MARDI 26 JUIN 2018 - PREPA ECO CARNOT · 2018-08-01 · nous pouvons toujours rerouter le trafic en...

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6 | dossier MARDI 26 JUIN 2018 0123 Internet , la bataille du réseau Objets connectés, cloud, villes intelligentes… Notre monde est de plus en plus dépendant du numérique – et de son infrastructure physique. Afin d’asseoir leur domination, les majors du secteur investissent massivement dans les centres de données et les câbles Installation d’un câble sous-marin entre Quiberon et Belle-Ile-en- Mer (Morbihan), en 2015. JEAN- SÉBASTIEN EVRARD/AFP F in septembre 2016, à Roubaix. Les serveurs du data center (centre de données) d’OVH s’affolent. Ils en- registrent des débits de con- nexion jamais atteints jusque-là. Le site est victime d’un déni de service, une attaque DDoS, dans le jargon in- formatique. Des centaines de milliers de re- quêtes simultanées tentent de saturer le ré- seau afin d’empêcher l’accès aux serveurs, ce qui rendrait les sites et les applications des clients d’OVH indisponibles. « En 2017, nous avons compté 2 000 attaques DDoS par jour menées à l’encontre de nos clients, dont une vingtaine de forte puissance ! », indique Fran- çois Sterin, directeur industriel d’OVH. Quant à Annabelle, graphiste indépendante, elle s’arrache les cheveux. En cette veille de 14-Juillet, impossible d’envoyer son travail à son client. Sa connexion Internet ne répond plus. Il faudra plusieurs jours au fournisseur d’accès pour trouver l’endroit où le câble a été arraché par une pelleteuse, et le réparer. Et si ce câble sectionné connectait égale- ment à Internet l’hôpital de la ville, des collè- ges ou les services municipaux ? Ou que l’at- taque menée contre les clients d’OVH ait réussi et bloqué l’accès à leurs applications pendant plusieurs heures ? Ces exemples il- lustrent notre dépendance croissante au nu- mérique – et à son réseau bien physique d’or- dinateurs et de câbles qui sillonnent la pla- nète. D’où la question : que se passera-t-il si le réseau ne « tient » pas, pris en tenaille entre l’explosion des usages et les risques naturels ou criminels ? C’est pour conjurer ce mauvais sort et asseoir leur emprise sur la gigantes- que plomberie du Net que les majors du sec- teur jettent désormais leurs milliards dans cette bataille du câble. Le squelette de l’Internet est composé de trois éléments majeurs : des data centers, qui hébergent et traitent les données auxquelles nous accédons (il en existe plusieurs milliers dans le monde) ; des réseaux, qui transpor- tent ces données de et vers les appareils (or- dinateurs, téléphones, machines, etc.) ; et des points d’interconnexion, qui mettent en re- lation les réseaux et les data centers. Les seuls câbles sous-marins sont au nombre de 448 dans le monde, pour une longueur cumulée de 1,2 million de km, soit 30 fois le tour de la Terre. Pour circuler sur ces réseaux, les don- nées sont découpées en « paquets » et ache- minées vers leur destinataire par le protocole Internet (IP). Les paquets peuvent emprunter des chemins différents – ils seront réassem- blés dans le bon ordre à leur arrivée. Cette in- frastructure a été construite pour être rési- liente : si un chemin ne fonctionne pas, les paquets passent par un autre itinéraire. RISQUE DE SURCHARGE Si solide soit-elle, cette belle architecture est au bord de l’overdose. Nous regardons tou- jours plus de vidéos sur nos mobiles ou de films en streaming à la maison. Aux Etats- Unis, en 2016, Netflix occupait déjà à lui seul un tiers de la bande passante aux heures de pointe ! Quant aux entreprises, elles bascu- lent en masse leurs applications informati- ques et le stockage de leurs données vers le cloud, c’est-à-dire vers ces mêmes usines de données disséminées dans le monde entier. Dans sa dernière étude de conjoncture, Syn- tec Numérique, le syndicat professionnel des entreprises du secteur, estime que le marché français du cloud progressera de 22 % en 2018 pour atteindre 4,3 milliards d’euros. Nos voi- tures sont connectées à Internet, tout comme les conteneurs sur les bateaux. Même les avions transmettent désormais des données en