(livres VII à IX) - BIBLIO - HACHETTE · Dans le « Discours à Madame de La Sablière », La...

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bibliolycée Fables (livres VII à IX) Jean de La Fontaine Livret pédagogique correspondant au livre de l’élève n° 76 établi par Véronique BRÉMOND BORTOLI, agrégée de Lettres classiques, professeur au CNED

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bibliolycée

Fables (livres VII à IX)

Jean de La Fontaine

L i v r e t p é d a g o g i q u e correspondant au livre de l’élève n° 76

établi par Véronique BRÉMOND BORTOLI,

agrégée de Lettres classiques, professeur au CNED

Sommaire – 2

S O M M A I R E

B I L A N D E L E C T U R E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5  « Haro sur le baudet ! » : un procès injuste (pp. 17 à 21) ........................................................................................................................... 5  

Une fable ironique (pp. 25-26) ................................................................................................................................................................. 8  Un éloge des fables (p. 74, v. 34, à p. 76, v. 70) ...................................................................................................................................... 10  Une fable épicurienne (pp. 124 à 126) ................................................................................................................................................... 13  

Une fable lyrique (pp. 132 à 136) ........................................................................................................................................................... 16  L’art de la réécriture (pp. 154-155) ........................................................................................................................................................ 20  

S U J E T S D ’ É C R I T . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 2  

Sujet 1 (pp. 219 à 223) ........................................................................................................................................................................... 22  Sujet 2 (pp. 224 à 230) ........................................................................................................................................................................... 26  

E X P L O I T A T I O N D E S I L L U S T R A T I O N S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 1  

B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 3  

Tous droits de traduction, de représentation et d’adaptation réservés pour tous pays. © Hachette Livre, 2017. 58, rue Jean Bleuzen, CS 70007, 92178 Vanves Cedex. www.biblio-hachette.com

Fables (livres VII à IX) – 3

B I L A N D E L E C T U R E

1. À qui est dédié le deuxième recueil de Fables ?

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2. Qui est Mme de La Sablière ?

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3. Citez 3 auteurs dont s’est inspiré La Fontaine pour son deuxième recueil de Fables.

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4. Citez 3 fables des livres VII à IX qui mettent en scène le Lion.

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5. Citez 2 fables faisant allusion à des faits ou anecdotes contemporains.

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6. Citez 1 fable double.

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7. Citez 2 fables ayant pour cadre l’Orient.

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8. Qui est Raminagrobis ?

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9. Qui est Garo ?

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10. Quelle fable est conclue par le vers « Je suis Gros-Jean comme devant » ?

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11. Quelle est la thèse défendue par La Fontaine dans le « Discours à Madame de La Sablière » ?

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12. Citez 2 fables qui critiquent les juges.

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13. Quel philosophe antique est le héros de l’une des fables ?

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14. De quelle fable vient l’expression « tirer les marrons du feu » ?

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15. Quels sont les principaux défauts humains dénoncés dans ces fables ?

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Bilan de lecture – 4

◆ Corrigé du questionnaire de lecture

1. Le deuxième recueil est dédié à Mme de Montespan, maîtresse de Louis XIV.

2. Mme de La Sablière a hébergé La Fontaine pendant vingt ans. Elle recevait, dans son salon, des écrivains, des savants, des voyageurs et des philosophes.

3. On peut citer Ésope, Abstémius, Pilpay, Locman.

4. On peut citer « Les Animaux malades de la peste », « La Cour du Lion », « Le Lion, le Loup et le Renard », « Les Obsèques de la Lionne ».

5. On peut citer « Le Rat qui s’est retiré du monde », « Un animal dans la Lune », « Le Curé et le Mort », « Les Devineresses ».

6. « Le Héron » et « La Fille ».

7. On peut citer « Les Souhaits », « Les Deux Amis », « Le Bassa et le Marchand ».

8. Raminagrobis est le Chat juge qui dévore la Belette et le Lapin dans « Le Chat, la Belette et le Petit Lapin ».

9. Garo est le paysan benêt dans « Le Gland et la Citrouille ».

10. Ce vers conclut « La Laitière et le Pot au lait ».

11. Dans le « Discours à Madame de La Sablière », La Fontaine soutient, contre Descartes, la thèse que les animaux ne sont pas des machines mais possèdent une forme d’âme.

12. « Le Chat, la Belette et le Petit Lapin » et « L’Huître et les Plaideurs ».

13. Il s’agit de Démocrite, dans « Démocrite et les Abdéritains ».

14. L’expression vient de la fable « Le Singe et le Chat ».

15. La Fontaine dénonce l’ignorance et la bêtise, la folie, la vanité, l’appétit de pouvoir ou d’argent, l’avarice, l’injustice…

Fables (livres VII à IX) – 5

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

« H a r o s u r l e b a u d e t ! » : u n p r o c è s i n j u s t e ( p p . 1 7 à 2 1 )

UN RÉCIT SAISISSANT u Les premiers vers de la fable constituent un prologue très solennel et impressionnant, de tonalité tragique : – La peste est un fléau divin dans l’Antiquité, comme on le voit au début d’Œdipe Roi de Sophocle : Apollon envoie ce fléau sur la ville de Thèbes, car le meurtrier du roi Laïos n’a pas été châtié. La peste est donc le signe de la colère des dieux (« le Ciel en sa fureur ») et d’une faute humaine (« punir les crimes de la terre ») qui doit être expiée. L’humanité tout entière, coupable sans que l’on sache de quoi, est confrontée à un « mal » venu d’une transcendance qui lui fait « la guerre », sans qu’elle puisse se défendre. Il s’agit donc de trouver le coupable qui va expier la faute et préserver ainsi la collectivité. – Omniprésence de la mort par son champ lexical : « mouraient », « frappés », « mourante », « Achéron ». – Impuissance des hommes suggérée par l’emploi systématique de la négation. – Présence des deux ressorts tragiques : la terreur (sensible dans l’horreur à prononcer le nom de la peste au vers 4) et la pitié (les tourterelles). – Rhétorique ample et solennelle : longueur de la phrase (v. 1 à 6, avec retard du sujet « la Peste » et du verbe) ; anaphore du terme « mal » ; recours à la mythologie (« Achéron »). – Transformation de la peste en personnage allégorique. Il s’agit donc d’un tableau initial très sombre, qui plonge le récit dans une atmosphère tragique fort rare dans les fables. On peut noter que la fin de la fable retrouve ce climat tragique, avec un vocabulaire exacerbé de la faute : « mal », « pendable », « crime abominable », « expier son forfait ». Le thème du bouc émissaire rejoint encore Œdipe Roi par la dimension religieuse du coupable qui devient « maudit » et qu’il faut « dévouer » pour les autres.

v Passages de discours rapporté : – discours direct pour les paroles du Lion (v. 15 à 33), du Renard (v. 34 à 42) et de l’Âne (v. 49 à 54) ; – discours indirect pour le Loup (v. 56 à 58) ; – discours indirect libre (v. 60) : il n’y a même pas de locuteur précis pour montrer le consensus anonyme de la foule. On remarque une dominance très nette du discours direct qui nous fait assister à une véritable scène de théâtre ou de tribunal, un vrai procès. Les personnages n’existent quasiment que par leur discours : ils ne sont pas décrits mais simplement nommés. La fable expose la puissance de la parole inique, qui oriente la vérité.

w Plan du texte : – v. 1 à 14 : tableau initial, présentation du fléau sur un ton tragique et solennel. Le texte est à l’imparfait, montrant un état qui dure, avant le début du récit proprement dit (passé simple) qui représente, en fait, une seule scène ; – v. 15 à 34 : discours du Lion, le premier et le plus long. C’est cette prise de parole du Lion qui constitue l’élément moteur de l’action ; – v. 34 à 42 : discours du Renard commentant celui du roi ; il est présenté sans aucune transition, à la suite du précédent ; – v. 43 à 48 : sommaire présentant les réactions des « gens querelleurs » ; – v. 49 à 54 : discours de l’Âne ; – v. 55 à 62 : réactions au discours de l’Âne ; condamnation et exécution immédiates ; – v. 63-64 : morale rapide. Après un début étonnamment long, l’action procède très vite, quasiment en temps réel. La Fontaine insiste sur les deux premiers discours, modèles d’hypocrisie et de flatterie. Il passe sur les autres qui paraissent bien grossiers dans leurs mensonges (« Au dire de chacun étaient de petits saints »). Le narrateur n’explique pas en quoi consistent leurs fautes : quelle qu’en soit leur gravité, puisque ce sont des « puissances » qui avouent, elles ne pèsent pas. Après le court discours de l’Âne, l’action s’accélère pour souligner le caractère expéditif du procès et de l’exécution.

x La gravure rend compte de la tonalité tragique du début de la fable, en montrant des animaux faméliques (même le Lion), un félin qui hurle à la mort tout en haut, des cadavres, des charognes à moitié dévorées… Le côté dramatique du récit est accentué par le nombre de prédateurs menaçants, gueule ouverte, encerclant le malheureux baudet, et la violence de la scène centrale de la gravure, renforcée par le fort contraste noir et blanc.

Réponses aux questions – 6

UN PROCÈS INIQUE y Le vocabulaire de la faute est très important, dès le prologue : « crimes » (2 fois), « péchés » (2 fois), « coupable » (2 fois), « conscience », « offense » (2 fois), « scrupules », « maudit », « peccadille », « forfait ». Les termes évoquant la justice sont également nombreux : il s’agit d’un procès sur fond religieux pour trouver, « en toute justice », le coupable à « dévouer » (« se sacrifie », « dévouements », « Je me dévouerai donc », « dévouer ») en vue de « la guérison commune » : « Que le plus coupable périsse ». Le tribunal est constitué du conseil du roi Lion, où chacun est à la fois juge et partie – ce qui fausse, bien entendu, le jugement. Désigné par un « on » collectif (v. 44 et 55), il est évidemment manipulé par la crainte des plus forts (« On n’osa trop approfondir »). Il est fait mention de : – l’accusation : « que chacun s’accuse ». Elle se rapproche de la confession religieuse, puisque chacun s’accuse soi-même et que l’on trouve le terme de « péché » (vocabulaire religieux), de même que l’évocation du « diable » et d’un animal « maudit » ; – la présence d’avocats : le Renard prend la défense du Lion ; la « harangue » du Loup peut s’apparenter au réquisitoire du procureur ; – la condamnation : « haro sur le baudet », « jugée un cas pendable », « la mort » ; – l’exécution : « expier son forfait ». La fable évoque donc bien un procès, mais marqué par de nombreux dysfonctionnements, où la justice se révèle injustice.

U Personnages du récit par ordre d’apparition : – le roi Lion : premier cité, il a droit au plus long discours ; il prend l’initiative du tribunal, mais n’intervient plus par la suite (il sait qu’il ne court aucun risque et laisse les courtisans faire le travail…) ; – le Renard représente le courtisan habile et haut placé : il prend la parole immédiatement après le roi, au discours direct également ; – viennent, ensuite, les « autres puissances » : Tigre, Ours, Mâtins, tous « gens querelleurs », animaux féroces, dangereux et prédateurs ; – enfin vient l’Âne, symbole de douceur et de soumission. Sa naïveté, voire sa bêtise sont mises en valeur par le discours direct ; – le Loup intervient à la fin (seulement au discours indirect) pour accuser injustement l’Âne ; il peut rappeler l’animal du « Loup et l’Agneau » par sa cruauté et sa rhétorique injuste mise au service de la « raison du plus fort ». On remarque donc que les animaux apparaissent par ordre de puissance, avec un temps de parole de moins en moins important (Lion, Renard, Âne). L’Âne est le seul herbivore au milieu de tous les carnivores et prédateurs : il n’a aucun moyen de se défendre contre les plus forts et se retrouve isolé – ce qui en fait la victime idéale pour les puissants.

V Les deux « confessions », du Lion et de l’Âne, sont présentées de façon parallèle pour en montrer la disproportion : – La faute : « J’ai dévoré force moutons » + « manger / Le Berger » (remarquer la rime !) ≠ « Je tondis de ce pré la largeur de ma langue ». Tout s’oppose ici : le carnivore qui « dévore » sa proie ≠ l’herbivore qui ne fait que « tondre » de l’herbe ; un massacre de grande ampleur (« force moutons ») + le rejet très expressif isolant « Le Berger » par un vers de 3 syllabes qui saute aux yeux ou aux oreilles ≠ un vol dérisoire (« la largeur de ma langue »). – La raison : « satisfaisant mes appétits gloutons » (pluriel et adjectif péjoratif) ≠ « la faim » (motif raisonnable), « l’occasion » (donc absence de préméditation). Mais l’Âne a la bêtise d’ajouter : « Quelque diable aussi me poussant », qui va donner une arme de plus à ses accusateurs pour le traiter de « maudit ». – Circonstance aggravante : « Que m’avaient-ils fait ? Nulle offense » ≠ « Je n’en avais nul droit ». Tout condamne évidemment le Lion, mais La Fontaine va montrer que la culpabilité reconnue est en proportion inverse de la faute commise. Ces deux aveux ont encore un point commun : ils sont commentés par les courtisans. La faute du Lion est effacée par le Renard, mais celle de l’Âne est démesurément grossie par le Loup et l’assemblée.

W Dans cette gravure, nous voyons essentiellement des prédateurs (félins, canidés, crocodile, ours) ou des charognards, comme le vautour. Le lion trône au centre de la partie haute du tableau, la patte sur une carcasse de cheval. Les herbivores encore vivants sont protégés par leur taille (éléphant, hippopotame, rhinocéros) ; les herbivores plus petits et sans défense servent de proies (cheval, mouton). Ce choix montre, comme chez La Fontaine, que la société est dominée par les puissants et régie par la loi du plus fort, et que les faibles ont peu de chances de survie.

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LA VICTOIRE DES PUISSANTS X Le jeu des pronoms : – Le discours du Lion est un chef-d’œuvre de mauvaise foi, puisque lui-même sait parfaitement qu’il ne risque rien… L’emploi fréquent des modalisateurs (« Je crois », « Peut-être ») et des euphémismes (« infortune », « accidents ») semble en opposition avec le tableau tragique du prologue : le Lion peut s’exprimer avec une certaine légèreté car il se sait hors d’atteinte. – Il se présente, au début, dans une pseudo-égalité avec ses sujets (appelés « Mes chers amis »), comme une sorte de guide parlant au nom de la collectivité, sans donner d’ordres (« Je crois », « je pense », « il est bon que »…). Mais on sait bien que, dans une monarchie absolue, la moindre pensée du prince vaut ordre ! – Le pronom personnel et l’adjectif possessif de la 1re personne du pluriel sont très employés : « nos péchés », « le plus coupable de nous », « L’histoire nous apprend », « notre conscience », « Ne nous flattons donc point », « voyons » ; on trouve aussi le pronom indéfini « on » (v. 22 et 32) et l’adjectif « commune ». Ces termes désignent l’ensemble des animaux, la collectivité soumise au même fléau, dans une apparente égalité. – Le Lion crée une rupture brutale au vers 25, en passant à une 1re personne du singulier soutenue : « Pour moi […] je ». Sa sincérité, appuyée par l’aveu de circonstances aggravantes soulignées par la versification et les rimes (« gloutons » / « moutons » ; « manger » / « berger »), est sans risque : il peut tout avouer, assuré qu’il est de trouver l’indulgence chez ses courtisans ! Le « je » de la confession est d’ailleurs immédiatement annulé par un autre beaucoup plus princier : « je pense ». La progression logique : – v. 15 à 23 : le Lion part d’une analyse religieuse du phénomène (« le Ciel ») et s’appuie sur l’exemple historique du bouc émissaire (v. 21-22) pour donner une solution qui paraît objective et assurée : le sacrifice d’un individu pour la cause commune ; – v. 23-24 : mise en œuvre de la décision, par 2 impératifs à la 1re personne du pluriel ; – v. 25 à 30 : aveu de culpabilité ; – v. 30 à 33 : retournement plein de mauvaise foi : le « donc » qui semblait marquer la conclusion logique de son aveu est d’abord fortement nuancé par « s’il le faut », puis clairement contrecarré par « mais ». Le « je » coupable est évacué pour renvoyer aux autres : « chacun », « le plus coupable ». Le discours s’achève sur une phrase menaçante, proférée cette fois comme un ordre sans réplique : « Que le plus coupable périsse ». Le roi a manifestement repris ses droits et montre que tout ce qui a précédé n’était qu’une comédie.

