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    LES ACTESDES

    MARTYRS D'ORIENTTraduit pour la premire fois en franais

    SUR LA TRADUCTION LATINE DES MANUSCRITS SYRIAQUESDE TIENNE-VODE ASSMANI

    PAR

    M. L'ABB F. LAGRANGENOUVELLE DITION

    TOURSALFRED MAME ET FILS, DITEURS

    M DCCC LXXIX

    Source des fichiershttp://www.univie.ac.at/liturgiewissenschaft/pages/archiv/lagrange/index.htm

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    Table des Matires

    Introduction

    PREMIRE PERSCUTION DE SAPOR

    Actes des saints martyrs Jonas, Brich-Jsus, Zbinas, Lazare, Maruthas, Narss, lias,Mahars, Habibus, Sabas et Scembtas. 21

    DEUXIME PERSCUTION DE SAPOR

    Actes des saints Sapor, vque de Beth-Nictor; Isaac, vque de Beth-Sleucie;Mahans, Abraham et Simon, qui souffrirent le martyre sous le roi des Perses Sapor.Leurs corps reposent Edesse, dans la nouvelle glise des Martyrs, dans l'intrieur de

    la ville 31

    TROISIME PERSCUTION DE SAPOR

    Martyre de saint Simon, Bar-Sabo, vque de Sleucie et de Ctsiphon, et de sescompagnons Abdhaiclas et Ananias, prtres, et de cent autres chrtiens de diversordres; ainsi que de l'eunuque Gusciatazades, qui avait lev le roi; de Phusikius,grand chambellan, et de sa fille, vierge consacre Dieu. 35

    Combat de plusieurs martyrs, et d'Azades, eunuque du roi. . . . 58 Martyre de sainte Tharba et de sa sur, vierges, et de leur servante. 61 Martyre de saint Mille, vque de Suze; Abrosime, prtre, et Sina, diacre. 65 Actes de saint Sciadust, vque de Sleucie et de Ctsiphon, et de cent huit autres

    martyrs, ses compagnons . . . . . . . . . . . 74 Martyre de saint Barsabias, abb, et de dix de ses compagnons et d'un mage . 78 Martyre de saint Narss, vque, et de saint Joseph, son disciple, de la ville de

    Sciaharcadata, province de Beth-Garm, ainsi que de vingt autres martyrs. 80 Actes de cent vingt martyrs, parmi lesquels neuf vierges consacres Dieu, les autres

    prtres, diacres et clercs de diffrents ordres. 84 Martyre de saint Barbascemin, vque de Sleucie et de Ctsiphon, et de seize autres .

    88 Actes des martyrs qui furent mis mort en divers lieux par les prfets, outre ceux qui

    furent condamns au tribunal du roi . . . . 94 Martyre de sainte Thcle, Marie, Marthe, Marie et Ama, filles de l'Alliance, c'est--

    dire vierges consacres Dieu . . . . . . . . 97 Martyre de saint Barhadbesciabas, diacre. . . . . . . . . . . . . 102 Actes d'un grand nombre de captifs martyrs . . . . . . . . . . . 104 Actes de quarante martyrs : deux vques, Abda et Ebedjesu; seize prtres, Abdallaha,

    Simon, Abraham, Aba, Ajabel, Joseph, Hani, Ebedjesu, Abdallaha, Jean, Ebedjesu,Maris, Barahadbesciabas, Roziche, Abdallaha et Ebedjesu; neuf diacres, Elias,Ebedjesu, Hani, Marjabe, Maris, Abdias, Barahadbesciabas, Simon et Maris; sixmoines, Papa, Evolse, Ebedjesu, Phazide, Samuel et Ebedjesu; sept vierges, Marie,Tathe, Ema, Adranes, Mama, Marie et Marachie. 109

    Martyre de saint Badme, abb. . . . . . . . . . . . . . . . . . 124 Actes des saints martyrs Acepsimas, vque; Joseph, prtre; Aithilahas, diacre . 127

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    Conclusion. (incluse dans le fichier prcdent)

    PERSCUTION D'ISDEGERDS ET DE VARARANNE

    Martyre du glorieux et bienheureux Maharsapor . . . . . . . . . 153 Martyre de saint Jacques l'Intercis. . . . . . . . . . . . . . . . 156

    MARTYRS DES PERSCUTIONS ROMAINES

    Martyre de saint Lucien et de saint Marcien . . . . . . . . . . . 169 Martyre des saints Victorin, Victor, Nicphore, Claudien, Diodore, Srapion et Papias

    173 Martyre de sainte Stratonice et de Sleucus, son poux, Cyzique, en Mysie. 177 Actes de sept martyrs de Samosate, Hipparque, Philote, Jacques, Paragrus, Habibe,

    Romain et Lollien . . . . . . . . . . . . . 191 Martyre de sainte Agns, Rome . . . . . . . . . . . . . . . . 206

    LES SAINTS MARTYRS DE PALESTINE

    Martyre de saint Procope. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211 Martyre des saints Alphe, Zache et Romain. . . . . . . . . . . 213 Martyre de saint Timothe, Gaza. . . . . . . . . . . . . . . . 216 Martyre de saint Appien, Csare. . . . . . . . . . . . . . . 218 Martyre de saint dsius, frre du saint martyr Appien. . . . . . 223 Martyre de saint Agapius . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225 Martyre de saint Pierre, aussi appel Abselamus, Csare. . . . 227

    Martyre de sainte Thodosie, vierge consacre Dieu. . . . . . . 229 Martyre de sainte Thodote, la courtisane . . . . . . . . . . . . 231

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    INTRODUCTION

    Les actes des martyrs d'Orient, dont nous publions la premire traduction franaise, ont tcompltement inconnus en Europe jusqu'au commencement du XVIIIe sicle, et ont encoreaujourd'hui, du moins pour les simples fidles, l'intrt de la nouveaut. Les historiens grecsavaient, il est vrai, racont avec dtail les horribles perscutions qu'eut subir, aux IVe et Vesicles, l'glise de Perse; mais leurs rcits, trs incomplets et quelquefois mme inexacts, ne

    pouvaient pas remplacer les document originaux auxquels ces historiens avaient puis; et domRuinart, qui a insr dans sa collection desActes sincres des martyrs quelques beaux rcitsemprunts Sozomne, dplore amrement la perte de ces sources. Quelques annes aprsque dom Ruinart exprimait ces regrets, en 1706, on apprit Rome par un vque d'Orient,Gabriel Hva, qu'il existait dans les monastres d'gypte un grand nombre de manuscritschaldens, syriaques, arabes, coptes et grecs, de la plus haute antiquit. Cette nouvelle

    produisit, cette poque, une profonde sensation. C'tait l'poque des grands travauxhistoriques et des grandes collections. Les docteurs catholiques, appels sur le terrain del'histoire par la science protestante, s'taient mis interroger avec une infatigable ardeur tousles monuments de l'antiquit chrtienne, et de ces recherches laborieuses taient sortis lesimmortels ouvrages des Bollandistes, des Tillemont, des Thomassin, des Baronius, et de tantd'autres savants du premier ordre. Rome nourrissait encore dans son sein une gnration desavants robustes, continuateurs des fortes tudes du sicle prcdent, qui accueillirent avec la

    joie la plus vive la nouvelle de l'existence de ces antiques manuscrits, lesquels, outre l'intrthistorique qu'ils prsentaient, devaient sans doute fournir de nouvelles armes la controversecatholique. Clment XI, qui occupait alors le sige pontifical, rsolut donc de faire explorerles monastres d'Egypte, et de mettre tout prix l'Occident en possession de ces richesses.

    Il se trouva qu'un archiprtre d'Antioche, nomm lias, homme profondment vers dans lalittrature orientale, ayant termin les affaires pour lesquelles il avait t envoy Rome, taitsur le point de s'en retourner en Syrie. Le pape le chargea de parcourir les monastres del'gypte, et d'en rapporter quelque prix que ce ft tous les manuscrits qu'il pourraitdcouvrir. Mais les moines ne voulurent lui en cder que quarante, et encore moyennant dessommes immenses. Ces quarante manuscrits ne firent qu'enflammer le dsir des savants deRome, et le pape chargea Joseph-Simon Assmani de faire un nouveau voyage en gypte. Cesavant pntra grand'peine dans les monastres de Nitrie, en visita les bibliothques, et

    parmi deux cents manuscrits qu'il trouva entasss ple-mle, il fit choix de cent des plusanciens et des plus prcieux; mais, malgr ses vives instances, il ne put jamais dcides les

    moines les vendre; il n'en obtint qu'un trs petit nombre, et un prix trs lev. D'gypte,Assmani passa en Syrie pour y continuer ses explorations scientifiques, et put enfin rapporterdans la bibliothque du Vatican une riche collection de manuscrits, dont il tira les matriauxde son prcieux ouvrage intitul :Bibliothque orientale.

    Ce n'tait pas assez d'avoir exhum des dserts de l'gypte et transport au centre de lacatholicit ces prcieux monuments de l'antiquit chrtienne; il fallait encore, pour en mettreen possession l'Europe savante, les traduire dans un idiome plus gnralement connu que lesyriaque; il fallait les traduire en latin, qui tait la langue commune de toutes les universits.Un jsuite maronite qui fut d'abord charg de ce soin, et qui s'occupait en mme temps de latraduction des oeuvres de saint phrem, mourut sans avoir pu terminer ces deux ouvrages : ilne put amener l'dition de saint phrem que jusqu'au tome IIIe, et commena peine latraduction des manuscrits apports des monastres d'gypte. La continuation de ces deux

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    grands travaux fut dfre un savant maronite qui l'avait aid, un autre Assmani (tienne-vode), archevque d'Apame, neveu de celui qui avait achet les manuscrits, homme d'unsavoir profond et d'une persvrance infatigable.

    Le travail tait considrable; Assmani, qui l'envisageait tout entier, l'accepta avec un

    dvouement pour la science qu'on ne peut trop admirer, et qu'il a exprim lui-mme avec unesimplicit touchante. D'un ct, dit-il, la difficult et l'aridit du travail qu'exigeait cettetraduction m'effrayaient; mais, de l'autre, l'extrme utilit qu'en retirerait la science m'animait: je compris aussi qu'un homme qui aime vritablement les lettres doit sacrifier les douceurs etle repos de sa vie au bien commun. J'abordai donc avec rsolution et courage l'importanttravail qu'on me confiait. Absterrebatquidem animum rei difficultas, atque improbus qui inhoc negotio objiciebatur labor; verumtamen et summa operis utilitas commovebat; et hominisrem litterariam diligentis esse intelligebamus, non tam pacato privatoe vit otio consulere,quam publico litterarum bono. Magno idcirco firmoque animo ad imperatum nobis summimomenti munus adcessimus. Prfatio generalis, p. XXXVI.

    Parmi tous ces manuscrits syriaques, Assmani choisit les deux plus importants, et qui luisemblaient offrir le plus d'intrt, tant cause de la nouveaut des choses qu'ils contenaient,que de leur incontestable authenticit et de leur haute antiquit. Le premier de ces manuscritsavait peu prs 1300 ans d'anciennet et remontait au Ve sicle; le second ne lui tait

    postrieur que de 300 ans. Voici ce que contenaient ces codes antiques : 1 une vie de saintSimon Stylite, crits par Cosme, son disciple : il n'entrait pas dans notre dessein de latraduire; 2 les actes des martyrs de la grande perscution de Sapor, depuis la trente et unimeanne du rgne de ce prince jusqu' sa mort, pendant quarante ans; 3 les actes des martyrs dedeux perscutions antrieures celle-ci, commences, l'une la dix-huitime, l'autre latrentime anne du mme rgne; 4 les actes des martyrs de la perscution excite parIsdegerds en 421, et continue pendant tout le rgne de Vararane V, son fils; 5 enfin,

    plusieurs actes de martyrs des perscutions romaines.