continu pendant leur vol. Tout cela va-t-il faire craquer le réseau ? Laurent Gille, professeur émérite à Télé- com ParisTech, n’y croit pas. « Oui, l’infras- tructure supportera la montée en charge, car les débits vont atteindre une asymptote. Il faut distinguer le nombre d’objets qui sont ou qui vont être connectés, et le débit de chaque connexion. Certes, le nombre d’objets aug- mente fortement, mais le débit moyen va sta- gner. » Pour l’économiste, « les objets connec- tés, même si ce sont des caméras de vidéosur- veillance, consomment peu de bande passante. Les industries et les entreprises sont connectées en fibre optique sur des réseaux privés. Dans le grand public, peu d’applica- tions ont besoin de débits élevés. Même une famille de 5 personnes qui regarderaient cha- cune un film en HD en streaming et en même temps n’a pas besoin d’un débit de 1 Gbit/s [gi- gabit par seconde] ». De plus, la nouvelle technologie de communication mobile, la 5G, l’ultra-haut débit mobile, va progressive- ment être déployée à compter de 2020. Ses capacités supporteront tous les nouveaux usages que sont l’Internet des objets, les smart cities, les véhicules autonomes, etc. Si le risque de surcharge du réseau n’in- quiète pas vraiment les acteurs du domaine, d’autres risques pointent. Les autoroutes de l’information sont essentiellement des câ- bles sous-marins ou terrestres contenant des fibres optiques. Ils relient les data centers, ainsi que les antennes pour les communica- tions mobiles, et ils s’interconnectent aux autres câbles du réseau. Les principaux ris- ques, ici, sont la rupture des câbles lors d’une « L’INFRASTRUCTURE SUPPORTERA LA MONTÉE EN CHARGE CAR LES DÉBITS VONT ATTEINDRE UNE ASYMPTOTE » LAURENT GILLE professeur émérite à Télécom ParisTech c’est l’un des principes fondateurs d’Internet. La neutralité du Net garan- tit l’accès de tous au réseau, quels que soient les services consultés et les flux transportés. Chercher un horaire de train ou regarder un film en HD coû- tent le même prix à l’internaute et sont acheminés aux mêmes condi- tions pour les fournisseurs de contenu. Cet idéal des fondateurs a fait long feu, tout au moins aux Etats- Unis, où son abrogation par la Com- mission fédérale des communications est effective depuis le 11 juin. Le sujet fait controverse. Le principe est vertueux, mais sert-il autant les in- térêts des internautes que ceux des quelques groupes américains qui contrôlent de plus en plus le réseau ? Le coût de l’infrastructure Internet n’est pas le même sur le tronçon prin- cipal – le câble fibre optique pour l’es- sentiel – et sur les extrémités – le pre- mier et le dernier kilomètre. Le coût d’un câble se chiffre en millions de dollars, mais il est supporté par des consortiums et s’amortit sur des mil- lions d’utilisateurs ou d’entreprises qui paient pour les utiliser. En revan- che, les premiers et derniers kilomè- tres sont financés par les opérateurs télécoms – Orange, SFR, Bouygues ou Free en France –, qui font payer des abonnements à leurs services sans discrimination tarifaire. Un dernier kilomètre performant La neutralité fait que Google (qui pos- sède YouTube) ou Netflix, qui repré- sentent respectivement 18 % et 14 % du trafic Internet en France selon le régu- lateur, ne rémunèrent pas les opéra- teurs pour transporter ce trafic jus- qu’à l’utilisateur final. C’est pourquoi les géants américains du Net investis- sent de plus en plus dans leurs propres infrastructures sur le premier kilomè- tre, pour en contrôler le coût, et rap- prochent leurs data centers (centres de données) des points de connexion aux câbles transatlantiques. C’est aussi pourquoi ils se félicitent de la neutralité du Net en Europe, où leurs contenus sont acheminés sur le dernier kilomètre dans de bonnes conditions par les opérateurs locaux, qui ont massivement investi dans leurs propres infrastructures. Il est trop tôt pour savoir quel effet aura l’abandon de cette neutralité aux Etats-Unis, mais les fournisseurs d’ac- cès à Internet ne devraient pas tarder à revoir leurs offres tarifaires… p so. c. Les géants américains sont les grands bénéficiaires de la neutralité du Net