at Les flatteurs faussent totalement le procès et le fonctionnement de la justice, en dédouanant systématiquement les puissants puisque c’est leur intérêt. On voit d’abord la rapidité de leur intervention, quasi mécanique : le discours du Renard succède sans aucune transition à celui du roi, et l’infinitif de narration « et flatteurs d’applaudir » montre la servilité immédiate des courtisans. Le discours du Renard manifeste une flatterie tellement outrée et absurde qu’elle fait bien sentir l’ironie accusatrice de La Fontaine. D’abord, il redonne au Lion sa place de « roi » (à noter que La Fontaine s’amuse à faire rimer ce mot avec « moi » !), l’appelle « seigneur » et le qualifie de « bon ». Son but est de transformer le coupable en innocent au mépris de toute réalité. Les termes « scrupules » et « délicatesse » atténuent et même retournent à son avantage l’aveu brutal du roi, qui est présenté comme excessif par l’emploi redoublé de « trop » : la confession des massacres commis, au lieu de dénoncer la faute, met en lumière la remarquable honnêteté du souverain ! Il s’agit, ensuite, pour le Renard, de transformer les victimes en coupables : les moutons ne sont que « canaille, sotte espèce » et le berger apparaît comme un persécuteur des animaux (« Étant de ces gens-là qui sur les animaux / Se font un chimérique empire »). Ainsi le crime est-il transformé en bienfait : le « péché » devient « honneur », et le meurtre du berger acte de justice puisqu’il « était digne de tous les maux » ; le Lion semble même alors être le vengeur et le sauveur des animaux en le dévorant (alors qu’il s’agit d’un pacifique berger et non d’un chasseur). La Fontaine dénonce cette flatterie par l’ironie, en soulignant le décalage entre la réalité et ce qu’en dit l’assemblée des courtisans : la « délicatesse » ne semble pas être la qualité première de ce Lion glouton ; quel honneur fait-on à quelqu’un en le « croquant » ?! Mais le fabuliste peut aussi intervenir directement pour insister sur la déformation imposée à la réalité : il pointe explicitement, par le superlatif « Les moins pardonnables offenses », que l’« On n’osa trop approfondir », car il s’agit de celles des « puissances » (noter la rime). Et la rime plate « mâtins » / « saints » dénonce l’ampleur de l’hypocrisie.

ak L’Âne est condamné par toute l’assemblée, heureuse d’avoir trouvé une victime expiatoire. La foule, qui s’empressait d’innocenter les puissants, montre la même vélocité à accabler le faible : « À ces mots, on cria haro sur le baudet. » Le pronom indéfini « on » qui est employé ici, comme au vers 62, souligne l’anonymat de la foule, tout comme le discours indirect libre (v. 60), sans accusateur désigné, qui ne fait que renchérir sur la « harangue » du Loup.

Réponses aux questions – 8

La même maîtrise rhétorique (le Loup est « quelque peu clerc ») utilisée pour blanchir le roi sert, ici, à noircir l’Âne : il est traité de « baudet », « maudit », « pelé », « galeux » ; la « peccadille » (jugée comme telle par le narrateur) devient « cas pendable », « crime abominable », « forfait » (cf. le jeu sur les sonorités proches : « peccadille » / « pendable » / « abominable »). L’Âne meurt d’une parole mensongère et inique dont la force tient uniquement à la puissance de celui qui la prononce. Il meurt aussi de son statut de faible qui en fait le bouc émissaire (« d’où venait tout leur mal ») d’une assemblée dominée par les prédateurs. C’est ce que souligne cruellement la morale, en associant (avec les sonorités) « puissant » et « blanc » (≠ « misérable » et « noir »). Il n’est pas sanctionné en fonction de ce qu’il a fait, mais de ce qu’il est. C’est, en fait, à la force brute que doit céder le pauvre baudet, comme le montre la suggestivité elliptique de la formule : « on le lui fit bien voir ». Par un renversement terrifiant, c’est la violence du châtiment qui prouve la culpabilité : la force devient ici le droit, selon la « raison du plus fort » qui donne aussi au même Loup le droit de dévorer l’Agneau.

al Suggestion d’un plan : 1. Il s’agit bien d’un jugement…

A. Une situation tragique qui exige un coupable (question 1) B. Le récit d’un procès : – le plan du texte (question 3) – les éléments du procès (question 5) – la place du discours direct (question 2)

2. … mais d’un jugement inique. A. Dominé par la mauvaise foi et l’hypocrisie (questions 6 et 7) B. Dominé par les courtisans flatteurs (questions 8 et 10) C. Dominé par les puissants (questions 5, 6 et 9)

am La gravure met en évidence la domination des puissants, par le choix des animaux survivants et la place dominante du roi Lion (cf. question 8). Les plus faibles ne sont présents, pour la plupart, qu’à l’état de charognes ou de carcasses. Le tribunal de la Cour est évoqué, dans la gravure, par la disposition des personnages : le Lion trône sur une sorte d’estrade, comme un président de cour d’assises. Le Baudet se trouve plus bas à la place de l’accusé. Il est entouré d’un cercle de prédateurs qui ne lui laissent aucune chance. Sa mort est représentée de façon particulièrement cruelle, car il est livré sans défense aux crocs et aux griffes de quatre prédateurs. Sa tête renversée en arrière, bouche ouverte, semble faire entendre son cri d’agonie.

U n e f a b l e i r o n i q u e ( p p . 2 5 - 2 6 )

UNE FABLE PLAISANTE u Les 4 étapes du récit (v. 1 à 31) : – v. 1 à 12 : situation initiale présentant la retraite du Rat dans son fromage et le profit qu’il en tire ; – v. 13 à 23 : élément perturbateur, souligné par « Un jour » (la députation des rats qui vient déranger l’ermite) ; discours des députés ; – v. 24 à 29 : réponse du Rat ; – v. 30-31 : conclusion brutale et retour à la situation initiale. La Fontaine s’attarde sur la situation initiale : il fait un tableau visuel et amusant du Rat dans son fromage où dominent les images de rondeur (« fromage de Hollande », « à la ronde », « gros et gras »). Ensuite, la fable va très vite et n’est faite que d’une scène dialoguée, conclue par la brutalité de la porte claquée.

v Types de discours rapportés employés par La Fontaine : – discours indirect libre pour la députation (v. 16 à 23) ; – discours direct pour la réponse du Rat (v. 24 à 29). Le nœud de l’histoire est un dialogue sans commentaire du narrateur. Le Rat a droit au discours direct qui fait mieux sentir son hypocrisie au lecteur.

w Vocabulaire politique : « députés », « peuple », « terre étrangère », « Ratopolis », « République ». La Fontaine s’amuse à projeter, dans le monde animal, un événement contemporain : le fromage de Hollande évoque la guerre du même nom ; la demande de secours au nom du peuple rat fait allusion à la participation à l’effort de guerre imposée par l’État au clergé régulier ; le refus du Rat reproduit la réponse des moines. Le fabuliste donne ainsi des pistes d’interprétation tout en les brouillant.

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x La Fontaine s’amuse à brouiller les pistes également dans la localisation du récit : on voit mal comment les légendes orientales pourraient évoquer un fromage de Hollande ! Sommes-nous donc en Europe ou en Orient ? La morale va jouer évidemment de cette confusion, sur le mode ironique, en opposant « Moine » et « Dervis ». Le nom pompeux et comique inventé par La Fontaine, « Ratopolis », fait sourire et nous plonge, cette fois, dans un contexte de l’Antiquité grecque. Le fabuliste va et vient entre le monde animal et le monde humain : il est normal qu’un rat se réfugie dans un fromage, mais pas pour y faire une retraite spirituelle ! Rats et chats sont bien des ennemis dans la nature, mais, ici, ils deviennent les représentants d’un peuple vivant dans une cité qui envoie une députation en bonne et due forme. On peut s’arrêter sur l’expression « de pieds et de dents » qui illustre bien la technique de La Fontaine : il part d’une expression toute faite, s’appliquant aux hommes (« des pieds et des mains »), et il la transforme en remplaçant les mains humaines par les « dents » du rongeur tout en humanisant les pattes du Rat avec le mot « pieds ». Tous ces détails sont autant de clins d’œil au lecteur : La Fontaine joue avec les références connues, les attendus du lecteur, les allusions à double sens, pour l’amuser mais sans doute aussi pour lui ouvrir les yeux et l’inviter à aller plus loin dans l’interprétation.

y Effets d’hétérométrie et de sonorités qui rendent le récit plaisant : – v. 8 : accumulation de monosyllabes et de dentales qui reproduit le grignotement rapide du Rat ; – v. 9 à 11 : les 3 alexandrins à la suite rendent visible l’embonpoint croissant du Rat ; – v. 10 : enjambement qui crée un effet de surprise et révèle les vraies aspirations du Rat ; – v. 15, 17, 19 et 22 : chaque alexandrin met en valeur une demande pressante des Rats ; – v. 26-27 et 27-28 : les enjambements mettent en valeur l’hypocrisie du refus du Rat ; – v. 30-31 : après les 2 alexandrins dévots, les courts octosyllabes miment la porte qui se referme brutalement.

UNE FABLE SATIRIQUE U Le premier défaut du Rat est l’hypocrisie, puisqu’il se fait passer pour un « dévot personnage » – ce qu’il n’est évidemment pas du tout – le terme « personnage » nous suggère, d’ailleurs, d’emblée que ce n’est qu’un dévot de comédie, un Tartuffe. On peut relever dans la présentation du Rat une discordance criante entre sa vocation affichée et ce qu’il recherche en réalité : le vocabulaire religieux est abondant (« soins d’ici-bas », « ermite », « ermitage », « Dieu », « ceux qui font vœu d’être siens »), mais le désir érémitique qui pouvait être crédible au départ (à part la mention curieuse du fromage !) s’effondre dans l’enjambement du vers 10, qui révèle les vraies visées du Rat (« Le vivre et le couvert ») ! Cet ermite n’a donc pas fui « les soins d’ici-bas » par désir d’ascétisme et de retraite monastique, mais tout simplement pour se trouver un bon fromage dont il puisse profiter sans partage.

V Les députés usent de 2 arguments : – leur situation est dramatique, militairement puisqu’ils subissent un siège (« Ratopolis était bloquée », « attaquée ») et financièrement (« sans argent », « indigent », termes renforcés par la rime plate) ; – leur demande est très modérée (l’argument encadre leur discours) : « quelque aumône légère » ; « Ils demandaient fort peu ». Ces arguments veulent susciter la compassion mais s’adressent aussi à la raison en montrant que le don sera très limité. La Fontaine souligne donc ainsi que le Rat est hermétique à tout sentiment de pitié et d’un égoïsme absolu, refusant même tout point de vue raisonnable.

W Le Rat se montre égoïste et hypocrite, deux défauts déjà suggérés dans la présentation initiale. Son égoïsme se manifeste clairement dans sa réponse par son refus d’écouter et de prendre en compte les demandes des députés, alors qu’il les appelle hypocritement « Mes amis » : négation du vers 25, questions oratoires des vers 27 et 28 qui rejettent donc tout dialogue. Ces 2 questions, qui contiennent les termes « aide » et « assister », sont marquées, à chaque fois, du signe de l’impuissance (« En quoi peut […] », « Que peut […] »). Enfin, le court vers 31 mime la brutalité de sa porte claquée au nez des malheureux envoyés. Son hypocrisie se révèle d’abord par sa façon de se désigner comme « un pauvre reclus », alors qu’on sait qu’il est « gros et gras » et que son ermitage est un fromage ! De même, son assertion d’ermite – « Les choses d’ici-bas ne me regardent plus » (bel alexandrin, qui rejoint le vers 2) – vaut sans doute pour ce qui concerne autrui, mais on sait que lui s’est révélé fort intéressé par les « biens » prodigués par Dieu… ou son fromage ! Il se dégage, sur « le Ciel » de toute responsabilité et de toute charité, pourtant liée à son état. On peut remarquer, d’ailleurs, que ces recours au Ciel s’expriment en alexandrins pompeux comme un prône ! Mais même sa prière paraît bien parcimonieuse, puisqu’il n’espère de la divinité que « quelque souci » (qui fait cruellement écho à « quelque aumône » humblement réclamée par les députés). La religion et Dieu ne lui servent donc qu’à justifier et masquer son égoïsme, le rendant très proche de

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Tartuffe, utilisant la façade de la religion pour satisfaire ses intérêts personnels en ce qui concerne le sexe, l’argent et la vie matérielle – l’expression « gros et gras » se retrouve, du reste, dans la scène 4 de l’acte I du Tartuffe pour le désigner : « Gros et gras, le teint frais, et la bouche vermeille ».

X C’est essentiellement son égoïsme qui est représenté sur la gravure : comme chez La Fontaine, le Rat et son environnement sont marqués par la rondeur, signe de son embonpoint et de l’abondance de ses biens (rondeur du fromage, du tonneau, des bouteilles…). Le « dévot personnage » ne sort que la tête de son fromage et regarde de haut ses congénères, situés plus bas que lui et figurant dans une attitude de suppliants.

UNE FABLE IRONIQUE at Au tout début, la désignation est très vague : « Le Rat », « un certain Rat ». Puis les périphrases dans le récit sont toutes marquées par le lexique religieux : « Notre ermite nouveau », « dévot personnage », « le Solitaire », « Le nouveau Saint ». L’adjectif « nouveau » montre bien l’ironie de La Fontaine : cette nouveauté vient-elle du fait qu’il s’agit d’un rat (ce qui fait juste sourire) ou parce que son ermitage est un fromage et sa solitude peu ascétique (ce qui est beaucoup plus critique) ? On peut remarquer que, dans le corps du récit, le fabuliste ne critique pas directement le personnage par des termes franchement péjoratifs, mais c’est leur excès progressif qui nous dévoile son ironie : de « dévot », il est passé à « Saint » au dernier vers du récit ! Ce dernier terme relève aussi de l’antiphrase puisque ce prétendu saint vient de faire preuve d’égoïsme et de mensonge. Ce n’est que dans la moralité que le personnage du Rat est directement critiqué par La Fontaine qui le qualifie de « Rat si peu secourable » ; mais, là, l’antiphrase porte non plus sur le personnage lui-même mais sur son interprétation.

ak La Fontaine s’amuse avec ironie à justifier presque « théologiquement » le Rat par 2 interventions du narrateur : la première (« que faut-il davantage »), bien loin d’évoquer une humble vie de privations, souligne la limite très matérielle des aspirations soi-disant spirituelles du Rat. La seconde ressemble à une sentence de docte prêcheur (« Dieu prodigue ses biens / À ceux qui font vœu d’être siens ») : elle cautionne, par la grâce divine, le profit bien prosaïque du Rat, devenu « gros et gras », et fort éloigné de l’ascétisme promis par les « vœux » monastiques ; le jeu porte sur le double sens des « biens » spirituels promis par Dieu, qui, dans le cas du Rat, sont strictement temporels ! L’antiphrase dénonce l’hypocrisie du Rat et invite le lecteur à une lecture plus subtile de la fable.

al La moralité de la fable est ironique dans le jeu de question/réponse du fabuliste qui surprend absolument le lecteur. L’antiphrase est évidente au vers 34 où il faudrait inverser les termes « Moine » et « Dervis ». L’assertion finale « un Moine est toujours charitable » est donc une féroce antiphrase, encore accentuée par l’adverbe « toujours » et la modalisation « Je suppose », qui met en évidence la distorsion entre l’idéal monastique et la réalité du comportement de certains moines. La Fontaine utilise le décalage ironique dans la distanciation orientale qui fait écho au premier vers : il lui permet de se livrer à une attaque virulente contre les ordres réguliers tout en se protégeant des membres influents du clergé. Il sait aussi qu’il n’a sans doute rien à craindre du roi qui, à cette époque, n’a pas encore versé dans la dévotion et se trouve même critiqué par le parti dévot pour ses nombreuses liaisons adultères.

am Suggestion d’un plan : 1. Critique d’un personnage égoïste

A. Le plan du texte montre son refus à la demande de secours (question 1) B. Son discours révèle son égoïsme (questions 7 et 8)

2. Critique d’un personnage hypocrite A. La présentation du personnage montre le décalage entre sa prétendue vocation et la réalité (questions 6, 9 et 10) B. Son discours révèle son hypocrisie (question 8)

3. Critique ironique fondée sur une situation contemporaine A. Les décalages dans la localisation du récit (questions 3, 4 et 11) B. L’ironie de la morale (questions 11 et 12)

U n é l o g e d e s f a b l e s ( p . 7 4 , v . 3 4 , à p . 7 6 , v . 7 0 )

