l'influence de la construction communautaire sur la constitution ...

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ACADÉMIE D'AIX-MARSEILLE UNIVERSITÉ D'AVIGNON ET DES PAYS DE VAUCLUSE THÈSE Présentée pour obtenir le grade de Docteur en Droit de l'Université d'Avignon et des Pays de Vaucluse SPÉCIALITÉ : DROIT PUBLIC Par Anne WLAZLAK Soutenue publiquement le 7 juin 2013 JURY : Mme. CHALTIEL Florence Agrégée de droit public, Maître des requêtes au Conseil d'État Rapporteur M. BONNET Julien Professeur à l'Université d'Évry-Val- d'Essonne Rapporteur M. GICQUEL Jean Professeur émérite à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne Mme. MILANO Laure Professeure à l'Université d'Avignon et des Pays de Vaucluse M. BLACHÈR Philippe Professeur à l'Université Jean Moulin Lyon 3 Directeur de la recherche ________________________________________________________________________________ École Doctorale « Culture et patrimoine » (ED 537) Laboratoire Biens, Normes et Contrats (EA 3788) L'INFLUENCE DE LA CONSTRUCTION COMMUNAUTAIRE SUR LA CONSTITUTION FRANÇAISE

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  • ACADMIE D'AIX-MARSEILLE

    UNIVERSIT D'AVIGNON ET DES PAYS DE VAUCLUSE

    THSE Prsente pour obtenir le grade de Docteur en Droitde l'Universit d'Avignon et des Pays de Vaucluse

    SPCIALIT : DROIT PUBLIC

    Par Anne WLAZLAK

    Soutenue publiquement le 7 juin 2013

    JURY :

    Mme. CHALTIEL Florence Agrge de droit public, Matre des requtes au Conseil d'tat

    Rapporteur

    M. BONNET Julien Professeur l'Universit d'vry-Val-d'Essonne

    Rapporteur

    M. GICQUEL Jean Professeur mrite l'Universit Paris I Panthon-Sorbonne

    Mme. MILANO Laure Professeure l'Universit d'Avignon et des Pays de Vaucluse

    M. BLACHR Philippe Professeur l'Universit Jean Moulin Lyon 3

    Directeur de la recherche

    ________________________________________________________________________________cole Doctorale Culture et patrimoine (ED 537)

    Laboratoire Biens, Normes et Contrats (EA 3788)

    L'INFLUENCE DE LA CONSTRUCTION COMMUNAUTAIRE SUR LA CONSTITUTION FRANAISE

  • ma maman...

    Pour les trois hommes de ma vie

    1

  • 2

  • SOMMAIRE

    INTRODUCTION

    PREMIRE PARTIE : Les incertitudes lies la notion de Constitution de l'tat

    Titre 1 : Les incertitudes de la Constitution formelle

    Chapitre 1 : L'expression des transformations procdurales de la Constitution

    Chapitre 2 : la recherche de la source des mutations procdurales de la Constitution

    Titre 2 : Les incertitudes de la Constitution matrielle

    Chapitre 1 : La double dimension des enrichissements matriels de la Constitution

    Chapitre 2 : la recherche de la source des mutations matrielles de la Constitution

    DEUXIME PARTIE : Pour un dpassement de la notion traditionnelle de Constitution : vers un nouveau concept ?

    Titre 1 : L'incapacit de outils existants de modliser la nouvelle ralit constitutionnelle

    Chapitre 1 : L'inadquation des terminologies traditionnelles

    Chapitre 2 : L'incompltude des propositions doctrinales

    Titre 2 : La Constitution-europanise , un objet constitutionnel en qute d'une politique globale de conceptualisation

    Chapitre 1 : Prospective qualitative sur la ralit constitutionnelle actuelle

    Chapitre 2 : La Constitution, un nouveau concept sui generis ?

    CONCLUSION GNRALE

    3

  • 4

  • Liste des sigles et abrviations

    AFDC Association franaise de droit constitutionnel AFDI Annuaire franais de droit internationalAff. AffaireAIDC Acadmie internationale de droit constitutionnelAIJC Annuaire international de justice constitutionnelle AJDA Actualit juridique de droit administratifAN Assemble nationaleAss. Assemble AUE Acte unique europenBCE Banque centrale europenne Bull. Civ. Bulletin civilBVerfG Bundesverfassungsgericht (Tribunal constitutionnel fdral

    allemand)c/ contreCass. Cour de CassationCDE Cahiers de droit europenCE Conseil d'tat CE Communauts europennes CECA Communaut europenne du charbon et de l'acierCEDH Cour europenne des droits de l'hommeCEDORE Centre d'tudes du droit des organisations europennesCEE Communaut conomique europenne CEEA Communaut europenne de l'nergie atomiqueCEIE Centre d'tudes internationales et europennesCERC Centre d'tudes et de recherches sur les contentieuxC.E.R.C.O.P Centre d'tudes et de Recherches Comparatives Constitutionnelles et

    PolitiquesCERIC Centre d'tudes et de recherche internationales et communautairesChr. ChroniqueCiv. Chambre civile de la Cour de cassationCJCE Cour de justice des Communauts europennesCJFI Courrier juridique des finances et de l'industrieCJUE Cour de justice de l'Union europenne CNRS Centre national de la recherche scientifiqueColl. CollectionCom. Chambre commerciale, financire et conomique de la Cour de

    cassationComm. Communication Concl. ConclusionsCons. ConsidrantCoord. Coordinateur(s) COREPER Comit des reprsentants permanentsCPI Cour pnale internationale DA Droit administratifDDHC Dclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 aot 1789

    5

  • Dir. DirectionEd. diteur(s)EDCE tudes et documents du Conseil d'tatGAJA Grands arrts de la jurisprudence administrativeIbid. IbidemICES Institut catholique d'tudes suprieuresICLQ International and comparative law quarterlyIEE Institut d'tudes europennesJAI Justice et affaires intrieuresJCP La semaine juridiqueJCPA La semaine juridique administration et collectivits territorialesJCPE La semaine juridique dition entrepriseJCPG La semaine juridique dition gnraleJCPS La semaine juridique dition socialeJDI Journal du droit international Clunet JO Journal officielJOCE Journal officiel des Communauts europennesJORF Journal officiel de la Rpublique franaiseJOUE Journal officiel de l'Union europenne L.G.D.J. Librairie gnral de droit et de jurisprudenceLPA Les petites affichesMEERQ Mesure d'effet quivalent des restrictions quantitativesMES Mcanisme europen de stabilit op. cit. opus citatumOrd. Ordonnancep. pagePESC Politique trangre et de scurit communePFRLR Principe fondamental reconnu par les lois de la RpubliquePGD Principe gnral du droitPln. Assemble plnirePU Presses universitairesPUF Presses universitaires de FranceRA Revue administrativeR.A.E.-L.E.A. Revue des affaires trangresRCADI Recueil des cours de l'Acadmie de Droit international de la HayeRCDIP Revue critique de droit international privREA Recours en annulationRec. RecueilREC Recours en carenceREM Recours en manquementRDP Revue de droit public et de la science politique RDUE Revue du droit de l'Union europenneRFAP Revue franaise d'administration publiqueRFDA Revue franaise de droit administratifRFSP Revue franaise de science politiqueRGD Revue gnrale du droitRGDIP Revue gnrale de droit international publicRIDC Revue internationale de droit comparRJDA Revue de jurisprudence de droit des affairesRJEP Revue juridique de l'conomie publique

    6

  • RMCUE Revue du march commun et de l'Union europenne RRJ Revue de la recherche juridique, droit prospectifRTDCiv. Revue trimestrielle de droit civilRTDE Revue trimestrielle de droit europen RUDH Revue universelle des droits de l'hommes. suivantesSec. Section SGAE Secrtariat gnral des affaires europennesSGCI Secrtariat gnral du comit interministriel pour les questions de

    coopration conomique europenneSomm. SommaireTCE Trait instituant la Communaut europenneTECE Trait tablissant une Constitution pour l'EuropeTEEDD Taxe d'effet quivalent des droits de douaneTFUE Trait sur le fonctionnement de l'Union europenne TPICE Tribunal de premire instance des Communauts europennes TSCG Trait de stabilit, de coordination et de gouvernanceTUE Trait sur l'Union europenne UE Union europenneUEM Union conomique et montaireVol. Volume

    7

  • 8

  • INTRODUCTION

    [] Une mise en garde pistmologique

    fondamentale : il faut toujours [...] se garder

    de confondre les ralits observes avec

    l'instrument conceptuel qui sert les

    observer1.

    Le 12 septembre 2012, la Cour constitutionnelle allemande rendit une dcision de

    conformit, sous rserve, du futur fond de secours de la zone euro ou mcanisme europen

    de stabilit (ci-aprs MES), et du trait de stabilit, de coordination et de gouvernance (ci-

    aprs TSCG), le controvers Pacte de stabilit , avec la Loi fondamentale2. Selon les

    huit Sages, la gestion de la crise financire actuelle traverse par l'Union europenne (ci-

    aprs UE) est en grande partie en conformit avec l'exigence constitutionnelle que la

    souverainet budgtaire demeure entre les mains du Bundestag , le Parlement allemand3.

    Les premiers commentaires effectus sur cette dcision4 n'analysent pourtant que trs

    brivement cette premire solution substantielle et d'apparence spcifiquement

    allemande, et se concentrent sur un tout autre enjeu : l'affirmation expresse d'une

    possibilit d'viter la faillite de la zone euro5. En d'autres termes, une dcision contraire

    1 Franois OST et Michel VAN de KERCHOVE, De la pyramide au rseau ? Pour une thorie dialectique du droit , Publications des Facults universitaires Saint Louis, 2002, p. 21.

    2 Dcision 2 BvR 1390/12, 2 BvR 1421/12, 2 BvR 1438/12, 2 BvR 1439/12, 2 BvR 1440/12, 2 BvE 6/12. Des extraits sont disponibles en anglais sur le site Internet du Tribunal constitutionnel fdral (www.bverfg.de).

    3 La premire limite concerne la participation de l'Allemagne dans le financement du MES qui ne doit pas dpasser 190 milliards d'euros, ce qui correspond sa part actuelle au capital du fonds. Le seconde rserve prvoit que toute augmentation de cette contribution doit tre approuve par le Parlement.

    4 Il s'agit ici surtout des analyses mdiatiques de la dcision et principalement celles de la presse crite. Voir, par exemple, le journal Les chos du 12 septembre, La Cour constitutionnelle allemande autorise les mcanismes de sauvetage de l'euro , ou encore le journal Le Monde dat du mme jour, Fonds de sauvetage europen : feu vert, sous conditions, des juges allemands . Pour des analyses doctrinales de la dcision, voir Reine WAKOTE, La porte des rserves d'interprtations mises par la Cour constitutionnelle fdrale allemande , RJEP, n705, 2013, p. 23-26 ; Guillaume TUSSEAU, La dcision de la Cour constitutionnelle fdrale allemande du 12 septembre 2012 , RFDA, n6, 2012, p. 1058-1068 ; Anne LEVADE, MES et TSCG et la Loi Fondamentale allemande : compatibilit prciser , Constitutions, n4, 2012, p. 581-582.

