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L'INDIVIDU ET LE CITOYEN DANS LA SOCIÉTÉ MODERNE

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L'individu et le citoyendans la société moderne

Sous la direction de MARYSE POTVIN,BERNARD FOURNIER et YVES COUTURE

LES PRESSES DE L'UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

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Données de catalogage avant publication (Canada)

Vedette principale au titre :

L'individu et le citoyen dans la société moderne

Comprend des réf. bibliogr.

ISBN i-76o6-i775-o

i. Citoyenneté. 2.. Individu et société. 3. Citoyenneté - Canada.4. Ethnicité - Canada. 5. Indiens d'Amérique - Canada - Identitéethnique. 6. Territorialité humaine, i. Fournier, Bernard.il. Couture, Yves, 1965- . ni. Potvin, Maryse, 1964- .

jF8oi.i52 zooo 3i3-6 000-94042,6-0

Les auteurs remercient le ministère des Relations avec les citoyenset de l'Immigration du Québec pour son soutien financier.

Les Presses de l'Université de Montréal remercient le ministère duPatrimoine canadien du soutien qui leur est accordé dans le cadredu Programme d'aide au développement de l'industrie del'édition.

Les Presses de l'Université de Montréal remercient également leConseil des Arts du Canada et la Société de développement desentreprises culturelles du Québec (SODEC).

Couverture : Gaile Ray, Through thé Pire (détail), 1954© SuperStock

Dépôt légal : zc trimestre 2000Bibliothèque nationale du Québec© Les Presses de l'Université de Montréal, 2.000

IMPRIMÉ AU CANADA

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Introduction

MARYSE POTVIN et BERNARD FOURNIER

OUR APPRÉHENDER les phénomènes collectifs oules diverses formes de solidarités sociales, politiques et culturelles quise construisent au sein des sociétés d'individus dans lesquelles nousvivons, les spécialistes des sciences sociales ont recours à l'image degrands ensembles qui transcendent les individus : la nation, le peuple,la citoyenneté, la société civile, les communautés, les mouvementssociaux, etc. Ces concepts ont d'ailleurs constitué les assises de nom-breuses interprétations englobantes, « intégrées » et « holistes » desrapports entre individus et des modes de régulation sociale (systé-misme, fonctionnalisme, marxisme...). Mais ces conceptions ontaussi été l'objet de vives remises en cause (notamment par les post-modernistes), car aucune démocratie libérale ne peut être « une » et«totalisante», sans pour autant être réductible à un simple assem-blage atomisé d'individus (Thériault, 1997). En fait, la tension entreles logiques individuelle et collective, qui œuvrent à la fois à ladésintégration et à l'unification du social, renouvellent sans cesse sesconfigurations.

Les débats autour de ces concepts n'ont rien de nouveau. Ils ren-voient à la querelle des Lumières et des Romantiques, à l'opposition

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entre les deux traditions de la modernité: celle de l'universalismeabstrait, qui fait du sujet individuel la source de l'explication dumonde, et celle, particulariste, qui rappelle que l'individu est ancré ets'actualise dans un cadre sociohistorique (groupe ethnique, commu-nauté, culture, nation). Dans le premier cas, la société légitime estdéfinie en fonction de l'idée de raison universelle ; dans le second, enfonction de la praxis sociale. Ces deux traditions ont opposé, ensciences sociales, le constructivisme et l'historicisme, ou les appro-ches qui font passer l'individu en premier (les versions contrac-tualistes — ou libérales — du rapport individu/société) et celles quifont passer la société en premier (les versions communautariennes durapport individu/société).

