Magdi Senadji, Bovary

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Artothèque de Caen - Hôtel d’Escoville - Place Saint-Pierre - 14000 Caen Tel : 02 31 85 69 73 - [email protected] http://www.artotheque-caen.net Magdi Senadji, Bovary Œuvres de la collection de l’Artothèque de Caen DOSSIER PÉDAGOGIQUE Exposition proposée dans le cadre du Réseau d’Espace Art-Actuel Magdi Senadji Bovary, photographie 2000 Photographies

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Artothèque de Caen - Hôtel d’Escoville - Place Saint-Pierre - 14000 Caen Tel : 02 31 85 69 73 - [email protected]://www.artotheque-caen.net

Magdi Senadji, Bovary

Œuvres de la collection de l’Artothèque de Caen

DOSSIER PÉDAGOGIQUE

Exposition proposée dans le cadre du Réseau d’Espace Art-Actuel

Magdi SenadjiBovary, photographie 2000

Photographies

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Magd i S enadj i , BOVaRY

(…) La mort rôde en ce jardin normand, comme elle hante je crois l’ensemble de l’œuvre de Magdi Senadji. Elle le fait certes avec élégance, avec une sorte de détachement. Elle passe. C’est à peine si on en lit la trace dans un détail, dans la décrépitude d’une couverture de livre, le ventre offert d’un cadavre d’oiseau. Elle n’est (comme Dieu, dit-on) que dans des détails. Il y a là une première tension violente, entre l’excès mélodramatique de ce qui n’est que trop réel, et le détachement, l’élégante métonymie.

Régis Durand, in A peine le signe d’une chose…Notes sur la photographie de M. Senadji,

Ed. Galerie Duchamp, Yvetot

Cette exposition proposée par l’artothèque de Caen regroupe une sélection de 11 photographies de la série Bovary de Magdi Senadji autour de l’ouvrage célèbre Madame Bovary de Gustave Flaubert.Voir dans ce travail, initié en 1994, une illustration du roman serait se méprendre sur les intentions et la démarche de l’artiste. Lorsque Senadji prend appui sur l’œuvre d’auteurs tels que W. Gombrowitcz, B. Hrabal, J.L. Borges ou, ici, G. Flaubert, c’est pour en livrer sa propre vision. C’est pour pénétrer au cœur même de l’univers des écrivains, s’en imprégner à des fins d’appropriation - toujours respectueuse - dans une attitude plus proche de la confrontation que de la citation.Magdi Senadji a lu et relu Madame Bovary jusqu’à ce qu’il se sente en étroite relation avec l’univers flaubertien, cette démarche nécessitant, on l’imagine aisément, un investissement sans faille. Six années durant il a, en témoin discret et attentif, assisté aux fêtes de villages, aux comices agricoles. Suivant les pas de Flaubert, il s’est promené dans la ville de Rouen, a arpenté les paysages du bocage normand et du Pays d’Auge mais aussi, ceux, plus lointains, d’Israël et de Tunisie. Il a aussi visionné et rephotographié des images extraites des films réalisés d’après le roman, par Chabrol, Minelli et Oliviera. Décelant dans Madame Bovary une peinture des mœurs du XIXe, Senadji a porté son regard sur la peinture contemporaine de Flaubert, l’utilisant, selon ses propres termes, comme un fil rouge. La dimension picturale des photographies de Senadji s’impose en effet par sa maîtrise de la composition et par le choix de la couleur. Devant ses images, l’œil ne sait s’il a affaire à une photographie ou à une peinture, troublé par de multiples mises en abîmes et dérouté par un jeu savant sur le cadre, ce terme désignant ici tout autant le cadrage de l’image, que le cadre dans sa fonction d’encadrement. “La mort est présente à chaque page du roman” dit Magdi Senadji qui a su rendre perceptible cette omniprésence dans nombre de ses photographies : c’est la mouche noyée au fond d’un verre, des mouches encore, se repaissant d’entrailles que l’on devine fumantes, c’est le détail d’une dentelle noire, de ce noir porté lors des deuils, ce sont, à plusieurs reprises, les difformités corporelles, animales ou humaines, le perroquet et le renard empaillés, les pétales de fleurs, le pot à tabac de Flaubert, en forme de crâne humain. Mais la mort n’est pas seule à planer dans les photographies de Senadji. Un érotisme latent imprègne ses images tel un écho au personnage d’Emma Bovary : épaules et dos dénudés, chair généreuse des corps peints, pistils et corolles de fleurs aux formes suggestives, organes génitaux d’animaux… Plongé dans l’écriture de ce qui est considéré comme l’un des tous premiers “romans modernes”, Flaubert écrit alors à sa compagne Louise Colet : “Ce n’est pas avec le cœur qu’on écrit, c’est avec la tête”. L’on pourrait, en appliquant cette pensée à sa pratique photographique avancer que : “ce n’est pas avec l’œil que Senadji photographie, c’est avec la tête”.

