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HACHETTE Éducation établi par Claudine GROSSIR, maître de conférences en IUFM Pierre et Jean Maupassant Livret pédagogique

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HACHETTEÉducation

établi par Claudine GROSSIR, maître de conférences

en IUFM

Pierre et Jean

MaupassantL i v r e t p é d a g o g i q u e

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Conception graphique

Couverture et intérieur :Médiamax

Mise en page

Médiamax

Illustration

Détail d’un bateau bœuf employé à la pêche

dans le golfe du Lion au XIXe siècle

Tous droits de traduction,de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.

© Hachette Livre,2003.

43,quai de Grenelle,75905 PARIS Cedex 15.France

ISBN :2.01.168552.4

www.hachette-education.com

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AVA N T-P R O P O S 4

TA B L E D E S CO R P U S 6

RÉ P O N S E S AU X Q U E S T I O N S 10

Bilan de première lecture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

Préface : le roman

Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17

Chapitre I

Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22

Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28

Chapitre II

Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34

Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39

Chapitre VI

Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45

Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48

Chapitre VII

Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54

Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58

Chapitre IX

Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65

Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72

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S O M M A I R E

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Les programmes de français au lycée sont ambitieux.Pour les mettre en œuvre,il est demandé à la fois de conduire des lectures qui éclairent les différents objets d’étude au programme et, par ces lectures, de préparer les élèves auxtechniques de l’épreuve écrite (lecture efficace d’un corpus de textes,analyse d’une ou deux questions préliminaires, techniques du commentaire,de la dissertation,de l’argumentation contextualisée,de l’imitation…).Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs.Unroman comme Pierre et Jean permettra d’aborder l’étude du genre roma-nesque (la structure du récit, la notion de personnage, le rôle de la descrip-t i o n ,des dialogues) et des registres qu’il met en œuvre (réaliste,fantastique,pathé-tique, comique),mais aussi des formes de l’argumentation présente dansles discours des personnages, en particulier dans les scènes de demande en mariage ou d’aveu, enfin de conduire une réflexion sur la notion de mouvement littéraire, à travers l’étude du réalisme et du naturalisme et deleurs relations avec l’impressionnisme à la fin du XIXe siècle, tout en s’exerçant à divers travaux d’écriture.

Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nouvelle collection d’œuvres classiques,Bibliolycée,qui puisse à la fois:– motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation du texte,moderne et aérée,qui facilite la lecture de l’œuvre grâce à des notes claireset quelques repères fondamentaux;– vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer les élèves auxtravaux d’écriture.

Cette double perspective a présidé aux choix suivants:

• Le texte de l’œuvre est annoté très précisément,en bas de page,afind’en favoriser la pleine compréhension.

• Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendre la lecture attrayante et enrichissante, la plupart des reproductions pouvant

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A V A N T - P R O P O S

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donner lieu à une exploitation en classe.

• Précédant et suivant le texte,des études synthétiques et des tableauxdonnent à l’élève les repères indispensables:biographie de l’auteur, contextehistorique, liens de l’œuvre avec son époque,genres et registres du texte…

• Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné à faciliter l’analyse de l’œuvre intégrale en classe. Présenté sur des pages decouleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du texte (sur fond blanc),il comprend:

– Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classe après un parcours cursif de l’œuvre.Il se compose de questions courtes qui permettentde s’assurer que les élèves ont bien saisi le sens général de l’œuvre.

– Cinq à sept questionnaires guidés en accompagnement des extraitsles plus représentatifs de l’œuvre: l’élève est invité à observer et à analyserle passage;les notions indispensables sont rappelées et quelques pistes lui sontproposées afin de guider sa réflexion et de l’amener à construire sa proprelecture analytique du texte.On pourra procéder en classe à une correctiondu questionnaire,ou interroger les élèves pour construire avec eux l’analysedu texte.

– Cinq à sept corpus de textes (accompagnés parfois d’un document iconographique) pour éclairer chacun des extraits ayant fait l’objet d’un questionnaire guidé; ces corpus sont suivis d’un questionnaire d’analyse et de travaux d’écriture pouvant constituer un entraînement à l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe de première, sur le «descriptif des lectures et activités » à titre de groupement de textes en rapport avec un objet d’étude ou de documents complémentaires.

Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera,pour vous et vos élèves,un outil de travail efficace, favorisant le plaisir de la lecture et la réflexion.

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T A B L E D E S C O R P U S

Composition du corpus

Texte A :Extrait de la préface de Pierre et Jeande Maupassant,Le roman (p.37, ligne 200,à p.39, ligne 253).Texte B :Extrait de l’Avant-propos de La Comédie humainede Balzac (pp.53-54).Texte C :Extrait du Roman expérimental de Zola (pp.54-55).

Texte A :Extrait du chapitre I de Pierre et Jeande Maupassant (p.57, ligne 1, à p.59, ligne 57).Texte B :Extrait de la première partie, « Le talisman »,de La Peau de chagrin de Balzac (p.91).Texte C :Extrait de la première partie, chapitre I,de L’Éducation sentimentale de Flaubert (pp.92-93).

Texte A :Extrait du chapitre II de Pierre et Jeande Maupassant (p.96, ligne 26,à p.99, ligne 99).Texte B :Extrait de la nouvelle Le Horla de Maupassant,seconde version de 1887 (pp.113 à 115).Texte C :Extrait de la première partie, chapitre IX,d’Aurélia de Nerval (pp.115-116).

Texte A :Extrait du chapitre VI de Pierre et Jeande Maupassant (p.194, ligne 365,à p.196, ligne 425).Texte B :Extrait de la deuxième partie, chapitre IX,de Bel-Ami de Maupassant (pp.204 à 206).Texte C :Extrait de la première partie, chapitre III,de Madame Bovary de Flaubert (pp.207-208).Document :Dans la serre,d’Édouard Manet,1879 (p.200).

Corpus

Propos sur le réalisme (p.52)

«Tout découle des premières lignesdu livre… » (p.90)

Hallucinations et folie (p.112)

La demande en mariage (p.204)

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Perspective, objet d’étudeet niveau

Un mouvement littéraire :le réalisme (Seconde)

Genres et registres :le genre romanesque(Seconde)

Genres et registres :le registre fantastique (Seconde)

Genres et registres :le genre romanesque(Seconde)

Compléments aux travaux d’écrituredestinés aux séries technologiques

Question préliminaireVous définirez et confronterez les enjeux du romand’après les trois documents.CommentaireVous pourrez définir le roman tel que Balzac le conçoit et les conséquences qui en résultent pour le romancier,avant d’envisager la place qu’il accorde au lecteur.

Question préliminaireVous étudierez les procédés de présentation despersonnages dans les trois documents.CommentaireVous pourrez étudier l’organisation du récit avantd’analyser le statut du narrateur,puis celui du lecteur.

Question préliminaireVous montrerez comment est développé le thème du double dans les trois textes.CommentaireVous pourrez montrer comment l’inquiétude ouvre unconflit entre la raison et la folie,puis comment l’analyse,loin d’apaiser l’inquiétude, la renforce.

Question préliminaireÉtudiez les formes d’humour présentes dans les troistextes.CommentaireAprès avoir étudié la peinture des personnages,vouspourrez vous intéresser à l’art du récit, avant d’analyser les procédés de l’ironie et de la satire.

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T A B L E D E S C O R P U S

Corpus

La parole libératrice (p.233)

Comment quitterle lecteur ? (p.280)

Composition du corpus

Texte A :Extrait du chapitre VII de Pierre et Jeande Maupassant (p.226, ligne 430,à p.227, ligne 482).Texte B :Extrait du tome 3 de La Princesse de Clèvesde Madame de La Fayette (pp.234-235).Texte C :Extrait de la troisième partie, chapitre V,d’Une page d’amour de Zola (pp.236-237).Document :Portrait de Madame de Gaudibert,de Claude Monet (p.229).

Texte A :Extrait du chapitre IX de Pierre et Jeande Maupassant (p.272, ligne 412,à p.275, ligne 484).Texte B :Extrait du Rouge et le Noir de Stendhal,dernièrepage (pp.281-282).Texte C :Extrait de L’Éducation sentimentale de Flaubert,dernière page (pp.283-284).Texte D :Extrait de Germinal de Zola,dernière page (pp.285-286).

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Perspective, objet d’étudeet niveau

Genres et registres :– le genre romanesque– le registre pathétiqueConvaincre,persuader,délibérer :le dialogue romanesque(Seconde)

Genres et registres :le genre romanesque(Seconde)

Compléments aux travaux d’écrituredestinés aux séries technologiques

Question préliminaireVous relèverez les marques de l’émotion éprouvée par les personnages.CommentaireVous pourrez montrer comment les aveux permettentde faire rebondir l’intrigue, libèrent l’expression de lapassion amoureuse et mettent les personnages en conflitavec eux-mêmes.

Question préliminaireVous étudierez les situations mises en place pour prendrecongé des personnages.CommentaireAprès avoir caractérisé ce texte comme un textedescriptif,vous étudierez sa valeur poétique etsa signification symbolique.

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a Les deux personnages principaux donnent leur nom au titre du roman.Pierre en premier lieu, car son point de vue domine dans les cinq premiers chapitres du romanet dans le dernier. Âgé de trente ans, il vient d’achever ses études de médecine. Jean,son frère, vingt-cinq ans, vient de terminer ses études de droit.Viennent ensuite leursparents :Jérôme Roland,ancien bijoutier,retiré au Havre,et son épouse,Louise Roland.Maréchal, ami des parents et qui se révèle être le père de Jean,dont il a fait son héritier.Madame Rosémilly, jeune veuve de vingt-deux ans, voisine de la famille Roland, quideviendra l’épouse de Jean. Ces personnages sont présents dans tous les chapitres duroman.D’autre part,ils sont engagés dans l’intrigue principale (madame Rosémilly dansune moindre mesure) qui tourne autour de la provenance,de la signification,des consé-quences de l’héritage de Jean.Pour mémoire,on peut dresser la liste des personnages secondaires :Beausire et Papagris(ou Jean Bart) liés à la Perle, le bateau de Roland, Marowsko et la petite bonne de brasserie, la bonne de la maison des Roland, le notaire.

z Tout oppose Pierre et Jean, comme le montre cette première esquisse de portraitphysique des deux frères au chapitre premier :Pierre, l’aîné, « un homme de trente ans àfavoris noirs, coupés comme ceux des magistrats,moustaches et menton rasés », Jean, « un grand garçon blond, très barbu, beaucoup plus jeune que son frère », opposition reprise et complétéeun peu plus loin dans le premier chapitre :« Jean, aussi blond que son frère était noir, aussicalme que son frère était emporté,aussi doux que son frère était rancunier… » Ces traits de carac-tère sont confirmés un peu plus loin : les qualités attachées à Jean sont « la douceur »,« labonté », « la bienveillance », tandis que sont mentionnés à propos de Pierre « ses indéci-sions, ses enthousiasmes, ses tentatives avortées, tous ses élans impuissants ».

e L’action du roman se situe toute entière au Havre et dans ses environs (Trouville,Saint-Jouin). Paris figure également comme un lieu de référence : la capitale est liée à la vieantérieure des Roland, à l’enfance, l’adolescence puis la jeunesse des deux frères et à laprésence de Maréchal aux côtés de la famille.

r Trois épisodes se situent en mer,tous trois à bord de la Perle, tous trois à des momentsstratégiques du roman : la scène de pêche initiale (chapitre I), la promenade en mer dePierre (chapitre IV,à mi-parcours du roman), la scène d’adieu finale (chapitre IX).D’autres épisodes se situent au bord de l’eau : les méditations de Pierre sur la jetée duport (chapitres II et IV), la promenade de Pierre à Trouville et ses réflexions sur la plage(chapitre V) ainsi que la pêche aux crevettes à Saint-Jouin, au cours de laquelle Jean etmadame Rosémilly échangent une promesse de mariage les pieds dans l’eau (chapitre VI).

B i l a n d e p r e m i è r e l e c t u r e ( p . 2 8 8 )

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R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

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t L’événement qui bouleverse la vie de la famille Roland est bien sûr l’annonce faitepar le notaire au chapitre premier :Maréchal,un ami de la famille,a fait de Jean son uniquehéritier.

y Pierre soupçonne que ce legs de Maréchal à Jean est une reconnaissance de paternité,et signifie donc que sa mère a commis un adultère.

u Deux personnages mettent Pierre sur la voie :d’abord Marowsko, le pharmacien,auchapitre II,puis la petite bonne de brasserie, au chapitre III.

i Plusieurs indices viennent confirmer cette hypothèse : en cherchant dans ses souve-nirs,Pierre retrouve l’image de Maréchal jeune,blond comme Jean (chapitre IV) ; si leportrait de Maréchal, réapparu au chapitre V, n’apporte pas de preuve suffisante de ressemblance entre Maréchal et Jean,la gêne de Louise Roland lors de cette soirée où leportrait passe de mains en mains, constitue, aux yeux de Pierre, un aveu. Enfin,l’hypothèse devient certitude à la fin du chapitre VII, lorsque Louise Roland confirmeles révélations de Pierre,mais en l’absence de ce dernier.

o Nous apprenons au chapitre IV que les Roland ont fait la connaissance de Maréchalen 1858, alors que Pierre avait trois ans.Or, au début du roman,nous avons appris quePierre est âgé de trente ans : l’action du roman se situe donc en 1885.

q Le portrait de Maréchal échoue dans le rôle de pièce à conviction dans l’enquête dePierre : la ressemblance entre le portrait et Jean n’est pas assez nette pour que le portraitpuisse être une preuve de la paternité de Maréchal. Il est cependant suffisamment compromettant pour que Pierre (chapitre V), tout comme Jean (chapitre VIII) le dissi-mulent aux yeux d’autrui.Ce portrait est aussi bien sûr un substitut de Maréchal et deson statut dans la famille Roland : après avoir trôné sur la cheminée familiale pendantdes années, il a été conservé par Louise Roland comme une relique depuis son arrivéeau Havre,et revient au premier plan en même temps que le legs fait à Jean.

s Selon les circonstances, les connaissances médicales de Pierre lui valent d’être consi-déré comme un bon ou un mauvais fils par ses parents : ainsi,Pierre considère qu’il seraitun mauvais fils s’il ne mettait en garde son père contre les risques d’apoplexie qui le mena-cent (chapitre III),mais sa mère lui reproche alors de priver Roland du plaisir de fêter l’héritage de Jean.Par contre, l’indifférence de Pierre à l’égard des malaises de sa mère (chapitre VI) lui valent la colère de son père.De son côté,Pierre considère de son devoir debon fils de prévenir sa famille du scandale que l’héritage va soulever,en lui révélant la vérité(chapitre III) ;mais il est aussi de son devoir de fils de protéger sa famille des rumeurs encachant la vérité (chapitre V) :Pierre se trouve donc au cœur d’une contradiction qu’il nepeut résoudre.Se comportant en bon fils, il est perçu comme mauvais et inversement.

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B i l a n d e p r e m i è r e l e c t u r e

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d La découverte de la vérité rend Pierre fou et lui donne des désirs de meurtre (chapitre IV) ; elle fait de lui le tortionnaire de sa mère (chapitre VI) et le conduit fina-lement à la révélation du secret (chapitre VII) : Pierre adopte un comportement à lafois destructeur et autodestructeur,contraire à celui qu’il voudrait avoir.

f Le désir de Pierre de partir se manifeste très tôt après l’annonce de l’héritage de Jean :« Si on pouvait vivre là-dessus, comme on serait tranquille, peut-être ! » dit-il sur la jetée (chapitre I) ; ce désir se manifeste à nouveau au chapitre IV : « Oh ! s’il avait pu partir,tout de suite,n’importe où,et ne jamais revenir,ne jamais écrire,ne jamais laisser savoir ce qu’il étaitdevenu ! »

g C’est la partie de campagne à Saint-Jouin et en particulier la pêche aux crevettes aucours de laquelle il déclare son amour à Madame Rosémilly qui donne à Jean le premierrôle dans le roman,du chapitre VI au chapitre VIII.

h Jean apprend qu’il est le fils de Maréchal par Pierre au chapitre VII.

j Louise Roland reporte la responsabilité de l’adultère sur son mari (chapitre VIII).

k La situation des deux personnages féminins du roman est sensiblement la même :toutes deux ont été mariées jeunes avec des époux plus âgés, sans que leur opinion aitété prise en considération.Toutes deux ont cherché à échapper à cette situation,mais enadoptant des conduites opposées : l’une,Madame Roland, a transgressé les lois socialespour affirmer son droit au bonheur,tandis que l’autre a banni tout sentiment amoureuxde son existence.La première se laisse guider par ses sentiments mais sans œuvrer pourune véritable libération féminine, et sans mesurer les conséquences de ses actes sur sesenfants ; la seconde représente apparemment la soumission parfaite au modèle socialdominant.Toutes deux manifestent l’impasse dans laquelle la société bourgeoise de la findu XIXe siècle maintient les femmes, tenues de se conformer à l’image donnée d’elles par les gravures qui ornent le salon de Madame Rosémilly : femmes excessivement sentimentales et nécessairement malheureuses.

l Jean décide de conserver l’héritage de son père pour pouvoir mener à bien son projet de mariage avec Madame Rosémilly.

m Pierre,à l’issue du roman,quitte sa famille et Le Havre et s’embarque sur le paquebottransatlantique la Lorraine, en qualité de médecin du bord.

w Madame Rosémilly,qui doit bientôt épouser Jean,prend la place de Pierre au sein dela famille Roland.

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◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 49 À 51)a Maupassant désigne ce que le roman doit représenter par les termes suivants :« notreexistence » (l.206), « la vie » (l.209), « la réalité » (l.237), le « monde » (l.245).Au sein dece vaste ensemble,le romancier choisit un « thème » (l. 214), à partir duquel il sélectionneles éléments « utiles à son sujet » (l. 216).Le romancier ne prétend donc pas tout repré-senter : il ne propose qu’une représentation partielle,mais qui est, selon lui, l’image dela totalité.Ce principe d’écriture s’apparente à la figure de style appelée « synecdoque »(variété particulière de métonymie) qui permet de désigner un objet par l’une de ses parties.

z Maupassant énumère plusieurs caractéristiques du réel.Elles ont trait à sa nature, sa composition : il est multiple, il peut être futile ; ou à son fonctionnement : il met tout sur le même plan et ne distingue pas l’essentiel de l’acces-soire ;il est soumis au hasard,à l’imprévu,n’obéit à aucune logique ;il est contradictoire.

e Ces caractéristiques sont un obstacle à la représentation du réel en raison :– des contraintes de l’écriture narrative : le volume habituel d’un roman interdit l’exhaustivité et la restitution du réel dans sa multiplicité ;– des exigences esthétiques du roman : il ne peut se contenter d’être une « photographiebanale de la vie » (l.201),où tous les incidents seraient consignés sans distinction car unetelle représentation serait sans attrait pour le lecteur ;– des contraintes de genre : le roman ne se confond pas avec les « faits divers » (l. 213) auxquels Maupassant associe l’absence de logique et l’inexplicable ; le roman, lui, sedoit de respecter une logique dans la succession des événements ;– de l’enjeu du roman : celui-ci doit donner au lecteur une vision de la vie « plus probante que la réalité même » (l. 202-203), il ne doit donc pas seulement montrer,maisextraire de la vie ce qui en est la quintessence.

r Les règles que le romancier doit observer pour représenter la réalité sont au nombrede trois :– la règle de sélection : le romancier choisit d’abord un sujet parmi tous ceux que la réalité est susceptible d’offrir ; il choisit ensuite les détails relatifs à ce seul sujet,et seule-ment dans la mesure où ils sont utiles à ce dernier ;– la règle de hiérarchisation : les éléments retenus sont ordonnés selon leur importancerelative ;– la règle de composition : les éléments du réel sont mis en perspective et en relationentre eux.

P r é f a c e : l e r o m a n ( p p . 3 7 à 3 9 )

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P r é f a c e : l e r o m a n

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t Ces trois règles montrent de quelle façon travaille Maupassant et sont pour nous deprécieuses indications de lecture de ses romans.Elles nous indiquent comment s’opèrela transformation du matériau extrait de la réalité en objet romanesque. Ce travail s’effectue en amont de l’écriture,et affecte principalement les structures du récit :ainsi ildemeure dissimulé à la surface du texte, implicite,écran invisible facilitant la perceptiondu réel par le lecteur.Les principes observés ici sont de nature artistique : ils répondentà des enjeux esthétiques ; il s’agit à la fois de séduire le lecteur en l’intéressant,d’empor-ter sa conviction en lui offrant une œuvre à la fois crédible et attrayante.

y Le récit réaliste veut « produire la sensation profonde de la vérité » (l. 230), « faire vrai »,« donner l’illusion complète du vrai » (l. 232) : ces expressions montrent que la vérité ne sedonne pas d’emblée,elle est à construire.

u Le paradoxe réside dans le fait que l’art est exactement antinomique de la réalité :raconter tout est « impossible », la vie laisse tout au même plan,« l’art, au contraire, consisteà user de précautions et de préparations » (l.225-226),et pourtant l’art est l’instrument de lavérité de la vie, il en donne une vision « plus probante que la réalité même » (l. 202-203).On touche ici à une contradiction fondamentale :l’opposition entre le réel et le vrai.Cedernier ne peut être mis en évidence par la simple copie du réel. Le vrai est le résultatd’une lecture,d’une interprétation du réel,qui le dépouille de ce qui n’est pas essentielet qui l’organise de manière à le rendre compréhensible, logique. Il faut donc dépasserles apparences du réel pour atteindre le vrai. L’art permet cette lecture, ce travail sur laréalité et trouve sa justification dans cette possibilité qu’il offre au lecteur d’accéder à lavérité du monde.

i La perception du réel par l’artiste est strictement personnelle, individuelle (« nous portons chacun la nôtre », l. 238, « chacun de nous », l. 243) : il y a donc « autant de véritésqu’il y a d’hommes sur la terre » (l.240).La vérité est relative et donc plurielle.

o Cette vision s’impose à l’artiste parce qu’elle est le résultat de sa nature propre,physiologique,organique (« dans notre pensée et dans nos organes », l. 238) : elle est déter-minée par sa nature biologique,tant pour ce qui est des perceptions (« nos yeux,nos oreilles,notre odorat, notre goût », l. 239) que de la constitution de la pensée.Cette conception del’être humain tend à gommer la responsabilité de ce dernier dans sa vision des faits,et àlimiter ses choix au seul domaine de leur interprétation.

q Il y a double illusion au sens où l’artiste ne peut accéder qu’à une illusion de la réa-lité,en raison des limites et de l’orientation particulière de sa perception,et qu’il ne peutdonner une représentation de la réalité qu’en produisant une illusion de réalité,celle-cine pouvant être transcrite telle qu’elle dans une œuvre artistique.L’artiste donne doncà voir une illusion imaginée à partir d’une première illusion.

