Lean Startup Experience -elCurator - deux ans de lean startup
M. BAHAMID FAROUK RESUMEM. BAHAMID FAROUK Doctorant à l’ENSSEA RESUME : Le mode de gestion Lean...
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LE LEAN MANAGEMENT COMME MODE DE GOUVERNANCE
DANS L’ADMINISTRATION.
M. BAHAMID FAROUK
Doctorant à l’ENSSEA
RESUME :
Le mode de gestion Lean ou Lean management, réservé naguère aux
activités industrielles (Toyota Production System), s’étend actuellement aux
processus administratif (Lean office). Un travail de reformulation des
principes et des pratiques pour les adapter au monde des bureaux est en
cours de réalisation, auquel nous essayons d’apporter notre modeste
contribution.
Au plan pratique, nous expliquons comment est-il plus aisé et rentable
d’orienter la démarche globale du Lean office dans le sens de l’élimination
du gaspillage proprement dit, à travers les huit Muda, plutôt que d’essayer
l’identification et l’augmentation de la valeur des tâches composant les
processus administratif.
Enfin, nous pensons qu’une initiation à une démarche Lean dans
l’administration apportera des solutions aux décideurs, dans la mesure où ça
répond à la triple préoccupation des pouvoirs publics qui est celle de réduire
les gaspillages (moins de dépenses publiques), améliorer le service public
dans le respect des lois et règlement en vigueur.
Mots clés : Lean management, gouvernance, administration
Introduction :
L’administration algérienne, une forteresse à laquelle se sont attaqués bon
nombre d’hommes politiques, technocrates et autres de sciences sociales, en
essayant d’y apporter des changements utiles, afin de la rendre en symbiose
avec la société contemporaine et l’environnement économique en
perpétuelles mutations mais sans grand résultat !
Les expériences dans le domaine de la gestion publique ont montré que le
changement au mieux ne se décrète pas : les pouvoirs publics à travers des
actions conjoncturelles ont tenté pendant des années de réduire le fossé entre
l’administration et le citoyen, mais en vain.
La complexité et la lourdeur des procédures administratives de tous genres
ont longtemps impacté la création, la performance, la rentabilité et la supply
chain des entreprises installées en Algérie. A cause de ces entraves, presque
aucune entreprise ne peut devenir performante et compétitive.
Nous constatons, néanmoins, de nos jours, qu’il n’existe pratiquement
aucun programme de parti politique ou un plan d’action d’un département
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ministériel qui ne traite pas du phénomène de la bureaucratie qui gangrène
l’administration. L’action de l’Etat est depuis plusieurs années critiquée à ce
sujet, surtout par les opérateurs économiques qui réclament des réformes
sérieuses afin de diversifier et de relancer l’économie.
En effet, l’amélioration du service public est devenue depuis
quelques années un axe principal de la politique du gouvernement. Le souci
majeur des gouvernants actuellement consiste à trouver les meilleures voies
et moyens pour que les citoyens et les acteurs économiques, devenus « client
de l’administration », soient satisfaits des prestations fournies, en termes de
qualité et de délai.
Un changement d’attitude de la part des fonctionnaires qui nécessite à
notre sens, une profonde transformation au plan culturel : Il est difficile de
parler de management, de rentabilité ou de gestion par objectif au sein de
l’administration, car considérer l’usager comme client est presque un délit,
pourtant l’intérêt général reste le cœur même du service public.
Dans le cadre de l’évaluation du climat des affaires dans le monde pour
2016, le groupe de la banque mondiale, « doing business », a établi encore
une fois un constat défavorable sur le classement de l’économie Algérienne
au plan de la réglementation des affaires. L’Algérie se situe à présent à la
163 places sur 189 économies dans le monde. Les raisons de ce classement
incombent principalement à la lourdeur des procédures administratives dont
souffre les entreprises et ce en dépit des efforts déployés par les pouvoirs
publics pour endiguer ce phénomène.