UN RÉCIT VIRTUOSE u Plan de l’extrait : – v. 34-35 : mise en place très rapide du cadre – lieu (« Dans Athène »), temps (« autrefois »), situation (« patrie en danger »), personnage (« Un Orateur ») ;

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– v. 35 à 47 : premier discours de l’Orateur ; discours sérieux et violent (v. 35 à 42) que personne n’écoute (v. 43 à 47) ; – v. 48 à 60 : changement de tactique de l’Orateur (« Il prit un autre tour ») et réaction de l’assemblée ; – v. 61 à 64 : succès final du discours ; – v. 65 à 70 : moralité. C’est donc un récit qui dramatise une situation de parole et met en scène sa réception ; il est très rapide et très équilibré dans l’opposition entre les deux types de discours. Le récit est construit selon le schéma narratif classique : situation initiale et élément perturbateur (le fait que l’on n’écoute pas l’Orateur) (v. 34 à 39) ; péripéties (v. 39 à 60) ; situation finale (v. 61 à 64).

v Le champ lexical de la parole est très développé : « Orateur », « tribune », « parla », « fit parler », « tonna », « dit », « paroles » (polyptote), « harangueur », « cria » + vocabulaire de la rhétorique (« figures », « traits »). Discours rapporté : – discours narrativisé (v. 38 à 42) pour le premier discours de l’Orateur ; – discours direct : fable de l’Orateur (v. 49 à 53) ; question de l’assemblée (v. 54 : « Et Cérès, que fit-elle ? ») ; réponse de l’Orateur (v. 55 à 60) ; – discours indirect libre rapportant les paroles de Cérès (v. 57 à 59) : noter le changement d’énonciation avec le passage à la 3e personne (« contre vous » / « son peuple ») ; – discours direct pour la morale du fabuliste (v. 65 à 70). Il y a donc 4 locuteurs dans cette fable et 3 niveaux de discours : 1) le fabuliste, conteur et moraliste, qui raconte la fable et s’exprime directement dans la morale ; 2) l’Orateur et l’assemblée des Athéniens ; 3) Cérès à l’intérieur de la fable de l’Orateur.

w La fable est évoquée dès le titre « Le Pouvoir des fables », qui tranche avec le titre ordinaire des fables présentant les protagonistes : La Fontaine nous invite donc à une réflexion métapoétique, où la fable se prend elle-même comme sujet et objet. En outre, si on lit l’intégralité de la fable, avec la longue dédicace à l’ambassadeur M. de Barillon, la fable du fabuliste est déjà un second niveau de discours inséré dans un discours-cadre qui désigne et commente la fable qui va suivre : « contes vulgaires », « mes vers et leurs grâces légères », « récit en vers », « Son sujet vous convient ». Si on n’étudie que le passage proposé aux élèves, on a une fable-cadre, racontée par La Fontaine, qui contient, en abyme, une seconde fable – celle de Cérès –, racontée par l’Orateur. Celle de Cérès se reconnaît à différentes caractéristiques : – les personnages : un personnage mythologique et deux animaux présentés génériquement avec l’article défini ; – le type de narration : un début très bref présentant la situation initiale à l’imparfait et l’élément perturbateur au présent de narration (« Un fleuve les arrête ») ; une action rapide (« Le traversa bientôt ») ; – le flou spatio-temporel : pas d’indice de lieu (« Un fleuve ») ni de temps (« un jour »). Pour la fable-cadre, La Fontaine s’amuse à brouiller les pistes : il l’ancre dans un cadre spatio-temporel assez précis en faisant référence à un lieu et des circonstances historiques (« Philippe »), tout en gardant l’anonymat de l’Orateur. Il n’y a pas d’animaux mais un clin d’œil du fabuliste qualifiant le peuple d’Athènes d’« animal aux têtes frivoles ». Ces fables emboîtées, qui deviennent objets de discours et de jugement (cf. dédicace), semblent mettre en valeur la diversité du genre.

LA FORCE DE LA PERSUASION x La Fontaine insiste sur l’absence d’attention du peuple d’Athènes par des propositions courtes et juxtaposées, qui semblent casser les envolées rhétoriques de l’Orateur : « On ne l’écoutait pas » ; « Le vent emporta tout ; personne ne s’émut » ; « Tous regardaient ailleurs ». La répétition en chiasme (v. 39 et 45, début et fin de vers : « On ne l’écoutait pas » / « ne daignait l’écouter ») souligne l’échec du discours, tout comme l’accumulation de négations (v. 39, 43, 45 et 47). Même l’attention visuelle fait défaut : « Tous regardaient ailleurs ». Le fabuliste suggère une opposition entre la situation dramatique d’Athènes et les combats à venir (« patrie en danger », « péril qui le menace », « Philippe ») et les « combats d’enfants » qui retiennent l’attention du peuple. Enfin, l’emploi de pronoms impersonnels ou totalisants (« on », « tout », « personne », « tous ») montre que cette inattention est absolument générale et sanctionne, une fois de plus, l’inefficacité totale de l’orateur.

y D’abord, les Athéniens ne paraissent pas avoir une grande maturité intellectuelle ni politique et sont qualifiés de « peuple vain et léger » et d’« animal aux têtes frivoles » : le singulier global semble lui prêter aussi une conduite grégaire. Cette légèreté n’a pas l’air de s’accommoder du lourd sérieux du discours. En effet, l’Orateur emploie, face à ce public puéril, une mauvaise méthode. Son discours est présenté par le narrateur comme violent : « fortement », « figures violentes », « tonna ». Sa force de conviction semble une sorte de coup de

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force contre les esprits qui vise à « forcer les cœurs » et « exciter les âmes ». Son art est qualifié par l’adjectif très fort « tyrannique », qui rime en opposition avec « République » : il paraît donc porter atteinte à la liberté de pensée et de juger, si chère à la démocratie athénienne, toute frivole qu’elle soit. Ce recours à la force est donc inefficace face à un « peuple vain et léger » qui s’en protège en ne l’écoutant pas. En outre, il emploie une rhétorique sérieuse, voire pesante : « fit parler les morts » (prosopopée), « parla fortement ». Là encore, ces « traits » sont inefficaces, car le public y est habitué (« étant faits à ces traits ») et sa sensibilité en est émoussée. Il faudra autre chose pour le séduire et réveiller son attention. On peut remarquer également que l’Orateur, à l’extrême fin de son premier discours, est qualifié de « harangueur », terme péjoratif qui, selon le Dictionnaire Littré, désigne « celui qui parle beaucoup, celui qui fait des réprimandes sur toutes choses ». L’excès de rhétorique, la pesanteur du discours et sa violence sont donc discrédités.

U « L’assemblée » (v. 53 et 61) – noter que ce terme est beaucoup moins péjoratif que ceux employés dans la première partie (« peuple vain et léger », « têtes frivoles ») – est aussitôt conquise par la fable inventée, comme le montrent la rapidité et l’enjambement : « L’assemblée, à l’instant / Cria tout d’une voix ». L’unanimité soulignée est, cette fois, du côté de l’attention aux paroles et de la participation – ce qu’exprime la question posée au discours direct. La fable, grâce à son détour par la fiction, a accroché l’attention de l’assemblée, qui est « réveillée » de son indifférence par la curiosité. Au lieu de se sentir contrainte et violentée par le « harangueur », elle « Se donne entière à l’Orateur » : par la persuasion et le plaisir du récit, l’assemblée adhère au discours. Grâce à un discours plaisant, qui s’est insinué dans les esprits et les a séduits, elle accepte désormais le débat sérieux et se plie au « courroux » et au « reproche » qui la faisaient fuir auparavant. Le « trait de Fable » l’a donc emporté sur les « traits » de rhétorique du premier discours.

LA MORALITÉ EN ACTION V Le terme « enfant » parcourt la fable : « combats d’enfants », « contes d’enfants », « comme un enfant ». C’est un des termes clés du texte : tous les hommes sont, pour une part, restés des enfants et ont l’esprit « léger » et « frivole » ; le principe de plaisir demeure fondamental pour tout être humain, comme le soulignent les termes « plaisir » et « amuser ». Le terme « contes » apparaît dans la fable de Cérès, puis est repris par le fabuliste (« Si Peau-d’Âne m’était conté »). Pour Cérès, le terme est péjoratif et contient un reproche : celui de se laisser distraire par un récit léger au lieu de s’attaquer de front aux problèmes sérieux. Au contraire, La Fontaine revendique en termes forts le « plaisir extrême » qu’il trouve dans ce conte. Le « peuple » représente finalement tout un chacun, comme le soulignent les pronoms employés par le fabuliste dans la morale : « Nous », « tous », « moi-même ». Tous, fabuliste et lecteurs, avons besoin qu’on nous « amuse ». En tant qu’homme, La Fontaine se place du côté du peuple d’Athènes, mais, en tant que fabuliste, il est l’orateur qui sait s’adapter à son public et plaire d’abord pour instruire.

W La Fontaine se pose d’abord en moraliste pour souligner un trait du caractère humain qui a besoin d’être « amusé » ou diverti, comme dirait Pascal. Il avoue, lui aussi, son plaisir enfantin à entendre conter des histoires. Il parle également en fabuliste et revendique la dimension ludique des fables. Mais, au lieu d’en faire un défaut, il la transforme en atout de persuasion : la fable nous séduit d’abord et permet ainsi de faire passer un message plus sérieux, rebutant s’il est traité d’emblée. Il conclut donc à la supériorité de la persuasion sur le discours sérieux et redore ainsi le blason de la fable en terminant le récit sur le mot « honneur ». On peut aussi s’appuyer sur la dédicace, où il ne craint pas d’adresser des « contes vulgaires » à un ambassadeur qui a à régler des problèmes graves où la paix de l’Europe est en jeu : une fable, outil efficace de persuasion, peut ainsi légitimement « prendre un air de grandeur ».

X La force de cette fable réside dans le fait qu’elle est une morale en acte : pour nous prouver que les fables séduisent et persuadent, La Fontaine offre au lecteur l’une d’elles qui le séduit. Tout est fait, ici, pour captiver le lecteur : – un récit bref et qui fait sourire : oppositions entre le sérieux et le léger, retournements de situation, etc. ; – l’efficacité de l’irruption de la fable inachevée qui surprend et accroche le lecteur, comme l’assemblée des Athéniens ; – la place du discours direct qui rend le récit plus vivant ; – la séduction intellectuelle de la mise en abyme et de tous les échos qu’elle produit : par exemple, la répétition « que fit le harangueur ? » / « Et Cérès, que fit-elle ? » / « ce que Philippe fait » qui nous fait passer avec virtuosité dans les 3 niveaux de narration (la fable-cadre / la fable de Cérès / le discours de l’Orateur) ; – le jeu sur les vers : les alexandrins pour la rhétorique pesante de l’Orateur / les octosyllabes et les alexandrins pour la variété de la fable / les octosyllabes pour le « réveil » de l’assemblée ;

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– l’implication du lecteur, invité à se reconnaître dans le « peuple » d’Athènes et interpellé par la question rhétorique (v. 48). On peut même se demander si l’intention d’instruire n’est finalement pas qu’un prétexte pris par La Fontaine pour s’adonner surtout au plaisir de la narration, comme semble le suggérer le vers final « Il le faut amuser encor comme un enfant. »

at Suggestion d’un plan : 1. La fable montre « le pouvoir des fables »

A. Opposition entre l’échec d’une rhétorique sérieuse… (questions 4 et 5) B. … et le succès de la fable (question 6) C. La Fontaine revendique la dimension ludique de la fable… (question 7) D. … mais aussi sa profondeur (question 8)

2. La fable joue sur le plaisir du lecteur A. Un récit complexe et séduisant, grâce à la mise en abyme (questions 2 et 3) B. Une narration plaisante (question 9)

ak Le récit d’Ésope est beaucoup plus court et sec ; en particulier, il ne dit rien des caractéristiques du premier discours, si ce n’est qu’« on n’[y] prêtait pas beaucoup d’attention » ; de même, au contraire de La Fontaine, il ne détaille pas les manifestations de désintérêt de la foule. Donc les 2 premières phrases d’Ésope sont développées par La Fontaine en 15 vers – ce qui va lui permettre d’opposer plus précisément les 2 types de discours. Les personnages sont peu précisés chez Ésope : l’Orateur a simplement droit au nom de Démade, alors que La Fontaine ne lui donne pas de nom mais contextualise son discours (« Que ne demandez-vous ce que Philippe fait ? »). Le peuple d’Athènes est désigné par « on », alors que, chez La Fontaine, il est présenté de façon beaucoup plus pittoresque (« L’animal aux têtes frivoles »). Enfin, Déméter parle chez Ésope de manière assez neutre, par un discours narrativisé, tandis que La Fontaine rend les paroles de Cérès plus vivantes par le discours indirect libre. C’est avec la morale que l’on voit le plus clairement comment La Fontaine prend ses distances avec son modèle, puisqu’il aboutit à un point de vue opposé. Les deux fabulistes partent du même principe : les hommes sont « déraisonnables » et ont « la tête frivole » comme des enfants. Mais Ésope en reste à ce constat, alors que La Fontaine en tire un éloge de l’apologue, absent de la fable de son modèle : c’est parce que les hommes sont toujours des enfants que la fable a tant de pouvoir sur eux et permet de les « réveiller ». On peut remarquer aussi qu’Ésope présente sa morale sèchement, de façon totalement impersonnelle (« les hommes », « ceux-là »), alors que La Fontaine s’y implique par la 1re personne, d’abord du pluriel, puis du singulier.

al Le graveur a transposé la fable à son époque, dans le contexte politique de l’Assemblée. Un orateur se livre à de grandes envolées rhétoriques, comme le suggère son bras levé, mais le président semble s’être assoupi, et les autres députés ne l’écoutent pas et lui tournent même le dos. Ils sont tous massés autour d’un dessin représentant la fable de Cérès : on reconnaît la déesse et les deux animaux, hirondelle et anguille. Tous les yeux convergent vers le dessin ; on voit même un personnage qui sourit. On retrouve donc le procédé de « mise en abyme », puisque l’illustrateur a représenté un dessin dans le dessin.

U n e f a b l e é p i c u r i e n n e ( p p . 1 2 4 à 1 2 6 )

UNE STRUCTURE PARTICULIÈRE u Plan de la fable : – v. 1 à 12 : morale initiale sous la forme d’un dialogue entre le fabuliste et le lecteur. Elle se termine par l’annonce d’une fable double : « redoute un sort semblable / À celui du Chasseur et du Loup de ma fable » ; – v. 13 à 32 : première fable, celle du Chasseur « convoiteux » ; – v. 33-34 : 2 vers de transition, pointant les 2 cibles : les « convoiteux » / « L’avare ». – v. 35 à 48 : deuxième fable, celle du Loup « avare » ; – v. 49 à 52 : morale finale qui renvoie à la première par le verbe jouir et aux 2 fables par les termes « convoitise » et « avarice ». La structure est originale car elle contient 2 fables, comme l’arc du chasseur à double détente ! Elles illustrent deux pendants du même défaut humain : avarice et convoitise, réunies dans l’idée de « fureur d’accumuler » et opposées à la jouissance de l’immédiat. Par ailleurs, la morale est dispersée en 3 endroits, ce qui permet d’accentuer son lien avec le récit :

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– annonce de la fable à venir (v. 11-12) sous forme d’admonition pressante (« Jouis », « redoute ») ; – précision des 2 cibles (v. 33-34) ; – dernière morale synthétique. Le caractère didactique est donc très marqué : le lecteur est guidé clairement dans son interprétation ; mais La Fontaine n’oublie évidemment pas le côté plaisant avec les 2 récits et le dialogue avec le lecteur. La place importante et diversifiée de la morale et le double récit montrent aussi sans doute combien ce sujet lui tient à cœur.

v Le Loup et le Chasseur sont des prédateurs, qui parfois même sont victimes l’un de l’autre. Le Chasseur est souvent en proie à une frénésie de tuer (cf. la légende de saint Julien l’Hospitalier reprise par Flaubert dans les Trois Contes), et le Loup est toujours présenté comme affamé (cf. le réseau lexical : « friand » [v. 19], « vastes appétits » [v. 25] / « mangeons » [v. 43]). Ils subissent une mort identique : le Chasseur est éventré, et le Loup a « les boyaux percés ». On peut penser qu’ils sont atteints dans le lieu même de leur convoitise ou de leur avarice : le ventre (cf. l’insistance sur le mot « boyau[x] » dans la seconde fable, v. 45 et 48). Dans les deux cas, c’est ce dont ils pensaient se repaître qui tue les prédateurs : le sanglier et l’arc. Présence insistante de l’arc dans les 2 récits, instrument de la mort subite. C’est le seul « personnage » qui passe d’une fable à l’autre : « De son arc toutefois il bande les ressorts » / « l’arc, qui se détend ». Même thématique : tous les deux remettent à plus tard la jouissance du bien présent et s’en verront privés par la mort. On retrouve ainsi, dans les 2 récits, le thème de la satiété : – « C’était assez de biens » (v. 24) / « que de biens » (v. 37) ; – « rien ne remplit » (v. 24) / « toutes pleines » (v. 42).

