Lopatnicova - La Lexicologie Du Francais

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N.N.Lopatnikova N.A.Movchovitch

Lexicologie du franais moderne.Table de matieres. Introduction 1 Chapitre I: Notions de base .1 Chapitre II: Le mot..6 Premire partie Les sources d`enrichissement du vocabulaire franais. La langue en tant que phnomne social...21 Chapitre I: L`volution smantique des units lexicales....23 Chapitre II: La formation des mots..37 Chapitre III: La formation des locutions phrasologiques55 Chapitre IV: Les empruntes..62 Deuxime parti Stratification fonctionelle du vocabulaire en franais moderne Les groupements lexicaux.74 Chapitre I: Caractristique du fonds usuel du vocabulaire du franais moderne74 Chapitre II: Diffrenciation territoriale et sociale du lexique du franais moderne77 Chapitre III: Mots et calques internationaux dans le vocabulaire du franais moderne...85 Chapitre IV: Elments nouveaux et archaiques dans le vocabulaire du franais moderne...86 Troisime partie Structuration smantique et formelle du vocabulaire du franais moderne Les sous-systmes dus aux relations assotiatives au sein du vocabulaire franais..90 Chapitre I: Les synonymes.91 Chapitre II: Les antonymes.98 Chapitre III: Les homonymes.100 Quatrime partie Notes lexicographiques Types de dictionnaires.103 Chapitre I: Les dictionnaires unilingues104 Chapitre II: Les dictionnaires bilingues..116 INTRODUCTION CHAPITRE I NOTIONS DE BASE 1. Objet d'tude de la lexicologie. Le terme lexicologie , de provenance grecque, se compose de deux racines : lexic(o) de lexikon qui signifie lexique et logie de logos qui veut dire mot, discours, trait, tude . En effet, la lexicologie a pour objet d'tude le vocabulaire ou le lexique d'une langue, autrement dit, l'ensemble des mots et de leurs quivalents considrs dans leur dveloppement et leurs liens rciproques. Le vocabulaire constitue une partie intgrante de la langue. Aucune langue ne peut exister sans mots. C'est d'aprs la richesse du vocabulaire qu'on juge de la richesse de la langue en entier. De l dcoule l'importance des tudes lexicologiques. La lexicologie peut tre historique et descriptive, elle peut tre oriente vers une ou plusieurs langues. La lexicologie historique envisage le dveloppement du vocabulaire d'une langue ds origines jusqu ' nos jours, autant dire qu'elle en fait une tude diachronique. Elle profite largement des donnes de la linguistique compare dont une des tches est la confrontation des vocables de deux ou plusieurs langues afin d'en tablir la parent et la gnalogie. La lexicologie descriptive s'intresse au vocabulaire d'une langue dans le cadre d'une priode dtermine, elle en fait un tableau synchronique. La lexicologie descriptive bnficie des tudes typologiques qui re1

cherchent non pas tablir des rapports gnalogiques, mais dcrire les affinits et les diffrences entre des langues indpendamment des liens de parent. Il n'y agure de barrire infranchissable entre la lexicologie descriptive et la lexicologie historique, vu qu'une langue vivante envisage une poque dtermine ne cesse de se dvelopper. Ce cours de lexicologie sera une tude du vocabulaire du franais moderne, considr comme un phnomne dynamique. Quant l'interprtation du terme franais moderne nous nous rallions l'argumentation de G. Molini qui le situe dans la tranche temporelle allant du XVIIe sicle l'poque actuelle. Notons que la lexicologie est une science relativement jeune qui offre au savant un vaste champ d'action avec maintes surprises et dcouvertes. 2. Les aspects synchronique et diachronique des tudes lexico-logiques. La langue prise dans son ensemble est caractrise par une grande stabilit. Pourtant elle ne demeure pas immuable. C'est en premier lieu le vocabulaire qui subit des changements rapides, se dveloppe, s'enrichit, se perfectionne au cours des sicles. La lexicologie du franais moderne est oriente vers le fonctionnement actuel des units lexicales en tant qu'lments de la communication. Cependant la nature des faits lexicologiques tels qu'ils nous sont parvenus ne saurait tre explique uniquement partir de l'tat prsent du vocabulaire. Afin de pntrer plus profondment les phnomnes du vocabulaire franais d'aujourd'hui, afin d'en rvler les tendances actuelles il est ncessaire de tenir compte des donnes de la lexicologie historique. Ainsi, c'est l'histoire de la langue qui nous renseigne sur le rle des divers moyens de formation dans l'enrichissement du vocabulaire. Une tude diachronique du lexique nous apprend que certains moyens de formation conservent depuis des sicles leur vitalit et leur productivit (par exemple, la formation des substantifs abstraits l'aide des suffixes -ation, -(e)ment, -ge, -it, -isme), d'autres ont acquis depuis peu une importance particulire (ainsi, la formation de substantifs avec les suffixes -tron, -rama, -matique). d'autres encore perdent leur ancienne productivit (telle, la formation des substantifs avec les suffixes -esse, -ice, -ie). Les phnomnes du franais moderne tels que la polysmie, l'homonymie, la synonymie et autres ne peuvent tre expliqus que par le dveloppement historique du vocabulaire. Le vocabulaire de toute langue est excessivement composite. Son renouvellement constant est fonction de facteurs trs varis qui ne se laissent pas toujours facilement rvler. C'est pourquoi l'tude du vocabulaire dans toute la diversit de ses phnomnes prsente une tche ardue. Pourtant le vocabulaire n'est point une cration arbitraire. Malgr les influences individuelles et accidentelles qu'il peut subir, le vocabulaire d'une langue se dveloppe progressivement selon ses propres lois qui en dterminent les particularits. L'abondance des homonymes en franais en comparaison du russe n'est pas fortuite ; ce n'est gure un fait du hasard que la cration de mots nouveaux par le passage d'une catgorie lexico-grammaticale dans une autre (blanc adj. - le blanc [des yeux] subst.) soit plus productive en franais qu'en russe. Ces traits distinctifs du vocabulaire franais doivent tre mis en vidence dans le cours de lexicologie. Si l'approche diachronique permet d'expliquer l'tat actuel du vocabulaire, l'approche synchronique aide rvler les facteurs qui en dterminent le mouvement progressif. En effet, le dveloppement du vocabulaire se fait partir de nombreux modles d'ordre formel ou smantique qui sont autant d'abstractions de rapports diffrents existant entre les vocables une poque donne. On pourrait citer l'exemple du suffixe -on tir du mot lectron et servant former des termes de physique (positon, ngaton). L'apparition de ce suffixe est due l'opposition du mot lectron aux mots de la mme famille lectrique, lectricit. Le suffixe -ing d'origine anglaise a des chances de s'imposer au franais du fait qu'il se laisse facilement dgager d'un grand nombre d'emprunts faits l'anglais. Tel a t le sort de nombreux suffixes d'origine latine qui aujourd'hui font partie du rpertoire des suffixes franais. Par consquent, les multiples liens qui s'tablissent entre les units lexicales aune poque donne crent les conditions linguistiques de l'volution du vocabulaire. Ainsi la synchronie se rattache intimement la diachronie. 3. Le vocabulaire en tant que systme. Le vocabulaire n'est pas une agglomration d'lments disparates, c'est un ensemble d'units lexicales formant systme o tout se tient. C'est que les vocables de toute langue, tout en prsentant des imits indpendantes, ne sont pas pour autant isols les uns des autres. Dans la synchronie le fonctionnement de chaque unit dpend dans une certaine mesure du fonctionnement des autres units. Pour s'en rendre compte il suffit d'examiner de plus prs une srie de synonymes. Ainsi dans la srie hardiesse, audace, intrpidit, tmrit chacun des membres se distingue par quelque indice smantique qui en constitue l'individualit et la raison d'tre : hardiesse dsigne une qualit louable qui pousse tout oser, audace 2

suppose une hardiesse excessive, immodre, intrpidit implique le mpris du danger, tmrit rend l'ide d'une hardiesse excessive qui agit au hasard et, par consquent prend une nuance dprciative. On peut prvoir, sans risque de se tromper, que si encore un synonyme venait surgir il aurait reu une signification en fonction de celles de ses prdcesseurs . Et, au contraire, il est probable que la disparition d'un des synonymes serait suivie de la modification smantique d'un autre membre de la srie qui aurait absorb la signification du synonyme disparu. Dans la diachronie les moindres modifications survenues quelque vocable se font infailliblement sentir dans d'autres vocables relis au premier par des liens divers. Il est ais de s'en apercevoir. Les modifications smantiques d'un mot peuvent se rpercuter sur les mots de la mme famille. Au dbut du XXe sicle le mot parrainage signifiait uniquement qualit, fonctions de parrain ou de marraine , mais sous l'influence de parrainer - (nologisme smantique des annes 30), ce mot a reu une acception nouvelle . Le mot habit voulait dire autrefois tat - ; en prenant le sens de vtement il a entran dans son dveloppement smantique le verbe habiller form de bille - partie d'un arbre, d'un tronc prpare pour tre travaille ; l'apparition des drivs habilleur, habillement, dshabiller est due l'volution smantique du verbe. L'emploi particulier d'un mot peut galement avoir pour rsultat la modification de sa signification. Ainsi, par exemple, un mot qui se trouve constamment en voisinage d'un autre mot dans la parole peut subir l'influence smantique de ce dernier. Tels sont les cas des substantifs pas, point de mme que rien, personne, gure qui ont fini par exprimer la ngation sous l'influence de ne auquel ils taient rattachs. Il s'ensuit que dans l'tude du vocabulaire une importance particulire revient aux rapports rciproques qui s'tablissent entre les units lexicales. Le systme du lexique, comme tout autre systme, suppose l'existence d'oppositions. Ces oppositions s'appuient sur des rapports associatifs ou virtuels existant au niveau de la langue-systme. Elles appartiennent au plan paradigmatique. Chaque unit lexicale entretient, en effet, divers rapports associatifs avec les autres units. Prenons l'exemple de F. de Saussure qui est celui du mot enseignement. partir du radical enseignement est en rapport paradigmatique avec enseigner, enseignons, enseignant, etc. : envisag sous l'angle smantique il s'associe instruction, apprentissage, ducation, etc. L'ensemble des units entretenant entre elles un type de rapport paradigmatique constitue un paradigme. On range parmi les paradigmes lexicaux les groupes lexico-smantiques, les synonymes, les familles drivationnelles, les homonymes, etc. Le lexique qui fait partie du systme de la langue reprsente donc son tour un systme de systmes. Les rapports systmiques se manifestent non seulement au sein de la langue, mais galement dans la parole. Au niveau de la parole les vocables ralisent leur facult de s'agencer les ans avec les autres selon certains rgles. Cette prdisposition inhrentes aux vocables est due avant tout l'organisation syntaxique de l'nonc qui implique l'existence de diffrents termes de la proposition. Ces derniers peuvent se raliser seulement sous forme de parties du discours dtermines. Ainsi la fonction de sujet sera rendue par un substantif, un pronom personnel, un verbe l'infinitif, mais jamais par un verbe la forme personnelle. Par contre, un verbe la forme personnelle sera toujours un prdicat. Cette prdisposition des vocables est aussi commande par des particularits lexico-smantiques. L'emploi d'un mot avec un autre n'est possible qu' condition qu'il y ait entre eux un trait smantique (ou sme) commun. Par exemple, l'emploi de aboyer avec chien (renard, chacal, etc.) est rgulier du fait que ces mots comportent le sme commun animal . Nous assistons ici au phnomne de coordination smantique. Donc, il faut reconnatre l'existence de rapports privilgis entre certaines units lexicales dans le discours. Les rapports linaires qui existent entre deux ou plusieurs units sont appels rapports syntagmatiques. Le caractre systmique du vocabulaire repose sur les rapports paradigmatiques et syntagmatiques qui s'tablissent entre les units lexicales. Le vocabulaire du franais moderne reprsente un systme form au cours d'un long dveloppement historique. C'est prcisment parce qu'il forme systme que le vocabulaire peut et doit servir d'objet une tude spciale. Toutefois le lexique offre les traits d'un systme particulier qui le distingue des autres systmes de la langue, des systmes phontique et grammatical (morphologique et syntaxique). Plus que n'importe quel autre systme le systme du vocabulaire subit l'effet des facteurs extralinguistiques, avant tout d'ordre social et culturel. Cette influence est directe. Il s'ensuit que le vocabulaire, tant d'une grande mobilit, reprsente un systme ouvert, autrement dit, il s'enrichit constamment de nouvelles units lexicales. Une autre particularit du lexique en tant que systme consiste dans le manque de rgularit, de rigueur dans les oppositions lexico-smantiques, ce qui entrane des limites plutt floues entre les sous-systmes. Il en est ainsi jusqu' la signification lexicale qui ne peut tre dfinie dans toute son tendue. 3

