Manuscrit - Chapitre 02 : Pourquoi elle écrit Novels/Manuscrit... · Chapitre 2 : Pourquoi elle...

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Mizuki Nomura Manuscrit Vu d’un ciel clément, l’histoire du timide océan Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit Traduit du japonais par Skythewood Translations Traduit de l’anglais par la Mugetsu no Fansub

Transcript of Manuscrit - Chapitre 02 : Pourquoi elle écrit Novels/Manuscrit... · Chapitre 2 : Pourquoi elle...

  • Mizuki Nomura

    Manuscrit

    Vu d’un ciel clément, l’histoire du timide océan

    Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit

    Traduit du japonais par Skythewood Translations

    Traduit de l’anglais par la Mugetsu no Fansub

  • 1

    CHAPITRE 2 : POURQUOI ELLE ÉCRIT

    À la fin des cours, Hiyuki rassembla ses affaires. Elle les avait

    déjà préparées avant la sonnerie. Elle se précipita ensuite hors de

    la salle. Un camarade demanda à Ao quelques renseignements sur

    les light novels du moment. Après lui avoir répondu, le jeune

    homme prit son sac et quitta lui aussi la salle. Il se rendit aux

    casiers pour changer de paire de chaussures et alla chercher son

    vélo au parking. Au moment où il déverrouillait l’anti-vol, il eut

    l’impression que quelqu’un le fixait.

    Ao se retourna mais ne vit personne. Il pensa que ce n’était

    que son imagination. Il retira le cadenas et se mit en route.

    Quelques instants plus tard, il ressentit de nouveau cette

    impression d’être épié.

    Quelqu’un est en train de me suivre ?

    Il se retourna. Cette fois, il eut le temps d’apercevoir une

    longue chevelure brune au coin d’un immeuble. Une douce brise

    de printemps la faisait flotter. Elle semblait translucide sous les

    rayons éclatants du soleil.

    « Hmm ? Hiyuki ? »

    Ne s’attendant pas à être repérée, la silhouette qui dépassait du

    bâtiment frémit et disparut aussitôt.

    « Hiyuki ! Attends ! »

    Ao se mit à pédaler plus rapidement et poursuivit la jeune

    fille. Hiyuki marchait tout en serrant son sac contre sa poitrine.

    Ses longs cheveux bruns se balançaient au fil de ses pas. Elle

  • Manuscrit

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    marchait à un rythme très rapide. Après l’avoir rattrapée, Ao

    descendit de son vélo et marcha à ses côtés. En observant son

    visage, il pouvait voir de plus près son grain de beauté au coin des

    lèvres. Bien que son expression fût toujours aussi glaciale, ses

    yeux étaient légèrement rouges.

    « Hiyuki, je suis désolé pour ce qui s’est passé tout à

    l’heure. » Hiyuki ne lui répondit pas. « Je t’ai surprise quand j’ai mentionné le manuscrit que tu as

    déposé pour le concours des jeunes auteurs, n’est-ce-pas ? »

    Elle garda le silence. « Je suis désolé. Tu ne vas sans doute pas me croire si je te dis

    que je travaille comme examinateur sur ce concours, pas vrai ? »

    Hiyuki ignorait encore le jeune garçon. « Je l’ai lu pendant la golden week. Il était dans le lot qui m’a

    été envoyé. En lisant la fiche personnelle de l’auteur, j’ai vu ton

    nom et celui du lycée. »

    Les fines lèvres de Hiyuki restèrent fermées, même après les

    explications de son camarade. Elle continuait à marcher, les yeux

    baissés. Ils passèrent devant un arrêt de bus et ils s’engagèrent

    dans une rue latérale, en plein quartier résidentiel. De belles

    maisons étaient alignées le long de la route. Chacune avait un

    jardin avec une cour florissante et bien entretenue. Les deux

    adolescents marchaient toujours. Ao tenta de rompre ce silence

    gênant.

    « Je ne prévois pas de parler de toi ni de ton manuscrit aux

    autres, si c’est ce qui t’inquiète. Je ne compte pas non plus te

    critiquer. »

    Ah ! Peut-être que je n’aurais pas dû le dire comme ça ! Elle

    va croire que je la fais chanter !

    Hiyuki, anxieuse, restait sur ses gardes face au jeune homme.

    Puis, contre toute attente, elle s’arrêta de marcher. Hiyuki se

    mordit les lèvres. Elle gardait encore la tête baissée. Ses yeux

    devenaient de plus en plus rouges et elle se mit à parler d’une voix

    si douce qu’elle semblait irréelle.

  • Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit

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    « Ao… Tu as vraiment lu mon manuscrit ?

    — Oui.

    — En entier ?

    — Oui.

    — Même la fin ?

    — Oui. »

    Il l’avait lu jusqu’à la dernière ligne, lentement et avec

    minutie. Il avait même entièrement rempli la fiche pour

    commenter son travail.

    Hiyuki se mit à marmonner. Elle leva la tête vers Ao. Ses yeux

    le parcouraient frénétiquement. Elle était plus grande que la

    plupart des filles tandis qu’Ao était légèrement plus petit que les

    garçons de son âge. Une courte distance les séparait. Ao n’avait

    pas l’habitude qu’une fille soit si proche de lui. Il admirait son

    visage, ses yeux légèrement humides, sa bouche entrouverte et

    son grain de beauté toujours aussi séduisant.

    Ouah, j’ai les joues qui brûlent. J’espère que je ne rougis pas

    trop.

    Hiyuki regardait Ao d’un air anxieux, en ne se souciant pas du

    tout de la distance qui les séparait.

    « Et… Qu’as-tu pensé de mon travail ? »

    ***

    Il était tard lorsqu’Ao arriva enfin chez lui.

    « Je suis rentré. »

    Alors que la zone résidentielle où habitait Ao baignait dans la

    couleur du soleil couchant, le garçon ouvrit la porte de la maison

    et s’annonça. Ses jeunes frère et sœur, des jumeaux, qui étaient

    rentrés de l’école, se mirent à courir vers lui bruyamment.

    « Tu es enfin de retour, Ao !

    — Bienvenue à la maison, Ao ! »

    Ils étaient encore jeunes et faisaient la même taille. Ils avaient

    tous les deux de grands yeux et les lèvres charnues. Quant à leur

    personnalité, le frère était assez turbulent tandis que la sœur était

  • Manuscrit

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    bien plus calme. Ao s’étonnait que leur différence de caractère

    soit autant visible malgré leur jeune âge. Peut-être que ce n’était

    qu’une impression, vu qu’ils sont de la même famille. Ils

    s’entendaient tous les deux plutôt bien. Le frère malicieux aimait

    jouer au baseball et au foot alors que la sœur plus douce préférait

    dessiner et jouer à la maison. Les jeux était un sujet de disputes

    constantes dont Ao était l’arbitre.

    « Ao, on peut reprendre notre partie de jeu vidéo ?

    — Ao, on peut dessiner ? »

    Le pauvre garçon se faisait tirer par les bras.

    « Je dois d’abord vérifier vos devoirs. Le premier qui aura

    terminé pourra jouer avec moi !

    Les jumeaux répondirent ensemble, en toute innocence.

    « D’accord ! Je vais faire mes devoirs ! »

    Ao leur tapota la tête.

    « Parfait. »

    À ce moment-là, la tête de sa mère dépassa de la cuisine.

    « Bonsoir Ao. Tu rentres bien tard aujourd’hui.

    — Oui, j’ai été prendre un thé avec une amie. » répondit Ao

    nonchalamment en se remémorant sa conversation avec Hiyuki.

    ***

    « Et… Qu’as-tu pensé de mon travail ? »

    Hiyuki avait posé la question en hésitant. Ao ne sut quoi

    répondre.

    — À propos de ça… Eh bien… »

    La jeune fille regardait fixement Ao dans l’attente de sa

    réponse. Elle serrait son sac de plus en plus fort. Ses doigts

    tremblaient légèrement. Ao se sentait sous pression face à sa

    camarade. Il avait du mal à répondre en étant naturel. Il lui fit

    alors une suggestion.

    « Si tu veux en parler, ne restons pas ici. Tu veux t’asseoir

    quelque part ?

  • Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit

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    — Je crois qu’il y a un salon de thé pas loin… Dans cette rue.

    Il n’est pas fréquenté par les autres lycéens. » Elle poursuivit

    d’une voix douce. « Allons-y. »

    Le salon de thé suggéré par Hiyuki était d’allure simple mais

    il y régnait une atmosphère chaleureuse. La devanture était à la

    base une résidence, qui a ensuite été rénovée. L’intérieur était

    décoré de chaises en bois, le genre qu’on ne voyait que dans les

    contes de fées, ainsi que de tables, elles aussi en bois, qui

    semblaient anciennes. Des coussins avec des motifs rayés cousus

    à la main étaient posés sur chaque chaise. Quant aux murs, ils

    étaient couverts d’un papier peint à motif de losanges aux

    couleurs chaudes.

    Une tasse de thé ou de café coûtait 450 yens1. C’était un peu

    plus cher que les boisons vendues dans le quartier mais la qualité

    était au rendez-vous. C’était encore le début de la semaine et il y

    avait beaucoup de places vides. Une jeune collégienne lisait et

    deux dames âgées discutaient avec élégance. Cette ambiance

    couplée au cadre de l’endroit donnait une atmosphère sereine et

    confortable.

    La gérante leur sourit poliment et les laissa choisir la table de

    leur choix. Ao et Hiyuki s’installèrent à une table ronde contre le

    mur, en face à face. La jeune fille continuait de fixer intensément

    son camarade, attendant son avis avec impatience. Ao commanda

    du thé Assam avec du lait. Hiyuki, elle, demanda une infusion de

    chrysanthème. Ao prit la parole.

    « Ton travail est très intéressant. »

    L’expression de Hiyuki s’illumina.

    — Euh, eh bien… Est-ce que ça veut dire que j’ai passé le

    premier tour ?

    — Euh… Je ne peux pas te le dire avant l’annonce officielle…

    Mais… » balbutia Ao.

    À ces mots, le visage de Hiyuki s’assombrit.

    1 450 yens : environ 3,5 euros.

  • Manuscrit

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    « Je n’ai pas réussi… Encore une fois... Je ne suis pas

    sélectionnée. »

    Ao ne savait pas quoi faire, Hiyuki avait vraiment l’air

    déprimée. Il ne pouvait pas lui donner les résultats, mais elle avait

    raison. Son travail n’avait pas été sélectionné pour passer le tour

    suivant. Au lieu de lui donner de faux espoirs, il valait mieux lui

    dire la vérité maintenant. Toutefois, apprendre la mauvaise

    nouvelle alors qu’elle avait soumis son travail il y a à peine un

    mois était éprouvant. Ao, n’y pouvant pas grand-chose, se sentait

    mal pour elle.