    Assmani divisa sa traduction en deux parties. La premire a pour titre :Actes des martyrsd'Orient, et la seconde :Actes des martyrs d'Occident; mais il faut savoir que sous le nomd'Occident les Syriens entendent non pas seulement l'Europe, mais encore toutes les rgionsde l'Asie situes en de de la Chalde.

    La premire partie comprenait les actes de la grande perscution de Sapor, puis, sous formed'appendice, les actes relatifs aux autres perscutions souleves par le mme Sapor, et celled'Isdegerds et de Vararane. De cette dernire perscution, qui fut longue et sanglante, deux

    actes sont les seuls documents authentiques qui nous soient parvenues; les autres, trsprobablement, sont rests enfouis dans les monastres d'gypte. Dans notre traductionfranaise nous avons suivi l'ordre chronologique, et plac les premiers les deux actes qui ontrapport aux premires perscutions.

    La seconde partie comprenait trente-neuf actes de martyrs des perscutions romaines; maisplusieurs de ces actes s'tant trouvs parfaitement conformes ceux publis dj par domRuinart, Assmani ne s'en pas occup; il n'a traduit que ceux qui taient ou compltementindits jusqu'alors, comme les actes de sainte Stratonice, des septs martyrs de Samosate et desainte Thodote; ou ceux qui diffraient notablement des actes dj connus, comme ceux desaint Lucien et de saint Marcien, et ceux des martyrs de Palestine. Quant ces derniers,

    Assmani ne doute pas qu'ils ne soient le texte original d'Eusbe, qui les aurait critsprimitivement en langue vulgaire, en syriaque; le texte grec qu'on possdait dj, et qu'on

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    annexait autrefois au huitime livre de sonHistoire ecclsiastique, n'en serait qu'unetraduction abrge.

    Les orientalistes apprcieront toute la patience et toute la sagacit qu'il a fallu pour dchiffrerd'abord, et ensuite pour diter avec des points-voyelles, ces antiques manuscrits crits avant

    l'invention des signes massortiques.

    Assmani ne s'est pas content de traduire les manuscrits syriaques; mais, d'aprs l'exempleque lui avaient donn les Bollandistes et dom Ruinart, il les a soigneusement annots, et les afait prcder de dissertations savantes dans lesquelles, avec une rudition profonde et uneadmirable sagacit, il en tablit l'authenticit et la date, claircit toutes les difficults qui s'yrattachent, et discute tout ce qui se trouve de discordant et d'inexact, soit dans les diffrentesliturgies, soit dans les historiens latins, grecs et orientaux. Aussi son travail peut-il prendre

    place ct des grandes oeuvres historiques du XVIIe sicle, qui ne fut pas seulement unsicle littraire, mais qui fut encore, comme le XVIe, un sicle de critique et d'rudition.

    Nous n'avons pas reproduit les diffrents arguments sur lesquels Assmani appuie sonopinion, soit sur l'antiquit, l'authenticit et l'intgrit de ces codes, soit sur l'poque des

    perscutions et la date des martyres : points sur lesquels il rfute souvent les auteurs ancienset modernes; nous avons purement et simplement adopt ses conclusions, qui nous ont paruincontestables.

    La partie la plus importante de ces manuscrits syriaques est sans contredit l'histoire de lagrande perscution de Sapor. Assmani, dans sa prface, dmontre que l'auteur de ces actesest saint Maruthas, vque de la ville de Tagrit, nomme plus tard Martyropolis, enMsopotamie. On peut comparer saint Maruthas aux plus illustres prlats du IVe sicle, sifcond en grands vques. Aussi recommandable par sa science que par sa pit, il fut undfenseur zl de la foi catholique; il assistait au premier concile oecumnique deConstantinople, o fut anathmatis Macdonius. Il fit deux voyages cette capitale del'empire d'Orient dans le but d'engager l'empereur protger les chrtiens de Perse; ce futalors que commencrent ses liaisons avec saint Chrysostome, dont il se montra l'ami fidle.Thodose II le dputa deux fois auprs du roi de Perse Isdegerds, et Maruthas, aid del'vque Abdas, gagna tellement les bonnes grces de ce prince, que les mages craignaientqu'il ne se ft chrtien. Saint Maruthas releva les glises renverses dans la perscution deSapor; il assembla Sleucie deux conciles pour confirmer la foi de Nice; enfin, il crivit lesactes des martyrs de Perse, et recueillit leurs restes sacrs, qu'il transporta en grande pompe ensa ville piscopale de Tagrit, qui prit de l le nom de Martyropolis.

    Sous le rapport historique, rien ne peut avoir plus de valeur, comme tmoignage, que l'histoirede saint Maruthas. Il a vcu sur les lieux mmes; ce qu'il raconte, il l'a vu ou appris de la

    bouche des vques et des prtres, tmoins oculaires, ou bien il l'a puis dans des critscontemporains. La critique la plus svre ne peut pas exiger de plus grandes garanties; il enest de mme pour les autres actes des martyrs de Perse. Ceux des saints Jonas et Brich-Jsussont crits par Isae, cavalier des gardes du roi, qui tait prsent aux interrogatoires; quant ceux qui ne portent pas de nom d'auteur, Assmani dmontre qu'ils remontent l'poquemme des perscutions.

    Sous le rapport thologique, l'intrt de ces manuscrits syriaques n'tait pas moins grand.

    Plusieurs points importants de dogme et de discipline reprochs l'glise catholiquerecevaient une confirmation aussi clatante qu'inattendue du tmoignage prcis et

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    incontestable de l'antique glise de Perse; nous avons soigneusement annot dans notretraduction les passages qui prouvent cette conformit entre les deux glises, et qui serapportent la Trinit, l'Eucharistie, au purgatoire, la hirarchie ecclsiastique, au jenequadragsimal, etc.

    Si l'on compare les actes rdigs par saint Maruthas, ainsi que les autres actes des martyrs dePerse, avec ceux que nous ont laisss les crivains grecs et latins, on sera frapp d'un trsgrand contraste qui doit tre surtout sensible dans une traduction franaise. Ces actes, critssous le sentiment d'une foi vive et d'une admiration immense, portent le cachet del'imagination orientale. C'est un style figur, hardi, potique et d'une riche abondance, et quirespire, pour ainsi parler, l'enthousiasme du martyre. On ne dirait pas que l'auteur raconte unehistoire, mais qu'il chante un hymne. Toutefois on se mprendrait trangement si on prenaitcela pour de l'emphase et de la dclamation; c'est le gnie de l'Orient. Cette couleur potique,ce ton lyrique, n'tent rien la candeur et la sincrit du rcit; on sent que cette chaleur n'est

    pas factice, mais qu'elle vient de l'me, et qu'une motion si vive et si vraie ne peut treinspire que par les faits eux-mmes. Rien n'gale l'onction, le charme et la majest de ces

    rcits. En voici seulement quelques traits : le martyr Jonas compare une sainte ivressel'ardeur qui fait courir les chrtiens la mort. Quand un ami vous invite un festin, dit-il autyran tonn de le voir mourir avec tant de joie, il vous sert un vin gnreux qui bientt vousenivre; alors vous oubliez toutes les choses de la vie; vous ne sauriez plus mme retourner envotre maison, il faut que vos esclaves vous y ramnent; ainsi en est-il pour nous du martyre :c'est un festin auquel Jsus-Christ nous convie pour nous faire participer ses douleurs.Aussitt que ce breuvage a touch nos lvres, nous tombons soudain dans l'ivresse, et nous

    perdons le souvenir de tout ce que nous laissons sur la terre : richesses, honneurs, plaisirs;pre, mre, pouse, enfants, parents, amis, nous oublions tout, et nous ne rvons plus que leciel. Plus loin, le mme martyr s'crie : Lequel vaut mieux, ou de laisser son bl dans legrenier, sous prtexte de le prserver de la pluie et de l'orage, ou de le jeter pleines mains, lecoeur joyeux et confiant en Dieu, dans l'esprance d'une moisson future? Ainsi en est-il de lavie; celui qui la jette au nom du Christ la retrouvera un jour, quand le Christ apparatra dans sagloire, transforme en vie immortelle. Les actes de saint Simon Bar-Sabo sont un drame

    pathtique et sublime; le caractre piscopal s'y dploie dans toute sa grandeur; les rponsesdu confesseur au roi sont pleines de calme, de force et de dignit; nulle part la supriorit dumartyr n'est plus visible et le triomphe de la foi plus glorieux. Ailleurs saint Maruthas raconteavec une touchante onction les soins pieux d'une femme chrtienne, Jazdondocte, l'gard dessaints martyrs de Dieu. Qui ne serait mu en la voyant, la veille de leur supplice, leur porter chacun, dans la prison, une robe blanche, les servir table, les encourager au grand combat dulendemain, qu'ils ignorent encore, et se recommander avec effusion leurs prires?

    Je ne sache rien de plus mouvant que les actes de saint Jacques, surnomm l'Intercis, c'est--dire mis en morceaux. On lui coupa successivement les doigts des mains et des pieds, puis les

    pieds, puis les bras, puis les jambes jusqu'aux genoux, puis les cuisses et enfin la tte.L'horreur que devrait inspirer l'atrocit de ce supplice fait place la plus douce motion quandon voit le martyr sourire et chanter avec amour chaque membre qu'on lui coupe. Les actes seterminent par un tableau sublime. Le martyr est l, gisant au milieu de ses membres semsautour de lui, semblable au tronc odorant d'un pin dont le fer a coup les branches, et onl'entend prononcer cette prire : Mon Dieu, me voil par terre, au milieu de mes membressems de toutes parts; je n'ai plus mes doigts pour les joindre en suppliant, je n'ai plus mesmains pour les lever vers vous; je n'ai plus mes pieds, ni mes jambes, ni mes bras. O

    Seigneur ! que votre colre s'arrte sur moi, et se dtourne de votre peuple, et je vous bnirai,

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    moi le dernier de vos serviteurs, avec tous les martyrs et tous les confesseurs de l'Orient et del'Occident, du Nord et du Midi... Quelle scne mouvante !

    Je pourrais multiplier beaucoup les citations; mais le peu que je viens de dire suffit pourdonner une ide du caractre tout particulier de ces actes, dignes assurment de faire suite

    ceux qui sont entre les mains de tout le monde. Autrefois on lisait publiquement les actes desmartyrs dans les glises, et cette lecture est sans contredit une des plus utiles qu'on puisseconseiller aux fidles, dans tous les temps, comme aussi des plus ncessaires dans un sicleo, hlas ! la foi diminue et la charit s'teint. Je ne sache rien de plus propre retremper lesmes que ces hroques exemples. Qu'tait-ce que le martyre ? un sublime acte de foi,d'amour et d'esprance. Le martyre tait un acte de foi; car les chrtiens ne mouraient que

    parce qu'ils confessaient Jsus-Christ : on renvoyait les apostates. Foi sincre; car qui peutsuspecter des hommes qui donnent leur sang ? qui peut rcuser des tmoins qui se fontgorger? Foi invincible, car toute la puissance humaine venait s'y briser. Le martyre tait unacte d'amour; car, ainsi que l'a dit le Sauveur, nul ne prouve mieux son amour qu'en mourant

    pour celui qu'il aime. L'amour de Dieu tait inconnu aux cultes idoltriques, la Divinit

    n'inspirait aux paens que la crainte; mais depuis le grand mystre d'amour manifest parl'Incarnation et la Rdemption, prch dans les nations et cru dans le monde, cette passionnouvelle de l'amour de Dieu germa dans l'humanit et enfanta le martyre. Le martyre tait unacte d'esprance. Ils savaient que cette vie phmre serait suivie d'une ternelle vie, et ils la

    jetaient avec confiance; que ces tourments d'un jour feraient place un bonheur sans fin, et ilsles affrontaient avec joie; que leurs corps torturs et dchirs ressusciteraient immortels etglorieux, et ils les livraient sans regret au fer et la flamme.

