Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · 6 T ABLE DES CORPUS Corpus La théâtre : un langage...

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HACHETTE Éducation établi par Fanny MARTIN, certifiée de Lettres modernes L’Illusion comique Corneille Livret pédagogique

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HACHETTEÉducation

établi par Fanny MARTIN, certifiée de Lettres modernes

L’Illusioncomique

CorneilleL i v r e t p é d a g o g i q u e

Conception graphiqueCouverture et intérieur : Médiamax

Mise en pageAlinéa

IllustrationPierre Corneille

© Hachette Livre

Tous droits de traduction,de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.

© Hachette Livre,2003.43,quai de Grenelle,75905 Paris Cedex 15.ISBN:2.01.168711.X

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AVA N T-P R O P O S 4

TA B L E D E S CO R P U S 6

RÉ P O N S E S AU X Q U E S T I O N S 11

Bi lan de première lec ture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

Ac te I , scène 1

Lec ture analyt ique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

Lec tures croisées et t ravaux d ’écr i ture . . . . . . . . . . . . . . . . 18

Ac te I I , scène 2

Lec ture analyt ique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

Lec tures croisées et t ravaux d ’écr i ture . . . . . . . . . . . . . . . . 28

Ac te IV, scène 7

Lec ture analyt ique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35

Lec tures croisées et t ravaux d ’écr i ture . . . . . . . . . . . . . . . . 37

Ac te V, scène 3

Lec ture analyt ique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45

Lec tures croisées et t ravaux d ’écr i ture . . . . . . . . . . . . . . . . 48

Ac te V, scène 5

Lec ture analyt ique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55

Lec tures croisées et t ravaux d ’écr i ture . . . . . . . . . . . . . . . . 57

BI B L I O G R A P H I E CO M P L É M E N TA I R E 63

S O M M A I R E

Les programmes de français au lycée sont ambitieux. Pour les mettreen œuvre, il est demandé à la fois de conduire des lectures qui éclai-rent les différents objets d’étude au programme et, par ces lectures, depréparer les élèves aux techniques de l’épreuve écrite (lecture efficaced’un corpus de textes ; analyse d’une ou deux questions préliminaires ;techniques du commentaire, de la dissertation, de l’argumentationcontextualisée, de l’imitation…).

Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs.L’Illusion comique, en l’occurrence, permet d’aborder le baroque et detravailler sur les différents genres dramatiques.

Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nou-velle collection d’œuvres classiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois :– motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation dutexte, moderne et aérée, qui facilite la lecture de l’œuvre grâce à desnotes claires et quelques repères fondamentaux ;– vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer lesélèves aux travaux d’écriture.

Cette double perspective a présidé aux choix suivants :• Le texte de l’œuvre est annoté très précisément, en bas de page,afin d’en favoriser la pleine compréhension.• Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendrela lecture attrayante et enrichissante, la plupart des reproductionspouvant donner lieu à une exploitation en classe.• Précédant et suivant le texte, des études synthétiques et destableaux donnent à l’élève les repères indispensables : biographie del’auteur, contexte historique, liens de l’œuvre avec son époque, genreset registres du texte…• Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné àfaciliter l’analyse de l’œuvre intégrale en classe. Présenté sur des pagesde couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du texte (surfond blanc), il comprend :

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A V A N T - P R O P O S

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– Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classeaprès un parcours cursif de l’œuvre. Il se compose de questionscourtes qui permettent de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sensgénéral de l’œuvre.– Cinq à sept questionnaires guidés en accompagnement des extraitsles plus représentatifs de l’œuvre : l’élève est invité à observer et à ana-lyser le passage ; les notions indispensables sont rappelées et quelquespistes sont proposées afin de guider sa réflexion et de l’amener àconstruire sa propre lecture analytique du texte. On pourra procéderen classe à une correction du questionnaire, ou interroger les élèvespour construire avec eux l’analyse du texte.– Cinq à sept corpus de textes (accompagnés parfois d’un docu-ment iconographique) pour éclairer chacun des extraits ayant faitl’objet d’un questionnaire guidé ; ces corpus sont suivis d’un ques-tionnaire d’analyse et de travaux d’écriture pouvant constituer unentraînement à l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pourla classe de Première, sur le «descriptif des lectures et activités » à titrede groupement de textes en rapport avec un objet d’étude ou dedocuments complémentaires.

Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera, pour vous et vosélèves, un outil de travail efficace, favorisant le plaisir de la lecture et laréflexion.

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T A B L E D E S C O R P U S

Corpus

La théâtre :un langagespécifique(p.36)

Maîtres et valetsde comédie(p.60)

La mort en scène(p.126)

Composition du corpus

Texte A : Scène 1 de l’acte I de L’Illusion comiquede Corneille (pp. 29 à 32).Texte B : Extrait de Essais critiques de RolandBarthes (p. 37).Texte C : Extrait du Langage dramatique de PierreLarthomas (pp. 37-38).Texte D : Extrait du Théâtre d’Anne Ubersfeld (pp. 38-39).Texte E : Extrait de l’acte I de L’Échange de PaulClaudel (pp. 39-41).

Texte A : Scène 2 de l’acte II de L’Illusion comiquede Corneille (pp. 50 à 56).Texte B : Extrait de la scène 2 de l’acte I du DomJuan de Molière (pp. 61-63).Texte C : Extrait de la scène 3 de l’acte I desFourberies de Scapin de Molière (pp. 63-64).Texte D : Extrait de la scène 3 de l’acte V duMariage de Figaro de Beaumarchais (pp. 65-66).

Texte A : Scène 7 de l’acte IV de L’Illusion comiquede Corneille (pp. 120 à 122).Texte B : Extrait de la scène 3 de l’acte V deRodogune, princesse des Parthes de Corneille (pp. 127-128).Texte C : Extrait de la scène 7 de l’acte V de Phèdrede Racine (pp. 129-130).Texte D : Extrait de l’acte III des Revenants d’Ibsen(pp. 130-132).

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Compléments aux travaux d’écrituredestinés aux séries technologiques

Question préliminaireRelevez les éléments formels qui inscrivent lestextes B, C et D dans le registre didactique et legenre de l’essai.

CommentaireDans le discours de Lechy Elbernon,vousdéterminerez les éléments d’une mise en abyme duphénomène à l’œuvre lors de la représentationthéâtrale.

Question préliminaireMontrez en quoi l’échange maître/valet participede la construction du personnage principal.

CommentaireVous montrerez que l’entrée en scène de Don Juann’a pas seulement pour but de dresser le portrait dupersonnage éponyme,mais donne lieu à un échangeemblématique des relations entre le maître et sonvalet.

Question préliminairePour chacun des textes du corpus, dans quois’incarne le tragique ?

CommentaireDans le face-à-face opposant la mère à son fils,vousétudierez dans quelle mesure la ponctuation et lesimages permettent de suggérer une horreur digne dela tragédie antique.

Objet(s) d’étudeet niveau

Spécificité du genredramatique (Première)

Une thématique récurrente au théâtreSpécificité du genredramatique(Première)

Les registres lyrique,pathétique et tragique(Première)

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T A B L E D E S C O R P U S

Corpus

Cœurs infidèles(p.152)

Le théâtre dans le théâtre(p.172)

Composition du corpus

Texte A : Scène 3 de l’acte V de L’Illusion comiquede Corneille (pp. 142 à 149).Texte B : Extrait de la lettre XII de Médée à Jasondans Lettres d’amour d’Ovide (pp. 152-154).Texte C : Extrait de la scène 4 de l’acte I deL’Heureux Stratagème de Marivaux (pp. 154-156).Texte D : Extrait de la scène 7 de l’acte V duMariage de Figaro de Beaumarchais (pp. 157-158).Texte E : Extrait d’Un amour de Swann de MarcelProust (pp. 157-158).Document F : Le Verrou de Fragonard (p. 160)

Texte A : Scène 5 de l’acte V de L’Illusion comiquede Corneille (pp. 164 à 168).Texte B : Extrait de la scène 2 de l’acte III deHamlet de Shakespeare (pp. 173-174).Texte C : Extrait de la scène 5 de L’Impromptu deVersailles de Molière (pp. 175-177).Texte D : Extrait de la scène 2 des Acteurs de bonnefoi de Marivaux (pp. 177-178).

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Objet(s) d’étudeet niveau

Convaincre,persuader, délibérer(Première)

Thème et procédébaroquesÉtude d’un mouvement littéraire(Première)

Compléments aux travaux d’écrituredestinés aux séries technologiques

Question préliminaireMontrez la manière dont chacun des extraitsillustre des modes similaires ou différents de persuader l’autre ou de se persuader.

CommentaireAprès avoir étudié le jeu des forces entre les deuxpersonnages,vous montrerez en quoi la descriptionde la jalousie conjugue poésie et précision clinique.

Question préliminaireDans chacun des extraits, quelles sont les différentes conceptions du théâtre exprimées ?

CommentaireVous montrerez que, si l’extrait de L’Impromptu deVersailles est incompréhensible sans référence aucontexte de création, la peinture des caractères et lamise en abyme théâtrale ont une dimensionatemporelle.

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B i l a n d e p r e m i è r e l e c t u r e ( p . 1 8 0 )

a Les deux personnages toujours présents sont Pridamant et Alcandre.

z Pendant toute la représentation, ils se tiennent à la même place, en légerretrait, devant la grotte d’Alcandre, dans une demi-pénombre.

e Alcandre est un mage aux pouvoirs aussi inquiétants que rassurants.Surtout, il est à l’origine de la représentation de la vie de Clindor, et, à cetitre, il est une figure du dramaturge. Il organise, annonce et commente« l’illusion», la mise en scène enchâssée. Pridamant incarne le père sévère, fré-quent dans les comédies. Dans L’Illusion comique, il est un barbon repenti.Face au metteur en scène Alcandre, il représente le spectateur type.

r Les autres personnages principaux appartiennent aux deuxième et troi-sième niveaux de représentation. Ce sont Matamore, Clindor et Isabelle(2e niveau). Ces deux derniers sont présents sous les identités de Théagène etHippolyte dans la tragédie en miniature du cinquième acte (3e niveau).

t Matamore est un fanfaron car il n’est que vaillance et séduction verbales. Ilest une caricature, un guerrier sans victoire et un don juan sans conquête. Ilvit dans un monde de discours, auquel il est le seul à croire. Il fait rire, ouexaspère, son entourage.

y Clindor est au service de Matamore. Il est son valet, son domestique. Il estégalement son faire-valoir et, du point de vue de la dramaturgie, celui qui,par ses répliques, l’exhibe, le donne en spectacle.

u Au dernier acte de la pièce, le spectateur – et Pridamant en particulier –est victime d’une illusion car il croit que Théagène est Clindor, etHippolyte Isabelle. Cette croyance est ingénieusement créée et entretenuepar Corneille grâce à nombre de similitudes dans les situations des deuxcouples. Et Alcandre brouille les pistes. Aussi, lorsque le spectateur voitmourir Théagène, il se lamente sur l’injuste sort de Clindor : il confond unefiction représentée (la tragédie des amours de Théagène) avec une réalitéreprésentée (la suite des aventures de Clindor). Mais l’ensemble de la piècerepose sur une illusion. En effet, d’emblée le spectateur oublie que, devantlui, évoluent non pas des êtres réels, mais des « spectres » animés par le magicien Alcandre.

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i D’une part, l’illusion est comique car la tragédie tourne à la comédie : lesmorts se partagent la recette d’un spectacle. D’autre part, l’illusion estcomique car elle est celle des comédiens. Ceux-ci ont fait illusion : illusionde l’identité (un spectre figure Clindor et celui-ci représente Théagène), etillusion de la vie et de la mort.

o Alcandre veut convaincre Pridamant de « l’éclat, l’utilité, l’appas » du théâtre(v. 1675), termes prononcés par ce dernier finalement convaincu.

q Premier niveau : Alcandre et Pridamant, metteur en scène et spectateurprivilégié des deux représentations enchâssées (2e et 3e niveaux).Deuxième niveau : les aventures passées de Clindor, représentées par des« spectres ».Troisième niveau : les amours tragiques de Théagène. Données comme unesuite des aventures de Clindor, elles semblent appartenir au même niveaud’action dramatique. En réalité, elles sont une représentation présente donnée par Clindor devenu comédien.

s Avec Matamore, le registre comique est bien représenté. C’est uncomique burlesque, qui joue sur le décalage entre l’expression et le réel.À la fin de l’acte V, la mort de Théagène relève du registre tragique. Il estassassiné alors qu’il renonce à sa passion adultère. Son décès est l’expressionde la fatalité.

d À la scène 1 de l’acte IV, le monologue d’Isabelle, lorsque son amantemprisonné semble voué à une mort certaine, exprime des sentimentsintenses. Il relève du registre pathétique. En écho, à la scène 7 du même acte,le monologue de Clindor est lui aussi pathétique : sentiment d’abandon et deterreur panique à l’approche du supplice final.Dans la tragédie de l’acte V, le moment où Hippolyte souhaite convaincreThéagène, en particulier quand elle décide de le précéder dans la mort, estpathétique.

f Le deuxième niveau de l’intrigue appartient au genre de la comédie. Lespersonnages sont des bourgeois, et l’issue de leurs aventures est heureuse : lesjeunes amants s’enfuient et échappent au péril.Le troisième niveau de l’action relève du genre de la tragédie. Les person-nages sont nobles, ou anoblis, et l’issue est tragique :Théagène meurt assas-siné, au moment même où il rentre dans le droit chemin et que le couple, untemps séparé, se retrouve.

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B i l a n d e p r e m i è r e l e c t u r e

g L’Illusion comique est une tragi-comédie. Elle ignore l’unité d’action et,corrélat immédiat, les unités de temps et de lieu. Elle multiplie les registres– comique, tragique et pathétique – et enchâsse des pièces de genres différents – comédie et tragédie.

h Création irrégulière, «monstre » hybride composé de genres et de registresdivers, L’Illusion comique s’inscrit pleinement dans le courant baroque. Celui-ci joue avec les frontières et les codes génériques, brouille les limites entre laréalité et la fiction, cherchant ainsi à traduire la conception d’un mondeessentiellement instable et en perpétuel mouvement.

