Making It: l'industrie pour le développement (#7)

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Making It L’industrie pour le développement 3e trimestre 2011 un monde globalisé n Dani Rodrik n Indonésie : Nettoyer le fleuve n Solar Sister n Mark Malloch Brown n Bangladesh Gouverner

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Nous vivons clairement dans un monde multipolaire. Il n’est plus possible d’isoler les risques et les fragilités complexes auxquels nous sommes confrontés, ni de trouver des solutions nationales aux défis mondiaux. Une réponse diversifiée et multipolaire est nécessaire.

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MakingItL’industrie pour le développement

3e trimestre 2011

un mondeglobalisé

n Dani Rodrikn Indonésie :

Nettoyer le fleuven Solar Sistern Mark Malloch

Brownn Bangladesh

Gouverner

Un magazine trimestriel. Stimulant, critique etconstructif. Forum de discussion et d’échange aucarrefour de l’industrie et du développement.

NUMÉRO 1, DÉCEMBRE 2009lWe must let nature inspire us– Gunter Pauli presents analternative business model thatis environmentally friendly andsustainable lHot Topic: Is itpossible to have prosperitywithout growth? Is ‘greengrowth’ really possible?

NUMÉRO 2, AVRIL 2010lNobuo Tanaka de l’Agenceinternationale de l’énergiecherche à lancer la transitionénergétique de l’industrie l L’énergie pour tous » : KandehYumkella et Leena Srivastava nousparlent des mesures à prendrepour améliorer l’accès à l’énergie

NUMÉRO 3, JUILLET 2010l L’impressionnant essoréconomique de la Chine :Entretien avec le ministre ducommerce, Chen Deming l« Vers un débat plus productif »– Ha-Joon Chang demanded’accepter l’idée que la politiqueindustrielle peut fonctionner

NÚMERO 4, NOVEMBRE 2010lRenforcer la capacité productive– Cheick Sidi Diarra soutient queles PMA doivent, et peuvent,produire davantage de biens et deservices de meilleure qualité lPatricia Francis nous parle duchangement climatique et ducommerce lSujet brûlant : lapertinence de l'entrepreneuriatpour le développementéconomique

NUMÉRO 5, FÉVRIER 2011lUne fenêtre d’opportunitépour le commerce mondial ? –Peter Sutherland évalue lespossibilités de la conclusiond’un accord commercialmultilatéral lEn route vers uneprospérité mutuelle – Xiao Ye sepenche sur les échanges entrel’Afrique subsaharienne et laChine

NUMÉRO 6, AVRIL 2011lAlimenter un mondesurpeuplé – Kanayo Nwanze, duFIDA, soutient qu'il faut donneraux petits exploitants agricolesl'occasion de devenir desentrepreneurs lPaul Bulcke,PDG de Nestlé, à propos de « créer de la valeur partagée » lSujet brûlant : L'efficacitéénergétique conduit-elle àl'augmentation de laconsommation d'énergie ?

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Le monde n’a jamais été aussi interdépendant, aussi façonné par les progrèstechnologiques, économiques et sociaux – et aussi vulnérable aux chocséconomiques et environnementaux et aux échecs politiques. Nos systèmeséconomique, social et politique mondiaux sont soumis depuis longtemps à despressions considérables et l’avenir semble incertain. La crise financière a évoluépassant du resserrement du crédit affectant les hypothèques dans certains paysdéveloppés, à une calamité mondiale touchant les activités financières,manufacturières et les services ; ainsi, nous nous trouvons à présent dans unesituation de fragilité et de risque encore plus importants au niveau mondial.

Les perceptions courantes de la mondialisation se polarisent de plus en plus,avec d’un côté ceux qui la considèrent comme une source de liberté et denouvelles opportunités et de l’autre ceux qui l’associent avec une inégalité et uneinjustice croissantes.

Nous vivons clairement dans un monde multipolaire. Il n’est plus possibled’isoler les risques et les fragilités complexes auxquels nous sommes confrontés,ni de trouver des solutions nationales aux défis mondiaux. Une réponsediversifiée et multipolaire est nécessaire.

Alors que nous nous trouvons à une croisée des chemins des politiques et dela gouvernance mondiales, ce numéro de Making It, l’industrie pour ledéveloppement, offre une sélection de certaines des meilleures contributions à ce

débat en pleine ébullition. Parmi celles-ci figurent l’articleclé du Professeur Dani Rodrik, dans lequel il s’engage dans

une analyse fascinante du paradoxe de lamondialisation, et un entretien empreint de

sincérité avec Mark Malloch Brown, l’ancienSecrétaire général adjoint des Nations Unies,dans lequel il indique comment d’après-lui « devancer l’échec » au cours d’un « siècle de

changement continu et de probablesbouleversements drastiques. »

Outre des articles traitant du sujetprincipal, des contributions

discursives remettent en question lesapproches dominantes des

économistes, débattent des pour etdes contre de l’énergie nucléaire et

analysent le progrès économique duBangladesh.

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Éditorial

Éditeur : Charles [email protected]é éditorial : Ralf Bredel, Tillmann Günther, Sarwar Hobohm,Kazuki Kitaoka, Wilfried Lütkenhorst(président), Cormac O’Reilly et JoRoetzer-SweetlandSite Web et assistance : Lauren [email protected] de la couverture : Maya ZankoulDesign : Smith+Bell, UK –www.smithplusbell.comMerci à Donna Colemanpour son aideImprimé par GutenbergPress Ltd, Malte –www.gutenberg.com.mtsur un papier certifié FSC Pour consulter cette publication enligne et pour participer aux discussionsportant sur l’industrie pour ledéveloppement, rendez-vous surwww.makingitmagazine.netPour vous abonner et recevoir lesprochains numéros de Making It,veuillez envoyer un e-mail contenantvotre nom et votre adresse à[email protected] It: L’industrie pour ledéveloppement est publié parl’Organisation des Nations Unies pourle développement industriel (ONUDI),Vienna International Centre, P.O. Box 300, 1400 Vienne, AutricheTéléphone : (+43-1) 26026-0,Fax : (+43-1) 26926-69E-mail : [email protected] © 2011 The United NationsIndustrial Development Organization Aucun extrait de cette publication nepourra être utilisé ou reproduit sansl’accord préalable de l’éditeurISSN 2076-8508

FORUM MONDIAL6 Lettres8 L’économiste aux piedsnus– Entretien avec ManfredMax-Neef, économiste chiliende renom 10 Sujet brûlant : L’énergienucléaire est-elle nécessairepour un avenir sans carbone ?Débat des écologistes Chris Goodallet José Etcheverry

14Affaires des affaires – actualités et tendances

ARTICLES16 Plus équitable, plus écologique etplus durable – Hedda Oehlberger-Femundsenden soutient que l’initiative «industrie verte » de l’ONUDI peut

s’appuyer sur les succès de lamondialisation, tout en aidant àrectifier ses défauts 18 Entretien : La révolutionmondiale inachevée – MarkMalloch Brown s’exprime sur les défiset opportunités de la mondialisationau XXIe siècle

ARTICLE PRINCIPAL22 Le paradoxe de la mondialisation –Dani Rodrik soutient que lamondialisation fonctionne mieuxlorsqu’elle n’est pas poussée à l’excès

30 Partage non équitable – Thomas Pogge se penche sur lesstatistiques de la pauvreté mondiale etexpose une série de promesses non tenueset d’initiatives faussées

MakingItL’industrie pour le développement

Les appellations employées et la présentationréalisée des contenus de ce magazinen’impliquent en aucun cas l’expressiond’opinions de la part du Secrétariat del’Organisation des Nations unies pour ledéveloppement industriel (ONUDI)concernant le statut légal de quelconque pays,territoire, ville, région ou de ses autorités, niconcernant la délimitation de ses frontières oulimites, ni concernant son systèmeéconomique ou son degré de développement.Les termes « développé », « industrialisé » et «en développement » sont utilisés pour desraisons de commodité statistique et n’exprimepas nécessairement de jugement sur le niveaude développement atteint par un pays ou unerégion en particulier. L’évocation de nomsd’entreprises ou de produits commerciaux neconstitue en aucun cas un soutien de la part del’ONUDI. Les opinions, données statistiques etestimations contenues dans les articles signésrelèvent de la seule responsabilité de l’auteur oudes auteurs, y compris ceux qui sont membresou employés de l’ONUDI. Vous ne devez doncpas considérer qu’elles reflètent les opinions ouqu’elles bénéficient du soutien de l’ONUDI. Cedocument a été produit sans avoir étéofficiellement révisé par les Nations Unies.

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Sommaire

Numéro 7, 3e trimestre 2011

34 Mondialisation, gouvernance etG20 – Jan Wouters et Dylan Geraetssoutiennent que la gouvernance enréseau doit être transparente, inclusive etresponsable36 Zoom sur un pays : Bangladesh –Les industries manufacturière et textileet les travailleuses favorisent le progrèsdans l’un des pays les plus peuplés aumonde, plus un entretien avec DilipBarua, Ministre de l’Industrie40 Nettoyer le fleuve – Prigi Arisandi,lauréat du Prix Goldman pourl’environnement, explique comment unmouvement local contribue à empêcherles industries de polluer le fleuve quitraverse la ville indonésienne deSurabaya

POLITIQUE EN BREF42 Au-delà de la « malédiction desressources » 44 Moteurs du développement

46 Le mot de la fin – Katherine Luceyparle de Solar Sister, une entreprisesociale qui fournit des formations et de l’aide aux femmes pour créer desmicro-entreprises liées à l’énergie solaire

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LETTRES

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À propos del’efficacitéénergétiqueBien que je loue Mme Moscoso-Osterkorn pour sa défense activede l’efficacité énergétique(Making It, numéro 6), je doistout de même noter que lesaffirmations initiales de MMJenkins et Saunders (Sujetbrûlant) restent valables, tout aumoins de mon point de vue. Ilsse concentraient sur les effetsclimatiques de l’efficacitéénergétique – il va sans direqu’ils devraient aussi reconnaîtreaussi que la mise en œuvre del’efficacité énergétique apportepar ailleurs des avantageséconomiques et sociaux.

Leur théorie de « l’effet derebond » se concentraitégalement sur les pays endéveloppement et leur soif dedéveloppement et d’énergiesupplémentaire. La réponse adonné d’excellents contre-exemples, mais surtout enprovenance des États-Unis et duJapon. Dès lors qu’il est questionde pays en développement, lesexemples sont faussés – parexemple, combien de Ghanéenscontinueront d’acheter etd’utiliser des lampesfluorescentes compactes (LFC)lorsqu’il faudra remplacer lematériel initial ? Et si laThaïlande est vraiment parvenueà économiser 1 725 MW depuissance de pointe (ou était-ce1,725 MW ?), cela a-t-il compenséles nouveaux besoins degénération d’électricité ouseulement déplacé laconsommation vers d’autresutilisations, comme l’affirmel’effet de rebond ?

Ne vous méprenez pas – je suisd’accord avec les affirmations plusgénérales de Mme Moscoso-Osterkorn sur l’efficacitéénergétique et j’en suis un ferventdéfenseur – je me demandeseulement si sa réponse ne passepas, dans ce cas, à côté de laquestion.l Peter Bartlett, commentaire sur lesite Internet

Je suis totalement d’accord avecl’opinion de M. Bartlett, mais jepense que l’impact de l’effet derebond est totalement différentdans les pays développés et dansceux en développement. Il estindiscutable que l’effet de rebondexiste et qu’il peut avoir uneincidence négative sur lechangement climatique. Dans lespays où l’accès à l’énergie ne posepas de problème – comme les paysdéveloppés – le rebond peut eneffet entraîner une augmentationde son utilisation et des émissionsde carbone. Dans les pays endéveloppement, l’efficacitéénergétique non seulementfacilitera l’accès des pauvres, maiselle constituera également unealternative à la productiond’énergie dérivée descombustibles fossiles. Si unexploitant agricole économise del’énergie en utilisant une ampouleefficace, il peut utiliser l’énergieéconomisée pour allumer uneseconde ampoule au lieud’enclencher son groupeélectrogène diesel ou de brûlerplus de bois.

Des exemples positifs au Japonet en Californie montrent quel’intervention des politiques et lesoutien public peuvent changerles comportements desconsommateurs. Ces réussitesdevraient servir de lignesdirectrices aux autres pays. AuGhana, personne ne peut êtreforcé d’acheter des lampesfluorescentes compactes (LFC)

lorsqu’elles doivent êtreremplacées. Néanmoins, legigantesque marché créé par lebiais de ce programmegouvernemental tire les prix desLFC à la baisse, ce qui les rendabordables pour tout le monde. l Marianne Moscoso-Osterkorn,PEREE, Vienne, Autriche

Les femmes et lePrintemps arabeRe : « Un Printemps arabe pourles femmes ? » (Making It, numéro6), entre temps, au Liban, unnouveau gouvernement a étéconstitué. Il est composé de 35 hommes et d’aucune femme.l MM, commentaire sur le siteInternet

MM, vous ne devriez pas attendreque le changement vienne duhaut. Cela ne s’est jamais produitet ne se produira jamais. Ce n’estqu’en s’organisant au niveaupopulaire que les femmes (et leshommes) seront en mesure defaire passer en force unchangement progressif.l Charlene, commentaire sur le siteInternet

Le Liban est une démocratie. La majorité des électeurs ont votépour le gouvernement. Si lesreprésentants élus appuient unconseil des ministres qui necomprend aucune femme, c’est ladémocratie en action.Vraisemblablement, les femmeslibanaises (et les hommeslibanais) ont voté pour lesmembres du parlement quiappuient le nouveaugouvernement...l Knox, commentaire sur le siteInternet

Il existe en effet une réactionviolente dans le monde et dans larégion du Moyen-Orient et de

l’Afrique du Nord quant à laposition et aux droits desfemmes. Celle-ci prenddifférentes formes. La Turquievient de démanteler le ministèrede la Femme et l’a remplacé parun ministère de la Famille. Ceciest le signe de la montée d’unevision conservatrice selonlaquelle les femmes ne doiventjouer un rôle que dans la familleet non pas comme citoyennespourvues de droits.

Il serait bon de repenser ladéfinition courante de ladémocratie. Selon une opinionlargement partagée, les électionslibres constituent la pierreangulaire de la démocratie. Il esttemps de contester cette idée.Les élections libres sontindispensables, mais elles negarantissent pas l’inclusion, lapleine participation, la non-discrimination ou l’égalité...l Lina Abou-Habib, commentairesur le site Internet

Il semblerait bon de repenseraussi la définition courante(médiatique) de la révolution. Àentendre certains journalistes,on croirait que les événementsqui se déroulent dans plusieurspays du monde arabe sont desrévolutions. Néanmoins, commele constatent actuellement lesfemmes, rien n’a vraimentchangé et il est certain qu’il nes’est opéré aucune prise depouvoir d’une classe audétriment d’une autre...l Red, commentaire sur le siteInternet

La section « Forum Mondial » de Making It est un espace d’interaction et de discussions, danslequel nous invitons les lecteurs à proposer leurs réactions et leurs réponses à propos de tous lesproblèmes soulevés dans ce magazine. Les lettres destinées à la publication dans les pages deMaking It doivent comporter porter la mention « Pour publication » et doivent être envoyées parcourrier électronique à l’adresse : [email protected] ou par courrier à : The Editor,Making It, Room D2138, UNIDO, PO Box 300, 1400 Vienne, Autriche. (Les lettres ou les courriersélectroniques peuvent faire l’objet de modifications pour des raisons d’espace).

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Le pouvoir du rizJe pense que cet article (Unerévolution dans l’électricité,Making It, numéro 6) estintéressant, car il illustrel’existence de réelles opportunitésdans les régions produisantd’importants volumes de riz. C’estaussi une lecture captivante quimontre le pouvoir, littéralement,des entrepreneurs dans les paysen développement.

Du point de vue de lapopulation, on se demandecombien d’entrepreneurs dans lespays en développementdétiennent déjà le savoir-fairenécessaire pour mettre en œuvredes processus à base d’énergiealternative et renouvelable pouralimenter leurs propres villagesen électricité, comme l’entreprisequi est présentée.

Cet article soulève égalementdes inquiétudes quant à laproduction de riz et parconséquent la disponibilité de bio-

ressources pouvant être gazéifiéeset donc servir à produire del’énergie. Je peux concevoir quecette méthode fonctionne bientant que le riz est produit en masse– comme c’est le cas en Inde oudans d’autres pays d’Asie du Sud-Est – mais la vidéo tournée par lefondateur de la société sembleindiquer qu’ils souhaitents’étendre sur le marché mondial,et cela ne paraît tout simplementpas faisable tant que des quantitésaussi importantes d’écorces de rizne sont pas immédiatementdisponibles.

Cette méthode peut-elle êtreappliquée à d’autres produitsdérivés biologiques, ou bien est-elle limitée aux écorces de riz ?Existe-t-il beaucoup d’autresentrepreneurs dans les pays endéveloppement ayant d’autresidées en matière de ressourcesénergétiques et de productiond’électricité ? l Sara Patalone, commentaire sur lesite Internet

Le sein c’est sain Il est intéressant de constater quevous accordez de l’espace à Nestlédans votre magazine « Créer de lavaleur partagée pour la société et lesactionnaires » (numéro 6, MakingIt). Il s’agit de la société qui, selon lesgroupes de campagnes sur lanutrition et l’UNICEF, le Fonds desNations Unies pour l’Enfance, violele Code international decommercialisation des substitutsdu lait maternel.

Le Réseau international desgroupes d’action pourl’alimentation infantile (IBFAN), quirelie 200 groupes dans 100 pays,appuie le boycott des produitsNestlé, car, selon lui, la sociétécontourne les restrictions imposéessur la promotion des préparationspour nourrissons, contenues dansle Code international decommercialisation des substitutsdu lait maternel adopté parl’Organisation mondiale de lasanté.

Dans les pays endéveloppement, l’utilisation depréparations pour nourrissonsaugmente la probabilité que lesenfants contractent desmaladies d’origine alimentaireet accroît le taux de mortalitéinfantile. L’UNICEF estime que,par rapport à un enfant nourriau sein, un enfant alimenté àbase de préparations infantileset vivant dans des conditionspeu hygiéniques court un risque6 à 25 fois supérieur de mourird’une diarrhée et 4 foissupérieur de mourir d’unepneumonie.

Nestlé continue pourtant depromouvoir ses nouvellespréparations infantiles, en lesdésignant comme des «solutions nutritionnellescomplètes .» Comme cela a déjàété souligné, la véritable solutionnutritionnelle complète estl’allaitement maternel. l Mary Gland, par courrierélectronique

Pour toute discussion complémentairerelative aux sujets évoqués dansMaking It, veuillez accéder au site Web du magazine, à l’adressewww.makingitmagazine.net et à la pageFacebook du magazine. Les lecteurssont invités à parcourir ces sites et àparticiper aux discussions et aux débatsen ligne à propos du secteur pour ledéveloppement.

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Pourriez-vous expliquer le concept de « l’économie aux pieds nus » ?Eh bien, il s’agit d’une métaphore, mais unemétaphore qui est née d’une expérienceconcrète. J’ai travaillé pendant environ dixans dans des zones d’une pauvreté extrêmedans les sierras, la jungle et les zonesurbaines, dans différentes régions del’Amérique latine. Un jour, au début de cettepériode, je me trouvais dans un villageautochtone dans la sierra, au Pérou. C’étaitun jour de mauvais temps. Il avait plu sanscesse et j’avais les pieds dans la gadoue. Et, enface de moi, un autre homme était aussidebout dans la boue. Eh bien, nous noussommes regardés, et c’était un homme depetite taille, mince, affamé, sans travail, avec

cinq enfants, une femme et une grand-mère,et j’étais le grand économiste de Berkeley, quienseignait à Berkeley, etc. Et nous noussommes regardés, et ensuite je me suis renducompte que je n’avais rien de cohérent à dire àcet homme en de telles circonstances et quel’intégralité de mon langage en tantqu’économiste était absolument inutile.Devais-je lui dire de se réjouir del’augmentation de cinq pour cent du PIB, ouquelque chose dans le genre ? Tout étaitabsurde.

