Marmite et Microonde n°13

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    Depuis son premier numro, Marmite & Micro-ondesefait le chantre dune littrature dun genre particulier : cellede limaginaire culinaire. Ce numro 13 ne droge pas largle. Vous y trouverez des plats que daucun trouveraitpeu ragotant : petit dner entre dmons concoct parMarion Lubrac, nourriture prdigre par Jrme Paul,sans parler des gots particuliers du serial fossoyeur de Thomas Desmond. On pourrait mme croire que lesserials-quelque-chose sont lhonneur, en lisant les textesde Franois Schnebelen et Gal Briand. Heureusement,Elise Lemay et Anne Lanice sont l pour ravir nos papillesavec des mets plus traditionnels, et nanmoins savoureux.

    Mais M&Mnhsite jamais se faire lcho de lactualit

    de limaginaire culinaire. Ce fut dj le cas cette anneavec laffaire du sandwich marial . Nous restons dans ledomaine du spirituel avec lexpos dune thorie surpre-nante : lUnivers aurait t cr par un spaghetti volant(flanqu de deux boulettes de viande). Sous des dehorsdjants, M&M peut aussi aborder des sujets mtaphy-siques parmi les plus ardus.

    On connaissait la pataphysique. Voici venue lre de lapastaphysique.

    Philippe Heurtel, Septembre 2005

    Ne au Congo, Marion Lubrac est auteur de plusieurs posies, classiques ou libres, de contes fantastiques etde nouvelles. Elle a t publie dans Le Monde inconnu, Au-del de linfini, Hauteurs, La Salamandre. On peutaussi retrouver ses textes sur son site http://membres.lycos.fr/marionlubreac. Aux pinceaux, les fidles lecteursauront reconnu Audrey Isbled.

    JOYEUX ANNIVERSAIRE, DUNCAN ! MARION LUBREAC

    Inventer en cuisine, cest unehistoire damour entre les conviveset le plat que je leur ddie. Messombres invits ne vont pas tarder arriver. Auprs dun feu de boisrougeoyant qui crpite, la table,dj dresse, attend sous sesdentelles noires. Richement char-

    ge de ses assiettes prcieuses,elle croule sous son argenterieternie et ses verres en cristal debohme.

    Dans la cuisine, a mijote. Lespots ventrus remplis dinsectes etde viscres entasss sur les ta-gres sont noircis de fume. Il fait

    une chaleur denfer. Je mactive enpsalmodiant, entoure de mesmarmites de cuivre do sortent lapuanteur enttante des victuaillesbouillies.

    Voyons, voyons voir... Est-ce quetout est prt ? Comme je me rgale lide de vous runir ma table,

    Joyeux anniversaire Duncan (Marion Lubrac) 1

    Tout est dans le titre (Franois Schnebelen) 3

    Cosmogonie et gastronomie (Philippe Heurtel) 4

    Massacre lconomiseur (Gal Briand) 4

    Peau morte (Thomas Desmond) 6

    Une petite gourmande (Elise Lemay) 9

    Le steampunk culinaire (Philippe Heurtel) 10

    Sur la trace des conquistadors(Anne Lanice) 11

    Digestion dentreprise (Jrme Paul) 12

    Les Camemberts de limaginaire 12

    Aux pinceaux : Sbastien Gollut, Audrey Isbled.

    Le sous-titre est de Ccile Langeois.

    ISSN 1766-8816

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    amis gourmets, amoureux de labonne chre !

    Aussi gourmande que bonnevivante, je concocte avec amour unrepas propre horrifier vos papilles.

    Nous serons vingt-deux person-nes. Le foie du mort est parfait :suprmement fin, dlicat, parfumet fondant.

    Jai arrach au foie du boucherun lobe dodu et crmeux, de toutepremire fracheur, que je poleraijuste avant de servir. Ils ne rsiste-ront pas son got raffin, lgre-ment poivr. Je le servirai en esca-lopes sur des toasts grills, accom-pagns de raisins de muscat pels.Jen ai leau la bouche. Ce foie

    tait cirrhos : je nai nullementbesoin de le flamber.

    Duncan ne se doute de rien. Jelai juste invit pour ce soir, ladernire minute, partager mon

    repas. Il ne sattend pas cettefte. Il pense que nous mangeronsde la tarte aux larves en regardantun vieux Dracula dans le salon.Comment pourrait-il savoir ? Nousavons recul son anniversaire au22 juillet, alors quil est n le jour dusolstice dt.

    Voyons, voyons voir... Est ce quetout est bien en place ?

    Pat apporte les bouteilles de sucsgastriques. Jai pour ma part desglobes oculaires dans le bac

    glaons, spcialement pour laprode ce soir... Je ne sais pas trop. Jeles sers dans le whisky avec un filetde bave dorvet, ou frachementdgels avec des olives ? Jai peurque les invits voient cela dunmauvais il !

    Malfici me conseille de lescraser la fourchette et den gar-

    nir les toasts. Cest vrai que nousle faisons parfois. Quand les globessont de petite taille. Nous enfaisons une pure fine. Dcorsdun peu de pattes de mouchespiles et orns dune paire dailesde libellule, ces toasts sont du plusbel effet. Mais cette fois, honnte-ment, ce serait dommage. Cesglobes oculaires sont de toutepremire fracheur et dune tailleadmirable. Malefici a propos decuisiner des tripes de porc la

    sauce Vlad. Il tient de sa familleroumaine une excellente recette.Esprons juste quil vitera de troppicer aux raclures dongles, javaisassez mal digr lautre soir.

    Voyons, voyons voir... Est-ce quetout ce dont on a parl est aupoint ?

    Melissa a gliss des rognons detaupe dans le gteau, et Peter secharge de le flamber. Je ne saispas ce que Gg a prvu. Cest ungaron difficile, la sombre person-

    nalit. Il aime sentourer de mys-tres. Mais ce quil prpare esttoujours surprenant et dlicat. Cestvrai, on peut toujours lui faireconfiance.

    Ashaina ? Jai oubli de massurerquelle soccupera bien de la sonoet de la lumire noire. Elle devraittre l dj. Elle devrait tre l.Mais bon, elle est tellement fline.Elle doit se jouer de quelquun etlentranera ici pour lachever. Nousnallons quand mme pas cracher

    sur un rituel magique. Quelleamne une vierge ou un phbe, ilsera le bienvenu.

    Tout va tre parfait... Je suisfbrile. Je suis prte. Quil me tardedouvrir la porte vos visages ma-chiavliques ! Jimagine vos rictus !Dj vos pas crissent dans lalle,et mes loups hurlent votre appro-che.

    On va passer une soire formi-dable !

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    N en 1971, Franois Schnebelen vit en Charente-Maritime. Il regrette un peu tous les bons petits plats de sonAlsace natale, mais se console avec la choucroute que sait si bien prparer sa femme. Dj publi dans desfanzines tels queEclats de Rves, Borderline, Oulifan, Notes des merveilles etCoprophanaeus, il ralise enfin unancien rve, tre au sommaire du fanzine de l'art culinaire.