    5 Avant le prononc de la dcision, le journal Le Monde, par exemple, titrait son article du 3 septembre, Les fonds de secours suspendus la dcision de la Cour constitutionnelle allemande (article de Frdric Lematre). Le mme jour, le journal L'Expansion prcisait que le destin de la monnaie unique europenne est entre les mains de la Cour constitutionnelle allemande qui rendra le 12 septembre une dcision susceptible de bloquer le sauvetage de la zone euro ( Schauble : la Cour constitutionnelle allemande ne bloquera pas le pacte budgtaire ). Une dcision contraire aurait pu, en effet, interdire la

    9

  • aurait pu menacer la stabilit de l'ensemble de la zone euro, voire la survie de la monnaie

    unique6. Tout se passe comme si cette prise de position nationale pouvait, elle seule,

    autoriser la continuit du regroupement autour de la monnaie unique. La longvit de

    l'union conomique et montaire (ci-aprs UEM), pilier fondamental de l'UE, serait ainsi

    tributaire des solutions constitutionnelles apportes par les tats membres dans

    l'hypothse d'un conflit normatif. Ce constat dtonne dans un environnement europen

    pourtant caractris depuis ses origines par un enrlement toujours plus fort des positions

    tatiques partisanes au service d'intrts communautaires globaux. La construction

    europenne est base sur les tats membres. Elle est donc dpendante de leurs

    comptences. De la sorte, plus le champ d'application du droit communautaire s'largit,

    plus, par symtrie, les comptences proprement tatiques se rduisent par le jeu d'un

    transfert au niveau supranational7. L'intgration est donc, d'un strict point de vue tatique,

    ambivalente car si elle conduit de facto une perte progressive des substances internes

    proprement identitaires, nationales, elle est pourtant choisie par ses parties, qui en sont

    les fondements existentiels, par le biais de la ratification des traits successifs. Or, au

    regard de l'actualit europano-constitutionnelle de ces dernires annes, la sauvegarde

    des proccupations fondamentales tend reprendre une place de premier ordre dans la

    poursuite du rapprochement de telle sorte que ce dernier devient davantage brid par les

    aspirations de ses membres que favoris par leur regroupement. L'chec de l'entre en

    vigueur du trait tablissant une Constitution pour l'Europe8 (ci-aprs TECE), l'adoption in

    participation de l'Allemagne au MES et ainsi priver d'un soutien budgtaire important les autres tats parties en difficult (Italie, Grce, Espagne, etc.). Pour plus de prcisions sur le MES et sur la dcision de la juridiction communautaire en date du 27 novembre 2012 constatant sa compatibilit avec le droit de l'UE (C-370/12, Thomas Pringle c/ Government of Ireland, non encore publie), voir, notamment, Denys SIMON, Mcanisme europen stabilit , Europe, n1, 2013, p. 17-20 ; Fabrice PICOD, Rien ne s'oppose au trait instituant le mcanisme europen de stabilit , JCPG, n50, 2012, p. 2260 ; ou encore Jean-Claude ZARKA, Le trait sur la stabilit et la gouvernance dans l'Union conomique et montaire (TSCG) , Rec. Dalloz, n14, 2012, p. 893-900.

    6 Julien MARION, MES : les rserves de la Cour constitutionnelle allemande , AFP, 12 septembre 2012.

    7 Une prcision prliminaire s'impose au niveau terminologique. Les qualificatifs communautaire , europen et supranational seront utiliss indiffremment dans cette tude, pour dcrire un mme attribut issu de l'intgration. La pertinence de cette synonymie peut tre sujette critiques, notamment sur la prcision et la porte des mots employs le terme europen recouvre, en principe, un champ d'application plus large que la seule intgration communautaire pour y inclure le regroupement tatique autour du Conseil de l'Europe ; de mme, l'expression supranationale revt, a priori, une porte plus tendue que le seul cadre europen et renvoie davantage un rapport hirarchique inhrent sa dfinition. Ds lors, leur usage concomitant est exclusivement justifi dans un souci d'viter la lourdeur de l'analyse par un effet de redondance dans la mesure o l'intitul du sujet implique une utilisation rgulire et rcurrente d'une telle terminologie.

    8 Le TECE fut sign par les vingt-cinq chefs d'tat et de gouvernement le 29 octobre 2004 Rome mais a t refus par les peuples nerlandais, lors du rfrendum consultatif du 1er juin 2005 61,6% des votants (64,8% de participation) et franais, lors du rfrendum du 29 mai 2005 54,67% des votants (69,37% de participation).

    10

  • extremis9 de son successeur, le trait de Lisbonne10, largement allg et fruit de

    nombreuses concessions tatiques11 ou encore la difficult de rsorber rapidement et

    efficacement la crise financire actuelle en raison, notamment, de la dilution des

    souverainets montaires nationales au sein d'une gestion globale de la monnaie unique,

    apparaissent tre des illustrations significatives.

    Est-il pour autant envisageable d'extrapoler ce mouvement dcennal l'ensemble de

    l'intgration europenne et d'voquer un sursis sa continuit par la reconqute nationale

    d'attributs fondamentaux, lesquels apparaissent plus ou moins europaniss dans les

    Constitutions nationales, ou en proie une communautarisation toujours plus intense,

    l'instar de la souverainet montaire ? Rien n'est est moins sr car, s'il est effectivement

    possible de s'accorder sur un retour certain des revendications nationales dans la

    progression de l'avenir europen12, l'accroissement numrique des domaines de gestion

    commune, dcoulant des modifications textuelles, suffit, lui seul, infirmer une

    gnralisation de cette tendance. Sur ce point, le dernier trait de Lisbonne est un exemple

    9 L'expression a t galement utilise par Panayotis SOLDATOS dans le titre de son article Radioscopie critique de l'chec du trait constitutionnel , repch in extremis par le trait rformateur , de produire l'approfondissent supranational de l'Union europenne , Mlanges en hommage Georges Vandersanden, Promenades au sein du droit europen, Bruylant, 2009, p. 353-380.

    10 Le trait de Lisbonne est issu des travaux de la confrence intergouvernementale ouverte le 23 juillet 2007 sous la prsidence portugaise, suite au Conseil europen de Bruxelles des 21 et 22 juin de la mme anne. Le texte est sign le 13 dcembre 2007. L'Irlande le rejette par rfrendum le 12 juin 2008 53,4%. En change de la sauvegarde de sa souverainet sur des questions fiscales et ethniques, de sa neutralit militaire et du maintien d'un commissaire europen par tat membre, le peuple accepta le texte 67%, le 2 octobre 2009. Aprs une dcision de conformit avec la loi fondamentale tchque de la Cour constitutionnelle, le Prsident Vaclav Klaus procda la dernire ratification le 3 novembre 2009. Le trait entra en vigueur le 1er dcembre 2009. Il convient de prciser qu'il engendre une nouvelle configuration textuelle gnrale par la juxtaposition au trait sur l'UE (ci-aprs TUE), le trait sur le fonctionnement de l'UE (ci-aprs TFUE), nouvelle appellation du trait instituant la Communaut europenne (ci-aprs TCE).

    11 Pour ne citer que quelques exemples unes des revendications personnelles de certains tats membres, il faut dnombrer celle, commune, du Royaume Uni, de la Pologne et de la Rpublique Tchque qui demandaient bnficier d'une clause d' opt-out pour l'application de la Charte des droits fondamentaux et qui fut finalement formalise par le protocole n7 annex au trait, ou encore celle de l'Irlande avec le maintien d'un commissaire par tat membre. Le Royaume-Uni s'est, par ailleurs, oppos la cration du ministre europen des affaires trangres et a rclam une clause de non-participation dans le domaine de la justice et des affaires intrieures. La Pologne a finalement obtenu la sauvegarde du compromis de Ioaninna dans le systme de vote au Conseil.

    12 Suite au rejet du TECE, Jrgen HABERMAS a ainsi pu parler d'un mouvement de renationalisation car plongs dans un profond embarras, les gouvernements europens retiennent leur souffle, mais encouragent par l-mme la tentation au repli national. ( Sur l'Europe , Bayard, 2006, p. 5). De la mme manire, Nicos SCANDAMIS a pu voquer le retour du syndrome national propos de la signature du trait de Lisbonne en tant que manifestation d'une dualit [] qui s'offre comme terrain d'opposition entre courants d'intgration adverses, dans la mesure o travers ceux-ci les engagements juridiques sont perus de manire diffrente, surtout par une politique systmatique de renationalisation (en italique dans le texte) ( La dualit du fondement juridique de l'Union europenne. Le trait de Lisbonne face la question constituante , Mlanges en hommage Georges Vandersanden, Promenades au sein du droit europen, Bruylant, 2009, p. 339).

    11

  • loquent car son entre en vigueur fut conditionne et retarde par la volont de certains

    tats parties de sauvegarder au maximum des intrts partisans. Sa ratification fut une

    vritable bataille de concessions, indite dans l'histoire de la construction

    communautaire et atteste de la pugnacit de l'ide d'une Europe la carte, gomtrie

    variable. Pourtant, malgr ces nombreuses exceptions sectorielles, le texte consacre,

    comme l'accoutum, une extension gnrale du champ d'action de l'UE. Au fond, le

    respect inconditionn des positions individuelles n'est pas conciliable avec la poursuite du

    rapprochement europen du fait de sa nature englobante et proprement supranationale,

    laquelle peut conduire un antagonisme avec les attentes nationales. Les dcisions de

    certaines Cours constitutionnelles tmoignent de cette ralit dans la mesure o une

    contradiction entre les droits communautaire et constitutionnel interne est soit minore par

    une interprtation neutralisante des textes nationaux, soit annihile par une rvision de la

    norme fondamentale13. Dans ces deux hypothses, le cadre national s'ouvre la

    pntration du droit communautaire par son assouplissement. Pourtant, les rfrences

    rptes depuis le dbut des annes 2000 la notion d'identit constitutionnelle par la

    plupart des Cours constitutionnelles europennes semblent dvoiler l'ide de rserve de

    constitutionnalit , de limites infranchissables bref, de noyau dur 14, ces mmes

    identits forment cependant les branches de l'UE assimile par Dominique Rousseau,

    une toile [qui] tire son nergie vitale de ses branches et qui donne ses branches leur

    rayonnement et leur luminosit15. Ainsi, si les Constitutions nationales semblent

    redevenues, depuis quelques temps, des remparts contre une europanisation outrance

    des domaines tatiques, la construction communautaire, depuis les dernires dcennies, n'a

    pourtant jamais autant orient leur contenu.