Cette tension classique entre universalisme et particularisme, entre«société» et «individu», est souvent appréhendée aujourd'hui sousle signe d'un éclatement de la société et de la communauté politique.Plusieurs déplorent ou, au contraire, célèbrent le développementde l'individualisme dans les sociétés modernes (Taylor, 1989;Lipovetsky, 1987; Dumont, 1983; Lasch, 1979; Giddens, 1990).Certains l'associent à la montée de « tribalismes » menaçants pour lemaintien du lien social (Maffesoli, 1988) ou parlent d'un foi-sonnement de particularismes qui occuperaient l'espace politique parun ensemble de revendications identitaires (religieuses, ethniques,sexuelles, etc.) qui auraient remplacé les formes classiques de regrou-pements (les partis, les syndicats, les mouvements sociaux centraux).Ainsi, la multiplication des acteurs sociaux nés dans la foulée dumouvement pour les droits civiques aux États-Unis au cours desannées 1960 n'aurait plus reposé sur une représentation universellede « l'Homme », mais sur une volonté de libération et d'affirmationdu sujet personnel, particulier, sexué, racisé ou exclu. Le sujet indi-viduel s'est imposé dans toute son irréductibilité, comme le lieud'inscription de l'identité personnelle et des rapports à l'autre. Laremise en cause de l'universalisme « blanc, mâle et occidental » s'esfondée sur une vision décentrée du pouvoir et sur un désir d'élargis-sement de la démocratie, de même que sur une citoyenneté res-pectueuse des différences et de leur dignité. Mais dans cette logique,l'individu ainsi « singularisé » se trouve dissocié de la « société glo-bale» qui, elle-même, est de moins en moins définie comme unensemble culturel, social et politique «intégré» (Touraine, 1992,1997). L'individu est soumis à des exigences multiples, exercées par

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différents espaces politiques et sociaux qui se séparent: l'espace del'État, qui impose des formes d'identité à travers une gestion étroitedes citoyens (gestion des ethnicités, des catégories d'âge, des pro-grammes sociaux, des droits et devoirs...); l'espace économique,orienté par des marchés mondiaux sur lesquels les individus ont demoins en moins prise; l'espace des communautés d'appartenance(ethniques, locales, nationales) qui constituent le plus souvent lecadre de réalisation des actions concrètes.

Deux mouvements apparemment contradictoires constituent latrame de cet ouvrage. D'une part, l'idéal d'autonomie de l'individus'est, sans conteste, approfondi et généralisé, notamment sous l'effetd'une éthique de la justice sociale. L'individualisme a été et demeurele paradigme de la démocratie, un «fait générateur», disaitTocqueville, «la religion des modernes», disait Durkheim. L'indivi-dualisme est constitutif de l'évolution des démocraties libérales etrenvoie par ailleurs à l'idée même du pluralisme. Mais, d'autre part,ce procès d'individuation s'est produit en étroite relation avec laconstitution de l'État moderne, puis de l'État-providence, c'est-à-diredu perfectionnement des mécanismes de contrôle social et derationalisation par les appareils technico-administratifs. L'État-providence, comme le rappelle France Giroux dans cet ouvrage, aremplacé, comme principal pôle collectif, les anciennes formes desolidarité entre les membres d'une société. L'élargissement des prati-ques démocratiques, des fonctions providentialistes de l'État, desdroits et libertés formels, des politiques de justice redistributive acertes permis d'amoindrir les écarts entre les groupes nantis et moinsnantis, entre les majoritaires et les minoritaires (ou minorisés). Maisil a aussi impliqué une volonté plus puissante des États de contrôlerles « droits et obligations » des citoyens qui bénéficient de ses diffé-rents programmes sociaux. Il s'agirait, selon Gérard Boismenu etNicole F. Bernier, d'une tendance lourde et commune aux États enAmérique du Nord en matière de conception et de «gestion éta-tique » des droits sociaux. Ces auteurs rappellent que si le providen-tialisme voulait protéger les individus contre les aléas du marché etde la vie en société et établir une certaine égalité des chances et desconditions pour favoriser une plus grande participation des citoyensà la vie sociale, la dimension conditionnelle (qu'ils appellent «lacontrepartie») introduite, par exemple, dans les mécanismes de laSécurité du revenu par certains États, transforme cette conception

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providentielle en créant une définition différenciée des droits etdevoirs des citoyens. La différenciation des droits et devoirs ainsiintroduite n'a pas qu'une incidence « technique » sur les mécanismesdes programmes, mais des effets réels sur les citoyens concernés, surleur façon de vivre leur exclusion sociale.

