncé :- Si le concierge était complice, alors la porte de l’appartement était ouverte ou le cambrioleur estentré par le sous-sol.- Si le cambriolage a eu lieu à minuit, alors le concierge était complice.- On a pu prouver que la porte de l’appartement n’était pas ouverte et que le cambrioleur n’est pasentré par le sous-sol.

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Conclusions : Le concierge n’était pas complice. Le concierge était complice. Le cambriolage a eu lieu à minuit. Le cambriolage n’a pas eu lieu à minuit. On ne peut pas savoir si le cambriolage a eu lieu à minuit.

Remarques

Ce problème repose sur deux lois de la logique :- la négation de « A ou B » est « non-A et non-B » ;- les propositions « si A, alors B » et « si non-B, alors non-A » sont équivalentes c’est-à-direqu’elles ont la même valeur de vérité.Les deux questions évaluent la même compétence. Cinq propositions pour deux bonnes réponses,cette forme de questionnaire permet de donner une chance sur dix seulement de réussir à un sujetqui répond au hasard.

II. Des recherches en neuropsychologie

Depuis plus de vingt ans, l’origine neurologique des troubles du calcul et du traitement des nombresintéresse fortement les neuropsychologues. Certains d’entre eux rencontrent des patients qui, suite àune lésion cérébrale, se plaignent de difficultés dans le domaine de la lecture ou de l’écriture desnombres, dans le domaine du calcul ou dans des domaines beaucoup plus restreints desmathématiques. L’impact de ces travaux est important chez les professionnels de la « rééducation »en mathématiques, nous nous limiterons ici aux difficultés moins massives que celles qu’étudientces auteurs.

1. Un exemple de dyscalculie acquise

M. N. occupait les fonctions d’attaché commercial lorsqu’il fit une mauvaise chute, due peut-être àun accident vasculaire cérébral. Stanislas DEHAENE (1996) décrit sa pathologie : quand on luidemande combien font 2+2, il répond 3 ! Il parvient à réciter 1, 2, 3... et 2, 4, 6, 8... mais il échouetotalement en dehors de ces automatismes, par exemple lorsqu’il s’agit de compter à rebours. Il neparvient pas non plus à lire le chiffre 5 lorsqu’il lui est présenté brièvement. Pourtant, si on le laisseexaminer le chiffre 5 plus longtemps, M. N. compte sur ses doigts et reconnaît le chiffre 5 !Paradoxalement, si on lui montre les deux chiffres 7 et 8 et qu’on lui demande de les comparer, M.N. répond instantanément que 8 est le plus grand. Il accepte comme justes les égalités 2+2=5 ou5+7=11, pourtant il refuse instantanément 5+7=19 ou 4+5=3. Des examens complémentairespermettent de conclure que ce patient souffre d’une affection curieuse : il est incapable de dépasserl’à-peu-près et vit dans un monde ou les quantités sont seulement approximatives.M. M. a subi une lésion cérébrale, il ne sait plus quel nombre vient entre 3 et 5 mais il saitparfaitement quelle lettre tombe entre A et C ou quel jour vient entre mardi et jeudi. Alors qu’ilvenait d’échouer à la division de 4 par 2, on lui donne 4 billes à partager entre deux enfants, M. M.divise aussitôt cet ensemble concret en prenant 2 billes dans chaque main. Il parvient à calculer ladurée qui sépare 14h de 16h mais il échoue à la soustraction 16-14 ; il sait convertir 3h de l’après-midi en 15h mais il échoue à l’addition 3+12=15. M. M. a perdu la capacité d’appréhender desnombres abstraits mais il réussit à les manipuler dès qu’ils se réfèrent à une situation concrète.

2. Deux exemples de dyscalculie développementale

Les neuropsychologues rencontrent aussi des patients qui souffrent de troubles du calcul ou dutraitement des nombres sans pour autant qu’ils aient subi de lésion cérébrale, ni de traumatismepsychologique et qui ont suivi un parcours scolaire « normal ». De tels troubles ne sont pas

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forcément sans rapport avec un mauvais fonctionnement de telle ou telle zone de leur cerveau, maisalors ces dysfonctionnements seraient survenus au cours de leur développement.Reprenant les cas évoqués par A. van Hout & C. Meljac, citons le cas de Julie qui a réussi avecsuccès sa première année universitaire mais qui continue à se cacher dès qu’elle doit effectuer lemoindre calcul car elle doit compter sur ses doigts, même pour effectuer une addition de nombresinférieurs à dix, elle ne connaît toujours pas ses tables de multiplication et elle estime trèsdifficilement le nombre d’éléments d’un ensemble. Citons aussi le cas de Charles qui a été capablede décrocher le baccalauréat mais qui reste dans l’impossibilité de passer de l’écriture chiffrée 42 àl’écriture de ce nombre en toutes lettres, qui reste incapable d’effectuer tout calcul sans compter surses doigts (par exemple pour manipuler la monnaie), et qui ne peut se faire une idée du prix d’unedenrée courante. Il est même incapable d’estimer une quantité d’objet quand il n’y en a que deux, ilest obligé de les compter !

