Menard Corpus Hermeticum

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Hermès Trismégiste (2e édition) / traduction complète [du grec], précédée d'une étude sur l'origine des livres [...] Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Transcript of Menard Corpus Hermeticum

  • Herms Trismgiste (2edition) / traductioncomplte [du grec],

    prcde d'une tudesur l'origine des livres

    [...]

    Source gallica.bnf.fr / Bibliothque nationale de France

  • Herms Trismgiste (auteur prtendu). Herms Trismgiste (2e dition) / traduction complte [du grec], prcde d'une tude sur l'origine des livres hermtiques, par LouisMnard,.... 1867.

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  • Paria. Typ. de Pillft fils an, rue des Grands-Augiutins, 5.

  • TRISMGISTE

    1LDE SUR L'ORIGINE DES LIVRES HERMTIQUES

    PU,

    DOCTEURLSLKITRfcS

    OUVRAGE COURONN P li h' I A S 7 1 T UT

    (acadmie des inscriptions ET BELLES-LETTRES)

    DIDIER ET Ce, LIBRAIRES-DITEURS S

    S5, girii DES aucustins,35

    HERMS

    TRADUCTION COMPLTE

    PRCDE D'UNE

    LOUIS MNARD

    Deuxime dition

    PARIS

    LIBRURIE ACADEMIQUE

    1807 7

    'tous droits rser\g.

  • L'ORIGINE DES LIVRES HERMTIQUES

    TUDESUR

  • ETUDESUR

    L'ORIGINE DES LIVRES HERMTIQUES

    Les livres d'Herms Trismgiste ont joui d'une

    grande autorit pendant les premiers sicles de

    l'glise. Les docteurs chrtiens en invoquaient sou-

    vent le tmoignage avec celui des Sibylles, qui avaient

    annonc la venue du Christ aux paens pendant que

    les prophtes l'annonaient aux Hbreux Her-

    ms, dit Lactance, a dcouvert, je ne sais comment,

    presque toute la vrit. On le regardait comme

    une sorte de rvlateur inspir, et ses crits passaient

    pour des monuments authentiques de l'ancienne

    thologie des gyptiens. Cette opinion fut accepte

    par Marsile Ficin, Patrizzi, et les autres rudits de

  • KTU.PE. SUR L'ORIGINE

    la Renaissance qui ont traduit ou comment les

    livres hermtiques. Ils crurent y trouver la source

    premire des initiations orphiques, de la philosophie

    de Pythagore et de Platon. Des doutes nanmoins ne

    tardrent pas s'lever sur l'authenticit de ces

    livres et de ceux qui portent le nom des Sibylles, et

    les progrs de la critique finirent par dmontrer le

    caractre apocryphe des uns et des autres. Un savant

    commentaire a fix la date des diffrentes sries des

    oracles sibyllins, uvre en partie juive, en partie

    chrtienne, que Lactance et d'autres docteurs de

    l'glise, dupes eux-mmes de la fraude de leurs de-

    vanciers, opposent souvent aux paens pour les con-

    vaincre de la vrit du christianisme.

    On n'a pas tabli avec la mme certitude l'origine

    et la date des livres qui portent le nom d'Herms

    Trismgiste. Casaubon les attribuait un juif ou

    un chrtien. L'auteur du Panthon JEgyptiorum,

    Jablonski, croit y reconnatre l'uvre d'un gnosti-

    que. Aujourd'hui on les classe parmi les dernires

    productions de la philosophie grecque, mais on admet

    qu'au milieu des ides alexandrines qui en forment

    le fond, il y a quelques traces des dogmes religieux

  • DES L1VRCS HERMTIQUES.

    m-de l'ancienne Egypte. C'est cette opinion que se

    sont arrts Creuzer et son savant interprte M. Gui-

    gniaut.

    Dans un travail rcent o l'tat de la question est

    expos avec beaucoup de clart, M. Egger met le

    vu qu'un philologue exerc publie une bonne di-

    tion de tous les textes d'Herms en les accompagnant

    d'un commentaire. Ce vu a dj t en partie ra-

    lis. M. Parthey a publi, Berlin, une dition

    excellente des quatorze morceaux dont ou possde le

    texte grec complet. Il les runit, comme un le fait

    ordinairement, sous le nom de Pmander1. Mais ce

    titre, selon la remarque de Patrizzi, ne convient

    qu' un seul d'entre eux, celui que les manuscrits

    placent le premier. Il existe de plus un long dialogue

    intitul Asclpios, dont nous ne possdons qu'une

    traduction latine faussement attribue Apule;

    enfin do nombreux fragments conservs par Stobe,

    Cyrille, Lactance et Suidas; les trois principaux sont

    tirsd'un dialogue intitul le Livresacr. AI. l'arthey

    1. Hermetis Ti ismegtsti Pmander, Berlin, 1854. Il faudrait con-server la forme grecque Poimandts. Comme le' fait rematquerM. Egger, Pmander rpond au grec Puimandros, et non Poiman-drs.

  • TUDE SUR L'ORIGINE

    annonce la publication de ces divers fragments; mal-

    heureusement cette partie de son travail n'a pas

    encore paru. Pour quelques morceaux on peut y

    suppler par le texte de Stobe; pour d'autres,

    notamment pour les Dfinitions d'Asclpios, qui

    servent d'appendice aux livres d'Herms, on en est

    rduit l'dition trs-incorrecte de Patrizzi, la seule

    complte jusqu' prsent. Le Poimandrs et l'Ascl-

    pios ont t traduits en vieux franais; il n'existe

    aucune traduction du Livre sacr, des Dfinitions

    d'Asclpios, ni des autres fragments.

    Celle que nous publions comprend la fois lesfrag-

    ments et les morceaux complets on les a classs da ns

    l'ordre qui est gnralementadopt, quoiqu'il scit tout

    fait arbitraire. On a runi dans le premier livre le

    Poimandrs et les treize dialogues qui s'y rattachent.

    L'Asclpios, dont le vritable titre, conserv par

    Lactance, est le Discours d'initiation, TiXcir Uyo;,

    forme le second livre. Parmi les fragments, ceux qui

    sont tirs du Livre sacre ont d, en raison de leur

    tendue et de leur importance, recevoir une place

    part; ils composent le troisime livre. Enfin, le

    quatrime livre comprend les Dfinitions d'Asclpios

  • DES LIVRES HERMTIQUES.

    et les autres fragments. La plupart de ces fragments

    sont peu intressants par eux-mmes, mais il fallait

    offrir une traduction complte. D'ailleurs, les mor-

    ceaux les plus insignifiants d'un ouvrage apocryphe

    fournissent quelquefois des indications prcieuses

    qui permettent d'en fixer la date et l'origine.

    On est presque toujours port, quand on lit une

    traduction, mettre sur le compte du traducteur des

    obscurits qui tiennent souvent au style de l'auteur

    ou aux sujets qu'il traite. La difficult d'une traduc-

    tion d'Herms tient plusieurs causes l'incorrection

    d'une grande partie des textes, la subtilit excessive

    de la pense, l'insuffisance de notre langue rhiloso-

    phique. Les mots qui reviennent le plus souvent dans

    les ouvrages des philosophes et surtout des platoni-

    ciens, vo?, Wyof, ytvtat, et bien d'autres, n'ont pas de

    vritables quivalents en franais. Quelques-uns de

    ces mots ont en grec deux ou trois sens, et les

    Alexandrins s'amusent jouer sur ces diffrentes ac-

    ceptions. Ajoutez cela les participes neutres, que

    nous ne pouvons rendre que par des priphrases, par

    exemple xivov, xnwpsvtn, 7rp ov, et une foule de mots

    dont le sens est trs-prcis en grec, et auxquels l'u-

  • ETUDE SUK L'OUIGINE

    sage a donn, en franais, un sens trs-vague et

    trs-gnral. Ainsi le monde et la nature signifient

    pour nous la mme chose, tandis que m

  • DES LIVRES HERMTIQUES.

    exacte quant au sens gnral mais, malgr les ma-

    nuscrits, il est impossible de l'attribuer Apule. On

    a dj remarqu depuis longtemps que le style d'A-

    pule n'a rien de commun avec cette forme lourde et

    incorrecte. J'espre, de plus, pouvoir dmontrer que

    non-seulement la traduction latine, mais le texte

    mme de l'Asclpios ne remonte qu'au temps de

    Constanlin.

    Nous essayerons, dans cette introduction, de d-

    terminer l'ge et les origines des livres hermtiques,

    en les comparant, suivant le programme trac par

    l'Acadmie des inscriptions et belles-lettres, avec les

    documents que les auteurs grecs nous ont laisss sur

    la religion gyptienne, et avec les faits que l'on peut

    considrer comme acquis la science des hirogly-

    phes. Le dveloppement des tudes gyptiennes

    donne un intrt particulier cette comparaison.

    Les races, comme les individus, conservent, travers

    le temps, leur caractre propre etoriginel. Les phi-

    losophes grecs ont souvent reproduit dans leurs sys-

    tmes la physique des potes mythologiques, peut-

    tre sans s'en apercevoir. On trouve de mme entre

    la priode religieuse de l'gypte et sa priode philo-

  • ETUDE SUR L'ORIGINE

    sophique quelques-uns de ces rapports gnraux

    qui donnent un air de famille toutes les expressions

    de la pense d'un peuple. Personne n'admet plus

    aujourd'hui la prtendue immobilit de l'gypte;

    elle n'a pu rester stationnaire entre le temps des

    pyramides et l're chrtienne. Tout ce qui est vivant

    se transforme, les socits thocratiques comme les

    autres, quoique plus lentement, parce que leur vie

    est moins active. Pour faire l'histoire de la religion

    gyptienne comme on a fait celle de la religion

    grecque, il faut en suivre les transformations. Les

    plus anciennes ne peuvent tre connues que par une

    chronologie exacte des monuments hiroglyphiques;

    les dernires nous sont attestes par la manire dif-

    frente dont les auteurs grecs en parlent diffrentes

    poques. Enfin, de la rencontre des doctrines reli-

    gieuses de l'Egypte et des doctrines philosophiques

    de la Grce sortit la philosophie gyptienne, qui n'a

    pas laiss d'autres monuments que les livres d'lIer-

    ms, et dans laquelle on reconnat, sous une forme

    abstraite, les ides et les tendances qui s'taient

    produites auparavant sous une forme mythologique.

    Une autre comparaison qui nous intresse encore

  • DES LMHES HERMETIQUES.

    a.

    plus directement est celle qu'on peut tablir entre

    quelques-uns des crits hermtiques et les monu-

    ments juifs ou chrtiens, notamment la Gense, les

    ouvrages de Philon, le Pasteur d'Hermas, le qua-

    trime vangile. L'avnement du christianisme pr-

    sente, au premier abord, l'aspect d'une rvolution

    radicale dans les murs et dans les croyances du

    monde occidental; mais l'histoire n'a pas de brus-

    ques changements ni de transformations imprvues.

