L’Origine Des Berbères-Islam-Algerie-Maroc-Tunisie

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RECHERCHESSUR

LORIGINE DES BERBRES

PAR

M. G. OLIVIERAvocat, Ofcier dAcadmie, secrtaire perptuel de lAcadmie dHippone, Membre correspondant de lAcadmie de Caen, etc.,

BNE imprimerie DAGAND, 1867

RECHERCHES

SUR

LORIGINE DES BERBRESEXTRAITS DES BULLETINS N3 ET 5 DE LACADMIE DHIPPONE.

PREMIERE PARTIE. Murs et usages communs aux Berbres et aux anciennes nations tablies dans le bassin oriental de la Mditerrane. I. On saccorde volontiers admettre, aujourdhui, que le Sahara tait primitivement une mer ; que la Tunisie, lAlgrie et le Maroc formaient alors une presqule, dsigne sous le nom de Berbrie, longue bande de terre jointe lEspagne par un isthme situ o sest ouvert depuis le

4 dtroit de Gibraltar. Par contre, le vritable continent africain commenait seulement au pied du Djebel-el-Kamar. Les rcentes et si curieuses observations malacologiques de M. Bourguignat semblent conrmer ces donnes en tablissant que le contour des derniers contreforts mridionaux de lAtlas, ancienne plage de la mer saharienne, a prcisment la mme faune conchyliologique que les ctes septentrionales de notre Berbrie baignes par la Mditerrane. Pour augmenter encore la consistance de cette induction, il resterait constater quune faune peu prs identique se retrouve sur la rive sud de la mer saharienne, rive nord de lancien continent africain. On y arrivera probablement un jour. Dans lhypothse que je viens dexposer sommairement, on suppose aussi que les les composant cette heure le groupe des Canaries et celui des Aores, sont des sommets de montagnes, surnageant au-dessus de labme, de deux continents submergs avec lAtlantide, lpoque mme o, par un mouvement de bascule, un relvement de terrains faisait de la mer saharienne un dsert de sable. Ces continents taient-ils relis lAtlantide, en taientils indpendants ? Daprs leur faune malacologique, M. Bourguignat pense quils en taient indpendants. Quels hommes ont y habit ces contres, alors que la nature les modiait si trangement, ou les ont envahies aprs ces modications, pour former la premire assise de leurs habitants actuels ? Ces hommes taient-ils demeurs rfugis dans tes hauts plateaux de lAtlas que le cataclysme navait pas branls, en admettant que cette rvolution soit le rsultat dun cataclysme et non dun lent travail de, la mature ; se sont-ils empars de la Berbrie aprs lapaisement ? Venaient-ils de loccident travers le

5 dtroit nouveau creus par locan ? sortis de lAsie, comme toutes nos races europennes actuelles, avaientils gagn, travers lgypte et les plages sablonneuses de la grande Syrte, la Berbrie raffermie sur ses bases ; ou bien enn, issus de lancien continent africain, avaient-ils poursuivi jusquau del du dsert la mer qui les avait fui ? Problmes difciles sinon impossibles rsoudre. Cependant, ignorants que nous sommes de ce que lavenir nous garde de lumires inattendues, nous devons marcher courageusement en avant dans la voie de la science, si obscure quelle nous paraisse au dpart. Marchons donc. Quels quaient t les premiers habitants de la Berbrie et quel quait t leur berceau, on les dsigne sous le nom de Berbres, et lon est convenu dappliquer ce mme nom aux Touaregs gars dans le dsert, aux Kabiles tags dans les montagnes de notre province, et enn la plupart des indignes qui, mls aux conqurants arabes, nont pas cess de cultiver les plaines comprises entre Bne, Constantine et Bougie. Cest lopinion de lun des plus studieux investigateurs de lhistoire de notre Algrie, M. le baron Aucapitaine, membre correspondant de lAcadmie dHippone. Quant aux provinces de Constantine et de Bougie, dit-il dans une Notice ethnographique sur ltablissement des Arabes dans la province de Constantine(1), elles restrent, sous la domination des Arabes Riah, la demeure des anciens peuples de race berbre, qui lhabitaient primitivement et que nous y retrouvons aujourdhui.____________________

(l) Recueil de la socit archologique de la province de Constantine, 1865 p. 92.

6 Et plus bas : On peut avancer quil en fut des Arabes autour de Constantine comme des Francks en Gaule; quoique la nation ait gard le nom des envahisseurs, le fond de la population, bien peu dexceptions prs, est presque entirement form par les descendants des vaincus. Daccord sur ce quil faut entendre par Berbres, cherchons do ils procdent. Des esprits, excellents dailleurs, regardent les Ibres et les Berbres comme des dbris de la race atlante qui auraient occup un moment donn la presqule ibrique et son annexe la Berbrie. Jusqu prsent on ne sait rien des Atlantes ; tout point de repre et de comparaison manque; on ne peut donc que conjecturer. Aussi dautres, moins afrmatifs, se bornent-ils supposer quIbres et Berbres sont galement de famille occidentale, mais sans leur prter ni point de dpart ni route dtermins. Rien ne soppose ce quIbres et Berbres soient parents ; la terminaison identique des deux noms pourrait annoncer deux branches dune mme souche ; Berbre pourrait mme signier la rigueur, Ibre du dehors. Mais il ny a l que de bien lgers indices. Quoiquil, en soit, et dfaut de donnes positives, il serait naturel, si lon devait sen tenir la ressemblance des noms, daflier les Ibres du continent hispanique aux Ibres du Caucase. Ceux qui, priori, veulent quIbres et Berbres aient eu pour berceau louest de lEurope, appuient leur supposition principalement sur les deux faits suivants : dune part, quil existe sur la cte africaine des dolmens, monuments propres aux races occidentales ; de lautre que la langue berbre na pas danalogues en Asie. Lexistence des dolmens en Afrique

7 semblerait en effet relier les Berbres aux Celtes, ou mme une race antrieure ceux-ci, race que leur invasion en Europe aurait parpille et projete partie au nord et lest de lEurope, partie, peut-tre, sur la cte africaine. Rien jusquici ne dment ou ne conrme ces hypothses ; rien surtout ne permet encore de prjuger quelle dure et quel caractre aurait eus, sur notre sol, le sjour de ces btisseurs de dolmens: lafnit linguistique du berbre aurait plus de porte, mais, cette heure, personne que nous sachions na os se prononcer sur sa liation glossologique. Quimporte au surplus que dans les veines des populations berbres il conte ou non quelques gouttes plus ou moins altres de sang atlante ou ibrique ? Tant de sicles se sont couls depuis le temps o lIbrie et la Berbrie se touchaient par listhme de Gibraltar ! tant de peuples se sont, depuis lors, choqus, superposs, mls sur tous les bords de la Mditerrane, quil est bien malais de rien entrevoir dans les profondeurs de ce pass anttraditionnel. Dailleurs, un peuple nexiste que du jour o il forme une socit ; cest--dire du jour o il adopte une langue, des coutumes et des usages communs. Je nomme la langue la premire, Comme llment le plus srieux. Aussi me proposais-je de faire de lidiome: de nos indignes la matire dune tude spciale et dun article part. Aujourdhui je veux seulement examiner de quels peuples anciens, les indignes qui mentourent et au milieu, desquels je vis depuis tout lheure vingt ans, se rapprochent plus particulirement, par les traits du visage, les usages et ses habitudes. Cest lobjet du prsent travail, et voici quelle, occasion jen ai conu la pense.

8 II. Le 27 octobre 1865, javais dfendre aux assises de Bne un indigne de la tribu des Beni-Ameur, Ahmedben-Ali, accus dun meurtre commis dans les circonstances suivantes, Le 25 mars prcdent, les gens de sa tribu avaient achet en commun une vache pour la tuer le lendemain prs dun guier vnr sous lequel repose le marabout Sidi-Embarek. Ctait un sacrice quils faisaient pour obtenir de la pluie, et presque tonte la tribu y assistait. Limmolation accomplie, on se partagea les chairs de la victime qui furent consommes pris du saint tombeau ; puis on mit la peau aux enchres. Cest alors quune querelle surgit entre deux familles, et quAhmedben-Ali, attaqu par six adversaires, assna sur la nuque de Messaoud-ben-Amar un coup de bton dont celui-ci mourut la nuit suivante. Le matin mme de laudience o je devais plaider cette cause, je faisais brler des herbes herses dans un champ quon allait labourer. Le jour venait de natre ; la brise de mer ne soufait pas encore ; une large colonne de fume blanche et demi-transparente slevait doucement et droit au-dessus du foyer et allait se rpandre dans le ciel. Lesprit tourn sans doute vers les ides de culte et dholocauste par laffaire qui mtait cone, je songeais, en contemplant ce spectacle, que ces ocons de fume perdus dans les airs avaient pu suggrer nos premiers pres la pense dune relation par le feu entre la terre et les cieux, dune sorte de message envoy aux puissances divines, et enn celle mme du sacrice, cest--dire de loblation sous une forme sensible dtre vivants rduits en prire.

9 La premire impression de lhomme en face des violences de la nature dut tre celle de la terreur ; frapp par les orages, les dluges, les convulsions volcaniques, il dut se demander ncessairement ce que lui voulaient ces puissances malfaisantes, et sil savait pas irrit a son issu les matres de la vie. De l le sentiment de lexpiation, de la supplication tout au moins, et, par suite, la pense du sacrice. Aussi la gense brahmique dit-elle : Ltre suprme produisit nombre de Dieux, essentiellement agissants, dous dune me, et une troupe subtile de Gnies; et le sacrice fut institu DS LE COMMENCEMENT (Lois de Manou, I. 22). Aussi le sacrice, cest--dire loblation par le feu, a-t-il laiss des traces non-seulement dans la tradition, mais mme dans lhistoire de presque tous tes peuples. Il ny a que des nations arrives la priode philosophique, soumises des institutions purement morales comme celles de Koung-fou-tss et de Lao-tsseu, ou utilitaires comme celles de lgypte, ou ractionnaires comme celles de Bouddha, qui aient supprim le sacrice ; mais partout o domine un rite rvl, le sacrice subsiste, diffrant seulement par le choix des victimes et le but de limmolation. Il est probable que partout la victime a d, dabord, tre lhomme lui-mme. Sans parler des Amricains, chez qui le christianisme seul a dtruit le sacrice humain, des races ngres chez plusieurs desquelles il est essore en pleine vigueur, sous le retrouvons une poque relativement rcente, chez, les Celtes et dans tout le rayon kimrique, chez les premiers Romains eux-mmes et chez toutes les races syro-chaldennes. La Bible elle-mme nous en rvle un cruel exemple. dans limmolation dIsaac que Dieu exige dAbraham. Il est vrai que la substitution du

10 blier semble indiquer la transition qui sopre alors dans les rites et les murs ; cependant les massacres de Cananens, de Madianites et de tant dautres, gorgs par milliers sur lordre exprs du dieu des Hbreux, pourraient bien passer bon droit pour des sacrifices humains. Du quinzime au treizime sicle avant notre re, la tradition et la posie nous montrent le sacrice humain oblatoire tabli en Tauride ; mais chez les Hellnes il a chang de caractre. Achille gorge, il est vrai, douze jeunes Troyens sur le bcher de Patrocle ; mais ce nest plus une offrande aux dieux, cest une vengeance, une rparation aux mnes de son ami ; et encore ne faut-il. pas oublier quHomre, en. parlant de ce meurtre, dclare que le ls de Ple avait rsolu dans son me de commettre urne mauvaise action. Outre ces doutes victimes humaines, Achille fait jeter dans le bcher de Patrocle quatre chevaux, deux chiens nourris de sa table et sa propre chevelure. Chez les Sarmates galement, on brlait avec un chef ses femmes, ses esclaves, ses chevaux et ses chiens ; mais, je le rpte, ce ntaient plus l des holocaustes offerts aux dieux ; ctaient ou des compagnons quon donnait au hros dans la mort, ou des gages de scurit assurs au hros vivant contre les entreprises des siens. Lusage des femmes indiennes de se brler avec leur poux na-t-il pas le mme sens ? En tout cas, dans lInde, cette comburation de la femme tait volontaire. Parmi les sacrices oblatoires et dprcatoires du culte brahmique, le plus solennel tait celui dun cheval, lawsameda, o la victime tait consume tout entire en lhonneur des dieux. Mais le livre de