    Or la vie chrtienne n'est que le dploiement, la pratique continue de ces trois vertus quifaisaient les martyrs : la foi, l'amour et l'esprance. La vie chrtienne est une vie de foi; touts'y passe dans une sphre inaccessible aux sens; tout y est invisible, surnaturel, mystrieux.L'oeil ne saisit pas, la raison n'explique pas les rapports de l'me avec Dieu par la prire, lessacrements, la grce sanctifiante; une foi vive et puissante peut seule lever et fixer le chrtiendans cette rgion surnaturelle, et l'empcher de s'enfoncer dans ce monde des sens o il est

    plong. La vie chrtienne est une vie d'amour, car c'est une vie de sacrifice; il y a combattre, s'abstenir, renoncer; les obstacles sont nombreux, la voie est rude et difficile, et l'amourseul peut faire goter cette parole du Sauveur : Mon joug est doux, et mon fardeau lger. Lavie chrtienne est une vie d'esprance; car le chrtien, voyageur sur la terre, attend une patriemeilleure, et dans une autre vie la rcompense de ses travaux d'ici-bas. Il passe donc, sanss'attacher rien de ce monde, les yeux et le coeur levs en haut; la sainte esprance lui donnedes ailes et l'emporte avec toutes ses penses et tous ses dsirs dans les cieux.

    Mais, hlas ! o est-elle cette foi magnanime, cette charit ardente, cette ferme esprance ?N'est-il pas trop vrai que ces fortes vertus chrtiennes ne fleurissent plus, que les disciples deJsus-Christ ne se distinguent plus de la foule, et que leurs mes sont aussi vulgaires, petiteset lches que celles qui n'ont pas t rgnres ? Mais les exemples des martyrs ne peuvent

    pas tre striles; la voix de leur sang, qui parlait si loquemment aux premiers fidles, parleraaussi nos coeurs, et ranimera nos mes languissantes. Les martyrs, en mourant pour Dieu,nous apprendront vivre pour Dieu.

    C'est dans ce dsir et cet espoir, non moins que dans l'intrt de la science, que nous avonsvoulu ajouter une nouvelle page leur histoire, en crivant dans notre langue ces actes trop

    peu connus et si dignes de l'tre : puissent-ils tre lus avec avidit des fidles, et restituer unegloire bien mrite des hros chrtiens trop oublis ! puissent-ils surtout, en devenant

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    vritablement populaires, populariser les vertus qui font les martyrs, et qui font les saints :heureux l'auteur de cette traduction s'il lui tait donn de contribuer ainsi pour quelque chose,

    par ce faible travail, la gloire de ce Dieu qui, s'il ne peut donner son sang, il veut au moinsconsacrer sa vie !

    Avril 1852.

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    PREMIRE PERSCUTION DE SAPOR

    ACTES DES SAINTS MARTYRSJONAS, BRICH - JSUS, ZBINAS, LAZARE, MARUTHAS, NARSS, LIAS, MAHARS,HABIBHUS, SABAS ET SCEMBTAS(1)

    (La 18e anne du rgne de Sapor II, l'an du Christ 327.)

    La dix-huitime anne de son rgne, Sapor, croyant qu'il tait de sa politique de perscuterl'glise du Christ, se mit renverser les glises et les autels, brler les monastres et accabler de vexations tous les chrtiens. Il voulait leur faire renier le culte du Dieu crateur

    pour celui du feu, du soleil et de l'eau : quiconque refusait d'adorer ces divinits tait soumis d'intolrables tortures.

    Il y avait dans la ville de Beth-Asa deux frres galement vertueux et chers tous leschrtiens; ils se nommaient Jonas et Brich-Jsus. Ayant appris les tourments qu'on faisaitsubir, en certains lieux, aux tmoins de la foi chrtienne, pour les forcer renier leur Dieu, ilsrsolurent de s'y rendre, et partirent incontinent. Arrivs la ville de Hubaham, comme ilsdsiraient tout voir par eux-mmes, ils pntrrent jusqu' la prison publique, pour y visiterles chrtiens dtenus pour la foi. Ils en trouvrent un grand nombre qui dj avaient rsist

    plusieurs preuves; ils les animrent persvrer dans leur constance, leur apprirent trouverdans les saintes lettres des rponses pour confondre les juges; et tel fut le succs de leursexhortations, que, parmi ces chrtiens, les uns firent devant les tyrans une confessionglorieuse, et les autres cueillirent la palme du martyre : ces derniers furent au nombre de neuf: Zbinas, Lazare, Maruthas, Narcs, lias, Mahars, Habibus, Sabas et Scembtas.

    Quand ces neuf martyrs furent couronns, les deux frres Jonas et Brich-Jsus prirent leurplace : on les accusait d'avoir pouss la mort, par leurs exhortations, les chrtiens quivenaient d'tre immols. Le juge, usant de dissimulation, leur adressa d'abord de douces

    paroles. Par la fortune du roi des rois (1), leur dit-il, ne rendez pas inutile la bienveillancedont je veux user envers vous; soumettez-vous au roi, et adorez, selon les rites nationaux, lesoleil, la lune, le feu et l'eau. Les martyrs : Vous que le roi a tabli pour rendre la

    justice, prenez garde ne pas vous rendre criminel par d'iniques arrts. Vous devez respectersans doute le roi de qui vous tenez la puissance, mais bien plus encore celui qui vous a donn

    l'intelligence et la raison. Il vous faut donc, avant tout, chercher qui est ce Roi des rois, cematre suprme du ciel et de la terre, qui fixe les temps et les change son gr, qui dispenseaux hommes la sagesse, qui fait les juges et leur donne la puissance pour dfendre la vrit.Et, nous le demandons vous-mme, qui devons-nous plutt obir, nous autres mortels, ces crateur et matre des choses, ou bien ce roi que la mort enlvera bientt pour le runir ses pres ?

    Les princes des mages furent indigns de leur entendre dire que le roi n'tait pas immortel. Ilsfirent prparer des verges, faites de branches d'arbres encore garnies de leurs pines; puis ilssparrent les deux frres. Brich-Jsus fut enferm dans une obscure prison, et des prcautionsfurent prises pour qu'il ne st rien de ce qui arriverait son frre. Jonas fut traduit devant les

    juges. Choisissez, lui dit-on : ou brler de l'encens en l'honneur du feu, du soleil et de l'eau,suivant les ordres du roi, ou bien attendez-vous aux plus affreux supplices. Sachez bien qu'il

    http://www.univie.ac.at/liturgiewissenschaft/pages/archiv/lagrange/jonas.html#21-1http://www.univie.ac.at/liturgiewissenschaft/pages/archiv/lagrange/jonas.html#21-1http://www.univie.ac.at/liturgiewissenschaft/pages/archiv/lagrange/jonas.html#21-1
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    n'y a qu'un moyen pour vous d'y chapper, c'est d'obir. Jonas fit cette rponse : Je faistrop de cas de mon me, et de cette vie ternelle qui nous attend dans le sein de Notre-Seigneur Jsus-Christ, pour abjurer jamais son nom, mon unique esprance. Quiconque s'estconfi en lui n'a jamais t confondu; il a scell du sceau du serment ses promesses; il a dit :

    En vrit, je vous le dis, celui qui me reniera devant les hommes, je le renierai aussi devant

    mon Pre, qui est dans les cieux, et celui qui me confessera devant les hommes, je leconfesserai aussie devant mon Pre, qui est dans les cieux, et devant les anges. Car le Fils del'homme viendra sur les nues du ciel, dans la gloire du Pre et dans la gloire de ses saintsanges, pour rendre chacun selon ses uvres. Faites donc ce qu'on vous a dit de faire, ethtez-vous, que je ne vous retarde pas un seul moment. Ne nous faites pas l'injure de nouscroire capables de violer la foi promise Dieu, et de dshonorer l'glise, qui nous a jugsdignes d'tre ses ministres (1), et qui nous a dit : Vous tes la lumire du monde : vous tes ce

    sel de la terre : si le sel s'affadit, avec quoi salera-t-on ? Si nous avions la faiblesse d'coutervos conseils et d'obir au roi, nous nous perdrions nous-mmes, et notre troupeau avec nous.

    Alors le chef des mages ordonna d'ter ses habits au martyr, puis de l'attacher un pieu, qui

    lui fut plac au milieu du ventre, et de le battre avec les verges pleines d'pines dont nousavons parl; on le frappa jusqu' ce que ses ctes fussent dcouvert. Tout le temps de sonsupplice, Jonas ne dit que cette prire : Je vous bnis, Dieu d'Abraham, vous qui, le

    prvenant de votre grce, l'avez autrefois appel de ces lieux, et nous avez rendus dignesd'apprendre par lui les mystres de notre foi. Maintenant, Seigneur, je vous prie d'accomplirce que le Saint-Esprit annonait par la bouche du prophte David :Je vous offrirai desholocaustes, je vous immolerai des victimes. Voil mon seul dsir.

    A la fin, levant la voir, il s'cria : Je renonce un roi idoltre et tous ses sectateurs; je lesdclare ministres du dmon; je renie le soleil, la lune, les toiles, le feu et l'eau; mais jeconfesse et j'adore le Pre, le Fils et le Saint-Esprit.

    Les juges ordonnrent de le traner, une corde aux pieds, sur un tang glac et de l'y laissertoute une nuit, avec des gardes pour l'empcher d'en sortir. Pour eux ils s'en allrent se mettre table, et, aprs avoir pris un peu de sommeil, ils se htrent le lendemain de poursuivre lacause. Brich-Jsus comparut donc devant les princes des mages, qui lui dirent perfidement : Votre frre a embrass notre religion; voulez-vous l'imiter, pour viter l'ignominie du derniersupplice ? Si mon Dieu, comme vous me le dites, a t outrag par la honteuse apostasie demon frre, rpondit le martyr, je veux d'autant plus lui rendre gloire. Mais cela n'est pas, etvous voulez m'en imposer; car, moins d'tre aussi aveugle que vous, qui pourrait croire quedes corps matriels, destins au service de l'homme, sont des divinits ? Comment peut-on,

    sans tre fou, rendre des honneurs divins au feu, que le Crateur a fait pour les besoins del'humanit ? car nous voyons tous les hommes, sans distinction, s'en servir, les pauvres aussibien que les riches. De quel droit donc nous contraindre rendre nos hommages des chosescres pour notre usage, et soumises par Dieu notre empire; et comment pouvez-vous nouscommander de renier le Dieu qui a cr et le ciel, et la terre, et la mer; le Dieu dont la

    providence s'tend sur tous les tres, sur les plus petits comme sur les plus grands; qui mritepar consquent les respects et le culte de ceux mmes qui ont empire sur les hommes ? Il atout cr, non qu'il et besoin de rien, mais pour manifester sa puissance et sa majest; il a

    proscrit svrement le culte des idoles; coutez sa parole :Ne faites aucune image, aucunestatue pour les adorer. Je suis le premier et le dernier. Je suis, et il n'y a pas d'autre Dieu quemoi, et je ne donnerai pas ma gloire un autre, ni mon culte aux idoles : c'est moi qui donne

    la mort, et c'est moi qui donne la vie. Personne ne peut se soustraire mon empire.