    La gérante du salon servit leur boisson dans des tasses. Hiyuki

    n’y toucha pas. Elle parlait d’une voix morne, les yeux dans le

    vague.

    « Je… J’ai déjà soumis mon travail cinq fois… Et chaque

    tentative s’est soldée par un échec. Est-ce parce que le jury trouve

    mon travail trop vulgaire ?

    — Euh…

    — Est-ce parce que ce n’est pas très recherché ? Ce n’est pas

    agréable à la lecture ?

    — Eh bien…

    — Ou alors, ce n’est pas assez convaincant voire trop

    présomptueux ?

    — Attends, attends une minute Hiyuki. » Elle avait enchaîné

    beaucoup de questions. Ao reprit la parole, paniqué. « Ce n’est pas

    ce que je pense. Je n’ai pas envoyé ton manuscrit au second tour

    mais je pense que ton travail est vraiment intéressant. Je l’ai écrit

    dans les commentaires. Tu ne les recevras pas avant un certain

    temps, mais lis-les, s’il te plaît.

    — Est-ce que mon travail a vraiment… Des points positifs ?

    — Oui ! » s’exclama Ao avec un sourire.

    Hiyuki élargit les yeux de surprise et posa son regard sur sa

    tasse, un peu mélancolique.

    « Mais… Les autres examinateurs l’ont trouvé ennuyeux.

    Tous les commentaires que j’ai reçus le confirmaient. L’histoire

    est désordonnée, le vocabulaire est peu recherché et vulgaire. La

  • Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit

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    lecture est pénible et le personnage principal n’est pas attachant…

    La structure de l’histoire n’est pas assez convaincante et son

    contenu est trop prétentieux. À chaque fois, j’ai eu la note la plus

    basse, un C si c’était une note sur trois lettres et un E si c’était une

    note sur cinq lettres. »

    Les éditeurs de la plupart des maisons d’édition rappelaient à

    plusieurs reprises à leurs examinateurs que les concurrents étaient

    aussi des lecteurs de light novels. Ils se devaient de faire preuve

    de subtilité et ne pas condamner les manuscrits qu’ils notaient.

    Mais il existait des examinateurs beaucoup moins conciliants qui

    donnaient leurs commentaires avec un autre état d’esprit. Selon

    eux, les auteurs devaient être un minimum cultivés et connaître au

    moins les bases de l’écriture. Ao l’avait entendu de la bouche de

    son oncle, à ses débuts en tant qu’examinateur. Ces personnes

    estimaient notamment que le changement de taille de la police et

    l’enchaînement de plusieurs signes de ponctuation était inutile et

    vulgaire. Elles détestaient cette manière d’écrire.

    Par exemple, les points de suspension ne devaient être écrits

    qu’en un seul caractère, et non trois points à la suite. S’il l’un de

    ces examinateurs remarquait cette typographie incorrecte, il

    estimerait que l’auteur n’a même pas acquis les bases de l’écriture

    avant de se lancer dans la rédaction. À partir de ce moment-là, il

    jugerait le travail comme mauvais et sans valeur à la lecture. Ao

    fut surpris lorsqu’il entendit parler de tels examinateurs. Il était

    vrai qu’il fallait suivre une typographie normée, mais, depuis

    quelques temps, les jeunes auteurs qui auto-éditaient leur travail

    sur internet suivaient leurs propres règles. Ils s’autorisaient alors

    quelques libertés pour simplifier la lecture à l’écran. La plupart

    des auteurs amateurs avaient pris cette habitude. D’après Ao, les

    examinateurs ne devraient pas se baser sur de tels critères pour

    juger un manuscrit.

    De plus, les rédacteurs enseignaient toutes les règles de

    typographie aux auteurs après que leur manuscrit avait remporté

    le concours. Ao avait vu de nombreux manuscrits très intéressants

    où les points de suspension n’étaient pas dactylographiés

  • Manuscrit

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    correctement. À l’inverse, il avait aussi lu des manuscrits avec

    une grammaire impeccable qui manquaient de charme.

    Ao avait déjà lu une fois un manuscrit sans aucun retrait de

    paragraphe. Les paragraphes n’étaient donc pas distingués. Au

    début, il avait quelques difficultés à le lire, mais après une

    inspection un peu plus approfondie, il trouva que l’écriture était

    très vivante et que l’histoire, pleine de personnalité, brisait les

    standards. Pour réussir à écrire une telle histoire, sans connaître

    les bases de l’écriture, cet auteur avait un énorme potentiel ! Ao

    avait envoyé ce manuscrit au deuxième tour, le cœur rempli

    d’espoir. Il n’avait malheureusement pas gagné le grand prix à

    cause d’un conflit d’opinions entre plusieurs membres du jury. Ce

    manuscrit avait quand même remporté un prix spécial et, par la

    suite, le light novel alors né se plaça dans le top des ventes de sa

    saison de sortie.

    « C’est impossible de renverser la situation si on tombe sur

    quelqu’un qui pense que sa propre norme est la seule qui soit

    correcte. Je suis navré que tu sois tombée à chaque fois sur ce

    genre de personnes. » s’exclama Ao.

    Fort heureusement, un examinateur professionnel ne laisserait

    pas un travail avec un bon potentiel tomber dans l’oubli.

    Cependant, d’autres n’hésitaient pas à faire des commentaires

    inutiles et méchants aux concurrents qui s’étaient fait recaler.

    Certains auteurs, après avoir vu les résultats, étaient furieux et

    provoquaient d’énormes vagues sur internet.

    Hiyuki est tombée sur ce genre d’examinateurs… Oh non ! Je

    n’aurais pas dû lui parler de ça.

    Devant lui se tenait une Hiyuki complètement déprimée, les

    épaules et la tête baissées. Elle se mordait la lèvre tellement la

    déception la rongeait. La jeune fille ne ressemblait plus du tout à

    l’image qu’elle donnait d’elle au lycée. Elle avait l’air si

    pitoyable.

    « Je pense que tu n’as simplement pas eu de chance. Ton

    travail n’est pas parfait, c’est vrai. Les changements de taille de la

    police et l’utilisation de la ponctuation sont un peu excessifs.

  • Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit

    9

    C’est ce qui peut laisser une mauvaise impression mais il y a aussi

    des bons points. Si tu arrives à les faire ressortir, je suis certain

    que tu passeras le premier tour de sélection. » reprit Ao pour

    tenter de remonter le moral de sa camarade.

    À ses mots, la jeune fille releva la tête et le regarda droit dans

    les yeux. Ao tenta de détourner la conversation pour aborder un

    sujet moins épineux.

    « En tout cas, le thé est vraiment bon » dit-il avec un sourire.

    Il versa un peu de lait dans sa tasse de thé et but une gorgée.

    Hiyuki prit son infusion de chrysanthème et la porta la tasse à ses

    lèvres.

    « Oui, c’est vrai… » marmonna-t-elle après avoir pris une

    gorgée. « Je suis souvent passée devant ce salon de thé, mais je

    n’ai jamais osé y jeter un coup d’œil, pas toute seule en tout cas.

    — Moi non plus. En même temps, ce n’est pas courant pour

    un garçon d’entrer dans un salon si mignon. Je suis heureux d’y

    être avec toi, Hiyuki. »

    Les joues de Hiyuki prirent une délicate teinte rouge cerise.

    Elle gardait ses yeux baissés et parlait doucement.

    — Euh… Les balles du paradis perdu, je le lis aussi. »

    Il s’agissait du light novel qu’Ao avait fait tomber par terre

    dans la salle d’informatique pour engager la conversation avec

    Hiyuki. Le cœur du garçon faillit s’arrêter de battre.

    « J’en étais sûr ! Je me disais bien que tu avais dû lire cette

    série.

    — J’en suis fan.

    — Oui, la tournure et le développement de chaque tome sont

    très excitants. Tu as lu le dernier ?

    — Oui, le moment où Takato aide Falumia m’a profondément

    émue.

    — Oui, cette partie est vraiment sanglante ! Et ce moment-là,

    lorsque le loup solitaire Jacille prononce le chant tabou pour

    sauver son camarade !

    — Je me suis mise à pleurer à ce passage.

    — Moi aussi. »

  • Manuscrit

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    Sans s’en rendre compte, les deux lycéens parlaient avec

    passion de différents light novels. Ao avait lui-même sélectionné

    Les balles du paradis perdu en tant qu’examinateur. Il trouvait le

    manuscrit très intéressant et voulait que le grand public le lise

    aussi. Ao était vraiment heureux que Hiyuki exprime timidement

    ses pensées à ce sujet.

    « Ao, comment as-tu commencé à travailler comme

    examinateur ? »

    La jeune fille était toujours préoccupée par cette affaire. Elle

    avait posé la question avec précaution.

    « Euh, je ne suis pas vraiment autorisé à dire que je travaille

    comme examinateur. J’espère que tu voudras bien le garder

    secret. »

    Hiyuki acquiesça doucement.

    « Oui, je n’ai personne à qui parler de toute façon. »

    Ao trouvait que cette façon de le dire ne rendait la jeune fille

    que plus solitaire encore. Toutefois, vu le ton qu’elle avait

    employé, elle ne semblait pas avoir besoin de la sympathie des

    autres. Ao fit donc comme s’il ne l’avait pas entendue.

    « Mon oncle travaille dans l’industrie du jeu vidéo. Tout a

    commencé avec lui. Il lui arrivait d’examiner des manuscrits que

    lui envoyait un éditeur. Un jour, surchargé de travail, il m’a

    supplié de l’aider… »

    Ao continua de raconter l’histoire qui fit de lui un examinateur

    de concours de light novels. Hiyuki écarquillait les yeux et

    semblait avoir le souffle coupé alors qu’il s’expliquait.

    Finalement, après qu’il avait fini de raconter son histoire, la jeune

    fille prit la parole après un court silence.

    « Une telle chose peut vraiment arriver.

    — Oui, on pourrait croire à une intrigue de light novel. J’ai

    d’ailleurs entendu dire que certains des examinateurs pouvaient

    être des femmes au foyer ou même de simples vendeurs de

    légumes. En plus, les personnes chargées des manuscrits orientés

    pour le public féminin peuvent très bien être des illustrateurs de

    jeux H ou bien des hommes dans la quarantaine.

  • Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit

    11

    — « Jeux H » ? » répéta Hiyuki sans comprendre, en inclinant

    la tête sur le côté.

    « Ah ça… Il s’agit de jeux déconseillés aux moins de dix-huit

    ans. C’est ce que mon oncle produit. Quelques fois, ils sont

    adaptés pour tous les âges, mais la plupart du temps, ce n’est pas

    le cas. Ah, et même s’il s’agit de jeux H, leur contenu peut

    vraiment être intéressant et passionnant. Oh, et je joue aux

    versions pour tous les âges !