Patrick Roussel

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Magd i S enadj i , BOVaRY

«Tout commence par des femmes et des arbres. Des gestes, du vent. Des passantes et des mails ombragés, des mains longues sur des nappes, des trottoirs lisses. Magdi Senadji fait du monde une villégiature. Il le décide tôt, sa vie sera de photographies et de livres, de promenades en ville, de raffinement. Un guet pour relever un détail, une jupe ou un rideau. Il aime les jeunes femmes et les vieux messieurs, les tenues légères et la retenue, mais la pluie, seulement sur les vitres. C’est un homme affable ne sachant respirer loin des capitales, un élégant distrait, tel le surnomme Bernard Lamarche-Vadel, mettant sur le même pied enseigne lumineuse, col de chemise, flaque noire ou chignon lâche : des images qui vacillent entre visible et imprévisible.Pourtant, dans sa vie même, Magdi Senadji se plaît à trancher : il préfère le Bourgogne au Bordeaux, le Robert au Larousse, la Méditerranée à la côte atlantique et la ville à tout le reste. Il sait mieux que personne où aller, que choisir et qui honorer. Il s’est déjà rendu sur les lieux de Gombrowicz. D’Italie, il a rapporté des Eclats romains ; à Paris, il a fait le portrait de Georges Lambrichs. Il va bientôt visiter, dans le midi, le cabanon Le Corbusier ; il a le projet de se rendre à Prague, de mettre ses pas dans ceux de Bohumil Hrabal. Mais avant, il y a encore l’Inde ou la Tunisie, des jardins, des fontaines, des soieries.

Entre chaque voyage, il vient à Princé, ce bourg enjambant Ille-et-Vilaine et Mayenne où il retrouve les amis. Toujours en été, croit-il. Sa propension à ignorer ce qui ne reluit pas est grande. D’ici, il ne veut retenir que l’opulence des feuillages, la tiédeur des soirs quand nous ouvrons des bouteilles et des livres pour y trouver ce qui étincelle, l’énigme des images et des mots. Il tend l’oreille à d’improbables bruits de talons féminins, ferme les yeux, se rue dans les faubourgs de Carthage ou ceux du Caire, confond Kuchuk-Hanem et Salammbô. Façon de maudire la campagne.Ceci n’a qu’un temps. Mais il ne lâche pas Flaubert. Il réunit dans sa bibliothèque romans, biographies, correspondances, collectionne les éditions diverses, fréquente Louise Colet, Maxime Du Camp et Louis Bouilhet.Curieusement, il remet à plus tard la lecture de Madame Bovary, tergiverse longtemps avant de s’y résoudre, comme s’il craignait de ne pouvoir sauver cette femme nantie d’un mari au nom impossible. Car, bien sûr, il connaît l’histoire et les maris l’insupportent.

Puis, il lit. Et relit. De ce livre, il dira qu’il lui a pris des jours et des nuits. Presque autant que pour Flaubert, pas loin de sept années durant lesquelles Emma le possède. Elle le vrille entre la mémoire du récit et le présent où il avance. Il va lui redonner une confiance de jeune couventine, des désirs peu articulés. L’irrésolution aussi, et la colère. Il va la faire revivre et mourir encore.

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Magd i S enadj i

Tout commence par des femmes et des arbres, à la fête des moissons, quand les bêtes sont étrillées et les corsages garnis des cocardes de juillet. La campagne se fait aimable pour cet homme qui la déteste tant. Magdi Senadji se rend partout où pétillent les fétus de paille, où rôtissent des volailles. Il recense nuques et bras de jeunes filles, pains et seins ronds, le monde se déployant comme la roue du paon. Chaque image est une page, il le vérifie le soir, en rentrant, faisant défiler la noce, les émois et les accrocs. Ce ne sera peut-être pas l’ordre exact, que sait-on de la prééminence d’un songe ? Il n’illustre rien, il recueille, pour l’heure, les traces les plus proches. Insectes, mottes de terre et vaches. Aussi nombreuses ici que dans le pays d’Auge. Et les mouches de fin d’été se noyant dans chaque verre de cidre dans chaque ferme. Les portraits d’Emma sont dans les musées, celui de Charles est en creux : dans le regard en coin des autres hommes, avide. C’est à Jérusalem que Magdi Senadji reconnaît Berthe : grillagée.

