De la puissance à l'influence?

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Vol. IV n°2 septembre-octobre 2010 GLOBALIST The Paris Entretien avec Bertrand Badie Considérations sur un monde apolaire Entretien avec Hubert Védrine La fin du monopole occidental Valeur 5,60 € Gazprom : au coeur de la nouvelle stratégie de puissance du Kremlin e Great game Redux Afghanistan : la bataille des coeurs EN PARTENARIAT AVEC L’ ASSOCIATION FRANÇAISE POUR LES NATIONS UNIES DE LA PUISSANCE à L’INFLUENCE ?

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Numéro de l'automne 2010.

Transcript of De la puissance à l'influence?

Vol. IV n°2 septembre-octobre 2010

GlobalistThe Paris

Entretien avec Bertrand Badie Considérations sur un monde apolaire

Entretien avec Hubert Védrine La fin du monopole occidental

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Gazprom : au coeur de la nouvelle stratégie de

puissance du KremlinThe Great game ReduxAfghanistan :

la bataille des coeurs

EN PaRtENaRiat aVEC l’ assoCiatioN FRaNçaisE PouR lEs NatioNs uNiEs

dE LA puissAnCE à L’infLuEnCE ?

1ère de couverture -Creative Commons License photo credit : Andrea Booher (FEMA)

The Paris Globalist est dirigé par une nouvelle équipe.

Fidèle à l’esprit de la revue, la Rédaction conserve l’objectif principal de celle-ci : publier des articles qui analysent de façon exigeante les relations internationales contemporaines. The Paris Globalist évolue aussi pour répondre le mieux possible aux attentes de ses lecteurs. L’une des nouveautés est la publication, dans chaque numéro, d’un article provenant d’un partenaire de Global 21, le réseau auquel appartient The Paris Globalist. Pour le présent numéro, il s’agit d’une contribution du London Globalist ( London School of Economics).

The Paris Globalist is a member of SOMMAIRE

EDITORIAL

Judith Chetrit

DOSSIER : DE LA puISSAncE à L’InfLuEncE ?

EnTRETIEn avec Bertrand BAdiEconsidérations sur un monde apolaireNathan R. Grison

EnTRETIEn avec HubertvédRinELa fin du monopole occidentalNathan R. Grison et Eléonore Peyrat

Gazprom : au cœur de la nouvelle stratégie de puissance du Kremlin Jérémy Armand

La nouvelle politique régionale de Beijing :Hu Jintao est-il un nouveau Bismarck ?Côme Dechery

Le Soft Power au cœur du crime organiséCorentin Valleray

L’Iran en puissance : impressions et réalités de l’influence iranienne au Moyen-OrientCamille Le Coz

Quand l’Union Européenne accouchera t-elle de son armée ?Judith Chetrit

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Afghanistan, la bataille des cœursAnna Schuster

La diplomatie culturelle du JaponSébastien Deniau

REpORTAGE pHOTOGRApHIQuE Le Pérou, entre tradition et modernitéFlorence Couque

VARIA

The Human Cost of War: How Canada is Coping with its Soldiers’ Mental Health IssuesKatelyn Potter

Brazil: The New Eldorado?Aline Marsicano Figueiredo

Après un an de présidence, quelle diplomatie pour Jacob Zuma ?Louis Boillot

VuES D’AILLEuRS

The Great Game ReduxBrijesh Khemlani

Leçons d’Haïti avant la criseMikaël Schinazi40

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The Paris Globalist est une revue ouverte à tous les auteurs. Si vous souhaitez être publié dans ses colonnes, vous pouvez soumettre votre proposition d’article à la Rédaction :

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EDITORIAL Chers lecteurs,

Alors que la Chine est dépeinte comme la puissance incontournable de demain par les médias, The Paris Globalist a souhaité questionner cette notion de puissance que l’on dit dépassée ou modifiée par la mondialisation. dans la grammaire des relations internationales, des puissances se font et se défont. Que signifie la puissance pour un pays aujourd’hui ? Quels en sont les critères, alors que le soft power de Joseph Nye est plébiscité ?

Après la course à l’armement de la guerre froide, la politique internationale idéale est souvent résumée comme une subtile combinaison de hard power (puissance coercitive) et de soft power (puissance douce ou persuasive). Les moyens traditionnels de la puissance comme l’industrie, le militaire ou les ressources énergétiques s’acommodent d’un raisonnement stratégique. Le Japon militaire s’est ainsi servi de ses ressources économiques pour adoucir sa réputation et développer son influence culturelle à travers les mangas et jeux vidéos. C’est aussi le parti pris par l’Union Européenne, encore marquée par les guerres du XXème siècle, quand elle axe son discours et sa puissance autour de normes, laissant de côté ses attributs militaires. L’influence serait-elle une alternative à la puissance? Que sont devenus le soldat et le diplomate, traditionnels maîtres de la scène internationale pour Raymond Aron? Lors de la conférence annuelle des ambassadeurs de France fin août, le malaise au sein de la diplomatie française est décrié.

La notion de puissance demeure encore aujourd’hui auréolée de contours flous. Elle est ainsi une capacité d’influence sur les autres pays, alimentant une stratégie nationale : le leadership régional de la Chine, de l’iran ou même celui du couple franco-allemand dans l’Union Européenne constitue une projection de puissance efficace sur la scène internationale. La puissance dépend alors de ressources: c’est le gaz russe qui fait la loi en Ukraine ou les importants effectifs de l’armée américaine en Afghanistan et l’irak après le 11 Septembre. Mais, l’utilisation de la puissance a un prix. La mission de combat en irak s’achève sur un demi-échec. Le vrai coût de cette guerre n’est pas seulement économique ou humain, il est tout autant symbolique : les Etats-Unis ne sont pas une puissance infaillible.

Une puissance perdure lorsqu’elle a les moyens et l’influence liée à sa puissance. « La puissance, c’est faire croire », si l’on pouvait actualiser cette phrase de Machiavel au sujet de la fonction de gouverner. Telle une main de fer dans un gant de velours, les attributs de la puissance sont alors mis au service d’un discours de la puissance. C’est ainsi que pour les organisations criminelles, dont les attributs organiques s’apparentent à un Etat, la bataille des esprits importe tout autant que la pression économique subie par les riverains.

Maîtrise-t-on pour autant tous les critères de la puissance ? Si elle est souvent l’objectif d’une politique internationale, elle s’impose de facto pour des pays : la démographie chinoise ou indienne et la manne agricole du Brésil, par exemple.

Pour la rentrée, The Paris Globalist dévoile les multiples visages de puissances qui se cherchent, se recomposent ou acceptent leur failles pour rebondir. L’influence, que l’on présente comme le nouvel âge de la puissance serait-il un critère de puissance en devenir ? Face à un soft power présenté comme un antidote à la puissance, il serait utile de rappeler que le ‘‘soft’’ reste un adjectif. La grammaire des relations internationales est un programme en soi.

En vous souhaitant une excellente lecture,

Judith Chetritdirectrice de la Rédaction du Paris Globalist

Master Affaires Publiques, section Culture.

directeurs de la Rédaction

Nathan R. GrisonJudith Chetrit

Rédactrice en Chef

Eléonore Peyrat

Éditeurs

Sébastien DéniauInès LévyTiphaine MérotSarah NahoumSarah StruckLeslie Tourneville

Graphisme

Solveig Ferlet

Creative Commons License photo credit : Jayanth Chennamangalam

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comment définiriez-vous la situation internationale actuelle ? Sommes-nous dans un monde multipolaire,

unipolaire ou apolaire ?

Le drame, depuis 1989, c’est justement que nous ne savons pas dans quel système international nous nous trouvons. Les interprétations qu’on en donne sont aussi contradictoires que les usages que l’on en fait : ceux-ci varient au gré des intérêts divergents des uns et des autres.Certains discours s’adossent sur l’unipolarité, comme ce fut le cas du diagnostic néoconservateur du monde. d’autres plaident, avec des intensités variables et des significations très différentes, pour un monde multipolaire. Mais alors la question se pose de savoir où sont ces pôles multiples. Appartiennent-ils à chacun des grands ensembles régionaux, ou aux fameuses puissances émergentes qui viendraient ainsi concurrencer la superpuissance sortie vainqueur de la Guerre Froide ? Faut-il prendre en considération des formes nouvelles de puissance tirées, par exemple, des ressorts culturels et religieux ? Faut-il tenir compte de la diversification des registres de puissance, alors que s’affirment aux côtés de la force militaire, des puissances commerciales, financières, culturelles, économiques voire démographiques ? Personne ne sait répondre à ces questions.À titre personnel, je penche plutôt pour l’idée d’apolarité. Parce qu’un regard sur l’histoire du monde westphalien et post-westphalien indique que la polarité n’a pas été de tous les temps, et que le phénomène de polarisation n’était pas connu avant 1947 et le début de la Guerre Froide.La polarisation, comme l’image le suggère, c’est une faculté d’attraction et de regroupement, de petits et de moyens derrière des plus forts. Ce phénomène de rassemblement ordonné ne s’observait nullement pendant l’entre-deux-guerres, et encore moins dans l’Europe du Congrès de vienne, ou dans l’Europe post-bismarckienne. On s’aperçoit que, derrière la polarisation, se tient une stratégie qui n’a rien d’universel, celle de considérer qu’il est avantageux d’abdiquer une part de son autonomie et de son indépendance, voire de sa souveraineté, pour obtenir en échange la protection du plus fort.Encore faut-il que la menace soit visible, que l’ennemi soit évident, et que celui-ci soit lui-même ordonné selon

ces mêmes logiques d’attraction. C’était clairement le cas jusqu’en 1989. Mais aujourd’hui, la notion d’inimitié tend à se dissoudre dans des réalités infiniment plus complexes et subtiles. La menace devient diffuse. La faculté d’attraction des forts sur les moyens et les faibles tend à s’éroder.Certains continuent à miser sur l’idée de multipolarité et en font la base de leur politique étrangère. néanmoins, l’idée d’apolarité refait d’ailleurs son chemin aux Etats-Unis, depuis que le néoconservatisme est entré en crise. Au moment où un certain nombre de ses proches, tels que Richard Haas , ont tendance, eux aussi, à parler d’apolarité, Barack Obama a discrètement admis l’idée que les Etats-Unis ne pouvaient plus exercer le même leadership qu’autrefois.

Comment analysez-vous les effets de la mondialisation sur les fondements et les fonctions de l’Etat-nation ? L’importance de l’Etat dans la résolution de la récente crise économique mondiale vient-elle remettre en question l’idée que celui-ci serait en train de perdre son rôle d’acteur central sur la scène internationale ?

nul doute que la globalisation a des effets de contre-indication sur la polarisation. La mondialisation recèle en effet des facultés d’attraction mais aussi de nombreux facteurs de fragmentation et d’éparpillement qui viennent s’actualiser dans des logiques d’interaction ou d’interdépendance. L’idée simple d’un monde bipolaire ou même d’un monde polarisé vient à s’ébranler.Par ailleurs, la mondialisation suppose l’interdépendance, c’est-à-dire la dépendance du fort par rapport au faible. Les logiques d’attraction ne sont plus à sens unique comme elles l’étaient du temps de la Guerre Froide, et tout le monde est donc dépendant de tout le monde, tandis que les espaces de souveraineté absolue sont de plus en plus difficiles à tenir.Cela s’observe sur le plan de la sécurité politico-militaire, et même plus encore à travers l’importance grandissante des grands enjeux sociaux mondiaux : alimentation, santé, grands équilibres économiques, commerce, finance. Aujourd’hui, tout conduit inévitablement l’un à dépendre des affaires intérieures de l’autre et donc à vouloir agir sur ces dernières. En cela, on entre clairement dans un monde post-souverain.Cela ne veut pour autant pas dire que l’Etat disparaît. d’abord parce que l’Etat dispose d’une résistance institutionnelle. Celle-ci s’incarne avant tout dans la résistance des classes politiques, comme on le voit très clairement à travers le comportement des chefs d’Etat qui entendent maintenir, voire renforcer, la voix des Etats sur la scène internationale. de plus, cette logique interétatique se maintient dans la mesure où notre droit international est un droit interétatique, de même que toutes les pratiques diplomatiques. il n’y a donc aucune raison de penser que derrière l’affaissement du principe de souveraineté apparaît le déclin, et a fortiori la disparition, de l’Etat.Pour autant, l’Etat perd de plus en plus son monopole d’acteur

international et se trouve concurrencé par toute une série d’acteurs non-étatiques qui jouent un rôle croissant sur la scène internationale. d’autre part, la capacité de l’Etat dans l’exercice de sa souveraineté se trouve de plus en plus réduite. On l’a notamment vu à l’occasion de la dernière crise. Elle a donné naissance à quantité d’appels à l’Etat, et on a même parlé de son retour, ce qui est absurde car l’Etat n’est jamais parti. Mais cette crise a aussi montré que l’Etat seul, hors

intégration et concertation internationales, ne pouvait pas grand chose. il se trouve ainsi impuissant hors des logiques de gouvernance mondiale qui impliquent tout cet éventail d’acteurs que sont les grandes entreprises, les grandes banques, mais aussi les acteurs sociaux transnationaux.

Comment s’exerce aujourd’hui la puissance des Etats-Unis à l’échelle mondiale, et quelles sont les limites à leur hégémonie ? L’Union Européenne est-elle, ou pourra-t-elle devenir, une alternative plausible à cette puissance ?

Le leadership américain est, depuis longtemps, mis à mal. Si l’on considère que la guerre de Corée n’était pas de leur exclusivité et si l’on admet que l’invasion de Grenade n’était pas une guerre décisive pour révéler le leadership américain, les Etats-Unis n’ont plus gagné une guerre depuis 1945. Les exemples du vietnam, de l’irak, de l’Afghanistan, ainsi que le cas iranien, ou le conflit israélo-palestinien montrent que cette superpuissance, qui réunit à elle seule la moitié des ressources militaires du monde, n’a jamais pu prendre un avantage décisif ni dans l’accomplissement d’un conflit, ni dans la tentative de le résoudre.Il est donc difficile de prétendre que l’hégémonie américaine n’a pas souffert de ce changement de contexte. A cet égard, le néoconservatisme a représenté une forme de bouquet final, c’est-à-dire une tentative idéologique de démontrer à tout prix à la face du monde que la force des Etats-Unis accompagnait

réellement l’importance de la mission qui leur était attribuée.désormais, les Etats-Unis sont entrés dans ce travail de révision dont on voit, à travers la complexité de la rhétorique du Président Obama, à quel point il est difficile à accomplir. Difficile de dire d’ailleurs si le

Président américain ira jusqu’au bout de sa logique. il reste prudent, et se montre souvent équivoque et ambiguë dans ses affirmations. Sa lecture du leadership n’est pas une lecture aisée. Ce qui a manqué dans sa campagne électorale, et même dans ses premiers messages présidentiels, c’est le courage de mettre en place un véritable new deal international. L’incertitude est donc encore forte sur ce que les Etats-Unis vont faire de leurs propres faiblesses.Pour autant, je crois que ni la Chine, ni l’Europe, ni personne n’est appelé à prendre le relais. Car derrière les faiblesses des Etats-Unis se profile non pas le déclin américain mais la fin de la puissance. nous sommes dans un monde où la puissance, et surtout la puissance militaire, ne peut plus imposer sa vision. Peut-être parce que nos relations sont de moins en moins internationales et de plus en plus intersociales, l’action

Bertrand Badie est diplômé de l’institut de Sciences Politiques de Paris. depuis 1990, il est professeur à l’institut d’Etudes Politiques de Paris, où il est devenu directeur de publications pour les Presses de Sciences Po, entre 1994 et 2003.