    13 Ces points feront prcisment l'objet d'une dmonstration dans le Titre 1 de la premire Partie pour le cas franais. Pour les illustrations trangres les plus significatives, voir notamment les arrts Frontini du 27 dcembre 1973 et Granital du 8 juin 1984 (Italie), les arrts Solange I du 29 juin 1974, Solange II du 29 mai 1974 et Solange III du 7 juin 2000 (Allemagne) ou encore la dclaration du 13 dcembre 2004 (Espagne). Pour un panorama europen, voir notamment Rostane MEHDI, Ordre juridique communautaire. Primaut du droit communautaire , Jurisclasseurs Europe, fascicule 196, mars 2006, 86 p. ; ou encore Koen LENAERTS et Piet VAN NUFFEL, Constitutional Law of the European Union , Londres, Sweet & Maxwell, 2me dition, 2005, 969 p., spc. n17-015 17-046.

    14 Laurence BURGORGUE-LARSEN, L'identit constitutionnelle en question(s) , in BURGORGUE-LARSEN L. (Dir.), L'identit constitutionnelle saisie par les juges en Europe , Cahiers europens n1, Pedone, Paris, 2011, p. 155-168, spc. p. 162. Dans ses conclusions, l'auteure entend pourtant clairement insister sur la double fonction remplie par cette notion la fois de fermeture et d'ouverture l'intgration par le jeu de son appropriation par la Cour de justice de l'Union europenne afin de les mnager [] de les garder dans le giron de l'intgration, cette folle et grande aventure imagine pour en finir avec les nationalismes, combien destructeurs (p. 166).

    15 Dominique ROUSSEAU, L'identit constitutionnelle dans la jurisprudence constitutionnelle franaise , in BURGORGUE-LARSEN L. (Dir.), L'identit constitutionnelle saisie par les juges en Europe , ibid., p. 89-100, spc. p. 98-99.

    12

  • La France est un terrain privilgi d'tude de cette relation paradoxale. l'heure o le

    Conseil constitutionnel entend toujours prserver des principes inhrents l'identit

    constitutionnelle d'une globalisation communautaire, celui-ci a pourtant, pour la premire

    fois de son histoire, dcid de saisir la Cour de justice de l'Union europenne (ci-aprs

    CJUE)16 d'une question prjudicielle en interprtation d'un acte du droit de l'Union

    europenne17, mettant ainsi temporairement en suspens sa ligne de conduite

    jurisprudentielle traditionnelle qui cartait, jusqu'ici, expressment cette possibilit18. Au

    surplus, le Parlement a adopt, le 17 dcembre 2012, la loi organique visant rceptionner

    la fameuse rgle d'or 19, qui constitue une clause d'quilibre des finances publiques

    issue du contenu du Pacte de stabilit , lequel a t jug conforme la Constitution par

    le juge suprme le 9 aot 201220. Alors que les deux caractristiques de l' exception

    franaise mises en exergue par le Conseil, ont contribu la rendre allergique

    l'intgration europenne21, il est nanmoins incontestable que les Constitutions nationales

    16 Avec l'entre en vigueur du trait de Lisbonne, la Cour de justice des Communauts europennes (ci-aprs CJCE) est devenue la CJUE. Dans cette tude, l'une ou l'autre des appellations sera utilise en fonction du contexte temporel dans lequel est cite la juridiction. Dans les hypothses gnrales de travail, sans rfrence une priode spcifique, la nouvelle terminologie sera applique.

    17 Dcision n2013-314 QPC du 4 avril 2013, Mme Jeremy F., JORF du 7 avril 2013, p. 5799. La question prjudicielle est relative l'apprciation des articles 27 et 28 de la dcision-cadre n2002/584/JAI du Conseil europen du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrt europen et aux procdures de remise entre tats membres. Au fond, elle se rapporte la question de savoir si ces dispositions s'opposent l'existence, dans les tats membres, d'un recours suspensif contre une dcision de l'autorit judiciaire, statuant titre rpressif, selon le libell de l'article 695-46 du code de procdure pnale, dans le cadre du mandat d'arrt europen, tel que rfrenc l'article 88-2 de la Constitution.

    18 La dcision de principe fut celle du 27 juillet 2006, n2006-540 DC, o le juge estima que devant statuer avant la promulgation de la loi dans le dlai prvu l'article 61 de la Constitution, le Conseil constitutionnel ne peut saisir la Cour de justice des Communauts europennes de la question prjudicielle [] (Loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la socit de l'information, JO du 3 aot 2006, p. 11541, Rec. p. 88, cons. n20). Cette solution fut confirme par la dcision du 30 novembre 2006, n2006-543 DC, Loi relative au secteur de l'nergie (JO du 8 dcembre 2006, p. 18544, Rec. p. 120) et par celle du 12 mai 2010, n2010-605 DC, Loi relative l'ouverture la concurrence et la rgulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne (JO du 13 mai 2010, p. 8897, Rec. p. 78). Elle a, par la suite, t transpose dans le cadre du contrle de l'article 61-1 avec la dcision n2010-79 QPC du 17 dcembre 2010, Mme Kamel D. (JO du 19 dcembre 2010, p. 22373, Rec. p. 406).

    19 Loi organique n2012-1403 relative la programmation et la gouvernance des finances publiques, JORF n294 du 18 dcembre 2012, p. 19816. L'article 1 prcise que [] la loi de programmation des finances publiques fixe l'objectif moyen terme des administrations publiques mentionn l'article 3 [relatif aux obligations nonces en matire d'quilibre financier et budgtaire] du trait sur la stabilit, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union conomique et montaire [...] . Le 13 dcembre, le Conseil constitutionnel rendit une dcision de conformit partielle de la loi organique avec la Constitution, mais les motifs retenus ne relvent pas de la substance propre de la rgle d'quilibre. (Dcision n2012-658 DC, Loi organique relative la programmation et la gouvernance des finances publiques, JO du 18 dcembre 2012, p. 19856.

    20 Dcision n2012-653 DC, Trait sur la stabilit, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union conomique et montaire, JO du 11 aot 2012, p. 13283. Voir tout le dossier sur le site Internet officiel du Conseil constitutionnel.

    21 Selon Jean-Louis QUERMONNE, l'une concerne la singularit de la souverainet nationale ; l'autre a trait l'incomprhension manifeste l'gard du fdralisme. ( L'Europe en qute de lgitimit , Presses de Sciences po, Coll. La bibliothque du citoyen , 2001, p. 117).

    13

  • [] semblent subir aujourd'hui des formes manifestes d'europanisation22. Dans un tel

    environnement empreint d'une ambivalence profonde, entre tendance contextuelle au

    protectionnisme nationaliste et mouvement continu d'europanisation du champ

    fondamental, la question gnrale de l'influence de la construction communautaire sur la

    Constitution franaise devient un nouvel enjeu tant d'actualits que d'tudes. Elle ne peut

    pas, en effet, se cantonner l'analyse des vnements rcents. Elle revt galement une

    importance spcifique et contingente aux volutions simultanes dont font l'objet la

    Constitution et l'intgration. Elles entretiennent des liens troits et profonds qui se

    traduisent, d'une manire gnrale, par une relation proportionnelle asymtrique dans le

    sens o l'approfondissement progressif de la seconde entraine une modification

    subsquente de la premire par la prise en compte accrue du pan europen.

    Historiquement, la Constitution de la Cinquime Rpublique a t mise en uvre dans les

    mois qui suivirent les dbuts de la construction communautaire. Cette naissance, peine

    dcale de moins d'une anne, n'a pourtant pas engendr une quelconque interdpendance

    structurelle entre les deux phnomnes. Chacun leur manire, ils ont tent de redresser

    un tat d'aprs-guerre fragilis sur les plans politique et conomique. Les proccupations

    originelles taient donc principalement les mmes mais les moyens pour y parvenir furent

    diffrents : si la norme de 1958 ambitionnait de restaurer un quilibre entre les pouvoirs

    institutionnels et d'en finir avec les drives de la Quatrime Rpublique, la construction

    communautaire, quant elle, se fondait sur la volont de crer un rapprochement entre

    certains groupes de pays, auparavant en conflit, de manire assurer une stabilit

    conomique, gage de force sur la scne internationale. Cette absence de liens de

    correspondance peut ainsi tre qualifie de structurelle mais galement de dfinitionnelle.

    L'abstraction du phnomne europen est manifeste dans le texte fondateur de la

    Cinquime Rpublique. Si des dispositions relatives au droit international y sont

    effectivement incluses, aucune n'est rellement spcifique au droit communautaire. Les

    dbats de l'poque sur la ncessit et la volont d'insrer une rfrence communautaire

    plus ou moins explicite dans la Constitution23 se sont en effet solds par un renvoi gnral

    22 Henri OBERDORFF, La sparation des pouvoirs , in AUBY J.-B. (Dir.), L'influence du droit europen sur les catgories du droit public, Dalloz, 2010, p. 179-194, spc. p. 180.

    23 Voir l'article de Louis FAVOREU, Le droit international , in MAUS D., FAVOREU L. et PARODI J.-L. (Dir.), L'criture de la Constitution de 1958 , actes du colloque du XXXme anniversaire, 8-10 septembre 1988, Aix-en-Provence, Association franaise de Science Politique et AFDC, Economica, 1992, p. 577-603.

    14

  • au droit international dans son ensemble24. Comme le souligne Jean-Louis Quermonne, si

    lon date lorigine de lintgration europenne du Trait instituant la Communaut du

    charbon et de lacier, il apparait que pendant quarante ans la Constitution franaise est

    demeure trangre tout impact europen25. En effet, l'entre en vigueur de l'Acte unique

    europen (ci-aprs AUE) en 198626, ne modifia pas cet apparent dsintrt dans la

    mesure o, malgr son objectif ambitieux de ralisation du march intrieur l'horizon des

    annes 90, il n'emporta pas formellement de consquences perceptibles sur le contenu de

    la Constitution franaise27. Mme s'il a pos les jalons d'une volont de mettre en place

    une communion supranationale au niveau politique, ce n'est vritablement qu'avec

    l'application du trait de Maastricht28, le 1er novembre 1993, que le phnomne

    abstractionniste s'inverse. partir de cette date, tant la teneur de la construction

    communautaire que celle de la norme fondamentale franaise prirent un tournant

    d'envergure. Sur le plan europen, fut cre une structure en trois piliers, l'UE, avec en

    parallle la mise en place de l'UEM prvoyant principalement, terme, l'instauration d'une

    monnaie unique pour les tats membres de la zone euro29. Les avances matrielles et

    institutionnelles taient d'une telle ampleur que le Conseil constitutionnel fut, pour la

    premire fois dans l'histoire de la Cinquime Rpublique, saisi de sa conformit avec la

    24 En vertu de l'article 55 qui stipule que Les traits ou accords rgulirement ratifis ou approuvs ont, ds leur publication, une autorit suprieure celle des lois, sous rserve, pour chaque accord ou trait, de son application par l'autre partie et du Prambule de la Constitution de 1946, dont la force juridique obligatoire a t consacre par le Conseil constitutionnel dans sa dcision du 16 juillet 1971 (n71-44 DC, Loi compltant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association, jurisprudence Libert d'association ) et qui prvoit que La Rpublique franaise fidle ses traditions, se conforme aux rgles du droit international public .