    TOUT EST DANS LE TITRE FRANOIS SCHNEBELEN

    30 ans de mtier et pour la

    premire fois, je suis pris de courtpar lenqute que mon suprieur,petit sourire en coin, ma confie.Le ton avec lequel il ma annoncla nouvelle ne ma pas plu. Oh non ! Surkrut, avec ta bedaine, cette

    enqute est la mesure de toninsatiable apptit. Jy peux rien si mon ventre crie

    famine longueur de journe. Dgage ! Tas du travail.Lenfoir, si ce ntait pas mon

    chef, je lui expliquerai ma faon de

    voir. Il a de la chance. Avec ses 70kg tout mouills, il ne soutient pasla comparaison avec mon mtrequatre-vingt et mes 130 kilosaccuss sur la balance. Peut-trepas que du muscle, mais monabdominal Kronenbourg, cest dubton. Plus dun sy est dj cassle poing.

    Arriv sur les lieux du crime, le

    dlicat fumet qui maccueille danslair froid du matin me donne faim.Pourtant il nest que 9 heures.Mapprochant, je comprends vite dequoi il retourne. Une forme vague-ment humaine qui ma tout lair dor point, repose au milieu de sagarniture de lgumes mme letrottoir. Un plat pour anthropo-phage ! Mon premier rflexe est deme pincer, pensant tre dans unrve, pardon un cauchemar, maisnon, la scne est relle et le pire estcette bonne odeur, et surtout monventre gargouillant pour tmoignerde son apptit. Ma rputation degoinfre ne va pas samliorer. Lephotographe mitraille le plat pourlimmortaliser sous tous les angles.Mon regard a du mal sen dta-cher, car en bon professionnel, jesuis toujours la recherche dindi-ces. Jenvoie les policiers prsentsinterroger les gens du quartier etintime au lgiste lordre de dfinirlorigine de la mort. Et puis, dbarrassez-moi le

    trottoir avant que quelquun ne seserve. OK, Surkrut, on ne veut pas te

    tenter plus longtemps.Je dois ravaler les insultes qui me

    viennent lesprit.

    De retour au commissariat,

    jinterroge la base de donnes poursavoir si des antcdents existent.Rien. Ca maurait tonn, jenaurais pas laiss passer un telvnement. Mes subalternes ren-trent bredouilles. Il faut patienter,peut-tre que lautopsie rvlerades indices. Effectivement, moninstinct ne me trompe pas. Alors, il est mort de quoi ? dit

    sur le ton de lautorit nadmettantpas les quolibets.

    Tu ne vas pas me croire, merpond le lgiste. Mme sil a tassomm avant, cest la cuisson quila tu. Il a t micro-ond. Rptes ? Oui, micro-ond. Il est pass

    dans un micro-onde, ce qui la tu.En plus, on la laiss suffisammentpour quil soit cuit point. Le but ntait donc pas seule-

    ment de le tuer, mais aussi de lerendre... gastronomique ? Exactement. Ttais dj sur

    une scne de meurtre avec la salive la bouche ? Tu as raison. Beau travail.Les rouages de mon cerveau

    nont pas besoin de tourner long-temps pour trouver un profil :cuistot. Elmentaire ! Par contre, unautre lment se fait jour. Pourpasser un adulte de 1m70 au micro-onde, il faut dj que ce dernier soitimposant. Un tel modle nexistepas dans le commerce. Do le sort-il ? Je progresse... Si je poussemon raisonnement plus loin, le fourdoit aussi tre transportable. Le plattait encore tide notre arrive,alors que le matin tait frisquet, ilna donc pas t transport aprscuisson mais directement dpossur le trottoir. Pas mal ! Lidentit dela victime ne men apprend pasplus. Il tait all faire son joggingmatinal et nen est pas revenu. Pasde problme apparent, pas demobile. Il devait tre au mauvaisendroit au mauvais moment. Finircomme a... Quoique... Je ne peuxmempcher de saliver.

    Deux jours plus tard, un nouveau

    plat humain est dcouvert 30 km

    du premier cas. Rien rajouter par

    rapport la premire fois, si cenest que des chiens lont trouv enpremier et ont eu lair dapprcier.Des voisins se sont juste rappelsle bruit dun moteur tournantquelques temps sur la route. Monide dun four micro-onde ganttransportable ntait aprs tout passi idiote. Je lavais gard pour moi,mais je devais en informer mescollgues pour coincer ce salopard.Mal men prit ! Jentends encore lesrires, les sifflets accueillants ma

    thorie. Tu prends tes dsirs pourdes ralits ! Si un tel four existait,tu en serais le propritaire pour ymettre un cochon entier chaquerepas ! Je comprends que je suisseul, pas daide attendre de cestoquards.

    Deux jours plus tard, nouveau plat

    humain. Ce coup-ci, un tmoincorrobore mes assertions. Unecamionnette tait arrte sous sonappartement. Un ronronnementsen chappait. Gn dans salecture matinale, il a cherch dcouvrir le gneur. Aprs un bruitde sonnerie, il la vu sortir du postede conduite, aller vers larrire etrelever le rideau mtallique. Leconducteur tait jeune, habill deblanc avec des gants lui remontant mi-bras. Il a retir un corps quil adispos avec prcaution sur letrottoir, puis il a dvers dessus unassortiment de lgumes : petitspois, carottes, pommes de terre. Letout sans se presser, avecprofessionnalisme. Nosant inter-venir, il a alert de suite la police.Plus il progressait dans son rcitdes vnements, plus je merengorgeais. Javais vu juste. Voir lamine denterrement de mes coll-gues vaut toutes les choucroutes,enfin au moins une, nexagronspas ! Avec le signalement duvhicule, on russit retrouver cedernier, mais pas le meurtrier pourautant. Le four micro-onde montdans larrire de la camionnettesavre un modle dingniosit etde fonctionnalit. Je suis impres-sionn.

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    Deux jours plus tard, rgl comme

    une horloge, nouveau plat humain.Par contre, le mode de cuissonnest plus le mme. Le corps nestpas pass au micro-onde mais amijot au moins une demi-heureavec les lgumes. Un ragothumain ! Pas possible comme lima-

    gination humaine peut-tre per-verse. Encore plus apptissant queles autres fois. Ma maman atoujours dit que rien ne vaut unecuisson traditionnelle, surtout pas lemicro-onde. Elle a bien raison ! Onaurait presque envie de goter. Si jtais seul, une petite bouche, nivu, ni connu, quimporte lorigine,cest de la viande. Je draille, lafaim, toujours la faim, qui ne cessede me harceler, et ce nest pas lesquelques en-cas que je prends

    dans la journe qui la calme. Entout cas, larme du crime devait treune marmite gante. Contrairement la premire fois, le lieu du crimese situe dans un petit parc loigndes habitations, cuisson pluslongue oblige. Avec les lments ma disposition, cuistot, jeune,marmite gante, victimes prisesalatoirement, car sans lien entreelles, je... sche.

    Un stagiaire me sort heureu-

    sement de lembarras. Il me metdevant le nez quelques feuillesagrafes ensemble. Sur la premirepage, crit en grand : Marmites etMicro-onde , surmontant une phra-se qui ma tout lair dun mobile. Cest le n11 , mannonce-t-il,tout fier de sa trouvaille. Rapide-ment, je le feuillette. Comment est-il

    possible que je ne le connaissaispas avant ? Pleins de bonneschoses en parsment pourtant lespages. Je note ladresse de lau-teur de ce magazine subversif quisait si bien parler mes papilles.