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◆ LECTURE ANALYTIQUE DE LA SCÈNE (PP. 33 À 35)a Les indications temporelles et spatiales apparaissent toutes dans les pre-miers vers. Redondantes par rapport à ce que voit le spectateur, elles fontquestion. Quelle est leur utilité ? Par leur tonalité et le vocabulaire employé,elles contribuent à créer une atmosphère particulière, inquiétante : celle cen-sée régner aux abords de la demeure d’un mage comme Alcandre. Ellesintroduisent le personnage attendu et participent de son aura.On parle de didascalies internes, indications scéniques situées dans le discoursdes personnages. Elles insistent sur « l’obscurité », champ lexical bien repré-senté : « grotte obscure » (v. 2), « nuit » (v. 3), « voile épais […] faux jour » (v. 4),« éclat douteux […] lieux sombres » (v. 5). Au vers 7, une indication de lieu :« rocher ». On lit aussi une indication dans la liste des personnages (didascalieexterne) : le dialogue entre Pridamant et Alcandre se déroule en Touraine.

z Pridamant regrette sa rigueur passée, responsable de la fuite de son fils. Ill’a cherché en tous lieux (v. 33 à 36), en vain, et, en dernier recours, ils’adresse à Alcandre.

e Cette scène d’exposition est relativement statique. Le problème dePridamant, simple en somme, est vite exposé, et l’action ne débute pas réelle-ment. La fonction de cette première scène est de créer une atmosphère parti-culière, empreinte d’un mystère propice à la venue d’Alcandre. À ce titre,Dorante n’est que son faire-valoir. Il disparaît à la scène suivante, pour neplus reparaître, pas même au dénouement.Le rideau s’ouvre sur une situation de crise. Le problème est posé d’emblée,mais d’autres conflits viendront s’ajouter, et de nouvelles expositions aurontlieu, conséquence de l’absence d’unité d’action.

r La création du mystère s’appuie sur le champ lexical de l’obscurité : « grotteobscure » (v. 2), « nuit » (v. 3) – parce qu’elle est volontaire et continue –,« voile » (v. 4), « douteux » (v. 5), « ombres » (v. 6) ; mais aussi sur celui de lamagie : « art » (v. 7), «mur invisible » (v. 9), « funestes bords » (v. 11), et de ses motssavants : « les forces inconnues » (v. 53), «miracles » (v. 56), « le rare savoir » (v. 82),« ressorts inconnus » (v. 87), «des miracles de l’art » (v. 88).

t Dorante adopte un ton inquiétant. Sa description du lieu, redondante, etd’Alcandre inquiète (voir questions 1 et 4). Mais, dans le même temps, il se

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veut rassurant. Il atteste les dons d’Alcandre et garantit l’heureuse issue del’entrevue (v. 57 à 60, 61 à 64, 69 à 78).

y La figure de style employée au vers 1 est une hyperbole, ou exagération.

u Le portrait d’Alcandre s’organise en trois mouvements :– V. 1 à 18 et 47 à 56 : «Un magicien aux terribles pouvoirs ».

V. 47 à 56 : la figure de prétérition assure la transition avec la partie suivante.– V. 57 à 64 et 69 à 78 : «Un sage, médecin des âmes en peine ».

V. 69 à 78 : Dorante l’a lui-même vérifié.– V. 80 à 88 : «Un physique témoignant de dons exceptionnels ».

i Dorante est un personnage éphémère. À l’issue de la scène suivante, ildisparaît pour ne plus revenir, congédié par celui qu’il vient d’introduire.Sa seule fonction est de présenter Alcandre. En effet, par son importance,celui-ci nécessite d’être introduit (au plan de la cohérence). Mais, surtout, leprocédé ménage le suspense (au plan de la dramaturgie). En outre, Doranteatteste les dons du mage.

o Alors qu’elle est pleinement utile au lecteur, la description physique dumage est redondante par rapport à ce que voit le spectateur. Comme les indi-cations de lieu du début de la scène, elle est donc à interroger. Le physiquedu vieillard est en accord avec ce que Dorante a dit de lui. Son corpstémoigne d’une force d’âme hors du commun. En lui-même, il est unmiracle vivant, preuve supplémentaire de ses dons.

q D’emblée, le portrait d’Alcandre insiste sur les deux facettes du person-nage. La première, la plus spectaculaire, est la moins importante. C’est celledu magicien aux dons inquiétants, voire dangereux pour ceux qui ne respec-tent pas le protocole des visites ou consultations (v. 14). La seconde facette,celle qui intéresse Pridamant, concerne le secours, sans aide magique, que levieillard apporte aux âmes en peine. Certes, il connaît le passé et l’avenir et« lit dans les pensées » (v. 57), mais surtout « quiconque le consulte en sort l’âmecontente » (v. 74).

s Alcandre soulage les peines, prédit l’avenir, et même s’il est un auxiliaire, ilbaigne dans une aura de mystère et d’inquiétude. Ses pairs sont nombreuxdans les tragi-comédies et pastorales contemporaines, où les bergers s’inter-rogent sur leurs amours, souhaitent connaître l’avenir ou obtenir des philtrespour agir sur l’objet de leur désir. En tous points, le portrait d’Alcandrerépond à ce type littéraire : son repaire (voir question 1), ses pouvoirs

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magiques inquiétants (v. 12 à 18 et 47 à 56), son physique de vieillarddécharné (v. 80 à 88).Le portrait s’écarte du type littéraire pour les qualités humaines d’Alcandre,manière de sage, philosophe s’intéressant à la psychologie des hommes (v. 57à 60). Et le rôle qu’il va tenir, comme organisateur du spectacle de la vie deClindor, l’en éloigne davantage. Cette fonction de dramaturge, manifestedans la suite de la pièce, apparaît peu dans la première scène. Le champ lexi-cal du théâtre est faiblement représenté : le « mur invisible » (v. 9) évoque lequatrième mur de la scène de théâtre. Le terme « art » est employé à deuxreprises (v. 7 et 48), mais au sens d’« artifice ».

d L’illusion est une « erreur qui semble se jouer de nos sens, les tromper » (Littré) et,dans les arts et au théâtre en particulier, elle est un « état de l’âme qui fait quenous attribuons une certaine réalité à ce que nous savons n’être pas vrai » (Littré).C’est aussi une « fausse apparence » attribuée au démon ou à la magie, et enfinune « erreur qui semble se jouer de notre esprit ».L’adjectif comique a été emprunté, au XIVe siècle, au latin comicus, « relatif authéâtre » et spécialement « relatif à la comédie » – lui-même emprunté augrec. Au XVIIe siècle, le sens d’emprunt « relatif au théâtre » est usuel : LeRoman comique de Scarron décrit la vie d’une troupe de comédiens. Ce sens aété éliminé par l’acception restreinte « relatif à la comédie ».De même, le substantif comédie est emprunté au latin comoedia, « pièce dethéâtre » et « genre théâtral » (en particulier comique) – lui-même empruntéau grec. Au XVIIe siècle, le sens usuel est celui de « pièce de théâtre » (sansconsidération de genre), sens général dont on garde la trace dans le sens spa-tial de « théâtre » et dans le sens figuré de « spectacle », puis d’« attitude feinte »(jouer la comédie). En 1552, le sens plus précis de «pièce divertissante représen-tant des personnages de moyenne et basse condition » apparaît. Le termes’oppose à tragédie, puis à drame. Enfin, depuis le XVIIe siècle, comédie désigne le«genre théâtral comique».On pourra remarquer que, à la différence de comédie, le dérivé comédien(adjectif et nom) a conservé au sens propre la valeur large d’« acteur dethéâtre ou de cinéma».

f D’après la condition sociale des personnages, la pièce s’annonce commeune comédie, et Pridamant rappelle les vieux barbons sévères, ici repenti,des comédies. Néanmoins le ton, en apparence rassurant mais par nombred’aspects inquiétant, de Dorante, la description redondante des lieux et

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l’atmosphère créée par les paroles de ce personnage évoquent un début detragédie.Toute la scène tend d’ailleurs à mettre en place ce mystère, à lalimite du malaise, alors même que Dorante garantit une issue heureuse : celled’une comédie. Quant à Alcandre, magicien que l’on vient consulter dans lebesoin, capable du meilleur comme du pire, il appartient autant à la tragi-comédie qu’à la pastorale. Enfin, l’évocation de ses pouvoirs magiques peutannoncer une tragédie à machines.Comédie, tragédie, pastorale : les hypothèses sont multiples, et l’indécisionmême où se trouve le spectateur pour définir clairement un genre fait pen-cher en faveur de la tragi-comédie, genre hybride dont l’irrégularité cadremal avec l’avènement prochain du classicisme.

g Le registre est féerique (créant un monde merveilleux et hors du réel, avecl’intervention de personnages aux pouvoirs surnaturels), mais aussi pathé-tique (traduisant des émotions intenses). Illusion évoque une fausse apparenceliée à la magie, une tromperie des sens, et ce terme s’accorde avec le registreféerique. Comique, entendu au sens de « relatif au théâtre », rejoint le registreféerique. Mais, au sens de « drôle », l’adjectif semble déplacé. Ce sera la sur-prise des scènes suivantes avec Matamore, relevant du registre comique.

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 36 À 42)Examen des textes

a Les textes B, C, D s’attachent à définir l’essence du théâtre. Ils appartien-nent au genre de l’essai. Ils questionnent une réalité, réfléchissent à un pro-blème. Tentatives pour enseigner, donner à comprendre, ils relèvent duregistre didactique. Le texte E offre également un essai de définition duthéâtre et est en apparence didactique. Mais il relève du genre théâtral et duregistre romanesque, lequel mêle les rêveries à la perception de la réalité.L’énonciateur est une actrice sur scène, et elle cherche davantage à séduirequ’à enseigner, à faire sentir qu’à donner à comprendre.

z Le théâtre représente une totalité. Il donne une connaissance universelle :«Moi je connais le monde. J’ai été partout. D’un côté et de l’autre du rideau. » Il esttous les lieux et, de fait, il est « l’endroit qui est nulle part » (Louis Laine).D’après le discours de l’actrice, la communication théâtrale s’effectue dans lesdeux sens. L’actrice est celle qui arrive, et parle. Elle est aussi celle quiécoute : « je n’ai qu’à parler »/«moi qui écoute ».

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Lechy Elbernon insiste sur l’attente du public, la patience. Et « ce qui arrive » aun début et une fin. C’est un événement, quelque chose qui commence etqui finit.Lechy insiste aussi sur le regard. Elle répète le verbe plusieurs fois, et il estrepris par Marthe et Louis Laine. Par le regard, il y a engloutissement, fusion,dans un mouvement qui va de la salle vers la scène.L’attente et le regard sont des actes fédérateurs. Louis Laine présente le publiccomme une multitude unifiée par ceux-ci : «Maintenant on est quelqu’un tousensemble. On est quelqu’un qui attend. On est quelqu’un qui regarde. »Dans l’image des « âmes qui se forgent » sur celle de l’actrice, dans celle aussi del’actrice « arrach[ant] le cœur » des spectateurs, on peut lire une évocation de lacatharsis ou «purgation des passions ».Enfin, est soulignée la capacité du théâtre à créer une illusion : «Quelque chosede pas vrai comme si c’était vrai ! »

e La fusion de la scène et de la salle, la purgation des passions se font dans laviolence. La salle est une « mâchoire » qui « engloutit » l’actrice (le terme« mâchoire » est employé deux fois). « Coups » est répété à quatre reprises,« furie » trois fois, « terrible » et «peur » deux fois. Il est question de « grands coupsde marteau », «d’arracher le cœur ». La violence, avec une connotation sexuelle,s’exprime également dans la locution verbale « se faire du bien avec », le groupeverbal « lui entrer » et l’expression « toute nue ».

Travaux d’écriture

Question préliminaireD’après le texte de R. Barthes, la spécificité du théâtre est de fournir, demanière simultanée mais non toujours identique, des signes multiples et denatures différentes.D’après P. Larthomas, au théâtre, les gestes et le contexte d’énonciation sontdotés d’un relief qu’ils n’ont pas dans un échange courant. Le langage théâ-tral est comme surpris, mais c’est une fiction de surprise. Il est doublementdestiné.Pour A. Ubersfeld, le texte dramatique, doublement énoncé (par le dialogueet les didascalies), s’achève dans sa représentation. Cette incomplétude est lacondition de sa représentation. Si le récepteur est double (acteurs et specta-teurs), l’émetteur est aussi double (auteur et acteurs). Par ailleurs, la commu-nication ne se fait pas à sens unique. Il y a interaction entre le public et lesacteurs.

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Commentaire

Introduction• Reprendre le chapeau pour situer la pièce et l’extrait étudié.• L’intérêt du texte réside dans la tentative de donner à sentir le phénomènethéâtral.• On peut dégager trois axes de lecture :1. Une approche particulière du théâtre par l’actrice.2. Une mise en abyme du phénomène à l’œuvre dans la représentation.3. L’exaltation de la fusion entre l’actrice et les spectateurs.

1. Une approche particulière du théâtre [partie descriptive]A. Lechy Elbernon n’entend pas définir le phénomène théâtral,mais le donnerà sentir. Son discours n’appartient pas au registre didactique mais poétique. Elleoffre une vision vécue de ce qui se passe pendant le spectacle dramatique.B. Les différents points mis en avant par l’actrice. Quelle est sa vision duthéâtre ? Il faut reprendre la question 2 de l’«Examen des textes ».

2. Une mise en abyme [analyse du mécanisme du texte]A. Dans la présentation de l’actrice, apparaît une interaction forte entre lascène et la salle lors du spectacle, de l’actrice vers les spectateurs et de ceux-cisur elle.B. Ce schéma est reproduit dans l’échange entre Lechy, Marthe et LouisLaine, moins avec Thomas Pollock qui se tient en dehors des influences,comme revenu d’elles. Les interactions sont manifestes entre les trois premiers acteurs. Le jeu des questions et réponses le montre.C. Sur scène, les acteurs miment ce qui se passe entre acteurs et spectateurs.Ils sont les premiers récepteurs du jeu de Lechy, et leurs réactions sont uneamplification de l’effet produit par elle.

3. L’exaltation de la fusion [l’effet recherché par le texte]A. De la salle vers la scène et de celle-ci vers les spectateurs, il y a un doublemouvement. Le théâtre est le lieu d’une exaltation, traduite dans le langagede Lechy.B. Le registre du discours de Lechy n’est pas didactique, celui d’une défini-tion du théâtre, mais poétique. L’actrice donne une vision du théâtre etdavantage elle mime ce qui s’y passe.C. On note la violence du vocabulaire employé par l’actrice, et le rythmeque l’on peut qualifier d’« épique ». Lechy cherche en effet à emporter le

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spectateur, en premier lieu Louis Laine et Marthe, et in fine le spectateurde L’Échange.