Bertrand Badie a également été directeur du Centre des Etudes inter-nationales sur la Paix et la Résolution des Conflits et de la Fondation Rotary, de 2002 à 2005.

depuis 1999, il dirige le Cycle Supérieur des Relations internatio-nales (Recherches) à l’iEP, et, depuis 2003, il est membre du Comité Exécutif de l’Association interna-tionale en Sciences Politiques. il est l’auteur, entre autres, d’ouvrages comme Le retournement du monde, L’Etat importé, ou La fin des territoires.

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ENTRETIEN avec Bertrand BAdiE

La mondialisation suppose l’interdépendance,

c’est-à-dire la dépendance du fort par rapport au faible

Derrière les faiblesses des Etats-Unis se profile non pas le déclin américain mais la fin de la puissance

Considérations sur un monde apolaire

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internationale appelle désormais d’autres recours que celui de la force.

Exister sur la scène internationale nécessitera-t-il de recourir à la régionalisation ?

On aurait pu le croire. Mais à mesure que s’affirmait la crise économique mondiale, l’Europe, comme d’autres ensembles régionaux, s’est engagée dans une impasse et s’est quasiment mise à reproduire les nationalismes d’antan. La concurrence d’intérêts contradictoires entre les Etats membres de l’Union Européenne est alors devenue évidente. A cet égard, l’imprudent élargissement à l’Est a conduit à une telle diversification des paramètres à l‘intérieur même de l’Union Européenne que le processus d’intégration régionale en est devenu factice et illusoire. L’Europe traverse désormais la plus grave crise de son histoire. de même, les autres grandes constructions régionales, après avoir connu un grand succès, stagnent voire régressent. Tous ces ensembles qui avaient pris leur envol, comme le Mercosur, l’ASEAn, ou même la SAdC, ne semblent pas prendre pour le moment le dessus sur la crise.

Le Japon tente d’exister sur la scène internationale sans possibilité de recourir offensivement à la force. L’influence peut-elle alors être crédible sans la puissance ?

L’influence appartient à une toute autre logique que la puissance, et elle marque des points. L’Europe, par exemple, a su influencer ses voisins, comme la Turquie qui dans son objectif de rejoindre l’Union Européenne a profondément changé. Le rejet actuel de la candidature turque nous conduit dès lors à l’absurde , voire à un réel danger.dans ce monde mondialisé et interdépendant, chaque acteur dispose donc de considérables ressources pour faire valoir ses droits, sa vision, ses attentes, même s’il n’est pas superpuissant. L’économie, mais aussi la culture, la religion ou la manipulation identitaire en font partie. Cela peut se faire de même à des niveaux micro-sociologiques, comme par rayonnement, par réticularisation, c’est-à-dire par la construction de réseaux multiples extra-étatiques et méta-étatiques.

La langue anglaise s’impose partout, tandis que des entités comme l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et le Commonwealth constituent une part de leur influence sur l’unité linguistique. Les langues sont-elles essentielles pour avoir une influence ?

Le meilleur exemple de la capacité des langues est en effet la manière avec laquelle la culture anglo-saxonne s’est imposée à notre monde contemporain. Cela m’alerte car, même si il est fondamental de disposer d’un dénominateur commun permettant à tous de communiquer, il reste néanmoins indispensable que demeure la particularité de chaque langue afin que la subtilité et la spécificité de chaque culture puissent spontanément s’exprimer. L’équilibre est donc difficile à

trouver entre cette part de particularisme dont nous avons besoin et ce grand vecteur d’universalité qui est indispensable pour que le monde, tout en demeurant plural, soit encore suffisamment synergétique.

Le nucléaire est-il et sera-t-il l’instrument central de la puissance, notamment en tant qu’égalisateur des forces entre les pays qui le possèdent ?

Le nucléaire est en train de changer de nature. il perd de sa pertinence militaire et stratégique car, à mesure qu’il prolifère, il devient de moins en moins un marqueur décisif de puissance. L’hypothèse d’une guerre nucléaire, n’est plus aujourd’hui prise au sérieux. En revanche, le nucléaire gagne une importance politique dans la mesure où il permet de distinguer une aristocratie constituée des Etats dotés de l’arme nucléaire. On voit donc se développer une volonté croissante, notamment de la part d’acteurs marginalisés, exclus, voire humiliés, de rentrer dans le jeu international par l’acquisition de l’arme atomique.À cet égard, les cas nord-coréen et iranien sont prototypiques. L’acceptation de la prolifération lors de la fabrication des armes nucléaires indienne, pakistanaise et israélienne, a entraîné la nucléarisation de facto du grand Moyen-Orient. Chacun des acteurs de la région cherche à son tour mécaniquement à se distinguer et à se hisser parmi l’élite nucléaire.

Le multilatéralisme sera-t-il l’instrument de l’émergence des BRIC ? Ces pays s’imposeront-ils à travers des institutions comme l’ONU ou par d’autres moyens ?

Cette émergence a déjà eu lieu. La scène internationale a été transformée par la montée en puissance des BRiC (Brésil, Russie, inde, Chine), ou encore de l’iBAS (inde, Brésil, Afrique du Sud). Ces pays se sont distingués en ayant acquis

depuis plusieurs années déjà une véritable diplomatie mondiale.Le Brésil joue partout, y compris en Afrique. La Chine est présente, paradoxalement non pas partout, mais là où elle a besoin de l’être, se désintéressant de questions pourtant

fondamentales comme le conflit israélo-palestinien, ou le dossier irakien. L’inde est sur une pente semblable de même que l’Afrique du Sud. ils prennent chacun à leur manière le multilatéralisme comme point d’appui au moment où les puissances classiques semblent s’en désintéresser et s’en détourner. il s’agit donc d’un phénomène en cours depuis plusieurs années déjà.

Après l’effondrement du Bloc Soviétique, la Russie a quasiment disparu de la scène internationale. Assiste-t-on à une reconquête de la puissance ?

La Russie est un cas particulier car Moscou souhaite, non pas émerger, mais rebondir. Ancienne superpuissance, ce pays a tellement souffert de l’effondrement de l’Union soviétique que ses dirigeants ont très vite compris que leur légitimité dépendait de leur capacité à reprendre sur la scène internationale une part de l’initiative et de la puissance dont ils disposaient autrefois.La survie de la société et du système politique russes passent

On entend aujourd’hui beaucoup parler d’un supposé déclin français, autant en termes d’influence que de puissance. Partagez-vous cette analyse ? Quelle place peut-on imaginer pour la France dans le monde de demain ?

il est vrai qu’il y a une régression des capacités diplomatiques de la France. Le génie du général de Gaulle avait été de rechercher activement des ressources inédites de puissance capables de remettre la France dans le jeu après la Seconde Guerre mondiale. il en avait trouvé trois : d’abord l’Europe, d’où l’importance que le Général de Gaulle donnait à la réconciliation franco-allemande. Mais le moteur qu’était le tandem franco-allemand ne joue plus car l’Europe n’est plus la même depuis l’élargissement de 2004.La deuxième niche de pouvoir qu’avait trouvée le Général de Gaulle c’était le pré carré africain, élargi au monde arabe. Or, la Françafrique est aujourd’hui en crise et la diplomatie arabe de la France est quasiment ruinée du fait d’un net réalignement pro-israélien.Reste le troisième qui n’est pas tant imputable au général de Gaulle qu’à ses successeurs qu’était le multilatéralisme. Puissance moyenne, la France s’était rangée parmi les piliers du multilatéralisme. Mais face à la crise du système onusien depuis le départ de Kofi Annan, et face à l’engouement dangereux pour la diplomatie de club, le multilatéralisme n’est plus un instrument efficace. La France n’a plus désormais de levier pour exercer sa politique étrangère.

Propos recueillis par Nathan R. Grisondirectrice de la Rédaction du Paris Globalist

Master Affaires internationales

donc par leur affirmation internationale. Il n’est donc pas étonnant de voir une diplomatie russe de plus en plus active, cherchant à renouer avec le passé et y réussissant d’un certain point de vue, d’autant que les maladresse néoconservatrices ont conduit la Russie à s’imposer comme contrepoids aux Etats-Unis à la fin des années 1990, un peu comme elle l’était du temps de la Guerre Froide.

Quel rôle envisager sur la scène internationale pour le continent africain, aujourd’hui sans puissance ni influence ?

Le problème de l’Afrique est que ce continent a longtemps été construit comme un « monde inutile ». Le résultat en fut catastrophique. L’Afrique représente moins de 2% du commerce mondial, et s’y concentrent la plupart des pays les moins avancés (PMA), tandis que les indices de développement humain y sont les plus faibles. Tant attendu, le grand plan de relance de l’Afrique est pour l’instant conduit à l’envers. On retourne en effet vers l’Afrique pour se servir à titre personnel, soit pour y exercer une puissance militaire, soit pour tenter d’en extraire à son profit les ressources propres, ou encore pour en faire un champ de réserve de capacités diplomatiques défaillantes.La grande inconnue est donc de savoir comment l’Afrique pourra réellement rentrer dans le système international et qui est en mesure d’être son porte-parole. Les pays du nord du continent, appartenant au monde arabe, veulent jouer ce rôle mais ne sont pas considérés comme les représentants naturels du continent noir. L’Afrique du Sud qui voudrait aussi pouvoir accomplir un tel rôle est, quant à elle, perçue de manière de plus en plus suspicieuse par la plupart des Etats africains à mesure qu’elle joue dans la cour des grands.

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Les BRIC prennent chacun à leur manière le multilatéralisme comme point d’appui au moment où les puissances classiques semblent s’en

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pourriez-vous dresser une cartographie des rapports de force dans le monde contemporain ?

Après la fin de l’Union Soviétique, les Occidentaux ont crû être entrés dans un monde global, post-historique, post-identitaire et post-national, dominé par eux, et notamment par l’hyperpuissance unipolaire des Etats-Unis. Les Occidentaux ont vécu un temps dans le confort de ce rêve aux formes gentilles mais un peu niaises, qui comportait par ailleurs des formes dures, comme l’a montré l’Amérique de Georges W. Bush.Or, c’est tout à fait le contraire qui se présente à nous aujourd’hui. La réalité contemporaine est celle des émergents, qui n’avaient pourtant été vus pendant des années que sous un angle économique, comme des marchés d’exportation potentiellement porteurs. Mais ces marchés émergents se sont révélés être en réalité des puissances émergentes.nous nous trouvons donc dans une situation complexe, qui se rapproche de ce que Pierre Hassner appelle le désordre stratégique, et qui est le résultat de la fin du monopole occidental. C’est la première fois dans l’histoire du monde que tous les peuples sont politiquement actifs. On retrouve donc un certain nombre de pôles : évidemment les Etats-Unis, même s’ils sont en déclin relatif parce qu’ils sont concurrencés par d’autres pôles émergents comme la Chine. Le Japon est, quant à lui, un pôle qui se maintient bon gré mal gré, tandis que la Russie n’est pas une puissance émergente, mais plutôt surnageante.il y a par ailleurs des pôles régionaux qui cherchent à devenir mondiaux, comme le Brésil et l’inde. L’Europe, elle, interroge car elle possède théoriquement la superficie, la population, la capacité économique, et même les armées

pour devenir un pôle mondial, mais il lui manque une volonté claire des peuples qui la composent de transformer l’usine à gaz européenne en polarité.Au-delà, on retrouve toute une série de pays qui ne sont pas des pôles en tant que tels mais qui vont jouer un rôle dans le rapport de force. il pourra s’agir de l’Arabie Saoudite, du Mexique, de la Turquie, de la Corée, de l’iran sous un autre régime, ou de pays émergents comme la Thaïlande, ou encore le Maroc.La situation mondiale est donc particulièrement complexe aujourd’hui. nous entrons en effet dans une phase d’instabilité durable. il n’est donc pas approprié de parler d’un monde multipolaire comme un schéma architecturé et stable à l’image de ce qu’était la Guerre froide. Aujourd’hui, nous ne savons pas ; d’où la nécessité absolue de revenir à l’analyse des relations internationales au sens propre. La sympathique communauté internationale est un beau concept, mais pour plus tard.

L’hyperpuissance américaine a-t-elle trouvé ses limites dans la crise économique actuelle ?

Le sens que je donne au mot hyperpuissance n’est pas celui d’une omnipuissance invulnérable. Elle est simplement en rupture par rapport à la superpuissance, car les Etats-Unis sont aujourd’hui plus que simplement l’une des deux superpuissances de la Guerre froide. L’hyperpuissance est une emphase pour décrire ce qui est actuellement la plus grande puissance de tous les temps. il n’y a en effet pas d’équivalent par le passé d’un empire qui ait rayonné à ce point au travers de son soft power sur l’ensemble du monde. Mais aujourd’hui, même l’hyperpuissance américaine ne peut maintenir, dans le meilleur des cas, qu’un leadership relatif, et cela représente un changement.Sur le plan économique, la crise a représenté l’effondrement de l’économie-casino qui s’était imposée sous prétexte de dérégulation depuis plus de vingt ans. Et, sur le plan géopolitique, la crise a un effet d’accélération pour des phénomènes qui avaient déjà débuté auparavant. Même si les Occidentaux ont été complètement victimes d’une illusion d’optique dans les années 1990, le fait que la Chine émerge est connu depuis longtemps, de même que l’émergence d’une trentaine d’autres pays. La crise est venue renforcer ces phénomènes, et notamment la force de l’Asie.

Les ONG sont-elles des acteurs légitimes des relations internationales ?

L’exagération idéologique des quinze dernières années selon laquelle les Etats sont dépassés a entraîné un procès en illégitimité contre les Etats et les gouvernements. Cependant, au moment de la crise, ce sont ces mêmes gouvernements qui ont été appelés à la rescousse. L’idéologie OnG qui prétendait, dans son exagération, supplanter les gouvernements et avoir une légitimité plus forte que ces derniers a donc montré ses limites. Cela ne veut pas

dire que les OnG ne vont pas continuer à exister. Cependant, les pseudos nouveaux acteurs sur lesquels se base ce discours ne sont en réalité pas si nouveaux, mais la crise est venue remettre de l’ordre dans la hiérarchie des acteurs.

À l’évidence, les concepts qui ont dominé après la fin de l’URSS ne sont donc pas opérants. L’idée d’une communauté internationale est une sympathique et belle aspiration, mais force est de constater que le monde ne forme pas encore une telle communauté. La société des nations n’était pas une

société, mais bien plutôt une jungle des nations, de même qu’aujourd’hui, les nations Unies sont loin d’être unies. Cette aspiration kantienne est évidemment compréhensible mais elle n’est pas opérante en réalité.il faut distinguer les acteurs vrais dans la foire d’empoigne générale. C’est pour cela qu’il faut revenir à une analyse de la géopolitique qui n’égare pas les gens en parlant de l’OnU, des mécanismes du droit international, etc… Je respecte ces concepts comme aspiration, ou idéalisation, de l’organisation du monde, mais il ne faut pas se tromper sur ce qui fonctionne réellement aujourd’hui.

L’échec de Copenhague a-t-il montré l’échec du modèle de gouvernance mondiale ?