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    A ces paroles, les mages, tonns et confondus, se dirent : Ne permettons plus qu'il dfendejamais sa religion; autrement les adorateurs mmes du soleil abandonneront notre culte etnous traiteront d'impies, comme ses compagnons le faisaient nagure. Aussi ils ne voulurent

    plus l'interroger que la nuit. Cependant ils firent rougir au feu des lames de fer, et lesappliqurent sur les deux bras du martyr, en lui disant : Par la fortune du roi des rois, si tu

    fais tomber une de ces lames, tu renonces la foi chrtienne. Dmons, rpondit le martyr,ministres d'un roi impie, non, par Notre-Seigneur Jsus-Christ, je ne crains pas votre feu, etpas une de vos lames ne tombera! Ou plutt, je vous en conjure, choisissez parmi tous lestourments les plus terribles, et htez-vous d'en faire sur moi l'preuve. Car celui qui combat

    pour Dieu doit combattre d'une manire hroque, surtout si Dieu l'a honor de quelque faveuret l'a lev quelque dignit. Alors les juges lui firent verser dans le nez et dans les yeux du

    plomb fondu; aprs quoi on le ramena en prison, o il fut pendu par un pied.

    Le lendemain, les mages s'tant fait prsenter Jonas : Eh bien ! lui dirent-ils, comment vousportez-vous ? Vous avez peut-tre souffert un peu la nuit dernire, sur cet tang glac ? Jevous jure, rpondit Jonas, par le vrai Dieu que j'espre voir bientt, que depuis que ma mre

    m'a mis au monde je n'ai jamais pass une nuit aussi dlicieuse. Le souvenir du Christsouffrant tait pour moi une consolation ineffable. Les mages reprirent : Il faut que tusaches que ton compagnon a renonc. Je le sais, rpondit Jonas, il a depuis longtempsrenonc au dmon et ses anges. Jonas, dirent les mages, prends garde de prirmisrablement, abandonn de Dieu et des hommes. Jonas : Je m'tonne qu'aveuglscomme vous l'tes vous parliez encore de votre sagesse; mais dites-moi donc, si vous tes sisages, lequel vaut mieux, ou de garder son bl dans son grenier, sous prtexte de le prserverde la pluie et de l'orage, ou de le semer pleines mains, le cur content et confiant en Dieu,dans l'esprance d'une moisson future, qui rendra au centuple. Il est bien clair que si le blreste renferm dans le grenier, non seulement il ne se multiplie pas, mais encore il se dtriore

    peu peu et finit par se perdre. Il en est du bl comme de la vie. Celui qui la jette au nom duChrist, et en mettant dans le Christ son esprance, la retrouvera un jour, quand le Christapparatra dans sa gloire, transforme en immortalit. Mais les rebelles, les impies, lescontempteurs des lois de Dieu seront la proie des feux ternels, selon les paroles des sainteslettres. Prends garde, lui dirent encoreles mages, que tes livres ne t'abusent, comme ils enont dj abus tant d'autres. Oui, rpond le martyr, ils en ont dj dtromp beaucoup desvolupts du sicle, aprs leur avoir fait goter les douleurs du Christ souffrant. Car figurez-vous qu'un prince a invit ses amis un festin; ceux-ci, en quittant leur demeure, n'ignorent

    pas qu'ils vont dner chez un ami; mais peine assis sa table, un vin gnreux les enivre, etils ne sauraient plus regagner leur maison, il faut que leurs domestiques les y ramnent. Ainsile serviteur du Christ, quand il est tran par vos soldats, n'ignore pas qu'on va le juger; mais

    peine, arriv au tribunal, a-t-il puis l'amour de la croix du Christ, qu'aussitt, enivr par cebreuvage, il oublie et le patrimoine que lui ont laiss ses anctres, et les richesses qu'il aacquises, et l'argent et l'or, et toutes les choses de la vie mortelle; il oublie et les rois et les

    princes, et les grands et les puissants, et ne dsire plus que la vue du seul Roi vritable, dont leroyaume est ternel et la puissance s'tend de gnration en gnration.

    Les juges, voyant l'inbranlable constance du martyr, lui firent couper, phalange par phalange,les doigts des pieds et des mains, et les semrent de tous cts. Puis, s'adressant lui, ils luidirent avec ironie : Vois-tu, nous avons sem tes doigts, et maintenant tu peux esprer qu'la moisson tu rcolteras des mains en grand nombre. Je ne demande pas plusieurs mains,rpondit le martyr; mais le Dieu qui m'a cr saura bien me rendre les membres que vous

    m'enlevez. Alors on lui arrache la peau de la tte et on lui coupe la langue, et on le plongeen cet tat dans une chaudire remplie de poix bouillant. Mais tout coup la poix s'enflamme

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    et dborde de la chaudire sans faire aucun mal au martyr. Les juges, voyant cela, l'tendentsur une presse de bois, et crasent et brisent tous ses membres; puis ils les scient parmorceaux et jettent ces lambeaux sanglants dans une citerne dessche, laquelle ils mettentdes gardes pour empcher qu'on ne les enlve.

    En ayant fini de cette manire avec le frre de Brich-Jsus, ils se firent prsenter Brich-Jsuslui-mme, et l'exhortrent avoir piti de lui-mme et sauver sa vie. Il rpondit : Ce corpsque vous m'engagez conserver, ce n'est pas moi qui me le suis donn, ce n'est pas moi non

    plus qui puis le perdre; le Dieu qui l'a cr, si vous le dtruisez, saura bien lui rendre sa formeperdue. Mais il vous rendra tous les maux que vous me faites, vous et votre roi insens,qui, sans connatre son Crateure et son Seigneur, s'efforce de faire excuter contre sa volontdes lois impies.

    Alors Hormisdascirus, le princes des mages, se tournant vers Maharnarss : Nos dlais, dit-il, sont injurieux au roi; on ne gagne rien avec ceux qui sont entts de ces erreurs, ni par les

    paroles ni par les supplices. Il ordonna donc de battre le martyr avec des roseaux la pointe

    trs aigu, puis de couvrir son corps des clats de ces roseaux, que l'on ferait entrer dans lachair avec des cordes fortement serres, et de le rouler par terre en cet tat. Quand cela eut tainsi excut, on lui arracha, les uns aprs les autres, tous ces clats de roseau, en emportanten mme temps la chair et en lui causant d'affreuses douleurs. Aprs quoi on lui versa dans la

    bouche de la poix fondue et du soufre enflamm. Le martyr succomba ce dernier supplice, etalla rejoindre son frre.

    Quand on sut la mort de ces deux martyrs, un de leurs anciens amis, Abstuciastas, rachetaleurs corps pour cinq cents drachmes et trois vtements de soie, mais en s'engageant parserment n'en rien dire.

    Ce livre, crit sur la relation de tmoins oculaires, contient les actes des saints Jonas, Brich-Jsus, Zbinas, Lazare, Maruthas, Narss, lias, Hadibe, Sabas et Scembtas, martyrs duChrist, qui, aprs les avoir soutenus par sa force dans le combat, les couronna aprs lavictoire. Puisse avoir part leurs prires Isae, fils d'Abad, d'Arzeroun, cavalier des gardes duroi, qui assista aux interrogatoires des martyrs et se chargea d'crire leur triomphe !

    Les glorieux martyrs recueillirent la palme le vingt-neuvime jour du mois de dcembre.

    21 (1) crits par Isae, fils d'Abad, cavalier des gardes du roi, tmoin oculaire.

    22 (1) On appelait ainsi le roi de Perse.

    23 (1) Ce passage indique que les deux frres taient prtres.

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    DEUXIME PERSCUTION DE SAPOR

    L'empereur Constantin tant mort l'an 337, dans le moment qu'il se prparait marcher contre les Perses quiavaient rompu la paix, Sapor en profita pour faire une irruption sur l'empire romain; l'an 338, il vint assiger

    Nisibe, dont saint Jacques tait vque. L'arme des Perses tait innombrable en cavalerie et en infanterie; ilsavaient aussi un grand nombre d'lphants et des machines de guerre de toute espce. Mais, aprs deux mois desige, Sapor fut oblig de se retirer ignominieusement, et son arme prit tout entire. Aigri par ces revers, il selaissa facilement indisposer contre les chrtiens par les Juifs et les mages, et se remit perscuter l'glise.L'auteur des Actes qu'on va lire est inconnu, mais tmoin oculaire.

    ACTES

    DES SAINTS SAPOR, VQUE DE BETH-NICTOR; ISAAC, VQUE DE BETH-SLEUCIE;MAHANS, ABRAHAM ET SIMON, QUI SOUFFRIRENT LE MARTYRE SOUS LE ROI DESPERSES SAPOR; LEURS CORPS REPOSENT A DESSE, DANS LA NOUVELLE GLISE DES

    MARTYRS, DANS L'INTRIEUR DE LA VILLE.

    (L'an du Christ 339.)

    La troisime anne du rgne de Sapor, une accusation fut intente par les mages contre lesNazarens (1). Nous ne pouvons plus, dirent les mages, adorer ni le soleil et l'air, qui nousdonnent des jours sereins, ni l'eau, qui nous purifie, ni la terre, qui sert nos expiations; voilo nous ont rduits les Nazarens, qui blasphment contre le soleil, qui mprisent le feu, quine rendent aucun honneur l'eau.

    Le roi fut transport de colre, au point qu'il ajourna un voyage qu'il allait faire Aspharse,

    et publia un dit pour arrter les Nazarens. Sur-le-champ trois d'entre eux furent saisis par lessoldats, Mahans, Abraham et Simon.

    Le lendemain, les mages allrent de nouveau trouver le roi, et lui dirent : Sapor, vque deBeth-Nictor, et Simon, vque de Beth-Sleucie, btissent des oratoires et des glises, etsduisent le peuple par des discours artificieux. J'ordonne, dit le roi, qu'on recherche lescoupables par tout mon empire, et qu'on les livre aux juges avant trois jours. Des cavaliers

    partirent aussitt, et parcoururent jour et nuit toutes les provinces de la Perse. Tous lesNazarens qui furent dcouverts furent amens au roi, qui les fit enfermer dans la prison otaient dj leurs frres.

    Le lendemain, le roi appela quelques personnages de distinction, et leur demanda s'ilsconnaissaient Sapor et Isaac les Nazarens. Sur leur rponse affirmative, il fit comparatre lescoupables, et leur parla en ces termes : Ne savez-vous pas que moi, fils du ciel, je sacrifiecependant au soleil, et rends au feu les honneurs divins ? et vous, qui tes-vous donc pouroutrager le soleil et mpriser le feu (1) ? Les martyrs rpondirent d'une voix unanime :

    Nous ne connaissons qu'un Dieu, et nous n'adorons que lui seul. Est-il un Dieu, rpliqua leroi, meilleur qu'Hormisdate, ou plus fort qu'Hariman irrit ? Et qui peut ignorer que le soleilmrite qu'on l'adore ? L'vque Sapor lui rpondit : Nous ne connaissons d'autre Dieu quecelui qui a cr le ciel et la terre, et par consquent la lune et la soleil, et tout ce que nos yeuxcontemplent, et tout ce que notre esprit conoit; et nous croyons en outre que Jsus de

    Nazareth est son Fils.

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    TROISIME PERSCUTION DE SAPORde 340 380, quarante ans (1).

    MARTYRE

    DE SAINT SIMON, BAR-SABOE, VQUE DE SLEUCIE ET DE CTSIPHON, ET DE SESCOMPAGNONS ARDHAICLAS ET HANANIAS, PRTRES, ET DE CENT AUTRES CHRTIENS DEDIVERS ORDRES, AINSI QUE DE L'EUNUQUE GUSCIATAZADE, QUI AVAIT LEV LE ROI; DEPRUSIKIUS, GRAND CHAMBELLAN, ET DE SA FILLE, VIERGE CONSACRE A DIEU.

    INTRODUCTION

    Je vais raconter quelle fut l'origine de l'asservissement de notre glise, et la cause des

    malheurs que Dieu nous envoya comme chtiment et comme preuve. L'orage terrible qui vinttout coup fondre sur nous ne se peut comparer qu' l'horrible perscution du temps desMachabes : ces temps-l, en effet, taient vraiment les jours de la vengeance divine que le

    prophte avait annoncs par cet oracle : Malheur qui vivra dans ces jours de la colre deDieu ! Des lgions viendront des rgions de l'Occident, et dsoleront la terre. Ces parolesdsignaient les Grecs, dont les Machabes essuyrent toute la fureur.