L’été se termine, les bœufs ont le mufle baveux, Rodolphe pointe son nez, le temps corrompt le pistil d’un arum. Magdi Senadji sait qu’il va devoir aller très loin pour exhumer d’autres vestiges, partout où la mort se présente, plus ou moins travestie. De toute façon, il ne peut plus refuser, Emma, flamme prête à se faire moucher, ne lui laisse aucun répit. Elle l’oblige à considérer certains crépuscules, certains lieux, des burnes et des burettes, la boue. Ses prétentions de petite provinciale ne sont que les détails d’une Vanité, grand genre baroque. Crâne à Croisset, fœtus à Dijon, cercueil garni de dentelles à Prague et ici, à portée de main, vulve sanglante de vache, moineau estropié, fleurs, et mouches toujours, vrombissant jusque dans le nom d’un peintre, Auguste Toulmouche, auquel Magdi Senadji emprunte une scène : Le billet. Envoyé par Léon, sans doute, promettant les plus capiteux des péchés. Le fiacre est annoncé depuis longtemps, ses roues tournent à l’unisson de celles d’une moissonneuse-batteuse, Flaubert l’avait prévu. Depuis longtemps, Emma « eût bien voulu, ne fût-ce au moins que pendant l’hiver, habiter la ville, quoique la longueur des beaux jours rendît peut-être la campagne plus ennuyeuse encore durant l’été. » Les photographies relèvent les angles morts, l’ennui pris en flagrant délit, suintant à travers les interstices des heures. Tout fuit avec une vitesse effroyable.Voudrait-il se déprendre de l’entreprise que Magdi Senadji ne le pourrait plus, il est saisi : il fait un livre sur la mort, sur l’hystérie, sur l’art, quelque chose de physique, dit-il. Il veut un beau livre avec cris de jouissance et d’agonie. Il se détache, plus de Gustave Flaubert, plus de Madame, plus d’Emma.»

Danielle Robert-Guédon

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L e s œuvres de L’ expos i t ion

Magdi Senadji est né en 1950 à dijon, et décédé en 2003.www.magdisenadji.com

• Bovary (portrait), photographie 2000 76 x 55 cm

• Bovary (poutre), photographie 2000 90 x 62 cm

• Bovary (fourmis), photographie 2000 76 x 55 cm

• Bovary (chemisier), photographie 2000 54 x 38 cm

• Bovary (peinture), photographie 2000 54 x 38 cm

• Bovary (Flaubert), photographie 2000 54 x 38 cm

• Bovary (maternité), photographie 2000 54 x 38 cm

• Bovary (champ), photographie 2000 90 x 62 cm

• Bovary (groseille), photographie 2000 76 x 55 cm

• Bovary (allée), photographie 2000 76 x 55 cm

• Bovary (tombe), photographie 2000 88 x 90 cm

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L e s œuvres de L’ expos i t ion

Magdi SenadjiBovary, photographie 2000

Magdi SenadjiBovary, photographie 2000

Magdi SenadjiBovary, photographie 2000

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L e s œuvres de L’ expos i t ion