11 Manou (liv. V.) appelle galement sacrice toute immolation dun tre vivant destin la nourriture, et il nen excuse le meurtre que sous le mrite des formules offertoires qui laccompagnent. Ce nen est pas moins l une face nouvelle du sacrice, devenu purement utilitaire, quil est essentiel de remarquer. Chez les Hellnes, sous le rgime hroque, il nen existe plus dautre. Les victimes sont le plus frquemment prises parmi tes btes de boucherie. Cest le chef de dme ou de famille qui tient le couteau sacr. Une trs-minime partie est brle a lintention des dieux ; le reste est livr aux assistants qui sen nourrissent. Chez tes Hbreux du Pentateuque, au contraire, le sacrice est presque entirement oblatoire, cest--dire que la presque totalit de la victime est consume et une faible portion seulement rserve pour le prtre. Le sacrice dune vache, accompli par les BeniAmeur, sans intervention sacerdotale, avec les circonstances que jai dites : offrande dprcatoire, pour obtenir de la plaie, et partage de la chair entre les assistants qui la consomment, na, on le voit, aucun rapport avec les sacrices hbreux, celtiques ou slaves ; il reproduit, au contraire, exactement la formule du sacrice hellnique, avec cette teinte gyptienne que la vache en gypte tait prcisment consacre a Isis, desse de la pluie. (Diod., de Sic., liv. I, 2). Isis, en effet, de qui relevait leau et la terre, tait la lune dans le mythe cosmologique des gyptiens, et lon sait quelle inuence le vulgaire attribue encore la lune sur la pluie et la vgtation. III. Sans doute, ce fait dun usage mythologique, nuanc

12 de rite hellnique et de croyance gyptienne, subsistant au milieu de populations musulmanes, ne sentait lui seul, quelque remarquable quil soit, rien impliquer touchant lorigine de nos Berbres. Lgypte et aprs elle sa parente lHellnie ont eu des relations incessantes de commerce et de colonisation avec le nord du connent africain, et il est naturel de retrouver des traces de ces relations dans les coutumes de nos indignes. Aussi avant den rien prjuger, il faudrait trier, en quelque sorte, tous les usages de nos indignes ; et dans les traits de ressemblance quon y dcouvrirait avec ceux des anciennes nations de lOrient mditerranen, il faudrait discerner ceux qui ont pu natre fortuitement de conditions de vie identiques, de ceux qui sont vraiment traditionnels. Parmi ces derniers encore faudrait-il essayer de dterminer ceux qui sont de premire ou de seconde, main, et dmler enn une a une les coutumes imposes aux habitants de lAlgrie par lislam, Rome ou Carthage, la Grce ou lHellnie et les autres races qui sy sont tour tour assises on superposes. Tel est, en effet, le but auquel je tends ; et pour puiser lordre dides qui me proccupait tout a lheure, jen reviens aux habitudes rappelant danciens rites religieux. Si je ne craignais pas de pousser un peu foin lhypothse, jinclinerais penser, par exemple, que lhabitude de jeter les marabouts sans la mer on dans les rivires lorsque la scheresse se prolonge, est un vestige bien fruste, bien effac, mais pourtant reconnaissable encore, des sacrices humaine qui, je viens de le dire, ont souill tant de parties de lancien monde durant la priode titanique, et mme plus tard sous lempire des cultes cosmologiques et anthropomorphiques.

13 Or, ce mot de titanique me rappelle linstant une autre coutume de nos Arabes, o gure leur Chitann qui nest autre, ce me semble, que le Titan hellnique, le Satan smitique et le ntre. Lorsquils sont atteints dune maladie dont la diagnose chappe leurs mdecine, ce qui est frquent, ils lattribuent invariablement linuence de ce Chitann tour tour considr, dans les religions ou les initiations antiques, comme lami ou lennemi de lhumanit. Ils lui immolent un coq noir; si Chitann manie la victime, la maladie sen va ; si; au contraire, loffrande est ddaigne la maladie persiste. Combien de Kabiles mont afrm avoir vu Chitann manger le coq ! Les femmes indignes ont galement, dit-on, des pratiques bizarres et mystrieuses comme celles des Thesmophories. L aussi il y a des immolations de poules rouges on noires, gorges avec des formules traditionnelles. Elles ont des philtres composs pour faire perdre la raison, et dautres pour procurer des avortements. En 1849 jai vu traduire devant le conseil de guerre de Bne, une magicienne des Beni-Urgines (ainsi sexprimait la procdure), avec loncle et la mre dune jeune lle laquelle o avait fait prendre, dans le but de la faire avorter, un breuvage o entrait du crapaud et de la couleuvre crass. Pour que le remde oprt, il fallait quau moment o la patiente prenait ce philtre, elle ft couche terre, avec une pierre sur le ventre. Ce crmonial avait t scrupuleusement observ et la malheureuse en tait morte aprs daffreux vomissements. Ces sacrices, ces philtres, ces breuvages au jus de reptile ne rappellent-ils pas non-seulement 1a Thessalie, mais lgypte si habile dans lart des parfums et des potions ?

14 Avant de rechercher les autres points par o nos Berbres se rapprochent des races orientales, il nest pas sans intrt dobserver tout dabord que sur ces hommes, dont la vie est si peu complique et par consquent presque immuable, les impressions les plus anciennes sont celles qui demeurent les plus accentues et les plus vives. A ce compte, ce seront ncessairement les derniers venus qui marqueront le moins. Aussi laction des Romains et des Grecs proprement dits sur la race africaine, quoique sensible encore, est-elle toute extrieure ; cest dans le costume, les outils de travail et les habitudes y affrentes quil faut la chercher. Les vtements de nos indignes, quils conservent comme Priam (Il, XIII) et Ulysse (Odys., II), dans des coffres saturs dessence de rose, semblent copis sur les peintures antiques de l grande Grce, de Rome ou de la Thbade. La gandoura brune bandes jaunes que portent nos traquants et spcialement les Tunisiens, rappelle la Paragauda retrace dans la fresque de saint Jean de Latran. LEudjar, ou voile dont les femmes se couvrent le visage, semble lhritier lgitime de la Kalyptra grecque ; et le Chichia, du Pileolus ou Pilidion. Lorsquun de nos fellahs dcoupe une paire dElga mme une peau de buf, on croit voir Eume se taillant des sandales dans la dpouille dun buf agrablement colori (Od., XIV); et lorsque ce mme fellah laboure, dpouill de son burnous et vtu dune simple tunique blanche borde dun large liser rouge, on le prendrait volontiers pour un de ces alticincti dont on retrouve limage dans le Virgile du Vatican, ou pour un de ces gyptiens dont le costume ; daprs Hrodote, consistait en une tunique de toile et un manteau de laine blanche. (Eut., 81.)

15 La charrue arabe est encore lAratron des Grecs ; le soc y est plac de mme, plat, la pointe du dentale. La harnais dun mulet arabe reproduit exactement celui de la ble de somme dessine dans les ruines dHerculanum : cest le mme bt retenu devant par lantilena, et derrire par la sangle demi-ottante qui bride et blesse les cuisses de lanimal. Les vases de terre cuite que fabriquent nos potiers indignes sont models sur les diffrentes formes dampulla recueillies dans les ruines de Rome ou les fouilles de Pompi Le cadus entrautres, avec son goulot troit et sa base termine en pointe, sert ici mettre de lhuile. Dans un article insr notre dernier bulletin, un de nos correspondants, archologue plein de zle et dtude, M. le cur de Duvivier, a dmontr que la mouture du bl et de lhuile se fait exactement aujourdhui comme sous la domination romaine. Seulement est-ce aux Berbres ou aux Romains quappartenaient ces procds de fabrication ? Peu importe la question qui nous occupe. Ce qui demeure acquis, cest que beaucoup de vtements, de vases, dustensiles de mnage, ont gard des priodes romaine et grecque la forme quils ont encore aujourdhui. IV. La. part de rapprochements et de souvenirs que peuvent revendiquer les Hellnes (jentends par l les Grecs sous le rgime hroque et un peu au, del) est bien, autrement importante que celle de leurs successeurs. Leur inuence sur les coutumes de nos indignes se reconnat encore de nombreuses traces. Maintenant, ces murs communes proviennent-elles toutes du commerce direct

16 que les Hellnes ont eu avec nos Berbres, ou bien de ce que les uns et les autres ont puis la mme source, lgypte ? Il y a l un partage assez difcile faire. Toutefois, comme durant lexpansion coloniale, favorise par la constitution du dme fodal, presque toutes les plages de la Mditerrane ont t visites par les navires hellnes ; que plus tard, au VIIe sicle avant J.-C., le dveloppement de Cyrne et de ses annexes les a mis en rapport incessant avec les Libyens, il est hors de doute que leur action directe a d tre considrable. Lhistoire, du reste, nous apprend que les Asbytes, les Auschises, les Cabales staient appropri la plupart des coutumes des Cyrnens. (H., Melp., 170, -171.) La tradition ajoute : que les Argonautes mmes avaient li commerce avec les Machlyes et les Anses tablis au fond de la petite Syrte. (H. 179.) Et, en ralit, que de ressemblances encore ave les Hellnes ! Dans la prface de sa Grammaire, Tamachek, M. Hanoteau a consign les quelques renseignements quil a pu recueillir sur les masures des Imouchak ! Toutes sommaires que sont ses notions, elles sont prcieuses aux rapprochements que jessaye. Jy puise tout dabord (P. XXV) quelques lignes sur les razzias ou expditions partielles que les Touaregs oprent autour deux : Souvent en querelle entre eux et en hostilit pour ainsi dire permanente avec leurs voisins, ils font ces derniers une guerre de ruse et de surprise, o tout lhonneur est pour celui qui, sait le mieux tomber limproviste sur lennemi et lui enlever ses troupeaux. La gloire ne se mesure pas la rsistance vaincue, mais la richesse du

17 butin et ladresse avec laquelle on a tromp 1a vigilance de son adversaire. Dans ces razias soudaines, malheur aux vaincus ! Les hommes sont extermins sans piti, les femmes violes et souvent mutiles pour leur arracher plus vite leurs bijoux. On gorge les moutons et les chvres, et leurs chairs dsosses sont entasses dans des sacs; les ngres seuls et les chameaux trouvent grce devant le vainqueur, qui les ramne en triomphe dans son pays. Rapprochons de ce passage le rcit fait par Ulysse de lune de ses expditions. Au sortir dIlion, dit-il, le vent me pousse Ismare, sur les ctes des Ciconiens. Je saccage la ville, je dtruis le peuple ; nous partageons les femmes et les nombreux trsors que nous ravissons dans ces murs. Personne ne peut me reprocher de partir sans une gale part de butin (Od., IX). Ces deux tableaux ne sont-ils pas identiques ? Chez les Touaregs comme chez les Hellnes, la guerre nest le plus souvent quun moyen dacqurir. Un hros hellne aurait t fort mal vu de son dme, sil navait pas entrepris, de temps autre, de ces coups de main pour procurer lui-mme et aux siens des esclaves, des mtaux et des tissus. Ce, ntait pas la gloire que lHellne non plus que lAmachek recherchait dans ces brigandages, ctait le prot ; lessentiel tant de russir, la fourbe et la ruse y valaient autant que la force. Aussi, les exploits dUlysse vont de pair dans Homre avec ceux dAchille. Lorsque le ls de Larte se rvle lui-mme aux Phaciens, il commence en ces termes : Tous les hommes connaissent mes stratagmes ; ma gloire est monte jusquau ciel. (Od. IV). Minerve elle-mme sourit avec