ConclusionC’est un moment fort de la pièce de Claudel. Il s’agit de communiquer cequ’est l’essence du théâtre, sa spécificité. Le texte est une tentative pour faireéprouver presque physiquement, dans la chair, ce qui se produit entre la salleet la scène.Tout le souffle épique de l’auteur est employé pour magnifier l’artdramatique, auréolé d’une terreur sacrée.Au-delà de la modernité des per-sonnages (des aventuriers du Nouveau Monde, dont une actrice, femmefatale libérée), le dramaturge renoue avec le théâtre antique, dans lequel lacatharsis ou « purgation des passions » convoque terreur et pitié et revêt uncaractère sacré.

Dissertation

Nous proposons le plan suivant :

Introduction• Le théâtre représente une action. Il est un récit mimétique utilisant desmots et convoquant des enjeux narratifs. Mais, parce que des acteurs de chairet d’os font une représentation devant des spectateurs, les enjeux dramatiquessont aussi des enjeux de discours. La spécificité du langage dramatiquedésigne-t-elle le théâtre comme l’instrument privilégié d’une action sur lespectateur ? En fait-elle un moyen choisi de propagande ?• Annonce du plan :1. La spécificité du langage théâtral induit la production d’un effet fort sur lespectateur.2. Ce qui favorise l’emploi du théâtre comme instrument de propagande,politique ou idéologique.3. Mais le théâtre ne peut être un simple instrument, un moyen au serviced’idées, au risque de perdre toute efficacité et toute beauté.

1. La spécificité du langage théâtralA. Une réception immédiateComme tout récit, la représentation théâtrale offre des enjeux narratifs. Mais,en tant que récit fait devant des spectateurs présents par des acteurs en chairet en os, elle présente des enjeux de discours. De fait, elle n’a pas le mêmeimpact qu’une narration écrite, dont la réception, toujours différée, dans letemps et l’espace, n’offre pas la même immédiateté.

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B. Interaction entre la salle et la scène, et entre les spectateursIl y a interaction entre la salle et la scène. Lechy Elbernon le dit expressé-ment dans l’extrait de L’Échange. Anne Ubersfeld le théorise dans son dis-cours critique et ajoute que, dans l’espace de la salle, les réactions de chacundes spectateurs agissent également sur les autres.C.Agir sur le publicAu XVIIe siècle, le but des dramaturges est de toucher, d’instruire et de plaire.Parce qu’ils cherchent à produire un effet sur le public, le théâtre est très sur-veillé. Le discours religieux sur sa nocivité bat son plein.Toute une polé-mique se développe autour de la comédie, mais également de la tragédie. Lesdramaturges répondent et tentent de justifier leur art. La comédie corrige lesmœurs en les rendant ridicules : castigat ridendo mores. Quant à la tragédie, ellepurge les passions mauvaises des spectateurs. C’est la catharsis, chère auxAnciens et à Aristote. Racine vante la valeur de contre-exemple de ses héros,tandis que Corneille les rend admirables.

2. Le théâtre, instrument de propagande?A. Exprimer des idées, non des idéologiesÀ toutes les époques, le théâtre, comme reflet, miroir ou récit mimétique del’action des hommes, véhicule des idées. Ceci ne signifie pas qu’il défend uneidéologie. Il ne milite pas, n’est pas nécessairement engagé.B. Dans des contextes définis, un instrument de propagandeDans des contextes particuliers, le théâtre peut devenir un instrument depropagande.Ainsi, il se transforme en tribune privée lorsqu’au XVIIe siècle lamonarchie absolue supprime la liberté d’expression publique. De tous temps,dans un contexte historique difficile, si la liberté d’expression est mise à l’in-dex, le théâtre, et la littérature en général, s’offre comme un autre moded’expression des idées.

3. Plus qu’un simple instrumentA. Dépasser l’engagementSi, pour Victor Hugo, le théâtre est nécessairement engagé, pas seulementau sens politique mais également du point de vue moral, reste que l’art dramatique doit dépasser l’engagement, au risque de connaître une portéelimitée à son contexte de création. Antigone de Jean Anouilh formuleclairement un message politique de résistance. Mais la tragédie continue deséduire hors d’un contexte d’occupation. En effet, ce message n’épuise pas

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la signification de la pièce, et d’autres lectures sont possibles, non exclusivesles unes des autres.B. Paradoxe du théâtre engagéCe sont les limites et le paradoxe de toute littérature engagée : se désengager,dépasser le simple engagement pour un effet plus fort et durable, comme si leseul fait de dire ou défendre une cause ne suffisait pas.

ConclusionParce que le théâtre est un langage spécifique et que la représentation théâ-trale implique une réception immédiate par un ensemble de spectateurs,l’effet produit sur ceux-ci peut s’avérer très fort. De fait, le théâtre est souvent apparu comme un moyen de propagande efficace, même si art etengagement ne font pas toujours bon ménage.

Écriture d’invention

• Il faut organiser le travail en paragraphes structurés autour des différentspoints abordés. Le registre est didactique mais il ne faut en aucun cas se dis-penser de rédiger complètement toutes les phrases. Il semble bon de com-mencer par les décors et les accessoires, puis s’intéresser aux personnages(tons, gestes et mouvements). Il n’y a pas de « solution », ni de plan attendus,du moment que l’ensemble est cohérent.• Quelques éléments :– Le décor importe peu. C’est un non-lieu, un endroit qui est tous les autres.De préférence, la scène se déroule à l’extérieur, dans un endroit non fermé.Ceci correspond au souffle des tirades, à l’exaltation des personnages. Le dis-cours de Lechy ouvre les espaces. Les personnages essaient de fuir, de brisertous les cloisonnements.– On imagine Lechy Elbernon quelque peu excentrique. C’est une femmeaméricaine sûre d’elle, de sa beauté et de son pouvoir de fascination, de sonascendant sur les autres, au spectacle et dans la vie. Elle est lancée dans uneentreprise de séduction perpétuelle, et pour l’heure de Louis Laine. Ellereprésente le type de la femme fatale, presque dangereuse. Elle est du côté del’artifice, mais aussi de la culture. Elle est maquillée, apprêtée. Chez elle, toutest calculé. Elle joue un rôle (voir la remarque de Thomas Pollock), dont elleest peut-être la prisonnière.– Elle est à l’opposé de Marthe. Celle-ci est douce, simple. Son vêtementreflète cette simplicité. Elle ne connaît rien et découvre le monde. Elle est une

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figure de l’ingénue, dont les questions troublent car elle a sur tout un regardneuf et naïf. Elle est du côté de la nature.– C’est ce qui attire Thomas Pollock Nageoire. Celui-ci est un entrepreneuret un homme entreprenant. Il est riche et sûr de lui. Mais il a besoin d’atten-tion, d’écoute, et l’authenticité naïve de Marthe, après l’artificialité de l’ac-trice, le séduit. Il n’est plus captivé par l’ascendant de Lechy. Il n’y est plusmême sensible. Le charme (au sens fort d’« envoûtement ») n’agit plus sur lui(voir sa réflexion qui met à distance le jeu de l’actrice, le dénonce et le rendà ce qu’il est).Thomas Pollock peut sembler repoussant par son argent et soncaractère entreprenant et calculateur, mais il représente aussi la stabilité de lamaturité.– Cible de Lechy, Louis Laine, aventurier naïf à l’égal de Marthe, est sensibleau charme de l’actrice. Marthe est bien trop sage pour lui. Parce qu’ilsemble quelque peu perdu, à la recherche de lui-même, Marthe paraît plusâgée que lui.– Des correspondances existent entre les quatre personnages. Il y a tout un jeud’attirances, dans chaque couple et d’un couple à l’autre – d’où L’Échange.

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◆ LECTURE ANALYTIQUE DE LA SCÈNE (PP. 57 À 59)a Clindor est maître de la parole. En quantité, Matamore l’emporte, maisClindor a l’initiative du dialogue. Il ouvre la scène, fait significatif même si laconversation est censée avoir commencé avant (v. 221). À la réplique sui-vante, il rejette le projet de son maître, semblant clore toute discussion. Maispar sa question il la relance : « D’ailleurs, quand auriez-vous rassemblé votrearmée ? » (v. 230). Et il la relance d’autant que, pour bien connaître son maître,il sait que celui-ci se jettera dans un discours sans fin en entendant qu’on luisuppose une armée. Quant aux autres répliques de Clindor, elles abondenttoujours dans le sens de son maître et l’incitent à poursuivre.

z Jamais Clindor ne contredit son maître.Au contraire, il entre dans son jeu,et la moquerie est toujours subtile : elle doit être perçue du spectateur, nonde Matamore.La première remarque moqueuse se lit au vers 254. C’est une exagération,prise pour argent comptant par Matamore.Au vers 272, la moquerie est évi-dente. Le procédé est le même : Clindor va dans le sens de son maître. Il sur-enchérit et fait mine d’adhérer à sa rêverie fanfaronne. Le comique naît dudécalage entre le valet, qui exagère, et le maître, qui le croit sincère autantqu’il croit son propre discours.Il s’agit d’humour et non d’ironie, laquelle utilise l’antiphrase. L’humourfonctionne sur la connivence entre le spectateur et Clindor, connivence quiexclut Matamore.Les répliques suivantes du valet fonctionnent de même. Elles évoluent à l’is-sue de la scène. Lorsque Matamore s’enfuit à l’approche d’Adraste, Clindorlui suggère malicieusement de quitter sa beauté pour sa valeur et d’affronterson rival.Ainsi, au lieu d’abonder en son sens, il pousse son maître dans sesretranchements et l’oblige à tenir des propos absurdes. Enfin, la dernièreréplique de Clindor (« Comme votre valeur, votre prudence est rare », v. 346) estcette fois ironique : le spectateur entend le contraire de ce qui est énoncé.C’est une antiphrase, qui joue sur le double sémantisme de l’adjectif « rare » :« peu fréquente » (moquerie perçue du spectateur, non de Matamore), ou«peu commune» et donc « exceptionnelle » (flatterie entendue de Matamore– le spectateur sait que celui-ci est seulement sensible à cette dernière).

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e Le ton de Clindor est malicieux, mielleux ou ironique selon la réplique(voir question précédente). La moquerie doit être perceptible au spectateur,mais sans exagération pour respecter la vraisemblance : en effet, Matamore neperçoit jamais la critique.

r Les champs lexicaux les mieux représentés sont ceux de la guerre, ou de ladestruction, et de l’amour.Ainsi les deux facettes du personnage sont-ellesillustrées. Caricature du parfait chevalier, Matamore se vit en vaillant guerrieret en amant magnifique.Champ lexical de la guerre : « mettre en poudre » (v. 226), « armée » (v. 231– Matamore se vexe à l’idée de recourir à une armée composée d’hommes,mais non d’éléments naturels), « renverse les murailles » (v. 233), «Défait les esca-drons, et gagne les batailles » (v. 234), « courage invaincu » (v. 235), « dépeuple l’État » (v. 238), « canon», « soldats » (v. 239), « couche d’un revers mille ennemis àbas » (v. 240), « je réduis » (v. 241), « un second Mars » (v. 243), « assassiner »(v. 244), «massacre, détruit, brise, brûle, extermine » (v. 250), « j’épouvante » (v. 258),«desseins de guerre » (v. 273), « conquérir la terre » (274), « abattus » (v. 320), « rasepoint de château ni de ville » (v. 326), « J’ai détruit » (v. 329), « fureur » (v. 332),« effroyable » (v. 343), « tuerais » (v. 344).Champ lexical de l’amour : « maîtresse » (v. 245), « petit archer » (Éros ouCupidon, v. 247), « qu’amour, que grâce, que beauté » (v. 252), « je charme »(v. 258), « amour » (v. 260 et 307), «pâmer » (v. 263), « aimer » (v. 264), « caresses »(v. 266), « soupirs d’amour » (v. 268), « passion » (v. 269), « flammes » (v. 277),« beautés » (v. 304), « larmes » (v. 305), « cœur […] charmes » (v. 306).

t Matamore s’est construit un rôle, une image de guerrier invaincu etd’amant victorieux. Il vit bercé de rêves alimentés par un discours dont il neperçoit pas le ridicule tant il y adhère. Mais, qu’il s’agisse de valeur guerrière(v. 231 à 252) ou de succès amoureux (v. 257 à 271), cette parole, exagérée,est caricaturale. Certains vers ont une saveur particulière.Ainsi Matamore sevante-t-il d’avoir obtenu de Jupiter de n’être beau que selon son désir («Etdepuis, je suis beau quand je veux seulement », v. 284). S’il s’adresse librement àJupiter, il fréquente aussi les déesses comme de simples mortelles et se plaintde leurs assiduités. Bien malgré lui,Aurore le préfère au Soleil (v. 291 à 316).Mais son visage n’est-il pas «un abrégé de toutes les vertus » (v. 319) ?Cependant, à l’approche de son rival Adraste, il se sauve. Sa pirouette estmagnifique : il ne peut rester car, lorsqu’il est beau, il n’a point de valeur(v. 340), et quitter sa beauté pour sa valeur, comme le lui suggère malicieuse-

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ment Clindor, le conduirait à tout détruire, y compris sa maîtresse (v. 342 à345). Exagération et contradiction perpétuelles garantissent le comique.

y On se figure aisément Matamore qui, comme d’autres types littéraires,appartient à notre horizon culturel. Soldat fanfaron, il a l’air suffisant, lemaintien assuré, le buste redressé et le torse bombé. Ses mouvements sontexagérés, notamment quand il narre ses exploits ou menace son valet qui aosé lui supposer une armée. Quand il relate l’histoire d’Aurore, il adopte leton de la confidence et ses gestes sont moins démonstratifs. À la fin de lascène, à l’arrivée de son rival, il s’efface, peut-être à reculons et très vite.Toujours ses attitudes sont exagérées, caricaturales, en accord avec son discours et sa personnalité.

u Dans son existence imaginaire, Matamore a beaucoup voyagé. Son dis-cours convoque des lieux autrement séduisants et mystérieux que Bordeaux.La Perse et l’Empire mongol (v. 227) sont évoqués par l’allusion au grandsophi de Perse et au grand mogor. L’Éthiopie et le Japon sont également citésau vers 267, suivis de la Turquie, qui apparaît dans la mention des « sultanes »,du « sérail » et du « Grand Seigneur », sous-entendu « le sultan des Turcs »(v. 269 à 271).Aux côtés de l’Orient exotique, le monde des dieux est bienreprésenté, avec Jupiter, Mars et Aurore notamment.

i En accord avec son caractère, Matamore affectionne l’hyperbole, ou exa-gération. L’emploi de l’adjectif « grand » est récurrent (deux occurrences auv. 227 : le « grand sophi de Perse » et le « grand mogor »). Le déterminant « un »,avec sa valeur de numéral, accompagné parfois de l’adjectif redondant « seul »,est fréquent (v. 233, 237, 240-241 et 244). Il insiste sur la force du héros, quitue d’« un seul commandement […] couche d’un revers » ou assassine « d’un seulregard ». Certaines expressions sont aussi hyperboliques : « mettre en poudre »(v. 226), « renverse les murailles » (v. 233). Dans la bouche de Matamore, cesgroupes verbaux sont remotivés. Ils s’entendent au sens propre, et non plusfiguré. La mention de la « foudre » et des « Destins », armée de Matamore(v. 239), l’opposition entre «un revers » et «mille ennemis » (v. 240), son autodé-signation comme «un second Mars » (v. 243) sont de beaux exemples d’hyper-boles.Au vers 274, Matamore n’envisage pas moins de « conquérir la terre » – etd’ailleurs, peut-être est-ce déjà fait, la syntaxe autorisant les deux interpréta-tions (accompli, non accompli). Enfin, il n’hésite pas à menacer les dieux, etpas le moindre, puisque Jupiter se voit sur le point d’être « dégrad[é] de l’em-pire des Dieux» et dépossédé de sa foudre au profit de Mars (v. 279 à 281).

