L'ORGANISME METRICO-RYTHMIQUE DU SONNET...

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L'ORGANISME METRICO-RYTHMIQUE DU SONNET FOSCOLIEN (A ZACINTO) : LE POIDS DE LA TRADITION ET LA REVANCHE DU DISCOURS La présence du mètre et l'organisation rythmique représentent l'un des caractères les plus évidents de l'écriture poétique; pour ce qui est de la poésie italienne, elles ont été incontestablement sa marque particulière jusqu'à la fin du siècle dernier, ou presque. Il nous serait cependant difficile d'admettre que l'on puisse par la seule analyse métrique parvenir à pénétrer en toute sa complexité un texte poétique quelconque. En tant qu'abord formel, ce genre d'analyse peut sans aucun doute être exhaustif, mais il n'est pas autosuffisant. Utile et même indispensable, il doit toutefois s'appuyer sur les résultats de recherches parallèles dont la nature différente fait la complémentarité. Ainsi, s'il nécessite, préalablement, l’apport des connaissances ecdotiques indispensables à garantir l'authenticité du texte qui est l'objet de l'analyse, il n'a pas moins besoin d'un encadrement plus large, à la fois historico-philologique ou sémiologique; les résultats auxquels ce type d'analyse aboutit plus facilement étant d'ordre descriptif, strictement techniques, c'est seulement de cette manière qu'il peut atteindre une véritable explication qualitative. Cela dit, il est aussi indispensable que sa démarche lui soit propre et que l'interprète puisse aller vers son texte à l'aide d'une méthode cohérente et explicite. La conjugaison du rythme et du mètre ne s'applique en fait qu'à la poésie. Cette conjugaison provoque un écart par rapport à tout autre genre de production linguistique, écart qui se traduit dans le texte par une récurrente tension entre la langue et le discours poétique. Il faut donc clairement distinguer, tout au long de l'analyse, le niveau métrico-rythmique des autres

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L'ORGANISME METRICO-RYTHMIQUE DU SONNET FOSCOLIEN (A ZACINTO) :

LE POIDS DE LA TRADITION ET LA REVANCHE DU DISCOURS

La présence du mètre et l'organisation rythmique représentent l'un des

caractères les plus évidents de l'écriture poétique; pour ce qui est de la poésie italienne, elles ont été incontestablement sa marque particulière jusqu'à la fin du siècle dernier, ou presque. Il nous serait cependant difficile d'admettre que l'on puisse par la seule analyse métrique parvenir à pénétrer en toute sa complexité un texte poétique quelconque. En tant qu'abord formel, ce genre d'analyse peut sans aucun doute être exhaustif, mais il n'est pas autosuffisant. Utile et même indispensable, il doit toutefois s'appuyer sur les résultats de recherches parallèles dont la nature différente fait la complémentarité. Ainsi, s'il nécessite, préalablement, l’apport des connaissances ecdotiques indispensables à garantir l'authenticité du texte qui est l'objet de l'analyse, il n'a pas moins besoin d'un encadrement plus large, à la fois historico-philologique ou sémiologique; les résultats auxquels ce type d'analyse aboutit plus facilement étant d'ordre descriptif, strictement techniques, c'est seulement de cette manière qu'il peut atteindre une véritable explication qualitative. Cela dit, il est aussi indispensable que sa démarche lui soit propre et que l'interprète puisse aller vers son texte à l'aide d'une méthode cohérente et explicite.

La conjugaison du rythme et du mètre ne s'applique en fait qu'à la poésie. Cette conjugaison provoque un écart par rapport à tout autre genre de production linguistique, écart qui se traduit dans le texte par une récurrente tension entre la langue et le discours poétique. Il faut donc clairement distinguer, tout au long de l'analyse, le niveau métrico-rythmique des autres

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niveaux du texte: lexical, phonétique, syntaxique ou, enfin, de la sémantique non rythmique.

On ne saurait par conséquent donner son accord à cet étrange mélange des diverses réalités d'un texte qui a parfois porté à situer une césure où il n'y avait qu'une pause sémantico-syntaxique. Il en va de même pour des considérations qui, tout en se prétendant rythmiques, méconnaissent des unités métrico-rythmiques de base, telles que le vers ou la strophe, pour ne se fonder que sur les mots, isolés du contexte et classés comme sdruccioli, tronchi, piani, etc... De pareilles observations ne rendent pas compte de la spécificité du texte poétique et soulèvent souvent des perplexités encore plus graves. N'est-ce en effet une façon d'ignorer le problème de la réalité du mot et de son identification à l'intérieur même du discours1 ?