    — Oui… Oui. »

    Quand Hiyuki comprit que les jeux H étaient des jeux

    érotiques, son visage devint rouge vif. Sur sa peau aussi pâle

    qu’une pierre de jade, on ne voyait que ça. Ao avait cru au départ

    qu’elle devait connaître ce genre de jeux puisqu’elle était capable

    d’écrire des choses comme « C’est une culotte à rayures ☆ ». Il

    s’avérait qu’il avait tort. Discuter de choses obscènes avec une

    fille aussi sérieuse… Et si c’était du harcèlement sexuel ? Les

    joues du jeune homme commencèrent à le brûler.

    Hiyuki est une personne tellement différente de ce que laisse

    penser son manuscrit. Et contrairement à ce que peuvent penser

    nos camarades qui la trouvent aussi froide que la glace, elle est

    tout à fait capable de parler et de discuter de façon naturelle. Elle

    peut rougir facilement et elle choisit ses mots avec le plus grand

    soin. Elle est difficile à cerner.

    « Je… J’ai un couvre-feu à respecter, je vais devoir y aller. »

    dit Hiyuki après un silence gênant.

    Ao avait entendu dire que Hiyuki vivait dans un vieux manoir

    de style traditionnel. Si elle rentrait chez elle à pied, alors son

    couvre-feu avait lieu très tôt. Une rumeur racontait qu’elle habitait

    avec sa grand-mère, une femme stricte. Ce devait être la raison de

    ce départ précipité.

    « C’est l’heure pour moi aussi. » répondit Ao en se levant.

    Ils avaient été tellement absorbés par leur conversation qu’Ao

    n’avait pas vu le temps passer. Il avait tout juste le temps de

    rentrer pour arriver à l’heure du dîner.

  • Manuscrit

    12

    « Bien que je travaille comme examinateur, tu es la première

    autrice de light novels que je rencontre. Je suis heureux d’avoir pu

    en discuter avec toi aujourd’hui.

    — Moi aussi.

    — Alors j’espère que nous pourrons en parler une prochaine

    fois. Ah, et si tu ne veux pas me parler au lycée, ce n’est pas

    grave. Tu pourras faire comme d’habitude. Je vais te donner mon

    numéro de téléphone et mon adresse mail. Mais c’est seulement si

    tu en as envie. »

    Ao avait parlé de façon décontractée comme il le faisait

    habituellement lorsqu’il échangeait ses coordonnées avec

    n’importe quel camarade de classe. Hiyuki s’agitait nerveusement

    et semblait envisager quelque chose.

    « Ao… J’ai une faveur à te demander.

    — Hmm ? Laquelle ? »

    Le jeune homme, son téléphone portable à la main, se raidit un

    moment. Le visage de Hiyuki, en particulier ses lèvres, était dur.

    Finalement, elle exprima ce qu’elle avait en tête.

    « S’il te plaît, apprends-moi à écrire des light novels ! »

    ***

    Hiyuki semblait si sérieuse… C’est pour ça que je lui ai dit

    « Je t’apprendrai tout ce que je sais. » sans même prendre le

    temps d’y réfléchir. Est-ce que je vais y arriver ? Je n’ai aucune

    idée de comment écrire un light novel.

    Après avoir dîné, Ao s’installa à son bureau dans sa chambre.

    Il regardait pensivement la carte de fidélité du salon de thé. S’il

    cumulait dix points, il aurait droit à un dessert maison. Le chiffre

    1 était tamponné sur la première case de la carte. Il avait

    également reçu un bon de 50 yens.

    Il prit un autre rendez-vous avec Hiyuki au salon de thé après

    l’école, le lendemain. Il commencerait alors à la conseiller sur la

    manière d’écrire un light novel.

  • Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit

    13

  • Manuscrit

    14

    J’ai beau être examinateur, je n’ai encore jamais fait l’expérience

    de l’écriture. Je ne saurai pas comment écrire un bon light novel.

    Je me demande si je serai utile. Je lui ai dit que je lui donnerai

    seulement mon opinion mais ça avait l’air de lui suffire.

    « Juste une fois. Rien qu’une fois, j’aimerais passer le premier

    tour de sélection. » avait-elle dit en regardant Ao droit dans les

    yeux. Tout ce qu’elle espérait, c’était que le garçon en face d’elle

    lui vienne en aide.

    « Oui, essayons. Ça a l’air amusant. » répondit-il après un

    court moment d’hésitation.

    Ils décidèrent de se rendre au salon de thé séparément. Après

    la fin des cours, Hiyuki sortit rapidement de la salle de classe

    tandis qu’Ao poursuivait une discussion avec ses amis. Après

    s’être excusé de ne pas pouvoir les accompagner au fast food, le

    garçon s’éclipsa rapidement. Il prit son vélo et se dirigea en

    vitesse vers le salon de thé.

    Quand il ouvrit la porte, il trouva Hiyuki installée à la même

    table qu’hier.

    « Désolé, tu n’as pas attendu trop longtemps, j’espère ?

    — Non, je viens d’arriver à l’instant. »

    Hiyuki sourit doucement. Ses lèvres et son grain de beauté

    étaient toujours aussi séduisants. Son apparence était encore un

    peu froide, mais son expression, elle, s’était déjà adoucie.

    Lorsqu’ils étaient à l’école, elle n’avait adressé aucun regard à

    Ao. Elle se tenait droite et l’atmosphère qu’elle dégageait était

    glacée. Les camarades de classe d’Ao avaient commenté l’allure

    de Hiyuki, comme à leur habitude.

    « La reine de glace est telle un mur de fer aujourd’hui.

    — Non, tu devrais dire un mur de glace.

    — Ao, comment tu comptes la séduire exactement ? Je te

    conseille de ne pas t’y risquer, sinon ton cœur risque d’être

    transpercé par un pic de glace. Et tu risques de ne jamais t’en

    remettre.

  • Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit

    15

    — Un gars banal qui arrive à obtenir les faveurs de l’une des

    plus belles filles du lycée. C’est une histoire qui n’arrive que dans

    le monde des light novels. »

    Il reçut ces conseils tout au long de la journée. Ao leur avait

    répondu qu’il avait involontairement jeté quelques coups d’œil sur

    Hiyuki car il la trouvait très belle. Mais ses pensées étaient bien

    différentes.

    Personne ne le sait mais Hiyuki est quelqu’un de réservé, qui

    parle d’une voix douce, les yeux légèrement humides. Elle invente

    des histoires et des univers particuliers. Elle ne connaissait pas

    les jeux H mais elle est quand même capable d’écrire des scènes

    où des jupes se soulèvent pour révéler une culotte rayée.

    Alors que ses pensées le tiraillaient, Ao ne put s’empêcher de

    se sentir supérieur à ses camarades. Quand il se retrouva seul avec

    Hiyuki au salon de thé, ce sentiment l’immergea. Il savait qu’il

    avait de la chance, et il en était très heureux. Ao s’assit en face de

    Hiyuki et commanda un Darjeeling.

    « Bien, puisque tu as un couvre-feu à respecter, mettons-nous

    au travail rapidement. » commença calmement Ao, tandis que

    Hiyuki tremblait nerveusement.

    Elle revint peu à peu à son expression glacée habituelle.

    « Hiyuki, tu vas tenter quel concours ?

    — Je souhaite tenter le concours des Étoiles Montantes de la

    Littérature des Éditions Eidansha.

    — Oh ! C’est avec ce concours que j’avais commencé mon

    travail d’examinateur.

    — Oh, bon, très bien. »

    Les traits de son visage se détendirent un peu. Ao reprit la

    discussion.

    « La date limite pour l’inscription est le 15 juillet.

    — Oui.

    — Nous sommes au milieu du mois de mai. Ce qui nous laisse

    environ deux mois. Hiyuki, combien de temps il te faut pour

    écrire un manuscrit ?

  • Manuscrit

    16

    — Pour le storyboard, ça me prendra environ une semaine. En

    ce qui concerne l’écriture, je suis capable d’écrire entre dix et

    quinze pages par jour. Mais je ne peux pas travailler dessus

    lorsque je suis à la maison. Je devrais avoir terminé dans… Un

    mois ? Ensuite, il faudra le vérifier et l’éditer. En tout, ça prendra

    un mois et demi.

    — Pourquoi tu ne peux pas écrire chez toi ? » demanda Ao.

    Hiyuki regardait sa tasse d’un air triste.

    « Je n’ai pas d’ordinateur à la maison. Et ma grand-mère

    déteste les animes et les jeux vidéo. Elle m’interdit d’y toucher. Je

    n’ai même pas le droit de lire le moindre light novel. »

    Il était rare de voir un parent restreindre à ce point son enfant.

    Il s’agissait même là d’un grand-parent qui s’occupait d’une

    adolescente qui était déjà au lycée. Les personnes âgées devaient

    probablement penser que les animes avaient une mauvaise

    influence sur l’éducation des jeunes. Ces interdictions ainsi que ce

    couvre-feu relativement tôt montraient bien à quel point sa grand-

    mère était aussi stricte que la rumeur le disait.

    Mais qu’en est-il de ses parents ? Pourquoi ne vit-elle pas

    avec eux ?

    Ao était troublé par cette affaire mais il ne voulait pas la

    gêner. Hiyuki semblait réticente à parler de sa vie chez elle. Cela

    devait expliquer pourquoi elle passait tout son temps dans la salle

    informatique du lycée. Difficile d’imaginer qu’elle n’écrivait qu’à

    ces moments-là. Ao fut impressionné par son rythme de travail.

    Elle allait vraiment devoir travailler dur pour finir son manuscrit

    en seulement un mois.

    Ao la complimenta mais Hiyuki secoua la tête en soupirant.

    « C’est parce que je n’ai rien d’autre à faire. » répondit-elle

    embarrassée.

    « Et comment faire pour l’impression ? Je crois qu’il y a

    encore quelques éditeurs qui n’ont pas de soumission en ligne.

    — Je serais découverte si j’imprimais tout ça au lycée. Je

    préfère le faire dans un cybercafé.

  • Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit

    17

    — Je vois. Et tu vas aussi là-bas pour les soumissions en

    ligne ?

    — Oui. » acquiesça-t-elle.

    Malgré l’apparence digne et mature qu’elle laissait paraître à

    l’école, elle avait là un comportement enfantin, ce qui fit sourire

    Ao.

    « Très bien, nous allons donc nous préparer pour le concours

    des Étoiles Montantes de la Littérature d’Eidansha du 15 juillet

    prochain. Il nous reste deux mois. Avec ton rythme, ça sera plus

    que suffisant. On va y arriver.

    — Oui. » Son visage avait repris des couleurs. Elle semblait

    heureuse. « Pendant les deux prochains mois, je risque de

    beaucoup te solliciter. »

    Sa chevelure lisse et soyeuse tombait sur ses épaules alors

    qu’elle saluait formellement le garçon. Ao en fut légèrement

    troublé.