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Internet, la bataille du réseauObjets connectés, cloud, villes intelligentes… Notre monde est de plus en plus dépendant du numérique – et de son infrastructure physique. Afin d’asseoir leur domination, les majors du secteur investissent massivement dans les centres de données et les câbles

Installation d’un câble sous-marin entre Quiberon et Belle-Ile-en-Mer (Morbihan), en 2015. JEAN-

SÉBASTIEN EVRARD/AFP

Fin septembre 2016, à Roubaix. Lesserveurs du data center (centre dedonnées) d’OVH s’affolent. Ils en-registrent des débits de con-nexion jamais atteints jusque-là.Le site est victime d’un déni de

service, une attaque DDoS, dans le jargon in-formatique. Des centaines de milliers de re-quêtes simultanées tentent de saturer le ré-seau afin d’empêcher l’accès aux serveurs, cequi rendrait les sites et les applications des clients d’OVH indisponibles. « En 2017, nous avons compté 2 000 attaques DDoS par jour menées à l’encontre de nos clients, dont une vingtaine de forte puissance ! », indique Fran-çois Sterin, directeur industriel d’OVH.Quant à Annabelle, graphiste indépendante, elle s’arrache les cheveux. En cette veille de14-Juillet, impossible d’envoyer son travail à son client. Sa connexion Internet ne répond plus. Il faudra plusieurs jours au fournisseur d’accès pour trouver l’endroit où le câble a été arraché par une pelleteuse, et le réparer.

Et si ce câble sectionné connectait égale-ment à Internet l’hôpital de la ville, des collè-ges ou les services municipaux ? Ou que l’at-taque menée contre les clients d’OVH ait réussi et bloqué l’accès à leurs applicationspendant plusieurs heures ? Ces exemples il-lustrent notre dépendance croissante au nu-mérique – et à son réseau bien physique d’or-dinateurs et de câbles qui sillonnent la pla-nète. D’où la question : que se passera-t-il si leréseau ne « tient » pas, pris en tenaille entre l’explosion des usages et les risques naturels ou criminels ? C’est pour conjurer ce mauvaissort et asseoir leur emprise sur la gigantes-que plomberie du Net que les majors du sec-teur jettent désormais leurs milliards dans cette bataille du câble.

Le squelette de l’Internet est composé detrois éléments majeurs : des data centers, qui hébergent et traitent les données auxquelles nous accédons (il en existe plusieurs milliers dans le monde) ; des réseaux, qui transpor-tent ces données de et vers les appareils (or-dinateurs, téléphones, machines, etc.) ; et des points d’interconnexion, qui mettent en re-lation les réseaux et les data centers. Les seulscâbles sous-marins sont au nombre de 448 dans le monde, pour une longueur cumulée de 1,2 million de km, soit 30 fois le tour de la

Terre. Pour circuler sur ces réseaux, les don-nées sont découpées en « paquets » et ache-minées vers leur destinataire par le protocoleInternet (IP). Les paquets peuvent emprunterdes chemins différents – ils seront réassem-blés dans le bon ordre à leur arrivée. Cette in-frastructure a été construite pour être rési-liente : si un chemin ne fonctionne pas, les paquets passent par un autre itinéraire.

RISQUE DE SURCHARGE

Si solide soit-elle, cette belle architecture est au bord de l’overdose. Nous regardons tou-jours plus de vidéos sur nos mobiles ou defilms en streaming à la maison. Aux Etats-Unis, en 2016, Netflix occupait déjà à lui seul un tiers de la bande passante aux heures de pointe ! Quant aux entreprises, elles bascu-

lent en masse leurs applications informati-ques et le stockage de leurs données vers lecloud, c’est-à-dire vers ces mêmes usines dedonnées disséminées dans le monde entier. Dans sa dernière étude de conjoncture, Syn-tec Numérique, le syndicat professionnel desentreprises du secteur, estime que le marché français du cloud progressera de 22 % en 2018pour atteindre 4,3 milliards d’euros. Nos voi-tures sont connectées à Internet, tout comme les conteneurs sur les bateaux.Même les avions transmettent désormais des données en continu pendant leur vol. Tout cela va-t-il faire craquer le réseau ?