18 bienveillance aux mensonges dUlysse. Il est vrai que Minerve est une divinit berbre ne sur la rive du Triton. Ce souvenir de Minerve me conduit un rapprochement de quelque porte. Dj, dans un article insr dans la Seybouse du 3 aot dernier, jai mis lopinion, sur laquelle je reviendrai plus tard, que, par les habitudes de leur langage, nos aborignes tenaient plus des Indo-europens que des Smites; le mme rapport se signale dans leurs tendances religieuses. Je mexplique. Daprs M. E. Renan, dans son Histoire gnrale des langues smitiques (p. 3 et suivantes), un caractre qui distingue les Smites entre tous les autres peuples, cest la forme de leur ide religieuse presque absolument monothiste, hostile au panthisme et aux mythologies cosmologiques ou anthropomorphiques, qui appartiennent au contraire en propre aux nations aryennes. Les cultes vraiment smitiques, dit lminent professeur, nont jamais dpass la simple religion patriarcale... La faon nette et simple dont les Smites conoivent Dieu, spar du monde, nengendrant point, ntant point engendr, nayant point de semblable, excluait ces grands pomes divins o lInde, la Perse, la Grce ont dvelopp leur fantaisie, et qui ntaient possibles que dans limagination dune race laissant otter indcises les limites de Dieu, de lhumanit et de lunivers. L mythologie, cest le panthisme en religion ; or, lesprit le plus loign du panthisme, cest assurment lesprit smitique. Quil y a loin de cette troite et simple conception dun Dieu isol du monde, et dun monde faonn comme un vase entre les mains du potier, la thogonie indo-europenne, animant et divinisant la nature, comprenant la vie comme une

19 lutte, lunivers comme un perptuel changement, et transportant, en quelque sorte, dans les dynasties divines la rvolution et le progrs. Si, dune part, on admet le monothisme somme un penchant spcial et tranch de la conscience smite, tandis que le polythisme serait une expression propre du gnie aryen ; si, dautre part, on compte au nombre des berbres les populations libyques tablies autour des deux Syrtes, il sensuivra que, par ce ct encore, les Berbres scarteraient des Smites et se montreraient non moins Ariens que leu Hellnes, les Slaves et les Germains. Car Hrodote fait natre parmi eux plusieurs des divinits intronises dans lolympe : Neptune, Tritonis et Minerve entre autres. Mais, peu; importe et le nom et le nombre ; il sait que lesprit libyque acceptt des dieux anthropomorphiques et surtout des desses, ide abhorrente aux Smites, pour trahir la parent des Berbres avec la famille aryenne. Voil donc des dieux dorigine libyque obtenant droit de cit chez les Hellnes ; plus tard, les traditions religieuses de ces derniers prennent galement cours chez leurs voisins libyens. La disposition desprit est la mme des deux cts. Il est un autre trait de caractre par o les Berbres se rapprochent pareillement des Hellnes, cest par linstinct dmocratique ; car le sentiment de la dmocratie existait dj en Grce, mme sous les rois. Pour peu quon tudie avec attention lOdysse et mme lIliade, on reconnatra que le dme formait auprs du hros un pouvoir dlibratif souvent prpondrant. Tlmaque dfend grandpeine son sceptre et son autorit contre le dme ithacien ; et si Hector ou Mnlas stonnent de lintervention du peuple dans les affaires du jeune hros, ce nest pas comme dun

20 empitement nouveau et contraire au droit politique de lpoque, mais comme dun ingrat oubli des bienfaits et de la bont dUlysse. Dans lagora militaire, fait plus signicatif encore, tous les guerriers avaient galement voix consultative, sauf aux chefs prendre le dessus et diriger les votes. Parmi les Doriens surtout, on retrouve coexistants trois lments qui semblent contradictoires et qui pourtant se mariaient sans difcult dans leur pense : un amour profond de la dmocratie, des chefs hrditaires et nonseulement des esclaves, mais des serfs, car les vaincus dHlos taient plutt des serfs que des esclaves. Le mme sentiment dmocratique se retrouve encore vivant chez nos Kabiles. Chez eux, la constitution de la commue rappelle celle du dme, et leurs miaad (mot o se rencontrent les formatives du mot dama), les agoras hellniques. Mais ce qui rend le rapprochement plus frappant, cest que ce dmocratisme coexiste chez les Touaregs, comme chez les Doriens, avec les mmes circonstances de chefferies hrditaires et dilotisme. Un fait qui domine tout ltat social des Imouchak dit M. Hanoteau, cest lexistence parmi eux dune aristocratie de race. Les tribus se divisent en tribus nobles ou Ihaggaren, et tribus vassales ou tributaires, sous le nom gnrique dImkad Cet tat de choses parait remonter trs-loin dans le pass, et seigneurs et vassaux ont perdu le souvenir de son origine. Les Imkad sont les descendants dune nation vaincue Pour assurer leurs privilges et maintenir des ingalits sociales si contraires aux instincts naturels de leur race, les tribus nobles ont d, ds le principe, se donner

21 une forme de gouvernement qui permt un chef unique de concentrer leurs forces et de runir leurs efforts contre les tentatives dindpendance du peuple opprim. Aussi la constatation politique du pays est-elle une espce de monarchie fodale dans laquelle le roi gouverne avec lassistance et probablement aussi sous la pression des chefs des principales tribus nobles. Lautorit royale... est dailleurs fortement tempre par les murs dmocratiques qui distinguent en gnral la race berbre. Ce tableau de la situation politique des Imouchak ne semblet-il pas une peinture de-la constitution lacdmonienne ? Avant le mariage, poursuit ai: Hanoteau, les jeunes lles jouissent dune libert que lon peut juste titre qualier dexcessive. Elles se mlent sans contrainte la socit des hommes et ne prennent nul souci de cacher leurs prfrences ou leurs amours... Ces escapades ne nuisent en rien la. rputation des lles et ne les empchent pas de trouver des maris. A lexcs prs, voil une facilit de murs qui rappelle non-seulement les habitudes anglaises, mais aussi celles des Hellnes , parmi lesquels la jeune lle jouissait dune libert quelle perdait en se mariant. Entre les coutumes des anciens peuples, il faut en gnral compter au nombre des plus caractristiques celles relatives au mariage et aux rapports sociaux de lhomme et de la femme. En ce qui concerne le mariage, je ne sais pas exactement ce qui se pratique chez les Touaregs. Lusage dacheter la femme existe chez les Kabiles, mais il existe aussi chez les Arabes, et il ny a donc pas de consqueuces rigoureuses tirer de ce rapprochement. Car si nous trouvons ce singulier contrat en vigueur

22 parmi les Smites-Hbreux, si dans la Bible le serviteur dAbraham achte Rebecea Bathuel et Laban moyennant de trs-riches prsents, si Jacob achte ses deux femmes Lia et Rachel au prix de quatorze ans de travail, nous le retrouvons galement parmi les Grecs dHomre. Chez les Hellnes, avant le sige de Troie, lpoux, sans payer prcisment sa ance, faisait au pre et surtout elle-mme des dons plus ou moins considrables qui lui constituaient une dot. Climne, sur dUlysse, est marie un habitant de Samos gui comble ses parents de dons innis (Od., I5). Hector ne reoit la main dAndromaque quaprs avoir fait de grands prsents etion (Il., 22). Iphidamas, dit ailleurs Homre, meurt loin de sa jeune pouse sans avoir pu lui montrer sa reconnaissance par de nombreux prsents : car il ne lui a encore donn que cent bufs; et parmi ses innombrables troupeaux de chvres et de brebis, il avait promis den choisir mille (Il., 11). Ces prsents, prix de la femme elle-mme, se nommaient chez les Grecs edna. La dotation de la femme indigne, achete par le futur pour une somme dbattue, est-elle autre chose que ledna hellniques ? Lorsquune femme indigne est rpudie par son mari sans motif srieux, elle garde sa dot ; si, au contraire, elle a mrit ce mpris par sa conduite, elle la restitue. Lorsque Vulcain a pris au let Mars et Vnus. et quil appelle les dieux venir rire et sindigner : Mon pige et mes lacs les retiendront, dit-il, jusqu ce que le pre de Vnus mait rendu les riches prsents dhymen que je lui ai faits cause de limpudente pouse dont linconstance

23 gale la beaut. Les dieux ajoutent : Vulcain a raison, il obtiendra lamende due pour ladultre (Od., liv..8). Au livre II du mme pome, au contraire, lorsque les prtendants pressent Tlmaque de renvoyer Pnlope son pre : Antiaos, rpond le prudent ls dUlysse, si je renvoie ma mre de ma demeure malgr ses dsirs... jaurai la douleur de rendre Icare de nombreux prsents. Il y a deux faits graves constater dans cet exemple dabord lobligation de rendre la femme ses prsents lorsquon la rpudie sans quelle ait dmrit, et, en second lieu, le pouvoir qua le ls an, chef de famille, de renvoyer, mme malgr elle, sa mre, ses parents. Une femme de mon voisinage grondait son ls an qui lui avait dit une, injure ; le pre arriva furieux et commanda au ls de battre sa mre, tant la prdominance de lhomme sur la femme est constitutive de la famille arabe. Or, Tlmaque qui tout lheure pouvait, sa guise, ou renvoyer sa mre, ou la marier, avait aussi autorit pour lui enjoindre publiquement de se retirer dans ses appartements. A la brutalit prs, nest-ce pas le mme sentiment ? Je terminerai ce qui me reste dire ce sujet en signalant un autre trait de ressemblance. Lorsque Achille donne des jeux funbres aprs, la mort de Patrocle, il offre comme prix de la troisime lutte un large trpied que les Grecs estiment douze taureaux, et ensuite un bassin couvert de eurs sculptes de la valeur dun buf. Cet usage demployer le buf et la vache comme

24 valeur dchange est commune aux Arabes. Un de nos Drid me disait un jour: On reproche ma femme des lgrets, mais peu mimporte ; elle fait trs-bien le couscoussou, et dailleurs elle ma cot vingt-quatre vaches que jaurais bien de la peine ravoir. Je ne men dferai pas Iphidamas, que nous citions tout a lheure, navait-il pas lui aussi achet sa femme moyennant un nombre dtermin de ttes de btail ? Il semblerait videmment rsulter de ces exemples que les Arabes auraient plus de points de contact avec les Grecs quavec les Hbreux, lendroit des habitudes et des conditions de lunion conjugale, telles que les a rgles le Coran. Cependant je nhsite pas penser que lachat de la femme est plus Smite quAryen. Mais ce qui diffrencie essentiellement la socit berbre de la socit arabe, cest le rle que la femme joue dans lune et dans lautre. Consultons ce sujet M. Duveyrier. Nous choisirions difcilement un meilleur guide. Chez les Touareg, dit-il, la femme est lgale de lhomme, si mme, par certains cts, elle nest dans une condition meilleure. Jeune lle, elle reoit de lducation. Jeune femme, elle dispose de sa main, et lautorit paternelle nintervient que pour prvenir des msalliances. Dans la communaut conjugale, elle gre sa fortune personnelle, sans tre jamais oblige de contribuer aux dpenses du mnage, si elle ny consent pas... En dehors de la famille, quand la femme sest acquis, par la rectitude de son jugement, par linuence quelle exerce, sur lopinion, une sorte de rputation, on ladmet volontiers, quoique exceptionnellement, prendre part aux conseils de la tribu. Libre de ses actes, elle va o elle veut, sans avoir