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s La représentation du réel est donc non seulement partielle, reconstruite,mais aussisubjective, tributaire de la vision personnelle de l’auteur.Elle fait apparaître une vérité,et non la vérité.Toutefois cette vérité peut prendre un caractère absolu si l’auteur saitse montrer convaincant : « Les grands artistes sont ceux qui imposent à l’humanité leur illusion particulière » (l.251 à 253).À une époque donnée,l’artiste peut donc être en mesurede donner du réel une représentation non seulement crédible, mais juste, au sens oùelle correspond aux attentes des lecteurs, rencontre leur propre illusion,et leur apparaîtdonc comme la vérité.

d On remarque dans un premier temps que les cinq premiers paragraphes ne com-portent chacun qu’une seule phrase,ce qui contribue à mettre en valeur les connecteurslogiques, le plus souvent placés au début des phrases et donc des paragraphes.Le relevédes connecteurs logiques fait apparaître le corpus suivant : § 1 : non pas (l. 200), mais (l.201) ;§ 2 :car (l.204) ;§ 3 :donc (l.207) ;§ 4 :en outre (l.209) ;§ 5 :voilà pourquoi (l.214) ;§ 6 :mais (l.220),sous prétexte que (l.222) ;§ 7 :encore (l.224),au contraire (l.225) ;§ 8 :donc(l.232),et non (l.233) ;§ 9 : j’en conclus que (l.235) ;§ 10 :d’ailleurs,puisque (l.237) ;§ 11 :donc (l.244).Ce relevé appelle plusieurs remarques :– tous les paragraphes,sans exception,comportent des connecteurs logiques,ce qui donneau texte une structuration très dense et explicite ;– ces connecteurs font apparaître des types de relation différents et complémentaires :relation d’opposition (non pas,mais,au contraire,et non) ou d’ajout (en outre,encore,d’ailleurs) ;relation de cause (car, voilà pourquoi, sous prétexte que, puisque) ou de conséquence (donc,3 fois, j’en conclus que).

f La thèse réfutée et la thèse défendue figurent toutes deux dans la première phrasedu texte, de part et d’autre de l’articulation : non pas… mais. Le premier élément comporte la thèse réfutée, introduite par « non pas » : il s’agit de refuser la définition duréalisme comme « photographie banale de la vie » ; le second introduit la thèse défendue,introduite par « mais » : le réalisme vise à donner une vision de la vie (et non une photographie) « plus complète, plus saisissante, plus probante que la réalité même », thèse paradoxale, puisque le réalisme vise à interpréter le réel, à s’en éloigner pour mieux lerestituer.Ces deux thèses,posées au début du texte,sont reformulées,à l’issue de la démons-tration, au paragraphe 8, en guise de conclusion.Mais cette fois, la thèse défendue esténoncée en premier :« Faire vrai consiste donc à donner l’illusion du vrai » ;elle est suivie dela thèse réfutée, introduite par « et non » :« et non à les transcrire servilement.»Entre ces deux énoncés, trois arguments sont avancés,qui mettent l’accent sur l’antino-mie des lois qui régissent la vie d’une part, le roman d’autre part : faute de place dans leroman, l’exhaustivité est impossible (§ 2 et 3) ; le réel se caractérise par sa diversité, son

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absence de logique, alors que le roman est tenu de développer un sujet et de montrerl’enchaînement des faits (§ 4,5,6) ; le réel n’établit pas de hiérarchie, le roman introduitdes plans,des perspectives (§ 7).Les contraintes du roman,liées à sa taille et à ses enjeux,qui commandent sa composition, lui interdisent donc la copie du réel.

g Maupassant ne propose qu’un seul exemple,mais qui est donné pour représentatif detous les autres (« Un exemple entre mille », l.218).Cet exemple,qui porte sur les accidents,illustre l’incohérence du réel, l’accident étant,par définition, imprévisible.De ce fait – àmoins que le roman n’en fasse précisément son sujet – l’accident n’a pas sa place dans leroman,car il décentrerait la narration,l’encombrerait d’une matière inutile pour la démons-tration en cours et disperserait l’attention du lecteur.Cet exemple rejoint la mise à l’écart,dans le roman,des « faits divers » (l. 213), caractérisés par l’arbitraire.On voit ici que si lefait divers peut servir de point de départ à un roman – c’est le cas de Pierre et Jean – iléchappe par le principe même de l’écriture romanesque à la catégorie du fait divers,puisque le roman va l’introduire dans une logique permettant de le situer dans une chaînede causes et d’effets.En se « romanisant », le fait divers cesse d’être inexplicable.

h On rencontre trois temps différents dans ce passage :– le futur, à valeur prescriptive (cherchera,prendra, rejettera) ;– le conditionnel, à valeur hypothétique (serait, faudrait, devraient) ;– le présent,qui peut désigner le moment de l’énonciation (s’impose,meurent, pouvons, ilfaut, on veut, j’en conclus, peut disposer), ou exprimer une vérité générale (est, est composée,laisse, précipite, consiste, convient, portons, créent, il y a, reçoivent, analysent, jugent, se fait, a, est,attire, imposent).Mais ces deux valeurs distinctes,du fait du rapprochement de ces verbes,tendent à se confondre :les présents à valeur générale prennent une nouvelle consistancedu fait de leur énonciation présente,tandis que les présents d’énonciation tendent à acqué-rir le poids d’une vérité générale. La force de la démonstration de Maupassant tient àcette revendication de la permanence des principes énoncés et de leur actualité.Les pronoms utilisés sont :– le pronom de 3e personne,« il », reprend « le réaliste »,« l’artiste »,« l’écrivain », ce « il »ne désignant pas réellement un tiers,dans la mesure où Maupassant peut être lui-mêmel’un de ces artistes ou écrivains ;– le pronom de 1re personne du pluriel,« nous » (l. 200),désigne les lecteurs,parmi les-quels se compte Maupassant, qui adopte ainsi le point de vue du récepteur ; le second« nous » (l.220) désigne les écrivains,parmi lesquels figure également Maupassant ;la sériede « nous » (l.237 à 243) désigne cette fois l’ensemble des lecteurs et des écrivains réunis,c’est-à-dire l’humanité dans son ensemble ;– le pronom « je », à une seule reprise (l.235),désigne ouvertement l’auteur, à l’endroitstratégique de l’énoncé de la conclusion en forme de paradoxe.

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Les temps verbaux,comme les pronoms utilisés, sont donc ceux du discours.Toutefois,la présence du « il », même s’il s’agit d’un « nous » déguisé, comme la valeur intempo-relle de nombre de présents, tendent à donner à ce discours une assise plus large que leseul moment de l’énonciation,et une portée plus grande du fait de la mise à distance del’énonciateur.

j L’examen des types de phrase permet d’établir une coupure dans le texte après la ligne236. Jusque-là, en effet, les phrases sont déclaratives, et le plus souvent affirmatives, à l’exception d’une interrogation (l.220 à 223) dans l’énoncé de l’exemple.À partir de laligne 237,on voit se multiplier les phrases exclamatives (l. 237-238, l. 249 à 251), signesde la présence de la fonction émotive du langage (Jakobson), soulignant le fait que les arguments présentés ici sortent du cadre rationnel adopté jusque-là.Dans la premièrepartie du texte,l’argumentation est donc solidement étayée et présentée de façon imper-sonnelle pour mieux convaincre ;dans la seconde partie du texte,les appels au lecteur sefont pressants à travers les exclamations,cherchant cette fois à le persuader.

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 52 À 56)Examen des textes

a Selon Balzac,Walter Scott conçoit le roman sur le modèle de l’histoire : le roman bénéficie ainsi d’une valeur philosophique identique à celle du récit historique.L’apportde Walter Scott se situe également au plan des modalités du récit :l’insertion du dialogue,de la description (paysages et portraits) élargit les possibilités d’exposition et d’expressionromanesques ; enfin,Walter Scott donne droit de cité à la langue populaire, instrumentd’une représentation authentique du peuple et de son pouvoir poétique.L’apport de Balzac se situe dans le prolongement du travail effectué par Walter Scott. Ilconcerne d’abord la composition,non dans le cadre du roman proprement dit,mais auniveau de l’œuvre,c’est-à-dire de la réunion de l’ensemble des romans (cf. les verbes relier,coordonner),afin que chaque récit trouve sa place et sa signification par rapport aux autres.Alors que W.Scott tirait la matière du roman du passé,Balzac veut se faire l’historiendu temps présent, des mœurs de son temps. Il assigne de plus au roman une fonctiond’analyse : il permet de découvrir le « sens caché » de ce qu’il décrit.À partir de cettelecture du monde,le roman peut envisager de l’interpréter et d’étendre sa réflexion versune méditation plus large sur le destin des sociétés.Balzac confirme ainsi et étend la valeurphilosophique du roman,mise en œuvre, selon lui,dans les romans de W.Scott.

z Balzac fait référence à l’histoire,Zola à la science expérimentale.La première appar-tient au domaine aujourd’hui appelé « sciences humaines »,la seconde à celui des « sciencesexactes ».Le rôle de l’écrivain,de même que la démarche utilisée,qui découlent de ces

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références, sont donc nécessairement différents. Soulignant l’analogie avec le travail del’historien, Balzac consigne, analyse, interprète, commente les données du réel. Zolaobserve, formule des hypothèses, expérimente pour découvrir de nouvelles lois de fonctionnement du réel, qu’il revient ensuite à l’analyse exclusivement scientifique devérifier : la démarche littéraire précède donc la mise en œuvre scientifique,en adopte laméthode,mais elle ne peut réellement établir des vérités,seulement des hypothèses.Aussine peut-elle se substituer à la science.

e Pour Balzac, le roman a pour fonction d’exposer, d’expliquer et de juger l’état desmœurs, de la société.La visée du roman,pour Zola, est prospective : il est le lieu d’unerecherche qui permet de fournir à la science de nouvelles pistes à explorer ;s’il fait appelà l’observation,à la déduction, il réclame aussi un travail de l’imagination.

r Dans le texte C,on rencontre l’emploi de quatre pronoms différents :– « je » (je repousse, je représenterais, j’avais fait, je serais, j’ai constaté que, selon moi, je veux bienencore),dont l’emploi permet l’expression de l’opinion ou de l’expérience personnelle ;– « nous » (nous définissons, nous arrivons, nous venons, nous autres écrivains, nous devons nousappuyer,nous lancer) est utilisé pour les verbes qui permettent d’articuler la démonstration,d’en définir les étapes, ainsi que pour la conclusion où sont énoncés les principes à respecter par les écrivains,dont Zola lui-même ;– « il » / « ils » (l’artiste, les écrivains) permettent l’expression de principes généraux quifondent les principes d’action ;– « on » (on pourrait appeler,on dirait alors,on considère,on a dit souvent) désigne les auteurs depropos sur le roman (et parmi eux figure Claude Bernard) à l’exclusion de Zola :ce « on »introduit donc la thèse adverse.

t Dans le texte B,on relève sept occurrences de la modalité injonctive :« il n’y a qu’àl’étudier, je ne devais être que le secrétaire, que doit ambitionner tout artiste, ne devais-je pas étudier, ne fallait-il pas méditer, voulait une conclusion, devait porter avec elle. » Dans le texte C,on rencontre également sept expressions à valeur injonctive : « définissons, il faut donc ajouter, il faut s’entendre, le devoir de le remplir aujourd’hui, les écrivains doivent abandonner,nousdevons nous appuyer, il faut dès lors. »Ce relevé fait apparaître,dans les deux textes,une majorité d’emploi de verbes auxiliaires,marquant l’obligation par leur sémantisme :devoir,vouloir, falloir.

Travaux d’écriture

Question préliminaireLa dimension dialogique présente une particularité paradoxale : l’absence du pronom« vous » pour désigner l’interlocuteur, qu’il soit un auteur, un critique, avec lequel s’engagerait la discussion sur le mode de la contradiction,ou le lecteur.Par contre, on

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relève un certain nombre d’occurrences,dans tous les documents,d’emploi de pronomsde première personne (« je » ou « nous ») ou d’indéfinis (« on »), les deux derniers susceptibles d’inclure le locuteur et/ou un destinataire.Toutefois l’utilisation du pronom« nous »,par exemple,peut recouvrir des situations dialogiques différentes :chez Maupassant,il s’agit de créer une communauté humaine,où figurent aussi bien les écrivains que leslecteurs, dotée des mêmes modes de perception du réel ;Zola utilise le « nous » pourassocier le lecteur à la conduite de sa démonstration et lui permettre d’en suivre aisémenttoutes les étapes ; Balzac, enfin, s’inclut dans la communauté des lecteurs en attented’un roman nouveau qui répondrait à leur désir d’œuvre capable de représenter la sociétéde leur temps.Tour à tour associé à la conception, l’élaboration de l’œuvre ou du discours sur l’œuvre,ou à sa réception, le lecteur constitue bien l’interlocuteur privilé-gié de l’auteur.Mais ce dialogue mobilise aussi d’autres interlocuteurs : nos trois romanciers dialo-guent avec leurs pairs ou avec les critiques, dont les thèses servent de point de départ àleur réflexion.Trois formes de relation apparaissent alors :Maupassant procède par rec-tification du point de vue des partisans du réalisme,Balzac se situe dans la continuité deWalter Scott et procède ainsi par renforcement et ajouts successifs,Zola se situe pour sapart en opposition à Claude Bernard pour ce qui est de la définition de l’artiste,maisdans le sillage du même Claude Bernard pour ce qui est de l’application de la méthodeexpérimentale dans le roman.Ce premier dialogue est ensuite réinvesti dans une stratégie argumentative qui s’adresseau lecteur, stratégie qui, dans les trois cas, suit le schéma suivant : convocation de réfé-rences,examen des théories existantes,apport d’arguments,énoncé d’une théorie nou-velle,considérée comme irréfutable.Les moyens discursifs utilisés dans les trois textes sontcependant différents :Maupassant s’adresse au lecteur sur le mode persuasif (recours auxexclamations,par exemple),Zola sur le mode injonctif (cf. « il faut s’entendre »,par exemple).

CommentaireOn pourra adopter le plan suivant :1.Un projet ambitieux pour le roman, un nouveau statut pour l’écrivain• L’écrivain historien,dans le sillage de Walter Scott.• L’écrivain historien des mœurs contemporaines :nécessité de donner une représenta-tion fidèle de la société ;effacement du romancier : rôle de « secrétaire ».• L’enjeu du roman :peindre,mais aussi expliquer,chercher les causes, analyser,compa-rer,évaluer ; l’écrivain interprète et juge.2. La place du lecteur• L’écrivain est d’abord un lecteur,lecteur de Walter Scott,des chroniqueurs.Ces lecturesalimentent sa réflexion : elles contribuent à forger un modèle et à permettre qu’il soitdépassé, à faire prendre conscience des lacunes,des manques.

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• L’écrivain s’inscrit dans un « horizon d’attente » (Jauss) : il va à la rencontre du public,cherche à « mériter ses éloges ».• L’écrivain construit son discours de façon à satisfaire l’exigence de clarté,indispensablepour que le jugement puisse être appréhendé comme pertinent : construction rigou-reuse de l’argumentation (connecteurs logiques), des phrases ;Balzac procède, tout aulong du texte,par ajouts, accumulation.

DissertationL’argumentation pourra être conduite de la façon suivante :

1. L’art est scientifique et impersonnel, dans ses principes…• Rôle prépondérant de l’observation.• Revendication de modèles scientifiques par les romanciers (l’histoire pour Balzac, lamédecine pour Zola et Maupassant).• Volonté de dégager des lois de fonctionnement, à propos de la société ou de l’êtrehumain.

… comme dans l’écriture• Apparent effacement du narrateur (écriture du roman à la 3e personne,importance desdialogues où les personnages semblent s’exprimer en leur nom propre) : élément d’objectivation du récit.• Des romans qui se développent selon une logique rigoureuse : émission d’hypo-thèses,enchaînement des épisodes,prévisibilité du dénouement (exemple :la déchéanced’Emma dans Madame Bovary ou celle de Gervaise dans L’Assommoir de Zola, l’exclu-sion de Pierre à l’issue de Pierre et Jean).

2. Le poids de la subjectivité• La subjectivité n’est pas source d’erreur, si elle est sous contrôle de la vérité (Zola).• Les limites de notre perception :impossibilité d’échapper à la subjectivité (Préface « Leroman » de Maupassant).• Le rapport étroit entre l’écrivain et ses personnages : le personnage apparaît commeune projection de l’écrivain. (« C’est donc toujours nous que nous montrons dans le corpsd’un roi,d’un assassin… »,Préface « Le roman »,l.323-324 ;c’est aussi le sens de la célèbreaffirmation de Flaubert :« Madame Bovary, c’est moi.»)• L’écriture de roman fait appel aux facultés d’imagination et pas seulement d’obser-vation : il s’agit d’étudier des cas et pas seulement la réalité telle qu’elle se présenteordinairement.• L’œuvre est aussi tributaire des attentes du lecteur (cf. Balzac).

3. Le travail d’écriture : un processus de mise à distance• Importance de la description,en particulier d’objets,qui contribue à donner une dimen-

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sion symbolique au texte romanesque et lui permet d’accéder ainsi à une certaine universalité (Balzac,Zola : la fin de Germinal,par exemple).• La création de personnages-types,en qui s’effectue la synthèse de plusieurs observations,et qui incarnent des traits fondamentaux de la société ou de l’individu : la paternité tragique du Père Goriot, l’ambition de Rastignac (Balzac), la jalousie de Pierre(Maupassant).• Le travail du style (Flaubert) place l’art du roman du côté de son écriture,et donc de lareprésentation,non du côté de son sujet : l’art littéraire est science du langage,usage à lafois raisonné et expérimental de la langue.

Écriture d’inventionLes propos tenus par les trois auteurs dans ces documents se rejoignent, se contredisentou se complètent.De façon à mettre en évidence ces trois types de relation,on veilleraà organiser la discussion en prenant appui sur les différents points abordés dans les textes,et à employer des connecteurs logiques qui permettront de situer explicitement etclairement la position de chaque auteur par rapport aux deux autres.On pourra organiser le débat de la façon suivante :

1. Que représenter ?Trois termes différents sont utilisés : Balzac : la société ; Zola : la nature ; Maupassant :la vie.Que recouvre chacun de ces termes ? Le troisième est-il la réunion des deux autres ?

2. La nécessité et la difficulté de représenter le réelDeux auteurs se rejoignent : Zola évoque « l’exactitude de l’observation », Balzac « la reproduction rigoureuse ».Ils s’opposent à Maupassant qui refuse « la photographie banale » dela vie et démontre non seulement l’impossibilité d’une reproduction exacte,mais la néces-sité de faire des choix.

3. L’enjeu du romanDeux auteurs placent l’enjeu du roman du côté de la vérité :mais Zola se situe en amontde la recherche de la vérité,puisque le travail de l’écrivain est de formuler des hypothèses,tandis que Maupassant envisage seulement de « montrer la vérité ». Balzac accorde au romanune fonction explicative (« étudier les raisons ou la raison de ces effets sociaux,surprendre le senscaché »), fruit également d’une recherche, tout comme chez Zola,mais s’exerçant sur lesfaits une fois qu’ils se sont produits.

4. La place du romancierBalzac, comme Zola, s’accordent à penser que le romancier peut accéder à l’objec-tivité, tandis que Maupassant reste persuadé de l’inévitable subjectivité de son point devue.

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◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 85 À 89)a Les indications de lieu dont nous disposons sont les suivantes :« sur l’eau » (l. 2),« saligne descendue au fond de la mer » (l. 3-4), « à l’arrière du bateau » (l. 5), « cette partie depêche » (l.6).Deux expressions sont relatives au temps :« depuis un quart d’heure » (l.1-2)et « depuis midi » (l.10).Ces indications nous permettent de comprendre que la scène se passe en mer, à bordd’un bateau, l’après-midi.

z Ces indications sont imprécises par rapport aux exigences du réalisme parce qu’ellesne font appel à aucune référence en termes de lieu et de temps réels, localisables : il n’ya ni nom de lieu, ni date qui permettent de situer le lieu et le temps de l’action en référence à une toponymie ou un calendrier réel.Nous ne savons pas sur quelle mer noussommes, sur quel bateau,quel jour, en quelle saison… La représentation est donc diffi-cile à construire pour le lecteur.Maupassant expose la situation comme si nous la connais-sions déjà,comme si tous ces éléments nous étaient déjà familiers et n’avaient pas besoind’être indiqués. Il adopte d’emblée un point de vue conforme à la vision des personnages et ne se place pas en surplomb pour éclairer le lecteur sur le contexte de lascène.

e

La représentation que l’on peut proposer pour figurer les relations entre les person-nages emprunte la forme d’un arbre généalogique :quatre des cinq personnages appar-tiennent en effet à la même famille (les parents Roland et leurs deux fils, Pierre etJean).Seule Mme Rosémilly occupe une place à part,« invitée » à cette partie de pêche.La scène se déroule donc dans un univers familial,mais restreint à la famille « nucléaire »(le noyau des parents et des enfants) ; la présence dans cette intimité de Mme Rosémillynous indique le degré de familiarité qu’elle entretient avec la famille où elle est admise,seule « étrangère » au milieu des autres personnages.

r Les éléments de portrait des personnages accentuent leur association deux à deux :Roland, tour à tour « furieux » (l.9) et « confus » (l.17),qui prétend aimer la compagniedes dames (l. 19) mais une fois en mer « ne pense plus qu’au poisson » (l. 20-21), qui nie

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Le père Roland Mme Rolandle mari sa femme

Pierre Jeanle fils aîné le fils cadet

MadameRosémilly,l’invitée

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avoir fait une bonne pêche mais couve le poisson d’un œil amoureux,apparaît commeun personnage à la fois autoritaire et dérisoire ;Mme Roland,dont l’engourdissementcontraste avec l’agitation verbale de son époux,qu’elle relève comme une incongruité,révèle une nature contemplative et sentimentale (« regardait d’un air attendri le large hori-zon de falaises et de mer », l.22-23).Les portraits de Pierre et Jean sont,de la même façon,bâtis symétriquement :Pierre,« homme de trente ans à favoris noirs » (l.40), Jean,« blond »,« très barbu »,« beaucoup plus jeune que son frère » (l. 46-47).De Mme Rosémilly,nous nesavons encore rien.Ces portraits sont construits sur le mode antithétique :Roland éprouve devant la merune satisfaction « de propriétaire » (l.57),tandis que sa femme s’abandonne à la rêverie sen-timentale, Pierre est aussi noir et imberbe que Jean est blond et barbu, et le texte souligne leur écart d’âge (qui n’est en réalité que de cinq ans, mais qui semble ici beaucoup plus important).

t Ce début du roman nous propose un portrait de groupe,mais qui avantage nettementle père Roland au détriment de l’épouse et des fils,ces derniers donnant pourtant leursnoms pour titre du roman.La figure du père est valorisée par l’importance de ses prisesde parole : c’est en effet lui qui intervient le plus souvent et le plus longtemps au coursde cette scène (l.1 à 4,l.10 à 12,l.17 à 21,l.37,l.39,l.45,l.53 à 55).Le registre de languefamilier de certains éléments de ces énoncés, la diversité des modalités de ces prises deparole (fournir des explications, annoncer des résolutions, exprimer des humeurs,questionner) montrent de quelle façon le père Roland impose ici sa présence.Le choix de Maupassant d’attirer l’attention du lecteur sur ce personnage,en réalité secon-daire dans l’ensemble du récit, et le plus souvent mis à l’écart des enjeux principaux duroman, dont la paternité va être fortement mise en question par l’héritage de Jean, aquelque chose d’incongru et d’ironique.Avec lui est intégré dans le roman un universbourgeois,étriqué,tout entier dans le contentement de soi, l’égoïsme et le matérialisme.Ce personnage,qui incarne la figure du père, est placé sous le signe de la dérision : sonautorité ne repose sur aucun fondement solide, ses enfants lui mentent sans même qu’ilen prenne conscience et sa femme s’évade du monde trivial dans lequel il se complaîtpar la contemplation et la rêverie.L’importance accordée ici au personnage du père constitue donc une approche détour-née du sujet du roman,et l’apparente harmonie de la scène masque à peine les tensionslatentes, entre les parents, entre les enfants,qui sous-tendent ces relations familiales.

y C’est à Roland qu’est attribué le plus grand nombre d’actions (soulève sa ligne,exa-mine la pêche,hume vivement, croise les bras, regarde la mer d’un air de propriétaire)qui, au regard de l’inaction des autres personnages, dénotent l’agitation du person-nage ;les verbes de parole dont il est le sujet (« déclara,questionna ») contrastent également

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avec la tonalité adoptée pour les autres personnages,Mme Roland et Jean,dont la paroleest un murmure.Mme Roland, de son côté, d’abord assoupie, se réveille et regarde lelarge horizon :elle sort de sa léthargie au moment précisément où commence le récit,invitant d’emblée le lecteur à envisager le déroulement du récit sous un angle méta-phorique.Quant à Pierre et Jean,tous deux installés dans l’immobilité et l’attente (« uneligne enroulée à l’index », l. 14), ils semblent encore assujettis à l’autorité paternelle sym-bolisée par ce fil, prisonniers des conventions familiales que le roman va en partie faireéclater,mais encore inconscients de l’imminence de l’orage (ils rient en même temps).

u Des discordances sont sensibles dans le récit de cette scène. Le langage trivial dupère contraste avec les demi-teintes des propos de Mme Roland : le couple semble malassorti.Alors que le regard de Mme Roland embrasse tout l’horizon,manifestant un désird’ouverture, Roland prend la résolution de ne pas recommencer l’expérience de lasortie en mer après dix heures, se renfermant dans son désir égoïste.L’harmonie appa-rente entre le père et les fils est aussi contrariée par le mensonge auquel les enfants ontsystématiquement recours face à leur père. Le comportement des deux frères n’estaussi qu’apparemment identique.Leur portrait accuse les dissemblances et Jean, déjà,semble plus proche de l’univers féminin : il prend la défense de l’invitée, et sa mère « murmure » lorsqu’il prend la parole.Toutes ces contradictions contiennent en germela possibilité de conflits qu’un événement pourra cristalliser.

i On peut reprendre une partie des éléments énoncés dans les réponses aux deux ques-tions précédentes :– nous sommes dans l’attente de quelque chose ;– les relations entre les personnages laissent apparaître la possibilité d’un regroupementdifférent de celui envisagé pour la question 3 :

– les éléments de conflit permettent de se demander quelle voie empruntera le roman :sera-t-il le récit d’une révolte contre le père ou celui de sa mise à l’écart ?– enfin, l’invitée, pour l’instant, est restée dans l’ombre :nous savons très peu de chosesd’elle :qui est-elle ? quel sera son rôle ?

o La mer permet une organisation de l’espace selon deux axes : c’est à la fois un lieude pêche, impliquant une perception de la mer selon la verticalité (« sa ligne descendueau fond de la mer » l. 3-4, « l’eau sous moi », l. 20) et un horizon. La mer est à la fois l’environnement sur lequel le regard se fixe et ce qui suscite l’activité de pêche autourde laquelle tous les propos convergent.