    Nous y dbarquons en force.Damned, il a un alibi pour chaquemeurtre. Reconnaissant en lui uneaide prcieuse, je lui expose endtail toute laffaire cache jusquprsent la presse, les autorits nepouvant reconnatre des cas de

    cuisine anthropophage. Tous lesdossiers en cours, les archives, lesnumros, les changes de mail sontscrupuleusement examins. Jesens que la solution du problmeest l. Aprs un aprs-midi derecherche, le nom dun suspectressort du lot. Une nouvelleenvoye chaque mois depuis lesdbuts du fanzine, toutes refuses.Les messages joints sont devenustoujours plus pressants, insistants,

    jusqu devenir menaants afindtre publi. Un petit tour sur lespages blanches de lannuaire et sonadresse est trouve. Je suis sr demon fait, le mobile est clair : lavengeance pour ces annes derefus, dhumiliation. Le coupabledsign.

    En perquisitionnant son domi-

    cile, la marmite gante, larme ducrime sans aucun doute possible,est trouve dans la cave, ainsi quele dernier refus du rdacteur,encadr et accroch dans la cuisineau-dessus de la gazinire.

    On y lit clairement : Jen aimarre de recevoir vos crits men-suels qui nintresseront jamaispersonne. Je nai jamais rien vudaussi mauvais. Je vous conseilledarrter de ce pas, de me laissertranquille et de retourner vos

    chres tudes. Le coupable est trouv et arrt

    au restaurant o il prenait sonservice partir de 10 heures. Enpleurs, il na pas ni, juste dit : Ilnavait pas le droit.

    Heureusement que lenqute estarrive terme, je ne sais pas si jaurais pu rsister longtempsencore...

    COSMOGONIE ET GASTRONOMIE : LE FLYING SPAGHETTI MONSTER Le dbat fait rage aux Etats-Unis

    entre volutionnistes et cration-nistes, et il est question dinstaurerau Kansas lenseignement de lathorie du Design Intelligent ,sous le prtexte que les deuxthories se valent et quil est sainde confronter les jeunes au dbatdides. Bobby Henderson, 25 ans,diplm en physique, expose sur

    son site la thorie concurrente du Flying Spaghetti Monster . SelonHenderson, lUnivers a t cr parle Monstre Spaghetti Volant. Lespreuves de la Thorie de lEvolutionne sont que concidences mises enplace par le FSM. Quand un scienti-fique effectue une datation (au

    Carbone 14 par exemple), cest Luiqui change les rsultats avec Son Appendice Nouilleux .

    A quoi ressemble le FSM ? A untas de spaghetti flanqu de deuxboulettes de viande (des reprsen-tations sont disponibles sur le sitede Henderson). Le FSM nous acr son image : le cerveauhumain ne ressemble-t-il pas un

    bol de spaghetti ?La thorie ntant pas plus idiote

    que celle du Design Intelligent(laquelle est soutenue par le Prsi-dent des Etats-Unis dAmriqueGeorge W. Bush en personne), elledoit tre enseigne sur un pieddgalit avec les deux autres

    thories. De nombreuses person-nes ont crit au Kansas Board ofEducation pour soutenir cette de-mande. Jamais encore nourrituresmatrielles et spirituelles navaientt lies ce point, aussi Marmite& Micro-ondeest de tout cur aveceux et invite ses lecteurs se faireleur propre opinion en se rendantsur http://www.venganza.org.

    Seigneur, ce ne sont que quel-ques ptes. Des ptes, oui, mais des FlyingSpaghetti Monster.

    Philippe Heurtel

    Scoop de dernire minute ! Alorsque nous nous apprtons mettresous presse, nous apprenonsquune image du FSM a t

    observe sur un toast. Ceci nestpas sans rappeler laffaire du sandwich marial dont il a tquestion dans notre numro 13...

    http://cgi.ebay.com/Miracle-Sandwich-Flying-Spaghetti-Monster_W0QQitemZ5611000686QQcategoryZ16710QQssPageNam

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    Gal Briand, qui signe dans nos pages son troisime texte (et pas le dernier), est toujours n en 1984, il esttoujours et plus que jamais breton, aime toujours la bouffe et son ustensile de cuisine favori : la sauteuse (lecouteau suisse culinaire). Pour lui, finir son plat est une question d'honneur. Pour le rcompenser, nous avons faitappel Sbastien Gollut pour illustrer son nouveau texte.

    MASSACRE A LECONOMISEUR GAL BRIAND

    Ctait toujours la mme discus-

    sion. Semaine, aprs semaine, lesplus anciens du frigidaire coutaientlternelle interrogation que seposaient tous les jeunes, savoir :qui mourrait de la faon la plushorrible ? Les clans se formaientcontinuellement et la guerre ouvertedbutait toujours devant le regarddsespr des rescaps ou desanciens que la sagesse avaitcalms.

    Les carottes revendiquaient laplace de martyr car elles prten-

    daient subir le summum de labarbarie. En effet, daprs le tmoi-gnage de quelques rescapes, lamort dune carotte tait inaccep-table. Dabord scalpe, on lcor-chait vive avant de la couper en dsou en rondelles. Les preuves de cemassacre reposaient de temps autre dans de petites botes enplastique et venaient sajouter lapsychose vgtale. Le clan descarottes tait soutenu par celui descourgettes que lon saignait de la

    mme faon. Parfois, comble du

    sadisme, on leur laissait des transde peau sur le corps, comme pourmontrer aux autres que leur sortntait pas jou davance.

    Le clan des carottes vivait cons-tamment dans la crainte dtredtrn par celui des choux-fleursque lon coupait en morceau avantde les gazer. Ils retrouvaient parfoisleurs lointains allis, les pommes deterres, qui avaient t cartesjadis du frigidaire pour dissimuler legnocide. De mmoire de pomme

    de terre, on estime des centainesde milliards le nombre de tus chezces dernires.

    Entre les deux, les champignonset les aubergines se souciaientmoins des discussions, car leur fintait plus enviable. Daprs les diresdes blesss, on rasait la tte deschampignons pour les avaler direc-tement. Certains, toutefois, taientaussi dcoups en lamelles oudmembrs. Les auberginesretrouvaient souvent des pieds de

    champignons parpills et les

    rendaient aux descendants. Lesaubergines faisaient figure de paci-fistes puisquelles ne craignaientpas la mort. Elles savaient quellesfiniraient accompagnes de viandehache, et rties ou dcoupes enmorceaux, mais elles sen mo-quaient. La seule chose que redou-tait une aubergine, ctait dtrerincarne en poireau. Elles avaientpiti de ce long lgume qui sedfendait, comme son cousinoignon, en faisant pleurer.

    Gnralement, la discussion tour-nait court lorsque les cris fusaientdu fin fond du bac lgumes. L-bas, cache par de vieilles feuillesde salades, on dterrait souventune momie, un tre immonde oublides Hommes. Face ce drame, lesclans cessaient pour quelquesheures leur querelle et rendaienthommage la plus horribles desfins... Mourir seul !

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    Thomas Desmond est n en 1981 Casablanca. Tout petit, il dessine sur commande de copains : bateaux pirates,chevaliers, cowboys... Il dcouvrira successivement Pif Poche, Les Livres dont vous tes le hros, puis les livressans image avec Cujo de Stephen King. Il se passionne alors pour le fantastique, et en 1997, le dsir dcriresempare de lui. Aprs des tudes de graphisme, il crit ses premires nouvelles srieuses. Voici sa premirepublication, mais comme il le dit lui-mme : Je continue dapprendre. La route est encore longue. . On peutvisiter son site Web ladresse suivante : http://www.thomasdesmond.fr.st. Lillustration est de Sbastien Gollut.