Il n'en reste pas moins vrai qu'il y a une interdpendance entre les units lexicales qui en dtermine dans une large mesure le fonctionnement dans la synchronie et l'volution dans la diachronie. 4. Le lien entre la lexicologie et les autres branches de la linguistique. Le systme de la langue prsente un ensemble d'units hirarchises qui diffrent par leur complexit et leur fonctionnement. En allant des units plus simples aux plus complexes on distingue les phonmes, les morphmes, les mots, les propositions. Chacun de ces types d'units constitue ce qu'on appelle un niveau de structure. Ce sont respectivement les niveaux phonologique, morphologique, lexical, syntaxique. Les units de chaque niveau, en se combinant entre elles, forment les units du niveau suprieur ; elles sont formes, leur tour, d'units du niveau infrieur. La lexicologie tudie les units du niveau lexical : les mots et leurs quivalents fonctionnels. Comme les mots sont en connexion avec les units des niveaux immdiatement infrieur et suprieur, la lexicologie se trouve troitement rattache la morphologie et la syntaxe - ces deux parties de la grammaire. En effet, la lexicologie ne peut entirement ngliger les catgories grammaticales des mots et leur structure formelle qui sont du ressort de la morphologie. Le lien entre la lexicologie et la morphologie est particulirement manifeste dans le domaine de la formation des mots. Les procds et modles de formation sont examins par ces deux disciplines, mais sous des angles diffrents : la lexicologie s'intresse leur rle dans l'enrichissement du vocabulaire, alors que la morphologie y voit des caractristiques particulires propres aux parties du discours, elle en fait ressortir les valeurs grammaticales. Les principes de la classification lexicogrammaticale des mots sont galement importants pour les tudes morphologiques et lexicologiques. Ainsi, par exemple, la rpartition des mots parmi les parties du discours varie selon qu'on traite les units telles que -cl, -pilote, -fleuve dans position-cl, cole-pilote, roman-fleuve de mots ou de morphmes (cf. l'lment -thque qui se laisse interprter comme racine ou comme suffixe selon les approches diffrentes). Notons aussi qu'une forme grammaticale peut se lexicaliser : reculons, ttons. Les contacts entre la lexicologie et la syntaxe sont aussi nombreux. Un des points de convergence est form par les locutions phrasologiques dont le fonctionnement syntaxique rejoint celui des mots. La lexicologie s'unit la phontique (phonologie). La pense de l'homme trouve sa ralisation dans la matire sonore qui constitue lei tissu de toute langue. Comme toute autre langue le franais possde son propre systme phonique caractris, entre autres, par les particularit de la structure sonore des mots qui ne sont pas sans intrt pour la lexicologie. Il importe notamment de relever les traits spcifiques de la prononciation dialectale qui offre des dviations la norme littraire. Il est de mme ncessaire d'avoir en vue que la prononciation des emprunts faits aux autres langues peut sensiblement s'carter des rgles de la prononciation franaise. La lexicologie est aussi en contact avec la stylistique. Elle prend en considration l'emploi des vocables dans les styles varis de la langue. Nous avons dj constat que la lexicologie se rattachait l'histoire de la langue. Pour juger correctement des faits du franais contemporain il est indispensable de s'appuyer sur le pass de la langue. Ainsi la lexicologie qui tudie un des niveaux de la langue et reprsente une discipline autonome ne peut tre isole des autres branches de la linguistique. 5. Mthodes d'analyse lexicologique. Une mthode de cognition ne peut tre vritablement scientifique qu' condition de se tourner vers les lois objectives de la ralit. La mthode dialectique se propose prcisment de rvler les lois authentiques du dveloppement de la nature et de la socit. Elle constitue la base philosophique et mthodologique des tudes linguistiques comme de toute autre recherche scientifique.Le dveloppement de la langue, le vocabulaire y compris, s'effectue conformment aux lois dialectiques. Ces lois sont ncessaires et objectives, elles rgissent la marche de la langue vers son perfectionnement.

Nous avons tabli que le vocabulaire reprsentait un systme au sein du systme de la langue tant donn que les faits lexicaux entretiennent des liens rciproques et sont en corrlation avec les autres phnomnes linguistiques. L'approche systmique dans les tudes linguistiques est conforme aux principes dialectiques. Compte tenu du caractre social de la langue il est indispensable d'envisager les faits linguistiques en liaison avec les phnomnes sociaux. Ceci est surtout important dans les recherches lexicologiques du fait que l'influence de la socit sur le vocabulaire est particulirement manifeste. Toute langue vivante est en perptuel mouvement. De l dcoule l'exigence d'tudier les faits linguistiques dans leur devenir. La mthode dialectique considre le processus de dveloppement comme un mouvement 4

progressif, ascendant. Ce dveloppement se traduit par le passage d'un qualitatif ancien un nouvel tat qualitatif qui va de l'infrieur au prieur. Cette thse fondamentale de la dialectique s'applique aussi bien la langue qu ' tout autre phnomne de la vie sociale ou de la nature. Le passage de l'ancienne qualit la qualit nouvelle ne se fait gure dans la langue par changements soudains, par explosions brusques. Toutefois le processus du dveloppement de la langue (de mme que de tout autre phnomne) ne s'effectue pas sur le plan d'une volution harmonieuse, mais sur celui de lamise au jour des contradictions inhrentes aux phnomnes, reposant sur un conflit, une comptition entre des tendances contraires. Les lments et les phnomnes nouveaux de la langue, et, partant, ceux du vocabulaire ne triomphent gure d'un coup des lments et des phnomnes anciens, ces derniers ayant une longue tradition d'emploi. Comme rgle, la qualit nouvelle l'emporte sur l'ancienne lorsqu'elle sert mieux les besoins de communication des hommes entre eux. Avant de devenir un fait de la langue toute innovation occasionnelle doit se perptuer l'infini afin d'tre assimile et adopte parla collectivit linguistique. Ainsi se ralise la loi dialectique du passage de la quantit la qualit. La mthode dialectique assure la juste comprhension et l'interprtation scientifique des lois qui prsident au dveloppement du vocabulaire de toute langue vivante. Elle trouve son incarnation dans un certain nombre de mthodes scientifiques gnrales et spciales. Les mthodes gnrales concernent toute science. Les mthodes spciales portent sur une science dtermine, en l'occurrence, sur la lexicologie. Toute tude scientifique commence par l'observation des faits, ce qui permet par la suite de procder l'analyse et de faire des gnralisations. L'observation constitue l'tape empirique de toute recherche. Pour un linguiste, qu'il soit phonticien, grammairien ou lexicologue, la mthode d'observation n'est applicable qu'au niveau de la parole (parle ou crite). L'exprience scientifique est une autre mthode gnrale. Le lexicologue y a recours lorsqu'il soumet les rsultats de son analyse une vrification objective, par exemple, une espce d'expertise ralise par des usagers de la langue. La mthode statistique est d'une grande importance pour toutes les sciences. Elle rend un service aux lexicologues et aux lexicographes qui se proposent de mettre en valeur l'aspect quantitatif des phnomnes lexicaux au sein de la langue, de dceler le nombre d'occurrences des units lexicales employes dans la parole selon les conditions et les buts de l'nonc. C'est en procdant par la mthode statistique qu'il devient possible de crer des dictionnaires de frquence. Parmi les mthodes gnrales appliques en lexicologie nommons aussi la mthode de modlisation qui consiste dans l'utilisation de modles (patterns ou schmas) visant dceler la structure abstraite et les caractres fondamentaux d'un phnomne. Les lexicologues font, en particulier, usage de la mthode de modlisation dans l'examen de la formation et de l'volution smantique des mots du fait que l'enrichissement du vocabulaire s'effectue conformment certains modles. Pareillement aux autres branches de la linguistique, la lexicologie fait appel des mthodes ou procdures plus spciales portant tantt sur le vocabulaire dans son ensemble, tantt sur des phnomnes lexicaux isols. Parmi les plus rpandues sont les procdures de segmentation, l'analyse en lments constituants, l'analyse componentielle, les mthodes distributionnelle, contextuelle et transformationnelle. La segmentation est une procdure qui consiste dcouper l'nonc en units discrtes de niveaux diffrents : mots, morphmes, phonmes. Cette procdure s'appuie sur les oprations de substitution et de combinaison qui permettent de grouper les diffrentes units en classes homognes. Ainsi, dans la squence Mon fils lit la possibilit de substituer son mon, pre fils, mange lit nous autorise qualifier respectivement ces lments comme de mme nature. Cette constatation est confirme par la rgularit des combinaisons suivantes : mon pre lit, son fils mange. La segmentation concourt prciser le statut des units linguistiques, en particulier, leur classification en parties du discours. la procdure de segmentation se rattache l'analyse en lments constituants immdiats. Cette dernire part du principe que les units complexes (phrases, syntagmes, mots construits) sont formes non pas d'une simple suite d'lments discrets, mais d'une combinaison d'lments d'un niveau infrieur qui en sont les constituants immdiats. Ainsi les constituants immdiats de la phrase Mon fils dort profondment sont : mon fils /dort profondment. Ces derniers auront leur tour pour constituants immdiats Mon fils et dort profondment. Enfin pour profond-ment on dgagera profond-ment. Le lexicologue s'intresse particulirement aux constituants immdiats des mots construits. l'gal de la phrase un mot construit peut avoir une structure hirarchise comportant diffrents constituants immdiats. Tel le mot patriotisme qui se laissera graduellement dcouper de la faon suivante: patriot-/-isme et patri-/-ot(e). L'analyse des mots construits en constituants immdiats met en vidence leur structure formative. Combine 5