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Le père Roland

Pierre

Madame RolandMme Rosémilly

Jean

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Dans les propos de Roland, le poisson, qui représente la mer par métonymie, est personnifié : « le gredin, il fait la sieste » (l. 54) :mer et poisson tour à tour s’offrent et serefusent, répondant ou s’opposant ainsi aux désirs du personnage.

q La mer permet à Roland de satisfaire son goût de la possession : la mer est pour luiassociée à la pêche, elle est donc envisagée avant tout par ce qu’elle produit. Cette partie de pêche révèle l’identité de Roland, ancien bijoutier : en commerçant, il fait lecompte de sa pêche et l’introduit dans une logique de thésaurisation. Sa perception sensorielle est en accord avec la vulgarité de son langage : il respire la « saine puanteur demarée […] comme on sent des roses » (l. 33 à 35). Mme Roland appréhende la mer uniquement sous l’angle du paysage se déroulant sous ses yeux à l’infini.

s Le réalisme est sensible dans le choix de représenter la mer à travers les éléments marinsqui la peuplent :bateaux et poisson (et donc pêche), évoqués ici avec un lexique précis(« bâbord, tribord, tolet, écaille, nageoire,manne ») et qui privilégie l’approche sensorielle,sans cacher ce qu’elle peut avoir de désagréable pour la vue, comme pour le toucherou l’odorat (« écailles gluantes, odeur forte, puanteur »).Ces termes contrastent avec l’admi-ration et le plaisir manifestés par Roland devant cette pêche.Pourtant ce personnagepermet l’introduction, dans cette évocation de la mer, d’un autre aspect du réalisme :la mer est en effet ici envisagée sous son aspect rentable, visible à travers le comptagedes poissons,et l’appréciation de leur aspect (« ils sont frais, ceux-là !, l. 37).

d Maupassant compose ici une nature morte,complexe dans la mesure où elle concentredans la même image trois états distincts des objets représentés ;on peut lire en effet à lafois des signes de vie (« palpitait, bâillements »),des signes de déclin, signalant l’approche dela mort (« vaguement encore, doux,mous ») et des signes déjà visibles de la mort (« impuis-sants,mortel »). Il s’agit bien d’une esthétique réaliste, à la fois dans le choix du sujet (uneagonie),comme dans le mode de représentation,qui n’exclut pas une double lecture : lamort est déjà dans la vie,mais la vie lutte jusqu’au bout pour tenter de résister.D’autre part,le traitement de la lumière (« le flot d’argent des bêtes », l. 31), comme l’atténuation desfrontières entre la vie et la mort (« vaguement,doux,mous ») montrent l’influence des tech-niques impressionnistes et atténuent ce que cette vision réaliste pourrait avoir de choquant.Ce court passage illustre la continuité entre le réalisme et l’impressionnisme et le jeu possible avec les courants picturaux dans l’écriture.Le réalisme subjectif de Maupassanten littérature s’apparente ainsi à certains aspects de l’impressionnisme en peinture.

f Ces expressions sont des oxymores, elles sont fondées sur l’opposition radicale desdeux éléments qui les composent : palpitation d’agonie

saine puanteur(éléments de vie) / (morbidité)

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Ce procédé rhétorique qui consiste à associer les contraires est fréquemment utilisé enpoésie :on le rencontre aussi bien dans l’esthétique baroque que dans la poésie roman-tique ou dans les récits fantastiques. Il permet de rendre perceptible la coexistence deperceptions contradictoires.Vie et mort sont non seulement indissociables,mais présentesen même temps et non successivement.

g Cette pêche apparemment infructueuse illustre la difficulté pour le romancier de com-mencer le récit.Mais cette pêche n’est pas si infructueuse qu’il y paraît et ce début deroman comporte nombre de pistes,certes indirectes,mais réelles,pour envisager la suite.Maupassant joue ainsi, par ce procédé métaphorique, avec le lecteur, l’invitant à ouvrirla « manne » du roman, sans se laisser importuner par « l’odeur », l’encourageant à ne pas se laisser duper par les apparences et à lire, sous les signes de vie ou de mort, la présence insidieuse du contraire,à entamer une lecture active qui ne se contente pas d’unseul point de vue et cherche la vérité derrière les apparences.

h La barque elle aussi peut s’interpréter comme une métaphore,mais de la lecture :débuter la lecture d’un roman, c’est s’embarquer, prendre un départ. Mais dans ces premières pages, la barque est déjà sur l’eau.L’énoncé du début du roman ne coïncidepas tout à fait avec le départ des personnages :nous prenons le récit en cours de route (inmedias res), à un moment où la barque est immobile, dans l’attente de quelque chose(de vent ? d’un événement ?).Si nous nous reportons à la structure du schéma narratif,nous nous situons entre la situation initiale et l’introduction de l’élément déclencheur.L’habileté de Maupassant est de nous placer dans cet entre-deux et donc de ne distillerles informations qu’indirectement, retardant les explications nécessaires à la compré-hension du récit. Elles ne nous seront données qu’après cette entrée en matière : toutcomme dans une scène d’exposition au théâtre, nous voyons d’abord apparaître lespersonnages, avant qu’ils nous exposent les tenants et les aboutissants de la situation encours.Tout comme Mme Roland, le lecteur sort de son assoupissement et commencepar se situer dans le paysage,par se l’approprier par le regard,souffrant de la proximité deRoland,dont le langage et les préoccupations triviales introduisent une note discordantedans cette attente poétique. Il s’agit bien ici, pour Maupassant, de rendre le lecteur disponible,sans l’accabler d’un flot d’informations,de le préparer à les recevoir peu à peu,en le rendant sensible à une atmosphère.Cette apparente tranquillité,neutralité,demandepourtant plus d’efforts au lecteur, qui dès la première page doit apprendre à lire entreles lignes, à découvrir les éléments signifiants dispersés, inaccessibles directement.

j Le dialogue occupe une part importante du récit dans ce début de roman,qui s’ouvresur la prise de parole du père Roland.L’essentiel des passages narratifs est consacré à lamise en scène des personnages, et ceux-ci peuvent apparaître comme des didascalies rédigées. Il s’agit ici de montrer les personnages en situation et de permettre au lecteur

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de saisir leurs interactions implicites.L’expression directe des personnages implique uneffacement relatif du narrateur,qui anime cette galerie de personnages sans se montrer.

k Cependant,le point de vue du narrateur est perceptible,en particulier dans la mise enscène du père Roland.Plusieurs procédés sont utilisés pour souligner le point de vue critique du narrateur,qui pointe les travers du personnage et en dessine un portrait à lafois psychologique et sociologique,non dépourvu d’ironie et de dérision.On peut iden-tifier ce point de vue à travers :– Les désignations du personnage :« le père Roland » (l. 1, 30, 50),« le bonhomme » (l. 9,56), « le vieux pêcheur » (l. 35) sont des désignations familières et dépréciatives, dont la fréquence indique le statut dévalorisé du personnage dans le roman ;elle impose un pointde vue dominant par rapport aux autres désignations :« son mari » (l. 7, 25),« Gérôme »(l. 8), « papa » (l. 16), « le père » (l. 44), qui renvoient à sa place dans la famille, et « M.Roland » (l.17),emploi unique d’une désignation sociale en rapport avec l’expres-sion « notre invitée » qui la précède immédiatement.– Les paroles rapportées du personnage, où figurent des jurons (« Zut », premier motdu roman,« Cristi »,l.37),dont la syntaxe est le plus souvent familière,comme en témoignel’usage des reprises anaphoriques systématiques :« ils sont frais,ceux-là (l.37),« Combien enas-tu pris, toi, docteur ? » (l.39),« Il ne mord plus, le gredin » (l.54).– Sa conception traditionnelle des rôles masculins et féminins, plaidant pour une séparation radicale des deux mondes :« On ne devrait pêcher qu’entre hommes ; les femmesvous font embarquer toujours trop tard » (l.10 à 12).– Enfin, le comportement de bourgeois satisfait de Roland, qui appréhende la mersous l’angle de la rentabilité (la mer est avant tout un lieu de pêche et le plaisir de la pêcheréside dans le nombre de poissons capturés), ce que confirme l’expression finale « unair satisfait de propriétaire » (l. 56-57), expression d’autant plus significative que la notionde propriété ne peut précisément s’appliquer à la mer : cette expression met l’accentsur l’illusion dans laquelle vit ce personnage pour qui le bonheur ne peut être associéqu’au sentiment de propriété,mais qui s’arroge ce qui ne peut lui appartenir.

l À l’issue de ce passage, le lecteur a fait connaissance avec les principaux protagonistesdu récit et appréhendé l’univers dans lequel ils évoluent à travers les possibles relationsqui les unissent.Mais sa connaissance des personnages reste imparfaite :si Roland est asseztransparent,les autres personnages ne sont qu’esquissés et Mme Rosémilly est restée dansl’ombre.Les contrastes et les décalages entre les personnages (sur le plan du langage,descaractéristiques physiques ou comportementales) permettent d’envisager des heurts,desconflits possibles entre les personnages,mais sans que l’on sache sur quel objet ils vontporter. Nous ne connaissons pas l’histoire de cette famille ni la nature des liens qui l’unissent à l’invitée. Le milieu dans lequel ces personnages évoluent n’est pas encore

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réellement précisé, ni les circonstances qui entourent cette partie de pêche.Ce débutde roman reste donc en grande partie opaque, tout en suggérant des attentes.

m Nous attendons plus amples informations concernant les personnages,de façon à lesindividualiser et à justifier leur place dans ce portrait de groupe.Le retour en arrière dansl’histoire familiale est l’un des éléments attendus.De même,on s’attend à ce que le romanrevienne sur les circonstances qui ont présidé à l’invitation de Mme Rosémilly et quesoit retracée l’histoire de ses relations avec cette famille.On s’attend également à ce queles conflits larvés entre les parents, entre les fils (à propos de l’invitée ?) se manifestent augrand jour à l’occasion d’un événement à venir. La présence de la mer autorise aussi l’hypothèse d’un lien entre l’événement et le milieu marin (difficultés pour revenir à terre ?).

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 90 À 94)Examen des textes

a

Les deux romans font jouer des références réelles,Paris dans les deux cas pour le lieu,desdates précises, au moins pour L’Éducation sentimentale ; en ce qui concerne La Peau de chagrin, le récit est daté en référence au temps de l’écriture (au mois d’octobre suivant).L’ancrage dans un univers réel est donc marqué dans les deux cas.

z Dans le texte B, le personnage est introduit dans la première phrase du premierparagraphe :«Vers la fin du mois d’octobre dernier,un jeune homme entra dans le Palais-Royal.»Ce personnage est ensuite désigné par des pronoms (« il, lui ») et par l’interjection

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Temps Lieu

Texte B – Vers la fin du mois d’octobre dernier – le Palais-Royal– au moment où les maisons de jeu s’ouvraient – l’escalier du tripot– Quand vous entrez – numéro 36– À votre sortie

Texte C – Le 15 septembre 1840,vers six heures – devant le quai Saint-Bernarddu matin la Ville-de-Montereau, – les deux berges,peuplées de magasins,près de partir de chantiers et d’usines– pendant deux mois – auprès du gouvernail

– l’île Saint-Louis, la Cité,Notre-Dame– Paris disparaissait– Nogent-sur-Seine– Le Havre

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« Monsieur ». Il disparaît complètement du second paragraphe,à moins qu’il ne soit inclusdans le « vous », point sur lequel nous reviendrons avec la question 4.Dans le texte C,c’est au paragraphe 4, l.11,qu’apparaît « un jeune homme de dix-huit ans,à longs cheveux », dont la présence est confirmée par les reprises pronominales (il,utiliséquatre fois).Ce personnage est enfin nommé :M.Frédéric Moreau (l.16),à nouveau reprispar la suite par des pronoms. À partir de la ligne 22 et jusqu’à la fin du passage, ce personnage disparaît comme individualité et se fond dans la foule des passagers du navire.Balzac comme Flaubert désignent leur personnage de la même façon,mais le momentde leur introduction diffère : le héros de La Peau de chagrin fait démarrer le récit par sonentrée dans la maison de jeu ; tandis que Frédéric se détache un moment de la fouledes passagers avant de se fondre en elle à nouveau.Les informations dont nous disposonssont également différentes dans les deux cas.Du héros de La Peau de chagrin, nous neconnaissons même pas le nom, encore moins l’histoire. Le personnage de L’Éducationsentimentale possède une identité et déjà des bribes d’histoire récente. Par contre, tousdeux n’occupent qu’une petite place dans cette ouverture des romans : Raphaël deValentin n’est présent que dans le premier paragraphe de La Peau de chagrin, FrédéricMoreau n’est au centre du récit qu’entre les lignes 11 à 22, soit un quart de cet extraitde L’Éducation sentimentale.

e On relève cinq emplois de « on » dans le texte C : « on se heurtait » (l. 5), « que l’ondéroule » (l. 10),« on rencontrait » (l. 27),« où l’on pouvait s’accouder » (l. 36),« on était gai »(l. 42). Les premier et troisième ont sensiblement la même valeur : ils désignent lesvoyageurs et les matelots, voyageurs parmi lesquels se trouve Frédéric, et qui incluentégalement le narrateur et le lecteur. Le dernier « on » ne peut désigner que les passa-gers,il s’agit d’une extension « des farceurs ». Il est beaucoup moins probable que Frédéricfasse partie de ces voyageurs,dans la mesure où il aurait aimé prolonger son séjour à Paris(« il poussa un grand soupir », l. 15).Mais ce « on » semble à nouveau inclure le narrateuret le lecteur,tout comme celui de la quatrième occurrence,qui désigne les habitants desmaisons des berges,à l’exclusion précisément des passagers de la Ville-de-Montereau.Quandau deuxième (l. 10), il a réellement une valeur indéfinie dans le cadre d’une proposi-tion qui est l’expression d’une vérité générale (passage au présent de valeur générale).

r Dans le texte B,la présence du « vous » est l’indice d’une adresse directe du narrateur aulecteur (désigné par ce « vous »).Le lecteur est ainsi mis dans la situation du héros,ce qui favorise son identification au personnage.Ce discours peut aussi être entendu comme unereformulation (assortie d’une généralisation) du discours que tiendrait le vieillard au jeunehomme qui vient de pénétrer dans la maison de jeu :ainsi, au couple narrateur/lecteur correspond dans la fiction un couple de personnages dont l’un, le héros,peut figurer undouble du lecteur,tandis que le narrateur s’incarnerait dans la figure du vieillard.

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t Dans le texte B,on relève d’abord une succession de cinq interrogations,qui liste leshypothèses d’explication à propos de la coutume qui consiste pour les joueurs à déposerleur chapeau à l’entrée d’une maison de jeu.Cette sorte de rituel est l’occasion d’une digres-sion à propos des joueurs.Vient ensuite un discours didactique,qui emprunte les formesde l’injonction (« Sachez-le bien », « vous apprendrez qu’il faut se faire un costume de joueur »).Dans cette seconde phase,le déroulement chronologique et logique est fortement marqué(« à peine… déjà »,« démontrera… que », « si toutefois… vous apprendrez… que »).Le texte C propose d’abord des phrases longues,complexes (en particulier emploi de subor-données relatives :« que divisaient,où l’on pouvait »),comportant des énumérations (« des mursneufs,des grilles de fer,des gazons,des serres chaudes,et des vases de géraniums » ; « avec un bon billard,une chaloupe, une femme ou quelque autre rêve ») : cette première étape correspond à la description du paysage.Puis,on note l’emploi de phrases simples,courtes,au moment oùil s’agit d’évoquer ce qui se passe à bord du bateau (« Beaucoup chantaient.On était gai. Il seversait de petits verres.»).Ce retour à la narration privilégie les sujets impersonnels (« on, il se versait ») traduisant une distance par rapport à la scène,dont les acteurs deviennent indis-tincts.Ils entrent ainsi dans un tableau,dont les berges figurent l’arrière-plan.

y Dans le texte B,la composition est binaire,avec une coupure fortement marquée entreles deux parties, en particulier par le biais de l’énonciation : le premier paragrapheinaugure le récit et permet l’introduction du personnage principal, qui reste anonymecependant. L’accent est essentiellement mis sur le lieu. Le second paragraphe basculedu côté du discours et permet d’instaurer une relation directe du narrateur au lecteur.La composition du texte C est plus souple et procède par variations de champs : lestrois premiers paragraphes sont consacrés aux préparatifs du départ et mettent en scènel’ensemble des voyageurs et des membres d’équipage.Au paragraphe 4,début de la secondepartie du texte, est introduit le personnage de Frédéric Moreau,mais sa présentation s’accompagne déjà de l’évocation du paysage qui défile. À partir de « Le tumulte s’apaisait » (début de la troisième partie), l’intérêt est à nouveau centré sur la foule desvoyageurs :une pause narrative permet alors l’épanouissement de la description.Le retourà la narration et aux voyageurs s’effectue par une phrase de transition (« Plus d’un, enapercevant ces coquettes résidences… ») qui rétablit le point de vue à partir duquel la description a pu être menée.

Travaux d’écriture

Question préliminaireLa présence du narrateur peut être explicite ou dissimulée :Balzac fait du narrateur unprotagoniste à part entière du récit ; au contraire,Maupassant et Flaubert choisissent l’effacement, le premier en recourant à une esthétique théâtrale qui donne la priorité

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à la parole des personnages, le second en changeant fréquemment de point de vue.Tous les textes du corpus attribuent au lecteur et à la lecture une place prépondérante :partenaire direct du narrateur dans La Peau de chagrin, le lecteur est donné pour destinataire direct d’un récit à valeur didactique : en ce début de roman, il s’agit de le prévenir de ce qui l’attend s’il franchit à son tour la porte d’une maison de jeu.Flaubert,et Maupassant à sa suite, embarquent le lecteur à bord d’un navire.Flaubert fait coïnci-der le début de la lecture avec le départ du bateau qui en est la métaphore,Maupassantinstalle son lecteur dans une attente qui aiguise sa vigilance et attire son attention sur lemoindre signe perturbateur.Dès la première page, le lecteur doit donc mettre en œuvre des stratégies particulièrespropres à chaque roman : interpellé par le narrateur, le lecteur de Balzac se laisse guider, subjugué par la virtuosité verbale d’un narrateur qui l’oblige à le suivre dans unraisonnement complexe,disproportionné par rapport à l’origine du débat, et qui de cefait comporte une grande part d’ironie,dont le lecteur attentif ne peut qu’être conscientet complice. Le lecteur de Maupassant perçoit lui aussi l’ironie du narrateur à l’égarddu personnage de Roland,ébauche d’une critique qui ne s’affiche jamais comme telle,mais constitue l’un des enjeux du récit.La fluidité du récit de Flaubert oblige le lecteurà abandonner ses réflexes habituels de lecteur : la narration, sous son apparente simpli-cité, cultive l’ambiguïté et fait du lecteur à la fois un acteur et un témoin,double statutqui est aussi celui du héros.Jouer avec le lecteur,pour le séduire et l’initier à l’univers du roman dont il vient d’en-tamer la lecture, semble donc une constante des débuts de récit :que le lecteur soit prispar la main (Balzac),ou au contraire égaré au milieu d’une foule de personnages où il neparvient plus à savoir qui est qui (Flaubert),ou enfin introduit dans un univers dont il neconnaît pas les codes (Maupassant), il fait ses premiers pas en travaillant, comme le narrateur,par analogie :entré dans le roman,comme Raphaël dans la maison de jeu duPalais-Royal,embarqué dans la lecture,comme Frédéric à bord de laVille-de-Montereau,le lecteur a dans le personnage un double en fiction.

CommentaireOn pourra adopter le plan suivant :1. Un récit objectif ?• Un récit qui revendique la référence au réel (1er paragraphe)• Une accumulation de notations précises, empruntant aux différentes perceptions sensorielles.• Une écriture de témoignage,dépourvue d’opinions ou de jugements,mais fruit d’unevision de l’intérieur (on).2. Un personnage décalé• Une entrée différée.

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• Le contraste entre l’agitation du départ et l’immobilité du personnage.• Le conflit entre ses désirs et la pression familiale,maternelle.• Un personnage témoin,qui tient un album sous le bras :observateur, il est peut-être àl’origine du point de vue adopté dans ce passage.3. La place du lecteur• Séduire le lecteur, en lui proposant de voyager à bord de laVille-de-Montereau, encompagnie des personnages et du narrateur.• Capter le lecteur :du personnage collectif à l’individu :des lecteurs au lecteur.• Informer le lecteur : identité et histoire du personnage.

DissertationL’argumentation pourra être conduite de la façon suivante :1. L’auteur se laisse conduire par le récit, comme un lecteur• L’auteur semble n’en pas savoir davantage que le lecteur. Il découvre peu à peu les personnages,les situations :ainsi,au début de Pierre et Jean,les personnages semblent douésd’autonomie, s’expriment directement.• Le point de vue adopté est le plus souvent à hauteur de personnage (focalisation interne) :le narrateur semble se situer parmi eux (c’est le cas de Flaubert dans L’Éducation sentimentale).• Le début du récit offre des possibles narratifs qui devront par la suite être développés(par exemple, la présence de l’invitée dans la scène initiale de Pierre et Jean devra être expliquée).2. Le narrateur agit ainsi pour rapprocher le lecteur de l’écriture du récit,définir sa place et son rôle• La découverte progressive de la situation initiale du roman mime la lecture : le débutdu roman,par le biais de la métaphore,inscrit l’acte de lecture dans le déroulement mêmedu récit : le lecteur entre dans La Peau de chagrin en même temps que Raphaël franchitle seuil du tripot,embarque avec Frédéric Moreau sur laVille-de-Montereau (L’Éducationsentimentale).• Le narrateur programme le mode de lecture par ses choix narratifs : la théâtralité dudébut de Pierre et Jean invite le lecteur à se comporter en spectateur de théâtre et à recher-cher dans les paroles des personnages et dans leurs interactions les éléments de signification dont il a besoin ;l’album sous le bras de Frédéric Moreau indique sa natureobservatrice et contemplative et constitue un indice du point de vue adopté dans les passages descriptifs, ainsi que du rôle qu’il sera amené à jouer dans le roman.• Les choix énonciatifs placent le lecteur dans des positions particulières : l’utilisationdu il met le lecteur dans la position du narrateur extérieur à l’histoire,ou fait de lui untémoin ;l’emploi du je favorise l’identification du personnage,du narrateur et du lecteur

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(c’est le cas par exemple dans Voyage au bout de la nuit de Céline) ;l’emploi du vous,commedans La Modification de Michel Butor,place le lecteur dans la position du personnage,oudans celle du narrateur s’adressant au personnage/lecteur : les jeux de miroir peuventainsi se multiplier.3. Le narrateur dialogue avec le lecteur• Le début du roman a pour fonction d’établir le contact entre le narrateur et le lecteuret de définir les modalités de leurs relations : Balzac interpelle son lecteur pour lui expli-quer les us et coutumes d’un milieu dont il n’est pas nécessairement familier et cetteinformation vaut à la fois pour la lecture du roman et pour son comportement dans lavie réelle.Diderot, au début de Jacques le Fataliste, revendique sa liberté de narrateur etmontre comment il pourrait se soustraire à ses devoirs de narrateur en abandonnant certaines pistes pour en suivre d’autres.• Même s’il ne s’adresse pas directement à lui, le narrateur établit un lien entre l’universdu roman et celui du lecteur : il s’agit de créer une base commune pour permettre lacompréhension du récit ; les mentions de dates et de lieu ont en particulier pour fonction de suppléer à des descriptions dont le lecteur peut se passer,du fait de sa connais-sance de ces références (cf. L’Éducation sentimentale).• Le début du roman constitue une sorte de contrat avec le lecteur et engage le narra-teur au-delà des premières pages : la peinture de la cour de Henri II, au début de La Princesse de Clèves, place le roman sous le signe de l’étiquette et de la représentationhistorique, où se côtoient personnages authentiques et personnages de fiction ; la tension entre ces deux univers sera ainsi au centre du propos du récit ; la scène finale dePierre et Jean reprend nombre d’éléments de la scène initiale.

Écriture d’inventionPour ce travail, on respectera un déroulement en deux temps :ouverture du récit avecintroduction du ou des personnages de la fiction,et discours du narrateur au lecteur,dontle sujet sera fonction des choix de la première partie.Le point de départ de cette digres-sion sera constitué par une parole rapportée au style direct.(On peut se reporter à la question 4 dans Examen des textes.)Proposition de déroulement :• Premier paragraphe centré sur Roland, son impatience et sa frustration parce que lepoisson ne mord pas ; on pourra dans ce passage utiliser les propos de Roland, maisrapportés au style indirect ou narrativisés.Cette étape peut se terminer sur la prise deparole au style direct de Mme Roland,protestant contre le langage de son mari, ou deJean, soulignant le peu de galanterie de son père.• Le second paragraphe, adressé au lecteur, émettra dans un premier temps des hypo-thèses, soit sur les rapports de couple de M.et Mme Roland et le rôle des registres delangue en société, soit sur les relations hommes/femmes en société ou les relations

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parents/enfants, en partant de la prise de parole de Jean.La seconde étape du discoursmettra l’accent sur la dévalorisation de Roland et de ceux qui se comportent comme lui :Roland est ici l’antithèse du Père Goriot de Balzac. Si la générosité de Goriot l’avaitconduit à se dépouiller complètement pour ses filles et à finir ses jours dans la misère,l’égoïsme de Roland le conduit à profiter du bien d’autrui en toute bonne conscience,alors même que cette aisance ruine son identité de père.

◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 107 À 111)a L’origine du malaise de Pierre apparaît dans l’interrogation « Serait-ce l’héritage de Jean ? »(l. 44), hypothèse validée dans la suite du passage : « Oui, c’était possible après tout »(l. 45).Cette annonce a déclenché le phénomène de la jalousie :« Donc j’ai été jaloux deJean. […] J’en suis sûr maintenant » (l.62-63).

z Il faut distinguer ici les signes du malaise,créé par la jalousie quand elle n’est pas encoreidentifiée comme telle, et auquel renvoie le champ lexical du dégoût (« las, dégoûté »,l. 29, « contrariété, fièvre », l. 32 et 34, « énervement, envie de rien, dégoût », l. 39 à 41),et les pensées associées à l’emprise de la jalousie (l’identification à la situation de l’héri-tier,l.55 à 58,et la pensée du mariage de Jean avec Mme Rosémilly,l.64).Dans le secondcas,la jalousie est d’autant moins justifiée que Mme Rosémilly n’est pas un objet de désirpour Pierre (on retrouve à son propos le terme « dégoûter », l. 66).

e La découverte de la jalousie aboutit chez Pierre au désir d’y mettre rapidement unterme :« Faut soigner cela ! » (l. 68).Le travail d’analyse suscité par le malaise ressenti à lasuite de l’annonce de l’héritage semble donc avoir abouti non seulement à une prisede conscience du personnage,mais aussi à une décision pour lutter contre ce sentimentque Pierre juge indigne de lui.Cependant, le récit a préalablement souligné que Pierrerencontrerait des obstacles dans cette lutte :« mais chez lui la nature première demeurait endernier lieu la plus forte, et l’homme sensitif dominait toujours l’homme intelligent » (l. 36 à 38).Le lecteur s’attend donc à voir se développer un conflit interne dont Pierre ne sortirapas facilement ni nécessairement vainqueur.

r Les passages au style direct se situent l.31,44,62 à 68,78-79,95-96. Ils permettent destructurer le passage :le premier ouvre la méditation de Pierre (« Qu’ai-je donc ce soir ? ») ;ledeuxième formule, également sous une forme interrogative,une hypothèse (« Serait-ce

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l’héritage de Jean ? ») ; le troisième énonce les conclusions de la méditation (« Donc j’aiété jaloux de Jean […] »).Les moments importants de cette réflexion,ses articulations sontdonc soulignés dans le texte par l’emploi du style direct, qui permet d’attribuer directement au personnage le crédit de cette découverte.Dans un second temps,le styledirect ouvre la voie à la rêverie,introduisant le peuple turc dans les propos de Pierre,puisdonnant la parole aux feux des ports,participant ainsi au procédé de personnification quicaractérise la seconde partie du texte.On ne relève qu’un seul passage au style indirect libre (l. 45), succédant à l’énoncé del’hypothèse concernant la cause du malaise de Pierre : « Oui, c’était possible après tout »(l. 45). La réflexion de Pierre est donc transcrite sur le mode d’une double énoncia-tion, superposant la parole du personnage et celle du narrateur dans l’ensemble de ceparagraphe.

t Le texte est écrit à la troisième personne, mais nous accédons à la conscience dupersonnage car le récit note ses sentiments et ses sensations.Le lexique des impressions,des sensations est ainsi très présent :« besoins, désir, dégoûts, état d’esprit, sentir, content. » Lerécit est donc écrit selon une focalisation interne, le narrateur adopte le point de vuede Pierre.

y Le premier extrait est écrit à la troisième personne et met l’accent sur la singularitédu fonctionnement psychique de Pierre considéré objectivement.Le second extrait uti-lise le pronom « on » qui a ici une valeur générale, incluant le personnage, le narrateur,le lecteur, tout le monde indistinctement :Pierre appartient ainsi à la communauté deshumains, on ne met plus l’accent sur sa différence. Le troisième extrait utilise le pro-nom « nous », désignant un ensemble qui n’a plus rien d’impersonnel, dont le narra-teur et le lecteur font partie, au même titre que le personnage.Progressivement, la dis-tance du personnage au lecteur s’est réduite : d’abord apparu dans sa singularité, lepersonnage rejoint ensuite l’humanité,pour se rapprocher enfin du lecteur (par le biaisdu narrateur),à qui il sert d’exemple pour comprendre son fonctionnement personnel.L’intrusion du narrateur et du lecteur,par le biais des pronoms « on » et « nous »,montrequel’objectif du roman est de s’appuyer sur l’histoire de Pierre pour permettre à l’auteuret au lecteur de conduire une réflexion sur leur propre fonctionnement d’être humain,étude qui peut avoir des implications directes sur leur comportement dans la réalité.

u Le champ lexical de la pensée comprend les mots ou expressions suivants : « il sedemanda, il se mit à chercher dans son souvenir, l’esprit excitable et réfléchi, raisonnait, approuvaitou blâmait, l’homme intelligent, il cherchait,n’être pas du même avis, il se posa cette question, il semit à réfléchir, un courant d’idées, juge, l’être pensant, intelligence, il cherchait à concevoir, compris,la première idée, raisonnable, bon sens, l’essence.»Le lexique de la pensée est d’autant plus abondant qu’il désigne à la fois l’objet d’étudeet la méthode d’investigation.

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i Les deux premières interventions de Pierre rapportées au style direct (cf. question 4)sont des interrogations.La première oriente le personnage et le lecteur vers le sujet dutexte : l’état de Pierre ; la seconde formule une hypothèse sur la cause de cet état.Vientensuite une intervention plus longue, sur le mode de l’affirmation (l. 62 à 68), pour donner les conclusions de la réflexion amorcée par les questions.

o Constatant les signes d’un malaise, Pierre tente d’en définir les causes : c’est l’objetde sa recherche (l.31).Dans un second temps,il formule une hypothèse (l.44) qu’il exa-mine ensuite, en s’appuyant sur les données de son souvenir, sollicité à cette occasion (l. 32, 45-46). La réflexion met à jour la contradiction entre la raison et le sentiment(« l’autre qui est en nous », l. 61), comme en témoigne la présence du lexique de l’oppo-sition (« contrariété,blâmer,être la plus forte,dominait,n’être pas du même avis,on lutte,sensationscontraires, supérieur, interdites »). Le sentiment a finalement toujours le dessus, non seule-ment chez Pierre (« chez lui la nature première […] l’homme intelligent », l. 36 à 38),maisaussi chez les autres hommes (« on n’est pas toujours maître de soi, […] on lutte en vain »,l.47-48). Cette victoire cependant est ambivalente :elle procure à la fois joie et douleur,car elle n’efface pas la lutte contre la raison.

q La relation de cet épisode avec la profession de Pierre est explicite dans le texte :« ilse mit à chercher […] la cause de sa fièvre » (l. 31 à 34).Pierre joue donc ici à la fois le rôledu malade et celui du médecin.Les signes du malaise sont analysés comme autant desymptômes d’un mal qu’il s’agit de découvrir et, une fois qu’on l’a trouvé, de « soi-gner » (l.68).Les signes (ou symptômes) sont observables :« énervement,dégoût,il avait sentison cœur battre un peu plus fort, sensations douloureuses, il se sentait mieux ». L’analyse du mals’appuie sur des phénomènes physiques que l’on peut constater et décrire avec objecti-vité :la démarche scientifique du médecin pousse donc Pierre à envisager son cas commeun exemple de « problème physiologique » (l.49-50).La jalousie n’est donc absolument pasenvisagée d’un point de vue psychologique : la rivalité avec Jean est pratiquement gommée, et Pierre parvient à la conclusion que ce qu’il éprouve est de la « jalousie gratuite, l’essence même de la jalousie » (l. 67), ce qui revient à considérer que sa disparitionne dépend que de lui,puisque la source du mal est en lui.

s Ces pages sont probablement celles qui justifient le mieux la caractérisation de Pierreet Jean comme « étude psychologique »,aux antipodes des propos sur le réalisme tenus dansla Préface (cf. Préface p.29,1er §).Cependant,cette étude psychologique est conduite enaccord avec les principes énoncés dans cette même Préface :• Le but poursuivi dans cette analyse est bien la compréhension du comportement de Pierre, du sens caché de ses réactions (cf. Préface p. 35, l. 140 à 146) : en ce sens,Pierre figure, au sein même du roman, le lecteur en quête d’éclaircissements, à l’affûtd’explications.

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• Du point de vue de la composition, cette analyse se trouve prise dans le mouvementde la narration ;elle est nécessaire pour faire apparaître le motif de la jalousie,permettreque ses effets soient jugulés : on s’attend, à la suite de cette introspection, à ce que lemalaise de Pierre prenne fin.• Si,contrairement aux exigences du réalisme,l’analyse psychologique est ici explicite etnon dissimulée, cachée, elle est cependant présentée dans une perspective objective :l’intériorité du personnage n’est accessible que par le biais de la connaissance généraledu fonctionnement humain ; le personnage résiste en partie au narrateur, qui, pour lerendre compréhensible aux yeux du lecteur et faire en sorte qu’il se comprenne lui-même, le rapproche de lui et lui fait perdre sa singularité, comme en témoigne l’usagedu « on » et du « nous » (cf. Préface pp.40-41).• Dans ces mêmes pages, Maupassant met en place une forme d’expression de la psychologie du personnage qui ne passe pas par l’analyse et s’avance masquée : la visiondes deux phares constitue en effet un discours psychologique implicite, dans la mesureoù elle se prête à une interprétation symbolique.• Ce passage illustre également la dette de Maupassant envers Flaubert.Elle est le fruitd’une observation du fonctionnement humain, principe fondateur de l’écriture flau-bertienne ; la description des deux phares témoigne de la volonté de mettre en scène lacontemplation ;celle-ci permet de dégager la singularité qui fait l’originalité de ce quel’on observe (Cf. Préface p.45, l. 414-439).La simplicité du lexique, la clarté de la syn-taxe,où les rapports logiques sont rendus par la ponctuation plutôt que par la subordi-nation,où les phrases sont dans leur majorité courtes,doivent également beaucoup auxleçons de Flaubert.

d Pierre est composé de deux identités :« l’homme sensitif » et « l’homme intelligent » (l.38) ;elles sont nommées encore :« l’être instinctif » et « l’être pensant » (l.50 et 53) ;la première estcontenue dans la seconde :« content […] d’avoir dévoilé l’autre qui est en nous » (l.61).Cette dualité génère des conflits internes, car la sensibilité est constamment en opposi-tion au raisonnement ; cette double identité se manifeste donc par des contradictions :« l’esprit excitable et réfléchi en même temps » (l. 35),« ce désir de rencontrer quelqu’un » et « cedégoût pour les gens » (l.40 à 42),« d’idées et de sensations douloureuses ou joyeuses, contraires »(l.51-52).

f L’introspection de Pierre permet de révéler la dualité qui le caractérise : elle trouveun écho dans l’évocation des phares du Havre, où le chiffre « deux » revient avec uneinsistance singulière :« les deux phares électriques du cap de la Hève, semblables à deux cyclopesmonstrueux et jumeaux » (l. 81 à 83),« Partis des deux foyers voisins, les deux rayons parallèles,pareils aux queues géantes de deux comètes » (l. 84-85),« sur les deux jetées, deux autres feux »(l. 87) ; la symétrie, l’identité rendues par les termes « parallèles » et « jumeaux » peuvent

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faire écho à l’équilibre des forces qui s’opposent en Pierre ;les images des cyclopes et descomètes introduisent une dimension mythique et cosmique qui accentue la fatalité decette dualité, inhérente à tout être humain.La vision du port semble donc entièrementcommandée par les impressions éprouvées par Pierre dans sa méditation et marquée parla découverte qu’il vient de faire de sa propre monstruosité, sous le visage de la jalousie.

g Les deux phares peuvent symboliser les deux hommes,les deux êtres qui se partagentla personne de Pierre, mais aussi Pierre et Jean, dont les destinées viennent de se séparer.L’image des deux phares semble rétablir l’unité perdue des deux frères,de façonplus forte que jamais en faisant d’eux non seulement des frères,mais des jumeaux.

h Les lumières des phares et des feux du port,de couleurs différentes,donnent vie à lanuit, et leur fonction de guides pour les navigateurs peut être symboliquement trans-férée à la situation de Pierre : la vision redouble la méditation en montrant comment la confusion mentale, la nuit dans laquelle Pierre était plongé s’est dissipée, grâce à l’introspection,comme éclairée par le faisceau des phares.Alors que Pierre semblait ferméau monde et à ses semblables avant sa découverte, cette vision montre aussi l’élargisse-ment de sa perception et sa capacité retrouvée à communiquer avec l’univers tout entier.La lumière des phares semble annoncer un nouveau départ, éclairer l’avenir et consti-tue un indice du récit,en suggérant un rapport particulier entre Pierre et l’univers mari-time,qui sera confirmé au dernier chapitre.

j Les figures de style utilisées pour décrire les phares sont dans un premier temps la com-paraison :« semblables à deux cyclopes monstrueux et jumeaux » (l. 82-83), se poursuit avec« deux autres feux, enfants de ces colosses » (l.87-88),puis « d’autres encore […] s’ouvrant et sefermant comme des yeux » (l.89 à 91).La figure initiale du cyclope permet donc deux suites,la première centrée sur le gigantisme (« monstrueux, géantes, colosses »), la seconde sur lesyeux (« yeux, yeux vivants, paupières »). Celles-ci ouvrent donc la voie à l’emploi d’undeuxième procédé, celui de la personnification, signalé par l’utilisation de ce lexique relatif aux parties du corps et du discours rapporté au style direct : « C’est moi. Je suisTrouville […] » (l.95-96).La seconde comparaison,« les deux rayons parallèles,pareils aux queues géantes de deux comètes »(l. 84-85), introduit le champ lexical des astres, que l’on retrouve à la fin du passage, à propos du phare d’Étouville :« on le prenait pour une planète » (l.97).Ces procédés, fondés sur l’analogie, donnent au passage sa dimension poétique et tendent à humaniser ce paysage ;mais cette humanité est en même temps irréelle, carinsérée dans un contexte mythique et cosmique.

k Dans le premier chapitre, la mer était associée au plaisir de la pêche,de la navigation,des rencontres avec d’autres bateaux et leurs voyageurs : elle était le lieu d’une activité

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intense, apprivoisée par l’homme. Ici, elle est invisible dans la nuit, seule la lumière desphares parvient à percer son mystère.Par contraste, la terre est montrée comme « hospi-talière » (l.93).

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 112 À 118)Examen des textes

a La progression dramatique,dans le texte B,est assurée par différents éléments :– La succession des notes au jour le jour : nous avons ici des extraits du journal surdeux jours consécutifs ; or, la tonalité de ces deux récits est très différente et permet desouligner les rapides changements d’état du personnage,d’un jour à l’autre.– L’extrait correspondant au « 6 août » met l’accent sur le récit d’une hallucination et lacertitude de l’étrangeté des phénomènes auxquels le personnage est confronté, étran-geté qui l’amène à conclure qu’il n’est pas fou ; l’extrait correspondant au « 7 août »introduit à nouveau le doute sur la folie et nous n’avons plus affaire à un récit,mais à undiscours centré sur l’analyse,cherchant des arguments en faveur de la thèse de la non-folie :mais ce second extrait s’achève sur un retour au récit qui accentue à nouveau la tension.En effet, à la date du 6 août,ce qui provoque la peur du personnage est un phénomèneétrange ;au jour suivant,c’est l’absence d’anomalie qui devient inquiétante :ce paradoxemontre qu’un pas de plus est franchi dans la construction dramatique.

z Dans le texte extrait du Horla, la presque totalité des perceptions est d’ordre visuel :« j’ai vu » apparaît à cinq reprises dans le premier paragraphe, « je vis » à deux reprisesdans le deuxième,« à trois pas de mes yeux » clôt ce deuxième paragraphe.Vers la fin dutexte,on retrouve la mention du regard et des yeux, auxquels s’ajoute celle des oreilles,seule allusion au sens de l’ouïe. Les termes « hallucination » et « vision », également présents dans le passage,portent bien l’accent sur tout ce qui touche à la vue.Dans le texte de Nerval, la perception n’est d’abord reliée à aucun sens en particulier : lepremier terme utilisé est « sentir ». Plus loin, c’est aussi la vue qui est sollicitée :« je ne pouvais douter de ce que j’avais vu si distinctement », « offre à la vue. » Mais des perceptionsauditives s’ajoutent ici de façon plus importante que dans le texte de Maupassant :« jecroyais entendre parler »,« dans ce que ces personnes me disaient.»

e Chez Maupassant, les hallucinations provoquent chez le personnage d’abord la peur,puis la colère, enfin la certitude d’une présence imperceptible qui fait naître le doutesur la raison. À la fin du texte apparaît un malaise sans objet apparent, qui tourne à l’inquiétude faute d’aliment réel pour le justifier.Chez Nerval, les hallucinations fontnaître des idées, des pensées, qualifiées tour à tour de « terrible », « comique », « gro-tesque », « fatale » : le sujet ne semble pas directement affecté par ces perceptions,mais misà distance, il assiste en spectateur au déroulement de scènes qui lui échappent.

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r Dans le premier texte, l’émotion du personnage est rendue par les répétitions (« j’aivu » répété cinq fois, « je vis » deux fois), le rythme entrecoupé de la parole ponctuéede points de suspension et de points d’exclamation.La peur est ressentie physiquementet renforcée par la symétrie de la construction syntaxique :« j’ai encore froid jusque dans lesongles », « j’ai encore peur jusque dans les moelles.» Elle persiste avec les adjectifs :« éperdu »,« l’âme bouleversée. » Ce n’est que dans un second temps que le texte propose des interrogations.Le texte de Nerval multiplie d’emblée les interrogations et a recours au discours direct pourrendre sensibles les étapes suivies par la pensée,qui nous est donnée ici reconstituée.Dans les deux textes, la première conséquence de la vision est la mise à l’écart du doute,voire de la folie :« je ne suis pas fou », « je ne puis plus douter » affirme le personnage duHorla,« je ne pouvais douter » confirme le héros d’Aurélia.

t Chez Maupassant,le phénomène hallucinatoire est expliqué selon le point de vue desphysiologistes, c’est-à-dire de la médecine.Nerval a recours à une explication apparte-nant au domaine de la mystique,en particulier orientale,dans Aurélia.

y Dans le texte de Maupassant, le personnage utilise sa connaissance des fous et de lafolie,fondée sur l’observation et l’étude,pour procéder à l’examen de son propre cas.Leva-et-vient entre l’observation de soi et le souvenir de cas semblables est constant dansles deuxième et troisième paragraphes de la section du « 7 août ». Deux hypothèses sont examinées : dans le premier cas, le personnage serait en alternance atteint de folie ou parfaitement lucide (§ 2), dans le second, il serait en même temps capable de raisonne-ment logique et victime d’hallucinations (§ 3). La démarche, comme les termes de laréflexion, se veulent donc scientifiques.Chez Nerval, l’unité du double est plus fortement marquée, puisqu’il est non pas le produit d’une altération du moi mais le reflet de la nature contradictoire du moi. Ici, lafolie n’est pas opposée à la raison, quand bien même elle aurait sa logique propre : le narrateur attribue au phénomène du double une valeur éthique,opposant le bien et lemal (« Suis-je le bon ? Suis-je le mauvais ? »), la vérité et l’erreur (« l’erreur de mes amis etd’Aurélia elle-même », « la vérité fatale sous un masque de folie »), directement issue des origines métaphysiques du double.

Travaux d’écriture

Question préliminaireDans les trois textes du corpus,l’analyse occupe une place prépondérante. Cela apparaîtexplicitement à travers des formules telles que :« il cherchait », « il se mit à réfléchir profon-dément »,« il cherchait à concevoir » (texte A),« en l’analysant avec une complète lucidité » (texteB),« comment expliquer que dans mes idées », « une idée me vint » (texte C).Partant du constat

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de phénomènes étranges, inexplicables dans un premier temps (malaise de Pierre, hal-lucinations du narrateur du Horla,fusion du réel et du surnaturel pour le héros d’Aurélia),les narrateurs, qui sont aussi dans les deux derniers textes des personnages s’exprimantà la première personne, s’interrogent sur les causes de leur malaise. Ils cherchent, en s’appuyant sur des connaissances extérieures,médicales (pour les héros de Maupassant),ésotériques (chez Nerval),à comprendre le fonctionnement des événements dont ils sontles victimes. Cette démarche a pour but de leur donner prise sur ces événements et manifeste la volonté de quitter cet état.Plusieurs procédés permettent de saisir comment cette analyse est conduite, et ces procédés, pour certains, sont communs aux trois textes. L’un des plus fréquents est l’interrogation,qui permet de poser le problème (« Qu’ai-je donc ce soir ? »,texte A ;« Maisétait-ce bien une hallucination ? », « Je me demande si je suis fou », texte B ;« Mais quel étaitdonc cet Esprit qui était en moi et en dehors de moi ? », texte C) et de formuler les hypo-thèses d’explications qu’il suscite :« Serait-ce l’héritage de Jean ? » se demande Pierre dansle premier texte ;« Ne se peut-il pas qu’une des imperceptibles touches du clavier cérébral se trouveparalysée chez moi ? », poursuit le héros du Horla ;« Était-ce le double […] lui-même ? »,« Suis-je le bon ? […] à la souffrance éternelle ? », « Mais, si ce symbole […] sous un masque defolie ? » s’interroge le personnage d’Aurélia.Il arrive aussi que l’emploi de la subordonnéehypothétique supplée aux interrogations :« si je n’étais conscient […] lucidité » (texte B) ;« si ce symbole… si… c’était la vérité » (texte C).Un autre procédé caractéristique de l’analyse est l’emploi de la modalisation : les personnages, dans leur recherche d’une explication, examinent tour à tour plusieurs hypothèses ou les enchaînent, sans pour autant conclure à la validité de leur raisonne-ment, restituant ainsi le mouvement d’une pensée en action :« Oui, c’était possible aprèstout » dit Pierre ; le narrateur du Horla emploie le conditionnel :« je me croirais fou », « jene serais donc », « se serait produit », « aurait déterminé » ; celui d’Aurélia emploie les verbescroire ou sembler :« je crois que l’imagination humaine », « je croyais entendre parler », « cettepensée me sembla comique.»Les personnages pratiquent le raisonnement par analogie et tentent d’examiner leurcas à la lumière d’autres cas répertoriés. Ainsi leur situation perd de sa singularité, elle est un exemple du fonctionnement humain en général : d’où l’emploi du « on »,d’expressions comme « l’être instinctif », de déterminants définis à valeur générique(« du fils ») dans le texte A ; la référence explicite à d’autres cas dans Le Horla :« j’ai vudes fous », « des phénomènes semblables ont lieu », « des hommes » ;« l’homme est double » affirmeaussi le héros d’Aurélia,en se référant aussi bien aux Pères de l’Église qu’aux Orientauxet à l’Antiquité.Enfin,cette démarche d’analyse aboutit à un résultat. Le personnage acquiert une certi-tude,même provisoire,et peut prendre des résolutions :« Il se sentait mieux,content d’avoir

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compris » lit-on dans Pierre et Jean ; l’apaisement est aussi significatif chez le héros du Horla :« clarté », « délicieuse », « amour pour la vie », « joie » et « bonheur » figurent dans le paragraphe qui marque la clôture de l’analyse ;le héros d’Aurélia termine,quant à lui,surla résolution de la lutte :« luttons contre l’esprit fatal, luttons… pour le vaincre.»