Laurent Gille, professeur émérite à Télé-com ParisTech, n’y croit pas. « Oui, l’infras-tructure supportera la montée en charge, car les débits vont atteindre une asymptote. Il

faut distinguer le nombre d’objets qui sont ou qui vont être connectés, et le débit de chaque connexion. Certes, le nombre d’objets aug-mente fortement, mais le débit moyen va sta-gner. » Pour l’économiste, « les objets connec-tés, même si ce sont des caméras de vidéosur-veillance, consomment peu de bande passante. Les industries et les entreprises sont connectées en fibre optique sur des réseauxprivés. Dans le grand public, peu d’applica-tions ont besoin de débits élevés. Même unefamille de 5 personnes qui regarderaient cha-cune un film en HD en streaming et en même temps n’a pas besoin d’un débit de 1 Gbit/s [gi-gabit par seconde] ». De plus, la nouvelle technologie de communication mobile, la 5G, l’ultra-haut débit mobile, va progressive-ment être déployée à compter de 2020. Ses capacités supporteront tous les nouveaux usages que sont l’Internet des objets, les smart cities, les véhicules autonomes, etc.

Si le risque de surcharge du réseau n’in-quiète pas vraiment les acteurs du domaine, d’autres risques pointent. Les autoroutes de l’information sont essentiellement des câ-bles sous-marins ou terrestres contenant des fibres optiques. Ils relient les data centers, ainsi que les antennes pour les communica-tions mobiles, et ils s’interconnectent aux autres câbles du réseau. Les principaux ris-ques, ici, sont la rupture des câbles lors d’une

« L’INFRASTRUCTURE

SUPPORTERA

LA MONTÉE

EN CHARGE

CAR LES DÉBITS

VONT ATTEINDRE

UNE ASYMPTOTE »LAURENT GILLE

professeur émériteà Télécom ParisTech

c’est l’un des principes fondateursd’Internet. La neutralité du Net garan-tit l’accès de tous au réseau, quels quesoient les services consultés et les fluxtransportés. Chercher un horaire de train ou regarder un film en HD coû-tent le même prix à l’internaute et sont acheminés aux mêmes condi-tions pour les fournisseurs de contenu. Cet idéal des fondateurs a faitlong feu, tout au moins aux Etats-Unis, où son abrogation par la Com-mission fédérale des communicationsest effective depuis le 11 juin.

Le sujet fait controverse. Le principeest vertueux, mais sert-il autant les in-

térêts des internautes que ceux des quelques groupes américains qui contrôlent de plus en plus le réseau ? Le coût de l’infrastructure Internet n’est pas le même sur le tronçon prin-cipal – le câble fibre optique pour l’es-sentiel – et sur les extrémités – le pre-mier et le dernier kilomètre. Le coût d’un câble se chiffre en millions de dollars, mais il est supporté par des consortiums et s’amortit sur des mil-lions d’utilisateurs ou d’entreprises qui paient pour les utiliser. En revan-che, les premiers et derniers kilomè-tres sont financés par les opérateurs télécoms – Orange, SFR, Bouygues ou

Free en France –, qui font payer des abonnements à leurs services sans discrimination tarifaire.

Un dernier kilomètre performant

La neutralité fait que Google (qui pos-sède YouTube) ou Netflix, qui repré-sentent respectivement 18 % et 14 % dutrafic Internet en France selon le régu-lateur, ne rémunèrent pas les opéra-teurs pour transporter ce trafic jus-qu’à l’utilisateur final. C’est pourquoi les géants américains du Net investis-sent de plus en plus dans leurs propresinfrastructures sur le premier kilomè-tre, pour en contrôler le coût, et rap-

prochent leurs data centers (centres de données) des points de connexion aux câbles transatlantiques.

C’est aussi pourquoi ils se félicitentde la neutralité du Net en Europe, où leurs contenus sont acheminés sur ledernier kilomètre dans de bonnes conditions par les opérateurs locaux, qui ont massivement investi dans leurs propres infrastructures. Il est trop tôt pour savoir quel effet aura l’abandon de cette neutralité aux Etats-Unis, mais les fournisseurs d’ac-cès à Internet ne devraient pas tarder à revoir leurs offres tarifaires… p

so. c.