    Antiochus, la cent quarante-troisime anne de l'empire des Grecs, et la sixime de son rgne,ayant pris Jrusalem, pilla la table d'or et tous les instruments du culte divin, souilla le temple,en chassa les prtres, y rigea des autels et y introduisit des trangers; et, non content de cesimpits, il ensanglanta la terre sainte et exposa aux btes et aux oiseaux de proie les corps

    des saints. Vaincus par tant de maux, plusieurs cdrent au roi, et, abjurant la loi de Dieu, sesouillrent par d'impies sacrifices; d'autres, au contraire, des hommes, des femmes, d'unehaute naissance, confessrent gnreusement leur foi, et moururent. Mille en un seul jour

    prirent pour l'observation du sabbat. Nous mourons, disaient-ils avec le sentiment de leurinnocence, nous mourons dans la simplicit de notre cur; mais nous prenons le ciel et laterre tmoin de notre innocence et de votre injustice. Des femmes furent tues pour avoircirconcis leurs enfants, et leurs petits enfants furent pendus au cou de leurs mres. D'autresencore subissaient le dernier supplice pour avoir refus de manger, contrairement auxdfenses de la loi, une nourriture immonde. Et il y eut un grand deuil dans Isral, et les

    princes, les anciens, les jeunes gens et les vierges gmirent, et la beaut des femmess'obscurcit dans les pleurs, et l'pouse sur la couche nuptiale pleura, et toute la maison deJacob fut remplie d'affliction et de confusion, et Matathias gmit et s'cria : Hlas ! hlas !malheur nous ! Pourquoi nous a-t-il t donn de voir les maux de votre peuple, et ladsolation de la ville sainte et de son temple livr aux mains des trangers ! Notre gloire etnotre force sont perdues : pourquoi vivons-nous encore ? Toutefois, reprenant courage : Pensez, disait-il, que ceux qui ont mis en Dieu leur confiance ne seront pas confondus. Queles paroles d'un pcheur ne vous fassent pas trembler; car sa gloire tombera en poudre, et ilsera la proie des vers; aujourd'hui il est lev; demain il aura disparu; il retournera dans laterre, et toutes ses penses prirent. Et Matathias, qui parlait ainsi, donna l'exemple ducourage. Ayant vu un concitoyen, un Juif, abjurer sa religion et sacrifier publiquement auxidoles, en face de l'outrage fait Dieu, cet homme si zl pour la loi, s'animant d'une sainte

    colre, se prcipita sur le coupable, et au milieu de son impie sacrifice, et au pied des autels, ill'immola; il fit couler le sang de celui qui se livrait au culte des faux dieux; il le renversa mort

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    sur le corps de la victime; il souilla, par le contact d'un sang impur, celui qui souillait la sainteloi. Et sur-le-champ, attaquant le ministre du roi lui-mme, qui contraignait le peuple d'impies sacrifices, il le fit aussi tomber sous ses coups. Matathias fut donc le pontife pur qui,

    par le sang d'une victime impure, apaisa la colre du Ciel, et rendit Dieu propice son peuple.

    Dans ces jours malheureux, dans ces jours d'angoisses et de terreurs, au milieu du bruit desarmes, la joie, la scurit, le repos, disparurent : partout le glaive, la solitude et la mort; letombeau dilata ses entrailles pour engloutir les victimes, et reut les justes confondus avec les

    pcheurs; mais les justes reposrent doucement dans son sein, et les pcheurs furent engloutisdans les tnbreux abmes, parce qu'ils avaient fait tomber Jacob dans l'iniquit, et plongIsral dans l'apostasie.

    Mais enfin les trsors des misricordes du Seigneur tant depuis trop longtemps ferms,quand sa vengeance eut vers assez de colre, quand le glaive eut t rassasi et l'peenivre, alors enfin tomba la pluie des grces, la misricorde coula flots; alors parut un

    brillant soleil qui fondit ses rayons les glaces de la superstition paenne, tarit la source de

    l'infidlit, desscha les eaux de l'idoltrie, dissipa la fange impure, essuya les pluies ftides,et fit briller de nouveau la puret et la saintet dans le temple. Judas Machabe fut cet astre.Judas, comme un jeune lion, rugit contre les btes malfaisantes, et son rugissement lesdispersa. Judas tendit la gloire de son peuple, il exalta sa nation. Prtre et guerrier, il serevtit de l'phod sacr pour se rendre Dieu propice; il endossa la cuirasse terrible pourdonner la mort comme un puissant gant. Sa force l'a gal au lion : il s'est couch sur lesnations immoles, il a dvor les chairs des princes; dans sa colre, il a recherch les restesdes pcheurs; la terreur de son nom a fait trembler les superbes, et les puissants sont tombsde frayeur; sa main a donn le salut, et il a dsol bien des rois. Il a tu des milliers d'ennemisdans les montagnes, et des myriades dans la plaine; ses exploits rjouirent Juda, ses hauts faitsfirent tressaillir Isral; la terre sauve par lui se reposa et se dlassa de la servitude. Son nomvola aux extrmits du monde; mais lui, il succomba glorieusement en combattant pour sonDieu et pour son peuple : son nom soit bni jamais !

    Cette perscution d'Antiochus est l'image de la ntre. En effet, le peuple chrtien fut craspar d'excessifs impts, et les prtres accabls de vexations de toute espce; et l'on vit lessuperbes insulter les humbles, les impies fouler aux pieds les saints, la calomnie opprimerl'innocence. La plus dure servitude fut substitue la sainte libert donne par le Christ songlise, et tous les efforts furent tents, tous les moyens mis en uvre pour empcherl'observance de la loi de Dieu, pour arrter par la ruse, par la violence, par toutes les voies, oumme pour garer compltement ceux qui marchaient dans le droit chemin de la vrit.

    Ce fut la cent dix-septime anne de l'empire des Perses, et la trente et unime anne du rgnede Sapor, roi des rois, que cette calamit tomba sur notre glise. Alors tait vque deSleucie et de Ctsiphon Simon Bar-Sabo (fils du Foulon), nom qu'il justifia parfaitement;car si son pre teignait la pourpre qui orne les rois impies, lui-mme il rougit de son sang cellequ'il devait porter dans le royaume des saints. Simon donna volontairement sa vie pour sonDieu et pour son peuple; et, plein d'horreur pour les attentats de l'impit contre l'glise, ilimita Judas Machabe, qui, lui aussi, dans des temps non moins malheureux, n'hsita pas chercher la mort. O couple illustre de pontifes, Judas, Simon ! Tous deux reconquirent lalibert de leur peuple, l'un par ses armes, l'autre par son martyre. L'un fut vainqueur ets'illustra par sa victoire; l'autre triompha en succombant. Judas, en versant le sang de

    l'tranger, leva son pays au fate de la puissance et de la gloire; Simon, en versant sonpropre sang, brisa le joug de la servitude qui pesait sur son glise. Tous deux taient dcors

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    du souverain sacerdoce, tous deux portaient l'phod sacr, tous deux servirent dignement l'autel et honorrent leur ministre auguste par leurs vertus; tous deux, pieux et fervent, se

    purifaient dans les eaux saintes et prsentaient Dieu le sang de la vigne; tous deux animaientle peuple la vertu par des paroles brlantes; tous deux, terribles dans le combat, volrent au-devant de la mort, provoqurent les bourreaux, se prcipitrent tte baisse sur le glaive; tous

    deux enfin lavrent leur me dans leur sang. Fidles au commandement de leur matre, ilsl'accomplirent avec amour; ils se dvourent la pratique et la dfense de la loi divine. L'unremplit le prcepte du Seigneur comme un juge, rendant la mort pour la mort, mourant lui-mme pour le salut des siens; et l'autre, comme un obissant serviteur, selon la parolevanglique : Si l'on vous frappe sur la joue droite, prsentez encore la joue gauche, tendit satte au glaive du bourreau. Par les expiations de son sacerdoce, l'un soulageait les mescaptives dans les limbes; l'autre rappelait la vie ceux qui dormaient de la mort du pch (1).L'un prit les armes la main en immolant les ennemis; l'autre accomplit obscurment sonsacrifice. Oh ! qu'elle est belle, qu'elle est glorieuse la mort des saints, surtout aprs la victoireillustre du Sauveur sur le pch ! Judas, fort de la force de Dieu, souverain Seigneur, dlivrasa nation des tributs qu'elle payait aux rois grecs et syriens; Simon, triomphant avec le

    secours du Fils de Dieu, du Sauveur Jsus, affranchit son peuple accabl par d'intolrablesexactions, et gmissant sous le joug des rois de Perse. Vritables pasteurs, ils ont donn leurvie pour prserver de la ruine les brebis qui leur taient confies; ils se sont dvous avecamour, pour carter leur troupeau des pturages empoisonnes, des eaux troubles par les

    pieds des infidles; ils prirent pour que ces brebis, sauves par leur mort et ramenes aubercail, gotassent les fruits de leur victoire.

    RCIT

    Ainsi donc, Simon, le pontife illustre, mettant toute sa confiance en Dieu, fit porter au roicette rponse : Le Christ a rachet son glise par sa mort, et acquis la libert son peuple au

    prix de son sang; il a fait tomber de nos ttes le joug de la servitude, et nous a dlivrs deslourds fardeaux que nous portions. En outre, en nous promettant de magnifiques rcompenses

    pour la vie future, il a enflamm nos esprances : car son empire est ternel et ne prirajamais. Donc, tant que Jsus sera le Roi des rois, nous l'avons rsolu, nous ne courberons pasla tte sous le joug que vous voulez nous imposer : Dieu nous prserve du malheur derenoncer la libert dont il nous a fait don, pour devenir les esclaves d'un homme ! LeSeigneur qui nous avons jur obissance et fidlit est l'auteur et le modrateur de votre

    puissance : nous ne souffrirons pas l'injuste domination de ceux qui ne sont, comme nous, queses serviteurs. Sachez-le encore, notre Dieu est le crateur des choses que vous adorez sa

    place, et nos yeux ce serait une impit et un crime d'galer au Dieu suprme les choses qu'ila cres et qui sont semblables vous. Et puis, vous nous demandez de l'or; mais sachez quenous n'avons ni or ni argent, nous qui le Seigneur a dfendu de n'avoir ni or ni argent dansnos bourses; enfin l'Aptre nous a dit : Vous avez t achets un grand prix, ne vous faites pasles esclaves des hommes. Tel fut le langage de Simon (1).

    On le porta sur-le-champ au roi; il en conut une violente indignation, et fit rpondre au saintvque : Quelle est ta folie, d'exposer par ton audace tmraire ta vie et celle de ton peuple,et d'attirer sur toi et sur lui une mort certaine ? Ton incroyable orgueil te pousse l'entranerdans la dsobissance. Eh bien ! je vais sur-le-champ rompre ce pernicieux complot, et vous

    bannir jamais de la socit et de la mmoire des hommes. Ainsi parla le roi.

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    Simon, nullement mu de ces menaces, rpondit : Jsus s'est offert la mort la plus cruellepour racheter le monde, et moi, un nant, je craindrais de donner ma vie pour ce peuple,quand je me suis dvou volontairement son salut ! Soyez convaincu, roi, que Simon estfermement rsolu mourir plutt que de livrer son troupeau comme une proie vos exacteurs.Je ne tiens pas la vie si je ne puis vivre sans crime, et, pour la prolonger de quelques jours,

    je ne laisserai pas accabler des misres de la servitude ceux que mon Dieu a affranchis.Oserais-je rechercher l'oisivet et les dlices ? Dieu me garde de pourvoir ma scurit enperdant ceux qu'il a rachets de son sang, d'acheter les commodits de la vie au prix des mesque le Christ a aimes, de m'assurer des jouissances par l'affliction de ceux que la mort duSauveur a dlivrs de l'esclavage. Non, je n'ai pas au cur une telle lchet, je n'ai pas aux

    pieds de telles entraves, que je n'ose suivre les traces de Jsus, que je tremble de marcher dansla voie de sa passion, que je frmisse de m'associer au sacrifice par lequel ce vritable pontifes'est immol. Je suis donc dcid inbranlablement tendre ma tte au glaive, mourir pourmon peuple. Et que mon sacrifice est peu de chose, compar celui de mon matre ! Quant la ruine dont vous menacez les fidles de mon glise, c'est votre impit qui en sera la cause,et non mon dvouement pour Dieu et pour son peuple; et par consquent votre sang et non le

    mien devra laver ce crime; mon peuple et moi nous en serons innocents.