La gouvernance mondiale n’existe pas. Le mot lui-même est abusif. Une gouvernance idéale n’existe pas justement car personne ne gouverne le monde. Le terme de gouvernance, au lieu de gouvernement, est apparu après la fin de l’Union Soviétique, et le délire collectif de la chute du mur. nous sommes allés prendre un mot du jargon anglais de la Banque mondiale pour montrer que les problèmes n’étaient plus politiques mais organisationnels. C’est à ce moment là que le mot gouvernance a tout envahi. Or, c’est une erreur. nous ne sommes pas dans une phase de l’histoire du monde dans

laquelle il s’agit simplement de s’organiser sous l’égide du FMi, de la Banque mondiale et de l’OMC. C’est une vision technocratique complètement abstraite qui ne correspond pas à la réalité. il n’y a pas de gouvernance autre que le rapport de force du moment.

Excepté le Conseil de Sécurité de l’OnU, la plupart des organismes ne sont pas des pouvoirs. Ce sont des enceintes au sein desquelles la compétition continue, y compris le G20. Copenhague a montré que les opinions publiques européennes sont sur une ligne complètement différente du reste du monde. Leurs gouvernements aujourd’hui sont souvent à la remorque des opinions publiques, et les dirigeants européens se sont eux-mêmes fait des illusions énormes sur leur capacité à mobiliser leurs homologues. il était évident qu’aucun pays émergent n’allait accepter d’arrêter de croître pendant trente ans jusqu’à ce que des technologies vertes nouvelles apparaissent. Comment a-t-on pu organiser une telle auto-intoxication collective qui a amené à croire que c’était le sommet le plus important de l’époque moderne ? La gueule de bois européenne post-Copenhague est

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Hubert védrine est diplômé de Sciences Politiques, licencié en histoire, et ancien élève de l’EnA. il est appelé en mai 1981 à l’Elysée par le Président Mitterrand comme conseiller diplomatique. Hubert védrine est ensuite nommé porte parole de la Présidence de la République et conseiller pour les affaires stratégiques (1988-1991), puis Secrétaire général de l’élysée (1991-1995). de juin 1997 à mai 2002, il occupe le poste de Ministre des Affaires étrangères dans les gou-vernements de Lionel Jospin. En 2003, il crée « Hubert Védrine Conseil », société de conseil en géopolitique et stratégies internationales. En 2007, le Président de la République nicolas Sarkozy, lui confie le Rapport sur la Mondialisation. Hubert védrine est l’auteur de nombreux ouvrages de relations internationales et d’atlas géopolitiques. En 2009, il publie notamment Le temps des chimères, recueil de textes et d’articles ainsi qu’un Atlas des crises et des conflits avec Pascal Boniface.

Nous entrons dans une phase d’instabilité durable. Il n’est pas approprié de parler d’un monde multipolaire comme un schéma

architecturé et stable

Le passage de ce monde bipolaire, puis unipolaire, à un monde multipolaire chaotique, instable et compétitif bouleverse

les puissances occidentales

La fin du monopole occidental

ENTRETIEN avec Hubert VÉdRinE

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incompréhensible. Elle n’est que le résultat d’attentes chimériques. il en était déjà de même avec la déclaration du Millénaire, lettre au Père Noël dont aucun objectif n’était atteignable. il en va de même de la Cour Pénale internationale. Toutes ces institutions sont forgées sur de nobles sentiments, mais il faut accepter que le monde ne fonctionne pas ainsi. C’est peut-être triste, mais il faut revenir à l’analyse des mécanismes vrais. Les Etats ont besoin de décider collectivement, mais ils restent les acteurs de cette décision collective.

La stratégie nucléaire occupe-t-elle une place centrale dans les rapports de force internationaux ?

il faut avant tout relativiser l’importance de la question nucléaire. des puissances nucléaires existent et le resteront, mais la situation d’un monde dénucléarisé, dont parlait Reagan et dont reparle Obama, est fortement improbable. Pour abandonner totalement les armes, il faudrait que les dirigeants soient entièrement convaincus que le monde est sûr et sans danger. Cela n’est pas évident, et un monde dénucléarisé n’est pas forcément un monde plus sûr. En revanche, la marge de manœuvre pour le désarmement est conséquente. Même pour dissuader, les Etats-Unis et la Russie n’ont pas besoin d’autant d’armes. Le concept français de dissuasion « niveau minimum » a de beaux jours devant lui. Somme toute, la prolifération est restée limitée. A l’époque de Kennedy, on pensait qu’il y aurait jusqu’à quarante puissances nucléaires dans le monde.

En réalité, la question nucléaire est contrôlable tandis que les nouveaux enchaînements de puissances sont incertains. Le passage de ce monde bipolaire, puis unipolaire à un monde multipolaire chaotique, instable et compétitif bouleverse les puissances occidentales qui ont du mal à gérer ce nouveau leadership relatif. va-t-on réussir à gérer collectivement ce système avec cinq ou six pôles et une trentaine d’émergents ? Le problème de cette gestion collective sera primordial.

Dans ce monde désordonné, certains pays comme la Suède, choisissent la neutralité comme stratégie d’influence. Est-ce judicieux ?

dans le système Est-Ouest, on pouvait être neutre, mais aujourd’hui la stratégie de neutralité n’a plus aucune signification réelle. Il ne s’agit que d’un mot fétiche. De plus, un pays ne choisira de stratégie d’influence que lorsqu’il n’aura plus de puissance. Tant que les pays ont de la puissance, ils l’utilisent et la complètent : au hard power, ils ajoutent le soft, et si possible le smart. Mais les pays européens, pour compenser leur perte de puissance, ont théorisé le fait que le soft power était mieux que le reste. En réalité, ils redoutent le hard power depuis 1945. voilà pourquoi l’Europe échafaude collectivement cette idée de puissance par exemplarité : superpuissance morale, elle se pose en prédicateur mondial. Pour autant, toutes les stratégies d’influence ne sont pas à bannir, mais il faut veiller à la surinterprétation angélique souvent attribuée à l’influence.

La France compte-t-elle encore sur la scène internationale ?

Bien sûr que la France compte. C’est d’ailleurs le seul pays qui compte et qui se pose la question. Pourtant, beaucoup de pays européens comme la France ont été des puissances dominantes et ne le sont plus. Mais en France, cette interrogation demeure, affreuse, brûlante, quotidienne. Son handicap réside dans son incapacité à trouver un équilibre. Alternant entre des sursauts hystériques qui clament sa « vocation universelle » et l’excès inverse d’abandon et de laisser-aller, notre pays peine à se trouver une position stable.La France doute car nous avons longtemps assimilé le fait d’avoir une politique étrangère à la domination des autres. Comme nous ne sommes plus dominateurs, nous pensons que cela ne vaut plus le coup et qu’il vaut mieux tout abandonner. Or, si l’on regarde la hiérarchie mondiale, on s’aperçoit qu’après les Etats-Unis, il y a une dizaine de puissances qui comptent encore, parmi lesquelles la France qui siège au Conseil de Sécurité, détient l’arme nucléaire, participe au G7 et au G20. de surcroît, la France possède une langue de communication internationale et elle a tort de négliger cet atout. Tandis que les Britanniques refinancent l’enseignement de l’anglais en inde, que les Chinois développement leur système d’instituts Confucius sur l’ensemble du globe, et que les Allemands promeuvent leur langue en Europe Centrale, en France nous considérons la politique linguistique comme ringarde.Plutôt que de se poser des questions existentielles, la France devrait se focaliser sur ses intérêts stratégiques essentiels afin de les défendre, tant au niveau national qu’au niveau européen et multilatéral.

Quel sera l’avenir de l’ONU ? Faut-il réformer le Conseil de Sécurité ?

L’OnU n’est qu’un cadre et le nom donné à la salle de réunion. Fort heureusement, il existera toujours un endroit où discuter collectivement. La Sdn comme l’OnU ont été créées par les vainqueurs qui ont imposé leur organisation. Or aujourd’hui, nous n’avons pas de vainqueur, d’où le non-aboutissement des divers plans de réforme qui se succèdent depuis une vingtaine d’années. Pour élargir le Conseil de Sécurité et le rendre plus représentatif, il faudrait déjà s’accorder sur la liste des pays. Mais la Chine met son veto contre l’entrée du Japon, certains pays européens refusent l’entrée de l’Allemagne, et personne n’est en mesure d’imposer une quelconque réforme. En revanche, si dans le cadre du G20 les pays prennent l’habitude de travailler ensemble, peut-être qu’alors, dans cinq ou dix ans, cela paraîtra absurde que la Chine bloque l’entrée de l’inde et du Japon au Conseil de Sécurité alors qu’elle travaille déjà pleinement avec eux par ailleurs. Le contournement des verrous qui empêchent la réforme du Conseil de Sécurité pourrait bien s’opérer via le G20.

Peut-on réellement considérer les BRIC comme une catégorie à part entière ?

Les émergents ne sont pas forcément homogènes. Certes, ils ont en commun d’avoir une croissance très rapide, et

en politique ils remettent en cause le statut du monde issu de l’après 1945, mais la comparaison s’arrête là. Leurs désaccords sont multiples et aucune alliance solide ne peut s’établir entre eux. Pour comprendre leurs comportements, il faut analyser plus en détail la stratégie indienne ou chinoise. Ainsi, l’inde est une puissance régionale évidente, mais elle n’est pas dévorée par l’envie de devenir une puissance mondiale. Précautionneuse, l’inde pourrait y être amenée par son besoin de matières premières, d’énergie et par la

compétition avec la Chine. L’inde subit un effet d’entraînement. Si le gouvernement indien exprime depuis peu son souhait de jouer un rôle en Afghanistan c’est parce qu’il voit d’un mauvais œil le rapprochement des

Etats-Unis avec le Pakistan. Petit à petit, dans le G20, l’inde sera amenée à se positionner sur des sujets variés de plus en plus nombreux, lui faisant accéder à un statut international de fait.

Faut-il chercher à promouvoir la démocratie à travers le monde, que ce soit par la coercition ou par l’influence ?

Aujourd’hui, on ne peut plus se poser cette question de façon théorique car nous disposons d’expériences précises qui nous ont démontré les limites de cette ingérence. Les Occidentaux ont longtemps prêché, voire menacé d’autres pays, sans pour autant réussir à changer fondamentalement ce qu’est la Chine, ou la Russie, ou ce que sont les pays arabes ou africains. L’efficacité de ces politiques droits-de-l’hommistes est très faible. Les droits de l’homme sont fondamentaux, mais le droit-de-l’hommisme consiste à en faire le contenu même de la politique, du simple prosélytisme. Bush a adopté cette ligne car il essayait d’échapper à la question palestinienne à la demande du Likoud, et a voulu détourner le sujet en affirmant qu’il fallait d’abord changer les pays arabes, de gré ou de force. La situation de l’Amérique à la fin de l’administration Bush a prouvé l’échec de cette politique. Le bilan global des Occidentaux en matière de propagation de la démocratie est ainsi minime. imposer la démocratie en partant de zéro, de l’extérieur, dans des pays où les esprits, les mentalités, les comportements, et l’appareil d’Etat ne sont pas préparés, est amplement illusoire, voire dangereux. Les Européens se sont intoxiqués avec cette idée d’ingérence démocratique car ils ont voulu croire qu’ils vivaient dans un monde post-historique et post-traumatique sans enjeu stratégique ni géopolitique. L’idéologie droit-de-l’hommiste a tout envahi et l’Europe est devenue une Europe missionnaire et prosélyte, autant que Bush peut-être. Cela, l’Occident le fait depuis toujours : le droit d’ingérence remonte à Urbain ii qui a prêché la première croisade. Or l’Occident n’a plus le monopole, son attitude est remise en cause dans ce monde multipolaire où il y a d’autres puissances et où il faut négocier sur chaque point avec réalisme.

Propos recueillis par Narhan R. GRison et Eléonore Peyrat

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Le contournement des verrous qui empêchent la réforme du Conseil de Sécurité pourrait

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En ce début de XXième siècle, la Russie cherche par tous les moyens à maintenir son rang de grande puissance sur

l’échiquier mondial. L’élite dirigeante russe peut compter pour cela sur un atout majeur : l’arme énergétique. Plus puissant que jamais avec l’envolée du cours des matières premières, le potentiel énergétique, couplé au contrôle des voies d’exportations, offre un levier d’influence décisif à la Russie à l’égard de ses clients, aussi bien dans son « étranger proche » qu’à la confluence de l’Europe et de l’Asie. Avec

31% des réserves mondiales de gaz, le cœur de cette stratégie d’influence internationale est concentré sur un acteur particulier, le consortium gazier Gazprom. À travers une reprise en main méticuleuse, la classe dirigeante russe s’est ainsi employée à faire du géant gazier la figure de proue de son dessein de puissance. Dans la définition d’une nouvelle politique étrangère russe mêlant tentations néo-impérialistes et soft power, Gazprom occupe désormais une place emblématique.

1 Un empire qui s’étend jusque dans la banque, la construction, les transports, ou les médias.2 Gabrielle Chomentowski est docteure en science politique spécialisée sur la Russie, actuellement ATER à Sciences Po Paris

Sous la houlette du Kremlin, le consortium gazier se hisse rapidement au rang de géant énergétique, à la tête d’un empire colossal1 ne pesant pas moins de 8 % du PiB russe et disposant des plus importantes réserves de gaz de la planète. Mais loin d’être un simple pion dans le jeu russe, Gazprom a des arguments à opposer face au Kremlin. L’Etat et la société gazière sont en effet deux entités étroitement imbriquées, qui s’influencent mutuellement.

Un événement significatif du poids croissant de Gazprom au cœur du régime russe a été le choix porté sur dimitri Medvedev comme successeur de vladimir Poutine à l’élection présidentielle de 2008. Ce juriste proche de Poutine, désigné pour ménager une place de choix au nouveau Premier ministre au sommet de l’Etat, avait surtout été le président du conseil d’administration de Gazprom depuis 2002. depuis ce poste clé, et fort du soutien du géant gazier, il a su s’imposer au sein de l’élite dirigeante. dans la plus pure tradition de la nomenklatura soviétique, deux clans s’affrontent aujourd’hui dans les arcanes du pouvoir : les siloviki, partisans d’une ligne dure, autour de Poutine, et les siviliki, les libéraux représentés par le nouveau président russe et forts du ralliement de Gazprom. La politique étrangère russe, et le rôle que doit y jouer Gazprom, est ainsi le produit de ces rapports de force dans l’élite dirigeante.

nouvel instrument de hard power, l’arme du gaz offre aux conservateurs, partisans d’un pouvoir de contrainte à l’égard de « l’étranger proche » de la Russie, un levier redoutable. L’exemple dans toutes les mémoires reste celui du long bras de fer opposant la Russie à son voisin ukrainien depuis la Révolution orange de 2004, qui porta au pouvoir le leader de l’opposition victor iouchtchenko. Au terme de deux « guerres du gaz », en janvier 2006 et janvier 2009, au cours desquelles les coupures de livraisons de Gazprom ont été ressenties jusqu’en Europe, la facture gazière de l’Ukraine a été réalignée sur les cours du marché, c’est-à-dire multipliée par quatre. De manière moins médiatique, le Belarus a dû céder face aux pressions de Gazprom pour le contrôle de son gaz, afin d’éviter un renchérissement du prix de ses livraisons de gaz russe.