avec la substitution elle permet d'tablir les classes lexico-grammaticales des bases formatives, d'tablir les rapports synonymiques entre les affixes. L'analyse distributionnelle a pour objectif de relever les environnements des units de langue, savoir, dcrire ces units par leur aptitude (possibilit ou impossibilit) s'associer entre elles. La distribution d'une unit de langue est la somme de tous ses environnements. Ainsi pour le verbe acheter ( la forme personnelle) la distribution de gauche sera la femme, l'enfant, le client, etc., la distribution de droite - du pain, de la viande, des fruits, etc. L'analyse distributionnelle permet au lexicologue de dceler les facults combinatoires des mots et de leurs lments constituants (constituants immdiats, morphmes, phonmes). L'analyse distributionnelle rejoint la mthode contextuelle qui consiste dans la prsentation des phnomnes linguistiques dans un contexte verbal dtermin. Cette dernire mthode est largement utilise dans les rcents ouvrages lexicographiques visant fournir aux usagers un riche inventaire d'emploi des vocables afin d'en rendre plus tangibles les nuances smantiques et l'usage. Vu que tout mot construit peut tre transform en une construction syntaxique la mthode transformationnelle s'avre utile lorsqu'on veut en prciser le caractre et le degr de motivation. Par exemple, la transformation te jardinet-petit jardin nous autorise affirmer que ce mot construit est motiv par le mot jardin qui en est la base drivationnelle ; en plus, elle permet de constater le plus haut degr de la motivation puisque les deux lments constituant le mot jardinet : jardin-et sont suffisants pour en dterminer le sens (le suffixe -et valeur diminutive quivalant smanti-quement petit . Par contre, la transformation de graveur -personne qui grave, tout en nous renseignant sur le mot de base (graver), n'en puise pas la signification qui est personne dont le mtier est de graver (cf. : faucheur - personne qui fauche ) ; ce fait signale une motivation infrieure, dite idiomatique. Il n'est pas toujours ais d'tablir la direction drivative pour deux mots qui supposent un rapport drivationnel. Tel est, par exemple, le cas de socialisme et socialiste. La mthode transformationnelle permet, en l'occurrence, d'expliciter la direction drivative : socialiste devra tre interprt comme tant driv de socialisme du fait que la transformation socialiste -partisan du socialisme est plus rgulire que la transformation socialisme - doctrine des socialistes. Ainsi la mthode transformationnelle rend un service aux lexicologues dans l'examen des rapports drivationnels existant au sein du vocabulaire. Dans les tudes portant sur le contenu smantique des vocables on fait appel l'analyse componentielle (ou smique). Cette dernire vise dceler les units minimales de signification (composants smantiques, traits smantiques ou smes) d'une unit lexicale (mot ou locution). L'analyse componentielle met en vidence non seulement la structure profonde de la signification, mais aussi les rapports smantiques qui existent entre les vocables faisant partie des sries synonymiques, des groupes lexico-smantiques, des champs syntagmatiques et autres groupements. Les mthodes spciales appliques en lexicologie visent dcrire de faon plus explicite la forme et le contenu des units lexicales, ainsi que les rapports formels et smantiques qu'elles entretiennent.

CHAPITRE II LE MOT 6. Le mot- unit smantico-structurelle fondamentale de la langue. Le mot est reconnu par la grande majorit des linguistes comme tant une des units fondamentales, voire l'unit de base de la langue. Cette opinion qui n'a pas t mise en doute pendant des sicles a t toutefois revise par certains linguistes du XXe sicle. Parmi ces derniers il faut nommer des reprsentants de l'cole structuraliste, et en premier lieu les linguistes amricains Z.S. Harris, E.A.Nida, H. A. Gleason, selon lesquels non pas le mot, mais le morphme serait l'unit de base de la langue. Conformment cette conception la langue se laisserait ramener aux morphmes et leurs combinaisons. Dans la linguistique franaise on pourrait mentionner Ch. Bally qui bien avant les structuralistes amricains avait dj exprim des doutes sur la possibilit d'identifier le mot. Son scepticisme vis--vis du mot perce nettement dans la citation suivante : La notion de mot passe gnralement pour claire ; c'est en ralit une des plus ambigus qu'on rencontre en linguistique . Aprs une tentative de dmontrer les difficults que soulve l'identification du mot Ch. Bally aboutit la conclusion qu' il faut... s'affranchir de la notion incertaine de mot . En revanche, il propose la notion de smantme (ou sme) qui serait un signe exprimant une ide purement lexicale , et la notion de molcule syntaxique ou tout complexe form d'un smantme et d'un ou 6

plusieurs signes grammaticaux, actualisateurs ou ligaments, ncessaires et suffisants pour qu'il puisse fonctionner dans une phrase . La notion de smantme est illustre par des exemples tels que loup, louveteau, rougetre. etc., celle de molcule syntaxique par ce loup, un gros loup, marchons ! Ainsi Ch. Bally spare l'aspect lexico-smantique d'un mot non-actualis dans la langue-systme de la forme de ce mot actualis dans la parole. Plus tard A. Martinet a aussi rejet la notion de mot en lui substituant celle de mo n m e qui lui a paru plus justifie que celle de mot. Selon lui, les monmes sont les units minimales de sens (autonomes ou non-autonomes). Ainsi dans nous travaillons on aura, selon A. Martinet, trois monmes : nous travaill-ons. Parmi les monmes il distingue les lexmes-monmes de type ouvert (dans l'exemple cit : travaill-) et les morphmes-monmes de type ferm (nous et -ons). Cette tendance supprimer la notion de mot des tudes linguistiques n'est pas fortuite. D'une part, elle s'explique par les tentatives infructueuses de donner une dfinition universelle du mot. Le linguiste russe L. Tcherba a insist sur l'impossibilit d'une pareille dfinition : En effet, qu'est-ce que le mot ? - s'interroge-til ; suit la rponse : il me parat que dans les langues diffrentes ce n'est pas pareil. De l dcoule que la notion de mot en gnral n'existe pas. Les mots appartenant des langues de typologie diffrente sont marqus par des dissemblances tellement accuses que leur confrontation devient une tche ardue. Cette confrontation est parfois plus aise partir des morphmes. D'autre part, cette conception se rattache l'analyse descriptive des idiomes parls par les tribus indiennes de l'Amrique du Nord et de l'Amrique Centrale effectue au dbut du XXe sicle. L'tude de ces idiomes a t entreprise partir des morphmes. Cette approche avait une raison d'tre, vu les possibilits de son application pratique dans l'examen plus ou moins sommaire des langues systmes inconnus. Toutefois elle se rvle insuffisante aussitt qu'on veut pntrer plus profondment le systme d'une langue qui a t l'objet de nombreuses tudes. Cette conception qui attribue au morphme une position centrale dans le systme de la langue est incompatible avec la thse reconnue par la plupart des linguistes selon laquelle la langue est un instrument de la connaissance de la ralit objective. Le morphme est pareillement au mot une unit significative de la langue, mais, l'oppos du mot, il ne peut nommer, dsigner en direct les objets et les phnomnes de la ralit. Cette facult qui est propre au mot par excellence met en contact notre conscience et le monde extrieur, elle permet de l'analyser, de le pntrer et parvenir le connatre. Cette proprit en fait une unit fondamentale et indispensable de toute langue. Outre ce trait distinctif fondamental du mot il y a lieu de signaler quelques-unes de ses autres particularits qui en font une unit de base de la langue. Le mot est une unit polyfonctionnelle. Il peut remplir toutes les fonctions propres aux autres units significatives : fonctions nominative, significative, communicative, pragmatique. L'envergure du fonctionnement du mot est si grande qu'il peut se transformer en morphme, d'un ct (ex. : march - dans nous marchons) et constituer une proposition, de l'autre (ex. : marchons ! silence /). Ce fait permet de conclure que les frontires entre le mot et les autres units significatives restent ouvertes. Le caractre polyfonctionnel du mot en fait une unit quasi universelle. Prcisons toutefois que le mot peut ne pas raliser dans la parole l'ensemble de ses fonctions virtuelles (ainsi, par exemple, la fonction pragmatique). L'asymtrie qui est propre aux units de la langue en gnral est particulirement caractristique du mot. Cette asymtrie du mot se manifeste visiblement dans la complexit de sa structure smantique. Le mme mot a le don de rendre des significations diffrentes. Les significations mmes contiennent des lments appartenant des niveaux diffrents d'abstraction. Ainsi le mot exprime des significations catgorielles : l'objet, l'action, la qualit. Ces significations sont la base de la distinction des parties du discours. un niveau plus bas le mot exprime des significations telles que la nombrabitit/la non-nombrabilit, un objet inanim/un tre anim. A un niveau encore plus bas le mot traduit diverses significations lexicales diffrencielles. Notons encore que le mot constitue une ralit psychologique c'est avant tout les mots qui permettent de mmoriser nos connaissances et de les communiquer. Ainsi le mot est une unit bien relle caractrise par des traits qui lui appartiennent en propre. C'est l'unit structuro-smantique et rfrentielle par excellence. Malgr les diversits qui apparaissent d'une langue l'autre le mot existe dans toutes les langues ses deux niveaux : langue-systme et parole. Les mots (et, ajoutons, les quivalents de mots) constituent le matriau ncessaire de toute langue.