Il n'est donc pas étonnant que les appels à la dignité, le réveil de« mémoires » dominées, l'affirmation d'identités de résistance chezdes groupes dominés, exclus, marginalisés ou discriminés soientdevenus une constante dans l'espace démocratique. La Raisonuniverselle n'a cependant jamais triomphé aux dépens de laparticularisation des individus (Touraine, 1992,, 1994). La lutte desfemmes autochtones au Canada témoigne d'ailleurs de ce doublemouvement complexe, fait d'individuation et d'ancrages, de résis-tance à l'imposition d'identités et de réactivation de solidarités, lors-qu'elles s'opposent au projet national «commun» proposé par leshommes autochtones, comme le montre Edith Garneau. C'est lamême tension qui traverse la revendication de « double citoyenneté »des autochtones au Canada, dont nous parle Charles-Henri Warren,mais aussi l'expérience sociale et culturelle des membres de minorités«immigrées», particulièrement celle de jeunes Québécois de ladeuxième génération haïtienne qui, comme l'analyse Maryse Potvin,conjugue une citoyenneté de fait et de droits et un racisme vécu auquotidien. Afin de recomposer positivement leur expérience sociale,ces jeunes procèdent à un bricolage de leurs appartenances identi-taires, qui pointe l'émergence de formes collectivisées de singularitéssubjectives, définies par une expérience spécifique d'exclusion ou dediscrimination plutôt que par des « différences culturelles » essentia-lisées (auxquelles ils sont renvoyés) ou par une utopie politique par-tagée. Dans le même sens, Chedly Belkhodja estime que la culturegangsta rap chez les jeunes, qui se construit autour de la musique,exprime des formes « expérientielles » de solidarité transnationale etla recherche d'espaces de dignité. Mais c'est aussi par la recomposi-tion de solidarités régionales que certains acteurs se constituentcontre les effets dissolvants de la mondialisation et de la gestion desappareils bureaucratiques. Patrick Moquay indique par exemple quel'attachement à un espace plus localisé, médiatisé par l'action, donneaux individus inscrits dans cet espace non seulement un sentiment de« prise » (matérielle) sur le réel mais aussi un ensemble de référentsidentitaires «symboliques».

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Le présent ouvrage montre, à partir d'une série d'études de cas,que les sociétés ont toujours été caractérisées par des équilibres (plusou moins harmonieux ou conflictuels selon les périodes et lescontextes sociohistoriques) entre plusieurs pôles (individualité,citoyenneté, communauté, etc.). L'individu se construit constammentà travers des liens, des interactions, des appartenances, des actions etdes résistances. Et l'individu sans appartenances, sans ancragessociohistoriques, sans droits, sans citoyenneté — «l'homme nu»,dont parlait Arendt —, n'a pas de sens politique ou sociologique, etil est sujet à la pire déshumanisation (Arendt, 1984). Dès lors,comme le propose Yves Couture dans la première étude, il fautd'emblée, sur le plan théorique, penser chacun des pôles dans leurarticulation concrète, seule perspective qui respecte la natureplurielle de la réalité sociale. Car la société n'est elle-même riend'autre qu'une synthèse concrète entre pôles différents, voireopposés, synthèse qui ne renvoie plus à l'image d'une totalitéenglobante. Ce constat théorique n'est pas réductible aux phéno-mènes de la globalisation des marchés économiques ou du déman-tèlement progressif des États-providence, car un tel réductionnismenierait la complexité inhérente à la construction des appartenances etdes formes de solidarité, propres aux démocraties libérales.