    « J’espère que nous ferons du bon travail ensemble durant ces

    deux mois. Et puis, je t’ai dit hier que je ne ferai que donner mon

    opinion personnelle. Mais si tu penses que je suis dans l’erreur,

    n’hésite pas à me le dire. Je veux avoir tes commentaires !

    — Je ferai de mon mieux. » répondit Hiyuki avec inquiétude,

    pas certaine de pouvoir y arriver.

    Ao aussi était nerveux. Il se demandait s’il serait vraiment

    capable de lui donner des conseils en écriture. Il se sentait mal à

    l’aise mais maintenant qu’il avait accepté sa demande, il devait

    aller jusqu’au bout.

    « Pour commencer. Quel genre d’histoire aimerais-tu raconter

    le plus ? »

    Hiyuki avait l’air troublé.

    « Quel genre ?

    — Oui, qu’est-ce que tu préfères ? Beaucoup d’auteurs

    prennent en compte les caractéristiques des saisons, les

    préférences des lecteurs et ainsi de suite avant de décider du sujet.

    C’est une stratégie, mais il faut d’abord que tu penses au style que

    toi tu préfères. C’est une base importante. »

  • Manuscrit

    18

    Pendant la lecture de son manuscrit, Ao avait trouvé que

    certains passages manquaient de naturel. Hiyuki avait essayé

    d’aborder plusieurs thèmes différents dans l’espoir d’attirer plus

    de lecteurs. C’est pour ça qu’Ao avait commencé par lui

    demander son style d’histoire préféré.

    « Si un auteur écrit quelque chose en se disant « Il faut

    absolument que j’écrive ça ! » le lecteur le ressentira et il voudra

    alors le soutenir. Donc nous devrions nous concentrer sur ce que

    tu aimes pour ensuite choisir les caractères des personnages et la

    trame de l’histoire. Ce sont des points essentiels sur lesquels il

    faudra travailler si tu veux passer le premier tour de sélection.

    — Ah, d’accord. » répondit Hiyuki en hochant la tête.

    « Bon, je te le demande encore une fois. Hiyuki, qu’est-ce que

    tu aimerais raconter ?

    — Eh, euh… »

    Elle avait l’air de prendre la question très au sérieux. Sans

    doute y avait-il beaucoup de choses qu’elle souhaitait écrire. Bien

    qu’elle fût bloquée dans un environnement qui l’empêchait de

    s’exprimer pleinement, elle continuait à écrire. Hiyuki était

    capable de faire tout un manuscrit en deux mois. Il y avait

    certainement plusieurs sujets qu’elle aurait voulu aborder.

    Pourtant à première vue, même au bout de plusieurs minutes,

    la jeune fille semblait toujours indécise. Si jamais elle n’avait le

    droit d’écrire qu’une seule histoire dans sa vie, que choisirait-

    elle ? Il était impossible de répondre dans l’immédiat. Elle avait

    beau réfléchir, Hiyuki n’arrivait pas à prendre de décision. Ao

    décida de lui venir en aide.

    « Tu n’arrives pas à le dire, pas vrai ? Dans ce cas, tu n’as

    qu’à écrire.

    — Hmm ?

    — Sort ton crayon et ton cahier. Je vais compter jusqu’à

    cinquante. Tu n’auras qu’à énumérer tout ce que tu aimerais

    aborder pendant ce temps. Écris le plus possible.

    — Jusqu’à cinquante ?

  • Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit

    19

    Le temps accordé était sans doute trop court pour elle et cela

    l’angoissait. Hiyuki sortit son crayon et son cahier, un peu

    paniquée.

    « Allons-y. Trois, deux, un… » commença Ao.

    Sans attendre que Hiyuki soit tout à fait prête, Ao commença à

    compter. C’était une méthode que Sakuratô utilisait souvent

    lorsqu’il était bloqué dans l’écriture de ses scénarios. « Ah, je

    n’arrive plus à rien ! Je n’ai aucune idée ! Je ne sais pas quoi

    écrire ! Ao, compte jusqu’à cinquante ! » disait-il en se grattant la

    tête. Et alors qu’Ao se mettait à compter, les doigts de son oncle

    survolaient les touches du clavier en tapant des mots seuls, voire

    la description complète d’une scène. D’après lui, les pensées

    inutiles encombrent l’esprit et les divagations entravent la

    réflexion. Il valait donc mieux écrire tout ce à quoi on pensait

    dans un court laps de temps, sans prendre le temps de réfléchir. La

    solution était cachée dans ces mots.

    « Quarante et un, quarante-deux… » poursuivit Ao.

    Comme si elle était poursuivie par le compte à rebours, Hiyuki

    ne cessait d’écrire ce qui lui passait par la tête. Elle n’avait pas le

    temps de penser. Elle ne pouvait qu’observer les mots qui lui

    venaient à l’esprit les après les autres. Son visage pâle avait pris

    quelques couleurs.

    « Quarante-huit, quarante-neuf… Cinquante. » finit Ao.

    Après avoir terminé, Hiyuki relâcha ses épaules et poussa un

    soupir de soulagement. Ses joues étaient toutes rouges.

    « Laisse-moi regarder. »

    Ao se pencha et Hiyuki lui tendit timidement son cahier en

    vérifiant les mots qu’elle avait écrits, comme pour se confirmer

    qu’elle en était bien l’autrice. Les deux adolescents lurent en

    même temps.

    « Autre monde, transporté, réincarnation, requin-liche, mer,

    solitaire, amis, se faire des amis, chaleureux, douceur, vie

    quotidienne, l’amour. »

    Alors que Hiyuki regardait sa liste, elle se mit à rougir du

    menton jusqu'aux oreilles.

  • Manuscrit

    20

    « Je… J’ai juste écrit ce qui me passait par la tête. » tenta-t-

    elle pour se justifier.

    Elle était sûrement gênée d’exhiber ses désirs enfouis au fond

    d’elle-même.

    « C’est tout simplement l’histoire que tu as le plus envie

    d’écrire en ce moment ! » dit joyeusement Ao en la regardant dans

    les yeux.

    Hiyuki reprit son souffle, comme si elle s’autorisait à respirer

    à nouveau.

    « On va utiliser ces mots comme fondations pour ton nouveau

    travail. Le personnage principal sera quelqu’un de solitaire

    transporté dans un monde alternatif, un pays sous-marin dans

    lequel il sera réincarné en requin-liche. Il se fera des amis et

    tombera amoureux. Bref, une histoire pleine de douceur dans le

    style tranche de vie. Est-ce que ça te va, Hiyuki ?

    — Tu vois vraiment ce genre d’histoire ? Les lecteurs vont s’ennuyer si c’est juste une histoire dans le style tranche de vie.

    Euh… Que dirais-tu d’ajouter des scènes de combat et d’aventure

    dans un donjon pour créer un point culminant à l’histoire ? C’est

    ce qu’il y avait d’écrit dans une fiche de commentaires que j’avais

    reçue…

    — Hiyuki, tu aimes raconter des scènes de combat ?

    — Non, je n’aime pas ça. »

    Il y avait des scènes de combat et de bataille à grande échelle

    dans Seul, je suis venu dans un monde parallèle. Je suis devenu le

    héros, le roi démon et l’empereur d’un harem paradisiaque. Mais

    la description était principalement axée sur les bruits et le texte

    manquait de tension, ce qui n’avait que peu d’intérêt. Ao avait

    estimé que c’était avec ce genre de scènes-là que Hiyuki était le

    moins à l’aise.

    « Alors n’écris pas de scènes de combat cette fois-ci. Tu dois

    écrire l’histoire que tu aimerais le plus raconter et sans perdre de

    vue cet objectif. Alors, ne te force pas à écrire quelque chose que

    tu n’aimes pas. C’est vrai que la mise en place de combats et de

  • Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit

    23

    batailles permettrait d’atteindre l’apogée de l’histoire. Or on peut

    tout à fait y arriver en racontant le quotidien d’un personnage.

    — Et comment suis-je censée faire ça ?

    — Réfléchissons-y la prochaine fois. Pour l’instant,

    concentrons-nous sur la structure de l’histoire. Autrement dit, son

    cadre et son scénario. Personnellement, je pense qu’une histoire

    dont le personnage principal se réincarnerait en un requin-liche

    pourrait s’avérer intéressante. Je serais très curieux de lire une

    telle histoire. Il pourrait tomber amoureux d’un autre requin et se

    faire un copain crabe et une copine anémone. Ou quelque chose

    comme ça. »

    Hiyuki n’arriva pas à se retenir de rire face à cette proposition

    délirante de scénario.

    Elle a ri…

    L’expression glaciale de Hiyuki avait laisser place à un sourire

    qui fit battre le cœur du garçon à tout rompre.

    « Ça a l’air vraiment intéressant… Cependant, je pense que

    l’histoire que tu viens de me décrire semble plus proche du

    scénario d’un roman que d’un light novel. Mais, j’ai envie de

    l’écrire, j’ai vraiment envie de l’écrire. » reprit Hiyuki d’une voix

    sérieuse.

    Elle n’était plus nerveuse. Elle semblait au contraire beaucoup

    plus chaleureuse, ce qui la rendait plus belle encore. Aux yeux du

    jeune homme, ses derniers mots n’ont fait qu’accentuer encore

    plus sa beauté.

    « Oui, je suis heureux de l’entendre. » acquiesça-t-il. « Tout ce

    qui importe, c’est ce que tu aimerais écrire. J’ai dit que ce serait

    une bonne chose si ton manuscrit différait des tendances de la

    saison de sortie. Cependant, ça sera difficile de passer le premier

    tour de sélection du concours si l’histoire diffère trop du genre

    littéraire attendu. Et même si le manuscrit arrive au deuxième

    tour, il pourrait être éliminé plus tard. Ce serait dommage,

    d’autant que l’écriture et la structure de l’histoire sont toutes les

    deux intéressantes. Pourquoi quelqu’un présenterait-il un roman

    sur un fond historique ou un fond de science-fiction, tout ce qu’il

  • Manuscrit

    24

    y a de plus classique, à un concours de light novel ? J’aimerais

    beaucoup envoyer ce genre de manuscrits au deuxième tour en

    mettant en avant leur superbe travail. Mais si je le fais, l’auteur

    tentera-il de nouveau sa chance une prochaine fois ? Si c’est le

    cas, est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux l’éliminer dès le premier

    tour ? Ça serait pour le bien de l’auteur, n’est-ce-pas ? Je suis

    quelque fois confronté à des cas comme ça.

    — Il y a beaucoup d’œuvres qui ne correspondent pas au

    genre auquel elles concurrent ?