CommentaireOn pourra adopter le plan suivant :1. L’installation de « l’inquiétante étrangeté » (Freud)• Rôle de la forme du journal intime,de l’écriture à la première personne :pas de média-tion narrative, le lecteur est captif.• Importance de l’utilisation de la « fonction émotive du langage » (Jakobson) : répétitions,exclamations qui permettent d’affirmer la présence de l’étrange,d’évoquer la peur qu’ellesuscite,d’écarter le doute aux yeux du lecteur.• Ouverture sur un monde parallèle, sur l’altérité : présence d’un être d’abord qualifiéd’invisible,puis dont la réalité devient tangible à travers l’emploi du pronom « il » dansla deuxième journée.2. Le conflit entre la raison et la folie• La séduction des hallucinations :un univers poétique (scène de jardin).• À celle-ci s’oppose la représentation de la démence,donnée sous forme de métaphoresempruntées au registre maritime (« écueil,déchirait,sombrait dans cet océan,vagues,brouillard,bourrasques,crevasse ») qui mettent l’accent sur le danger,la tourmente,la mort qu’apportela démence,vue comme un cataclysme naturel.• Une première forme de lutte : la colère, le rejet (1re journée).• Une lutte plus construite qui passe par l’analyse, le raisonnement (cf. question préli-minaire) et qui mobilise le registre scientifique des physiologistes, comme en témoignel’emploi des termes :« logique, vérificateur, contrôle, clavier cérébral, localisation de la pensée »,attestant aussi de l’effort du sujet pour reprendre le contrôle de soi.3.Le paradoxe de l’analyse : celle-ci renforce le malaise au lieu de le détruire• Un apaisement de courte durée (cf. la structure des paragraphes de la troisième partiedu texte).• La reprise de l’inquiétude, mais cette fois sans objet : l’absence d’hallucinations provoque un plus grand malaise (« engourdissait, douloureux, oppresse, inquiet »), sensible àtravers la dramatisation mise en place (« peu à peu,aggravation,plus surpris, plus inquiet »).• À l’absence de cause identifiable au malaise éprouvé (« malaise inexplicable, force occulte »)s’oppose la logique de développement du texte,fortement articulé (« cependant,donc,et ») :l’écriture tente de rétablir une logique a posteriori pour maîtriser le phénomène.Cette page du Horla permet de mettre en évidence le fonctionnement d’un texte fantas-tique,fondé sur le paradoxe de l’inefficacité du discours rationnel pour maîtriser l’irration-nel,mais dont la présence est indispensable pour souligner la force et le pouvoir de l’étrange.

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DissertationLa discussion peut s’organiser de la façon suivante :1.Mise en place des termes du conflit• La figure du double comme représentation privilégiée du conflit entre raison et folieou raison et irrationnel. Dans les textes du corpus, deux cas se présentent : ou bien l’altérité est considérée comme une donnée constitutive de l’être humain,elle est interne,comme dans Pierre et Jean (« l’autre qui est en nous ») ou Aurélia (« l’homme est double »),ou bien elle se manifeste par une projection externe comme dans Le Horla (« il existe prèsde moi un être invisible […] qui habite comme moi, sous mon toit »).• Ces deux éléments sont de natures contraires et entretiennent une relation conflic-tuelle : chez Pierre, dans Pierre et Jean,« l’homme sensitif dominait toujours l’homme intelli-gent », « l’être instinctif [éprouve des] sensations douloureuses ou joyeuses, contraires à celles quedésire, qu’appelle, que juge bonnes et saines l’être pensant » ; le terme qui permet de désignerle rapport entre ces deux identités est celui de « lutte »,que l’on retrouve dans le texte deNerval, où se trouve confirmée la nature antagoniste du double :« Suis-je le bon ? Suis-je le mauvais ? me disais-je.En tout cas, l’autre m’est hostile… »2. Pouvoir et impuissance de la raison• Le recours à l’explication rationnelle (cf. question préliminaire) :utilisation des formesdu raisonnement logique,mobilisation de connaissances,en particulier scientifiques (chezMaupassant, contexte du développement de la physiologie), ouverture sur le domainede la psychiatrie (réflexion sur le fonctionnement du rêve,dans les textes de Maupassantcomme de Nerval).• Les limites de la raison :paradoxalement, l’effort d’analyse ne fait que renforcer la ten-sion entre folie et raison et ne parvient pas à empêcher la persistance des hallucinations :immédiatement après avoir identifié la nature et l’origine de son malaise, Pierre, dansPierre et Jean, s’abandonne à la vision des deux phares,qui matérialise sa propre dualité ;le personnage-narrateur du Horla connaît une recrudescence de son inquiétude,d’au-tant plus forte qu’elle apparaît maintenant sans objet,alors qu’il semblait à nouveau capablede jouir de toutes ses facultés et sensations ;le héros d’Aurélia s’engage dans une lutte quimontre la permanence des forces hostiles que le sujet dédoublé doit affronter.3. Le lecteur face au conflit• Les personnages sont définis comme à mi-chemin entre maladie et lucidité : Pierres’interroge « comme on interroge un malade pour trouver la cause de sa fièvre », le narrateur duHorla se demande s’il est fou,le voyageur-narrateur du Portrait ovale (Edgar Poe) se trouvelui aussi dans un état de semi-conscience,dû à la fièvre,qui l’incite à douter de ses per-ceptions, tout en aiguisant sa sensibilité. Cette hypersensibilité rend d’autant plus exigeant leur désir d’explorer l’inconnu,d’apprendre à se connaître.• L’attribution de la voix narrative au personnage (comme dans Le Horla,Aurélia) ou le

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choix de la focalisation interne sur le personnage en proie à des hallucinations (cas dePierre et Jean) favorise l’identification du lecteur, qui assimile la confusion mentale despersonnages,doute et ne peut conclure.• L’indécision du lecteur est également favorisée par la présence,au cœur même du réel,de traces de l’irrationnel : la fleur coupée, le verre vide dans Le Horla, la clé du tombeau(Véra dans les Contes cruels de Villiers de L’Isle-Adam),l’anneau nuptial (La Vénus d’Ille deMérimée).

Écriture d’inventionLe texte attendu,comme celui du personnage du Horla,peut être daté soit du soir même(mardi, le X d’un mois d’été 1885), soit du lendemain de cette méditation, soit encoreplus tard,alors que Pierre navigue sur la Lorraine,voire placé dans d’autres circonstances :la distance entre le temps des événements et celui de l’écriture,ainsi que les circonstancesqui accompagnent l’écriture devront être sensibles dans la façon de rendre compte decette scène.Le texte est bien sûr rédigé à la première personne du singulier, et l’écart entre le nar-rateur et le personnage disparaît : on peut alors développer les impressions produitespar le sentiment de malaise,donner de la consistance à la recherche et au raisonnementconduits par Pierre,qui ne sont dans le texte de Maupassant que résumés.Les formulesd’ordre général qui permettent de situer le cas de Pierre dans une perspective plus largement humaine disparaissent. Pierre n’est plus un exemple permettant au lecteurd’appréhender un fonctionnement humain plus général, il se sert de sa connaissance deshommes et de ses compétences médicales pour évaluer son propre comportement : lerapport singulier/général est inversé, et le texte doit valoriser le va-et-vient d’un pointde vue à l’autre.On peut conserver intactes les paroles rapportées au style direct dans le texte de Pierreet Jean, afin de servir de repères dans la progression du récit.

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◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 201 À 203)a Le trouble de Jean se traduit par plusieurs manifestations :– la recherche du contact physique avec Mme Rosémilly : « il la frôlait », « se penchaitsur elle » (l.366),« lui jetait un baiser » (l.373-374) ;– le recours au jeu, à la ruse, favorisés par les reflets dans l’eau,qui à la fois masquent etrévèlent le désir :« il simulait un grand désespoir de sa maladresse » (l.366-367),« Jean souriaità cette tête voisine qui le regardait d’en bas » (l.371-372) ;– l’état d’ivresse (« grisé », l. 391) dans lequel se trouve Jean : il n’est plus tout à fait lui-même, en proie à une euphorie inhabituelle qui tranche avec la placidité qu’il a montrée jusque-là.

z Dans les trois cas, « je vous aime » ouvre la seconde phrase de la réplique de Jean etfait suite à une dénégation (« Je n’en fais qu’une », l.377,« je n’ai pas perdu la tête », l.381,« je ne pouvais plus me taire », l.390).Cette affirmation a une valeur à la fois explicative etargumentative : Jean énonce un fait qui a une valeur en soi (d’où l’identité de la formule) et justifie son comportement, lui donne sens. Sa répétition est nécessaire carelle n’est pas prise en compte par l’interlocutrice : une sorte de blocage apparaît, tantdu côté de Jean qui ne peut qu’enrichir la formule,que du côté de Mme Rosémilly quine l’entend pas. Cette répétition produit un effet à la fois pathétique (elle illustre la difficulté des deux personnages à communiquer entre eux), dramatique, car cette formule s’inscrit dans la progression de la scène, et comique, car précisément la progression est ici pratiquement nulle.

e Dans la seconde partie de la scène, Jean persiste à employer,malgré lui, le langage del’amour.Celui-ci s’exprime par des gestes :« Elle lui tendit sa main encore mouillée,et commeil y mettait la sienne avec élan » (l.409-410) ;par les verbes utilisés pour évoquer les inten-tions de Mme Roland :« aimerait, aime,désirait. »

r On relève dans le discours de Mme Rosémilly la présence de deux registres : destermes à connotation nettement négative (« ennuyeux, contrarié,mal avisé, gâter »), char-gés de traduire la condamnation du comportement inattendu de Jean ;des termes déno-tant la sagesse dont fait preuve ce personnage,par opposition à la folie qui caractérise Jean(« sérieux, il ne faut jamais faire deux choses à la fois »), expression d’une sagesse proverbiale.

t Pour Mme Rosémilly, le plaisir est uniquement associé à la pêche : « Ne pouviez-vous attendre un autre jour et ne pas me gâter ma pêche ? » (l.387-388),reproche-t-elle à Jean.Ce plaisir se conjugue au pluriel :« elle sembla […] se résigner à parler d’affaires et à renonceraux plaisirs » (l.393-394),ce qui,paradoxalement, en réduit la valeur.

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y Mme Rosémilly confond amour et mariage :la déclaration d’amour de Jean est inter-prétée comme une demande en mariage (« vous désirez m’épouser »,l.403).Plusieurs hypo-thèses peuvent expliquer cette confusion : l’âge des protagonistes (« vous n’êtes plus unenfant et je ne suis pas une jeune fille »,l.399-400) s’accompagne d’un éloignement du roma-nesque ; ensuite,Mme Rosémilly semble concevoir la situation comme dérangeante,voire dangereuse : elle oppose la raison, le sérieux à la perte de raison de Jean.Mme Rosémilly pourrait aussi se méfier d’elle-même car son attitude n’est pas exemptede contradictions (« Elle reprit, d’un ton plaisant et contrarié », l. 386), ambivalence qui apparaît dans la façon dont elle pêche :son savoir-faire fait merveille,mais ce que le textesouligne avec insistance, c’est le plaisir qu’elle retire de cette activité.Consciente que lecontrôle de la situation pourrait lui échapper,Mme Rosémilly a recours aux codes quipermettent de limiter toute dérive des sentiments : « il ne faut jamais faire deux choses à lafois » (l. 375),« me parler de ça en ce moment » (l. 387).Le mariage appartient lui aussi à ceregistre des codes sociaux.

u Les éléments de portrait de Mme Rosémilly dont nous disposons depuis le premierchapitre du roman éclairent le comportement de ce personnage dans cette scène. Sescontradictions ont été d’emblée mises en évidence : « un petit air crâne, hardi, batailleur,qui ne concordait point du tout avec la sage méthode de son esprit » (p. 62, l. 132 à 134). Safaçon d’aborder la question du mariage peut ainsi s’interpréter comme une attaque pourmieux se défendre contre l’amour,en même temps qu’une volonté de se conduire rai-sonnablement.La dureté du personnage a également été évoquée au chapitre III, lors durepas donné en l’honneur de Jean où se manifeste la jalousie de Pierre : le narrateur note son regard « clairvoyant et dur », la décrit comme une « petite femme à l’esprit simple et droit » à la pensée « nette », « irritée » (p.137, l.472 à 474).Dès le premier chapitre également,l’éventualité d’une union entre Jean et Mme Rosémillyest envisagée par Mme Roland, mais aussi par Mme Rosémilly elle-même : « elle semblait préférer Jean » (l. 135), « Elle semblait deviner que l’opinion de Jean fortifierait la siennepropre » (p.62, l.139-140).

iAux yeux de Mme Rosémilly, le mariage est une « affaire » (l. 394).C’est égalementle terme qu’utilisera Roland au dernier chapitre (p.274,l.474).Ce terme ne renvoie passeulement aux questions financières en jeu dans ce type de contrat,mais aussi aux impli-cations familiales et sociales du mariage : ainsi s’explique le souci que manifeste Mme Rosémilly de l’approbation des parents,signe de l’engagement de toute une famille.

o Le discours de Mme Rosémilly se développe selon une organisation logique :il énonced’abord un présupposé (« Nous savons fort bien l’un et l’autre de quoi il s’agit », l.400-401),dont il tire ensuite les conséquences ; les hypothèses s’enchaînent (« Si vous […] je

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suppose », l. 402-403) : ainsi, l’accord auquel Mme Rosémilly veut aboutir est présentécomme déjà existant virtuellement, il s’agit seulement de le rendre explicite.

q La discussion au sujet du mariage permet à Mme Rosémilly de briser la solitude ducouple et de réintégrer dans la scène une dimension familiale et sociale,avec la référenceaux parents (« votre père », « votre mère », « vos parents »). Soucieux de ne pas se laisser distraire de son discours amoureux, Jean ne retient de cette évocation que la figure de sa mère, la seule susceptible de servir son point de vue, ce que confirme la lecturedu chapitre VII.

s Le mariage apparaît ici non seulement en contradiction avec le désir amoureux,maiscapable de le détruire : l’accord auquel parviennent les deux personnages les conduitau silence, à la paralysie, à l’impuissance.Paradoxalement, leur confusion, à ce momentde la scène,ne naît pas du trouble amoureux,mais de l’absence de ce trouble.

d Les procédés comiques dans ce passage mettent en évidence des décalages, des distorsions :– décalage entre les deux personnages,qui poursuivent des buts différents et ne parlentpas le même langage ;– la situation est paradoxale : le comique naît du refus de la comédie du jeu amoureux,les codes sont mis en question ;– jeu de mots : les mots sont soit détournés de leur sens (amour signifie mariage), soitsusceptibles de significations contraires ; le trouble indique à la fois la présence et l’absence de trouble ;– le rythme du récit souligne la rapidité de la scène (« lié,marié,en vingt paroles », « si vite »,l. 421 et 423).

f L’emploi de ces procédés produit plusieurs effets :– il discrédite à la fois le discours amoureux (il apparaît incongru) et l’institution dumariage (aux antipodes de l’amour,c’est une affaire menée rondement) ;– il ridiculise les personnages, prisonniers d’eux-mêmes, et qui se trouvent dans l’inca-pacité de communiquer ;– il assure la victoire du personnage féminin sur son partenaire,mais cette victoire estaussi celle de la convention et de l’ordre.

g Jean attendait de Mme Rosémilly qu’elle lui donne la réplique dans une scène quirelève de la convention théâtrale :« Il s’attendait à des gentillesses galantes,à des refus qui disentoui, à toute une coquette comédie d’amour mêlée à la pêche, dans le clapotement de l’eau ! »(l.418 à 420). Jean s’inscrit donc dans une tradition que Mme Rosémilly ignore ou feintd’ignorer. Il voudrait définir clairement sa propre identité sexuelle ainsi que celle de sapartenaire en les figeant tous deux dans le rôle de l’homme et de la femme. Mais

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Mme Rosémilly n’entre pas dans cette proposition de jeu.Elle refuse le rôle féminin queJean voudrait lui voir jouer.Elle prend l’initiative de parler de mariage la première etde formuler pour Jean la demande qu’elle attend de lui : elle inverse les rôles, assume lafonction masculine.Elle utilise le mariage pour s’affranchir de la sujétion que lui imposeson sexe.

h La déception de Jean se lit dans le contraste entre la phrase qui définit ses attentes,phrase longue, comprenant une énumération qui associe le contexte de la pêche au langage amoureux (l. 418 à 420) et celle qui en marque le résultat : « Et c’était fini, il sesentait lié,marié, en vingt paroles » (l.420-421).La valeur accomplie du verbe, l’associationde « lié » et « marié », ainsi que l’ordre de ces participes, la mention de la rapidité de ladiscussion, la brièveté de cette phrase même lui donnent l’allure d’un couperet, signentla condamnation de Jean et de son désir.

j Dans cette scène se dessine ce que seront les relations du couple : la domination deMme Rosémilly s’affirme ; la raison et la respectabilité sociale l’emportent aux dépensde l’amour et du désir.La frustration de Jean est déjà sensible,tandis que sa future épousesemble avoir résolu la contradiction entre le froid exercice de la raison et son goût desinitiatives.L’histoire du couple commence par un malentendu,au sens propre du terme.La confusion linguistique génère l’embarras et le silence qui seront sans doute le lot dece couple, sauf en présence d’autrui.

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 204 À 210)Examen des textes et du document

a Le projet d’enlèvement de Suzanne, imaginé par Bel-Ami, a pour objet de lever l’obstacle de l’opposition des parents de Suzanne à son mariage avec leur fille et de lescontraindre à l’accepter.

z La supériorité de Bel-Ami se manifeste de plusieurs façons :– dans cette scène presque entièrement dialoguée, il est le personnage qui parle le pluset prend toutes les initiatives ;– son projet d’enlever Suzanne est un stratagème conçu pour résoudre une difficulté :contrairement à Suzanne, il ne se fait pas d’illusion sur l’attitude des parents de la jeunefille et semble les connaître mieux qu’elle. Il prévoit leurs réactions et peut donc antici-per pour trouver une parade ;– auteur du projet, il en a prévu toutes les phases et, à l’instar d’un metteur en scène,donne à Suzanne toutes les indications nécessaires pour jouer le rôle qu’il lui propose ;– voulant s’assurer l’engagement absolu de Suzanne, il multiplie les mises en garde,

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mais par là même joue les tentateurs : ses questions renforcent la détermination de lajeune fille, la rendent encore plus enthousiaste et impatiente.Plus la situation est donnéepour dangereuse,plus il y a de plaisir pour la jeune fille à braver les risques.

e La situation représentée dans cette scène est doublement romanesque :– Suzanne apparaît comme un personnage d’ingénue, figure traditionnelle du romansentimental, et la scène met au premier plan le sentiment amoureux (« M’aimez-vousassez ») ; le projet d’enlèvement s’inscrit dans la tradition du roman d’aventures et permet d’en évoquer les valeurs : le courage, la bravoure, la ténacité.– Cette scène procède en même temps à une mise en abyme du romanesque : il est faitexplicitement référence à ces romans dans le texte :«Toute la vieille poésie des enlèvementsnocturnes, […] un songe enchanteur prêt à se réaliser. » Le modèle est à la fois revendiqué etcontesté,car détourné.

r Le personnage principal dans ce texte est le père d’Emma,Rouault.Il fait l’objet d’unportrait circonstancié dans la première partie du texte, et c’est de son point de vue quela situation est envisagée. Il conduit le déroulement de la scène en amenant Charles àse décider,se fait l’interprète du prétendant auprès de sa fille et ses représentations concer-nant le mariage l’emportent sur celles d’Emma dans les dernières lignes du passage.

t En réalité, la demande en mariage n’est pas faite.La décision naît de la rencontre dedeux désirs,énoncés explicitement dans le texte par le narrateur,mais non formulés dansle discours des personnages, celui de Charles d’épouser Emma, celui du père Rouaultde se débarrasser de sa fille.Charles rencontre, en effet, une grande difficulté à se servir du langage, qui le rend aphasique et laisse le champ libre au père Rouault.Le texte multiplie ainsi les allusionsà l’impuissance de Charles : « Charles se promit […] lui collait les lèvres. » Plus loin : « ils s’allaient quitter ; c’était le moment » ; Charles noue le contact : « je voudrais bien vous dire quelque chose » ; puis il s’interrompt : « Charles se taisait. » Sollicité, il ne sait que « balbutier » le nom de son interlocuteur et ne peut donc jamais aborder le sujet qui lepréoccupe.De son côté,« le père Rouault n’eût pas été fâché qu’on le débarrassât de sa fille » et décide,avant même que la demande lui en soit faite,d’accorder sa fille à Charles Bovary :« S’ilme la demande, se dit-il, je la lui donne.»Aussi est-il à même de comprendre les silences deCharles (« est-ce que je ne sais pas tout ? »), comme il a interprété les signes de son trouble(« les pommettes rouges ») en présence d’Emma,et de souscrire à une demande qui,de fait,n’est pas prononcée (« je ne demande pas mieux »). Cette scène met donc davantage l’accent sur le don que sur la demande, et a pour effet de dévaloriser celle qui est habituellement objet de désir.

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y Deux conceptions du mariage s’affrontent,à travers les personnages de Rouault et desa fille. Le premier considère le mariage comme une affaire d’intérêt : sa fille ne luiétant pas utile, il veut la marier,de préférence avec quelqu’un qui « ne chicanerait pas tropsur la dot » ; il n’envisage pas la cérémonie autrement que selon la tradition campagnardeoù l’on s’éternise à table.Emma,qui a,aux dires de son père,« trop d’esprit pour la culture »,se montre plus romanesque, comme l’indique son désir de « se marier à minuit, aux flambeaux ». La conception du père domine,servie par le silence de Charles,installé dansl’attente et implicitement dans l’acquiescement.

u Bien que situé sur la partie gauche du tableau, le personnage de la femme est pourtant central : c’est en effet vers lui que convergent le regard de son compagnon etcelui du peintre.Mais si elle est offerte aux regards,cette femme ne regarde,pour sa part,aucun des deux hommes :son regard s’échappe sur la droite,hors champ,la mettant ainsihors d’atteinte,la rendant inaccessible.Seule sa main gauche,située exactement au centredu tableau,dans son abandon très étudié, semble se prêter au contact de l’homme dontla main gauche s’approche de la sienne sans la toucher.Le dossier du banc assure ainsiune fonction double : il sépare le premier plan du second, l’homme de la femme,maispermet aussi le rapprochement des corps, par l’intermédiaire des mains. L’homme estdebout,mais cette position dominante est atténuée par le fait qu’il se penche en avant etse trouve situé à l’arrière-plan du tableau.Bien qu’assise, la femme ne paraît nullementdominée :placée au premier plan, le buste droit,elle manifeste une tranquille assurance.Le tableau met ainsi en évidence l’ambivalence des rôles masculin et féminin.Tout commedans Pierre et Jean, l’émotion et l’élan semblent davantage du côté de l’homme,tandis quela femme offre l’image contradictoire de la domination et de la passivité.

Travaux d’écriture

Question préliminaireLe sentiment amoureux constitue l’un des fondements du romanesque, raison pourlaquelle les scènes de déclaration d’amour ou de demande en mariage forment un corpus privilégié pour l’examen de cette question.La conception de l’amour dévelop-pée dans le roman au XIXe siècle hérite du discours amoureux apparu dans les romans dechevalerie,puis les romans précieux du XVIIe siècle.Dès le XVIIIe siècle,l’écriture de romaninclut une réflexion sur sa fabrication et sur ce qui constitue son matériau de prédilec-tion, le romanesque.Le roman s’attache à montrer que cette conception de l’amour estsans équivalent dans la réalité,qu’il s’agit d’une construction fictive,avouée,puis dénon-cée comme telle.Ainsi, le romanesque est explicitement rattaché au domaine littéraireet se situe donc dans le registre de l’utopie : il est question de « comédie d’amour » dansPierre et Jean,de « vieille poésie des enlèvements nocturnes » dans Bel-Ami,de mariage « à minuit,

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aux flambeaux » dans Madame Bovary. Les lectures d’Emma,qui ont largement façonnéses goûts, feront en outre l’objet d’un long développement au chapitre VI du roman.Mais la tâche du roman n’est plus de donner libre cours à cette expansion romanesque,mais de montrer comment cette conception de l’amour et du mariage entre en conflitavec la réalité de ce sentiment dans la vie sociale. Le roman s’attache alors à peindre l’incompatibilité de ces aspirations. Les personnages romanesques sont tournés en ridicule, le romanesque est stigmatisé ; le conflit, devenu un conflit de valeurs, se soldepar la victoire du positivisme : Madame Rosémilly impose son point de vue à Jean,tout comme le père Rouault organise la noce de sa fille à sa façon.Au mieux, leromanesque est détourné pour servir les intérêts matériels (l’ambition personnelle deBel-Ami,par exemple,le confort matériel de Rouault) des autres protagonistes.Le mondese partage entre dominés et dominants. Bien que placé en situation d’infériorité, le romanesque trouve cependant ici une nouvelle justification : il permet de dénoncer lefonctionnement oppressif de la société,qui interdit au rêve de se concrétiser.La sociétéapparaît ainsi peu attrayante,exclusivement matérialiste,incapable de répondre aux désirsdes personnages romanesques (Jean,Suzanne,Emma) qui restent incompris.