Les représentations collectives au fondement des formes desolidarité ne sont donc jamais des donnés en soi et a priori mais desconstruits. Leurs formes et contenus spécifiques résultent de systèmesde rapports sociaux. Vincent Lemieux utilise cette « épistémologiedes rapports sociaux » (qu'il oppose à celle des « attributs sociaux » pour mettre en évidence l'intérêt de l'étude des réseaux comme struc-tures réelles de relations. Le sexe, l'âge ou la nationalité, bref, lesmultiples « critères d'appartenance » des individus, ne sont ni desattributs fixes, ni de pures abstractions : ils expriment une structurede rapports sociaux et de relations effectives entre les individus et lesgroupes, notamment entre groupes minoritaires et majoritaires,structure qui interfère sur la « hiérarchisation » qu'effectuent les indi-vidus de leurs propres représentations d'appartenance comme leconstatent François-Pierre Gingras et Jean Laponce.

Dans un sens plus général, l'interrogation qui traverse cet ouvragerejoint celle de Touraine (1991, 1994, 1997), lorsqu'il se demandequel est le moyen de rétablir les liens entre l'individu et la société,remarquant l'incapacité grandissante de l'État à assurer les fonctions

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de solidarité collective — de plus en plus remplies par l'ethnie ou lanation à des niveaux «pulsionnels». C'est ce même questionnementqui guide Jean Laponce lorsqu'il se demande comment rétablirl'équilibre entre les pôles du «nous» (le collectif), du « j e » (l'in-dividu, la subjectivité) et du « il » (le marché), alors que Pégoïsme du« je » semble de plus en plus se dissocier d'avec le « nous » et soumisà la rationalité instrumentale du « il ». Il pose ainsi toute la difficultéde l'articulation des droits individuels et des droits collectifs, car si le« je » peut renvoyer à des collectifs différents, les droits collectifs nesont plus qu'une catégorie particulière des droits individuels. Cetteperspective nous reconduit à l'origine même de la pensée libérale, carmême si Pégoïsme du « je » et la rationalité du « il » fragilisent cons-tamment le «nous», chaque individu possède le droit de se gou-verner par le collectif — qui est en principe une délégation depouvoir des individus vers les institutions qui les représentent et lesgouvernent.

Lorsqu'on se place du point de vue de l'État, comme le fait FranceGiroux, l'interrogation porte alors sur les capacités de résistance desstructures étatiques face à la raison néolibérale pour sauvegarder à lafois une «culture politique» propre (au Québec, dans ce cas) —fondée par exemple sur les «droits sociaux» et des «impératifsculturels» — et une citoyenneté inclusive. On retrouve ce mêmeeffort de conciliation des pôles «individu» et «communauté», quimet en lumière la complexe actualisation d'une citoyenneté quicontinue de s'affirmer autour de l'axe central qu'est PÉtat-provi-dence, notamment par l'adoption de politiques favorables à la déli-bération démocratique, à l'ouverture d'un espace interculturelcohésif et à l'inclusion des nouveaux citoyens. Mais si un État-nationpluraliste peut, certes, sauvegarder la citoyenneté en résistant à laraison néolibérale, comme le soutient Giroux, il n'est jamais« neutre » sur le plan culturel, puisqu'il actualise un projet de sociétéet un cadre législatif culturalisé, ne serait-ce que par l'adoption d'unnombre restreint de langues officielles. Il impose donc des formesd'identités aux individus.

Cet ouvrage collectif, qui repose largement sur la tension entreIndividu et Citoyen, montre que la culture de l'individualisme démo-cratique n'a pas que des effets atomisants sur la société, puisqu'ellepermet de recomposer des formes de solidarité et de «vivre-ensemble». La place et les formes que prennent ces solidarités

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comme modes d'expression des actions, des intérêts ou des subjec-tivités des individus sont de plus en plus extensibles et variables.Elles constituent autant de tentatives de concilier des pôles que lamodernité tend de plus en plus à séparer, comme le démontrent,chacun à leur façon, les auteurs réunis dans cet ouvrage.

