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L'U. R. S. S. ET LE MOYEN-ORIENT Dans son récent périple oriental, M. Khrouchtchev a hautement proclamé que l'U. R. S. S. est, pour une part, un pays d'Asie. Cette vocation asiatique inscrite dans sa géographie et son peuple- ment avait été cependant quelque peu oubliée. Au lendemain de la Révolution, alors que l'U. R. S. S. soutenait les mouvements d'émancipation coloniale," Lénine s'écriait : « L'issue de la lutte entre le capitalisme et le socialisme dépend en fin de compte du fait que la Russie, l'Inde et la Chine constituent la majorité écra- sante de la population mondiale. » Et Staline ajoutait : « Celui qui veut la victoire du socialisme, celui-là ne peut oublier l'Orient. » Cependant, occupée ailleurs, l'U. R. S. S. tourna progressive- ment le dos à l'Orient, et Staline s'en désintéressera presque totale- ment après la seconde guerre mondiale. A sa mort seulement, l'U. R. S. S. entre peu à peu sur la scène du Moyen-Orient et de l'Asie du Sud-Est et donne à ces régions une place importante dans ses calculs diplomatiques. La disparition du généralissime ne marque pas seulement un élargissement de l'horizon de la poli- tique soviétique, mais un déplacement de son point d'intérêt. Tandis qu'en Europe, l'U. R. S. S. se résigne à un statu quo tempo- raire, en Asie elle revise sa doctrine et ses méthodes. En octobre 1954, le voyage des'dirigeants soviétiques à Pékin amène une nouvelle définition de relations jusque-là malaisées ; au même moment elle doit au Moyen-Orient faire face à une véritable offensive des puissances occidentales pour attirer cette région dans son orbite politique ; offensive qui se solde au début de 1955 par une série de succès. Le système d'alliances inauguré par le Pacte Ankara-Karachi s'est étendu à Bagdad, donnant forme et vie à l'organisation de la défense du Moyen-Orient. La Grande-

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Dans son récent périple oriental, M. Khrouchtchev a hautement proclamé que l'U. R. S. S. est, pour une part, un pays d'Asie. Cette vocation asiatique inscrite dans sa géographie et son peuple­ment avait été cependant quelque peu oubliée. Au lendemain de la Révolution, alors que l'U. R. S. S. soutenait les mouvements d'émancipation coloniale," Lénine s'écriait : « L'issue de la lutte entre le capitalisme et le socialisme dépend en fin de compte du fait que la Russie, l'Inde et la Chine constituent la majorité écra­sante de la population mondiale. » Et Staline ajoutait : « Celui qui veut la victoire du socialisme, celui-là ne peut oublier l'Orient. »

Cependant, occupée ailleurs, l'U. R. S. S. tourna progressive­ment le dos à l'Orient, et Staline s'en désintéressera presque totale­ment après la seconde guerre mondiale. A sa mort seulement, l'U. R. S. S. entre peu à peu sur la scène du Moyen-Orient et de l'Asie du Sud-Est et donne à ces régions une place importante dans ses calculs diplomatiques. La disparition du généralissime ne marque pas seulement un élargissement de l'horizon de la poli­tique soviétique, mais un déplacement de son point d'intérêt. Tandis qu'en Europe, l'U. R. S. S. se résigne à un statu quo tempo­raire, en Asie elle revise sa doctrine et ses méthodes. En octobre 1954, le voyage des'dirigeants soviétiques à Pékin amène une nouvelle définition de relations jusque-là malaisées ; au même moment elle doit au Moyen-Orient faire face à une véritable offensive des puissances occidentales pour attirer cette région dans son orbite politique ; offensive qui se solde au début de 1955 par une série de succès. Le système d'alliances inauguré par le Pacte Ankara-Karachi s'est étendu à Bagdad, donnant forme et vie à l'organisation de la défense du Moyen-Orient. La Grande-

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Bretagne participe à ces succès en résolvant les conflits de Suez et d'Abadan ; enfin, l'affermissement dans divers pays du Moyen-Orient de régimes autoritaires qui entreprennent de pourchasser irréductiblement le communisme semble parachever ce triomphe et prouver l'inanité des efforts soviétiques. L'encerclement occidental, contre lequel l'U. R- S. S. avait désespérément lutté au cours des dix dernières années, prend la forme d'un nouveau pacte de Saa-dabad. Cependant, dès la fin de 1954, au moment précis où les succès occidentaux s'imposent avec le plus grand éclat, le neutralisme syrien porte témoignage d'une résistance aux pressions occidentales, résistance dont l'U. R. S. S. va jouer.