    Pour comprendre le passage d'une religion une

    autre, il ne faut pas opposer entre eux deux termes

    extrmes :la mythologie homrique et le symbole de

    Nite il faut tudier les monuments intermdiaires,

    produits multiples d'une poque de transition o

    l'hellnisme primitif, discut parla philosophie, s'al-

    trait chaque jour davantage par son mlange avec

    les religions de l'Orient qui dbordaient confusment

    sur l'Europe. Le christianisme reprsente le dernier

    terme de cette invasion des ides orientales en Occi-

    dent. Il n'est pas tomb comme un coup de foudre

    au milieu du vieux monde surpris et effar. Il a eu

    sa priode d'incubation, et, pendant qu'il cherchait

    la forme dfinitive de ses dogmes, les problmes

  • Kl'UDt SUH L'OttIGI.NE

    dont il poursuivait la solution proccupaient aussi les

    esprits en Grce, en Asie, en gypte. Il y avait dans

    l'air des ides errantes qui se combinaient en toute

    sorte de proportions.

    La multiplicit des sectes qui se sont produites de

    nos jours sous le nom de socialisme ne peut donner

    qu'une faible ide de cette tonnante chimie intel-

    lectuelle qui avait tabli son principal laboratoire

    Alexandrie. L'humanit avait mis au concours de

    grandes questions philosophiques et morales l'ori-

    gine du mal, la destine des mes, leur chute et

    leur rdemption le prix propos tait le gouverne-

    ment des consciences. La solution chrtienne a pr-

    valu et a fait oublier les autres, qui se sont englou-

    ties pour la plupart dans le naufrage du pass.

    Quand nous en retrouvons une pave, reconnaissons

    l'uvre d'un concurrent vaincu et non d'un plagiaire.

    Le triumphe du christianisme a t prpar par ceux

    mmes qui se croyaient ses rivaux et qui n'taient

    que ses prcurseurs; ce titre leur convient, quoique

    plusieurs soient contemporains de l're chrtienne,

    d'autres un peu postrieurs; car l'avnement d'une

    religion ne date que du jour o elle est accepte par

  • DES LIVRES HERMTIQUES.

    les peuples, comme le rgne d'un prtendant date de

    sa victoire. C'est l'humanit qui donne aux ides

    leur droit de cit dans le monde, et la science doit

    rendre ceux qui ont travaill une rvolution,

    mme en voulant la combattre, la place qui leur

    appartient dans l'histoire de la pense humaine.

    Nous chercherons distinguer ce qui appartient

    soit l'Egypte, soit la Jude, dans les livres d'Her-

    ms Trismgiste. Quand on rencontre dans ces livres

    des^ ides platoniciennes ou pythagoriciennes, on

    peut se demander si l'auteur les a retrouves des

    sources antiques o Pythagore et Platon auraient

    puis avant lui, Qu s'il y faut reconnatre un l-

    ment purement grec. Il y a donc lieu de discuter

    d'abord l'influence relle ou suppose de l'Orient sur

    la philosophie hellnique. On est trop port en g-

    nral, sur la foi des Grecs eux-mmes, exagrer

    cette influence et surtout en reculer la date. C'est

    seulement aprs la fondation d'Alexandrie qu'il s'-

    tablit des rapports permanents et quotidiens entre la

    pense de la Grce et celle des autres peuples, et

    dans ces changes d'ides la Grce avait beaucoup

    plus donner qu' recevoir. Les peuples orientaux,

  • TUDE SUR L'ORIGINE

    ceux du moins qui se trouvrent en contact avec les

    Grecs, ne paraissent pas avoir jamais eu de philoso-

    phie proprement dite. L'analyse des facults de

    l'me, la recherche des fondements de la connais-

    sance, des lois morales et de leur application la vie

    des socits, sont choses absolument inconnues

    l'Orient avant la conqute d'Alexandre. Le mot que

    Platon attribue aux prtres gyptiens sur ses com-

    patriotes 0 Grecs, vous n'tes que des enfants, et

    il n'y a pas de vieillards parmi vous, pourrait tre

    renvoy l'Orient et l'gypte elle-mme. L'esprit

    scientifique est aussi tranger ces peuples que le

    sens politique. Ils peuvent durer de longs sicles, ils

    n'atteignent jamais l'ge viril; ce sont de vieux en-

    fants, toujours mens par les lisires, aussi incapa-

    bles de chercher la vrit que de conqurir la justice.

    Initi la philosophie par la Grce, l'Orient ne

    pouvait lui donner que ce qu'il avait, l'exaltation du

    sentiment religieux. La Grce accepta l'change;

    lasse du scepticisme qu'avait produit la lutte de

    ses coles, elle se jeta par raction dans des lans

    mystiques prcurseurs d'un renouvellement des

    croyances. Les livres d'Herms Trismgiste sont un

  • DES LIVRES HERMTIQUES.

    trait d'union entre les dogmes du pass et ceux de

    l'avenir, et c'est par l qu'ils se rattachent des

    questions vivantes et actuelles. S'ils appartiennent

    encore au paganisme, c'est au paganisme de la der-

    nire heure, toujours plein de ddain pour la nou-

    velle religion et refusant d'abdiquer devant elle, parce

    qu'il garde le dpt de la civilisation antique qui va

    s'teindre avec lui, mais dj fatigu d'une lutte sans

    esprance, rsign sa destine et revenant s'endor-

    mir pour l'ternit dans son premier berceau, la

    vieille gypte, la terre des morts.

    1

    La population d'Alexandrie se composait de

    Grecs, d'gyptiens et de Juifs, et le contact perp-

    tuel, sinon le mlange de trois races diffrentes,

    facilitait la fusion des ides. Les caractres distinc-

    tifs de ces trois races expliquent comment cette fu-

    sion d'ides dut s'oprer et dans quelle proportion

  • TUDE SUR L'ORIGINE

    chacune d'elles y contribua. La race grecque taitdominante, sinon par le nombre, au moins par

    l'intelligence; aussi imposa-t-elle^a langue, mais

    en respectant les usages et les traditions indignes.

    Les Grecs, qui classaient facilement les conceptions

    religieuses des autres peuples dans le large cadre de

    leur polythisme, acceptaient les Dieux des gyp-

    tiens et se bornaient en traduire les noms dans

    leur langue. Ils admettaient mme volontiers que

    l'initiation religieuse leur tait venue par des colo-

    nies gyptiennes. Cette concession leur cotait fort

    peu, car ils n'avaient jamais prtendu une haute

    antiquit, et elle flattait singulirement l'orgueil des

    gyptiens; elle les empchait de regarder les Grecs

    comme des trangers; c'taient des colons qui re-

    venaient dans la mre-patrie. Aussi l'gypte, qui

    n'avait jamais subi volontairement la domination

    des Perses, accepta-t-elle ds le dbut et sans rsis-

    tance celle des Ptolmes.

    Les Juifs, au contraire, dlivres jadis par les

    Perses du joug babylonien, s'taient facilement

    soumis leur suzerainet lointaine, mais ils repous-

    srent avec horreur l'autorit directe et immdiate

  • DES LIVHES HERMTIQUES.

    des Sleucides. La religion juive tait bien moins

    loigne du dualisme iranien que du polythisme

    hellnique. Les Grecs auraient pu classer Jhovah

    comme tous les autres Dieux dans leur panthon,

    mais lui ne voulait pas tre class; il ne se serait

    mme pas content de la premire place, il voulait

    tre seul. Les Sleucides, dont la domination s'-

    tendait sur des peuples de religions diffrentes, ne

    pouvaient accepter cette prtention, et les Juifs, de

    leur ct, repoussaient l'influence du gnie grec au

    nom du sentiment national et du sentiment reli-

    gieux. Mais Alexandrie, les conditions n'taient

    pas les mmes qu'en Palestine. Les gyptiens

    taient chez eux, les Grecs ne se croyaient trangers

    nulle part, les Juifs au contraire tenaient rester

    trangers partout seulement, hors de leur pays,

    ils n'aspiraient pas la domination, ils se conten-

    taient de l'hospitalit. Ds lors, il devenait plus

    facile de s'entendre; ils traduisirent leurs livres

    dans la langue de leurs htes, dont ils tudirent la

    philosophie.

    Platon surtout les sduisait par ses doctrines

    unitaires, et on disait en* parlant du plus clbre

  • TUDE SUR L'ORIGINE

    d'entre eux Ou Philon platonise, ou Platon phi-

    onise. Philon, s'imaginant sans doute que la

    Grce avait toujours t ce qu'elle tait de son temps,

    prtend que des prcepteurs grecs vinrent la cour

    de Pharaon pour faire l'ducation de Mose. Le

    plus souvent nanmoins le patriotisme l'emportait

    chez les Juifs sur la reconnaissance, et au lieu d'a-

    vouer ce qu'ils devaient la philosophie grecque,

    ils soutenaient qu'elle avait emprunt ses principes

    la Bible. Jusqu' la priode chrtienne, les Grecs

    ne paraissent pas avoir tenu compte de cette asser-

    tion. Il est vrai qu'on cite ce mot d'un clectique

    alexandrin, Noumnios d'Apame Platon n'est

    qu'un Mose attique. Mais que conclure d'une

    phrase isole tire d'un ouvrage perdu? Tout ce

    qu'elle pourrait prouver, c'est que Noumnios ne

    connaissait Mose que par les allgories de Philon,

    car il n'y a qu'une critique bien peu exigeante qui

    puisse trouver la thorie des ides dans le premier

    chapitre de la Gense.

    Les emprunts des Grecs la Bible ne sont gure

    plus vraisemblables que les prcepteurs grecs de

    Mose. Si Platon avait pris quelque chose aux Juifs,

  • DES LIVRES HERMETIQUES.

    il n'et pas manqu d'en introduire un dans ses dia-

    logues, comme il y a introduit Parmnide et Time.

    Loin de nier leurs dettes, les Grecs sont ports en

    exagrer l'importance. D'ailleurs, pour emprunter

    quelque chose aux Juifs, il aurait fallu les connatre,

    et avant Alexandre les Grecs n'en savaient pas mme

    le nom. Plus tard, sous l'empire romain, quand les

    Juifs taient dj rpandus dans tout l'occident, Jus-

    tin, racontant leur histoire d'aprs Trogue Pompe,

    rattache leur origine Damascus; les successeurs

    qu'il donne ce Damascus sont Azlus, Adors,

    Abraham et Isral. Ce qu'il dit de Joseph est presque

    conforme au rcit biblique, mais il fait de Mo^e un

    fils de Joseph et le chef d'une colonie de lpreux

    chasss de l'gypte. Il ajoute qu'Aruas, fils de Mose,

    lui succda, que les Juifs eurent toujours pour rois

    leurs prtres et que le pays fut soumis pour la pre-

    mire fois par Xerxs. Il se peut que Trogue Pom-

    pe ait consult quelque tradition gyptienne ou

    phnicienne, mais assurment il n'avait pas lu la

    Bible; il semble cependant que cela et t facile de

    son temps. 4

    On ne connaissait pas mieux la religion des Juifs

  • hTIDE SULt L'ORIGLNE

    que leur histoire. On savait qu'ils avaient un Dieu

    national; mais quel tait-il? Dedita sacris incerti

    Juda Dei. Plntarque souponne que ce Dieu pour-

    rait bien tre Dionysos, qui, au fond, est le mme

    qu'Adonis. Il s'appuie sur la ressemblance des c-

    rmonies juives avec les bacchanales et sur quelques

    mots hbreux dont il croit trouver l'explication dans

    le culte dionysiaque. Quant l'horreur des Juifs

    pour le porc, elle vient, selon lui, de ce qu'Adonis

    a t tu par un sanglier. Il et t bien plus simple

    d'interroger un Juif. Mais Plutarque avait peu de

    critique; au lieu de s'informer avant de conclure, il

    voulait tout deviner.