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7. Le mot (son enveloppe matrielle) et la notion. La majorit des linguistes reconnat l'existence d'un lien indissoluble entre la pense de l'homme et la langue. L'homme pense au moyen de notions qui se combinent en jugements, il communique sa pense l'aide de mots qui s'agencent en propositions. Ces catgories logiques et linguistiques apparaissent toujours dans leur liaison troite. Notre pense ne trouve sa ralisation que dans la matire, en l'occurrence, dans la matire sonore (ou graphique, son succdan) sous forme de mots et de propositions qui servent rendre des notions et des jugements. On peut parler de notions pour autant qu'elles sont matrialises sous forme de mots (ou d'quivalents de mots). Ceux des linguistes ont tort qui affirment, qu'il existe une pense abstraite non formule en paroles, que la pense la plus simple ne peut tre rendue que d'une faon schmatique et dforme. Il faut donner raison F. de Saussure lorsqu'il dit que le son et la pense sont insparables de la mme manire que le recto d'une feuille de papier est solidaire du verso. Permettons-nous encore cette comparaison fort russie du dramaturge allemand H. von Kleist : L'ide ne prexiste pas au langage, elle se forme en lui et par lui. Le Franais dit: lapptit vient en mangeant ; cette loi empirique reste vraie quand on la parodie en disant: lide vient en parlant . Le rle des mots ne se borne pas transposer la notion dans la forme verbale, mais servir de mdiateur actif et indispensable dans l formation de la notion, pour son devenir. Le mot participe lui-mme la formation de la notion, autant dire que tout mot gnralise. Le mot et la notion prsentent une unit dialectique. Examinons le processus de cognition. Dans quel rapport se trouvent le mot et la notion ? Dans quel rapport se trouvent la notion et l'objet de la ralit ? On distingue deux degrs de la connaissance. Le premier degr consiste dans la sensation. dans la formation de perceptions et de reprsentations partir de la sensation. La sensation est le lien immdiat entre la ralit, le monde extrieur et la conscience La sensation sert de base la perception et la reprsentation. Le processus de perception s'effectue quand on peroit directement un objet par les sens. La perception est l'ensemble des sensations produites par un objet. On peut se reprsenter un objet sans le percevoir directement, l'aide de la mmoire ou de l'imagination. Alors on est en prsence du processus de la reprsentation. La reprsentation est l'image mentale de l'objet qui n'est pas peru directement par les sens. Ainsi l'homme entre en contact avec la ralit par les sensations, les perceptions et les reprsentations. Mais ce n'est que le premier stade du processus de la connaissance. Le deuxime degr de la connaissance suppose la gnralisation des phnomnes isols, la formation des notions (ou concepts) et des jugements. Par la gnralisation thorique, abstraite des perceptions et des reprsentations, on forme des notions, des concepts. La notion, le concept fait ressortir les proprits essentielles des objets, des phnomnes de la ralit sans en fixer les proprits accidentelles. Si nous regardons une rivire nous la percevons : si plus tard nous voquons le souvenir de cette mme rivire, nous nous la reprsentons. L'image concrte de cette rivire est dans le premier cas, une perception dans le deuxime - une reprsentation. En faisant ressortir les proprits essentielles des rivires en gnral, c'est-dire le courant de l'eau avec ses deux rives naturelles ( l'oppos d'un canal) etc., nous formons une notion. La notion (ou le concept) n'est plus une image mentale concrte, c'est une abstraction une gnralisation thorique. Le mot rivire s'unit la notion rivire ; il sert nommer non pas une rivire dtermine, mais n'importe quelle rivire, la rivire en gnral, autrement dit ce mot exprime la notion de rivire gnralise, abstraite. Le mot gnralise principalement grce sa facult d'exprimer des notions La notion (ou le concept) peut tre rendue par des moyens linguistiques diffrents : par des mots, des groupes de mots. C'est pourtant le mot par excellence, qui sert de moyen pour exprimer la notion. La facult d'exprimer des notions ou des concepts est une des caractristiques fondamentales des mots et de leurs quivalents. Donc, le mot et la notion (le concept) constituent une unit dialectique. Pourtant unit ne veut pas dire identit. De mme qu'il n'y a pas d'quivalence, voire, de symtrie, entre la pense et la langue, il n'y a point d'identit entre le mot et la notion. Un mot, prcisment son enveloppe matrielle, peut tre li plusieurs notions et inversement, la mme notion est parfois rendue par des mots diffrents Il est ncessaire de faire la distinction entre les notions de la vie courante, ou les notions coutumires. et les concepts valeur scientifique Ainsi, le mot soleil exprime tout aussi bien une notion coutumire qu'un concept scientifique. Le concept scientifique reflte les proprits vritablement essentielles des objets et des phnomnes consciemment dgags dans le but spcial de mieux pntrer et comprendre la ralit objective. Les concepts scientifiques sont exprims par les nombreux termes appartenant aux diverses terminologies 8

La notion coutumire reflte dans notre conscience les proprits essentielles distinctives des objets et des phnomnes. Les notions coutumires n'exigent pas de dfinitions prcises et compltes au mme titre que les concepts scientifiques qui veulent une extrme prcision. Dans son activit journalire l'homme a surtout affaire aux notions coutumires qui servaient la pense humaine dj bien avant l'apparition des sciences. Aujourd'hui comme autrefois la plupart des mots d'un emploi commun expriment dans le langage principalement des notions coutumires. Les notions coutumires de mme que les concepts scientifiques se prcisent et se perfectionnent grce au processus universel de la connaissance de la ralit objective. Les notions, les concepts peuvent tre rels et irrels. Ils sont rels condition de reflter les proprits des objets et des phnomnes de la ralit objective Tels sont lectricit, atome, oxygne, hydrogne , matire, ralit, jugement, concept, science, mot, morphme, prfixe, suffixe, homme, enfant, socit, etc. Les notions, les concepts irrels sont aussi des gnralisations abstraites, mais ils ne refltent pas des objets et des phnomnes existants ; tels sont panace, pierre philowphale, phlogistique, centaure, chimre, sphinx, harpie, fe, sirne, lutin, licorne, etc. Les notions et les concepts irrels ne sont pourtant pas entirement dtachs de la ralit objective. Ils refltent des morceaux, des fragments de la ralit, combins arbitrairement grce l'imagination. L'homme vrifie la justesse et l'objectivit de ses connaissances en se rglant sur la pratique quotidienne. C'est la pratique quotidienne qui permet de distinguer ce qui est juste de ce qui est faux dans nos perceptions, nos reprsentations, nos notions et jugements. Elle est la base du processus de la cognition son premier et son deuxime degr. La pratique sociale est le critre objectif de toute connaissance. Ainsi, les deux degrs de la connaissance sont insparables. Le lien indissoluble des notions (ou concepts) avec les reprsentations et les perceptions dtermine la facult du mot d'exprimer non seulement des notions, mais aussi des reprsentations. En effet, le mot tableau, pris en dehors de la parole, l'tat isol, exprime une notion ; il se rattache une reprsentation, une image concrte, dtermine pour le matre qui s'adresse en classe un de ses lves avec la phrase Venez au tableau ! Les mots et leurs quivalents pris en tant qu'units de la langue expriment des notions et des concepts. Dans l'nonc ils peuvent tre lis des reprsentations, aussi bien qu' des notions (cf . Le chat est un animal domestique et Prpare la pte pour le chat). 8. Le mot est-il un signe arbitraire ? Dans la linguistique occidentale, et galement dans la linguistique russe, le mot est souvent conu comme un signe de l'objet, du phnomne qu'il dsigne. Cette conception remonte la thorie du signe de F de Saussure. Le signe linguistique, selon F. de Saussure, est ... une entit psychique deux faces, qui peut tre reprsente par la figure:

mage acoustique

o l'image acoustique n'est point le son matriel ( chose purement physique ), mais l'empreinte psychique de ce son ( elle est sensorielle ) Cette conception suscite des objections d'une part, elle donne libre cours aux thories idalistes du mot, en le dtachant de la ralit objective : d'autre part, elle pousse l'agnosticisme. F. de Saussure prive le mot de sa substance matrielle ; l'enveloppe sonore (ou la graphie) il substitue une image acoustique qui rside dans notre cerveau et reprsente un phnomne purement psychique. En ralit le mot comporte ncessairement un aspect matriel (sonore ou graphique) du fait que la langue en tant que moyen de communication s'appuie sur la matire qui non seulement ralise notre pense, mais lui sert de vhicule. F. de Saussure insiste avec raison sur le caractre ncessairement arbitraire du signe. En effet, tout signe doit tre arbitraire. Dans le schma saussurien le concept, faisant partie intgrante du signe, se laisse interprter comme possdant lui aussi les caractres d'un signe arbitraire, ce qui dcoule de l'assertion suivante de F. de Saussure . puisque nous entendons par signe le total (soulign par WZ, ) rsultant de l'association d'un signifiant un signifi, nous pouvons dire plus simplement : le signe linguistique est arbitraire . Toutefois le concept (la notion) ne peut tre trat de signe ou d'ingrdient d'un signe arbitraire tant donn qu'il reprsente une gnralisation des phnomnes de la ralit qui s'opre dans notre cerveau. Si le terme signe suppose un 9