    PEAU MORTE THOMAS DESMOND

    L'homme visiblement mal l'aises'assoit sur la chaise en plastique,et fait un signe de tte vers lacamra installe dans le coin de lapice sans fentres aux murscapitonns. Un bouton rouge semet clignoter. Il renifle un grandcoup et se met parler. A lpoque, j'avais de gros

    problmes. Je perdais ma peau,continuellement, qu'elle soit scheou grasse. Des lambeaux plus ou

    moins gros qui parsemaient monchemin comme celui du PetitPoucet. N'importe qui pouvait meretrouver sans mal : il suffisait desuivre les morceaux de peau morte.Un vrai calvaire ! Il est dur de vivreavec le regard des autres pos survous longueur de journe. Unjour, j'ai rencontr un Saint Homme,le pre McGruisick. Il m'aida vaincre ma maladie et mon maltre. Depuis a va beaucoup mieux,j'ai une belle peau.

    Il s'arrte et garde le silence, unsourire aimable sur le visage. Il faitcraquer ses doigts et son regard seballade le long des murs. Comment avez-vous rencontr

    le pre McGruisick ? dit une voixmtallique dans le petit haut-parleuren plastique noir fix au plafond.

    L'homme sourit, se redresse sursa chaise et se rappelle...

    Assis face l'homme de Dieu, il

    prend sa respiration et jette undernier coup d'il aux trangesdcorations qui ornent la petiteoffice presbytrienne. Perdre autant de peau, mon

    pre, c'est gnant, surtout quand onfait un boulot comme le mien. Avectous ces costards noirs que je doisporter, comment voulez-vous queces tas de peaux mortes passentinaperues ? Je n'en peux plus deleurs rflexions dbiles et malplaces ! Toutes ces vieilles peaux

    plores qui n'ont rien d'autre faire que de zieuter mes paulettesou ma cravate, elles me tapent surles nerfs. Je n'ai pas le droit de lesenvoyer promener, faut bien fairetourner la boutique, et le patron

    n'est pas commode. Manqueraitplus que je fasse un scandale enplein office ou pendant un rendez-vous avec une famille, je me feraisvirer direct, a c'est sr et certain !

    Il renifla. Je croise les doigts, mais ce

    salaud est toujours dans les para-ges, il faut faire gaffe ! Il m'a djfait des remarques sur mes peauxmortes : Des pellicules, qu'il disait ! Faudrait me corriger a,

    Shophner, pas de pellicules dansmon service ! Je te lui en foutraimoi des pellicules, je me lave lescheveux tous les jours, je suispropre. C'est rien que des peauxmortes, aprs tout, c'est pas de mafaute. Personne ne sait ce que afait de laisser des petits morceauxde soi un peu partout. Quand unepersonne me sert la main, elle ne lerefait jamais une seconde fois. J'aidj t voir trois ou quatre toubibs,il n'y a rien y faire quils disent,

    c'est hrditaire. Des bons rien !Ils ne savent rien faire d'autre quede vous prescrire des sirops ou descrmes qui n'ont aucun effet. Il n'yen a pas un qui est fichu de me lesenlever, ces peaux mortes, c'estquand mme incroyable ! Djgamin, on se foutait bien de moi : jai jamais eu un seul copain oucopine. Les petits fumiers, je lesrpugnais, mme la matresse ellevitait de me toucher, si si, je vous jure, mon pre ! Mon paternel non

    plus il ne me touchait pas, je voyaisbien que a lui foutait la gerbe, mapeau qui se barrait en copeaux...Oui... On peut dire que a dgotaitmme mon pre.

    Les larmes aux yeux, il s'essuyaavec la manche de sa veste,laissant sur la toile une trane delarmes mle de centaines de petitsmorceaux de peaux mortes, arra-ches ses paupires et l'artede son nez.

    L'homme en face de lui observa la

    manche salie, puis son regardremonta et croisa celui deShophner. Vous aussi vous ne regardez

    que a, dit-il, la voix oscillant entre

    chagrin et colre, vous voyez ? Lesgens sont comme vous : ils nevoient que a. Je ne suis que a :une peau morte. Aux enterrements,il y en a mme qui s'arrtent depleurer pour se retourner discr-tement vers un proche et lui diredans le creux de l'oreille : Regarde le grand type l-bas, ilperd sa peau, comme un lpreux .Ils pensent que je ne les vois pas,ces petits enfoirs, s'emporta-t-il en

    agitant les bras, mais j'ai l'habitude,a fait des annes que je subis a,comme si j'tais une saloperie depestifr ! Personne ne peut com-prendre ce qu'est ma vie, et j'en aimarre d'expliquer que ce n'est pasde ma faute. Alors moi ce que jeveux, mon pre, et c'est pour celaque je suis venu vous voir ce soir,c'est que vous m'aidiez, on m'a ditque vous pourriez m'aider, alors...alors je suis venu...

    L'homme en face de lui se leva et

    se dirigea au fond de la salle auxhauts murs de pierre, o brlaientune vingtaine de cierges, tousconsums des hauteurs diff-rentes. Il en alluma un et le plantasur un pic en fer forg noir ctdes autres. La flamme devint uncourt instant rouge et projeta decurieuses ombres aux murs,comme si un vol d'oiseaux avaitsurgi fugitivement puis avait disparu

    dans les profondeurs de la pierre.L'homme tournait toujours le dos Shophner qui ne pouvait voir sonvisage et ses yeux. Il dglutit. J'suis prt y mettre le prix mon

    Pre, vous savez. J'ai vraimentbesoin d'aide.

    La voix du prtre s'leva commed'une profondeur immense. A quel tarif estimez-vous ce

    service, cher ami, demanda-t-il,tournant toujours le dos Shophner. Quel prix tes-vous prt

    payer pour tre enfin (il fit unecourte pause) bien dans votrepeau ?

    Shophner hsita pendantquelques secondes. Votre prix sera le mien, au point

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    o j'en suis, vous savez.Aussitt, le prtre se retourna par

    saccades, pivotant sur les dallescomme s'il tait fix un axe rouill.Shophner entendit un bruissementd'ailes trs fort. Soudain, la picesembla tourner sur elle-mme, il seleva de sa chaise, perdit l'quilibreet chuta de tout son long. Anticipant

    le choc, il serra les dents, maissentit comme un long drap soyeuxl'envelopper et amortir sa chute. Iltenta de s'accrocher quelquechose, mais ne put saisir que desplumes qui lui piqurent les paumesdes mains.

    Tout tourbillonna autour de lui et ilperdit connaissance, plong dansdes tnbres inconnues de saconscience.

    Shophner ouvrit les yeux et seretrouva allong dans son lit, chezlui, dans son petit appartementsitu cent mtres de son lieu detravail. Il se leva et resta ptrifi.Sa peau semblait diffrente, il l'avaitsenti tout de suite. La sensation dedmangeaison et d'irritation perma-nente avait laiss place unedouceur qu'il n'avait jamais connuejusqu' prsent.

    Ptrifi et surexcit, il se passa lesmains frntiquement sur le visage,

    puis les regarda. Aucune peaumorte, mme pas une seule. Unlong sourire se dessina sur sonvisage, il poussa un cri d'excitationet se prcipita vers sa minusculesalle de bain, o se trouvait la seuleglace qu'il avait dans son petitappartement. Il se dvisagea dehaut en bas, stupfait de la couleurdouce et lisse de sa peau, sansaucune tache ni desquamation :une vraie peau de bb.