Le mètre en soi n'est qu'un modèle structural, presqu'un schéma théorique, tandis que le vers représente son actualisation dans la langue. C'est donc au niveau du vers que le rythme se situe; on remarquera que le mètre y contribue par la récurrence de ses éléments contrastés, mais surtout qu'il « entre dans une dialectique fondamentale avec le rythme linguistique qu'il épouse ou contrarie »2. Or, dans la langue italienne il y a un accent (principal ou secondaire) tout les 2 ou 3 syllabes, comme dans la métrique italienne il y a un ictus (principal ou secondaire) tout les 2 ou 3 positions; ce qui revient à dire qu'il ne peut pas y avoir une suite de plus de 2 syllabes atones (dans une émission linguistique), ni une suite de plus de 2 positions faibles (dans un mètre)3. La contiguïté des accents ou des ictus n'est admise que lorsque les 1 Le texte qu'on va analyser démontre bien que cette remarque n'est pas abstraite ni purement théorique. Plusieurs critiques (Pagnini, 1974:60, en premier) ont en effet souligné l'importance du rapport, institué par la paronomase, entre limpide (V7) et l'inclito (V8). Toutefois, quelques uns d'entre eux (et notamment Petrolacci, 1986:118 sq.) ont aussi indûment essayé d' « enrichir » le rapport d'un faux parallélisme rythmique. Il nous suffira ici d'annoter qu'on a détaché deux morceaux de deux phrases rythmiques opposées: ascendant dans le premier cas, la base étant ternaire, descendante dans le deuxième (l : - - + - - + ; 2: + - - + -). Sur le problème de la « confusion entre les unités métriques » et les « tunités linguistiques », cf. Meschonnic. (1974:11). 2 Molino J. et Gardes-Tamine J. (1987:57). Dans l'introduction de cette étude nous nous limitons à présenter schématiquement les résultats d'un travail plus développé sur la 7héorie du vers italien (à paraître dans le n° 6 de la revue Eidos). Des compléments d'information seront également donnés par la suite (soit dans le texte, soit dans les notes) en traitant de problèmes spécifiques (notamment au sujet de la césure : cf. le paragraphe IV et la note n° 13). 3 Cf. Di Girolamo (1983:25-45), qui résume les principales études à ce sujet. On peut toutefois admettre une suite de 3 syllabes atones à la clause de la phrase. Fraccaroli (1887:15), qui a le tort de se borner à l'étude des accents du mot, en négligeant la phrase, l'admet pour les bisdruccioli. Pour ce qui est de la terminologie employée ici, nous avons recours à toute une série de distinctions théoriques désormais généralement acceptées : syllabe = position, accent = ictus, langue = discours, etc. On a déjà employé le mot tension dans l'acceptation technique de conflit entre la langue et le mètre. G. Genot introduit, outre la distinction entre hémistiche et constituant, celle entre césure

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accents ou les ictus mêmes sont séparés par une pause (linguistique ou métrique). Le rythme du vers italien est donc binaire ou ternaire. Découlant de la diversité des interprétations, une ambiguïté est possible dans la lecture ad sensum mais presque jamais dans une explication métrique.

Le mètre de l'hendécasyllabe résulte de la fusion (arrangement) de 2 constituants, penta- et epta-positionnels, dont l'ordre respectif est indifférent. L'avant-dernière position de chacun des constituants est marquée:

1. # Pl P2 P3 P4 P5 #; soit: + + - + - 2. # Pl P2 P3 P4 P5 P6 P7 #; soit + + + + - + - Dans l'arrangement, la première position du second constituant et la

dernière du premier se fondent: ce mètre ne prévoit donc que 11 positions : # Pl P2 P3 P4 P5 P6 P7 P8 P9 P10 Pll # Dans le cadre de ces principes il nous sera peut-être possible de

proposer quelques suggestions valables au-delà des limites imposées par la spécificité du texte analysé; et cela avec la conviction que ce n'est qu'occasionnellement que la critique littéraire a su profiter à la fois avec rigueur et exhaustivité des données qu'une analyse métrique conduite de manière cohérente pouvait lui apporter.

Né più mai toccherò le sacre sponde Ove il mio corpo fanciulletto giacque, Zacinto mia, che te specchi nell'onde Del greco mar da cui vergine nacque 4 Venere, e fea quelle isole feconde Col suo primo sorriso, onde non tacque Le tue limpide nubi e le tue fronde L'inclito verso di colui che l'acque 8 Cantò fatali, ed il diverso esiglio Per cui bello di fama e di sventura Baciò la sua petrosa Itaca Ulisse. 11 Tu non altro che il canto avrai del figlio, O materna mia terra; a noi prescrisse Il fato illacrimata sepoltura4. 14

et coupe, hémistiche et césure étant au niveau du vers ce que constituant et coupe sont dans le mètre. Nous nous en servirons par la suite. 4 Le texte reproduit est celui de l'édition Nobile (Milan, 1803). Ce texte figure inchangé dans l’Edizione nazionale delle opere di Ugo Foscolo, tome 1, Florence, 1985, établie par G. Folena.