lien conventionnel, arbitraire, le terme gnralisation implique un lien rel. En effet, la notion gnralise, elle reflte ls particularits essentielles d'un objet ou d'un phnomne de la ralit. Donc, travers la notion le mot reflte la ralit objective. C'est justement pour cette raison que le mot en tant qu'unit dialectique de l'enveloppe matrielle et de la notion prsente un instrument efficace de la connaissance de la ralit des phnomnes. Mme les notions irrelles, qui constituent d'ailleurs un nombre minime, ne sont point dtaches de la ralit et, par consquent, ne sont point absolument arbitraires. Grce la pratique quotidienne qui est le critre suprme de la justesse de toutes nos connaissances leur nombre va dcroissant. De la thorie du signe linguistique de F. de Saussure dcoule le caractre arbitraire du mot en gnral et du concept en particulier, ce qui dforme la ralit. En attribuant au concept les proprits d'un signe on rige un mur entre notre conscience et la ralit objective ; de l il ne reste qu'un pas faire pour proclamer le monde inconnaissable et prsenter l'homme comme inapte le comprendre et pntrer ses lois. Rien d'tonnant ce que la thorie de F. de Saussure ait inspir nombre de doctrines idalistes d'aprs lesquelles le mot serait plutt un obstacle qu'un instrument ncessaire dans le processus de la connaissance. Si le caractre objectif de la notion ne laisse pas de doute, la prsence dans le mot de traits propres au signe n'est pas moins vidente. L'enveloppe matrielle du mot (sons ou graphie), quoique dtermine historiquement, est parfaitement arbitraire une poque donne. Si l'enveloppe matrielle n'tait point arbitraire une mme notion aurait t rendue par les mmes mots dans les langues diffrentes, autrement dit les vocabulaires de toutes les langues auraient t identiques ce qui n'est pas le cas (cf. : rascasse - pacca, cheval- , vote , pire- p, tri - ). Donc, le terme signe est justifi lorsque employ pour dsigner l'enveloppe sonore (ou graphique) du mot et son rapport avec le concept une poque donne, mais nullement le concept comme tel. Remarquons qu' lencontre des signes qui font partie de quelque code, l'enveloppe sonore du mot et son lien avec le concept sont historiquement dtermins. Il est notoire que l'enveloppe sonore (ou la graphie) du mot doit ncessairement avoir la valeur d'un signe arbitraire. C'est prcisment cette proprit du mot qui en fait une unit asymtrique, condition ncessaire de son fonctionnement. Si la substance matrielle du mot n'tait pas arbitraire, mais conditionne par la notion (si elle tait en quelque sorte le symbole d'une notion et d'un objet) les mots n'auraient pas eu cette puissance communicatrice dont ils sont pourvus en ralit, ils n'auraient jamais pu traduire des contenus smantiques diffrents, condition ncessaire du dveloppement de toute langue (cf. les onomatopes qui symbolisent la notion qu'ils expriment : coucou, tic-tac et qui sont gnralement monosmiques). 9. Les fonctions des mots. Nous avons signal le rle du mot en tant qu'instrument de la connaissance. Toutefois la raison d'tre des mots, tout comme de la langue en entier, est de servir la communication des hommes entre eux. Cette fonction capitale de la langue a t nglige par F. de Saussure qui a priv le signe linguistique de toute matrialit. C'est seulement condition d'tre matriel que le mot peut transmettre une information. En tant qu'lment de la communication le mot possde plusieurs fonctions. La grande majorit des vocables est susceptible d'exprimer des notions (ou concepts) ; il serait juste de dire que ces vocables remplissent la fonction cognitive (intellectuelle ou dnotative). Cette fonction est en rapport direct avec une autre facult propre aux mots, celle de nommer, de dsigner les objets de la ralit ou leurs proprits ; cette autre facult des mots en constitue la fonction rfrentielle (ou dsignative). Certains mots ont une valeur affective, ils servent traduire les sentiments de l'homme, son attitude motionnelle envers la ralit ; ce sont des mots fonction motive (ou affective). Les fonctions cognitive, motive, et rfrentielle des mots sont reconnues par la majorit des linguistes. Parmi ces fonctions la fonction rfrentielle caractrise le mot par excellence. Les mots et leurs quivalents se distinguent quant aux fonctions qu'ils exercent dans la langue. La plupart des mots autonomes, tels que les substantifs, les adjectifs qualificatifs, les adverbes, les verbes ont galement la facult d'exprimer des notions et celle de nommer les objets et leurs indices ; tels sont : homme, tte, main ; brave, vigoureux ; travailler, penser, etc. Ils sont appels mots pleins. Parmi les mots exprimant des notions il faut signaler ceux qui expriment des notions dites uniques. Ce sont les noms propres dnommant des lieux gographiques tels que : Moscou, Paris, la France, les Alpes, le Caucase, etc., ou des noms d'objets uniques tels que : le soleil, la terre, la lune, etc. Parmi les mots autonomes on distingue les noms propres de personnes et d'animaux dont la fonction dsignative est prioritaire : Pierre, Michel, Lucie, Mdor, Minouche, etc. Ce sont aussi des mots-substituts dont les pronoms comme, par exemple : Qui parle ? Cet tudiant a tort, celui-ci a raison. Certains sont venus en retard, etc. 10

Nombreux sont les mots autonomes qui exercent la fois les fonctions cognitive et motive ; ce sont entre autres : cagoulard, mouchard, barbaque - mauvaise viande ; crve-cur - grand dplaisir ml de dpit qui rendent des nuances motionnelles dprciatives ; bichon, biquet, lapin qui sont des termes d'affection. Parmi les mots autonomes remplissant uniquement la fonction motive viennent se placer les interjections : oh, hlas, peuh, tiens, fi, zut, oh l l, allons, va, ae, bof, etc. Les mots non-autonomes ou mots-outils sont aussi caractriss pari la fonction cognitive, cependant elle est d'autre nature : elle se situe non plus au niveau lexical, mais au niveau grammatical de la langue. Certains mots-outils traduisent les rapports existant entre les notions et les jugements (tels sont les prpositions, les conjonctions, les pronoms relatifs, les verbes auxiliaires copules) ; d'autres prcisent, en les prsentant sous jma. aspect particulier, les notions rendues par les mots qu'ils accompagnent (ainsi les dterminatifs : articles, adjectifs possessifs et dmonstra-ptifs, les particules). Signalons part les termes modaux qui n'expriment pas des notions. |nais l'attitude du sujet parlant envers ce qu'il dit, par exemple : videntument, probablement, peut-tre, n 'importe, etc. Remarquons qu'aux yeux de certains linguistes tout mot possderait l forcment la fonction cognitive. Ainsi les noms propres de personnes et Ld'animaux rendraient la notion trs gnrale de l'homme ou de l'animal or est toujours un chien, tandis que Paul s'associe rgulirement fl'homme). Les interjections ne traduiraient pas les motions du locuteur Ien direct, mais par le truchement des notions correspondantes (Pouah ! tiendrait l'ide d'un grand dgot, tiens ! - celle d'une surprise). Cette iception, qui ne manque pas d'intrt, fait toutefois violence aux ph-|nomnes linguistiques. Si l'on compare, quant leur contenu smantique, les mots homme et Emile pris isolment la diffrence apparatra nettement. Le mothom-rendra effectivement la notion gnrale d' tre humain dou d'in-slligence et possdant l'usage de la parole , il n'en sera rien pour nile qui n'exprimera pas plus la notion d' homme que Minouche elle de chat . En effet, il est impossible de dgager une classe de rsonnes dnommes Emile possdant en commun des traits caractristiques. On ne peut que constater un certain rapport entre le prnom nile et la notion homme tre humain mle ). Donc, au niveau de la langue-systme Emile et Minouche sont dpourvus de la fonction agnitive. Il en est autrement au niveau de la parole. C'est justement ici |ue les noms propres de personnes et d'animaux se conduisent l'gal Ses noms communs. En effet, les premiers, aussi bien que les derniers, exprimeront des notions particulires (cf. : Jean viendra - Cet homme fviendra). Donc, les noms propres de personnes et d'animaux possderont la fonction cognitive (et, videmment, la fonction rfrentielle) au niveau ; la parole. Aussitt qu'un nom propre acquiert la facult d'exprimer une notion gnrale (cf. : un Harpagon, un Tartufe) il sera promu au rang des noms communs et deviendra un mot fonction cognitive au niveau de la lanjPgue. Le passage d'un nom propre dans la catgorie des noms commun peut tre d une connotation qu'on lui attribue sans aucune raison valable. Confrontons prsent pouah ! et dgot. Si dgot rend bien une notion dtermine tout en la nommant, pouah ! traduit en direct un sentiment, une motion cause par un phnomne de la ralit. Tout comme les notions les motions refltent la ralit. Toutefois ces rverbrations motionnelles se situent un niveau infrieur en comparaison de la notion. Donc, les interjections possdent exclusivement la fonction affective qui apparat aux deux niveaux de la langue. C'est dans le fait que les interjections rendent nos sentiments et non pas des notions qu'il faut chercher l'explication du caractre souvent flottant, imprcis de leur signification. 10. La signification en tant que structure. La majorit des linguistes envisage la-signification comme un des ingrdients du mot. Ceux qui voudraient dpouiller le mot de son contenu smantique et l'interprter de phnomne purement formel ne tiennent pas compte de la fonction essentielle de la langue - celle de communication. C'est le cas de certains structuralistes amricains qui ont exclu la catgorie de la signification de leurs recherches. Les tudes purement formelles des phnomnes linguistiques prsentent la langue d'une faon tronque, incomplte. Ainsi le renoncement la signification cause de grands inconvnients. Un linguiste, pour peu qu'il veuille connatre la nature des faits qu'il se propose d'tudier, ne saurait se borner l'examen du plan expression et devra pntrer plus avant le plan contenu . Souvenons-nous des paroles de L. Chtcherba au sujet du mot ; il disait que celui qui renonce la catgorie de la signification en tue l'me. E. Benveniste a trouv une autre image pour rendre la mme ide : Voici que surgit le problme qui hante toute la linguistique moderne, le rapport forme : sens que maints linguistes voudraient rduire la seule notion de forme, mais sans parvenir se dlivrer de son corrlat, le sens. Que n'a-t-on tent pour viter, ignorer, ou expulser le sens ? On aura beau faire : cette tte de mduse est toujours l, au centre de la langue, fascinant ceux qui la contemplent . 11

La linguistique franaise n'est jamais alle jusqu' exclure la signifi-de la langue. Toutefois les termes sens et signification du fmot n'y ont pas reu de dfinition prcise. Certains linguistes les em-ploient sans commentaire comme si ces notions ne soulevaient aucun doute ; d'autres ludent consciemment le problme. Il est connu que F. de ? Saussure, pour ne pas s'embrouiller dans toutes les controverses insti-flues ce sujet avait prfr ne pas faire allusion la signification ou au liens des mots. Il avait parl de signifi et de signifiant . Dans la linguistique russe ce problme n'a pas t seulement pos mais largement labor. Les linguistes paraissent s'entendre pour attribuer tout mot une signification soit lexicale, soit grammaticale. On reconnat que les mots sont porteurs de significations grammaticales lorsqu'ils expriment des fapports entre les notions et les jugements ou bien quand ils servent I dterminer les notions. Les linguistes conoivent diffremment la signification lexicale du mot. Il est vident que la signification du mot n 'est pas l'objet ni le phnomne auquel elle s'associe ; ce n'est point une substance matrielle, mais i contenu idal. Il reste pourtant vrai que sans ces objets et phnomnes ie la ralit les significations des mots n'existeraient pas. Cette thse est lgalement valable pour les mots exprimant des notions relles et irrelles. La signification du mot n'est point non plus le lien entre 1 `enveloppe onore d'un mot et les objets ou phnomnes de la ralit, quoique cette wnion soit assez rpandue. Par lui-mme ce lien entre l'enveloppe so- are des mots et les objets et phnomnes de la ralit, ne peut expliquer la diversit des significations [9, c. 1 0. 57. 15 1]. La signification est avant ut une entit idale qui ne peut s'identifier avec quelque rapport. Il est utefois indispensable d'en prciser la nature. Tout en reconnaissant la facult gnralisatrice du mot on oppose arfois la signification la notion, la premire tant interprte comme catgorie linguistique et la seconde, comme catgorie logique. Seuls les Ilermes seraient susceptibles d'exprimer des notions, alors que lamajont Ifies mots exprimeraient des significations. En effet, la signification des termes se distingue de celle des mots non terminologiques par son carac tre scientifique et universel, il n'en reste pas moins vrai que tout mot te la ralit objective, qu'il soit un terme ou non. C'est pourquoi tout fmot en tant que gnralisateur se rattache ncessairement la notion. On peut dire que la notion rendue par un mot constitue le composant fonda mental de sa signification. Il est notoire que les notions (prcisment les notions coutumires) exprimes par des mots correspondants appartenant des langues diffrentes ne concident pas-toujours exactement, ce qui se fait infailliblement sentir dans la signification de ces mots Ainsi, pour le mot russe pyxa nous aurons en franais bras et main ; pour - jambe et pied. Les Franais distinguent la rivire et le fleuve ; les Russes ne font pas cette diffrence, ils emploient dans les deux cas le mot . Des cas frquents se prsentent lorsqu'un mot, exprimant dans une langue une notion de genre, correspond dans une autre plusieurs mots rendant des notions d'espce. On assiste souvent ce phnomne lorsqu'on passe du franais au russe, ce qui s'explique par le caractre abstrait du lexique franais d des facteurs essentiellement historiques. Le verbe franais cuire veut dire prparer quelque chose par le moyen du feu . Il n'y a pas de verbe russe correspondant ; les verbes , , () n'expriment que des lments ou certains aspects de la notion rendue par cuire. Il est vident que le sens d'un mot dpend directement de la notion laquelle ce mot se rattache. Toutefois la notion n'est pas toujours l'unique ingrdient du sens. Les linguistes qui ramnent le sens du mot la notion qu'il exprime en excluent les nuances motionnelles. Cette conception appauvrit le contenu idal du mot. Nous avons tabli que la fonction affective tait propre aux mots ct de la fonction cognitive Ce sont prcisment ces deux fonctions qui dterminent le sens du mot. Notons pourtant que la valeur affective ne fait pas ncessairement partie du sens d'un mot. En dehors du sens resteront les nuances motionnelles qu'un mot peut prendre ventuellement dans un contexte dtermin, mais qui ne sont gure un lment constant de leur contenu smantique. Ainsi dans L'Ile des Pingouins les mots pingouin et marsouin, stylistiquement neutres dans le systme du vocabulaire, prennent une tonalit affective sous la plume d'A. France du fait que pingouin fait penser des qualits telles que la navet, la simplicit, et le sens tymologique de marsouin est cochon de mer . Dans l'uvre de rcrivain ces mots acquirent une valeur symbolique, le premier tant une allusion aux Franais et le second - aux Anglais. titre d'exemple citons un fragment tir d' Un amour de Swann de Marcel Proust. Le hros du roman s'aperoit qu'Odette, qui veille en lui un sentiment tout nouveau, ressemble de faon frappante la Zphora de Botticelli : ... et bien qu'il ne tnt sans doute au chef-d'uvre florentin que parce qu'il le trouvait en elle, pourtant cette ressemblance lui confrait elle aussi une beaut, la rendait dlicieuse... Le mot d' uvre florentine rendit un grand service Swann. Il lui permit, comme un titre, de faire pntrer l'image d'Odette dans un monde de rves o elle n'avait pas eu accs jusqu'ici et o elle s'imprgna de tuioblesse. Dans cet extrait les paroles uvre florentine sont pourvues ivaleur affective que l'auteur leur confre d'une consciemment. Toutefois cette Ivaleur affective occasionnelle ne fait pas partie de leur sens, elle reste en de la bnarge structure de leur signification. Nous pouvons dire avec UImann que les fonctions affectives du langage sont aussi Ij>. fondamenta- que les fonctions intellectuelles ( Prcis de smantique franaise . - 1959, p. 147). |4es Berne, 12