25 rendre compte de sa conduite, pourvu que ses devoirs dpouse et de mre de famille ne soient pas ngligs. Lauteur des Touareg du Nord achve cette peinture par un tableau comparatif de la vie de la femme berbre et de celle de la femme arabe : dun ct cest la dignit de la mre de famille, de lautre lasservissement de lesclave (p. 339). Plus loin, dans son chapitre intitul Caractres distinctifs, M. Duveyrier rappelle : Dans lancienne gypte, daprs Diodore de Sicile (liv.I, ch. XX), la femme pouvait, par contrat de mariage, se rserver lautorit sur son mari, mme entre reine et roi, lanalogie intressante qui sharmonise fort bien ce que nous exposons nous-mme dans ce travail, et quil est bon de ne pas oublier. Mais si par ce ct le courageux et rudit voyageur rapproche les Berbres des Couschites, il noublie pas une autre face du rle de la femme, qui les assimile nos Galls, ces redoutables envahisseurs que leurs femmes encourageaient au combat et animaient par des chants guerriers. Outre leurs dispositions naturelles la bravoure chevaleresque, les Touareg sont encore sollicits lhrosme par leurs femmes, qui, dans leurs chants, dans leurs improvisations potiques, trissent la lchet et glorient le courage. Un Targui qui lcherait pied devant lennemi et qui par sa dfection compromettrait le succs de ses compagnons darmes, ne pourrait plus reparatre au milieu des siens. Aussi est-ce sans exemple. Entre Touareg, quand deux partis en sont venus aux mains et que lun deux est battu, les vainqueurs crient aux vaincus, de ce cri sauvage qui leur est particulier :

26 Hia, hia ! hia, hia ! Il ny aura donc, pas de rebaza ! Le rebaza est le violon sur lequel les femmes chantent la valeur de leurs chevaliers. A la menace du silence du rebaza, les vaincus reviennent l charge, tant est grande la crainte du jugement dfavorable des femmes. Jessayerai plus tard de dmler si ce trait dunion entre les Berbres et les Galls tient une communaut dorigine ou au long contact des Ibres et des Celtes dans le midi de la France. Les mmes habitudes de bienveillance qui attachaient souvent lesclave au hros, comme le montrent Eume et Eurycle, existaient parmi les Arabes, o il ntait pas rare dentendre le matre appeler lesclave : Koua ! Mon frre ! Cest ainsi que Tlmaque appelle Eume. M. Duveyrier constate que le mme sentiment a persist chez les Berbres. L, presque tous les Touareg nobles et riches, ditil, ont des esclaves ngres du Soudan amens par des caravanes, et aujourdhui vendus vil prix dans le pays ; quelques serfs en possdent aussi... Lesclavage, chez les Touareg comme chez tous les peuples musulmans, est trs-doux et na rien de commun avec le travail forc des colonies. Dans la famille musulmane, lesclave est trait par son matre avec les plus grands gards, et il nest pas rare de voir lesclave se considrer comme un des enfants de la maison. V De tous les rapprochements qui relient nos Arabes

27 algriens lantiquit orientale, le plus remarquable, cest lidentit de leur musique avec la musique grecque ; identit qui ne peut provenir chez deux races diffrentes que de leur long contact ou de leur communaut dorigine. Cent fois, dans les cafs maures, sur les marchs, prs des marabouts, javais entendu chanter des airs indignes, et javais essay den noter plusieurs. Mais labsence de tonalit, au moins de celle laquelle mon oreille est accoutume, me gnait et marrtait. Ces mlodies, trs-varies dailleurs, ne reposaient videmment pas sur notre systme musical. Tantt les voix des chanteurs accentuaient des phrases nettement rythmes, mais sans cadences harmoniques; tantt elles se tranaient mollement, enharmoniquement, dun intervalle un autre fort lev ; mais il tait ais de reconnatre que ces enjolivements taient comme des chappes en dehors du chant, qui se renfermait toujours dans une gamme plus restreinte que la ntre. Lorsque des instruments soit cordes, soit vent, jouaient paralllement ce chant, ils se livraient de leur ct des carts dune entire indpendance. Parfois; il est vrai, ils rptaient simplement le motif du chant ; mais le plus souvent, ils battaient des trilles effrns, se perdaient dans des traits capricieux, jetaient au hasard des roulades et des sries de notes glisses. Tout cela napprochait pas plus dun accompagnement harmonique que ne le ferait le ramage de plusieurs oiseaux roucoulant au printemps, dans un mme bocage, chacun selon son espce. Il y avait cependant ce chant un accompagnement vritable ; ctait celui dinstruments percussion, sons mats et neutres ; ctait un frappement de tambour, un

28 battement de mains continu, marquant le rythme avec nuances de temps forts et faibles. Ainsi saccompagnaient les gyptiens qui, se rendant Bubaste, remontaient le Nil en chantant (Her., II, 60). A force dcouter, il devint vident pour moi que cette musique bizarre, folle en apparence, et qui cependant passionnait vivement les auditeurs, tait sur de la musique grecque et de notre ancien plain-chant, qui, non plus quelle, ne connaissaient lharmonie et avaient pour base, non la gamme diatonique dtermine par Guy dArezzo, mais tous les modes enfants par les divers ttracordes et hexacordes de la mlope antique. Les instruments eux-mmes en usage parmi les Arabes, rappellent exactement ceux de la Grce, de lgypte et de la Jude. La cithare hellnique, mentionne par Homre dans lhymne a Mercure, ne diffre pas de la kithara on kouitra arabe. La djouah ou te en roseau est le monaulos ou la te trois trous des anciens. Le Thar, dof des Hbreux et le bendir, le derbouka, latambor, latabal, tambours divers avec ou sans supports creux, avec ou sans anneaux de mtal, se retrouvent dans les peintures antiques. Le fre arabe est la tibia gingrina des Latins. Le kanoun rappelle la harpe de David et le kinnira grec ; cest un perfectionnement de la lyre et du psaltrion, un premier essai da clavecin. Lorsquen 1863 M. Salvator Daniel eut t reu membre de notre Acadmie dHippone, je lui touchai quelques mots de ces observations recueillies depuis mon arrive en Afrique et des conclusions que jen tirais ; il menvoya en rponse une brochure quil venait de publier sons le titre de : La musique arabe et ses rapports avec la musique grecque et le chant grgorien.

29 En effet, M. Daniel son-seulement admettait lanalogie des deux systmes musicaux, mais il en prouvait lidentit en rapprochant des modes grecs anciens au moins les huit premiers modes arabes, ayant pour base des ttracordes pris dans notre gamme sans dplacement des demi-tons. Ainsi pour lui le mode dorien des Grecs, premier ton du plain-chant grgorien, est exactement le mode irak, premier mode de la musique arabe. Le lydien, troisime ton du plain-chant, correspond au deuxime mode arabe, le mode mizmoun ; etc.(1). Donc plus dhsitation possible. Lantique mlope, dont nous ne connaissions gure que la thorie, se retrouve vivante dans le chant et linstrumentation indignes. Voil un rapprochement complet et tout autrement signicatif que ceux signals jusquici. Nous verrons tout lheure quelle porte il faut lui attribuer. VI. Quant aux Phniciens et leur colonie panique, sauf probablement lusage de lcriture, ils ont peu appris aux____________________ (1) Voici, daprs K. Daniel, le tableau tablissant les relations des huit modes arabes, avec ceux des Grecs et ceux du plain-chant. Arabes. grecs. Plain-chant. 1er mode. irak, dorien, 1er ton. 2e mode. mizmoun, lydien, 3e ton. 3e mode. edzeil, phrygien, 5e ton. 4e mode. djorka, olien, 7e ton. 5e mode. Isan, hyperdorien, 2 ton. 6 mode. saka , hyperlydien, 4e ton. 7e mode. mea, hyperphrygien, 6 ton. 8e mode. rasd-edzeil, hyper-mixo-lydien, 8 ton.

30 Berbres ; et cela se conoit. Essentiellement traquants, ils ne cherchaient pas faire lducation de leurs voisins; leurs tablissements taient des comptoirs de commerce, et leurs voisins indignes ntaient pour eux que des producteurs ou des ouvriers. Seulement sur les marchs phniciens venaient aussi sans doute dautres peuples de lAsie-Mineure ou de lAsie euphratique. A ces touristes lidyens ou aramens, jattribuerais volontiers les murs des Ouled-Nayl. On sait, en effet, que cette tribu a gard la mme facilit de murs quHrodote prte aux femmes de Babylone et de Sardes, et je crois quelle y procde du mme principe : lintrt commercial. Car, selon moi, lobligation impose aux femmes, Babylone et dans dautres villes asiatiques, de recevoir au moins une fois en leur vie les trangers de passage, avait pour raison de dterminer les grandes caravanes de lInde suivre de prfrence telle ou telle route et stationner l o leur tait assur un si bienveillant accueil. VII Mais quelle quait t sur nos indignes linuence des races que je viens de nommer, il y a chez eux certaines coutumes et surtout certaine traits de visage qui viennent dau del. Pour atteindre ce fond sur lequel ont broch les Hellnes et les autres envahisseurs de lAfrique, je pense quil faut remonter jusqu lgypte. Hrodote nous dit positivement que les Libyens, les Ammonens du moins, taient des colons de lgypte et de lEtiopie (Eut. 42). En ft-il autrement, on trouverait encore une explication sufsante des analogies que je

31 suppose, dans les migrations gyptiennes qui ont en lieu sons les hyksos. Car il est constant quaprs linvasion des rois pasteurs, les habitants du Delta, traversant la Lybie, vinrent stablir sur les plages et dans les montagnes situes louest de la Syrte, et cela en nombre si considrable, que ces rois, effrays du dpeuplement de la Basse-Egypte, dfendirent lmigration sous des peines svres et rent garder la frontire libyenne. Or Hrodote, qui a une notion gographiquement exacte de notre Algrie, explique fort bien qu loccident du euve Triton, aprs les Auses, la Libye appartient des laboureurs quon nomme Maxyes. Il ajoute : que la partie orientale de la Libye, celle que les Nomades habitent, est basse et sablonneuse jusquau Triton. Mais que celle au del de ce euve, au couchant, sjour des laboureurs, est montagneuse, couverte de forts et hante de btes fauves ( Melp.,191). Cest, selon moi, ce riche pays de culture, ces Maxyes laboureurs et hospitaliers, que les migrants gyptiens ont d venir demander asile. Et fait digne de remarque ! ils auraient apport dans nos contres, outre leurs usages hrditaires, quelques-uns de ceux des Nomades parmi lesquels ils taient contraints de stationner durant leur long plerinage. Ainsi ils auraient emprunt aux Adymarchides les anneaux de mtal que leurs femmes portaient autour de chaque jambe ; aux Nasamons lusage de rcolter les sauterelles, de les scher au soleil et de les conserver dans des peaux de bouc ; aux Maces les coiffures et les djbiras couverts de peaux dautruche, et lhabitude de tatouer tes enfants au front et au visage.