C'est au Moyen-Orient d'ailleurs que la poMtique soviétique . et ses nouvelles tendances posent peut-être les plus étonnants problèmes, à la fois par la situation très particulière de cette région qui retient actuellement l'attention mondiale et par les formes de l'intervention communiste. Cette politique marque un retour très net à la thèse de la révolution coloniale abandonnée en 1932 ; par là elle témoigne d'une « déstalinisation » autrement réelle et lourde de signification que les révélations spectaculaires sur les turpitudes du dictateur et les méfaits du culte de la personnalité.

Le Moyen-Orient présente actuellement au communisme un terrain de choix dont on sous-estime l'importance. Certes, il n'est pas à la veille d'une révolution marxiste, les « conditions objectives » nécessaires à l'établissement de régimes socialistes étant loin d'être atteintes. « •

Il n'en est pas moins vrai que l'évolution de cette région au cours des derniers mois témoigne à la fois de sa prédisposition au communisme et d'une progression réelle dans cette voie. L'erreur trop généralement commise consiste à nier cette évolution au noni d'une conception « occidentale » du communisme. Il faut se rappeler cependant que les concepts occidentaux n'ont point de place dans le monde musulman, et que son évolution doit être analysée à la lumière de données traditionnelles, certes, mais transposées et adaptées à la sensibilité musulmane. (Dans l'Inde aussi, le commu­nisme revêt des formes déconcertantes pour un esprit occidental, et pourtant nul ne songe plus à nier la réalité du communisme indien.) Quelles que soient les illusions entretenues par les tenants

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de 1' « opposition irréductible communisme-Islam », il est impossible d'ignorer désormais que le Moyen-Orient pourrit et se désagrège de l'intérieur, à la fois pour des raisons structurelles et par suite de l'action communiste qui a trouvé là un terrain extrêmement favo­rable pour s'exprimer.

La prédisposition du Moyen-Orient au communisme n'est jamais apparue aussi nettement qu'au cours des derniers mois où tous les facteurs de désagrégation inhérents à sa structure sociale et éco­nomique semblent avoir joué en même temps. Que sont ces facteurs ? La misère et la famine inévitables dans des pays sous-dèveloppés et surpeuplés, certes, mais aussi la structure sociale : entre la somptueuse féodalité foncière et les masses non évoluées et misé­rables il n'existe pratiquement pas de classes moyennes. L'intelli-gentzia, les « white coïlars » constituent des minorités que leur for­mation et leur situation sociale rendent extrêmement sensibles à la prédication communiste et ne sont en aucun cas des facteurs de stabilité. Surtout, la destruction des structures traditionnelles à base religieuse, au nom de 1' « occidentalisation », a créé dans les pays où l'expérience a été tentée — en Turquie par exemple — un vide irrémédiable dont le communisme seul parait devoir tirer profit.

Sur ce terrain extrêmement mouvant, les erreurs des Occiden­taux et des gouvernements qu'ils soutenaient ont greffé de nouveaux arguments pour le communisme. Tenter de substituer la démocratie aux sociétés traditionnelles dans des pays aussi socialement inorga­niques était une utopie tragique., Le Moyen-Orient a identifié la démocratie à l'impérialisme et ceci a heurté profondément les sentiments nationaux: L'éveil du nationalisme s'est donc fait tout naturellement contre l'« impérialisme », mais aussi contre la démo­cratie, la voie du communisme étant ainsi frayée. Inquiets de la confusion nationalisme-communisme et de la progression de ces deux forces, les gouvernements liés à l'Occident ont pourchassé l'une et l'autre les confondant dans une répression qui a éprouvé plusieurs pays et creusé un fossé profond entre l'Occident « impérialiste » et le monde musulman « nationaliste ». N'est-ce pas précisément vers cela que tendaient tous les efforts de la propagande et de la diplomatie soviétiques d'après-guerre ?

Deux faits aggravent cette évolution qui s'est précipitée récem­ment : la naissance d'une opinion publique canalisée par la gauche, et l'effondrement des hiérarchies traditionnelles.

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La cristallisation de l'opinion publique naissante autour dea idées neutralistes, anti-occidentales ou progressistes, voire commu-

. nistes, est un des faits les plus saillants de révolution< actuelle du monde musulman. Elle est l'œuvre discrète mais incontestable des partis communistes locaux et des groupes progressistes qui militent autour d'eux ; elle sera leur plus précieux agent d'expansion. Cette canalisation de l'opinion publique est d'autant plus remarquable,* que la situation des P. G. moyen-orientaux est — apparemment tout au moins —- assez désastreuse : un P. C. officiel en Israël, un P. C; officieux en Syrie, enfin le P. C. soudanais extrêmement actif, et qui sert de plate-forme à l'expansion communiste vers l'Afrique Noire ; dans tous les autres pays, la situation du communisme est tragique : le Tudeh Iranien décapité est inlassablement pourchassé : en Irak, Jordanie, Egypte et Turquie les partis communistes semblent neutralisés. Les chiffres témoignent du désastre apparent :

8.000 communistes en Egypte, de 1.000 à 2.000 en Jordanie, 5.000 en Israël, de 3 à 5.000 Tudéis en Iran,

10.000 au Liban, de 1.000 à 1.500 au Soudan, 10.000 aussi en Syrie, 3.000 « progressistes » en Turquie.