J’ai découvert que je n’avais pas de langagedans cet environnement et que nous devionsinventer un nouveau langage. C’est ainsiqu’est née la métaphore de l’économie auxpieds nus, qui est la science que doit

pratiquer un économiste qui ose mettre lespieds dans la boue. Ce que je veux dire c’estque les économistes étudient et analysent lapauvreté dans leurs beaux bureaux,construisent tous les modèles et sontconvaincus qu’ils savent absolument tout surla pauvreté, mais ils ne comprennent pas lapauvreté. C’est ça le grand problème et c’est laraison pour laquelle la pauvreté est toujourslà. Et cela a totalement changé ma vie en tantqu’économiste. J’ai inventé un langage qui estcohérent avec ces situations et conditions.Et quel est ce langage ? C’est beaucoup plus profond que ça. Enfin, ilne s’agit pas d’une recette en 15 leçons ou « satisfait ou remboursé. » Ce n’est pas le but.Le but est plus profond que ça. Je vais vousexpliquer. Nous avons atteint un point dansnotre évolution où nous savons beaucoup dechoses. Nous savons énormément de choses,mais nous ne comprenons pas grand-chose.Le niveau d’accumulation de connaissancesdes 100 dernières années n’avait jamais étéatteint dans l’histoire de l’humanité. Maisregardez où nous en sommes. À quoi a service savoir ? Qu’en avons-nous fait ? Ce que jeveux dire, c’est que le savoir n’est pas suffisantà lui seul. Il nous manque de lacompréhension.

La différence entre savoir etcompréhension ? Je peux donner unexemple. Supposons que vous avez étudiétout ce qu’il est possible d’étudier d’un pointde vue théologique, sociologique,

L’économisteaux pieds nus

Amy Goodman, de Democracy Now,s'entretient avec Manfred Max-Neef,économiste chilien de renom

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r Boy MANFRED MAX-NEEF est un économiste chilien, fondateur du Centro de

Estudio y Promoción de Asuntos Urbanos (CEPAUR). En 1981 il a écrit Fromthe Outside Looking in: Experiences in Barefoot Economics (Regardextérieur sur l’intérieur : expériences de l’économie aux pieds nus), le plusconnu de ses livres, qui décrit ses expériences dans la pratique del’économie parmi les pauvres en Amérique du Sud. En 1983, M. Max-Neef aremporté le Right Livelihood Award pour son travail dans les régionsfrappées par la pauvreté dans les pays en développement. En 1993, il a éténommé recteur de l’Universidad Austral de Chile, à Valdivia. Son dernierouvrage, Economics Unmasked: From Power and Greed to Compassionand the Common Good (L’économie sans masque : du pouvoir et de lacupidité à la compassion et au bien commun), a été publié en 2011.

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anthropologique, biologique et mêmebiochimique à propos d’un phénomènehumain qu’on appelle l’amour. Le résultat estque vous savez tout ce qu’il y a à savoir surl’amour, mais tôt ou tard vous allez vousrendre compte que vous n’allez jamaiscomprendre l’amour à moins de tomberamoureux. Qu’est-ce que cela veut dire ? Que vous ne pouvez prétendre comprendreque ce à quoi vous pouvez prendre part. Dès lors que nous tombons amoureux, noussommes bien plus que deux, comme le dit lachanson latine. C’est en participant que l’oncomprend. Autrement vous ne pouvezqu’accumuler du savoir. Et telle a été lafonction de la science. La science est diviséeen parties, mais la compréhension estholistique.

Et c’est ce qui se passe avec la pauvreté. Je comprends la pauvreté parce que je l’aivécue. J’ai vécu avec eux, j’ai mangé avec eux,j’ai dormi avec eux, etc. Et alors vouscommencez à apprendre que dans cetenvironnement il existe des valeursdifférentes, des principes différents de ceuxd’où vous venez, et que vous pouvezapprendre énormément de chosesfantastiques dans le milieu de la pauvreté.Les pauvres m’ont enseigné bien plus dechoses que les universités. Mais très peu degens ont cette expérience, vous saisissez ? Ils la regardent de l’extérieur au lieu de lavivre de l’intérieur.

La première chose que vous apprenez estque dans la pauvreté il existe une créativitéconsidérable. Si vous voulez survivre, vous nepouvez pas être un idiot. Chaque minute vousdevez vous demander « que faire après ? »Qu’est-ce que je sais ? Quelle combine est-ceque je peux monter ici ? Qu’est-ce que ceci etcela, ça et ça ? Votre créativité est constante.De plus, à cela s’ajoutent des réseaux decoopération, d’aide mutuelle et toutes sortesde choses extraordinaires que nous netrouverons plus dans notre sociétédominante, qui est individualiste, cupide etégoïste. C’est tout simplement l’opposé de ceque vous trouvez là-bas. Et c’est quelques foistrès choquant de trouver dans les milieuxpauvres des personnes bien plus heureusesque celles dans votre propre entourage, cequi veut aussi dire que la pauvreté n’est passeulement une question d’argent. C’estquelque chose de beaucoup plus complexe.

Alors, pour éviter une autre catastrophe,collision, si vous aviez votre mot à dire,comment cela devrait-il se passer selon vous ?À mon avis, le problème commence àl’université. L’université est aujourd’huidevenue complice de la perpétuation d’unmonde dont nous ne voulons pas, car si vousn’enseignez pas quelque chose de différentaux économistes, eh bien comment diablevont-ils le changer lorsqu’ils rentreront dansla vie active ? C’est impossible. Aucommencement de ma carrièred’économiste, au début des années 1950,c’était totalement différent. Nous avionsquelques cours fondamentaux commel’histoire économique et histoire de lapensée économique. Ces cours n’existentplus dans les programmes. Vous n’avez plusà connaitre l’histoire. Ce n’est pas nécessaire.Il n’est plus nécessaire de connaitre lapensée des économistes précédents. Ce n’estpas nécessaire. Vous n’en avez pas besoin.C’est de l’arrogance stupide. Non,dorénavant nous sommes certains que çasera comme ça pour toujours, vouscomprenez ? Dans ce cas, cela cesse d’êtreune discipline, ce n’est plus une science et çadevient une religion. Et c’est ça l’économieactuelle, l’économie néo-libérale.

Donc, avant tout, il nous faut à nouveau deséconomistes cultivés, qui connaissentl’histoire, qui savent d’où ils viennent,comment les idées se sont formées, qui a faitquoi, etc. Ensuite, il nous faut aujourd’hui

une science économique qui se considèreelle-même très clairement comme un sous-système d’un système plus vaste qui est fini :la biosphère. Par conséquent, la croissanceéconomique est une impossibilité. Et enfin,un système qui comprend qu’il ne peut pasfonctionner sans le sérieux des écosystèmes.Et les économistes n’y connaissent rien enécosystèmes. Ils ne savent rien sur lathermodynamique, ni sur la diversitébiologique. Ils sont totalement ignorantsdans ces domaines. Et je ne vois pas en quoicela ferait du mal à un économiste de savoirque si la faune venait à disparaître, ildisparaîtrait également, car il n’y aurait plusrien à manger. Mais il ne sait pas que nousdépendons totalement de la nature. Pour ceséconomistes, la nature est un sous-systèmede l’économie. C’est complètement fou.

De plus, la consommation doit serapprocher des lieux de production. Je vis ausud du Chili, dans le « sud profond », et c’estune région fantastique pour les produitslaitiers. Il y a quelques mois, j’étais dans unhôtel et là, dans le sud, au petit déjeuner, onm’a donné un petit paquet de beurre. Onm’en donne un et c’est du beurre deNouvelle-Zélande ! Enfin, ce n’est pas fou, ça ?Et pourquoi ? Parce que les économistessavent à présent calculer les coûts réels.Transporter du beurre sur 20 000 kilomètrespour l’amener à un endroit où l’on fait dubeurre excellent, en affirmant que c’estmoins cher, c’est d’une stupidité colossale.Ils ne prennent pas en compte l’impact des20 000 kilomètres de transport. Quel estl’impact sur l’environnement de ce transportet toutes ces choses ? En plus, c’est moinscher parce que c’est subventionné. C’est doncclairement un cas où les prix ne disentjamais la vérité. Tout ça, c’est des combines,et ces combines causent un dommagegigantesque. Si vous ramenez laconsommation près de la production, vousmangerez mieux et les aliments serontmeilleurs. Vous saurez d’où ils viennent.Vous connaitrez même peut-être lapersonne qui les produit. Vous humanisezcela. Mais la façon dont les économistesexercent leur profession aujourd’hui esttotalement déshumanisée.lCeci est une version modifiée d'un entretienqui est d'abord paru dans Democracy Now –www.democracynow.org

« Les économistes étudient etanalysent la pauvreté dans leursbeaux bureaux, construisenttous les modèles et sontconvaincus qu'ils saventabsolument tout sur lapauvreté, mais ils necomprennent pas la pauvreté. »

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L'énergie nucléaire est-ellenécessaire pour un avenirsans carbone ?

SUJET BRÛLANT

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Le tremblement de terre et letsunami qui ont récemmentdévasté le Japon ont confirmé lespires craintes des détracteurs del’énergie nucléaire. En cemoment, partout dans le monde,les gouvernements réévaluentleurs projets nucléaires. Lespeurs concernant les centralesnucléaires sont-elles pour autantpertinentes ? CHRIS GOODALLet JOSÉ ETCHEVERRY sont tousdeux des écologistes – mais ilssont divisés sur le débat dunucléaire. Goodall – Je suis en train de regarder un siteInternet qui m’indique la quantitéd’électricité produite selon les différentessources d’énergie en Grande-Bretagne. Aprèsune décennie d’incitations financières, lesturbines éoliennes produisent actuellementenviron deux pour cent de notre électricité.Hormis une petite quantité d’énergiehydroélectrique, toute notre électricitéprovient de combustibles fossiles ou dunucléaire. Les 10 centrales nucléaires de laGrande-Bretagne produisent à l’heureactuelle 10 fois plus d’énergie que celleengendrée par 3 000 turbines.

Je serais ravi si l’ensemble des besoinsélectriques de notre économie était couvertpar les énergies renouvelables, mais je neconstate aucune volonté politiqued’atteindre ce but. Il faudrait dès à présentinvestir des milliards en technologiesrenouvelables. Il est impossible de diminuerrapidement les émissions de carbone sans lenucléaire. Il est possible que nous finissionspar garder ouvertes de vieilles centralesélectriques au charbon pendant encore 30 ans.

Certains affirment qu’il suffirait des’efforcer davantage pour persuader unpublic majoritairement indifférentd’accepter un nombre gigantesque deturbines et d’investir des milliards dansd’autres technologies renouvelables. Un telidéalisme est irresponsable : si nous croyonsvraiment que le changement climatique est

« Si nous croyons vraimentque le changement climatiqueest la plus grande menace quin'ait jamais pesé sur laplanète, il est alors crucial deparvenir à accroître les sourcesd'énergie à faible empreintecarbone. Le nucléaire estl'unique technologie capablede fournir des quantitésimportantes d'énergie aucours de la prochainedécennie. »

CHRIS GOODALL est un homme d'affairesbritannique et un activiste écologiste. Il estl'auteur de How to Live a Low-Carbon Life(Comment mener une vie à faible empreintecarbone) et Ten Technologies to Fix Energy andClimate (Dix technologies pour régler l'énergieet le climat). JOSÉ ETCHEVERRY est professeur adjoint à laYork University, Toronto, et président du Conseilmondial des énergies renouvelables.

la plus grande menace qui n’ait jamais pesésur la planète, il est alors crucial de parvenirà accroître les sources d’énergie à faibleempreinte carbone. Que cela nous plaise ounon, le nucléaire est l’unique technologiecapable de fournir des quantitésimportantes d’énergie au cours de laprochaine décennie. Le mouvementécologique auquel nous appartenons n’estpas parvenu à faire en sorte que le Royaume-Uni (RU) investisse dans les énergiesrenouvelables et nous n’avons à présent pasd’autre choix que d’être favorables aunucléaire.

Etcheverry – Les centrales nucléaires doiventêtre éliminées, parce qu’elles sontdangereuses et toxiques, et qu’elles entraventl’adoption des trois options clé nécessaires àla construction d’un avenir avec de l’énergiesans carbone : conservation, efficacité eténergies renouvelables. La conservation etl’efficacité (c.-à-d. faire plus avec moins)représentent deux des trois opportunités lesplus prometteuses pour créer de nouveauxemplois et aborder la question duchangement climatique. Pour visualiser lepotentiel : Les taux de consommationd’électricité par habitant au Canada et auxÉtats-Unis sont honteusement supérieurs àceux de pays industrialisés de première lignecomme le Danemark et l’Allemagne.

Ces deux pays ont non seulementminimisé le niveau d’utilisation d’électricitépar leurs citoyens, mais ils innovent aussiconstamment en matière de conceptionefficace et sont devenus les chefs de filemondiaux dans le développement desources d’énergie renouvelable.

Leur succès est fondé sur la conception depolitiques pragmatiques dans le domaine del’énergie renouvelable, telles que des prixpréférentiels garantis qui permettent auxentrepreneurs d’innover sur des marchésdynamiques afin de garantir uneinterconnexion facile, des prix équitables surle long terme pour tous les types d’énergiesrenouvelables et la stabilité del’investissement.

La principale stratégie de réduction enEurope s’inspire des politiques menées parl’Allemagne en matière d’énergierenouvelable au cours des 10 dernièresannées, qui sont un puissant moteur ‰

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FORUM MONDIAL

d’un jour à l’autre. L’énergie nucléaire estnécessaire pour satisfaire la demande de lapopulation en matière d’électricité.

Etcheverry – J’aimerais mettre certaineschoses au point concernant les centralesnucléaires :l Les centrales nucléaires sont toxiques etreprésentent un danger considérable pour lesgénérations actuelles et futures (lacatastrophe de Fukushima est actuellementau niveau 7, le même que celui de Chernobyl). l Il faut environ dix ans pour construire unecentrale nucléaire et la conception des projetsdépend fortement du contexte (ainsi, lesplans d’une centrale nucléaire au Canada nepeuvent pas être copiés et collés dans deszones sismiques actives ; ils doivent subird’importantes modifications qui, pardéfinition, impliquent des coûts plus élevés,des délais plus longs et une expérimentationpar tâtonnements). l Les centrales nucléaires sont chères etl’uranium est un minéral toxique, nonrenouvelable et dont les sources sont finies. l Les centrales nucléaires peuvent facilementêtre détournées pour la construction d’armesatomiques – une des raisons pour lesquellescette technologie a de fervents « adeptes ».

Les sources renouvelables, quant à elles :l Sont beaucoup plus sûres, ont desempreintes écologiques beaucoup plusréduites et représentent des atoutsstratégiques pour les générations présentes etfutures. l La plupart des systèmes d’énergierenouvelable sont fabriqués à l’heure actuellesur des chaînes de montage et peuvent doncêtre déployés et mis en fonctionnement trèsrapidement, sur tout site adéquat. l La plupart des systèmes d’énergierenouvelable bénéficient d’économiesd’échelle ; par conséquent, plus la quantitéd’argent investi est élevée, plus leur coûtbaisse. De plus, ils utilisent des carburantsabondants et bon marché, comme le Soleil etle vent, ou qui peuvent être produitslocalement à des prix stables, comme lesbiogaz et les biocarburants. l Les énergies renouvelables peuventfavoriser la reprise locale et l’autonomieénergétique. Elles désamorcent donc lessources de conflit plutôt que de se convertiren armes.

d’innovation industrielle et de créationd’emploi.

Les Allemands et les Danois ont comprisqu’ils ne peuvent pas utiliser les centralesnucléaires en complément des sourcesd’énergie renouvelable, car il n’est pas facilede les mettre en marche et de les arrêter. Deplus, ils savent aussi que la construction decentrales nucléaires les forcerait à vendre degrandes quantités d’électricité, ce qui est encontradiction évidente avec les efforts deconservation et d’efficacité.

Ces leçons ont commencé à être entenduespar 148 autres pays qui ont formé l’Agenceinternationale pour les énergies renouvelables(IRENA) afin d’élaborer rapidement unnouveau paradigme de sécurité de l’énergie etde protection du climat.

Goodall – La vaste majorité d’entre nousaccueille favorablement la croissance rapidedes énergies renouvelables. Pourtant, mêmeen Allemagne à peine 17 % de l’électricitéprovient de ces sources. La question clé est desavoir si l’on peut espérer que la croissancedes énergies renouvelables sera suffisammentrapide pour remplacer complètement lescombustibles fossiles. Je pense que personnene peut nier que le taux de croissance dessources à faible empreinte carbone estbeaucoup trop lent, au RU et presque partoutailleurs. C’est pour cette raison que lenucléaire est vital – et non pas parce que nousne voulons pas des énergies renouvelables.

La seconde illusion est de croire que lesmesures d’efficacité énergétique peuventréduire considérablement la demanded’électricité. Toutes les sourcesindépendantes prédisent une augmentationde l’utilisation d’électricité due au chauffagedomestique et au besoin de passer auxvéhicules électriques. Les efforts deconservation entament à peine la demanded’énergie. Les écologistes peuvent déplorer lemanque d’intérêt pour l’efficacité, mais nousdevons chercher des solutions dans le mondetel qu’il est, et non tel que nous souhaitonsqu’il soit. Nous avons beau ne pas aimer leconsumérisme ou l’utilisation excessived’énergie liée aux styles de vie actuels, nous nepouvons pas changer les priorités du monde

SUJET BRÛLANT‰

« Les centrales nucléairesdoivent être éliminées, parcequ'elles sont dangereuses ettoxiques, et qu'elles entraventl'adoption des trois options clénécessaires à la constructiond'un avenir avec de l'énergiesans carbone : conservation,efficacité et énergiesrenouvelables. »

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FORUM MONDIAL

Goodall – Fukushima est un horrible désastre,mais il est raisonnable d’espérer quepersonne ne mourra à la suite des fuitesradioactives. Il est vrai que l’énergie nucléaireest très chère, mais il en est de même pour lestechnologies à faible empreinte carbone. Laplupart des études montrent que le nucléaireest moins onéreux que les éoliennes offshore.Qui plus est, le nucléaire fournit de l’énergiede façon fiable et tout au long de l’année.

Les personnes qui habitent et travaillent àproximité de réacteurs nucléaires semblentheureuses de les avoir comme voisins. Parcontre, tout au moins en Grande-Bretagne, leséoliennes terrestres sont largement abhorrées.

Je ne peux pas accepter l’argument selonlequel d’autres technologies ont des « empreintes écologiques beaucoup plusfaibles ». Une nouvelle centrale nucléairegénère la même quantité d’électricité

qu’environ 3 000 turbines, qui couvrent descentaines de kilomètres carrés, requièrentune quantité bien plus élevée d’acier et debéton et perturbent la faune et la flore.

Revenons à l’argument central. Il n’existenulle part dans le monde une volontépolitique de développer l’électricitérenouvelable en quantité suffisante. Je leregrette profondément. Les écologistes, quiregardent comment le monde avance ensomnambule vers des désastres écologiquesmultiples, doivent agir de façon responsableet accepter que l’énergie nucléaire est l’unedes quelques options dont nous disposonspour maintenir nos niveaux de vie, tout endiminuant la production de CO2 issue de lagénération d’électricité.

Etcheverry – De quoi avons-nous donc besoinpour nous engager sur la voie de l’énergiedurable au niveau mondial ? De créativité, decourage et de volonté politique en abondance– il faut également concevoir des stratégiesinternationales de déploiement pour quel’énergie renouvelable présente des avantagessociaux tangibles au niveau local.

Par exemple, les exploitants agricoles quipossèdent ou tout au moins bénéficientdirectement de turbines éoliennes lesconsidèrent comme une source de revenusintéressante. Les écoles munies de toitssolaires les considèrent comme des outilspolyvalents d’enseignement. Les hôpitaux quipeuvent diminuer leurs factures decombustible et avoir de l’eau chaude bonmarché grâce à l’électricité du districtestiment que la technologie de productioncombinée de chaleur et d’électricité à partirde biomasses est un investissementintelligent.

Notre principal obstacle dans la résolutiondu problème du changement climatique aumoyen de l’énergie renouvelable, laconservation et l’efficacité est le faible niveaud’expérience de la plupart des gensconcernant ces options. La stratégie la plusimportante consiste à nous impliquer tousdirectement dans « l’apprentissage par lapratique » – et à utiliser pleinement notrecréativité, qui est en soi une ressourcerenouvelable et illimitée.lCette discussion a été à l'origine publiée dansle magazine New Internationalist et est souslicence Creative Commons.

« Exploiter le vent, le soleil et les vagues, nousn’avons pas besoin de ces déchets nucléaires ! »

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nL’économie mondiale, touchée parles ravages des prix élevés del’énergie et des matières premières,subit actuellement une perte devitesse générale. Le désastre auJapon, le ralentissement de lacréation d’emplois aux États-Unis etde nouvelles inquiétudesconcernant l’avenir de la zone euroassombrissent également lesperspectives de croissance.