tant donn que les deux fonctions psychiques (intellectuelle et tive) du mot en dterminent le sens, ce dernier peut tre t mologico-substantiel. affectif oul'un et l'autre la fois. Ainsi [ homme, arbre, lectricit, rouge, grand, travailler, parler-ontun sens logico-substantiel ; les interjections seules pouvoir exprimer un sens purement affectif; le sens de sont haridelle, minois, se fagoter estlogico-substantiel et affectif. Remarquons que certains linguistes attribuent tort des mots tels chagrin, que douleur, mort, mourir, pleurer, des nuances d'ordre motionnel. haridelle et se fagoter traduisent effectivement nos etc. Si sentiments vis--vis des phnom dnomms, nes chagrin, mourir rendent uniquement la notion d'un tat ou d'un sentiment et non pas notre attitude motionnelle vis--vis de cesnomnes. ph Quant aux noms propres des tres anims, ainsi que nous l'avons dj constat, ils seront privs de sens au niveau de la langue-systme et auront un sens logico-substantiel au niveau de la parole. Le contenu idal d'ordre intellectuel et motif dtermine dans une large mesure l'emploi du mot avec les autres mots. Ceci est surtout vident lorsqu'on confronte les particularits du fonctionnement des mots signification voisine. Prenons en guise d'exemples les verbes sens trs proche : chapper et rchapper. Le premier suppose un danger tout proche, menaant mais qui ne vous a pas encore atteint, le deuxime - un danger mortel qu'on a vit par chance. C'est pourquoi on dira chapper un danger et rchapper la mort. Les adjectifs fragile et frle sont des synonymes qui se distinguent assez nettement par leurs nuances notionnelles. Si fragile suppose peu de solidit, le danger d'tre facilement bris ou de prir, frle se dit plutt de ce qui se soutient peine que de ce qui se brise facilement. C'est pourquoi on dira la porcelaine est fragile , mais le roseau est frle . Comparons aussi effleurer, frler, friser qui quelques nuances prs rendent la mme ide de toucher lgrement . Effleurer signifie toucher lgrement la superficie volontairement ou non , frler ajoute au sens de effleurer les nuances en passant rapidement , friser signifie frler en produisant des vibrations . C'est pourquoi il est correct d'employer seulement effleurer dans // effleura son front, ses yeux, puis ses joues de baisers lents, lgers ( Maupassant). Le verbe frler est bien sa place dans La jupe qui se hte frle une tombe... ( J. Romain). Friser rend la nuance qui lui est propre dans Le vent qui ne fait que friser l'eau en ride la surface ( Dict. de l'Acadmie). Citons encore bouillanter, chauder et blanchir. En plus de passer l'eau froide , sens rendu par ces verbes, blanchir ajoute la nuance pour ter l'cre-t , c'est pourquoi il est employ de prfrence lorsqu'on parle de certaines denres ; ainsi on dira blanchir les choux. Les distinctions notionnelles expliquent aussi les divergences dans l'emploi des mots correspondants dans des langues diffrentes. En russe on dit galement - et , alors qu'en franais le verbe travailler ne traduira que le premier sens, c'est que le contenu notionnel de ces verbes ne se recouvre pas. Le russe correspond au franais prcoce ; pourtant la combinaison , correcte en russe, sera rendue par primeurs en franais ; en revanche, en franais on dira bien un enfant prcoce, tandis qu'en russe nous aurons . L'emploi d'un mot avec les autres mots est aussi conditionn par sa valeur affective. Le substantif vieillard implique le respect par rapport vieux nuanc plutt dfavorablement. De l les emplois un vnrable vieillard &i un petit vieux o les adjectifs mettront en vidence les nuances motionnelles respectives. Les mots ngre et ngresse s'tant imprgns d'une nuance dprciative ont t vincs au profit de noir et noire - motionnellement neutres. Toutefois l'emploi d'un mot avec d'autres mots ne correspond pas toujours exactement son contenu idal. On assiste souvent un dcalage entre le contenu notionnel d'un mot et son emploi rel. L'exemple d'un pareil dcalage devenu classique est fourni par l'adverbe grivement qui par son contenu idal correspond gravement, mais s'emploie de prfrence en parlant de blessures - grivement bless, grivement atteint, tandis que pour gravement il n'en est rien et il s'emploie conformment la notion qu' il exprime. Ce dcalage entre l'emploi rel du mot et son contenu idal est le rsultat de la tradition, de l'usage. Les mots peuvent tre porteurs d'un contenu notionnel identique, mais appartenir des registres stylistiques diffrents (cf. : tte et caboche, yeux et mirette, regarder et zyeuter, ciel &. firmament, poitrine et gorge). Il est noter que l'emploi rgulier ou constant d'un mot dans un style dtermin peut avoir pour consquence que ce mot se colore d'une nuance motionnelle ; alors le mot acquiert un contenu idal autre que celui de son synonyme appartenant au style neutre (cf. : regarder et zyeuter, ou ciel et empyre) ; ce contenu idal comportera une valeur affective supplmentaire. Si l'on applique le terme sens au contenu idal d'un mot, il faudrait un autre ternie, pour nommer ses particularits d'emploi d l'usage ou son appartenance stylistico-fonctionnelle. Le terme signalement propos par J. Marouzeau serait admissible. Alors le sens d'un mot serait son contenu idal qui traduirait son aspect logico-substantiel et affectif, autrement dit, il caractriserait le mot quant son aspect extralinguistique. Le signalement mettrait en vidence la position relative du mot par rapport aux autres vocables tant au niveau de la langue-systme qu'au niveau de la parole, il ferait ressortir son aspect intralinguistique1. Le sens et le signalement constituent la structure de la signification lexicale d'un mot. Le sens d'un mot et son signalement sont intimement lis. Leur influence est rciproque. 13