La solution que nous préconisons ne prétend pas vouloir révolutionner, ni
reformer tout le mode d’organisation de l’administration actuel en un temps,
car procéder à une réingénierie des processus comporte des risques
importants surtout par rapport au défi d’adapter les mentalités au
changement. Néanmoins, nous sommes convaincu que des résultats rapides
et sans grand investissement peuvent être obtenus en s’appuyant sur une
logique de « petits pas » et à travers des améliorations modestes mais
continues dans le temps car une démonstration pareille pourrait convaincre
les décideurs à une démarche plus générale et à long terme.
Aussi, atteindre le triple objectif de rationaliser la dépense publique,
améliorer la qualité de service de l’administration dans le respect des
lois et règles en vigueur, ne peut trouver solution à notre sens que dans le
cadre d’une nouvelle approche de gestion publique de type « nouveau
management public » et plus précisément le Lean1 management dans sa
version administration. Le défi majeur pour le gestionnaire public consiste
en l’adaptation de cette philosophie, naguère réservée au secteur industriel,
pour le secteur tertiaire.
A ce titre, de récentes expériences de bonne gouvernance et en
l’occurrence de déploiement du Lean management dans le secteur public,
1 Le Lean est un qualificatif donné en 1991 par une équipe de chercheurs du MIT au
système de production Toyota.
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pour ne citer que quelques-unes, ont donné des résultats significatifs en
matière d’élimination des gaspillages, d’optimisation de processus et
d’amélioration de la qualité de service rendu aux usagers, à titre d’exemple :
l’optimisation des processus de traitement des affaires au ministère
français de la justice (2010) ;
l’optimisation de l’organisation du service des urgences au CHU de
Nancy en France (2009) ;
l’optimisation du processus d’affiliation des travailleurs
indépendants auprès de la Direction de la Sécurité Sociale en France,
l’ACOSS et le RSI (2010);
l’optimisation des processus métiers au département de travail et des
pensions en Angleterre (2006);
la réorganisation des processus de l’administration de la ville de
Bornheim en Allemagne et tant d’autres expériences.
De telles réussites constituent une preuve que le changement au mieux
peut s’effectuer dans l’administration grâce à l’approche Lean. Nous allons
essayer de démontrer l’applicabilité de ses méthodes au sein de
l’administration : non seulement le Lean traite essentiellement de la chasse
au gaspillage, donc moins de dépense publique (objet de la présente
publication), mais aussi, de l’amélioration des processus, au travers ses
méthodes et outils, dans le but de satisfaire le client et qui fera l’objet d’un
deuxième article prochainement.
Etendre le Lean dans l’administration, c’est s’attaquer aux
gaspillages en premier lieu :
Il nous semble difficile vouloir transposer les méthodes et outils du Lean
management sur le travail des bureaux sans qu’il y ait traitement
intermédiaire. En effet, la notion même de valeur peut poser problème ;
d’ailleurs toute l’activité administrative est souvent perçue à première vue
comme du gaspillage. La répartition du travail dans les bureaux fait que les
flux de valeurs y sont plus nombreux et plus emmêlés que dans l’usine. Par
surcroît, la forte présence de la hiérarchie de manière opérationnelle dans les
processus administratifs (vérifications, validations et orientations des
responsables) engendre souvent des retards de prise en charge et de
signature. Tout cela fait la spécificité du travail dans l’administration2.
2 Nous entendons par administration ou activités tertiaires, essentiellement les
activités dans l’administration publique, notre angle d’approche aborde justement ce secteur non lucratif préoccupé par l’intérêt général.
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Aussi allons-nous aborder la question du Lean office suivant l’angle de
l’identification de ses gaspillages ou Muda3, car il nous semble plus facile de
répertorier les diverses formes de gaspillages d’un processus administratif
dans un esprit Lean, plutôt que d’essayer d’identifier avec exactitude la
valeur apportée par ses tâches de bureaux, surtout lorsque cela concerne un
service public.