L’Asie est engagée dans unralentissement bénin dû aufléchissement de la demande

en 2010 à 4,5 % en 2011. La vague d’agitation politique qui

traverse le Moyen-Orient etd’Afrique du Nord (MOAN) pourraitapporter des changements positifssur le long terme, mais l’instabilitécivile affaiblit les perspectiveséconomiques à court terme.(Economist Intelligence Unit)

n 2010 semble avoir été l’année oùles pays en développement ontrompu avec le passé des paysdéveloppés, souillé par lescombustibles fossiles, pours’engager vers un avenir alimentépar des énergies renouvelablespropres. Et malgré le fait que cetinvestissement ait étéprincipalement subventionné par

Construction ducorps de lacuisinière Toyola.

« La grande transformationtechnologique verte »

Fabricando laestructura de laestufa Toyola.

Nouvelles technologiesnécessaires pour éviter ladestruction écologique

AFFAIRES DES AFFAIRES

occidentale et aux tentatives desdécideurs politiques de contrôlerl’inflation. Les prix des produitsalimentaires et de l’énergiecontinuent d’augmenterrapidement, ce qui va probablementappeler une réponse politique quiralentira brusquement la croissance.Pourtant, les fondamentaux de larégion sont sains.

Selon l’Economist Intelligence Unit(EIU), l’économie chinoise résisteraau durcissement des politiquesmonétaires et de crédit et affichera

une croissance de 9 % en 2011. Lacroissance du PIB indien atteindra8,6 %. Le taux d’expansionéconomique de l’Asie du Sud-Estralentira de façon marquée, passantde 8 % en 2010 à 5,2 % cette année, untaux qui reste toutefois sain.

Les économies latino-américainessont en décélération après uneperformance brillante en 2010. Lacroissance régionale devrait ralentirà la suite du resserrement despolitiques pour répondre àl’inflation galopante, passant de 6 %

Une restructuration technologiquefondamentale des processus deproduction est nécessaire à traversle monde pour mettre un terme àla pauvreté et éviter les probablesimpacts catastrophiques duchangement climatique et de ladégradation del’environnement.

« Le statu quo n’est pas uneoption », a affirmé Rob Vos,directeur de la Divisionde l’analyse despolitiques dedéveloppement duDépartement desaffaires économiques etsociales du Secrétariatdes Nations Unies(ONU/DAES) et principalauteur du rapport « Étudesur la situation économique etsociale dans le monde, 2011. La grande transformationtechnologique pour une économieverte », publié en juillet.

« En l’absence d’améliorationsdrastiques dans les technologiesécologiques et leur diffusion, nousn’allons pas inverser la destructionécologique en cours et assurer unmoyen de subsistance décent pourl’ensemble de l’humanité,aujourd’hui et à l’avenir », a ajoutéM. Vos.

Toyola Energy Ltd. du Ghana aremporté l’or au Prixinternational d’Ashden pourl’énergie renouvelable. Le trèsconvoité Prix d’or (40 000 £) a étéremis à la société pour êtreparvenue à donner accès à plus de150 000 cuisinières efficaces aucharbon de bois à des familles àrevenus faibles.

Sarah Butler-Sloss, directrice etfondatrice des Prix Ashden etprésidente du jury, « ToyolaEnergy Ltd. a pris une simpletechnologie de cuisinière, l’aadaptée pour la rendre plussolide et efficace, et a ensuite

Prix décerné à Toyolaconcentré ses efforts pour rendrecette technologie accessible auxpauvres afin qu’ils puissent fairedes économies et cuisiner dansun environnement plus propreet sain. Dans le même temps, lesforêts du Ghana sont protégéeset les émissions à effet de serresont réduites. Ceci est unexemple parfait de tout ce quipeut être accompli grâce àl’utilisation de technologiesénergétiques simples et propreset à la mise en œuvre destratégies de commercialisationintelligentes et favorables auxpauvres. »

La capacité de l’environnementmondial à supporter l’activitéhumaine a atteint ses limites.Environ la moitié des forêts de laplanète a disparu, les nappesphréatiques diminuent et sont

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MakingIt 15

l’État, nous nous trouvons tout demême à un tournant où les énergiesrenouvelables comme les énergiessolaire, géothermique et éolienne(anciennes cibles des critiques quisoutenaient qu’elles ne pourraientjamais concurrencer le pétrole et lecharbon subventionnés)commencent à voler de leurspropres ailes, notamment dans desrégions du monde où elles sontsouvent les seules sourcesd’électricité disponibles.

D’après un nouveau rapport duProgramme des Nations Unies pourl’environnement, en collaborationavec la Frankfurt School of Finance& Management et Bloomberg NewEnergy Finance, l’investissementdans les énergies renouvelables a

atteint la somme record de 211milliards de dollars américains en2010, soit un tiers de l’ensemble de lanouvelle capacité de production.Cela représente une hausse de 540 %depuis 2004, malgré un contexte decrise financière mondiale.

Une part importante de cetinvestissement a visé les fermeséoliennes de grande envergure enChine et les toits solaires de petiteéchelle en Allemagne. Tous deux ontbénéficié de la générosité desgouvernements sous la forme deprix préférentiels garantis et desubventions. Mais l’histoire la plusintéressante est de loin celle del’explosion de l’énergie alternativedans des régions qui n’ont pas lesmoyens de financer ces systèmes, où

les ressources naturelles d’énergie(éolienne, solaire et géothermique)sont abondantes et où le coût deproduction d’énergie propre est à unniveau compétitif, ou presque :Égypte, Maroc, Kenya, Argentine etMexique, entre autres. Même lePakistan a reçu 1,5 milliard de dollarsaméricains en investissements pourstimuler sa capacité éolienne.

« Dans de nombreuses régions dumonde, nous pouvons nous attendreà un bond en avant [des technologiesénergétiques], » écrit dans le rapportUlf Moslener, de la Frankfurt Schoolof Finance & Management.

« Le message fort est lacroissance... Les investissementsdans les combustibles fossilesrestent dominants à travers le

monde, mais le fossé diminuerapidement. À l’heure actuelle, laplupart des investissements[conventionnels] servent àremplacer d’anciennes centrales àcombustibles fossiles, alors quedans les énergies renouvelables ilssont destinés aux nouvellescapacités de production. »

Il est vrai que le coût des énergiesrenouvelables restera plus élevépendant un certain temps, maisl’économie change rapidement. Siles tendances actuelles sepoursuivent dans le futur (le prixdu mégawatt d’énergiephotovoltaïque solaire a chuté de60 % depuis le milieu de l’année2008), alors il n’y a plus de retour enarrière. (Fast Company)

Présent lors du Forum de l’énergiede Vienne en juin, ArnoldSchwarzenegger, ancien gouverneurde la Californie, s’est exprimé surl’accès universel à l’énergie, affirmantqu’il ne s’agit « pas seulementd’illuminer une pièce sombre ou decuisiner sur une meilleurecuisinière. La question réside dans laliberté que nous confère l’énergie, enparticulier l’énergie renouvelable. »

« Nous ne devons pas être lesesclaves de réseaux électriquesdéfectueux. Nous ne devons pas

regarder nos citoyens tombermalades et mourir à cause de lapollution, » a affirmé M.Schwarzenegger. « Nous ne devonspas être inquiets à l’idée qu’undictateur corrompu puisse se leverdu mauvais pied et décider decouper l’électricité de notre pays. »

La vedette de cinéma d’origineautrichienne a poursuivi : « Nousdevons dire que “nous en avonsassez de l’ancien ordre énergétique.Nous sommes extrêmement encolère et nous n’allons plus

l’accepter !” L’heure de la libertéénergétique a sonné. »

La participation au Forum de M. Schwarzenegger marque sadétermination continue àtravailler avec les Nations Unies,après son engagement l’annéedernière auprès du Secrétairegénéral des Nations Unies, M. BanKi-moon, lors du lancement d’unprojet visant à créer de nouveauxemplois écologiques et à diminuerles gaz à effet de serre à travers lemonde.

L’heure de la liberté énergétique

contaminées, la biodiversité a déjàsubi des pertes considérables et lechangement climatique menacela stabilité de l’ensemble desécosystèmes.

Au cours des 40 prochainesannées, il faudra 1,9 millemilliards de dollars américainspar an d’investissementscumulatifs dans lestechnologiques écologiques. Aumoins la moitié, soit 1,1 millemilliards par an, sera nécessairepour que les pays endéveloppement satisfassentrapidement la demandecroissante de produitsalimentaires et d’énergie enappliquant des technologiesécologiques.

Le rapport recommande que lespolitiques soient guidées parquatre objectifs clés : l améliorer l’efficacitéénergétique sans augmenter laconsommation dans lesdomaines où les niveauxd’utilisation d’énergie sont élevés ; l soutenir un vaste portefeuillede développement de technologieénergétique tout en augmentantl’utilisation de technologiesécologiques connues dans deslieux spécifiques ; l favoriser une expérimentationplus importante et des temps dedécouverte plus longs et l appliquer une gouvernance etdes stratégies de responsabilitédans le développementtechnologique lié à l’énergie quisoient de meilleure qualité qu’àl’heure actuelle.

MakingIt16

Lors du Sommet du Millénaire des NationsUnies en septembre 2000, le plus grand groupede dirigeants mondiaux jamais rassemblé aconvenu que « le principal défi auquel noussommes confrontés aujourd’hui est celui de faireen sorte que la mondialisation devienne uneforce positive pour les habitants du mondeentier. En effet, bien qu’elle offre desopportunités fantastiques, à l’heure actuelle sesavantages tout comme ses coûts sont répartis defaçon inégale. » Après plus d’une décennie, desinégalités croissantes continuent de menacer ladurabilité du développement économique etsocial et la pauvreté reste très répandue, près de lamoitié de la planète – plus de trois milliards depersonnes – survivant avec moins de 2,5 USD parjour.

Qui perd, qui gagne ?En moyenne, la mondialisation a procuré desavantages indéniables en termes d’augmentationde la croissance et des revenus, d’amélioration desniveaux de vie, de recul de la pauvreté et d’accèsaux services essentiels. Le succès de pays tels quel’Allemagne, le Japon, la République de Corée,Singapour, la Malaisie, la Chine, le Brésil et l’Indeaurait été inconcevable en l’absence de lamondialisation. Il n’est plus possible d’envisagerla croissance économique d’un pays comme unprocessus purement interne. La liberté deséchanges et l’internationalisation du capital ontpermis aux pays de bénéficier d’une demandemondiale de leurs produits et de nouvelles

sources de financement. L’intensification de laconcurrence et les transferts de technologie ontentraîné l’augmentation de l’efficacité et des gainsde productivité. Les pays qui ont pu exploiter cesfacteurs sont parvenus à sauter plusieurs étapesdu processus de développement normal.

L’inconvénient est que, dans un mondemondialisé et intégré, pratiquement tous lesproblèmes dépassent les frontières. Les récentescrises financière, alimentaire et pétrolière ontbrutalement révélé les douloureusesconséquences de chocs sociaux, économiques etenvironnementaux qui se propagent d’un pays àl’autre. Les pays en développement sontparticulièrement vulnérables aux effets de ceschocs externes et les populations les plus pauvreset les plus marginalisées du monde subissent lesconséquences de crises qu’elles n’ont pasprovoquées.

De même, les pays en développement dansleur ensemble contribuent relativement peu auréchauffement planétaire par rapport aux paysdéveloppés, mais bon nombre d’entre eux sonttouchés de façon disproportionnelle par lesconditions climatiques changeantes en raison deleur emplacement géographique. Cette injusticeest aggravée par le fait que les activitésindustrielles passées et présentes sont à l’originede l’accumulation de richesses dans la plupart despays développés, tout en étant responsables d’unepart considérable des émissions de gaz à effet deserre des pays développés.

La mondialisation était censée promouvoir la

croissance économique à travers la planète etcréer des conditions égalitaires sur le marché afinque tout le monde puisse bénéficier d’undéveloppement et de revenus accrus. Au contraire,l’exacerbation (inattendue) des inégalités – sousmaintes formes et à tous les niveaux, aussi bien àl’intérieur des pays qu’entre eux – a été de loin laconséquence la plus regrettable de lamondialisation. Cette exacerbation des inégalitésainsi qu’une plus grande prise de conscience deleur existence creusent les écarts entre les groupeset les pays et augmentent l’agitation et lesprobabilités de conflits.

La gouvernance à l’ère de la mondialisation Au cours de la dernière décennie, la gouvernancemondiale a été dominée par un petit groupe depays puissants qui ont tenté de minimiser le rôledu gouvernement dans la génération de richesseset la redistribution. Néanmoins, la crise financièreet économique mondiale a mis à nul’inadéquation de cette approche. De même, lespolitiques de laisser-faire ne se sont pas avéréestrès utiles pour faire face aux effets duchangement climatique ou aux incertitudesconcernant les futures réserves d’énergie. Une foisencore, nous nous trouvons à une croisée deschemins de la politique et la gouvernance. Celanous offre une occasion unique de concevoirnotre avenir en commun. En tant que principaleinstitution multilatérale inclusive, les NationsUnies peuvent jouer un rôle important enfacilitant un tel changement systémique.

Hedda Oehlberger-Femundsenden soutient que l’initiative « industrie verte » de l’ONUDI peut s’appuyer sur les succèsde la mondialisation, tout en aidant à rectifier ses défauts.

Plus équitable, plus

écologique et plus durablePhotographies del’annonce deservice public del’ONUDI diffuséesur CNN.

MakingIt 17

Une mondialisation plus équitable, plusécologique et plus durable : l’industrie peut-elle aider ?L’enjeu est celui d’une révision fondamentale del’ensemble du processus de mondialisation, afinqu’il s’appuie sur ses succès tout en rectifiant sesdéfauts. Les Nations Unies pensent que c’est aucœur de ces efforts qu’il faut introduire la notiond’une mondialisation plus équitable, plusécologique et plus durable, au centre du débatmondial actuel. Cette notion est étroitement liéeau concept de développement durable ainsi queses piliers économiques, environnementaux etsociaux, initialement articulés en 1987 par laCommission Brundtland, l’ancienneCommission mondiale sur l’environnement et ledéveloppement.

Le programme de développement durable estun parfait exemple du rôle que les Nations Uniespeuvent jouer pour faciliter le changementsystémique. Le rapport Brundtland a donné ladéfinition classique du développement durable : « Le développement durable est un mode dedéveloppement qui répond aux besoins présentssans compromettre la capacité des générationsfutures à répondre aux leurs. » L’acceptation durapport par l’Assemblée générale des NationsUnies a conféré de l’importance politique à ceterme et a jeté les bases du Sommet « planèteTerre », un événement révolutionnaire qui s’esttenu cinq ans plus tard à Rio de Janeiro. Cetteconférence des Nations Unies a représenté uneétape cruciale dans l’avancée vers ledéveloppement durable, avec la signatured’accords internationaux sur le changementclimatique, les forêts et la diversité biologique. Lesommet a également conduit à la création de laCommission du développement durable desNations Unies. Au cours des 20 dernières années,le développement durable est devenu unparadigme de développement, accepté par lesgouvernements, les entreprises et la société civilecomme un principe de référence.

Le concept de développement durable restetoutefois quelque peu vague et sa mise en œuvreopérationnelle s’est avérée difficile. Lamondialisation a transformé les défis dudéveloppement durable en délocalisant laproduction, de sorte que les processus deproduction à forte intensité de ressources etd’énergie sont de plus en plus concentrés dans lespays en développement, tandis que laconsommation reste fortement concentrée dansles pays développés. Par conséquent, à l’échellemondiale, la dissociation entre l’économie etl’environnement a été infime. Le progrèscontinue d’être entravé par la convictionincorrecte mais courante qu’il existe unecorrélation négative entre croissance économiqueet prospérité d’une part, et protection sociale etenvironnementale de l’autre.

En tant qu’agence des Nations Uniesspécialisée dans le développement industrieldurable, l’ONUDI a concentré ses activités surtrois thématiques prioritaires étroitement liées, etqui sont toutes associées au développementdurable et à la réalisation d’un processus demondialisation plus équitable, écologique et

durable : réduction de la pauvreté par le biaisd’activités productives, augmentation descapacités commerciales et environnement eténergie. Dans l’énoncé de mission qu’elle arécemment élaboré, l’ONUDI continue desouligner son engagement envers ces priorités, eninsistant sur son aspiration à soutenir les Étatsmembres dans la création d’un secteur productifprospère, l’augmentation de leur participation aucommerce international et la préservation de leurenvironnement.

Économie verte et industrie (plus) verteLe concept d’une « économie verte », lancé par leProgramme des Nations Unies pourl’environnement (PNUE), comprend égalementbon nombre des éléments d’une mondialisationplus équitable, écologique et durable. L’économieverte ne remplace pas le développement durable,mais il existe actuellement une convictioncroissance que la durabilité ne sera atteinte que sil’économie fonctionne correctement. L’initiativede l’ONUDI pour une « industrie verte » est uneapproche sectorielle concrète visant à rendreopérationnel ce concept en tant que nouveaumodèle pour la croissance économique et ledéveloppement.

La vision de l’industrie verte met en avant lacapacité potentielle des industries à dissocier lacroissance économique et les revenus del’utilisation excessive et croissante desressources et la pollution. Un nouveau rapportintitulé L’ ONUDI et l’industrie verte : les politiquesen faveur de l’industrie verte prévoit un mondedans lequel les secteurs industriels minimisentle gaspillage sous toutes ses formes, utilisent lesressources renouvelables comme matérielsintrants et combustibles et prennent toutes lesprécautions possibles pour éviter de nuire auxtravailleurs, aux communautés et àl’environnement. Les industries vertes serontcréatives et innovantes et mettrontconstamment au point de nouvelles manièresd’améliorer leur performance économique,environnementale et sociale. Cela stimulera lesinvestissements écologiques et créera denouveaux emplois et de nouvelles entreprisesécologiques.

Vingt ans après le sommet historique « planète Terre », la prochaine Conférence desNations Unies sur le développement durable(CNUDD 2012) – également connue sous le nomde « Rio+20 » – représente une occasion crucialepour les Nations Unies d’apporter des réponseset des solutions spécifiques au double défi de ladurabilité et de la mondialisation. Ce qu’il fautc’est un programme orienté vers l’action quipermette de réaliser la vision d’un processus demondialisation plus équitable, écologique etdurable. L’adoption d’une approche sectorielletelle que l’industrie verte est une façon derendre opérationnel le concept d’économieverte, contribuant ainsi à concrétiser cettevision.lHedda Oehlberger-Femundsenden est une spécialistede la planification stratégique à l’Organisation desNations Unies pour le développement industriel(ONUDI)

« Il existe actuellementune convictioncroissance que ladurabilité ne seraatteinte que sil’économie fonctionnecorrectement. »

MakingIt18

Vous affirmez que le principal problème duXXIe siècle est qu’à mesure que nous sommes deplus en plus intégrés, nous sommes de moins enmoins gouvernés. À quel moment cechangement s’est-il opéré et où en sommes-nousaujourd’hui dans le continuum de cette «révolution mondiale inachevée » ?Au cours des quelque vingt dernières années,deux grandes tendances se sont manifestées, quisont en conflit inhérent entre elles. Par chance,j’ai vécu à leur intersection. La première tendanceest que partout dans le monde les gens exigentd’avoir davantage leur mot à dire sur leurspropres vies. Ceci a entraîné d’incroyablesrévolutions de pouvoir populaire, depuis lesPhilippines et l’Amérique latine, jusqu’en Europede l’Est et en Afrique et, récemment, en Égypte.Progressivement, les pouvoirs d’un seul hommeont été révoqués et les Politburos et généraux ontété destitués, les peuples ayant exigé un contrôledémocratique sur leurs sociétés et leurs vies.

J’ai été présent lors de bon nombre de cesrévolutions, d’abord en tant que conseillerpolitique de candidats insurgés comme CoryAquino aux Philippines et ses homologues enAmérique latine et en Europe de l’Est. J’ai ensuiteété témoin d’une nouvelle étape de ceschangements et me suis retrouvé mêlé à bien plusque ma juste part de ces transformations en tantque haut fonctionnaire international puis commeministre du gouvernement. Comme je le décrisdans le livre, j’ai vu suffisamment de choses pourcomprendre que la plupart, si ce n’est tous cesdébordements démocratiques n’ont pas été à lahauteur des attentes de ceux qui ont rempli lesrues pour célébrer la victoire démocratique.L’ancien ordre, la corruption, l’inégalité etl’absence de liberté réelle ont souvent persisté,malgré le nouvel habillage démocratique.