CommentaireOn pourra adopter le plan suivant :1. La peinture des personnages• Trois personnages sont évoqués dans ce passage : le père Rouault,Charles,Emma.Onpeut relever les traits de caractère propres à chacun (la ruse, l’intérêt, le goût du confortdu père ; à l’opposé, la timidité, le caractère introverti de Charles, sa difficulté à s’exprimer révélatrice de son impuissance ; le caractère romanesque d’Emma,considé-rée ici comme un ornement,elle-même soucieuse de décor).• L’ensemble forme un système cohérent : cohérence des traits de caractère avec les comportements ; cohérence du système des personnages.Leurs dissemblances permet-tent un jeu de complémentarités et de conflits possibles.2. L’art du récit• Le récit s’organise en trois temps et chaque étape apporte une nouvelle preuve de ladomination du père : les intentions de Charles sont d’abord dévoilées,mais se heurtentà un obstacle, l’impossibilité pour lui de passer à l’acte,ce qui conduit le père Rouault àprendre les devants et à anticiper sur cette demande.Au moment même de la demande,si Charles amorce le dialogue,c’est encore le père qui permet la poursuite du dialogue,dont l’issue était connue depuis le réplique qui clôture le premier mouvement (« S’il mela demande, se dit-il, je la lui donne ») ; enfin,une fois le mariage accepté par Emma, c’estencore le père qui impose son point de vue pour l’organisation de la noce.• Étude de l’articulation récit/description/dialogue : le portrait du père Rouault justifie son attitude face à Charles et au mariage de sa fille ; la description a une valeur

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explicative.Le dialogue a pour fonction de souligner la difficulté des échanges : il tendvers le monologue du père.• La vitesse du récit : alors que le récit met l’accent sur les procédés de Charles pourdifférer sa déclaration, puis son installation dans l’attente de la cérémonie, l’écriture aucontraire adopte un rythme soutenu,multiplie les accélérations. L’impatience du pèrepermet de brusquer le déroulement des événements lors des passages au style direct et,ailleurs,le narrateur privilégie le récit itératif qui permet d’évoquer brièvement des actionsmultiples et répétées.3. Ironie et satire • La distance ironique du narrateur à l’égard des personnages se lit dans les expressionsutilisées pour les peindre, comme cette périphrase à propos du père Rouault, « il neretirait pas volontiers ses mains de dedans ses poches », ou la reprise de l’adverbe « bien » dans« voulant être bien nourri, bien chauffé, bien couché ».• L’ironie est aussi présente dans l’utilisation des liens logiques qui soulignent la rigueurde la réflexion du père dans un contexte où les sentiments devraient dominer (« Il le trou-vait bien un peu gringalet […] mais on le disait de bonne conduite. […] Or […] » ; et à la fin du texte « Emma eût, au contraire […] mais le père Rouault […] donc […]), comme dansl’usage du « on » dans lequel le narrateur semble s’inclure,qui voudrait indiquer une unitédes comportements et des pensées des personnages,mais révèle en réalité des attentestrès différentes.• La satire naît de cet usage de l’ironie et de l’accent mis sur les contrastes : le jeunepremier se révèle quasi aphasique, la jeune fiancée se montre romanesque mais doit finalement se conformer aux usages de la campagne, le père manifeste un certain goûtde la théâtralité,mais fait passer au premier plan la satisfaction de son égoïsme.

DissertationEn liaison avec la question préalable,on peut développer l’argumentation de la façon suivante :1. La présence du romanesque dans le roman réaliste au XIXe siècle se lit àdeux niveaux, celui de l’intrigue et celui des personnages.• Origine et permanence de l’inspiration romanesque : les codes du roman de chevalerieet du roman précieux permettent la conjugaison des thèmes de l’aventure et de l’amour.Leroman retrace une quête semée d’obstacles (Ex :Le Rouge et le Noir de Stendhal,Illusions per-dues de Balzac).Le romanesque joue donc un rôle essentiel dans la construction de l’intrigue.• Certains personnages incarnent l’exception, sont dotés de traits qui les situent horsdu commun,les rendent,en particulier les femmes,inaccessibles :Henriette de Mortsaufdans Le Lys dans la vallée de Balzac,Clélia Conti dans La Chartreuse de Parme de Stendhal,Madame Arnoux dans L’Éducation sentimentale de Flaubert, par exemple.La Comédiehumaine de Balzac accorde aussi une place centrale à un autre personnage exception-nel, cette fois dans le registre du mal,Vautrin.

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2. Dans le roman réaliste, le romanesque incarne la poésie : mais, dans lemonde régi par l’ambition sociale que dépeint le roman au XIXe siècle, cettevaleur n’a pas sa place et le romanesque est condamné ; on assiste dans leroman à sa disparition progressive.• Le romanesque entre en conflit avec les valeurs sociales représentées dans le roman, ilest dévalorisé,moqué,écarté car signe d’une inadaptation sociale :c’est ce qui se produitaussi bien dans Pierre et Jean que dans Madame Bovary (dans les textes du corpus) oudans l’anecdote rapportée par Flaubert (dernière page de L’Éducation sentimentale).• Les personnages qui incarnent le romanesque sont condamnés à mourir :Emma Bovary,dans Madame Bovary, se suicide,Henriette de Mortsauf,dans Le Lys dans la vallée,meurt,Clélia Conti et Fabrice, dans La Chartreuse de Parme,meurent également, tout commeMadame de Rénal et Julien dans Le Rouge et le Noir.• Le romanesque disparaît progressivement de la scène :un personnage comme FrédéricMoreau, dans L’Éducation sentimentale, ne défend pas jusqu’au bout les valeurs romanesques vers lesquelles il tend : il se pose en spectateur du monde ;dans Germinal,le sentiment amoureux peine à s’exprimer face à la force des appétits sexuels.

3. La présence du romanesque renforce le réalisme.• Le romanesque fait partie du monde réel que le réalisme s’attache à représenter : ilconstitue un ensemble de valeurs,dont la source se trouve dans les romans (nombre derécits, au XIXe siècle, en évoquent la lecture : cf. Madame Bovary, chapitre VI,Bel-Ami), etqui forment contrepoids aux valeurs sociales, fondées sur l’ambition, la réussite sociale,l’argent.À ce titre, le romanesque fait l’objet d’une représentation réaliste.• La présence du romanesque permet d’accuser les traits distinctifs du fonctionnementsocial et d’en souligner les dysfonctionnements. Il est l’instrument privilégié de la satiresociale :si le lecteur perçoit la naïveté de Suzanne dans la scène où Bel-Ami projette sonenlèvement, il prend également conscience de la rouerie de ce dernier qui exploite lafaiblesse de sa partenaire pour servir ses ambitions personnelles.

Écriture d’inventionDans le roman,Mme Rosémilly reste un personnage secondaire,dans l’intimité duquelnous n’entrons pas :elle n’a que très rarement droit à la parole,et seulement pour mani-fester sa désapprobation,à l’égard de Pierre,ou ici, à l’égard de Jean.Pour rédiger ce texte,on peut envisager deux possibilités : le monologue intérieur peutêtre transcrit soit au style direct, soit au style indirect libre, cette dernière solution ayantl’avantage d’établir une distance entre le personnage de Mme Rosémilly dans la scènerapportée et le même personnage se livrant à l’analyse de la scène,qui convient bien àl’esprit logique du personnage,maintes fois souligné.Le texte sera bien sûr écrit au passé,comme l’ensemble du roman.

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Le texte pourra mettre l’accent sur la surprise (la peur, la déception ?) d’avoir décou-vert un visage inconnu de Jean ; sur la satisfaction d’avoir écarté le danger et d’avoir suexploiter la situation à son profit, en obtenant la promesse de mariage ; sur l’inquiétudeface à la gêne et au trouble qui se sont installés à la fin de la scène.On pourra développer particulièrement, dans ce texte, le lexique des convenances etles formules exprimant l’obligation.L’analyse de la situation pourra prendre la forme de jugements brefs, sévères aussi bienà l’égard de Jean que d’elle-même.

◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 230 À 232)a Les termes qui appartiennent au champ lexical de la honte figurent dans des expres-sions dispersées au fil du texte,attestant de la permanence de ce sentiment,qui concerneplusieurs personnages et se trouve au cœur des relations entre Louise Roland,Pierre,Jean et Maréchal : « je n’ose plus ouvrir une porte » (l. 437) témoigne de la peur, née de la culpabilité et de la honte éprouvée par Louise devant son fils aîné ; « rougir » et« mépriser » (l. 442 et 443) évoquent le sentiment de honte que pourrait éprouver Jeanet qu’il lui faut écarter ; « je n’en ai pas honte » (l. 449), « je ne pourrais pas avoir honte »(l. 474-475) ont trait à la dénégation de ce sentiment chez Louise Roland. Ce refus de la honte est à la fois un élément de l’argumentation que construit Mme Roland àl’intention de son fils et l’objectif que celui-ci doit atteindre.

z Afin de donner à cet adultère une légitimité,Mme Roland substitue avec beaucoupd’insistance au terme « maîtresse » le terme « femme » : « si j’ai été la maîtresse de ton père,j’ai été encore plus sa femme, sa vraie femme » (l. 447-448),« pendant plus de dix ans j’ai été safemme comme il a été mon mari » (l. 463-464).Mme Roland présente donc cette relationcomme une relation conjugale,qui se substitue à son mariage officiel avec Roland.

e Cette légitimité ne peut être reconnue socialement, même si elle se réclame des dénominations sociales et des conventions conjugales. Mme Roland fait donc appel à une instance plus élevée pour cautionner cette relation, Dieu : « devant Dieu qui

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m’entend » (l. 453-454),« devant Dieu qui nous avait faits l’un pour l’autre » (l. 464-465). Ily a donc ici un paradoxe :le mariage légitime,socialement conclu,apparaît contre natureet contraire à la volonté divine,tandis que l’adultère semble réparer cette erreur.D’autrepart, cette relation doit apparaître aussi comme légitime aux yeux de Jean, ce qui suppose que ce dernier soit investi de pouvoirs supérieurs à ceux des autres hommes,qu’il ne reste pas prisonnier des lois strictement humaines :« il faut que tu te sentes assezfort, assez différent de tout le monde » (l.441),« il faut que tu acceptes » (l.476).

r Le champ lexical de l’amour est très largement représenté dans cet extrait.On relèvehuit occurrences du verbe aimer : « je l’aime encore » (l. 450), « je l’aimerai toujours » (l. 450-451), « je n’ai aimé que lui » (l. 451), « je n’aurais jamais aimé rien »(l. 459),« il m’aimait moins » (l. 465),« il nous aimait encore » (l. 472),« je l’aimerai jusqu’àmon dernier soupir » (l. 473),« que tu l’aimes un peu » (l. 477). Il est conjugué au passé, auprésent et au futur,attestant de la permanence de l’amour de Louise Roland pour Maréchal,et associé aussi bien à Louise (« je ») qu’à Maréchal (« il ») et à Jean (« tu »), indiquant lacirculation de cet amour entre les amants et leur fils. D’autres verbes figurent également dans ce champ lexical : « connaître, désirer, se donner corps et âme, pleurer », qui mettent l’accent sur la notion d’échange et sur la souffrance,considérée comme un don.Enfin, on trouve aussi une série de substantifs à connotation positive : « vie, joie, espoir,consolation, tendresse,douceur, bonheur.»

t Les procédés stylistiques utilisés pour rendre l’intensité de l’amour sont les suivants :– le système hypothétique (emploi du conditionnel) qui permet d’envisager ce qu’au-rait été une vie sans amour ;– la reprise d’une même structure avec des variations sémantiques :« je l’aime encore,[…]je l’aimerai toujours,[…] je n’ai aimé que lui » ;« toute ma vie,toute ma joie,tout mon espoir,toutema consolation,tout,tout,tout » (l.451-452) ;« jamais rien… jamais rien » (l.454-455),« vide,noir et vide comme la nuit » (l.458-459) ;– l’utilisation d’adverbes ou de déterminants indéfinis de sens absolu :« tout,jamais,rien » ;– l’emploi de tournures restrictives :« je n’ai aimé que lui »,« je n’ai eu que lui au monde » ;– le recours à l’opposition :« rien / tout ; tendresse,douceur / vide,noir. »La multiplication des procédés,et en particulier l’importance des reprises,permettent derendre l’émotion du personnage de Louise, mais entrent aussi dans sa stratégie pourconvaincre Jean de la force et donc de la légitimité de cet amour.

y Le principal obstacle que cette passion a dû surmonter est le temps.Au bout de dixans, l’amour de Maréchal s’est émoussé, puis a semblé s’éteindre avec la séparation physique des deux amants,après le départ des Roland pour Le Havre.Mais le désamourde Maréchal fait encore,aux yeux de Louise,partie de l’amour qu’elle lui porte.Amouret pleurs, souffrance sont intimement liés.

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u Pour Louise Roland, le legs de Maréchal est une preuve d’amour, à la fois pour elleet pour son fils :« Mais il nous aimait encore puisqu’il a pensé à toi » (l.472).Louise Rolandtrouve ainsi une consolation en se confondant avec son fils dans la réception de ce don,bien que celui-ci en soit effectivement le seul destinataire.

i Jean se confond avec cet amour. Il est, dans un premier temps, pour Louise, le prolongement de Maréchal :« je t’aime parce que tu es son enfant » (l.474).Il matérialise cetamour et lui permet d’être vécu au présent.Au-delà de cet extrait, à la fin du chapitre,Jean s’est substitué à Maréchal et devient le destinataire direct de cet amour,dans la mesureoù il accepte sa filiation.

o L’enjeu de ce discours se résume à cette question : Louise a-t-elle encore sa placeauprès de son fils Jean,ou doit-elle se résoudre à disparaître ? C’est donc le maintien ducouple Louise/Jean,fortement constitué depuis l’annonce de l’héritage qui est en jeu etmenacé par les révélations de Pierre. Au-delà de cette question, c’est bien sûr la culpabilité de Louise qui est en cause, bien que ce mot ne soit jamais employé, et quele discours,parce qu’il est prononcé par Louise elle-même,n’envisage jamais la questionsous cet angle. Jean est donc placé en position de juge par sa mère.Cet enjeu figure à deux reprises dans ce passage, au début et à la fin de ce discours,encadrant l’évocation des sentiments de Louise pour Maréchal : «Tu veux que je resteavec toi, n’est-ce pas ? Pour cela, pour que nous puissions nous voir encore » (l. 434 à 436),« Situ veux que je reste » (l.475-476).

q Rejetée,condamnée par Pierre,Louise ne peut plus compter que sur Jean pour conser-ver sa position au sein de la famille. Il est un allié nécessaire dans la lutte qui l’oppose àPierre.D’autre part, sa présence auprès de Jean est nécessaire à Louise afin d’assurer lacontinuation de l’amour éprouvé pour Maréchal, transmis désormais à la personne deson fils.Nous sommes donc à un point de possible rupture d’équilibre :de la réponse deJean dépendent tous les aspects de l’intrigue engagée : la rivalité entre les deux frères,l’acceptation ou non de l’héritage de Maréchal, le mariage avec Madame Rosémilly.

s La principale condition exigée par Louise Roland pour rester et donc maintenir l’équilibre familial est que Jean accepte sa filiation,se reconnaisse comme le fils de Maréchal :« il faut que tu acceptes d’être son fils » (l. 476). Il s’agit donc bien pour lui d’acquérir unenouvelle identité.Cette condition en implique d’autres, entretenir le souvenir du pèredisparu et renforcer la complicité avec sa mère : « que nous parlions de lui quelquefois, etque tu l’aimes un peu, et que nous pensions à lui quand nous nous regarderons » (l. 476 à 478),pour créer ainsi une relation triangulaire où le père tienne sa place.

dToute l’argumentation de Louise Roland est fondée sur l’évocation de sa propre situa-tion où elle met en relief d’une part la grandeur de l’amour porté à Maréchal, amour à

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la fois sublimé et légitimé,d’autre part son désarroi et sa souffrance après la rupture etface à l’attitude de Pierre. Ces arguments démasquent le véritable enjeu de cediscours ; il s’agit moins d’obtenir de Jean l’autorisation de rester que d’obtenir répara-tion pour un double préjudice : en gardant sa mère auprès de lui, Jean répare la fautepaternelle qui a consisté à laisser Louise quitter Paris pour Le Havre,à la laisser sans nou-velles, et compense également l’hostilité de Pierre.

f Les arguments de Louise sont efficaces pour plusieurs raisons : d’une part, Louisegomme toute culpabilité de son discours, en montrant ses actions comme légitimes.En se plaçant sur le terrain des sentiments,elle cherche à toucher son fils,lui-même étant,on le sait depuis le chapitre précédent, dans des dispositions amoureuses qui le rendentdisponible pour entendre ce genre de propos : le couple Louise/Maréchal apparaît enquelque sorte comme un modèle sur les traces duquel Jean peut avancer en compa-gnie de Madame Rosémilly.Enfin,elle cherche à s’appuyer sur le couple mère/fils qu’elleforme avec Jean,largement consolidé depuis l’annonce de l’héritage,et que la révélationde Pierre renforce si elle ne parvient pas à le détruire.

g Parlant d’elle-même et pour assurer sa propre défense,Louise est partout présente dansson discours.Parfois redondant,fortement marqué par l’émotivité,ce discours vise d’abordà permettre une libération du personnage, qui cherche à se convaincre lui-même quela voie qu’il a suivie était la seule possible et la bonne ainsi que le laisse entendre l’hypothèse :« Si je ne l’avais pas rencontré » (l.454-455).La mise en scène de soi est perceptible dans l’emploi très abondant du pronom « je »,l’exaltation des sentiments à travers l’emploi du lexique de la peur, de la souffrance, del’amour et les procédés d’emphase (reprises de termes et de structures, tournures exclamatives en très grand nombre,emploi de la suspension).À la fois lyrique et pathé-tique,ce discours cherche à émouvoir par le spectacle même de l’émotion.

h La position de force de Louise tient à ce qu’elle répond à la demande de Jean :« Dis,maman dis » (l. 433).Elle a créé les conditions favorables à une écoute,une attente de lapart de son fils.D’autre part,elle anticipe sur le résultat de sa démarche :«Tu veux que jereste avec toi, n’est-ce pas ? » (l. 434-435), qui se présente comme une fausse question etpermet ainsi de justifier l’énoncé des conditions de réalisation de ce vœu.Louise Rolandprésente ainsi son propre désir (rester) comme étant celui de son fils :de ce fait,elle mènele jeu ; c’est elle qui détient la solution du problème, puisqu’elle est en mesure de satisfaire ou non le désir de son fils de la voir rester auprès de lui.

j L’emploi des pronoms dans ce passage souligne son organisation structurelle et ses enjeux.• Au début du passage comme à la fin,nous rencontrons les pronoms « je » et « tu » quirenvoient aux deux protagonistes de la scène, ces deux pronoms fusionnant immédia-

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tement dans le « nous » : « nous puissions nous voir… nous parler, nous rencontrer » ; aucentre du passage,« nous » devient un relais : « nous puissions… nous embrasser », « nous parlions… nous pensions… nous nous regarderons… nous restions ». L’objectif de ce discours est bien de transformer le couple mère/fils en une seule entité.• On relève, à mi-parcours de cet extrait,une valeur différente de « nous » (désignant lafamille Roland),et deux occurrences de « vous », la première désignant Pierre et Jean,laseconde incluant Maréchal aux côtés des deux frères (« Je n’ai eu que lui au monde,et puisvous deux, ton frère et toi. Sans vous… », l. 457-458) : Louise se crée ainsi une famille fictive, où Maréchal remplit le rôle d’époux et de père, et où Pierre devient d’une certaine façon lui aussi fils de Maréchal.• Dans la partie centrale de l’extrait, consacrée au récit par Louise de sa relation avecMaréchal, apparaissent d’autres associations de pronoms :dans un premier temps,« je »se rapportant à Louise est associé au « il » désignant Maréchal ; puis le « je » s’efface auprofit du « tu » :« il faut que tu acceptes d’être son fils… que tu l’aimes un peu » (l.476-477).Cette substitution permet l’existence, grâce à la médiation de la mère, d’une relationpère/fils,condition pour maintenir le couple initialement construit,celui de Louise avecson fils Jean.Ainsi,alors que ce discours est dominé par l’emploi du « je », on constate que Louise nepossède pas d’identité propre et qu’elle tend, pour des raisons stratégiques mais aussi ontologique,à se fondre dans celle d’autrui,manifestant ainsi sa difficulté à être.

k Indépendamment de l’usage des pronoms, les expressions qui désignent Jean sontles suivantes :« le fils de Roland » (l.442),assorti d’une négation,« mon petit » (l.453),« monpetit Jean » (l.447),« son fils » (l.476),son se rapportant à Maréchal),à nouveau « mon petit »(l. 479).Deux expressions concernent la filiation de Jean et permettent de mettre en évidence le changement de père. Les trois autres montrent qu’une partie de la stratégie de Louise vise, en minorant son fils, à établir avec lui un rapport hiérarchiquequi souligne son pouvoir de mère.

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 233 À 238)Examen des textes

a Dans le texte B,le destinataire de l’aveu est M.de Clèves,époux de celle qui prononceles aveux de son plein gré.Dans le texte C, le destinataire des aveux est un prêtre, amiet confesseur de l’héroïne,Hélène.L’implication des destinataires n’est pas la même dansles deux cas. Dans le texte B, le destinataire est l’un des protagonistes de la situationprovoquée par l’aveu,qui crée une nouvelle tension dramatique entre les deux acteursde la scène :le discours de la princesse apporte en effet un élément nouveau à la connais-sance du prince qui doit affronter une situation à laquelle il ne s’attendait pas.Dans le

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texte C, le confesseur n’est que le témoin extérieur d’une situation qui laisse l’héroïneface à elle-même : son intervention permet à celle-ci de s’avouer à elle-même qu’elleaime,ce que son interlocuteur sait déjà.

z L’aveu que fait la princesse de la passion qu’elle éprouve pour un autre que son époux,dans le texte B, est envisagé par l’héroïne comme une stratégie, un moyen permettantd’obtenir de l’époux une protection qu’il est de son devoir de lui fournir.Elle réclamecette protection pour se protéger d’elle-même,préserver sa dignité, son statut d’épouseet son statut de princesse.

e L’aveu de la princesse de Clèves n’est qu’un demi-aveu,puisqu’elle avoue sa passion,mais sans nommer celui qui en est l’objet.Aussi cet aveu suscite-t-il deux réactions de lapart du prince : l’admiration d’une part, car le procédé est reconnu comme exception-nel, et le signe d’une grande confiance dans la capacité de l’époux à l’entendre, le comprendre et à répondre à la demande qu’il fonde ;la jalousie d’autre part,dans la mesureoù cet aveu souligne le fait que le prince n’est pas aimé,non pas parce que la princesseest incapable d’aimer,mais parce qu’il n’a pas su lui inspirer d’amour.Cette jalousie estexacerbée par le refus de la princesse de prononcer le nom de celui qu’elle aime.Loinde lui assurer protection, cet aveu l’expose donc au contraire à la passion contrariée duprince.

r L’héroïsme du personnage tient à la fois à ses actions et à ses qualités de courage etde grandeur.• L’aveu de la princesse est héroïque,parce qu’il est hors normes,extraordinaire,à doubletitre : compte tenu de son destinataire, à qui habituellement on cherche à cacher ces passions (« un aveu que l’on n’a jamais fait à un mari »), et compte tenu de la volonté de laprincesse qui entreprend cette démarche,consciente des risques qu’elle court,non sousla contrainte,mais de son plein gré (« il faut plus de courage pour avouer cette vérité que pourentreprendre de la cacher »).• Le champ lexical du courage,caractéristique de l’héroïsme,est présent au début commeà la fin de ce passage,dans les paroles de la princesse :« l’innocence de ma conduite et de mes inten-tions m’en donne la force », « Je n’ai jamais donné nulle marque de faiblesse », « j’ai de la force pourtaire […] », « L’aveu que je vous ai fait n’a pas été par faiblesse,et il faut plus de courage […]. »• Les valeurs auxquelles se réfère la princesse et que reprend le prince :« estime », « dignité »,« admiration » et « noblesse » relèvent elles aussi de l’héroïsme.• L’héroïsme du personnage se lit également à travers l’emploi des superlatifs et des com-paratifs de supériorité qui jalonnent ce passage et accentuent le caractère exceptionnelde la situation : « un aveu que l’on n’a jamais fait », « je n’ai jamais donné », « il faut avoirplus d’amitié et plus d’estime », « plus digne d’estime et d’admiration », « il est trop noble », « laplus grande marque de fidélité », « il faut plus de courage.»