Les gaspillages version administration :
Nous proposons pour chaque type de gaspillages suivant le modèle Toyota,
son interprétation dans les activités tertiaires. L’effort fourni touchera la
reformulation spécifique des Muda au travail de bureau.
la surproduction ;
l’attente ;
les transports et manutentions inutiles ;
les usinages inutiles ;
les stocks excessifs ;
les mouvements inutiles ;
productions défectueuses ;
la créativité inemployée ou le gâchis de créativité des employés.
1. La surproduction :
S’il est aisé de cerner la surproduction en usine, qui se traduit surtout par
des stocks inutiles induisant des coûts de gestion supplémentaires, ce n’est
pas le cas pour les activités de bureau. La production excessive dans
l’administration ce sont donc les tâches réalisées alors qu’on n’en a pas
besoin et qui prennent donc la place de tâches qui seraient nécessaires
(Catherine Chabiron, 2005).
Le système à flux poussé est dominant dans le travail de bureau, et c’est
généralement à l’agent de donner l’ordre de priorité à telle ou telle tâche, en
fonction de ses goûts, de ses habitudes et de ce qu’il perçoit de la priorité de
sa hiérarchie. Pour arriver à déceler ce genre d’anomalie, il faut pister et
recenser les dossiers accusant des retards et ceux qui sont bloqués pendant
des semaines ou des mois, chercher les raisons de ces problèmes, ensuite
réorienter l’ordre de priorité pour éliminer la surproduction.
3 Le Lean, en industrie, ne se focalise pas uniquement sur l’élimination des Muda
(gaspillages) avec ses huit sources, mais insiste aussi sur le Muri et le Mura, c’est ce qui est appelé les 3M du modèle Toyota.
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Il existe en revanche un autre type de production excessive liée en
l’occurrence au système de reporting, c’est-à-dire de l’ensemble des tâches
de remontée des informations opérationnelles vers la hiérarchie. Nous
assistons souvent à l’accroissement de la charge du reporting au détriment
des activités opérationnelles indispensables. La solution à ce type de
gaspillages consiste en la remise en cause permanente du bien-fondé de
chaque activité reporting. Les questions suivantes peuvent aider à mesurer la
pertinence de ces remontées d’information :
quelle valeur ajoutée ce reporting crée-t-il pour l'entité
administrative et pour le client final ?
quelles actions ces informations me permettent-elles d’entreprendre
pour améliorer la situation ?
initié à la base pour mesurer l'ampleur d'un problème ponctuel et en
contrôler la correction, ce reporting a-t-il encore une raison d'être ?
les données collectées par une fonction sont-elles bien utilisées par
les autres fonctions, ou ces dernières ont-elles mis en place un reporting
parallèle sur les mêmes données ?
2. Les attentes :
L’attente dans l’administration concerne aussi bien les personnes (réunions
interminables et les attentes pour commencer les réunions) que les dossiers
(attente de signature ou expertise). Parmi les attentes les plus fréquentes, on
peut citer l'approbation d'une décision d'investissement, celle d'un budget, le
rendu d'un arbitrage ou la résolution d'un litige et les avis des juristes
chargés de revoir les contrats etc.
En général les attentes se trouvent au niveau des processus décisionnels,
car les décisions complexes qui engagent l’administration dans l’avenir
(budget, marché public) impliquent un grand nombre d’acteurs et se
prennent habituellement par consensus (conseils ou commissions). Faute de
méthode efficace pour arriver à ce consensus, le risque est donc : soit de
prendre une décision arbitraire appelée « fait du prince », soit de voir
prolonger la prise de décision jusqu’à ce que l’on voit plus clair.
Il est par ailleurs important de signaler que le processus d’approbation
d’une décision administrative, souvent long, n’implique pas forcément sa
mise en exécution rapide par l’administration.