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À l'ombre de l'individu

YVES COUTURE

e couple individu/citoyen renvoie aux enjeuxessentiels de la philosophie politique moderne. Il rejoint égalementun aspect important de la réflexion des sciences sociales sur lamodernité effective, considérée dans sa structure, dans sa dynamiqueou à travers les principales représentations, idéalisées ou critiques,que l'homme moderne entretient de lui-même. Les diverses étudespubliées dans cet ouvrage témoignent par ailleurs de la centralitépersistante du couple individu/citoyen pour saisir les formes émer-gentes de la sociabilité contemporaine, le déclin ou le renouvellementdes figures de la participation politique, ou encore les réponses mul-tiples apportées au fractionnement identitaire des nations modernes.

Notre objectif spécifique n'est pas d'enrichir les analyses qui attes-tent du caractère individualiste de la société actuelle, ni d'ailleursd'en faire la critique radicale. Nous chercherons d'abord à renouer,de manière forcément brève et synthétique, avec l'horizon de sensphilosophique et historique qui sous-tend la distinction entre indi-vidu et citoyen. Les éléments rassemblés à cette fin devraient faciliter,sur un premier plan, la mise en relation de chacune des études par-ticulières constituant le corps du présent ouvrage. Notre objectif

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ultime est cependant théorique: il s'agit de maintenir la réflexionface aux enjeux complexes liés à la distinction entre individu etcitoyen, de façon notamment à replacer dans une perspective élargieles débats souvent unilatéraux qui s'y rattachent. Un tel objectif nepeut en réalité être dissocié d'une réflexion plus fondamentale sur lagenèse et l'orientation de la pensée politique moderne, réflexion dontla portée dépasse évidemment le cadre étroit d'un texte court. Nousmaintiendrons donc la discussion sur un plan général, celui de ladéfinition et d'une brève illustration des principes et des diversestâches qui doivent guider l'analyse de la polarité individu/citoyen.

Notre réflexion comportera deux parties distinctes. La premièreprésentera d'abord les écueils les plus courants dans l'analyse d'unepolarité conceptuelle aussi chargée, survol critique qui nous per-mettra de définir ensuite le cadre et les concepts devant guider lamise en relation des pôles distingués. Pour l'essentiel, la secondepartie consistera à illustrer cette esquisse de méthode, ainsi qu'àpréciser l'orientation critique de notre réflexion, par quelques obser-vations sur les deux périodes historiques qui s'avèrent les plus richespour interroger la signification actuelle, mais aussi la significationstructurelle, de la distinction entre individu et citoyen. Cette analysehistorique, insistons dès le départ sur ce point, ne vise pas à l'éru-dition, mais bien à éclairer notre situation concrète et même lesquestions les plus actuelles. Les débats contemporains demeurent eneffet tributaires de perceptions et d'attitudes qu'on ne peut com-prendre qu'en référence à l'évolution de la pensée occidentale. Defaçon générale, l'opinion commune, dans le monde moderne, reposelargement sur des lectures dominantes de l'histoire, et c'est donc parun retour critique sur ces lectures dominantes que l'on peut espérerrouvrir l'espace du jugement.

Esquisse d'une méthode

Les écueils de la réflexion

Le premier écueil de la réflexion sur le couple individu/citoyen con-siste à poser la question des rapports des deux pôles dans une pers-pective trop étroite, qui échoue à en rendre toute la richesse. À cetégard, quelques mises au point générales s'imposent d'emblée. Ilnous faut d'abord anticiper sur l'analyse du concept d'individu: leterme ne renvoie pas à l'homme empirique, observable dans toute

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société, mais à l'homme à la fois dégagé d'une emprise commu-nautaire première et animé — ou du moins influencé, à des degrésdivers — par l'idée d'autonomie. Il apparaît donc clairement, dès ledépart, que la polarité individu/citoyen ne peut être pensée sansl'élargissement de la réflexion à un troisième terme, que nous dési-gnerons simplement, pour l'instant, comme le pôle de la commu-nauté. Sa prise en compte est en effet nécessaire si l'on veutcomprendre à la fois la spécificité des figures du citoyen et de l'in-dividu, mais aussi la réalité et le contexte de leur relation. Soulignonsenfin qu'on doit éviter de voir dans cette relation un simple rapportd'opposition, comme le suggère parfois une certaine appréciationcritique de l'individualisme contemporain. La suite de l'analyse nouspermettra de revenir sur ces remarques préliminaires.