Il est néanmoins impossible de douter duprofond désir de contrôler nos vies et d’avoir laliberté de faire nos propres choix dans un cadre

Rahim Kanani s’entretient avec Mark Malloch Brown à propos de son nouveau livre, The Unfinished GlobalRevolution: The Pursuit of a New International Politics (La révolution mondiale inachevée : la recherche d’unenouvelle politique internationale), qui explore les défis etles opportunités de la mondialisation au XXIe siècle.

MARK MALLOCH BROWN est un ancien ministred’État du ministère des Affaires étrangères et duCommonwealth du gouvernement britannique,responsable de l’Afrique, de l’Asie et des NationsUnies. Auparavant, il a occupé les fonctions deSecrétaire général adjoint des Nations Unies (2006), dechef de cabinet de Kofi Annan, Secrétaire général desNations Unies (2005), et d’administrateur duProgramme des Nations Unies pour le développement(1999-2005). Plus tôt dans sa carrière, il a occupé lespostes de vice-président des affaires extérieures de laBanque mondiale et de vice-président des affairesrelatives aux Nations Unies.

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démocratique, dans lequel nous comptons sur laprotection de la terre pour nous et nos familles.La démocratie, qui avant était une aspirationminoritaire, de luxe, pour une élite occidentale,est à présent devenue une exigence quasiplanétaire.

Ce raz de marée politique de notre époquedéferle sur les rochers d’une autre grandetendance des décennies récentes : l’impact de lamondialisation. Bien qu’elle ait impulsé lechangement tout au long de nos vies et mêmerendu possible bon nombre des changementsdémocratiques nationaux grâce à sestechnologies de communication de masse – lerôle de Facebook et Twitter en Égypte en esttémoin – elle a également détourné notredémocratie de façons inattendues.

Ce que je veux dire c’est que nos vies sontdevenues intégrées au niveau mondial : depuis lafinance internationale qui sous-tend leséconomies nationales, aux origines lointaines

d’où proviennent nos aliments et nos produits deconsommation, en passant par les services post-marché des banques et par l’origine du personneldans nos hôpitaux. Nous vivons nos vies dansune dépendance croissante envers les voyagesinternationaux pour le travail et le plaisir. Toutceci a des conséquences sur la démocratienationale. La réglementation de la finance, ducommerce, de la santé publique, de la sécurité etde toutes les autres dimensions d’une économiemondiale dépasse le pouvoir individuel des pays– même les plus puissants. Un pays ne contrôlequ’un ou deux maillons de la chaîne de la financeou de la propagation d’une maladie infectieuse.

C’est le dilemme que je tente d’exposer en tantque défenseur de la démocratie et championd’une meilleure gestion de nos affairesinternationales. Je décris l’évolution de ma façonde penser après avoir découvert combien il estdifficile d’amener ce moment fort de larévolution démocratique du pouvoir de la rue du

peuple vers des lieux internationaux lointains, oùsont prises de plus en plus de décisions quiinfluencent nos vies. Je suis en mesure de décriredans ces pages ces lieux inaccessibles et leurfonctionnement, car au long de mon proprecheminement je suis passé d’activistedémocratique à haut fonctionnaire international,où j’ai pris part à des délibérations importantes etexercé des rôles de gestion de premier rang àtravers le système. En effet, je doute quequiconque ait eu la chance de bénéficier d’uneexpérience aussi vaste que la mienne de directionau sein d’un système émergent de gouvernanceinternationale.

Ceci est donc l’histoire de deux révolutionsinachevées : d’une part, les imperfections et l’étatinachevé de la démocratie locale et nationale,confrontée à la persistance d’anciens groupes depouvoir et de la pauvreté et la marginalisation etd’autre part le long cheminement vers laconstruction d’une démocratie mondiale sur

« (Sur) le longcheminement, que nousavons à peine entamé,vers la constructiond'une démocratiemondiale... »

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lequel nous venons seulement de nousengager – en partie parce qu’il est plus compliquéque le concept de faire correspondre une voix àchaque personne ou pays. Nous avons à peinecommencé à déterminer comment nousgouverner nous-mêmes au niveau international.Effectivement, le monde est rempli de politiciensjaloux, qui défendent leurs propres prérogativesau nom de la souveraineté nationale et quipensent que nous ne devrions même pas tentercette aventure.Dans ce paysage international changeant, quelleest l’obligation de la génération présente vis-à-vis de la prochaine ?Eh bien, la génération présente est probablementla dernière génération non réglementée au planinternational. Nous pouvons nous ruer sur lesressources mondiales finies comme l’énergie,l’eau, les matières premières, les forêts, la terre etl’océan, comme si demain n’existait pas ! Noussommes également libres de déplacer notreargent, à la recherche de lieux où laréglementation est faible, où nos biens ne sontpas imposés et où la surveillance est laxiste. Ainsi,de nombreuses entreprises emploient unemyriade d’avocats et de comptables fiscalistespour tirer parti de ce système internationalhétérogène, où l’argent est international, mais lesréglementations sont locales.

Nous allons tout au moins devoir expliquer à laprochaine génération pourquoi, dans un monde àla population croissante, nous n’avons pas réfléchiet agi plus clairement et avec prévoyance pourtraiter ces questions. Pourquoi n’avons-nous pascompris que, dans une économie mondialisée,permettre la complaisance des politiciens, qui ontcontinué de déterminer eux-mêmes lesréglementations au niveau national, ne pouvaitengendrer que l’incohérence et l’abus ? Quepouvons-nous faire pour y remédier ? Agir dès àprésent et commencer à appliquer le modeadéquat de négociations internationales, celui quipermettra de créer pour l’avenir des cadrespropices à une gestion juste et inclusive au planinternational de ces problématiques.Dans votre livre, vous soutenez qu’à mesure queles politiciens nationaux cèderont le contrôle àdes forces mondiales impersonnelles, ils devrontfaire preuve de plus d’efficacité en tant queparticipants aux mécanismes internationaux telsque les Nations Unies. Pouvez-vous nous donnerquelques exemples de cette tendance et préciserquelles sont les conséquences potentiellesassociées à une dépendance accrue vis-à-vis d’unsystème comme l’ONU, qui nécessite encore denombreuses réformes pour fonctionnerefficacement ?Lorsque nous analysons le cycle de négociationscommerciales de Doha, qui a été jusqu’à présentaussi difficile qu’infructueux, nous constatonsque les politiciens n’interviennent que parcequ’ils pensent qu’un accord favorisera la créationd’emplois dans leurs pays. Ainsi, pendant desmois, les négociations commerciales sontdéléguées à des ambassadeurs à Genève, souventpeu motivés à arriver à un accord, étant donnéel’agréable sinécure que représente la vie à Genève.Soudain, les politiciens qui font face à une

croissance molle et à des niveaux d’emploi tropbas dans leur pays se mettent au travail et lesdirigeants commencent à échanger des appelsfrénétiques. La Maison blanche, Downing Streetet leurs équivalents indiens et chinois sontimpliqués. Dans ce cas, avec peu de résultats, maisle point essentiel est clair : les politiciensreconnaissent que le commerce international estimportant.

De même, en 2008-2009, lorsque le monde aété confronté à la débâcle financière, lesdirigeants se sont accrochés. De Bush à Brown, ilsont tous reconnu que la survie de leurséconomies nationales dépendait d’une actioninternationale coordonnée.

Bon nombre de ces exemples d’actionspolitiques coordonnées se déroulent, cependant,en dehors de l’ONU. Il est triste de constaterqu’elle est perçue comme inefficace. Elle a été

blackboulée par bien des gens en raison de safaçon de gérer les négociations sur lechangement climatique. Elle a été absente lors debon nombre de confrontations politiquescruciales au cours des dernières années. L’âprevérité est qu’elle va devoir passer à la vitessesupérieure pour ne pas être écartée du jeu dans lenouvel ordre multilatéral.

Cependant, il ne faut pas ignorer le fait que saplus grande source de faiblesse est aussi celle deson unique légitimité : tous les pays sontmembres. Et bien qu’un noyau dur de pays puisses’accorder sur une approche en matière deréglementation financière ou de changementclimatique dès lors qu’ils ont des intérêtsimportants dans la question, cet accord ne serapas appliqué de façon universelle, à moins quel’ensemble des 192 pays de la communautémondiale, souvent méfiants, souvent enopposition, ne l’approuve. Ainsi, la partiedynamique de la négociation aura beau passer del’ONU à des associations nationales ou autresacteurs plus concentrés sur un but déterminé,elles auront probablement toujours besoin del’ONU pour le sceau d’approbation final.

L’ONU ne jouerait donc qu’un rôle restreint.Tel semble être son destin, à moins qu’unenouvelle génération de dirigeants semblables àKofi Annan n’occupe à nouveau des postes clé.Comme je l’affirme dans le livre, Kofi et d’autresdirigeants aux côtés de qui j’ai travaillé se sontdistingués par leur proactivité et leur capacité àpressentir une possibilité de consensus créatif etallant dans le sens du progrès, puis à orienter,négocier et cajoler les gouvernements pour qu’ilsy parviennent. C’est en procédant ainsi quel’ONU peut produire des résultats remarquables.Si le président Obama vous accordait uneaudience pour discuter du rôle des États-Unisdans le renforcement du système des relationsinternationales et des mécanismes mondiauxcomme les Nations Unies, quelle serait votrerecommandation ?Le sénateur Obama s’est rendu à l’ONU plusieursfois, lorsque j’étais Secrétaire général adjoint.Nous avons parlé du Darfour et d’autres régionsconflictuelles. J’ai éprouvé un franc respect pourson penchant instinctif pour le multilatéralismecomme moyen de faire avancer les droits del’Homme et résoudre les conflits qui lui tenaienttrès à cœur. Il comprenait que, s’il est brandi seul,le « gros bâton américain » ne donne querarement les résultats qu’il désirait à travers lemonde. Mais, à cette époque déjà, sa foi dans lemultilatéralisme en tant que force de progrèsétait mêlée d’un scepticisme perceptible quant àla capacité de l’ONU à répondre aux besoins desgrandes tâches, comme le maintien de la paix auDarfour. La première de ses deux inquiétudessemblait être le conservatisme institutionnelchronique lié à l’obéissance aux droits souverainsdes gouvernements, y compris les plus mal enpoint comme le Soudan. Comment sauver lepeuple du Darfour si leurs propres persécuteursau Khartoum doivent approuver toutes lesmesures ? Sa seconde inquiétude apparente étaitqu’une organisation ayant de tels gouvernementsaux commandes avait peu de chance de compter

« Nous avons à peinecommencé à déterminercomment nous gouvernernous-mêmes au niveauinternational.Effectivement, le mondeest rempli de politiciensjaloux, qui défendent leurspropres prérogatives aunom de la souveraineténationale et qui pensentque nous ne devrionsmême pas tenter cetteaventure. »

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accords sur les actions communes abrusquement chuté après le Sommet de Londresen avril 2009, dès lors que la crise s’est estompée.

Ainsi, bien que l’appel à l’action mondiale enmatière de santé publique, pauvreté etchangement climatique soit tout aussi fort, ilmanque le sentiment de crise et de menacegénérale qui a été le moteur de l’action sur lethème de la finance. Il y a eu de bons moments –l’action concertée contre le VIH/SIDA, lorsqu’il amenacé de se convertir en un fléau mondial, ouencore un engagement intermittent pour luttercontre la pauvreté – mais nous n’avons pas encoreacquis une conscience politique internationalequi nous permette de comprendre que nousdevons nous inquiéter des mauvais quartiersvoisins. À l’instar des Américains ou desBritanniques qui, un siècle en arrière, ontcommencé à reconnaître que l’État doit traiter le

sur une culture interne de l’ingéniosité, de lamorale ou de la prise de risques pour traitervigoureusement les crises.

Le président Obama m’a donné l’impressiond’être à la fois un multilatéraliste inconditionnelet un partisan conditionnel de l’ONU. Il n’existequ’une façon de le convaincre du contraire.L’ONU doit donner des résultats. Cela, à son tour,requière un leadership qui prend des risques etqui est de nouveau prêt à mettre au défi lemonde, y compris les États-Unis, de mieux faire.Si vos interlocuteurs étaient les dirigeants de laChine, de l’Inde ou du Brésil, et que le sujet étaitl’avenir du système international, en quoi votrerecommandation diffèrerait-elle ?J’aurais l’audace d’offrir une leçon d’histoire auxdirigeants de la Chine, de l’Inde et du Brésil. Jem’étendrais sur des événements dont ils n’ontpas forcément connaissance – le lancement de laconception des Nations Unies par Franklin D.Roosevelt, alors que les États-Unis venaientd’entrer dans la Seconde Guerre mondiale, et lefait que son intention ne se bornait pas àl’exportation des valeurs libérales américaines àtravers le monde. Elles étaient plutôt considéréescomme un système de partage de laresponsabilité de la sécurité internationale.Roosevelt avait compris que le rôle des États-Unisallait être celui de gendarmes du monde, mais ilsavait également que les Américains exigeraientque le pays concentre ses ressources sur le frontdomestique. L’ONU est devenue le véhiculepragmatique pour résoudre cette doubleexigence et dévier les appels au leadershipaméricain vers un système robuste de leadershipmondial, où les responsabilités sur les questionsde sécurité et de développement sont partagées.

Aujourd’hui la Chine, l’Inde et le Brésil sontconfrontés à des exigences similaires des’engager dans le leadership international tandisque leurs peuples veulent qu’ils continuent àtraiter une longue liste de problèmesdomestiques non résolus. Comme pour lesAméricains en 1945, l’ONU offre à leurs dirigeantsune façon peu onéreuse d’honorer lesresponsabilités qui leur sont imposées. Ilsdoivent pour cela s’impliquer de nouveau dansl’organisation qu’ils ont jusqu’à présent toujourseue en aversion sous prétexte qu’elle était tropdominée par les pays occidentaux.Si l’on se penche sur la crise financière de 2008,quelle est la relation entre le besoin de gouvernerl’économie mondiale avec des institutionsinternationales et celui de donner à desinstitutions similaires le pouvoir et laresponsabilité de traiter des questions relatives àla santé publique, la pauvreté ou le changementclimatique ?Le saut vers un G20 doté de pouvoirs s’est produiten 2008 en raison d’une crise financière qui amenacé la stabilité des gouvernements et tousnos moyens de subsistance. Pendant un courtmoment, à cause de la crise, les dirigeants ont étésurpris par la force et la cohérence de leurspropres actions. En tant qu’envoyé au G20 dupremier ministre Gordon Brown, j’ai puconstater que l’on se trouvait à un pointculminant et, effectivement, le rythme des

problème de la pauvreté au lieu de le laisseruniquement aux mains de la charité privée, noussommes également, je pense, sur le point dedonner un grand saut en avant de l’imaginationconcernant nos responsabilités en tant quecitoyens. Que nous croyions en des solutions demarché de droite pour la pauvreté mondiale ouplutôt en des interventions sociales de gauche,nous commençons à accepter qu’il est de notreressort de nous inquiéter de la pauvretémondiale, même si nous sommes en désaccordquant aux solutions.Avec le déploiement de la « révolution mondialeinachevée » et après avoir occupé pendant denombreuses années des fonctions dans touteune série d’institutions publiques, privées et àbut non lucratif à travers le monde, quelles idéessouhaiteriez-vous impartir aux jeunes leadersémergents dans le secteur social, qui pourraientêtre désenchantés par l’inefficacité et labureaucratie des institutions internationales etleur incapacité à relever les défis du XXIe siècle ?Avant tout, le tableau d’action des jeunes leadersest vaste : ONG, l’ONU, les affaires. Pratiquementtoutes les organisations sont en train d’évoluervers un modèle plus international et cela génèredes opportunités de carrières plus longues àl’étranger. Leurs choix ne doivent donc pas selimiter à la dimension officielle d’un systèmeinternational. Il n’est ni assez grand, ni assezdivers pour nous concerner tous. Ils doiventdonc saisir leur chance dans leur domaine deprédilection et prendre conscience que lesanciennes et nouvelles organisations devront seréinventer continuellement pendant un siècle dechangements perpétuels et de probablesbouleversements radicaux. Enfin, il faut qu’ilscomprennent que le nouveau leadership devras’écarter de la figure de mâle dominant renduepopulaire par le modèle hollywoodien du leaderd’État et d’entreprise. Nous allons probablementvoir moins de titans héroïques à la mâchoireproéminente aboyer des instructions à différentssubordonnés et, au lieu de cela, nous trouver faceà un consensus plus modéré, avec des leaders quicherchent la compréhension et la conquêteémotionnelle des équipes interculturelles aveclesquelles ils travaillent. Kofi Annan. Non pasGeorge Bush.Qu’est-ce qui vous inquiète le plus à propos de la« révolution mondiale inachevée » ?Le fait qu’elle soit inachevée et que, dans unmonde qui croît au rythme de 200 000 personnespar jour, il nous reste peu de temps pour nousorganiser.Et qu’est-ce qui vous rend le plus optimiste ?Le fait que, jusqu’à présent, l’innovation,l’adaptation sociale et des individus remarquables– pas uniquement des leaders mondiauxextraordinaires, mais aussi des membres de lasociété civile et des entrepreneurs, dont certainstravaillent dans des circonstances des plusdifficiles – nous ont préservés de l’échec.lRahim Kanani est le fondateur et le rédacteur en chefde World Affairs Commentary. Découvrez d’autresentretiens avec des leaders mondiaux du développementinternational, de la philanthropie et de l’éducation, etbien plus encore sur www.RahimKanani.com.

« Ainsi, la partiedynamique de lanégociation aura beaupasser de l’ONU à desassociations nationales ouautres acteurs plusconcentrés sur un butdéterminé, elles aurontprobablement toujoursbesoin de l’ONU pour lesceau d’approbation final. »

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DANI RODRIK soutient que le paradoxesuprême de la mondialisation est qu’ellefonctionne mieux lorsqu’elle n’est paspoussée trop loin. Ce paradoxe doit serefléter dans les nouveaux accordséconomiques internationaux, qui reposentsur des délibérations démocratiques ausein des États nationaux, où elles seproduisent réellement.

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Permettez-moi de commencer par construire mon argument autour de trois idées clé.La première est l’idée selon laquelle les marchés doivent côtoyer les institutions degouvernance et de réglementation qui les sous-tendent. Ceci est un corolaire de lanotion d’Adam Smith selon laquelle la division du travail est limitée par l’étendue dumarché. Mon corolaire est l’idée que l’étendue du marché est, à son tour, limitée par laportée de réglementations et d’une gouvernance viables, et j’insiste sur la notion deviabilité. Nous constatons jour après jour que les marchés sont des institutions quirequièrent le soutien d’autres institutions non marchandes. Les institutions nonmarchandes sont essentielles à la création de tout type de marché de portéeinternationale. Les marchés ne se créent pas eux-mêmes, ne se réglementent pas eux-mêmes, ne se stabilisent pas eux-mêmes et, surtout, ils ne se légitiment pas eux-mêmes.

C’est la raison pour laquelle les marchés intérieurs qui fonctionnent bien opèrenttoujours dans le cadre d’une myriade d’institutions réglementaires qui prennent enmain les défaillances du marché, les asymétries de l’information et les problèmesd’incitation commerciale. Les règles nécessaires sont contenues dans les institutionsmacroéconomiques – institutions de stabilisation monétaire et fiscale. Pour ce qui estdu gouvernement au sens plus large, les règles sont contenues dans des institutionspolitiques qui fournissent également des filets de sécurité, la protection sociale, l’État-providence et, surtout, bien entendu, la démocratie politique, garantissant que lesmarchés opèrent d’après un ensemble de règles qui fonctionnent par le biais de modeslégitimes de choix public. Par conséquent, la première idée clé est que des problèmessurgissent dès lors que les marchés dépassent les limites des institutions degouvernement nécessaires pour les soutenir.

GouvernementLa seconde idée est que le principal lieu de gouvernement légitime reste à l’heureactuelle l’État nation. Les nouvelles idées concernant les mécanismes de gouvernementqui dépassent le niveau de l’État nation sont très créatives. Plusieurs mécanismes degouvernement mondial sont proposés : ceux des organisations traditionnellesmultilatérales ou internationales, dans l’esprit du Fonds monétaire international ou del’Organisation mondiale du commerce (OMC) ; des formes plus récentes degouvernement « en réseau » basées sur des réseaux d’autorités de réglementation ;différentes formes d’organisations non gouvernementales transfrontalières ou encorele mouvement de responsabilité sociale des entreprises. Cependant, bien que toutes cesméthodes de gouvernement transnational soient très intéressantes, importantes etinnovantes et s’efforcent de gérer les conséquences de l’extension des marchés au-delàdes gouvernements nationaux, ces structures sont néanmoins faibles et risquent de lerester. Il est peu probable qu’à elles seules elles parviennent à soutenir plus qu’uneversion relativement limitée de la mondialisation, car les délibérations démocratiquesrestent concentrées en grande partie au niveau de l’État nation.