Aussi , parmi les remèdes simples pouvant facilement accélérer les circuits
administratifs, on notera:
éviter de recourir systématiquement à l’expert : si nous arrivons à
standardiser le maximum de tâches relevant du travail de l’expert ;
notamment, dans la revue de dossier ou de contrat, d’autres personnes
pourront les faire à sa place, ce qui permet de réduire les temps de
traitement;
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mettre en place des délégations étendues : en effet, il faut
privilégier le champ de la délégation. Le fonctionnement d’un service ne doit
pas être tributaire de la présence ou signature d’une personne, comme nous
avons l’habitude de le dire à nos collaborateurs « le meilleur service c’est
celui qui fonctionne normalement (un écoulement de flux continue), même
quand le chef est absent »4. En revanche il faut mettre en place des systèmes
de contrôle, de préférence ex-post avec du reporting régulier, pour prendre
ses dispositions en cas de dérapage.
3. Transports et manutentions inutiles :
Comme dans les autres types de Muda, les transports inutiles sont faciles à
repérer dans l’usine mais pas dans le travail de bureau, les circuits de
courrier interne sont souvent mutualisés et invisibles surtout dans un
environnement fortement numérisé.
Ce qui est par ailleurs facile à déceler, c’est les déplacements physiques
des dossiers, en dépit des risques d’égarement. L’exemple des retards dans le
traitement des dossiers de facturation des fournisseurs de l’administration est
flagrant : le lead time moyen entre la réception effective de la marchandise et
le payement du fournisseur avoisine les 45 à 60 jours au minimum, alors
qu’en réalité le traitement réel (temps utile) effectué sur le dossier de
facturation ne dépasse pas une heure ; ne s’agit-il pas d’un manque à gagner
pour l’entreprise en particulier et à l’économie en général5 ?
La réduction de ce type de gaspillages passe par une étude du trajet
emprunté par le document, en ce cas c’est la facture, de manière à optimiser
le circuit, identifier d'éventuels goulots d'étranglement (contrôleur financier
débordé appelé à tout contrôler systématiquement, valable pour le trésorier,
un ordonnateur fréquemment en déplacement et ne laissant pas de
délégation, etc.)6 et enfin essayer d’agir sur ces goulots.
La numérisation croissante mais partielle entre les administrations, surtout
quand les systèmes d’informations ne sont pas interfacés, a conduit au
4 Nous avons eu souvent à rencontrer durant notre carrière professionnelle de
brillant techniciens de l’administration algérienne, mais dont le service cesse presque de fonctionner quand ils sont absents (en mission, congé etc.), pour eux, devenir la personne sur laquelle devait reposer tout le service était l’unique objectif. 5 Au plan macroéconomique, le coût de cette inefficacité peut se calculer en
multipliant le taux d’intérêt nominal sur les sommes des créances, détenues par les partenaires cocontractants et non encaissées, pendant cette période (c.à.d. le retard). 6 La comptabilité publique algérienne prévoit plusieurs paliers de contrôle de la
dépense publique, de l’ordonnateur, contrôleur financier, trésorier, et autres organes de contrôle à postériori. Le délai moyen d’exécution d’une dépense publique dépasse souvent les 60 jours.
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développement d’une autre forme de manutention inutile : la saisie en
double. Les doubles saisies ont un coût direct, celui de la ressaisie, mais
aussi indirect, car elles induisent souvent des erreurs de frappe au moment de
la réintroduction des données.
4. Usinages inutiles et incorrects :
On peut distinguer trois sous-types de ce gaspillage : l’excès de
prestations, l’excès de contrôle et la mauvaise utilisation des outils existants.
L’excès de prestations se traduit dans les bureaux par la dérive vers la
surqualité. Ce gaspillage se manifeste généralement quand les employés
trouvent un espace-temps non utilisé dans leur travail de tous les jours par
manque de lissage de charge. Ils essaient de le remplir en y ajoutant un
travail supplémentaire inutile sur les dossiers. Nous retrouvons les bons
exemples dans les administrations chargées du contrôle (douanes, impôts,
police etc.), qui ont tendance à succomber à ces dérives qui deviennent vite
des tâches incorporées dans le cours normal du travail, engendrant des
retards donc du gaspillage.