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III - ENCADREMENT METRICO-RYTHMIQUE, CLASSEMENT

DES VERS ET PREMIERES OBSERVATIONS

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Dans la tableau A on lit la correspondance entre syllabe (s) et position

(P); on a aussi indiqué toutes les syllabes qui portent ou, suivant les lectures, peuvent porter un accent. Tous les accents possibles (principaux ou secondaires) ne sont pas des ictus possibles (principaux ou secondaires). En particulier, il ne peut y avoir d'ictus en P2 de Vl: deux lectures (non métriques) sont sans doute possibles (1ère: en reliant né à più et en emphatisant l'accent de celui-ci: « Né più mai toccherò... »; 2ème : en reliant più à mai: « Né più mai toccherò... »), mais l'ictus en P3 n'admet pas un ictus antécédent. De même, l'accent secondaire éventuellement porté par Pl de Vl, V6, V7, V10, V12, V13, n'est pas un véritable ictus: lorsque le premier ictus n'intervient qu'en P3, un renforcement de la position initiale du vers peut se produire de façon naturelle, mais cela ne modifie pas le rythme (c'est la diction, et seulement elle, qui

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change)5. Dans les autres cas on trouve une position marquée (+) là où l'on avait une syllabe accentuée (s') et un ictus possible (+) pour un accent possible (s*). Cf. le tableau B.

En V2, deux lectures (même métriques) sont également possibles on peut interpréter comme tonique soit le O de Ove, soit le i de l'article suivant. La bonne solution est toutefois la première : le contexte rythmique du sonnet l'exige, comme on le verra par la suite, et, d'autre part, l'assonance de ò (tonique) + e (atone), qui rappelle la rime A, doit être mise en évidence.

Un problème pose aussi le pronom te (V3) : en le lisant comme tonique, comme le fait G. Petrolacci (1986:110), et en transposant l'accent comme ictus, la scansion du vers serait a maiore, la césure devant intervenir à séparer les temps forts contigus: - + - + - + // + - - + -, ce qui produirait une forte tension. L'hypothèse n'est pas économique. En outre, on ne peut pas exclure une certaine ambiguïté (qui aurait été consciente et voulue de la part de l'auteur) : dans la littérature classique italienne lorsque les écrivains sont de provenance septentrionale, il arrive souvent (couramment chez l'Arioste) de trouver te au sens de ti (toscan). Inutile de dire que dans ce cas te est tout à fait atone.

Il ne reste à discuter que P7-P8 de V11. On pourrait lire, en théorie, aussi bien Itaca qu’Itàca. Cette deuxième lecture (selon l'accent grec) affaiblirait la césure, qui tomberait toutefois toujours après P6. C'est le choix que M. Pagnini (1974: 50) fait, tout en évitant de donner une explication quelconque. Bien que le caractère très littéraire et savant de ce sonnet soit indiscutable, et qu'il résulte entièrement plongé dans une atmosphère où la mémoire culturelle de la Grèce tient une place fondamentale, il nous semble que, voulant éviter le risque d'une interprétation arbitraire, l'accentuation italienne soit préférable. La structure rythmique du sonnet, telle que nous allons la voir, nous donnera peut-être la raison.

On peut donc réécrire le tout hors de toute ambiguïté :

5 Selon Di Girolamo (1983:43 n° 53), dans l'incipit « anapestique » Pl porte toujours un ictus secondaire. Le même auteur exclut en outre la coexistence en Pl et P3 de 2 ictus principaux. Nous pensons au contraire que cette dernière condition est vérifiée dans toutes les attaques du type de « Sémpre càro... », « Càrlo Màgno... » (Pd., VI, 96), etc.; et que d'ictus en Pl on ne peut parler que lorsque le mot initial du vers, étant polysyllabique, est accentué sur la première syllabe.

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P4 ou P6 portent toujours, comme le veut ce mètre, un ictus principal6.

Face à une majorité de a maiore (9 ictus princ. en P6) on a une minorité de a minore (6 ictus princ. en P4). Un vers (V5) est ancipite (bicéphale). Remarquons aussi que le caractère exceptionnel de V14, intuitivement perçu par plusieurs interprètes (Fubini, 1970:59; Pagnini, 1974:50; etc ... ) mais jamais expliqué de manière convaincante, ne saurait être compris sur la base du fait qu'il présente non pas 4 mais 3 ictus principaux (« accenti semantici »,

6 La distinction, éminemment empirique, des ictus en principaux et secondaires est tirée analogiquement de la distinction entre accents principaux et accents secondaires. Elle n'a d'utilité que lorsqu'il s'agit de comprendre si un hendécasyllabe donné, présentant ictus en P4 et P6 à la fois, est rééllement ancipite. Par ailleurs, la distinction fondamentale oppose les ictus démarcatifs (de vers : en P10, ou de constituant : en P4/P6) aux ictus non démarcatifs.