w Les 5 passages où le fabuliste intervient directement dans le récit (v. 13 à 48) sont : – « La proie était honnête : un Daim avec un Faon ; / Tout modeste Chasseur en eût été content » (v. 16-17). – « C’était assez de biens ; mais quoi ! rien ne remplit / Les vastes appétits d’un faiseur de conquêtes » (v. 24-25). Ici, le fabuliste interrompt sa narration pour s’adresser au lecteur et lui signaler clairement le défaut du personnage. L’intervention du narrateur est visible par le changement de mode ou de temps : passage au subjonctif plus-que-parfait (« eût été ») ; passage au présent de vérité générale (« remplit »). On peut remarquer le style presque familier avec lequel il sollicite le lecteur – prolepse du complément (v. 16), interjection (« mais quoi ») – pour réveiller son attention par l’effet de surprise. Dans les deux cas, la phrase oppose la conduite raisonnable et mesurée (« honnête », « modeste », « assez ») à celle du Chasseur, sous forme d’une critique formulée à l’irréel du passé (ce qu’il aurait dû faire et qu’il n’a pas fait) ou au présent de vérité générale soulignant le défaut moral (« vastes appétits »). – « Surcroît chétif aux autres têtes » (v. 28). L’intervention est moins visible ici, car elle n’interrompt pas la narration mais donne un jugement négatif sur l’action du Chasseur, avec les 2 termes péjoratifs « surcroît » (superflu) et « chétif ». On peut remarquer que ces interventions ponctuent chaque nouvelle victime du Chasseur, pour souligner sa folie insatiable. – « (Ainsi s’excusent les avares) » (v. 39). L’intervention se fait ici entre parenthèses, à cause du discours direct ; il est rare que La Fontaine s’exprime de cette façon – ce qui la rend d’autant plus marquante. Là encore, il guide clairement l’interprétation du lecteur, rendue plus ambiguë par le discours direct où le narrateur s’efface, et signale le défaut moral de son personnage en lui redonnant l’étiquette déjà utilisée au vers 34 (« L’avare » / « les avares »). La Fontaine moraliste veut être sûr, ici, que le lecteur ne passe pas à côté de la cible. – « Mon Loup » (v. 48). L’adjectif possessif de la 1re personne est fréquemment employé par La Fontaine dans la narration pour établir une connivence amusée avec le lecteur.

UN RÉCIT EFFICACE x À part celle du Sanglier, les morts sont extrêmement rapides et soudaines : celle du Daim est à peine évoquée par le plus-que-parfait (« avait mis bas ») ; celle du Faon est mentionnée par une courte phrase nominale dont la brutalité est accentuée par l’enjambement (« et le voilà soudain / Compagnon du défunt »). Le Sanglier semble suivre le même chemin, avec une rapidité qui fait sourire (d’autant plus avec la périphrase antique décalée) : « Autre habitant du Styx ». Mais, cette fois, il s’agit d’un « monstre » (2 fois) qui laisse présager un autre dénouement. La Fontaine joue ici de l’effet de surprise et du retournement de situation : la bête est donnée deux fois pour morte (v. 20 + « s’abattit ») mais à l’issue d’un combat avec la Parque, avec l’image des ciseaux devenant burlesque tant elle est appuyée. Ici, la mort en cache une autre ! Celle du Chasseur lui-même, tout aussi rapide et imprévue que les autres : « Vient à lui, le découd,

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meurt vengé sur son corps » ; la rime entre « ressorts » et « corps » souligne bien le renversement qui fait passer le personnage de Chasseur victorieux à victime de sa proie. Et la mention finale de la Perdrix, dans un court octosyllabe ironique, montre un ultime retournement : la proie la plus vulnérable est la seule qui en sort vivante ! La mort du Loup, dans la seconde fable, est tout aussi rapide et présentée selon le même procédé de l’enjambement qui met le groupe de mots en valeur : « et fait de la sagette / Un nouveau mort ». Là encore, même retournement de situation : le Loup est tué par la corde de l’arc dont il pensait se repaître. La Fontaine montre donc avec insistance que la mort est imprévue et brutale, et qu’elle peut survenir alors qu’on se croit assuré de son succès et de son avenir : autant d’avertissements pour jouir des biens présents…

y Le personnage est désigné par les termes « Chasseur » (v. 12, 17) et « archer » (v. 19, 26), qui le cantonnent dans son activité de quête prédatrice. La périphrase « faiseur de conquêtes » (v. 25), par son côté hyperbolique, accentue son défaut : la « fureur d’accumuler », « la convoitise », définie par Littré comme le « désir immodéré de posséder quelque chose ». Cette convoitise est mise en valeur par l’opposition des champs lexicaux de la modération (« honnête », « modeste », « content », « assez de biens ») et de la convoitise (« tente », « friand », « vastes appétits », « conquêtes »). On peut noter aussi tous les procédés d’accumulation montrant que le Chasseur est insatiable : « compagnon du défunt » (on peut remarquer aussi la rime intérieure : « et le voilà soudain / Compagnon du défunt »), « tous deux gisent », « un Daim avec un Faon », « autre habitant », « Surcroît chétif aux autres têtes ».

U Le défaut du Loup est l’avarice, autre pendant de la « fureur d’accumuler » : l’avare est celui qui veut amasser toujours plus, thésauriser sans rien dépenser (c’est en cela qu’il est « glouton »). Cette avarice se manifeste dans les paroles du Loup par sa manie obsessionnelle de compter (il emploie d’ailleurs le verbe au vers 42) les biens qu’il possède : « Quatre corps étendus », « Un, deux, trois, quatre corps ». Il calcule aussi avec la même obsession les délais qu’il va s’imposer pour leur consommation : « pour un mois », « quatre semaines », « dans deux jours ». Le Loup vit dans la contrainte, comme le montre « pourtant » placé en contre-rejet (v. 37) et prolongé par « Il les faut ménager ». Et La Fontaine caricature sa parcimonie en lui faisant manger la corde de l’arc – ce qui, du reste, va causer sa perte.

UNE MORALE ÉPICURIENNE V La leçon de la fable, répétée à maintes reprises, est qu’il faut jouir du bien présent, sans remettre au lendemain. Le fabuliste s’en prend donc à la « Fureur d’accumuler » dont font preuve le Chasseur et le Loup : le premier par convoitise et le second par désir de thésauriser. Le mot « Fureur » évoque l’hybris grecque – l’excès et la démesure passionnée – qui s’oppose à la mesure, à la modération dans les désirs et dans les plaisirs que prône Épicure. Pour mieux l’attaquer, La Fontaine la transforme en allégorie dès les premiers mots, en en faisant un « monstre », au sens classique d’« être contre nature » ; ce « monstre » devient, ensuite, le Sanglier qui tuera le Chasseur. L’erreur fatale des deux personnages est d’oublier la limite de la vie et du temps humains et de ne pas consommer dans le présent les biens acquis. Tous deux comptent avec présomption sur une maîtrise illusoire du futur (comme le Loup qui promet un temple à la Fortune) dont la mort les privera brutalement. Ces deux idées principales, la modération des désirs et la jouissance du présent, sont résumées dans la formule « C’est assez, jouissons ». Convoitise et avarice sont clairement associées comme les deux faces d’un même défaut par la figure du chiasme qui les met en miroir (v. 33 / v. 34 et v. 51 / v. 52).

W Le présent est ce qui passe rapidement, comme le montrent, dans le récit, le présent de narration et les verbes de mouvement marquant le surgissement des animaux ou de la mort : « passe », « marcher », « vient à lui », « en passant », « se détend ». Mais les deux personnages diffèrent la jouissance du présent en y renonçant pour une accumulation illimitée : cf. l’opposition entre les adverbes « assez » (v. 6, 24) et « encor » (v. 19) ; cf. les délais que s’impose le Loup pour la consommation de ses biens (« pour un mois », « dans deux jours »). De même, la morale oppose « Dès demain » et « dès aujourd’hui ». Le futur est donc la marque de la folie humaine de remettre à plus tard la jouissance du présent : « Ne dira-t-il jamais » ; « Je le ferai », dit l’homme ; « J’en aurai », dit le Loup (cf. aussi les verbes reportant l’action dans le futur : « promets », « ménager »). Le passé sert à exprimer, au contraire, le temps irrémédiablement révolu et perdu, et il sonne comme un glas dans les derniers vers de la fable : « perdit » / « périt ». La brièveté des octosyllabes souligne encore la rapidité du « sort » qui a « puni » les deux « gloutons ».

Réponses aux questions – 16

X La Fontaine se montre pressant d’abord en affirmant sa présence par l’emploi de la 1re personne : « Te combattrai-je », « ma voix », « ma fable », « mon texte »… Il se présente clairement en moraliste, comparant sa voix « à celle du sage », évoquant « [ses] leçons », « [son] texte ». Il apostrophe directement le défaut qu’il vise (« Fureur d’accumuler »), transformé en allégorie terrifiante (« monstre »), douée d’yeux (« regardant ») et de parole (« demandes-tu »). Puis il instaure un dialogue direct avec le lecteur, dont il fait le représentant de l’humanité – d’où l’emploi du tutoiement de la part du moraliste, ainsi que du condescendant « mon ami ». Ce dialogue est pressant, fait de répliques très courtes, présentées comme au théâtre sans incise, souvent sous forme de questions (v. 4 et 8). Il emploie beaucoup d’impératifs – « Hâte-toi », « Jouis » (2 fois), « redoute » – ou des formules d’obligation (v. 49). Il procède par répétitions, en martelant les mêmes idées (il le dit d’ailleurs lui-même : « Je te rebats ce mot » ; « Je reviens à mon texte ») : le verbe jouir est répété 4 fois (« jouissons », « Jouis », « jouisse »). Il impose au lecteur l’idée d’une mort imprévue et prochaine, pour l’amener à vivre au présent : « tu n’as pas tant à vivre », « la mort peut te prendre », « perdit » / « périt ». Cette persuasion se fonde sur la peur : « redoute ».

at Suggestion d’un plan : 1. Défauts visés

A. Le Héron est vaniteux (VII, IV) : cela le pousse à dédaigner les biens qu’il a sous la main, comme le Loup et le Chasseur. B. Celui qui cherche la Fortune est aussi insatiable et insatisfait de ce qu’il a que le Chasseur. C. Le Mourant est fou de s’imaginer que la mort est encore loin. D. Tous ont le même défaut de ne pas apprécier le moment présent à sa juste valeur.

2. Leçons données A. Il faut se satisfaire de ce que l’on a, en limitant ses désirs : – « Ne soyons pas si difficiles » (VII, IV) ; – « Heureux qui vit chez soi, / De régler ses désirs faisant tout son emploi » (VII, XII). B. En voulant avoir toujours plus, le Héron comme le Chasseur risquent de tout perdre : – « On hasarde de perdre en voulant trop gagner » (VII, IV). C. La Fortune est inconstante, et le sort de l’homme soumis à des retournements brutaux (comme le montrent les morts du Chasseur et du Loup). L’homme doit profiter de tous les moments, car la mort peut arriver n’importe quand : – « L’inconstante aussitôt à leurs désirs échappe » (VII, XII) ; – « La mort ne surprend point le sage : / Il est toujours prêt à partir » (VIII, I).

U n e f a b l e l y r i q u e ( p p . 1 3 2 à 1 3 6 )

UN RÉCIT DRAMATIQUE u Les 6 étapes du récit (v. 1 à 64) : – v. 1 à 4 : exposition de la situation initiale à l’imparfait (v. 1) ; l’élément perturbateur vient de l’ennui et de la décision de voyager de l’un des deux Pigeons (passé simple) ; – v. 5 à 17 : discours du Pigeon délaissé qui tente de retenir l’autre ; – v. 18 à 21 : l’envie de voyager est plus forte (transition) ; – v. 21 à 30 : réponse du voyageur et départ ; – v. 31 à 60 : les mésaventures du Pigeon ; – v. 61 à 64 : retour et retrouvailles. Les aventures du Pigeon sont précédées d’un assez long dialogue qui insiste sur les dangers du voyage et les inquiétudes de celui qui reste, qui permet de dramatiser le récit qui suit. Le récit se clôt sur lui-même : l’amour parfait du 1er vers se retrouve à la fin (« nos gens rejoints », « plaisirs »).

v La Fontaine renforce le côté dramatique de son récit en faisant imaginer au Pigeon délaissé tout ce qui va arriver au second : – Le Pigeon casanier craint d’abord les intempéries : « Attendez les zéphyrs », « Hélas […] il pleut ». C’est la première mésaventure du voyageur : « un nuage ». – Il imagine ensuite tout ce qui va se passer, dans l’ordre inverse : la « rencontre funeste » est celle de l’enfant (v. 53 à 56) ; les « faucons » sont remplacés, dans le récit, par « le Vautour à la serre cruelle » et l’« Aigle aux ailes étendues » (v. 44 à 52) ; les « réseaux » préfigurent les « lacs » (v. 37 à 43). De même, le souci du « Bon souper » annonce le

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piège du blé cachant le filet (v. 39-40) ; celui du « bon gîte » annonce le « feuillage » insuffisant ou l’abri trompeur de la « masure ». Les mésaventures sont donc annoncées et redoublées, au discours direct puis dans la narration. Elles sont vécues par l’imagination du premier Pigeon, avec beaucoup d’émotion. La mention du mauvais présage accentue encore l’angoisse : « annonçait malheur », « funeste ». Et le narrateur semble corroborer ces inquiétudes, appelant le Pigeon aventureux « notre imprudent voyageur » – ce qui laisse augurer de la suite.

w Le narrateur met en valeur la rapidité des événements par différentes tournures : « et voilà qu’ », « s’en allait […] quand ». Il emploie aussi la juxtaposition rapide de verbes d’action : « voit du blé répandu, / Voit un Pigeon auprès : cela lui donne envie ; / Il y vole, il est pris » ; « Le Pigeon profita du conflit des voleurs, / S’envola, s’abattit auprès d’une masure, / Crut, pour ce coup […] ». Ce rythme très rapide donne l’impression d’une accumulation de catastrophes dont le Pigeon ne pourra jamais sortir vivant. L’alternance entre temps du passé et présent de narration crée des accélérations : « Le Vautour s’en allait le lier, quand des nues / Fond à son tour un Aigle » (cf. l’inversion du sujet et l’enjambement qui renforcent l’effet de surprise). Les mésaventures suivent une progression en gravité et en violence : – la pluie : danger naturel, qui ne vise pas directement l’oiseau et ne met pas en péril sa vie ; – le piège : danger mortel venant des hommes (mais hors de leur présence) ; – le Vautour : danger mortel venant des animaux et visant directement le Pigeon ; – la fronde de l’enfant : danger mortel venant d’un être humain présent et visant directement l’animal. Progression : « morfondu » / « Quelque plume y périt » / « tua plus d’à moitié ». La narration joue sur le suspense : l’effet de surprise est souligné par le point d’exclamation (« Le lacs était usé ! ») qui crée un retournement de situation. Le procédé inverse provoque un rebondissement en passant de l’illusion de sécurité à une nouvelle catastrophe : « Crut, pour ce coup, que ses malheurs / Finiraient par cette aventure ; / Mais […]. » On peut remarquer aussi le suggestif enjambement des vers 43-44 qui laisse en suspens, en fin de vers, l’annonce dramatique « et le pis du destin ».

x Le Pigeon est transformé en victime tragique, qui suscite donc la pitié – cf. le vocabulaire de la tragédie : « destin », « malheurs » (on avait déjà « funeste » au vers 14), « peines ». Il est souvent en position de COD ou de sujet d’un verbe passif – ce qui montre aussi son impuissance : « un nuage / L’oblige », « l’orage / Maltraita » (enjambements parallèles qui mettent en valeur l’hostilité de la nature) ; « chargé de pluie », « il est pris », « l’avait attrapé », « le lier », « tua plus d’à moitié ». Le Pigeon n’a aucune arme contre la malveillance générale. Cette malveillance est très soulignée dans le texte : le piège est quasiment personnifié par ses « menteurs et traîtres appas » ; les oiseaux de proie apparaissent comme particulièrement menaçants : « à la serre cruelle », « aux ailes étendues » ; le pire est encore le « fripon d’enfant » qui fait du mal par pur plaisir : « cet âge est sans pitié ». Cette remarque suscite l’indignation du lecteur et, par conséquent, une compassion redoublée à l’égard de la victime. Le narrateur insiste sur le triste état du Pigeon : « morfondu », « notre malheureux », « forçat échappé », « La volatile malheureuse » (expression qui occupe un octosyllabe entier), « Demi-morte et demi-boiteuse ». La succession des octosyllabes (v. 58 à 62), avec un jeu de répétitions (« traînant » / « tirant », « demi-morte et demi-boiteuse », « Que bien que mal »), rend bien le rythme maladroit et claudicant du pauvre Pigeon. Il semble ainsi bien puni de sa curiosité, par ce retour lamentable qui donne raison à l’autre Pigeon. Enfin, l’adjectif possessif (« notre malheureux », « nos gens ») et l’appel au lecteur (« je laisse à juger ») renforcent la proximité avec le lecteur qui finit par oublier qu’il s’agit d’un animal et s’apitoie sur son sort comme si c’était un être humain ; tout est fait d’ailleurs, évidemment, pour entretenir cette confusion (« Le voyageur », « notre malheureux », « nos gens »…).