La solution préconisée à cela consiste en la standardisation des tâches dans
les processus. Par ailleurs, les questions fondamentales qu’il faut se poser
pour éliminer cette surqualité, sont les suivantes : depuis quand effectue-t-
on systématiquement telle tâche ? Pourquoi a-t-elle été mise en place ? Ne
peut-on pas mener une analyse en causes profondes et régler le problème à
sa source plutôt que de faire une vérification à ce stade de la chaîne de valeur
? La réponse à de telles questions mènera inévitablement à une situation plus
assainie des tâches dans les processus.
En cherchant la surqualité, le travail de bureau mène souvent à des
gaspillages dus au fait de surcontôler. Nous avons assisté à plusieurs reprises
à une généralisation de contrôle excessif conjoncturel suite à des fautes
professionnelles de subalternes peu rigoureux ou malhonnêtes. Croyant bien
faire, les responsables par réaction, renforcent les procédures, ce qui aggrave
les retards dont le coût de gestion (gaspillage) est nettement supérieur au
risque encouru.
5. Stocks excessifs :
Dans une certaine mesure, ce type de gaspillage est très lié à la
surproduction, car nous trouvons à titre d’exemple que les travaux de
reporting sont souvent stockés et non traités. La constitution des données de
reporting a un coût considérable si l’on prend en compte le temps de ceux
qui les produisent. Leur stockage ne sert pratiquement à rien si ce n’est dans
certains cas, où il est demandé de répondre aux pouvoirs publics.
De surcroît, Combien d’audits ou de benchmarks produits à grand frais par
des consultants mais jamais exploités au-delà de la réunion de présentation ?
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Combien d’opérations de cartographie des processus sont stockées dans les
tiroirs des décideurs sans aucune suite ? Combien d’études de conception de
projets qui n’ont jamais dépassé le stade du lancement? Ce sont des coûts
directs estimés à des mois-hommes de travail.
6 .Mouvements inutiles :
La mauvaise organisation spatiale des services, induit forcement beaucoup
de déplacements inutiles des employés, puisque à la base, l’architecture des
locaux n’a pas pris en considération l’écoulement du flux du processus. La
réduction des trajets que les employés doivent accomplir au sein de leur
service apporte des réductions significatives du temps de traitement des
dossiers. L’aménagement des infrastructures administratives doit obéir à des
exigences fonctionnelles pour optimiser les déplacements des employés.
Si les déplacements des employés sont coûteux, que dire des déplacements
des managers ? Ces derniers sont souvent surchargés de réunions et de
déplacements liés aux processus fonctionnels (reporting, processus
budgétaire, bilan de fin d’année etc.) pour justifier leurs chiffres ou défendre
leurs résultats.
Un dernier type de mouvements inutiles peut être rajouté à ce Muda, ce
sont les interruptions. De très récentes études ont montré : « à mesure que
les technologies (emails, assistants personnels, téléphones cellulaires, pagers,
messageries instantanées...) se diffusent autour de nous, nous sommes de
plus en plus sujets à la tentation du travail multitâches. Mais en réalité,
essayer d’accomplir plusieurs travaux différents en même temps prend plus
de temps et mène également à un plus grand nombre d’erreurs. La raison est
simplement qu’il y a des limites dans les processus mentaux de tout être
humain »7.
Dans un article publié dans le New York Times, le professeur David E.
Meyers (chercheur en science cognitive à l’université de Michigan), apporte
des affirmations que les outils modernes de communication poussent les
employés à effectuer de plus en plus de tâches en même temps (multitâche),
ce qui génère des interruptions qui ralentissent le travail à cause du stress et
de la surcharge mentale.
L’élimination totale de ces interruptions est difficile à réaliser même s’il
est prouvé qu’ils causent du gaspillage, néanmoins il faut travailler sur leurs
sources, les classer par famille ensuite apporter des corrections.
7. Défauts :
7David E. Meyers, « Les Outils High-Tech ralentissent le travail », Transfert.net, 7
juillet 2003.
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Le JIDOKA est le deuxième pilier du Lean après le juste à temps. Dans
l’idéal, le JIDOKA préconise la mise en place de systèmes dotés d’une
intelligence artificielle pour s’arrêter en cas de défauts sur le produit. La
qualité se construit grâce au professionnalisme des employés qui corrigent
les problèmes avant que l’anomalie ne se répète en aval. Il est cependant
difficile de cerner ces notions de qualité dans l’administration, au regard
surtout, de la nature du produit et donc de la difficulté de mesurer la
satisfaction des clients.