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selon la dénomination de Pagnini) : cette anomalie présumée n'est pas une particularité de V14 : on la trouve aussi en V7 et V10. Il faudra donc chercher ailleurs une explication de la nature particulière de ce vers : nous le ferons ci-dessous au moyen d'une interprétation purement rythmique.

*** Un premier classement des vers peut être fondé sur le rythme propre à

leur début (incipit), lequel caractérise généralement l'hendécasyllabe entier, en confrontant dialectiquement sa liberté avec la fixité prédéterminée de la clausule (P9-P11), dictée par l'ictus en P10, et en étant déjà encadré par la nécessité d'un ictus intermédiaire en P4 ou en P67. En empruntant la terminologie de la métrique classique, nous avons donc :

7 Une classification rythmique des hendécasyllabes selon leur incipit donne Sesini (1939:539-540). Voir aussi Elwert (1979:62 sqq.).

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On relève une nette préférence pour l'incipit ascendant :

anapestique (6 cas) ou ïambique (5 cas). L'attaque dactylique ne figure que dans 3 cas (V2, V5, V8); à égale distance l'un de l'autre, séparés par des vers dont l'identité rythmique ne sera pas due au hasard8, ils semblent avoir une fonction précise de relance rythmique9. Il y a ici un rapport fonctionnel évident: pour mieux le préciser il faut rappeler l'analyse des fonctions des temps verbaux de ce texte menée par N. De Blasi (1982: 285 sqq.), qui aboutit 8 V6 et V7 limitent l'identité au premier hémistiche, constitué par une double séquence ascendante : - - + - - +. 9 On peut imaginer à ce type d'incipit rythmique une fonction analogue à celle que, sur le plan syntaxique, joue la série des particules : « ove » (V2), « che » (V3), « da cui » (V4), « e » (V5), « onde » (V6), « colui che » (V8), « per cui » (V10). C'est à G. Genot, qui m'en a amicalement fait part, que je dois le constat de la fonctionnalité syntaxique de ces particules.

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à instituer une distinction de blocs dont le deuxième, celui de l' « exemplum narrativo », occupe la position centrale (V2-Vll), encadrée autobiographiquement (Vl et V12-V14). Avec une coïncidence parfaite des données, c'est seulement en V2 qu'on trouve le premier incipit dactylique : son rôle est celui de déclencheur rythmique de la narration. La présence émotive dont aussi parle De Blasi et que le poète a dû « contrôler » au moyen du souvenir culturel, nous apparaît ainsi intimement scandée, contrainte dans un dessein rythmique précis. D'autre part, dans cette optique, la fonction de Vl et V12 est fondamentale : les deux vers sont en effet non seulement parallèles sémantiquement mais aussi rythmiquement identiques.

*** La césure partage l'hendécasyllabe en deux sous-phrases rythmiques

(les deux hémistiches). Découlant de ce principe, les tableaux E à H donnent une schématisation de l'ensemble du sonnet10. Ils y explicitent les réseaux les plus évidents de rappel ou de renvoi du rythme.

On remarquera quelques correspondances plus précises, dont la valeur fonctionnelle est indiscutable. Tel est le cas, par exemple, du chiasme entre Vl et V3 (Vl-a = V3-b; Vl-b = V3-a) dont la tâche principale semble être la mise en évidence, au niveau du texte dont nous nous occupons, du rapport entre Vl et V3-a, en re-constituant ainsi dans son intégrité l'ensemble proposition principale (affirmation négative) plus vocatif que l'on retrouvera dans tous ses éléments avec V12 + V13-a : là où le discours autobiographique reprendra, pour se conclure toutefois peu après. Un pareil sens a peut-être la reprise de Vl par V7: au beau milieu de la narration, entre l'évocation d'un mythe et celle de la poésie la plus sacrée, ce dernier semble continuer la citation des caractéristiques morphologiques de l'île (« sacre sponde », « limpide nubi ... fronde »).