Mais la signification de ces chiffres est limitée par trois facteurs i 1° Aucun parti du Moyen-Orient ne compte plus de 10.000 adhé­

rents, parce que les partis politiques ne sont en général que des « clientèles » d'hommes politiques.

2° L'efficacité d'un Parti révolutionnaire n'est pas fonction de son importance numérique : en 1917 la fraction bolchevik des Sociaux démocrates ne comptait en Russie que 23.600 adhérents.

3° Les partis communistes du Moyen-Orient contrôlent de mul­tiples organisations « parallèles » qui viennent les renforcer et les « relayer » lorsque leur situation est trop critique. Le mouvement des Partisans de la Paix est la plus importante de ces organisations, mais il en existe beaucoup d'autres. Il faut enfin tenir compte des fellow-travellers qui sont légion.

Traqués, condamnés à être apparemment inactifs, les partis clandestins semblent avoir mis à profit le temps qui leur était ainsi dévolu pour « travailler en profondeur » les masses musulmanes. Il est évidemment difficile d'apprécier l'importance exacte de cette activité de propagande interne : cependant diverses informations permettent d'apprécier les techniques utilisées et de mieux saisir l'ampleur des résultats obtenus.

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Pour la première fois peut-être, on assiste au cours de cette année à l'utilisation généralisée par les partis communistes locaux des techniques de propagande interne qui permettent de canaliser insensiblement l'opinion des masses dans une voie unique. Cet « endoctrinement des esprits » rencontre au Moyen-Orient un terrain favorable, précisément parce qu'il coïncide avec la naissance d'une opinion publique.

Pour donner forme et vie à cette opinion encore diffuse et inorganique, les P. C. locaux ont repris les grands thèmes que la propagande soviétique avait, durant des années, déversés sur le Moyen-Orient, mais ils les ont transposés en tenant compte du milieu musulman. Thèmes peu nombreux, extrêmement simples qui se ramènent tous au nationalisme, idée-force dans l'Islams d'aujour­d'hui. Sur ce thème central ont été greffés quelques thèmes annexes : dénonciation de l'impérialisme occidental, nécessité d'y opposer un nationalisme fervent et surtout une proposition capitale : « un bon musulman est nationaliste ». En insérant le nationalisme dans les devoirs du musulman on' arrive ainsi — les gouvernements pro-occidentaux ayant trop souvent confondu communistes et nationalistes dans une même répression — à détruire l'antinomie Islam-Communisme et à entériner leurs possibilités de coexistence. Les foules ont tout naturellement déduit de ces thèmes condensés en brèves maximes, propres à frapper leur imagination, que leurs maux : misère, famine, persécutions dans certains cas", étaient le fait de l'Etranger, du Kafir aussi, auxquels, bons musulmans, ils doivent s'opposer. Ces idées schématisées à l'extrême pénètrent l'esprit des masses parce que diffusées par des techniques désor­mais classiques : répétition à l'infini toujours sous la même forme, dans des journaux, tracts, mais aussi dans des réunions publiques, où elles deviennent slogans scandés durant des heures par des foules que gagne progressivement le fanatisme. On s'est complu à retrouver, dans la mise en scène dont le colonel Nasser a entouré la nationalisation du canal de Suez, les méthodes hitlériennes. On a crié à la dictature ! En réalité il a utilisé à dessein les techniques classiques de préparation révolutionnaire, grâce auxquelles on a vu très vite s'affirmer au Moyen-Orient une opinion publique informe peut-être, mais qui se regroupe sur quelques idées-clés. Ce phénomène était particulièrement évident en Iran et en Tur­quie : il est réel aussi pour la majeure partie des pays arabes. L'Egypte vient de le prouver. Les tendances essentiellement xéno-

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phobes et racistes de cette opinion dépassent certes quelque peu les positions, voire les intérêts soviétiques. Il faut cependant se garder d'oublier qu'à Moscou même on a parfois fait sonner bien haut l'appel au nationalisme et l'affirmation d'une solidarité raciale et religieuse de part et d'autre du rideau de fer.