Les exemples de défauts dans les tâches de bureau sont multiples, les
identifier peut nous orienter sur la démarche de correction adéquate. Nous
avons souvent affaire à des cas tels : les pièces manquantes empêchant le
traitement d’un dossier administratif, les erreurs de formule dans un fichier
Excel générant des données erronées, les erreurs de transmission du courrier,
interface entre deux systèmes d’information bloquée, mauvaise
compréhension de la définition d'un indicateur de reporting, erreur de
paramétrage d'un outil informatique etc. même leur temps de corrections est
considérés comme du gaspillage au sens Lean.
Pour résoudre ce type de défaillance, il faut établir une typologie des
incidents, conduire une analyse des causes profondes (5 pourquoi ?),
intervenir sur le problème de fond, revoir les standards dans le sens de
déceler les anomalies le plus en amont possible, enfin évaluer les actions de
correction par rapport à ce qui était auparavant.
Aussi, certains outils tels que les check-lists ont bien fait leur preuve en
milieu administratif. L’expérience dans ce domaine nous a appris, qu’il faut
réduire au maximum la marge de manœuvre des simples fonctionnaires dans
le traitement des dossiers. La standardisation8 des tâches (exigence Lean
pour pouvoir entamer un Kaizen) peut commencer à travers des check-lists,
fiches de postes bien détaillés et des procédures transparentes et souples. Il
ne faut surtout pas succomber dans l’excès de la paperasserie et garder
l’objectif sacré de satisfaire le client (usager).
8. Créativité inexploitée9 :
Il s’agit d’un type de gaspillage assez spécial, puisqu’il renvoie en premier
lieu à la responsabilité des managers qui sous-utilisent leur potentiel humain.
Nous pensons que tout le challenge réside à ce niveau. Vouloir transformer
une administration type bureaucratique wébérienne en une administration
8 A travers le sixième principe du modèle Toyota, « La standardisation des taches
est la base de l’amélioration continue et de la responsabilisation des employés », nous avons vu que les marges d’appréciation sont plus réduites pour les employés ayant des tâches répétitives. Suivre les standards à ce niveau est stricte. 9 Il s’agit du huitième type de gaspillage rajouté par J.LIKER, et auquel nous y
adhérant parfaitement.
81
adoptant les techniques de management éprouvées tel le LEAN est l’affaire
du top manager en premier lieu. Et c’est ce type de gouvernance qui mène
vers une exploitation rationnelle de la ressource humaine.
De surcroît, se lancer sur la voie de la philosophie Lean est une décision
stratégique qui nécessite un engagement durable du leadership. En ayant une
culture approfondie du Lean, le manager saura qu’aucune transformation ne
peut réussir sans l’adhésion et l’engagement des employés. Chez Toyota, on
recense en moyenne 20 à 30 idées par employé par an, dont 80% sont mises
en œuvre10
.
J.LIKER11
à travers le sixième principe12
du modèle Toyota, insiste sur la
nécessité d’associer les employés pour laisser libre cours à leur créativité. Le
meilleur compliment que l’on puisse faire à une entreprise actuellement,
c’est d’être une organisation apprenante. L’apprentissage vient surtout de la
base. Aussi, ne pas exploiter l’expérience, les connaissances et la créativité
des employés est un gaspillage.
Conclusion
En mars 2004 James P. Womack13
à travers sa lettre, « Le Lean au-delà
des frontières de l’usine », disait : «….alors que j'observais l'expérience de
GM, j'ai fréquemment entendu parler de spécialistes Lean du monde entier
dont le champ d'activité se déplace de l'usine vers le bureau et vers les
entreprises de services. […] J'en conclus que nous avons à présent acquis le
savoir-faire suffisant et qu'il est temps d'étendre notre activité».