    25 Il ajoute que ce constat semble dautant plus surprenant que les textes de 1946 comme de 1958 ont accord une place de choix aux dispositions relatives lUnion franaise ( Ladaptation de ltat lintgration europenne , RDP, n5/6, 1998, p. 1405).

    26 Il a t sign le 17 fvrier par neuf tats membres et le 28 fvrier par le Danemark, l'Italie et la Grce. Il est entr en vigueur le 1er juillet 1987.

    27 S'il introduit trois axes indits - la cohsion conomique et sociale, l'environnement et la politique de recherche et dveloppement technologique -, il n'en reste pas moins une avance prudente et inacheve du fait de la sauvegarde du principe de coopration intergouvernementale dans la gestion communautaire. De la mme manire, l'instauration du systme montaire europen en 1979, anctre de l'euro, n'entraina pas de consquences expresses sur le pouvoir rgalien concern dont disposait l'tat franais.

    28 Le trait fut sign le 7 fvrier 1992 par les douze tats membres.29 Le trait prvoyait une mise en place chelonne en plusieurs tapes : une priode de libralisation des

    capitaux ds le 1er juillet 1990 laquelle fut adjointe, partir du 1er janvier 1994, un mouvement de convergence des politiques conomiques nationales qui permit la cration de la monnaie unique et de la Banque centrale europenne (ci-aprs BCE) partir du 1er janvier 1999.

    15

  • Constitution au titre de l'article 5430. Le 9 avril 199231, il rendit une dcision ngative et

    renvoya, le cas chant, au pouvoir constituant le choix de rviser la norme fondamentale

    pour pouvoir ratifier le texte europen. Le 25 juin 1992 fut promulgue la loi

    constitutionnelle n92-554 qui insra un titre XV intitul Des communauts et de

    l'Union europenne 32 attribuant, par ce biais, une place juridique indite dans l'histoire

    constitutionnelle un droit d'origine extrieur. partir de ce bouleversement, il a t

    globalement possible, exception faite pour la ratification du trait de Nice, lequel ne fit pas

    l'objet d'un examen par le juge suprme, d'assister une correspondance entre les avances

    textuelles de l'intgration europenne au fil des traits postrieurs et la ralisation de

    modifications constitutionnelles franaises subsquentes. la suite d'une dcision de non-

    conformit sur le trait d'Amsterdam33, sign le 2 octobre 199734, le pouvoir constituant

    procda une modification d'une partie du titre XV35 pour en permettre la ratification. Le

    trait de Nice36 contient peu d'avances substantielles aussi majeures que celles de ses

    prdcesseurs37 de telle sorte qu'il entra en vigueur naturellement dans l'ordre interne.

    Plus dlicate fut la question de l'adoption et de la ratification du TECE. Son trange

    appellation suffit rendre compte de l'enjeu de son insertion dans l'ordre interne38. Sur le

    plan europen, s'il faisait disparatre la structure en piliers, et sacralisait la construction de

    30 L'article 54 stipule que si le Conseil constitutionnel, saisi par le Prsident de la Rpublique, par le Premier ministre ou par le prsident de l'une ou l'autre assemble ou par soixante dputs ou soixante snateurs (ces derniers requrants ont t ajouts par la rvision constitutionnelle du 25 juin 1992), a dclar qu'un engagement international comporte une clause contraire la Constitution, l'autorisation de le ratifier ou de l'approuver ne peut intervenir qu'aprs la rvision de la Constitution .

    31 Dcision n92-308 DC, Trait sur l'Union europenne, jurisprudence Maastricht I , JO du 11 avril 1992, p. 5354, Rec. p. 55.

    32 JORF n147 du 26 juin 1992, p. 8406. Il doit tre prcis que ladite loi prvoyait, en son article 5, l'insertion d'un titre XIV, intitul Des communauts europennes et de l'Union europenne . Ce n'est qu'avec la loi constitutionnelle, n95-880, du 4 aot 1995 que le prcdent titre devient le titre XV, numrotation qui a toujours t conserve depuis lors.

    33 Dcision du 31 dcembre 1997, n97-394 DC, Trait d'Amsterdam modifiant le Trait sur l'Union europenne, les Traits instituant les Communauts europennes et certains actes connexes, JO du 3 janvier 1998, p. 15, Rec. p. 344.

    34 Le trait est entr en vigueur le 1er mai 1999.35 Loi constitutionnelle du 25 janvier 1999, n99-49, modifiant les articles 88-2 et 88-4 de la Constitution,

    JORF n21 du 26 janvier 1999, p. 1343.36 Sign le 26 fvrier 2001 par quinze tats membres, il entra en vigueur le 1er fvrier 2003.37 Il a surtout entrain des modifications aux niveaux institutionnel (taille de la Commission europenne,

    pondration des voix au Conseil) et dcisionnel (simplification du recours la procdure de coopration renforce et largissement du vote la majorit qualifie).

    38 De trs nombreux crits furent produits sur ce point, notamment sur la signification juridique du choix d'adjoindre le terme Constitution celui de trait pour dcrire la nature exacte du texte en cause. Pour ne citer qu'une seule contribution, il convient de s'appuyer sur les propos de Michel CLAPIE qui explique que les juristes aiment les dbats byzantins, certains mme en vivent. Mais, en rgle gnrale, ils cultivent la rigueur terminologique. Cette rigueur si prise, fait pourtant dfaut, dans le discours tenu autour du texte labor par la Convention sur l'avenir de l'Europe, []. Peut-tre faut-il y voir la cause du caractre justement byzantin du dbat qu'il suscite ( Trait ou Constitution ? propos du projet de Constitution de l'UE , Rec. Dalloz, 2004, p. 1176).

    16

  • symboles fondamentaux39, il s'attelait codifier, dans un seul ensemble, l'intgralit des

    textes existants40. C'est principalement l'extension du mode de gestion groupe de

    nouveaux domaines qui fonda la dcision d'inconstitutionnalit du Conseil41. La rvision

    constitutionnelle entreprise42 fut annihile par le refus du texte exprim par deux tats

    membres : la France et les Pays-Bas43. Le schma constitutionnel se rpte quand il s'agit

    de s'intresser la rception du trait de Lisbonne. Ce dernier fut jug non conforme le 20

    dcembre 200744, et la rvision constitutionnelle du 4 fvrier 200845 permit une mise en

    adquation de la norme fondamentale avec son contenu. Face ces considrations, il est

    donc possible d'affirmer que, formellement, ce n'est qu' partir des annes 90 que le

    phnomne communautaire intgra pleinement la norme constitutionnelle nationale

    mettant dfinitivement fin quarante annes d'indpendance moiti contrle46.

    l'inverse, l'abstraction d'un fondement nationalo-constitutionnel du phnomne

    communautaire n'aura t que de trs courte dure au niveau supranational. Ds le dbut

    des annes 60, la CJCE s'est elle-mme promptement active construire - simplement

    dvoiler selon les plus fervents communautaristes - un lien de connexion intense entre les

    deux ordres juridiques par le biais d'une jurisprudence oriente qui a connu son apoge

    39 L'article I-8 listait ainsi : un drapeau, un hymne, une devise, la monnaie et la journe europenne du 9 mai.

    40 Jean-Michel BLANQUER estime, par exemple, que la Constitution europenne est le rsultat d'une fusion des Traits pralables, fusion qui est l'occasion d'une refonte ( Le projet de Constitution europenne. Entre pacte fdratif et ordre constitutionnel coopratif , RDP, n5, 2003, p. 1278) alors que Jean-Victor LOUIS parle d'une unification en une Constitution, des traits constitutifs [] ( L'Union europenne dans le projet de Constitution, RDP, n5, 2003, p. 1265). Claude BLUMANN porte d'ailleurs un regard critique sur l'entreprise de simplification-rorganisation des traits car selon lui, si les deux premires parties de la Constitution, consacres au systme constitutionnel stricto sensu (en italique dans le texte) et la charte s'en tiennent aux dispositions rellement essentielles, en revanche la troisime partie reprend pratiquement toute la substance actuelle des traits et ne procde aucun vritable allgement ( Quelques rflexions sur le projet de Constitution de l'Union europenne , RDP, n5, 2003, p. 1271).

    41 Dcision du 19 novembre 2004, n2004-505 DC, Trait tablissant une Constitution pour l'Europe, JO du 24 novembre 2004, p. 19885, Rec. p. 173. Pour ne citer qu'une tude dtaille de la dcision, et sans prjuger de la qualit des nombreuses autres contributions sur le sujet, voir le commentaire de Vronique CHAMPEIL-DESPLATS paru la RTDE, n2, avr.-juin. 2005, p. 557-580.

    42 Loi constitutionnelle du 1er mars 2005, n2005-504, modifiant le titre XV de la Constitution, JORF n51 du 2 mars 2005, p. 3696.

    43 Chiffres prcits, note n8.44 Dcision n2007-560 DC, Trait de Lisbonne modifiant le trait sur l'Union europenne et le trait

    instituant la Communaut europenne, JO du 29 dcembre 2007, p. 21813, Rec. p. 459.45 Loi constitutionnelle n2008-103 modifiant le titre XV de la Constitution, JORF n30 du 5 fvrier 2008,

    p. 2202.46 Les dveloppements suivants dmontreront qu'avant 1992, cette non-interaction tait la fois oblige, au

    regard des champs d'application distincts de la construction communautaire et de la Constitution, mais galement orchestre par les acteurs nationaux qui participaient l'touffement de potentiels conflits de normes (voir Titre 1 de la premire Partie).

    17

  • avec l'assimilation des traits europens une charte constitutionnelle de base 47. Dans

    son arrt Van Gend en Loos du 5 fvrier 196348, la Cour a, dans un premier temps, nonc

    que la CEE constitue un nouvel ordre juridique de droit international, au profit duquel

    les tats ont limit, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains et dont

    les sujets sont non seulement les tats membres mais galement leurs ressortissants .