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t Dans le texte C, l’aveu « échappe » (« L’aveu lui échappa, bas, étranglé ») à Hélène ; il surgit des profondeurs du personnage, sorte de parole inconsciente sur laquelle le personnage ne peut exercer aucun contrôle.Le rôle du confesseur a simplement consistéà créer un climat favorable à cette plongée dans l’inconscient, et à la confidence plusencore qu’à la confession.La parole initiale du prêtre joue le rôle d’embrayeur,moins parson message,à peine entendu d’Hélène,que par sa diction (« voix monotone »,« chuchotaitlonguement »), qui endort la vigilance de l’auditrice :on glisse ainsi insensiblement de laparole du confesseur à la parole d’Hélène.

y La parole d’Hélène apparaît tout au long du texte coupée,hachée (« Elle parla dansla fièvre, par petites phrases courtes », « elle hésitait »), entrecoupée de silences (« Elle reprithaleine, frissonnante »,« elle se taisait »).Ce rythme traduit l’émotion du personnage,dontla parole s’énonce difficilement.La ponctuation du discours traduit ce rythme particu-lier en multipliant les points de suspension, les points d’exclamation et d’interrogationqui renvoient à des modalités d’énonciation fortement marquées par ce que RomanJakobson, dans les Éléments de linguistique générale, nomme la « fonction émotive » du langage. Les commentaires d’Hélène, dans ses paroles, tout comme les indications du narrateur,mettent aussi l’accent sur les émotions qui accompagnent cet aveu :« son secretqui l’étouffait depuis si longtemps », « je suis à bout de forces », « cela me soulage de vous confierces choses », puis au terme de cet extrait, une fois le calme revenu, la parole d’Hélène sefait murmure, retrouvant ainsi la tonalité du prêtre au début du passage.

u Dans le texte B, les termes qui désignent la passion amoureuse chez la princesse deClèves (« péril », « sentiments ») sont peu nombreux,elliptiques et l’un d’eux met expli-citement l’accent sur la dimension du danger.Le lexique de la passion et de la douleurest beaucoup plus développé dans le discours du prince de Clèves. Le langage de lapassion est constitué des termes « passion », « plaire », « cœur », « touché », « amant », « amou-reux », qui appartiennent au registre classique et ne s’écartent pas de la convention dulangage amoureux. Le langage de la douleur laisse place à plus d’emportement :« mourir de douleur », « affliction aussi violente », « le plus malheureux homme », « malheureux.»Dans le texte C,le lexique de la passion amoureuse se rencontre aussi bien chez le prêtreque dans le discours d’Hélène,mais avec des orientations différentes : « rêveries dange-reuses », « cœurs troublés par la passion », « c’est un homme qu’elles adorent » mettent l’accentchez le confesseur sur les dangers de la passion,tout comme l’avait laissé entendre la prin-cesse de Clèves ; la passion perturbe le cours ordinaire des sentiments que l’on doit àun mari pour la princesse,à Dieu dans le cas d’Hélène.Le lexique utilisé par Hélène necomporte que peu de mots,mais aux nombreuses occurrences :« j’aime », « amour »,« amour profond, tout puissant », « il me possède », « heureuse », « ce qui se passe au fond demon cœur », « ces choses », « un coup de foudre.» Les termes mettent l’accent sur la soudai-

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neté et la puissance de ce sentiment,non désiré,non contrôlé,qui s’impose au sujet mal-gré lui. L’usage des démonstratifs atteste de l’étrangeté de ce sentiment pour celle quil’éprouve.La douleur,dans cet extrait, est un sentiment ambigu : le terme désigne aussibien l’amour (« je n’en ai senti la douleur qu’à la longue ») que le sentiment éprouvé lorsde la maladie de Jeanne (« ma douleur », « ces jours terribles ») et que l’amour est précisé-ment en mesure d’apaiser, de faire oublier. Le confesseur s’inscrit dans la première perspective,mais là encore l’ambiguïté domine : la phrase « vous devez beaucoup souffrir »a-t-elle le sens d’un constat ou d’un souhait ?

Travaux d’écritureQuestion préliminaireEn prenant la parole,le personnage de roman acquiert une autonomie qui lui donne dupouvoir tant sur l’action que dans la narration.L’expression directe est profondémentrévélatrice du personnage, jusque dans ses mensonges ou ses demi-vérités, comme onpeut le voir à partir des trois documents du corpus.• La prise de parole donne au lecteur un accès direct au personnage qui est caractérisépar son mode de discours, son style de parole.• Cette prise de parole s’accompagne d’un recul du narrateur qui ne joue plus son rôled’intermédiaire,cesse de trier les informations ;le discours du personnage est donné dansson intégralité,avec ses redites et ses hésitations :le récit,momentanément,ralentit ;la nar-ration met ainsi en jeu un principe d’expansion qui donne au récit un caractère réaliste.• Comme au théâtre,la parole des personnages est saisie dans un processus de double énon-ciation :émise à la fois par le personnage et par le narrateur (qui la prend en charge tout ens’en désolidarisant),elle s’adresse à la fois aux personnages interlocuteurs et au lecteur.• L’apparition du discours des personnages ouvre un processus de dramatisation.La prisede parole d’un personnage, dans les scènes d’aveu, par exemple, est associée à un tournant de l’intrigue, à un moment de crise : le personnage, tout comme au théâtre,s’exprime sous forme de tirades,dont la longueur et l’intensité lui confèrent une densiténouvelle, s’expose, libère ses forces internes.• Les scènes dialoguées permettent de développer des enjeux forts, car elles introdui-sent une dimension argumentative dans le discours. La parole des personnages exerceune pression sur le ou les autres personnages, elle a pour fonction de convaincre et defaire agir : c’est, comme au théâtre,une parole-action.

CommentaireOn pourra adopter le plan suivant :1. L’aveu : une parole-actionOn examinera ici l’aveu comme stratégie pour obtenir un résultat déterminé,mais quise conclut par un échec.

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• L’aveu, dernier recours de la princesse pour obtenir de l’aide dans une situation dangereuse :cette action se situe dans un contexte d’urgence ;la princesse est sur le pointde succomber à la passion et veut s’interdire les occasions qui pourraient augmenter lepéril auquel elle est exposée ; elle veut inverser la position du prince qui la presse de revenir à la cour (« m’éloigner de la cour », « me retirer de la cour »).• L’aveu,un acte héroïque : l’accent est mis sur le courage, le caractère exceptionnel decet acte (cf. question 4 dans Examen des textes).• L’aveu,un acte ambivalent :pour éviter un péril, la princesse adopte un comportementqui l’expose à un autre péril (« je veux éviter les périls où se trouvent quelquefois les personnesde mon âge », « quelque dangereux que soit le parti que je prends »).• L’aveu ouvre sur un nouveau conflit : il décuple la passion du prince et autorisel’expression de sa jalousie (« J’ai tout ensemble la jalousie d’un mari et celle d’un amant ») ;le prince ne fournit pas de réponse à la demande de la princesse.• Un demi-aveu : le refus de la princesse de livrer le nom de celui qu’elle aime renforcele conflit entre les deux personnages, la demande du prince n’est pas satisfaite (« je suisrésolue de ne vous le pas dire »,«Vous m’en presseriez inutilement »).

2. La peinture de la passion amoureuse : la parole libérée• Chez la princesse :le langage amoureux se résume à l’expression « des sentiments qui vousdéplaisent ». La passion est vue sous l’angle de la culpabilité (« innocence », « déplaire ») :insérée dans un discours destiné au mari,elle est définie en rapport avec lui.Le discoursde la princesse a moins pour objet de peindre la passion que de constater son existenceprobable et de s’appuyer sur ce fait pour envisager une réponse qui permette d’en freiner les effets dévastateurs sur le plan social :ce sentiment doit rester intérieur,il appar-tient à la sphère privée,personnelle,de la princesse, inaccessible à son mari même.• Chez le prince : l’aveu de la princesse libère la parole du prince qui expose dans unelongue tirade l’état de ses sentiments où sont associés la passion, la jalousie et la haine(cf. question 7 dans Examen des textes). Le prince se trouve devant un paradoxe :l’attitude de la princesse accuse l’écart de leurs sentiments et tout en augmentant chezlui la passion,développe aussi le sentiment du malheur («Vous me rendez malheureux parla plus grande marque de fidélité que jamais une femme ait donnée à son mari »).

3. Les conflits internes du héros classique : parler ou se taire • Les personnages vivent un conflit entre leurs sentiments et leur sens de l’honneur et dudevoir :« si j’ai des sentiments qui vous déplaisent, du moins je ne vous déplairai jamais par mesactions » affirme la princesse ;« J’ai tout ensemble la jalousie d’un mari et celle d’un amant,maisil est impossible d’avoir celle d’un mari après un procédé comme le vôtre » dit le prince.Cetteopposition montre que les deux personnages trouvent un accord en tant que mari etépouse,mais non en tant qu’amants.

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• Les personnages laissent parler leur cœur,mais leurs sentiments s’expriment avec la retenue exigée par le code social des convenances (celui du XVIIe siècle où écrit Mme deLa Fayette, plutôt que celui du XVIe siècle où l’histoire de déroule).Ces convenances exercent une contrainte sur les personnages, leur interdisent tout épanchement : le langage de la passion reste général, elliptique.Entre parler et se taire, la princesse décideen dernier lieu de se taire (« j’ai de la force pour taire […] »).• Les conflits internes auxquels les personnages doivent faire face renvoient au registretragique : quelle que soit la solution adoptée par les personnages, elle ne peut qu’aug-menter la dramatisation et se retourner contre eux. La princesse est confrontée de toutesparts au danger, le prince au malheur.

DissertationPour traiter le sujet, on se reportera aux éléments de réponses fournis lors de l’examende la question préliminaire.On pourra développer l’argumentation de la façon suivante, en insistant sur les différentes valeurs du dialogue dans le roman.1. Le dialogue dans le roman permet de faire entendre la voix des personnages• L’introduction du dialogue dans le roman implique l’usage du discours direct et per-met de faire entendre directement la voix des personnages, et ainsi de leur donner uneexistence autonome (indépendamment de la médiation du narrateur) ;la parole des per-sonnages garantit leur présence et leur importance dans le récit :Louise Roland acquiertune stature de personnage principal grâce à son discours dans le chapitre VII (Pierre etJean) ; le prince de Clèves se révèle, au fil de son discours dans la scène d’aveu,un héros tragique (La Princesse de Clèves).• Le langage des personnages est l’un des éléments de leur caractérisation : les jurons deRoland sont le signe de sa vulgarité (Pierre et Jean), la faiblesse d’Hélène et son émoti-vité se lisent dans ses hésitations (Une page d’amour).2. Le dialogue dans le roman produit un effet de réel• Le dialogue des personnages ralentit le rythme de la narration : le temps de la narra-tion tend à coïncider avec le temps de la fiction (cf. le projet d’enlèvement de Suzannepar Bel-Ami dans le roman du même titre) ;ainsi,en donnant les paroles des personnagesdans leur intégralité, sans coupures, le roman donne au lecteur une image plus ressem-blante de la réalité.• Le lecteur, moins guidé par le narrateur, est plus actif : il perçoit les événements,les enjeux du dialogue plus qu’il ne les comprend ; il doit, au même titre que les personnages, élaborer une interprétation des discours dont ils sont destinataires (cf. le chapitre VI de Pierre et Jean : le lecteur perçoit sous les paroles des personnages, Jean et Mme Rosémilly, l’implicite de leur discours respectif). Les dialogues favorisent ainsil’identification du lecteur au(x) personnage(s) : dans la scène d’aveu de Pierre et Jean, le

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lecteur s’identifie à Jean, tandis que dans Une page d’amour, le lecteur est tenté de s’iden-tifier tour à tour au confesseur et à Hélène.3. Le dialogue rapproche le roman du théâtre• Le roman emprunte au théâtre son efficacité dramatique : les scènes permettent laconfrontation des personnages et ainsi la mise en valeur des conflits, donc des enjeuxde la narration, en faisant l’économie d’explications : la scène inaugurale de Pierre etJean est, à cet égard,exemplaire.• Le roman peut se lire parfois comme une succession de scènes entrecoupées de pas-sages narratifs. Les scènes correspondent à des sommets dramatiques, donc à des tempsforts de la narration : par exemple des scènes de demande en mariage ou d’aveu, qui mettent précisément l’accent sur l’importance de la parole.On pourrait ainsi opposerl’aisance verbale de Bel-Ami (dans Bel-Ami) au quasi-mutisme de Charles (dans MadameBovary), la logorrhée de Mme Roland (dans Pierre et Jean) à la difficulté d’Hélène à exprimer ce qu’elle ressent et dont elle a à peine conscience (dans Une page d’amour).• Le roman cherche à tirer parti de la faveur du théâtre et à bénéficier sur le plan esthé-tique de cette référence, très recherchée.Le théâtre est considéré comme un art noble :La Princesse de Clèves se donne la tragédie pour modèle, tandis que les romans du XIXe siècle empruntent au drame ou au mélodrame.

Écriture d’inventionCette lettre relève de l’écrit intime, au même titre que l’aveu de Mme Roland dans cechapitre du roman.On attend de cette lettre qu’elle expose le point de vue de Maréchal sur sa relationavec Louise Roland (on pourra utiliser,pour retracer l’historique de cet amour,les don-nées fournies par Louise elle-même et par Pierre lorsqu’au chapitre 4 il rassemblait sessouvenirs de Maréchal),qu’elle justifie pourquoi Maréchal ne s’est pas manifesté plus tôt,pourquoi il prend la décision,au risque de bouleverser la famille,de révéler sa paternitéet de faire de Jean son héritier : la lettre peut donc être une lettre d’excuse,une lettre derevendication,une lettre de recommandation,d’amour… suivant l’enjeu qu’on lui prête.On sera attentif(ve) au fait que la date à laquelle cette lettre a pu être écrite – à la nais-sance de Jean,au moment du départ de sa mère pour Le Havre,à la veille de sa mort par exemple – détermine son orientation et son contenu.On vérifiera que sont présentes les marques distinctives de la lettre (date,mention dudestinataire,construction en paragraphes,adresse finale,signature) qui,ici,s’intègrent dansle projet de Maréchal et participent à sa cohérence et à son efficacité.

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◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 276 À 279)a L’enthousiasme du public a deux causes. La première tient au contexte historique.Après sa défaite face à la Prusse lors du conflit de 1870, la France a dû céder l’Alsace etla Lorraine au vainqueur.Cette perte, récente au moment où les événements du récitsont censés se passer (1885),explique « l’élan patriotique » (l.415) des Havrais au momentde cette première sortie du bateau qui porte le nom de la province que la France aspireà reconquérir ; cet espoir, ce désir de revanche, seront portés à leur paroxysme lors del’entrée en guerre de la France contre l’Allemagne en 1914.La seconde raison tient aunavire lui-même,qui incarne le savoir-faire des chantiers navals de la ville : toute la villeet tous ses habitants s’approprient cette réussite.Ainsi, la Lorraine, gigantesque navire,exprime les hautes ambitions industrielles de la cité et, aux yeux des habitants, faitfonction d’ambassadrice des Havrais eux-mêmes de l’autre côté de l’Atlantique.

z L’impression produite par le navire est perceptible à travers le lexique (emploi desadjectifs et des adverbes) :tout concourt à valoriser ce bateau,à souligner sa valeur excep-tionnelle.Une première série d’adjectifs insiste sur la taille du navire propre à étonnerle public et à susciter chez lui de l’admiration :« immense » (l. 412),« énorme » (l. 421),« haut comme une montagne » (l.435),« gigantesque » (l.441).À la taille du bâtiment est asso-ciée l’idée de puissance et de domination ; ce départ ressemble à une cérémonie,où lebateau tient le rôle d’un monarque :« départ magnifique » (l. 417),« royalement » (l. 413).Ce dernier adverbe participe de la personnification du navire que d’autres éléments dutexte viennent confirmer.

e Trois procédés rhétoriques contribuent à rendre cette première impression :– les comparaisons :« haut comme une montagne » (l.435),« rapide comme un train » (l.435),donnent du navire une image double, à la fois force naturelle et œuvre de la main de l’homme ;« comme un énorme monstre courant sur l’eau » (l. 421), confirme le caractèreextraordinaire de ce bateau et introduit une dimension fantastique dans ce récit ;– la personnification : les termes « enfantement » (l.417),« sa plus belle fille » (l.418),huma-nisent le navire et la situation de départ ici décrite.Ce procédé a été maintes fois utilisé aucours du roman :on se souvient en particulier de la personnification des deux phares auchapitre II du roman,lors de la première méditation de Pierre sur la jetée du port ;– la métaphore : le départ est assimilé à un « enfantement », et le navire, fruit des amoursde la ville et de la mer,matérialise l’intimité étroite que les Havrais entretiennent aveccelle qui les fait vivre.Le motif de la mer prend ainsi un relief nouveau ; il s’inscrit dansune thématique sexuelle et maternelle où mère/mer sont associés positivement,comme

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en témoignent les termes « donnait » (l. 418) et « libre » (l. 420).Cette métaphore est enopposition avec la situation des personnages :la souffrance de la séparation éprouvée parMme Roland contraste avec la joie de la population de la ville,et la mer n’est en aucuncas synonyme de liberté pour Pierre Roland.Cette opposition contribue à générer l’am-biguïté qui domine ces dernières pages.

r Les indications spatiales sont extrêmement nombreuses dans ce passage. On peut distinguer :– des indications relatives à des lieux : la ville ou le port (« port, l’étroit passage enferméentre deux murs de granit, sur les môles, sur la plage, aux fenêtres, à terre, la sortie du port, vers laville, le quai, le boulevard François-Ier »), les bateaux (« sur ce bateau,toucher la Perle »), la hautemer (« sur l’eau,route,dans l’Océan,à l’horizon,vers une terre inconnue,à l’autre bout du monde,sur la haute mer »), indications données le plus souvent par des groupes nominaux prépositionnels ;– des expressions (le plus souvent des groupes verbaux) indiquant soit une position (« peuple massé sur les môles,M.Pierre est à l’arrière, ils furent revenus à terre »), soit une direc-tion (« sortait du port,partit, elle vient droit sur nous, elle approche,arrivait,passait presque à tou-cher la Perle, tendit les bras vers lui, il s’en allait, il fuyait, disparaissait, tournée vers lui, s’enfoncerà l’horizon, s’en allait, partit en avant, ils allaient quitter le quai et prendre le boulevard, seretourna ») ;– enfin certaines indications,en particulier des adjectifs,permettant de rendre la notionde proximité (« elle approche, presque à toucher la Perle ») ou d’éloignement (« devenu toutpetit, effacé, fondu dans l’Océan, si lointaine »).

t Ces indications spatiales structurent le texte de la façon suivante :– au début du texte,l’espace est envisagé depuis le port,qui sert de lieu de référence,pourévoquer la sortie du port du navire ;– au centre du passage,l’espace est envisagé depuis la Perle,en trois temps distincts :approchedu navire vers le nouveau point de référence, point de rencontre des deux bateaux, laLorraine passant « presque à toucher la Perle » (l.436), fuite du transatlantique vers le large ;– retour de la Perle au port et au point de référence initial :évaluation de la distance quisépare la ville du navire devenu invisible à l’horizon.Cette perception de l’espace peut aisément se traduire en termes cinématographiques,Maupassant anticipant ainsi sur les pouvoirs de l’image en mouvement :elle correspondà une alternance champ/contre-champ,doublée,dans le plan médian,d’un mouvementde travelling permettant de suivre la marche du navire sans jamais le perdre de vue.Cette construction produit un effet double et contradictoire,comme on l’a souvent déjàvu dans le roman : elle privilégie l’enchâssement de l’épisode de la rencontre des deuxbateaux,placé exactement au centre de ces dernières pages,manifestation du refus de la

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séparation ;mais elle impose aussi cette séparation en insistant sur la marche inexorabledu navire rendue par la linéarité du texte.

y La perception de l’espace est liée au point de référence et aux personnages qui l’oc-cupent.C’est d’abord le point de vue des habitants du Havre qui nous est donné,depuisle quai, puis celui des hommes montés à bord de la Perle (Roland,Beausire, Jean).Leurpoint de vue domine dans un premier temps,prolongeant l’enthousiasme des habitantsdu Havre (Beausire est « radieux », l. 424) et accompagne la progression de la tension dramatique en soulignant l’approche du navire qui reste sujet des actions (« Elle vient droitsur nous », l. 422-423 ;« elle approche », l. 428).Enfin, c’est celui de Mme Roland,par lesyeux de qui nous voyons le navire s’éloigner puis disparaître au loin (« Elle s’efforçait dele reconnaître encore et ne le distinguait plus », l. 441-442 ; « Mme Roland […] le regardaits’enfoncer à l’horizon », l. 450-451 ; « ce bateau qu’elle n’apercevrait plus tout à l’heure »,l. 453 ;« elle ne vit plus rien qu’une petite fumée grise, si lointaine », l. 482-483).C’est le per-sonnage qui est maintenant sujet des actions et l’insistance se porte alors sur son regard,qui continue à maintenir un lien avec le navire,luttant contre la séparation,la disparitionqui s’imposent.Cette progressive restriction de champ,qui s’achève avec une focalisation centrée sur lepoint de vue de Mme Roland,complète l’analyse de la structure du passage en fonctionde l’espace. Ici encore, le moment de réunion des deux bateaux dans le même espacerestreint apparaît comme le nœud de ce fragment de récit.

u À l’exception de l’adverbe « lentement » au début du passage,toutes les expressions dutexte mettent en lumière l’exceptionnelle rapidité du navire :« courant sur l’eau, lancée àtoute vitesse, rapide comme un train, il fuyait, ça va vite, diminuait de seconde en seconde, que rienne pouvait arrêter, qu’elle n’apercevrait plus tout à l’heure. » Ces mentions tendent à ouvrirencore davantage l’espace. Elles provoquent également une accélération du récit,rendant le dénouement inéluctable et imminent.

i Roland apprécie la vitesse du navire comme il avait apprécié la fraîcheur des poissonslors de la partie de pêche au chapitre premier : dans les deux cas, on retrouve la mêmeexpression, « Cristi » (l. 447), signe de la satisfaction de Roland, chez qui l’admirationpour tout ce qui touche à la mer suscite automatiquement le contentement de soi.Cetteréaction nous montre le personnage fidèle à lui-même et le rapproche des spectateursqui assistent du quai au départ du navire.La réaction de Mme Roland est d’ordre plus intime :la Lorraine emporte son fils et devientainsi un agent du destin (« que rien ne pouvait arrêter »,l.452) ;sa vitesse précipite le momentde la séparation (« ce bateau qu’elle n’apercevrait plus tout à l’heure », l. 453), elle est investied’intentions, interprétée comme une fuite (« il fuyait », l. 439).