Cette affirmation, de la part de l’un des meilleurs expert Lean dans le
monde occidental, prouve que la philosophie du Toyota production system,
naguère réservée au secteur manufacturier, peut s’étendre aux domaines de
l’administration. La réussite de ce challenge réside dans son adaptation qui
requiert, à notre sens, beaucoup de créativité.
10
Larry Ritzman et Lee Krajewski « Management des opérations principes et application », Pearson Education France, Paris, 2004, p, 507. 11
Jeffrey. LIKER Ph.D. en sociologie, est professeur de production/logistique à l’université du Michigan. Il a reçu cinq fois le prix Shingo. 12
Il existe plusieurs auteurs ayant traité des principes Lean suivant leur propre approche, tels WOMACK et JONES, Edwars DEMING avec ses 14 points, SPEAR et BOWEN qui identifient quatre règles qui sous-tendent le Toyota Production System, John TOUSSAINT et Roger GERARD dans le secteur de la santé qui proposent neuf étapes pour une transformation Lean. LIKER, quant à lui, aborde la philosophie de Toyota à travers 14 principes. 13
En 1972 Toyota avait dépêché douze consultants internes aux Etats Unis pour former ses fournisseurs au juste à temps, c’est dans ce cadre que John SHOOK, James P. WOMACK avaient été formés selon les méthodes de Hajime Ohba, consultant et disciple de Taichi Ohno.
82
En fait, il est plus aisé et rentable d’orienter la démarche globale du Lean
office14
dans le sens de l’élimination du gaspillage proprement dit, plutôt que
d’essayer d’identifier et augmenter la valeur des tâches composant les
processus administratifs : la notion de valeur peut poser problème dans les
activités de bureaux.
Les huit MUDA du modèle Toyota, selon J.LIKER, ne représente qu’un
tiers15
de l’équation qui conditionne la réussite du Lean. Il existe en effet,
deux autres formes de gaspillages souvent négligées et que nous n’avons pas
abordées ici ; il s’agit de l’excès (muri) et l’irrégularité (mura). Un effort
d’adaptation de ces derniers au secteur administratif serait intéressant.
Enfin, la réduction des dépenses par l’élimination des gaspillages dans
l’administration est un axe majeur des politiques publiques à l’heure
actuelle. La rigueur budgétaire reste une priorité des gouvernements.
Néanmoins, il ne faut surtout pas perdre de vue l’objectif primordial de
satisfaire l’usager (client) et de maintenir une bonne qualité du service
rendu: dans un système démocratique, le citoyen client sanctionne
rapidement les mauvaises politiques ayant induit une mauvaise prestation de
service publique.
BIBLIOGRAPHIE
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Paris, 2012.
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2009.
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Lettre du Lean Entreprise Institute.
David E. Meyers (2003), Les Outils High-Tech ralentissent le
travail, Transfert.net.
14
Réussir une transformation Lean nécessite non seulement l’adoption et la
maitrise de ses méthodes (juste à temps, Kaizen, les 5S, Kanban etc.) avec élimination des MUDA, mais bien au-delà, car c’est le degré d’adoption de ses fondements philosophiques qui détermine son succès. 15
Une remarque qui a été reprise par J.LIKER dans son quatrième principe qui traite du lissage de la charge de travail (heijunka).
83
Anne Amar et Ludovic Berthier, le nouveau management public,
avantages et limites. Revue RECEMAP.
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L'Usine Nouvelle n° 3302
Annie CHEMLA-LAFAY, La Lean administration : Un choix
managérial dangereux
Annie CHEMLA-LAFAY, La méthode du Lean, une démarche
imposée, dangereuse pour l’administration
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Pascal PREVOST, Rendre un meilleur service public. Directeur
général d’AFNOR Compétences.
Régis MARTINEAU, La légitimité du Management Public :
l’apport de la lecture d’Adam Smith.
Merrien FRANÇOIS-XAVIER (1999), La Nouvelle Gestion
publique : un concept mythique. Lien social et Politiques, n° 41.
Bertrand OLIVAR (2013), Les comportements managériaux pour
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