    Il se rapprocha de la glace pour

    regarder ses paupires de plusprs. Le front coll au froid miroir,les yeux dans les yeux, il sentitsoudain comme une ombre passerderrire lui. Il se retourna enpoussant un cri de surprise etscruta la pice de gauche droite.Rien, si ce n'est que les rideauxbougeaient un peu, comme si unepetite brise soufflait dans l'appar-tement. Y a quelqu'un ? appela-t-il d'une

    voix peu rassure.

    Il ne reut aucune rponse et seretourna vers la glace. L, il restaptrifi : la silhouette du pre Mc-Gruisick se dessinait la surface dumiroir, toute de noir vtue, assise

    sur la chaise au fond de lachambre, dans le dos de Shophner.Il n'avait plus son petit sourire bonenfant, mais sa bouche tait grandeouverte, dcouvrant toutes sesdents, des dents anormalementlongues, pensa Shophner, qui sentitune peur sauvage et inexplicablemontait en lui.

    Mon... mon pre, qu'est-ce quevous faites chez moi ? Shophner semit bafouiller. Je, c'est po... Je vois que votre peau va

    mieux, mon petit ! lui rpondit lecur d'une voix trs perante.

    Shophner le regarda, effar de saprsence en ce lieu si priv quenulle personne autre que Shophnerne l'avait jamais occup.

    Puis il se souvint de tout : lerendez-vous dans l'Eglise, le cierge,les oiseaux, le... Le sang dans ses

    veines se mit battre plus fort. H oui, petit. On s'tait mis

    d'accord, non ? Maintenant, tu vasfaire ce que tu as promis, et tout desuite. Il est 4h32 du matin, alorsdpche-toi.

    Shophner sentit une goutte desueur longue comme une languedvaler le creux de ses paules etdescendre jusqu' ses fesses. Ilregarda dans le miroir le preMcGruisick dont les yeux avaientrtrci dans leurs orbites et il sentit

    de nouveau la pice tourner autourde lui. Tu as du boulot petit, ne perds

    pas ton temps, et n'oublie pas quesi tu ne fais ce que je t'ai dit defaire, tu retrouveras tes peauxmortes, mais en pire. Il se pourraitmme qu'elles meurent toutes cettefois, alors dpche-toi si tu veuxsauver ta peau...

    Le miroir perdit soudain de sonmagntisme et Shophner arrivaenfin se retourner, mais le cur

    n'tait plus l, et les rideaux nebougeaient plus.

    Il arriva son travail, enfila un

    uniforme par rflexe, puis partit endirection du cimetire voir ce qu'il yavait de frais en stock. Il avaitcreus trois trous la semaineprcdente, dont deux taientfrachement remplis. Deux tombesde pauvres remarqua-t-il. Lapremire tait celle dune enfant de

    six ans, nomme Vanessa James,ce qui expliquait les puriles dco-rations criardes et presque joyeu-ses qui ornaient la surface de terrenue. Cela conviendra parfaitement,

    une enfant sans caveau, se ditShophner, qui avait tout sauf enviede dplacer une dalle en marbre decent cinquante kilos, puis de secoltiner quatre-vingt cinq kilos debidoche en dcomposition transbahuter dans le noir. Unegamine cest moins lourd, pensa-t-il.

    Il alla chercher dans le local

    technique une pelle, un longcouteau et un pied-de-biche. Ilnalluma pas la lumire, connais-sant parfaitement lemplacementdes divers outils. En repartant versla tombe de la petite Vanessa, ilentendit un bruit venant du fond ducimetire, dans la partie rserveaux cryptes et aux petites maisonsde vacances comme il les appelait.Encore des mmes en train defricoter avec les esprits, se dit-ilsans y prter attention. Il sentit un

    appel sourd dans son ventre : unefaim dvorante le prit et il entenditses organes gargouiller. Il pensa un bon steak entour de frites et desalade. Il sarrta brusquement etregarda ce quil avait dans lesmains : Une pelle, un couteau...Mais quest-ce que je fais avec cesmachins dans les mains en pleinenuit ? Soudain, il se rappela cequil devait faire, et pourquoi ildevait le faire. Il se toucha le frontde sa main libre, et sentit sous ses

    doigts une douceur formidable. Pasde peau morte. Il sourit devant ceprodige et repartit en direction de lapetite tombe, lesprit embrum debelles ides lumineuses.

    Au fond du cimetire, une trangevague noire se mit scintiller contrele mur d'enceinte, comme une merde sang noire. Un ocan decentaines de corbeaux au ramagetnbreux prt inonder la nuit.Soudain le flot de volatiles sefissura et disparut derrire les

    ombres des tombeaux.Shophner avait commenc

    creuser.Trois quarts d'heure plus tard, il

    exhuma le petit cercueil du trou. Il leposa dans l'alle puis se servit dupied-de-biche pour faire sauter lecouvercle. Il se pencha sur la petitebote en bois brut bon march ethsita. Mais qu'est-ce que tu esen train de foutre bon dieu ? Il sedemanda encore ce qu'il faisait len pleine nuit, dans ce cimetire

    qu'il connaissait trs bien mais quien pleine nuit lui aurait norma-lement foutu une sacre frousse.

    Sentant une prsence dans sondos, il se retourna vivement.

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    Qui est l ? Il entendit un bruittouff et regarda dans le fond ducimetire. Il plissa les yeux mais nedistingua rien dans la pnombre.Soudain il se rendit compte que cequ'il tait sur le point de faire taitabsurde et qu'il ferait mieux de...

    Un bruissement d'ailes lourdes mitfin ses penses. Un horrible

    corbeau grand comme un aigle vintse poser sur la croix plantederrire la fosse o dormait jusqu'il n'y a pas si longtemps la petiteVanessa James. Le corbeau saisitde ses serres la croix de fer etassura sa prise. Puis il regarda versShophner.

    Il entendit une voix se glisser danssa tte, coulant le long de sonoreille et se dirigeant vers ses yeuxet sa bouche. Une voix brlante etglace aux contours rafls. Le

    corbeau ouvra son bec comme s'ilvoulait parler, mais la voix rsonnaitdirectement dans le crne deShophner, qui tomba genouxsous la douleur sourde, les mainscompresses sur ses oreilles.

    Il reconnut au premier mot la voix

    du pre McGruisick. H bien, mon ami, on se

    dbine ? On na plus de couragetout d'un coup ? On veut une joliepeau mais on nest pas capabled'assumer ses responsabilits, c'esta ? La voix s'insinuait toujours plusprofondment en lui, cherchant lecur, ou peut-tre plus profond

    encore, l o l'me est tapie, enscurit. Son ventre gargouilla deplus belle.

    Shophner tenta de rpondre maisla douleur tait telle qu'il ne pouvaitarticuler un mot. La voix soudainrejaillit plus puissante que jamais, lefaisant vaciller et presque perdreconnaissance. Ecoute-moi, tu vas te grouiller,

    petite merde, tu vas me sortir cepetit corps laiteux, et tu vas faire ceque je t'ai dit, tu vas bien le faire,

    puis tu vas tout enterrer, commec'tait avant, et tout sera fini. Lavoix devint mielleuse sur la fin, cequi soulagea un peu la douleursourde dans le corps de Shophner.