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L’exagération de la vaillance guerrière se retrouve dans le récit des exploitsamoureux. Les vers 258 à 260 mettent clairement les deux domaines en paral-lèle. Si Matamore, qui ne peut sortir sans que les femmes se pâment (v. 263),tue «d’un revers mille ennemis», de même «mille femmes» meurent chaque jourd’amour pour lui (v. 264).Toutes les princesses lui donnent rendez-vous, et les« reines mendient » ses caresses (v. 265-266). Enfin, après avoir effrayé Jupiter, ildérobe au Soleil la déesse Aurore. Autre procédé de style affectionné parMatamore : la métaphore.Ainsi les images sont légion, en particulier pourexprimer l’idée de destruction (voir question suivante). Matamore a souventrecours au langage de la mythologie, mais, avec lui, les images prennent vie.Les personnages s’animent et ne se bornent plus à être des modes d’expres-sion. Dans le discours de Matamore, le «petit archer » (v. 247) ou dieu Amour,« l’amour » (v. 252, 260, 333) et le « Soleil » (v. 296), ou « Jupiter » (v. 276) et«Mars » (v. 280), quittent leur statut de références verbales et mythologiques.Ils s’humanisent. Ils prennent corps, sur le même plan que le héros.

o La variété lexicale apparaît clairement dans cette recherche de synonymes.On lit : «mettre en poudre » (v. 226), « renverse les murailles,/Défait les escadrons, etgagne les batailles » (v. 233-234), «dépeuple » (v. 238) « couche […] à bas» (v. 240),« réduis […] en fumée» (v. 241), «assassiner » (v. 244), «massacre, détruit, brise, brûle,extermine» (v. 250), « j’épouvante» (v. 258).

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 60 À 67)

Examen des textes

a Pour le séducteur Don Juan, la fidélité en amour est synonyme de mort :« renonce au monde », « s’ensevelir », « être mort ». C’est une exigence hypocriteinventée par ceux qui n’ont pas les moyens d’être infidèles. C’est le « faux honneur […] des ridicules ». Et si la fidélité est une hypocrisie, elle est aussi uneinjustice, qui transforme le hasard de rencontrer une femme en premier en unavantage pour celle-ci. Les arguments de Don Juan inversent les préceptesmoraux traditionnels. Il joue de la surprise et du paradoxe. En outre, le plaisirpropre à la séduction est essentiel.Après l’éloge de la beauté, Don Juan loue lechange amoureux.Tout le plaisir de l’amour réside dans la conquête et disparaîtlorsqu’elle s’achève. Le champ lexical de la guerre est très représenté : « réduire[…] le cœur », « combattre », « rendre les armes », « forcer pied à pied », « résistancesqu’elle nous oppose», «vaincre», «est maître», « conquête», « triompher», « résistance»,« conquérants», «de victoire en victoire». Et Don Juan de se comparer à Alexandre.

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z Sganarelle est hypocrite et peureux. Dans son argumentation, il manque delogique.Avant tout, il est le faire-valoir de Don Juan, le prétexte à ses incar-tades. Ce dernier éprouve le besoin d’étonner, d’effrayer et de provoquer sonvalet. Confident et complice, Sganarelle est un opposant de pure forme.

e Les maîtres supplient Scapin de les aider, et celui-ci n’hésite pas à se faireprier davantage. Ils ne protestent pas lorsqu’il leur parle avec désinvolture,même à Hyacinte, une femme dont il vient juste de faire la connaissance.Scapin donne des ordres, renvoie Hyacinte et distribue les rôles. Il dicte àOctave sa conduite et lui fait répéter la scène avec son père. Dans la bouchede Scapin, le champ lexical du théâtre est très présent – signe qu’il mène ladanse. Du point de vue de la dramaturgie, sa supériorité est nette. Elle trans-paraît dans tout son jeu. Le ton de ses répliques le montre : il use de nom-breuses exhortations (remarquer les phrases averbales et les impératifs). Iln’hésite pas à caricaturer le parler des maîtres. Il a la contenance que ceux-cin’ont pas et porte le comique de la scène.

r La différence tient d’abord à la longueur de ce qui reste rare chez les valetsde Molière : un monologue. Elle réside dans la solitude physique du protago-niste et dans sa sombre attitude. Il est seul et plongé dans l’obscurité (voir lesdidascalies). Le ton surprend aussi. Loin d’exprimer la joie, les exclamationsnombreuses disent le désespoir. La profondeur et le pessimisme des propostranchent avec le discours commun aux valets, peu coutumiers des retourssur leur existence passée, étrangers aux réflexions métaphysiques sur leurêtre. Enfin, la qualité oratoire de l’expression étonne. Elle est surtout sensibleà la fin de la tirade.

t Avant d’entrer au service de leurs maîtres respectifs, Figaro et Clindor ontconnu la même vie d’expédients.Aussi leur représentation se situe-t-elle àmi-chemin entre la tradition des valets de comédie et l’horizon d’attente duspectateur, d’une part, et la réalité sociale, d’autre part. D’échec en échec,Figaro s’est lancé dans la chimie, la pharmacie et la chirurgie, pour finir vétérinaire.Après le théâtre, il s’emploie chez un grand.

Travaux d’écriture

Question préliminaire• Registre comique de L’Illusion comique : scène traditionnelle de palabresentre un valet et son maître, l’extrait de Corneille relève de la comédie, avecdes accents de farce liés à Matamore, personnage de fanfaron.

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• Entre comique et tragique pour Dom Juan : en dépit du valet benêt issu dela tradition comique, Don Juan inquiète, et ses propos immoraux et provo-cants, à la limite du blasphème, donnent à la comédie des accents tragiques.• Registre comique des Fourberies de Scapin : Scapin appartient pleinement àla comédie ; son allant, son comique et son ingéniosité victorieuse en font ledigne héritier de la commedia dell’arte.• Registre tragique du Mariage de Figaro : enfin, Figaro, comique et victorieuxlui aussi, apparaît dans cet extrait particulièrement sombre. La comédierejoint le drame.

Commentaire

Introduction• Reprendre le chapeau pour situer l’œuvre et l’extrait.• Intérêt du passage : c’est la première apparition de Don Juan, personnageéponyme. L’attention du spectateur est tout entière captée par ce personnage,précédé par sa légende. Celle-ci vient d’être rappelée par son plus ferventserviteur et détracteur : Sganarelle.• Annoncer les trois axes de lecture.

1. Un portrait de Don Juan [sens de la scène]C’est la première scène où apparaît le personnage éponyme, apparition enchair et en os, à la suite du portrait dressé par le valet.A. Un séducteur conquérantLe champ lexical guerrier est très représenté (voir la réponse à la question 1).B. Un habile rhétoriqueurDon Juan développe un argumentaire serré pour défendre l’infidélité. Face àlui, Sganarelle est à court d’arguments.C. Un homme immoralLe maître renverse les préceptes moraux. Il fait fi de toute morale et, en blasphémant, annonce sa fin tragique.

2. Un face-à-face inégal [construction du texte]L’affrontement argumentatif entre le maître et le valet est fortement inégal.Pour Sganarelle, la confrontation dialectique se solde par un échec.A. Des volumes de parole différentsDe toute évidence, Don Juan parle davantage. Sa maîtrise de la parole estnettement supérieure à celle de son valet.

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B. La faiblesse argumentative de SganarelleLes interventions du valet révèlent son manque d’arguments. Elles soulignentla nette supériorité de Don Juan et consacrent sa victoire. Si Sganarelle a raison du point de vue de la morale, il échoue sur le plan oratoire.C. Un échange dialectique fonctionnelReste que, si le jeu est joué d’avance, l’échange maître/valet est nécessaire àla progression et à la légèreté de la scène.

3. Un face-à-face représentatif de l’ensemble de la pièce [effet]Ce premier échange entre le maître et son valet est emblématique de toute lapièce. Il en donne le ton et la teneur.A. Sganarelle, faire-valoir de Don JuanPar sa bêtise, mais aussi par ses questions, Sganarelle montre Don Juan. Il estcelui qui l’exhibe.B. Entre fascination et réprobationFigure du spectateur face à Don Juan, Sganarelle est séduit (au sens fort) parce dernier, en même temps que sa raison et sa morale l’en détournent. DonJuan sent le souffre. Il exerce une fascination qui est celle du mal, du déni detoute morale et de l’absence d’interdits.C. Un rire inquietDans cette comédie construite sur une alternance de scènes comiques etmalsaines, le rire n’est jamais franc. En cela, cette scène qui met face à face levalet issu de la tradition farcesque et le maître diabolique est emblématiquede l’ambivalence du registre et du genre de la pièce.

Conclusion• Ce portrait de Don Juan répond aux attentes du spectateur, élaborées d’aprèsla légende qui entoure le personnage et les dires du valet à la scène précédente.• Cette première apparition donne lieu à une confrontation représentative del’ensemble de la pièce par :– l’ambiguïté du ressenti face à Don Juan, personnage qui inquiète autantqu’il séduit ;– le mélange des registres : le comique de farce de Sganarelle coexiste avec lapathétique Elvire et le tragique Don Juan (voir sa fin).• Cette ambivalence confère à la comédie de Molière des accents baroques.

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Dissertation

Introduction• Il s’agit de s’interroger sur le rôle éventuel du théâtre comme tribune ouvéhicule de l’idéologie d’une époque. L’art dramatique est-il nécessairementengagé ? Ne perd-il pas de sa dimension artistique par un engagement tropprononcé ?• Annonce du plan.

1. Le théâtre comme tribuneA. Le théâtre engagé délivre un message, critique des situations sociales ou politiquesUn exemple est celui de Rhinocéros d’Eugène Ionesco dénonçant l’adhésionau nazisme.B. La spécificité du langage théâtral favorise le recours au théâtre comme tribuneL’impact est d’autant plus fort et le véhicule idéologique d’autant privilégié,que le spectateur est présent et que la réception est immédiate – et non différée comme avec la lecture.

2. Un écueil : le théâtre de patronageA. Le théâtre idéologique a une portée limitée dans le tempsCe théâtre est intimement lié aux circonstances de création, et hors de soncontexte il perd de sa vitalité. Nombre de pièces engagées, et dont la seulevaleur est dans cet engagement, ne connaissent aucune postérité.B.Art et engagementPrivilégier le message idéologique, c’est mettre entre parenthèses le plaisiresthétique, le jeu gratuit du verbe et du spectacle.

3. Du circonstanciel à l’atemporelA.Tout théâtre est nécessairement inscrit dans son époqueComme art mimétique, le théâtre reflète le contexte social et politique de sacréation.B. Dépasser le circonstancielDans la mesure où le théâtre pose des questions essentielles, c’est-à-dire liéesà l’essence du monde et de l’homme, il acquiert une vocation idéologiquenon restrictive et peut s’adresser à la postérité.

ConclusionPar sa spécificité, le théâtre a vocation à être une tribune. Mais le théâtre depatronage représente un échec de l’art dramatique, parce qu’il est strictementlimité à son contexte de création.

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Écriture d’invention• Quelques éléments sont à prendre en compte. Il semble utile de les rappeleraux élèves, voire de les leur faire noter. Ces consignes peuvent servir de support à l’évaluation des travaux.• Pour la clarté du propos, il est bon de structurer l’argumentaire deSganarelle en répliques ponctuées par des interventions de Don Juan.• Chaque réplique réfute un argument de Don Juan (voir la réponse à la première question de l’«Examen des textes »).• Il ne faut pas oublier que ce discours argumentatif s’inscrit dans le genredramatique. Ceci implique une mise en page spécifique, des didascalies sur leton, les gestes et mimiques éventuels des protagonistes.• Si Sganarelle démontre, il démontre à Don Juan et s’adresse à lui. C’est undialogue, un échange, dont Don Juan n’est pas absent, même si son temps deparole est bien moindre que dans la scène originelle. Le valet peut invectiverson maître, le réprimander, lui poser des questions. Il a à son service tous lesmoyens rhétoriques de persuasion. Le théâtre expose une théorie sansoublier de plaire.• Il est bienvenu de retrouver les traits de la personnalité de chacun des personnages (froideur hautaine et ironie du maître ; verve enjouée, un rienmaladroite, du valet).• Enfin, on peut essayer de rendre la couleur de l’époque avec des expressionsdu XVIIe siècle.