L'effondrement des hiérarchies traditionnelles est un autre aspect, et le plus grave peut-être, du pourrissement interne du Moyen-Orient. Deux îlots de stabilité y subsistent encore, dont la valeur politique paraît négligeable et ne peut faire contrepoids à la désagrégation générale : les monarchies bédouines de droit divin et le Liban s'appuient encore sur des structures tradition­nelles qui partout ailleurs ont éclaté, laissant place à des expériences multiples qui toutes semblent mener vers la gauche, ou tout simple­ment au désordre dont seule la gauche peut profiter.

Les monarchies constitutionnelles en butte à l'opposition de gauche cherchent l'Ordre par des voies autoritaires comme l'Irak et la Jordanie, ou dans un changement de régime ainsi que l'a fait l'Egypte. Cette dernière, en optant pour une tyrannie « fasci-sante », semblait avoir tracé une voie qui ne manquait pas d'être séduisante. Le colonel Nasser a établi un régime autoritaire reposant essentiellement sur la petite bourgeoisie et qui cherche à gagner les masses paysannes. Il dissimule le système dictatorial sous une politique extérieure, basée sur un neutralisme rigoureux lui assurant à la fois le soutien des éléments nationalistes locaux et de l'Union Soviétique, basée aussi sur une phraséologie « de gauche », qui cherche à enlever aux communistes ou crypto-communistes le monopole du 'nationalisme intégral.

Est-ce à dire qu'il pouvait neutraliser la gauche égyptienne en la combattant sur son propre terrain ? Certes non ! L'Egypte de Nasser rencontre les mêmes difficultés économiques et sociales que le royaume de JFarouk ; seules leur solution lui assurera l'appui de la classe ouvrière. Nasser a été ainsi contraint à une politique de démagogie « gauchiste » à l'intérieur et de collaboration tou­jours plus étroite avec le bloc communiste à l'extérieur. Les con­séquences d'une telle politique ? On les a vues récemment, lorsque Nasser, abandonné de l'Occident que lassait son chantage per­manent, a nationalisé le canal de Suez, à la fois pour satisfaire aux exigences intérieures, et pour s'imposer à l'U. R. S. S., peu désireuse d'assumer intégralement l'évolution égyptienne. L'aide militaire et technique si généreusement accordée par Moscou

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au nouvel « ami », n'était qu'une étape qui, immanquablement, devait conduire à l'épreuve de force de Suez. Mais l'Egypte, qui n'est certes pas un élément de stabilité susceptible de mettre un frein à la désagrégation du Moyen-Orient, n'est pas encore prête pour l'aventure révolutionnaire et ceci explique largement, entre autres raisons, la prudente réserve de M. Chepilov à Londres.

Le mythe kémaliste qui se dissout actuellement apporte cepen­dant un sérieux avertissement aux amateurs de solutions auto­ritaires. Le communisme n'existe pas en Turquie, à l'heure présente, sous la forme d'un mouvement conscient et organisé ; par contre, on y trouve une masse pauvre et disponible pour toutes les aven­tures. Une habile propagande interne et externe a pour effet de confondre dans l'esprit de cette masse « richesse » et « étranger », et l'amène à renouer avec la tradition séculaire du fanatisme musulman et de la xénophobie. Ainsi apparaît-il une fois de plus que la modernisation d'un pays se fait au cours des siècles et repose sur la naissance d'une société nouvelle. Or — et c'était là le point faible de l'entreprise kémaliste — rien n'est venu remplacer les struc­tures traditionnelles écroulées. Un journaliste turc constatait récem­ment avec anxiété dans Ulus, qu'une minorité riche et une masse misérable coexistaient et s'opposaient en Turquie, sans qu'il y ait de classe moyenne pour servir de tampon, et concluait :

« La révolution communiste a jusqu'à présent éclaté dans des pays affligés, précisément, d'une structure sociale identique. »

*

f

L'échec des solutions autoritaires impose, semt>le-t-il, l'expé­rience libérale, favorisée théoriquement par l'existence d'une opi­nion publique naissante. Mais la démocratie est-elle exportable ? Peut-elle être adaptée n'importe où et n'importe quand ? La Syrie porte au Moyen-Orient témoignage d'une utopie qui a contribué à précipiter les pays arabes vers le désordre. Dans ce pays, l'expérience libérale après avoir vécu une multiplication de coups d'état et des changements constants de gouvernements, a abouti à une rivalité perpétuelle et à la reconnaissance offi­cieuse du parti communiste. La Syrie est à l'heure présente le seul pays arabe dont le parlement compte un député communiste, Khaled Bagdache, l'une des plus puissantes personnalités politiques du monde musulman moderne. Le P. C. Syrien, fortement organisé,

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et qui compte un nombre important d'adhérents et de « felkxv-travellers », est soutenu par une multiplicité d'organisations pro­gressistes, pacifistes, syndicales et une propagande qui a_ marqué très profondément l'opinion publique et conduit le pays dans la voie d'un neutralisme très affirmé.