Magdi SenadjiBovary, photographie 2000

Magdi SenadjiBovary, photographie 2000

Magdi SenadjiBovary, photographie 2000

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PHOTOGRAPHIE, PICTURALITE ET ESTHETIQUE REALISTE

La série Bovary fait alterner paysages, portraits et natures mortes et revisite ainsi une tradition picturale tout en offrant des choix de traitement particuliers dans lesquels les possibilités de cadrage et de très gros plans qu’offre le médium photographique jouent une place importante. La picturalité du travail de Senadji s’impose aussi par le souvenir de toiles réalistes ou impressionnistes du XIXè perceptible également par les choix des couleurs, de la composition ou des sujets. On pense aux œuvres de Corot, de Courbet, Millet ou Pissaro qui ont immortalisé le même type de paysages et parfois de scènes, entrainant alors le spectateur dans une rêverie non exempte de mélancolie devant des époques qui se rejoignent et offrent plus de points communs que de différences. Quelque chose ne change pas que la marche du progrès ne saurait modifier dans le rapport que l’homme entretient à la nature, à la terre. Il n’est que de comparer la blondeur des blés dans L’Angélus ou Les Glaneuses de J-F Millet avec le travail de Senadji. Le photographe opte pour un plan très rapproché : les épis de blés envahissent la cadre mettant ainsi l’accent sur la couleur et la lumière. La perspective et les lignes de force sont les mêmes ; seules les glaneuses ont diparu.Les ciels photographiés par Senadji reprennent les bleus de Corot ou des toiles de l’école de Barbizon.Par le choix du cadrage serré ou de la macro, comme pour le plan sur les groseilles, Senadji propose une approche sensible du réel basée sur la sollicitation de plusieurs sensations. Le choix du cadrage sur les blés suggère un contact tactile comme le tableau des Glaneuses. A l’instar des artistes réalistes, Senadji sollicite ainsi tous les sens : avec les groseilles, c’est le goût, les fleurs appellent l’odorat et les mouches l’audition.Le toucher revient avec la représentation de la maternité qui offre l’image d’une chair généreuse qui rappelle le travail d’Auguste Renoir en suggérant l’épaisseur de la matière. Cette superposition des sensations, on la retrouvera chez Flaubert et chez tous les grands écrivains réalistes pour créer un effet de réel. Au-delà de cela, la plasticité des photographies de Senadji provient d’une utilisation toute particulière de la lumière qui traverse la chair des groseilles ou innonde une allée d’une sorte de pluie lumineuse rappellant par ces effets de transparence et de miroitement le travail des peintres impressionnistes.

Camille Corot, Le chemin de Sèvres, Huile sur toile, 1855-65

Magdi Senadji, Bovary, photographie, 2000

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Les références au XIXe siècle sont nombreuses aussi du simple fait que Senadji choisit de photographier des tableaux de cette période qui, selon ses propres mots : «donnent corps au roman de Flaubert».C’est le cas de ce portrait de jeune femme aux bandeaux noirs intitulé «Rigolette cherchant à se distraire en l’absence de Germain (in Les mystères de Paris d’Eugène Sue)» de Joseph-Désiré Court.Cette mise en abîme d’un tableau par la photographie propose un jeu sur le cadrage- recadrage qui pour Senadji a pour fonction de dépicturaliser le tableau. «J’aimerais qu’un tableau ait un aspect photographique et qu’une photographie ait l’aspect d’un tabeau.» explique l’artiste dans Hôtel des grands hommes.De fait, face à certaines photographies, on hésite : photo ou tableau ? C’est le cas de la maternité par exemple. Mais ces effets de mises en abîme ont aussi pour rôle d’insister sur la question du temps, thème autour duquel Senadji et Flaubert se rejoignent. Bernard Lamarche-Vadel notait que dans un appareil, il y a un viseur mais que dans celui de Senadji, « il y a un rétroviseur.»

Magdi Senadji, Bovary, photographie, 2000 Magdi Senadji, Bovary, photographie, 2000

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Senadji / BOVaRY

«J’ai lu le roman tardivement, je l’ai trouvé très photographique» .«Ce travail a duré six ans ; durant ces années, chaque prise de vue participait à illustrer Madame Bovary».Magdi Senadji

Pour celui qui a lu Flaubert, le travail de Senadji est effectivement une promenade dans le roman. Chaque photographie génère des réminiscences : souvenir des comices agricoles, du pied bot de Hippolyte, du repas de noces à travers le verre laissé sur une table, ou de ses rêveries ou des escapades clandestines d’Ema pour retrouver Rodolphe dans la campagne à l’abri des regards et surtout souvenir de sa mort tragique. Pour celui qui ne l’aura pas lu, l’ambiance de ce qu’aucuns ne s’accordent à considérer comme le premier roman moderne est là dans toutes ses nuances, mélange subtil de mélancolie, de tragique et d’ironie.