III. Les apports de la psychologie affective

Dans de nombreux cas, ni le manque d’intelligence d’un élève, ni sa paresse n’expliquent sesdifficultés en mathématiques. Nous avons vu que le rapport social à l’école et au savoir ont desconséquences sur l’apprentissage, conséquences qui peuvent être négatives, c’est ce qu’ont montréBernard CHARLOT et son équipe. D’autres chercheurs ont entrepris d’expliquer les difficultés oules facilités d’un élève par la relation qu’il entretient, au sens psychanalytique, avec l’objet queconstituent les mathématiques. Ces auteurs montrent que l’activité mathématique est investie par lesujet c’est-à-dire que l’activité mathématique subit une transformation imaginaire qui a des causesinconscientes ou affectives. Ainsi, pour certains, les mathématiques sont synonymes de perfection,de refuge, de paix et d’ordre. Pour d’autres, les mathématiques représentent un danger, un trou noir,une fatalité...

1. Appréhensions fantasmatiques des mathématiques

Les mathématiques et l’ordre, la loi, le père.Différents psychologues ont montré que, bien souvent, les mathématiques sont associées à l’ordre, àla loi et au père. Citons par exemple F. JAULIN MANONI : « Accepter les mathématiques, c’estaccepter une loi, c’est donc sur le plan transférentiel, obéir au père. » Nombreux sont les auteursayant mis en relation une difficulté en mathématiques et une difficulté relationnelle avec l’imagepaternelle.Selon Jacques NIMIER (1976, 1988), professeur de mathématiques et docteur en psychologie, lerapport des mathématiques et de l’ordre se pose de trois façons :- la discipline est contraignante et à plusieurs titres. C’est une matière incontournable, au moinsjusqu’au lycée où la filière la plus prestigieuse reste celle qui contient le plus de mathématiques àson programme. C’est une matière pour laquelle les élèves se posent continuellement la question desavoir s’ils ont ou s’ils n’ont pas le droit de faire telle ou telle chose. C’est une matière où uneerreur, si bénigne soit-elle au départ, peut compromettre l’ensemble de la résolution d’un problème;- les mathématiques sont elles-mêmes une discipline ordonnée « de l’intérieur », avec sesdéfinitions que l’on admet et ses propriétés que l’on démontre. Le savoir mathématique est construitcomme un édifice ;- enfin les mathématiques sont perçues comme ayant la vertu de construire l’intelligence, la rigueur,la méthode, la logique. La fréquentation de cette discipline peut transformer le sujet de l’intérieur.Certains craignent d’être réduit à une mécanique, d’autres intériorisent la puissance qu’ils attribuentà cette discipline.Les mathématiques sont donc transformées par le sujet en une force, une force au service de sonMoi, soit en lui faisant jouer un rôle d’auxiliaire dans sa lutte contre certaines de ses pulsions

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répréhensibles, soit pour la considérer comme cette partie de lui-même qui l’opprime et dont il veutse libérer.

Les mathématiques et la peur, le danger, la mortLa résolution d’un problème de mathématiques comme l’acquisition de nouvelles connaissancesdemandent un certain engagement du sujet dans la tâche, demandent de construire des hypothèses,une démarche mais aussi de l’abandonner en cas d’échec et de recommencer autrement.Certains auteurs comme Henri PLANCHON, décrivent chez certains sujets, une véritable tension,tellement insupportable qu’ils préfèrent « passer à l’acte » en produisant immédiatement uneréponse totalement inadaptée plutôt que de mettre en œuvre une démarche de résolution afin de selibérer de la peur et de l’anxiété générées par ce face-à-face avec l’inconnu qui représente undanger.Jacques NIMIER montre que l’inconscient se sert parfois des mathématiques pour en faire un objetdangereux de la même façon que certains se servent des fantômes et des sorcières pour expliquerleurs peurs. Ainsi, certains pensent que les mathématiques coupent ceux qui les pratiquent du restedu monde et les condamnent à la solitude. D’autres y voient un risque d’atteinte à l’intégrité del’esprit, ceux qui font des mathématiques n’auraient plus les pieds sur terre et risqueraient desombrer dans la folie. Pour d’autres encore, les mathématiques sont associées aux dangers quereprésente la science (pollution, bombe atomique...) et qui peuvent conduire à une atteinte àl’intégrité physique. En référence à la théorie psychanalytique, NIMIER associe ce danger et cettepeur à l’angoisse de la castration, fantasme qui répond à l’énigme posée à l’enfant par la différenceanatomique des sexes.