UNE ÉVOCATION LYRIQUE DE L’AMOUR y Le choix des pigeons – oiseaux de Vénus –, le 1er vers avec sa redondance ainsi que le dernier mot de la fable, l’apostrophe de la morale aux « Amants », tout semble inviter à évoquer un lien amoureux entre ces deux Pigeons. Pourtant, la formulation du fabuliste garde un certain flou, puisqu’il emploie 3 fois le mot « frère » (v. 6, 16, 24), et ce dans leur propre bouche. On peut se demander s’il ne laisse pas volontairement au lecteur une liberté d’interprétation pour imaginer une relation fraternelle ou amicale entre eux, qui serait de toute façon très forte… Les deux Pigeons sont indifférenciés dans leur sexe (« l’un » / « l’autre », « nos gens ») ; La Fontaine pousse même l’ambiguïté jusqu’à utiliser le terme « volatile » au féminin – tournure possible mais plutôt rare… Ce sont davantage leurs tempéraments qui les distinguent : l’un « s’ennui[e] » à cause de son « humeur inquiète » et de sa « curiosité » ; l’autre apparaît plus casanier et dépendant affectivement. Selon les codes du XVIIe siècle, on pourrait faire du voyageur un homme et du casanier une femme : c’est d’ailleurs le parti que prennent Doré et Granville dans leur illustration de cette fable.

Réponses aux questions – 18

U Certains termes relèvent du vocabulaire amoureux : « quitter », « l’absence », « cruel » (adjectif fréquemment employé dans la littérature précieuse puis tragique pour s’adresser à l’amant ou l’amante qui n’aime pas ou moins, ou qui trahit). Le Pigeon casanier exprime son amour par sa douleur de voir partir l’autre, comme le montrent ses larmes (« Ne pleurez point ») et les questions rhétoriques pathétiques (« Qu’allez-vous faire ? »). Mais c’est surtout son inquiétude qui révèle la profondeur de son attachement : la plus grande partie de son discours imagine les dangers et la souffrance de son compagnon, plutôt que de s’apitoyer sur lui-même. Il parle avec une grande émotion renforcée par les questions (v. 12, 16), l’exclamation (v. 11), l’interjection « Hélas » qui donne à ce discours une tonalité lyrique très appuyée. Le Pigeon voyageur se révèle capable aussi d’émotion : « Ce discours ébranla le cœur / De notre imprudent voyageur », et il pleure comme l’autre au moment du départ (v. 30). Il semble prendre en compte la souffrance de ce dernier en minimisant la durée de l’absence : « Trois jours au plus », « dans peu ». Lui aussi oriente son discours dans le sens du bonheur de l’autre, mais cela ressemble fort à un alibi : « Je le désennuierai […] / Mon voyage dépeint / Vous sera d’un plaisir extrême. » La Fontaine laisse très finement transparaître l’égoïsme du personnage qui ne cherche finalement qu’à justifier son désir de partir : il prête à l’autre le sentiment d’ennui que lui-même ressent et introduit même une critique voilée mais blessante : « quiconque ne voit guère / N’a guère à dire aussi. » Le fabuliste s’amuse à lui faire employer le même procédé de discours dans le discours (v. 28-29) ; mais le casanier n’y parlait que de l’autre (« Mon frère a-t-il tout ce qu’il veut ? »), alors que le second est centré sur lui-même (« J’étais là »). La Fontaine nous montre, ici, des personnages illustrant deux conceptions de l’amour : l’un est plus exclusif et dépendant de l’autre, et le second plus avide d’indépendance et plus égocentrique.

V Le Pigeon de droite semble incarner le voyageur : il a une attitude plus conquérante, bien campé sur ses pattes et la queue dressée vers le ciel, avec des couleurs plus vives sur son plumage. Il se détache complètement sur le ciel, prêt à s’envoler, sans attaches avec l’arbre. De son côté, à droite du tableau, un vol d’oiseaux peut l’attirer vers l’aventure et le « lointain pays ». Au contraire, le pigeon de gauche porte un plumage avec des couleurs plus effacées et se trouve dans une position un peu déséquilibrée qui l’attire vers le bas. Il est nimbé de bleu foncé (et non de brun clair comme l’autre) et paraît plus attaché à son arbre. De son côté règne la Lune, symbole de féminité et de mélancolie.

UNE MORALE TRÈS PERSONNELLE W Le désir de voyager vient de l’ennui (c’est lui l’élément perturbateur dès le vers 2), souligné par l’opposition à la rime : « logis » / « pays », ainsi que de sa « curiosité » (v. 57) qui le pousse à chercher ailleurs son bonheur. Certains mots à double sens, ainsi que le questionnement de la morale peuvent donner au voyage un sens amoureux : « l’humeur inquiète » du Pigeon rejoint « l’âme inquiète » du fabuliste pour les inviter l’un et l’autre à des aventures, qui ne sont plus géographiques, mais amoureuses, suscitées par « tant d’objets si doux et si charmants ». Les « appas » et les « lacs », dans la rhétorique précieuse ou galante, sont d’ailleurs autant de métaphores pour désigner le jeu de la séduction. On voit clairement, ici, comment La Fontaine joue de l’ambiguïté et de la polysémie, et refuse d’enfermer sa fable dans une lecture ou une leçon univoques. Les mésaventures apparaissent alors comme l’épreuve cruelle de la réalité contre les désirs et les rêves inconséquents de l’homme. Et le voyage pourrait être interprété comme un voyage initiatique qui permet au voyageur un retour d’abord sur lui-même (« maudissant sa curiosité ») et « au logis » (le vers 60 répond au vers 2). Les épreuves subies par les deux personnages (l’absence et les mésaventures) les replacent sur un pied d’égalité, et le récit se termine sur la concorde retrouvée : « je laisse à juger / De combien de plaisirs ils payèrent leurs peines. » L’image du « logis » pourrait symboliser aussi la fidélité et la constance opposées au désir de libertinage du Pigeon volage.

X Cette morale est originale par sa longueur et le fait qu’elle ne comprend aucun jugement objectif sur les personnages de la fable, comme c’est généralement le cas, mais s’exprime immédiatement de façon lyrique, par l’emploi de la 2e puis de la 1re personne. Si l’injonction à la 2e personne est fréquente pour donner une leçon au lecteur, ici elle se double d’une émotion manifeste, sensible par la répétition et l’adjectif « heureux » (« Amants, heureux amants »), soulignant la nostalgie du fabuliste. C’est donc par son lyrisme que la morale est originale. Il se traduit par différents traits caractéristiques : – le fabuliste s’exprime en son nom, sur le ton de la confidence, en faisant un retour très personnel sur sa propre vie : « J’ai quelquefois aimé », « mon cœur » ; – le verbe aimer encadre cette partie de confidence (v. 70 à 83), relayé par un champ lexical important : « aimable », « Cythère », « servis », « serments », « objets si doux et si charmants », « cœur », « renflammer », « charme » ; – l’émotion s’exprime par la ponctuation affective (questions, injonctions, exclamations, interjections), mais aussi par la belle envolée exaltée des vers 70 à 76 : rythme souple et ample à la fois par l’alternance des octosyllabes et des

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alexandrins, parallélismes et accumulations (« Changé les bois, changé les lieux, / Honorés par les pas, éclairés par les yeux »), hyperboles (« Contre le Louvre et ses trésors, / Contre le firmament et sa voûte céleste ») ; la syntaxe fait attendre le groupe de mots qui constitue le sommet de la phrase « l’aimable et jeune bergère », ainsi que le verbe « je servis », et, de cette façon, les met particulièrement en valeur. Le lyrisme est, ici, un moyen de faire revivre les souvenirs d’amour heureux. On peut remarquer, cependant, la pudeur de La Fontaine qui tempère son émotion par le recours au style galant de la pastorale, en la déguisant avec un certain humour : on reconnaît les lieux et les personnages propres à ce genre (les bois, la bergère), la mythologie (« le fils de Cythère »), le vocabulaire (« Je servis », « renflammer »). Ce charme léger fait ressortir l’émotion beaucoup plus sincère de la fin du texte où s’exprime le registre élégiaque, à partir de « Hélas » qui crée une rupture de tonalité très nette : on y entend le regret mélancolique du temps des amours par un homme proche de la soixantaine… Le jeu des temps souligne la nostalgie : « J’ai […] aimé » / « quand reviendront » + « Ne sentirai-je plus » / « Ai-je passé » (le futur de l’espérance est encadré par le passé composé de l’irréversible). Toutes les phrases sont interrogatives ou exclamatives, et la fable s’achève douloureusement par une question sans réponse. L’emploi de ce registre est exceptionnel dans une morale de fable. Cette morale est très travaillée du point de vue de la musicalité : La Fontaine emploie beaucoup de répétitions qui rythment son texte (« amants », « toujours », « contre », « changé ») et joue de la variété entre octosyllabes et alexandrins : l’octosyllabe domine dans la pastorale plus légère, alors que l’alexandrin exprime la gravité de l’élégie.

at La Fontaine vise ici la « folie » (cf. l’emploi de l’adjectif « fou » au vers 3) de l’âme « inquiète » de l’homme : cet adjectif se retrouve pour qualifier le Pigeon et le fabuliste lui-même (v. 20 et 80). Il rejoint ici Pascal dans son analyse du divertissement (« tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre ») : l’homme est par nature en proie à l’ennui, insatisfait, ne pouvant se contenter d’un bonheur stable (illustré par l’imparfait du 1er vers). Il est sans cesse agité de désirs (v. 20), de curiosité (v. 57) qui l’entraînent vers le divers, le lointain (pulsion symbolisée par le voyage)… Mais il n’en retire que de nouvelles insatisfactions et risque même de perdre son bonheur. Le fabuliste, dans une adresse au lecteur pleine d’émotion lyrique, montre alors la valeur inestimable et vitale du lien amoureux, seul remède à l’ennui existentiel. Il reprend la question angoissée du Pigeon (« Voulez-vous quitter votre frère ? » / « voulez-vous voyager ? ») et répond au voyageur par une série d’oppositions : « lointain pays » / « rives prochaines » ; le « pays » extérieur devient un « monde » fondé sur l’amour du couple ; l’attrait de la diversité se trouve comblé, non pas à l’extérieur mais au cœur de la relation amoureuse (« Toujours divers, toujours nouveau » ; « charme qui m’arrête » : notez la rime en opposition avec « inquiète ») : c’est ce que montre aussi l’opposition en chiasme « vous » / « tout » ≠ « rien » / « le reste ». L’amour est fragile et toujours menacé : le Pigeon voyageur, cédant à sa curiosité pour la nouveauté et la diversité, l’a risqué inconsidérément. Le regret poignant des derniers vers, souligné par l’exclamatif « Hélas », prévient le lecteur contre cette propension à négliger ou dilapider l’amour dont les « moments » sont pourtant comptés.

ak Suggestion de plan : 1. Une peinture émouvante de l’amour et de ses épreuves

A. Deux personnages exprimant leur amour au discours direct (questions 2, 5 et 6) B. L’amour mis à l’épreuve : un récit dramatique des mésaventures du Pigeon (questions 3 et 4)

2. Une morale élégiaque et pressante A. Le lyrisme de la morale (questions 8 et 9) B. Des conseils pressants aux amants (question 9)

al Marc Chagall semble faire, comme La Fontaine, une sorte d’hymne à l’amour, en plaçant ses deux personnages au centre de la toile. Ils sont isolés par leur position et leur couleur, face à face, les yeux dans les yeux, illustrant le conseil du fabuliste : « Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste. » Les couleurs vives et soutenues (en particulier, le bleu profond qui envahit tout le tableau) rendent compte de l’intensité lyrique de la fable, notamment dans la morale.

am Le parti pris des deux artistes est extrêmement différent, puisque Gustave Doré transpose la fable dans le monde humain : dans un décor et des costumes Renaissance à la mode romantique, le voyageur est incarné par l’homme et le casanier par la femme. L’homme, en costume de voyage, l’épée au côté, semble déjà parti : même si ses yeux sont encore attachés à ceux de son épouse, il a le corps tourné vers la droite de la gravure et les grands bois qui l’attirent vers leur mystère. Son chien aussi l’attend, posté sur la même marche d’escalier. Au contraire, la femme, en costume beaucoup plus clair, reste sur le perron qui fait encore partie de la maison ; l’attitude de son corps, sa main accrochée à celle de son mari, son visage éploré trahissent la douleur de l’absence à venir. Gustave Doré a donc choisi d’illustrer clairement le moment de la séparation du couple ; il s’attache plus à l’anecdote, alors que Chagall respecte davantage l’esprit de La Fontaine en conservant les deux animaux, sans les distinguer aussi

Réponses aux questions – 20

clairement que Doré. Celui-ci privilégie le pathétique un peu théâtral (on a l’impression de voir une scène de drame romantique), tandis que Chagall met l’accent sur le lyrisme de la fable.

L ’ a r t d e l a r é é c r i t u r e ( p p . 1 5 4 - 1 5 5 )

COMPARER LES NARRATIONS u Le plan de la fable d’Ésope est extrêmement simple : – première rencontre du Chien et du Loup devant la ferme. Le Chien recommande d’attendre la noce des maîtres et le Loup ne le mange pas ; – seconde rencontre « À quelque temps de là » : le Chien refuse de sortir de la maison ; – morale. Celui de la fable de La Fontaine est plus complexe : – v. 1 à 10 : prologue qui expose la morale en faisant allusion à une autre fable ; – v. 11 à 19 : première rencontre « hors du village » ; – v. 20 à 30 : seconde rencontre : le Loup s’enfuit par crainte du « portier » ; – v. 31-32 : conclusion en forme de jugement sur le Loup. La Fontaine a modifié la fin de la fable (et par là même la morale) en rajoutant le personnage du « portier du logis », qui fait fuir le Loup par sa seule présence. Le Chien, ici, essaie, à son tour, de berner le Loup en lui tendant un piège.

v La seconde rencontre est plus développée chez La Fontaine pour montrer que le Loup est doublement berné. Cet épisode constitue un retournement de situation, puisque le Loup se retrouve en posture de victime éventuelle : lui qui voulait dévorer le Chien risque de se faire dévorer lui-même par un Chien.

w Passages au discours direct :

Fable d’Ésope Fable de La Fontaine « À présent, dit-il, je suis mince et maigre ; mais attends quelque temps : mes maîtres vont célébrer des noces ; moi aussi, j’y prendrai de bonnes lippées, j’engraisserai et je serai pour toi un manger plus agréable. »

« Jà ne plaise à Votre Seigneurie De me prendre en cet état-là ; Attendez : mon maître marie Sa fille unique. Et vous jugez

Qu’étant de noce, il faut malgré moi que j’engraisse. » « Ô Loup, dit-il, si à partir d’aujourd’hui tu me vois dormir devant la ferme, n’attends plus de noces. »

« Ami, je vais sortir ; et, si tu veux attendre, Le portier du logis et moi Nous serons tout à l’heure à toi. »

« Serviteur au portier. » De façon générale, les passages au discours direct sont un peu plus développés chez La Fontaine, pour donner plus de vivacité au récit. Le contenu de la seconde prise de parole du Chien est très différent dans les deux fables : chez Ésope, le Chien donne déjà une morale au Loup ; chez La Fontaine, le récit continue et le Chien tend un piège au Loup.