Les mêmes tableaux démontrent aussi cette espèce de dialectique que l'on trouve instauré entre le réseau des rappels, parfois bien denses et parfois plutôt superficiels, et un contrepoint de variations rythmiques. C'est, bien sûr, ce qui arrivait déjà à l'intérieur du vers. L'hendécasyllabe, par ailleurs indivisible en pieds, résulte ici souvent marqué par des mouvements intimes : accélérations ou, à l'inverse, ralentissements; dans des cas déterminés, même des nets bouleversements du rythme11. Tel est le cas de V6 et Vll, où le heurt des ictus à la césure fait prendre une allure descendante (dactylique) à V6-b et 10 On a assumé V5 (bicéphale) comme a minore. Remarquons, d'autre part, que V2-b, V8-b (settenari ïambiques) et V14-b (quinario ïambique) sont acéphales. 11 On obtient un effet d'accélération quand on passe d'une base binaire à une base ternaire; un effet de ralentissement, dans le passage contraire. Cf. Pagnini (1974:63 n°4).

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V11-b. Mais ce qu'il importe de remarquer à cet égard, c'est qu'en se rattachant aux incipit de V2, V5, V8, cette phrase rythmique arrive jusqu'à la fin de la première période syntaxique (le « blocco narrativo » de N. De Blasi) et la conclut, pour ensuite disparaître complètement. V11-b rejoint donc, sur le plan du rythme V2-a. Il y a là un soulignement de la circularité du sonnet, soulignement rythmique, à la fois différent et parallèle à celui qui unit Vl à V12.

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Bien que seulement 7 des 14 vers dont A Zacinto se compose présentent

synalèphe en césure (en réalisant ainsi de manière optimale le modèle théorique), les tableaux précédents rendent donc évident le degré élevé d'adaptation de cette poésie à la tradition, du moins en matière de rythme et à l'intérieur des vers. Il nous arrive aussi de remarquer la présence, non exceptionnelle, de l'ictus « archaïque » en P712 : c'est là un autre aspect de cette « poesia sulla poesia » (De Blasi), de cet enrichissement savant qu'on a reconnu dans le sonnet foscolien. Par conséquent, l'identification d'une césure orthodoxe semble, au regard du théoricien, toujours possible.

Personne ne saurait toutefois douter de l'étendue des innovations plus ou moins évidentes opérées par le poète dans A Zacinto. Ces innovations lient strictement, d'une part, le niveau rythmique au niveau syntaxique du sonnet et, d'autre part, revèlent l'existence d'un organisme sous-jacent de nature rythmique mais qui évoque également la possibilité d'une révolte contre le mètre lui-même. Un organisme, en somme, qui ne vit qu'à l'état d'ébauche, mais qui d'ores et déjà se pose comme antagoniste à la forme close, traditionnelle de la poésie. A Zacinto ne semble pas être le dernier, en ordre chronologique, des sonnets foscoliens ; mais il marque sans doute, dans cette optique et parmi eux, le point d'arrivée.

IV - TENSION A LA CESURE ET A LA FIN DU VERS Dans le discours poétique traditionnel, la présence du mètre et du

rythme est à l'origine de l'écart qu'il présente par rapport à la langue : mouvement rythmique et mouvement syntaxique ne coïncident pas. C'est là où on trouve une pause rythmique qu'on peut étudier cet écart (tension) pour en mesurer la force ou la profondeur (intensité). C'est ce que nous essayerons de faire tant pour la césure que pour la fin de vers (où il conviendra de tenir compte, quand ce sera le cas, du franchissement supplémentaire de la fin d'une strophe).

12 Cf. Elwert (1979:53 et 63 sqq.) et Di Girolamo (1983:172 n° 7). Il nous semble que plutôt que sur les « facili effetti » (Di Girolamo) que les ictus en P7 obtiendraient, l'accent est à mettre sur l'archaïcité du modèle rythmique. Inutile de dire que dans de nombreux cas des vers tels que V3 et V4 ou V6 et Vll se trouvent effectivement non seulement chez Dante mais encore chez Pétrarque.

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Or, nous disposons essentiellement de deux ordres de critères pour définir la césure, son intensité13 :

1. critère rythmique (distance des ictus); 2. critère phonologique secondaire (synalèphe). On peut donc établir qu'on a: césure forte (F) : s'il y a un heurt des ictus

(1-a) ou si, à l'inverse, il y a une importante distance entre les ictus principaux les plus proches des deux côtés (1-b)14 ; césure faible (D) : en l'absence des conditions de (F) et en présence de la synalèphe; césure intermédiaire (I) : si la reconnaissance des deux phrases rythmiques n'advient que par un changement de vitesse du rythme (ternaire < --- > binaire).

Le tableau I illustre la situation du sonnet à ce sujet en ajoutant aussi un calcul de l'intensité de la spezzatura, la tension du texte entre discours rythmique et langue15. Ce calcul a été opéré sur la base de l'échelle de R.S. Levin pour l'intensité de l'enjambement et des considérations complémentaires faites par C. Di Girolamo16. Si nous le présentons, c'est que la diversité d'ordre et de statut de phénomènes tels que césure et spezzatura (à la césure) nous empêche de considérer comme valable le « principe général » affirmé par Di Girolamo (1983:54), c'est-à-dire: « l’intensità della spezzatura è direttamente proporzionale all'intensità della cesura ».