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A c t e I V , s c è n e 7 ( p p . 1 2 0 à 1 2 2 )

◆ LECTURE ANALYTIQUE DE LA SCÈNE (PP. 123 À 125)a Les vers 1225 à 1234, premier moment du monologue, sont structurés parl’opposition entre l’amour et la mort prochaine. Le vocabulaire et la syntaxesont explicites : les « aimables souvenirs » des « chères délices » s’opposent aux« infâmes supplices » ; leurs « charmants entretiens », d’une grande «douceur », per-mettent de lutter contre les « horreurs » d’un « mortel effroi ». Ces quatre versdisent assez le pouvoir et la force de l’amour contre l’angoisse de la mort.Cette opposition entre l’amour et la mort se poursuit dans les vers suivants,avant d’évoluer en mourir d’amour (v. 1238 à 1244).

z Dans les vers 1245 à 1264, le champ lexical change. Si ceux de l’amour etde la mort dominaient avant, celui de la tromperie est désormais prépondé-rant. On relève « flatte », « artifice » et « dissimuler », appliqués au personnagequi refuse de voir la réalité. Puis on note «perfidies », « déloyal » et « victime », et,dans un degré supérieur, « meurtrier », « assassine », « assassins », « meurtrepublic », ainsi que «honte » et « ruine ».Alors qu’il était question de la dimension privée de l’amour et d’une culpa-bilité rapportée à celle-ci, il s’agit à présent de la dimension sociale de lacondamnation. Dès lors, loin de s’accuser comme précédemment, Clindors’affirme innocent, victime d’une justice partiale. Cette remise en cause de lajustice fait écho à celle énoncée par Isabelle dans le monologue de la scène 1de l’acte IV.

e Aux vers 1265 à 1276, Clindor est en proie à la vision hallucinée de sonsupplice prochain. L’emploi du présent de l’indicatif renforce l’image, la rend présente aux yeux du spectateur. À cette impression d’immédiatetéconcourent d’autres choix stylistiques. Les verbes, nombreux, décomposentle supplice, en précisent chacune des étapes. Certains ont un sémantismefort : « frémis » (v. 1265), « se trouble », « s’égare » (v. 1274). On insiste sur le faitqu’il s’agit d’une vision : le verbe voir est employé à deux reprises (v. 1268 et1273), le nom «yeux» aussi (v. 1247 et 1269).La syntaxe, très simple, met en relief le « honteux appareil » du « trépas »(v. 1268), l’organisation de l’exécution. La construction récurrente est : Sujet(Je) suivi du Verbe et d’un Complément. Le lexique est significatif : « frémis »,« triste aventure », « torture », « nuit », « trépas », « funestes », « sinistres », « fatal »,

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« mort », « se trouble », « s’égare », « peur », « mourir ». Les adjectifs qualificatifs« funestes », « sinistres » et « fatal » sont particulièrement importants. Ils insis-tent sur la terreur ressentie. Enfin, des détails réalistes accentuent l’horreur :la lecture des mandements du sénat, les fers aux pieds et les huées du peupleassemblé.

r Le monologue est construit selon cinq mouvements clairement articulés :– 1er moment : l’amour permet à Clindor de supporter l’angoisse du suppliceprochain.– 2e moment : mais c’est à cause de cet amour qu’il meurt. Coupable d’unexcès de témérité, Clindor a aimé au-dessus de sa condition.– 3e moment : partiale, la justice le condamne pour un crime qu’il n’a pascommis.– 4e moment : dans le silence de sa cellule, en proie à la vision hallucinée desa fin, seul l’amour le rassérène.– 5e moment : enfin, le bruit de la porte qui s’ouvre l’arrache à ses sombrespensées.

t Dans l’ensemble du monologue, le champ lexical le mieux représenté estcelui de la mort. Celui de l’amour n’apparaît que dans les premiers vers.

y La première phrase (v. 1225 à 1228) est de type exclamatif, sous-catégoriedu type déclaratif. Il faudra rappeler si nécessaire qu’il y a trois types dephrases : déclaratif (dont exclamatif, et la phrase peut être affirmative ounégative), interrogatif et impératif. Il faudra rappeler aussi qu’il n’y a pasnécessairement équivalence entre un vers et une phrase. Les autres phrasesexclamatives se trouvent aux vers 1241, 1245 et 1246.

u Ce monologue s’inscrit dans le registre pathétique, qui privilégie les émo-tions intenses : l’amour pour Isabelle et la gloire de mourir pour elle ; la hained’une justice partiale qui l’assassine ; l’angoisse de la mort, traduite par lavision hallucinée du supplice final.

i Le premier mouvement du monologue s’adresse à Isabelle (v. 1225 à1244), citée au vers 1242. Mais, jusqu’à ce vers, Clindor pouvait égalements’adresser à Lyse. L’ambiguïté est maintenue aussi longtemps que possible. Ledéveloppement sur la justice et la vision funeste sont adressés à Clindormême, comme s’il pensait à voix haute. Et c’est à nouveau l’adresse directe àIsabelle (v. 1277) qui l’arrache à ses pensées « funestes ». Le dernier vers estadressé à celui qui ouvre la porte, désigné comme « ami ».

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On peut remarquer que le spectateur, qui doutait des sentiments du per-sonnage (depuis la scène 6 de l’acte II, où il déclare aimer Lyse), est rassuré,d’autant que la parole est sincère : Clindor est seul.

o Clindor lutte contre sa peur de la mort grâce à la force de son amour. Dèsles premiers vers, le champ lexical de l’amour et celui de la mort s’opposent(v. 1225 à 1244), et c’est le souvenir d’Isabelle qui l’arrache à la sinistre visionde son supplice.

q La conception courtoise de l’amour apparaît dans la gloire liée au servicede la dame (v. 1242) et à la mort d’amour. Les vers 1241 à 1244 sont expli-cites. La syntaxe du vers 1244 établit l’équivalence entre gloire et mortamoureuse.

s Clindor n’est pas coupable d’avoir tué Adraste, et il critiquera plus loinune justice partiale. Selon lui, il a aimé au-dessus de sa « fortune » ; sa « flamme»était « injuste » et son « espoir coupable » (v. 1238). Il a pêché par « excès de témé-rité », excès proche de l’ubris des tragédies grecques.Tels ces héros antiquespunis d’avoir voulu rivaliser avec les dieux, Clindor a aimé au-dessus de sacondition. Il est sorti de son rôle.

d La peur de la mort est tout humaine. Clindor n’est pas un surhomme.Avec simplicité, il avoue son angoisse de mourir, bien différent en cela deshéros tragiques.Cette transformation du héros relève de l’esthétique baroque, qui affectionnela surprise et ses corrélats, le masque et la métamorphose.

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 126 À 133)

Examen des textes

a Dans les deux scènes, la description de la mort met en relief des détailspeu nombreux mais d’une précision clinique.Dans Rodogune, on relève, dans le discours du personnage éponyme, à proposde Cléopâtre : « ses yeux / Déjà tout égarés, troubles et furieux » ; « Cette affreusesueur qui court sur son visage » ; «Cette gorge qui s’enfle ».Dans Phèdre, on lit : «Dans ce cœur expirant jette un froid inconnu ; /Déjà je ne voisplus qu’à travers un nuage ».

z Cléopâtre et Rodogune se présentent au spectateur comme deux monstres.Elles ont toutes deux commis des crimes contre nature et ne peuvent expier

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qu’en mourant. Par leur seule présence, elles souillent le monde et doiventdisparaître.Toutes deux se donnent la mort, autre crime dans la religion chrétienne.Cependant, Phèdre a conscience de la faute irréparable qu’elle a commise.Elle disparaît pour purger le monde et meurt dans un repentir qu’elle saitinutile. À l’opposé, Cléopâtre expire au milieu des imprécations, pleine dehaine.Tandis que Phèdre appelle le pardon, Cléopâtre voue les siens à unfuneste avenir («Puisse le ciel […] un fils qui me ressemble »). Elle meurt pour nepas survivre à son échec et assister au triomphe de sa rivale. Phèdre est à lafois coupable et victime des instruments d’un destin fatal (incarné par le Cielet Œnone). Cléopâtre est aliénée dans sa folie. Jamais elle ne se repent.

e Pleinement victime, Osvald hérite d’une maladie mortelle, qui lecondamne à une lente dégénérescence physique et cérébrale. Pour soulagerses souffrances, sa mère devra le tuer. À l’opposé, les deux héroïnes sont cri-minelles, repenties ou non. Elles mettent fin à leurs jours et meurent brutale-ment. Cependant, proche d’Osvald, Phèdre se dit victime d’une héréditémalheureuse. Elle est l’enfant d’une lignée honnie des dieux et paie la fautede ses ancêtres.

r Dans Rodogune, Oronte prononce la parole apaisante. Il rappelle l’inno-cence d’Antiochus. La criminelle est punie par la volonté du Ciel. Elle meurtde ses propres mains, non par celles de son fils. Il est important que le futurroi soit pur de toute tache. On note la répétition de « juste » (« justes rigueurs »,« juste ciel »). La tirade met en relief l’adjectif « innocentes ». Enfin,Antiochusrecherche dans «d’autres sacrifices » que ceux destinés à son mariage la faveurdes dieux (voir la rime « sacrifices »/«propices »).Dans Phèdre,Thésée recherche le même apaisement dans les honneurs rendusà son fils. Là aussi, les cérémonies tendent à « apaiser [les] mânes irrités ».Dans Les Revenants, Mme Alving cherche à nier la terrible réalité. Ses néga-tions sont nombreuses (« Mais ce ne sera pas nécessaire. Non, non, ce n’est pas possible ! »). Pour elle, ce sont les fruits de l’imagination d’Osvald (noter larépétition : « les fruits atroces de ton imagination » ; « Rien que ton imagination »).Elle ramène la scène à une simple « crise », cherchant à rassurer Osvald et surtout elle-même. Mais la scène s’achève tragiquement. Il n’y a pas d’apaise-ment possible, si ce n’est celui d’une lente dégénérescence et celui de la morphine.Tandis que dans les deux autres tragédies s’ouvre une périodepacifiée, «purgée » (purgation des passions), Les Revenants s’achèvent sur uneperspective sombre, niant tout avenir heureux.

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Travaux d’écriture

Question préliminaireLes genres et registres des textes B, C et D sont aisément définissables.• Rodogune : personnages de haut rang – des rois et reines – et issue tragiqueavec la présence marquée des dieux, qui influencent, voire dictent, la destinéehumaine. On est pleinement dans le registre tragique et la tragédie.• Phèdre : idem, avec une insistance plus forte sur la présence divine. Le Cieldirige le destin des hommes, simples exécutants, partiellement responsables.• Les Revenants : les personnages ne sont pas nobles. Le registre est néanmoinstragique : l’hérédité génétique remplace le destin antique. L’issue de la piècerelève de la tragédie.

Commentaire

Introduction• Situer l’extrait.• Formuler son intérêt : au dénouement de la pièce, moment clé s’il en est, laterreur s’installe et, grâce à une esthétique de la suggestion, s’empare duspectateur.• Annoncer le plan du devoir.

1. Le face-à-face de la mère et du filsA. Deux attitudes opposées• Mme Alving subit la crise. Ce qui apparaît nettement dans :– la ponctuation de ses répliques, où figure une majorité de points d’excla-mation ;– ses cris : voir les didascalies, notamment « tremblante de peur », «Poussant ungrand cri », « les deux mains dans ses cheveux ; criant » ;– ses gestes, en particulier à la fin de la scène.• Cette attitude expressive s’oppose au calme tendu d’Osvald. Il refuse les criset montre davantage qu’il ne parle (exemple : « Posant le doigt sur son front ;doucement »). Il est dans la réticence expressive. Dans la seconde partie de lascène, lorsqu’il réclame le soleil, il reste immobile dans le fauteuil, se rabou-grissant et tendant à disparaître, et parle toujours d’une voix sourde.B. Une méprise tragiqueLe rapport entre la mère et son fils est faussé. Elle pense le soigner, il luidemande de le tuer.

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2. Pour communiquer l’indicible : une esthétique de la réticenceA. L’importance de la ponctuationDe manière récurrente, les locuteurs n’achèvent pas leurs phrases, dont la finest matérialisée par un tiret.B. Figure rhétorique de la prétérition et force suggestive des imagesJamais la maladie n’est nommée, ni précisément décrite. Règnent les non-ditet les images les plus suggestives. Osvald dit que « tout cela est plus dégoûtantqu’on ne peut l’imaginer », affirmant ainsi son impuissance propre à exprimerl’indicible. Il précise que ce n’est pas « une maladie ordinaire ». Jamais il ne ladésigne clairement (seuls des pronoms, souvent indéfinis, la désignent : « elle »,« tout cela », « c’»). De même, il échoue à en décrire les manifestations :« Redevenir comme un petit bébé qu’il faut nourrir, dont il faut –. Non, je ne peuxpas en parler ! » Il recourt à deux images : celle du «petit bébé qu’il faut nourrir »et celle des « rideaux de velours de soie rouge cerise », «doux à caresser » pour sug-gérer la « mollesse du cerveau ». Cette mollesse n’est elle-même qu’uneapproche d’un des symptômes de la maladie, Osvald ajoutant : « ou quelquechose de ce genre ».C. Des didascalies nombreusesUne telle importance montre que les gestes remplacent souvent les mots.On mime l’horreur, on l’esquisse, davantage qu’on ne la dit. Ainsi, Osvald« posant le doigt sur son front ; doucement », et ajoutant seulement : «Elle est là. »La maladie et sa localisation sont désignées par des pronoms et un geste.

3. L’issue d’une tragédieA. Une situation en huis closLes deux personnages se retrouvent isolés et enfermés dans une seule pièce.Le jour qui se lève et l’apparition du soleil ne sont qu’une fausse ouverture,le soleil symbolisant ici, de manière inversée, la mort.B. Une figure du destin antiqueLa maladie héréditaire d’Osvald, qui fait de lui la victime innocente descrimes de son père, remplace le destin antique.C.Variation par rapport aux tragédies classiquesLe rideau se baisse sur une image forte : celle d’Osvald immobile, sans vie,condamné à végéter dans son fauteuil. Face à lui, sa mère est au désespoir.Aucun avenir n’est permis. Aucune espérance, même celle d’un enseigne-ment à tirer, n’est possible. C’est la différence avec les tragédies antiques et duXVIIe siècle, dont le but est de purger les passions mauvaises. De fait, elles

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s’ouvrent sur une situation de crise, mais leurs dénouements inaugurent untemps d’apaisement.

ConclusionAu dénouement, les deux personnages principaux se retrouvent seuls, face à eux-mêmes. L’horreur s’installe – celle qu’on ne peut exprimer et que suggèrent les non-dit et les gestes, les prétéritions et les images.Si l’issue est celle d’une tragédie (huis clos et figure du destin), contrairementaux pièces classiques, aucun apaisement ni aucune leçon ne sont à espérer.Le pessimisme de cette fin serait-il lié à une époque désenchantée ?

Dissertation

Introduction• La tragédie est un genre théâtral, défini par la présence de personnages dehaut rang. Ils sont confrontés à une situation de crise, dont l’issue est mal-heureuse, souvent mortelle. Après la tragédie antique, l’apogée du genre sesitue au XVIIe siècle avec Corneille et Racine notamment. Le tragique est unregistre exprimant « la prise de conscience par l’homme des forces qui pèsent surlui, le dépassent et le dominent » (Viala, Schmitt, Savoir lire, Didier, 1982,p. 212). Si tragique et tragédie semblent intrinsèquement liés, le tragiques’incarne-t-il uniquement dans la tragédie et celle-ci est-elle nécessairementtragique ?• Annonce du plan.