Les portraits féminins qui constituent une partie du travail de Senadji témoignent de la complexité de cette héroïne et permettent de comprendre pourquoi elle devient un personnage mythique, qui interroge de façon universelle la féminité.Senadji décompose le personnage et offre à chacune de ses facettes au moins une prise de vue. Emma, c’est cette femme vêtue de noir au teint diaphane et dont le visage est entouré d’une chevelure brune plaquée en bandeaux dans le tableau de José-Désiré Court. Elle affiche le sourire lisse d’une paisible bourgeoise de province mais le titre «Rigolette cherchant à se distraire» l’oiseau en cage, symbole lourd de sens, trahit l’ennui du personnage. D’où peut-être la nécessité de mettre ce tableau à distance par le recadrage et la mise en abîme afin de prévenir que derrière ce visage et ce calme apparent, il y a autre chose.La photographie Bovary (chemisier) prend en gros plan une robe qui rappelle les dépenses de l’héroïne et surtout la robe de noces avec laquelle Charles voudra qu’elle soit enterrée. La même prise de vue suggère la sensualité et la frivolité de l’héroïne, en même temps que sa mort. Mais qui est cette autre Emma qui disparaît dans le traitement de la photographie avec la prise de vue Bovary (portrait) ? Pour percevoir toute la complexité du personnage, il faudrait prendre en compte tous les portraits féminins présents dans la série qui font apparaître également l’érotisme ou l’hystérie.

Les paysages ou les natures mortes ne viennent pas là seulement fixer le cadre de vie d’Emma. Les images de la campagne ou de la ruralité renvoyent à l’esthétique réaliste mais suggérent aussi l’ennui qui accable l’héroïne. La fixité des plans renvoie à cette idée. Certaines prises de vue participent du paysage-état d’âme comme l’allée qui rappelle les déambulations d’Emma dans le roman et surtout par le travail de la lumière et de l’effet de flou les moments d’espoir et les désillusions de l’héroïne, la confusion des sentiments.

Magdi Senadji, Bovary, photographie, 2000

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De la même façon, les gros plans sur les chevaux ne renvoient pas seulement aux descriptions des comices ou de cette Normandie que Flaubert connaissait si bien et que Senadji a arpenté mais suggèrent l’érotisme du roman, la corruption des hommes et un regard globalement pessimiste sur l’homme et le monde. C’est par ce regard que nous pouvons dire qu’il rejoint Flaubert dans sa capacité à déceler la présence de la mort et du temps à l’œuvre au travers d’un sentiment diffus : l’ennui et la mélancolie. Plusieurs pièces parmis les natures mortes suggèrent l’inaction des hommes ou la mort.

LA MArCHe du teMps

Choisir Bovary comme sujet, c’est effectivement affirmer le poids et l’importance du temps et du passé. «Je suis toujours avec une espèce de passé visuel. Ces photographies ont été faites dans les années 2000 mais on a l’impression qu’elles ont été faites il y a presque 50 ans. Je suis intéressé par une esthétique un peu fanée.» Madji Senadji (in Hôtel des grands hommes, réponse à Régis Durand )

Certaines œuvres s’offrent ainsi à lire comme des vanités. Plus personne pour retirer de cette poutrelle métallique noire la toile d’araignée cadrée en gros plan. La mort est passée et a ôté toute fonction à certains des accessoires ou des objets auxquels le photographe s’attaque. Cette sourde présence du temps, de la mort et de l’ennui travaille aussi les matières et les chaires : il n’est que de regarder l’inactivité des corps qui étonnent par leur fixité. Peu de dynamisme en effet dans les photographies de Senadji. Le temps arrêté par la photographie. Toute la série sur Flaubert est travaillée ainsi dans le sens d’une dramatisation des compositions liée aux éléments mortifères qui les ponctuent: robe d’Emma pliée, intestins d‘animaux fumant encore en plein champs, vêtement de deuil des paysannes ou noir des robes, mouches qui envahissent la composition. De la suggestion de la putréfaction à la pierre tombale de Flaubert, il n’y a qu’un pas aisément franchi.

En même temps qu’il travaille sur la mort c’est aussi sur la mémoire et le souvenir que se penche Senadji. Souvenir de Flaubert dont le portrait et l’univers sont immortalisés. S’esquisse une réflexion sur le médium photographique et plus généralement, sur l’art et la mort.

Magdi Senadji, Bovary, photographie, 2000

Magdi Senadji, Bovary, photographie, 2000

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La mise en regard des textes de Flaubert et du travail photographique deMagdi Senadji fait partie des pistes d’étude possibles, mais n’est pas pour autant un passage obligé.

Compétences / connaissances

> Magdi Senadji, lecteur de Gustave Flaubert : réécriture

> Comprendre la cohérence d’une exposition, dégager des thèmes : la ruralité, la nature, l’ennui, la mélancolie, l’érotisme, la mort

> Travailler sur les registres : réaliste, tragique et ironique

> Repérer des figures de style sur une œuvre picturale : la métaphore

> Analyser une œuvre visuelle : types de plans et cadrage, lignes de force

> Découvrir les mouvements réalistes et impressionistes en passant par un regard contemporain

> Le genre de la vanité à travers une approche contemporaine

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Vues de l’exposition à l’artothèque de Caen, été 2002

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1. BOVaRY / Senadji

> Reliez les œuvres de Senadji à certains des textes de Gustave Flaubert et justifiez les rapprochements.