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o C’est à partir du moment où se croisent la Lorraine et la Perle que le point de vue deMme Roland est privilégié.Plusieurs indices permettent de le découvrir :– il est fait à de nombreuses reprises mention du regard de Mme Roland,à travers lequelnous appréhendons la scène :« elle vit son fils » (l.437),« Elle s’efforçait de le reconnaître encore »(l. 442-443), « Mme Roland tournée vers lui le regardait s’enfoncer » (l. 450-451), « qu’elle n’apercevrait plus tout à l’heure » (l.453),« elle ne reverrait jamais plus » (l.456),« sa femme seretourna encore une fois pour jeter un dernier regard sur la haute mer » (l.481-482) ;– le texte rapporte à plusieurs reprises les manifestations du comportement de MmeRoland,de préférence à celles des autres personnages :« Mme Roland découvrit ses yeux »(l.429),« Mme Roland […] tendit les bras vers lui » (l.437) ;– nous entrons dans l’intériorité du personnage par le biais du discours indirect libre quesoulignent les répétitions (« son fils, son fils Pierre », l. 438, « son fils, son pauvre fils »,l.454),de la modalisation (« il lui semblait » apparaît à trois reprises dans la même phrase,l.454 à 456).La rencontre des deux bateaux a, en effet, pour Mme Roland,une valeur particulière :elle crée l’illusion d’un rapprochement entre elle et son fils Pierre, semble différer la séparation,mais en même temps la rend plus effective,définitive.

q La douleur de Mme Roland s’exprime sur le mode pathétique, comme en témoi-gnent les éléments suivants :– la traduction des sentiments dans le langage du corps :« ses yeux aveuglés par les larmes »(l. 429),« Mme Roland éperdue, affolée, tendit les bras vers lui » (l. 437),« la moitié de son cœurs’en allait avec lui » (l.454-455),« elle avait l’âme trop troublée » (l.466) ;– la présence du sentiment de l’irréversible :« ce bateau que rien ne pouvait arrêter » (l.452) ;– la présence du sentiment de l’accompli :« sa vie était finie » (l.455),« elle ne reverrait jamaisplus son enfant » (l.456).Ces deux derniers éléments pourraient également nous faire envisager la présenced’un registre tragique,bien qu’aucune transcendance ne trouve place ici.

s Louise est à la fois malheureuse en raison du départ de Pierre (cf. question précédente)et heureuse de l’avenir qui s’ouvre devant Jean (« Je suis bien heureuse qu’il épouse Mme Rosémilly », l. 468), ce qui était l’une des perspectives offertes par le premier chapitre (« Leur mère,prudente et pratique, espérait vivement qu’un des deux triompherait, car lajeune femme était riche », p.62, l. 128-129).Louise apparaît comme un personnage écar-telé entre ses deux fils, entre passé et avenir : Pierre, tout comme Maréchal, appartientdésormais au passé, il est devenu inaccessible comme on peut le lire dans les dernièreslignes du texte (« elle ne vit plus rien qu’une petite fumée grise, si lointaine ») ; au contraire, laprésence de Jean est constamment sensible :il soutient sa mère,l’accompagne au momentdouloureux de la séparation (« Jean, tout bas, dit à sa mère », l. 427 ; « Jean lui avait pris la

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main », l. 443), lui permet de tenir tête à Roland (« Jean voulait être sûr d’être agréé par elleavant de te consulter », l. 475-476).

d Les éléments comiques tiennent essentiellement à la présence de Roland et au contrastede son langage et de ses attitudes avec ceux de son épouse.On peut ainsi relever :– son langage répétitif et tautologique, jalonné de jurons (« La voilà… la voilà !… criaittoujours Roland », l. 422 ;« Cristi ! ça va vite,déclarait Roland », l. 447) ;– sa monomanie maritime (« avec une conviction enthousiaste », l. 447) ;– son bon sens aveugle qui lui interdit toute compréhension de la douleur de Louise(« Pourquoi pleures-tu,demanda son mari,puisqu’il sera de retour avant un mois ? », l.457-458),toute perception des changements qui se font jour dans la composition de la famille («Ahbah ! Comment ? Il va épouser Mme Rosémilly ? », l. 470) ;– sa conception du mariage comme une « affaire » (l.474) ;– la cupidité,l’autosatisfaction,la vulgarité du personnage,sensibles à travers la mention :« Roland se frottait les mains » (l.477).

f Comme on l’a vu au cours du traitement des questions 10 et 12,on peut relever dansce texte la présence des registres comique,pathétique, voire tragique.Au tout début del’extrait, le départ de la Lorraine s’effectuait selon le registre épique avec une pointe defantastique dans la métaphore du « monstre ». Beaucoup de registres se succèdent doncau cours de ces dernières pages, laissant en retrait d’autres approches que nous avons pulire à d’autres moments du roman : le réalisme,entre autres.Or,celui-ci naît ici précisé-ment de la variété des registres qui oblige le lecteur à envisager la scène selon des pointsde vue différents, parfois opposés (le comique et le tragique, par exemple) maiscomplémentaires.Bien que la seconde moitié du passage soit centrée sur le point de vuede Mme Roland, le contrepoint comique interdit toute identification du narrateur etdonc du lecteur à ce personnage.La variété des registres permet ainsi au narrateur deconserver son libre arbitre vis-à-vis des personnages et de faire en sorte qu’ils exercentune fonction critique les uns vis-à-vis des autres.Ce détachement est logique si l’onconsidère que le personnage dont le point de vue a dominé dans le roman,Pierre, estmaintenant exclu du roman :il prépare l’ultime séparation,celle du lecteur d’avec le livre,que cette multiplicité des registres rend plus facile en dispersant son attention.

g Les analogies entre la scène inaugurale du roman et cette scène finale sont les suivantes :– les deux scènes se déroulent sur l’eau,à bord de la Perle,et mettent en scène les mêmespersonnages,à l’exception de Pierre dans la scène finale,qui se trouve à bord de la Lorraineet non de la Perle ;– un transatlantique figure dans chacune des scènes, la Normandie dans la scène initiale,la Lorraine dans le dernier chapitre,mais le premier, tout comme le bateau qui assure la

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liaison avec Southampton, rentre au Havre, tandis que le second effectue son premierdépart : les trajets des navires miment ainsi l’entrée dans le roman par le retour au port,puis son achèvement par le départ ;– ce sont les mêmes expressions dans les deux chapitres qui permettent de rendre comptedes distances (« le navire qui semblait tout petit de si loin », ch. I ; « une petite fumée grise, silointaine », ch. IX) ;– au premier chapitre,le Prince-Albert,venant de Southampton,rejoint la Perle et des salutss’échangent entre passagers, tout comme s’échangent des baisers entre Mme Roland etPierre au dernier chapitre, au moment où la Lorraine croise la Perle ;– les deux scènes sont composées de façon identique : après l’épisode sur l’eau, nousretrouvons les passagers de la Perle à terre, lors de leur retour à la maison familiale ;cependant, les groupes ont changé de constitution : au premier chapitre, les hommes suivaient les femmes,au dernier nous sommes en présence de deux couples,le plus jeune(Jean et Mme Rosémilly) précédant celui des parents Roland ;– le comportement et le langage de Roland sont identiques dans les deux cas :mêmesjurons,même passion pour la mer et les navires,même aveuglement et incompréhensionde tous ceux qui l’entourent.Ces nombreuses analogies ont pour fonction de mettre en évidence avec plus de nettetéles différences, outre celles que nous venons de noter, qui permettent de mieux faire percevoir ce qui a changé :– l’absence de Pierre à bord de la Perle, au dernier chapitre, est bien sûr la principaledifférence ;– autre différence majeure,conséquence de la précédente :Mme Roland,qui était « ravie »de cette promenade en mer au chapitre premier, n’éprouve au dernier chapitre que « douleur ».

h Les indices qui permettent d’envisager le dénouement dès le premier chapitre sontles suivants :– la victoire finale de Jean sur Pierre est prévisible dès le retour de la Perle au port lorsqueles deux frères rivalisent d’ardeur à la rame : dans un premier temps, Pierre semblel’emporter,puis il est distancé par Jean,qui conserve ensuite l’avantage jusqu’au bout ;– le mariage de Jean avec Mme Rosémilly est également prévisible dès le premierchapitre : courtisée par les deux frères, la jeune femme semble déjà montrer sa prédi-lection pour Jean :« elle semblait préférer Jean,portée vers lui par une similitude de nature » ;– les caractères des personnages, tels qu’ils sont dépeints dans le premier chapitre, impo-sent également une logique en matière de développement narratif : Pierre est montrécomme emporté,exalté,changeant,traits qui le rendent fragile face à Jean,caractérisé parle calme et la tranquillité.De même,l’ambivalence de Mme Roland,femme pratique etsentimentale, aimant l’ordre,mais montrant aussi du goût pour les romans et la poésie,

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est indiquée dès le premier chapitre et peut expliquer son abandon au pathétique dansle dernier chapitre,en même temps que sa satisfaction de voir Jean épouser Mme Rosémilly.

j Ces choix peuvent s’interpréter de plusieurs façons :– ils montrent que l’enjeu du récit se démarque de tout suspense : la logique du récit,fondée sur une certaine forme de déterminisme,prédomine sur la volonté de surprendrele lecteur ;– la question du dénouement étant d’emblée résolue, l’intérêt du lecteur peut se portersur la façon dont celui-ci est amené : ce choix narratif permet un développement plusimportant de l’analyse ;– la prévisibilité du dénouement est en partie rétrospective : si le lecteur peut émettredes hypothèses concernant ce dénouement dès la lecture des premières pages du roman,ce n’est qu’une fois la lecture achevée qu’il a confirmation de la validité de ces hypothèses. Cette technique narrative oblige donc le lecteur à une double lecture :prospective et donc linéaire ;rétrospective pour permettre la confrontation des données,lecture profonde telle que Barthes la définit dans Le Plaisir du texte.

k Le roman s’achève sur une double perspective :– le prochain mariage de Jean et Mme Rosémilly ;– le retour de Pierre, annoncé par Roland (« il sera de retour avant un mois », l. 457-458),mais auquel Mme Roland n’accorde pas foi (« il lui semblait encore qu’elle ne reverrait jamaisplus son enfant », l. 456).

l L’expression peut être entendue de deux façons :– le départ de Pierre est assimilé à une disparition qui prend une valeur définitive auxyeux de Mme Roland, comme en témoignent le lexique de la disparition (« il fuyait,disparaissait,effacé, imperceptible, fondu dans l’Océan »), la multiplication des tournures néga-tives (« ne le distinguait plus, elle n’apercevrait plus »), les répétitions propres à la déploration(« son fils, son fils Pierre ; son fils, son pauvre fils ») ;– l’image de la mort hante Mme Roland : la disparition de son fils a pour conséquencesa propre disparition :« la moitié de son cœur s’en allait avec lui » (l. 454-455),« sa vie étaitfinie » (l.455) ;– le terme final,« brume », est chargé de connotations négatives depuis le chapitre IV.

m Le lecteur ne peut trancher entre les hypothèses que le texte suggère :le point de vuede Mme Roland,pour subjectif qu’il soit, rejoint celui de Pierre, et comporte une partde vérité en ce qu’il met à jour l’issue tragique du récit ;mais il est contredit et tournéen dérision par le discours prosaïque de Roland. On sait cependant que ce dernierpersonnage n’est guère crédité de discernement tout au long du roman :aussi son inter-vention ne détruit-elle pas complètement l’hypothèse de Mme Roland.Le silence de

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Pierre au cours de ces dernières pages contribue par ailleurs à laisser le lecteur dans l’ex-pectative : à l’instar de Mme Roland, il se demande qui suivre, du jeune couple ou dePierre, l’avantage demeurant toutefois à ce dernier, dont le destin futur apparaît beau-coup moins tracé que celui de son frère : s’il reste une potentialité romanesque, elle nepeut se situer que du côté de Pierre.

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 280 À 287)Examen des textes

a Dans le texte B, les événements sont rapportés dans l’ordre suivant :• 1re phrase :les derniers jours de captivité de Julien.De la deuxième phrase jusqu’à « sansaucune affectation » : cette partie du récit concerne le jour de l’exécution de Julien.Cettepremière partie est donc organisée chronologiquement.• De « l’avant-veille » jusqu’à « ils te vendront ma dépouille mortelle... », nous assistons à unretour en arrière (ce que Genette,dans Figures III,nomme une analepse) :mais les évé-nements et discussions rapportés ici, tous antérieurs au jour de l’exécution, prennentplace à des moments différents :« L’avant-veille », « Il avait pris ses arrangements d’avance »,« Julien avait exigé », « disait-il un jour à Fouqué. » D’autre part, les propos rapportés iciconcernent tous soit le jour de l’exécution,soit ce qui le suivra.Énoncés antérieurement,ces messages marquent une anticipation par rapport au moment de leur énonciation etrejoignent le temps de référence du récit (le jour de l’exécution),ou se situent au-delà.Tout est mis en œuvre,dans le texte,pour que l’exécution soit présente,mais abordée debiais,ce qui donne au lecteur l’impression d’une ellipse partielle.Cette technique signi-fie un refus du tragique et du pathétique : la fin du héros est envisagée du point de vueprivilégié de Julien,dont la capacité à anticiper sur sa propre mort et sur ses suites dénoteune grande maîtrise qui n’exclut pas, cependant, l’émotion.• Dans un troisième temps, nous revenons à la chronologie, avec différentes étapes : laveillée funèbre (de « Fouqué réussit dans cette triste négociation. Il passait la nuit seul dans sachambre » à « et la baisait au front… ») ;les funérailles dans la grotte de Verrières (de « Mathildesuivit son amant jusqu’au tombeau » à « Fouqué faillit en devenir fou de douleur »),ces deux pre-mières étapes se situant dans la ou les nuits qui suivent l’exécution ; le paragraphe sui-vant,très court,évoque des événements qui se situent dans une durée plus longue et nousconduisent des mois,des années plus tard peut-être ;le dernier paragraphe constitue unenouvelle analepse :il rapporte un événement qui se situe trois jours après l’exécution deJulien,avant l’embellissement de la grotte.

z Notons d’abord que la douleur n’est éprouvée que par les personnages qui subissentla perte de Julien, non par le héros lui-même : au contraire, celui-ci, au jour de son

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exécution,« est en veine de courage », ressent « une sensation délicieuse ». Par contre il envi-sage « l’affreuse douleur » que ressentiront Mathilde et Madame de Rénal.Cette douleur se manifeste différemment et parfois contradictoirement selon les per-sonnages ;elle permet à chacun de révéler les traits fondamentaux de son caractère.La douleur prive Fouqué de ses forces : elle est exprimée dans le texte par la tournurenégative :« il n’eut pas le courage », qui contraste avec le courage manifesté par Julien.Ladouleur se manifeste par l’impossibilité de voir le corps mutilé de Julien, de se trouverface aux signes de la mort : le corps de Julien est enveloppé dans un manteau et, lorsqueMathilde le découvre,« Fouqué détourna les yeux ». Le spectacle de la douleur d’autruicontribue à décupler celle du personnage :au moment où Mathilde enterre elle-mêmela tête de Julien,Fouqué « faillit en devenir fou de douleur ».Les signes de folie sont également présents chez Mathilde qui apparaît « le regard et les yeuxégarés » ;elle montre les signes d’une passion morbide pour la tête de Julien,objet fétiche :« elle baisait la tête au front »,« elle porta sur ses genoux la tête de l’homme qu’elle avait tant aimé »,« elle voulut ensevelir de ses propres mains la tête de son amant » ;sa douleur se manifeste aussi parune débauche d’énergie et d’argent : « elle se jeta à genoux », « marcher avec précipitation dansla chambre »,« fit jeter plusieurs milliers de pièces de cinq francs », « marbres sculptés à grands frais.»La douleur de Mme de Rénal s’exprime de façon à la fois plus laconique et radicale :elle meurt « trois jours après Julien ».

e Cette dernière page de L’Éducation sentimentale rapporte une conversation entre Frédéric,le personnage principal du roman,et son ami Deslauriers.La narration donne donc unelarge place aux propos échangés entre les deux personnages et utilise avec une grandesouplesse les modalités du discours rapporté,en particulier :– le discours direct,repérable par l’usage des tirets,au début et à la fin de l’extrait : la voixdes personnages se fait entendre directement, pour énoncer les conclusions auxquellesleurs débats les ont menés ;c’est sur ce mode que se clôt le roman ;– le discours narrativisé ou récit de paroles, très présent tout au long de cette page,dansles passages suivants, par exemple :« Et ils résumèrent leur vie »,« ils accusèrent le hasard, lescirconstances, l’époque », « ils revoyaient la cour du collège », « Ils se la contèrent prolixement, cha-cun complétant les souvenirs de l’autre »,phrases qui encadrent les parties au discours direct,accusant le contraste entre ces deux modalités, les plus éloignées l’une de l’autre ;– le style indirect libre,dans la phrase « Quelle en était la raison ? »,qui assure la transitionentre le discours narrativisé et le discours direct au début du passage.

r Cette anecdote permet de comprendre la portée et la signification du roman : elle ad’une certaine façon valeur de résumé et, alors qu’elle évoque un épisode antérieur audébut du roman, le contient déjà tout entier ; il s’agit d’un procédé métonymique.Eneffet, cette anecdote relate un épisode d’initiation amoureuse qui tourne court, en

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raison de l’inaptitude de Frédéric à appréhender cette situation :la comparaison « commeun amoureux à sa fiancée » fait apparaître un comportement décalé, inattendu dans cettemaison de passe où il ne devrait être question que de sexualité.Cette sorte d’impuissancede Frédéric sera (ou a été) la marque de ses relations avec Mme Arnoux.Cette anecdotenous éclaire aussi,rétrospectivement,sur d’autres points :elle est représentative des mœursde province et de l’hypocrisie bourgeoise envers tout ce qui concerne la sexualité ; ellerenvoie à un certain goût,propre à l’époque,de l’exotisme dans ce domaine ;elle est révé-latrice des relations de Frédéric et Deslauriers, ce dernier suivant Frédéric comme sonombre,placé dans une situation de dépendance qui le conduit à l’échec malgré sa déter-mination,en raison du comportement de fuite,caractéristique de son compagnon.

t L’emploi de la description se justifie pour plusieurs raisons :– au moment de quitter le roman et la mine où tout le récit s’est déroulé, la descrip-tion permet de porter un regard panoramique sur ce paysage minier ;– la description permet de mettre en place un espace double :un paysage de surface etun espace souterrain où travaillent les mineurs, structure verticale qui permet d’envisa-ger le futur dans le présent ;– la description permet de mettre l’accent sur le processus en train de s’accomplir.

y La métaphore qui domine le texte est celle de la germination, qui renvoie bien sûr au titre du roman Germinal, lui-même associé au calendrier révolutionnaire. La métaphore établit ici une analogie entre le cycle naturel des saisons et la lutte menée parles mineurs, tenus pour l’instant en échec, mais qui ne peuvent que voir leur action couronnée de succès dans le futur.

Travaux d’écriture

Question préliminaireEn se fondant sur l’examen des quatre textes du corpus, on peut répertorier plusieursprocédés pour,dans un premier temps,mettre un terme au récit :– la disparition ou le départ du personnage principal, cas le plus fréquent (Julien dans Le Rouge et le Noir, Pierre dans Pierre et Jean, Étienne dans Germinal), ce qui met un terme à l’intrigue ;– l’élaboration d’une conclusion qui permet de dégager la signification du récit (L’Éducationsentimentale).D’autres procédés ont pour fonction d’ouvrir de nouvelles perspectives au récit,lui impri-mant ainsi un nouvel élan, qu’il revient au lecteur de poursuivre : qu’adviendra-t-il dePierre dans Pierre et Jean ? Quel destin est réservé au couple Jean/Mme Rosémilly dansle même roman ? Quand et comment les mineurs parviendront-ils à une vie meilleuredans Germinal ?

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Enfin le roman invite le lecteur à procéder à une relecture du récit,celui-ci formant uneboucle,un retour sur lui-même :– en faisant explicitement référence au début du récit dans la dernière page :dans Pierreet Jean, la scène initiale et la scène finale se répondent,toutes deux situées sur l’eau,à bordde la Perle ; dans Le Rouge et le Noir, le début et la fin du récit sont tous deux situés dansla grotte de Verrières ; le début de Germinal s’ouvre sur l’arrivée d’Étienne à Montsou,lafin du roman met en scène le départ de ce même personnage ;– en renvoyant le lecteur à ce qui a précédé le roman lui-même,scène primitive de laquelletout le roman semble découler : c’est le procédé choisi par Flaubert dans L’Éducation sentimentale.

CommentaireOn peut adopter le plan suivant,qui permet d’envisager trois lectures du passage :1. Un texte descriptif• Importance des notations de lieux :noms propres permettant de dessiner la géographiedu paysage (« le chemin de Vandame », « Montsou », « les décombres du Voreux », « la Victoire,Saint-Thomas,Feutry-Cantel ») ; indications de direction (« à droite », « à l’horizon »,« aunord », « à gauche,à droite,plus loin », « de toutes parts »).• Rôle du personnage,Étienne,qui sert de fil conducteur pour la description,et par lesyeux de qui nous découvrons les lieux (« Étienne, quittant le chemin… débouchait », « àchaque enjambée »).• Valeur de l’imparfait, qui installe la durée, ralentit le rythme de la narration, donne letemps au regard de circuler.2. Un texte poétique• Importance des notations relatives à des perceptions sensorielles (bruits, sensation dechaleur, lumière).• À partir du deuxième paragraphe, le texte rend compte d’une vision,non plus d’unpaysage visible :cet espace est imaginé par Étienne à partir de ses sensations (« il les enten-dait le suivre », « il croyait en reconnaître d’autres »).• Tout le deuxième paragraphe est structuré autour d’une métaphore filée, celle de la germination.Cette métaphore se double d’un procédé de personnification (image del’enfantement,« flanc nourricier »,« baiser ») qui donne à cette métaphore une connotationérotique.3. Un texte symboliqueLa dimension symbolique du texte, rendue possible par le recours au procédé poétiquede l’analogie,confère à cette description une visée argumentative.• La description établit une correspondance entre l’organisation spatiale et le temps :cequi est dessous est appelé à apparaître au grand jour dans un avenir proche (« allait fairebientôt éclater la terre »).

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• L’idée de révolution est aussi rendue par la violence des images (« les coups obstinés »,« jaillissaient », « crevaient », « se gonflaient », « un débordement », « tapaient », « poussaient »,« une armée noire, vengeresse », « éclater »).• Le point de vue glisse du personnage d’Étienne au narrateur,donnant ainsi au proposune valeur beaucoup plus élargie, indépendante de l’intrigue romanesque : aux déter-minants définis (« les camarades ») succèdent des déterminations indéfinies (« des hommes »,« une armée »).

DissertationConsidérer la lecture de roman comme un voyage est une idée assez répandue qui a eneffet souvent amené les romanciers à faire coïncider roman et récit de voyage : c’est lecas notamment de Michel Butor,dans La Modification.Dans ce cas,le roman semble racon-ter en fait sa propre lecture : il fonctionne sur un mode métaphorique.On pourra développer l’argumentation suivante :

1. Le roman met en scène un voyage• C’est un procédé issu du roman d’aventures et repris, développé dans le roman picaresque (Don Quichotte, Jacques le Fataliste), puis dans les romans de Jules Verne, parexemple (Le Tour du monde en 80 jours,Vingt mille lieues sous les mers), et les romans descience-fiction.• Le travail sur l’anticipation rejoint le travail sur l’antériorité : le roman historique peuts’apparenter à un voyage dans le temps (La Princesse de Clèves, Les Trois Mousquetaires, 93).• Il permet d’établir une correspondance entre la chronologie propre au récit et le déplacement dans l’espace et de souligner la valeur de transformation du récit : le pointd’arrivée diffère du point de départ (La Modification).

2. Le roman met l’accent sur la chronologie, plus que sur l’espace• Il semble offrir au lecteur une pause, séparer le temps de sa lecture de son temps habituel.La figure du voyage,dans ce cas, se situe en deçà ou au-delà du roman :c’est lecas de Pierre et Jean où le voyage met un terme au roman,de Germinal où le déplacementd’Étienne précède et prolonge le roman,mais où le roman lui-même se situe en un lieuunique.• Ce type de roman favorise la réflexion du lecteur, l’oblige à un travail d’analyse, sansse laisser porter par les événements.• Ce type de roman semble aussi caractéristique de l’examen de situations bloquées ets’achève sur des constats d’échec,même s’ils ne sont pas toujours dénués d’espoir.

3. Le roman n’est pas une métaphore de notre universUn rapport de continuité s’établit entre les lectures de romans,entre les lectures et notreunivers : le roman met en scène sa propre lecture, non dans un itinéraire,mais dans sa

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conclusion.La fin de L’Éducation sentimentale permet d’approcher la signification du récitpar la confrontation des points de vue des personnages et du narrateur.En conclusion,on soulignera le fait que si les conceptions romanesques différent, ellesdonnent toutes au lecteur une place prépondérante.

Écriture d’inventionOn pourra, pour ce travail, utiliser tous les travaux d’analyse du point de vue de Pierremenés antérieurement dans l’étude du roman.On veillera à ce que soit utilisé l’état dans lequel Pierre se trouve au moment des adieuxsur le bateau,et la mention faite des baisers qu’il adresse aux siens sur la Perle.Ce récit peut également mobiliser les souvenirs de Pierre, conscient, selon sa luciditécoutumière,des enjeux de ce départ.On veillera également à ce que soit maintenue l’ambiguïté de cette fin :ce départ est-ildéfinitif ou non ?Ce travail pourra comporter des passages narratifs, des passages au style direct et austyle indirect libre.

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– Guy de Maupassant, Romans, édition établie par Louis Forestier, Bibliothèque de La Pléiade,Gallimard,1987.

– Erich Auerbach, Mimesis – La représentation de la réalité dans la littérature occidentale,coll. «Tel »,Gallimard,1994.

– Michaël Bakhtine,Esthétique et théorie du roman, coll. «Tel »,Gallimard,1978.

– Roland Barthes,Littérature et réalité, coll « Points »,Seuil,1982.

– Roland Barthes,Le Plaisir du texte,Seuil,1973.

– Mariane Bury,La Poétique de Maupassant,Sedes,1994.

– Yves Chevrel,Le Naturalisme,PUF,1982.

– Philippe Dufour,Le Réalisme,PUF,1998.

– Gérard Genette,Figures III, coll. « Poétique »,Seuil,1972.

– Claudine Giacchetti,Maupassant – Espaces du roman,Droz,1993.

– Roman Jakobson,Essais de linguistique générale, coll. « Points »,Seuil,1963.

– Pierre Martino,Le Naturalisme français (1870-1985),A.Colin,1969.

– Henri Mitterand,L’Illusion réaliste de Balzac à Aragon,PUF,1994.

– Alain Pagès,Le Naturalisme, coll. « Que sais-je ? »,PUF,1989.

– Marthe Robert,Roman des origines et origines du roman, coll. «Tel »,Gallimard,1972.

– Henri Zalis,« La tentation réaliste de Flaubert à Maupassant :véritable école du récit »,Flaubert et Maupassant,écrivains normands,publication de l’université de Rouen,PUF,1981.

– Sur les pas de Maupassant, documents, peintures, catalogue de l’exposition du musée deFécamp, juin-juillet 1981.

Numéros spéciaux de revues

– Maupassant et l’écriture, actes du colloque de Fécamp, 21-23 mai 1993, sous la direction de Louis Forestier,Nathan,1993.

– Maupassant, du réel au fantastique, actes du colloque de Rouen, 30 septembre-1er octobre 1993,Études normandes, février 1994.

– Maupassant, Revue d’histoire littéraire de la France, septembre-octobre 1994 (actes du colloque du 20 novembre 1993).

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