On fera ensuite le même calcul à propos de la spezzatura versale, l'enjambement, sans que l'on puisse comparer la tension à la césure avec celle à la fin du vers: l'hendécasyllabe étant ici l'unité fondamentale du rythme, cette dernière est en effet d'une intensité en règle générale largement supérieure.

13 Actualisation dans le vers de la coupe, la césure n'est pas, comme le veut entre autres Di Girolamo (1983:47), une « pura pausa metrica ». En tant que fait rythmique, elle est au contraire influencée par les caractères morphologiques ou morpho-phonologiques de la langue. Pour ce qui est de l'hendécasyllabe, on remarquera toutefois qu'il y a un seul cas théorique d'écart entre coupe et césure, celui du premier constituant réalisé par un hémistiche sdrucciolo. Les problèmes relatifs à la configuration métrique des différents types d'arrangements seront traités dans l'étude de Théorie du vers italien citée plus haut. 14 Cf. Di Girolamo (1983:54 n° 17). 15 Pour l'appellation cf. Di Girolamo (1983:53). 16 R.S. Levin (1971:183) établit 4 degrés d'enjambement, selon les parties du discours partagées: a) 2 morphèmes (d'un mot); b) 2 mots (d'un syntagme); c) 2 syntagmes (d'une phrase); d) 2 phrases (d'une période). Di Girolamo (1983:55 sqq.) de son côté remarque l'importance du contexte syntaxique et métrique dans lequel l'enjambement se trouve inséré.

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On a noté d'un + ou d'un - l'intervention d'éléments contextuels

syntaxiques (une pause très proche renforçant l'intensité de la spezzatura; la présence, après la césure, du deuxième élément d'une hendiadyin ou d'un terme ajouté par coordination) ou rythmiques (la non variation du rythme après la césure). On voit donc bien qu'il n'y a pas de correspondance directe entre l'intensité de la césure et la tension du texte : si cela pouvait être le cas pour V2, ce ne l'est certainement pas pour V6, où à une césure très forte correspond une tension très faible. Un cas particulier est celui de V13 : on pourrait dire qu'on a là une « tension négative », car la pause syntaxique est assurément plus forte que la césure.

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On donne tout de suite (Tableau J) les résultats du calcul de la tension à la fin de vers (intensité des enjambements).

Les facteurs contextuels dont le poids nous paraît incontestable sont

notés en J aussi d'un +. Le franchissement syntaxique de V8 étant par ailleurs presque choquant, on a doublé le signe. Nous avons également réécrit le tout en posant les équivalences qui apparaissent dans la colonne centrale.

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V - UNE ADOPTION TROP LARGE DE L'ENJAMBEMENT ET SES CONSEQUENCES Faute d'un encadrement métrico-rythmique précis du sonnet, on n'a pas

pu exploiter jusqu'au bout certaines observations faites et/ou certains rapports décelés dans sa structure. Il n'a pas été difficile de remarquer l'importance des rimes par rapport aux thèmes traités par A Zacinto. En revanche, à quelques exceptions près, on n'a pas prêté attention aux conséquences d'une adoption généralisée de l'enjambement. Bien que l'on sache que le rôle de celui-ci est très souvent de souligner le terme rejeté, on n'a pas noté, par exemple, que si le mot « cantò » (V9) est centralisé par le rejet, dans la même condition se trouvent les mots « Venere » (V5) et « fato » (V14). Ce sont en effet les rejets des trois principaux enjambements du sonnet (cf. tab. J). On voit bien, d'ailleurs, que ce sont les mots qui renvoient aux thèmes d’A Zacinto (poésie; présence mythique et maternelle; pseudoautobiographie)17. Mais ce sont plus que des renvois aux thèmes: ce sont des leitmotive et on les retrouve hors de ce sonnet, dans toute la production poétique, ou presque, de Foscolo18.