    — Les détails du concours sont généralement publiés dans des

    magazines assez populaires que beaucoup de lecteurs liront. La

    plupart des manuscrits reçus sont désordonnés. On peut avoir des

    contes de fées pour les enfants, des récits de vieux hommes qui

    racontent leur expérience de la guerre, un recueil de pensées d’un

    chef d’entreprise sur sa manière de gérer son affaire ou l’histoire

    d’amour entre une femme de quarante ans et un jeune homme de

    vingt ans. Ah, je me souviens aussi d’un manuscrit plein de

    photos qui relatait le voyage de l’auteur au Cambodge. L’une

    d’elle le montrait faisant le V de la victoire près du temple

    d’Angkor Vat. Il avait l’air fier de lui. Quand j’ai lu le récit de son

    voyage, j’ai eu un bien meilleur regard sur ce pays. Certains

    auteurs avaient aussi inclus un CD-ROM avec le manuscrit. Ils

    avaient enregistré une chanson qu’ils avaient eux-mêmes

    composée.

    — C’est vraiment chaotique. » murmura Hiyuki, les yeux

    écarquillés.

    « Oui ! Mais j’ai eu beaucoup de plaisir à les lire ! » dit Ao en

    riant.

    Voir le visage d’un auteur ainsi qu’une myriade de manuscrits

    ne pouvait rendre le garçon plus heureux. Tourner les pages de ces

    travaux était pour lui un véritable plaisir.

    Hiyuki fixait le garçon. Elle avait l’air surprise.

    « Même si certaines histoires ne sont pas mon genre, je me

    sens toujours heureux et chanceux de pouvoir lire autant de récits.

    Et j’ai toujours l’espoir que chaque manuscrit tombe entre les

  • Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit

    25

    mains du bon éditeur. Parfois, certains d’entre eux nous envoient

    un courrier pour nous prévenir que nous devrions, je cite

    « Sélectionner plus d’œuvres fantastiques » ou encore « Donner la

    priorité aux histoires de lycéens, faciles à lire ».

    — C’est une blague ? » dit Hiyuki, ravagée.

    Cela voulait dire que plusieurs critères étaient déjà

    prédéterminés avant la sélection. Les paroles d’Ao pouvaient

    remettre en cause le côté impartial des concours.

    Ma langue a fourché ! Je n’aurais pas dû en parler.

    Ao réfléchit et tenta de se rattraper.

    « D’après ce que je sais, il n’y a que deux concours qui le

    font. La plupart des éditeurs ne nous donnent aucune consigne en

    ce qui concerne le premier tour de sélection. Une fois, un éditeur

    nous a demandé de « Donner la priorité sur les histoires de vie

    scolaire ». Mais il y avait un manuscrit très intéressant dont

    l’histoire était centrée sur la guerre. Il est passé au deuxième tour

    et a remporté un prix. C’est devenu un light novel très populaire.

    Lors de l’édition suivante, nous avions reçu une nouvelle

    consigne qui disait de « Donner la priorité aux histoires sur le

    thème de la guerre ». Ce genre de choses arrive souvent. Alors ne

    te tracasse pas.

    — Bon, d’accord. »

    Hiyuki soupira de soulagement après les explications du jeune

    homme.

    « De plus, si tu te focalises trop sur la demande de l’éditeur, tu

    seras incapable de te concentrer sur ce que tu aimerais écrire.

    C’est bien de correspondre au genre qui est attendu, mais n’écrit

    pas des choses que tu n’aimes pas. Si chacun écrivait la même

    chose, ce serait ennuyeux.

    — Alors… Il faut en fait trouver un équilibre, c’est ça ?

    — Oui, c’est ça Hiyuki ! Tout à fait ! Je retrouve bien l’élève

    modèle de la classe !

    — Mais non… » répondit-elle un peu gênée.

    À ce moment-là, l’heure vint pour eux de se séparer. Hiyuki

    regarda Ao droit dans les yeux.

  • Manuscrit

    26

    « Je travaillerai dur pour écrire une histoire sur un royaume de

    requins-liches en racontant la vie quotidienne du héros. »

    Son sourire et sa détermination firent battre le cœur du garçon

    à tout rompre. En sortant du salon de thé, elle le salua et partit. Ao

    lui aussi se mit en route pour arriver à temps pour le dîner.

    Le lendemain, ils se retrouvèrent au même endroit, à leur table

    habituelle. Assis l’un en face de l’autre, ils passèrent commande

    tout de suite. Hiyuki prit une infusion de chrysanthème et Ao un

    Earl Grey. Arrivés à leur troisième rendez-vous, les deux

    adolescents se montraient plus naturels.

    « Le peuple de ce royaume s’entend bien avec les requins-

    liches. Les habitants s’équipent de réservoirs à oxygène et

    plongent dans l’océan. Ils peuvent se déplacer grâce aux requins.

    Notre héros, lui, a du mal à voyager avec eux et il craint de se

    faire dévorer. Dans ce monde alternatif, il fait la rencontre d’une

    fille dont il se rapproche. Elle lui apprend à monter à requin.

    Après avoir pris son courage à deux mains, il démontre finalement

    un certain talent pour les conduire. Au début, il hésite encore,

    mais au bout de quelques jours, il se déplace avec les requins-

    liches de bon cœur.

    — Pas mal. Est-ce que ça te dirait que chaque île de l’océan

    soit un pays ? Les capitales seraient indépendantes les unes des

    autres, ou quelque chose dans ce style.

    — D’accord, l’idée me plaît bien. »

    Ils continuèrent de s’échanger des idées pour mettre en place

    le scénario et le monde du light novel, mais pas seulement.

    « Hiyuki ? Dis-moi, pourquoi as-tu commencé à écrire des

    light novels ?

    — Tout a commencé quand j’étais en quatrième. Une fille de

    ma classe a dit un jour « C’est super intéressant et très touchant ».

    Elle parlait de light novels avec ses amies. Elles disaient « J’ai

    pleuré à la fin de celui-là » ou encore « Je voulais absolument

    savoir ce qui se passait ensuite ! J’ai lu le deuxième tome et je l’ai

    adoré ». J’étais curieuse, alors j’ai mémorisé l’illustration sur la

    couverture et le titre. »

  • Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit

    27

    Hiyuki s’était alors lancée à la recherche de ce livre dans les

    librairies. Elle abandonna après avoir visité celles autour de chez

    elle. Dans chaque nouvelle boutique, le livre était introuvable. En

    plus, son téléphone ne faisait que SMS et appel. Sa grand-mère

    avait décrété que toute autre fonction était inutile. Il n’y avait

    aucun ordinateur dans sa maison et, à l’époque, elle ne connaissait

    pas les webcafé. Elle n’avait pas non plus d’amis proches. Hiyuki

    ne savait pas à qui elle pouvait demander où est-ce qu’elle pouvait

    l’acheter et elle était trop timide pour demander directement aux

    commerçants.

    « Je suis quelqu’un qui peut paraître lugubre et effrayant, alors

    tout le monde préfère m’éviter. »

    Personne ne l’évitait. Elle était tout simplement trop belle et

    trop raffinée. Elle semblait venir d’un autre monde. Voilà

    pourquoi ses camarades hésitaient à l’approcher. Hiyuki, par

    contre, semblait croire qu’ils la détestaient.

    À ces pensées, Ao se sentit un peu gêné et nerveux, mais il

    préféra se taire et continuer de l’écouter. Tout d’un coup,

    l’expression de Hiyuki s’illumina doucement.

    « Mais, une fois j’ai regardé un catalogue dans une librairie.

    Et j’ai enfin trouvé le livre. »

    Il ne se trouvait pas dans la section de la littérature classique

    mais dans celle des bandes dessinées. Hiyuki était très heureuse

    quand elle avait pris le livre en main. On aurait dit qu’elle venait

    de cueillir une fleur légendaire. Elle était captivée jusqu’à ce

    qu’elle rentre chez elle.

    « Avant, je ne lisais que des romans recommandés dans les

    manuels. Puis, quand j’ai vu ces illustrations, ces changements de

    taille de la police ainsi que des pages entièrement vierges, j’ai été

    très surprise… Penser que de tels livres pouvaient exister, et avec

    une telle écriture… »

    Hiyuki souriait en évoquant ce souvenir. Elle avait des

    étincelles dans les yeux et ses joues avaient rougi. À l’entendre, il

    était clair que ce fut un moment très émouvant pour elle.

  • Manuscrit

    28

    Cela rappela à Ao l’excitation qu’il avait ressentie lorsqu’il

    avait lu pour la première fois un light novel chez son oncle.

    L’opinion qu’il en avait fut complètement bouleversée. Les

    univers qui s’imposaient à lui dans ces livres étaient si nouveaux,

    si inspirants. C’était comme si les personnages de l’histoire lui

    parlaient en face.

    Hiyuki évoquait ses premières lectures le sourire aux lèvres,

    des étoiles dans les yeux. Ao sentit son cœur battre plus fort.

    « Les livres que j’ai dû lire pour faire des rédactions à l’école

    ne racontaient que des histoires tristes. Quand les personnages

    souffrent, je me sens mal pour eux. Ça ne me donnait pas très

    envie de continuer à lire. Mais quand j’ai lu ce livre, c’était tout le

    contraire. Il était rempli de bonheur et de scènes joyeuses. Et

    même quand des événements tristes arrivaient, ils finissaient

    toujours par s’arranger. La façon de parler des personnages

    ressemble tellement à la nôtre aussi. J’avais des fois l’impression

    de discuter avec eux. J’étais vraiment heureuse. Je l’ai fini en très

    peu de temps. Ce livre m’a littéralement captivée. Impossible de

    m'arrêter.

    — C’était quoi le titre de ce livre ?

    — Les Chroniques du Brave.

    — Je vois. » répondit Ao.

    Il s’agissait de l’histoire d’un lycéen appelé dans un monde

    alternatif où on suivait ses aventures. Une œuvre populaire écrite

    dans un style très libre, un grand classique parmi les light novels.

    Il avait même été adapté en anime. En termes de développement

    des personnages, le livre était très bien. Que ce soit le personnage

    principal ou les personnages secondaires, chacun possédait un

    caractère propre et bien défini. L’histoire ne manquait pas de

    charme et les retours des lecteurs étaient excellents. Les

    changements de typographie étaient très nombreux. Certains ont

    même déclaré que l’utilisation de différentes tailles de police avait

    augmenté suite à la parution des Chroniques du Brave.

    C’était à la fois très apprécié par certains et discrédité par

    d’autres. Mais Ao comprit pourquoi Hiyuki avait été charmée par

  • Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit

    29

    les light novels après avoir lu Les Chroniques du Brave. Cela

    expliquait également pourquoi son écriture était pleine de

    variations typographiques.