Les géants américains sont les grands bénéficiaires de la neutralité du Net

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catastrophe naturelle ou de travaux de voirie,l’arrachage d’un câble sous-marin par l’ancre d’un navire. En mars, une dizaine de pays de la côte ouest de l’Afrique ont ainsi été privés d’Internet pendant plusieurs jours parce qu’un chalutier avait endommagé un câble.

Pour parer à ce genre de problème, les câ-bles sont la plupart du temps redondés, c’est-à-dire doublés. « Aujourd’hui, 99 % du trafic mondial d’Internet et 90 % des appels télépho-niques passent par les câbles sous-marins. Ce sont des infrastructures critiques. Bien sûr, nous pouvons toujours rerouter le trafic en cas de problème. Mais dans certaines régions du monde, notamment en Afrique, il n’y a pas assez de câbles pour assurer la résilience. Lors-qu’il y a une rupture, ces pays sont coupés d’Internet pendant des jours, voire des semai-nes, le temps que l’on répare le câble », cons-tate Jean-Luc Vuillemin, directeur des ré-seaux internationaux d’Orange.

FIABILITÉ ET TEMPS D’ACCÈS HYPERCOURTS

Les entreprises, qui recourent toujours plus souvent au cloud pour les applications et lestockage des données, multiplient les para-des pour se protéger de ces risques. OVH, par exemple, a choisi de bâtir son propre réseau pour interconnecter ses data centers dans le monde entier. « De cette façon, nous maîtri-sons intégralement l’acheminement des con-tenus et des accès de et vers les serveurs. Nous multiplions aussi les chemins afin de parer à ladéfaillance d’un prestataire ou à la section ac-cidentelle d’un lien », détaille François Sterin.

Les clients signent des accords de qualité deservice avec les data centers et avec des pres-tataires, qui leur garantissent un accès et unequalité de fonctionnement du réseau. « Inter-net n’a pas de gouvernance, développe Jé-rôme Dilouya, président et cofondateur d’In-terCloud. Ce sont des réseaux qui s’intercon-nectent dans des points de connexion et qui échangent des données. Une entreprise a be-soin de plus de fiabilité pour ses applications. Nous avons construit notre propre réseau de fibre optique en parallèle d’Internet et nous avons notre propre gouvernance. Nous pou-vons garantir un niveau de fiabilité et de per-formance car nous maîtrisons le réseau ! »

Dans un objectif de diminution des coûts etdes risques, tous les acteurs cherchent à s’ins-taller au plus près des consommateurs fi-naux afin de réduire le temps d’achemine-ment des données. L’opérateur de réseau fi-bre optique Colt – dont le nom vient de City of London Telecommunications – est né pourrépondre aux besoins de fiabilité et de tempsd’accès hypercourts de la finance londo-nienne à l’heure du trading haute fréquence. Colt a tissé son propre réseau mondial de 187 000 km de fibre optique, qu’il revend en gros aux opérateurs ou aux entreprises. Car iln’y a pas que pour la City que les conséquen-ces économiques d’une coupure du réseau peuvent être dramatiques. A l’ouverture des soldes, la moindre panne se traduit en pertes de centaines de milliers d’euros pour les sites de vente en ligne.

Le rôle des data centers est également cru-cial. Leurs exploitants choisissent avec soin leur localisation pour être au plus près des points d’atterrage des câbles et des grandesagglomérations. Ainsi, ils peuvent garantir àleurs clients des temps de latence inférieurs àquelques millisecondes. Outre les applica-tions dans le cloud des éditeurs de logiciels, ils hébergent les terminaisons des réseaux et les points d’interconnexion. « Nous sommes au numérique ce que les aéroports sont au transport aérien. Ils n’ont pas d’avions mais fournissent tous les services aux compagnies aériennes. Nous sommes un hub de connecti-vité et de contenu pour les fournisseurs de ser-vices informatiques et de réseaux », explique Fabrice Coquio, président d’Interxion France. Le data center que la société a inauguré en mai sur son campus, à Marseille, est relié à 13 câbles sous-marins. Il héberge 8 fournis-seurs de réseaux fibre, 11 CDN (Content Deli-very Network, ou « réseau de diffusion de con-tenu ») et 4 points d’échanges Internet. Le coût de ces data centers ne cesse d’augmen-ter. Interxion a investi 76 millions d’euros dans son nouveau data center et prévoit un budget de 110 millions d’euros pour transfor-mer une ancienne base de sous-marins du port de Marseille-Fos en son prochain centre.