    Les gyptiens, taient sans doute mieux connus

    que les Juifs; cependant tous les Grecs qui parlent

    de la religion gyptienne lui donnent une phytiono-

    mie grecque, qui varie selon le temps o chacun

    d'eux a vcu et selon l'cole laquelle il appartient.

    Le plus ancien auteur grec qui ait crit sur l'Egypte

    est Hrodote. Il y trouve un polythisme pareil

    celui de la Grce, avec une hirarchie de huit Dieux

    primitifs et de douze Dieux secondaires, qui sup-

    pose une synthse analogue la thogonie d'Hsiode.

  • DES LIVRES HERMTIQUES.

    D'un autre ct, chaque ville a, selon lui, sa religion

    locale; le culte d'Osiris et d'Isis est seul commun

    toute l'Egypte et ressemble beaucoup aux mystres

    d'leusis. Cependant Hpdofe est frapp d'un trait

    particulier la religion gyptienne le culte rendu

    aux animaux; mais il ne cherche pas la raison de ce

    symbolisme, si diffrent de celui des Grecb. Il re-

    marque aussi que, contrairement aux Grecs, les

    gyptiens ne rendent aucun culte aux hros. Pour

    Diodore, c'est le contraire; les Dieux gyptiens sont

    d'anciens rois diviniss. Il est vrai qu'il y a aussi

    des Dieux ternels le soleil, la lune, les lments;

    mais Diodore ne s'en occupe pas le systme pseu-

    do-historique d'vhmre rgnait de son temps en

    Grce, il en fait l'application l'Egypte. Vient en-

    suite Plutarque, qui on attribue le trait sur Isis

    et Osiris, le document le plus curieux que les Grecs

    nous aient laiss sur la religion gyptienne; cepen-

    dant lui aussi/habille cette religion la grecque

    seulement, depuis Diodore, la mode a chang ce

    n'est plus l'vhmrisme qui est en honneur, c'est

    la dmonologie. Plutarque, qui est platonicien, voit

    dans les Dieux de l'Egypte non plus des hommes

  • TUDE SUR L'ORIGINE

    diviniss, mais des dmons; puis, lorsqu'il veut

    expliquer les noms des Dieux, ct de quelques

    tyrrwlogies gyptiennes, il en donne d'autres tires

    du grec, et qu'il paraU prfrer. Son trait est

    adress une prtresse gyptienne, mais, au lieu de

    lui demander des renseignements, il propose ses

    propres conjectures.

    Quant Porphyre, il se contente d'interroger; il

    soulve des doutes sur les diverses questions philo-

    sophiques qui l'intressent, et demande au prtre

    Anbo ce que les gyptiens en pensent. Ce qui l'in-

    quite surtout, c'est que, d'aprs le stocien Chr-

    mon, les gyptiens n'auraient connu que les Dieux

    visibles, c'est--dire les astres et les lments.

    N'avaient-ils donc aucune ide sur la mtaphysique,

    la dmonologie, la thurgie, et toutes les choses en

    dehors desquelles Porphyre ne concevait pas de re-

    ligion possible? Je voudrais savoir, dit-il, ce que

    les gyptiens pensent de la cause premire si elle

    est l'intelligence ou au-dessus de l'intelligence; si

    elle est unique ou associe une autre ou plusieurs

    autres si elle est incorporelle ou corporelle si elle

    est identique au crateur ou au-dessus du crateur;

  • DES LIVRES HERMTIQUES.

    si tout drive d'un seul ou de plusieurs; si les gyp-

    tiens connaissent la matire, et quels sont les pre-

    miers corps; si la matire est pour eux cre ou

    incre; car Chrmon et les autres n'admettent

    rien au-dessus des mondes visibles, et dans l'expo-

    sition des principes ils n'attribuent aux gyptiens

    d'autres Dieux que ceux qu'on nomme errants jles

    plantes), ceux qui remplissent le zodiaque ou se

    lvent avec eux et les subdivisions des Dcans et

    les Horoscopes, et ceux qu'on nomme les chefs puis-

    sants et dont les noms sont dans les almanachs avec

    leurs phases, leurs levers, leurs couchers et les

    signes des choses futures. Il (Chrmon) voit en effet

    que les gyptiens appellent le soleil crateur, qu'ils

    tournent toujours autour d'Isis et d'Osiris et de

    toutes les fables sacerdotales, et des phases, appari-

    tions et occultations des astres des croissances et

    dcroissances de la lune, de la marche du soleil

    dans l'hmisphre diurne et dans l'hmisphre noc-

    turne, et enfin du fleuve (Nil). En un mot, ils ne

    parlent que des choses naturelles et n'expliquent

    rien des essences incorporelles et vivantes. La plu-

    part soumettent le libre arbitre au mouvement des

  • TUDE SUR L'ORIGINE

    astres, je ne sais quels liens indissolubles de la

    ncessite, qu'ils nomment destine, et rattachent

    tout ces Dieux, qui sont pour eux les seuls arbitres

    de la destine, et qu'ils honorent par des temples,

    des statues et les autres formes du culte.

    A cette lettre de Porphyre Jamblique rpond

    6ou$ le nom du prtre gyptien Abammon; du

    moins, une note place en tte de cette rpon-e l'at-

    tribue Jamblique, d'aprs un tmoignage de Pro-

    clos. Pour prouver que la religion gyptienne est

    excellente, il fait une exposition de ses propres ides

    et les attribue aux gyptiens. Ce trait, intitul des

    Mystres des gyptiens, est rempli par d'intermi-

    nables dissertations sur la hirarchie et les functions

    des mes; des dmons, des Dieux; sur la divination,

    la destine, les oprations magiques; sur les signes

    auxquels on peut reconnatre les diffrentes classes

    de dmons dans les thophanies, sur l'emploi des

    mots barbares dans les vocations. Aprs toute cette

    thurgie, qui fait parfois douter si l'auteur est un

    charlatan ou un insens, il consacre peine quelques

    lignes la religion gyptienne, et ces quelques

    lignes sont pleines d'incertitude et d'obscurit. Il

  • DES LIVRES HERMTIQUES.

    parle des stles et des oblisques d'o il prtend que

    Pythagore et Platon ont tir leur philosophie, mais

    il se garde bien de traduire une seule inscription.

    Il assure que les livres d'Herms, quoiqu'ils aient

    t crits par des gens initis la philosophie grec-

    que, contiennent des opinions hermtiques; mais

    quelles sont-elles? Il tait si simple de citer.

    De cette comparaison des documents grecs sur la

    religion gyptienne devons-nous conclure que l'-

    gypte a toujours t pour les Grecs un livre ferm,

    et qu'en interrogeant la terre des sphinx ils n'ont

    obtenu pour rponses que des nigmes, ou l'cho

    de leurs propres questions? Une telle conclusion

    serait injuste pour les Grecs; les renseignements

    qu'ils nous fournissent ont t complts, mais non

    contredits, par l'tude des hiroglyphes. Dans ces

    renseignements, il faut faire la part des faits et celle

    des interprtations. Les faits que les Grecs nous ont

    transmis sont gnralement vrais et ne se contre-

    disent pas seulement, les explications qu'ils en

    donnent sont diffrentes. Les mmes diffrences

    s'observent quand ils parlent de leur propre reli-

    gion elles tiennent une loi gnrale de l'esprit

  • TUDE SUR L'ORIGINE

    humain, la loi de transformation dans le temps, qui

    s'applique aux socits comme aux tres vivants.

    La langue des symboles est la langue naturelle des

    socits naissantes; mesure que les peuples vieil-

    lissent, elle cesse d'tre comprise. En Grce, mme

    avant Socrate, les philosophes attaquaient la reli-

    gion des potes, parce qu'ils n'en pntraient pas

    le sens et qu'ils concevaient mieux les lois de la na-

    ture et de l'esprit sous des formes abstraites que

    sous des formes potiques. Cependant le peuple res-

    tait attach ses symboles religieux les philosophes

    voulurent alors, en les expliquant, les adapter leurs

    ides. Trois systmes d interprtation se produisi-

    rent les stociens expliqurent la mythologie par

    la physique; d'autres crurent y voir des faits histo-

    riques embellis par l'imagination des potes, c'est

    la thorie qui porte le nom d'vhmre; les Plato-

    niciens y cherchrent des allgories mystiques. Quoi-

    que l'hermneutique des stociens ft la plus con-

    forme au gnie de la vieille religion, les trois sys-

    tmes d'explication eurent des partisans, parce que

    chacun d'eux rpondait un besoin de la conscience

    publique, et c'est ainsi que la philosophie, aprs

  • DES LIVRES HERMTIQUES.

    b

    avoir branl la religion, la transforma et se con-

    fondit avec elle

    Les choses ne pouvaient se passer tout fait de

    la mme manire en gypte, o, au lieu d'une phi-

    losophie discutant la religion, il y avait une thocra-

    tie qui gardait le dpt des traditions_antiqucs. Mais

    rien ne saurait empcher les races de vieillir. Si le

    sacerdoce pouvait maintenir la lettre des dogmes et

    les formes extrieures du culte, ce qu'il ne pouvait

    pas conserver c'est cette intelligence des symboles

    qui est le privilge des poques cratrices. Quand

    les Grecs commencrent tudier la religion gyp-

    tienne, la symbolique de cette religion tait dj

    une lettre morte pour les prtres eux-mmes. Hro-

    dote; qui les interrogea le premier, ne put obtenir

    d'eux aucune explication, et comme il n'tait pas

    thologien, il s'arrta l'enveloppe des symboles.

    Ses successeurs cherchrent de bonne foi en re-

    trouver la cl, et y appliqurent les diffrents sys-

    tmes d'hermneutique qui avaient cours en Grce.

    Si l'ouvrage du stocien Chrmon nous avait t

    1. Louis Mnard, Polythisme hellnique, livre IV, chapitre n, Lareligion grecque et la philosophie.

  • ETUDE SUR L'ORIGINE

    conserv, nous y trouverions probablement plus

    de rapports avec les monuments hiroglyphiques

    que dans ceux de Diodore ou de Jamblique car, pour

    la religion gyptienne comme pour l'hellnisme, les

    explications stociennes devaient tre plus prs de

    la vrit que .l'vlimrisme ou la mtaphysique

    platonicienne. Plutarque nous donne souvent, en

    passant, des explications physiques bien plus satis-

    faisantes que la dmonologie laquelle il s'arrte.

    Mais, sans accorder tous les systmes la mme va-

    leur, on peut reconnatre que tous ont eu leur raison

    de se produire. L'ancienne religion tait surtout

    une physique gnrale; cependant les noms et les

    attributs divins donns aux rois dans les inscriptions,

    les dynasties divines places au dbut de l'histoire,

    pouvaient faire regarder les Dieux comme des

    hommes diviniss. L'incarnation d'Osiris et sa l-

    gende humaine s'accordaient avec les thories vh-

    mristes. On pouvait prendre pour des dmons

    toutes ces puissances subalternes dont il est si sou-

    vent question dans le Riluel funraire. Enfin, me-

    sure que les esprits taient entrans vers les abstrac-

    tions de l'ontologie on cherchait sparer les princi-

  • DES LIVRES HERMETIQUES.

    pes du monde de leurs manifestations visibles, et les

    symboles qui se prtaient mal ces transformations

    taient mis de ct; on les respectait par habitude,

    mais on n'en parlait pas. De l vient que la vieille

    mythologie tient si peu de place dans l'ouvrage de

    Jamblique, qui rpond cette dernire phase de la

    religion gyptienne.