Ainsi la signification lexicale subit l'effet de facteurs extralinguistiques et intralinguistiques. Les facteurs extralinguistiques agissent sur le sens, alors que les facteurs intralinguistiques portent avant tout sur le signalement. Toutefois il est signaler que le sens ne reste pas non plus entirement indiffrent aux facteurs intralinguistiques, ce qui est une consquence du caractre systmique du vocabulaire. En effet, le contenu idal de tout mot reoit des contours plus ou moins nets en fonction du sens des mots smantiquement apparents. Donc, les rapports smantiques qui s'tablissent entre les vocables dans le systme de la langue se rpercutent dans une certaine mesure sur le sens et, par consquent, sur toute la signification lexicale dans son ensemble. Ce phnomne est connu sous le terme de valeur lanc par F. de Saussure. La linguistique des sicles passs tudiait principalement le contenu idal du mot, son aspect extralinguistique. Plus rcemment certains linguistes, sous prtexte d'tudier le systme du vocabulaire, sont alls jusqu' priver le mot de son contenu idal propre, de son indpendance smantique. Dans les annes 30 du XXe sicle le linguiste allemand J. Trier a labor la thorie du champ lexical d'aprs laquelle tout mot n'aurait un sens qu' condition d'tre envisag par rapport d'autres mots auxquels il est associ. La conception de J. Trier a t reprise par d'autres linguistes qui y ont apport des modifications plus ou moins considrables. Mais tous s'entendent pour renier l'indpendance smantique du mot. L'intrt port l'examen des rapports, des associations qui existent entre les mots est louable. Toutefois l'tude du vocabulaire ne pourrait se borner aux rapports, aux associations qui s'tablissent entre ses units. Comme il a t dit prcdemment, par eux-mmes les rapports smantiques ne crent pas le sens. Rattach un contenu idal dtermin, orient vers la ralit objective, le mot possde une autonomie smantique, un contenu smantique propre qui conditionne son fonctionnement. Priv de son contenu smantique le mot aurait cess d'tre un mot. Donc, la structure de la signification lexicale est un phnomne linguistique complexe qui dpend de facteurs extralinguistiques et intralinguistiques. Le rle central dans cette structure appartient la notion : il en constitue l'lment obligatoire pour la presque totalit des vocables, alors que la prsence des autres indices smantiques (nuances motionnelles, caractristiques stylistiques, particularits d'emploi) est facultative. Dans l'analyse de la signification la linguistique moderne utilise largement les termes dnotation et connotation . La dnotation concerne le contenu cognitif de la signification, alors que la connotation porte sur les lments d'ordre affectifs et les caractristiques stylistiques que la signification peut receler facultativement1. L'tude de la structure de la signification lexicale peut tre pousse encore plus avantjusqu'au niveau des composants smantiques minimums appels smes . Chaque signification peut tre reprsente comme une combinaison de smes formant un smantme (ou smme ). Par exemple, le smantme de chaise comprend les smes sige (pour s'asseoir) (S,), avec dossier (S,), sur pieds (S,), pour une seule personne (S4) ; le smantme de fauteuil en plus des smes de chaise possde le sme avec bras (Sv). l'intrieur d'un mme smantme on dgage selon le degr d'abstraction les smes gnriques et les smes spcifiques. Les smes gnriques sont communs plusieurs vdcables smantiquement apparents, ils sont intgrants. Les smes spcifiques distinguent smantiquement ces vocables les uns des autres, ils sont diffrentiels. Pour chaise et fauteuil le sme gnrique est sige (S,), les autres smes sont spcifiques (S,. S3, S4 pour chaise. S,. S3, S4. S5 pour fauteuil). Le sme diffrentiel qui distingue fauteuil de chaise est avec bras . Ainsi les smes diffren-ciels crent les oppositions smantiques entre les vocables. On distingue encore les smes occasionnels ou potentiels qui peuvent se manifester sporadiquement dans le discours . Pour fauteuil on pourrait occasionnellement dceler le sme potentiel de confort . Il apparat nettement dans la locution familire arriver dans un fauteuil - arriver premier sans peine dans une comptition . Dans le smantme de carrosse on peroit facilement le sme potentiel richesse qui devient un sme spcifique dans la locution rouler carrosse. galement dans la locution dans l'huile le sme potentiel aisance, facilit se hausse au niveau d'un sme spcifique. Il s'ensuit que les smes potentiels sont d'importance pour l'volution smantique des vocables. Ainsi l'analyse smique permet de pntrer la structure profonde de la signification des vocables et de mettre en vidence leurs traits smantiques diffrentiels. 11. Le sens tymologique des vocables. Les vocables motivs et immotivs. Depuis longtemps les linguistes se sont affranchis de l'opinion simpliste qui rgnait parmi les philosophes grecs antiques selon laquelle le mot, le nom appartient l'objet qu'il dsigne. Il est vident qu'il n'y a pas de lien organique entre le mot, son enveloppe sonore, sa structure phonique et l'objet qu'il dsigne. Pourtant le-mot. son enveloppe sonore, est historiquement dtermin dans chaque cas concret. Au moment de son apparition le mot ou son quivalent tend tre une caractristique de la chose qu'il dsigne. On a appel vinaigre l'acide fait avec du vin. tire-bouchon - une espce de vis pour tirer le bouchon d'une bouteille. Un sousmarin est une sorte de navire qui navigue sous l'eau et un serre-tte - une coiffe ou un ruban qui retient les cheveux. Il en est de mme pour les vocables existant dj dans la langue, mais servant de nouvelles dnominations. Par le motaiguille on a nomm le sommetd'une montagne en pointe aigu rappelant par sa forme une aiguille coudre. L'enveloppe sonore d'un mot n'est pas due au hasard, mme dans les cas o elle parat l'tre. La table fut dnomme en latin tabula - planche parce 14

qu'autrefois une planche tenait lieu de table. Le mot latin cal-culus - caillou servait dsigner le calcul car, anciennement, on comptait l'aide de petits cailloux. La dnomination d'un objet est base sur la mise en vidence d'une particularit quelconque d'un signe distinctif de cet objet. Le sens premier, ou originaire, du mot est appel sens tymologique. Ainsi, le sens tymologique du mot table est planche ; du mot linge < lat. lineus, adj. de lin ; du mot candeur < lat. condor - blancheur clatante ; du mot rue < lat. ruga- ride . Le sens primitif de travail < lat. pop. tripalium est instrument de torture ; dpenser < \at.pensare peser ; de traire < lat. trahere - tirer '. Il est ais de s'apercevoir d'aprs ces exemples que le sens tymologique des mots peut ne plus tre senti l'poque actuelle. En liaison avec le sens tymologique des mots se trouve la question des mots motivs et immotivs sans qu'il y ait de paralllisme absolu entre ces deux phnomnes. Nous assistons souvent la confusion du sens tymologique d'un mot et de sa motivation. Toutefois le sens tymologique appartient l'histoire du mot, alors que la motivation en reflte l'aspect une poque donne. Tous les mots d'une langue ont forcment un sens tymologique, explicite ou implicite, alors que beaucoup d'entre eux ne sont point motivs. Tels sont chaise, table, sieste, fortune, manger, etc. Par contre, nous aurons des mots motivs dansjournaliste, couturire, alunir, porte-cl, laisser-passer dont le sens rel mane du sens des lments composants combins d'aprs un modle dtermin. La motivation de ces mots dcoule de leur structure formelle et elle est conforme leur sens tymologique. Il en est autrement pour vilenie dont la motivation actuelle est en contradiction avec le sens tymologique puisque ce mot s'associe non plus vilain, comme l'origine, mais vi/et veut dire action vile et basse . On dit d'un mot motiv qu'il possde une forme interne *. Pour les mots structure morphologique (formative) complexe on distingue la motivation directe et indirecte. On assiste la motivation directe lorsque l'lment (ou les lments) de base du mot motiv possde une existence indpendante. Dans le cas contraire il y aura motivation indirecte. Ainsi journaliste form partir de journal ou lche-vitrine tir de lcher et vitrine seront motivs directement. Par contre, oculiste et aquatique le seront indirectement du fait que ocul- et aqua- n'existent pas sous forme de mots indpendants. Il est noter que la structure formelle motive gnralement un mot dans son sens propre. Quant aux acceptions drives, elles ne sont pas ncessairement rattaches au sens des lments formant le mot. Le sens de lacet dans lacet pour chaussures s'associe au verbe lacer, mais il n'en sera rien dans route en lacet. Le mot gouttire qui dans la terminologie chirurgicale sert dnommer un appareil soutenant un membre malade n'a rien voir avec goutte (cf. : gouttire dans chat de gouttire). Un mot peut donc tre motiv non seulement par le lien smantique existant entre ses parties constituantes, mais aussi par l'association qui s'tablit entre ses diverses acceptions. Le mot chenille pris au sens driv dans chenille d'un tout-terrain est motiv grce au lien mtaphorique qui l'unit son sens propre. Nous dirons que ce mot sera smantiquement motiv dans son sens driv. Nous sommes alors en prsence d'une motivation smantique. Une grande partie des locutions toute faites sont le plus souvent motives. La motivation phrasologique repose sur le rapport lexico-smantique qui s'tablit entre la locution et le groupement de mots libres correspondant. Citons en guise d'exemple la locution avoir la main ouverte - tre gnreux . Donc, la motivation est un phnomne intralinguistique qui repose sur .les associations formelles et smantiques que le mot voque. Toutefois la motivation phontique ou naturelle est extralinguistique1. Il est remarquer que la motivation d'un mot n'est pas absolue. Il est difficile de dire pourquoi coupe-gorge sert nommer un lieu, un passage dangereux, frquent par des malfaiteurs et non point, par exemple, un instrument de supplice (cf. : coupe-lgumes, coupe-papier, coupe-racines). II n'y a pas de raisons logiques valables ce que le mot laitire dsigne une femme qui vend du lait , et non pas un pot lait par analogie avec thire, cafetire. Il serait plus juste de dire que les vocables sont relativement motivs. La relativit de la motivation peut induire en erreur au cas o la signification du vocable n'est pas prsente l'esprit de l'usager. Tout vocable motiv ne le sera que relativement du fait qu' partir de ses lments constituants et des liens associatifs entre ses diverses acceptions on ne peut jamais prvoir avec exactitude ses sens rels. En principe tout mot est motiv l'origine. Avec le temps la forme interne des vocables peut ne plus se faire sentir, ce qui conduite leur dmotivation. Cet effacement du sens tymologique s'effectue lentement, au cours de longs sicles. C'est pourquoi chaque tape de son dveloppement la langue possde de ces cas intermdiaires, tmoignages du dveloppement graduel de la langue. En effet, les mots sont parfois motivs uniquement par un des lments de leur structure formelle. C'est ainsi que la signification actuelle des mots malheur et bonheur ne peut tre que partiellement explique par leur premier lment mal- et bon-, heur < lat. pop. augurium - prsage, chance ayant pratiquement disparu de l'usage. On doit considrer ces mots comme tantpartiellement motivs. Donc, les vocables peuvent se distinguer par le degr de leur motivation. 15