Les mathématiques et le refuge, la vie, l’idéalJacques NIMIER a montré que certains sujets idéalisent les mathématiques. Ils y trouvent la beautéet l’harmonie ainsi qu’un ordre, une organisation unitaire qui, opposés au chaos, les rassurent.L’activité mathématique est associée, chez ces sujets, à un refuge : l’activité est personnelle etpersonne ne peut intervenir, l’activité mathématique est prenante et permet de s’empêcher de penserà ses problèmes personnels, enfin, pour certains, trouver la solution d’un problème provoque unsentiment de jouissance et de quiétude. Pour terminer avec cette idée de refuge, certains disent queles mathématiques sont un peu comme une drogue dure mais qui n’en a pas les inconvénients.Le psychologue interprète cette idéalisation des mathématiques comme étant au service de l’Idéaldu moi c’est-à-dire qu’elles permettent de tendre vers la perfection du narcissisme de l’enfance, laperfection de l’unité mère-enfant. Faire des mathématiques permet de réaliser l’inceste de façonsymbolique : « faire coïncider la question et la réponse n’est-il pas une forme d’inceste ? »Le sentiment de force, de puissance de celui qui surmonte les obstacles que sont les questionsmathématiques qui résistent, est interprété comme un sentiment de puissance lié à possession duphallus qui symbolise la complétude narcissique ou qui masque le manque, la castration. Le sujetpeut alors inconsciemment espérer combler la mère.

2. L'enseignant et la transmission dans l'espace psychique de la classe

Claudine Blanchard-Laville (2001) est une mathématicienne qui a mené des travaux de rechercheen didactique des mathématiques puis qui s’est spécialisée dans une approche clinique d’orientationpsychanalytique des phénomènes d’enseignement et d’apprentissage. Ses travaux comportentnotamment plusieurs textes rédigés à l'intention des didacticiens des mathématiques dans lesquelselle indique que les phénomènes d'ordre inconscient (au sens freudien) qui se déroulent dans lesespaces d'enseignement n'étaient pas pris en compte. Actuellement, elle poursuit un travail deconceptualisation d'inspiration clinique à référence psychanalytique pour modéliser l'acte del'enseignant. Elle tente en particulier de mettre à jour les processus par lesquels celui-ci construitl'espace psychique de la classe. Elle propose notamment le concept de transfert didactique pourrendre compte de la manière dont il actualise son rapport au savoir en situation didactique, àl'intérieur de la dynamique transférentielle qu'il impulse dans la classe.

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Ces travaux ne seront pas développés davantage dans le cours de didactique des mathématiques, ilssont largement pris en compte dans le cours de M. Philippe Chaussecourte.

IV. Les apports de la didactique des mathématiques

Les erreurs des élèves témoignent des difficultés qu’ils ont en mathématiques. Les didacticiens fontl’hypothèse que celui qui produit une erreur, comme celui qui n’en commet pas, mobilise, pour unepart sa façon de comprendre la question et, pour une autre part les moyens dont il dispose pourélaborer une réponse. Pour aider l’enfant à ne plus commettre une erreur, certains chercheurs ontproposé des situations d’enseignement dont l’objectif est que l’élève change sa façon de connaîtreplutôt que de lui montrer une autre façon sans tenir compte de ses connaissances initiales.Mais on parle aussi de difficulté en mathématiques pour les élèves qui n’arrivent pas à résoudre desproblèmes. Autrement dit, on parle aussi de difficulté pour ceux qui « sèchent » sur les problèmes.Didacticiens et psychologues tentent de comprendre ces difficultés pour aider les élèves dans cetteactivité fondamentale pour l’apprentissage des mathématiques. D’une part, d’un point de vuethéorique, en essayant de comprendre ce qui se passe « dans la tête » de l’élève quand il cherche et,d’autre part, d’un point de vue pratique, en proposant des moyens d’apprendre à résoudre lesproblèmes.En utilisant le système didactique (M, E, S), nous allons montrer comment les didacticiensdistinguent plusieurs types de difficultés en mathématiques. Certaines d’entre elles trouvent leursource dans la relation entre l’élève et le savoir c’est-à-dire dans les conceptions même des objetsmathématiques que les élèves ont acquises. D’autres s’expliquent par le contrat didactique, l’élèverépond à la question du maître plutôt qu’à la question mathématique. Entre ces deux extrêmes, ontrouve des erreurs d’interprétation de la tâche proposée et des erreurs de mise en œuvre de laméthode de résolution.