    Comme les formes extrieures de cette religion

    n'avaient pas chang, on la croyait immobile, et

    plus on en adaptait l'esprit aux systmes philoso-

    phiques de la Grce, plus on se persuadait que ces

    systmes taient sortis d'elle. Les Grecs avaient

    commenc par attribuer l'gypte leur ducation

    religieuse, opinion que la science moderne n'a pas

    ratifie ils lui attriburent de mme leur du-

    cation philosophique, et l aussi les traces de l'in-

    fluence gyptienne s'vanouissent lorsqu'on veut les

    saisir. Tous les emprunts de Platon l'gypte se

    bornent une anecdote sur Thoth, inventeur de

    l'criture, et cette fameuse histoire de l'Atlan-

    tide, qu'il dit avoir t raconte Solon par un

    prtre gyptien, et qui parat n'tre qu'une fable de

    son invention. Quant l'ide de la mtempsycose,

  • TUDE SUR L'ORIGINE

    il l'avait reue des pythagoriciens. Pythagore l'avait-

    il emprunte l'gyple? Cela n'est pas impossible,

    mais on trouve la mme ide chez les Indiens et chez

    les Celles, qui ne doivent pas l'avoir reue des gyp-

    tiens. Elle peut se dduire de la religion des mys-

    tres, et comme les pythagoriciens ne se distinguent

    pas nettement des orphiques, on ne peut savoir s'il

    y a eu action de la religion sur la philosophie ou

    raction de la philosophie sur la religion. Selon Pro-

    clos, Pythagore aurait t initi par Aglaophamos

    aux mystres rapports d'Egypte par Orphe. Voil

    l'influence gyptienne transporte au-del des temps

    historiques.

    L'action de l'gypte sur la philosophie grecque

    avant Alexandre, quoique moins invraisemblable

    que celle de la Jude, est donc fort incertaine. Tout

    ce qu'on pourrait lui attribuer, c'est la prdilection

    de la pulpart des philosophes pour les dogmes uni-

    taires et les gouvernements thocratiques ou monar-

    chiques encore cette prdilection s'explique-t-elle

    aussi bien par la tendance naturelle de la philosophie

    ragir contre le milieu o elle se dveloppe. Dans

    une socit polythiste et rpublicaine., cette raction

  • DES LIVRES HERMTIQUES.

    b.

    devait aboutir l'unit en religion et l'autorit en

    politique, car ces deux ides sont corrlatives. L'es-

    prit humain est sduit par les formules simples qui

    lui permettent d'embrasser sans fatigue l'ensemble

    des choses l'amour-propre se rsigne difficilement

    l'ide de l'galit, et les philosophes sont enclins,

    comme les autres hommes, prfrer la domination

    une part dans la libert de tous. Ceux qui voya-

    geaient en Asie ou en gypte, y trouvant des ides

    et 'des moeurs conformes leurs gots, devaient at-

    tribuer ces peuples une haute sagesse et les pro-

    poser en exemple leurs concitoyens. Le sacerdoce

    gyptien ressemblante cette aristocratie d'intelligence

    que les philosophes auraient voulu voir rgner en

    Grce, la condition d'en faire partie le sacerdoce

    juif leur aurait inspir la mme admiration s'ils

    l'avaient connu, et ils n'auraient eu aucune raison

    pour s en cacher.

    La philosophie grecque, qui s'tait attache, ds

    son origine, la recherche d'un premier principe

    des choses, concevait l'unit sous une forme abs-

    traite. Les Juifs la reprsentaient sous une forme

    plus vivante; le monde tait pour eux une monar-

  • ETUDE SUR L'ORIGINE

    chie, et leur religion a t l'expression la plus com-

    plte du monothisme dans l'antiquit. Pour les

    gyptiens, l'unit divine ne s'est jamais distingue

    de l'unit du monde. Le grand fleuve qui fconde

    l'gypte, l'astre clatant qui vivifie toute la nature

    leur fournissaient le type d'une force intrieure,

    unique et multiple la fois, manifeste diversement

    par des vicissitudes rgulires, et renaissant perp-

    tuellement d'elle-mme. M. de Roug fait remarquer

    que presque toutesles gloses du Rituel funraire'dcs?'

    gyptiens attribuent tout ce qui constitue l'essence

    d'un Dieu suprme Ra, qui, dans la langue gyp-

    tienne, n'est autre que le soleil. Cet astre, qui semble

    se donner chaque jour lui-mme une nouvelle nais-

    sance, tait l'emblme de la perptuelle gnration

    divine. Quoique les formes symboliques soient aussi

    varies en gypte que dans l'Inde, il n'y a pas un

    grand effort d'abstraction faire pour ramener tous

    ces symboles au panthisme.

    J'ai eu occasion de faire voir, dit M. de Rong,

    que la croyance l'unit de l'tre suprme ne fut

    jamais compltement touffe en gypte par le poly-

    thisme. Une stle de Berlin de la XIX' dynastie le

  • DES LIVRES HERMTIQUES.

    nomme le seul vivant en substance. Une autre stle

    du mme muse et de la mme poque l'appelle la

    seule substance ternelle, et plus loin, le seul gnra-

    teur dans le ciel et sur la terre qui ne soit pas engen-

    dr. La doctrine d'un seul Dieu dans le double per-

    sonnage du pre et du fils tait galement conserve

    Thbes et Memphis. Le mme stle de Berlin,

    provenant de Memphis, le nomme Dieu se faisant

    Dieu, existant par lui-mme, l'tre double, gnra-

    teur des le commencement. La leon thbaine

    s'exprime dans des termes presque identiques sur le

    compte d'Ammon dans le papyrus de M. Harris

    tre double, gnrateur ds le commencement, Dieu

    se faisant Dieu, s'engendrant lui-mme. L'action

    spciale attribue au personnage du fils ne dtruisait

    pas l'unit; c'est dans ce sens videmment que ce

    Dieu est appel ua en ua, le un de un, ce que Jam-

    blique traduira plus tard assez fidlement par les

    termes de irpSro-ro irpwTou Oeo, qu'il applique la

    seconde hypnstase divine1. nJI

    Quand les doctrines philosophiques de la Grce et

    1. De Roug, Etude sur le Rituel funraire des Egyptiens. (Hevue

    archologique, 1860, p. 357.)

  • TUDE SUR L'OHIGINE

    les doctrines religieuses de l'gypte et de la Jude se

    rencontrrent Alexandrie, elles avaient entre elles

    trop de points communs pour ne pas se faire des

    emprunts rciproques. De leur rapprochement et de

    leur rontact quotidien sortirent plusieurs coles dont

    le caractre gnral est l'clectisme, ou plutt le syn-

    crtisme, c'est--dire le mlange des divers lments

    qui avaient concouru leur formation. Ces lments

    se retrouvent tous, quoique en proportions variables,

    dans chacune de ces coles. La premire est l'cole

    juive, reprsente par Philon, qui, force d'allgo-

    ries, tire le platonisme de chaque page de la Bible.

    Philon est regard comme le principal prcurseur du

    gnosticisme. On runit sous ce nom plusieurs sectes

    chrtiennes qui mlent les traditions juives celles

    des autres peuples, principalement des Grecs et des

    gyptiens. Le mot de gnostique, qui est quelquefois

    appliqu aux chrtiens en gnral, par exemple dans

    Clment d'Alexandrie, signifie simplement ceux

    qui possdent la gnose, la science suprieure, l'in-

    tuition des choses divines.

    Aprs Philon et les gnostiques se place la grande

    cole d'Ammnios Saccas et de Plotin, qui, tout en

  • DES LIVRES HERMETIQUES.

    empruntant l'Asie et l'gypte leurs tendances

    unitaires et mystiques, s'attache directement la

    philosophie grecque, dont elle cherche fondre

    toutes les sectes divergentes. Dans les derniers temps

    du polythisme, on n'tait plus exclusivement sto-

    cien, picurien, pripatticien, ni mme platonicien;

    toutes ces sectes avaient apport leur contingent

    la somme des ides, et toutes taient reprsentes,

    par quelque ct, dans la philosophie commune. Ces

    compromis n'taient pas nouveaux, Platon avait

    beaucoup emprunt aux leates et aux pythagori-

    ciens. La dmonologie, qui tient tant de place dans

    la philosophie alexandrine, n'tait point une inven-

    tion de Platon, ni mme d'Empdocle ou de Pytha-

    gore on la trouve en germe dans les Travaux et

    Jours d'Hsiode.

    A ct de ces coles, et comme pour servir de lien

    entre elles, s'en dveloppe une autre qui ne se rat-

    tache aucun nom historique et n'est reprsente

    que par les livres hermtiques. Ces livres sont les

    seuls monuments que nous connaissions de ce qu'on

    peut appeler la philosophie gyptienne. Il est vrai

    qu'ils ne nous sont parvenus qu'en grec, et il n'est

  • TUDE SUR L'ORIGINE.

    mme pas probable qu'ils aient jamais t crits en

    langue gyptienne mais Philon crit en grec aussi

    et n'en est pas moins un vrai Juif. On peut dire de

    mme que les livres hermtiques appartiennent

    l'Egypte, mais l'gypte fortement hellnise et la

    \eille de devenir chrtienne. On ne trouverait pas

    dans un vritable Grec cette adoration extatique qui

    remplit les livres d'Herms; la pit des Grecs tait

    beaucoup plus calme. Ce qui est encore plus tranger

    au caractre grec, c'est cette apothose de la royaut

    qu'on trouve dans quelques livres hermtiques, et

    qui rappelle les titres divins dcerns aux Pharaons

    et plus tard aux Ptolmes. Ces ouvrages apocryphes1

    sont toujours crits sous la forme de dialogues. Tan-

    tt c'est Isis qui transmet son fils Ilros l'initiation

    qu'elle a reue du grand anctre Kamphs et d'Iler-

    ms, secrtaire des Dieux; tantt le bon dmon, qui

    est probablement le dieu Knef, instruit Osiris. Le

    plus souvent c'est Herms qui initie son disciple

    Asclpios ou son fils Tat. Quelquefois Herms joue

    le rle de disciple, et l'initiateur est l'Intelligence

    (vo;) ou Poimandrs. La lettre de Porphyre est

    adresse au prophte Anbo, et ce nom d'Anbo ou

  • DES LIVRES HERMTIQUES.

    Anubis est celui d'un Dieu que les Grecs identifiaient

    avec Herms.

    Mais quel est cet Herms Trismgiste sous le nom

    duquel ces livres nous sont parvenus? Est-ce un

    homme, est-ce un Dieu? Pour les commentteurs, il

    semble que ce soit l'un et l'autre. Les aspects multiples

    de l'Herms grec l'avaient fait confondre avec plu-

    sieurs Dieux gyptiens qui avaient entre eux et avec

    lui beaucoup de rapports. On croyait viter la confu-

    sion par des gnalogies, et on disait qu'il y avait plu-

    sieur, Herms. Selon Manthon, Thoth, le premier

    Herms avait crit sur des stles ou colonnes les prin-

    cipes des sciences en langue et en caractres hirogly-

    phiques. Aprs le dluge, le second Herms, fils du

    bon dmon et pre deTat, avait traduit ces inscriptions

    en grec. Dans ce passage, ces Herms sont donns

    comme. des personnages historiques. En Egypte, les

    pltres aussi bien que les rois prenaient des noms

    emprunts aux Dieux, et comme dans les livres her-

    mtiques l'initiateur a un caractre plutt sacerdotal

    'que divin, les premiers diteurs les ont attribus

    cette famille de prophtes. Il leur en et trop cot

    de croire que ces u\re= qu'ils admiraient forti

  • TUDE SUR L'ORIGINE

    taient de quelque crivain obscur et anonyme, met-

    tant ses ides sous le nom d'un Dieu. Cependant la

    fraude tait bien innocente l'auteur de l'Imitation,

    qui met des discours dans la bouche du Christ, n'est

    pas regrd comme un faussaire. Dans les livres

    hermtiques, la philosophie est cense rvle par

    l'Intelligence ou par le Dieu qui en est la personnifi-

    cation.