L'Iran qui a fait son expérience parlementaire dès la fin du xixe siècle, et autoritaire sous le règne de Reza Chah, est à l'heure présente exposé à la même crise qui manqua l'emporter à deux reprises déjà en 1945 et en 1953. Le parti Tudeh, que l'on assimile actuellement à un parti communiste et qui est en réalité un parti nationaliste de gauche gagné désormais à l'extrême-gauche, a réussi à grouper autour de lui une opinion publique autrefois dispersée. Et cependant, dans quelles conditions ce regroupement s'est-il effectué ! Depuis la formation du gouvernement Zahedi en août 1953, le Tudeh est combattu sans merci ; dans un premier temps il fut soumis à une épuration qui ne frappait que l'opposition réelle et laissait la population indifférente à ses malheurs, puis dans un second tempg, qui dure encore, l'épuration se transforma en une lutte systématique contre tous les éléments hostiles à la politique des dirigeants iraniens. Toutes les forces oppositionnelles ont été confondues dans une répression généralisée qui les frappait sous le prétexte d'appartenance au Tudeh. Cette confusion peut avoir pour l'avenir du pays des conséquences graves, en même temps qu'elle assure la vie du Tudeh. La répression ayant atteint une large partie de la population, le clergé chiite très influent en Iran s'est désolidarisé en grande partie du gouvernement. L'épuration systématique de tous les groupes oppositionnels les a groupés autour du Tudeh, seul parti suffisamment organisé pour survivre dans la clandestinité, et qui se présente dès lors aux yeux de l'opinion comme le seul champion de la cause nationale.

Tout, on lé" voit, contribue à aggraver l'anarchie régnant* au Moyen-Orient. Sur les ruines des hiérarchies. traditionnelles qui se sont effondrées sous la double poussée des forces internes nais­santes et des idéologies importées par l'Occident, ignorant du milieu où il prétendait implanter un « way of life » totalement ana­chronique, toutes les solutions politiques d'inspiration occidentale et moderne se soldent tourà tour par des échecs dont le commu­nisme est placé pour recueillir le bénéfice. Son succès paraît dans la logique de l'évolution. Pourtant il n'en a rien été jusqu'à aujour-

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d'hui. On ne saurait expliquer ce phénomène historiquement incompréhensible, si l'on oublie que pendant plus de trente ans l'U. R. S. S. a tout fait, aussi paradoxal que cela paraisse, pour que la révolution communiste n'éclate pas au Moyen-Orient.

* * *

Il faut remonter à Lénine pour comprendre ce que fut durant plus de trente années la position soviétique à l'égard de la révo­lution coloniale. En 1913, Lénine ne voyait dans le monde colonial qu'une arme permettant d'abattre l'impérialisme occidental et ne lui concédait aucune qualité révolutionnaire intrinsèque. A partir de cette vue négative toute une politique a été édifiée qui, au Moyen-Orient, était déterminée par deux impératifs russe et communiste.

En apparence les exigences russes n'ont pas toujours coïncidé avec les intérêts du communisme mondial, et de 1945 à 1955 il semble que les impératifs de politique étrangère de l'Etat russe aient primé ceux du communisme. Lorsque l'U. R. S. S. accordait un appui tacite aux gouvernements autoritaires qui pourtant tra­quaient les communistes locaux, tels ceux de l'Egypte ou de l'Arabie Séoudite, lorsqu'elle abandonnait les mouvements communistes prêts à prendre le pouvoir comme en Iran, elle tenait évidemment compte de ses intérêts propres. La paix extérieure lui était indis­pensable, et la naissance de « démocraties populaires » moyen-orientales d'un communisme peu rigoureux eut exercé une indési­rable attraction sur les terres musulmanes de l'U. R. S. S. encore mal intégrées dans le système soviétique.

Mais en fait le divorce apparent entre les intérêts russes et communistes n'était guère profond et se réduisait à des problèmes locaux. Sur un plan plus vaste, à l'échelle du Moyen-Orient, ils se rejoignaient. La méfiance soviétique envers la révolution coloniale trouve sa justification lorsqu'on considère la situation du Moyen-Orient. Les révolutions qui pourraient éclater dans cette région n'auraient vraisemblablement que peu de points communs avec le communisme orthodoxe ; les mouvements de gauche en Orient, même lorsqu'ils se réclament du marxisme-léninisme, sont en réalité des mouvements « anarchisants » auxquels le fanatisme musulman, le racisme et le « spartakisme » donnent un caractère propre, dis­tinct du communisme véritable.