La troisième idée est que les différents États nations ont des préférences distinctesquant à la forme que devraient prendre ces institutions de gouvernement. Du fait de laparticularité de leurs trajectoires historiques, de leurs cadres culturels et de leursniveaux de revenus et de développement, ils ont des préférences et des besoinsdifférents. Les attentes locales relatives à la forme que devraient prendre cesinstitutions varient donc d’une région du monde à l’autre, notamment en matière demécanismes de protection sociale, de réglementation financière, d’institutions dumarché du travail, ou encore des normes de santé des consommateurs et de sécurité.Cette diversité est naturelle. Il n’existe rien dans la théorie ou la pratique qui suggèreque le capitalisme, ou plus généralement tout système basé sur le marché, donne lieu àune forme de gouvernement uniforme, avec un ensemble unique de réglementationsdevant être harmonisées au plan mondial ou que différents pays ont nécessairementdes préférences similaires quant à la forme que doivent prendre ces différentesinstitutions de réglementation.

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Dani Rodrik est le professeur d’économie politique internationale de la chaire Rafik Hariri, à la John F.Kennedy School of Government de l’université de Harvard, aux États-Unis. Il a publié de nombreux ouvragesdans les domaines de l’économie internationale, du développement économique et de l’économie politique.Ses recherches se concentrent sur la détermination de ce qui constitue une bonne politique économique etla question de savoir pourquoi certains gouvernements l’adoptent mieux que d’autres. Son dernier livre estintitulé The Globalization Paradox: Democracy and the Future of the World Economy (Le paradoxe de lamondialisation : la démocratie et l’avenir de l’économie mondiale). Il est né et a grandi à Istanbul, en Turquie.

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Un patchworkEn rassemblant ces trois idées, il apparaît clairement que nous nous trouvons face àune économie qui se présente sous la forme d’un patchwork en termes degouvernement et il y a peu de chances que cela change. Nous devons intérioriser l’idéeque l’économie mondiale sera toujours divisée en différents régimes politiques et queles frontières juridictionnelles continueront d’exister. Cette conclusion est quelquepeu décevante. Elle nous force à diminuer nos attentes quant à la réalisation d’unmarché véritablement mondial et l’atteinte de ce que j’appelle « l’hyper-mondialisation», qui se réfère à l’idéal d’une économie mondiale dans laquelle les frontièresnationales n’ont plus d’importance, étant donné qu’elles n’imposent aucun coût detransaction sur les échanges économiques.

Lorsque l’équilibre entre la portée du marché et celle d’une réglementation « viable» est faussé, nous nous trouvons généralement confrontés à deux types de problèmes :1) Nous sommes confrontés à des problèmes de légitimité lorsque nous essayons depousser trop loin les règles internationales et d’harmoniser les accords institutionnelsau-delà de ce que le permettent les considérations politiques intérieures. Je pense quele meilleur exemple de cela est la difficulté dans laquelle se trouve l’actuel régimecommercial mondial. D’ailleurs, l’OMC est l’une des institutions les moins populairesau monde. Cela s’explique en grande partie par le fait que nous sommes allés trop loindans l’élaboration de règles au sein du régime commercial mondial.2) D’un autre côté, lorsque ces règles n’existent pas, lorsque le régime de gouvernementinternational reste faible ou les règles sont extrêmement spécifiques par pays, noussommes alors confrontés à des problèmes d’inefficacité et d’instabilité. Telle a été lamalédiction de la mondialisation financière. Je pense que ce que nous avons vécu lorsdes crises financières et des problèmes de contagion et de volatilité financièremondiale est lié, entre autres, au fait que nous vivons dans un monde où les marchésfinanciers sont de plus en plus internationaux, tandis que les accords réglementaires etde stabilisation continuent d’être basés au niveau des États nations. Nous ne comptonssur aucune sorte d’autorité de réglementation mondiale, d’emprunteur mondial dedernier ressort ou de politiques fiscales internationales.

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L’État nationAyant fait le tour de mon raisonnement, je ne pense pas que nous devions mettre unfrein à nos ambitions sous prétexte que l’État nation continue d’avoir du pouvoir etj’estime que la reconnaissance de la position centrale des États nations dans l’économiemondiale n’est pas forcément une mauvaise chose. Nous avons plus de chance decontribuer à une économie mondiale saine si nous reconnaissons la validité descontraintes plutôt que de nous efforcer de les éviscérer. En fin de compte,l’affaiblissement des accords intérieurs de gouvernement n’avantagerait personne.

Que vous acceptiez ou non mon raisonnement concernant les avantages d’uneéconomie mondiale divisée entre les différents régimes politiques nationaux, il estprobable que le monde évolue vers une forme beaucoup plus centrifuge d’équilibre desforces politiques. Ceci est dû, en partie, au déclin du rôle des États-Unis dansl’économie mondiale et au fait que l’Union européenne continuera sans doute de sepréoccuper vivement de sa propre crise financière et de son propre processusd’unification. ‰

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Puissances montantesEn ce qui concerne les puissances montantes, en tête desquelles se trouve bien sûr laChine, mais aussi d’autres pays comme le Brésil, l’Inde, la Turquie, l’Afrique du Sud et laRussie – bien qu’ils diffèrent sur de nombreux plans – elles ont toutes une chose encommun : l’importance considérable qu’elles ont tendance à accorder à la valeur de lasouveraineté nationale. Ces nouvelles puissances défendent donc un monde où l’Étatnation est important et où les acteurs seront de moins en moins prêts à céder leursouveraineté en faveur de mécanismes de gouvernance transnationaux ou mondiaux.Nous risquons en tout cas de manquer de leadership mondial.

Cette perspective pourrait sembler pessimiste si l’on considère le fait que, pourmaintenir une économie mondiale saine, nous avons besoin de beaucoup decoopération internationale, de gouvernance internationale et d’élaboration de règlesinternationales. Cela pourrait suggérer que l’avenir s’annonce plutôt sombre. Mais je nepense pas que ce soit la bonne façon d’envisager la situation, car pour maintenir uneéconomie mondiale saine, il faut tout simplement s’assurer que les pays fassent ce quiest bon pour eux. Ils doivent défendre leurs propres intérêts et non ceux de l’économiemondiale. C’est ce point qui n’est pas très bien compris.

Biens semi-privésNous avons tendance à nous représenter l’économie mondiale en utilisant l’analogiedes biens communs planétaires – nous pensons que l’économie mondiale est une sorted’écosystème planétaire. Cette façon de se représenter les politiques commerciales etfinancières est incorrecte, dans le sens que celles-ci sont ce que l’on pourrait appelerdes « biens semi-privés » du point de vue de chaque nation. Lorsque nous,économistes, enseignons les bénéfices du commerce et les vertus des avantagescomparatifs, nous indiquons que cela est bon en soi et individuellement pour chaque

pays. Nous n’enseignons pas que le commerce est positif parce qu’il permet d’offrir desavantages au reste du monde. Ce que nous affirmons c’est que le commerce est bonparce qu’il permet aux pays d’allouer plus efficacement leurs propres ressources. Ceciest très différent des véritables biens communs planétaires, comme dans le domainedu changement climatique. En effet, si chaque nation faisait uniquement ce qui n’étaitbon que pour elle-même, nous irions tous au diable ensemble, car personne ne seraitmotivé à investir dans la lutte contre le changement climatique. Les politiquescommerciales et financières sont différentes, car elles concernent des biens semi-privés, et bien que les pays adoptent des politiques qui sont bonnes pour eux-mêmes,ils appliquent tout de même des politiques économiques ouvertes.

Donc, au fond, sous réserve de quelques précautions, une économie ouverte est enréalité dans l’intérêt individuel de chaque pays. Cela ne va pas sans conséquence, bienentendu. Des retombées sont possibles, avec des effets sur les termes des échanges,voire des effets mercantilistes. C’est pour cette raison qu’à mon sens les politiquescommerciales et financières ouvertes sont des biens semi-privés et non des bienspurement privés du point de vue de chaque pays. Par exemple, lorsqu’un pays appliquedes politiques protectionnistes afin de se « protéger » pour des raisons inadéquates auplan économique, la majeure partie des coûts est en réalité supportée non pas par lereste du monde, mais par des groupes particuliers au sein de ce pays.

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Le corolaire de ceci est que dès lors que des États nations ont effectivement unespace de manœuvre pour sélectionner leurs propres politiques commerciales etfinancières et leurs propres accords institutionnels, leur permettant d’imposerd’éventuels coûts de transaction sur le commerce transfrontalier et les relationsfinancières, ils ne doivent pas s’engager sur la voie épineuse du protectionnisme.

Subventions agricolesJe ne prétends pas que les modèles économiques qui résultent de politiquesdémocratiques produiront forcément des résultats souhaitables. Par contre, je soutiensque lorsque les politiques démocratiques fonctionnent mal, les coûts encourus parl’économie mondiale sont principalement payés par les locaux et non pas par le reste dumonde. Les subventions agricoles en sont, bien entendu, un excellent exemple, car noussommes en présence « d’un échec crucial de l’économie mondiale ou des accords degouvernance internationale » quant aux règles commerciales. Des pays comme lesÉtats-Unis, certains pays d’Europe, le Japon ou encore la Corée, qui appliquent des tauxélevés de subventions ou de protections agricoles, génèrent des conséquences néfastespour les pays exportateurs de produits agricoles. Bien évidemment, selon la logiqueéconomique fondamentale, les pays qui subventionnent leurs produits agricolesapportent au contraire un avantage au reste du monde, qui y gagne sur le plan destermes des échanges. Ceci étant dit, la réponse à la question « Qui paie le coût de cespolitiques ? » est que ce sont les consommateurs et les contribuables du pays quisupportent ces coûts. Le principal échec n’est donc pas en soi celui des règlesinternationales. C’est l’échec des délibérations intérieures, de la démocratie intérieure.Ces politiques sont extrêmement onéreuses du point de vue de chaque pays, et si unedémocratie finit par déclarer que, malgré ces coûts, elle souhaite tout de mêmeappliquer ces politiques, ce n’est pas parce qu’elle cherche à imposer ces coûts à d’autres,mais parce que les démocraties ont le droit de commettre leurs propres erreurs.

Des gains supérieursLe point essentiel est qu’étant donné que les coûts des « mauvaises » politiquescommerciales et financières sont principalement assumés au niveau local,l’amélioration des délibérations (et celle des mécanismes de prise de décision dans cesdomaines) sera probablement une discipline et un bâton beaucoup plus puissants queles contraintes extérieures. Après tout, la plupart des coûts retombent non pas surl’étranger, mais sur le marché intérieur. De plus, les mécanismes de gouvernance ausein desquels nous pouvons raisonnablement traiter ces questions sont de toutemanière principalement nationaux. Cette façon de penser l’avenir a donc desimplications sur notre manière d’envisager les caractéristiques des institutionsinternationales et ce sur quoi nous devrions concentrer notre énergie. En d’autrestermes, quels sont les gains supérieurs qu’apporteraient une coopération et uneélaboration des règles au plan international ?

Nous pouvons appliquer certains de ces principes plus larges à des domainespolitiques comme la résolution de la question macroéconomique brûlante du jour quiest : comment régler le problème des déséquilibres macroéconomiques mondiaux ?

ChineCelui-ci est clairement un domaine dans lequel les retombées transfrontalières sontconsidérables, car on peut affirmer, très raisonnablement, que les politiquesmercantilistes de la Chine ont des coûts pour d’autres pays. Lorsque je parle depolitiques mercantilistes de la Chine, je fais référence aux politiques monétaires etautres qui créent un important surplus commercial. Leurs coûts sont supportésailleurs dans l’économie mondiale, puisqu’elles aggravent le chômage aux États-Unis etdans d’autres pays et qu’elles portent atteinte à la croissance économique dans les paysen développement et ceux des marchés émergents à cause de la relation entre taux dechange et croissance économique. Cependant, je pense que ce débat n’a passuffisamment abordé les inquiétudes valables de la Chine à propos des conséquencespotentielles d’une appréciation rapide de la monnaie au plan social et de l’emploi.Ainsi, au cours des dix dernières années, le modèle de croissance de la Chine aamplement reposé sur la sous-évaluation de sa devise, une forme de protectionnismepar le taux de change, qui a progressivement remplacé les politiques commerciales etindustrielles employées par la Chine avant son entrée dans l’OMC en 2001. Il estd’ailleurs frappant de constater que le déséquilibre extérieur et la sous-évaluation

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du taux de change aient tous deux commencé à croître en 2001, au moment où laChine a rejoint l’OMC.

Je pense donc que pour régler ce problème complexe nous devons accepter que, si lereste du monde – et en particulier les États-Unis – décide d’imposer fermement à laChine qu’elle prenne des mesures sur le front du taux de change, nous avons égalementle devoir de nous demander si la Chine n’a pas besoin d’une police d’assurance contreles difficultés engendrées par la perte d’emplois et le ralentissement considérable de lacroissance économique, potentiellement très couteux au plan social. Selon la logiqueéconomique, la police d’assurance que nous devons fournir à la Chine est une plusgrande liberté dans application de politiques sectorielles dans le cas où des secteursparticuliers ou des ensembles donnés d’entreprises seraient affectés par l’appréciationrapide du renminbi, risquant de provoquer des problèmes de chômage. Ce que jesuggère ici c’est que l’imposition à la Chine d’une plus grande discipline en matière depolitiques macroéconomiques et de taux de change n’est vraiment viable que si elles’accompagne d’un assouplissement considérable de la discipline en matière depolitiques sectorielles, microéconomiques ou industrielles. D’une certaine façon, lacontrepartie ici est qu’il faut fermer les yeux si la Chine viole les accords de l’OMC surles subventions et applique des politiques sectorielles pour tenter de contrecarrer lescoûts en matière d’emploi d’une appréciation rapide du renminbi. En échange, le restedu monde peut exiger une plus grande discipline mondiale dans le domaine despolitiques macroéconomiques et monétaires.

Mobilité de la main-d’œuvreLe second est un domaine où la mondialisation a bien trop peu avancé. Dans celui ducommerce et de la finance internationaux, nous cherchons des moyens de diminuer lesconséquences d’une mondialisation qui est allée trop loin. Mais en ce qui concerne lerégime du travail international, nous vivons dans un monde où la mondialisation n’apas assez progressé. Le régime actuel du travail international se trouve plus ou moins aumême stade que le régime commercial des années 1950. Nous vivons dans un mondedans lequel il existe des barrières très élevées à la mobilité de la main-d’œuvre et despolitiques extrêmement incohérentes – des restrictions quantitatives partout. Du pointde vue économique, cela signifie qu’étant donné que nous partons d’une situation où lesbarrières sont très hautes, si l’on compare les gains totaux en efficacité mondiale et leseffets de distribution potentiellement négatifs à la suite de l’abaissement de cesbarrières, la balance s’incline fortement du côté positif. Elle s’incline du côté des gainsd’efficacité nets. Pour chaque dollar redistribué par le biais de l’abaissement de cesbarrières à la mobilité des travailleurs temporaires, le surplus généré pour l’économiemondiale et le niveau d’augmentation des opportunités au niveau planétaire dépassentde loin ce que l’on obtiendrait dans pratiquement n’importe quel autre domaine deréforme. La moindre petite hausse de la quantité de visas de travail temporaire octroyéspar les pays riches produirait des gains nets plusieurs fois supérieurs à ceux générés parla suppression des barrières commerciales ou tout ce qui fait actuellement l’objet dediscussions concernant le régime commercial international.

Telle est la véritable frontière inexplorée de la mondialisation et si les négociateurscommerciaux veulent vraiment faire quelque chose d’utile et augmenter véritablement

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la richesse mondiale plutôt que de perdre leur temps à Doha, ils devraient à mon aviscibler ce domaine et mettre de côté l’ordre du jour actuel.

Règles internationalesConcernant la nature des règles internationales, je pense que leur principalecontribution réside dans l’effet qu’elles peuvent avoir sur l’amélioration des débatsintérieurs. Un changement de priorités devrait s’opérer au sein d’institutions telles quel’OMC ou le G20. Plutôt que de s’efforcer d’harmoniser la substance des règlesinternationales dans l’objectif de minimiser les coûts des transactionstransfrontalières, elles devraient plutôt se concentrer sur des mécanismes deprotection de la procédure, garantissant que les débats internes sur les sujets relatifs àla réglementation et qui touchent le commerce et la finance bénéficient de quelquesaméliorations fondamentales. Le principe clé ici serait de garantir des questionscomme la transparence, la responsabilité, la représentativité et l’utilisation de preuvesscientifiques et économiques dans les débats concernant les politiques commerciales,industrielles et financières. Les règles internationales pourraient déterminer desnormes de procédure, exiger l’application de ces principes et, par le biais d’un telmécanisme, elles pourraient même contribuer à la qualité des délibérations au sein despays. L’idée est qu’il y a beaucoup à gagner à légitimer les différences nationales et lesstructures réglementaires, mais cela doit s’accompagner de mécanismes de protectionde la procédure qui peuvent améliorer la qualité de ces délibérations.

Pour résumer, je pense que la délibération démocratique s’organise encoremajoritairement autour des États nations et je crois au droit des pays à protéger leurspropres accords réglementaires et leurs institutions, quoique je distingue trèsclairement ce droit de celui d’imposer ces accords à d’autres. Le droit de compter survos propres institutions ne vous donne pas le droit de les imposer à d’autres. Je penseque nous devons nous efforcer de faire avancer le plus possible un modèle demondialisation économique qui soit cohérent avec la préservation d’un espace dediversité en matière d’accords internationaux intérieurs.

Marges de manœuvre politiquesJ’insiste sur le besoin de création de marges de manœuvre politiques, car j’estime quetoutes sortes de pays en ont besoin. Les pays riches en ont besoin pour fournir des filets desécurité sociaux et des programmes d’assurance sociale, pour répondre aux inquiétudes àpropos des conséquences du commerce sur l’emploi, l’environnement, la santé et lasécurité et enfin pour raccourcir la chaîne de délégation selon laquelle les décisions sontprises par un groupe de juges à Genève. Je pense que les pays en développement ontbesoin de ces marges de manœuvre politiques, car jusqu’à présent les pays qui ont profitéde ces marges pour restructurer et diversifier leurs économies sont ceux qui ontfinalement été les plus avantagés et qui ont tiré le meilleur profit de la mondialisation.

Le fait de fournir aux pays aussi bien du Nord que du Sud – aux pays riches commeaux pays pauvres – ce type de marges de manœuvre politiques et de comprendrequ’elles sont nécessaires pour conserver l’intégrité des institutions intérieures estsouhaitable d’un point de vue bien plus large que celui de la simple gestionéconomique nationale. En effet, elles permettront la mise en place d’une économiemondiale viable et plus saine. n

l Ce texte est uneversion modifiée d'uneconférence donnée auPeterson Institute forInternational Economics,à Washington, D.C., le 4 mai 2011.

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Les économistes dans les paysdéveloppés ont construit undiscours rassurant à propos denos efforts dans la lutte contre lapauvreté mondiale, mais si on yregarde de plus près, lesstatistiques mettent en évidenceune série de promessesrompues et d’initiativesfaussées, écrit Thomas Pogge

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THOMAS POGGEest professeur dephilosophie et d’affairesinternationales, chaireLeitner, à l’université deYale, dans le New Haven,aux États-Unis.

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Le caractère équitable d’un système économique peut être déterminé selondeux critères. Premièrement, tout le monde devrait pouvoir compter sur desconditions de départ minimales adéquates, afin de pouvoir participerefficacement. À l’heure actuelle, cette exigence n’est pas satisfaite pour lespersonnes qui sont dépourvues d’un niveau basique d’alphabétisation etd’aptitude au calcul ou qui souffrent depuis leur enfance de sous-nutrition oude malaria endémique. De telles conditions contrecarrent leur capacité àexplorer et à évaluer leurs options en matière d’achat, de vente, d’emprunt oud’emploi. Deuxièmement, ceux qui se trouvent en bas de l’échelle doivent êtreen mesure d’obtenir une part proportionnelle de la croissance économique.Cette exigence n’est pas satisfaite, par exemple, dans un système féodal oùl’écart entre les propriétaires terriens et les personnes dépourvues de terress’élargit inexorablement, quels que soient les efforts que ces derniers mettentau travail.