    Herms, qui prside la parole, dit Jamblique,

    est, selon l'ancienne tradition, commun tous les

    prtres; c'est lui qui conduit la science vraie; il

    est un dans tous. C'est pourquoi nos anctres lui

    attribuaient toutes les dcouvertes et mettaientleurs

    usres sous le nom d'Herms. De l cette prodi-

    gieuse quantit de livres ou discours attribus

    Herms. Jamblique parle de vingt mille, mais sans

    donner le titre d'un seul. Les quarante-deux livres

    dont parle Clment d'Alexandrie constituaient une

    vritable encyclopdie sacerdotale. Selon Galien, les

    prtres crivaient sur des colonnes, sans nom d'au-

    tcur, ce qui tait trouv par l'un d'eux et approuv

    par tous. Ces colonnes d'Herms taient les stles et

    les oblisques, qui furent les premiers livres avant

  • DES LIVRES HERMTIQUES.

    c

    l'invention du papyrus. Selon Jablonski, le nom de

    Thoth signifie colonne en gyptien. Il est malheu-

    reux pour la science qu'au lieu des livres mentionns

    par Clment d'Alexandrie et de ceux o, selon Plu-

    tarque, taient expliqus les noms des Dieux, nous

    n'ayons que des oeuvres philosophiques d'une poque

    de dcadence. Cependant les livres hermtiques que

    nous possdons ont aussi leur valeur relative. Il nous

    font connatre la pense religieuse de l'antiquit,

    non pas sous la forme la plus belle, mais sous sa

    dernire forme.

    Pour exposer l'ensemble de la thologie hermti-

    que, je ne puis mieux faire que de reproduire le r-

    sum que M. Vacherot en a donn dans son Histoire

    critique de l'cole d'Alexandrie. Dieu, dit-il, y est

    conu comme un principe suprieur l'intelligence,

    l'me, tout ce dont il est cause 1. Le bien n'est

    pas un de ses attributs, c'est sa nature mme; Dieu

    est le bien, comme le bien est Dieu. Il est le non-

    tre en tant qu'il est suprieur l'tre. Dieu produit

    1. Dieu n'est pas l'intelligence, mais la cause de l'intelligence;il n'est pas l'esprit, mais la cause de l'esprit; il n'est pas la lumire,mais la cause de la lumire (Livre I, Di'cours universel.) Dieuehl au-dessus de tout et autour de tout. (I, la Cl.)

  • ETUDE SUR L'ORIGINE

    tout ce qui est et contient tout ce qui n'est pas encore.

    Absolument invisible en soi, il est le principe de

    toute lumire 1. L'intelligence n'est pas Dieu, elle est

    seulement de Dieu et en Dieu, de mme que la rai-

    son est dans l'intelligence, l'me dans la raison, la

    vie dans l'A me, le corps dans la vie2. L'intelligence

    est distincte et insparable de Dieu comme la lumire

    de son foyer elle est aussi bien que l'me l'acte de

    Dieu, son essence, s'il en a une3. Pour Dieu, pro-

    duire et vivre sont une seule et mme chose'. Enfin,

    le caractre propre de la nature divine, c'est que rien

    de ce qui convient aux autres tres ne peut lui tre

    attribu; il est la substance de tous sans tre aucune

    chose5. A ce signe on reconnat le pre de tous les

    1. Invisible lui-mme, il manifeste toutes choses. (I, le Dieu

    invisible est trs-apparent.) Ce qu'il est, il le manifeste; ce

    qui n'bst pas, il l'a en lui-mme, n (I, la Cl )

    2. I y a ici une confusion; le texte signifie L'Intelligence est

    dans la raison,la raison dans l'me, l'me dana l'esprit, l'espi it dansle corps. (I, la Cl.)

    3. L'intelligence est de l'essence mme de Dieu, si toutefois Dieu

    a une essence. L'intelligence n'est pas spare de l^ence de Dieuelle lui est unie comme au soleil sa huniie. (r, De l'intelligence

    commune.) L'intelligence est eu Dieu, la laisou et dans l'intel-

    ligence. (IV, Fragm.)

    4. Ite mme que 1 homme ne peut uvre bans la vie, ain-i Dieu ne

    peut vivre sans faire le bien. (1, l'Intelligence a Herms.)

    5. >I Viclierot cite d'apris l'dition Patnzii; voici le sens du pas-

  • OUi> I.IVIIK HI.HSltTiQUtS.

    tres, Dieu. C'est l'clat du bien qui illumine l'in-

    telligence, puis l'homme tout entier, et le convertit

    en une essence vraiment divine'. Dieu est la vie uni-

    verselle, le tout dont les tres individuels ne sont que

    des parties il est le principe et la fin, le centre et la

    circonfrence, la base de toutes choses, la source qui

    surabonde, l'me qui vivifie, la vertu qui produit,

    l'intelligence qui voit, l'esprit qui inspire2. Dieu est

    tout, tout est plein de lui; il n'est rien dans l'univers

    qui ne soit Dieu3. Tous les noms lui conviennent

    comme au pre de l'univers, mais, parce qu'il est le

    pre de toutes choses, aucun nom n'est son nom

    propre4. L'un est le tout, le tout est l'un; unit

    sage, d'aprs l'dition Parthey, qui est plus correcte a Dieu, le Pre,le Bien, qu'est-ce, sinon l'existence de ce qui n'est pas encore? Cette

    existence des tres, voil Dieu, voil le Pre, voil le Bien; il n'estpas autre chose, (I, la Cl.)1. La splendeur qui inonde toute sa pense et toute son me

    l'arrache aux liens du corps et le transforme tout entier dans l'es-

    sence de Dieu. (I, la Cl.). Toutes choses sont des parties de Dieu; amsi Dieu est tout.

    (IV, Dfinitions, i.) Car de toutes choses il e-t le seigneur et le

    pre, et la source, et la Me, et la puissance, et la lumire, et l'intel-

    ligence, et l'esprit. i> (IV, Fragments d'aprs Suidas.)3. Tout cet ensemble est Dieu, et dans l'univers il n'j a iien que

    Dieu ne soit pas. (I, De l'intelligence commune.) Car tout estplein de Dieu. (I, ~Hr~H)yeKce Herms.)4. Car lui seul est tout; c'est pourquoi il a tous les noms, car d

  • ETTDE Un L'ORIGINE

    et totalit sont des termes synonymes en Dieu'.

    La premire ide qui s'offre l'esprit quand on

    tudie cette philosophie est de la rapprocher de celle

    des brahmanes. En comparant les livres hermtiques

    avec le Baghavat-Gta, on voit souvent les mmes

    ides se prsenter sous des expressions presque iden-

    tiques Je suis l'origine et la dissolution de l'uni-

    vers. Rien n'est plus grand que moi; de moi dpen-

    dent les choses, comme des perles suspendues un

    cordon. Je suis l'humidit dans les eaux, la splen-

    deur dans le soleil et la lune, la parole sainte dans

    les Vdas, la force dans l'air, la virilit dans l'homme.

    Je suis le parfum de la terre, l'clat de la flamme,

    l'intelligence des intelligents, la force des forts. Je

    connais les tres passs, prsents et futurs, mais moi,

    nul ne me connat. Je pntre l'univers de cha-

    leur, je retiens et dverse les pluies, je suis la mort

    et l'immortalit, je suis l'tre et le nant, Arjunal 1

    Je suis le gnrateur de toutes les choses, de moi

    l'univers se dveloppe. Je suis l'esprit qui rside dans

    est le pre unique, et c'est pourquoi lui-mme n'a pasde nom, caril est le prede tous. (I, le Dieu invisible est trs-apparent.)1. Le tout qui est un, et l'un qui est tout, (IV, Dfinitions, i.)

  • DES LIVRES HERMETIQUES.

    le sein de tous les tres; je suis le commencement,

    le milieu et la fin Comme il n'y a pas de preuves

    positives d'une communication entre l'Inde et l'-

    gypte, on ne peut expliquer ces analogies par des

    emprunts. Il est seulement curieux de trouver, chez

    des peuples diffrents, les mmes doctrines ct

    des mmes formes sociales le panthisme rpond

    au systme des cartes, comme le monothisme la

    monarchie et le polythisme la rpublique.

    M. Vacherot reconnat dans la thologie hermti-

    que des penses et des expressions noplatoniciennes,

    d'autres empruntes Philon et aux autres livres

    juifs; il est facile d'y reconnatre aussi le panthisme

    gyptien dpouill de ses formes symboliques et re-

    vtu des formes abstraites do la philosophie grecque.

    Ainsi, dans une inscription du temple de Sas cite

    par Plutarque et par Proclos, Neith disait Je

    suis tout ce qui est, ce qui a t, ce qui sera2.

    D'aprs M. de Roug, le Dieu suprme est dfini dans

    plusieurs formules du Rituel funraire comme celui

    qui existe par lui-mme, celui qui s'engendre

    1. Baghavat-GUa, tu, a, x.2. Plut., Isis et Osms; Proc' In Tim., 1, p. 30.

  • TUDE SIK L'ORIGINE

    lui-mme ternellement; d'autres textes le nom-

    ment le seigneur des tres et (ht, non-tres'.

    C'est bien l ce Dieu du panthisme hermtique par

    qui et en qui tout existe, ce pre universel dont la

    seule fonction est de crer, celui dont les livres

    d'IIermos nous disent L'ternel n'a pas t engen-

    dr par un autre, il s'est produit lui-mme, ou plu-

    tt il se cre lui-mme ternellement2 si le

    crateur n'est autre que celui qui cre, il se cre

    ncessairement lui-mme, car c'est en crant qu'il

    devient crateur3; il est ce qui est et ce qui

    n'est pas'. L'ide que les anciens textes rendent

    par na en ua, le tin de un, le -it-pc-ro;to3 irpw-rou de

    Jamblique, ou par pau li, le Dieu double ou tre

    double, c'est--dire pre et fils, selon la face du mys-

    tre qu'on veut principalement considrer5, se re-

    trouve aussi dans les livres d'Herms, o il est sou-

    vent question du fils de Dieu du Dieu engendr.

    De Roug, Etude sur le Rituel funraire. [Revue archolo-

    'pque, 1860, p. "23li, 347, 356, 357.)2. Ilerms, I, Rien ne se perd, etc.

    3. Ibid., 1, Herms Asclpios.4. Ibid I, le Dieu invisible est trs-apparent.5. De Boug, tude sur le Rituel funraire. (Ilevue archolo-

    ijique, 18M), p. Ml, 3bl, 357.). Hoims, l,la Cl.

  • HEs M\UES HERMTIQUES.