Les géants du Net, comme Google, Apple,Facebook, Amazon ou Microsoft (Gafam), in-vestissent aux aussi massivement. D’abord etdepuis longtemps dans les data centers, mais

aussi dans les câbles. Christophe Cavazza, di-recteur général de Colt France, reconnaît que « tous les grands noms du numérique figurent désormais parmi nos clients et exploitent leurspropres câbles ». A eux quatre, les GAFA sont présents dans au moins 22 consortiums qui exploitent des câbles sous-marins – Google étant à lui seul présent dans 11. Le moteur de recherche a investi 30 milliards de dollars (25,7 milliards d’euros) entre 2015 et 2017 dansson infrastructure globale, la plus importanteau monde, qui voit passer, selon lui, 25 % dutrafic Internet mondial.

« Ils déploient leurs propres câbles pour inter-connecter leurs centres de données sur tous lescontinents sans passer par les opérateurs télé-coms. L’enjeu, pour eux, est de fixer les coûts. En d’autres termes, ils préfèrent être propriétai-res que locataires ! », analyse Jean-Luc Lem-mens, directeur du pôle médias-télécoms de la société d’étude Idate DigiWorld. Pour cou-vrir les pays en développement ou les zones éloignées des mers, ils n’hésitent pas à lancer des projets de déploiement du réseau Inter-net par satellites, drones ou ballons. Outre lesnavettes vers la station spatiale internatio-nale, Space X vient d’obtenir l’autorisation de la commission fédérale des communications américaine de lancer 4 425 satellites en orbite basse afin d’apporter Internet à la terre en-tière. Amazon, Virgin, Facebook ou SoftBank nourrissent eux aussi de grandes aspirations satellitaires. L’ambition des pionniers du Net de créer une infrastructure qui ne soit contrô-lée par personne et serve à tous ne sera bien-tôt plus qu’un vieux rêve. p

sophy caulier

DERRIÈRE LA TOILE, L’ENJEU D’INFRASTRUCTURES BIEN PHYSIQUES

Décembre 2014

Le 22 février, mise en orbite des deux premiers satellites de SpaceX destinés à connecter toute la planète à Internet. Facebook travaillerait aussi sur le sujet.

2010 2016

2017

300

28,76,4

500

10715

1 000

Heures de vidéos visionnées sur YouTube

par jour dans le monde, en millions

24 grandes sociétés du numérique (GAFAM, Yahoo, Alibaba, Ebay, Salesforce, etc. )possèdent un important réseau de data centersqui va continuer à croître Google a investi

dans 4 câbles sous-marins, et prévoit la mise en service de 7 autres d’ici à 2019

Consommation de données mobiles par mois dans le monde, en exaoctets*

Nombre d’objets connectés dans le monde selon Gartner, en milliards

Part de la population mondiale utilisant Internet, en %

Trafic IP, en milliers de pétabits** par mois 2017

Répartition du trafic Internet lié aux heures de pointe en Amérique du Nord, en 2016, en %

Le trafic Internet explose

Les géants du numérique s’emparent du réseau

2026(estimation)

20262020

(estimation)

45,7

20,4

Juillet 2015

Février 2017

32,7

2016

338 data centers

628 data centers2021

(est.)