Malgré un abondant engagement rhétorique envers l’idéal d’un ordreéconomique planétaire équitable, le monde a en réalité évolué dans ladirection opposée. D’après l’Organisation des Nations Unies pourl’alimentation et l’agriculture, le nombre de personnes souffrant de sous-nutrition chronique a augmenté de façon constante depuis le début desannées 1990, dépassant le milliard en 2009 pour la première fois dansl’histoire de l’humanité. Branko Milanovic affirme qu’après seulement 17 ansde mondialisation (de 1988 à 2005), la part des revenus internationaux desménages revenant au quart inférieur de la population mondiale a diminuéd’un tiers (passant de 1,155 % à 0,775 %), élargissant de 61 % l’écart entre lesrevenus moyens des 5 % de la population la plus riche et ceux du quart le pluspauvre.

Ces statistiques désolantes ternissent le beau tableau de l’effort courageuxet des succès partiels que des économistes bien payés servent aux médias et au

public des pays riches. Mais si notre intérêt pour l’équité est réel et non unesimple apparence, alors nous devons être disposés à affronter la réalité et àanalyser plus en détail la façon dont ce discours inadéquat est construit. Nousdevons examiner les ajustements douteux du pouvoir d’achat par la Banquemondiale, qui compte une personne comme non pauvre, alors que l’ensemblede ses revenus lui permet à peine d’acheter quotidiennement la quantité denourriture que l’on peut acquérir aux États-Unis pour 83 centimes. Nousdevons reconnaître l’hypocrisie de l’effort des Objectifs du millénaire pour ledéveloppement (OMD), qui apparaît clairement lorsque l’on retrace l’histoirede la naissance du premier et du plus important des OMD : la promesse dediviser par deux la pauvreté d’ici 2015.

La première version de cette promesse a été faite en 1996, dans ladéclaration de Rome sur la sécurité alimentaire mondiale. Elle nous engage àdiviser par deux le nombre des personnes sous-alimentées entre 1996 et 2015.La deuxième version de la promesse a été faite par l’Assemblée générale desNations Unies dans sa Déclaration du Millénaire en 2000. Elle nous engage àréduire de moitié, entre 2000 et 2015, « la proportion des habitants de laplanète dont les revenus sont inférieurs à un dollar par jour et la proportiondes personnes qui souffrent de la faim. » La troisième version de la promesse,théoriquement fondée sur la Déclaration du Millénaire, est la formulationofficielle de l’OMD-1, désormais utilisée pour suivre les progrès. Elle nousengage à diminuer de moitié, entre 1990 et 2015, la proportion des personnesextrêmement pauvres vivant dans les pays en développement.

Dissimulées derrière un slogan inchangé (« réduire de moitié la pauvretéextrême d’ici 2015 »), les révisions ont intelligemment dilué la promesse. Endéfinissant l’objectif sous la forme d’une proportion plutôt que de chiffres, lesdernières versions tirent parti de la croissance de la population. Cet avantageest amplifié à la fois par la prise en compte du nombre des pauvres dans la

« Nous devons reconnaître l'hypocrisie de l'effort des Objectifs dumillénaire pour le développement (OMD), qui apparaît clairement lorsquel'on retrace l'histoire de la naissance du premier et du plus important des

OMD : la promesse de diviser par deux la pauvreté d'ici 2015. »

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« population des pays en développement » dont la croissance est rapide, plutôtque dans la « population mondiale », et par la décision de fixer une date deréférence antérieure : 1990. En effet, si les prévisions sont justes et lapopulation des pays en développement augmente de 146 % d’ici 2015, alors lenombre des pauvres ne doit descendre qu’à 73 % de ce qu’il était afin de « réduire de moitié la pauvreté ». Ceci est de toute évidence nettement moinsambitieux que de diminuer le nombre des pauvres à 50 % de ce qu’il était. Lefait d’avancer la date de référence à 1990 présente encore un avantage : le reculspectaculaire de la pauvreté en Chine dans les années 1990 peut dorénavantêtre comptabilisé dans la progression vers les Objectifs du millénaire pour ledéveloppement.

Les derniers chiffres de la Banque mondiale sur l’évolution de la pauvretéextrême et les dernières statistiques de l’ONU sur la croissance de lapopulation illustrent l’importance de ces reformulations. Les dilutions ontaugmenté de 484 millions le nombre des personnes dont la pauvreté extrêmeen 2015 sera jugée moralement acceptable, voire célébrée comme un succès.Pourtant, 484 millions de personnes de plus vivant dans des conditions depauvreté extrême revient environ à six millions de morts prématurées liées àla pauvreté chaque année.

Ce qui est encore plus remarquable que la réflexion profonde consacrée àces reformulations trompeuses est le fait que, malgré leur grande visibilité,elles n’ont entraîné aucune protestation, ni même le moindre commentairede la part des politiciens, des bureaucrates et des experts (y compris ceux despays moins développés) qui sont censés être engagés dans la lutte contre lapauvreté. Aucun d’entre eux n’a voulu mettre sa carrière en danger pourprotéger les pauvres en faisant tenir ses promesses initiales à l’éliteinternationale.

L’histoire des 20 dernières années n’est pas que, par le biais du mensonge,l’élite internationale a fait moins que ce qu’elle aurait dû faire pour tirer lesgens de la pauvreté. Si le quart le plus pauvre de l’humanité avait seulementsuivi la croissance des revenus moyens mondiaux, s’il avait seulementconservé sa part dérisoire de 1,155 % des revenus mondiaux des ménages, ilaurait eu, en 2005, 49 % de plus que ce qu’il avait réellement. Bien qu’inférieurau niveau de base équitable de participation à l’économie mondial, cemontant aurait néanmoins permis une amélioration considérable de leursconditions réelles. La véritable histoire des 20 dernières années est que,malgré toute la rhétorique et les bons efforts couronnés de succès denombreuses ONG et agences pour le développement, les pauvres du mondeont été massacrés. Si nous ne sommes pas en mesure de comprendrecomment cela s’est produit, nous ne serons pas capables de mieux fairependant l’ère post-OMD.

Qu’est-ce qui n’a pas marché ?La persistance d’une pauvreté extrême de grande envergure, lorsqu’elle estreconnue, s’explique généralement par deux facteurs : des régimes corrompuset oppressifs dans de nombreux pays et le « panier percé » de l’aide audéveloppement. Ces deux explications contiennent un élément de vérité.Mais la première ne parvient pas à expliquer la prévalence élevée de régimescorrompus et oppressifs et la seconde ne précise pas pourquoi la part desrevenus des pauvres diminue rapidement.

Mon explication personnelle redéploie la métaphore : les biens despauvres sont comme un panier percé, constamment vidé par des sortiesconsidérables qui anéantissent les effets de l’aide au développement qui sont,de toute manière, médiocres. Nous sommes très fiers de notre aide, nousvantant des quelque 15 milliards USD que les pays de l’OCDE dépensent tousles ans dans des services sociaux de base au sein des pays pauvres. Pourtant,nous ignorons les montants colossaux que nous tirons des pauvres sanscompensation. Permettez-moi de passer en revue les manières dont nousnous y prenons.

Premièrement, les pays riches et leurs entreprises achètent des quantitésgigantesques de ressources naturelles aux dirigeants de pays endéveloppement, sans se soucier de la façon dont ces dirigeants sont arrivés aupouvoir, ni de comment ils l’exercent. Dans de nombreux cas, cela revient àcollaborer dans le vol de ces ressources à leur propriétaire : le peuple du paysen question. Cela enrichit également leurs oppresseurs et, par là même,enracine l’oppression : les tyrans nous vendent les ressources de leurs victimeset ils utilisent ensuite les produits réalisés pour acheter les armes dont ils ontbesoin pour se maintenir au pouvoir.

Deuxièmement, les pays riches et leurs banques prêtent de l’argent àces dirigeants et obligent le peuple du pays à le rembourser, même aprèsque le dirigeant ait quitté le pouvoir. Bien des populations pauvrescontinuent de rembourser des dettes encourues, contre leur volonté, pardes dictateurs tels que Suharto en Indonésie, Mobutu en Républiquedémocratique du Congo et Abacha au Nigeria. Une fois de plus, nousprenons part à un vol : l’imposition unilatérale de la dette pèse sur despopulations pauvres.

Troisièmement, les pays riches facilitent le détournement de fonds parles fonctionnaires publics dans les pays moins développés en permettant àleurs banques d’accepter ces fonds. Cette complicité pourrait êtrefacilement évitée : les banques doivent déjà répondre à des obligationsstrictes de notification des fonds soupçonnés d’être liés au terrorisme ou autrafic de drogue. Pourtant, les banques continuent d’accepter et de gérer desfonds détournés et les gouvernements font en sorte que leurs banquesprésentent toujours des attraits pour de tels dépôts illicites. GlobalFinancial Integrity (GFI) estime que les pays moins développés ont perdu aumoins 342 milliards USD de cette façon entre 2000 et 2008.

Quatrièmement, les pays riches facilitent l’évasion fiscale dans les paysmoins développés par le biais de normes comptables laxistes pour lesentreprises multinationales. Étant donné qu’elles ne sont pas obligées deprésenter des rapports pays par pays, ces entreprises peuvent facilementmanipuler les prix de transfert entre leurs filiales pour concentrer leursprofits dans les pays où les impôts sont les plus faibles. Par conséquent, ellespeuvent ne déclarer aucun profit dans les pays dans lesquels elles extraient,fabriquent ou vendent des biens ou des services, et payer les impôts surleurs revenus internationaux dans quelque paradis fiscal où elles n’ont deprésence que sur le papier. GFI estime qu’entre 2002 et 2006 la falsificationdes prix a privé les pays moins développés de 98,4 milliards USD par an derevenus fiscaux.

Cinquièmement, les pays riches sont responsables d’une partdisproportionnelle de la pollution planétaire. Leurs émissions sont lesprincipales fautives dans la survenue de risques graves pour la santé,d’événements climatiques extrêmes, de la montée des niveaux de la mer etdu changement climatique, auxquels les populations pauvres sontparticulièrement vulnérables. Un récent rapport du Forum humanitairemondial, dirigé par Kofi Annan, estime que le changement climatique a déjàgravement touché 325 millions de personnes et causé l’équivalent de 125 milliards USD de pertes économiques chaque année. Il provoqueégalement 300 000 décès, dont 99 % dans les pays en développement.

Enfin, les pays riches ont créé un régime commercial international quiest censé générer des gains collectifs considérables grâce à la liberté et àl’ouverture des marchés. Le régime est néanmoins truqué, car il permet auxÉtats riches de continuer de protéger leurs marchés au moyen de tarifs et dedroits antidumping et de gagner des parts de marché mondiales plusgrandes par le biais de crédits et subventions à l’exportation (dont quelque300 milliards USD annuels destinés à l’agriculture) que les pays pauvresn’ont pas les moyens d’égaler. Comme la production emploie beaucoupplus de main-d’œuvre dans les pays pauvres que dans les pays riches, detelles mesures protectionnistes détruisent bien plus d’emplois qu’elles n’encréent.

Ces facteurs réunis génèrent un violent vent de face qui nuit aux pauvres.Les effets de l’aide étrangère publique et privée sont anéantis, ce qui signifieque les pauvres continuent d’être exclus de la participation effective àl’économie mondialisée et qu’ils ne peuvent pas bénéficierproportionnellement de la croissance économique internationale.

Ce problème peut être résolu par une augmentation considérable del’aide au développement, mais de telles compensations continues ne sont nirentables ni durables. Il vaudrait beaucoup mieux mettre au point desréformes institutionnelles capables de diminuer le vent de face, puisl’arrêter. Cela impliquerait de considérer le problème de la pauvretémondiale non pas comme une inquiétude de spécialistes, en marge despolitiques, mais plutôt comme un sujet important à prendre enconsidération dans toutes les décisions liées à la conceptioninstitutionnelle.lCet article est d’abord paru dans The RSA Journal puis publié à nouveau ici, avecl’autorisation de la Royal Society for the Encouragement of Arts, Manufactures andCommerce (RSA).

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Jan Wouters et Dylan Geraets soutiennent que la gouvernance en réseau doit être transparente, inclusive et réceptive.

Mondialisation,gouvernance

et le G20

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Comment gouverner la mondialisation ? Aucours des trois dernières années, le monde a ététémoin de l’émergence d’une série de nouveauxacteurs dans la gouvernance mondiale. Desréseaux (informels) sont de plus en plus utiliséscomme forums pour discuter de nouvellesproblématiques pressantes, aux côtés desorganisations internationales traditionnelles.Ces réseaux opèrent dans des domaines aussivariés que la sécurité alimentaire, ladétermination de normes, la santé publiqueinternationale et la réglementation financière. Auniveau mondial, un des meilleurs exemples de lagouvernance en réseau est le Groupe des 20. Parle biais du G20 – qui a été élevé au rang des chefsd’État et de gouvernements en novembre 2008 –les dirigeants mondiaux tentent de traiter lesproblèmes les plus pressants qui surgissent dansnotre monde de plus en plus multipolaire.L’ordre du jour du G20, initialement focalisé surle traitement des effets de la pire crise financièrejamais connue depuis les années 1930, s’estprogressivement élargi et englobe aujourd’huides problématiques allant de la réforme desinstitutions financières internationales et leseffets des déséquilibres macroéconomiques à lavolatilité des prix des matières premières, enpassant par le développement et la lutte contre lacorruption. Dans son effort pour traiter cesquestions, le G20 entretient une relation étroiteavec les organisations internationales formelles,telles que le Fonds monétaire international,l’Organisation mondiale du commerce et laBanque mondiale.

Après trois ans, nous pouvons effectuer unepremière évaluation de cette structurerelativement nouvelle de gouvernanceinternationale : la combinaison de réseauxinformels, comme le G20, et d’organisationsinternationales formelles s’est-elle avéréefructueuse ? A-t-on pu observer une coopérationefficace concrète entre eux ? Le G20 apporte-t-ildes conseils politiques aux organisationsinternationales « traditionnelles » ? Nous devons,en même temps, nous demander si le G20 est lui-même efficace en termes de gouvernance « démocratique » mondiale. L’inclusion de paysémergents rend-elle le G20 plus légitime ? LeG20 a-t-il répondu aux attentes en matière degouvernement de la mondialisation : peut-ilfonctionner comme un nouveau comitédirecteur pour le monde ?

Un ordre du jour plus large – changementde prioritésLe G20 étant un réseau et non une organisationformelle, il n’est pas fondé sur une charte ou untraité formels. Il n’existe aucune procédure devote ni aucun secrétariat central et ses décisionsne sont pas contraignantes au plan juridique. Parle biais de sa structure informelle, le G20 a laliberté de déterminer son propre ordre du jour,de coordonner ses politiques et de distribuer destâches parmi les institutions existantes. Aprèsune phase initiale de gestion de crise dans lecontexte de la crise financière internationale,cette liberté a permis l’élargissement despriorités du G20. L’inconvénient de cet ordre du

jour plus vaste s’est manifesté dans le niveau decapacité de prise de décision du G20.L’opportunisme dont ont fait preuve les «sherpas » (les diplomates anonymes qui réalisentle travail préparatoire pour les réunionsimportantes comme celles du G8 ou du G20)dans la confection d’un train de mesures desubventions à la fin de l’année 2008 ne s’observeplus dorénavant. Loin de devenir une plateformecentrale de gouvernance internationale, le G20s’est transformé en un forum où une variété deproblématiques sont discutées et où diversesopinions et préférences politiques sontéchangées entre les nouveaux pouvoirs et lespouvoirs émergents, mais où des conclusionspolitiques fermes ne sont pas forcémentatteintes.

Vision et conseilsDans un numéro antérieur de Making It, PeterSutherland a mis en garde contre le nationalismeéconomique croissant de la façon de pensermercantiliste et contre la montée duprotectionnisme dans les pays du G20. Plusrécemment, Pascal Lamy, directeur général del’OMC, a vivement conseillé aux dirigeants duG20 de « renouveler leur engagement ferme à nepas avoir recours au protectionnisme pour sortirde la crise. » Lors d’un discours précédent, M. Lamy a également demandé aux dirigeants duG20 de fournir les conseils politiques nécessairespour conclure le cycle des négociationscommerciales multilatérales de Doha qui se

déroulent depuis 2001. Malheureusement, cesdemandes sont jusqu’à présent restéesinsatisfaites. Malgré leur engagement initial àéviter le protectionnisme, une augmentation dunombre des mesures protectionnistes a étéobservée dans la réalité au cours des six derniersmois. Cet exemple soulève la question de savoirdans quelle mesure le G20 est réellement capabled’apporter la vision politique et les conseils quel’on attend de lui. Peut-on, de façon réaliste,attendre ce type de conseils (ces décisions) de lapart d’un réseau qui comprend à la fois la Chineet les États-Unis : l’exemple suprême de latension géopolitique en ce moment précis ? Ian Bremmer et Nouriel Roubini, deséconomistes influents, ont soutenu dans unrécent article paru dans Foreign Affairs, qu’entermes d’efficacité, le G20 est passé d’un « concertdes nations en puissance à une cacophonie devoix rivales. » Selon eux, « l’ère du G-Zéro a plusde chance d’engendrer un conflit prolongé qued’accomplir quoi que ce soit de comparable à unnouveau Bretton Woods. »

Une gouvernance internationale légitime etfiable ?Jusqu’en 2008, le Groupe des huit (G8) était unclub exclusif des économies mondialesdominantes. Son importance s’est néanmoinsestompée au cours des dernières années. Unréseau qui n’inclut pas des économiesfondamentales comme l’Inde, la Chine et leBrésil risque de devenir insignifiant. Ce déficitimportant de légitimité du G8 a été partiellementcomblé en invitant ces pays à la table de laconstellation du G20. Les économies émergentesqui se trouvent à présent « dans » le réseau ontutilisé cette position à leur avantage. Bien queleurs opinions n’aient souvent pas été les mêmes,elles ont été les principales partisanes despropositions de réforme des institutionsfinancières internationales. Un certain nombrede pays exclus, y compris la Norvège et surtout lespays rassemblés dans le « Groupe pour lagouvernance mondiale » (3G), ont exprimé leursinquiétudes à l’égard de la légitimité du G20.Certaines de ces craintes pourraient êtresoulagées, par exemple en rendant plustransparent le processus de prise de décisions, enpubliant plus de documents pour accompagnerles communiqués qui sont déjà ouvertementdisponibles.

Plutôt que de considérer les (nouvelles)institutions internationales comme la panacée àtous les défauts perçus de la gouvernancemondiale par des réseaux, il vaudrait mieuxencourager nos dirigeants à faire preuve du typede leadership politique et de vision qui a manquépendant si longtemps. Si nous admettons que lesréseaux (informels) sont indispensables pourtraiter les problèmes que pose le processus demondialisation, nous devons tenter d’atténuercertains de leurs aspects négatifs. Il ne seraprobablement pas nécessaire de se tourner versde nouvelles institutions formelles si nousfaisons en sorte que les réseaux d’aujourd’hui etde demain soient transparents, inclusifs etdynamiques. n

JAN WOUTERS est professeur de droit internationalet organisations internationales et directeur ducentre d’études de la gouvernance internationale etde l’institut de droit international de l’université deLouvain, en Belgique.

DYLAN GERAETS est un assistant à l’institut de droitinternational de l’université de Louvain.

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L’industrie textileouvre la marcheLors de la Conférence des Nations Unies sur lespays les moins avancés (PMA), qui s’est tenue enTurquie en mai 2011, le Bangladesh a été désignépar les fonctionnaires de l’ONU comme un despays les plus enclins à sortir de la liste des PMA.

Cette opinion a été reprise par l’éminentéconomiste Debapriya Bhattacharya, qui aaffirmé aux journalistes : « Je pense que leBangladesh a la capacité de sortir très bientôt dela liste des PMA, étant donné les immensesprogrès réalisés par ce pays dans différentssecteurs, y compris l’économie. »

Malgré la turbulence politique et les désastresnaturels fréquents des dernières années, leBangladesh a continué d’afficher des chiffresétonnamment bons en matière de croissance etdéveloppement. La croissance économique a étéen moyenne de 5 à 6 % par an depuis 1996 et elles’est accompagnée d’une réduction appréciablede la pauvreté.

Le pays a réalisé des progrès louables dans denombreux aspects du développement humain,dont le plus notable est l’afflux de filles dans lesystème éducatif et de femmes sur le marché dutravail. Le Bangladesh est en passe de réaliser lesObjectifs du millénaire pour le développementconcernant la mortalité infantile et l’égalité entreles sexes dans l’éducation.