    Cette spcifique reconnaissance lui a ainsi permis de fonder lautonomie de lordre

    juridique communautaire par rapport au droit international et, par consquent, de

    consacrer son effet direct. Ce dernier permet tout justiciable d'invoquer une disposition

    europenne pour faire valoir ses droits communautaires devant le prtoire du juge

    national. Cette conscration ne pouvait pourtant pas dployer lintgralit des effets

    escompts dans lordre interne car aucune disposition des traits originaires ne stipulait

    que le droit communautaire primait sur le droit interne. Ds lors, formellement, il

    appartenait chaque tat membre de fixer la force juridique du premier sur le second en

    lui attribuant un rang dans la hirarchie des normes. La Cour a palli cette lacune en

    consacrant, dans son clbre arrt Costa c/ Enel du 15 juillet 1964, la primaut du droit

    communautaire sur le droit national49. Pierre Pescatore assimile cette dernire une

    condition existentielle du droit communautaire sans laquelle celui-ci ne saurait prtendre

    une efficience50. Elle dcoule de la nature originale des Communauts europennes et elle

    est une consquence immdiate de leffet direct antrieurement consacr. Elle est donc

    entendue comme une supriorit dapplication du droit supranational. Mais, en cas de

    conflit de normes, la question de savoir quelle issue devait donner le juge interne une

    intervention dans le cadre de sa comptence nationale restait ouverte dans l'hypothse o

    ce dernier ne disposait pas d'une prrogative spcifique pour garantir la priorit

    d'application au droit communautaire. C'est pourquoi le raisonnement fut logiquement

    parachev par la conscration de la primaut de validit du droit communautaire qui

    conditionne la lgalit des normes internes leur conformit avec les dispositions

    supranationales51. Par la suite, un pas constitutionnel a t franchi avec larrt

    47 CJCE, 23 avril 1986, Parti cologiste Les Verts c/ Parlement europen, aff. 294/83, Rec. p. 1339.48 CJCE, 5 fvrier 1963, N.G. Algemene Transport en Expeditie Ondernemig Van Gend en Loos c/

    Administration fiscale nerlandaise, aff. 26/62, Rec. p. 1.49 CJCE, Flaminio Costa c/ E.N.E.L., aff. 6/64, Rec. p. 1141. Elle nonce quissu dune source

    autonome, le droit n du trait ne pourrait donc, en raison de sa nature spcifique originale, se voir judiciairement opposer un texte interne quel quil soit, sans perdre son caractre communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la Communaut elle-mme .

    50 Pierre PESCATORE, Lordre juridique des Communauts europennes tudes des sources du droit communautaire , PU de Lige, 1975, p. 227 (rdition Bruylant, 2007).

    51 Dans son arrt Simmenthal, la Cour prcise que le juge national charg d'appliquer, dans le cadre de sa comptence, les dispositions du droit communautaire, a l'obligation d'assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliqu, de sa propre autorit, toute disposition contraire de la lgislation

    18

  • Internationale Handelsgesellschaft du 17 dcembre 197052, par lequel la Cour se prononce

    sur la primaut des normes communautaires sur les dispositions internes de rang

    fondamental53, dcision dont lampleur a t considrablement renforce par la

    qualification des traits fondateurs en charte constitutionnelle des Communauts54 . Du

    point de vue europen, la prminence du droit communautaire sur la Constitution

    nationale est ainsi considre comme ayant un caractre absolu et inconditionnel55.

    Pourtant, cette construction jurisprudentielle, partisane et intgrationniste, n'a pas reu

    l'application escompte par son initiatrice sur les sols nationaux. D'une manire gnrale,

    sans anticiper une prsentation prcise des points de dsaccords, laquelle sera largement

    entreprise tout au long de cette tude, il suffit de relever que seul un tat membre sur

    vingt-sept a expressment reconnu la supriorit du droit de l'UE sur sa propre norme

    fondamentale56. En ce qui concerne la France, les propos loquents, et forts de symboles,

    du Prsident du Conseil constitutionnel de l'poque, Pierre Mazeaud, permettent de

    synthtiser la pense dominante lorsque ce dernier affirme que le droit europen, si loin

    qu'aillent sa primaut et son immdiatet, ne peut remettre en cause ce qui est

    expressment inscrit dans nos textes constitutionnels et qui nous est propre. Je veux parler

    nationale [...] (CJCE, 9 mars 1978, Administration des finances de l'tat c/ Socit anonyme Simmenthal, aff. 106/77, Rec. p. 629).

    52 aff. 11/70, Rec. p. 1125.53 Pour une application la relation droit communautaire driv et dispositions fondamentales, voir l'arrt

    du 11 janvier 2000, Tanja Kreil c/ Bundesrepublik Deutschland (aff. C-285/98, Rec. p. I-69). Rcemment, la Cour a eu l'occasion de confirmer une telle porte dans son arrt du 19 novembre 2009, Krzysztof Filipiak c/ Dyrektor Irby Skarbowej w Poznaniu (aff. C-314/08, Rec. p. I-11049) o elle a confront la primaut avec une dcision rendue par une juridiction suprme, en l'espce le tribunal constitutionnel polonais. Dans sa dcision du 15 janvier 2013 (Krizan, aff. C-416/10), elle raffirme qu'il ne saurait tre admis que les rgles de droit interne, fussent-elles d'ordre constitutionnel, portent atteinte l'unit et l'efficacit du droit de l'Union en rappelant l'appui de son arrt Melki et Abdeli du 22 juin 2010 (aff. C-188/10 et C-189/10, Rec. p. I-5667) que lesdits principes s'appliquent dans les rapports entre une juridiction constitutionnelle et tout autre juridiction nationale .

    54 CJCE, 23 avril 1986, Parti cologiste Les Verts c/ Parlement europen, aff. 294/83, Rec. p. 1339.55 Franois LUCHAIRE a ainsi pu affirmer que le rsultat [de la reconnaissance par la Cour de justice du

    principe de l'applicabilit directe] est que les Constitutions des tats-membres, lorsqu'il y en a, passent en dessous du droit communautaire dans toute sa splendeur ( Dbats, sance de l'aprs-midi , in La Constitution et l'Europe, journe d'tude du 25 mars 1992 au Snat, Salle Mdicis, Montchrestien, p. 265-298, spc. p. 295).

    56 L'tat nerlandais est gnralement cit par la doctrine comme une exception dans la mesure o l'article 94 confre une supriorit d'application des dispositions extrieures gnrales bnficiant d'une force juridique dans l'ordre interne. Nanmoins, aucune rfrence expresse n'est faite au droit europen en particulier. Seule l'Irlande a formellement soumis sa propre Constitution au droit communautaire par la rdaction de l'article 294 6 lequel nonce qu'aucune disposition de la prsente Constitution n'annule les lois promulgues, les actes accomplis ou les mesures adoptes par l'tat avant, pendant ou aprs l'entre en vigueur du trait de Lisbonne, en application des obligations souscrites comme membre de l'Union europenne [] ou n'empche d'avoir force de loi dans l'tat les lois promulgues, les actes accomplis ou les mesures prises par ladite Union europenne ou la Communaut europenne de l'nergie atomique, ou par leurs institutions [...] .

    19

  • ici de tout ce qui est inhrent notre identit constitutionnelle, au double sens du terme

    inhrent : crucial et distinctif57. La progression communautaire sous le prisme

    constitutionnel semble donc souffrir d'un paradoxe qui lui est contingent. D'un ct, les

    avances europennes textuelles ont bien, depuis 1992, fait l'objet d'une

    constitutionnalisation franaise, ce qui dmontre une interdpendance reconnue de la

    norme fondamentale envers l'intgration. De l'autre, et l'inverse, les interprtations

    prtoriennes de la Cour de Justice, axes sur un mouvement d'europanisation absolue du

    droit constitutionnel, et ce bien avant 1992, n'ont pas t effectivement, ou du moins

    entirement, relayes par les acteurs nationaux. Sous cet angle, il y a donc un double

    mouvement simultan d'apprhension constitutionnelle du droit communautaire qui

    prsente des caractristiques antagonistes en fonction du niveau auquel il se manifeste,

    national ou communautaire. Ds lors, l'examen de l'influence de la construction

    communautaire sur la Constitution franaise suppose de tenir compte de cette dichotomie

    pour apprcier pragmatiquement sa teneur, au-del du strict pan formel et explicite. En

    d'autres termes, entre calques apparents et ralits masques, l'volution communautaire

    de la norme fondamentale n'en devient que plus difficile thoriser. La conceptualisation

    des ralits dgages constitue ainsi le nud fondamental de cette tude et qui en suggre

    toute son ambition.

    Ds lors, plutt que de qualifier, car oserait-on dire les choses sont ce qu'elle sont, ne

    faut-il pas d'abord les observer pour ensuite en dterminer la nature58? Cette

    interrogation, pose prcisment l'gard de la matrialisation de l'entit Union

    europenne , peut tre extrapole l'ensemble du monde juridique afin de la renvoyer

    la question de la pertinence de la dmarche gnrale de travail usite par le juriste59. Ce

    dernier, qu'il sanctionne ou rvolutionne, tel un juge, conseille, tel un professionnel de

    l'entreprise ou des particuliers, ou thorise, tel un auteur de doctrine, use, en effet, d'une

    mthode sculairement commune : il doit, au pralable, qualifier, l'aide de notions, la

    situation d'espce laquelle il fait face pour, ensuite, pouvoir lui appliquer les rgles de

    57 Vux du Prsident du Conseil constitutionnel, Pierre MAZEAUD, au Prsident de la Rpublique, discours prononc le 3 janvier 2005 l'lyse, Les cahiers du CONSEIL CONSTITUTIONNEL, n18, 2005, extrait p. 15.

    58 Olivier DUBOS, L'Union europenne ; sphinx ou nigme ? , tudes en l'honneur de Jean-Claude Gautron, Les dynamiques du droit europen en dbut de sicle, Pedone, 2004, p. 30.

    59 Sur la mthode gnrale utilise en droit constitutionnel, voir notamment l'article de Franois LUCHAIRE, De la mthode en droit constitutionnel , RDP, 1981, p. 275-329. Sur la pertinence de la qualification juridique pour atteindre un objectif de transparence, voir la contribution d'Olivier CAYLA, Ouverture : la qualification, ou la vrit du droit , Droits, n18, 1993, p. 3-18.