Un deuxième écueil possible relève de la confusion des niveauxd'analyse. Les concepts de citoyen, d'individu ou de communautéont certes un sens descriptif, qui renvoie à une réalité empirique.Mais il faut déjà souligner, sur ce plan, la pluralité des figures histo-riques concrètes du citoyen ou de la communauté, et même de l'indi-vidu : ces figures diverses sont souvent mal distinguées, ce qui crée demultiples contresens. Les trois concepts ont par ailleurs le statut detypes généraux, entendus dans un sens strictement heuristique oudans le sens — qui renvoie à une anthropologie philosophique plusdéfinie — de grandes figures possibles de la condition humaine. Quel'on accepte ou non cette dernière idée, il faut également reconnaîtrequ'il s'agit de concepts normatifs, dont l'efficacité historique tientlargement au rôle que leur attribuèrent aussi bien la philosophiepolitique et la sociologie que les diverses perspectives idéologiquesmodernes. Cette dernière remarque souligne enfin à quel point laréflexion sur ces trois pôles conceptuels est indissociable d'une philo-sophie de l'histoire, d'ailleurs plus ou moins explicite, ou même plusou moins consciemment perçue, selon les auteurs. Seule uneperception claire de ces niveaux d'analyse spécifiques — celui de ladescription empirique, d'une typologie théorique, du jugementpolitique et moral, et enfin de la philosophie de l'histoire — permetde démêler les enjeux complexes, aux résonances multiples, quepose la mise en relation des concepts de citoyen, d'individu et decommunauté.

Il faut finalement s'attarder à un troisième écueil courant de laréflexion. Il découle du lien qui unit le concept d'individu à une

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philosophie de l'histoire déterminée, ou plus précisément à unensemble de conceptions de l'histoire par lesquelles l'hommemoderne reçoit et construit l'idée de sa singularité. Ne serait-ce quesur le plan de la méthode, il est nécessaire de ne pas perdre de vueque nous vivons et pensons dans le contexte de l'hégémonie d'unecertaine représentation de l'histoire. Cette hégémonie a désormaisdeux figures principales: sur le plan politique et philosophique, letrès large consensus autour des valeurs démocratiques et libérales, etsur le plan de l'analyse sociologique et historique la domination,moins générale et plus récente, de l'interprétation individualiste de lasociété moderne1. Le second aspect répond en quelque sorte aupremier, puisqu'il consiste à faire le portrait, plus ou moins profond,et plus ou moins critique, du type d'homme, Vindividu^ qui décou-lerait du monde démocratique et libéral par ailleurs promu etlégitimé.

L'hégémonie actuelle de cette perspective libérale-démocratique-individualiste sur la modernité fut favorisée par des causes circons-tancielles, notamment la perte de légitimité de la droite autoritaire, etmême de la pensée conservatrice, à la suite de la Deuxième Guerremondiale, puis l'effritement du prestige du socialisme, auquel alargement contribué l'échec de l'expérience soviétique. Ses causesultimes sont plus profondes, liées à l'ensemble de l'histoire occiden-tale. Une large part de la réflexion actuelle sur la modernité consisted'ailleurs à en reprendre et en approfondir la généalogie à la lumièredes traits dominants du monde contemporain. Ces travaux sontéclairants, et il ne s'agit pas ici de s'en démarquer de manière radi-cale, mais de souligner à quel point leur démarche comporte le risqued'une argumentation circulaire, qui reconduit une lecture essentia-liste, ou du moins simplificatrice, de l'identité moderne. Ce traversaffecte les pensées les plus diverses. Nous l'illustrerons brièvement icipar un exemple influent, celui d'une certaine école française de['indétermination individualiste de la modernité, illustrée notammentpar les travaux de Marcel Gauchet et de Claude Lefort. Ainsi, par