Il semble quelque peu paradoxal que leBangladesh ait réalisé un progrès relativementimportant en matière de développement, alorsqu’il est confronté à un contexte gouvernementaldifficile, caractérisé par l’instabilité politique,des infrastructures médiocres, la corruption etune structure insuffisante d’alimentationélectrique. Les analystes ont été forcés de

conclure que, malgré ces circonstances ardues,les gouvernements successifs sont parvenus àmaintenir la stabilité macroéconomique, ontpermis au secteur privé de s’épanouir et ontfacilité la réception de transferts substantielsd’argent de la part de Bangladais travaillant àl’étranger.

L’économie du Bangladesh, qui était à labase principalement agraire et féodale, a subiune rapide transformation structurelle au coursdes quarante dernières années. Alors qu’audébut des années 1970 le secteur agricolereprésentait 50 % du PIB, il n’y contribue plusaujourd’hui qu’à hauteur de moins de 20 %. Lesservices et l’industrie sont dorénavant lesprincipaux moteurs de la croissanceéconomique, avec 50 % du PIB issus desservices et environ 30 % de l’industrie.

La croissance industrielle a été tirée par uneindustrie textile en plein essor. Ce secteur adécollé dans les années 1980, lorsque lesinvestisseurs étrangers ont remarqué le faiblecoût de la main-d’œuvre du pays, mais levéritable impact s’est produit pendant ladernière décennie. En 2002, l’industrie textile aexporté 5 milliards USD de produits ; ce chiffrea atteint 12,6 milliards USD au cours del’exercice 2009-2010. Récemment,l’Organisation mondiale du commerce a classéle Bangladesh quatrième plus grandexportateur du monde de vêtements.

L’industrie textile emploie aujourd’hui plusde trois millions de travailleurs, dont 90 % sontdes femmes. D’après Nasreen Awal Mintoo,présidente de l’Association des femmesentrepreneurs du Bangladesh, cette partie

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Une fille sèche mouchoirscolorés près d’une usine autissage à la main à Kaliganj,32 miles de la capitale,Dhaka

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dynamique du secteur de l’économie est tirée parle secteur privé dans lequel les femmes jouent unrôle important.

« Le secteur privé du Bangladesh est trèsactif. C’est grâce au secteur privé que lacroissance du Bangladesh est plus rapide, » arécemment déclaré M. Mintoo à IPS. « Et l’espritd’entreprise des femmes grandit rapidement, cequi contribue à la croissance du Bangladesh. Denombreuses femmes entrepreneurs semanifestent. »

M. Mintoo fait partie de ceux qui pensent quele pays se prépare à aller de l’avant et soutient : «Le Bangladesh va cesser d’être un PMA... et lesfemmes sont vraiment en train de jouer un rôlemajeur dans ce processus. »

Sabera Ahmed, président-directeur généralde Pentasoft Centre of Excellence, un réseaud’éducation en technologies de l’information,pense aussi que les femmes – aussi bien la main-d’œuvre féminine que les femmes entrepreneurs– ont actuellement un impact considérable surles progrès économiques du pays.

« Nous sommes un modèle, dans la maison eten dehors de la maison. Même à l’extérieur dupays, » déclare Mme Ahmed. « Une révolution esten train de se produire dans le secteur textile.Comme aux États-Unis, qui ont connu unerévolution féminine dans les années soixante,des révolutions se sont produites dans notre paysdans les années quatre-vingt, dans les annéesquatre-vingt-dix, dans le secteur textile. »

Pour illustrer ses propos, elle remarque : «Nous voyons très souvent les hommes s’occuperdes enfants à la maison pendant que les femmesvont travailler à l’usine textile. »

L’industrie textile restera, dans un avenirprévisible, la plus grande contributrice à lacroissance de la production, notamment grâceaux récents changements dans les règlesd’importation de l’Union européenne (UE), quioctroient au Bangladesh (et à d’autres PMA) unimportant avantage compétitif par rapport auxautres concurrents. Cela donne au Bangladeshun accès libre de taxes à l’UE pour les vêtementset autres produits finis, à condition que lescomposantes importées pour le produit fini nedépassent pas 70 %. Les vêtements importés enUE depuis la Chine, l’Inde, le Pakistan et le SriLanka, qui sont les principaux concurrents duBangladesh, mais qui ne sont pas des PMA,devront payer des taxes.

Au cours des premiers mois de l’année 2011,la valeur des exportations textiles duBangladesh a brusquement augmenté, à la suitede l’application de la nouvelle règle. Une desconséquences de ce nouvel arrangement est queles sociétés chinoises et indiennes, entre autres,ont commencé à s’installer au Bangladesh dansl’objectif de s’assurer une présence dans cesecteur appartenant largement à des capitauxintérieurs. Les sociétés locales ont déjà expriméleurs inquiétudes à propos de la nouvelleconcurrence sur le sol de leur pays.

Sur le long terme, cela peut représenter undilemme pour les décideurs politiques duBangladesh : les exportateurs textiles bangladaispeuvent prospérer grâce à l’accès à l’UE libre detaxes pour les pays considérés comme des PMA,mais le succès économique de ce secteur peuttout à fait aider à mettre un terme à ce statut. n

« Le Bangladesh va cesser d’être unPMA... et les femmes sont vraiment entrain de jouer un rôle majeur dans ceprocessus. »

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Quels ont été vos principaux succès pendant lesdeux années et demie où vous avez été ministrede l’Industrie, et quels sont les principaux défisauxquels vous êtes confronté dans votre effortpour accomplir un développement industrieldurable ? La principale motivation de l’actuelgouvernement du Bangladesh, sous la directiondynamique et visionnaire du premier ministreSon Excellence Sheikh Hasina, est de construireune société fondée sur la connaissance par le biaisd’une industrialisation fortement axée sur latechnologie, durable et écologique. À la surprisegénérale, le Bangladesh a fait preuve d’unedétermination remarquable pendant leralentissement économique en maintenant unecroissance presque sans entraves d’environ 6 %.La croissance ininterrompue du PIB, desexportations et des envois d’argent illustre unegestion économique positive et pragmatique. Unclimat d’investissement favorable a été créé et

montre à l’heure actuelle une tendance à lahausse. De nombreux projets d’investissementlocaux et étrangers sont en cours de réalisation. LeBangladesh figure sur la liste de Goldman Sachsdes Next Eleven, les « onze prochains » pays quiprésentent un potentiel élevé de devenir les plusgrandes économies mondiales au 21e siècle et surla liste des Frontier Five de JP Morgan.

Le ministre de l’Industrie a été en mesure dejouer un rôle catalytique très efficace dans ledéveloppement du processus d’industrialisation,dans les secteurs aussi bien public que privé. Nousapportons un soutien adéquat au plan politique etlogistique, qui facilite le développement durabledu secteur privé. Entre temps, l’effort departenariat public-privé a été renforcé et leministre de l’Industrie est considéré par le secteurprivé comme un partenaire important pour ledéveloppement.

Le ministère a formulé en 2010 une politiqueindustrielle nationale (PIN) intégrée, dont le but

est de transformer le Bangladesh en un paysdéveloppé au plan industriel et présentant desrevenus moyens d’ici 2021. La nouvelle politiqueindustrielle a été conçue dans le contexte de lacrise économique internationale, des réalitéssocioéconomiques et des expériences antérieures.

Nous n’avons privatisé aucune entreprisepublique (EP). Nous avons au contraire renduutiles ces inquiétudes en modernisant noscapacités et en améliorant les systèmes de gestion.Nous sommes en train d’ouvrir certaines EP quiétaient restées fermées pendant un long moment,dans le but de créer de nouvelles opportunitésd’emploi et d’améliorer la productivité et lacroissance grâce à une meilleure gestion. Tousceux-ci sont, sans le moindre doute, d’excellentsexemples de nos réussites.

Nous nous trouvons à présent face à certainsdéfis liés à la pénurie d’énergie et d’électricité. Legouvernement a mis en place un programmecomplet pour créer de façon urgente des centralesélectriques, pour éviter que la demande nedépasse l’offre. L’autre défi est la technologie. À cetégard, notre stratégie est d’étudier la possibilité deconstruire notre propre base technologique, pourque nos ingénieurs fabriquent de nouvellesmachines sophistiquées qui produiront plus, àmoindre coût. Dans le même temps, noussommes ouverts à l’investissement étranger quinous aidera en matière de transfert detechnologies, de développement des compétenceset de création d’emploi. La confection de textiles et de vêtements est unecomposante importante de la productionindustrielle au Bangladesh. Quels sont les pour etles contre d’un secteur d’assemblage textile aussigrand ? Le secteur du textile et de l’habillement,notamment les vêtements prêts-à-porter (PAP),est notre principale source de recettesd’exportation. Actuellement, le Bangladesh est lesecond plus grand exportateur de PAP sur lemarché mondial. Les exportations de textile etd’habillement ont représenté 18,71 milliards USDsur le total des 22,93 milliards USD de recettesd’exportation de l’exercice 2010-2011. Parmi lesprincipaux articles d’exportation, les produitstricotés ont représenté 9,49 milliards USD etl’habillement féminin 8,43 milliards, enregistrantune croissance de 46 et 40 % respectivement.

Cette hausse des exportations a été favoriséepar la décision de l’Union européenne depermettre, à partir de janvier 2011, un accès librede taxes aux vêtements et autres produits finisproduits au Bangladesh (et dans d’autres pays lesmoins avancés), à condition que les composantesimportées pour le produit fini ne dépassent pas70 %. (Précédemment, l’accès sans taxes étaitaccordé aux produits dont le contenu importémaximal ne dépassait pas 30 %). Le Bangladeshaffiche également de bonnes performances sur denouveaux marchés comme le Japon, l’Afrique duSud, l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande etcertains pays d’Amérique latine.

L’évolution historique du secteur du PAP duBangladesh a commencé au début des années1980. Notre vaste marché intérieur, le faible coûtde notre main-d’œuvre et notre efficacité

Jouer un rôle catalytique : Dilip Barua, ministre del’Industrie du Bangladesh, s’entretient avec Making It

« Le Bangladesh a faitpreuve d’une déterminationremarquable pendant leralentissement économiqueen maintenant unecroissance presque sansentraves d’environ 6 %. »

BangladeshZOOM SURUN PAYS

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traditionnelle dans la couture ont contribué àl’expansion rapide du secteur du PAP. Lesentreprises industrielles de PAP ont un potentielgigantesque en matière de création d’emploi, enparticulier pour les femmes au Bangladesh. Celaaide beaucoup le gouvernement à atteindre le butde l’émancipation économique des femmes engénéral et certains Objectifs du millénaire pour ledéveloppement. Le niveau de la pauvreténationale du Bangladesh a diminué de 10 % et lesecteur du textile et de l’habillement a joué unrôle crucial dans la réalisation de cettediminution de la pauvreté. Pourriez-vous commenter la dynamique entre lebesoin de préserver des salaires bas afin de gagnerdes commandes et le fait que les salaires baslimitent le pouvoir d’achat de la classe destravailleurs et empêchent ainsi le développementdes commerces locaux ?Je crois fermement que la baisse du niveau dessalaires ne constitue pas une option efficace pourrendre un secteur économiquement durable etviable au plan commercial dans le contexte actuelde compétitivité internationale. Au contraire, ilsréduisent la productivité, la durabilité et laviabilité d’une entreprise. Afin d’obtenir unniveau optimal de productivité et de progrès danstout secteur industriel, il est nécessaire de prendreconvenablement en compte la satisfaction destravailleurs et leurs besoins de base. Aucuneentreprise industrielle ne peut réussir si elle negarantit pas une rémunération minimale auxtravailleurs. Nous ne pouvons pas espérer uneproductivité maximale avec un investissementminimal dans les facteurs de production. Leshommes et les machines sont considérés commeles principaux facteurs de production, mais leshommes et les machines ne sont pas la mêmechose. Nous devons considérer les travailleurscomme des êtres humains et satisfaire leursbesoins de base afin de créer une atmosphèreagréable dans les usines afin que les travailleurspuissent travailler correctement. C’est la raisonpour laquelle notre gouvernement est favorableaux travailleurs et c’est pourquoi nous donnonsune priorité supérieure aux droits et besoins destravailleurs.Quelles sont les mesures prises actuellementpour tenter de diversifier le secteur industriel auBangladesh ?Le principal objectif de la nouvelle politiqueindustrielle est de garantir que le secteurindustriel contribue à hauteur de 40 % desrevenus nationaux et 25 % des nouveaux emploisd’ici 2021. Le gouvernement s’efforce de fournirles programmes de stimulation économique, lesinfrastructures et les politiques de soutiennécessaires pour réaliser cet objectif. La PIN aidentifié 32 secteurs montants et 31 secteurs deservice industriel pouvant contribuer àl’augmentation rapide de la croissanceindustrielle et du développement économique.

Nous ne mettons pas uniquement l’accent surle développement du secteur du textile et del’habillement, mais aussi sur les secteursindustriels qui fabriquent des biens comme lejute et les produits en jute, les céramiques, lesproduits pharmaceutiques, les produits

électroniques, les produits en cuire, les piècesautomobiles et les produits plastiques etagricoles. Je suis heureux d’affirmer que lesmédicaments de haute qualité du Bangladeshsont actuellement exportés vers 70 pays dans lemonde, y compris les États-Unis et l’Europe.Récemment, l’industrie de la construction navalea pris de l’élan et elle est en passe de devenir unsecteur industriel en plein essor. Nous exportonsactuellement des navires vers le Danemark,l’Allemagne, les Pays-Bas et la Finlande. Nousexportons aussi des pièces automobiles vers despays développés, y compris les États-Unis. Ladiversification des produits industriels est donc,à l’heure actuelle, sur la bonne voie, en accordavec notre vision pour 2021. Quelles sont les mesures prises en ce momentpour rendre le secteur industriel plusécologique ? Au Bangladesh, l’industrialisation écologique estune de nos principales priorités. Nous accueillonsfavorablement l’industrie haute technologie baséesur la connaissance et avec zéro pollution del’environnement. Le gouvernement a établil’installation de stations de traitement desaffluents comme condition obligatoire pour la

création de nouvelles unités industrielles et aoctroyé des délais précis aux anciennes industriespour en installer aussi. Nous n’autorisons aucunesociété industrielle susceptible de mettre endanger la vie humaine et l’environnement dansnotre pays.Quel est l’impact de la situation énergétique surl’industrie au Bangladesh ? Notre objectif est de passer à une utilisationefficace de l’énergie renouvelable, commel’énergie solaire, pour fournir aux pauvres unaccès à l’électricité. Le Bangladesh a déjà unepolitique en place en matière d’énergiesrenouvelables, dont l’objectif est de développer,disséminer, promouvoir et étendre lestechnologies des énergies renouvelables dans leszones rurales afin de répondre à leurs besoins.Pour atteindre ce but, le gouvernement adéterminé comme objectif de développer lesressources énergétiques renouvelables afinqu’elles fournissent 5 % du total de la demande enélectricité d’ici 2012 et 10 % d’ici 2020. Legouvernement a également exempté d’impôts leséquipements à base d’énergie solaire afin derendre plus populaire et moins onéreusel’utilisation de l’énergie solaire. n

« Nous n’autorisons aucune sociétéindustrielle susceptible de mettreen danger la vie humaine etl’environnement dans notre pays. »

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Lorsque j’avais dix ans, mon père me jetait dans lefleuve et nageait avec moi. C’était une époqueheureuse de ma vie. Je pouvais voir les pierres etle sable et il y avait beaucoup de poissons etd’animaux sauvages. J’ai commencé à remarquerla pollution au début des années 1980, quelquesannées après le début de la constructiond’installations manufacturières et d’usines sur lesbords du fleuve. Une couche de pulpe et desédiments a commencé à s’accumuler dans lefleuve. Cela sentait mauvais et des poissons mortsflottaient à la surface.

J’ai découvert que plus de 100 entreprisesindustrielles déversaient des déchets non traitésdans le fleuve. Les principaux contrevenantsétaient les sociétés productrices de pulpe et depapier, PT Surabaya Agung Kertas et PTAdiprima Suraprinta, qui appartiennent à la plusgrande société de presse de Java-Orientale. Il yavait du calcium, du fer et du mercure dans lefleuve. Des études ont dévoilé que laconcentration de mercure dans le fleuve étaitcent fois supérieure à la limite établie parl’Organisation mondiale de la santé. Je nepouvais même pas rêver d’y nager comme jel’avais fait quand j’étais enfant. Et les gens boiventcette eau – 96 % de l’eau de notre région provientdu fleuve Surabaya.

Alors que j’étais à l’université en l’an 2000, j’aicréé, avec d’autres activistes, EcologicalObservation and Wetlands Conservation(Ecoton), le premier programme d’éducationenvironnementale de région, pour informer lescommunautés locales sur la biodiversité et lapollution de l’eau. Il enseigne les dangers de lapollution aux étudiants dans les écoles et lesutilise pour faire passer le message.

Les enfants sont particulièrement vulnérablesà la pollution de l’eau, car ils sont en pleinecroissance. Un nombre considérable d’enfantsvivant près du fleuve souffrent de déficiencementale et présentent des taux de cancer élevésen raison de la pollution. Nous apprenons auxenfants qu’ils peuvent protester auprès dugouvernement et exiger la sécurité de l’eau qu’ilsconsomment.

En ce qui concerne les personnes bien nantiesde la ville de Surabaya, la seconde ville la plus

grande d’Indonésie, je les invite à pratiquer leboycott en utilisant leur pourvoir d’achat. Je leurmontre la liste des usines qui polluent le fleuve etleur dis que s’ils achètent les produits fabriquésdans ces usines, ils polluent aussi le fleuve.

Bien qu’il existe des lois environnementalesen vigueur en Indonésie, le gouvernement de laprovince de Java-Orientale n’avait pas pourhabitude de les appliquer. Les industries –lorsqu’elles étaient prises en train de déverser desrejets industriels dans le Surabaya – secontentaient de payer les modestes amendes,sans changer leurs pratiques.

En 2007, Ecoton a intenté un procès augouverneur de Java-Orientale et à l’agence degestion environnementale de la province pour nepas avoir contrôlé la pollution de l’eau du fleuveSurabaya. En avril 2008, la cour provinciale arendu une décision établissant un précédent enmatière d’environnement, ordonnant augouverneur de mettre en application desréglementations sur la qualité de l’eau visant lesentreprises industrielles qui opèrent sur lesbords du Surabaya et établissant une limitemaximale quotidienne de déversements toxiquesdans le fleuve ainsi qu’un système de contrôlepour garantir le respect de ces règles. Ce procèsétait le premier en Java-Orientale dans lequel ungouverneur était assigné en justice pour changerles politiques de gouvernement.

Au début, les entreprises m’ont traité commeleur ennemi et comme une menace pour leursaffaires. J’ai publié dans un journal mon enquêtesur les activités de décharge d’eaux uséesindustrielles et ils étaient très en colère. J’aiégalement rédigé des rapports juridiques à lapolice concernant certaines sociétés industriellesqui polluaient le fleuve et ces sociétés ont dû seprésenter devant les tribunaux et ont été punies.Certaines entreprises m’ont proposé de l’argentet demandé de retirer mon rapport et

d’empêcher que leurs cas fassent l’objet d’uneprocédure juridique qui allait leur coûter dutemps et de l’argent. J’ai répondu que je ne voulaispas de leur argent. Je leur ai demandé d’utiliserleur argent pour construire et faire fonctionnerde façon adéquate des installations de traitementdes eaux usées.

L’affaire juridique m’a forcé à communiquerabondamment avec les représentants industrielset nous avons petit à petit commencé à nouscomprendre. Puis, nous avons tenté de trouver demeilleures solutions. Ces sociétés industrielles,qui étaient auparavant les plus groscontrevenants, se sont rendu compte qu’ellespouvaient tirer profit de l’amélioration de leurgestion environnementale. Une meilleurerelation avec la communauté locale et les médiaset une meilleure image ont renforcé ledéveloppement de leur entreprise.

Je travaille avec le secteur industriel pourinstaller des filtres permettant de traiter l’eau.Une usine de sucre de Surabaya, PT GempolKrep, a récemment investi 220 000 USD dansune installation de traitement des eaux usées. Ils’agit de l’une des usines les plus responsables auplan environnemental opérant sur le Surabaya.L’eau est recyclée et réemployée dans leprocessus industriel, ce qui fait que laconsommation d’eau est en baisse réduisant parla même occasion leur facture d’eau. À présent,les eaux usées déversées par l’usine répondenttoujours aux normes de qualité des eaux usées.Plusieurs autres installations industrielles ontsuivi l’exemple et mis en place leurs propressystèmes de contrôle de la pollution, y comprisles deux usines de pulpe et de papiermentionnées précédemment.