    20

  • droit correspondantes60. chaque champ smantique, c'est--dire chaque notion,

    correspond un ensemble de dispositions juridiques prtablies qui permettraient, dans la

    majeure partie des cas, exception faite des rares hypothses de vide normatif, de rsoudre

    le problme existant. L'efficacit de cet ouvrage est ainsi conditionne par la fiabilit de

    cette catgorisation originelle car tout l'difice juridique qui en dcoule dpend finalement

    de la justesse de cette dernire. Par une relation simple de causes effets, une mauvaise

    appellation pourra avoir pour consquence l'utilisation de normes peu adaptes l'espce,

    voire incohrentes son gard, qui ne permettront pas, au surplus, de solutionner

    correctement la question. Ces considrations prennent toute leur ampleur quand il s'agit de

    se pencher sur des domaines pour lesquels il n'existe pas de solutions, prismes ou points

    de vue universellement accepts. Plus le sujet est l'objet de divergences de la part des

    praticiens, et ouvre donc l'htrognit, plus sa qualification en amont devient un

    exercice la fois dlicat et crucial. Par ce biais, elle peut tre perue comme l'lment le

    plus important de tout le travail juridique au point d'acqurir une forme de statut de

    postulat de base toute l'analyse, la frontire, dans un tel contexte controvers, d'un

    axiome juridique pour son initiateur, c'est--dire d'une proposition vidente par elle-mme

    rsultant des principes d'identit et de non-contradiction. C'est prcisment dans cette

    logique que l'interrogation d'Olivier Dubos tire sa plus grande pertinence car ne faudrait-il

    pas, dans un tel environnement, riche d'un ventail de propositions, qui plus est,

    majoritairement solides et argumentes, renverser la mthode et procder un dcryptage

    invers du phnomne polmiqu ? En d'autres termes, n'est-il pas plus opportun mais

    surtout lgitime, d'uvrer, non pas contre-courant, mais dans un mouvement parallle de

    ce qui sculairement effectu dans un unique but de recherche d'une plus grande

    transparence et efficience sur la solution un problme donn. Il s'agirait concrtement de

    ne pas procder une qualification existentielle et forcment prconditionne d'un

    phnomne en amont, de manire l'analyser selon les moules juridiques existants, mais

    bien davantage de partir de la description de ses ralits pragmatiques, qui ne sont, en ce

    sens, pas ncessairement dpendantes d'une autorisation scientifique pralable, pour

    pouvoir en tirer toutes les consquences juridiques61, quitte , in fine, se retourner vers les

    60 Francis-Paul BENOT rsume parfaitement cette ide en affirmant que la notion est le moyen par lequel les juristes apprhendent des faits en vue de dterminer quelles rgles de droit leur sont applicables : la notion permet de qualifier les faits, c'est--dire de les faire rentrer dans une catgorie connue et rpertorie, laquelle ces faits paraissent correspondre et, en consquence, de leur dclarer applicable le rgime juridique tabli par cette catgorie ( Notions et concepts, instruments de la connaissance juridique. Les leons de la Philosophie du droit de Hegel , Mlanges en l'honneur du Professeur Gustave Peiser, Droit public, PU de Grenoble, 1995, p. 27).

    61 Pour reprendre la thse de Georg Wilhelm Friedrich HEGEL, il s'agirait presque de dgager le concept de

    21

  • canons communs62. Une telle dmarche risque d'tre la fois soumise des critiques de

    prtention et controverse dans sa rigueur dans l'hypothse o elle ferait radicalement fi

    des enseignements traditionnels. Ne doit-il pas tre ici rejoint les propos de Dmitri

    Georges Lavroff qui estime qu'une apparente navet peut permettre de perturber le

    conformisme dominant et que l'imprudence intellectuelle est une attitude qui facilite

    l'innovation, la condition expresse que l'argumentation soit solidement tablie et que

    l'on ne se donne pas le ridicule de prtendre dire la vrit jusqu'alors cache63. Il doit

    ainsi tre compris qu'une telle dmarche ne peut revtir le sceau de la crdibilit que dans

    le cas o elle ne se dploie qu'aprs avoir constat la difficult, voire l'impasse, pour les

    prospectives dominantes de parvenir un noyau dur de conceptualisation communment

    admis par le plus grand nombre64. Elle pourrait ainsi tre qualifie de mthode de

    deuxime ordre , c'est--dire secondaire car elle ne serait usite temporellement qu'aprs

    la dmarche sculaire et substantiellement en fonction des rsultats forts nuancs de cette

    dernire. Elle serait donc considre en marge des enseignements de droit positif et

    n'aurait ainsi pas vocation le dcrire, mais bien davantage dcrypter les enseignements

    doctrinaux sur une ralit juridique prcise. En d'autres termes, plus gnralement, c'est

    une mthode qui conduit analyser les travaux doctrinaux sur ce qu'est cens tre un objet

    juridique et non le droit positif sur ce qu'est un objet juridique65. Cette analyse s'inscrit

    la chose tudie en lieu et place de sa notion (Voir Encyclopdie des sciences philosophiques , Tome 1, La science de la logique, traduit par Bertrand BOURGEOIS, Librairie Philosophique J.Vrin, 1979, 646 p.).

    62 De la mme manire, Andr LALANDE distingue deux mthodes dfinitionnelles du droit, une explicative et une constructive. La premire tend illustrer un concept qui existe dj et qui est donc antrieur la pratique de description. La seconde suggre une dmarche inverse qui dvoile une pratique dfinitionnelle justement axe sur la cration d'un concept nouveau. ( Vocabulaire technique et critique de la philosophie , Paris, PUF, Coll. Quadrige , 2010, 1380 p.). Voir galement la position dfendue par Michel TROPER dans son article Pour une dfinition stipulative du droit , Droits, n10, 1989, p. 101-104. La dfinition opratoire, qui consiste en une opration de recherche de correspondance entre le terme dfini et la ralit, sera ici vince dans la mesure o elle renvoie un critre de justiciabilit qui ne trouve pas s'appliquer pour le terme global de Constitution.

    63 Dmitri Georges LAVROFF, propos de la Constitution , Mlanges en l'honneur de Pierre Pactet, L'esprit des institutions, l'quilibre des pouvoirs, Dalloz, 2003, p. 283.

    64 Cette dmarche est ainsi justifie dans un souci de rupture pistmologique par rapport aux reprsentations dominantes tant du langage que des notions majoritairement admises par la doctrine. (voir, par exemple, Jacques COMMAILLE et Jean-Franois PERRIN, Le modle de Janus de la sociologie du droit , Droit et socit, n1, 1985, p. 99). Pourtant cette rupture pistmologique repose incontestablement sur une tude de la faon dont l'objet en question est conventionnellement admis. En ce sens, comme le soulignent Franois OST et Michel VAN de KERCHOVE, une telle dmarche dfinitionnelle n'exclut pas la possibilit d'une rflexion critique (en italique dans le texte) sur la chose juridique , mais garantit, bien au contraire, qu'une telle rflexion porte sur un phnomne dans lequel le juriste puisse reconnatre l'objet de sa propre pratique ( De la pyramide au rseau ? Pour une thorie dialectique du droit , op. cit., p. 297).

    65 Jean-Franois PERRIN affirme d'ailleurs que la qualification juridique (pour la sociologie du droit) dpend du protocole de recherche et non pas d'une dcision d'un organe tatique habilit dire le droit ( Sociologie empirique du droit , Ble, Helbing & Lichtenhahn, 1997, p. 33).

    22

  • sans aucun doute dans cette dmarche atypique pour plusieurs raisons.

    Il est ici admis que ces deux objets juridico-constitutionnels que sont la Constitution et la

    construction communautaire, sont tout particulirement concerns par cette controverse

    mthodique, mais pas vritablement de la mme manire. L'un comme l'autre font toujours

    l'heure actuelle, et avec une acuit accrue depuis leur origine, l'objet de nombreux

    commentaires, interrogations, voire controverses sur la ralit de leur conceptualisation66.

    Alors que l'UE est encore, et depuis sa naissance, en qute d'un habit normatif spcifique

    permettant de l'pouser parfaitement67, la Constitution est devenue une sorte d'inconnue

    juridique la recherche de ses relles ralits tant elle apparat dsormais, et surtout

    depuis 1992 avec l'intgration du droit communautaire, comme un carrefour de droits aux

    origines et aux proprits diverses68. De fait, il apparat dlicat de vouloir intgrer

    l'organisation europenne dans une catgorie normative prcise pour lui appliquer les

    rgles subsquentes car justement elle ne permet pas, par sa nature hybride et atypique,

    une telle globalit69. Dans le mme temps, continuer appliquer les attributs traditionnels

    66 Pour ne citer que trois exemples temporels et spcifiques chaque objet : la pertinence de la notion de Constitution tait dj questionne par Georges BURDEAU en 1956 dans son article Une survivance : la notion de Constitution (tudes offertes Achille Mestre, L'volution du droit public, Sirey, 1956, p. 53-62). En 1990, Dominique ROUSSEAU s'interrogeait sur la renaissance de la notion ( Une rsurrection : la notion de Constitution , RDP, 1990, p. 5-22) et, en 2007, Katarzyna GRABARCZYK soumettait sa ralit la multiplication des rvisions constitutionnelles ( La notion de Constitution l'preuve des rvisions constitutionnelles , RRJ, n3, 2007, p. 1331-1355). De la mme manire, en 1991, Charles LEBEN menait une tude prospective sur la nature juridique des Communauts europennes ( propos de la nature juridique des Communauts europennes , Droits, n14, 1991, p. 61-72), complte, deux ans plus tard, par une recherche sur la nature prcise de l'UE (Astris D. PLIAKOS, La nature juridique de l'Union europenne , RTDE, 1993, p. 187-224). En 2004, l'objet UE a encore inspir un article d'Olivier DUBOS au titre loquent : L'Union europenne : sphinx ou nigme ? (op. cit., p. 29-56).

    67 Didier MAUS affirme que la construction europenne depuis quarante ou quarante-cinq ans a volu selon des rgles qu'aucun esprit cartsien n'avait imagines. Elle est une construction parfaitement empirique, mise au point pour des raisons politiques et non partir d'un schma juridique ( Dbat, rapport Favoreu , in FLAUSS J.-F. (Dir.), Vers un droit constitutionnel europen, quel droit constitutionnel europen, Actes du colloque des 18 et 19 juin 1993, Universit Robert Schuman, RUDH, 1995, Vol. n7, n11-12, p. 357-468, spc. p. 363). Ainsi, par exemple, lorsque Jean-Louis QUERMONNE s'interroge sur la nature de l'UE, il intitule les Chapitres de son ouvrage, l'absence de prcdent historique ou encore l'inadaptation des modles thoriques ( L'Europe en qute de lgitimit , op. cit., respectivement Chapitre 3, p. 41 et p. 43 et Chapitre 9, p. 94). L'auteur entend ainsi dmontrer la non-pertinence des catgorisations proposes - l'tat fdral, la Confdration d'tats ou encore l'tat rgional - pour lgitimer sa propre thorie du fdralisme intergouvernemental.

    68 Par exemple, Jacques et Jean-ric GICQUEL dcrivent une Rpublique en France et une Rpublique dans l'Union europenne avec la perspective d'une Constitution-gigogne : nationale et europenne ( Droit constitutionnel et institutions politiques , Montchrestien, 2005, p. 506). Pour une tude d'ensemble, voir la thse de Yann LAURANS, Recherches sur la catgorie juridique de constitution et son adaptation aux mutations du droit contemporain , soutenue le 20 novembre 2009 Nancy II, 970 p.