    Mon peuple est prt comme moi sacrifier sa vie au salut de son me : vous ne tarderez pas l'apprendre.

    Alors le roi, comme le lion qui, une fois qu'il a flair le sang humain, ne respire plus que lecarnage, se livra aux transports de la plus violente colre, et l'agitation de son me semanifesta par le trouble de tout son corps. Il grinait des dents, il frmissait, il menaait detout renverser, de tout dtruire; il cdait aux mouvements les plus dsordonns de la fureur,impatient de boire le sang innocent et de dvorer les chairs des saints. Enfin il fit entendre unrugissement effroyable, et publia un dit terrible qui ordonnait de poursuivre incessammentles prtres et les lvites, de renverser de fond en comble les glises, de souiller et de faireservir aux usages profanes les instruments du culte divin. Simon, disait le roi plein de rageet de fureur, Simon, ce chef de magiciens, mprise la majest royale; il n'obit qu' Csar,n'adore que le Dieu de Csar, et il insulte et outrage le mien : qu'on me l'amne et qu'on luifasse son procs devant moi.

    L'occasion tait belle pour les Juifs, ces constants ennemis des chrtiens; aussi mirent-ils touten uvre pour animer encore la colre du prince, et assurer la perte de Simon et de songlise; on les retrouve toujours, dans les temps de perscution, fidles leur haineimplacable, et ne reculant devant aucune accusation calomnieuse. C'est ainsi qu'autrefois leur

    clameurs forcenes contraignirent Pilate condamner Jsus-Christ. Voici, dans la circonstanceprsente, ce qu'ils avaient l'impudence de dire : Prince, si vous criviez Csar les lettres lesplus magnifiques, accompagnes des plus superbes prsents, Csar n'en ferait aucun cas. QueSimon, au contraire, lui crive la plus petite lettre, quelques mots seulement, aussitt Csarse lve, et il adore cette misrable page, il la prend respectueusement dans ses deux mains, etcommande que sur-le-champ on y satisfasse. Combien ces dlateurs de Simon ressemblent ces tmoins menteurs qui se levrent contre le Seigneur ! Pauvres Juifs provocateurs de lamort du Sauveur, de quel degr d'honneur et dans quel abme d'ignominie ils sont tombs !Les voil, chargs de leur dicide, exils, fugitifs, vagabonds par toute la terre ! Quant auxaccusateurs de Simon, l'infamie, le mpris, la maldiction universelle furent leur justechtiment; et le saint vque fut assez veng par ce glaive qui en fit prir soudainement un si

    grand nombre, lorsque, entrans par un imposteur, ils accouraient en foule pour rebtirJrusalem (1).

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    Simon fut donc charg de chanes et conduit au pays des Huzites, avec deux des douzeprtres de son glise, lesquels se nommaient Abdhacla et Hananias. En traversant Suze sapatrie, une glise chrtienne se trouva sur son passage; il pria ses gardes de prendre une autreroute, parce que peu de jours auparavant les mages avaient livr cette glise aux Juifs, qui enavaient fait une synagogue. Je crains, disait le saint vque, que la vue d'une glise ruine

    n'branle mon courage, rserv des preuves plus rudes encore.

    Ses gardes firent une grande diligence, et, aprs avoir fait beaucoup de chemin en peu dejours, Simon arriva Ldan. Ds que le grand prfet l'apprit, il se hta d'annoncer au roil'arrive du chef des chrtiens; aussitt Simon fut introduit devant le prince; mais il ne se

    prosterna pas devant lui. Le roi en conut une grande indignation. Maintenant, lui dit-il, jevois de mes yeux la vrit de tout ce que l'on m'a dit contre toi. Autrefois, vil esclave, tu nefaisais pas difficult de te prosterner en ma prsence : pourquoi aujourd'hui me refuses-tu cethonneur ? C'est, rpondit Simon, qu'autrefois je ne paraissais pas devant vous charg dechanes, ni pour tre forc, comme aujourd'hui, renier le vrai Dieu.

    Les mages, qui taient prsents en grand nombre, disaient au roi : Grand prince, il conspirecontre l'empire et contre vous, il refuse de payer les impts; qui peut douter qu'il mrite lamort ? Misrables, s'criait Simon, n'est-ce point assez pour vous d'avoir abandonn Dieuet perdu ce royaume ! faut-il encore que vous cherchiez nous entraner dans le mme crimeet le mme malheur ?

    Le roi, prenant alors un visage moins svre, lui dit : Laissez l cette dispute, Simon.Croyez-moi, je vous veux du bien. Adorez le soleil, et vous vous sauvez, vous et les vtres.

    Simon. Je ne peux pas vous adorer vous-mme, roi, quoique vous soyez bien plusexcellent que le soleil, puisque vous tes dou d'esprit, et de sagesse, et je serais assez insens

    pour adorer un dieu inanim, priv d'intelligence, qui ne peut nous discerner vous et moi, nivous rcompenser vous qui le servez, et me punir moi qui lui insulte ! Vous disiez qu'en vouscoutant je sauverais mon peuple; mais sachez donc que nous, chrtiens, nous n'avons qu'unseul Sauveur, le Christ, attach la croix. Moi donc, le dernier de ses serviteurs, je mourrai

    pour lui, pour mon peuple, pour moi-mme. Loin de moi toute lche frayeur; je me sens pleind'une force invincible, je saurai viter la bassesse et le dshonneur, je saurai mriter la gloire.Je ne suis pas un enfant qu'on puisse gagner par des bagatelles; mais, vieillard, je garderai ladignit de mon caractre, et j'achverai fidlement, saintement mon uvre. Au reste, ce n'est

    pas moi qu'une lumire suprieure et divine claire, en dlibrer avec vous.

    Le roi : Si au moins tu adorais un Dieu vivant, ta folie aurait une excuse; mais tu disais toi-mme que ton Dieu est mort attach un infme gibet. Laisse ces chimres, Simon, et adorele soleil, par qui tout ce qui est subsiste; si tu y consens, richesses, honneurs, dignits, tout ceque tu voudras, je te promets tout.

    Mais Simon : Jsus, dit-il, est le crateur du soleil et du genre humain : quand il expiraentre les mains de ses ennemis, le soleil, comme un serviteur qui prend le deuil la mort deson matre, s'clipsa; pour lui, il ressuscita des morts aprs trois jours, et monta au cieux aumilieu des concerts des anges. C'est bien en vain que vous esprez me sduire par vos

    prsents, par vos dignits et vos honneurs; j'en attends de bien plus magnifiques, et si grands,que vous n'en avez pas mme l'ide; mais moi, ma religion et ma foi m'en donnent l'assurance.

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    Cette action tonna tout le monde; le roi lui-mme en eut connaissance, et il envoya demander l'eunuque le motif d'une conduite si singulire. Pour quelle raison, quand le roi est en

    bonne sant, et porte encore la couronne sur la tte, t'es-tu imagin de prendre des habits dedeuil et de paratre ainsi en public ? As-tu perdu ton fils ? ton pouse est-elle gisante dans tamaison, attendant la spulture ? S'il n'en peut tre ainsi, pourquoi avoir pris le deuil, comme si

    tu avais essuy ces malheurs ? Voil ce que le roi fit dire l'eunuque.

    L'eunuque lui fit rpondre : Je suis coupable, je l'avoue; punissez-moi du dernier supplice, jele mrite.

    Le roi, ne comprenant rien cette rponse, se le fit amener, afin de lui demander lui-mmela raison de cette trange conduite. Et quand on le lui eut amen il lui dit : Il faut quequelque malin esprit te possde, pour menacer mon rgne de ce funeste prsage.

    Non, rpondit Guhsciatazade, aucun malin esprit ne me possde; je suis tout fait matrede moi, et ce que je sens, ce que je pense, convient parfaitement un vieillard.

    Pourquoi donc alors, dit le roi, as-tu paru tout coup avec ces habits de deuil, comme unfurieux ? Pourquoi as-tu rpondu mon envoy que tu tais indigne de vivre ?

    J'ai pris le deuil, rpondit Guhsciatazade, cause de ma double perfidie envers mon Dieuet envers vous-mme : envers mon Dieu, car j'ai viol la foi que je lui avais jure, j'ai prfr sa vrit votre faveur; envers vous-mme, car, contraint d'adorer le soleil, je l'ai fait avecfeinte et hypocrisie; mon cur intrieurement protestait contre ma conduite.

    Est-ce l, vieil insens, la cause de ta douleur ? s'cria le roi furieux. Je t'aurai bientt gurisi tu persistes dans ce dlire impie.

    J'atteste le Dieu du ciel et de la terre, s'cria le confesseur, que dsormais jamais jen'obirai vos ordres, et qu'on ne me verra plus faire ce que je gmis d'avoir fait. Je suischrtien, et je ne sacrifierai plus le vrai Dieu un homme perfide.

    J'ai piti de ta vieillesse, ajouta le roi; il m'en cote de te voir perdre le prix de tes longsservices envers mon pre et envers moi-mme. Ainsi donc, je t'en conjure, abandonne lesrveries de ces imposteurs, si tu ne veux prir misrablement avec eux.

    Sachez, roi, reprit Guhsciatazade, que ni vous, ni tous les grands de votre empire, vous

    ne me persuaderez jamais de prfrer la crature au Crateur, et d'outrager le Dieu suprme enadorant les uvres de ses mains.

    Misrable, reprit le roi, est-ce donc que j'adore des cratures ?

    Guhsciatazade: Si au moins vous adoriez des cratures vivantes et animes ! Mais, et vousdevriez en avoir honte, vous rendez vos hommages des tres privs de vie et de raison, unematire destine au service de l'homme.

    La fureur du roi fut son comble, et sur-le-champ il condamna mort Guhsciatazade. Lesofficiers insistaient pour qu'on excutt immdiatement la sentence. Accordez-moi

    seulement une heure, leur dit Guhsciatazade, j'ai encore quelques mots faire dire au roi. Ilappela un eunuque, et le pria de porter au roi ces paroles : Vous avez vous-mme tout

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    l'heure rendu tmoignage mon zle et mon dvouement; vous savez combien fidlement jevous ai servis, vous et votre pre. Maintenant, pour rcompense, je ne vous demande qu'unegrce, c'est de faire annoncer par la voix du crieur public que Guhsciatazade est conduit ausupplice, non pour avoir trahi les secrets du roi, non pour avoir tremp dans quelque complot,mais parce qu'il est chrtien, et qu'il a refus de renier son Dieu. Mon apostasie, se disait le

    gnreux martyr, a t connue de toute la ville, et peut-tre ma lchet en a-t-elle branlplusieurs. Si l'on apprend maintenant mon supplice, et qu'on en ignore la cause, il ne serad'aucun exemple aux fidles. Je les fortifierai, au contraire, si je leur fais savoir ma pnitence,et s'ils me voient mourir pour Jsus-Christ. Mon martyre sera pour les chrtiens un ternelexemple de courage, qui raffermira leurs mes et rallumera leur ardeur. Il avait bien raison, cesage vieillard. La voix du crieur public, qui fit connatre tous son sacrifice, fut comme unetrompette guerrire qui donna aux athltes de la justice le signal du combat, et les avertit de

    prparer leurs armes.