i. L'interprétation individualiste de la société moderne a fait l'objet de travauxdécisifs, aux États-Unis et en France, depuis les années 1970. Elle est devenueplus récemment un mode de lecture privilégié pour comprendre l'évolutionrécente de la société québécoise, comme l'illustrent notamment les essais deFrançois Ricard (1992.), Jean Larose (1987, 1991, 1994), Daniel Jacques(1991, 1998), etc.

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exemple, après avoir caractérisé le monde moderne par le trait jugédécisif de l'indétermination du sens, Gauchet en vient à y voir sanature essentielle — ce qui, paradoxalement, contredit l'idée mêmed'indétermination — et à voir dans tous les phénomènes qui ne luicorrespondent pas un reste du passé ou une rechute dans uneattitude pré-moderne (Gauchet, 1980 et I985)2. D'où il découle uneperspective également simplificatrice sur l'histoire, interprétéecomme un processus d'épuration progressive de l'identité moderne,posée au départ comme entièrement connue.

Le rappel des risques de simplification du réel inhérents aux con-ceptions systématiques de l'histoire nous situe déjà sur le territoireque couvrira la seconde partie de notre analyse. De façon générale,l'identification des divers écueils de la réflexion découle d'ailleursnécessairement d'un retour critique sur l'histoire de la pensée. Maisavant d'entrer de plain-pied dans la perspective historique, ilconvient de préciser les présupposés, les concepts et les objectifs denotre démarche.

Concepts et principes de lecture

Comment poser la question des relations entre les pôles du citoyen,de l'individu et de la communauté sans perdre de vue leur complexitéréelle ? Quoi qu'il en soit des figures de l'humanité antérieures àl'homme moderne, il est clair que celui-ci ne peut être entièrementcompris à partir du pôle de l'individu, radicalement opposé au pôledu citoyen et au pôle de l'appartenance communautaire. Nous dési-gnerons cette pluralité vécue, source d'un nécessaire pluralismeanalytique, par le terme de synthèse concrète. Spécifions d'embléequ'on ne préjuge pas ainsi de la nature des relations entre pôlesdivers: il peut y avoir synthèse par simple juxtaposition de pôlesdistincts, ou synthèse par leur fusion effective, vécue comme telle;

i. La perspective de Lefort est plus nuancée, mais comme l'atteste son dialoguecritique avec Tocqueville, à qui il reproche d'avoir sous-estime l'indéter-mination des sociétés démocratiques, lui aussi tend à attribuer une identité apriori à la modernité (Lefort, 19863, 19868 et 1991). On trouvera par ailleursune version quasi caricaturale de ce genre de simplification dans les essais deGilles Lipovetsky, intéressants par ce qu'ils mettent en évidence, mais réduc-teurs en ce qu'ils ramènent toute la société moderne aux phénomènes partielsd'abord privilégiés (Lipovetsky, 1983).

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2.O L'individu et le citoyen dans la société moderne

synthèse conflictuelle ou harmonieuse; synthèse entre pôles d'égaleimportance ou synthèse hiérarchique, où un pôle domine nettement,notamment parce que c'est à partir de lui que se définit le sens de larelation entre pôles divers. Ainsi entendu dans un sens ouvert, leconcept de synthèse fournit un cadre suffisamment souple pourrendre compte de la complexité et de la diversité des figures con-crètes que présente la réalité historique.