> À partir des justifications données, essayez de dire sur quels thèmes communs Flaubert et Senadji ont travaillé. > Montrez à partir des extraits de Flaubert que la mort de l’héroïne est incrite dans le roman.

> Pourquoi peut-on dire que Senadji partage le même regard tragique sur le roman ? Cherchez dans le travail de Senadji tous les éléments qui font référence à la mort ou à la fuite du temps.

On peut aussi demander aux élèves qui liront le roman de selectionner d’autres passages qui renvoient à l’œuvre de Senadji.

Ce travail est encore plus intéressant quand on va chercher les autres photographies de Senadji sur Bovary visibles sur le site de l’artiste. (www.magdisenadji.com)

> extrait n°1

«Emma monta dans les chambres. La première n’était point meublée ; mais la seconde, qui était la chambre conjugale, avait un lit d’acajou dans une alcôve à draperie rouge. Une boîte en coquillages décorait la commode ; et, sur le secrétaire, près de la fenêtre, il y avait, dans une carafe, un bouquet de fleurs d’oranger, noué par des rubans de satin blanc. C’était un bouquet de mariée, le bouquet de l’autre ! Elle le regarda. Charles s’en aperçut, il le prit et l’alla porter au grenier, tandis qu’assise dans un fauteuil (on disposait ses affaires autour d’elle), Emma songeait à son bouquet de mariage, qui était emballé dans un carton, et se demandait, en rêvant, ce qu’on en ferait ; si par hasard elle venait à mourir».

> extrait n°2

« Sa pensée, sans but d’abord, vagabondait au hasard, comme sa levrette, qui faisait des cercles dans la campagne, jappait après les papillons jaunes, donnait la chasse aux musaraignes ou mordillait les coquelicots sur le bord d’une pièce de blé. Puis ses idées peu à peu se fixaient, et, assise sur le gazon, qu’elle fouillait à petits coups avec le bout de son ombrelle, Emma se répétait :— Pourquoi, mon Dieu ! me suis-je mariée ?Elle se demandait s’il n’y aurait pas eu moyen, par d’autres combinaisons du hasard, de rencontrer un autre homme ; et elle cherchait à imaginer quels eussent été ces événements non survenus, cette vie différente, ce mari qu’elle ne connaissait pas. Tous, en effet, ne ressemblaient pas à celui-là. Il aurait pu être beau, spirituel, distingué, attirant, tels qu’ils étaient sans doute, ceux qu’avaient épousés ses anciennes camarades du couvent. Que faisaient-elles maintenant ? À la ville, avec le bruit des rues, le bourdonnement des théâtres et les clartés du bal, elles avaient des existences où le cœur se dilate, où les sens s’épanouissent. Mais elle, sa vie était froide comme un grenier dont la lucarne est au nord, et l’ennui, araignée silencieuse, filait sa toile dans l’ombre à tous les coins de son cœur».

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> extrait n°3

Un jour qu’en prévision de son départ elle faisait des rangements dans un tiroir, elle se piqua les doigts à quelque chose. C’était un fil de fer de son bouquet de mariage. Les boutons d’oranger étaient jaunes de poussière, et les rubans de satin, à liséré d’argent, s’effiloquaient par le bord. Elle le jeta dans le feu. Il s’enflamma plus vite qu’une paille sèche. Puis ce fut comme un buisson rouge sur les cendres, et qui se rongeait lentement. Elle le regarda brûler. Les petites baies de carton éclataient, les fils d’archal se tordaient, le galon se fondait ; et les corolles de papier, racornies, se balançant le long de la plaque comme des papillons noirs, enfin s’envolèrent par la cheminée.