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Du Maghreb à l'Extrême-Orient, les mouvements révolution­naires s'inspirent moins des exigences de la lutte des classes que d'une opposition irréductible à l'Occident, qui se nomme « émanci­pation » dans les pays coloniaux et « nationalisme » dans les pays théoriquement indépendants. Ainsi conçue la révolution coloniale apparaît comme une entreprise en marge et contre le monde occi­dental industrialisé. Or, dès 1923, un tatar musulman de Kazan, Sultan Galiev, qui fut .le plus lucide théoricien de la révolution coloniale en même temps qu'un authentique marxiste, avait dégagé cet aspect très particulier du communisme musulman. Les Soviets en ont si bien compris les périls, qu'ils l'ont fusillé en 1937. L'esprit et les maximes de Sultan Galiev ont très profondément marqué les rapports du pouvoir soviétique et de la révolution coloniale, et c'est dans son enseignement flu'il faut rechercher l'explication de certains actes soviétiques. Le succès de révolutions coloniales « anarchiques » capables de « dépasser le communisme par la gauche » l'atteindraient très durement en raison de leur caractère particulier, en raison aussi du principe érigé en doctrine qui veut que seules puissent réussir les révolutions à direction communiste orthodoxe.

A cette raison purement doctrinale de ne pas soutenir à fond les mouvements révolutionnaires du Moyen-Orient s'ajoutait une raison économique et sociale : des démocraties populaires ne pourraient y survivre car elle se heurteraient aux problèmes d'exis­tence que posent dans ce pays la surpopulation, le retard indus­triel, etc.. Le Moyen-Orient paraissait mûr pour l'anarchie mais non pour une économie socialiste. Ainsi, lorsque l'U. R. S. S. s'oppo­sait à l'instauration de régimes communistes dans cette région, elle défendait en même temps que les siens propres les intérêts du com­munisme mondial. Ce sont précisément ces grandes lignes de la politique stalinienne que la nouvelle équipe au pouvoir désavoue à présent.

La mort de Staline, nous l'avons dit, a été suivie d'un brusque changement de la politique orientale de l'U. R. S. S. Aux réticences

, et à la prudence de l'ère stalinienne succède une politique de présence agissante et dynamique.

Pourquoi ce revirement ? Prise de conscience de sa propre force et de la faiblesse occidentale ? Attirance quasi mécanique vers le vide créé au Moyen-Orient par le retrait progressif des Occidentaux ? Ou retour conscient vers les doctrines expansionnistes du Congrès de Bakou ? Ou enfin, reconnaissance de la force du mouvement

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révolutionnaire musulman que rien ne paraît actuellement pouvoir enrayer ?

Ne pouvant plus freiner la révolution coloniale, comme elle le faisait incontestablement sous Staline, l'U. R. S. S. tente de la canaliser pour empêcher les contradictions dégagées par Sultan Galiev de jouer.

La nouvelle orientation « khroustchevienne » se traduit dans les faits et dans la doctrine. .

Dans les faits, la politique soviétique, singulièrement pleine d'apparentes contradictions jusqu'alors, devient cohérente en 1955. L'U. R. S. S. adopte maintenant une politique de présence analogue à celle des puissances occidentales. Le 16 avril 1955, elle prenait officiellement pied au Moyen-Orient en s'opposant à la politique « agressive » des occidentaux. Depuis fort longtemps certes l'U.R.S.S. dénonçait les ingérences de l'Occident dans la vie des peuples du Moyen-Orient ; jamais encore jusqu'à cette déclaration officielle elle n'avait affirmé son droit à intervenir dans ces problèmes. Un an plus tard, le 17 avril 1956, l'U. R. S. S. réaffirmait ses positions dans une déclaration qui tenait compte de toutes les thèses du XXe Congrès du parti communiste de l'Union Soviétique.

L'aspect le plus étonnant de la nouvelle politique russe est qu'elle est très précisément calquée sur celle des Occidentaux et ne s'en différencie que par un libéralisme réel, même s'il n'est pas pur d'intentions.

Jadis sur la « défensive », intéressée uniquement à neutraliser l'action des puissances occidentales, l'Union Soviétique s'inspire maintenant des grandes lignes de la présence américaine et calque son attitude sur celle des Etats-Unis : aide économique et technique, assistance militaire, telles sont les formes actuelles de la présence russe au Moyen-Orient.