    Le corbeau, toujours plant sur lacroix, croassa, moqueur. La voix se

    retira de son esprit. Il se laissaglisser sur le sol, gmissant, lesmains toujours colles sur lesoreilles. Le volatile s'envola dansles tnbres et la douleur disparutaussitt. Il se releva avec difficultet regarda autour de lui. La nuits'tait assombrie, il ne distinguaitpresque plus les tombes des

    ranges situes aux alentours. Il seretourna et, dcid, fit sauter une une les attaches du couvercle ducercueil. Puis il fit glisser le couver-cle qui ne tenait plus que par uneattache. Salut gamine ! dit-il avec un

    curieux sourire.La petite Vanessa n'avait plus rien

    d'une enfant, si ce n'est sonensemble blanc fleurs roses quicontrastait horriblement avec sapeau boursoufle tirant sur le gris.

    Shophner rapprocha son visage decelui de la petite fille et posa unbaiser sur sa joue gonfle par leformol.

    Puis il prit le long couteau et fit ceque le pre Mcgruisick, ou lecorbeau, il ne savait plus, lui avaitdemand de faire. La faim le tenaitplus que jamais.

    L'homme se tait. Qu'avez-vous fait au cadavre de

    Vanessa James ? demande la voixdans le haut-parleur.L'homme sourit et se lve. Il

    carte la chaise et se dirige vers lacamra dans le coin de la pice. Ilse met fixer l'objectif de toutesses forces, la tte leve et les yeuxprts bondir sur ceux quil'observent de l'autre ct sur uncran. Son sourire inquitant s'lar-git de plus en plus, et sa languecommence se promener degauche droite le long de sa lvre

    infrieure toute humide.Dans la salle d' ct, un homme

    en costume gris anthracitedemande au technicien d'arrterl'enregistrement. Il prend une ciga-rette dans le paquet pos sur latable o il a pris des notes ets'approche du technicien pour luidemander du feu.

    Un homme en blouse blancherentre dans le studio un gobelet decaf fumant la main. Il vient ctdes deux hommes et fixe l'cran ou

    le visage de Shophner apparat engros plan, tout en sirotant avec bruitson caf. Six ans qu'il ne dit rien. Jamais il

    n'a avou ce qu'il a fait.

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    L'homme en costume tire sur sacigarette et jette un coup d'il l'homme en blouse blanche. Vous en voulez un ? demande

    le docteur tout en tendant sa tassede caf. Non merci, j'ai d en boire

    douze litres depuis que je suis ici. St-Closworth n'est pas un centre

    comme les autres, affirme ledocteur tout en reportant sonattention sur Shophner. Nous avonsici plusieurs cas dont aucun ta-blissement au monde ne voudrait. Combien en a-t-il tu ? deman-

    de l'homme en costume en s'ap-puyant contre une table couverted'instruments de traitement d'image. Je vous rappelle qu'il n'a jamais

    tu personne, Monsieur Finch. Lapolice de Clausburry a recenscinquante-trois enfants exhums et

    dpecs comme des btes pendantl'anne qui a prcd son arres-tation. Dpecs ? s'tonne Finch, qui

    se met chercher un endroit ojeter sa cendre de cigarette.

    Oui, dpecs, rpond le docteurtout en lui tendant un cendriercach derrire le clavier du techni-cien. Il les dterrait la nuit et leurdcoupait la peau avec soin. Puis illa tirait comme on tire une

    chaussette d'un pied et il ramenaitle tout chez lui dans de grands sacspoubelles. Et... qu'est-ce qu'il en faisait ? La police a retrouv chez lui de

    grosses marmites pleines degraisses, de la peau cuite, en fait.Apparemment il les cuisinait et lesmangeait. Un rgime base de

    peaux d'enfants morts. Pas trsragotant, hein ? Ils ont retrouvdes tas de bocaux remplis de peauxcuisines de diffrentes faons,style rserve de grand-mre, ainsique des sacs de conglation soi-gneusement tiquets, de quoi tenirplusieurs mois. Il mangeait la peau des morts...

    dit Finch pour soi-mme voixbasse, une grande cendre decigarette prte tomber sur lui. Eten ce qui concerne le prtre, est-ce

    qu'on l'a retrouv ? Aucun cur du nom de Mc-

    Gruisick n'a jamais exist, dit ledocteur tout en jetant sa tasse decaf en plastique dans une corbeille papier. Peut-tre avait-il un faux nom ? Non, je ne pense pas, affirme le

    docteur en souriant tristement. Qu'est-ce qui vous fait penser

    a ? Les peaux mortes.

    Finch le regarde fixement, atten-dant la suite. Russ Shophner n'a jamais eu

    aucun problme de peau, c'est entout cas ce qu'on dit les spcialistesqui l'ont auscult. Pas de peauxmortes. Son employeur nous laconfirm, ainsi que sa mre quenous avons retrouve peu de temps

    aprs son arrestation.Finch se tourne vers l'cran de

    contrle et observe Shophner, quis'est dj rassis sur la chaise et fixele vide.

    Il promena nerveusement ses

    doigts sur son visage, sur sa peau.Il en avait plein partout, il le savait.Ses mains en taient recouvertes. Iln'avait pas tenu ses engagementset a allait lui retomber dessus.

    L'Autre allait venir le chercher, unde ces jours, et le punir. Il redoutaitce jour plus que tout au monde.

    Le temps tait long ici, ils l'avaientenferm parce qu'ils ne compre-naient pas. Ils ne comprenaient rien rien, ces imbciles. En plus ilmaigrissait vue d'il. La bouffen'tait vraiment pas terrible ici. Et ilavait faim, si faim.

    Titulaire dun DEA de psychologie, Elise Lemay a publi quelques articles scientifiques et nouvelles, avant depublier chez LHarmattan son premier livre : La dportation des Runionnais de la Creuse. Tmoignages.(www.reunionnais-creuse.fr.vu). Elle fait galement partie de la toute jeune association littraire Bastet(www.bastet.fr.vu). Le texte qui suit a reu le Prix Jacques Moriceau de Littrature Gourmande, section Nouvelle,en 2003.

    UNE PETITE GOURMANDE ELISE LEMAY

    Jadore mon travail. Vraiment. Jesais que tout le monde na pas lachance de pouvoir le dire, et jesavoure chacun des instants o

    jaccomplis ma tche le plaisirquelle me procure.Que fais-je ? Devinez...Le titre est pourtant vocateur. Je

    travaille dans lalimentaire, plusparticulirement dans le sucr. Mondomaine est celui des desserts.Oui, je sais, je suis menue et finepour une gourmande. Il faut direque je mapplique et que juvredur. Mais cela en vaut la peine.

    Je me suis un jour livre un petitcalcul. Il sest avr que javais

    got pas moins de cinq centsucreries en tous genres. De lamousse au chocolat fondante enpassant par les entremets dlicats,ptisseries raffines, laitages onc-tueux et autres crmes glaces

    parfumes. Comment pourrais-jemen plaindre ?

    La saveur des fraises sucres et juteuses souhait dposes sur

    une crme ptissire ferme maisfondante, le tout reposant sur unemerveilleuse pte feuillete beurrecroustillante. Quelle gourmandepourrait rsister ce plaisir ? Lacrme chocolate emplissant unchou la pte are. La touche decrme chantilly vanille faitemaison recouvrant un lger sorbetaux framboises fraches et citron-nes. Le rhum pntrant un babalgrement ramolli par le subtilalcool. La mousse de crme emplie

    de pulpe de fruits divers. Lopraaux couches de chocolat relev parune succulente crme anglaise. Lebeignet aux pommes fondant. Laboule de crme glace la vanillese liqufiant dlicatement sur un

    crumble tide et croustillant. Ouencore le laitage crmeux, dont lasimplicit ne supprime aucunementla saveur. Tous ces vritables

    ravissements pour les papillesgustatives sont, pour ainsi dire, monquotidien.