> extrait n°4

Emma maigrit, ses joues pâlirent, sa figure s’allongea. Avec ses bandeaux noirs, ses grands yeux, son nez droit, sa démarche d’oiseau, et toujours silencieuse maintenant, ne semblait-elle pas traverser l’existence en y touchant à peine, et porter au front la vague empreinte de quelque prédestination sublime ? Elle était si triste et si calme, si douce à la fois et si réservée, que l’on se sentait près d’elle pris par un charme glacial, comme l’on frissonne dans les églises sous le parfum des fleurs mêlé au froid des marbres. Les autres même n’échappaient point à cette séduction. Le pharmacien disait :— C’est une femme de grands moyens et qui ne serait pas déplacée dans une sous-préfecture.Les bourgeoises admiraient son économie, les clients sa politesse, les pauvres sa charité.Mais elle était pleine de convoitises, de rage, de haine. Cette robe aux plis droits cachait un cœur bouleversé, et ces lèvres si pudiques n’en racontaient pas la tourmente. Elle était amoureuse de Léon, et elle recherchait la solitude, afin de pouvoir plus à l’aise se délecter en son image. La vue de sa personne troublait la volupté de cette méditation. Emma palpitait au bruit de ses pas ; puis, en sa présence, l’émotion tombait, et il ne lui restait ensuite qu’un immense étonnement qui se finissait en tristesse.

> extrait n°5

Elle fut stoïque, le lendemain, lorsque maître Hareng, l’huissier, avec deux témoins, se présenta chez elle pour faire le procès-verbal de la saisie.Ils commencèrent par le cabinet de Bovary et n’inscrivirent point la tête phrénologique, qui fut considérée comme instrument de sa profession ; mais ils comptèrent dans la cuisine les plats, les marmites, les chaises, les flambeaux, et, dans sa chambre à coucher, toutes les babioles de l’étagère. Ils examinèrent ses robes, le linge, le cabinet de toilette ; et son existence, jusque dans ses recoins les plus intimes, fut, comme un cadavre que l’on autopsie, étalée tout du long aux regards de ces trois hommes.

> extrait n°6

« — Mère Rolet, dit-elle en arrivant chez la nourrice, j’étouffe !… délacez-moi.Elle tomba sur le lit ; elle sanglotait. La mère Rolet la couvrit d’un jupon et resta debout près d’elle. Puis, comme elle ne répondait pas, la bonne femme s’éloigna, prit son rouet et se mit à filer du lin.— Oh ! finissez ! murmura-t-elle, croyant entendre le tour de Binet. — Qui la gêne ? se demandait la nourrice. Pourquoi vient-elle ici ?Elle y était accourue, poussée par une sorte d’épouvante qui la chassait de sa maison.Couchée sur le dos, immobile et les yeux fixes, elle discernait vaguement les objets, bien qu’elle y appliquât son attention avec une persistance idiote. Elle contemplait les écaillures de la muraille, deux tisons fumant bout à bout, et une longue araignée qui marchait au-dessus de sa tête, dans la fente de la poutrelle. Enfin, elle rassembla ses idées.»

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2. Les peintres reAListes et iMpressionnistes

On pourra demander aux élèves de faire une recherche sur le réalisme et l’impressionisme et de chercher des œuvres à rapprocher de celles de Senadji en justifiant leurs choix.Quelle pièce de l’exposition peut être reliée à l’impressionisme et pourquoi ?

On peut aussi proposer aux élèves des œuvres du XIXe siècle et leur demander d’analyser les points communs entre ces œuvres et certaines photographies de Senadji pour faire apparaître la reprise de certains thèmes, de type de paysages ainsi que les rappochements de cadrage, de construction de l’image, de couleurs.

Un type de paysage : les champs•

> Comment la travail de Senadji s’inspire-t-il de certaines des œuvres célèbres du XIXè siècle ?Comment s’en distingue-t-il ?

V. Van Gogh, Moissons en Provence, huile sur toile, 1888Magdi Senadji, Bovary, photographie, 2000

J-F Millet, les Glaneuses, huile sur toile, 1857

J-F MIllet, l’Angélus, huile sur toile, 1857-1859

Pistes pédagogiques

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Le travail de la lumière, le miroitement•

Faire le lien avec l’écriture réaliste...

On pourra essayer de montrer aux élèves sur quels éléments le photographe, le peintre ou l’écrivain s’appuient pour construire une œuvre de registre réaliste.