    Le roi accda au dsir de Guhsciatazade, et fit proclamer par un crieur tout ce qu'il avaitsouhait. Il crut que cet exemple effrayerait la multitude et lui ferait abandonner la foi

    chrtienne, et il ne comprit pas, l'insens tyran, que ce courageux repentir serait l'aiguillon quipousserait au trpas les fidles, et que les brebis accourent o les cris de leurs compagnesmourantes les appellent.

    Le saint vieillard mourut pour Jsus-Christ le treizime jour de la lune d'avril, la cinquimefrie de la semaine des azymes (le jeudi saint). O Simon, tu me rappelles Simon Pierre le

    pcheur ! car c'est toi qui fis subitement cette pche miraculeuse.

    Le saint vque apprit dans sa prison ce merveilleux et heureux vnement, et il en fut comblde joie. Et, dans son ravissement, il s'criait : Qu'elle est grande votre charit, Christ !qu'elle est ineffable votre bont, notre Dieu ! qu'elle est forte votre grce, Jsus ! qu'elleest puissante votre droite, notre Sauveur ! Vous rappelez les morts du tombeau, vous relevezceux qui sont tombs; vous convertissez les pcheurs, vous rendez l'esprance aux dsesprs.Celui qui, dans ma pense, tait le dernier, le voil, selon mon dsir, le premier. Celui quimarchait dans des voies opposes aux miennes, le voil devenu le compagnon de monsacrifice. Celui qui s'tait loign de la vrit, le voil revenu ma foi. Celui qui tait tombdans les tnbres, le voil maintenant convive du festin cleste. Son apostasie l'avait loignde moi, sa confession gnreuse me le ramne; je le prcdais, et il me prcde; je voulais

    passer devant lui, et il me devance. Il a franchi le seuil redoutable de la mort, il m'a montr lechemin de la vie, il m'a rempli de joie et de courage. Il s'est fait mon guide dans la voietroite, il dirige mes pas dans le sentier de la tribulation. Et moi, que tard-je le suivre ? qui

    peut m'arrter encore ? son exemple me crie : Allons, hte-toi; sa voix m'appelle et me presse.Je le vois tourner vers moi sa face rayonnante; je l'entends qui me crie : Simon, tu ne meferas plus de reproches maintenant; ta vue ne me causera plus de honte ni de remords. A tontour, Simon, viens dans la demeure que tu m'as montre, dans le repos que tu m'as faittrouver. L nous goterons ensemble une flicit ternelle et immuable, au lieu du bonheurfragile et passager que nous partagions ici-bas. C'est donc ma faute si quelque chose encorem'empche de le suivre, si ce bonheur se fait attendre plus longtemps, si je ne romps pasaussitt tous les retards. O l'heureux jour que celui de mon supplice ! ce jour me dlivrera detous les maux que j'endure ! ce jour dissipera tous les ennuis qui m'accablent ! Puis le saintvque offrait Dieu cette prire : Cette couronne, l'objet de tous mes vux, cette couronne,aprs laquelle, vous le savez, depuis si longtemps je soupire, daignez me l'accorder, mon

    Dieu ! et si pendant tout le cours de ma vie je vous ai aim, Seigneur, et vous savez que jevous ai aim de toute mon me, je ne vous demande qu'une seule grce maintenant : c'est de

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    vous voir, c'est de jouir de vous, c'est de me reposer dans votre sein; c'est de ne pas tre retenuplus longtemps sur cette terre, pour tre tmoin des calamits de mon peuple, de la ruine devos glises, du renversement de vos autels, de la profanation de votre sainte loi. Prenez-moi,

    pour que je ne voie pas la chute des faibles, l'apostasie des lches, la crainte d'un tyrandispersant mon troupeau, et ces faux amis qui cachent sous un visage riant une haine mortelle,

    ces faux amis qui s'enfuient et nous dlaissent au jour du malheur; pargnez-moi le spectacledu triomphe insultant des ennemis du nom chrtien, et de leurs cruauts contre l'glise. Je suisprt, Seigneur, remplir toute l'tendue de mes devoirs, achever gnreusement monsacrifice, donner tout l'Orient l'exemple du courage; assis le premier la table sacre, jetomberai le premier sous le glaive, pour m'en aller, de l, dans la socit des bienheureux, quine connaissent ni les ennuis, ni les angoisses, ni les douleurs; o nul ne perscute, nul n'est

    perscut; nul ne tyrannise, nul n'est tyrannis : rien ne chagrine, rien ne fait peine. L on neredoute plus les menaces des rois ou le visage irrit des ministres; personne ne vous repousseou ne vous frappe, personne n'inquite ou ne fait trembler. L, Christ, vous dlasserez nos

    pieds meurtris par l'asprit du chemin; vous ranimerez, onction cleste, nos membresfatigus par les labeurs; vous noierez, coupe de vie, toutes nos douleurs; vous essuierez,

    source de joie, de nos yeux toute larme.

    Il tenait, en faisant cette prire, ses deux mains leves vers le ciel, le bienheureux Simon.Les deux vieillards pris et emprisonns avec lui, comme nous l'avons racont, contemplaientavec admiration son visage toute illumin d'une joie cleste : on et dit une rose panouie, unefleur toute frache et toute belle.

    C'tait la nuit qui prcde le jour de la mort du Sauveur : Simon, rsistant au besoin dusommeil, et chassant toute pense vaine, priait ainsi : Tout indigne que j'en sois, Seigneur,exaucez ma prire : faites que ce soit au jour mme, l'heure mme de votre mort que je

    boive aussi le calice. Que les sicles venir publient que j'ai t mis mort le mme jour quemon Sauveur; que les pres rptent leurs enfants : Simon a cout l'appel de son Dieu, etcomme son matre, le quatorzime jour, la sixime frie, il a t martyr.

    Et en effet, le jour mme du vendredi saint, la troisime heure, le roi fit prendre par sesgardes et amener devant le tribunal Simon, qui, cette fois encore, ne se prosterna pas devantle roi. Eh bien, lui dit le prince, homme opinitre, as-tu rflchi pendant la nuit ? Vas-tu

    profiter de ma bienveillance, qui t'offre la vie ? ou veux-tu persister dans ta rbellion contremoi, et mourir ?

    Oui, rpondit Simon, oui, je persvre, et toute cette nuit la pense de mon salut a loign

    de moi le sommeil, et j'ai compris combien votre inimiti est plus prcieuse pour moi quevotre bienveillance.

    Le roi : Adore le soleil une fois, rien qu'une fois, et je me dclare ton protecteur contre toustes ennemis.

    Simon : A Dieu ne plaise que je donne ceux qui me poursuivent d'une haine injuste cesujet de triomphe, et que mes ennemis puissent dire jamais : Simon est un lche, qui, par

    peur de la mort, a sacrifi son Dieu une vaine idole.

    Le roi : Le souvenir de notre ancienne amiti m'avait port user des voies de douceur,

    t'aider de mes conseils, chercher te sauver; mais, puisque tous mes efforts ont t inutiles,les suites te regardent.

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    Simon : Toutes ces insinuations sont superflues. Que tardez-vous m'immoler ! L'heure dema dlivrance a sonn : htez-vous donc, un cleste repas m'attend, la table est prte, et on medemande pourquoi je tarde encore.

    Cependant le roi, en prsence mme de Simon, s'adressant aux satrapes et aux officiers qui

    l'entouraient : Voyez-vous, leur dit-il en leur montrant le confesseur, quel beau visage, quelport majestueux ? J'ai parcouru des pays lointains et tout mon royaume, et nulle part je n'ai vutant de grce unie tant de dignit. Concevez maintenant la folie de cet homme que se sacrifie des chimres !

    Il ne serait pas sage, roi, rpondirent unanimement les satrapes, de vous arrter labeaut d'un seul homme, et de fermer les yeux au grand nombre des victimes qu'il a sduiteset entranes dans l'erreur.

    Simon fut donc condamn mort, et immdiatement conduit au supplice.

    Il y avait aussi dans les prisons cent autres chrtiens, dont plusieurs taient vques d'autresglises, ou prtres, et les autres diacres ou engags dans le clerg. Ils furent tous tirs de

    prison en mme temps, et mens la mort. Quand le grand juge leur lut l'dit du roi, conu ences termes : Que celui qui veut sauver sa vie adore le soleil, ils rpondirent d'une voixunanime : Nous croyons au seul Dieu vritable, et notre foi se rie de vos supplices; nousaimons le Christ, et notre amour se fait un jeu de la mort; vos glaives ne sont encore pas asseztranchants pour enlever de nos curs l'esprance de notre rsurrection future. Nous l'avonstous jur, nous n'adorerons pas le soleil, nous ne suivrons pas vos conseils impies. Bourreau,excutez sans dlai les ordres de votre matre.

    Le roi avait command de frapper cette troupe de saints sous les yeux mmes de Simon : ilesprait que l'horreur de leur supplice branlerait sa constance. Mais pendant que ces glorieuxmartyrs tombaient sous le glaive, Simon, debout devant eux, leur criait : Courage, mesfrres, et confiance en Dieu. Votre rsurrection descendra avec vous dans la tombe, et quandla trompette de l'ange rveillera les morts, vous l'entendrez, et vous vous lverez. Le Christaussi a t immol, et il est vivant : votre mort vous fera trouver la vie en lui. Souvenez-vousde ces paroles :Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais qui ne peuvent tuer l'me.Quiconque perd sa vie pour moi la retrouvera dans la vie ternelle. La marque du vrai amour,c'est de mourir pour celui qu'on aime. Et puisque vous mourez par amour, vous recevrez larcompense des amis. coutez l'Aptre qui vous crie :Rappelez-vous que Jsus-Christ estressuscit des morts. Par consquent, si nous mourons avec lui, nous vivrons aussi avec lui.

    Et si nous partageons sa passion, nous partagerons aussi sa gloire. Et si nous donnons notrevie pour Jsus, la vie de Jsus se manifestera aussi un jour dans notre corps mortel. Il semblemaintenant que la mort est en nous, et la vie en vous : mais sachez, trs chers frres, qu'notre mort succdera une vie ternelle, et votre vie une ternelle mort; car celui qui nie

    Dieu n'aura pas la vie. Et si maintenant nous souffrons un peu, une gloire immense, unternel bonheur seront le prix de ces souffrances. Au dehors, notre corps tombe en poussire;mais au dedans, notre me se renouvelle; car celui qui a rappel Notre-Seigneur Jsus-Christdes morts, nous ressuscitera aussi pour rgner avec lui. Si, pendant notre sjour ici-bas, nous

    sommes morts pour le Seigneur, en quittant cette terre nous irons avec le Seigneur dans lagloire. A nous d'aimer, lui de nous sauver; nous d'tre fidles, lui d'tre gnreux; nousde travailler, lui de nous rcompenser; nous de souffrir, lui de nous ressusciter; nous de

    verser notre sang, lui de nous donner la couronne, le repos, la joie, les dlices, et de nous

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    dire : Venez, bons serviteurs, entrez dans la joie de votre matre; vous avez fait fructifier lestalents que je vous avais confis.

    Quand ces gnreux martyrs eurent t dcapits, et couronns de leurs cent couronnes, unetriple palme fut encore offerte la trs sainte Trinit par Simon et les deux vieillards ses

    compagnons, qui furent immols les derniers.

    Au moment du supplice, un des compagnons de Simon, pendant qu'il tait ses habits et queles bourreaux l'attachaient, fut tout coup saisi d'une crainte involontaire, et se mit tremblerde tout son corps; son cur toutefois demeurait inbranlable. A cette vue, Phusikius,

    personnage considrable, nomm tout rcemment intendant des travaux publics, encourageale tremblant vieillard. Courage, Hananias, lui cria-t-il, fermez un instant les yeux, et vous lesouvrirez la lumire du Christ. Il fut conduit sur-le-champ au roi pour rendre compte decette parole. Le roi lui dit : Ingrat, voil donc le cas que tu fais de mes bienfaits ! lev parmoi une dignit minente, tu en ngliges les devoirs pour aller voir mourir des misrables !