    Jai de surcrot la chance davoirdes patrons qui, en plus dtre finsgastronomes, sintressent aussiaux ptisseries orientales. De cefait, jai eu la chance de pouvoirgoter les makroudes et leursdattes savoureuses, les montecaosaux pices subtiles, mais aussi lescigares au miel vanills, les cornesde gazelle et leurs amandes, ou

    encore les zlabillas gras souhait.En somme, jai pu dcouvrir mille etun plaisirs gourmets venus dhori-zons lointains.

    Mes collgues ne sont pas toutesaussi gourmandes que moi, je dois

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    bien ladmettre. Certaines en arri-vent ne plus supporter toutes cessucreries diverses et merveilleuses.Il me faut vous prciser quellestravaillent depuis plus longtempsque moi, cela est donc normal. Lalassitude du sucr les gagne, etelles aspirent aux saveurs sales.Et nos confrres qui travaillent au

    sal ne les mnagent pas. Ils leurracontent les diverses prparationsquils peuvent goter, gastronomiefranaise ou dcouvertes exotiques,en leur dtaillant tout aprs leurtravail.

    Les confrres du sal nousexposent donc avidement commentles salades sont agrmentes dechvre chaud, de fines tranches detruite fume, de ds de fta, de juteuses tomates cerises, et autresfilets dhuile dolive ou de vinaigre

    balsamique au got unique. Ils netarissent pas dloges sur les terri-nes aux lgumes dune fracheuringale, les macdoines depoivrons colors, les fines aspergeslgrement gratines, ou les savou-reuses pures de pommes de terreagrmentes de potiron.

    Croyez-vous quils sen tiendraientl ? Evidemment non. Je lescomprends cependant, je pourraisparler desserts des heures durant.

    Ils nous dcrivent les boulettes de

    riz farcies avec une mozzarella fon-dante et des tomates bien mres.Les ufs tides sur les toastschauds. Les ptes fraches relevespar lail gotu. Mais sils ne nouspargnent pas les accompagne-ments, ils en font autant pour lesviandes et poissons. Des magretsde canard braiss aux brochettesdagneau aux herbes de Provence,en passant par les entrectes decerf aux figues, les ailes de pouletcroustillantes accompagnes de

    sauce aigre-douce, ou encore lecivet de chevreuil si caractristiquedes gibiers. De mme pour lessouffls de poisson, les feuillets desaumon rose, les gambas aux con-

    combres, les langoustes grilles, oupour les quenelles de brochet. Ilssont tout simplement in-ta-ri-ssa-bles. Et ce ne sont pas mescollgues, envieuses mais curieu-ses, qui vont les tarir en ce domai-ne. Elles coutent nos confrresdans un silence quasi religieux, etne tolrent aucune interruption lors

    des descriptions prcises dessomptueux mets sals.

    Enfin, somptueux, tout est unequestion de point de vue Jetrouve les desserts bien davantageapptissants.

    Les anciennes du sucr jalousentde mme les plus grandes. Cellesqui travaillent aussi au sal, maisdavantage dans les soupes,potages et autres velouts. Je vousconcde que lon nglige tropsouvent cette partie de la gastrono-

    mie qui est pourtant trs artistiqueet dlicate dans la palette dessaveurs. Lorsquelles en ont locca-sion, les plus grandes prennent laparole pour dfendre lobjet de leurtravail. Dfile alors devant nous leballet des potages aux oignons deprintemps, la pomme de terre etau saumon, au fenouil et crostini.Sans oublier les soupes au choublanc ou aux chtaignes. Sansngliger les velouts de potiron, oude carottes. Sans omettre gaspa-

    cho andalou, bortsch la betteraveou pesto au basilique. Rien. Ellesnoublient rien.

    Remarquez quelles ne font quedfendre leur part du gteau si jepuis dire. La part dun bon gteauonctueux la crme ptissirefondante... Excusez-moi, je m-gare.

    Jaime vraiment mon travail. Et jeplains mes collgues qui dnigrentnos chers desserts. Je ne dcriepas la qualit du sal. Il sagit

    simplement dautre chose. Nostravaux sont complmentaires. Celapermet de dcupler les combinai-sons possibles entre les entres,les plats et les desserts dans un

    menu. Piocher un peu de ceci, unetouche de cela, introduire, ajouter,agrmenter, mlanger, relever,orner, tout cela est un vritable art.Bien entendu, ce nest pas le mien,mais celui de mes patrons. Je neserais jamais capable comme euxdallier une saveur une autre, demarier les parfums, den soulever

    dautres. Mes patrons sont desartistes. Des artistes culinaires. Carils aiment faire bonne chre. Cestun vritable mode de vie. Jaivraiment beaucoup de chance detravailler pour eux.

    Et je plains vraiment les ancien-nes, mes collgues, qui se laissentpolluer lesprit par les mdisancesdes fourchettes, des couteaux etdes grandes cuillres. Je suis trsheureuse, moi, dtre une petitecuillre. Et ce nest pas parce que

    telle fourchette a piqu des gnoc-chis de semoule aux champignonssavoureux que je renierai ce que jesuis. Ni parce quun couteauprsomptueux a eu le plaisir detrancher du lapin cuisin lhuiledolive. Ni parce quune grandecuillre a plong dans un veloutdasperges savoureux. Ils sont toussi fiers voyez-vous. Je prfre deloin tre une petite cuillre sansprtention, qui savoure quotidienne-ment son travail et la joie de ne rien

    tre dautre quune toute petitecuillre qui laisse ses confrresprtentieux staler de tout leur longsur un travail prtendument meilleurque le ntre.

    Oui, je peux vous le dire : je suiscontente dtre une petite cuillretravaillant pour des patrons si finsgourmets. Cest le rve de toutepetite cuillre. La carrire parfaite.

    Jaime mon travail. Vraiment.Moins lorsquil sagit du caf. Cestamer, le caf. Mais je vous avoue

    quavec une pointe de crmechantilly faite maison vanille,saupoudre de chocolat enpoudre...

    CHRONIQUE LITTERAIRE : LE STEAMPUNK CULINAIRE

    Le steampunk, sous-genre de laSF, met en scne des rcits sedroulant au 19

    mesicle, souvent

    dans lAngleterre victorienne, mais

    un 19

    me

    sicle alternatif o lestechnologies de lpoque dont lavapeur, do le steam sontplus avances et ont chang la facedu monde. Les auteurs hexagonaux

    aussi ont crit du steampunk, maisla France est le pays de la gastro-nomie, et la fusion des deux donnele nouveau roman de Eliott John :

    La Cocotte seule le sait, auxditions Jai faim. Dans ce roman,toute la cuisine est la vapeur, etmme le Sud-Ouest ignore lusagede lhuile dolive. Lauteur explore

    les consquences de son hypo-thse initiale (en matire de sant,etc.), tandis que le hros, Brillat-Savarin, djoue un complot mena-

    ant lhgmonie culinaire de laFrance. Le steampunk culinaire,avenir de la science-fiction ?

    Philippe Heurtel

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    Anne Lanice crit depuis peu. Une premire nouvelle, LInvention de la conserve, a reu une mention spciale dujury au concours de nouvelles Infini 2003. Un deuxime texte, Babel Bell, a reu le deuxime prix au concoursInfini 2004.