Mais si la mise en valeur du rejet est bien la plus commune de ses fonctions, ici l'enjambement joue un rôle qui nous semble strictement lié à la constante recherche de rythmes nouveaux qui caractérise la poésie foscolienne des sonnets. Pour s'en convaincre, il suffira d'observer les deux derniers : c'est là qu'un ordre rythmique inédit - ordre sous-jacent et subordonné en apparence à l'ordre traditionnel mais en même temps bien perceptible - se dévoile, à l'intérieur duquel éléments rythmiques et éléments syntaxiques semblent se disposer parallèlement; rythme et syntaxe tendent visiblement à se rapprocher. A cheval sur les derniers vers, entre la césure de l'un et celle de l'autre, deux hendécasyllabes non prévus dégradent les fins de vers à césures; des nouvelles pauses rythmiques apparaissent, qui coïncident parfaitement avec les pauses syntaxiques. Voilà comment une forme de tension langue-discours (celle qu'on avait pu relever pour le franchissement syntaxique de V13) peut se transformer 17 On observe quelque chose du même genre à propos de la spezzatura à la césure: par exemple en V2, où la césure confère une certaine autonomie à l'adjectif fanciulletto en exprimant l'antiquité du fait rappelé (opération parallèle à l'introduction du passé simple, qui est le temps du mythe, s'opposant au temps réel de l'histoire); en Vl et, plus, en V12, où le futur traduit une connotation de certitude. En V6, d'autre part, la contiguïté des ictus engendre un renforcement emphatique de l'accent d'onde et une sorte de liaison immédiate avec le substantif homophone qui conclut VI C'est bien le rythme en tant que producteur du sens qui nous apparaît ici. 18 Valentini (1972:22) parle pour ce sonnet d' « una completezza particolare quella dei motivi foscoliani di un determinato periodo (1797-1803) che si organizzano con grande chiarezza ». En réalité, ces motifs se retrouvent bien au-delà des limites temporelles ici indiquées (celles de la composition des sonnets). CL aussi Pagnini (1974:54 sq.), qui rappelle l'aspect topique du motif du tombeau et de la illacrimata sepoltura. On connaît d'ailleurs le caractère littéraire, plutôt qu'autobiographique, de l'exil foscolien (voir, à ce sujet, Chernotti (1984), qui part de l'interprétation donnée par Agliotti (1941)).

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en une forme de tension intérieure, éloignement de la tradition, en trahison de l'attente que celle-ci suscite chez le lecteur. En dépit du changement de nature, l'intensité reste vraisemblablement la même. Il n'est pas nécessaire de rappeler que c'est dans cette forme intérieure que la tension subsistera de préférence dans la poésie moderne qui suivra. Bien représentée dans tout sonnet foscolien, elle parcourt ici le texte entier (fréquence de l'enjambement, non respect syntaxique de l'unité de la strophe, même non respect de la part de la rime en ce qui concerne la première quartina), et c'est là où elle est peut-être moins évidente, à la hauteur de la dernière terzina, qu’on la découvre plus présente.

Quoi qu'il en soit, dans ce nouvel ordre, entre V12-b et V13-a une pause syntaxique faible, désignée par la virgule, correspond bien à la pause rythmique, qu'une « synalèphe » adoucit mais qui marque pourtant le passage d'un rythme lent à celui, plus rapide, de V13-a; entre V13-b et V14-a, d'autre part, la correspondance devient parfaite : en l'absence d'une pause syntaxique quelconque, le rythme ne change pas : il se prolonge au contraire indéfiniment dans une séquence ïambique qui atteint le point final du sonnet. En faisant cela, le poète donne une nouvelle conclusion, cette fois définitive, au mouvement entrepris en V12, mouvement que le premier hémistiche de V13 n'avait pu conclure que provisoirement; puisque ce mouvement était aussi une reprise de Vl, c'est la construction rythmique tout entière du sonnet qui - pareillement à ce qui advient sur les autres plans - y trouve son ultime définition. Comme on le voit dans de pareils cas, une « synalèphe » souligne le débordement du rythme d'un vers à l'autre, en effaçant le hiatus toujours haïssable aux oreilles des théoriciens.

On serait tenté de parler, pour V13-b + V14, d'une sorte d'endecasillabo caudato, par analogie avec ce que représente, sur le plan de la structure du genre, le sonetto caudato, c'est-à-dire l'addition de trois vers - un settenario et deux hendécasyllabes - à la fin du sonnet. Mais, caudato ou pas, l'hendécasyllabe qui résulte de la fusion de V13-b et V14-a révèle des importants et nouveaux partages rythmiques : étant bicéphale il permet un placement de la césure après P6, ce qui motive l'accord avec la syntaxe que M. Fubini (1970 : 59) - toutefois en partant de principes très discutables19 -recherche à ce même endroit. 19 La relative absence de préoccupations méthodologiques, l'absence aussi d'indispensables définitions et distinctions théoriques enlèvent au livre de M. Fubini (1970) une grande partie de sa force de persuasion. Bien que la sensibilité de l'auteur pour le fait poétique lui permette souvent de saisir exactement la nature et le sens d'un procédé ou d'une réalité poétiques donnés, ses explications, ses critiques mêmes à l'égard des métriciens traditionnels et de leur démarche, trop souvent appauvrissante, se révèlent ainsi incapables d'ouvrir la voie à une critique de la poésie nouvelle et plus cohérente. Chez lui, mètre et vers, mètre et langue, sont toujours confondus. CL, pp.24-25: «( ... ) il metro non è definito solo dal numero delle sillabe o dalle rime, ma anche dal giro sintattico del discorso. ( ... ) E' impossibile separare il metro dal significato; il verso nella sua totalità ( ... ) risulta dall'insieme degli accenti, dei suoni, dal