32 Quant la coutume de se teindre le corps avec du henn, elle existait dj chez les Maxyes (Her., Melp., 168, 171, 172, 191, etc.). Mentionnons en passant que ces Maxyes, daprs lillustre Halicarnassien, se prtendaient issus des Troyens, (Melp., 197) ; rapport de plus de nos aborignes avec lorient de la Mditerrane. VIII. On se demandera probablement pourquoi, citant les diffrentes nations qui ont laiss parmi nous des marques de leurs relations commerciales ou de leur invasion main arme, je nai pas encore parl des derniers venus, des Arabes, qui cependant ont impos leur nom la moiti de nos indignes ? Cest que les usages de provenance arabe, purement religieux, sont communs tous les musulmans. Encore y a-t-il noter cette singularit que presque tous viennent originairement de lgypte. Exemples : Les gyptiens pratiquaient la circoncision, ils crivaient de droite gauche, ils se layaient leau frache deux fois par jour et deux fois par nuit. Ils regardaient le porc comme impur. Les homes sy accroupissaient pour uriner ; enn leurs voisins les Maces se coupaient la chevelure et ne laissaient pousser quune touffe au milieu de la tte, se tondant tout alentour jusqu la peau (Her., Eut., 35. Melp., 175). Autant de coutumes sanctionnes par le Koran. De lensemble de ces documents, ne ressort-il pas manifestement que les indignes algriens, au moins ceux de notre province, doivent lHellnie et Lgypte, directement ou indirectement, la plupart de leurs usages ?

33 A la suite des passages appartenant au livre dEuterpe, et que je viens de citer, Hrodote dit : Les autres hommes vivent spars des btes, tandis que les gyptiens vivent ple-mle avec elles. Il suft dentrer, ici, le soir, dans une tente ou dans un gourbi, pour sassurer que nos indignes sont encore tout fait gyptiens sous ce rapport. Jai parl des traits du visage. Ce serait folie assurment de prtendre quune nation aussi souvent conquise et remanie que celle de nos indignes, puisse prsenter un type uniforme. Il nen est rien. On y rencontre ct de ttes videmment smites au long nez droit et aigu, aux larges paupires, des gures septentrionales, blanches et roses de peau, aux yeux bleus, aux cheveux blonds, et vingt autres modications qui accusent des mlanges innis. Mais parmi ces types, il en est un que je vois frquemment sous nos tentes et qui me frappe toujours par son tranget ; en voici les principaux caractres : face plutt carre quoblongue ; lvres grosses et rebordes sur bouche moyenne, petite mme parfois ; nez lgrement aplati et narines ouvertes ; peau douce, mate, unicolore ; pommettes plus ou moins saillantes ; menton arrondi ; yeux noirs, velouts, grands, bien fendus, voluptueux et doux chez les femmes surtout, et dont la paupire suprieure trace en se repliant une ligne exactement parallle la frange des cils. Nest-ce pas l le type que lon retrouve peu prs constamment sur les boites momies, lancien type gyptien par consquent(1) ? ____________________(1) Ces observations, il est vrai, portent surtout sur des gens des environs de Bne; mais Il ne faut pas oublier que les principales tribus berbres ont laiss des spcimens de leur, race autour ils notre vieille Hippo-Regia. Leurs deux plus glorieuses familles, les

34 Enn le livre de Melpomne, dans lequel jai si largement puis, renferme un document curieux qui prouva que si les Libyens ont emprunt aux Grecs, les Grecs ont aussi emprunt aux Libyens ; do je conclus que la civilisation relative de ceux-ci tait dj formate larrive des derniers. Lorsque Hrodote parle du combat que les jeunes lles auses se livraient le jour de la fte de Minerve sur les bords du lac Triton, il se demande : Quel tait le costume de ces vierges avant que les Auses neussent pour voisins les Grecs ? Je ne puis le dire; mais je prsume quon les parait darmes gyptiennes; car je crois que le casque et le bouclier sont venus dgypte en Grce. Daprs les Auses, Minerve est lle de Neptune et de Tritonis. Elle eut sujet de se plaindre de son pre et se donna delle-mme Jupiter qui ladopta . (Melp., 180)(1) ; et plus bas (189) : Les Grecs ont pris des femmes libyennes le costume et lgide de Minerve... Il semble mme que les hurlements (ululatus) que lon fait dans les temples viennent de ce pays. Car les femmes en usent, et elles en usent bien. ____________________ Sanhadja et les Zenata, ont encore des reprsentants tout pris de nous. Ce que je dis nos indignes de notre voisinage est donc probablement applicable la plupart des riverains du littoral mditerranen. (1) On sait que Diodore explique le mythe gyptien tour tour comme divinisation des astres et des forces naturelles, et comme apothose des hommes qui ont rendu le plus de service lhumanit. Quoi quil en soit, dans ce systme on comprend que la Grce ait accept au rang de ses dieux Neptune et Minerve, qui, lui apportaient des bords du lac Triton le cheval et lolivier, sil faut en croire la tradition.

35 Ainsi cest de nos indignes que les Grecs ont appris ce lu-lu-lu dont ils ont fait un mode de prire. Si notre travail devait sarrter l, tout ce quon en pourrait lgitimement induire, cest que les peuples appartenant au bassin oriental de la Mditerrane, et surtout les deux que je viens de nommer, gyptiens et hellnes, doivent tre considrs comme ayant fourni un contingent, un lment important la partie berbre de notre population, ou tout au moins comme ayant exerc sur elle une inuence prdominante jusqu lassimilation. Mais ce nest l quune trs-minime partie de la question que je me suis pose. Je lai rsolue la premire, parce quil tait naturel et, selon moi, conforme une bonne mthode, dobserver dabord les fractions, disons mieux, les dbris de race berbre dissmins sous mes yeux ; et de ces fractions ou dbris, dtudier et constater dabord et quil y a de plus extrieur, le visage et les habitudes. Mais ce nest l qu`an premier aperu, aperu qui demeurerait sans valeur sil restait isol, puisquil se borne constater ce qui est, sans en rien dduire ; il na de sens quautant quil sert de prambule une induction et une conclusion touchant lorigine des Berbres. Or cest un problme trs compliqu que celui de lorigine des Berbres, et pour le rsoudre, il faut commencer par en claircir un autre qui ne lest gure moins, celui-ci : que faut-il entendre positivement par lethnique BERBRE ? mme que les anciens comprenaient sous le nom de Barbares, non-seulement les Berbres, mais tous les peuples dont ils ne comprenaient pas la langue et ne partageaient pas la

36 religion, il serait possible que, par une exagration analogue, nous donnassions aujourdhui, tort, le nom de Berbres tous les peuples de lAfrique auxquels les anciens appliquaient le nom de Barbares. Sur cette donne, il faudrait admettre que les Berbres auraient possd, ou au moins parcouru, tout ce que lantiquit a connu de lAfrique, lgypte except (et encore !) depuis Massouah et les ctes de lAbyssinie, jusquaux rivages atlantiques. Si, au contraire, nous rservons la dnomination de Berbres 1 la partie des races libyennes qui ntaient ni gyptiennes, ni thiopiennes, 2 la partie des races barbaresques et sahariennes qui ne sont ni ngres ni arabes, nous aurons un peuple encore extrmement compos, mais dont cependant il semble possible de reconnatre les premiers et les principaux facteurs. Or ce peuple ainsi limit, quelle famille appartient-il par ses lments primordiaux et constitutifs ? Je crois pouvoir rpondre ds prsent : la race indo-europenne, et ce qui sy rencontre de smite ou de couschite est adventice. Jemploie ici le mot couschite dans le sens dtermin par M. Renan, La premire assise reconnaissable au moins par la glossologie le ferait, selon moi, parent des Iaones, des Hellnes, par consquent. Dautres assises sembleraient trahir chez lui des afnits avec les Celtes, les Ibres, peut-tre. Nous verrons. Il parat; du reste, que lanthropologie commence conrmer ces inductions et que dans les tombes mgalithiques de lAlgrie, ct de quelques crnes gyptiens et thiopiens, prdominent les crnes aryens.

DEUXIME PARTIE(1).____________________

Dans le troisime numro de ce bulletin, jai indiqu les usages et les coutumes que le voisinage, le commerce ou la pression des nations trangres ont enseigns aux Berbres ; jessaierai dans celui-ci de reconnatre quelles familles de peuples appartenaient les premiers habitants____________________ (1) Plusieurs des questions ethnologiques touches par M. le gnral Faidherbe dans son article Anthropologique et par moi dans celui-ci, sont rsolues presque dans le mme sens. Ce rapprochement doit donner dautant plus de poids aux solutions dans lesquelles nous concordons ainsi, quil na rien de prmdit, chacun de nous stant form lopinion quil a mise dans une complte indpendance et ignorance de celle qui se formulait prs de lui ; do il me semble lgitime de tirer cette dduction que ces solutions ont quelque raison dtre et mritent attention. Il est cependant un point de doctrine sur lequel je mcarte de mon honorable collgue : rien ne justie mes yeux le polygnisme humain auquel il parait incliner. Les consquences de cette divergence sont considrables ; car si on pose en axiome historique, comme le fait de son ct M. le gnral Faidherbe, que le principal peuplement de la Berbrie ait d venir de lHesprie, je repousse lide que ce premier peuplement procde de races autochtones, et je remonte un source commune pour y trouver lorigine aussi bien des colons arrivs en Berbrie par cette route, que de ceux venus par le Delta. Il y a tout un monde entre ces deux hypothses.

38 de la Berbrie, que lantiquit dsignait sous les noms de Libyens, de Numides, de Glules et de Maures. Lhistoire sait rarement les premires origines des nations. Quand elle leur en assigne dexplicites, ce sont le plus souvent des fables. Mais son dfaut, il y a quatre lments de probabilit quon peut interroger : 1 la tradition, 2 la position gographique du peuple quon tudie et lethnologie de ses limitrophe, 3 ses traits de murs et de caractre, 4 sa langue. I. HISTOIRE ET TRADITION. Pour les Berbres, lhistoire est muette, la tradition est vague et obscure ; les anciens nont connu des Berbres que les apparences ; jentends par l leur vie extrieure et leurs habitudes ; les modernes nont encore que conjectur. Examinons pourtant ce que les uns et les astres ont crit. Si je ny rencontre pas de grandes lumires, jen tirerai du moins lavantage de faire toucher au doigt la difcult de mon entreprise et lindulgence quelle mrite. Presque tout ce que les historiens arabes et berbres ont dit de lorigine de ces derniers, Ibn-Kbaldoun la reproduit ou analys(1). Quelle est la valeur de ces documents ? On peut sen rapporter a cet gard lapprciation dun orientaliste dont le jugement gale la science, M. le baron de Slane(2) ; je crois nanmoins quil nest pas sans____________________ (1) Histoire des berbres, traduite par M. la baron de Slane, t. I, p. 173 et suivantes ; t. III, p. 183 et suivantes; et passim. (2) T. IV, p. 556. Mme en ce qui touche lhistoire de leur propre pays, les Arabes nont jamais eu que des notions trs confuses... leur histoire des patriarches est dune absurdit rvoltante... On ne peut donc esprer des Arabes une suite de bons renseignements

39 intrt de les rsumer ici, par plusieurs raisons. Dabord parce que pour se convaincre de la frivolit de ces fables; encore faut-il se rendre compte de lesprit qui les a dictes; et cet esprit frappe surtout lorsque, les dvidant une une, on leur reconnat toutes le mme but ; je ceux dire la volont absolue, et faisant litire de, toute critique, de renouer les Berbres par un l quelconque, aussi bien que les Arabes eux-mmes, aux ls de No, en dehors desquels pas de salut pour les croyants de lIslam, pas plus que pour ceux du Pentateuque. En second lieu, si lon se bornait afrmer de haute lice lintention purement politique et religieuse de ces imaginations, on laisserait probablement des incrdules derrire soi; ces traditions, quelle quelles soient, ont eu cours non-seulement chez les musulmans, mais chez plusieurs crivains juifs et chez des historiens chrtiens antrieurement a lexpansion arabe ; elles exercent encore sur la science moderne une inuence qui lgare : il serait donc imprudent de les traiter trop la lgre. Toutes ces analyses dIbn-Khaldoun, touchant la gnalogie des Berbres, se rangent sous trois rubriques distinctes : origine smitique, origine chamitique, origine mixte. Examinons la premire de ces hypothses. Les uns, dit Ibn-Kaldoun(1) (car il nindique pas toujours les sources o il puise), regardent les Berbres comme descendants de Yacsan, ls dAbraham et de Kethura(2). Eusbe____________________ sur un peuple aussi obscur que la race berbre. Comment pourraient-ils nous enseigner lorigine de ce peuple, eux qui nont pas fait de recherches sur leur propre origine tant quils out ignor lislamisme (1) Hist. des Berbres, t. I, p. 172. (2) Bochart, combattu, il est vrai, par D. Calmet, mais soutenu