Les ambitions de Gazprom se focalisent aussi autour des ex-républiques du Caucase comme d’Asie centrale, dont la compagnie cherche à intégrer au maximum les réserves à son dispositif. Ainsi la problématique énergétique n’est pas absente de la guerre contre la Géorgie de 2008, un pays par lequel gazoducs et oléoducs peuvent contourner le territoire russe. Gabrielle Chomentowski2 a expliqué au Paris Globalist que « ces différents cas nationaux démontrent toute l’importance que revêt une entreprise telle que Gazprom

pour la Fédération de Russie, à la fois d’un point de vue des velléités impérialistes du pays, vivant dans la nostalgie d’un espace géographique immense et redouté ; mais également dans un souci de survie économique, les énergies constituant une source de revenue indispensable à l’autonomie du pays. »

Mais l’élite russe définit aussi une stratégie de puissance plus originale, intégrant une sorte de soft power. Pour les libéraux partisans d’une telle perspective, le mastodonte Gazprom peut servir de vecteur d’influence internationale, qui se substituerait en quelque sorte à celle que représentait le communisme autrefois. Les libéraux comprennent

que le pouvoir d’attraction de Gazprom est indispensable au consortium gazier pour bénéficier des investissements étrangers indispensables à sa modernisation. Ce versant de la politique étrangère russe s’est tourné tout naturellement vers l’Europe,

fortement dépendante du gaz russe. Profitant des directives européennes sur la libéralisation du marché de l’énergie, Gazprom a pu développer des liens étroits avec les opérateurs gaziers européens, usant de clauses pour vendre directement son gaz aux consommateurs européens, ou pesant de tout son poids pour promouvoir la construction de nouveaux gazoducs ralliant l’Europe. C’est le cas du projet de gazoduc « South Stream » qui devrait atteindre l’italie en 2015. C’est surtout le cas du tracé « North Europe », prévu pour 2010 bien qu’il concurrence le projet de gazoduc européen « Nabucco ».

néanmoins, l’idée d’un Gazprom auquel rien ne résiste a été remise en cause depuis la crise financière d’octobre 2008 qui a frappé très sévèrement le consortium gazier. Ainsi le fleuron de l’économie russe s’est révélé à cette occasion être un colosse aux pieds d’argile, souffrant, qui plus est d’une brutale

chute de la demande énergétique, de gigantesques problèmes de corruption, d’un manque de compétitivité et d’attractivité. Le futur du géant gazier pourrait donc devoir passer par une cure d’austérité, de même que par un considérable renforcement des

projets vers l’Asie, porteuse des potentialités de croissance de demain. Au final, Gazprom peut se confondre avec la Russie, son activisme international ne souffrant d’aucune contestation, mais sa puissance réelle court le risque d’être celle d’un tigre de papier.

Jérémy Armandétudiant en 3ème année

En échange à l’Université du Michigan

Profitant de la hausse des cours mondiaux d’hydrocarbures de ses dernières années, le retour de la Russie sur le devant de la scène mondiale sous l’ère Poutine a donné à sa politique de puissance une configuration singulière, marqué par l’influence notable du consortium gazier Gazprom.

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Gazprom : au cœur de la nouvelle stratégie de puissance du Kremlin

Dans la définition d’une nouvelle politique étrangère russe mêlant tentations néo-impérialistes et soft power, Gazprom occupe désormais

une place emblématique

Gazprom a pu développer des liens étroits avec les opérateurs gaziers européens, pesant de tout son poids pour promouvoir la construction de

nouveaux gazoducs ralliant l’Europe

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Les jours où, au plus fort de la Révolution Culturelle, la Chine cherchait à exporter son maoïsme et à déstabiliser

ses voisins semblent révolus. La gestion responsable de la crise financière asiatique de 1997 par Beijing semble en effet avoir convaincu ses voisins que l’on pouvait désormais lui faire confiance. Depuis, le pays est devenu un moteur du régionalisme asiatique. La signature d’un accord de libre-échange entre la Chine et l’ASEAn en 2002, a ainsi marqué la création du plus vaste marché du monde1. La Chine a également été le maître artisan de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) – une organisation destinée originellement à combattre les « nouvelles menaces » (terrorisme, crime transnational, séparatisme) mais qui s’est aujourd’hui étoffée pour devenir un centre de dialogue portant sur l’aide au développement et la sécurité énergétique de la région.Cette vigoureuse stratégie a eu deux retombées positives pour la région. Elle a tout d’abord permis de développer largement les liens économiques entre la Chine et ses voisins. durant la seule année 2002-2003, la Chine a augmenté la valeur de ses échanges avec l’ASEAn de 36,5%. En outre, les tensions régionales se sont considérablement apaisées. depuis 1996, Beijing a clairement délimité, au travers d’une série d’accords bilatéraux, 20222km de frontières, mettant ainsi fin aux disputes territoriales2 qui empoisonnaient la plupart de ses relations avec l’extérieur. Parallèlement, le pays a cherché à bâtir un climat de confiance et à rassurer ses voisins quant à la croissance continue de ses forces armées. En joignant des forums régionaux comme l’ARF (ASEAn Regional Forum) ou le CSCAP (Council on Security Cooperation in the Asia Pacific), la Chine a cherché à faire preuve de plus de transparence. Elle a également cherché à réduire le mystère entourant son armée en opérant en 2003, pour la première fois depuis 1954, des exercices militaires conjoints avec le Pakistan, la France et le Royaume Uni.

L’enthousiasme régional de la Chine est-il cependant sincère ? Force est de constater que la volte-face chinoise n’est pas arrivée à n’importe quel moment. La Chine est par

exemple devenue aujourd’hui un partenaire constructif dans les négociations nucléaires avec la Corée du nord. Cependant, l’attitude chinoise n’a changé que car Beijing s’est aperçue que la menace nord-coréenne

risquait de donner aux Etats-Unis une bonne excuse pour mettre à jour ses alliances avec le Japon et la Corée du Sud, un résultat potentiellement désastreux pour la diplomatie chinoise. de même, les multiples disputes territoriales entre la Chine et les pays de l’ASEAn ne se sont calmées que lorsque les dirigeants chinois ont réalisé que Taïwan pourrait déclarer son indépendance. ne pouvant mener une guerre diplomatique (voire militaire) sur deux fronts, la Chine a alors préféré calmer le jeu.

Pour de nombreux experts, la Chine instrumentalise le régionalisme. Son enthousiasme ne serait qu’un subtil réajustement tactique destiné à prévenir les tensions et coalitions qui pourraient retarder son accession au statut de superpuissance. À la manière de l’Allemagne bismarckienne dans l’Europe du concert des nations, la Chine cherche à isoler ses rivaux potentiels et à empêcher la formation d’alliances dirigées contre elle au travers d’une politique de la main tendue vers ses voisins les plus importants. Elle coopérerait alors tout en attendant son heure.

Comme l’explique Miles Kahler au Paris Globalist3, « il serait naïf de penser que la Chine ne mène pas une politique régionale

intéressée. Tous les Etats du monde font de même. Cependant, ce n’est pas parce qu’elle poursuit ses intérêts qu’elle sera toujours en mesure d’obtenir le résultat qu’elle désire ». Qu’il soit utilisé de

manière stratégique ou non, le régionalisme a sa dynamique propre et limite la marge d’action de la Chine. de fait, en 2008, l’Asie représente 36% de la valeur du commerce

1 L’ASEAn+3 (incorporant la Chine, le Japon et la Corée) est en effet l’espace de libre échange le plus peuplé du monde (2 milliards d’habitants) et le 3ème plus riche (3 trilliards de dollars de PiB cumulé).2 À l’exception notable de sa dispute avec l’inde (actuellement en cours de négociation) et de ses disputes sur ses frontières maritimes – notamment avec le Japon (Îles diaoyu) et Taïwan. 3 Miles Kahler est professeur de Relations Internationales à l’International Relations and Pacific Studies (IRPS) Graduate School - Université de Califor-nie à San diego (UCSd). 4 Expression utilisée par l’universitaire américain John Mearsheimer pour décrire la fatalité d’un conflit entre pouvoir ascendant (la Chine) et pouvoir dominant (les Etats Unis). Se reporter à « The Tragedy of Great Power Politics », New York: Norton, 2001

Depuis le milieu des années 1990, la Chine s’est engagée de plain-pied dans la construction d’un nouvel ordre régional. Doit-on y voir une instrumentalisation temporaire ou une vision à long terme ?

chinois. En accentuant son interdépendance avec ses voisins, le régionalisme rend chaque jour le recours au conflit plus onéreux alors que la floraison de forums et de sommets régionaux réduit le coût de la coopération tout en augmentant son efficacité.

Le régionalisme devient alors pour Beijing une stratégie visant à convertir sa puissance en influence. En se liant partiellement les mains, la Chine apaise les peurs de l’Asie. Parallèlement, elle construit les fondations de son soft power : influence culturelle au travers de ses Instituts Confucius, ouverture sur le monde par l’accueil de 65000 étudiants asiatiques dans ses universités, etc. Le régionalisme devient alors une alternative à la « tragédie des grandes puissances »4 en permettant à l’architecture internationale de faire place à un nouveau pouvoir sans heurts ni conflits.

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La nouvelle politique régionale de Beijing :Hu Jintao est-il un nouveau Bismarck ?

La Chine est devenue un moteur du régionalisme

asiatique

le régionalisme a sa dynamique propre et limite la marge

d’action de la Chine

Côme Decheryétudiant en année de césure,

assistant au Bureau de presse du Point à Pékin.

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A l’image du système étatique, le Soft Power est devenu un attribut majeur

des rapports de force criminels. Derrière l’image de violence extrême qu’il véhicule,

le monde du crime organisé privilégie surtout des enjeux de domination culturelle où il

s’agit davantage de gagner les esprits que de dégainer les armes.

Les entités non-étatiques que sont les Organisations Criminelles Transnationales (OCT) sont engagées dans

des jeux de puissance et d’influence qui obéissent à d’autres règles que celles qui prévalent traditionnellement dans les relations internationales. Dans les rapports entre mafias, le soft power est autrement plus important que le hard power. Le pouvoir d’une OCT se calcule surtout à son degré d’influence et d’attractivité. La démonstration de la puissance par la force est un signe de faiblesse. Pour le criminologue Xavier Raufer1, « les menaces mafieuses «classiques» ne sont que la partie émergée de l’iceberg ». Les affrontements sanglants sont marginaux dans le système criminel international. En coulisse et au quotidien se joue une guerre autrement plus intense et beaucoup moins spectaculaire. Contrairement aux idées reçues, la domination criminelle ne s’acquiert pas à coups de revolver. L’usage de la force est le signe d’une certaine fragilité et d’un manque d’autorité. Le degré de violence d’un groupe criminel est même proportionnellement inverse à son niveau de pouvoir réel. La guerre du narcotrafic qui se déroule au Mexique en est aujourd’hui un exemple frappant. Le Cartel de Ciudad Juarez est engagé dans un conflit meurtrier avec des groupes rivaux depuis plusieurs années. Cette force criminelle reconnue peine à exercer une autorité durable et doit faire parler les armes pour s’assurer un semblant de domination.La capacité à contraindre demeure une condition fondamentale de l’exercice criminel, mais elle doit s’opérer sans violence pour être efficace et durable. La notion de « puissance criminelle » s’affranchit de la nécessité d’une démonstration physique de la force : elle devient soft power, ou capacité d’influence par persuasion, sans recours à la force (Machiavel parle de « craintes respectueuses »). Si le groupe

mafieux parvient à s’institutionnaliser, ce soft power criminel se substitue presque entièrement au hard power (intimidation, menace, violence). La réelle puissance d’une OCT, son pouvoir coercitif, réside dans sa capacité d’influence. Le soft power définit le stade ultime de l’évolution criminelle. Une organisation criminelle n’atteint les sommets de la puissance que lorsqu’elle parvient à s’institutionnaliser, à se fondre dans le paysage économique, social et politique d’un pays, jusqu’à en devenir un élément à part entière. On constate que les poids lourds du crime organisé mondial (triades chinoises, mafias italiennes, yakuzas japonais, fraternités criminelles russes) sont devenus des institutions dans les pays où ils sont actifs, que ces derniers soient démocratiques ou non. Cette institutionnalisation a été possible grâce à la combinaison de plusieurs facteurs : une présence forte et durable sur un territoire donné, la pénétration des sphères décisionnelles de ce territoire, un déploiement de puissance important (effectifs criminels, structure, renouvellement, discipline interne) et une part de mythe qui ajoute une dimension supplémentaire à la stricte dynamique criminelle. Cette institutionnalisation, qui renforce le pouvoir coercitif des mafias, est concomitante au développement du soft power criminel. différents exemples illustrent cette institutionnalisation des organisations criminelles. En Sicile, les grandes entreprises qui s’installent incluent dans leur budget une « clause mafia » : elles réservent une somme d’argent destiné au pizzo, l’impôt mafieux, et cèdent au racket sans intimidation préalable. A New York, le secteur de la construction est sous la tutelle des cinq familles de La Cosa Nostra new-yorkaise, qui coopèrent dans la répartition des parts de marché. Leur emprise est telle que ce sont les entrepreneurs qui sollicitent eux-mêmes la

Mafia pour gagner des marchés. Ces deux exemples n’ont rien d’anodin quand on sait que le racket est l’instrument premier du contrôle criminel. ils montrent que les gens ont accepté l’autorité mafieuse et la

force de contrainte quasiment naturelle qu’elle exerce. Le soft power criminel n’est pas réservé aux espaces aussi criminalisés que la Sicile. L’exemple du contrôle criminel des ports de Montréal et Melbourne illustre bien la suprématie du soft power. Ces deux ports sont sous le contrôle incontesté du crime organisé irlandais (le West end Gang à Montréal, et le Clan Moran à Melbourne) qui règne sur ces lieux économiques et criminels stratégiques. Ce pouvoir ne s’est pas acquis uniquement par la force : il est principalement le fruit d’une présence durable (ces deux groupes sont en activité

depuis plusieurs décennies) et d’une parfaite infiltration des différentes institutions liées à l’activité portuaire. voilà comment avec un niveau de hard power limité, un groupe criminel peut jouir d’une influence majeure. Les formes les plus dangereuses et les plus avancées de menaces criminelles ne sont pas celles qui fondent leur pouvoir sur la violence, mais celles qui s’institutionnalisent et qui disposent d’une influence quasi-naturelle. Elles privent les Etats d’une partie de leur souveraineté et parasitent leur autorité. Max Weber voyait dans le monopole de la coercition légitime l’attribut substantiel de l’Etat. En augmentant directement le pouvoir coercitif des mafias, le soft power constitue le danger principal du phénomène criminel. il repose sur une stratégie d’attraction plutôt que sur une stratégie de menace. il offre donc aux mafias une posture quasiment légitime, et en fait des autorités morales capables de susciter l’obéissance,

l’Herrschaft wébérien. dés lors, les organisations criminelles fournissent une alternative à la domination étatique et mettent en péril les fondements politiques de l’Etat.

il s’agit donc de faire de la limitation du développement du « soft power criminel » l’enjeu premier de la lutte contre le crime organisé. C’est une tâche ardue qui confère davantage à la violence symbolique et aux autres aspects intangibles du monde criminel.

Corentin Valleraydiplômé du Master Sécurité internationale

diplômé de l’institut de Criminologie de Paris, département de recherche sur les Menaces Criminelles Contemporaines

1 -Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études à l’institut de Criminologie de Paris, et auteur de plusieurs ouvrages sur le crime organisé et le terrorisme.