1. Difficultés d’apprentissage et contrat didactique

Nous regroupons sous ce titre les erreurs dues au fait que l’élève répond davantage à la question dumaître qu’à la question mathématique.Nous avons déjà évoqué l’exemple célèbre du problème proposé par l’IREM de Grenoble : « L’âgedu capitaine ».Voici un exercice où l’élève doit placer des nombres sur la ligne numérique.

Écris dans le bon ordre chaque nombre à la place qui convient452 - 479 - 289

300 400 500

Le pourcentage de réussite est de 37% si l’on ne tient pas compte de l’ordre des nombres 452 et 479dans le bon intervalle. 45,6% des élèves placent correctement 289 et seulement l’un des deuxnombres 452 et 479, l’autre étant mal placé ou absent. C’est l’importance du pourcentage d’élèvequi placent correctement 289 et l’un seulement des deux nombres 452 et 476 qui laissent à penserque pour de nombreux élèves, il était interdit d’écrire deux nombres dans une seule case de réponse.Même s’il semble que la gravité de telles erreurs n’est pas très importante puisqu’elle ne révèle pasune connaissance mathématique inadaptée à la tâche proposée, il convient pourtant de ne pas lesnégliger afin de permettre à l’élève de s’engager « mathématiquement » dans un problème. Maispour qu’un élève s’engage dans la résolution d’un problème, encore faut-il que ce problème soitsuffisamment riche.Un équilibre, adapté à chaque élève, doit donc être trouvé. Les problèmes proposés doivent êtreassez simples pour que l’élève puisse se lancer dans l’élaboration d’une démarche de résolution etassez complexes pour que l’élève puisse valider ses réponses sans recourir à l’adulte.

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2. Difficultés et transposition didactique

Plusieurs didacticiens, dont particulièrement Régine DOUADY et Marie-Jeanne PERRIN, ontremarqué que la notion de périmètre comme la notion d’aire d’une figure plane posaient souventdes difficultés aux élèves. Examinons comment l’interprétation de la tâche par l’élève, c’est-à-direcomment l’élève s’imagine ce qu’il doit faire pour résoudre le problème qu’on lui pose, peut être àl’origine de certaines erreurs.Une première interprétation des difficultés que posent les notions d’aire et de périmètre provient desmathématiques elles-mêmes. En effet, le périmètre et l’aire d’une figure sont deux grandeurs quirendent compte de la taille de la figure. Ces deux grandeurs sont liées mais leur relation n’est passimple. Par ailleurs ces deux grandeurs n’obéissent pas aux mêmes lois : si l’on accole deuxrectangles, l’aire de la figure ainsi formée est la somme des aires des deux rectangles mais il n’enest rien pour le périmètre.Ces difficultés mathématiques font que bien souvent, les deux notions sont réduites à l’applicationde formules. Ainsi, quand la question du calcul de l’aire ou du périmètre d’une figure est posée,l’élève recherche la bonne formule à appliquer avec les valeurs fournies. Analysons un exempleissu de l’évaluation nationale à l’entrée en sixième de 1994 :

Quelle est l’aire de ce triangle ? Réponses de trois élèves A, B et C.A : 108 cm² B : 42 cm² C : 93 cm²