    Ce second Dieu est le monde, manifestation visible

    du Dieu invisible Quelquefois ce rle est attribu

    au soleil 2, qui cre les tres vivants, comme le Pre

    cre les essences idales. Sous cette forme, la pen-

    se hermtique se rapproche de l'ancienne thologie

    gyptienne. Une stle du muse de Berlin, dit

    M. 'Mariette, appelle le soleil le premier n, le fils de

    Dieu, le Verbe. Sur l'une des murailles du temple

    de Phiiae. et sur la porte du temple de Medinet-

    Abou, on lit C'est lui, le soleil, qui a fait tout ce

    qui est, et rien n'a t fait sans lui jamais ce quee

    saint Jean, prcisment dans les mmes termes,

    dira quatorze sicles plus tard du Verbe3. Le troi-

    sime Dieu des livres hermtiques, l'homme4, consi-

    dr dans son essence abstraite, n'est pas sans

    analogie avec Osiris, qui est quelquefois pris pour le

    type idal de l'humanit; dans le Rituel funeraire,

    l'mpqui se prsente au jugement s'appelle toujours

    l'osiris un tel. Cette trinit hermtique, Dieu, le

    monde, l'homme, n'est pasplus loigne des anciennes

    1 Herms, Il, Disc, d'initiation, vi; el I, la Cl.

    2. Jbid., Il, 10; IV, Dfin. i.

    3. Manette, Mmoire siir la mre d'Apis.4. Herms, II, vi.

  • ETUDE SUR L'ORIGINE

    triades gyptiennes que des conceptions abstraites

    des platoniciens.

    II

    L'unit gnrale des doctrines exposes dans les

    livres hermtiques permet de les rapporter une

    mme cole; mais cette unit n'est pas telle qu'on ne

    puisse y distinguer trois groupes principaux, que

    j'appellerai j uif, grec et gyptien, sans attribuer ces

    mots une valeur exclusive et absolue, mais seulement

    pour indiquer la prdominance relative de tel ou tel

    lment et les tendances diverses qui rapprochent

    tour tour l'cole hermtique de chacune des trois

    races formant la population d'Alexandrie. L'attention

    doit se porter d'abord sur le groupe juif, qui se rat-

    tache plus directement l'histoire si intressante

    pour nous des origines du christianisme. Entre les

    premires sectes gnostiques et les Juifs hellniques

    reprsents par Philon, il manquait un anneau on

    peut le trouver dans quelques livres hermtiques,

  • DES LIVRES HERMETIQUES.

    c.

    particulirement dans le Poimandrs et le 6~KOM

    ~M~ la MOM~yne; peut-tre y trouvera-t-on aussi la

    raison des diffrences souvent constates entre les

    trois premiers vangiles et le quatrime.

    Poimandrs signifie le joa~eM~ de /V

  • E[UUKb)j)t!ORtGINE E

    qu'il dit Le Seigneur est mon pasteur et rien ne

    me manquera. Que chacun en dise autant pour

    lui-mme, car ce chant doit tre mdite par tous les

    amis de Dieu. Mais c'est surtout au monde qu'il con-

    \ient comme une sorte de troupeau, la terre, l'eau,

    l'air, le feu, toutes les plantes et tous les animaux,

    les choses mortelles et les choses divines, la nature

    du ciel, les priodes du soleil et de la lune, les rvo-

    lutions des autres astres et leurs danses harmonieuses

    suivent Dieu comme leur pasteur et leur roi, qui les

    conduit selon la justice et la rgle, les dirigeant par

    sa droite raison (Verbe), son fils premier n, charg

    du soin de ce troupeau sacr et des fonctions de mi-

    nistre du grand roi; car il est dit quelque part: Voil,

    c'est moi; j'enverrai mon ange devant ton visage

    pour te garder dans ta route. H Que le monde tout

    entier, le trs-grand et trs-parfait troupeau du vrai

    Dieu dise donc le Seigneur est mon pasteur et rien

    ne me manquera'.

    On a rapproche le T'o~HSM~'M d'Herms Trism-

    giste du 7'

  • DES UVRES HERMETIQUES.

    temporain des aptres. Ce Pasteur est un ouvrage

    apocalyptique fort mal crit et qu'on ne lit plus gure,

    mais il jouissait d'une grande autorit dans l'glise

    primitive. J'en citerai un passage qui peut servir

    d'explication au titre et dans lequel on trouve le germe

    de la doctrine du purgatoire Je vins dans un

    champ, et il me montra un jeune enfant habill de

    vtements jaunes et faisant patre des bestiaux nom-

    breux. Et ces bestiaux taient comme dans les d-

    lices, foltrant gaiement et bondissant et l. Et le

    pasteur lui-mme tait trs-gai dans son pturage et

    courait autour de son troupeau. Et je vis dans un

    lieu d'autres bestiaux foltrant dans les dlices, mais

    ne bondissant pas. Et i] me dit Tu vois ce pasteur?

    Je lo vois, Seigneur, rpondis-je. C'est, dit-il,

    l'ange des dlices et de l'illusion; il corrompt les

    mes des esclaves de Dieu, les dtourne de la v-

    rit, les trompe par les mauvais dsirs o ils se

    perdent, oubliant les prceptes du Dieu vivant, et

    marchant dans les folles dlices et les illusions de

    cette vie. Et il me dit coute, dit-il (~e) les bestiaux

    que tu as vus joyeux et bondissants, ce sont ceux qui

    se sont spars de Dieu jusqu' la fin et se sont livrs

  • LTUDE SUR L t)R)tjir
  • DES UV[)LS HERMETIQUES

    ainsi frapps et tourments, j'tais afftig de ce qu'ils

    taient torturs sans relche. Et je dis l'ange qui

    me partait Seigneur, quel est ce pasteur amer et

    sans entrailles? Et il me dit C'est l'ange de la pu-

    nition il est un des anges justes, mais prpos la

    punition. Il reoit ceux qui se'sont gars loin de

    Dieu et qui ont march selon leurs dsirs, et il les

    punit comme ils le mritent, par des chtiments ter-

    ribles et varis'.

    Ce qu'il importe surtout de remarquer, c'est que

    Philon et saint IIermas reprsentent deux aspects

    diffrents de ce monde juif, si multiple dans son

    unit apparente, et dont le Poimandrs va nous offrir

    une troisime nuance. Les Juifs, malgr leurs efforts

    pour s'isoler, taient devenus, par la transportation,

    l'exil ou les migrations volontaires, ce que leurs frres

    ans les Phniciens avaient t par le commerce, des

    agens de communication entre les autres peuples.

    Philon est aussi grec que juif; l'auteur du .f'

  • RTLOESU~L'iUC.i~E

    vestiges de croyances chaldennes ou persanes se

    mlent avec le Time, le premier chapitre de la Ge-

    nse et le dbut de l'Evangile de saint Jean.

    Le sujet de l'ouvrage est une cosmogonie prsen-

    te soub la forme d'une rvlation faite l'auteur par

    Poimandrs, qui esf le w5; de la philosophie grec-

    que, l'Intelligence, le Dieu suprme. Comme dans le

    Time, Dieu est au-dessus de la matire, maia il ne

    la tire pas du nant. L'Intelligence ordonne le monde

    d'aprs un modle idal qui est sa raison ou sa pa-

    role, le ).oyo de Platon et de Znon. Par cette pa-

    role, Dieu engendre une autre intelligence cratrice,

    le Dieu du feu et du souffle ou de l'esprit, m~o!.

    On pourrait voir l une rminiscence gyptienne;

    selon Eusbe', Phta tait n d'un ceuf sorti de la

    bouche de Knef. Mais cette cosmogonie du /'o:'MMH-

    drs peut aussi se rattacher la philosophie grecque,

    surtout au Time, car ce souffle crateur ressemble

    beaucoup l'me du monde. Une scholie qui se

    trouve en tte des manuscrits attribue Herms une

    vision anticipe de la trinit chrtienne et tire mme

    t. Eusbe, P~ff~. eMM~ Ut, tt-

  • DF.hL~!tK~E!)ME'H~UbS.

    de l une explication absurde du nom de Trism-

    giste. Suidas reproduit cette opinion et cite un

    fragment hermtique analogue :< ce passage du Poi-

    THaKa~M. I) est certain que cette thologie rappelle le

    dogme de la Trinit sous la forme que lui donne

    l'glise grecque, qui fait procder l'Esprit du Pre

    par le Fils. Mais il n'en faudrait pas conclure que le

    Poimandrs soit postrieur l'poque o ce dogme

    a t fix. Les ides existent en germe dans les

    esprits longtemps avant de prendre une forme dfi-

    nitive.

    Ce second crateur, que Dieu engendre par sa pa-

    role, produit sept ministres qui gou\ernent les

    sphres du ciel et qui rappellent les Amschaspands

    de la Perse. Quant l'homme, Dieu le cre son

    image. C'est probablement un souvenir de la Bible,

    quoique cette ide exibte aussi dans le polythisme

    Fmfit in efOgiem moderantum cuncta Deorum.

    D'apr-. Philon, les anges auraient particip la

    cration de l'homme; c'est ainsi qu'il explique l'em-

    ploi du pluriel dans le rcit de Mose Aprs avoir

    dit que le reste avait t cr par Dieu, dans la seule

  • ETUDE SUH L'ORIGINE

    cration de l'homme il montre une coopration tran-

    gre. Dieu dit Faisons l'homme notre image. Ce

    mot faisons indique la pluralit. Le Pre universel

    s'adresse ses puissances et les charge de formpr la

    partie mortelle de notre me en imitant l'art avec le-

    quel il a form lui-mme notre partie raisonnable,

    car il juge bon que la facult directrice de l'me soit

    l'uvre du chef, et que ce qui doit obir soit l'oeuvre

    des sujets Cette opinion se trouve dans le Poi-

    MMMf~M; l'homme typique cr par Dieu traverse

    les sept sphres, dont les gouverneurs le font parti-

    ciper leur nature. La mme ide est expose par

    Macrobe dans son commentaire sur le Songe de

    ~c:~oH. Quand au corps, c'est l'homme qui le cre

    lui-mme en contemplant son reflet dans l'eau et son

    ombre sur la terre; il devient amoureux de son image,

    la matire lui rend son amour, et la forme nat de

    leur union. Il y a peut-tre l une allusion la fable

    de Narcisse. Cette fable, explique par un com-

    mentateur de Platon, se rattachait la religion des

    mystres; c'tait une des nombreuses expressions

    t. t'hibtij De ~'u/My~

  • DES LIVRES HERMETIQUES.

    de cette croyance commune aux religions et aux phi-

    losophies mystiques: la vie du corps est la mort de

    l'me, qui, entrane par le dsir, tombe dans les

    flots de la matire.

    Le caractre androgyne de l'homme primitif dans

    le Poimandrs pourrait ctre rattach au ~aM

  • TUDE SUR L'OR)G~E

    un doute srieux. Une scholie de Psellos sur ce pas-

    sage annonce que depuis longtemps on y a reconnu

    l'influence juive. Ce sorcier, dit cette scholie en

    parlant d'Herms, parat avoir trs-bien connu la

    sainte Ecriture*. H n'est pas difficile dp voir quel

    tait le Poimandrs des Grecs c'est celui que nous

    appelons le prince du monde, ou quelqu'un des

    siens, car, dit Basile, le diable est voleur, il pille

    nos traditions.

    Les rapports du Poimandrs a\ec l'vangile de

    saint Jean sont encore plus manifestes

    POmANDBS.