    69 C'est prcisment ce que soulignent Franois OST et Michel VAN de KERCHOVE en mettant l'hypothse suivante : peut-tre prcisment ne faut-il plus raisonner partir des concepts classiques (souverainet, hirarchie, territoire...) si l'on veut rendre compte du caractre sui generis (en italique dans le texte) de la construction en cours ( De la pyramide au rseau ? Pour une thorie dialectique du

    23

  • la Constitution contemporaine relve d'un pari juridique os, proche de l'utopisme

    obstin dans les cas les plus conservateurs. En effet, si l'UE cherche une catgorisation en

    amont, la Constitution, quant elle, est la vise d'une d-catgorisation en aval. Quoi qu'il

    en soit, dans l'ensemble, c'est bien l'tape qualificative qui ne peut pas tre utilise de

    manire brute, au risque de ne pas, en ce qui concerne l'UE, ou de ne plus, pour la

    Constitution, tre capable de retranscrire rellement leur teneur et fidlement leur ralit.

    Si nommer les choses permet de se persuader que l'on peut s'en rendre matre70, alors

    force est d'admettre que la maitrise de la Constitution chappe ses formateurs et que le

    contrle de l'volution du processus europen ne se fera pas au moyen d'une description

    qualificative.

    Ces considrations mthodologiques prennent encore davantage de porte lorsqu'il est

    intgr le lien aigu qui existe entre les deux objets. Comme prcdemment prsents, des

    constats simples ce stade, gnraux mais loquents, permettent d'attester de cette

    imbrication. Au principal, il s'agit naturellement de l'individualisation constitutionnelle du

    droit communautaire en 1992. De manire incidente, les modifications de la norme

    fondamentale au fil des ratifications ultrieures dbouchent sur l'ide d'une procdure

    commune de rvision intervenant aux deux niveaux juridiques et de manire corrlative71.

    chaque modification des traits fondateurs a ainsi correspondu une volution

    subsquente de la Constitution franaise, dans l'hypothse d'une saisine du juge suprme72.

    Il semble que le texte de 1958 ne peut raisonnablement plus tre analys sans prendre en

    compte son pan europen. Il ne peut en tre autrement quand apparaissent des expressions

    byzantines, au regard des canons classiques de distinction entre les ordres constitutionnel

    et international, tel que, par exemple, la communautarisation des constitutions

    nationales ou la constitutionnalisation de l'UE . Il est, en effet, difficilement

    explicable sur le plan juridique de relier des variables extrieures avec des attributs

    fondamentaux au point de, parfois, les rendre consubstantiels. Il ne peut galement plus en

    tre autrement lorsque, dsormais, la trs grande majorit des manuels qui sont dits sur

    l'tude de la Constitution ou du droit constitutionnel consacrent une partie de leur contenu

    l'UE73. L'ensemble de la communaut scientifique semble avoir pris conscience du

    droit , op. cit., p. 71).70 Vlad CONSTANTINESCO, Europe fdrale ou fdration d'tats-nations ? , in DEHOUSSE R. (Dir.)

    Une Constitution pour l'Europe ?, Presses de Sciences Po, 2002, Chapitre 5, p. 115-149, spc. p. 115.71 Sur ce point, voir Hlne GAUDIN, Rvision des traits communautaires, rvision des constitutions

    nationales : recherche sur la symtrie d'un phnomne , Mlanges en l'honneur de Guy Isaac, Cinquante ans de droit communautaire, Toulouse : Presses de l'Universit des sciences sociales, 2004, p. 541-557.

    72 Ce qui ne fut pas le cas pour la procdure d'incorporation du trait de Nice en droit interne.73 Pour une analyse riche des bouleversement[s] ditoria[aux] tenant l'insertion de dveloppements plus

    24

  • caractre irrductible de cette liaison partir de l'anne 1992 et de l'entre en vigueur du

    trait de Maastricht car, ds l'instant o le droit communautaire intgra le droit de la

    Constitution, toute tude de ce dernier dut, pour prtendre la globalit et la

    transparence, en tenir compte et en apprcier les effets.

    Ds lors, s'interroger sur l'influence de la construction communautaire sur la Constitution

    franaise relve d'un exercice dlicat sur le plan mthodologique car il est ici suggr qu'il

    ne peut pas - peut-tre davantage plus l'heure actuelle - tre pose de dfinition en

    amont, servant de postulat gnral de travail l'analyse et permettant de s'appuyer sur une

    grille d'apprciation usuelle. La dmarche pour parvenir un tel dcryptage, fidle la

    ralit, s'inscrit ainsi en parallle des canons existants.

    C'est pourquoi, il sera ici d'abord procd une prsentation successive des deux sujets

    tudis l'aune de leur matrialisation pragmatique selon un angle mthodologique

    commun et dual qui distingue leurs modalits d'avnement et d'application. Cette

    sparation est volontairement choisie pour deux principales raisons. D'une part, elle

    permet de pallier aux difficults et aux failles issues d'une absence prcise de dfinition

    car elle engendre, malgr tout, une description globale du cycle d'existence des champs

    analyss, de leur naissance leurs implications pratiques. Ils sont ainsi dcortiqus selon

    une optique temporelle et la prsentation qui s'en suit n'en sera que plus rigoureusement

    rythme et globale. D'autre part, elle sert de grille de lecture commune des lments a

    priori distincts et permettra, de fait, et le cas chant, de rvler leurs similitudes et

    dissemblances afin de dvoiler l'intrt majeur de leur tude d'ensemble. Il peut, ds lors,

    tre justifi le non-recours la mthode descriptive en raison de la possibilit

    d'argumenter autrement le lien qu'entretiennent deux thmes diffrents. Les modalits

    d'avnement renvoient la question de la naissance des corps juridiques et plus

    particulirement celle de la nature des conditions contextuelles dans lesquelles ils ont

    pris forme. En d'autres termes, l'accent est ici mis la fois sur l'tude de la qualit des

    acteurs initiateurs, de l'objectif poursuivi et des moyens mis en uvre pour y parvenir.

    ou moins substantiels affrents l' objet europen , il convient de s'en remettre la contribution de Grgory GRAND intitule Les constitutionnalistes et l'Europe (VIIme congrs de l'AFDC, Paris, 25-27 septembre 2008, Atelier n1 : Constitution et Europe , 24 p., spc. p.5). De sa volont d'embrasser de manire large le paysage doctrinal (p. 4), l'auteur opre un recensement exhaustif de la plupart des grands manuels classiques concerns par une inflation du phnomne europen (p.7) et apprcie, ensuite, la relle porte d'une telle rvolution pistmologique (p.13). Sur ce thme, voir galement Florence CHALTIEL, Le droit europen dans les manuels de droit constitutionnel , LPA, n233, 2006, p. 10-17 ; ou encore, Franc de Paul TETANG, La dimension europenne des manuels de droit constitutionnel franais , RDP, n1, 2013, p. 155-171.

    25

  • Elles se cantonnent un prisme largement thorique car elles ne tiennent pas compte de la

    concrtisation ultrieure de l'lment cr. Elles sont donc limites une analyse ante

    applicative de sorte qu' partir de l'entre en vigueur effective dans la vie juridique, s'ouvre

    l'tude des modalits d'application. Ces dernires traitent de la manire selon laquelle le

    sujet juridique volue une fois qu'il est soumis application. L'intrt est ici port sur la

    nature de cette matrialisation effective, c'est--dire, l'instar du champ d'tude premier,

    sur la qualit des acteurs qui lui donnent vie, sur l'objectif poursuivi dans cette mise en

    uvre et sur les moyens utiliss pour y parvenir. Ces modalits sont limites l'tude du

    seul pan concret mais l'inverse des autres, qui ne tiennent absolument pas compte de

    l'tape de cration, elles ne font pas fi du prisme thorique car elles se fondent prcisment

    sur ce dernier. En d'autres termes, les modalits d'application sont, par dfinition, sujettes

    aux limites instaures en amont, par l'acte cratif. partir de l, la rfrence au volet

    abstrait permet d'esquisser une tendance gnrale, voire de crer une grille de comparaison

    entre la faon dont un objet juridique a t peru et encadr et la manire dont tous ses

    effets se sont vritablement manifests dans le corps normatif. En filigrane, se dessine la

    variable incompressible de cette prsentation dcouple : le degr de libert dans la

    cration et la vie d'un objet juridique identifi. En effet, s'il est tabli que les conditions

    dans lesquelles prend forme ce dernier sont le rsultat d'un choix volontaire, dli de toute

    contrainte extrieure, alors, par ricochet, les moyens selon lesquels il se dploie

    concrtement bnficient galement de ce mme degr d'autonomie sous rserve de

    s'inscrire dans le cadre d'origine prtabli et donc de respecter ce dernier. De fait,

    l'hypothse selon laquelle les premires seraient absolument inconditionnelles renvoie

    l'ide que les seconds seraient, quant eux, totalement ouverts dans l'environnement

    juridique propos par celles-l. La volont originelle de naissance d'un ensemble juridique

    renverrait logiquement la maitrise de son volution.

    Au premier abord, l'tude de la naissance de la Constitution franaise renvoie, de facto,

    une dlimitation temporelle stricte. Elle dbute avec la crise du 13 mai 1958, qui a t le

    point d'orgue d'une ambition de dfinitivement rviser le rgime de la Quatrime

    Rpublique, et s'achve le 4 octobre 1958, date de promulgation de la nouvelle norme

    suprme. Le premier objectif d'une simple modification du texte fondamental de 1946 a

    finalement t largement dpass car un nouveau rgime, radicalement distinct du

    prcdent, a t instaur dans les faits. La volont d'anantir dfinitivement les drives

    institutionnelles et politiques de cette Rpublique a t la trame directrice pour la

    26

  • construction d'une autre configuration des pouvoirs, dlimits par de nouvelles bornes

    fondamentales. Pour y parvenir, le Parlement a dvolu, le 3 juin 1958, un pouvoir

    constituant encadr un seul homme, le Gnral de Gaulle. En d'autres termes, il l'a, au

    dpart, charg d'une mission de rvision de la Constitution et l'a, pour se faire, investi de

    pouvoirs subsquents. Ces derniers furent cependant lgalement borns sur le fond, par le

    respect de certains principes prconus et sur la forme, par la soumission obligatoire du

    projet un rfrendum populaire aprs avoir, au pralable, obtenu l'aval sur son contenu

    par une partie des parlementaires74. Dans les faits, le peuple accepta le projet le 28

    septembre une trs forte majorit75. Cette prsentation permet de rvler l'esprit

    dominant de cette premire tape du rgime : son caractre volontaire, choisi et prvu. De

    son ide sa rdaction et son adoption, la Constitution rpond bien au seul dsir des

    acteurs qui participent ces diffrentes tapes. Les institutions cres, les principes

    retenus, les rgles constitutionnelles choisies sont autant de manifestations, un moment

    prcis, d'une agrgation de volonts parses, d'un homme, d'une Assemble ou d'une partie

    du peuple, en un seul et mme ensemble, qu'il est possible de synthtiser sous l'appellation

    de volont nationale. C'est prcisment sous cet angle que la Constitution peut, avant son

    entre en vigueur, faire l'objet d'une dfinition prcise selon les canons juridiques

    classiques dans la mesure o l'accord de tous porte sur le cadre gnral qu'elle anticipe de

    mettre en application. cet instant t, elle organise les pouvoirs d'une certaine manire,

    selon certains principes et limites et ambitionne de crer un rgime d'un certain type76. En

    ngligeant ses illustrations concrtes de 1958, la Constitution pourrait tre dfinie comme

    le texte fondamental, issu de la seule volont nationale, plac au sommet de la hirarchie

    des normes internes, qui conditionne le fonctionnement juridique intgral du rgime par

    une organisation prcise des pouvoirs selon des rgles spcifiquement prvues cet effet.