**1 puissance 15 bits*1 puissance 18 octetsSOURCES : TELEGEOGRAPHY, BANQUE MONDIALE, ARCEP, SANDVINE, GARTNER, ERICSSON, ANFR, GOOGLE

INFOGRAPHIE : XEMARTIN LABORDE, AUDREY LAGADEC, MAXIME MAINGUET

Netflix17,3YouTube

50Autres

Data centers

448 câbles sous-marins

Câbles sous-marins

Satellites

2020

3716

7

11

11

8

28

4

17

36

5968

Amérique du Nord

Amérique latine

Afrique

Europe de l’Ouest

Europe centrale et de l’Est

Asie-Pacifique

GOOGLE A INVESTI

30 MILLIARDS

DE DOLLARS

ENTRE 2015 ET

2017 DANS SON

INFRASTRUCTURE

GLOBALE

fin mars, la mauritanie s’est trouvée soudainement privée d’In-ternet. En cause, la rupture du câblesous-marin ACE (Africa Coast to Eu-rope), au large de Nouakchott. Ce problème a perturbé le trafic Inter-net dans plusieurs pays le long de la côte ouest de l’Afrique. Il a fallu une dizaine de jours pour faire ve-nir un navire câblier sur site, locali-ser la panne sur le câble (immergé par 30 mètres de fond à plusieurs kilomètres de la côte), le réparer et rétablir le trafic. En mai, ce sont les tortues luths, une espèce protégée, venues pondre leurs œufs sur les plages de Guyane, qui ont empêchéla finalisation de la pose du câble sous-marin Kanawa. Celui-ci sera mis en service entre la Martinique et la Guyane dès que la saison de la ponte sera terminée.

Qu’il s’agisse de l’arrachage acci-dentel par un chalut ou d’une rup-ture causée par une éruption ou unséisme sous-marins, les câbles qui relient les côtes, les continents et les îles subissent des pannes fré-quentes. « On passe notre temps à les réparer. Si nous ne le faisions pas, l’Internet mondial s’arrêterait en quelques semaines », affirme Jean-Luc Vuillemin, directeur des réseaux internationaux d’Orange.

L’opérateur dispose de six navires, dont deux dévolus à la pose et qua-tre à la maintenance, basés en Mé-diterranée, en Afrique du Sud, dansl’océan Indien et à Brest, pour l’At-lantique. Un point noir ? « Un câble au large d’Ostende, posé sur unfond sableux par seulement 30 mè-tres de fond. Nous en sommes à la 91e réparation… »

Résister au fond des océans

Si les satellites supportaient la ma-jorité des communications Inter-net jusqu’à la fin des années 1980, l’arrivée de la fibre optique a faitmigrer le trafic vers les câbles ter-restres et sous-marins. Un câble ne contient que quelques fibres, orga-nisées par paires, une fibre trans-portant les données dans un sens, et l’autre, dans l’autre sens. L’en-semble, renforcé et protégé afin de résister au fond des océans, est un câble de 4 à 6 cm de diamètre !

Les atouts de la fibre ont rendules câbles essentiels à l’Internet mondial. Sa durée de vie est longue– de vingt à vingt-cinq ans – et sa capacité peut évoluer au fil des pro-grès technologiques, en actualisantles équipements aux extrémités. Cette capacité augmente régulière-ment. Le câble Marea, construit par

Microsoft et Facebook, d’une lon-gueur de 6 600 km entre Bilbao (Es-pagne) et Virginia Beach (Etats-Unis), a été qualifié de plus puis-sant du monde en février. Sa capa-cité est de 160 Tbit/s (térabits parseconde) avec 8 paires de fibres, ce qui permet de transporter « 71 mil-lions de vidéos HD en streaming en parallèle », selon Microsoft.

En matière d’Internet, les fondsmarins vont bientôt accueillir plusque des câbles. Microsoft teste ac-tuellement un data center (centre de données) encapsulé dans un conteneur et immergé, début juin, au large des îles Orcades, au nord del’Ecosse. Baptisé « Natick », ce projeta été réalisé avec le français NavalGroup. Un gros cylindre étanche de12 mètres de long abrite 864 ser-veurs et l’infrastructure nécessaire à leur fonctionnement, le tout con-necté à un câble sous-marin et ali-menté en énergie renouvelable.

« L’intérêt de ce projet est de rap-procher nos data centers des utilisa-teurs afin de réduire le temps d’ac-cès, explique Bernard Ourghanlian,directeur technique et sécurité de Microsoft France. La moitié de la population mondiale vit à moins de200 km de la mer. » p

so. c.

Les câbles transcontinentaux, ces trésors sous-marins