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Mais les deux possibilités de situer la césure qui existent dans ce double

fond rythmique du sonnet, sont destinées à coexister : privilégier l'une au détriment de l'autre, signifierait rayer d'un seul coup l'ambiguïté, voire la multiplicité des valeurs et donc la richesse poétique du texte; cela signifierait aussi méconnaître l'effort créateur du poète, qui atteint ici peut-être l'une de ses meilleures réussites.

Bien que soumise à toute cette série d'impulsions centrifuges, la structure du sonnet résiste, elle est encore bien reconnaissable dans A Zacinto. Un mouvement y est toutefois inscrit qui la contrecarre et qui préfigure déjà, timidement mais clairement, la résolution de la strophe et le dépassement même de l'hendécasyllabe, réduit jusqu'ici à pure unité rythmique, et cependant déjà attaqué, ici et là, en tant que tel.

*** A Zacinto représente indubitablement l'une des étapes marquantes de la

recherche poétique foscolienne: on y constate l'aboutissement à un cadre rythmique assurément très complexe et extrêmement riche, caractérisé par des

significato delle parole, dalle parole la cui varia composizione e lunghezza ha un particolare valore ( ... ). Il metro è una misura del ritmo ( ... ); ma il ritmo diventerebbe qualcosa di meccanico, se si riducesse a questo elemento costante ( ... )». C'est ainsi que, en se résignant à une critique impressionniste, et en se renfermant dans le subjectivisme le plus absolu, il peut parler de accento sentimentale del verso (p.27), et situer la césure d'un vers comme: e quando dal nevoso aere inquïete (Alla sera, 5), après aere.

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solutions non moins originales que polyvalentes. Notre analyse en a dévoilées quelques unes. Elle a également révélé l'existence de caractères précis, structuraux, confirmant l'opposition entre la cornice « autobiographique » et le nucleo narrativo du sonnet : à l'organisation rythmique de celui-ci marquée par la fonction de déclencheur, puis de relance de l'incipit dactylique, répond une structuration très différente, plus « ouverte » ou du moins très ambiguë et en tout cas non traditionnelle, dans la cornice. Dans la dernière terzina, l'unité et la suite même des hendécasyllabes est en effet enfreinte, fictive. Peut-être, pourrait-on aller jusqu'à dire que le fait d'enjamber sans cesse les vers le long de la phrase initiale, finit dans la seconde par effacer la pause même de la fin de vers; que la syntaxe entraîne là le rythme; que l'apparente césure de V13 (coïncidant d'ailleurs avec une pause syntaxique très forte) devrait en réalité être pensée comme la coupure rythmique la plus intense, puisqu'elle divise au moins deux segments bien reconnaissables: l'un (V12 + V13-a) encerclé par une double séquence ternaire ascendante, l'autre, que l'on connaît déjà, constitué par une séquence monotone ïambique. Cela nous obligerait à admettre que la syntaxe pèse ici sur le rythme, et d'un poids désormais très lourd. C'est en quoi il faudrait voir le commencement d'un procédé presque révolutionnaire, que l'on retrouvera chez Giacomo Leopardi, et qui portera à la mise en cause, puis à l'abandon de la conception même de la poésie qui était jusqu'alors la seule admise20.

Les premières fissures, la forme close de la poésie les révèle ici, indubitablement. Le sonnet foscolien garde pourtant une apparence d'ordre, là même où il se démontre très perturbé. Les vers sont reconstitués, les strophes subsistent, du moins quand on n'y regarde pas de trop près : rien, ou presque, ne bouge en apparence. La rime - aidée par la disposition du poème sur la page - est là afin de nous assurer que c'est bien ainsi. Son poids effectif se révèle inversement proportionnel au respect que le poète accorde aux normes traditionnelles du genre - quand il s'en éloigne, elle retrouve sa fonction fondamentale. C'est donc grâce à elle que tout ou presque est à sa place. Et c'est bien pour cela qu'il a été difficile de percevoir toutes les perturbations, voire les innovations les plus profondes que cette poésie présente.

Francesco FURLAN

ETUDES CITEES

20 Monteverdi (1967) et Di Girolamo (1972) ont montré que des procédés du même genre son décelables dans les Idilli (notamment dans A se stesso, L'infinito, Alla luna, parfois dans A Silvia).

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