COMPARER LES MORALES x Chez Ésope, la morale se trouve clairement exprimée à la fin, introduite par la formule consacrée : « Cette fable montre que […]. » Elle est caractérisée par l’expression de l’universalité : « les hommes sensés », le présent de vérité générale. Mais le Chien exprime aussi une forme de morale sous forme d’injonction : « Ô Loup, dit-il, si à partir d’aujourd’hui tu me vois dormir devant la ferme, n’attends plus de noces. » Dans les deux cas, la morale est très courte, contenue en une seule phrase. Chez La Fontaine, elle se trouve au début de la fable, beaucoup plus développée : le message lui-même est concis, exprimé aussi au présent de vérité générale (« lâcher ce qu’on a dans la main, / Sous espoir de grosse aventure, / Est imprudence toute pure »). Mais elle est doublée, en quelque sorte, par la référence à une autre fable (« Le Petit Poisson et le Pêcheur »), dont le fabuliste juge à nouveau les personnages : « Le pêcheur eut raison ; Carpillon n’eut pas tort. » La fable du livre IX veut montrer la même morale que celle du livre V, mais avec l’exemple inverse : « Certain Loup, aussi sot que le pêcheur fut sage ». Ce jugement négatif sur le Loup, qui constitue la morale, encadre le récit (v. 11 et 31 : « sot » / « pas fort habile »).

y La morale est différente dans les deux fables : Ésope se place du côté du Chien qui, s’étant tiré d’un danger une fois, « s’en gard[e] toute [sa] vie » et se tient à l’abri de la ferme plutôt que de dormir dehors. La Fontaine, au contraire, se

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place du point de vue du Loup dont il condamne la naïveté et « l’imprudence » d’avoir laissé la proie pour l’ombre, « Sous espoir de grosse aventure » – c’est ce que disait, chez Ésope, le Chien au Loup dans le corps du récit : « n’attends plus de noces ».

U Dans la fable d’Ésope, l’auteur n’apparaît jamais mais reste dans l’impersonnalité. Au contraire, La Fontaine s’exprime en son propre nom, à la 1re personne (« Je fis voir », « j’appuie », « j’avançai ») et revendique son autorité de fabuliste. Il crée ainsi une connivence plus grande avec le lecteur et renforce l’impact de la morale en s’y engageant davantage.

LA TRANSPOSITION PLAISANTE V La Fontaine montre plus de fantaisie et d’humour qu’Ésope dont la narration reste assez sèche. Il s’amuse à donner des noms à ses personnages comme « Carpillon » qui devient un nom propre. Les passages au discours direct sont l’occasion de traits plaisants : ainsi, l’expression très alambiquée et respectueuse du Chien quand il est directement sous la menace du Loup (« Jà ne plaise à Votre Seigneurie ») devient simplement « Ami », assorti du tutoiement, quand il se trouve à l’abri ! De même, la formule de politesse du Loup « Serviteur au portier » fait sourire, car elle ne sert qu’à dissimuler sa couardise et sa fuite dont la rapidité est soulignée par l’infinitif de narration (« et de courir »). La Fontaine s’amuse également à employer certains termes décalés dans le contexte : il en est ainsi du verbe « prêcher » attribué au « Carpillon fretin » ou du « métier » attribué au Loup. Enfin, les interventions du fabuliste jugeant ses propres personnages rajoutent un élément plaisant qui fait sourire le lecteur en leur donnant un statut de personnages humains : « Carpillon n’eut pas tort », « Certain Loup, aussi sot », « il n’était pas fort habile ».

W La Fontaine use beaucoup de l’hétérométrie dans cette fable, en faisant alterner alexandrins et octosyllabes – ce qui donne d’emblée un rythme assez allègre au récit. On peut noter l’alexandrin mimant l’engraissement du Chien (v. 18) ou la taille « énorme » du gardien (v. 27). Le rythme entrecoupé et chaotique du vers 30 suggère plaisamment la fuite précipitée du Loup. Le rejet du vers 14 met en valeur l’argument décisif du Chien : « Sa maigreur ». Le système des rimes est aussi extrêmement varié : rimes embrassées (v. 1 à 4), plates (v. 5-6), croisées (v. 13 à 16)… La Fontaine s’amuse à créer à la rime des échos ou des oppositions qui renforcent le sens de la fable : la rime « dire » / « poêle à frire » souligne l’impuissance de la proie face à un prédateur avisé ; au contraire, « j’engraisse » / « laisse » ou « prendre » / « attendre » montrent la bêtise du Loup… L’anaphore « Le Loup » aux vers 19-20 semble marteler, comme un reproche, la naïveté du personnage.

X Le peintre Fragonard a ajouté à la fable de La Fontaine les deux personnages situés dans la partie gauche du tableau : un homme replet et une vieille femme très maigre qui, par leurs attitudes et leur physionomie, paraissent se moquer assez méchamment de Perrette. Ces personnages, qui s’opposent absolument à la jolie laitière par leur âge et leur physique, peuvent-ils représenter certains lecteurs peu indulgents pour l’héroïne de la fable ? Ils traduisent, en tout cas, ce que la morale a de cruel pour la laitière qui a tout perdu et n’a plus que ses yeux pour pleurer… Fragonard traduit les rêves de Perrette par le nuage blanc qui envahit la majeure partie de la toile : cette fumée gonflée de volutes, sans commune mesure avec la quantité de lait contenue dans la cruche, montre la démesure de ses illusions, comme le fait La Fontaine dans sa morale : « Tout le bien du monde est à nous, / Tous les honneurs, toutes les femmes ». Mais elle est aussi vouée à se dissiper, comme « une flatteuse erreur ». Perrette, dans le tableau de Fragonard, se retrouve aussi « Gros-Jean comme devant », étalée au sol en bas du tableau et voyant la terre absorber tout le lait répandu.

Sujets d’écrit – 22

S U J E T S D ’ É C R I T

S u j e t 1 ( p p . 2 1 9 à 2 2 3 )

◆ Question préliminaire Dans la fable de La Fontaine, le roi représente le souverain despotique et cruel, désigné par les termes « roi », « maître », « prince » et « monarque ». Son caractère autocratique se manifeste par la convocation impérative de tous ses sujets pour les obsèques de la Lionne et l’obligation de participer à son deuil. S’appuyant sur la conception d’une monarchie de droit divin qui fait du roi un être sacré (« Nos sacrés ongles »), il se montre tyrannique et cruel, prêt à faire « immoler » le Cerf, coupable, à ses yeux, d’un crime de lèse-majesté. Mais, tellement infatué de sa personne et de son pouvoir, il apparaît crédule face à tout ce qui flatte sa vanité (« Ils goberont l’appât »). Dans la même fable, le Cerf représente justement le courtisan habile, capable de manipuler le souverain par le mensonge et la flatterie. Dans le poème de Victor Hugo, l’araignée représente la laideur, ce qui fait peur ou que l’on méprise (« maudites », « noirs êtres rampants », « vilaine bête »). Le texte prend progressivement une valeur métaphysique où l’animal incarne « le mal ». Mais, selon la conception hugolienne, l’être malfaisant n’est qu’une « victime / De la sombre nuit », victime de la haine générale. Il n’aspire qu’au pardon et à l’« Amour » et doit donc participer à la rédemption de toute la Création. « Le Crapaud » de Tristan Corbière rejoint la conception de Hugo : l’animal incarne la laideur, l’obscurité (« dans l’ombre ») et provoque le dégout (« la boue »), la « peur » et même « l’horreur » (terme répété 3 fois). Et pourtant, il possède un « œil de lumière » et, surtout, il « chante » et se trouve comparé à un « rossignol ». Au dernier vers, le crapaud devient le symbole du poète lui-même qui cache son génie et son pouvoir de transfigurer la réalité sous une apparence sans attrait, voire méprisable. Dans « Page d’écriture » de Jacques Prévert, l’oiseau représente la liberté, la fantaisie, le jeu, l’imagination, dans le monde scolaire qui apparaît comme bêtement rationnel (cf. l’obsession des chiffres et du calcul), hiérarchisé (le professeur « crie ») et ennuyeux car répétitif et enfermant. L’oiseau, au contraire, vit dehors, « dans le ciel », et se trouve lié (comme le crapaud) à la « chanson » et à la « musique » ; c’est pourquoi il est appelé « l’oiseau-lyre » – expression par laquelle Prévert joue avec le nom d’un oiseau et les connotations de la lyre, instrument emblème de la poésie. L’oiseau-poète, par sa présence, fait disparaître tout l’univers scolaire (classe, encre, craie, porte-plume) et le transforme en éléments naturels. Le dernier vers reprend l’assimilation entre l’oiseau et le poète par un nouveau jeu de mots sur le sens propre et le sens figuré du terme « porte-plume » : oiseau et instrument d’écriture.

◆ Commentaire

Introduction

La Fontaine, dans ses Fables, se conforme à l’idéal artistique du classicisme : plaire et instruire. C’est ce que l’on peut voir dans « Les Obsèques de la Lionne » qui mêle une critique féroce de la Cour et du despotisme à un art consommé de la narration.

1. L’art du récit

A. Le plan du texte • Un plan classique : – v. 1 à 11 : situation initiale (mort de la Lionne et convocation des sujets pour ses obsèques) ; – v. 12 à 16 : deuil général de la Cour ; – v. 17 à 23 : intervention du fabuliste pour une critique de la Cour ; – v. 24 à 28 : réaction du Cerf ; – v. 29 à 38 : délation et colère du Lion (discours direct) ; – v. 39 à 49 : réponse du Cerf (discours direct) ; – v. 49-51 : conclusion du récit ; – v. 52 à 55 : morale. • Rapidité de l’action : brièveté du 1er vers et de la conclusion.

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• Plan qui met en valeur la dramatisation du récit (le Cerf est menacé de mort immédiate). • La fable présente la confrontation entre le fort et le faible : scène de théâtre presque entièrement au discours direct.

B. La variété • Récit et discours : – la fable alterne les passages de récit (au début), puis 3 prises de parole (Lion, Cerf, Cour) au discours direct ; – interventions directes du fabuliste : emploi de la 1re personne (« Je définis », « notre affaire »), présent d’énonciation ; – remarque au présent de vérité générale (v. 30 à 32) : effet comique de décalage avec une citation biblique ; – adresse directe au lecteur : « Jugez si chacun s’y trouva », « Comment eût-il pu faire ? » ; • Variété dans la versification : – alternance d’alexandrins et d’octosyllabes : permet des effets d’accélération (cf. le début de la fable) ou de ralentissement (cf. l’intervention du fabuliste à propos de la Cour) ; – jeux comiques : alexandrin pour marquer la longueur des « compliments » des courtisans ou l’emphase du discours de la Lionne… Effet de chute avec le passage brutal à l’octosyllabe : « Tâchent au moins de le paraître » ; – effets dramatiques avec les enjambements (v. 26-27, 37-38…).

2. Une fable satirique

A. Critique de la Cour • Un monde d’hypocrisie : – empressement des courtisans : « aussitôt », « chacun » (v. 2 et 11) ; – rime « être » / « paraître » : tout est dans l’attitude extérieure ; chacun doit exprimer le deuil, même avec excès (cf. l’expression comique « Rugir en leur patois ») ; le crime du Cerf est de ne pas avoir une attitude de deuil (« Le Cerf ne pleura point ») ; – la Cour est le lieu du paraître, où les obsèques deviennent un spectacle (cf. « cérémonie » et « pour placer la compagnie ») ; – opportunisme : délation et mensonge pour obtenir la faveur du roi (« soutint qu’il l’avait vu rire ») ; flatterie du Cerf qui renie ses propres sentiments (« Votre digne moitié ») ; on dénonce le Cerf puis on l’encense avec le même excès quand on voit que son stratagème flatte le roi. • Un monde d’aliénation : – les courtisans n’ont plus d’être propre et deviennent des animaux (« caméléon », « singe ») ou même des machines (« simples ressorts ») ; – ils n’ont plus d’individualité : cf. l’emploi des pronoms indéfinis (« chacun », « on ») ou du terme « peuple » (mis en valeur par l’anaphore) ; ils semblent tous identiques (« un esprit anime mille corps ») ; – ils n’ont plus de sentiments personnels : cf. l’antithèse et le chiasme (« Tristes, gais, prêts à tout, à tout indifférents ») ; chacun doit pleurer la reine, quelle que soit son histoire personnelle (« surcroît d’affliction ») ; toute leur conduite n’est que le fait de « s’acquitter envers le prince », sans aucun libre arbitre ; – ils n’agissent que par mimétisme, comme le montre la comparaison avec le caméléon et le singe ; leur être devient celui du roi (« Sont ce qu’il plaît au prince »).

B. Critique du pouvoir despotique • Un pouvoir arbitraire : – fondé sur la démesure : le Lion s’inspire des empereurs romains dont la personne est divinisée (« Nos sacrés ongles ») ; s’exprime avec vanité (pluriel de majesté, vocabulaire de l’Antiquité : « immolez », « augustes mânes ») ; met en scène son deuil avec excès (« aux cris s’abandonna ») ; – centré sur la personne du monarque qui constitue le centre du royaume : convocation générale et obligatoire de tous ses sujets (« Il fit avertir sa province ») ; – toute la société est réglée par la faveur du roi : il a des « prévôts […] pour placer la compagnie » ; le Cerf est d’abord méprisé (« Chétif hôte des bois ») car il ne fait pas partie des puissants ni des courtisans ; le retournement final traduit l’arbitraire (« Le Cerf eut un présent, bien loin d’être puni ») ; – chacun doit partager l’affliction du roi : colère contre le Cerf qui a osé se distinguer des autres (« Tu ris ! tu ne suis pas ces gémissantes voix ! ») ; – rapidité de la sentence de mort contre le Cerf : simple dénonciation et absence de jugement ; l’arbitraire est souligné par la succession rapide d’octosyllabes impératifs sans mots de liaison. • Un pouvoir cruel : – le roi est mené par la colère et la passion : l’enjambement met en valeur l’adjectif « terrible » (v. 31) ; le Lion n’obéit qu’à la vengeance (v. 37) ;

Sujets d’écrit – 24

– contraste satirique à la rime entre « Lion » et « Salomon », symbole biblique du souverain plein de justice et de sagesse ; – la reine déjà « avait jadis / Étranglé » la femme et le fils du Cerf ; le Lion s’apprête à l’« immoler » et s’adresse comme bourreaux, pour cela, aux Loups qui représentent la cruauté.

C. Un pouvoir sensible à la flatterie • Le Lion se montre crédule et naïf face à tout ce qui touche à sa personne : il s’estime victime d’un crime de lèse-majesté de la part du Cerf, puis change d’avis après le mensonge de l’apothéose de la reine qui flatte son ego. • La morale finale se montre très critique par rapport au monarque : – le verbe amuser fait du roi un enfant capricieux qui a besoin d’être diverti (cf. « agréables ») ; – la rime « songes » / « mensonges » souligne encore son manque de sérieux et de raison ; – « payez-les » et « Ils goberont l’appât » traduisent sans détour sa naïveté. • Le roi tout-puissant apparaît donc facilement manipulable par un plus faible.

3. Le pouvoir de l’éloquence

A. Une parole active • La fable souligne clairement que la parole est action : la dénonciation doit entraîner la condamnation d’un rival et la faveur du roi ; valeur performative de la parole de ce dernier. • C’est son discours qui sauve le Cerf de la mort, comme le montrent le plan et le retournement final. • Dans son discours, le Cerf reprend l’avantage : c’est à lui de donner des ordres (« le temps des pleurs / Est passé ») ; il se moque même du roi (« Laisse agir quelque temps le désespoir du roi. / J’y prends plaisir »). Au lieu d’être méprisé, il est appelé « Ami » et se donne comme le messager de la reine.

B. La maîtrise de la rhétorique • Utilisation de la prosopopée : le Cerf fait parler la reine morte, avec un discours dans le discours. Cette figure lui permet d’inverser complètement le discours du roi : « Tu ne suis pas ces gémissantes voix » / « garde […] ne t’oblige à des larmes ». • Maîtrise de la flatterie : éloge de la reine (« Votre digne moitié »). Il sait utiliser à son avantage la démesure du Lion qui s’estime sacré, en faisant croire à l’apothéose de la reine : « Aux Champs Élysiens », « ceux qui sont saints comme moi ». Il a donc su inventer, dans son intérêt, un « agréable mensonge » et manipuler ainsi le roi.