    Cette lumire, c'est moi, l'intel-

    ligence, ton Dieu, antrieur la na-

    ture humide qui sort des tnbres, et

    ]e Verbe lumineu\ de l'Intelligence,c'est le Fils de Dieu.

    n Ils ne sont pas spars, car l'union

    c'est leur~ie.

    La parole de Dieu s')muca des

    lments infrieurs vers la pure cra-

    tion de la nature, et s'unit l'Intelli-

    gence cratrice, car elle est de mme

    essence (6p.oo

  • PLSHYnh
  • TUDE SUR L'OR!G)XE

    il n'est pas vraisemblable que l'auteur en ait eu

    connaissance; autrement il y aurait fait allusion,

    soit pour y adhrer, soit pour le combattre.

    Ce qui semble certain, c'est que le Poimandrs

    est sorti de cette cole des thrapeutes d'gypte,

    qu'on a souvent confondus tort avec les essniens

    de Syrie et de Palestine. Philon tablit entre les

    uns et les autres d'assez notables diffrences. c Les

    essniens, dit-il, regardent la partie raisonneuse dc

    la philosophie comme n'tant pas ncessaire pour

    acqurir la vertu, et ils la laissent aux amateurs de

    paroles. La physique leur parat au-dessus de la

    nature humaine ils l'abandonnent ceux qui se

    perdent dans les nuages, sauf les questions relatives

    l'existence de Dieu et la cration du monde. Ils

    s'occupent par-dessus tout de la morale. Philon

    dcrit ensuite les murs des essoniens, et cette des-

    cription pourrait s'appliquer aux premires com-

    munauts chrtiennes, tant la ressemblance est

    frappante. On peut donc croire que c'est parmi eux

    que les aptres ont recrut leurs premiers disciples.

    Il me semble probable que le Pasteur d'IIermas

    est sorti de ce groupe, et que le titre de l'ouvrage

  • DES UVUES HERMETIQUES.

    et le nom de l'auteur ontinspir, par esprit de riva-

    lit, quelque thrapeute judsco-gyptien l'ide de

    composer son tour une sorte d'apocalypse moins

    moraliste et plus mtaphysique, et de l'attribuer,

    non pas un Hermas ou un Herms contempo-

    rain, mais au fameux Herms Trismgiste si clbre

    dans toute l'Egypte.

    Dans le .Po/MMKcM~, en effet, on trouve plusieurs

    traits qui s'accordent parfaitement avec ce que Philon

    dit des thrapeutes, qu'il prend pour type de la vie

    contemplative Dans l'tude des livres saints, ils

    traitent la philosophie nationale par allgories, et de-

    vinent les secrets de la nature par l'interprtation des

    symboles. )) Cette phrase, qui s'applique si bien au

    systme allgorique de Philon lui-mme, fait songer

    en mme temps la cosmogonie du Poimandrs,

    quoique les textes bibliques n'y soient pas invoqus

    comme autorit. On y pressent dj les systmes gnos-

    tiquesqui sortiront d'une combinaison plus intime du

    judasme et de l'hellnisme. Philon dit encore que

    les thrapeutes, sans cesse occups de la pense de

    Dieu, trouvent, mme dans leurs songes, des visions

    de la beaut des puissances divines. Il en est, dit-

  • b;ru))E'KL'oRin)NE

    il, qui dcouvrent par des songes pendant leur som-

    meil les dogmes vnrables de la philosophie sa-

    cre. )) Or, l'auteur du Po:KaM~c~ commence scn

    ouvrage par ces mots c( Je rBchissais un jour

    sur les tres; ma pense planait dans les hauteurs,

    et toutes mes sensations corporelles taient engour--

    dies comme dans le lourd sommeil qni suit la satit,

    les excs ou la fatigue. Il raconte ensuite sa vision,

    puis, aprs l'avoir crite, il s'endort plein de joie

    Le sommeil du corps produisait la lucidit de l'in-

    telligence, mes yeux ferms voyaient la vrit. D

    Selon Philon, les thrapeutes avaient coutume de

    prier deux fois par jour, le matin et le soir; l'auteur

    du Poimandrs, aprs avoir instruit les hommes,

    les invite la prire aux dernires lueurs du soleil

    couchant.

    Aprs s'tre rpandus parmi les Juifs d'Asie, tes

    missionnaires chrtiens allrent porter leurs doc-

    trines chez les Juifs d'Egypte. Au lieu des moeurs

    laborieuses des essniens, qui, selon Phiton~ exer-

    aient des mtiers manuels, mettaient en communies

    produits de leur travail, et rduisaient la philosophie

    a la morale et la momlc la charit, les MMK

  • nESt.n'RRSHERMhTIQUftS.

    des thrapeutes offraient la propagande chrtienne

    une population bien plus hellnise, habitue aux

    spculations abstraites et aux allgories mystiques.

    De ces tendances, combines avec le dogme de l'in-

    carnation, sortirent les sectes gnostiques. Le Poi-

    ?M

  • TUDE SUR L'ORIGINE

    mmes tendances philosophiques et mythologiques,

    le gnosticisme parat s'tre dvelopp dans ces deux

    villes peu prs la mme poque. M. flatter, dans

    son histoire du gnosticisme, prsente certains pas-

    sages du Nouveau Testament comme des allusions

    aux premires sectes gnostiques; par exemple, la re-

    commandation que fait saint Paul son disciple Ti-

    mothe de rester phse pour s'opposer ceux

    qui enseignaient une autre doctrine et s'occupaient

    de mythes et de gnalogies inutiles, produisant

    plutt des discussions que l'dification de Dieu, qui

    consiste dans la foi. Les mots de My

  • DES LIVRES HERMTtOUES.

    d

    propagande. Les trois premiers vanglistes, s'adres-

    sant aux Juifs de Palestine, leur disaient Ce

    Messie que vous attendez est venu; c'est Jsus, en

    qui nous vous montrons tous les caractres attribus

    au Messie par les prophtes. Le quatrime van-

    gile s'adresse aux Juifs hellniss et leur dit Ce

    Verbe dont vous parlez, par qui tout a t fait, qui

    est la lumire et la vie, il s'est fait chair, il a habit

    parmi nous. Les siens ne l'ont point reu, mais

    vous, recevez-le, et il vous fera enfants de Dieu.

    Tel est le langage que saint Jean devait tenir, non

    des gnostiques, puisqu'il n'y en avait pas encore,

    mais des disciples de Philon, a. des hommes vivant

    dans le mme ordre d'ides que l'auteur du Poi-

    M

  • M'CDKSURL'ORfG~'E

    gnration au fils de Dieu, l'homme unique, indi-

    quent que l'auteur vivait une poque o le chris-

    tianisme a\ait dj pntr Alexandrie, et qu'il

    s'est trout en contact avec quelques chrtiens. Ce-

    pendant un examen attentif n'autorise gure sup-

    poser qu'il connt leurs livres, ni mme qu'il ft

    initi leurs dogmes.

    Les premires socits chrtiennes taient de v-

    ritables socits secrtes. Si l'ardeur du prosly-

    tisme pouvait touffer la crainte des perscutions, il

    restait toujours le danger d'exposer les croyances

    nouvelles aux insultes et aux railleries de ceux qui

    n'taient pas prpars a les recevoir. Il est vrai que

    les aptres et leurs premiers disciples, tant des

    Juifs, s'adressaient d'abord leurs coreligionnaires;

    mais l'exprience leur avait appris ds le dbut que

    l'attachement des Juifs la tradition les mettait en

    dSance contre toute tentative de rforme. La libert

    des murs grecques permettait de prcher le Dieu

    inconnu sur la place publique d'Athnes, mais on

    se serait fait lapider, comme saint tienne, en an-

    nonant l'Incarnation dans un synagogue. D'ail-

    leurs, la mode tait aux mystres; le secret des ini-

  • DESH\'f!F.SnRt!MTtQL'ES

    tiations tait un moyen de propagande et un appt

    pour la curiosit, tout le monde voulait tre initi

    quelque chose.

    Les chrtiens n'avaient pas cr cette situation,

    mais ils l'acceptrent, prparant le terrain peu

    peu, s'adressant successivement l'un et l'autre

    et ne dvoilant pas toute leur.doctrine la fois. Les

    principaux points de cette doctrine taient rsums

    dans la prdication vanglique intitule Discours

    sur la MOM~ayHe~' ces mots devaient revenir de

    temps en temps aux oreilles des Juifs non encore

    initis l'Evangile. Qu'un d'entre ceux-ci ait ima-

    gin de produire une rvlation sous le mme titre,

    rien n'est plus naturel; mais, de mme qu'entre le

    Poimandrs et le Pasteur d'Hermas, la ressem-

    blance ici s'arrte au titre. Le Discours sur la H!OH-

  • TUDE SUR L'ORIGINE

    de commun avec la simplicit du style vanglique.

    Le fils de Dieu, l'homme unique, n'est pas pour lui

    un personnage rel et historique, c'est plutt un

    type abstrait de l'humanit, analogue l'homme

    idal du Poimandrs, l'Adam Kadmon de la Kab-

    bale, l'Osiris du jR/

  • DES LIVRES HERMTIQUES.

    d.

    voque H ajoute mme Poimandrs, l'Intelli-

    gence souveraine, ne m'a rien rvl de plus que ce

    qui est crit, sachant que je pourrais par moi-mme

    comprendre et entendre ce que je voudrais, et voir

    toutes choses. H Aprs beaucoup de rticences et

    d'aphorismes amphigouriques, IIerms finit par se

    laisser arracher son secret, et, malgr les tonne-

    ments de son disciple et la peine qu'il parat avoir

    comprendre, ce secret se rduit une ide toute

    simple c'est que, pour s'lever dans le monde ida],

    il faut se dgager des sensations. On devient ainsi

    un homme nouveau, et la rgnration morale

    s'opre d'elle-mme.'On n'a qu' combattre chaque

    vice par une vertu correspondante, ce n'est pas plus

    difficile que cela.

    Ce morceau peut se placer, dans l'ordre des ides

    et des temps, entre le PoM?MM

  • bTL'DStJRL'OKR.

    retrouve ddiisl~i~Mc/t~s dttfibu d Platon et dans la

    seconde pitre aux Corinthiens. Le mot diable, ~x-

    6t,)o!, y est employ presque dans le sens chrtien.

    Le ton gnral d'exaltation qui y rgne, cette obscu-

    rit qui vise a. la profondeur, s'enivre d'elle-mme et

    prend cette ivresse pour de l'extase, tout fait pr-

    voir les aberrations mystiques du gnoticisme, contre

    lesquelles protesteront galementles Pres de l'glise

    et les philosophes d'Alexandrie. Elles s'annoncent

    dj dans des paroles comme celles-ci s Gnose

    sainte, iihjmin par toi, je chante par toi la lumire

    idale; mon fils, la sagesse idale est dans

    le-silence; n travers tes crations, j'ai trou\

    L

  • DES DYttES HHM)iT[QUES.

    mot)~, on b'tonuo moins des tendances communistes

    qui se sont manifestes dans quelques socits chr-

    tiennes. Les nicolates, contre lesquels saint Jean

    s'lve dans l'Apocalypse, ont mme t accuss

    d'tendre cette communaut aux femmes; leur chef

    posait pour avoir mis la sienne en commun.