    74 Outre des conditions de fond, l'article unique de la loi constitutionnelle du 3 juin 1958, portant drogation transitoire aux dispositions de l'article 90 de la Constitution, prvoit que pour tablir le projet, le Gouvernement recueille l'avis d'un comit consultatif ou sigent notamment des membres du Parlement dsigns par les commissions comptentes de l'Assemble nationale et du Conseil de la Rpublique. Le nombre des membres du comit consultatif dsigns par chacune des commissions est au moins gal au tiers du nombre des membres de ces commissions ; le nombre total des membres du comit consultatif dsigns par les commissions est gal aux deux tiers des membres du comit. Le projet de loi arrt en Conseil des ministres, aprs avis du Conseil d'tat, est soumis au rfrendum .

    75 79,25% des suffrages exprims. Les rsultats dtaills sont disponibles au JO du 5 octobre 1958, p. 9177-9179.

    76 Il est ici rejoint les propos de Franois OST et Michel VAN de KERCHOVE qui apprhendent la Constitution, dans son acception originelle comme le texte, fruit d'un acte juridique ponctuel et expression d'une volont souveraine un instant prcis du temps. Selon eux, cette conception positiviste conduit l'rection d'une Constitution purement formelle : texte, et non esprit, acte juridique plutt que processus diffus, volont monopolise plutt que souverainet partage, instantanit normative plutt que continuit mobile de la vie institutionnelle ( De la pyramide au rseau ? Pour une thorie dialectique du droit , op. cit., p. 52).

    27

  • L'avnement d'un chef d'tat fort77, la sparation expresse du domaine lgislatif et

    rglementaire78 sous le strict contrle d'un organe spcifiquement cre pour la faire

    respecter, le Conseil constitutionnel, ou encore la formalisation d'une souverainet largie79 sont autant d'illustrations de cet accord d'ensemble sur le rle prcis dvolu et les

    ambitions partisanes accordes, cette poque, la Constitution.

    Cette premire acception abstraite et fixe est largement nuance ds que le texte entre

    effectivement en vigueur dans l'ordre interne. Une grande partie de la communaut

    scientifique s'accorde dire que la Constitution relle se construit aprs que le texte en a

    t promulgu car cest en tant applique quelle passe lexistence et se dfinit

    travers la jurisprudence qutablissent ses organes80. Il semble, en effet, qu' l'instar

    de n'importe quelle norme juridique, la Constitution ne prend de sens qu' travers sa

    concrtisation. C'est ce moment qu'il devient possible de l'apprcier dans le sens o,

    partir de ses ambitions de dpart et au vu de ses rsultats d'application, il devient possible

    de mesurer son efficience81. cet gard, d'aucuns ont pu crire que le texte chappe la

    volont de ceux qui l'ont rdig82, voire que jamais une Constitution n'a t excute

    comme cela avait t prvu83. La raison d'un tel dcalage tient incontestablement

    l'intgration de donnes contextuelles dans la conduite de la machine constitutionnelle. La

    concrtisation de la disposition fondamentale rpond d'une dmarche volutive dans le

    sens o elle est, de facto, effectue selon les circonstances particulires propres l'espce,

    et ce malgr le fait que son caractre sacr incite limiter sa mallabilit. Si, par

    dfinition, le cadre juridique d'origine pose les bases fondamentales et gnrales au

    fonctionnement du rgime, il revient alors aux intervenants, autoriss par ce dernier, le

    77 Pour ne citer que certaines manifestations de cette prminence, telles que consacres par la Constitution, il convient de prendre appui, par exemple, sur l'article 5, lequel prvoit que le Prsident de la Rpublique dtient un rle d'arbitre dans le fonctionnement rgulier des pouvoirs publics et la continuit de l'tat, ou encore sur l'article 52, qui consacre sa capacit de ngociation et ratification des traits. Au surplus, il dispose de nombreux pouvoirs autonomes, qui ne ncessitent par le contreseing gouvernemental, comme le recense l'article 19.

    78 Cette dichotomie est formalise, respectivement, aux articles 37 et 34.79 L'article 3 de la Constitution renvoie, en effet, l'expression d'une souverainet la fois nationale, dans

    son principe, et populaire, dans son exercice. 80 Pierre AVRIL, Changeante et immuable ? , in MATHIEU B. (Dir.), 1958-2008 : cinquantime

    anniversaire de la Constitution franaise, AFDC, Dalloz, 2008, p. 13-16, spc. p. 15.81 De la mme manire, Loc PHILIP estime que lapprciation de la Constitution ne peut soprer partir

    du seul texte constitutionnel dorigine, elle doit aussi tenir compte de toutes les modifications qui sont intervenues et surtout de la manire dont les textes constitutionnels ont t interprts et appliqus ( Les 50 ans de la Constitution , in MATHIEU B. (Dir.), ibid., p. 51-58, spc. p. 52).

    82 Didier MAUS, Tmoignages sur l'criture de la Constitution de 1958 autour de Raymond Janot , in MAUS D. et PASSELECQ O. (Dir), Actes de la journe du 1er octobre 1993 l'occasion du 45me anniversaire de la Constitution de 1958 la Maison de l'Europe de Paris, La documentation franaise, Coll. Les Cahiers constitutionnels de Paris I , 1997, p. 93.

    83 Raymond JANOT, Tmoignages sur l'criture de la Constitution de 1958 autour de Raymond Janot , in Maus D. et PASSELCQ O. (Dir.), ibid. p. 49.

    28

  • soin de confrer une relle crdibilit ces principes en les intgrant au contexte socital.

    De dispositions figes, la Constitution se transforme ainsi, dans son pan concret, en un

    ensemble normatif en constant ramnagement. titre d'exemples, l'avnement du

    Conseil constitutionnel qui participe invitablement l'interprtation de la norme

    fondamentale dans sa mission de contrle de constitutionnalit des lois, ou encore le

    nombre important de rvisions qui modifie le sens de celle-ci, sont des facteurs qui

    renforcent une forme de processus permanent de constitutionnalisation, c'est--dire de

    construction et prcision continues du contenu du texte constitutionnel84. Sous cet angle,

    ce dernier doit tre apprhend comme un phnomne qui rsulte de l'interaction entre ses

    dispositions et la manire dont elles reoivent entire rception dans l'ordre interne.

    Toutefois, nonobstant son caractre mouvant, et donc potentiellement susceptible de

    mener sur le long terme des positions constitutionnelles contradictoires, il n'en reste pas

    moins que, traditionnellement, cet volutionnisme est fond sur la seule volont nationale

    car il n'est, a priori, permis que dans le cadre pralablement tabli en 1958 par les acteurs

    investis et selon les moyens autoriss. D'une dfinition fixe une apprhension en termes

    de processus, la norme fondamentale reste, quoi qu'il en soit, dans son ensemble, issue

    d'un choix volontaire de ses participants.

    L'tude de l'avnement de la construction communautaire s'insre dans un schma proche

    de celui de la Constitution sur ce point. Comme cette dernire, elle est prcisment

    dlimite temporellement par sa cration durant les annes 50 avec l'avnement des trois

    Communauts85. Cette communion des parties rsulte, globalement, d'un dsir de renforcer

    les positions de chacun sur des domaines diffrents par une agrgation des forces

    disponibles et une mutualisation des risques supporter. Elle n'a pu tre envisage que

    84 titre d'appui doctrinal, par exemple, lorsque Philippe ARDANT s'interroge sur ce point - est-ce dire que la Constitution soit immobile et dfinitivement fige ? -, il pense qu'il n'en est rien ; elle s'enrichit au contraire tant par la voie de la rvision que par l'action du Conseil constitutionnel qui largit son contenu matriel au-del du texte de 1958, lve les incertitudes et comble les lacunes rvles par la pratique. Il estime d'ailleurs qu'vitant ainsi que n'apparaissent des rigidits, des impasses, des blocages, le Conseil s'affirme comme le plus sr protecteur de la Constitution de 1958 ( Le contenu des Constitutions : variables et constantes , Pouvoirs, n50, 1989, p. 42).

    85 Les six tats fondateurs, la France, l'Allemagne, le Benelux et les Pays-Bas, crrent trois Communauts europennes, deux sectorielles et une gnraliste. Pour les premires, il s'agit, d'une part, de la Communaut europenne du charbon et de l'acier (ci-aprs CECA), institue par le trait du mme nom, sign le 18 avril 1951, qui encourageait la mise en place d'un march commun dans ces deux domaines, avec des institutions supranationales originales investies en consquence et, d'autre part, de la Communaut europenne de l'nergie atomique (ci-aprs CEEA) qui ambitionnait d'organiser un rgime d'approvisionnement en matire nuclaire des fins civiles. Pour la seconde, la Communaut conomique europenne (ci-aprs CEE) fut plus ambitieuse car elle instaurait une vritable union douanire renforce avec le rgime des quatre grandes liberts de circulation. Ces deux dernires furent institues par les traits de Rome du 25 avril 1957.

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  • dans la mesure o les membres se sont rejoints sur la ncessit de la mettre en uvre un

    moment prcis. Concrtement, la signature des trois premiers traits est la manifestation

    pleine et entire de la volont de l'tat de s'engager respecter des dispositions normatives

    prcises. Chaque ratification a t le terrain d'expression du plein gr des acteurs internes.

    C'est ainsi qu'il est possible d'affirmer que l'intgration europenne est ne du

    regroupement des volonts tatiques individuelles. Elle peut donc, cet instant, et

    l'instar de la Constitution, recevoir une dfinition prcise selon l'objectif prtabli qu'ont

    suivi ses membres pour la construire : la cration d'un vaste march commun europen

    fonctionnant sur la base de l'exercice group, par des institutions spcialement cres cet

    effet, de certaines comptences tatiques. Les ratifications successives des traits

    modificatifs sont galement, au moment prcis o elles sont ralises, des manifestations

    formelles de volonts tatiques. C'est ainsi qu'il est difficile de contester le fait qu'ils ont,

    par exemple, pleinement choisi, partir des annes 80, d'orienter la construction

    conomique vers une union politique.

    Mais dans le mme temps, cet largissement continu du champ d'application du

    rassemblement met en exergue son attribut processionnel dans le sens o ce dernier est en

    mouvement perptuel. La construction communautaire est un phnomne dynamique. Si,

    ds le dpart, ses pres fondateurs ont manifes