40 raconta galement, daprs Josphe(1) ; que les Maures descendent dAfer, ls dAbraham et de Kethura, qui aurait pass de lArabie en Afrique, aurait conquis cette vaste contre et chang son nom, qui tait Pout, en celui quelle porte aujourdhui(2), Dautres, poursuit Ibn-Khaldoun, les considrent comme Ymnites(3). - Cest effectivement lopinion de la plupart des soutiens de lorigine smitique. Pour les uns, ce sont des colons laisss dessein dans le Maghreb par Abraha-dou-l-Menar ; pour les antres, des migrs appartenant aux tribus de Lakhm et de Djodam, qui, aprs avoir habit la Palestine, en auraient t expulss par un roi de Perse, et qui, repousss de lgypte o ils staient rfugis, se seraient rpandus en Afrique(4) ; pour El-Masondi, cest un dbris des Ghassanides(5). Rappelons-nous en passant que les Ghassanides et les Lakhimites comptaient au nombre des plus nobles et des plus illustres familles de lYmen. Les premiers ont t phylarques de la Syrie, les seconds, rois de Hira(6). Les tribus berbres auxquelles on les donnait pour anctres ntaient pas mal partages. Ibn-el-Kelbi fait aussi des Ketama et des Sanhadja des Ymnites venus en Ifrikia avec Ifrikos-Ibn-Sa(7). Quelques peuplades berbres, dit Ibn-Abdelberr(8), prtendent former la postrit dEn-Noman, ls de Himyer-Ibn-Seb. Moi-mme, ajoute-t-il, jai lu dans 1ouvrage dIsfenda le philosophe____________________ par dassez nombreux adhrents, considre Yacsan, ls de Kethura, comme lune des tiges de la race arabe. (1).Antiquits judaques; I, 15. (2) L. Marcus : Hist. des Vandales, p. 237. (3) Hist. des Berbres, t. I, p. 173. (4) Id., t. .I, p: 174. (5) Id., t. I, p.174. (6) Id., t. IV, p. 566. (7) Id., t. IV, p, 570, (8) Id., t. I, p. 174.

41 quEn-Nomn tait le roi de la priode qui spare la mission de Jsus de celle de Mahomet. . Soit une quitable rpartition des enfants de ce grand monarque : Lemt est laeul des Lemtouna, Mesfou des Messoufa, Merta des Heskoura, Asnag des Sanhadja, Lamt des Lemta, Alan des Heilana. Constatons, pour tre juste, quIbnHazm et Ibn-Abdelberr lui-mme contestent lexactitude de cette histoire(1). Lenvie montre par les Berbres de se rattacher la souche arabe tait tellement forte, dit M. de Slane(2), quIbn-Khaldoun lui-mme na pas pu sempcher den signaler la folie. En effet, celui-ci dit en propres termes(3) : Quant lopinion des gnalogistes znatiens qui supposent que les Zenata descendent de Himyer, elle est repousse par Ibn-Abdelberr et par IbnHazm. Celui-ci dit que les Himyrites ne se sont jamais rendus en Maghreb que dans les rcits mensongers des historiens . ymnites. Ibn-Khaldoun explique fort bien que les Znatiens ont invent ces mensonges parce quils ont cru se relever au-dessus de leurs frres berbres en se crant un lien de parent avec une famille noble de lArabie; mais que cette prtention est aussi dnue de fondement quirrchie. Daprs M. L. Marcus(4), les Marmarides dont le nom ne formerait pour lui que le rduplicatif de celui de Maures, seraient les premiers Libyens, auxquels on aurait assign une provenance smitique ; Eustache, commentateur de Denys-le-Perigte; les rattache aux Hycsos(5). ____________________ (1) Hist. des Berbres, t. I, p. 175. - (2) Id., t. IV, p. 570. (3) Id., t. III, p. 183. (4) Hist. des Vandales, p. 224. (5) Eustathii scholia in Dionys, perieg. vers 214. Je place cette opinion sous la rubrique de lorigine smitique arabe, parce

42 Jai dj dit ailleurs comment Amnophis-Tethmosis assigeant les Hycsos dans Aouaris, an trait intervint entre ceux-ci et le Pharaon thbain, par lequel ils obtinrent de quitter lgypte avec leurs familles, leurs troupeaux et leurs biens sous la condition de se retirer par la route du dsert en Asie et de se rendre en Assyrie, ce quils excutrent(1). M. Champollion xe la date de cet vnement 1822 avant J.-C., M. Rodier 1945(2). Il est encore une autre lire par laquelle on a essay de rejoindre les Berbres aux Smites ; cest par les Amalcites. Dans cette hypothse, ils descendent de Berber, ls de Temla..., ls dAmalech, ls de Laoud (Lud), ls de Sem(3). Il y a l dabord une confusion signaler. Lud est bien effectivement ram par la Gense(4) au nombre des protognits de Sem ; mais, daprs Josphe, saint Jrme, Eusbe, saint Isidore, Eustathe, toute la matrise enn des faiseurs de marqueterie biblique, il serait le pre des Lydiens, et naurait rien de commun avec les Amalcites. Ceux-ci descendraient, dans le mme systme, dAmalech, ls dEsa et de Thamna, et ils auraient t extermins par Sal. Aussi Ibn-Khaldoun dit-il(5)____________________ quil me parait que cest la pense du commentateur ; mais en ralit on ne sait pas au vrai ce qutaient les Hycsos (hyc en gyptien signiait fugitif, et pillard, quelque chose comme nomade, bedouin). Mais M. Champollion pense que ctaient des Scythes (gypte, p. 273), tandis que les Juifs, Josphe en tte, voulaient quils fussent de leur race ; M. G. Rodier les suppose Chamites. A la manire dont ils ont dvast lgypte et renvers brutalement tous ses monuments, jinclinerais les croire Arabes. (1) Champ.: gypte, p. 300 et suivantes. (2) Revue librale, n 1, p. 84. (3) Hist. des Berbres, t. I, p. 176. (4) Gense, ch. X, 22. (5) Hist. des Berbres, t. III, p.185.

43 propos de cette tradition : Lassertion que les Zenata appartenaient la race Amalcite ne peut se soutenir. Il y avait en Syrie deux peuples appels Amalcites(1). Le premier, compos des enfants dEsa, ls dIshac (Isaac), ne forma jamais une grande nation ; tomb ensuite dans une obscurit profonde, il nit par dprir sans quon puisse en citer un seul individu qui ait pass dans le Maghreb. Lautre possdait en Syrie une dynastie et un royaume mme avant larrive des Isralites. Ceux-ci semparrent de Jricho, capitale de son empire, arrachrent la Syrie sa domination, ainsi que le Hedjaz, et le moissonnrent avec lpe. Comment, ajoute Ibn-Khaldoun, les Zenata peuvent-ils alors faire partie dune nation dj anantie ? Si lhistoire rapportait un tel fait, on hsiterait y ajouter foi; pourquoi donc y croire quand lhistoire nen dit rien. Voil dj une des trois hypothses mise nant ; Ibn-Khaldoun tout seul sest charg den faire justice : les Berbres nappartiennent la souche smite ni par la rameau yacsanite ; ni par lymnite, ni par lhimyrite ; ni par lamalcite. Passons la seconde opinion, qui veut voir en eux des Chamites(2). Les partisans de cette hypothse____________________ (1) La Bible semble effectivement prter cette interprtation. Car non-seulement il est question (ch. XXXVIII, 12) de lAmalech, fondateur dune peuplade, idumenne dAmalcites ; mais, ds avant la naissance dIsaac (ch. XIV, 7), on lit quun certain Chodorlahomor ravagea tout le pays des Amalcites. Suivant D. Calmet, il faut entendre le pays qui sera plus tard habit par les Amalcites. Soit ! mais les critiques musulmans ne le comprennent pas ainsi. (2) Jemploie ici le mot de Chamite, quoique je ny attache quun sens de convention, parce que celui de Cananen serait trop restrictif. Les Philistins, dans la Gense, ne descendent pas de Canaan, mais de Misram.

44 ne sont pas plus daccord que ceux de la prcdente sur les gnalogies qui doivent rattacher les Berbres au second ls de No. Est-ce de Misram, est-ce de Canaan quils proviennent ? Tous reconnaissent que la Palestine a t le premier habitat des uns et des autres; mais qui les en a expulss ? est-ce Josu, est-ce David, est-ce le fait de quelque autre invasion ? Es-Soheili rpond(1) : Cest Ymen (ou Yarob), ls de Cahtan, qui les exila dans le Maghreb aprs quils eurent t les tributaires de Cout, ls de Japhet. Cette domination des Japtites dans le pays de Canaan serait un fait dont il faudrait prendre note, si les conteurs arabes mritaient la moindre conance. Suivant dautres, dit Ibn-Khaldoun(2) (et nous verrons bientt que cette opinion est la seule quil admette), les Berbres ont pour aeul Berber, ls de Temla, ls de Mazigh, ls de Canaan ; ls de Cham. Es-Souli(3) place aussi Berber parmi leurs anctres ; mais, pour lui, Berber nest plus ls de Canaan, il est ls de Kesloudjim (Casluhim) ls de Misram. Un troisime renoue le mme Berber Amalec, ls de Lud(4). Rien de plus lastique quus anctre dans la main des historiens arabes. Ibn-Abdelaziz-elDjordani(5) est davis, comme Es-Souli, que les berbres viennent des Philistins et faisaient partie du peuple du Djalout, seulement il ne dit pas de quel Djalout il entend parler. Car Djalout (Goliath) nest pas un nom dhomme ; cest un titre donn par les Philistins a leurs chefs(6). Mais____________________ Aussi Ibn-Khaldoun, qui tient relier (on le verra tout lheure) les Berbres aux cananens, en fait-il des Gergsens. (1) Hist. des Berbres, t. I, p, 182. (2) Id., t. I, p. I76. (3) Id., t.I, p. 176. (4) Id., t. I, p. 176. (5) Id., t. I, p. 177. (6) Hist. des Berbres, t. IV, p. 572.

45 Ibn-Coteiba lui vient en aide et rpare amplement son oubli ; au lieu dune gnalogie de Goliath, il en donne deux. Dans lune et dans lautre ce Djalout ou Goliath est bien celui tu par David, et son nom propre est Ouennour ; dans la premire gurerait au nombre de ses ascendants Madgis-el-Abter, ce qui la rattacherait la race arabe de Cas, ls de Ghalan ; tandis que dans la seconde il remonterait a Fars, ce qui en ferait un Iranien(1). Abdallah-el-Bekri(2), seigneur de Huelva en Espagne;_____________________ (1) Le mme antiquaire (Ibn-Coteiba), dit M. de Slane (t. IV, p.572), nous apprend que Djalout tait ls de Heryal, ls de Djaloud, ls de Dial, ls de Cahtan, s de Fars, personnage bien connu, et que Sefk (Sefek ou Sofok) est lanctre de tous les Berbres. Ce dernier renseignement, introduit si abruptement, nest connu daucun autre gnalogiste musulman ; mais on peut voir quelque chose de semblable dans Josphe (Antiq., I, 15). Cet auteur nous apprend, sur lautorit dAlex. Polyhistor, que Didor. ls dHercule, engendra Sophon (ou plutt Sophak, v. Plutarque, Sert. 9), de qui les Sophakes, peuple barbare, tirent leur nom. Ce Sophak nous est, dailleurs, connu par Appien et Suidas; Ptolme, dans sa description de lAfrique, place les Sophoukaoi dans la partie mridionale du pays qui forme maintenant lempire du Maroc. Cest donc des Grecs, probablement de quelque prtre chrtien de la Syrie, quIbn-Coteiba (ou lauteur quil cite) a tir une indication chappe tous les autres gnalogistes musulmans, tant arabes que Berbres. Le nom de Fars on Fares est bien connu de ces auteurs ; ils reprsentent ce personnage comme laeul des Persans et comme le ls de Lud, ls de Sem. Cest un des chelons que les savants musulmans ont invents an de pouvoir rattacher tous les peuples qui leur taient connus larbre gnalogique o lauteur de la Gense reprsente les diverses branches de la famile de No... Pline, le naturaliste, parle de ltablissement dun peuple persan ou phorusien en Afrique, et il le place dans la partie sud du Maroc, ainsi que Ptolme dont les Pharousoi se trouvent dans le voisinage des Sophoukaoi. (2) Hist, des Berbres, t. I, p. 117 et suivantes.