Il importe cependant de noter que l'U. R. S. S., jusqu'à présent tout au moins, a su, méditant les leçons de l'expérience américaine, éviter les écueils d'une telle politique. L'aide qu'elle apporte aux pays du Moyen-Orient n'est pas, comme l'aide améri­caine, un « acte charitable», mais un échange conclu en bonne et due forme. L'U. R. S. S. fournit aux pays intéressés les biens de consommation, l'équipement industriel, voire militaire / dont ils ont besoin, et reçoit en échange les produits qu'ils ne savent géné­ralement où exporter. Ainsi la fierté des pays liés à l'U. R. S. S. est-elle préservée -*- ceci est particulièrement important dans le

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monde oriental — et ces pays se croient à l'abri des concessions extra-commerciales, auxquelles, sont soumis en règle générale les débiteurs de Pçspèce. Les marchés conclus avec PU. R. S. S. sont, dans l'immédiat tout au moins, de véritables marchés bilatéraux, dont les clauses sont connues d'avance des deux parties traitant sur un pied d'égalité. S'il est certain que PU. R. S. S. espère gagner ainsi des avantages politiques, il n'en est pas moins vrai que pour l'heure présente ces rapports « égaux » sont infiniment plus tentants pour l'orgueil moyen-oriental que P « aide » des Occidentaux.

Par un étrange paradoxe, tandis que les puissances libérales et capitalistes cherchent à s'assurer le Moyen-Orient en confondant l'économique et le politique, PU. R. S. S., pays socialiste, les attire dans son sillage par les seuls procédés capitalistes traditionnels d'emprise économique. Ces principes étaient déjà à la base des relations soviéto-afghanes (PU. R. S. S. opère en Afghanistan une véritable pénétration économique, au moyen de l'assistance tech­nique mais aussi en jouant de l'argument sentimental de la solidarité de deux puissances islamiques) : ils apparaissent mieux encore dans l'aide accordée à l'Egypte. Dans ses rapports avec les pays moyen-orientaux PU. R. S. S. n'oublie pas non plus que le racisme et le fanatisme religieux tiennent une grande place dans la sensibi­lité populaire. Ainsi, mieux placée que ses concurrents occidentaux, s'assure-t-elle les cautions chinoises et musulmanes. La Chine donne en effet au monde oriental l'exemple séduisant de sa réussite, et flatte sa sensibilité : pour la première fois depuis la chute de l'Empire Ottoman, l'Occident doit tenir compte d'un partenaire oriental toujours plus puissant. A la Chine était dévolu le soin de gagner l'Egypte au neutralisme et de montrer à Bandoeng le visage d'un communisme oriental compatible, disait-elle, avec la religion musulmane.

Puissance « occidentale », PU. R. S. S. utilise la caution chinoise ; mais elle est aussi une puissance « musulmane » et, s'adressant à des peuples musulmans, elle le fait sonner bien haut. La prédication neutraliste s'est assurée en U. R. S. S. le concours de hauts digni­taires de l'Islam et il est fort divertissant de lire dans la presse soviétique que les fauteurs de guerre et les tenants d'une politique agressive sont des kafirs (« mécréants »).

La solidarité confessionnelle de part et d'autre du rideau de fer, la liberté théorique dont jouit l'Islam en U. R. S. S. et dans le

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monde communiste sont autant d'atouts que les Soviets exploitent constamment. Tandis que l'Union Soviétique déléguait en août 1955 des pèlerins à La Mecque, à Bandoeng, Chou-en-Lai assurait le colonel Nasser de l'intérêt porté par le gouvernement communiste de la Chine à la foi islamique et envisageait avec lui une série d'échanges sino-égyptiens destinés à favoriser l'expansion de la religion du prophète. En U. R. S. S., comme en Chine, les invitations purement religieuses abondent et devraient, dans l'esprit des diri­geants communistes, témoigner des possibilités de coexistence du matérialisme marxiste et de l'Islam. Tactique transparente, disent les Occidentaux ; certes, mais tactique singulièrement habile tout de même car elle correspond aux exigences émotionnelles de l'Islam. Tandis que les Occidentaux s'obstinent à parler au Moyen-Orient le langage de la démocratie et des « grands principes » auxquels les Orientaux sont au fond indifférents, l'U. R. S. S. et ses parte­naires ont su trouver, grâce à leur expérience personnelle, le chemin de la sensibilité Orientale, les arguments qui la pouvaient toucher.

Si l'on cherche, en fin de compte, à dégager des faits une ligne directrice, une constante de la politique post-stalinienne au Moyen-Orient, on la. trouve admirablement exprimée par Cbou-en-Lai quand il affirmait à Nasser que les relations entre le Bloc commu­niste et le Moyen-Orient sont « viables en dehors de toute propa­gation de l'idéologie communiste ; ainsi entendues, des relations neutres peuvent s'établir sur le triple plan de la défense de la Paix et de la coopération économique et culturelle ».