    « Moi aussi je veux écrire une histoire qui apporte beaucoup

    de joie et d’euphorie. J’ai donc commencé à écrire des light

    novels après les examens. Je les écrivais à la main à l’époque…

    Mais c’était amusant. J’avais l’impression d’être le personnage

    principal. Je me promenais dans le monde des light novels. Dans

    mes histoires, je pouvais parler à tout le monde. Je pouvais

    rassembler mes amis pour partir à l’aventure avec eux. J’adorais

    ça. »

    L’expression de Hiyuki s’assombrit. Ses sourcils retombèrent.

    Ses lèvres auparavant souriantes devinrent sans vie. Elle semblait

    à nouveau si solitaire.

    « Mais les manuscrits que j’ai soumis n’ont jamais passé le

    premier tour. Les commentaires des examinateurs disaient « Le

    personnage principal est trop cliché et sa personnalité est

    désagréable. Il sera difficile pour les lecteurs de lire cette histoire.

    L’écriture est brute et immature. L’ensemble donne un rendu

    arrogant ». Après avoir lu ces commentaires, je me suis rendu

    compte que j’étais la seule à être heureuse de travailler sur ces

    projets. Tous ont estimé que le personnage principal était mauvais

    et que ma façon d’écrire était trop présomptueuse. J’étais

    tellement triste… » raconta Hiyuki d’une voix de plus en plus

    basse.

    Ao sentit une douleur sourde lui ronger le cœur.

    Ces examinateurs n’auraient jamais dû écrire de tels

    commentaires. Qu’ils aient trouvé son manuscrit désagréable ou

    pas, ça reste une opinion personnelle. Comment ont-ils pu la

    critiquer à ce point ?

    Vu que c’était des experts qui avaient écrit ces commentaires,

    c’est que cela devait être vrai. Et une autrice comme Hiyuki, avec

    une faible estime d’elle-même, n’a pas dû penser une seule

    seconde qu’ils avaient tort.

  • Manuscrit

    30

    « Alors, si je peux écrire une histoire qui passera le premier

    tour de sélection, ça voudra dire que je ne suis pas une personne

    désagréable ou présomptueuse. » continua-t-elle, les yeux baissés.

    C’est pour ça qu’elle a tant insisté pour que je l’aide. C’est

    pour que son histoire puisse passer le premier tour.

    Quand il pensa dans quel état de détresse elle devait se

    trouver, Ao sentit la douleur dans sa poitrine s’accentuer.

    Quand son dernier manuscrit a été refusé, ça lui a forcément

    rappelé les commentaires péjoratifs qu’elle avait reçus. Et si les

    commentaires qui allaient avec étaient tout aussi méchants, elle a

    vraiment dû en souffrir.

    Cela ne valait pas seulement pour son histoire. Hiyuki devait

    se sentir de plus en plus rejetée.

    « Très bien, il faut absolument qu’on passe le premier tour de

    sélection avec ce manuscrit. » déclara Ao pour encourager son

    amie.

    Les yeux de Hiyuki s’illuminèrent alors qu’elle relevait la tête

    vers le jeune homme. Un léger doute semblait persister dans son

    regard.

    « Est-ce que je vais vraiment y arriver ?

    — Eh bien, nous allons tout faire pour. » répondit Ao en

    souriant.

    Hiyuki le fixa quelques instants et finit par murmurer un

    « Oui » avec un léger hochement de tête. Elle baissa de nouveau

    le regard. Les souvenirs de tous ces commentaires semblaient

    encore bien ancrés en elle.

    Ce serait vraiment génial qu’elle puisse passer le premier tour

    de sélection et avoir un peu plus confiance en elle.

    ***

    Après être passé chez lui, Ao apporta du chou, des carottes et

    de la salade préparés par sa mère à son oncle.

    « Saku, tu as déjà fait une dépression ? Par exemple, parce que

    l’un de tes jeux n’a pas eu le succès que tu escomptais et qu’il a

  • Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit

    31

    au contraire reçu une mauvaise critique ? Dans ce cas, qu’est-ce

    que ton entourage peut te dire pour te réconforter ?

    — Lorsque ça arrive, je maudis mon responsable commercial,

    tout simplement. « Va crever ! Idiot ! Connard ! » Ensuite, on

    oublie. Même si l’héroïne principale fait des actions qui ne

    plaisent pas aux joueurs, et si plusieurs critiques me tombent

    dessus, qu’est-ce que je peux y faire ? Ce n’est pas ma faute si elle

    agit comme une salope. Je n’ai pas que ça à faire de prendre leurs

    menaces de boycott au sérieux. Je finirais par me tuer sinon. Je

    dois au contraire les remercier, « Bande de bâtards stupides,

    incapables d’être populaires avec des filles réelles ! Abrutis ! » Et

    ça suffit. Pourquoi s’embêter à vouloir discuter avec eux ? Je n’ai

    pas le temps pour ça ! »

    Peut-être qu’il n’aurait pas dû demander conseil à son oncle.

    Ao était perdu. Si Hiyuki avait un caractère aussi fort que

    Sakuratô, elle aurait pu mener un groupe de sous-fifres et devenir

    la reine du lycée en jouant de sa beauté. Il valait mieux au

    contraire qu’elle reste elle-même et qu’elle se concentre sur son

    histoire. Ao préférait imaginer une Hiyuki souriante avec son joli

    grain de beauté. Il reprit ses esprits.

    « Eh bien Ao ? C’est pour une histoire de filles que tu me

    poses cette question ?

    — Pourquoi tu parles encore de ça ! Je ne t’ai rien précisé !

    — Tu cherches une astuce pour encourager une fille un peu

    déprimée, n’est-ce pas ?

    — Je te le répète, il ne s’agit pas de ça !

    — C’est très simple, il suffit d’être compatissant. Tu n’as qu’à

    dire « Je serai toujours à tes côtés, toujours ». C’est cliché, mais

    ça marche. Elle ne te résistera pas. Et en moins de trois rendez-

    vous, tu pourras lui dire « Et si on sortait ensemble ? ». Et puis

    vous vous enlacerez très fort.

    — Comme si ça allait arriver ! »

    Après avoir déposé les plats, Ao se dépêcha de quitter

    l’appartement de son oncle.

  • Manuscrit

    32

    ***

    Le lendemain, Ao et Hiyuki se retrouvèrent après les cours.

    « Hier, nous avons organisé la trame de l’histoire. Aujourd’hui

    nous allons nous concentrer sur le personnage principal.

    — Oui. »

    Ao avait cette fois commandé un thé vert au jasmin tandis que

    Hiyuki avait repris une infusion de chrysanthème. Quand la jeune

    fille entendit ce sur quoi ils allaient travailler aujourd’hui, ses

    épaules s’effondrèrent.

    « Nous parlons donc d’un personnage solitaire qui arrive dans

    un monde alternatif.

    — Oui…

    — Le personnage est quelqu’un de très solitaire dans son

    monde d’origine. C’est bien ça ?

    — Oui…

    — Pourquoi ? »

    Hiyuki poussa un soupir.

    « Parce qu’il a mauvais caractère… Il ne discute pas avec son

    entourage… Il regarde les autres d’une manière un peu bizarre. Et

    les regarder est déjà une épreuve pour lui. » Hiyuki n’arrêtait pas

    de jouer avec son crayon, celui avec l’embout en forme de requin-

    liche, pour se calmer. « Un tel personnage principal avec aussi peu

    de charme… Tu ne crois pas que les lecteurs vont avoir du mal à

    l’apprécier ? C’est ce qui était marqué dans les commentaires…

    — C’est vrai. »

    La jeune fille se mit à trembler de tout son corps après la

    réponse directe d’Ao. Elle baissa la tête, un peu abattue.

    « Mais si ça ne dépendait que de moi, j’ajouterais autre chose.

    Essaye de faire ressortir le charme du personnage dans ton

    écriture.

    — Son charme ? Tu trouves que mon personnage principal est

    attachant ? » demanda la jeune fille, surprise.

    « Bien sûr, je parle du personnage principal de Seul, je suis

    venu dans un monde parallèle. Je suis devenu le héros, le roi

  • Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit

    33

    démon et l’empereur d’un harem paradisiaque. Lui, il ne manque

    pas de charme. »

    Les joues de Hiyuki commencèrent à prendre une teinte

    légèrement rouge.

    « Tu mens.

    — Je ne mens pas. Au début de l’histoire, le héros se fait

    renverser par une voiture. Il s’excuse bien en pensée auprès du

    conducteur ? « Désolé que vous m’ayez heurté, vieil homme ». Je

    m’en souviens. Pour penser de cette façon, c’est que le

    personnage principal est quelqu’un de bien. C’est ce que j’ai

    ressenti. »

    Hiyuki resta silencieuse. Ses yeux clairs reflétaient ses doutes.

    Elle était l’autrice de ce manuscrit. En l’écrivant, elle a dû se dire

    que son personnage était sans intérêt. C’était pour cela qu’elle ne

    pouvait pas croire les paroles d’Ao. Cependant, ce n’était pas un

    mensonge. Ao était très sérieux et il reprit ses explications.

    « Ce serait dommage que le lecteur ne saisisse pas le charme

    de ce personnage. Il faut essayer de mieux décrire le héros, pour

    faire en sorte qu’il soit compris.

    — Et qu’est-ce que je dois faire pour ça ?

    — Comment le héros explique-t-il le fait qu’il soit seul et isolé

    des autres ?

    — Il voudrait être capable d’aller facilement vers les autres et

    leur parler. Mais il n’ose pas interrompre ses camarades qui

    bavardent joyeusement… Il craint que les autres soient gênés s’il

    s’invitait dans leurs conversations…

    — D’accord. Maintenant, note en détail les pensées du

    personnage. Au lieu d’écrire « Je suis un personnage solitaire et

    inutile », il vaudrait mieux expliquer pourquoi il est solitaire. Que

    pense-t-il de sa situation, quel est son point de vue sur ce qui

    l’entoure… Comme ça, le lecteur saura pourquoi il est troublé. La

    solitude n’est pas un sentiment qu’on souhaite éprouver au cours

    de sa vie. Il y aura donc beaucoup de lecteurs qui s’identifieront à

    ce personnage. » Un silence s’ensuivit. « Si on raconte l’histoire

    d’un héros qui veut découvrir un monde nouveau, se faire des

  • Manuscrit

    34

    amis et tomber amoureux, on va à coup sûr faire ressortir ses bons

    côtés. Si on fait en sorte que le lecteur s’attache à lui, il l’aimera

    et il voudra l’encourager. »

    Ao termina sa plaidoirie. Hiyuki le fixa quelques instants, en

    silence. Puis, elle s’empara de son crayon.

    « Je vais essayer. » finit-elle par dire.

    Elle se mit à écrire d’un air sérieux.