1. Le tragique dans d’autres genresA. La définition du tragique ne désigne pas la tragédie comme un genre privilégié pourl’expression de celui-ciLe tragique exprime la prise de conscience par l’homme des forces qui ledominent. Cette définition ne désigne pas la tragédie comme un genreintrinsèquement lié au tragique. Aussi, le tragique ne se manifeste-t-il pasque dans la tragédie et toutes les tragédies ne sont pas nécessairement tragiques.B. Le tragique se manifeste dans des genres et à des époques différents• Dans le roman ; ainsi Madame Bovary de Flaubert : aveuglée par son insa-tisfaction, Emma découvre l’immense amour de Charles au moment demourir ; trop tard, elle réalise l’étendue de son erreur.• En poésie ; dans le sonnet « La Cloche fêlée » tiré du recueil des Fleurs dumal de Baudelaire :

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«Moi, mon âme est fêlée, et lorsqu’en ses ennuisElle veut de ses chants peupler l’air froid des nuits,Il arrive souvent que sa voix affaiblieSemble le râle épais d’un blessé qu’on oublieAu bord d’un lac de sang, sous un grand tas de morts,Et qui meurt, sans bouger, dans d’immenses efforts. »

2. Pourquoi la tragédie semble-t-elle une forme privilégiée de l’expres-sion du tragique ?A. Le mécanisme de la tragédie• D’après Jean Anouilh, dans Antigone, la tragédie est régie par un mécanismeinéluctable, un système de remontée vers une inévitable fin tragique.Au leverdu rideau, le Prologue s’avance et présente l’héroïne : «Elle s’appelle Antigoneet il va falloir qu’elle joue son rôle jusqu’au bout… Et, depuis que ce rideau s’est levé,elle sent qu’elle s’éloigne à une vitesse vertigineuse […] de nous tous, qui sommes làbien tranquilles à la regarder, de nous qui n’avons pas à mourir ce soir. » Au dénoue-ment, le chœur répond en écho : « Tous ceux qui avaient à mourir sont morts.Ceux qui croyaient une chose, et puis ceux qui croyaient le contraire – même ceux quine croyaient rien et qui se sont trouvés pris dans l’histoire sans y rien comprendre. »• Les personnages de la tragédie sont appelés à mourir. C’est leur rôle.B. Le resserrement de l’espace et du tempsLa règle classique des trois unités implique un resserrement de l’espace, dutemps et de l’action, favorisant l’impression de huis clos, voire d’étouffement.C. Des personnages emblématiquesParce qu’ils occupent un rang élevé et semblent inaccessibles, les personnagesde tragédie perdent leur identité. En se désincarnant, ils deviennent desreprésentants de la condition humaine. Certes, les formes du tragiquevarient : les dieux, le caractère du personnage, en particulier le défaut d’ubrisou «démesure », l’hérédité.

3.Tragique et plaisir artistiqueA. Le plaisir d’une mécanique bien huiléeLe tragique s’exprime à travers la mise en œuvre d’une force implacable etdonne le plaisir d’assister à une exécution sans faille.B. La sublimation par la mise en spectacleLoin de la vie réelle, en art le tragique devient source de beauté et d’émo-tion, par sa mise en spectacle et par son dépassement. Il est comme maîtrisé

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par sa représentation. On retrouve dans la tragédie un genre privilégié, avecla catharsis dont le but est de soulager, pacifier, purger les passions mauvaises.

ConclusionSi le tragique n’est pas nécessairement lié à la tragédie, les composantes decette dernière en font néanmoins la forme d’expression privilégiée de ceregistre. Le tragique est sublimé par le plaisir esthétique né de la représenta-tion d’une mécanique implacable.

Écriture d’invention• L’exercice implique de changer de genre, d’évoluer du théâtre à l’épisto-laire.Aussi la forme propre à la lettre doit-elle être respectée et clairementapparaître : mise en page spécifique, formules particulières, sans omettre lesmarques d’adresse au destinataire.• Le contenu de la lettre reprend la scène, mais d’un point de vue différent.D’extérieur au théâtre, il devient intérieur. C’est celui de Mme Alving, qui,en plus du récit des faits, commente la scène et fait part de ses sensations etréflexions au moment du drame, et éventuellement au moment de l’écriturede la lettre. Ceci implique l’emploi de deux temps : le passé des faits narrés etle présent de la narration (les commentaires de Mme Alving).

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◆ LECTURE ANALYTIQUE DE LA SCÈNE (PP. 150-151)En dépit de noms différents, le spectateur est persuadé que Théagène etHippolyte ne sont autres que Clindor et Isabelle. Au fil de la scène, desindices favorisent cette interprétation : des éléments de leur vie passée et destraits de leurs caractères.

a À l’arrière-plan de la dispute amoureuse, se dessine en filigrane l’itinérairedu couple. Celui-ci favorise l’identification de Théagène et Hippolyte àClindor et Isabelle. Hippolyte a abandonné sa fortune, bien supérieure à cellede Théagène, pour suivre celui-ci. Elle a dédaigné d’autres prétendants et sacri-fié la tendresse de son père pour ce simple soldat (v. 1394-1398). Hippolyte aaccompagné Théagène dans sa fuite (v. 1402), fuite que le spectateur associe à lafin de l’acte IV, où Clindor et Isabelle quittent la prison et la ville.

z Le caractère d’Hippolyte offre des ressemblances troublantes avec celuid’Isabelle. Fidèle dans son amour et désintéressée, elle a tout sacrifié à sonamant, allant jusqu’au bout de sa logique amoureuse (v. 1391 à 1408).AimantThéagène plus qu’elle-même, elle craint le juste courroux du mari trompé(v. 1501 à 1517). Enfin, sa propre mort ne l’effraie pas. Comme Isabelle, ellerefuse de survivre à Théagène ou de servir la vengeance du mari (v. 1525 à1544). Son attitude annonce les héros des grandes tragédies cornéliennes.Ainsi, sa magnanimité et sa grandeur d’âme convertissent Théagène, grâce àl’admiration qu’elle lui inspire : le verbe « admirer » est employé au vers 1549.La conversion merveilleuse (v. 1546) a la force de l’évidence, est immédiateet irréversible : «C’en est fait, elle [la brutale ardeur de Théagène] expire […]»(v. 1553).Tous en perdent jusqu’au souvenir.Ce mouvement est commun à nombre de tragédies de Corneille. C’estmême une spécificité du dramaturge, qui fait de l’admiration un moyen depurger les passions mauvaises, différent de la crainte et la pitié (catharsis tra-ditionnelle depuis Aristote, illustrée notamment par Racine). À la fin deCinna ou la Clémence d’Auguste, les éléments déjà présents ici sont amplifiés :l’admiration pour la vertu d’Auguste entraîne une conversion immédiate,ayant la force de l’évidence. Alors qu’Auguste découvre l’ampleur de laconspiration contre lui, trahison organisée par ses plus proches amis, contretoute attente il pardonne. Devant une telle force d’âme, étonnés par ce

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caractère magnanime, les coupables Émilie et Cinna se rangent sous ses lois(v. 1715 à 1720 et 1725 à 1729) :

«ÉMILIE

Et je me rends, Seigneur, à ces hautes bontés.Je recouvre la vue auprès de leurs clartés,Je connais mon forfait, qui me semblait justice,Et, ce que n’avait pu la terreur du supplice,Je sens naître en mon âme un repentir puissant,Et mon cœur en secret me dit qu’il y consent.[…]Ma haine va mourir, que j’ai crue immortelle.Elle est morte, et ce cœur devient sujet fidèle,Et prenant désormais cette haine en horreur,L’ardeur de vous servir succède à sa fureur. »

La conversion est spectaculaire : totale et irréversible (le cœur est touché), elleest aussi immédiate (« Ma haine va mourir » / « est morte »). Cinna enchaîne(v. 1727-1728) :

«CINNA

Ô vertu sans exemple ! ô clémence qui rendVotre pouvoir plus juste, et mon crime plus grand ! »

Auguste emploie alors deux termes essentiels : « Cesse d’en retarder un oublimagnanime» (nous soulignons, v. 1729).Le caractère de Théagène offre également des parentés avec celui de Clindor.C’est un homme volage, oscillant entre deux femmes. Néanmoins, commeClindor, il reste fidèle à sa foi première et la réaffirme toujours après un chocémotif : tandis que la prison et l’imminence de la mort confirment Clindordans ses sentiments pour Isabelle, la vertu d’Hippolyte emporte le cœur deThéagène. Légers certes, les deux personnages sont fondamentalementfidèles, et il ne s’agit jamais que d’une « moindre brèche à la foi conjugale »(v. 1433).

e Hippolyte surprend Théagène en flagrant délit de séduction. Blessée dansson amour davantage que dans son orgueil, elle lui reproche son infidélité.Théagène tente de se justifier.

r Exorde (entrée en matière, première partie d’un discours dans la rhéto-rique ancienne) : expression de l’indignation (v. 1383 à 1390). Registrepathétique qui privilégie les émotions intenses.

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Premier temps – reproche : alors qu’Hippolyte a tout laissé pour Théagène– l’affection d’un père et la fortune sociale –, celui-ci l’abandonne (v. 1391 à1408).Deuxième temps – déplacement : Théagène ne trahit plus la confiancequ’Hippolyte lui a accordée, mais celle de son bienfaiteur, dont il volel’épouse (v. 1439 à 1460).Troisième temps – retournement : Hippolyte pardonne. Parce que sa beautése fane, elle comprend et accepte la lassitude de son époux. Elle veut croireque leur lien conjugal survivra à cette épreuve (v. 1489 à 1500).Quatrième temps : ni elle, ni le maître n’importent. Seul compte Théagène,qui risque sa vie dans cette aventure (v. 1501 à 1517).Dernier temps : Hippolyte court au trépas. Après la mort, assurée, deThéagène, elle refuse de servir la vengeance du mari trompé et préfère mourir de suite (v. 1525 à 1544). À ce moment, séduit, touché, rempli d’admiration pour la vertu de sa femme,Théagène revient à lui-même.

t À Hippolyte qui lui reproche d’avoir tout abandonné – la fortune et l’af-fection d’un père – pour le suivre, lui misérable soldat,Théagène répliquequ’elle n’écoutait que son amour, ses « propres désirs » (v. 1412). En outre, enle suivant, elle laissait ses biens et n’apportait en partage que sa flamme,inutile et encombrante, car à l’origine de « cent et cent dangers » (v. 1415 à1420). Démunie de tout bien, grâce à lui aujourd’hui, elle marche « à côté desprincesses » (v. 1422). Ainsi, selon Théagène, en rien forcée de le suivre,n’obéissant qu’à ses « plaisirs » (v. 1411) et « désirs » (v. 1412), handicap plutôtqu’adjuvant, Hippolyte est loin d’avoir perdu au change.Le deuxième temps de la réplique commence au vers 1425. D’aprèsThéagène, Hippolyte exagère. Elle n’a à se plaindre ni de « froideurs », ni de«mépris » (v. 1427). Il ne s’agit que d’une « brèche à la foi conjugale » (v. 1433).Lorsque Hippolyte change de registre et reproche à son époux son ingrati-tude, non plus envers elle mais envers celui qui l’a comblé de bienfaits et l’aélevé au rang qu’il connaît aujourd’hui,Théagène réplique que la questionne se pose pas en termes de devoir. Elle-même le sait, qui a laissé son pèrepour lui. En outre, comment penser que, si son amour pour elle n’a pu fairedisparaître sa passion nouvelle, un quelconque souci de reconnaissance yparvienne (v. 1463-1464 et 1472 à 1475) ? Et il oppose deux sortesd’amours : le « conjugal amour », profond et durable, et l’amusement passager,la « surprise », « la folle ardeur » d’« un jour » (v. 1479 à 1488).

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y Tout d’abord, Hippolyte éprouve de l’indignation outragée (v. 1383 à1390) et de la colère (v. 1391 à 1408).Apparaissent surtout des griefs d’ordrematériel. Puis, lorsqu’elle reproche à Théagène son infidélité envers son bien-faiteur, sa colère est moins vive, et d’enflammé le ton se fait moralisant(v. 1439 à 1460). Succèdent le repentir d’en vouloir à Théagène et de l’accu-ser (v. 1484 à 1500) et la crainte du danger encouru par lui (v. 1500 à 1517).Enfin, après le désespoir exprimé par sa résolution de mourir (v. 1525 à1544), elle pardonne. C’est la clémence qui s’exprime alors (v. 1556). De l’in-dignation à la colère, du repentir à la peur, du désespoir à la clémence, lapalette des sentiments est ample. Sans fard, l’héroïne exprime avec justesse lamoindre de ses émotions et la communique au spectateur.

u Deux retournements, moins de situation que de sentiment, ponctuentcette scène. Le premier est le revirement d’Hippolyte au vers 1489. Elle acca-blait son mari de reproches, elle lui demande pardon de s’être emportée et dene l’avoir pas compris. Ce changement subit apparaît lorsque Théagène seprésente en victime de sa passion et qu’il montre la différence entre celle-ciet l’amour conjugal. Le second retournement touche Théagène. L’admirationéprouvée face à la vertu de son épouse le convertit immédiatement et défi-nitivement (voir remarque sur la magnanimité d’Hippolyte et la force del’admiration, question 2).

i Les registres sont variés, plus ou moins représentés. Dans le réquisitoired’Hippolyte, l’éthique privilégie la question des valeurs morales. Chez lesdeux époux, le registre lyrique manifeste les sentiments intimes, et le pathé-tique – surtout chez Hippolyte – les émotions intenses. Enfin, dans la pein-ture de Théagène victime d’une passion contre laquelle il ne peut lutter,dût-il en mourir, se manifeste le registre tragique.Théagène dit toute sonimpuissance face à la fatalité amoureuse, force qui pèse sur lui et le domine.