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Le soft power au cœur du crime organisé

Si le groupe mafieux parvient à s’institutionnaliser, ce soft power

criminel se substitue presque entièrement au hard power

Les formes les plus dangereuses et les plus avancées de menaces criminelles ne sont pas celles

qui fondent leur pouvoir sur la violence, mais celles qui disposent d’une influence quasi-naturelle.

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L’influence de l’Iran au Moyen-Orient a longtemps été limitée. L’Etat iranien suscite traditionnellement crainte

et mépris chez ses homologues arabes. de confession chiite, les iraniens sont considérés comme des hérétiques par les sunnites. L’importance démographique de l’iran, avec près de 75 millions d’habitants, son poids énergétique et sa position stratégique lui confèrent néanmoins un statut de puissance régionale incontestable. d’ailleurs, les mutations des années 2000 semblent avoir permis une extension de l’influence iranienne. Jouant sur la disparition de régimes voisins hostiles, des communautés chiites en effervescence et des mouvements armés en quête de patronage, l’iran s’affirme comme un acteur de premier plan sur la scène politique du Moyen-Orient.

Après le 11 septembre 2001, l’intervention américaine en Afghanistan met fin au régime des talibans, sunnites radicaux qui constituaient une menace potentielle pour l’iran. En 2003, l’invasion américaine de l’irak provoque la chute de Saddam Hussein, l’adversaire de l’iran pendant la guerre de 1980 à 1988. Selon vali nasr1, la disparition du régime baathiste constitue une victoire stratégique pour la République islamique. Celle-ci est renforcée par la nature du nouveau pouvoir irakien. En instituant un régime démocratique dans ce pays à majorité chiite, les Américains favorisent indirectement la montée en puissance de cette communauté.

dans les Etats arabes, de nombreux chiites entreprennent de s’engager pour revendiquer un traitement plus équitable. Au Bahreïn et en Arabie Saoudite, des révoltes éclatent. Chaque trouble est dénoncé par les régimes arabes comme une ingérence iranienne. Au Liban, le mouvement chiite Hezbollah, créé et soutenu par l’iran, élargit son audience. Le retrait israélien du Sud Liban, en 2000, et l’impuissance d’israël lors de la guerre de 2006 renforcent son prestige. La République islamique confirme cette image de résistant à israël en nouant une relation étroite avec le Hamas. vali Nasr qualifie de moment prussien le « renouveau chiite » de la République islamique depuis les années 2000.

Pour autant, l’iran n’est pas une puissance entière. Selon Bernard Hourcade2, dans une interview accordée au Paris Globalist, « l’Iran est surévalué ». La menace iranienne est instrumentalisée politiquement. d’une part, israël utiliserait le risque d’une attaque de l’Iran pour justifier son refus de reprendre les négociations avec les Palestiniens. d’autre part, le président iranien Ahmadinejad joue de cette situation pour rallier des soutiens internes et externes à ses initiatives. de fait, la situation géopolitique de l’iran s’est compliquée depuis les années 2000. L’échec de l’iran tient à ce que les attaques du 11 septembre 2001 ont été menées par des sunnites et que ce sont ensuite les forces américaines qui sont intervenues pour mettre un terme aux régimes sunnites menaçant l’iran. En d’autres termes, la République islamique aurait failli à assumer son rôle de leader de la lutte anti-impérialiste contre les Etats-Unis.

de plus, l’iran se détournerait de son ambition d’exercer un leadership régional, ses priorités actuelles étant la préservation

des fondamentaux du régime et la protection de son territoire. de ce fait, la République islamique est dépendante des Etats-Unis. En effet, tant que les forces américaines seront présentes dans la région, la stabilité de l’irak, de l’Afghanistan et du Pakistan

est en partie garantie. C’est donc un repli des Etats-Unis que l’iran pourrait craindre.

Par ailleurs, l’influence de la République Islamique sur les chiites de la région n’est pas synonyme de puissance car le régime n’est pas capable de contraindre ses alliés à faire ce qu’il voudrait qu’ils fassent. Ainsi, au Liban, le Hezbollah s’affirme de plus en plus comme un acteur politique autonome. En irak, l’iran n’exerce pas de pouvoir réel. Les chiites irakiens et iraniens sont certes liés, par des réseaux religieux, économiques et familiaux, mais chaque communauté est marquée par le nationalisme.

Enfin, la question du nucléaire devrait être appréhendée comme un enjeu géopolitique ancien pour l’iran, et non comme l’expression des volontés incontrôlées du Président Ahmadinejad. À cet égard, il convient de rappeler que ce programme nucléaire a connu ses premiers développements à l’époque du Shah. Fonder une stratégie efficace, et empêcher que l’iran ne se dote de l’arme nucléaire, implique donc d’appréhender son programme comme un enjeu national. Adopter une perspective radicale, notamment en ce qui concerne les sanctions, tend en effet à renforcer les initiatives jusqu’au-boutistes du gouvernement actuel.

Sur le plan de la politique intérieure, l’ouverture vers l’iran impulsée par le Président Barack Obama a entraîné une recomposition des alliances qui pourrait mettre en péril les équilibres du régime. Les discours d’apaisement du Président américain ont en effet rendu possible une rupture entre deux courants jusque là alliés, les nationalistes et les islamistes. C’est cette dynamique nouvelle qui s’est manifestée lors des élections de juin 2009. Or, ce sont essentiellement des préoccupations internes qui fondent les choix des dirigeants iraniens. Cette variable mériterait donc d’être prise en considération dans l’évaluation de la puissance de l’iran.

Les années 2000 ont été marquées par une affirmation de la menace iranienne, dans le discours. S’il est incontestable que la République islamique dispose de plusieurs relais au Moyen-Orient, son influence ne lui confère pas des marges de manœuvre effectives. C’est donc une appréciation mesurée de la puissance iranienne qui est nécessaire pour permettre, éventuellement, l’apaisement des tensions politiques régionales.

camille Le cozétudiante en 5ème année

double diplôme SciencesPo/LSE en Affaires internationales

Les interventions des Etats-Unis au Moyen-Orient, dans les années 2000,

ont entrainé une recomposition des rapports de force régionaux.

Les Américains ont certes mis fin à deux régimes hostiles à l’Iran, en Irak et en

Afghanistan, mais ils encerclent désormais la République islamique.

Aujourd’hui décrit par la plupart des capitales occidentales comme la principale menace à la paix et la sécurité dans la région, le poids du régime iranien peut toutefois être relativisé.

La puissance de l’Iran ne serait-elle pas illusoire ?

L’iran en puissance : impressions et réalités de l’influence iranienne au Moyen-Orient

1 vali nasr est professeur de Politique internationale à la Fletcher School of Law and Diplomacy de l’université Tufts. il est spécialiste des questions du Moyen Orient et de l’islam et l’auteur du Le Renouveau chiite, publié en France en 2008. 2 Bernard Hourcade est un géographe spécialiste de l’iran. il est actuellement directeur de recherche au CnRS.

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Quand l’union Européenne accouchera t-elle de son armée ?

Chaque haut sommet de l’Union Européenne est l’occasion de revenir sur l’histoire en dents de scie d’une défense communautaire à l’émergence improbable. Le Traité de Lisbonne est venu rappeler la difficulté à franchir le pas vers la création d’une armée européenne en réaffirmant à nouveau la souveraineté des Etats en matière militaire. Une Union Européenne sans armée est-elle une puissance incomplète ?

guerre froide et l’élargissement européen ont rendu le projet d’une défense communautaire autonome plus hypothétique devant la méfiance des Etats d’Europe de l’Est, ravis par la solidarité transatlantique naissante avec les Etats-Unis. La Pologne, la Hongrie et la République Tchèque sont entrées dans l’OTAn en 1999, cinq années avant de rejoindre l’UE, en mai 2004. néanmoins, les frontières de l’OTAn ne coïncident pas avec celles de l’UE : l’irlande, l’Autriche, la Finlande, la Suède, Chypre et Malte n’en font pas partie et bénéficient d’un statut de neutralité.

Le préambule du traité de Maastricht en 1992 a marqué la naissance d’un embryon de politique étrangère de défense et de sécurité commune. Il affirme que les Etats-membres se sont « résolus à mettre en œuvre une politique étrangère et de sécurité commune, y compris la définition progressive d’une politique de défense commune, qui pourrait conduire à une défense commune ». L’Europe de la défense alors envisagée est davantage une Europe de la sécurité qui promeut le maintien de la paix et la multiplication de missions humanitaires, et non la défense territoriale des Etats-membres. L’Union Européenne obtient de meilleures performances dans la mise en œuvre d’instruments dits d’accompagnements de crise qui reflètent sa puissance civile, à l’image du soutien financier apporté aux pays en développement à travers des programmes humanitaires ou d’aide alimentaire.

de plus, l’idée d’une armée européenne se heurte à la question de son commandement. L’Allemagne, l’Espagne, la France, l’italie et le Royaume-Uni sont les puissances européennes qui investissent le plus dans leur défense en pourcentage de leur PiB (plus de 65% des dépenses européennes de recherche militaire). Selon le traité de Lisbonne entré en vigueur en décembre 2009, un Etat rallie les opérations militaires européennes sur une base volontaire. Un Etat-membre ne peut donc être contraint de rejoindre les rangs de l’armée européenne qui n’est, dès lors, que simple agrégation des armées des Etats-membres. Ce traité représente toutefois une innovation puisqu’il propose de créer des « coopérations structurées permanentes » entre plusieurs Etats sur certains domaines militaires sous l’égide de l’Agence Européenne de défense, sans que l’unanimité des autres Etats-membres ne soit requise.

Toutefois, l’inconstance d’une armée exclusivement modelée sur des contributions volontaires réduit considérablement les bénéfices qu’apporterait une armée européenne intégrée. Mais ce projet nécessiterait la constitution d’un conseil des ministres de la défense. delphine deschaux-Beaume1, dans un entretien avec The Paris Globalist, insiste sur « le problème de coordination entre les politiques d’acquisition d’armements et la politique de défense ». Les moyens

Sur un continent meurtri par l’atrocité des deux guerres mondiales consécutives, l’idée européenne est née, scellée

de la promesse d’une paix structurelle entre Etats voisins. Elle mettait alors fin à une longue rivalité franco-allemande en créant des institutions qui seraient espaces de dialogue et de confrontation pacifique. Ainsi naissait l’aversion européenne pour le pouvoir militaire, antagoniste de son objectif politique de coopération interétatique.

Après le refus du Parlement français de ratifier la Communauté Européenne de défense en 1954, l’Organisation du Traité de l’Atlantique nord, créée en 1949, est apparue comme le cadre exclusif d’une défense commune européenne. La fin de la

1 delphine deschaux-Beaume , enseignante à Sciences Po Grenoble, a réalisé sa thèse sur la sociologie historique de la Politique européenne de sécurité et de défense.2 Jean-Paul Hebert est chercheur au Centre interdisciplinaire de recherches sur la paix et d’Etudes stratégiques,3 Titre de l’ouvrage de Patrice Buffotot, Europe des armées ou Europe désarmée ?, publié aux éditions Michalon en 2005.

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militaires s’avèrent désordonnés et le problème de leur adéquation témoigne de leur inefficience, bien que l’Europe des armements soit une puissance technologique affirmée.

Constituer une armée européenne est donc perçu comme le moyen de rationaliser un outil militaire coûteux et de mutualiser les intelligences militaires dont les Etats-membres disposent. En 2007, le budget européen alloué à l’aide humanitaire et à la politique étrangère et

de sécurité commune représentait 5% du budget européen total. L’éparpillement et le manque de formalisation de ses ressources ainsi que l’insuffisance de ses dépenses militaires expliquent les carences de l’Europe de la défense.

Cependant, la relative impuissance coercitive de l’Union Européenne est compensée par sa puissance normative incarnée par la Cour de Justice des Communautés Européennes ou l’influence de la Cour Européenne des droits de l’Homme. L’Union Européenne réinvente à sa manière l’idée de puissance, l’imprécision sémantique de la notion lui permettant de jongler entre d’une part des capacités de persuasion et négociation à travers ses institutions et d’autre part des capacités militaires par le relais de ses Etats-membres. Bien que l’essence même de l’Union Européenne l’ait conduite à restreindre les volontés de puissance des Etats qui la composent, elle additionne néanmoins les éléments de puissance pour modifier son statut de nain politique et militaire. « L’armée européenne serait un besoin si l’Union Européenne était une entité politique » explique Jean Paul Hebert2 au Paris Globalist en s’appuyant sur l’idée militaire, en tant qu’expression du pouvoir régalien d’un Etat européen.

En l’absence d’une armée, l’Union européenne serait-elle démunie face à un conflit militaire se jouant sur son propre territoire ? On se rappelle l’impuissance de l’Union

européenne face à la situation dans les Balkans au début des années 1990, qui a rendu nécessaire un fort soutien américain. Les limbes de l’Europe de la défense sont à rechercher dans ses failles constitutionnelles et politiques,

pour ne pas que le projet d’une Europe des armées n’aboutisse à une Europe désarmée3.

Judith Chetrit étudiante en 4ème année

Master Affaires Publiques, filière Culture.

La relative impuissance coercitive de l’Union

Européenne est compensée par sa puissance normative

L’idée d’une armée européenne se heurte à la question de son

commandement

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Afghanistan, la bataille des cœurs

Neuf ans après le début de l’intervention en Afghanistan, la question de l’avenir du pays se pose avec acuité. A l’heure du bilan, force est de constater que les Occidentaux ne sont pas parvenu à imposer leur modèle. Cependant, en l’absence d’alternative crédible, le destin des Afghans demeure en suspens.

En mars 2009, le livre blanc sur la stratégie américaine en Afghanistan et au Pakistan faisait état d’un déficit de

confiance envers les Etats-Unis. A ce déficit qui ne sera pas passé inaperçu au reste du monde, les stratèges de Washington répondent par une solution presque intuitive: une meilleure coordination et une gestion plus effective de l’aide au développement américaine et internationale. Sans doute les promesses de l’aide, une économie stable, une démocratie forte et une société civile florissante, sont les conditions nécessaires à la normalisation des relations internationales du pays avec le reste du monde, et à l’éradication à long terme de la menace talibane en Afghanistan. Cependant cette réponse procède d’une inversion de paradigme fort embarrassante : le succès de l’aide dépend de l’adhésion des populations et donc précisément de la confiance qu’elle prétend rétablir. Comme l’affirme Joseph Nye dans son article The Velvet Hegemon, le succès de l’intervention militaire dépend de la capacité des Etats-Unis à fédérer ses alliés autour de valeurs menacées et à rallier les éléments modérés de la société afghane au modèle libéral. Mais une telle politique d’influence est elle encore possible dans le contexte afghan ?

Sans entrer dans les débats sur la crise du modèle occidental, il est certain que ce modèle, dans sa version libérale portée par les Etats-Unis, n’a plus la force et le rayonnement qui étaient siens à la suite de ses deux victoires sur le nazisme et sur le communisme. Cette crise, qui dépasse la situation afghane, n’en est pas moins ressentie à travers le prisme de l’intervention militaire. Cible permanente des discours talibans et nationalistes, le modèle occidental est systématiquement remis en cause et dénoncé dans ses incohérences: une erreur d’aiguillage lors d’un bombardement qui frappe des civils ne peut être qu’une destruction intentionnelle, étant donné la supériorité technologique occidentale. Ce discours associant infaillibilité et posture dominante du modèle américain, encourage auprès des Afghans le cynisme et l’incrédulité. Les postures maladroites et simplificatrices de l’OTAn dans ses information Operations, programmes destinés à convaincre les Afghans de la légitimité de la présence occidentale, achèvent de saper la crédibilité des forces militaires.