Pour ces trois élèves, une question qui porte sur l’aire ou le périmètre d’une figure appelle uneapplication de formule. La formule de l’aire du triangle n’est pas induite par la disposition classiqued’un triangle posé sur son plus long côté, en revanche la disposition du triangle rappelle celle durectangle.Ainsi peut-on expliquer que l’élève A calcule l’aire du rectangle dont les côtés sont 9cm et 12cmc’est-à-dire les côtés perpendiculaires du triangle rectangle. Le deuxième élève, lui, calcule lepérimètre de ce rectangle. Pour le dernier élève, on remarque un effet de contrat : « dans unproblème il faut utiliser toutes les données numériques pour répondre. » L’élève calcule l’aire durectangle et retire, non pas la moitié du résultat trouvé mais 15 qui figure dans l’énoncé à la placedu triangle dont il faut calculer l’aire...De nombreux didacticiens tentent de montrer que, si face à une notion dont l’acquisition sembledifficile, l’enseignant simplifie et réduit l’activité à l’application d’une recette, il risque d’y laisserle sens et l’enfant risque d’oublier la recette. Dans ce cas, finalement, le professeur passe à côté del’enseignement des mathématiques et l’élève passe à côté de l’apprentissage.Face à des réponses analogues à celles qui ont été produites par les élèves A, B et C, l’enseignantpourra, par exemple demander à l’enfant de reproduire ce triangle sur un papier quadrillé en cm, decompter les cm² contenus à « l’intérieur » du triangle. Il pourra enfin amener l’élève à reconstruirela démarche qui justifie la formule de l’aire du triangle en complétant le triangle par un rectangle...

3. Difficultés et conceptions

Certaines erreurs sont produites par une conception erronée de l’un des objets mathématiques quiinterviennent dans l’énoncé du problème ou dans la procédure de résolution. Il arrive aussi que laconception qui met l’élève en difficulté ne soit pas erronée mais seulement inadaptée à la situation.Voyons quelques exemples.

Exemple de conception erronéeAinsi, par exemple, on a pu remarquer que les élèves identifient plus difficilement les notions quimodélisent une relation entre deux objets que les notions qui qualifient un seul objet. Par exempleles élèves, à l’entrée en sixième, sont encore nombreux à confondre « verticale » et

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« perpendiculaire » ainsi, ils sont 25% à tracer une « droite » verticale à l’exercice suivant, posé en1993 dans le cadre des évaluations nationales.

En utilisant l'équerre, trace la droite qui est perpendiculaireà la droite (d) et qui passe par le point B.

A

B

(d)

Exemple de conception inadaptéeCitons l’expérience de Marie-Alix GIRODET (1996) réaliséeavec des étudiants de niveau Bac+3.Elle présentait le ticket de caisse et demandait de lire lecontenu du ticket puis de vérifier le prix à payer à l’aide d’unordre de grandeur puis de le vérifier exactement à lacalculatrice.Toutes les personnes interrogées parviennent à lire le ticket,elles disent facilement 69 francs 90 par kg et 284 grammes pour le poids. Pourtant une sur trois neparvient pas à contrôler le prix affiché, ne sachant pas quelle opération taper à la calculette.Pratiquement aucune d’entre elles ne parvient à déterminer un ordre de grandeur du prix.D’autres travaux menés sur la multiplication permettent de montrer que c’est la conception de lamultiplication qui empêche les personnes de multiplier le prix unitaire par le poids. D’une part,certaines personnes ont du mal à mobiliser la multiplication quand le contexte ne permet pas del’interpréter comme une addition répétée. Or ici, les nombres étant décimaux, l’addition répétéen’est pas une conception adaptée de la multiplication. Ce serait pourtant le cas pour un achat de3 kg de viande. D’autre part, la multiplication est souvent conçue comme une opération quiaugmente le nombre de départ, or ici, le prix à payer est inférieur au prix unitaire car le poids deviande acheté est lui-même inférieur à 1 kg.

La notion d’obstacle chez Bachelard et BrousseauLes élèves comme les enseignants sont confrontés à des erreurs qui persistent malgré différentestentatives pour les dénoncer. Guy BROUSSEAU (1978, 1998) propose de distinguer, parmi lesconnaissances mathématiques, celles qui ont un domaine de validité restreint mais que des élèvesutilisent tout de même, et persistent à utiliser, en dehors de ce domaine de validité. Il appelleobstacle une telle connaissance. Le premier à avoir mis en avant cette idée d’obstacle est GastonBACHELARD qui a écrit en 1938, la formation de l’esprit scientifique, où il précise que l’obstaclen’est pas une connaissance totalement inadaptée ; au contraire, selon cet auteur, un obstacle résisteparce que c’est une connaissance adaptée à certaines situations et qu’elle permet donc des réussites.Dans le problème du contrôle du prix de la viande, ce qui pose une difficulté à une personne surtrois c’est bien la conception de la multiplication à la fois comme une addition répétée et commeune opération qui agrandit. La multiplication n’est pas reconnue par ces personnes car la conceptionqu’elles en ont n’est pas adaptée à cette situation. Pourtant cette conception convient aux premiersapprentissages, c’est pourquoi elle est souvent enseignée. Il faudra, indique BROUSSEAU,proposer des situations qui permettent de mettre en défaut cette conception, qui permettent d’enconstruire une nouvelle qui intègre la précédente pour que l’élève puisse surmonter l’obstacle.