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 152 À 162)

Examen des textes

a Une série de termes et expressions appartient au langage de la passionamoureuse : « charmée » (sens fort du charme ou sortilège amoureux), « je tevis, je défaillis ; je brûlai d’une flamme inconnue » (paroles reprises par la Phèdrede Racine), « ma destinée m’entraînait ; tes yeux avaient attiré mes regards », « laflamme », « Ces mots […] touchèrent le cœur », « bientôt prise [au sens de prison-

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nière, capturée par] à tes paroles », « la proie d’un ravisseur étranger », «mon époux,qui seul était tout pour moi », « je ne puis rien contre un seul homme», « je ne sauraiséchapper à ma propre flamme », « me laissent sans pouvoir », « Le jour n’a plus d’attraits pour moi […] ; mon art me sert mieux pour les autres que pour moi ».Dans l’enamoramento, la vue joue un rôle essentiel. Les termes décrivant lapassion ont un sémantisme fort. En outre, ils expriment souvent la des-truction et la mort. Médée ne peut lutter contre la flamme qui la détruit. Lapassion est dévastatrice.

z Le premier et principal argument de la Comtesse repose sur un renverse-ment rhétorique. Loin d’être immorale, l’infidélité répond à une exigence defidélité par rapport aux mouvements du cœur. Elle relève de l’honnêteté, durespect des partenaires amoureux. Lisette renchérit : l’infidélité est un devoir.Le second argument ne relève pas de la morale. La Comtesse entend que sonamour-propre soit satisfait. Elle est jeune et belle, elle refuse de ne séduirequ’un seul homme. Le troisième argument n’appelle aucune discussion :l’infidélité masculine est un fait acquis.Le dernier argument est récurrent, chez Don Juan et Almaviva entre autres :l’amour, ou l’estime, ennuie. Le plaisir est dans le change. Cette scène entre laComtesse et la suivante rappelle celle qui oppose Don Juan à Sganarelle(donnée en extrait à la suite de la scène 2 de l’acte II de L’Illusion comique,p. 61). On retrouve la même supériorité argumentaire du maître sur le valet,et sur le même thème : l’inconstance amoureuse du maître.

e Le Comte regrette que le mariage ait uniformisé, rendu monotone sapassion. Son épouse n’a pas su le garder, par manque de piquant et l’absencede refus. Lorsque tout semble acquis, sans variété aucune, l’amour se lasse.Selon le Comte, la femme a la charge d’entretenir la relation et le désiramoureux.Tout repose sur elle. Chez le Comte, cette théorie révèle unenostalgie guerrière, un besoin renouvelé de conquête. La femme doit conti-nuer de ne pas s’abandonner complètement, elle doit rester l’objet àconquérir. D’où l’importance du jeu amoureux, de la surprise renouveléede l’amour – thématique omniprésente dans les comédies de Marivaux.

r Jamais désignée de manière univoque, la jalousie de Swann est décritegrâce aux images de la maladie. Il est question de « tristesse » (répété deuxfois) et de mort (« morbide », « fièvre du suicide »). Comme toute maladie, elleest appelée à guérir (« Il se rendait compte alors que cet intérêt, cette tristesse n’exis-taient qu’en lui comme une maladie, et que, quand celle-ci serait guérie […]»).

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Travaux d’écriture

Question préliminaireGenres et registres des différents textes :• L’Illusion comique de Corneille : c’est une comédie baroque, alternant scènescomiques et tragiques, et jouant du mélange des genres et des registres. Lascène 3 de l’acte V convoque les registres pathétique (expression de senti-ments intenses) et lyrique (expression de l’intime). Par le rang élevé des per-sonnages, par le sujet de leur discours (la foi conjugale trompée, avecmenaces extérieures et intérieures de mort), et par les registres représentés,cette scène appartient à la tragédie. L’issue de la scène suivante est tragique.• «Lettre de Médée à Jason » d’Ovide : le genre est l’épistolaire. Les registressont le pathétique et le lyrique.• L’Heureux Stratagème de Marivaux : il s’agit d’une comédie (personnagesbourgeois et issue heureuse). Le registre est comique (répliques de la suivante,mauvaise foi de la maîtresse). Ponctuellement, lorsque la Comtesse entenddémontrer à sa servante le bien-fondé de l’adultère, le registre est didactique(la réalité est la matière d’un enseignement, moral, religieux, scientifique…).• Le Mariage de Figaro de Beaumarchais : c’est une comédie. Les personnagesappartiennent à la bourgeoisie et le dénouement est heureux. La scèneconvoque les registres comique (comique de situation avec la méprise duComte et Suzanne et Figaro dissimulés) et didactique (le Comte expliqueune situation et entend convaincre la Comtesse).• Un amour de Swann de Proust : le genre est le roman. Les registres représen-tés sont le didactique (exposé du mécanisme du mensonge), le lyrique(manifestation de sentiments intimes) et le romanesque (qui mêle les rêverieset la sentimentalité à la perception de la réalité).

Commentaire

Introduction• L’extrait à étudier est remarquable par l’emploi d’une écriture policée,parfaitement maîtrisée, pour décrire le désarroi du personnage principal,en proie aux affres de la jalousie.• Annonce du plan.

1. Le jeu des forcesA. Une esquisse d’Odette de Crécy, amante insaisissable et désinvolteL’extrait offre un portrait en creux d’Odette de Crécy, dressé par un Swannamoureux et jaloux.

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B. La vision du personnage de SwannÀ travers son comportement, l’analyse qu’il fait d’Odette et celle de ce qu’ilressent, Swann se révèle un amant inquiet et tourmenté, à la fois inquisiteuret amoureux. Swann offre un terrain favorable au développement de lajalousie. Il reconnaît tout de suite le mensonge (selon lui) d’Odette.C. Le renversement des forcesCelui qui cherche la maîtrise de l’autre la perd. L’investigation systématiqueconduit au doute généralisé.

2. L’emprise d’une vision déformanteA. Le doute généraliséLes expressions de modalisation traduisant le doute sont nombreuses : « Ilcroyait qu’elle était là » ; « [il] crut entendre du bruit » ; « croyant entendre des pas ».Swann évolue dans l’univers de la croyance, dans le domaine du subjectif etde l’interprétation (« il pensait » ; « il se doutait bien que »).B. La prolifération de la jalousieLes images évoquant une maladie proliférante sont légion. Mais celle-ciconnaît des limites et, comme toute maladie, est appelée à guérir.C. Le lyrisme d’une description cliniqueL’analyse du mensonge et de la jalousie atteint une précision presque cli-nique. Elle n’en offre pas moins une grande poésie. Le rythme des phrases(périodes) est ample et les images sont d’une extrême poéticité. Certainesexpressions séduisent par leurs sonorités et leurs rythmes : «piété avide et dou-loureuse » ; « comme le voile sacré […] introuvable » ; « illisibles et divins vestiges » ; « lesouvenir receleur ». La dernière phrase de l’extrait est une synthèse. Reprenantl’ensemble du texte, elle est une manière d’accord final, comparable à celuid’un morceau de musique.

3. Une rigoureuse analyseA. La lucidité de SwannLa précision de la description du mensonge et de la jalousie traduit la lucidité de Swann.B. L’affirmation du subjectif comme véritéSwann présente son analyse comme vraie. L’emploi du présent de véritégénérale est récurrent.

ConclusionDe manière significative, la richesse du texte réside dans la poésie et la rigou-reuse précision de la description du mensonge et de la jalousie, dans leurs

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mécanismes et leurs manifestations. On note le contraste entre le lyrismedescriptif, l’emphase expressive et le prosaïsme de l’objet décrit : une trompe-rie non avérée par une « femme qui n’est pas le genre » de Swann (clôture duroman, le héros guéri se rappelle son amour et sa souffrance). Plusieurschamps lexicaux s’entremêlent. Ils tissent le texte. C’est la « tristesse morbide »de la jalousie, maladie jamais nommée, qui accapare tout l’être et déforme laperception du réel. Ce sont le caractère sacré de la Vérité, selon Swann, et laplace démesurée accordée à l’interprétation.

Dissertation

Introduction• La jalousie se définit comme un désir de possession exclusive, opposé à laliberté et au respect de l’autre. Mais la jalousie est aussi un sentiment lié ausoupçon, ou à la certitude, de l’infidélité. Parce qu’il n’y a pas qu’une sorted’amour, il existe des jalousies de natures différentes.• Problématique : le sujet conduit à s’interroger sur la conception de l’amoursupposée par une telle affirmation, et par conséquent sur les fondements dusentiment amoureux.• Annonce du plan du devoir.

1. Origines de l’amour impliquant la jalousieCertaines causes aux sources de l’amour favorisent la jalousie.A. L’amour repose sur le désir physiqueAinsi, dans Les Liaisons dangereuses (1782) de Choderlos de Laclos.B. La vanité est à l’origine de l’amourDans l’œuvre de Stendhal, de manière récurrente, il s’agit d’aimer un être quifait honneur.C. L’amour naît de l’imagination, source de jalousieC’est le cas chez Stendhal et Proust. Selon ce dernier, la personne aiméeimporte peu. Ce qui compte, c’est qu’elle réponde à la conception que nousavons de l’amour. Seule importe l’idée.D. Le besoin de possession, de domination d’un autre peut fonder l’amourAussi, les efforts de l’être aimé pour fuir ne font qu’augmenter l’amour, maisun amour fondé sur la jalousie.

2.Amour ne veut pas dire jalousieA. L’amour repose sur le goûtDans Le Misanthrope de Molière, une conception identique de la vie

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rapproche Éliante et Philinte. L’union repose sur l’accord des caractères etdes intelligences.B. L’amour se fonde sur l’admirationLes tragédies de Corneille illustrent l’amour-admiration. Les personnagesaiment les qualités héroïques. C’est le cas de Chimène et Rodrigue dans LeCid, de Pauline et Polyeucte dans Polyeucte.

3.Amour et jalousie : un duo littéraireComme le rappelle Denis de Rougemont dans L’Amour et l’Occident (1938),« l’amour heureux n’a pas d’histoire dans la littérature occidentale ».Aussi, les écri-vains peignent la souffrance amoureuse, et dans le domaine artistique amourrime souvent avec jalousie.A. L’amour non partagéMme Bovary aime qui la fuit. Dans La Recherche, Marcel se passionne pourAlbertine d’autant qu’elle lui échappe.B. La perte du contrôle de soiPhèdre de Racine illustre l’aliénation, la dépossession de tout l’être, dans lapassion amoureuse.C. La jalousieSource de conflit et de crime, la jalousie est un puissant ressort dramatique,dans la tragédie et la comédie. Elle est peinte dans Le Misanthrope, où Alcesteest l’exemple même des contradictions de la passion : lui qui hait le mondeaime la plus mondaine des femmes.

ConclusionAu-delà des sources et explications psychologiques de l’amour, complexes etdifficiles à démêler, liées au vécu de l’amant, à l’époque ou au milieu social,reste qu’amour et jalousie forment un duo littéraire récurrent et efficace,avec cette restriction que, parce que récurrent, il peut paraître éculé.

Écriture d’inventionLe critère essentiel d’évaluation est le respect de la cohérence avec le texte deProust : cohérence des temps employés (imparfait et passé simple), cohérencedans le déroulement de l’épisode, cohérence dans la description des carac-tères, que cette description soit directe ou fasse transparaître des attitudes etressentis des personnages.

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◆ LECTURE ANALYTIQUE DE LA SCÈNE (PP. 169 À 171)a Pour ménager le plus longtemps possible l’intérêt dramatique, Corneilleconstruit la scène du dénouement autour de deux coups de théâtre.Le premier coup de théâtre est visuel. Le lecteur en a une idée avec la didas-calie intercalée entre les vers 1610 et 1611. Les spectateurs voient vivantsceux qu’ils croyaient morts. Et, au dénouement, même si les lieux sont diffé-rents, décalés, tous les personnages apparaissent aux yeux du spectateur avantle tomber de rideau. Le spectateur est davantage surpris que le lecteur, quibénéficie de la liste des personnages et sait que Clindor, Isabelle et Lyse« représentent » respectivement Théagène, Hippolyte et Clarine. Pour que lecoup de théâtre soit efficace, lecteurs et spectateurs doivent avoir l’illusionque Théagène et Clindor ne sont qu’une seule et même personne. Ils ne doi-vent pas soupçonner que l’acte V est la représentation d’une tragédie indé-pendante des aventures de Clindor. La surprise fonctionne d’autant mieuxque Corneille s’est ingénié à gommer les contours de la tragédie représentéepar Clindor et ses compagnons. Il en fait la suite naturelle des événements(des actes) précédents. Le passage de la réalité représentée (la comédie de la vie de Clindor) à la représentation (la tragédie des amours de Théagène)est savamment éludé, et des liens sont établis entre les deux actions (voirl’analyse de la scène 3).Le second coup de théâtre est moins frappant, mais c’est vers lui que tendtoute la pièce. Pridamant reconnaît « l’éclat, l’utilité, l’appas » (v. 1675) de l’artdramatique et du métier de comédien embrassé par son fils. À son exemple,le spectateur réticent est appelé à réviser un jugement peut-être hâtif.

z La scène évolue en quatre mouvements :Premier temps (v. 1589 à 1610) : commentaire de la fin tragique de Clindor.C’est la réception par les deux spectateurs privilégiés que sont Pridamant etAlcandre de la tragédie en miniature des scènes précédentes.Deuxième temps (v. 1611 à 1644) : explication d’une méprise.Ce deuxième temps débute par un coup de théâtre visuel : le spectateur voitceux qu’il croyait morts. La parole vient après.Troisième temps (v. 1645 à 1670) : éloge du théâtre par Alcandre.C’est le corps de la scène, ce vers quoi tend toute la pièce.

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Quatrième temps (v. 1671 à 1688) : concorde finale.Ce dernier temps est lui aussi marqué par un coup de théâtre : la conversionde Pridamant aux vertus du théâtre.

e Non seulement le mage-dramaturge Alcandre réconcilie le père avec lefils, mais il réussit à faire que Pridamant accepte, et reconnaisse, la professionde Clindor.

r Termes et expressions montrent que le théâtre reçoit la faveur de tous :ainsi le « peuple » et les « grands » (v. 1651), « tout le monde » (v. 1654, com-prendre « le monde entier »), le « Roi » (v. 1657) et les « plus rares esprits »(v. 1662).Tous en sont idolâtres (verbe au v. 1646). Le théâtre est « l’amour detous les bons esprits » (v. 1648) et « l’entretien de Paris, le souhait des provinces »(v. 1649), « le divertissement le plus doux de nos princes » (v. 1650).

t Le théâtre est le «divertissement le plus doux» des princes (v. 1650), il fait les« délices » du peuple, il est le « plaisir » des grands (v. 1651). Il est un « passe-temps » (v. 1652), dont les «douceurs » (v. 1653) «délassent » (v. 1654) et « ravis-sent » (v. 1636). Enfin, le dramaturge Alcandre n’a cherché qu’à procurer du«plaisir » (v. 1684) à son spectateur Pridamant.

y Être comédien est un «métier » véritable, source de revenus. Clindor et sesamis le choisissent par goût mais aussi parce qu’ils sont dans le « besoin »(v. 1630), « tomb[és] dans les mains de la nécessité » (v. 1627). À l’issue de lareprésentation, les comédiens « partagent leur pratique » ou recette (v. 1618).Alcandre insiste sur l’apport financier, le « gain » (v. 1637), procuré par cet« art si difficile » (v. 1629). C’est un « noble métier » (v. 1635), un « fief dont lesrestes sont bonnes » (v. 1666), un « métier si doux », dans lequel Clindor ren-contre « plus d’accommodement » (v. 1668) ou richesse qu’en restant chez sonpère. Au vers 1672, Pridamant reprend la désignation de « métier ». C’est la troisième fois que le terme apparaît dans la scène mais, fait significatif,la première dans la bouche du père jusque-là réticent.

u Champ lexical de l’illusion et de la magie : «Charme» (v. 1615), « assemblerainsi les vivants et les morts » (v. 1616), « art » (v. 1629, employé au sens d’« arti-fice »), « Ravissent » (v. 1636, au sens fort de « qui emporte l’admiration, faitéprouver un transport », avec une idée de violence), prendre « pour vraie »,« feinte » (v. 1641). Enfin, l’expression « grand Mage » (v. 1687), employée pourdésigner in fine Alcandre, insiste sur la dimension magique de la représenta-tion plus que sur la réalité de la représentation théâtrale.