Dans la doctrine le revirement soviétique est plus important encore. L'U. R. S. S. a maintenant admis implicitement le principe d'une révolution coloniale en proclamant que les voies d'accès au socialisme étaient multiples. Seulement, il s'agit de protéger cette révolution éventuelle, et d'éviter qu'elle périsse dans l'anarchie ou soit détournée au profit d'autres forces ; d'où la nécessité pour l'U. R. S. S. d'y concourir. La poutre maîtresse de la politique sovié­tique actuelle est la coexistence pacifique. Pour les théoriciens russes, la coexistence, « voie magistrale de la politique internationale », con­duit infailliblement au triomphe définitif du socialisme. L'essence de cette coexistence est la compétition économique où le socialisme est gagnant à condition qu'on supprime les « blocs agressifs, alliances, pactes, etc.. » qui faussent les relations et donnent au capitalisme un délai de grâce, en lui évitant certaines crises. La coexistence pacifique c'est l'aboutissement du neutralisme, du pacifisme et

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de la lutte pour le « socialisme ». On comprend ainsi la signification réelle de la politique économique de l'U. R. S. S. au Moyen-Orient, de son opposition au Pacte de Bagdad aussi. Les intérêts soviétiques et ceux du communisme mondial se rejoignent et cette unité leur donne une force nouvelle. Il est donc admis désormais que la coexistence pacifique au Moyen-Orient n'a d'autre but que d'y favoriser le passage au socialisme qui doit dans la mesure du possible se faire par une prise de pouvoir légale et parlementaire dont la première étape est l'avènement des fronts populaires. Ces fronts populaires très larges doivent avoir avant tout une base commu­niste et ouvrière, mais leurs mots d'ordre peuvent être purement pacifistes et non communistes. Cette tactique est particulièrement recommandable au Moyen-Orient où le communisme heurte la sensi­bilité musulmane et où l'activité des communistes soulève souvent l'hostilité populaire contre l'U. R. S. S. : la défense de la paix, tout au contraire ne saurait heurter les saints préceptes de l'Islam. L'effacement des communistes moyen-orientaux et le pullulement des organisations pacifistes ont donc tenu leur place dans la prépa­ration socialiste : ils ont gagné l'opinion des masses aux idées neutralistes, donc anti-occidentales.

Les voies du socialisme sont ainsi multipliées et l'on admet la possibilité, hier encore contestée, d'une troisième voie. Jusqu'à présent, les pays orientaux n'avaient de choix qu'entre deux camps définis par Jdanov (1) : « celui de l'impérialisme, antidémo­cratique et celui de l'anti-impérialisme démocratique », sans aucun recours à une position intermédiaire entre les deux blocs. Le rapport Jdanov né faisait aucune place à une « troisième solution ». Le mani­chéisme stalinien n'est plus de mise désormais, et si, dans son rapport au XXe Congrès, M. Khrouchtchev affirme encore l'existence de \ deux « systèmes », il admet l'idée de la « formation dans l'arène mondiale d'une vaste zone de la Paix, comprenant des états paci­fiques, socialistes ou non, qui ont fait de la non-participation aux différents blocs le principe de leur politique étrangère ». Le socia­lisme n'est pas seulement sorti des cadres d'un seul pays : « le camp international du socialisme exerce une influence croissante sur la marche des événements dans le monde », en particulier dans les "pays qui sans être socialistes n'en refusent pas moins tout « engage­ment». Cette zone de pays solidaire^ de la déclaration de Bandoeng,

(1) Rapport de 1947 sur < la situation Internationale •.

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peut s'agrandir par la libération de peuples encore « colonisés » ou par l'adhésion d'états « déçus par l'expérience malheureuse des alliances occidentales ». La « zone de la paix » constitue dans la nouvelle conception soviétique, un monde largement ouvert et opposé par essence à l'univers capitaliste fermé. Cette innovation doctrinale repose sur un abandon complet de la thèse hier encore admise, qui déniait toute indépendance réelle, donc aussi toute possibilité révolutionnaire, aux pays de l'Orient.

La conversion des efforts qu'impliquent ces nouvelles tendances semble procéder plus que d'une simple modification tactique, d'une appréciation nouvelle des rapports des forces en présence, et des possibilités qu'elle ouvre à l'action soviétique. Le rapport de M. Khrouchtchev au XXe Congrès souligne le caractère décisif que les dirigeants de l'U. R. S. S. prêtent désormais au rôle de l'Asie danB la politique internationale :

« Voici arrivée la période nouvelle, prédite par Lénine, de l'his­toire mondiale où les peuples d'Orient prennent une part active au règlement des destinées du monde entier, deviennent un nouveau facteur puissant dans les relations internationales. Les rapports internationaux ont cessé d'être uniquement des relations entre Etats habités essentiellement par des peuples de race blanche ; ils commencent à devenir des relations vrai­ment universelles. »

H. CARRÈRE D'ENCAUSSE.

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