Conclusion

La Fontaine a su mettre, dans cette fable, son talent poétique au service d’une dénonciation de l’hypocrisie de la Cour soumise à un souverain despotique. Mais il nous montre aussi le pouvoir du discours qui permet au Cerf de sauver sa vie en « amusant » le despote par « d’agréables mensonges » ; cette morale rejoint celle du « Pouvoir des fables » : « Le monde est vieux, dit-on : je le crois ; cependant / Il le faut amuser encor comme un enfant. »

◆ Dissertation

Introduction

On a parfois tendance à reléguer la poésie dans la pure esthétique, en lui refusant toute autre fonction. Nous verrons, au contraire, que la poésie ne se limite pas à sa fonction esthétique mais peut aussi « enchanter » le monde, voire le transformer.

1. Une fonction esthétique

A. La poésie a pour but la beauté • Beaucoup de poètes ou de mouvements poétiques revendiquent le fait que « la Poésie n’a pas d’autre but qu’elle-même » (Baudelaire). Cf. les parnassiens qui recherchent la Beauté pure, Théophile Gautier qui voit le poème comme un bijou dans Émaux et Camées. • Recherche de la beauté par la forme : vers, rimes, structures complexes et contraignantes comme le sonnet pour « ciseler » le poème. La Fontaine se sert de tous les moyens poétiques pour rendre ses apologues plaisants et charmer le lecteur. • La recherche de la beauté musicale peut même conduire à l’hermétisme comme chez Mallarmé.

B. Un monde à part • La parole poétique vise souvent à se démarquer du langage ordinaire et utilitaire pour en retrouver la beauté musicale : « De la musique avant toute chose » (Verlaine, « Art poétique »).

Fables (livres VII à IX) – 25

• Elle cherche à redonner aux mots leur beauté et leur richesse de signification : jeu sur les sonorités et le rythme, sur les images et les connotations, sur le sens étymologique (Mallarmé veut « Donner un sens plus pur aux mots de la tribu » ; Prévert, dans « Page d’écriture », joue sur le sens premier ou figuré des expressions comme « oiseau-lyre » ou « porte-plume »). • Beauté de l’invention, de la nouveauté, de l’insolite (cf. Baudelaire : « le Beau est toujours bizarre » ; la beauté surréaliste). Conclusion/Transition : Mais la poésie dépasse largement sa dimension esthétique, car elle constitue aussi un mode particulier d’appréhension du monde.

2. Enchanter le monde

A. Enchanter ses peines • Comme le dit Du Bellay (Les Regrets, sonnet XII), la poésie peut « enchanter » ennuis et peines en les « chantant », c’est-à-dire en les transformant en œuvre d’art, dans une sorte de catharsis. • Écrire de la poésie a pu être une consolation pour Du Bellay exilé, pour Hugo père endeuillé, pour Verlaine prisonnier, pour Apollinaire « mal aimé », pour Corbière « poète maudit » et être malheureux dans la vie et la société… • La poésie peut adoucir les peines en permettant d’abord de les dire, puis de les mettre en musique et en beauté… • Elle peut aussi adoucir les peines d’autrui : cf. les témoignages de tous ceux qui ont « tenu » en se récitant des poèmes en prison ou dans les camps ; la poésie devient alors marque d’humanité et apporte le secours de la beauté dans un monde où l’être humain est dégradé ou nié.

B. Célébrer le monde • La poésie a une forte dimension de célébration, d’exaltation de la beauté : cf. le lyrisme amoureux qui célèbre la beauté féminine à travers les siècles. • Célébration du monde, de la création et de l’œuvre poétique chez Hugo ou Claudel, Saint-John Perse… • L’épopée permet la célébration des grandes figures héroïques (Odyssée d’Homère, Les Métamorphoses d’Ovide), d’une cause (La Chanson de Roland : culture, roi + religion) ; elle suscite la cohésion d’une même culture, d’un même peuple. • Dans tous ces cas, la poésie permet de mieux « habiter » le monde : cf. Jaccottet, Bonnefoy…

C. Métamorphoser le monde • La poésie permet de voir le beau dans ce qui paraît le plus banal et le plus quotidien : c’est ce que montre Hugo avec « J’aime l’araignée… » ; Ponge mènera l’entreprise à son sommet avec Le Parti pris des choses. • Créer de l’extraordinaire : « La Bicyclette » de Jacques Réda. • Révéler la beauté du laid : c’est ce que fait Tristan Corbière avec « Le Crapaud » ; on peut aussi citer « La Charogne » de Baudelaire, « Le Porc » de Paul Claudel. • Prévert, dans « Page d’écriture », libère les pouvoirs de l’imagination dans le monde étriqué de la raison. • Par les images, la poésie propose une nouvelle vision du monde, et même un nouveau sens par les analogies et correspondances qu’elle crée entre les réalités.

3. Changer le monde ? La poésie peut même parfois prétendre « changer la vie » (Rimbaud) ou du moins « aider / À s’y mettre / Pour changer le monde » (Guillevic).

A. Partager • La poésie permet de partager émotions et souffrances, et donc de lutter contre la solitude, en retrouvant le sentiment de l’universel. • Partager des questions universelles et existentielles : la fuite du temps, le deuil, la place de l’être dans le monde, le problème du mal (« J’aime l’araignée… » de Hugo) ; créer un lien. • La poésie, en suscitant un nouveau regard sur la réalité, invite à la lucidité, à la prise de conscience de ce que nous sommes (cf. « Le Testament » de Villon, les sonnets de Jean de Sponde, « Ce que dit la Bouche d’ombre » de Hugo, Éthiopiques de Senghor, etc.). • Elle permet aussi de partager des valeurs : l’appel à la résistance pendant l’Occupation (Desnos, « Ce cœur qui haïssait la guerre »), la poésie engagée, la poésie de la négritude…

B. Dénoncer • La poésie a une force particulière pour dénoncer, grâce à tous les procédés poétiques (rythme, musique…) et à l’émotion qu’elle dégage : La Fontaine critique l’hypocrisie de la Cour et le pouvoir despotique du Lion dans « Les Obsèques de la Lionne » ; Agrippa d’Aubigné dénonce les exactions du camp catholique pendant les guerres de Religion dans Les Tragiques ; Hugo s’en prend à « Napoléon-le-Petit » dans Les Châtiments, Césaire au racisme dans

Sujets d’écrit – 26

Cahier d’un retour au pays natal… La poésie permet également de parler au nom de ceux qui sont privés de parole : les Français sous l’Occupation, les Africains… • La poésie peut avoir aussi une dimension iconoclaste : engagement contre des formes traditionnelles et jugées sclérosantes pour faire advenir un nouveau langage adapté aux mouvements de son époque (Rimbaud, Lautréamont, Apollinaire, les surréalistes, Prévert…).

Conclusion

La poésie ne peut donc pas se réduire à sa dimension esthétique, et un poème n’est pas qu’une belle construction de mots. Cet art, par ses moyens particuliers et par la force de son langage, livre une certaine approche du monde, crée des liens entre les hommes et peut, d’une certaine façon, « changer la vie ». Citons, pour conclure, ce poème de Guillevic (« Art poétique ») qui, dans son émouvante brièveté, suggère la richesse infinie de la poésie :

« Je vous donnerai des poèmes Où vous vivrez.

Comme l’olivier

Vit dans sa terre.

Vous y gagnerez De faire vous aussi

Vos olives. »

◆ Sujet d’invention

On valorisera les copies des élèves qui auront su trouver des arguments pertinents pour défendre l’araignée et se placer du point de vue de l’animal pour présenter sa vision particulière de la vie et de l’être humain.

S u j e t 2 ( p p . 2 2 4 à 2 3 0 )

◆ Question préliminaire Montaigne et Michel Serres prennent la défense de l’animal par rapport à l’homme et le jugent, chacun à sa manière, supérieur à l’être humain. Montaigne s’en prend à la « présomption » et à « l’impudence » de l’homme qui se croit, « par imagination », supérieur à l’animal. Il rabaisse cette vanité humaine en montrant que l’homme est logé à la même enseigne que les animaux terrestres « parmi la bourbe et le fumier du monde », « au dernier étage du logis et le plus éloigné de la voûte céleste ». Il explique que cette supériorité que l’homme s’attribue ne vient que de son ignorance, en se servant de questions rhétoriques : « Comment connaît-il ? », « Par quelle comparaison ? ». Il renverse même le raisonnement humain en se plaçant du point de vue de l’animal : « […] qui sait si elle [la chatte] passe son temps de moi plus que je ne fais d’elle ? » Il utilise, enfin, un argument d’autorité en s’appuyant sur Platon qui évoque la supériorité de l’animal en connaissance : « en les interrogeant et en s’instruisant auprès d’elles, il savait les vraies qualités ». Michel Serres montre aussi que l’homme et l’animal ne sont pas si éloignés l’un de l’autre qu’on le pense : en reprenant certaines définitions de l’homme données par la tradition, il y oppose des catégories d’animaux qui rentrent également dans ces définitions. Et, à l’inverse, il souligne que certains comportements humains se rapprochent de ceux des animaux. Dans le deuxième paragraphe, il réduit à néant la définition de l’homme par la capacité à penser, en utilisant le même double mouvement : certains hommes paraissent dénués de pensée, et, à l’inverse, comme le disait aussi Montaigne, l’homme ignore la pensée de l’animal. La Fontaine occupe une position médiane en mettant en question la définition cartésienne de l’animal-machine, donc dépourvu d’esprit et d’âme (« aveugle ressort ») : il se sert d’abord d’une fable montrant l’ingéniosité de deux rats, puis imagine la théorie des deux âmes en se mettant dans le rôle d’un démiurge (au conditionnel). Il ne remet pas en cause la suprématie de l’homme qui est le seul à avoir une âme « entre nous et les anges / Commune en un certain degré », immortelle et liée à la raison. Mais il accorde aux animaux une sorte d’âme inférieure, « imparfaite et grossière », commune aux êtres animés, « Capable de sentir, juger, rien davantage, / Et juger imparfaitement ». Rousseau défend l’idée de la supériorité de l’homme sur l’animal : il s’appuie, essentiellement, sur le fait que le premier agit « en qualité d’agent libre », alors que le second obéit à son instinct. La nature commande à tous les deux, mais

Fables (livres VII à IX) – 27

seul l’homme « se reconnaît libre d’acquiescer ou de résister ». Cette conscience lui donne une dimension spirituelle qu’il est le seul à posséder, alors que l’animal reste prisonnier des « lois de la mécanique » (cf. Descartes). Enfin, le second argument fondant la supériorité humaine consiste dans « la faculté de se perfectionner ».

◆ Commentaire

Introduction

Dans son deuxième recueil de Fables, La Fontaine n’hésite pas à aborder des sujets sérieux, moraux ou philosophiques. C’est le cas, en particulier, dans son Discours à Madame de La Sablière qui clôt le livre IX, où le fabuliste met en question la théorie de Descartes sur l’animal-machine. Dans la péroraison du discours qui constitue l’extrait à étudier, il n’hésite pas à se lancer dans une rêverie visionnaire où il imagine une continuité dans la création en dotant les êtres animés et les hommes d’une âme différente. Nous verrons comment La Fontaine unit, ici, la rigueur de la démonstration et l’imagination poétique, puis comment il définit l’âme des animaux et enfin l’âme humaine.

1. Rigueur et imagination Dans cet extrait, La Fontaine mêle habilement puissance visionnaire et rigueur argumentative.

A. Mise en scène d’un démiurge • Le fabuliste revendique clairement son discours (« Pour moi » en tête de péroraison) et utilise fréquemment la 1re personne. • Mais, pour faire passer son idée, lui qui n’est pas philosophe a recours à une fiction visionnaire où il s’imagine (à l’irréel ou au potentiel) dans le rôle du Créateur, comme « le maître » vis-à-vis de « [s]on ouvrage ». • Il multiplie les verbes évoquant la création : « donnerais », « attribuerais », « subtiliserais », « rendrais », « ferais ». • Il endosse aussi le rôle d’un alchimiste ; cf. champ lexical : « subtiliserais », « quintessence », « extrait », « vif » (comme « vif-argent », autre nom du mercure), « s’épurant », « or » et « plomb ».

B. Rigueur de la démonstration Dans ces développements spéculatifs, La Fontaine conserve la rigueur du raisonnement. • Plan du texte : – v. 21 à 24 : pour approcher la théorie de l’âme des animaux, La Fontaine passe d’abord par l’exemple de l’enfant qui possède une pensée qui n’est pas consciente d’elle-même et peut « penser ne se pouvant connaître » ; – v. 29 à 39 : raisonnement par analogie (« Par un exemple tout égal ») et passage par l’image de l’alchimie pour définir l’âme des animaux, matière et esprit, « Capable de sentir, juger, rien davantage » ; – v. 40 à 42 : passage, nettement souligné (« À l’égard de nous autres hommes »), à la définition de l’âme humaine, « double trésor » ; – v. 43 à 45 : l’âme commune à tous les êtres vivants ; – v. 46 à 52 : l’âme humaine, divine, immatérielle et immortelle ; – v. 53 à 59 : croissance de l’âme dans l’homme. Les derniers vers reprennent les premiers avec les thèmes de l’enfance (v. 22 / v. 53) et de la « raison » (v. 27 / v. 56) – ce qui souligne l’unité et la force de la démonstration. Ce plan, rigoureux et didactique, procède très pédagogiquement par étapes. • Recherche de la clarté : – distinctions claires : « l’une » / « l’autre » ; animaux / « nous autres hommes » ; – la distinction est posée dès le début et réaffirmée au dernier vers ; – les comparaisons emportent l’adhésion par les questions rhétoriques : « Ceux-ci pensent-ils pas dès leurs plus jeunes ans ? […] donc » (v. 23-24) ; « […] si le bois fait la flamme, / La flamme en s’épurant peut-elle pas de l’âme / Nous donner quelque idée […] ? » (v. 33-34).

C. Des notions difficiles à traiter • Nuances et images : – emploi systématique du conditionnel qui nuance les affirmations ; – expressions nuancées : « Je ne sais quoi » (v. 32), « quelque idée » (v. 35), « en un certain degré » (v. 47) ; – affirmation consciente de la difficulté du sujet : « Choses réelles, quoique étranges » (v. 52) ; – La Fontaine a recours à des expressions paradoxales qui suggèrent la complexité des notions abordées : « Entrerait dans un point sans en être pressé » (v. 50) ; « Ne finirait jamais quoi qu’ayant commencé » (v. 51) ; – comment concevoir la continuité entre la matière et l’esprit, et le fait qu’il y ait de l’âme dans le corps vivant (problème que n’a pas résolu Descartes) ? La Fontaine a recours à l’analogie de la flamme, transformation quintessenciée du bois, ou à des expressions encore plus imagées et poétiques (« extrait de la lumière »).

Sujets d’écrit – 28

• Respect des dogmes chrétiens : – La Fontaine prend soin d’affirmer clairement sa fidélité aux dogmes chrétiens pour ne pas choquer son lecteur ; – il conçoit 3 ordres dans les créatures : les anges, les hommes, les animaux ; – il insiste sur la hiérarchie fondamentale entre l’homme et l’animal qui n’est pas capable de raison : « Non point une raison selon notre manière » (v. 27) ; « Capable de sentir, juger, rien davantage, / Et juger imparfaitement, / Sans qu’un singe jamais fit le moindre argument » (v. 37 à 39) ; – l’âme proprement dite est réservée à l’homme et d’origine divine (« fille du Ciel »).

2. L’âme des animaux

A. L’opposition à Descartes • La Fontaine réaffirme son opposition à la conception de l’animal-machine, qui ne serait animé que d’un « aveugle ressort ». • Il envisage une sorte de continuité entre le corps et l’esprit, et donc entre les créatures elles-mêmes : toute créature animée possède une part d’esprit, qui varie en degré et en qualité. Il existe une parenté de nature entre les hommes et les animaux, tous « Hôtes de l’univers ». La Fontaine exprime, à plusieurs reprises, l’union entre les créatures : « aussi bien » (v. 22), « pareille en tous tant que nous sommes » (v. 43). • Pas d’opposition radicale entre les êtres, mais une hiérarchie : l’enfant constitue une sorte d’intermédiaire entre l’animal et l’homme, et l’homme est proche de l’ange « en un certain degré » (v. 47). • La Fontaine exprime un certain enthousiasme à envisager cette âme animale : il emploie une phrase longue (v. 29 à 36) en alexandrins, pleine d’images positives (« lumière », « feu », « flamme », « or »).