    Cette ngligence, rpondit Phusikius, tait mon devoir, et je voudrais changer ma vie pourleur mort. La dignit dont vous m'avez dcor est pleine de troubles et de peines, et j'en faisvolontiers le sacrifice; mais leur mort est mes yeux le comble du bonheur, je la dsire et lademande.

    Tu as la folie, dit le roi, de prfrer leur supplice ton emploi, et de vouloir partager leursort !

    Oui, rpondit Phusikius, oui. Je suis chrtien, et mon esprance au Dieu des chrtiens est siferme et si sre, que j'attache infiniment plus de prix au supplice des martyrs qu' tous voshonneurs.

    Le roi, furieux, se tourne vers les bourreaux : Pour celui-ci, dit-il, il ne faut pas un suppliceordinaire. Puisqu'il a eu l'audace de fouler aux pieds les dignits dont je l'avais honor,

    puisqu'il a insult ma majest royale, percez-lui le cou et arrachez-lui sa langue insolente; quel'atrocit de son supplice pouvante tous ceux qui en seront tmoins. Les bourreauxexcutrent cet ordre avec une cruaut barbare, et Phusikius expira dans cette horrible torture.

    Il avait un fille, qui avait consacr Dieu sa virginit. Accuse aussi d'tre chrtienne, ellemourut pour Jsus-Christ, son esprance et son Sauveur(1).

    [35] (1) Tous les actes relatifs cette grande perscution de quarante ans ont t crits par saint Maruthas,vque de Martyropolis en Msopotamie.

    39 (1) Ces expressions du saint vque de Msopotamie sont un prcieux tmoignage de la foi de l'glise dePerse deux dogmes catholiques, les dogmes du purgatoire et de la justification par le sacrement de pnitence.

    41 (1) Ce langage admirable de courage piscopal et d'indpendance chrtienne n'est pas une rbellion contre leslois et la puissance lgitime du prince. La libert que le martyr rclame pour l'glise au nom de Jsus-Christ n'estpas l'affranchissement de tout impt, l'indpendance absolue dans l'ordre temporel; c'est le droit de n'tre pastraite en esclave. Les charges que Sapor imposait aux chrtiens, et qui ne pesaient que sur eux, n'taient pas unimpt lgal, mais des exactions iniques et exorbitantes, une spoliation vritable.

    43 (1) Allusion l'vnement miraculeux qui donna un si clatant dmenti Julien l'Apostat. Jsus-Christ avaitdit que du temple de Jrusalem il ne resterait plus pierre sur pierre : Julien l'Apostat, voulant empcherl'accomplissement de cet oracle, rassembla les Juifs pour rebtir leur temple; ils accoururent de tous cts, et se

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    mirent l'uvre avec ardeur; mais quand ils eurent enlev jusqu' la dernire pierre des anciens fondements, tout coup il en sortit des flammes qui repoussrent les travailleurs, et les forcrent abandonner l'ouvrage.

    57 (1) Toutes les glises, latine, grecque, copte, armnienne et syrienne, clbrent la mmoire de ces glorieuxmartyrs. On lit dans le Martyrologe romain, au 21 avril : En Perse, naissance (dans la langue liturgique, le motnaissance signifie la mortdu martyr, parce que par sa mortil naissait la vie ternelle) de saint Simon, vque

    de Sleucie et de Ctsiphon, qui, arrt par l'ordre de Sapor, roi de Perse, charg des fers et cit devant d'iniquestribunaux, refusa d'adorer le soleil, et confessa courageusement Jsus-Christ. D'abord on le fit longtemps languiren prison, avec cent autres chrtiens, les uns vques ou prtres, les autres clercs de divers ordres; ensuite, aprsque Gusthazane, nourricier du roi, apostat converti par saint Simon, eut souffert glorieusement le martyre, lelendemain, qui tait le jour de la Passion du Seigneur, tous les confesseurs furent gorgs sous les yeux de saintSimon, qui les animait au martyre, et lui-mme fut dcapit le dernier. Avec lui souffrirent Abdechalas etAnanias, ses prtres, ainsi que Pusicus, intendant des travaux publics, lequel, pour avoir encourag Ananias, quichancelait, eut le cou perc et le langue arrache; aprs lui, sa fille, qui tait une sainte vierge, fut gorge.

    [58]

    COMBAT

    DE PLUSIEURS MARTYRS, ET D'AZADES, EUNUQUE DU ROI

    (L'an 341 de J.-C.)

    Le jour mme du martyre du bienheureux Simon, la trente-deuxime anne de son rgne,Sapor tira son glaive terrible et publia le plus sanglant dit : droit fut donn tous de chargerde chanes et de faire esclave quiconque s'avouerait chrtien. Le tyran ne manqua pas desatellites pour servir ses fureurs : aussitt une arme de bourreaux, le glaive la main, attaquale troupeau des saints. Le meurtre d'un chrtien fut regard comme une faveur insigne; le soinde les excuter fut un gage des bonnes grces du roi. Mais aussi, des mes dignes de Dieu, des

    mes fortes, prtes tout souffrir, coururent elles-mmes au-devant de la mort. L'pe s'enivradu sang des forts; mais l'pe fut vaincue, le glaive mouss tomba des mains tremblantes desbourreaux, et les martyrs lui insultrent. Ceux qui l'aiguisaient se lassrent, ceux qui lemaniaient dfaillirent. Mais ceux qui combattaient pour la vrit ne succombrent pas, nefaiblirent pas. La charit alluma ses feux, l'esprance attisa sa flamme. Les brebis elles-mmesappelrent le couteau. La croix germa dans des ruisseaux de sang : fortifis son aspect, lessaints tressaillirent d'allgresse et soufflrent partout autour d'eux l'ardeur qui leur inspirait aucur la vue de ce signe de victoire.

    Depuis la publication de l'dit, c'est--dire depuis la sixime heure du vendredi saint jusqu'audimanche de la seconde semaine de la pentecte(1), le carnage ne s'arrta pas. O heureux jour

    que ces jours du martyre ! Alors les poux du Christ, rgnrs dans un second baptme,n'eurent plus craindre pour l'avenir les souillures du pch : ceux qui s'taient humilis

    pendant quarante jours dans le jene et les larmes (2) s'assirent sur des trnes de gloire, et sereposrent dans une flicit qui ne doit plus finir ! O jour heureux, o les prtres de Dieu,

    purifis dans leur propre sang, n'eurent plus besoin des eaux de la pnitence ni du bain deslarmes ! Jour heureux, o ceux qui taient battus par la tempte entrrent dans un porttranquille, l'abri des vents et des orages ! Jour heureux, o les hommes s'affranchirent des

    biens de ce monde et des soins domestiques, o les femmes chrtiennes se virent dlivresenfin de tous ces travaux qui les occupent, et de toutes les sollicitudes de cette vie !

    Ainsi donc, ds qu'on eut appris que la perscution tait ouverte, les chrtiens accoururent detoutes parts, rclamant l'honneur du martyre. On les gorgeait comme des troupeaux : lessatrapes des provinces les plus loignes en avaient rempli les prisons, en attendant l'dit qui

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    permettrait de les mettre mort. Le glaive, enivr du sang des saints, en tait plus altrencore; l'pe, rassasie de leurs chairs, en tait plus avide. Les bourreaux et les martyrstaient galement altrs et affams : le sang coulait flots pour tancher cette soif, une tableabondante tait dresse pour apaiser cette faim. Et les bourreaux et les martyrs se jetaient avecune gale avidit sur ce breuvage et sur ces mets : ceux-ci tendaient la tte au glaive, ceux-l

    aiguisaient le fer; les corps des saints tombaient de tous cts, la mort rugissait, le sangcouvrait la terre, l'enfer tressaillait de joie dans ses abmes.

    On mettait tant de prcipitation dans ces affreuses excutions, qu'on les gorgeait sans aucunexamen pralable, sur le seul nom de chrtien. C'est ainsi qu'un eunuque chri du roi, nommAzades, prit dans la foule des martyrs, aprs avoir confess Jsus-Christ. Quand le roi l'eutappris, il en conut une vive douleur et publia sur-le-champ un dit pour arrter cesexcutions en masse, et prescrire d'informer seulement contre les chefs (1) de la religion deJsus-Christ.

    Cette perscution moissonna une multitude d'hommes, de femmes et d'enfants dont les noms

    ne nous sont pas parvenus, except ceux qui souffrirent le martyre dans la ville royale.Beaucoup aussi taient trangers la Perse et originaires d'autres pays.

    Beaucoup de soldats des armes du roi, qui confessrent glorieusement Jsus-Christ,grossirent aussi le nombre des martyrs (2).

    59 (1) C'est--dire le premier dimanche qui suit pques :Dominica in albis. Les Syriens appellentPentecte nonpas le cinquantime jour aprs Pques, mais les cinquante jours qui s'coulent depuis la rsurrection du Sauveurjusqu' la descente du Saint-Esprit.

    (2) L'dit avait t publi, comme il a t dit plus haut, la fin du carme.

    60 (1) Il faut comprendre sous cette dsignation les vques, les prtres, les diacres, les clercs infrieurs, et aussiles vierges consacres Dieu et les moines. Nous verrons dans la suite de ces actes que ce fut contre euxprincipalement que les percuteurs s'acharnrent.

    (2) Le Martyrologe romain fait mention de tous ces martyrs au 22 d'avril : Le mme jour, martyre de plusieurssaints qui furent immols pour le nom de Jsus-Christ dans toute l'tendue de la Perse, sous le roi Sapor, le jouranniversaire de la passion du Seigneur. Dans ce combat de la foi souffrit Azades, eunuque chri du roi, etc.

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    MARTYRE

    DE SAINTE THARBA ET DE SA SUR, VIERGES, ET DE LEUR SERVANTE

    (L'an 341 de J.-C.)

    Sur ces entrefaites, l'pouse de Sapor tomba dangereusement malade. Les ternels ennemis dela croix, les Juifs, qui avaient toute sa confiance, n'eurent pas de peine lui persuader que lessurs de l'vque Simon, pour venger la mort de leur frre, lui avaient attir cette maladie

    par des pratiques magiques. Aussitt on en dfre au roi, et la vierge Tharba et sa sur,

    comme elle consacre Dieu, ainsi que leur servante, galement vierge, sont arrtes.Conduites au vestibule du gynce du palais, elles comparaissent devant trois juges. Or

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    Tharba tait d'une rare beaut; sa vue gagna soudain le cur de ses juges, et chacun d'euxsongea, l'insu des autres, aux moyens de l'arracher aux prils qui la menaaient. Toutefois,

    prenant un visage svre, ils dirent aux trois vierges :

    Vous avez, par vos enchantements, rendu malade la reine, la souveraine de tout l'Orient;

    vous mritez la mort.

    Tharba rpondit tranquillement :

    Pouvez-vous accuser d'une telle chose des chrtiennes ? Rien n'est plus contraire auxpratiques de notre sainte religion que la magie. Vous ne pouvez pas trouver en nous l'ombred'un crime : cependant, si vous avez soif de notre sang, qui vous empche de le boire ? Sivous vous plaisez tant torturer chaque jour des chrtiens, que ne vous donnez-vous encorece spectacle ? Nous sommes chrtiennes, nous mourrons chrtiennes, et nous garderonstoujours notre foi. Savez-vous ce qu'elle nous prescrit, cette foi ? d'adorer un seul Dieu, et dene lui galer rien de ce qu'il y a au ciel et sur la terre; et, quant aux enchanteurs et aux