4. Au carrefour de la didactique et de la psychologie cognitive

La méthode de résolution qu’élabore un sujet est liée à la représentation qu’il se fait du problème.On aurait tort de sous-estimer l’importance de la représentation du problème et de la réduire à unesimple traduction de l’énoncé dans un langage adapté au traitement mathématique. Des chercheurs

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en psychologie cognitive ont montré que l’élaboration d’une représentation du problème est uneactivité cognitive à part entière.Jean JULO (1995), psychologue, chercheur à l’Université et à l’IREM de Rennes et formateur deprofesseurs de mathématiques, montre que suivant la représentation qu’on se fait du problème, onréussit ou non à raisonner correctement donc à élaborer correctement ou non une méthode derésolution.

Un exemple où la représentation de l’énoncé est opérationnelleDans ce premier exemple, l’énoncé est quasiment illisible. Sa représentation demande de grosefforts, à chaque instant on a l’impression qu’on perd le fil des relations décrites. Mais lorsque cetenchevêtrement relationnel est démêlé, alors la solution s’impose.

Si le problème que vous avez résolu avant que vous ayez résolu celui-ci était plus difficileque le problème que vous avez résolu après que vous ayez résolu le problème que vousavez résolu avant que vous ayez résolu celui-ci, est-ce que le problème que vous avezrésolu avant que vous ayez résolu celui-ci était plus difficile que celui-ci ?

Un problème où la représentation de l’énoncé n’est pas opérationnelleDans ce deuxième exemple qui ne demande aucune connaissance mathématique d’un niveausupérieur à celui du cycle 2 de l’école élémentaire, la représentation du problème ne pose pas degrande difficulté mais c’est l’opérationnalisation qui est difficile. Ce problème peut constituer unvéritable « casse-tête » car ce n’est pas la représentation de l’énoncé qui pose problème mais biensa transformation en une représentation opérationnelle.

Vous appartenez au service des fraudes spécialisé dans la fausse monnaie.Vous êtes en présence de 12 sacs numérotés contenant chacun plusieurs centaines depièces de 2€. Vous savez que l’un de ces sacs ne contient que des fausses pièces, lesautres n’en contiennent pas. Vous savez également que les pièces authentiques pèsent9g et que les fausses pièces ne pèsent que 8g. Comment pouvez-vous déterminer, en uneseule pesée, le sac où se trouvent les fausses pièces ? (Vous pouvez peser ce que vousvoulez mais vous n’avez le droit de n’utiliser qu’une seule fois la balance et donc de nefaire qu’une seule mesure).

Un problème de mise en œuvre de la représentationVoici un problème donné à une classe de CM1 avant que la division n’ait été enseignée.

Un pâtissier a fabriqué 274 chocolats. Il prépare des paquets. Dans chaque paquet, il doitmettre 16 chocolats. Combien peut-il remplir de paquets ?

Démarches de trois élèves A, B et C.A pose l’opération 274×16.B pose l’opération 274–16.C calcule 16+16+16=48 ; 48+48+48+48=192 ; 192+48=240 ; 240+34=274 et, finalement, ilrépond 34 paquets.

Les élèves A et B n’ont pas une représentation complète du problème, ils élaborent une méthode derésolution à partir d’indices contenus dans l’énoncé. Le premier repère un indice verbal et l’associeà une opération, l’opération qu’il faut effectuer pour résoudre le problème : le mot chaque estassocié à la multiplication. Le deuxième comprend, contrairement au premier, qu’il y aura moins depaquet que de chocolats et effectue une association entre réduction et soustraction.Le troisième élève, en revanche a élaboré une représentation du problème conforme à l’énoncé.Cette représentation est opérationnelle puisque l’élève simule la fabrication des paquets. Mais saméthode est trop coûteuse entraîne un phénomène de surcharge mentale de travail. En find’opérationnalisation, l’élève ne sait plus bien ce qu’il cherche. Pour cet élève, on pourra dire que ladifficulté se situe au niveau de la mise en œuvre de la représentation du problème.

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BIBLIOGRAPHIE

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