B. Une âme matérielle • L’âme des animaux est issue de la matière, par analogie avec l’alchimie : « Je subtiliserais un morceau de matière » (v. 29). • Difficulté de la définition faite de paradoxes : cette âme est composée à la fois de bois et de feu, de plomb et d’or, de matière et de lumière (opposition à la rime : v. 29 et 31). Les rejets (v. 33) et les enjambements (v. 33 à 36) rendent compte de la complexité de la pensée. • Cette âme est donc limitée par son origine matérielle et inaccessible à la raison : « Les ténèbres de la matière, / Qui toujours envelopperait / L’autre âme, imparfaite et grossière » (v. 57 à 59).

C. Une âme imparfaite • Elle est marquée par des limites négatives : « non point » (v. 27), « rien davantage » (v. 37), « Sans qu’un » (v. 39). • Elle est qualifiée par des termes péjoratifs : « imparfaitement » / « imparfaite », « faible ». • Elle est réservée à des êtres jugés inférieurs : animaux, enfants, fous, idiots, c’est-à-dire ceux à qui manquent la conscience réflexive et la raison.

3. L’âme des hommes

A. Une âme supérieure • Hiérarchie affirmée entre l’animal et l’homme : « infiniment plus fort » (v. 41), « double trésor » (v. 42), « trésor à part créé » (v. 48). L’homme possède à la fois l’âme propre aux êtres animés et une « autre âme » (v. 46) qui lui est propre. • Âme perfectible : expression d’un progrès passant de la restriction (v. 54-55 : « ne paraîtrait / Qu’une tendre et faible lumière ») au comparatif de supériorité (v. 56 : « L’organe étant plus fort »).

B. Une âme divine • L’âme réservée à l’homme est d’origine divine, « fille du Ciel » (v. 54). La Fontaine a encore recours à une image pour faire percevoir cette notion à son lecteur : « ce trésor à part créé / Suivrait parmi les airs les célestes phalanges » (v. 53-54). • Elle n’est donc pas liée à la matière ni dépendante du corps, quoiqu’elle l’habite : « Entrerait dans un point sans en être pressé » (v. 50). • Elle est immortelle (v. 51 : « Ne finirait jamais »), mais pas éternelle puisqu’elle a été créée par Dieu (v. 51 : « ayant commencé »). • Elle est liée à la raison et se développe avec elle : La Fontaine emploie, ici, l’image de la lumière capable de « perce[r] / Les ténèbres de la matière » (v. 56-57).

Conclusion Après la fable des deux Rats, argumentation indirecte fondée sur la persuasion, La Fontaine, dans la péroraison de son discours, convainc son lecteur par une démonstration rigoureuse qui sait aussi utiliser toutes les ressources de l’imagination et de la poésie. Tout en s’inscrivant dans la tradition de la poésie didactique remontant à Hésiode ou Lucrèce, il donne ainsi de nouvelles lettres de noblesse au genre de la fable.

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◆ Dissertation

Les traités, essais ou ouvrages théoriques peuvent paraître, a priori, la forme la plus apte à proposer une réflexion sur la condition de l’homme. Cependant, les œuvres littéraires, quel que soit leur genre, ont également une efficacité qui leur est propre pour interroger le lecteur sur cette question. Nous verrons donc comment elles mettent en œuvre des procédés rhétoriques efficaces et s’appuient sur la fiction et l’émotion pour faire passer un message convaincant.

1. Efficacité des procédés rhétoriques

A. Clarté de la pensée et du raisonnement • Effets de contraste par les antithèses : supériorité/infériorité ; hommes/animaux ; corps/âme ; instinct/libre arbitre (dans les textes du corpus). • Articulation logique : effet d’annonce, de conclusion, parallélismes, antithèses… Enchaînement des idées, progression didactique (La Fontaine, Rousseau). • Recours aux exemples personnels (Montaigne), tirés de la vie quotidienne ou de la société environnante (Serres), issus d’œuvres antérieures (Montaigne cite Platon).

B. Efficacité de l’énonciation • Je/Vous/Nous : condition humaine qui concerne aussi bien l’auteur que le lecteur (cf. « notre maladie naturelle et originelle » dans le texte de Montaigne). • Questions rhétoriques : volonté d’impliquer (Montaigne, La Fontaine, Serres) et de faire réfléchir le lecteur. • Impératif, adresse au lecteur : solliciter son questionnement (cf., par ex., « Qui es-tu, toi ? » dans le texte de Michel Serres). • Ponctuation affective (exclamation, interrogation) : donner une dimension humaine, mettre plus de passion.

C. Figures de style • Donner une dimension familière et concrète à l’abstrait par les images : « au dernier étage du logis » (Montaigne) ; image de l’alchimie pour faire comprendre le lien entre corps et âme chez La Fontaine ; rapprochements comiques entre l’homme et l’animal chez Michel Serres pour mettre en question la définition traditionnelle de l’homme… • Mettre en valeur la pensée : litote, euphémisme, hyperbole…

2. Le recours à la fiction

A. Une argumentation indirecte • On emploie des personnages ou des situations imaginaires pour parler de l’homme et de sa condition : – La Fontaine utilise la fable des deux Rats pour poser une question grave touchant à la nature de l’âme, puis a recours à une sorte de vision imaginaire ; – Voltaire se sert des mésaventures de Candide pour s’interroger sur le bonheur des hommes ; – dans Rhinocéros, Ionesco use de l’insolite et du fantastique, ou du loufoque, pour parler du totalitarisme, de l’engagement et de la place de l’action humaine. • Ainsi, le lecteur ne se sent pas visé directement, et on ne lui impose pas de conclusion : il peut juger librement.

B. Une réflexion plaisante • Le recours à la fiction, par l’intrigue, le suspense, les personnages variés et leur évolution, offre un plaisir de lecture et moins d’austérité qu’un traité : – divertir et amuser : la fable avec sa petite anecdote, les exemples satiriques de Michel Serres (texte D) ; – susciter la curiosité et l’attention du lecteur par la plaisir de l’intrigue, le suspense : dans Œdipe Roi de Sophocle, l’intrigue quasi policière sert une réflexion sur la liberté et la destinée ; – offrir de la variété : récit, description, dialogue… • Variété dans la mise en forme littéraire : hétérométrie chez La Fontaine.

C. Incarnation des idées Les idées ne sont pas abstraites, mais vécues dans des situations concrètes replacées dans un contexte spatio-temporel et humain : – La Fontaine utilise des animaux emblématiques ou des types humains, qu’il place dans des circonstances particulières à travers ses courts récits : « La Cour du Lion », « Le Savetier et le Financier », etc. ; – Molière ou La Bruyère proposent, à travers leurs personnages, une sorte de miroir au lecteur qui peut se reconnaître et essayer de corriger ses défauts. – Candide est confronté à diverses formes de maux et de malheurs incarnées par le Nègre de Surinam ou illustrées par le tremblement de terre de Lisbonne, l’autodafé, la guerre, etc. ; – Zola applique les théories sur la transmission génétique ou l’influence du milieu sur les différents individus de la famille des Rougon-Macquart.

Sujets d’écrit – 30

3. Les émotions Les procédés propres à la littérature sont capables de susciter, chez le lecteur, des émotions qui vont influencer son jugement. Ces émotions permettent de rendre l’argumentation plus forte et persuasive.

A. Le pathos Faire naître pitié, colère, indignation, admiration : cette réaction forte du lecteur l’oblige à s’interroger sur le message de l’auteur. Cf. l’indignation de Montaigne devant la vanité humaine (texte A) ou les émotions ressenties par le lecteur devant l’injustice sociale ou l’oppression avec le Nègre de Surinam dans Candide de Voltaire, Les Misérables ou « Melancholia » (poème sur le travail des enfants) de Hugo, « À tous les enfants » de Boris Vian (sur les jeunes tués à la guerre)…

B. Le rire • Permet de faire réfléchir le lecteur sur les travers de l’homme ou de la société, tout en l’amusant : – Molière montre les ravages des monomanies (L’Avare) ou la place de l’homme dans la société (Le Misanthrope) ; – Pangloss, dans Candide, représente de façon satirique la théorie leibnizienne du meilleur des mondes possibles ; – Garo, dans « Le Gland et la Citrouille » de La Fontaine, est un exemple de la bêtise présomptueuse de l’homme, comme le patron de médecine évoqué par Michel Serres (texte D). • Le procédé particulier de l’ironie crée une complicité entre l’auteur et le lecteur capable de comprendre le sens caché (cf. « De l’esclavage des Nègres » de Montesquieu).

C. L’émotion esthétique La beauté des images, des sonorités… renforce la parole et le message : – l’ampleur des alexandrins, les rejets, les enjambements traduisent l’enthousiasme de La Fontaine pour sa conception de l’âme des animaux (texte B) ; – la pureté et la concision ciselée des alexandrins raciniens font ressortir la force destructrice des passions (cf. Andromaque, Britannicus…) ; – dans le poème « Ce cœur qui haïssait la guerre… » de Robert Desnos, le rythme appelle à la Résistance comme un tocsin et renforce ainsi une vision de l’homme qui refuse de se soumettre à la tyrannie.

Conclusion Les différents genres littéraires possèdent donc des atouts qui leur sont propres pour faire passer une réflexion sur l’homme. On pourrait s’interroger aussi sur les moyens caractéristiques des œuvres visuelles pour susciter ce même questionnement.

◆ Sujet d’invention

On valorisera la pertinence et la variété des arguments, ainsi que la mise en forme du dialogue qui doit respecter les deux points de vue et faire preuve de vivacité et de rigueur dans la progression logique.

Fables (livres VII à IX) – 31

E X P L O I T A T I O N D E S I L L U S T R A T I O N S

◆ « Les Animaux malades de la peste »

Comparez l’illustration des « Animaux malades de la peste » de Jean-Baptiste Oudry (p. 12) avec celle de Gustave Doré (p. 20). • Il y a beaucoup moins de personnages chez Jean-Baptiste Oudry. • Le fléau de la peste n’y est pas mis en évidence. • Le Lion n’est pas mis en valeur en position de juge comme chez Gustave Doré. • On assiste à la confession ou au procès de l’Âne chez Jean-Baptiste Oudry, et non à sa mise à mort comme chez Gustave Doré. • On voit clairement, par cette comparaison, comment Gustave Doré rend davantage compte du côté dramatique et tragique de la fable de La Fontaine.

◆ « La Laitière et le Pot au lait »

Comparez l’illustration de « La Laitière et le Pot au lait » de Jean-Baptiste Oudry (p. 43) avec le tableau de Fragonard (document 1 au verso de la couverture). • Jean-Baptiste Oudry donne beaucoup d’importance au décor de la scène (arbres, pont, tour, maison). • Les deux artistes placent la Laitière en bas de l’image pour insister sur sa chute assez spectaculaire. • Jean-Honoré Fragonard rend la scène beaucoup plus pathétique en montrant les pleurs de la jeune fermière et les moqueries de la part des deux personnages qu’il rajoute. Il souligne avec finesse le sens de la fable de La Fontaine en figurant, dans son tableau, le nuage blanc des rêves envolés.

◆ « Les Deux Coqs »

Observez comment Gustave Doré transpose la fable de La Fontaine « Les Deux Coqs » (p. 51) : choix des personnages, du contexte, du moment… • Comme dans « Les Deux Pigeons », Gustave Doré choisit d’humaniser les personnages et de les placer dans un contexte précis : ici, l’Espagne du XVIIe siècle, semble-t-il. Il rappelle, par un clin d’œil, le titre de la fable avec les plumes ornant fièrement le chapeau du personnage principal. • L’illustrateur a choisi le moment de la victoire du premier coq sur son rival : le vainqueur, qui occupe le centre de la gravure, est richement vêtu et arbore fièrement un poignard à sa ceinture. « Tout fier de [la] défaite [de son rival] », il lui tourne le dos en le montrant d’un signe dédaigneux de la main et semble prendre orgueilleusement possession de l’« Hélène au beau plumage » qu’il a ainsi gagnée. • Le vaincu est relégué dans le coin du tableau, effondré dans une position de souffrance. Son chapeau et son épée, attributs du gentilhomme, lui ont échappé et ont roulé sur le sol. Il a donc perdu toute prestance. • Les personnages plus flous ou plus obscurs, sur les côtés et dans le fond, représentent « la gent qui porte crête » accourue « au spectacle ». • On peut se demander si le cavalier qui domine la scène et l’observe dans l’ombre d’un air vaguement menaçant n’est pas le vautour qui va, à son tour, ruiner l’orgueil du vainqueur. • Gustave Doré rend bien compte de la vanité bravache du premier coq, qui ne pense qu’à humilier son rival et à profiter de sa conquête, et, du coup, ignore le danger qui se profile dans son dos…

◆ « Le Rat et l’Éléphant »

Comment Gustave Doré rend-il compte du sens de la fable « Le Rat et l’Éléphant » (p. 99) ? • Gustave Doré met magistralement en valeur l’Éléphant : celui-ci occupe, de front, les trois quarts du tableau, et sa masse est soulignée par différents procédés. La présence d’hommes à ses côtés souligne sa taille par la disproportion ; Gustave Doré a fort bien représenté « l’animal à triple étage » avec le dais qui le surmonte et le palanquin plein de monde ; ce dais, ainsi que la sorte de mandorle claire (forme architecturale ovale dans laquelle sont sculptés des personnages sacrés et, par extension, sorte de nimbe, de gloire qui entoure la figure de Dieu ou de Jésus-Christ) qui l’entoure et les arbres qui semblent s’incliner sur son passage le font apparaître dans toute sa gloire, comme un être

Exploitation des illustrations – 32

surnaturel. L’orientalisme, la richesse des costumes, des bijoux et des ornements du pachyderme comme des hommes qui l’escortent sont encore une façon d’attirer le regard sur lui. • Au contraire, le Rat est minuscule, tout en bas du tableau : le regard étant attiré par la masse imposante de l’Éléphant, on ne l’aperçoit même pas au premier abord. Ce Rat est représenté comme un vulgaire animal, que le Chat est sur le point d’attraper par la queue – ce qui le dégrade encore plus.

◆ « Le Savetier et le Financier »

Quelles sont les 3 scènes représentées par Hermann Vogel (p. 216) ? • Le Savetier dans son atelier, en train de travailler et de chanter, guetté par le Financier à sa fenêtre. • La première entrevue entre le Savetier et le Financier, qui lui propose des sacs d’argent. • La seconde entrevue où le Savetier lui rend son argent.

Comment le dessinateur oppose-t-il les deux personnages (p. 216) ? • Par leur physique : le Savetier est jeune et mince, le Financier plus âgé et d’un certain embonpoint. • Par leur costume : le Savetier est en costume de travail dans la première vignette, puis en habit simple lors de sa visite ; le Financier est en costume d’intérieur riche et chamarré. • Par leur attitude : le Savetier est debout, le chapeau à la main, dans une attitude déférente, alors que le Financier le reçoit dans son fauteuil. • Par leur logement : le Savetier loge sous les toits, dans une sorte de mansarde avec une petite fenêtre et un vasistas ; le Financier est vu d’abord derrière une haute fenêtre aux larges carreaux, puis dans son vaste bureau, meublé de fauteuils confortables, d’un tapis, d’un paravent…

Comparez l’illustration d’Hermann Vogel (p. 216) avec celle de Gustave Doré (p. 69). • Gustave Doré choisit une seule scène : celle de l’entrevue entre les deux personnages. • Chez Gustave Doré, l’opposition entre eux est accentuée dans leurs vêtements : le Savetier se présente en tenue de travail, face au Financier en perruque et costume d’intérieur. On retrouve la même opposition d’attitude. • Chez Gustave Doré, l’intérieur du Financier est marqué aussi par son opulence : haute porte aux boiseries ornées, cartel (pendule ornementée), tableau, guéridon couvert de plusieurs livres et papiers, fauteuils et tissus ouvragés.

Fables (livres VII à IX) – 33

B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E

– Paul Bénichou, Morales du Grand Siècle, Gallimard, 1948.

– Emmanuel Bury, L’Esthétique de La Fontaine, SEDES, Paris, 1996.

– Patrick Dandrey, La Fabrique des fables, Klincksieck, Paris, 1992 ; 3e édition revue et remaniée, 2010.

– Jean-Charles Darmon, Philosophies de la fable. La Fontaine et la crise du lyrisme, coll. « Écritures », PUF, 2003.

– Jean-Charles Darmon, Philosophies de la fable. Poésie et pensée dans l’œuvre de La Fontaine, Éditions Hermann, Paris, 2011.

– Marc Fumaroli, Le Poète et le Roi. Jean de La Fontaine en son siècle, Éditions de Fallois, 1997.

– Olivier Leplatre, Le Pouvoir et la Parole dans les fables de La Fontaine, Presses universitaires de Lyon, 2000.