Force est de constater pourtant qu’aucun modèle concurrent ne semble être en mesure de gagner l’ensemble de la population et assurer la reconstruction de l’Etat afghan.

Le modèle taliban, s’il propose un cadre idéologique, politique et religieux complet et cohérent, est entaché par la dure expérience qu’en ont faite les Afghans pendant cinq ans (1996-2001), une période marquée par le recul économique, le délitement de la structure étatique et l’intolérance religieuse pour la majorité de la population. Formés dans les madrasas pakistanaises et financés en grande partie par le Pakistan – les salaires, dit-on, de l’administration talibane étaient versés directement aux fonctionnaires par le Pakistan – les Talibans sont assimilés à l’action de la puissance voisine. L’expérience difficile du régime taliban et la dépendance à l’égard de l’étranger sont des obstacles structurels à l’horizon des prochaines années, qui rendent peu crédible le rétablissement de l’autorité talibane à Kaboul, malgré les avancées notoires des derniers mois et les efforts récents du Mollah Omar.

Les seigneurs de la guerre, les warlords, qui se sont imposés depuis la Loya Jirga - l’assemblée constitutionnelle - de juin 2002 comme des acteurs incontournables de la vie politique afghane, n’offrent pas de modèle global de société. Au contraire, leur puissance fondée sur la culture du pavot et le système de domination qui l’accompagne s’est étendue grâce au délitement de l’autorité centrale et à la fragmentation du territoire induites par l’intervention militaire. ironiquement, ils sont les grands gagnants de l’opération « Enduring Freedom». Leur forte assise locale repose précisément sur

l’absence de modèle consensuel et structurant à l’échelle nationale. Leur vision de la société est assimilable tout au plus a un système économique proche du féodalisme, garanti par un service de sécurité musclé. Quant au gouvernement d’Hamid Karzai, il suffit de dire qu’il satisfait les

warlords pour comprendre que son influence et sa crédibilité ne s’étendent guère au-delà des marches du palais présidentiel de Kaboul.

Il semble fort difficile, dans le contexte actuel, de s’extraire de l’impasse idéologique afghane. Bien que certains y voient

afghane. En conclusion, rompre avec l’image de citadelle imprenable s’impose comme une étape incontournable, pour les Etats-Unis et ses alliés, du rétablissement de la crédibilité d’un modèle fondé sur des valeurs de tolérance, d’égalité et d’ouverture.

Anna SchusterEtudiante en 4ème année, Master Affaires internationalesCet article a été réalisé avec l’aimable collaboration de

Robert Kluijver. Professeur à Sciences-Po, il a travaillé pendant six ans en Afghanistan, sous le régime des talibans, puis pour l’UnAMA (United nations Assistance Mission to

Afghanistan) et l’Open Society institute.

la manifestation pratique du fameux choc des civilisations, une analyse appropriée du contexte national met en évidence l’indigence de l’offre idéologique.

« Ils peuvent tuer toutes les hirondelles, ils n’empêcheront pas la venue du printemps » dit un proverbe afghan. La réintégration de l’Afghanistan dans la communauté des Etats garantit l’aide au développement, mais fait aussi écho aux racines identitaires du pays. Capitale orientale de l’empire d’Alexandre, étape incontournable de la route de la soie, l’Afghanistan a une longue tradition d’échange et d’ouverture. Rétablir ce prestige et effacer l’image chaotique du pays est un désir porté par de nombreux Afghans. Les exilés de la guerre civile revenus en masse au début des années 2000, mais aussi les jeunes – plus de la moitié de la population a moins de 16 ans – sont les plus sensibles à cette réintégration. La progression de l’accès collectif à internet jusque dans les villes moyennes de province où les cybercafés se multiplient est un indicateur significatif d’ouverture au monde.

A l’horizon des dix prochaines années, les Occidentaux peuvent miser sur ce désir d’intégration, à condition qu’ils l’encouragent et dépassent l’ambiguïté de l’intervention en Afghanistan, entre volonté de s’engager et rejet de l’identité

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La diplomatie culturelle du Japon

Comment le Japon développe-t-il au travers du soft power sa diplomatie culturelle

et sa capacité d’influence sur le monde ?

« Faire du Japon une nation pacifique ouverte aux échanges culturels », voici le leitmotiv du rapport

remis en 2005 par le Conseil pour la promotion de la diplomatie culturelle. L’objectif, ainsi défini, de la diplomatie d’un Japon « entravé » par son article 9 et l’interdiction du recours à la force, ainsi que par l’encadrement très strict des modes d’intervention des Forces d’autodéfense, serait de promouvoir la paix mondiale au nom de l’idéal de la nation pacifique (heiwa kokka) et d’inciter au dialogue des cultures et à la coexistence (kyôsei).

Ce fut grâce au développement de sa puissance financière au cours des années 1980 que le Japon s’est imposé comme l’un des principaux donateurs publics internationaux, renforçant ainsi un soft power compensateur. Et, bien que les difficultés

budgétaires l’aient incité à réduire son aide publique au développement, le Japon reste, avec 9,4 milliards de dollars en 2008, le cinquième dispensateur d’aide mondiale. L’Asie, longtemps première bénéficiaire de l’aide japonaise au développement, a cependant été supplantée en 2000 par le continent africain1.

Les années 1980 ont également été le théâtre du tournant culturel pour le soft power japonais. En effet, la « décennie perdue » des années 1990 ne l’a pas été pour tout le monde. Si économiquement et socialement, le Japon a peiné à la surmonter, cette période a aussi été celle d’un bouillonnement de la culture populaire japonaise, dont l’exportation s’est accrue depuis les années 1980. Les « produits de plaisir pur »2, destinés à l’homo ludens post-moderne, se sont répandus à travers l’Asie et l’Occident et parmi eux, un nombre croissant de produits Made in Japan, des jeux vidéos adaptés aux consoles du même producteur, aux mangas, animes et films, accompagnant la culture traditionnelle (théâtre, poésie, littérature).

C’est à la suite de cette expansion formidable que le gouvernement a progressivement développé le concept de diplomatie culturelle, dans la droite ligne de l’usage politique du soft power selon Joseph nye. Le rapport de 2005, précédemment cité, lui donne trois objectifs : accroître la compréhension du pays et améliorer son image en éveillant l’intérêt et la curiosité ; cultiver le dialogue interculturel pour prévenir les conflits ; développer des valeurs et des idéaux universellement partagés. A ces trois objectifs s’ajoutent trois principes d’action : transmettre une culture plus « cool », mieux adaptée au XXième siècle ; accepter les autres cultures pour développer une créativité mutuelle ; contribuer à la coexistence en servant de pont entre les cultures et les valeurs.

“A cool diplomacy for a cool Japan” résumerait bien le mot d’ordre du MOFA à ses diplomates. La culture est devenue une affaire de diplomates internationaux et force est de constater qu’il n’est pas un Etat qui n’ait pris acte de ce changement et réorienté une partie de l’activité de sa représentation diplomatique vers la coopération culturelle et l’exportation de biens et d’idées. Le rapport de 2005 insiste entre autres sur la diffusion des produits culturels (J-Pop, films, manga, anime…) et le développement des capacités et réseaux de transmission et de collaboration, notamment à destination de l’Asie orientale mais également du Moyen-Orient. Ainsi, le soft power japonais n’est pas, en priorité, destiné à l’Occident mais vise d’abord et avant tout ses voisins extrême-orientaux.

Comment le Japon pourrait-il utiliser comme instrument de soft power les biens culturels, qui fleurissent sur le marché international ? Le marché asiatique des biens à haute valeur ajoutée culturelle représente près de 300 millions de

consommateurs au niveau de vie élevé et entièrement acquis aux modes de consommation japonais, bien que très critiques vis-à-vis de l’interprétation historique du Japon et du tournant nationaliste pris à partir des années 1980. En Occident, le boom de la culture populaire japonaise est croissant depuis plus d’une vingtaine d’années.

Quel bénéfice le Japon en a-t-il retiré ou en espère-t-il ? Il est possible de prendre l’exemple du manga, le plus frappant tant dans son expansion rapide que dans la place primordiale qu’il

semble avoir pris dans l’imaginaire des jeunes générations. Leur vision du Japon a changé et les mythes n’hantent plus tant le Pavillon d’Or, les temples shintô (jinja) et leur festivals attenants (matsuri) que les rues branchées des quartiers d’Harajuku, d’ikebukuro ou d’Akihabara. L’attractivité

des produits japonais tient sûrement d’un savoir-faire national, largement imprégné de son histoire sociale, politique, culturelle et littéraire mais également du fait qu’ils apparaissent comme des « produits de la globalisation culturelle » (Jean-Marie Bouissou). Pour autant, l’intérêt pour le Japon et sa culture s’est accru et in fine le Japon a finalement misé sur une industrie du tourisme, largement délaissée jusque dans les années 1990. En conséquence, le Ministère de la Culture japonais a progressivement mis en place diverses célébrations de son patrimoine culturel, notamment par la nomination d’ « Ambassadeurs » de la culture populaire japonaise, afin de promouvoir la place du Japon en tant que grand exportateur de produits culturels, le deuxième derrière les Etats-Unis. Le JETRO, organisme extérieur de promotion économique, s’est également impliqué au niveau culturel.

En contrepartie, le mode d’expression particulier qu’est le manga a été repris dans toute l’Asie et réadapté par certains Etats pour développer leur propre industrie culturelle et justifier une certaine indépendance vis-à-vis du Japon. Ainsi s’est développée en Corée du Sud et plus récemment en Chine une industrie nationale, respectivement du manhwa et du manhua, preuve que des produits culturels renvoient aussi à des enjeux d’identité et de politique. il serait cependant réducteur de limiter le soft power japonais à son industrie culturelle. Claude Meyer3, dans une interview au Paris Globalist, rappelle que « si la culture est la première à venir à l’esprit lorsque l’on évoque le soft power, le Japon a entre autres également exporté très largement ses méthodes de production et son système économique au reste de l’Asie orientale ».

Sébastien Deniauétudiant en 5ème année

Master Affaires internationales

1 Meyer, Cl., « Chine ou Japon. Quel leader pour l’Asie ? », Presses de Sciences Po, Paris, 2010, p.1392 Bouissou, J-M., « Pourquoi aimons-nous le manga ? », Cités n°27, 20063 Claude Meyer, docteur en sciences économiques, a longtemps vécu et travaillé au Japon pour une banque japonaise. il enseigne notamment l’économie internationale à Sciences Po.

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Au carrefour des Andes et des herbages de l’Altiplano péruvien, les rives du lac Titicaca

furent jadis le berceau de civilisations anciennes. Aujourd’hui, la région abrite des populations d’ascendances aymara et quechua, qui luttent pour conserver leur identité culturelle et leur mode de vie traditionnel. Face à l’afflux de touristes, les communautés ont adopté des attitudes différentes et parfois ambiguës. En effet, les voyageurs apportent les revenus économiques nécessaires à leur survie mais aussi les germes du changement menaçant leur identité.

Les îles flottantes du peuple Uros, principale attraction touristique du lac Titicaca, sont aujourd’hui confrontées à une commercialisation effrénée. Le métissage avec des indiens de langue aymara a entraîné la disparition des Uros pure souche et de leur langue. Ces îles sont confectionnées avec des roseaux légers appelés totora qui poussent en abondance dans les eaux peu profondes du lac. La vie des Uros est

indissociable de ces plantes, en partie comestibles, qui servent aussi à réaliser leurs maisons, leurs bateaux et l’artisanat qu’ils vendent aux touristes.

Cependant, le mode de vie simple et dénué des anciens Uros se perd progressivement, et de nombreuses familles ne vivent plus à temps plein sur les îles, regagnant leurs maisons de tôle, avec télévision et électricité, dès que les derniers bateaux de touristes ont regagné les rives du lac.

Plus éloignés de Puno, les 2.000 habitants de l’île de Taquile ont vécu relativement isolés du reste du pays jusque dans les années 1950. Peu encline aux mariages extracommunautaires, la communauté préserve farouchement son identité et n’est que peu influencée par le modernisme du continent. Ainsi, des traditions ont pu subsister : importante vie communautaire, prise de décision collective, langue quechua ou encore une culture artisanale qui suit des coutumes sociales spécifiques.

Le pérou, entre tradition et modernité

Un habitant des îles Uros montre la composition du sol et la profondeur du lac.

Les habitants de l’île de Taquile font revivre les danses traditionnelles mimant le rythme des saisons et des activités agricoles.

Les hommes portent des bonnets de laine aux mailles serrées qu’ils tricotent eux-mêmes tout en marchant. Les couleurs ne sont pas choisies au hasard : rouge pour les hommes mariés, rouge et blanc pour les célibataires. Les autres teintes peuvent refléter la position sociale présente ou passée.

Habitations en totora sur les îles flottantes des Uros.Les bateaux Uros traditionnels abritent désormais les touristes venus visiter les îles.

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Le tissage, hérité des anciennes civilisations inca, Pukare et Colla, fait partie de l’activité quotidienne des habitants de l’île qui ont su maintenir vivants certains aspects des cultures andines préhispaniques. Le tourisme, contrôlé et limité par les habitants eux-mêmes, a favorisé le développement de cette économie textile. Aujourd’hui, les habitants tentent de concilier les changements rendus nécessaires par la demande croissante et le maintien des styles et techniques traditionnels du tissage.

Les défis rencontrés par les communautés Uros et taquilienne illustrent la difficile adaptation des populations du lac Titicaca à l’intensification des échanges avec le reste du Pérou et les touristes. Les habitants des îles adoptent des stratégies différentes pour faire face à ces bouleversements mais deviennent progressivement dépendants des revenus générés par le tourisme, au risque de perdre leur identité culturelle, leurs coutumes et leur mode de vie traditionnels.

Florence CouqueEtudiante en 5ème année

Master Affaires Publiques

Femme aymara sur le bord d’une île Uros.Un enfant de Taquile porte les vêtements caractéristiques de l’île : le chullo, bonnet tricoté avec oreilles, et la ceinture tissée qui illustre le cycle annuel des activités rituelles et agricoles.

Costumes traditionnels (et sac Spiderman !).

Les femmes tissent de larges ceintures colorées pour leurs maris qui les portent sur des chemises blanches en tissu grossier et d’épais pantalons noirs coupés au mollet.

Les femmes portent de nombreuses jupes superposées et des blouses finement brodées.

Crédit photographies : Florence couque

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Canada has confirmed its remaining 2800 troops to be removed from Afghanistan by end 2011. Over this

period, tens of thousands of soldiers from other countries will also leave Afghanistan. it is estimated that approximately one third of all soldiers deployed to Afghanistan will suffer from post-traumatic stress.

The difficulty soldiers face in transitioning from an intense combat zone back to former lives and families is grossly underestimated both by political and military institutions. Some feel an overwhelming sense of guilt having left compatriots in the field, others feel angst related to acts committed or witnessed in combat. The resulting influx of soldiers returning from iraq and Afghanistan suffering from such psychological trauma is worrisome. According to recent reports by mental health experts, post-deployment military suicides in the US to date outnumber the total combat related deaths in Afghanistan and iraq combined. in Canada, the number of operational stress injury cases in 2007 represented an increase of over 400% over the five years prior.