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i La démarche d’Alcandre vise à mettre au jour les mécanismes de l’illusionthéâtrale. Il laisse Pridamant et le spectateur dans l’erreur, dans l’illusion queThéagène – Clindor – est bien mort.Avant de détromper, il ancre la certi-tude que réalité représentée (où évolue Clindor) et fiction représentée(Théagène) sont confondues. Puis il montre les acteurs vivants et, dans unsecond temps, explique que le théâtre a fabriqué l’illusion de l’identité etcelle de la mort des acteurs. Le théâtre est aussi vrai que le réel.

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 172 À 180)Examen des textes

a Les qualités de jeu exigées par Hamlet concernent la diction et la ges-tuelle. Pour la diction, il souhaite que les acteurs s’expriment « d’une languelégère » et avec «modération ». Il en est de même quant à la gestuelle : «ne sciezpas trop l’air avec votre main » ; « usez de tout avec discrétion ». Jamais les comé-diens ne doivent « excéder la modération de la nature ». Pour autant, ils ne doivent pas se montrer « insipides ». Ainsi la qualité essentielle requise parHamlet est la « discrétion », au sens de «modération », terme employé à deuxreprises. Les acteurs doivent jouer sans excès et sans fadeur. Ils doivent userde discernement pour qu’en aucun cas leur jeu ne dénature le texte.

z La perception de la satire, ou critique moqueuse, repose sur la connais-sance du contexte de création de la pièce. Molière se moque de ses détrac-teurs, en les mimant en train de le critiquer.Voici où la satire apparaît plusparticulièrement :– Le nom de l’auteur « sans réputation » attaquant Molière, Boursault, est l’objet d’une méprise.– La comédie contre Molière a été écrite à plusieurs mains et les auteurscachent leurs noms. Selon eux, c’est afin que Molière ne tire pas gloire de tantd’acharnement. De manière évidente, c’est parce que la pièce est mauvaise.– La comédie écrite contre Molière « aura besoin d’être appuyée ». C’est unaveu de sa piètre qualité et de la cabale qui se prépare. On relève : « Trop degens sont intéressés à la trouver belle » (nous soulignons).– Certaines répliques sont très savoureuses. Ainsi celle de Mlle du Croisy :« Que ne laisse-t-il [Molière] en repos nos maris, sans leur ouvrir les yeux et leurfaire prendre garde à des choses dont ils ne s’avisent pas ? » Molière est critiqué caril dénonce les tromperies des femmes, le cocuage de leurs maris.

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– Dans le même genre, la réplique de Mlle Molière est très comique :«Pourquoi aller offenser toutes ces personnes-là, et particulièrement les cocus qui sontles meilleurs gens du monde ? »– Enfin, les pièces de M. Lysidas, détracteur de Molière, ne connaissent pas« ce grand concours de monde » (celui des comédies de Molière), mais ont « l’ap-probation des savants ». C’est à l’opposé de ce qui importe à Molière, lequelveut plaire au public et se moque de l’avis des doctes.

e Merlin attend que les acteurs restent eux-mêmes et mettent le moins dedistance possible entre eux et leurs rôles.

r Le titre de la comédie de Marivaux, Les Acteurs de bonne foi, traduit etrésume la conception du jeu théâtral défendue par Merlin : dans l’interpréta-tion de leurs personnages, les acteurs ne jouent pas. Ils sont eux-mêmes, ilssont de bonne foi.

Questions d’écriture

Question préliminaireGenres et registres de chacun des textes :• L’Illusion comique de Corneille : c’est la scène de dénouement d’une comé-die baroque à l’issue heureuse. Alcandre explique l’illusion et tente deconvaincre Pridamant. Le registre est didactique (la réalité est matière d’enseignement).• Hamlet de Shakespeare : c’est une tragédie. Les personnages sont des rois etl’issue est tragique. Dès le lever du rideau, la mort est omniprésente. Elle lereste tout au long de la pièce. Dans l’extrait choisi, le registre est didactique.Hamlet enseigne sa conception du jeu théâtral.• L’Impromptu de Versailles de Molière : les personnages appartiennent à la bourgeoisie et le dénouement est heureux. C’est une comédie. Le registreest comique, en particulier parodique (Molière imite pour railler).• Les Acteurs de bonne foi de Marivaux: les personnages appartiennent à la bour-geoisie et l’issue est heureuse. C’est une comédie. Le registre est comique.

Commentaire

Introduction• Situer l’œuvre dans son époque, et préciser ses genre et registre.• Formuler l’intérêt du passage : dans cet extrait, dont le comique est essen-tiellement un comique de circonstance reposant sur la connivence avec le

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spectateur contemporain, Molière énonce sa conception de l’art dramatiqueen même temps qu’il peint des caractères.• Annoncer le plan du devoir.

1. Un comique de circonstance [mécanisme du texte]A. Le contexte de créationOn ne peut apprécier la parodie de Molière et le comique de la pièce sansconnaître la genèse de celle-ci. Il faut rappeler le contexte de création (voirle chapeau de l’extrait).B. L’importance de la double énonciationLes acteurs se parlent et s’adressent aux spectateurs, complices de Molière.

2. La portée réflexive [au-delà du contexte ponctuel]A. La peinture atemporelle des caractèresAu-delà du comique lié au contexte de création, le comique est un comiquede caractère. Grâce à la parodie, Molière se moque des mondains. La satireattaque aussi les femmes, les coquettes en particulier, et les maris, cocuscomme il se doit.B. Une image du dramaturge et metteur en scèneLa scène donne à voir Molière au milieu de ses comédiens. À la fois acteur etmetteur en scène, il est aussi un dramaturge, pour lequel il importe davantagede plaire au public qu’aux doctes.

3. Le jeu avec le spectateur [ambivalence et succès de la scène]A. La séduction du spectateur-lecteurLe ton enjoué, la satire fondée sur la complicité entre les spectateurs etMolière, enfin la légèreté apparente du propos séduisent le spectateur.B. Une satire du spectateurLe spectateur se trouve face à un miroir déformant de lui-même. Certescomplice de Molière, il est montré, et moqué, dans ses réactions, avant ouaprès la représentation d’une comédie. Il apparaît comme l’auteur de proposimbéciles sur l’art dramatique, un fauteur de cabales, et un mondain sansgoût artistique véritable, appréciant les pièces par intérêt.

Dissertation

Introduction• Les acteurs se distinguent, et s’apprécient, selon les genres dramatiques danslesquels ils jouent. Ils sont tragédiens ou comiques. Ils peuvent être mimes,chanteurs et danseurs. Par ailleurs, ils s’inscrivent, ou non, dans des types de

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rôles : l’ingénu, la duègne ou la soubrette ; le père ou le prétendant ; le mariou l’amant. Enfin, ils se différencient par leur importance : protagoniste,second rôle ou confident.• Problématique : un acteur est-il grand par sa sensibilité, qui lui fait éprouvertoutes les émotions de son personnage, ou par son intelligence, qui lui per-met de prendre de la distance pour mieux composer son rôle ? Un texte cléest Le Paradoxe sur le comédien (1773-1778) de Diderot.• Annonce du plan du devoir.

1. La délicate évaluation du jeu théâtralLes éléments permettant d’apprécier le jeu d’un acteur sont multiples.A. Ce sont des qualités généralesElles concernent la diction, l’expressivité du geste et de la mimique, la justesse du ton et des émotions.B. Fidélité ou inventionDiversement, on apprécie la fidélité au personnage et aux intentions du dramaturge ou, au contraire, la capacité à réinventer le rôle, selon l’idée quel’acteur s’en fait ou selon la vision qu’en a l’époque où il l’incarne – ce dansle respect de la vraisemblance.C. Les défauts du comédien inversent ces qualitésCe sont l’outrance expressive ou la banalité du jeu ; l’infidélité au personnageet l’effacement de celui-ci derrière la personnalité de l’acteur.

2. Pour la sensibilité du comédienA. Coïncidence par le cœur avec le personnageL’acteur éprouve la passion du personnage qu’il joue. Louis Jouvet (LeComédien désincarné, 1954) prône l’effacement de l’homme devant le person-nage : «Pour arriver à l’impersonnalité, cette abnégation de soi, cette humilité devantle personnage, cette servitude bien comprise entre le rôle et le public, il faut quitter le“moi”. Ce n’est que dans cette dépossession qu’on se retrouve et qu’on trouve le secretde ce métier. »B. Parce que réelle, la passion a un fort impact sur le spectateurLa passion est réellement éprouvée par le comédien. Le spectateur le sent eten est d’autant plus touché. Il n’éprouve pas la distance liée au jeu de l’acteur.

3. Pour l’intelligence du comédienA. La restriction des rôles par la sensibilitéL’acteur sensible ne jouera qu’un ou au plus quelques rôles similaires.

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B. Un maximum d’effetsL’intelligence du rôle permet la distance. Le comédien comprend son per-sonnage, même différent de lui. Il peut définir les éléments nécessaires à sajuste interprétation et à son maximum d’effets sur le public.C. Une distance critiqueBertolt Brecht, auteur et metteur en scène allemand (1898-1956), loue la«distanciation». En maintenant une certaine distance avec son personnage, lecomédien juge celui qu’il joue et provoque le même réflexe critique chez lespectateur (Petit Organon pour le théâtre, 1949) : «Pour produire des effets de dis-tanciation, le comédien doit se garder de tout ce qu’il avait appris pour être en état decauser l’identification du public avec ses compositions. […] Même lorsqu’il représentedes possédés, il ne doit pas faire l’effet lui-même d’être possédé ; sinon, comment lesspectateurs pourraient-ils découvrir ce qui possède les possédés ? »

ConclusionS’opposent deux conceptions du jeu de l’acteur, de la position qu’il doittenir par rapport au rôle qu’il interprète. Quel que soit leur choix, leshommes de théâtre le justifient par le même argument : l’effet produit sur lespectateur.Au-delà de toute polémique, l’objectif reste identique. L’idéal estsans doute dans un subtil dosage du cœur et de l’intelligence : comprendre unrôle pour le mieux sentir et rendre.

Écriture d’inventionLe sujet laisse aux élèves une liberté certaine d’invention, mais exige le respect du genre théâtral :– une mise en page spécifique au genre ;– la présence de didascalies (lieu et décor, tons et gestes des personnages) ;– conformément au sujet, une claire définition des rôles et de l’intrigue parle metteur en scène, et des instructions de jeu aux acteurs ;– un échantillon de la comédie enchâssée.

B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N TA I R E

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◆ ÉDITION DE RÉFÉRENCE

– Pierre Corneille, édition de G. Couton, « Bibliothèque de la Pléiade »,Gallimard, 3 vol., 1981, 1984, 1987.

◆ SUR LE CONTEXTE HISTORIQUE ET CULTUREL

– P. Bénichou, Morales du Grand Siècle, Gallimard, 1948.– M. Fumaroli, L’Âge de l’éloquence : rhétorique et « res litteraria » de la Renais-sance au seuil de l’époque classique, Genève, Droz, 1980 ; rééd. Albin Michel,1994.– J. Mesnard, Précis de littérature française du XVIIe siècle, PUF, 1970.– J. Rousset, La Littérature de l’âge baroque en France, José Corti, 1954.– J. Schérer, Comédie et Société sous Louis XIII, Nizet, 1983.

◆ SUR LE THÉÂTRE

– M. C. Canova, La Comédie, Hachette Supérieur, 1993.– C. Delmas, La Tragédie de l’âge classique, coll. «Écrivains de toujours », Seuil,1985.– G. Forestier, Le Théâtre dans le théâtre sur la scène française du XVIIe siècle,Genève, Droz, 1981.– P. Larthomas, Le Langage dramatique, sa Nature, ses Procédés,Armand Colin,1972.– A. Sancier-Château, Introduction à la langue du XVIIe siècle, tome I (« Voca-bulaire »), tome II («Syntaxe »), coll. « 128», Nathan Université, 1993.– J. Schérer, La Dramaturgie classique en France, Nizet, 1950.– N. Tourvel, Vassevière, Littérature : textes théoriques et critiques, NathanUniversité, 1994 (chap. XXII à XXV, pp. 221-256).

◆ SUR L’ŒUVRE DE CORNEILLE

– S. Doubrovsky, Corneille et la Dialectique du héros, Gallimard, 1963.– G. Forestier, Essai de génétique théâtrale : Corneille à l’œuvre, Klincksieck,1996.– R. Garapon, Le Premier Corneille : de « Mélite » à « L’Illusion comique »,SEDES, 1982.– J. Schérer, Le Théâtre de Corneille, Nizet, 1984.

B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E

◆ ÉTUDES DE L’ILLUSION COMIQUE

– F. X. Cuche, « Les trois illusions de L’Illusion comique », dans Travaux de linguistique et de littérature… de Strasbourg, IX, 2, 1971, pp. 65-84.– M. Fumaroli, « Rhétorique et dramaturgie dans L’Illusion comique deCorneille », dans XVIIe siècle, 1968, nos 80-81, pp. 107-132.– A. Richard, «L’Illusion comique » de Corneille et le Baroque : étude d’une œuvredans son milieu, Hatier, 1972.– Contributions de G. Strehler, B. Dort, A. Richard, M. Fumaroli,R. Alabanese, O. Nadal, R. Garapon dans Corneille, « L’Illusion comique »,Théâtre de l’Europe, 1984.

◆ D’AUTRES PIÈCES À LIRE

– de Corneille :• La Galerie du palais, 1632.• La Suivante, 1633.• La Place royale, 1634.• Le Cid, 1637.• Le Menteur, 1642.• La Suite du «Menteur », 1643.– d’autres dramaturges :• Beaumarchais, Le Barbier de Séville, 1775.• Molière, Dom Juan, 1665.