Le processus de dmotivation peut aller plus loin et aboutir la perte totale par un vocable de son caractre motiv. Ce phnomne se produit lorsqu'un vocable ou bien son sens se trouve isol, spar des units ou des sens auxquels l'un ou l'autre tait autrefois associ. Tel a t le sort de chahuter qui ne se rattache aujourd'hui ni chat, ni huer, et ne signifie plus crier comme un chat huant . Personne ne pense plus la comparaison de la chenille une petite chienne ou de la cheville une petite cl. Une personne friande est tout simplement gourmande ; ce n'est plus une personne qui brle d'envie de faire quelque chose, comme il en tait autrefois, d'autant plus que le verbe frier - brler d'envie a disparu de l'usage. Tous ces mots ne sont point motivs l'heure actuelle. Il en est de mme de la locution avoir maille partir avec qn - avoir un diffrend avec qn . Dans chaque langue on trouve des vocables motivs et immotivs. Dans son Cours de linguistique gnrale F. de Saussure fait la juste remarque qu'il n'y a point de langue o rien ne soit motiv, comme on ne peut se figurer une langue o tout soit motiv. Quant la langue franaise il insiste sur la tendance qu'elle marque vers l'arbitraire du signe. Cette opinion est partage par d'autres linguistes (Ch. Bally, V. Bran-dal, S. Ullman) qui en ont dduit le caractre abstrait du franais contemporain. Toutefois cette assertion reste gratuite si elle n'est pas appuye d'une analyse globale du vocabulaire. Cette analyse doit porter non seulement sur les mots, mais galement sur les locutions phrasolo-giques dont la majorit est motive (cf. : tte de girouette, tomber des nues, rire au nez de qn). Des cas assez nombreux se prsentent lorsque les vocables exprimant la mme notion, mais appartenant des langues diffrentes, ont la mme forme interne. On dit en franais le nez d'un navire, une chane de montagnes, la chenille d'un char de mme qu'en russe , , . En franais et en russe on dit pareillement roitelet et . Les mots perce-neige et ont une forme interne proche. Cette similitude de la forme interne de certains mots dans les langues diffrentes tient des associations constantes qui apparaissent galement chez des peuples diffrents. Pourtant la forme interne des mots et des locutions revt le plus souvent un caractre national. Pour dsigner la prunelle les Franais l'ont compare une petite prune, tandis qu'en russe drive de l'ancien - voir . La pommade est ainsi nomme parce que ce cosmtique se prparait autrefois avec de la pulpe de pomme ; le substantif russe correspondant se rattache au verbe - enduire de qch . La fleur qui est connue en russe sous le nom de est appele en franais illet. On dit en russe et en franais la queue d'une pole. Le caractre national de l'image choisie pour dnommer les mmes objets et phnomnes apparat nettement dans les locutions phrasologiques. En russe on dira et en franais savoir sur le bout du doigt : l'expression russe correspond en franais tre maigre comme un clou ; l'expression se traduira en franais comme mettre sa main au feu. On pourrait multiplier ces exemples. La forme interne marque de son empreinte le sens actuel du vocable et en dtermine en quelque sorte les limites. L'exemple suivant en servira d'illustration. Comparons les mots train et . Le systme de significations du mot franais est plus compliqu que celui du mot russe correspondant Signalons les essentielles acceptions de train allure d'une bte de somme (le train d'un cheval, d'un mulet) ; allure en gnral (mener grand train) : suite de btes que l'on fait voyager ensemble (un train de bufs) ; suite de wagons trans par la mme locomotion (le train entrait en gare). Le lien de toutes ces acceptions avec le sens du verbe tramer, dont le substantif train drive, est vident. Le substantif russe qui se rattache au verbe - aller, voyager ne traduit que le sens de train de chemin de fer . Nous avons dj constat qu'il pouvait y avoir un dcalage entre la motivation et le sens tymologique. Ce dcalage apparat nettement dans le phnomne appel tymologie populaire . Nous assistons l'ty-mologie populaire lorsqu'on attribue un vocable un sens tymologique qui ne lui appartient pas en ralit ; la motivation de ce vocable ne correspondra plus son vrai sens tymologique. Ainsi, dans l'expression faire bonne chre qui voulait dire autrefois littralement faire bon visage , le mot chre < gr. kara - visage fut rapproch smantiquement et confondu avec le mot chair < lat. carnis - viande , tandis que l'expression en entier fut comprise comme faire un bon repas . Jadis, sous le rgne de Louis XI, aux environs de Paris se trouvait un certain chteau nomm chteau de Vauvert qui passait pour hant. Le chteau de Vauvert est depuis longtemps oubli, mais l'expression au diable vcnrvert s'est conserve avec le sens de trs loin, si loin qu 'on n 'en revient plus . Cette expression a perdu son sens littral, mais les Franais ne s'embarrassent pas pour si peu ; ils la comprennent leur manire et en font dans le langage populaire au diable ouvert ou tout simplement au diable vert. Un autre cas curieux est offert par le mot ingambe qui provient de l'italien in gamba - en jambe et signifie alerte, dispos ; sous l'influence de in- confondu avec le prfixe ngatif il est parfois pris tort dans le sens de qui marche avec peine . En subissant l'influence de l'tymologie populaire les mots peuvent modifier leur aspect phonique de mme que leur orthographe. Le mot latin laudanum en passant dans le franais populaire devient laitd'non ; le mot du bas latin 16

arangia devient en franais orange par association avec le nom de la ville d'Orange, par o les fruits devaient passer au Nord. L'adjectif souffreteux qui est driv d'un ancien nom soufraite - privation signifiait primitivement qui est dans le dnuement . Son sens actuel le plus rpandu - habituellement souffrant, mal portant , de mme que son orthographe, sont dus au rapprochement des mots souffreteux et souffrir, souffrance. 12. Caractristique phontique des mots en franais moderne. Nous nous bornerons ici noter certains traits caractrisant les mots franais quant leur composition phonique et leur accentuation dans la chane parle.1 Les mots franais sont caractriss par leur brivet. Certains se rduisent un seul phonme. Il s'agit surtout de mots non autonomes (ai, eu, on, est, l ' , d ` etc.), les mots autonomes un phonme tant exclusivement rares (an, eau). Par contre, les monosyllabes sont trs nombreux dans ces deux catgories de mots (le, les, des, qui, que, mais, main, nez, bras, monte, parle, etc.). Ces monosyllabes sont parmi les mots les plus frquents. L'analyse d'un certain nombre de textes suivis a permis de constater que dans le discours les mots contenant une syllabe forment environ 61% et les mots deux syllabes forment prs de 25% de l'ensemble des mots rencontrs. Cet tat de choses est le rsultat d'un long dveloppement historique qui remonte l'poque lointaine de la formation de la langue franaise du latin populaire (ou vulgaire). Pour la plupart les monosyllabes sont le rsultat des nombreuses transformations phontiques subies par les mots latins correspondants forms de deux ou trois syllabes (cf. homme < lat homo, main < lat. manus, me < lat. anima) Le franais possde naturellement des mots plusieurs syllabes : toutefois il y a visiblement tendance abrger les mots trop longs auxquels la langue semble rpugner (mtropolitain > mtro, stylographe > stylo, pianoforte > piano, automobile > auto, mtorologie > mto ; cf aussi avion qui s'est substitu aroplane,pilote aviateur). Comme consquence de ce phnomne la longueur des mots au niveau de la langue est de 2.5 syllabes, alors que dans la parole - de 1.35 syllabes. Ce dcalage s'explique par la frquence d'emploi des mots-outils lors du processus de communication. La tendance raccourcir les mots, qui s'est manifeste toutes les poques, a pour consquence un autre phnomne caractristique du vocabulaire franais - l'homonymie. Un grand nombre de mots a concid quant la prononciation la suite de modifications phontiques rgulires. C'est surtout parmi les monosyllabes que l'on compte un grand nombre d'homonymes ; tels sont : ver < lat. vermis, vers (subst.) < lat. Versus - sillon, ligne, vers . vers (prp ) < lat. versus de vertere - tourner . vert < lat. vendis De l de nombreuses sries d'homonymes : par, part, pars ; cher, chair, chaire ; air, re, aire, hre, erre (if), etc la suite de l'homonymie le mot perd de son autonomie ce qui peut amener des conflits homonymiques Dans son ouvrage La smantique P Guiraud cite l'exemple des verbes de l'ancien franais amer - aimer et esmer - estimer qui se sont confondus dans la prononciation [eme]. Cette homonymie a disparu la suite de l'limination de esmer au profit de son doublet savant estimer. Toutefois les distinctions smantiques et grammaticales des homonymes trouvent un support dans l'orthographe (l'ex-ception des cas d'homographie : goutte , goutte . ce qui rend un service incontestable en prenant dans l'nonc crit une importance particulire. Grce l'orthographe et au contexte l'homonymie ne prsente point de srieux inconvnient ainsi que le pensent certains linguistes qui qualifient ce phnomne naturel de pathologique (comme par exemple S. Ullmann). En ralit les homonymes se laissent facilement identifier et les cas de confusion dans la parole sont pratiquement rduits zro. L, o la confusion est possible il suffit de faire intervenir dans les noncs... une modification minimale pour que leur signification se trouve prcise [7, p. 4950]. Ainsi en franais nous avons : L'association des maires de France, L'association des mres de France, etc. Or, pour chapper l'ambigut, il suffit de dire dans le deuxime cas : L'association des mres franaises, etc. [7, p. 49-50]. Quant la syllabation des mots franais elle est reconnue comme tant remarquablement uniforme et simple. Ce sont les syllabes ouvertes qui forment prs de 70% dans la chane parle. Surtout frquentes sont les syllabes ouvertes du type : consonne - voyelle (par exemple : [de-vi-za-ge] -dvisager, [re-pe-te] -rpter), moins nombreuses sont les syllabes des types : consonne-consonne-voyelle etvoyelle (par exemple : [ble-se] - blesser, [tru-ble] - troubler, [e-ku-te] - couter, [ari-ve] - arriver). Parmi les syllabes fermes on rencontre surtout le type : consonne - voyelle -consonne (par exemple : [surnal] -journal, [par-tir] -partir}. Les autres types sont rares. Cette particularit de la structure syllabique des mots franais contribue son tour l'homonymie. Le mot franais peut commencer par n' importe quelle consonne, toutefois les semi-consonnes initiales [j], [w], [q] sont rares ; de mme que le h aspir (haine, har, haricot, haie, onze, un - nom de nombre, etc.). 17

On ne compte qu'un certain nombre de mots commenant par [z] (zbre, zro, zinc, zone, zoo), par un [jt] dans l'argot ou le langage familier (gnaule, gnognote - niais , gnangnan (fam.) - mou, sans nergie ). Relativement peu nombreuses aussi sont les combinaisons de conson dbut du mot. Ce sont, le cas chant, des nes au groupes de deux conson dont le premier lment est une occlusive [p], [t], [k], [b], [d], une ou nes [g] spirante labiale [f], [v] suivie d'une liquide [r] ou d'une semi[I], voyelle [w], [j], [q]. Ce sont aussi les combinaisons initiales comportant trois consonnes dont une liquide et une semi-voyelle aprs une occlusive : [prw], [plw], [plq], [trw], [trq], [krw], [krq], etc. Les autres combinaisons de deux ou de trois consonnes aussi bien au dbut qu' l'intrieur du mot sont (pneumatique, phtisie, stress, stri strapontin, esclandre, escrime), dent, apparaissant, comme rgle, dans mots d'emprunt. des Quant aux voyelles le franais rpugne aux hiatus l'intrieur des mots (cf. : apprhender, mandre), il est exempt de diphtongues. Notons aussi le service rendu par les phonmes dans la distinction des vocables diffrents. A. Sauvageot souligne le rle exclusif de la consonne initiale dans la diffrenciation des mots. II arrive, dit-il, qu'une mme voyelle fournisse presque autant de vocables qu'il y a de consonnes pour la prcder : pont/ton /bon / don / gond /fond / font / vont / long / mont / nom / rond / sont /son /jonc, etc. [7, p. 44]. La voyelle aussi a une valeur diffrencielle trs importante. Dans le schma consonnantique p - r selon la voyelle on a : par, part - port, porc, pore -pour -pre, paire, pair-peur -pur. Telles sont grands traits les possibilits combinatoires des phonmes franais. Dans la langue russe les mots dans la chane parle sont gnralement marqus de raccenttonique. ce qui facilite leur dlimitation. Il en est autrement pour le franais o les mots phontiquement se laissent difficilement isoler dans le discours : privs de l'accent tonique propre, ils se rallient les uns aux autres en formant une chane ininterrompue grce aux liaisons et aux enchanements. On dgage, en revanche, des groupes de mots reprsentant une unit de sens et qui sont appels groupes dynamiques ou rythmiques avec un accent final sur la dernire voyelle du groupe. Cette particularit de l'accentuation fait que le mot fran