46 fait chasser les Berbres de la Syrie par les Isralites aprs la mort de Goliath. Ils auraient voulu rester en gypte, mais ayant t contraints par les Coptes quitter ce pays, ils allrent Barca, en Ifrikia, et en Maghreb. Ayant eu soutenir dans ces contres une longue guerre contre les Francs et les Africains, ils les obligrent passer en Sicile, en Sardaigne, en Majorque et en Espagne. Ensuite la paix se rtablit la condition que les Francs nhabiteraient que les villes du pays. Pendant plusieurs sicles, les Berbres vcurent sous la tente, dans les rgions abandonnes, et ne soccuprent qu mener patre leurs troupeaux aux environs des grandes villes, depuis Alexandrie jusqu lOcan, et depuis Tanger jusqu Sous. Tel fut ltat dans lequel lislamisme les trouva. Sil y avait dans tout cela lombre de critique historique, il serait curieux de voir des Francs installs en Berbrie, de laveu dun traditionaliste arabe ds le Ixe sicle avant Jsus-Christ. Mais quelles inductions asseoir sur de semblables divagations ? Voici qui est plus original encore et qui tourne aux Mille et une Nuits : Satan, dit un Es-Souli cit par IbnKhaldoun(1) (je ne sais si cest le mme que celui nomm plus haut), sema la discorde entre les enfants de Cham et ceux de Sem ; aussi les premiers durent-ils se retirer dans le Maghreb o ils laissrent une nombreuse postrit. Cham, ajoute-t-il, tant devenu noir par suite de la maldiction prononce contre lui par son pre, senfuit en Maghreb pour y cacher sa honte. Aprs la dispersion de ses enfants, poursuit notre auteur(2), il continua sa route vers____________________ (1) Hist. des Berbres, t. I, p. 177 et 178. (2) Id., t. I, p. 182.

47 lOuest et atteignit le Sous-el-Acsa. Ses enfants allrent sa recherche et chacune de leurs bandes parvint un endroit diffrent. Nayant plus entendu parler de lui (probablement il tait all dans le Sud fonder les Ngres), ils stablirent dans ces endroits et y multiplirent. Je crois quil est temps de tirer lchelle. Quoi quil en soit, pour ce groupe de gnalogistes, les Berbres sont de la race de Misram et par consquent, bibliquement parlant, parents des gyptiens. Je me rserve de donner dans la section suivante mon sentiment propre sur celle origine, et je passe la troisime, lorigine mixte que jaurais pu appeler, galement bon droit, conciliatrice, puisquelle tend mettre un peu de tous les peuples en question dans la famille des Berbres. Ses deux principaux champions sont Et-Taberi(1) et surtout IbnMorahhel(2). Au compte de ce dernier, larme du Djalout Ouennour ne comprenait pas seulement des Philistins, ctait un ramas dHimyrites, Modrites, Coptes. Amalcites, Cananens et Coreichides qui; aprs la dfaite de leurs chefs, staient rpandus en, Syrie. Ifricos(3) se t de cette tourbe une arme quil entrana la conqute du Maghreb auquel il donna son nom et o il tablit ses compagnons. Encore un mot et jen aurai ni avec cette dernire hypothse. Selon plusieurs gnalogistes berbres dont____________________ (1) Hist. des Berbres, t. I, p. 175. (2).Id., t. I, p. 170. (3) Une variante, rapporte par Ibn-Khaldoun. (p. 168), fait dIfrikos, ls de Cas-Ibn-Sa, un des Tobba de lYmen, lequel sest rendu matre de la partie du Maghreb laquelle il donna le nom dIfrikia, en aurait appel les habitants Berbres, parce quil trouvait leur langage rude et criard.

48 nous nous bornerons, dit Ibn-Khaldoun(1), citer EdDarici, Ibn-Soleiman, El-Mamati, Ibn-Abiloua et Ibn Abiyerd, les Berbres forment deux grandes branches, les Branes et les Botr. Ceux-ci, disent-ils, tirent leur origine de Berr, ls de Cas; ls de Ghalan (Smites par consquent) ; mais les Branes descendent de Berr, ls de Sefgou,... ls de Mazigh, ls de Canaan(2). En voil, je pense, assez, sur ce recueil de contes dont Ibn-Khaldoun fait lui-mme fort bon march ; car aprs leur avoir consacr six ou huit pages, il termine en disant : Sachez que toutes ces hypothses sont errones et bien loignes de la vrit... Le fait rel est ceci : Les Berbres sont des enfants de Canaan, ls de Cham, ls de No Leur aeul se nommait Mazigh ; leurs frres taient les Gergsens (Agrikech) ; les Philistins taient leurs parents. Mais ces derniers seulement avaient des rois nomms Djalout et non pas les Berbres. On ne doit admettre aucune autre opinion que la ntre(3). Ibn-Khaldoun repousse donc hautainement les Idumens, Ymnites, Amalcites, Philistins et le compost____________________ (1) Hist. des Berbres, t. I, p. 176. (2) V. ce sujet M. de Slane, Hist. des Berbres , t. IV, p. 573. (3) Ibn-Khaldoun reproduit la mme afrmation dans sa gnalogie des Zenata (t. III, p. 180 et suivantes). Ibn-Hazm, dit-il, a crit que les Zenata (Berbres) descendent de Chana, ls de Djana... Chana est le mme que Djana, ls de Yahia, ls de Herek, ls dHercac, ls de Guerad, ls de Mazigh, ls dHerak, ls dHrik, ls de Kenan, ls de Ham.. Daprs cette liste, Madghis ne descend pas de Berr. Nous avons dj indiqu la diversit des opinions ce sujet, mais nous regardons celle-ci comme la vraie, car lautorit dIbnHazm mrite toute conance et ne saurait tre controverse par celle daucun autre crivain. Dailleurs il rapporte la gnalogie en question daprs le ls dAbou-Yzid, chef des Zenata.

49 dIfrikos ; mais il ne scartera pas pour cela de la postrit de No et fera des Berbres une ligne cananenne. Procope avait accueilli la mme lgende dont jindiquerai la source. Les peuples de la Palestine, dit le clbre Csaren(1), se sentant trop faible pour rsister aux armes victorieuses de Jsus (Josu), ls de Nave; dont les exploits semblaient dpasser la force humaine, se retirrent en gypte ; mais comme ils ny trouvaient pas de terres vacantes, ils furent obligs de gagner lAfrique o ils tendirent leurs demeures jusquaux Colonnes dHercule. On y parle encore la langue des Phniciens. Ils btirent un fort dans la Numidie au mme lieu o est maintenant la ville de Tigisis(2). Si Procope et les traditionalistes partisans de lmigration des Cananens ou de celle des Philistins ont seulement voulu dire que lors de loccupation de la Palestine par les Isralites ; quelques habitants, du pays, chapps aux religieuses atrocits des envahisseurs, sont alls demander un asile: aux divers comptoirs phniciens tablis le long de la cte africaine ; ils sont probablement dans le vrai ; car les systmes peuvent tre faux, les traditions le sont rarement tout fait ; mais si lhistorien, byzantin entend, comme Ibn-Khaldoun, faire de cette migration individuelle une invasion colonisatrice ayant contribu pour une part importante au peuplement de la Berbrie, videmment il se trompe. Procope orissait dans la seconde moiti du VIe sicle, et il tait de Csare en Palestine ; longtemps avant lpoque o il crivait, les Juifs avaient pris une grande expansion en gypte et dans le reste de lempire ; ils ne ddaignaient pas, sans doute, de____________________ (1) Procope, Hist., II, 10. (2) Tidgis daprs M. L. Marcus.

50 donner du corps leur histoire en exagrant le contrecoup de leurs conqutes au dehors; les chrtiens leur prtaient main-forte, et lislam qui tient la Bible par tant de liens, a volontiers adopt leurs lgendes. Celle-ci est purement de source juive ; D. Calmet nous le dit expressment. Les Gergsens, y lisons-nous(1), habitaient au couchant de la mer de Tibriade, et il y en a avait encore du temps de Notre-Seigneur dans ce pays, dans les villes de Gesara et de Gadara. Les Juifs assurent qu larrive de Josu ces peuples se retirrent en Afrique. Soit ! je le rpte, quelques Cananens se seront rfugis dans les colonies phniciennes. Mais si Procope et Ibn-Khaldoun avaient pris la peine dy rchir, auraient-ils pu croire un instant que quelques riverains fugitifs du, lac de Tibriade avaient absorb dans leur invasion les Libyens et les Gtules si nombreux et si guerriers, ce que nont pu faire ni les Romains, ni les Vandales, ni les Arabes ? Eh quoi ! il a fallu le pays de Canaan tout entier pour loger la peuplade isralite sortie des pturages de Gessen ; et lune des cent tribus qui loccupaient avant eux aurait suf pour peupler la moiti de lAfrique, du Nil lAtlantique ! Voil pourtant sur quel fondement repose lopinion si gnralement admise que les Berbres sont de race cananenne. Opinion qui a gar, on le voit, dexcellents esprits, et parmi les crivains, grecs ou latins, et parmi les musulmans, opinion dont un homme de la taille de M. Henri Martin se faisait encore nagure lcho(2), et que____________________ (1) Comment. sur la Gense, ch. X, 14, et Comment. sur Josu, ch. V, I. (2) Dans un mmoire lu au congrs international de Vannes, en

51 notre honorable collgue, M. de Costeplane, rptait son tour dans un rcent article(1). La grande cause derreur des traditionalistes arabes ou berbres, somme dun grand nombre dcrivains chrtiens (nous en aurons use nouvelle preuve dans un instant), cest de sopinitrer trouver le nom des peuples ou tribus dont ils fouillent les origines dans ceux numrs par la Gense. Cet acharnement va si loin que, lorsquil devient impossible dy reconnatre, mme en les torturant, les noms dont on a besoin, on les y introduit. Cest ainsi que nous voyons surgir un Mazigh ncessaire comme aeul des Amazigh actuels. M. Vivien de Saint-Martin, dont le livre sur le Nord de lAfrique a t couronn, en 1860, par lAcadmie des Inscriptions et Belles-lettres, na pas chapp est entranement, surtout dans les chapitres quil consacre aux Libyens. Grce labondance de nos sources historiques, dit-il(2), et au progrs de la philologie compare, nous savons que le nom qui prit, chez les Grecs, la forme Libys comme ethnique et Liby comme appellation du territoire,____________________ 1867, publi dans la Revue archologique, M. H. Martin admet en Berbrie une invasion celtique tamhou, mais se fondant avec une premire assise chamtique. (1) LOrient, numro du 26 janvier 1866. M. de Costeplane staye de lavis de M. le dr Barth qui, son retour de Tombouctou, a rencontr, dans lAfrique centrale, des indignes portant le nom de Sal, Daniel, etc. Est-ce l vraiment une raison ? Si elle avait quelque valeur, elle annoncerait chez les arrires-neveux des exils de la Palestine un cur bien exempt de rancune, puisquils porteraient de prfrence le nom de leurs meurtriers. (2) Le Nord de lAfrique ; introd.