    SUR LA TRACE DES CONQUISTADORS ANNE LANIECE

    Etienne et Marc tardent rentrerdans la pice frache et obscure, ils

    restent lombre du grand magno-lia, leur verre de ros la main. Comme apritif cest le meilleur,

    moi je ne sers jamais de leurwhisky, a a un got de punaisecrase Je nai jamais bu de punaise

    crase, mais tu as raison, restonsfranais. A la tienne.

    Martha et Ghislaine finissent demettre le couvert. La table ronde estrecouverte dune nappe ivoire,rebrode dans les mmes tons de

    motifs floraux entremls. Lessiges de bois sombres, tapisssdun velours fauve, rpondent aupetit canap de cuir dans le fond dela pice. Le vaisselier de chne ciret la commode occupent les deuxautres murs, chargs dassiettesnaves, de lampes, de cadres dephotos avec les petits enfants enmdaillon. La vive lumire de ltentre par la grande porte fentre quidonne sur le jardin bien clos. Ctait intressant cette visite,

    on nimagine pas toutes les sortesde poissons quil y a dans les rivi-res. Ceci dit, le gros, le poissonamricain, il avait vraiment une salette. Le black bass ? Cest a. On en voit de temps en

    temps au march.La conversation roule tranquille-

    ment pendant que passe le plat desalade de tomates, de mas etdavocat. Cette histoire de poisson, cela

    me fait penser ce reportage, tusais Ghislaine, ctait sur quellechane ? Enfin je ne sais plus. Ilsmontraient un levage de bisonsdans le massif central, il paratquils vont essayer den lever pourla boucherie. a doit tre dur comme viande.Martha apporte le plat, un saut

    de dinde servi avec des pommes deterre rissoles et des haricots verts. Quest ce que tu penses de ce

    petit rouge ? je lachte chez un

    producteur, jamais de mauvaisesurprise. Cest mieux que du cocacola ! a cest une chose que je ne

    passe pas mes petits enfants. A

    table, cest de leau, pas demauvaises habitudes.

    Marc sagace et la moustachesombre qui barre son visage bronzsagite : Il faut voir comment les jeunes

    de maintenant se nourrissent. Ilsmangent nimporte quoi, des pizzas,des hamburgers. Au pays de lagastronomie ! Bientt il ny auraplus de cuisine franaise tradition-nelle si on laisse faire.

    La conversation sanime sousleffet conjugu de la passion et dupetit vin de pays.

    Vous y croyez, vous, cette his-toire dacclimatation de bisons pourfaire de la viande de boucherie ? Cest par snobisme. On a bien

    assez de bonne viande chez noussans avoir besoin de a.

    La dinde fond dans la bouche.Martha propose nouveau despommes de terre. Ton jardin est de plus en plus

    beau. Tes agaves son magnifiques,mais tu ne crains pas quils devien-nent trop envahissants ? Cest fou

    ce quils ont pouss depuis lannedernire. Ils sont bien labri ici, cest des

    plantes des pays chauds. On va envoir cet hiver, on part au soleil, cestdcid, trois semaines au Mexique.Il parat que cest une plante quivient de l-bas. Ah, vous voyez, il y a quand

    mme de bonnes choses quiviennent dAmrique ! Tu parles, des cactus... Et par ici, on dit que cest de

    lagave de Pau.Etienne sesclaffe tout seul de

    plaisanteries quil destine auxconnaisseurs... Et vous partez comme cela, le

    nez au vent ? Non, on fait un circuit : Sur la

    trace des conquistadors . Il y abeaucoup de temples visiter. Ils vont vous astquoter.On laisse passer. Il vous faut des vaccinations

    particulires ?

    Non, pas de problme, il ny apas de maladies dangereuses, l-bas. Non ce qui minquite le pluscest ce quils vont nous fairemanger. Je ne supporte pas bien

    les cuisines trangres, je suismalade ds que je change mes

    habitudes. Quest ce quils ont de vraiment

    typique ? Au point de vue nourriture, je ne

    sais pas, mais on boira de latquila. Cest de la liqueur dagavejustement.

    Martha sourit. Je vais encore rapporter plein

    de souvenirs, ma pacotille commedit Etienne. Il y a srement desjolies choses, l-bas, les tissus, lesbijoux en or. Si on a la place, on

    rapportera des sombreros, pourfaire la sieste au soleil.

    Dehors, la lumire dit lt. Marthaa descendu le volet roulant jusqumi-hauteur, mais la chaleur sintro-duit petit petit dans la pice.

    Le grand magnolia tient le centredu jardin, entour dun gazon bientenu. De grosses potes de ptu-nias agrmentent la terrasse dalleen prolongement de la salle manger.

    Pour le dessert, Ghislaine va cher-

    cher un plat recouvert de petitesbrochettes de grosses fraises et detranches dananas. La fracheur estla bienvenue. Etienne, tu fumes toujours un

    peu ? Absolument. Je tai compris,

    allons ptuner dans les ptunias...Ils se rinstallent sous larbre. La

    table rapidement dbarrasse, Mar-tha et son amie les rejoignent avecune bote de chocolats quellesposent entre elles.

    Cest mon pch mignon, je nepeux pas men passer la fin durepas. Ce nest pas pire pour lasant que leur tabac, nest ce pasmon chri ? Une petite cigarette la fin du

    repas, a aide digrer.Dans un petit jardin bien clos du

    midi de la France, quatre fauteuilssous un grand magnolia, des aga-ves et des ptunias. La conversa-tion baisse. Ctait bien bon ce que tu nous

    as prpar. Oh et puis vous pouvez tre

    tranquilles, rien que des produits depar ici...

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    Marmite & Micro-onde n13

    Terminons ce numro par une forme de gastronomie que Marmite & Micro-onde navait encore jamais explor.Maisle fanzine de limaginaire ne recule devant aucun dfi ! Ce texte a t publi en 2003 dansMicrobe.

    DIGESTION D'ENTREPRISE JEROME PAUL

    A lpoque o les consommateurscommenaient se lasser dusurgel, du tout-prt--servir, des

    petits plats individuels dans lesgrands ils mangeaient pizzas ethamburgres sans plus aucuneconviction je mis au point manouvelle cuisine : jinventai lacuisine prdigre. Tout commenaquand jeus lide de rgurgiter mesrepas moiti digrs, de lesassaisonner, puis de les servir mon pouse. Elle aima. A tel pointque je dcidai d'ouvrir un tout petitrestaurant. Je faisais travailler cinq

    vaches la prdigestion (on m'avaitdit qu'une vache possde quatreestomacs ; je comptais ainsi faire

    l'conomie de quinze autresemploys).Tout le monde voulait goter ma

    cuisine rvolutionnaire. Jeus vingtrestaurants. Plus tard, ayant dcou-vert la synthse des enzymes de ladigestion, je pus faire construireune grosse usine, puis plusieurs. Jesuis devenu trs riche, envi, servi,homme publique, un exemple derussite sociale, je commande aupeuple et son alimentation. Et

    moi, je mange de la haute cuisinedans les grands restaurants.

    Mais mon pouse regrette les

    temps hroques o, dans la journe, nous prdigrions nous-mmes le repas que nous man-gions le soir, surtout tide parceque cest meilleur. Alors, aprsavoir longtemps suppli, et pournotre anniversaire de mariage, elleattend que je prdigre le dner auxchandelles que nous allons avoir encachette, sans se faire voir desdomestiques, pas mme desenfants.

    LES CAMEMBERTS DE LIMAGINAIRE

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