Le gouvernement a organisé des patrouilleshebdomadaires ou bihebdomadaires et lesentreprises industrielles ne savent pas à quelmoment elles vont passer. Je continue à testermoi-même l’eau, mais le gouvernement compte àprésent sur un fonctionnaire qui réalise la mêmeactivité. Je fais confiance au gouvernement – nousdevons avoir confiance les uns envers les autrespour travailler ensemble. La qualité de l’eau est entrain de s’améliorer et depuis deux ans, il n’y aplus de poissons morts comme avant. n

Prigi Arisandi explique comment un mouvement local qu’il a lancé contribue àempêcher la pollution industrielle d’un fleuve qui fournit de l’eau potable à troismillions de personnes dans et autour de la ville indonésienne de Surabaya.

PRIGI ARISANDI est un activiste écologique de 35 ans qui a remporté le prix Goldman pourl’environnement en 2011, récompensant sesefforts soutenus pour protéger l’environnementnaturel et sa communauté.

NETTOYERLE FLEUVE

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rizePrigi Arisandi enseignant aux

enfants comment surveiller laqualité de l’eau de la rivière deSurabaya et de faire rapportde leurs constatations augouvernement.

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POLITIQUE EN BREF

Par le professeur RAPHAEL KAPLINSKY

Beaucoup de gens pensent que ledéveloppement industriel des économiesexportatrices de matières premières à revenusfaibles et moyens est entravé commeconséquence directe de l’exploitation desressources naturelles. Plusieursraisonnements sont proposés pour expliquercette soi-disant « malédiction des ressources ».L’un d’entre eux est que ces économiessouffrent de la « maladie hollandaise » selonlaquelle les bénéfices élevés tirés desressources et l’appréciation des taux dechange sapent les secteurs des bienséchangés, comme l’industrie. De plus, parrapport aux produits manufacturés, lesmatières premières ont subi un long déclinde leurs termes de l’échange et ont présentéune importante volatilité des prix. Ellesfournissent donc rarement les excédentsréguliers et durables nécessaires pourpromouvoir le développement. Il a égalementété avancé que, par nature, la production dematières premières est un secteur d’activitéenclavé qui a peu d’économies externes etdont les retombées sur l’industrie en matièrede développement sont, par conséquent,limitées.

Ces croyances conventionnelles doiventêtre remises en question. Bien qu’il puisse yavoir un lien entre le poids des matièrespremières et des taux de croissancerelativement bas, ce lien est faible. Qui plusest, lorsque cela se produit, la raison n’est pastant une relation de cause à effet, mais plutôtla faiblesse des structures industriellespréexistantes et les réponses politiquesinadéquates dans des économiesdépendantes des matières premières.

D’abord, la majorité des politiques qui ontpermis le progrès industriel dans le passéne sont plus aussi efficaces.L’industrialisation orientée vers l’intérieur aété rendue moins attrayante par la capacitéréduite à protéger l’industrie intérieure etpar la concurrence accrue des importations.

Les possibilités d’une industrialisationtournée vers l’exportation ont été restreintesde façon similaire par l’intensité de laconcurrence des économies émergentes.

Ensuite, l’explosion des prix des matièrespremières – qui s’est déjà prolongée bienplus que les précédentes – va certainementse poursuivre pendant encore quelquesannées. S’ajoutant à la persévérance et àl’augmentation indéniable de laconcurrence sur le marché industrielmondial, il est probable que le déclinhistorique des termes de l’échange desmatières premières par rapport auxproduits manufacturés cesse, permettant detirer des bénéfices soutenus des ressourcesnaturelles.

Enfin, l’évolution des chaînes de valeurinternationales a entraîné un changementdans les politiques des entreprises : lesprincipales sociétés de matières premièresportent un intérêt actif non seulement àl’externalisation, mais aussi à la proximitédes sources d’approvisionnement pour bonnombre de leurs intrants. Cela sembleindiquer que les sociétés ont actuellementdes programmes stratégiquesdiamétralement opposés à la mentalitéd’enclave qui caractérisait leurs activitésdans le passé.

Pour comprendre comment leséconomies exportatrices de matièrespremières peuvent bénéficier de cesévolutions, il peut s’avérer utile d’étudier lesliens de production possibles – en amont,au niveau de la fourniture d’intrants, et enaval, lors de la transformation des matièrespremières. Plusieurs raisons nous incitent àpenser qu’il existe un potentiel substantield’expansion des liens de production entre lesecteur industriel et celui des matièrespremières. Cela est dû en partie au désir desprincipales sociétés de matières premièresd’augmenter leur externalisation et enpartie au fait que la production de matièrespremières est invariablement touchée pardes facteurs contextuels – le climat et la

En effet, une étude de l’expérience passée decertaines économies à revenus élevés,comme les États-Unis, le Canada, la Suède etl’Australie, montre non seulement que ceséconomies ont bâti leurs compétencesindustrielles en partie en développant desliens avec les secteurs des matièrespremières, mais aussi que leurscompétences industrielles ont profité auxsecteurs des matières premières, améliorantles taux de reprise des matières premièreset réduisant les coûts.

Quelle qu’ait pu être l’expérience passée,trois séries de changements se sontproduites au cours des décennies récentes,qui semblent indiquer qu’une nouvelleapproche devrait être adoptée pourfavoriser le développement industriel dansles économies exportatrices de matièrespremières à revenus faibles et moyens.

Au-delà de la « malédiction desressources »

« La fonction d’une politiqueefficace du gouvernement està la fois d’accélérer etd’approfondir les liens deproduction entre les secteursindustriel et des matièrespremières. »

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POLITIQUE EN BREF

de création d’emploi que de contribution àla croissance économique.l Ils indiquent également le chemin dudéveloppement industriel – ou commel’affirme l’économiste Albert Hirschman : « une chose en entraîne une autre ».lLa nature continue de la production dematières premières peut offrir un terrain dedéveloppement de capacités dynamiques parle biais de l’expansion du Système nationald’innovation.lLe développement de liens horizontaux –la fourniture d’intrants dans le secteur desmatières premières et la transformation deces produits – peut également apporter desavantages complémentaires à d’autressecteurs industriels.lBien que l’externalisation réponde auxintérêts des plus grandes sociétés, denombreuses entreprises pourraient faire

plus pour améliorer leurs capacités dedéveloppement de chaînesd’approvisionnement et demander de l’aide(comme elles le font dans les économiesavancées au plan industriel).lSachant que la croissance des capacitésindustrielles dans les économies émergentesbloque d’autres voies vers le développementindustriel, le développement de capacitésindustrielles qui s’alimentent del’exploitation du secteur des matièrespremières présente des avantages.

nCeci est le résumé d’un document de travailintitulé Commodities for industrial development:making linkages work (Les matières premièrespour le développement industriel : faire marcherles liens), préparé pour la branche Politiques dedéveloppement, statistiques et recherche del’ONUDI.

géologie de chaque dépôt. Ainsi, parnécessité, elles ont besoin d’intrants uniquesdont beaucoup peuvent servir à promouvoirdes capacités locales spécifiques dansl’industrie (et l’agriculture et les services).

Dans un contexte d’externalisationcroissante des plus grandes sociétés, bonnombre de ces liens se produisent commeconséquence naturelle des forces du marché.La fonction d’une politique efficace dugouvernement est à la fois d’accélérer etd’approfondir ces liens. Inversement,l’immobilisation des politiquesgouvernementales ralentit et diminuel’étendue de ces liens.

Pour de nombreuses raisons, lesgouvernements ont un rôle important à jouerdans l’optimisation de la nature et de lavitesse de constitution de ces liens :lCes liens offrent un potentiel aussi bien

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Par l’Overseas Development Institute

D’après des études récentes de l’ OverseasDevelopment Institute ou ODI (l’Institut dedéveloppement outre-mer), il existe quatremoteurs de progrès en matière dedéveloppement. Le rapport intitulé MappingProgress: Evidence for a new development outlook(Étude du progrès : données probantes pourde nouvelles perspectives de développement)analyse systématiquement les progrès dudéveloppement dans 24 pays du Sud et lesclasse selon leur performance.

Des pays souvent mieux connus en tantque théâtres de la guerre et la famine ontréalisé des progrès remarquables dansdifférents secteurs, y compris la croissance,l’éducation, les soins de santé, lagouvernance et l’agriculture. Le rapportidentifie le rôle crucial d’une directionefficace, de politiques intelligentes, de basesinstitutionnelles adéquates et departenariats internationaux comme moteursde progression du développement.

Les pays sont classés en quatre catégories :vedettes, surprises, bons élèves potentiels eténigmes lorsque les progrès dans certainsdomaines n’ont pas amené les améliorationsattendues dans la vie des pauvres.

D’après Alison Evans, directrice de l’ODI, «le développement est une affaire trèscomplexe et elle peut être mal menée. Maisassez souvent, elle est bien gérée. Le but durapport Mapping Progress est de montrer quele progrès est non seulement possible, maisen cours. »

Elle ajoute que « la véritable question àlaquelle nous devons répondre est “qu’est-cequi fonctionne et pourquoi ?” Pourquoicertains de ces pays ont-ils affiché de siremarquables progrès ? Quelles ont été leursinnovations les plus intéressantes ? »

« En analysant les exemples les plusparlants à travers le continent, nous pouvonsconclure que les développements les plustransformateurs et durables se sont produits

lorsque l’engagement envers le changementest venu de l’intérieur des pays et descommunautés africains. »

Les quatre moteursLeadership intelligent : Les transformations auGhana, au Rwanda et au Brésil ne se seraientpas opérées sans les présidents Rawlings,Kagame et Lula.

Politiques intelligentes : Le progrès aimpliqué un changement du rôle dugouvernement, qui s’est écarté du contrôle(des marchés et des prix) pour faciliter etpermettre (l’investissement et la production)et, dans les meilleurs cas, l’émancipationéconomique des citoyens. Les politiques ontété construites selon une vision claire ou unestratégie nationale et se sont basées sur desdonnées probantes.

Institutions intelligentes : Dans de nombreuxpays, le progrès a été réalisé au moyen deréformes qui ont décentralisé legouvernement et renforcé les institutionslocales. Les réformes ont non seulementmené à l’amélioration de la fourniture deservices, mais ont aussi permis uneperception des recettes et une gestion desfinances publiques plus efficaces.

Amitiés intelligentes : Les partenariatsinternationaux efficaces peuvent êtred’importants catalyseurs du progrès. Cespartenariats peuvent prendre différentes

formes, y compris le transfert deconnaissances et de technologies, lesrelations commerciales internationales et lesinterventions diplomatiques.

Histoires de progrès dudéveloppement

Ghana – vedette de la performanceLes réformes du marché intérieur du cacaomenées par le gouvernement ont engendrédes chiffres records en matière de croissanceagricole – qui a atteint en moyenne 5 % aucours des 25 dernières années. Le Ghana estsur la voie d’atteindre l’Objectif dumillénaire pour le développement 1 –réduire de moitié les taux de pauvreté et demalnutrition d’ici 2015. Ayant augmenté laproduction par habitant de produitsalimentaires de plus de 80 % depuis le débutdes années 1980, le Ghana est largementautosuffisant en aliments de base.

Les vedettes de la performance, comme leGhana, ont affiché un progrès soutenupendant plus de deux décennies. Endiversifiant les produits et les services, ellesont ajouté une valeur considérable à laperformance nationale. Les pays vedettesaffichent un niveau plus mûr dedéveloppement et commencent à présent àêtre confrontés à des défis plus typiques despays développés, comme la dégradation del’environnement, le vieillissement de lapopulation et les maladies nontransmissibles. Le Bhoutan, la Thaïlande, leBrésil et l’Ouganda sont d’autres vedettes dela performance.

Éthiopie – performance surpriseDepuis qu’elle est sortie de la guerre civile en1991, l’Éthiopie a considérablement améliorél’accès de la population à l’éducation. Le tauxde scolarisation a augmenté, avec de plus de13 millions de personnes supplémentairesdepuis 2005. Un engagement soutenu dugouvernement, accompagné d’une hausse

« Pourquoi certains de cespays ont-ils affiché de siremarquables progrès ?Quelles ont été leursinnovations les plusintéressantes ? »

Moteurs du développement

POLITIQUE EN BREF

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des dépenses qui a permis la suppressiondes frais d’inscription scolaire, adéclenché cet accroissementextraordinaire. Le Rwanda, le Cambodge,le Laos et le Somaliland sont d’autres paysdont la performance a été une surprise.

Les performances surprise, commecelle de l’Éthiopie, ont apporté unprogrès contre toute attente, souvent à lasortie d’une crise ou d’une guerre, oudans un contexte de confits en cours, desituations politiques difficiles ou detopographie hautement inaccessible. Leséléments de surprise dans ces paysrésident souvent dans leur vitesse derécupération, qui leur a parfois permisd’éclipser les niveaux antérieurs dedéveloppement.

Malawi – bon élève potentielLe Malawi a le potentiel de réaliser unprogrès considérable vers sondéveloppement au cours de la prochainedécennie, d’après un projet d’étudemondiale récemment publié. Les récentsprogrès en termes de fourniture destabilité économique ont commencé àavoir un effet positif sur les indicateurs dedéveloppement, plaçant le Malawi parmiles vingt pays affichant les meilleursrésultats pour plusieurs des Objectifs dumillénaire pour le développement. Unecroissance de plus de 7 % par an pendantpratiquement toute la dernière décennieet une diminution continue des tauxd’inflation semblent présager un brillantfutur pour le pays.

Les bons élèves potentiels, comme leMalawi, ont affiché des exemples récentsde progrès, souvent réalisés sur unecourte période de temps. Les progrèspeuvent être limités à des régions ou dessecteurs particuliers. Bien que ces paysaient déjà produit des résultatsimpressionnants, ils doivent néanmoins àprésent les maintenir dans le futur. Parmiles autres bons élèves potentiels figurentle Bénin et le Burkina Faso. n

POLITIQUE EN BREF

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LE MOT DE LA FIN

Le prochain numéro de Making Its’intéressera à l’égalité entre les sexes et àl’émancipation économique des femmes. Unpoint de vue sur ce sujet nous est proposé parKATHERINE LUCEY, fondatrice et PDG deSolar Sister, une entreprise sociale qui fournitdes formations et de l’aide aux femmes pourcréer des micro-entreprises liées à l’énergiesolaire.

Plus de 125 ans après l’invention del’ampoule électrique par Thomas Edison, 1,6 milliard de personnes – un quart de lapopulation mondiale – continuent d’utiliserdes lampes au kérosène et des bougies pours’éclairer. Elles dépensent jusqu’à 40 % deleurs revenus familiaux dans une énergie quiest inefficace, insuffisante et dangereuse.L’utilisation très répandue du kérosène a unimpact négatif sur la qualité de l’air localainsi que sur le changement climatiqueplanétaire. Le mauvais éclairage, la fumée etles lanternes rudimentaires sontresponsables d’un grand nombred’infections et de brûlures.

Solar Sister est une entreprise sociale quis’attaque au problème de la pauvretéénergétique avec une approche innovantebasée sur le marché qui offre aux femmesrurales en Afrique une opportunitéd’émancipation économique. En appliquantun modèle d’entreprise inspiré d’Avon quientre délibérément en contact avec lesfemmes par l’intermédiaire de leurs réseauxsociaux, Solar Sister résout le problème del’accès local à l’énergie propre et apporte latechnologie solaire sur le palier des ménagesruraux.

Les femmes reçoivent une « entreprisedans un sac » qui comprend un stock, une

formation en vente et un soutienmarketing, selon un modèle d’entreprise devente en micro-consignation. Les femmesacquièrent les moyens d’offrir l’accès à unportefeuille de technologies énergétiquespropres, comprenant des lampes solaires,des chargeurs de téléphones mobiles et deradios et des cuisinières propres. L’énergiepropre procure de la lumière et del’électricité qui sauve des vies, fournit de laconnectivité, améliore la santé publique,génère des moyens de subsistance etcombat le changement climatique. Lesfemmes deviennent leurs propres chefs etdes rayons de lumière, d’espoir etd’opportunités pour leurs communautés.

Solar Sister est un programme basé sur lemarché et les revenus issus des ventes delampes solaires constituent un moteur de lacroissance économique. Solar Sister est uneentreprise sociale qui utilise le pouvoir dumarché pour atteindre un objectif social :distribuer de la technologie énergétiquepropre. C’est l’accent mis sur « l’opportunité »plutôt que sur « l’aide » qui attire et satisfaitles femmes, motivées par la constitutiond’entreprises prospères qui profitent àl’ensemble de la communauté enfournissant l’accès à une percéetechnologique. À l’heure actuelle, bien que latechnologie solaire portable d’éclairage parDEL soit une solution abordable, le manqued’accès a empêché l’adoption de ces produitspar les ménages ruraux vivant dans le noir.Les produits ingénieux utilisant de l’énergiepropre et destinés aux marchés du bas de lapyramide ne servent pas à grand-chose si lespauvres ne peuvent pas les utiliser. Laproposition commerciale de Solar Sister estsimple : pour un coût de départ d’environ

Solar Sister : renforcerl’autonomie des femmes avec dela lumière et des opportunités

Katherine Lucey,fondatrice et PDGde Solar Sister.

« Les femmes deviennentleurs propres chefs et desrayons de lumière, d’espoir etd’opportunités pour leurscommunautés. »

LE MOT DE LA FIN

20 USD pour une lampe solaire, les clientsdisposent d’une source d’éclairage qui esthuit fois plus vive, propre et sûre que lekérosène insuffisant – la dépense initialeest compensée en deux mois et demi parles économies réalisées sur l’achat dekérosène. Cela se traduit par des famillesmieux éclairées et des économies de plusde 100 USD par an en combustible.

Solar Sister s’adresse à des femmes quiautrement n’auraient pas eu l’occasion dedevenir des entrepreneurs et leur fournitun paquet complet de fonds deroulement, formation en affaires etsoutien marketing. Les femmesreprésentent 70 % de la populationrurale pauvre la plus touchée par lapauvreté énergétique. Mais surtout, lesfemmes sont les principalesresponsables de l’utilisation d’énergie auniveau des ménages. La technologieénergétique propre ne sera largementadoptée qu’à condition que les femmessoient impliquées dans la solution.L’énergie solaire peut procurer de laconnectivité ainsi que de l’éclairage etparmi nos meilleures ventes figurent leslampes solaires qui fournissent aussi del’électricité pour charger les téléphonesmobiles. Le succès phénoménal destéléphones mobiles en Afriquesubsaharienne est probablement un desplus importants épisodes dudéveloppement de notre siècle. Donnerl’accès à l’énergie permettant d’alimenterces téléphones représente une occasioncorrélative dont peuvent profiter lesentrepreneurs de Solar Sister. Une desclientes ne charge pas uniquement sonpropre téléphone, mais a créé une micro-

entreprise en chargeant aussi celui de sesvoisins, s’assurant ainsi un revenuquotidien stable.

Une des histoires fondatrices de SolarSister est celle de Rebecca, une exploitanteagricole à Mpigi, en Ouganda, qui a décidéd’installer une lampe solaire dans sonpoulailler. Rebecca savait que les poules nemangent que lorsqu’elles peuvent voir etgrâce à l’augmentation de la quantitéd’heures d’éclairage, ses poules ont mangédavantage et sont devenues plus saines.Elles ont pondu plus d’œufs, ce qui aamélioré les finances de son exploitationet généré un revenu grâce auquel elle a puacheter des semences et plus tard unechèvre, des cochons et même une vache.

En partant de la simple améliorationd’une seule lampe, Rebecca a construit uneferme, puis une école où elle enseigne auxenfants à lire et à écrire et aussi commentexploiter une petite parcelle de terrain.Avec un peu de lumière et une occasion,des femmes comme Rebecca ont lepouvoir d’améliorer leurs propres vies.

La force de la solution d’entreprise deSolar Sister provient des femmes elles-mêmes. Ce sont leur ingéniosité et leurengagement personnels qui font grandirleur entreprise – nous leur offronsuniquement l’occasion de s’aider elles-mêmes. Même de petites quantitésd’électricité peuvent améliorerradicalement les vies des femmes vivantdans une profonde pauvreté énergétique.À son tour, la création d’opportunitéséconomiques pour les femmes a un effetmultiplicateur sur le progrès social etéconomique de leurs communautés et du monde. n

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