    Qu’est-ce qu’elle pense de mes conseils ? Est-ce que ça va

    l’aider à y voir plus clair ? Est-ce qu’elle va au moins les

    accepter malgré les avis contraires qu’elle a lu auparavant ?

    Ao avait une certaine appréhension. Il continua à parler.

    « Maintenant qu’on a le personnage principal, passons à

    l’héroïne.

    — Et si on mettait quatre ou cinq héroïnes ? S’il y a plus de

    filles… Ça serait plus élégant et animé.

    — Est-ce que ça aussi tu le tiens des commentaires que tu as

    reçus ? »

    Hiyuki hocha la tête.

    — On m’a dit que « La présence d’un seul personnage féminin

    rend le récit trop monotone. Pourquoi ne pas insérer plus de

    personnages féminins qui se battraient pour obtenir le cœur du

    héros ? L’histoire en serait plus animée ». Ça faisait partie des

    commentaires.

    — Hmm, pourquoi pas. Ça peut parfois être efficace. Mais

    dans cette histoire, on pourrait partir sur une seule héroïne.

    Qu’est-ce que tu en penses ?

    — Je préfère qu’il n’y ait qu’un seul personnage féminin…

    — Ok, parlons-en alors. Tu voudrais quel genre de

    personnalité pour elle ?

    — Qu’elle soit douce, gentille… Je… Est-ce que ça ira si je

    veux qu’elle soit un peu sensuelle ?

    — Eh, euh comment dire… » murmura le jeune homme, un

    peu troublé et hésitant.

    Hiyuki baissa la tête. Elle était rouge de honte.

  • Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit

    35

    « J’ai déjà eu « L’héroïne a un bon caractère. Je vous suggère

    d’insérer des scènes de description de son apparence physique

    pour laisser une forte impression aux lecteurs ». C’était dans une

    autre fiche de commentaires.

    — Euh, ça dépend de l’histoire. Par contre, évite d’insérer des

    scènes avec une montagne de culottes rayées, s’il te plaît.

    — D’accord… »

    Ainsi, ils avaient terminé de créer les personnalités des deux

    personnages principaux de l’histoire. Ils choisirent ensuite les

    caractères des personnages secondaires et des requins-liches.

    Les adolescents passèrent plusieurs jours à mettre en place

    l’histoire. Au bout d’une semaine, ils avaient accumulé cinq

    tampons sur leur carte de fidélité du salon de thé.

    « Bien, nous avons maintenant défini le cadre de l’histoire

    ainsi que les caractères des personnages.

    — Oui. Quand je pense que nous avons décidé de chacune des

    scènes de l’histoire rien qu’en discutant… Je n’aurais jamais cru

    que ça serait aussi facile. » répondit Hiyuki le sourire aux lèvres.

    C’était donc l’histoire d’un lycéen solitaire qui se retrouve

    transporté dans un monde alternatif. Dans ce monde, les requins-

    liches étaient les compagnons des humains. Ils entretenaient de

    très bonnes relations. Le garçon faisait la rencontre d’une héroïne

    au caractère doux et d’un requin-liche, qui était, au contraire,

    assez froid. Leur relation s’améliorerait avec le temps au travers

    de diverses péripéties. Le personnage principal se posait des

    questions sur les différences entre ce monde et celui d’où il

    venait. Il apprenait, sous la tutelle de la jeune fille, à monter à

    requin-liche. Ils allaient ensemble à un festival pour admirer une

    course de requins et passaient ensuite une magnifique soirée sur la

    plage. L’histoire était racontée sur un ton doux et chaleureux.

    « Maintenant, il faut s’attaquer à l’écriture. Tu préfères tout

    écrire avant de me laisser vérifier, ou bien tu préfères y aller plus

    doucement ? Que j’examine un chapitre à la fois, par exemple ?

  • Manuscrit

    36

    — Un chapitre à la fois, est-ce que ça te convient ? Si tu es

    trop occupé, tu peux aussi tout lire lorsque j’aurai fini. » répondit

    Hiyuki, un soupçon d’inquiétude dans la voix.

    Par rapport au premier jour, la jeune fille était bien plus

    ouverte à la discussion. Elle était aussi plus souriante, mais elle

    montrait encore une expression bien sombre de temps à autre. Ao

    la rassura.

    « Ne t’en fais pas. Même si tu n’as pas terminé un chapitre, ou

    si tu te retrouves bloquée à mi-chemin, viens me voir. Laisse-moi

    lire pour que nous puissions en discuter ensemble.

    — J’aime autant… Merci. »

    Hiyuki rougit. Elle préféra regarder par terre pour cacher son

    visage. La zone autour de son grain de beauté restait quand même

    visible, et elle avait pris la même teinte. Chaque fois qu’Ao la

    voyait dans cet état, son cœur s’emballait. Pour cacher son

    trouble, il tentait de parler à la manière d’un enseignant, mais il

    n’était pas aussi détendu qu’il voulait le faire croire.

    « Sinon, tu vas utiliser le même style d’écriture ? »

    Hiyuki se raidit. L’air un peu mal à l’aise, elle regarda le jeune

    homme.

    « J’ai style enfantin, c’est ça ? »

    L’usage de différentes tailles de police, de plusieurs signes de

    ponctuation et d’onomatopées lui avait été sévèrement critiqué à

    chaque fois. Cela la préoccupait beaucoup bien qu’elle tînt à

    écrire de la même manière. Elle avait insisté pour continuer à sa

    façon.

    « Pas du tout. » répondit Ao en se voulant rassurant. « Les

    examinateurs qui critiquent l’utilisation de différentes tailles de

    police, et qui considèrent son usage comme enfantin, sont eux-

    mêmes puérils. Leur façon de penser est superficielle. C’est bien

    en lisant Les Chroniques du Brave que tu as aimé ce style,

    Hiyuki ?

    Elle regarda le jeune homme et lui répondit de manière plus

    ferme.

    « Oui. »

  • Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit

    37

    — Dans Les Chroniques du Brave, il y a beaucoup de tailles

    de police différentes. L’accumulation de signes de ponctuation

    peut même sembler excessive. Même chose pour les

    onomatopées.

    — Oui.

    — Et pourtant, beaucoup de gens l’ont trouvé bouleversant et

    sensationnel. Et l’adaptation en anime a fait fureur pendant

    plusieurs mois.

    — C’est vrai.

    — Est-ce tu penses que les changements de taille de la police

    et les multiples signes de ponctuation dans Les Chroniques du

    Brave sont inutiles ? »

    Hiyuki secoua énergiquement la tête. Ses longs cheveux bruns

    se balançaient.

    « Non.

    — Alors, si tu veux continuer d’écrire comme tu le sens, tu

    n’as pas à renoncer à ton style. »

    — Alors, si je le souhaite… Il n’y a pas de soucis si j’utilise

    plusieurs tailles de police ? » demanda-t-elle franchement.

    « Non ! Une fois, je suis tombé sur un manuscrit qui employait

    le changement de taille de la police pour marquer profondément le

    lecteur. Ce serait super que tu puisses surprendre les lecteurs de la

    même façon.

    — Et pour les signes de ponctuation ?

    — Utilise-les autant que tu veux ! Dans le troisième volume de

    La dernière balle céleste, il y avait un tas de signes de

    ponctuation. Ça a mené une scène de guerre à son apogée ! Le

    rendu était incroyable !

    — Et pour les onomatopées ?

    — Je ne vois pas de soucis à ce que tu mettes un « Bam »

    lorsque le moment est bien choisi. Ça aura encore plus d’impact.

    Utilise à bon escient les onomatopées pour montrer que tu as eu

    l’inspiration !

    — Et tu ne vois pas de problèmes à ce que je laisse des pages

    vierges ?

  • Manuscrit

    38

    — Aucun ! Laisser des blancs, ça aère la lecture, et j’adore

    ça ! Quand Raven tombe d’une falaise dans Les Chroniques du

    Brave, les deux pages suivantes sont vierges. Je me souviens

    encore de l’appréhension que je ressentais en tournant les

    pages ! »

    Chaque fois que Hiyuki posait une question, elle semblait

    légèrement inquiète. Ao savait la rassurer en souriant et en lui

    donnant un exemple convaincant.

    « Ce qui est bien dans un light novel, c’est la liberté, surtout

    en termes de format. Souvent, le style rompt avec la plupart des

    conventions, ce qui surprend très souvent le lecteur. Alors va !

    Fais ce que tu veux ! Écris ce que tu veux ! Les écrivains

    pourraient avoir des restrictions mais, toi, tu es l’autrice de ton

    propre manuscrit ! Il te suffit d’écrire ce qui te plaît ! J’espère

    vraiment que tu sauras transmettre tes sentiments aux jurés qui

    liront ton travail.

    — Et qu’est-ce que je dois faire pour les leur transmettre ? »

    demanda Hiyuki, ne tenant plus en place.

    « C’est simple ! Ne réfléchis pas. Profite juste de l’instant.

    Comment partager tes émotions avec le lecteur ? Tu dois travailler

    dur, réfléchir aux mots que tu emploies et revoir le tout. Après,

    peu importe que ton style d’écriture manque de profondeur. Et si

    un examinateur critique ce fait, ignore-le. »

    Sakuratô hurlait toujours contre son écran quand ses jeux

    vidéo étaient critiqués. Puis, il passait outre parce qu’il avait

    encore beaucoup de travail et des problèmes sous la ceinture à

    régler.

    S’ils veulent la critiquer, alors qu’ils le fassent. C’est tout.

    Ao ne voulait pas que Hiyuki ait l’esprit aussi fermé que son

    oncle. Il voulait qu’elle gagne petit à petit en confiance en elle

    pour qu’elle soit capable de faire ce qu’elle voulait à l’avenir.

    Hiyuki écoutait Ao, l’air légèrement étourdie, puis hocha la

    tête avec vigueur.

    « Je ferai de mon mieux.

    — Parfait, c’est le bon état d’esprit. »

  • Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit

    39

    Ao continua de lui donner certains conseils avec le sourire. Il

    ne pouvait pas évoquer tous les sujets, vu qu’il n’était pas auteur

    lui-même. Mais cela ne l’empêchait pas de lui parler de tout ce

    qu’il avait pu voir en tant qu’examinateur.

    « J’espère que tu utiliseras différentes tailles de police, comme

    on l’a dit. Mais attention, si tu en fais trop, le lecteur risque d’être

    lassé. Je pense qu’il vaudrait mieux les utiliser pour donner un

    effet. Par exemple, dans Seul, je suis venu dans un monde

    parallèle. Je suis devenu le héros, le roi démon et l’empereur d’un

    harem paradisiaque, tu as pris une page entière pour la phrase

    « Je suis déjà mort ». J’ai trouvé ça génial. Essaye de le refaire

    dans le prologue cette fois-ci.