Albeit impossible to make a historical comparison, a clear phenomenon of the 20th century is the shift away from classical inter-state to intra-state warfare, and thus the disappearance of clearly identified actors. “Winning hearts and minds” of communities also raises the issue of heightened interpersonal interaction with a foreign population, for which soldiers lack psychological preparation. With the disappearance of front lines and the lack of uniforms, one can neither escape to a so-called safe area, nor distinguish between warring factions and civilians. This shift has had a profound impact on the soldier’s psyche. Exposed to hostile environments in active combat for extended periods of time, they are understandably unable to cope.

The US, in their own struggle against stress disorders, have committed 50 million dollars to conduct research in order to address the issue of post-deployment suicide, but with few concrete implementations to date. And yet the urgent need persists. An upsurge in health claims related to tours in iraq and Afghanistan has resulted in a sharp spike in unprocessed health claims from 253,000 to over 400,000. This increase has slowed processing time and access to treatment, averaging a considerable delay of over five months. Without early detection and treatment, the soldiers’ symptoms of depression, insomnia and flashbacks worsen. This can lead to self-isolation, the inability to work, substance abuse, destruction of families and ultimately, suicide.

To address this problem, Canada has adopted an innovative approach to psychological treatment that deserves recognition. Since 2001, ten OSi (Operational Stress injuries1) clinics have opened across Canada, as well as 19 Support Centers for military families, with a commitment to hire 218 mental health professionals. dr. Charles nelson2, Psychologist of the London OSi Clinic, shares his perspective with The Paris Globalist: “For many veterans asking for help does not come easy. Thankfully, the peer-support program with the Operational Stress injury Support System (OSiSS) helps break down the stigma of experiencing mental health problems as a

result of military service.” These specialized medical facilities are partnered with advocacy campaigns and peer networks to reach out to sufferers. The peer-support program is the most innovative part of treatment: it breaks down the taboo of mental illness by enabling soldiers to share their experiences, in a safe environment. This successful grassroots initiative, coupled with the OSi institution-based programs, has created a multi-faceted, comprehensive and effective approach to treatment. Senator Romeo dallaire, dedicated advocate of OSiSS, believes that “peer interventions are saving us a suicide a day.”

Acknowledging the progress made to date, mental health still remains a major issue in the Canadian military. The available programs and services remain reactive, but need to be paired with proactive solutions in order to treat the problem at the root. Canada has recently invested in psychological testing and preventative training in order to better identify symptoms and stress coping abilities of soldiers prior to deployment.

despite the realization of the tremendous psychological repercussions suffered by its soldiers, Canada’s security agenda and decades-long commitment to human security is not expected to change in the foreseeable future. What has changed within Canada’s military operations is the peacekeeping mandate from classic observation to nATO’s,

and the Un’s expanded roles in peace-building. Lightly armed neutral observers have become active combatants, a mandate which Canadians have accepted, and with it, significantly greater risks to their

personnel. Today, the number of PTSd affected soldiers seems exponentially greater than could have ever been predicted. if nothing would indicate that this progressive acknowledgement of the scale of the problem could impact the political will to deploy, it has at least piloted the development of infrastructure and support systems required behind such military efforts.

Leading in the field of mental health, this visible commitment to personnel is a reassuring and humanist approach to a once impersonal and inflexible military institution, a paradigm shift that could very well have future implications on the general tolerability of war.

Katelyn Potter Master Affaires internationales

Membre de la marine canadienne depuis 2002

1 The term OSi was introduced to replace the term stress-related disorders as part of an initiative to de-stigmatize mental illness in the military community. The term “OSi” is not a medical condition: it is to be used within a non medical context to describe various types of psycholo-gical difficulties that can develop as a result of military operations.2 dr. Charles nelson, Ph.d., C.Psych, is a Psychologist of the London OSi Clinic, Parkwood Hospital, Canada.

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The Human Cost of War: How Canada is Coping with

its soldiers’ Mental Health issues

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War claims lives not only in combat, but long after, through the intense psychological trauma suffered by soldiers. Canada has taken a unique approach- worthy of consideration- to treating the recent influx of post-combat stress in soldiers. If made easily accessible to all soldiers, this multi-faceted program could impact not only on the victims, but society as well, challenging the general acceptance of war and the traditional way soldiers are deployed.

One third of all soldiers deployed to Afghanistan will suffer from

post-traumatic stress

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Brazil: The new Eldorado?Brazilian aspirations to become a major global player go beyond that of national rhetoric, with real potential to succeed.

Brazil has enjoyed a great deal of popularity over the past few years. President Lula plays an important role on this

matter, through his charisma and ability to skillfully govern the giant that Brazil is. Just as interesting is the country’s gain of territory in the international arena regarding Brazil’s ambition to become a major global player. The country has managed to increase cooperation with its neighbors, consolidated alliances overseas and, above all, has gained influence regionally and internationally. Many believe Brazil’s buildup and recent success to be the path the country has tried to follow for so many years, the one that leads to becoming a major actor on the international scene. Will the country fulfill this golden destiny?

Regarding material aspects, Brazil does not have the ambition to be a military power, having estimated military expenditures close to 2% of what the US have spent in 2006. Then again, Brazil’s opportune geo-political strategy makes it possible to focus on other matters, since the country has the material conditions to do so, presenting the largest territory and population in the region and also having cleverly leaded moderate foreign policies focused on alliances and economic development rather than engage in acts of force.

Brazil is part of the select group of strong emerging countries referred to as the BRiC countries (Brazil, Russia, india and China). in examining Brazil’s position as compared to the other BRiCs, it may appear disappointing, with an economic growth rate of 3,7 % in 2007, far below that of China, 11.7%, or india with 9.0% according to the World Bank. And still, Brazil remains a prospect of success in the international arena. How can this be explained?

To begin with, economic growth must be analyzed more thoroughly, because, even if Brazil remains slightly behind the other BRiC countries in terms of economic growth, Brazil can pride itself on having a $1.58 trillion GdP, joining the world’s privileged top ten ranking. The strength of Brazil’s economy and resilience is reinforced by the country’s ability to cope in light of the international financial crisis. Export rates and investments decreased, but did not prevent Brazil from an overall positive performance over the period. And the country has low unemployment rates, comparable to Germany among other European nations, and lower than that of Spain.

in addition, there is great diversity in Brazil’s economy, in various sectors such as oil, mining, agriculture and a new addition, bio fuels, perhaps the most interesting strategic resource, a true coup de génie. Ethanol and bio diesel are both clean technologies, providing a viable market alternative and reduce dependence on fossil fuels. This presents a certain level of independence regarding such energy resources. The high oil prices have given a new strategic value to bio fuels, both economically and politically, becoming a key topic on the international agenda, and subject of the Copenhagen forum. The country also boasts a great capacity to produce hydroelectric energy – about 85% of the country’s consumption - and ranks among the top ten largest oil reserves in the world. in the agriculture sector, the country has become a leader in sectors such as soybeans, cotton, sugar cane, tropical fruits and corn.

These facts point to recent Brazilian triumphs, made possible through the empowerment of national political institutions and the democratic process. The impeachment of President Fernando Collor in the 1990’s and reoccurring corruption scandals caused the country as a whole great strife. nevertheless, Brazil has established great political stability, largely due to President Fernando Henrique Cardoso who struggled to gain international credibility and to combat the hyperinflation. He left a legacy of sound democratic structures which enabled future progress, promoting a considerably more diversified foreign policy, focusing both on trade and political influence, in particular throughout South America. MERCOSUR is most certainly a product of its era.

President Lula’s arrival in 2003 brought with him new ambition, in his attempt to intensify relations with neighboring countries. This was perhaps too much too soon and put into question Brazil’s credibility in the region, specifically through the proximity to the President of venezuela, Hugo Chavez, and other leftist governments. Some felt that Brazil would act in accordance with leftist expectations within the region and a partial refusal of the neo-liberal model. However, Lula’s government has showed no intention of complying, honoring previous trade commitments and fully abiding by the Washington consensus.

Compared to the other BRiC countries, Brazil is recognized as the more democratic and peaceful of the group, with no problems regarding ethnic violence, neighbor enemies nor aspirations to possess a nuclear weapon. With solid institutions and stability, leaders feel greater legitimacy to exercise Brazil’s role as a mediator, which is expressed by its engagement on the Honduras incident and the increasing participation in

international humanitarian missions such as in Haiti. Brazil has nonetheless fought to maintain an independent position, in particular regarding trade issues. The attempt to obtain permanent membership to the Un Security Council is where the strategy focused on international influence becomes more evident and alliances such as the G5 are developed.

in both political and economic terms, Brazil has made considerable progress towards its plan to become the global player. And yet, it must be recognized that there are no shortcuts. in order to achieve this global status, Brazil must

first address many internal issues, such as corruption, general social inequalities and substandard education. The success in light of these challenges depends on the continued dedication to

its successful strategies and on substantial innovation within the aforementioned sectors, the most difficult task.

in view of October’s upcoming elections, Lula’s time is quickly running out and the rumors that point to a possible “right turn” in Latin America may touch the continental promise that is Brazil. But whether it be Cardoso’s political party or Lula’s successor that opens the new chapter of Brazilian history, all evidence points to the country’s dedication and capacity to carry on its march hasta la victoria.

Aline Marsicano Figueiredoétudiante en 5ème année

Master Affaires internationales,En échange à Columbia University

Brazil has made considerable progress towards its plan to become the global player

1 Brazil’s, 9.3% in 2008 and 7.9% in 2009; Germany’s, 9.0% and 7.8%; Spain’s, 8.3% and 13.9%.

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Après un an de présidence, quelle diplomatie pour Jacob Zuma ?

Critiqué en Occident, le président Zuma effectue pourtant des débuts surprenants. S’il honore l’héritage de l’ANC en matière de droits de l’homme, il renforce aussi le leadership sud-africain sur le continent et multiplie les partenariats économiques afin de combattre la récession. La diplomatie sud-africaine semble cesser de voir les relations internationales à travers le prisme de l’apartheid.

Polygame, tribun populiste, acquitté pour des affaires de viol et de corruption : voici comment l’Europe décrit

souvent Jacob Zuma, 68 ans, président de la République d’Afrique du Sud, élu depuis près d’un an. Cet habile tacticien s’est fait élire le 20 avril 2009 sur des questions intérieures, en promettant une baisse de la pauvreté et une hausse de l’emploi. Les résultats sont pour l’instant nuls dans ce domaine, un an après le discours d’investiture du 9 mai 2009. Ce jour là, il s’était contenté de réaffirmer les vieux principes de l’African national Congress en politique extérieure :

refus de l’impérialisme, coopération Sud/Sud, promotion des droits de l’homme. On fut loin des desseins de « Renaissance africaine », annoncés bruyamment par Thabo MBeki en 1999.

Pourtant, un an après, l’appliquée « diplomatie Zuma » semble avoir réussi ses débuts. Elle s’est d’abord montrée promotrice des libertés fondamentales dans le monde, une orientation depuis toujours inséparable de la politique de l’AnC. La Freedom Charter du 26 juin 1955 indique : “All Shall Enjoy Equal Human Rights […] from South Africa

abroad”. Ainsi, en faisant campagne pour l’envoi d’une aide humanitaire supplémentaire au Sri Lanka après la défaite des tigres tamouls en mai 2009, le gouvernement n’a pas dérogé à cette règle. Sur la question du darfour, Zuma et sa ministre des Affaires étrangères, Maite nkoana-Mashabane, ont indiqué qu’ils arrêteraient le chef d’Etat soudanais Omar El-Béchir s’il se rendait sur leur sol. Ceci a fortement mécontenté l’Union Africaine, majoritairement opposée à l’application de ce mandat d’arrêt. Toutefois, les Sud-Africains ont aussi critiqué le manque de soutien des nations Unies aux populations du darfour, empêchant ainsi la rupture avec l’Union Africaine.

Cet épisode montre que l’Afrique du Sud souhaite se conformer aux règles onusiennes tout en affirmant son leadership sur le continent africain, facilité par la personnalité de Jacob Zuma. En effet, « mises à part les élites occidentalisées, les populations d’Afrique l’apprécient et voient en lui un véritable Africain, fier de sa culture zouloue » assure Marianne Séverin1 au Paris Globalist. Fort de sa popularité, il a pu mener une action entre compréhension et fermeté au Zimbabwe. La formation d’un gouvernement d’union nationale s’éternisait pendant l’intérim de Kgalema Motlanthe à la présidence de l’Afrique du Sud, de septembre 2008 à juin 2009. depuis, Zuma a durci son discours face à Mugabe, et le gouvernement s’est formé. Mais il ne faut pas exagérer son influence, compte tenu des négociations préalables des ministres et du conseil exécutif de l’AnC d’un côté, et de l’aide financière américaine de l’autre.

En fait, l’Afrique du Sud n’hésite plus à présenter sa diplomatie comme un instrument au service de son développement économique, ce qui n’était jamais dit explicitement avec nelson Mandela ou Thabo MBeki. Le nouveau « Département des Relations internationales et de la Coopération » s’appuie d’ailleurs sur des agendas de cinq ans contenant de nombreux objectifs économiques2. Pour les remplir, le Président ne veut s’interdire aucun partenariat.

Plusieurs réunions ont déjà eu lieu entre l’Afrique du Sud, l’inde et le Brésil, centrées sur le renforcement de leur coopération économique et environnementale. Jacob Zuma doit prouver à l’aile gauche de sa coalition que sa diplomatie peut aider à faire baisser dans son pays la pauvreté et le chômage, officiellement estimé à 24%. Pour ce faire, Pretoria souhaite renforcer ses liens avec les trois plus grands pôles économiques représentés au nouveau G20 : les Etats-Unis, l’Union Européenne et la Chine. « Le gouvernement sud-africain demande un échange gagnant-gagnant aux grandes puissances : il ouvrirait le marché intérieur en échange d’une coopération dans le domaine de la formation » ont

expliqué des sources officielles au Paris Globalist. Et cette formule convient aux européens, puisqu’elle a été inscrite dans la déclaration finale du sommet UE-Afrique du Sud en

septembre 2009.

Mais un tel partenariat est encore difficile à envisager avec les Etats-Unis. Jacob Zuma tente d’effacer les traces des critiques de Washington concernant la politique de santé publique sud-africaine. Les propos de Thabo Mbeki, pendant son mandat, contestant l’origine

virale du sida avaient été si sévèrement condamnés que la défiance historique de l’ANC vis-à-vis des Etats-Unis est depuis redevenue vive. Le Président actuel s’emploie donc à rendre régulièrement hommage à la politique « progressiste » du président Obama, qu’il n’a toujours pas rencontré. En revanche, il s’est entretenu de nombreuses fois avec les dirigeants chinois pour augmenter les échanges de marchandises entre les deux pays, ce qui a fini par nuire au gouvernement. En effet, la fabrication en Chine des mascottes de la Coupe du Monde de football a choqué bon nombre de sud-africains. L’Afrique du Sud semble à l’avenir vouloir faire de la Chine un discret partenaire économique, et non plus politique3.