Comme nous l'avons vu précédemment, la dimension historiqueconstitue elle-même un terrain propice aux simplifications. Souli-gnons que l'idée de synthèse entre figures diverses de la conditionhumaine ne doit pas devenir le nouvel horizon éthique qui orienteraittoute réflexion sur l'histoire. Le système hégélien, pour ne citer qu'unexemple prestigieux, repose ainsi sur l'idée du caractère nécessaire del'avènement d'une synthèse universelle et parfaite qui reprend etdépasse tous les stades antérieurs du développement humain. Coupde force réconciliateur qui enlève à l'histoire sa dimension tragique,liée à l'impossibilité, pour l'homme, d'incarner conjointement, etsous leur forme achevée, tous les biens dont la succession desépoques a permis de fixer une image idéalisée. Tel que nous l'enten-dons ici, le concept de synthèse vise non seulement à penser la natureplurielle du concret à un moment précis, mais aussi son caractèredynamique, manifesté par les diverses dialectiques possibles entrepôles distincts. Penser tout aussi bien, par exemple, l'amenuisementde l'esprit communautaire traditionnel qui accompagne l'avènementde l'individu moderne, que la création de nouveaux lieux d'identi-fication communautaire qui peut en résulter.

La notion de synthèse concrète appelle des précisions sur le statutrespectif des concepts de citoyen, d'individu et de communauté. Leconcept de citoyen semble à première vue le plus clair des trois,puisqu'il renvoie à une réalité circonscrite par une définition précise.La loi nous dit ce qu'est un citoyen, mais qu'est-ce qu'un individu etqu'est-ce qu'une communauté ? Ce premier jugement se renverse sil'on quitte le sens commun et l'angle juridique pour adopter uneperspective sociologique. Malgré des terminologies diverses, la plu-part des analyses de la modernité se fondent sur l'oppositiongénérale entre les sociétés de type communautaire et les sociétés dontl'organisation reflète l'importance accordée à l'individu commeréférence morale ultime. Plusieurs en restent d'ailleurs à cette oppo-sition simple, supposant aux deux grands types de société une

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cohérence parfaite. Pour contrer cette tendance simplificatrice,certains analystes donnent aux concepts utilisés le statut d'idéauxtypes, au sens défini par Weber : ils ne constitueraient que des outilsde la réflexion, et non l'expression de la réalité. Mais un telnominalisme ne rend pas compte du retour constant de la mêmeopposition conceptuelle fondamentale. L'idée de synthèse concrètevise notamment à éviter les impasses respectives où conduisent cesdeux positions. Elle évite de transformer l'histoire en une suite demoments fermés sur eux-mêmes, puisqu'elle fait de l'individua-lisation et de l'inscription communautaire des principes inhérents àla condition humaine, qui ont donc toujours existé et marqué le réel— bien sûr selon des équilibres et des harmoniques divers — depuisque l'homme est homme. En reconnaissant qu'il s'agit de catégoriesnécessaires de la réflexion, dès lors que l'homme veut se penser lui-même, on s'épargne par ailleurs la vanité de voir dans ces deux pôlesconceptuels des outils forgés par l'imagination ou le génie de tel outel chercheur.

D'un point de vue sociohistorique, la notion de citoyen paraîtdonc avoir un sens moins fondamental et une portée moins uni-verselle que les concepts d'individu et de communauté, puisqu'elledésigne une réalité que certaines sociétés traditionnelles n'ont pasconnue, et que certains jugent même absente ou du moins marginaledans les sociétés modernes, y compris dans celles qui insistentformellement sur l'importance d'une vie politique ouverte et active3.À bien des égards, la notion de citoyen semble d'ailleurs brouiller lecadre général qui sous-tend la perception sociologique de lamodernité. Que le fait de la citoyenneté soit présent, par exemple, àla fois dans le monde ancien et dans le monde moderne, heurte l'idéede notre originalité historique radicale. Que son actualisation con-crète et vivante ait pu dépendre au moins en partie de facteurshistoriques aussi contingents que le sort d'une bataille ou destractations de palais heurte par ailleurs le goût de la sociologie pourles explications déterministes.

3. La notion de citoyen est marginale dans la pensée de la plupart des fondateursde la sociologie. Cela s'explique largement par une relativisation du politique,habituellement considéré comme superstructure d'un fait social plusfondamental.

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