    — Ah oui ? » murmura Hiyuki, confuse. « Je pensais que ça

    faisait trop…

    — Pas du tout ! Ou alors, peut-être que ce sera rendrait mieux

    sur deux pages. Comme ça il y aura une double-page.

    — Hein ?

    — Mais les manuscrits ne peuvent pas être envoyés sous ce

    format. On ne peut écrire que sur des pages simples. Il n’y a donc

    aucun intérêt à le faire, c’est dommage… On n’utilisera qu’une

    seule page alors.

    — Tu… Tu es sûr qu’on a le droit de faire ça ?

    — Oui ! D’ailleurs, pour mieux mettre les différentes tailles de

    police en valeur, est-ce que ça t’irait d’écrire le prologue dans un

    style plus classique ? La scène où le héros meurt dans un accident

    de voiture est facile à comprendre. Je te suggère de la revoir en

    gardant le passage où il s’excuse dans ses pensées.

    Personnellement, j’aurais aimé que cette scène soit un peu plus

    détaillée. Par contre, n’utilise pas d’onomatopées, ni plusieurs

    signes de ponctuation, ni plusieurs tailles de police différentes.

    Contente-toi de décrire la scène, tout simplement. Et lorsque le

    lecteur tournera la page, il verra toute une page avec la seule

    phrase « Je suis déjà mort ». Le contraste sera évident ! Ce sera

    une belle surprise ! »

  • Manuscrit

    40

    L’expression de Hiyuki s’éclaira au fur et à mesure de ses

    paroles.

    « D’accord, je vais essayer. »

    ***

    Chaque fois que Hiyuki finissait un chapitre, elle l’enregistrait

    sur une clé. Ao l’imprimait pour le lire. Ils se retrouvaient ensuite

    pour qu’il lui fît part de ses commentaires. Ainsi, le prologue fut

    réécrit quatre fois.

    « Le début de l’histoire est d’une importance capitale pour

    faire passer ton manuscrit au second tour. Il doit donner envie à

    l’examinateur. Il faut qu’il pense « Ouah, celui-ci pourrait passer

    au deuxième tour ». Après, l’examinateur continuera de lire avec

    cette idée à l’esprit, s’il n’y a pas d’incohérence dans la suite de

    l’histoire. D’après mon expérience, les manuscrits avec de bons

    incipit ont beaucoup de chances de passer au deuxième tour. Au

    contraire, si le début de l’histoire manque de rythme et est

    illisible, l’examinateur va se dire « Ça ne va pas le faire » pendant

    tout le reste de la lecture. Même si l’histoire prend vie peu à peu,

    les examinateurs préféreront sélectionner des manuscrits avec un

    début plus entraînant. À part ça, ton écriture est plus claire et plus

    fluide après les corrections. Mais nous pouvons encore

    l’améliorer. Peut-être qu’on pourrait travailler sur le contenu. Par

    exemple… »

    Ao et Hiyuki avaient fait du salon de thé discret leur lieu de

    travail privilégié. L’adolescente écoutait Ao attentivement alors

    qu’elle le fixait avec sérieux à travers la vapeur de son infusion de

    chrysanthème. Statique, immobile, aussi concentrée que devant un

    tableau noir, elle redevenait la fille froide qu’elle était au lycée.

    « Cette réplique de Cyan renforce son côté gentil et doux.

    C’est très bien écrit. » dit Ao pour complimenter l’héroïne de

    l’histoire et l’écriture de son autrice. Les joues pâles de Hiyuki

    rosirent et un léger sourire apparut sur ses lèvres.

  • Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit

    41

    Chaque fois qu’elle souriait de cette façon si particulière, Ao

    était ravi et son cœur s’emballait. Il espérait que ce sourire

    apparaisse plus souvent. Sous l’aura mature et distante qui planait

    autour d’elle, Hiyuki était soucieuse de bien faire. En fait, elle

    souffrait d’un gros manque de confiance en elle, ce qui étonnait

    beaucoup le jeune homme.

    Une fille si belle avec un bulletin de notes digne de la

    première de la classe… Hiyuki devrait avoir une plus grande

    estime d’elle-même. Si elle pouvait sourire plus souvent avec un

    tel naturel, ce serait un exploit. Nos camarades, ceux qui la

    surnomment « la reine de glace », ne pourraient pas lui résister et

    ils tenteraient de mieux la connaître.

    Seulement, Ao était le seul à savoir qu’elle pouvait être très

    charmante rien qu’en souriant. Il voudrait bien garder le secret,

    pour lui tout seul. Il ne savait plus quoi penser. Des sentiments

    plus contradictoires les uns que les autres se bousculaient dans sa

    tête.

    « La double ponctuation est bien placée ici. Ça fait ressortir

    l’effervescence des piétons. Si tu pouvais accentuer la description

    de la rue où a eu lieu l’accident, tu laisseras une marque plus

    profonde dans l’esprit du lecteur.

    — D’accord. » répondit Hiyuki, qui en prit note sur son cahier.

    « Le requin-liche Lessie qui devient le compagnon de Subaru,

    le personnage principal, est vraiment bien. Elle est facilement

    irritable, mais assez douce au fond. Si tu pouvais faire en sorte

    qu’elle s’agite un peu lorsqu’elle est embarrassée, elle serait

    encore plus attachante. Par exemple, elle pourrait éclabousser les

    gens avec sa queue.

    — J’y penserai.

    — Jacqueline, l’amie de Cyan, a l’air déraisonnable et un peu

    inquiétante. Mais elle a quand même bon cœur. Le plus drôle,

    c’est quand elle est ravie que Cyan lui apporte son gâteau au

    chocolat préféré. C’est l’un des passages les plus mignons de ce

    chapitre. Essaye de le décrire un peu plus.

    — D’accord.

  • Manuscrit

    42

    — J’aime beaucoup le directeur de la poste, Jester. Ajoute une

    petite scène pour montrer son caractère stable et posé. Ça fera

    bonne impression auprès du lecteur et le personnage sera plus

    crédible lorsqu’il interviendra dans la seconde partie de l’histoire.

    — Je comprends.

    — Tous les amis de notre héroïne sont de bonnes personnes.

    En plus, ils soutiennent tous Subaru en secret et il en est très

    touché. Au lieu des signes de ponctuations, ajoute plus de

    dialogues pour que le lecteur se sente encore plus immergé dans

    l’histoire. Et il faut que tu décrives cette partie avec plus de

    détails. Ça laisserait une impression plus profonde qu’avec les

    onomatopées seules. Par contre, tu pourrais les utiliser à fond pour

    la course de requins. Cette scène aura alors plus d’impact.

    Cette fois, Hiyuki garda le silence.

    « Ah, désolé Hiyuki. Si tu avais d’autres idées en tête, tu n’as

    pas besoin de te forcer à écrire ce que je dis.

    — Non, ce n’est pas ça. » dit-elle en secouant énergiquement

    sa tête. « Je pense que tes conseils valent la peine d’être écoutés.

    Et puis, ils sont très pertinents. Et… Je te remercie pour tes

    compliments. »

    La jeune fille rougit tant elle était embarrassée.

    « Je dis juste ce qui me vient à l’esprit. » répondit Ao tout

    gêné.

    « Oui. » dit-elle en hochant doucement la tête. Après quelques

    instants, elle reprit contenance et l’un de ses rares sourires apparut

    sur ses lèvres. « Je sais que tu ne fais pas tout ça par simple

    courtoisie. Tu me donnes tous ces bons conseils pour m’aider à

    progresser, pour que j’écrive mon histoire. En fait… Tu es ce

    genre de personne.

    — Hmm ? Et quel genre de personne tu pensais que j’étais ? »

    s’étonna Ao un peu inquiet.

    Hiyuki poursuivit doucement.

    « Quels que soient les manuscrits, les personnes ou les objets,

    tu arrives à leur trouver des qualités et à les aimer.

  • Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit

    43

    — Oh, tu trouves ? Ce n’est pas comme si j’aimais de tout non

    plus. »

    Hiyuki regarda le jeune homme avec des yeux étincelants qui

    faisaient fondre son cœur d’adolescent.

    « Ao… Tu ne détestes personne, n’est-ce pas ?

    — C’est vrai que je n’ai jamais rencontré quelqu’un contre qui

    j’étais vraiment énervé… Mais il m’arrive de me sentir

    malheureux ou en colère.

    — Et peu importe qu’une histoire soit enfantine ou ennuyeuse,

    tu arrives à en profiter… Tu trouves que toutes les histoires ont de

    l’intérêt, Ao ?

    — Oui ! Toutes ! »

    Alors qu’il lisait les manuscrits jonchés sur le sol de

    l’appartement de son oncle, Ao lui avait répondu la même chose

    sans aucune hésitation. Pour une certaine raison, les mots de

    Hiyuki lui rappelèrent cette scène. Peu importe le type de travail,

    Ao avait hâte de le lire et il le trouverait intéressant. Des histoires

    qui avaient été mal pensées dès le départ, d’autres un peu

    immatures, des manuscrits avec des défauts manifestes ou des

    lacunes évidentes, voire des œuvres qui au contraire démontraient

    un réel style d’écriture… Quel que soit le type de travail, chacun

    d’entre eux avait son mérite et Ao tournait les pages avec joie. Il

    ne comprenait pas ce sentiment d’ennui que pouvaient ressentir

    les autres lorsqu’ils lisaient. « Alors, c’est ça… Tu en es sûr ?

    Toutes ces histoires sont intéressantes ? » avait murmuré

    doucement son oncle, avec une voix et une expression des plus

    sombres.

    En ce moment, par-dessus son infusion de chrysanthème,

    Hiyuki regardait Ao droit dans les yeux. Comme son oncle à

    l’époque, son expression était sombre et amère.

    « Ao… » marmonna Hiyuki d’une voix triste.

    Pourquoi Hiyuki me regarde-t-elle comme ça ? Pourquoi a-t-

    elle de nouveau l’air si seule ?

    « Tu es une personne intelligente et pleine d’esprit. »

  • Manuscrit

    44

    Ao sentit une douleur sourde dans sa poitrine. Pourquoi son

    cœur lui faisait-il aussi mal ? Le garçon ne comprenait pas.

    Hiyuki le louait, mais elle ne semblait pas heureuse du tout.

    C’était pareil pour Ao. Il ne ressentait ni joie ni satisfaction en

    entendant ces compliments. Au contraire, un fort sentiment de

    malaise le tenaillait.

    « Je te remercie. C’est la première fois que quelqu’un me fait

    de tels éloges. » dit-il en feignant d’être timide pour détourner les

    yeux de sa camarade.

    Hiyuki se tut aussi.

    « Euh, où en étions-nous ? Ah, c’est vrai, nous parlions de la

    course de requins. Mets plus d’onomatopées et de détails dans

    cette scène. » Pour balayer l’atmosphère gênante qui s’était

    installée, Ao parla un ton plus joyeux. « On v