    On peut suivre dans les livres hermtiques les des-

    tines de cette gnose judseo-gyptienne qui, au

    < sicle, a ctoy le christianisme sans se laisser

    absorber, en passint insensiblement de l'cole juive

    de Philon l'cole grecque de Plotin. Dans Philon,

    le judasme s'avouait hautement par de continuelles

    allusions la Bible. Dans le Poimandrs et le Ser-

    .MM! sur la montagne, il se trahit et l par quel-

    ques rminiscences. On peut encore trouver des

    traces de l'lment juif dans le discours VII, inti-

    tul Le plus grand Ma/ est l'ignorance de Dieu;

    c'est une prdication assez insignifiante en faveur de

    )a vie contemplative, un dveloppement de l'allocu-

    tion adresse aux hommes dans le Poimandrs. Il y

    a d'autres dialogues, d'un caractre mixte, qu'on

    peut rapporter avec autant de vraisemblance t'in-

    nucnee grecque ou :( l'influence juive. 'l'el est celui

  • ETUDE SUH L'ORIGINE

    qui a pour titre le C'M

  • DES LIVRES HERMTtQUES.

    geaient les esprits, la distancen'taitpas aussi grande

    qu'on pourrait le croire. Aussi passait-on facilement

    d'une religion une autre on en avait mme plu-

    sieurs la fois pour plus de sret. Il y avait alors

    une soif universelle de croyances, et on s'abreuvait

    toutes les sources. Au milieu de tant de sectes, de

    subdivisions et de nuances, quelques-uns faisaient

    un choix, mais la plupart prenaient des deux mains,

    droite et gauche, tout ce qui se prsentait.

    Une lettre de l'empereur Hadrien, cite par Vo-

    piscus d'aprs Phlgon, fait bien comprendre l'acti-

    vit inquite des habitants d'Alexandrie, activit qui

    se portait la fois sur le commerce et sur la religion.

    a L'Egypte, dont tu me disais tant de bien, mon cher

    Servianus, je l'ai trouve lgre, mobile, changeant

    de mode tout instant. Les adorateurs de Sarapis

    sont chrtiens, ceux qui s'appellent vques du Christ

    sont dvots Sarapis. Il n'y a pas un chef de syna-

    gogue juive, un samaritain, un prtre chrtien qui

    ne soit astrologue, aruspice, fabricant de drogues.

    Le patriarche lui-mme, quand il vient en gypte,

    est forc par les uns d'adorer Sarapis, par les autres

    d'adorer Christ. Quelle race sditieuse, vaine et

  • h'TL'DSLRL'OHtGtNE

    intpeitifteutti! Ld \iilc LSt. fiche, opulente, fccondf,

    personne n'y vit sans rien faire. Les uns soufflent du

    ~erre, les autres font du papier, tous sont marchands

    de toile, et ils en ont bien l'air. Les goutteux ont de

    l'ouvrage, les boiteux travaillent, les aveugles aussi;

    personne n'est oisif, pas mme ceux qui ont la goutte

    'aux mains. Pourquoi cette ville n'a-t-elle pas de

    meilleurs murs. Eltc mriterait par son importance

    d'tre la tte de toute l'Egypte. Je lui ai tout ac-

    cord, John ai rendu ses anciens privilges, et j'en

    ai ajout tant de nouveaux qu'il y avait de quoi me

    remercier. J'tais peine parti qu'ils tenaient mille

    propos contre mon fils Vrus; quant ce qu'ils ont

    dit d'Antinous, tu dois t'en douter. Je ne leur sou-

    haite qu'une chose, c'est de manger ce qu'ils don-

    nent leurs poulets pour les faire clore, je n'ose

    pas dire ce que c'est. Je t'envoie des vases iriss de

    diverses couleurs que m'a offerts le prtre du temple;

    ils sont spcialement destins toi et ma sur pour

    l'usage des repas, les jours de fte; prends garde que

    notre Afrieanus ne les casse.

    Ces chrtiens adorateurs de Satapis, dont parle

    Hadrien, sont probdbtemf'nt les gnostiqucs, qui

  • t)ESU\HE~t[HMTiQUES.

    'taient fort nombreux cette poque. Les livres her-

    mtiques contiennent et l des allusions a ces

    gnostiques chrtiens. Mais ce qui choque normes, ce

    n'est pas la confusion qu'ils font de tous les symboles,

    il n'en parle mme pas; il leur reproche seulement

    de regarder le monde comme une uvre mauvaise

    et de distinguer le Crateur du Dieu suprme La

    terre est le sjour du mal, mais non pas ]e monde,

    comme le diront quelques blasphmateur:))

    laissons de ct le bavardage et les mots vides de

    sens, et concevons deux termes, l'engendr et le cra-

    teur entre eux il n'y a pas place pour un troisime~.)'

    C'est aussi sur ce terrain que Plotin attaque les gnos-

    tiques; il ne parle pas de l'incarnation du Verbe, et

    son traducteur, Marsilc Ficin, a mme essay de le

    faire passer pour chrtien.

    Les questions n'taient pas poses eet'e poque

    comme nous les poserions aujourd'hui ce qui nous

    parat fondamental tait relgu au second plan, et

    on discutait perte de vue sur des points qui nous

    semblent de peu d'importance. On s'aperoit sou-

    1. Herms, ), chitp. Lx,De la p'HM'e e< de la MH.m

  • TUDE SUR L'ORIGt~iK I.

    vent, en lisant l'histoire des sectes philosophiques et'

    religieuses, que c'est presque toujours entre les

    coles les plus voisines que s'engagent les luttes les

    plus vives. Spars des gnostiques par quelques

    principes particuliers, les noplatoniciens, et surtout

    !es hermtiques, s'en rapprochaient par l'ensemble de

    leurs ides La seule voie qui mne Dieu, c'est la

    pit unie la gnose'; )) la gnose est la contem-

    plation, c'estle silence et le repos de toute sensation

    celui qui y est parvenu ne peut plus penser autre

    chose, ni rien regarder, ni mme mouvoir son

    corps ') la vertu de l'me, c'est la gnose;

    celui qui y parvient est bon, pieux et dj. divin

    Par ces tendances mystiques, qui se manifestent

    chaque page, les livres d'Herms se placent d'eux-

    mmes entre les gnostiques et les noplatoniciens.

    Une telle ressemblance de doctrines suffirait presque

    pour les rapporter la mme poque. Je trouve d'ail-

    leurs, dans le dialogue intitul de /'7H

  • DES LIVRES HERMTtQUES.

    e

    prcise. L'auteur parle d'un bon dmon dont les en-

    seignements, s'ils avaient t crits, seraient fort

    utiles aux hommes; il cite ensuite quelques opinions

    de ce bon dmon ce sont des aphorismes panthis-

    tiques. Ne peut-on pas supposer qu'il s'agit ici d'Am-

    mnios Saccas, chef des noplatoniciens, qui, comme

    on le sait, n'a jamais mis ses enseignements par

    crit? Il est vrai que le Bon Dmon est pris en gn-

    ral pour un personnage abstrait qui se confond avec

    l'Intelligence suprme cette allusion Ammnios

    Saccas serait donc bien vague mais elle ne pouvait

    tre plus claire, puisque l'auteur crivait sous le

    pseudonyme d'Herms. Entre la crainte de trahir sa

    fraude en nommant un contemporain et le dsir de

    rendre un tmoignage public son matre, il a d

    prendre un terme-moyen et dsigner sous le nom de

    bon dmon celui qui l'avait initi la philosophie.

    L'auteur de ce dialogue serait ainsi quelque obscur

    condisciple de Plotin, hypothse que confirme la res-

    remblance des doctrines, et cette ressemblance n'est

    pas particulire au dialogue o l'on peut voir une

    allusion Ammnios Saccas, elle s'tend la plu-

    part des autres.

  • TUDE SUR L'Omet

    Dans cette population mixte d'Alexandrie, la fu-

    sion devait s'oprer rapidement entre les ides,

    peut-tre mme entre les races. O sont les thra-

    peutes juifs la fin du ne sicle? Les uns, convertis

    au christianisme, sont devenus des anachortes ou

    desgnostiques basilidiens et valentiniens; les autres

    se rapprochent de plus en plus du paganisme. Je

    dis du paganisme et non pas du polythisme, car

    cette poque tout le monde admet dans l'ordre

    divin une hirarchie bien dtermine avec un Dieu

    suprme au sommet; seulement ce Dieu suprme

    est pour les uns dans le monde, pour les autres hors

    du monde. A chaque instant, dans les livres d'Her-

    ms, on lit une tirade sur l'unit divine on croit

    avoir affaire un chrtien ou un juif, et, quelques

    lignes plus bas, on trouve des phrases qui vous rap-

    pellent qu'il s'agit du Dieu du panthisme Non-

    seulement il contient tout, mais vritablement il est

    tout H il est tout, et il n'y a rien qui ne soit

    luP; )) il est ce qui est et ce qui n'est pas,

    l'existence de ce qui n'est pas encore3. )) Pour dsi-

    1. De la pense et de la sensation.

    2. De /p//t'yencf commune.3 /~eDieu !t;!)Mtt/eest

  • DES UVRES HERMTIQUES.

    gner ces doctrines, qui drivent bien plus de cellesgner ces doctrines, qui drivent bien plus de celles

    de l'Egypte que de celles de la Grce, le nom d'hel-

    lnisme ne serait pas juste il vaut mieux conserver

    le terme vague et gnral de paganisme, qu'on ap-

    plique vulgairement toutes les croyances que le

    christianisme a remplaces.

    Sous l'influence de l'cole grecque d'Alexandrie,

    une sorte de gnosticisme paen succda, dans l'cole

    hermtique, au gnosticisme juif du Poimandrs etdu

    ~'e)'MMH secret sur la montagne. Au lieu de quel-

    ques expressions qui rappelaient la Bible, on trouve

    des souvenirs de la mythologie grecque, souvenirs

    trs-vagues et prsents sous une forme vhm-

    riste K Ceux qui peuvent s'abreuver de cette lu-

    mire divine quittent le corps pour entrer dans la

    vision bienheureuse, comme nos anctres Ouranos

    etKronos; puissions-nous leur ressembler, mon

    pre t On voit par les livres sibyllins que les juifs

    et les chrtiens adoptaient le systme d'vhmre

    et regardaient les Dieux du polythisme comme des

    hommes diviniss; mais ils condamnaient cette

    1. La Cle.

  • ETUDE SUR L'ORiGfNE

    apothose comme une superstition. Les paens, au

    contraire, y croyaient, et s'ils admettaient que la

    plupart des Dieux avaient t des hommes, ils ajou-

    taient que leurs bienfaits les avaient levs la divi-

    nit. Quand Herms parle de ses anctres Ouranos

    et Kronos, il croit leur apothose c'est donc l

    un vhmrisme paen, et non chrtien ou juif

    comme celui des livres sibyllins. Quelquefois il ap-

    pelle le ciel l'Olympe; ailleurs, il emprunte au sto-

    cisme cette fire pense L'homme est un Dieu

    mortel'. Mais aprs avoir constat ces signes carac-

    tristiques de l'influence grecque, il faut ajouter que

    la doctrine est reste la mme dans son ensemble,

    et de plus, que cette doctrine e&t plutt celle d'une

    poque que celle d'une cole. On la retrouve, saut

    quelques traits particuliers, dans Plotin et ses suc-

    cesseurs, dans Apule, dansMacrohe, et mme dans

    Origne et d'autres docteurs de l'glise. Il y a ainsi

    chaque sicle une somme d'ides communes

    toutes les sectes mme rivales et ennemies, et cela

    taits urtout vrai cette poque, o