52 est celui dune grande tribu appartenant la race aborigne du nord de lAfrique ; tribu dont on peut suivre, sans interruption, lexistence historique sur les conns occidentaux de lgypte infrieure; depuis le sicle de Moise jusquaux temps modernes. Ce sont les Lehabim (LeHaB) de la table ethnographique de la Gense (X, 13). Ainsi appuy sur un document sacr, M. de Saint-Martin nhsite pas reconnatre dans les libyens les Lehabim de la Gense ; les Loubim de la chronique de Juda, les Lebathai, Lebethai, Lebauthai, Leyathai et mme Leucathai de Procope ; puis les Languentan et Ilaguaten de Corippus, qui aboutissent enn aux Iloswaten (Sing. Lowata) des auteurs arabes et dIbn-Khaldoun (M. de Slane, t. I, p. 232)(1). On se demande, pourtant, ajoute M. de SaintMartin, do vient la diffrence entre larticulation nale de Loub et de Lowata. Mais la Gense fournit elle-mme la rplique ; car elle nomme les Loudim ct des Lehabim. Or si Lehabim rpond Libyes, Loudim rpond Lowata. Oh ! glossologie, voil de tes coups ! Dans Lon lAfricain, poursuit lauteur couronn, en____________________ (1) Si M. de Saint-Martin invoque ici lautorit dlbn-Khaldoun pour soutenir son assertion historique, il me semble quil se -trompe. Ibn-Khaldoun (loco citato) dit : Les Louata, une des plus grandes dentre les tribus berbres qui forment la postrit dEl-Abter, tirent leur nom et leur origine de Loua le jeune, frre de Nefzao, etc. Or Madghis-el-Abter, aeul des Boir, tait ls, selon lopinion la plus commune, de Berr, ls de Cas, ls de Gbalan ; selon Ibn-Hazm, il descendait de Canaan par Bedian, etc. Dans le premier cas, les Louata seraient Smites ; dans la second, Cananens; mais ni dans lun ni dans lautre, ils nappartiendraient la postrit de Lehabim, ls de Misram. Dailleurs, si Louata nest que la forme pluriel de Loua, quavions-nous besoin du D de Loudim ; le voil de trop.

53 terminant ce paragraphe, les Lowata ou Lewata sont une des cinq grandes branches de la race berbre, et le pays quils occupent stend principalement depuis les Syrtes jusqu la frontire dgypte(1). Htons-nous dajouter que M. de Saint-Martin reconnat ct des Libyens (les Lehabim ou Loudim bibliques, choix) une autre branche berbre, celle de Gtules(2), et une srie de tribus inconnues des anciens ; celles dont lensemble forme les Moleththemim dIbn-Khaldoun(3). Cest une ressource et un en cas. D. Calmet, longtemps, avant M. Vivien de SaintMartin, cherchant caser de son mieux les familles de peuples numrs par la Bible, crivait aussi : Pour les Laabim, la plupart entendent par ces peuples les Libyens(4). Mais ce qui distingue essentiellement. M. Vivien de Saint-Martin de lauteur des Commentaires sur la Gense, cest que le premier est fort afrmatif : De toutes les questions gographiques, lisons-nous dans son introduction, (il est vrai quil ne dit pas ethnographiques), qui se rattachent ltude de lAfrique ancienne, il nen est plus maintenant une seule, je dis une seule, qui ne se puisse: rsoudre par une dmonstration. Cest sans doute ce ton dassurance qui aura entran les suffrages d lAcadmie, D. Calmet est plus modeste, et aprs avoir donn son avis, la suite de celui de ses devanciers, il ajoute : On ne va qu ttons, dans une si profonde obscurit(5). Un aveu si convenable dsarme la critique, et____________________ (1) Que devient la srie des peuples numrs par Hrodote prcisment entre ces deux limites ? (2) Le Nord de lAfrique, p. 130. (3) Id., p. 460. (4) Commen. litt. s. la Gen., ch. X, p. 266, d. in-4. (5) Id., id.

54 lon ne stonne plus dentendre D. Calmet supposer que les Anamims pourraient bien tre les habitants du Delta, ou les Ammonens, comme le croit Bochart ; peut-tre mme les Nasamons, les Amanientes ou les Garamantes. Il faut rendre cette justice lexcellent bndictin quil ne rive pas de force ses lecteurs son opinion ; il leur laisse de la marge. Aussi ne le querelle-t-on point lorsque, revenant aux Laabim, il ajoute(1) quils habitrent le long des ctes de la Mditerrane et quune partie dentre eux prit le nom de Maures, selon Salluste, au lieu de celui de Mdes que prenaient quelques peuples de larme dHercule qui se joignirent aux Libyens. On lui pardonne volontiers linexactitude de ces citations, parce quon voit quil cherche de bonne foi se contrler lui-mme en reproduisant les opinions diffrentes de la sienne. Il prend soin, par exemple, de rappeler(2) que, pour Strabon, les Maures sont des Indiens qui vinrent en Afrique avec Hercule (Strab. liv. XVII) ; que, selon Bochart, les Laabim habitaient au couchant de la Thbade et que cest eux quon a voulu dsigner par le nom de Liby-Egypti(3). En effet, dit Bochart, Lehabim signie enamm, brl; Lehahab, la amme(4). Une fois ce parti pris de peupler le nord de lAfrique des ls de Misram, il allait de soi dy chercher aussi une place pour les Nephtuim, les Phtrusim et les Chasluim. On ny a pas manqu. Bochart plaait les Nephtuim dans la Marmarique ou dans la Troglodytique, et la raison quil en donne lui parait importante ; cest quon trouve____________________ (1) Comm. litt., ch. X, p. 266. (2) Id., X, p. 266. (3) Id., ch. X, p. 267. (4) Id., ch. X, p. 267.

55 dans la Marmarique, ou plutt dans la Cyrnaque, les Adyrmachides et le temple dAptuchus, Aptuchi fanum. Mais cette raison sest pas la seule : On pourrait croire, poursuit-il, que Neptune viens de Nephtuim. Hrodote assure que cest un dieu de la faon des Africains, et que cest deux que les Grecs lont reu. Dautres commentateurs installent les Phtrusim dans le Delta et les Chasluim dans la Cyrnaque. Hypothse pour hypothse, jaime autant celle des historiens arabes qui tirent les Berbres directement des Philistins. Au moins ils respectent les termes mmes de la Gense, laquelle dclare expressment que les Phtrusim et les Chasluim sont les auteurs des Philistins et des Caphtorim. Je lai dit tout lheure et je le rpte, cest la manie de vouloir retrouver tout prix lethnique des peuples actuels dans les gnalogies de la Gense, qui enfante toutes ces aberrations. Eh ! pourtant, quelle valeur ont au fond ces gnalogies mosiaques ? quelles sources ontelles t puises, avec quelle critique et dans quelle intention ? quelle relation logique y a-t-il entre ce nom biblique de Lehabim et celui de Libyens ? Est-ce que les Hbreux se sont appels Smites ou Abrahamites ? Les Libyens se connaissaient-ils dailleurs eux-mmes sous cette dnomination ? Ils sappelaient Adyrmachides, Ghiligannes; Asbystes, Auschises, Cabales, Nasamons, Psylles, Maces, Machlyes, Auses; Maxyes, Zaoueskes, Zigantes, etc., et nallaient pas emprunter aux Juifs une appellation dnue de sens. Je nattache donc, pour, ma part, aucune conance ces rapprochements. M. Renan, de son ct, incline penser que les Berbres, comme les Coptes; appartiendraient

56 la famille des Couschites ; de raison, il nen donne pas. Dailleurs, je puis opposer lautorit de lminent professeur celle dun linguiste galement distingu ; M. Klaproth, qui dclare avoir compar soigneusement le copte au berbre et navoir dcouvert entre eux aucune analogie(1). Quoi quil en soit, il est constant que, M. de SaintMartin, aussi bien que D. Calmet, abondent dans le sens des gnalogistes musulmans. Or, lgard de ces derniers, jai sufsamment, je crois, dmontr, en les citant, ltranget de leurs lgendes. Les anciens, antrieurement au christianisme et lexpansion judaque, ne partageaient nullement ces, opinions. Strabon, je lai dit tout lheure, ne parait pas loign de penser que les Maures sont des Indiens venus en Afrique avec Hercule(2). Jaurai revenir, quelques pages plus loin, sur ce quen rapportent Hrodote et Diodore de Sicile. Salluste leur prte dautres aeux, et il est temps de nous occuper de la tradition conserve par lhistoriographe de Jugurtha. Ce quil nous apprend des Berbres est probablement tout ce quon en savait alors. Voici comme il sexprime(3) : Les premiers habitants de lAfrique ont t les Gtules et les Libyens, peuples grossiers et stupides, etc. ... Lorsque Hercule fut mort en Espagne, selon ce que pensent les Africains, son arme, qui tait un mlange de diffrentes nations, dsunie par la perte de son chef et par les prtentions de mille rivaux qui se disputaient le commandement,____________________ (1) Mmoires relatifs lAsie, p. 208. (2) Steabon, liv. XVII. (3) Jugurtha, ch, XXI, trad. de Dureau de Lamalle.

57 ne tarda pas se dissiper. Dans le nombre, les Mdes, les Perses et les armniens ayant pass en Afrique sur des vaisseaux, occuprent la cte voisine de notre mer. Les Perses seulement senfoncrent un peu plus vers lOcan... Insensiblement, par de frquents mariages, ils se confondirent avec les Gtules... se donnrent eux-mmes le nom de Numides... Les Armniens et les Mdes se joignirent aux Libyens... Peu peu ceux-ci, dans leur idiome barbare, dnaturrent le nom de Mdes quils appelrent Maures, par corruption. Mais se furent les Perses qui, on peu de temps, prirent un accroissement extraordinaire... Enn, la partie infrieure de lAfrique fut presque toute possde par les Numides. Noublions pas un fait important consign dans ce mme passage : cest, dit Salluste, que les Libyens ntant spars de lEspagne que par le dtroit, ils avaient tabli avec elle un commerce dchange. Quest-ce que cet Hercule qui meurt en Espagne et non sur le mont ta ? jusquo faut-il reporter son existence en arrire dans la nuit des ges ? Faut-il, avec lauteur de lHistoire des Gaules, voir en lui un symbolisme du commerce phnicien ? quel tait le but de son expdition, quelles traces en sont demeures ? Ces questions sont assurment trs-intressantes, mais pour les traiter avec le soin quelles mritent, il faudrait donner ce travail des proportions dmesures. Pour abrger jadmettrai, quant prsent, comme moyen terme, quun Hercule quelconque, la tte dune troupe dIraniens ou dAryens, mixte peut-tre, a contourn la Mditerrane, et quune partie de ces migrants est demeure en Berbrie. Mais ce fait ne nous explique pas les afnits de race des Libyens et des Gtules dj tablis antrieurement dans le pays,

58 daprs la tradition mme que Salluste rapporta et quil dclare avoir puise dans des livres puniques avant appartenu au roi Hiempsal ; tradition dailleurs conforme, ajoute-t-il, lopinion des naturels du pays. Il ressortira bien de cette histoire, si on laccepte comme vraie, que des Asiatiques-Caucasiens ont parcouru le sud de lEurope et le nord de lAfrique, quils ont mis en rapport les peuples dj