Supports :- un extrait de Madame Bovary de G. Flaubert- Bovary : groseille, champ, allée

> Percevoir un travail similaire sur la diversités des sensations> Relever dans le texte les effets de réél> Apprécier le travail de macro dans la photographie

Camille Corot, La route de Sèvres, huile sur toile, vers 1855

Magdi Senadji, Bovary, photographie, 2000

G. Caillebotte, L’Yerres, effet de pluie,huile sur toile, 1875

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«Il était donc heureux et sans souci de rien au monde. (...). Il se levait. Elle se mettait à la fenêtre pour le voir partir ; et elle restait accoudée sur le bord, entre deux pots de géraniums, vêtue de son peignoir, qui était lâche autour d’elle. Charles, dans la rue, bouclait ses éperons sur la borne ; et elle continuait à lui parler d’en haut, tout en arrachant avec sa bouche quelque bribe de fleur ou de verdure qu’elle soufflait vers lui, et qui voltigeant, se soutenant, faisant dans l’air des demi-cercles comme un oiseau, allait, avant de tomber, s’accrocher aux crins mal peignés de la vieille jument blanche, immobile à la porte. Charles, à cheval, lui envoyait un baiser ; elle répondait par un signe, elle refermait la fenêtre, il partait. Et alors, sur la grande route qui étendait sans en finir son long ruban de poussière, par les chemins creux où les arbres se courbaient en berceaux, dans les sentiers dont les blés lui montaient jusqu’aux genoux, avec le soleil sur ses épaules et l’air du matin à ses narines, le cœur plein des félicités de la nuit, l’esprit tranquille, la chair contente, il s’en allait ruminant son bonheur, comme ceux qui mâchent encore, après dîner, le goût des truffes qu’ils digèrent.»

Extrait de Madame Bovary

> Comment Senadji renouvelle-t-il le genre de la vanité ?

> Quels éléments ou détails évoquent la mort ou le fuite du temps dans les œuvres de Senadji ?

3. Les vAnitÉs de MAGdi senAdJi

définir un genre pictural : la vanitéidentifier symboles et métaphores

M. Senadji, Bovary (fourmis), photographie, 2000.

M. Senadji, Bovary (chemisier), photographie, 2000.

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> Quels éléments retrouve-t-on dans les photographies de Senadji et dans le tableau baroque de David Bailly ?

David Bailly, Vanité aux portraits, huile sur toile, 1651

M. Senadji, Bovary, photographie, 2000 M. Senadji, Bovary, photographie, 2000

M. Senadji, Bovary, photographie, 2000

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M. Senadji, Bovary, photographie, 2000

4. CoMprendre LA CoHÉrenCe tHÉMAtiQue des œuvres exposÉes.

> Sur quels genres Senadji travaille-t-il ? Justifiez votre réponse.

> Diriez-vous que Magdi Senadji privilégie les couleurs vives ou plutôt les couleurs pales ?

> Quels sentiments cherche-t-il à susciter ? Quelles couleurs reviennent de manière importante ? À votre avis qu’évoquent-elles ?

> Essayez de préciser quel(s) sentiment(s) chacune de ces œuvres s’applique à susciter ? > Quelles pièces évoquent selon vous la mort ou le temps qui passe ? Dressez la liste des motifs qui sont associés à ces thèmes.

> Essayez pour chaque photographie de nommer le type de cadrage choisi. Y a-t-il un type de plan qui revient plus qu’un autre ? Comment expliquez-vous ce choix ?

> Dans les photographies de Senadji, la présence des hommes vous semble-t-elle très marquée ? Comment Senadji suggère-t-il la disparition des êtres humains plutôt que leur présence ?

> Quelles photographies vous semblent totalement opposées les unes aux autres ? Choisissez deux pièces et expliquez en quoi elles s’opposent ?

> Essayez de regrouper certaines des photographies de Senadji autour de thèmes communs, en justifiant vos rapprochements.

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> Magdi Senadji, Pierre Michon, Bovary, Paris, éd. Marval, 2002.

www.magdisenadji.com

Bibliographie / Site Internet

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Magdi S enadj iBOVaRYŒuvres de la collection de l’Artothèque de Caen

Cette exposition est proposée dans le cadre du Réseau d’espaces Art-Actuel

Composition de l’exposition

L’exposition est composée d’un ensemble de 11 œuvres extraites de la collection de l’Artothèque de Caen.La série est accompagnée d’un cartel explicatif.

ContaCts

Artothèque de CaenVanessa Rattez, enseignante en Lettres détachée de l’Éducation Nationale (permanences à l’artothèque les jeudis).patrick roussel, responsable du service des publlics et chargé de médiation.alexandra Spahn, documentaliste et chargée de médiation.

Artothèque de Caen Hôtel d’Escoville Place Saint-Pierre 14000 CaenTel : 02 31 85 69 73 [email protected] www.artotheque-caen.net

L’Artothèque de Caen est financée par la Ville de Caen, avec la participation du Ministère de la Culture et de la Communication, Drac de Basse-Normandie, du Conseil général du Calvados et du Conseil régional de Basse-Normandie.

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