Jacob Zuma incarne la lente maturation de la diplomatie sud-africaine depuis la fin de l’apartheid. La critique de l’impérialisme ou l’invocation lyrique de la « Renaissance africaine » ne sont plus au programme. Pretoria agit pour

ancrer son leadership en Afrique, pour porter la voix des pays du Sud et pour dynamiser son économie grâce à des partenariats avec les principales puissances. A ce titre, la Coupe du Monde de football organisée en juin 2010 en Afrique du Sud pourrait être, pour le pays, l’occasion de montrer au monde entier sa qualité de puissance émergente dynamique. ironie du sort,

« la Renaissance africaine » clamée par l’ancien frère ennemi de Jacob Zuma, Thabo MBeki, revient au centre de l’actualité.

Louis Boillotétudiant en 2ème année

1 Marianne Séverin est Chercheur Associée à Sciences Po Bordeaux - Centre d’Etude d’Afrique noire (CEAn). Spécialiste de l’AnC, et de la formation du leadership en Afrique du Sud après l’apartheid, elle a en 2009 signé un portrait de Jacob Zuma dans Jeune Afrique. 2 Le gouvernement souhaite par exemple faciliter les investissements de la diaspora en Afrique du Sud.3 Si Nelson Mandela avait pris parti pour la Chine dans son conflit avec Taïwan, l’exécutif sud-africain ne soutient aujourd’hui plus si explicitement la Chine dans ses conflits territoriaux.

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En fait, l’Afrique du Sud n’hésite plus à présenter sa diplomatie comme un

instrument au service de son développement économique

Pretoria agit pour ancrer son leadership en Afrique, pour porter

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India and Pakistan

Augmenting its soft power, india is playing a major developmental role by pledging more than $1.2 billion to build Afghanistan’s shattered infrastructure. Some of the major indian development projects include the new parliament building, erecting power transmission lines in the north, and building roads to facilitate transport. This rising Indian profile in Afghanistan has rattled Pakistan as the two archrivals escalate their presence in the war-torn country. Pakistani officials accuse Indian embassies and consulates in Afghanistan of arming, training and funding Baloch insurgents as well as elements of the Pakistani Taliban for sabotage and subversion operations against Pakistan. in the same vein, india blames Pakistan for rising attacks against indian interests within Afghanistan. The indian Embassy in Kabul has been the site of two deadly suicide bombings blamed on local Taliban elements. Allegedly aided by Pakistan’s inter-Services intelligence (iSi), an increasing number of indian nationals working on reconstruction projects have been targeted. islamabad’s continuing links with the Taliban, reinforced by Western as well as indian intelligence sources, stem from its strenuous efforts to contain india and re-gain its lost strategic depth once Western forces evacuate the country. in a rare media briefing to journalists in February, General Ashfaq Pervez Kayani, Pakistan’s powerful Chief of Army Staff, put it succinctly, “We want a strategic depth in Afghanistan but do not want to control it”, he adds, “A peaceful and friendly Afghanistan can provide Pakistan strategic depth.” Pakistan’s readiness to train the Afghan army in response to a similar offer made by New Delhi reflects Islamabad’s concerns over rising Indian influence in Kabul. Expect a rising body count as an intensifying proxy war between the two mortal foes plays out in the Afghan theatre

Russia

Still smarting from its disastrous intervention in Afghanistan in the 1980’s, Russia has no stomach for another military adventure in the region. Yet, the Kremlin harbors no desire to witness another Taliban takeover in its strategic backyard which could embolden Jihadist fighters in Chechnya,

dagestan and Central Asia as a whole. Having faced the ignominy of a military defeat in Afghanistan, the Russians are more interested in a diplomatic rather than military solution to the crisis and provide significant economic assistance to the Hamid Karzai government in Kabul. Moscow views with disquiet the increasing American military presence in the region, as well as recent American overtures to Central Asian countries for bilateral transit treaties that would allow the flow of critical military supplies into Afghanistan as an alternative to Pakistan. Not willing to play second fiddle to their Cold War rivals and highly suspicious of Pakistani machinations, the Russians have stepped up their engagement with the Karzai administration in tandem with key players such as iran and india through regional forums such as the Shanghai Cooperation Organization (SCO).

China

Another major actor in the arena, China has huge stakes in a stable and prosperous Afghanistan to secure its Western corridor in order tap its growing energy interests in Pakistan, iran and Central Asia. Moreover, Beijing is wary of a Taliban victory as this could directly impact the restive Muslim-majority province of Xinjiang. Like its enormous African safari, Beijing is also pumping massive economic firepower into infrastructure projects in Afghanistan. With an eye on Africa’s treasure trove of natural resources, China has embarked on a massive aid and investment spree to modernize the continent’s creaking infrastructure by building new and better roads, schools, computer networks, telecoms systems and power plants. While China’s foray into Afghanistan barely measures that of Africa, Beijing has reportedly promised to invest $3 billion in one of the world’s largest copper mines south of Kabul. Through this calculated maneuver, the Chinese have seemingly announced their intentions of leveling the playing field with the US through economic and possibly military assistance to Afghanistan. On the eve of President Karzai’s bilateral visit to Beijing in March, Zhang Xiaodong, deputy Chief of the Chinese Association for Middle East Studies, told the government-owned China daily, “As Afghanistan’s neighbour, China is very concerned about the country’s future”. in a subtle hint of shifting geopolitical

priorities, Zhang hinted, “Afghanistan should cut reliance on the US. At the moment, Washington is deeply involved, and it makes other neighbours nervous. Karzai now hopes to seek more support from other big countries and find a diplomatic balance,» At the twilight of the Afghan War, the stage is set for Beijing’s increasing involvement in its embattled neighbourhood.

Iran

Finally, Afghanistan’s enormous neighbour to the west, iran, faces a dangerous ideological adversary in the Sunni Taliban. The iranians will not easily forego the brutal murder of their diplomats at the hands of the Taliban in 1998 that almost escalated into a military conflict. The regional giant commands significant influence among the Shia Hazara minority as it also pumps in significant economic investment to develop the country. Tehran certified joint investment companies, sponsored food fairs, opened cement factories, extended purchase credits to traders, and trained commercial pilots. The extension of an electric line into the western Afghan city of Herat and joint sponsorship of highway projects with india throughout the Afghan west have been some of Tehran’s key projects. While iran is loath to accept a Taliban take-over of Afghanistan, it is wary of the presence of US-led nATO troops on its eastern frontier. Pentagon officials allege that Tehran supplies arms and other material to Taliban insurgents and other groups in Western Afghanistan. , With iran’s deepening ties with various Afghan communities such as the Shia Hazara and others, it is inevitable that any heightening of US-iranian tensions can be played out in a violent proxy face-off in the fiery deserts of the war-torn nation.

in the aftermath of the London Conference, the end game has intensified fears of further instability as Western forces gear for an eventual withdrawal. Held on January 28th 2010, the London Conference, attended by major actors in the international community, endorsed plans to transfer military leadership from nATO to Afghan security forces beginning at the end of this year and for the reintegration of the Taliban into the Afghan political structure via monetary benefits. Simmering tensions between regional powers are likely to boil over as consensus emerges regarding negotiations with the Taliban. A possible political settlement with the Taliban, with the involvement of Pakistan, is likely to spark reactions from india, China, iran and Russia including the backing of other anti-Taliban groups undermining any peace and stability in the region. Recent weeks have witnessed an upsurge in regional diplomacy as world leaders shuttled between new delhi, Moscow, Kabul, islamabad and Tehran - be it Prime Minister Manmohan Singh’s visit to Riyadh, President Mahmoud Ahmedinajad ’s visit to Kabul, President Hamid Karzai’s visit to islamabad, or Prime Minister vladimir Putin’s visit to delhi. As the clock in Afghanistan ticks down, the coming weeks and months are likely to witness an escalation of intensity in the cloak and dagger game being played between regional powers for the ultimate prize that is Afghanistan.

Brijesh KhemlaniMaster in Comparative Politics, London School of Economics

The Great Game Redux

Coined by 19th century British imperialists, the term Great Game was used to illustrate the Russian-British geo-political struggle for dominance on the strategic chessboard of Afghanistan and Central Asia. Marked by limited military engagements and intelligence forays, the Great Game was the Machiavellian embodiment of great-power politics and dominance in the region. Fast-forward to a century later and the game still continues. This time, however, the number of players has proliferated, the intensity of the violence is deadlier and the regional stakes are much higher. Seven years after being toppled by an American invasion, the Taliban has staged a bloody comeback as the besieged Hamid Karzai administration is rapidly losing credibility both home and abroad. Afghanistan is once again a proxy battleground as regional powers such as India, Pakistan, Russia, China and Iran jockey for power and influence in a nation poised on a razor’s edge.

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Leçons d’Haïti avant la crise

Au correspondant du journal Le Monde qui l’interrogeait sur « l’énorme défi que représente la reconstruction »

d’Haïti, le président René Préval répondait : « Le 12 janvier, en une minute l’Etat haïtien s’est effondré ». Ce constat pourrait aisément être appliqué à d’autres acteurs présents sur le terrain lors du récent séisme : organisations non gouvernementales (OnG), dont un grand nombre est issu de la diaspora haïtienne, et organisations supranationales, plus particulièrement l’important contingent de l’OnU à Port-au-Prince, que 25 kilomètres à peine séparaient de l’épicentre du séisme, près de Léogâne. Face aux défis immenses auxquels sont confrontés ces deux types d’acteurs, que peut nous apprendre le Haïti d’avant-crise sur la crise actuelle et sa résolution future ?

Il est à souhaiter que le séisme du 12 janvier 2010 permette aux forces

onusiennes d’améliorer leur image auprès de la population haïtienne et aux

organisations humanitaires de mieux coopérer entre elles, afin que leur action

sur le terrain gagne en efficacité.

L’élargissement du champ humanitaire ne s’est pas toujours accompagné

d’une professionnalisation de ses acteurs

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ONU et ONG avant le séisme, une action difficile

dans plusieurs villes et villages du Plateau Central et de l’Artibonite, les voitures blanches à lettres noires, OnU, sont bien connues. En effet, depuis 1993, date de la première intervention des nations Unies en Haïti, de nombreuses forces multinationales se sont déployées dans le pays, souvent sans pouvoir porter leur mandat à terme. Ainsi, la Mission des nations Unies en Haïti (MinUHA), confrontée au refus de coopérer des autorités haïtiennes, a dû avorter son action. De 1994 à 2001, d’autres interventions onusiennes ont suivi (MAnUH, MiTnUH, MiPOnUH), essuyant elles aussi des revers, avant la mise en opération, en 2004, de la Mission des nations Unies pour la Stabilisation en Haïti (MinUSTAH), créée par la résolution 1542 du Conseil de sécurité des nations Unies et dont la résolution 1892 proroge le mandat.

En parallèle, dans le secteur humanitaire, le nombre d’OnG a considérablement augmenté en Haïti, après la dictature duvaliériste (1957-1986) et suite à la première chute de Jean-Bertrand Aristide en 1991. Toutefois, cet élargissement du champ humanitaire ne s’est pas toujours accompagné d’une professionnalisation de ses acteurs, et bien que de nombreuses OnG en Haïti fassent aujourd’hui leurs preuves, d’autres ne parviennent pas à surmonter une réalité souvent difficile : manque abyssal d’infrastructures (notamment de routes), risque permanent d’instabilité politique, vagues plus ou moins

grandes et localisées de violences.

Surtout, c’est l’image de ces deux acteurs qui, avant la crise du 12 janvier, n’était pas toujours favorable. Ainsi, certains habitants de l’Artibonite et du Plateau Central ont rapidement apposé un épithète aux forces de la MINUSTAH: « volè kabrit », c’est-à-dire des « voleurs de chèvres » contribuant à ruiner l’économie locale. Plus grave encore furent des

accusations de viols, comme en 2005 aux Gonaïves. Comme l’explique Patrick Sylvain1, « Ces accusations concernaient surtout le contingent pakistanais des forces de la MinUSTAH et, à Port-au-Prince, l’expression petit pakistanais en est d’ailleurs venue à qualifier les victimes de viols ».

Plus largement, la vision d’une aide internationale ne servant que ses propres intérêts a souvent été employée dans les médias. Ainsi, un article publié le 30 décembre 2009 dans un quotidien national, Le Nouvelliste, déclarait sans ambiguïté : « C’est l’étranger qui planifie, finance et contrôle nos élections ». Plus loin, le même journaliste qualifiait l’ex-président américain Bill Clinton, devenu envoyé spécial de l’ONU pour Haïti, de « lobbyiste de luxe ». En août 2007, sans toutefois se faire porteur de telles accusations, l’actuel président René Préval avait lui aussi déclaré à des journalistes de la BBC que « si l’on demandait au peuple haïtien de dire s’il souhaitait que les forces de l’OnU s’en aillent, il dirait oui ».

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l’équipe du Paris Globalist remercie pour leur soutien

l’Association Française pour les Nations UniesSciencesPo.BNP Paribas

The Economist& l’Atelier de cartographie de SciencesPo.

The Paris Globalist - Association loi 1901 - 27 rue Saint-Guillaume75007 Paris

Responsables : nathan R. Grison, Eléonore Peyrat, inès Levy, Judith Chetrit

directeur de la Rédaction : nathan R. Grison Rédactrice en chef : Eléonore Peyrat

impression : impression design,17, rue de la Ferme, 92100 Boulogne-Billancourt

date de parution : Octobre 2010 - dépôt légal : à parution n°iSSn : 1969-1297

vALEUR : 5,60 € - 2500 exemplaires Tarif d’abonnement : prix normal pour un an (trois numéros)France Métropolitaine : 12,90 € TTCUE : 19,20 €dOM-COM et reste du monde : 22,40 €

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Contact : [email protected]

1 Auteur de nombreux ouvrages de poésie et de littérature, Patrick Sylvain enseigne le Créole haïtien à Harvard et Brown University. Les chiffres donnés datent de mars 2010.

Gagner en efficacité

Aujourd’hui, bien entendu, l’heure est à la gestion de crise et au soutien logistique, sécuritaire et financier (en tête de file, les États-Unis, dont l’aide d’urgence s’élevait à 100 millions de dollars, et la France, qui devrait verser plus de 326 millions d’euros à Haïti). Par ailleurs, la réponse tardive du gouvernement haïtien et le coup porté à la MinUSTAH (qui a perdu, parmi de nombreux employés, son Chef de mission, le Tunisien Hédi Annabi, dans le tremblement de terre) exigeaient de la communauté internationale une réponse commune.

Lles efforts de reconstruction devront se poursuivre bien au-delà, dans les mois et années à venir. Avec déjà des séismes majeurs en 1751, 1770, 1842 et 1946, il ne faut pas oublier que le tremblement de terre du 12 janvier 2010 (et sa cinquantaine de répliques) n’est pas le dernier qui frappera Haïti, d’où l’intérêt de regarder en arrière. Le 18 octobre 1751, les dégâts auraient été minimaux lors d’un séisme près de Port-au-Prince, mais plusieurs milliers d’haïtiens (surtout des esclaves) auraient péri suite à une famine dans le pays.

Le contexte aujourd’hui est certes entièrement différent. Pour autant, rester vigilant face aux nombreux risques qui font suite au séisme et apporter une aide sur le long terme n’en demeure pas moins crucial. L’OnU et les OnG auront un rôle clef à jouer en Haïti dans les années qui viennent. il est donc à souhaiter que l’image des forces onusiennes auprès de la population haïtienne et la capacité de coopération des organisations humanitaires s’améliorent pour que leurs actions sur le terrain soient ainsi rendues plus efficaces.

Mikael Schinaziétudiant en 3ème année à Harvard University

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