L’immigration péruvienne au Québec

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L’immigration péruvienne au Québec Insertion socioéconomique, réseaux sociaux et constructions identitaires Thèse Geneviève Lapointe Doctorat en sociologie Philosophiae Doctor (Ph. D.) Québec, Canada © Geneviève Lapointe, 2018

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L’immigration péruvienne au Québec Insertion socioéconomique, réseaux sociaux et constructions

identitaires

Thèse

Geneviève Lapointe

Doctorat en sociologie Philosophiae Doctor (Ph. D.)

Québec, Canada

© Geneviève Lapointe, 2018

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L’immigration péruvienne au Québec Insertion socioéconomique, réseaux sociaux et constructions

identitaires

Thèse

Geneviève Lapointe

Sous la direction de :

Simon Langlois, directeur de recherche

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Résumé

Depuis quelques années, les politiques québécoises d’immigration privilégient les

immigrants instruits, jeunes et parlant le français, bref ayant un fort potentiel

d’employabilité. Malgré cette immigration choisie, plusieurs immigrants ont davantage de

difficulté que par le passé à trouver des emplois correspondant à leurs qualifications. La

présente thèse propose d’examiner plus en détail ce paradoxe.

Si plusieurs études ont abordé la question de l’intégration des immigrants à partir d’une

perspective individualiste, mettant l’accent sur le capital humain des nouveaux arrivants,

cette thèse propose plutôt de se pencher davantage sur le rôle de la société d’accueil pour

mieux comprendre l’expérience migratoire. En s’inspirant de la théorie de

l’intersectionnalité, l’analyse prend en compte les processus de racisation qui se

manifestent à travers les discours et les pratiques de la société d’accueil. Pour ce faire, une

étude qualitative a été réalisée, basée sur des entrevues auprès de 24 immigrants d'origine

péruvienne habitant les villes de Québec et de Montréal. L’objectif est de mieux

comprendre l’intégration des immigrants péruviens à la société québécoise en se penchant

sur trois thèmes distincts, mais interreliés, soit l’insertion socioéconomique, la mobilisation

de réseaux sociaux et les constructions identitaires des répondants.

L'analyse des entretiens révèle que les Péruviens déploient diverses stratégies pour s'insérer

socioéconomiquement, dont l'acceptation d'une certaine déqualification, la réorientation

professionnelle et le retour aux études. S'inspirant des travaux sur le transnationalisme –

mettant en lumière les liens sociaux entretenus au-delà des frontières nationales via

l'Internet notamment – cette étude montre également que le maintien de liens

transnationaux influe sur l'insertion socioéconomique des Péruviens, alors que ces derniers

ont accès à davantage d'informations durant la période prémigratoire et à un soutien

familial et social dans la nouvelle société. L’importance des divers réseaux sociaux

mobilisés une fois au Québec est aussi abordée. Au plan identitaire, les répondants

évoquent une nouvelle identité hybride – remaniée et reconstruite dans la nouvelle société –

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et marquée par un sentiment d’appartenance envers le lieu d’origine et le lieu d’accueil.

Cette construction identitaire est aussi marquée par une volonté résolue de « s’intégrer »,

malgré la discrimination et les obstacles rencontrés.

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Abstract

In recent years, Quebec’s immigration policies have favoured educated, young, and French-

speaking immigrants – that is, those considered to have a strong potential for employability.

Despite this selective immigration, many immigrants find it more difficult than in the past

to find jobs that match their qualifications. This thesis proposes to examine this paradox in

more detail.

While several studies have addressed the issue of immigrant socioeconomic insertion from

an individualistic perspective, focusing on the human capital of newcomers, this thesis

proposes instead to focus on the role of the host society to better understand the migratory

experience. Inspired by theories of intersectionality, the analysis considers processes of

racialization that manifest themselves through the discourses and practices of the host

society. A qualitative study was conducted, based on interviews with 24 international

migrants of Peruvian origin living in the cities of Quebec and Montreal. The objective was

to better understand the experience of Peruvian immigrants in Quebec by focusing on three

distinct but interrelated themes: socioeconomic insertion, mobilization of social networks,

and respondents’ identity constructions.

The analysis of the interviews reveals that Peruvians deploy various strategies to integrate

socioeconomically, which include accepting a certain deskilling, professional reorientation,

and having to return to school. Based on various works on transnationalism – highlighting

the social bonds that are maintained across national borders via the Internet for instance –

this study also shows that the maintenance of transnational links influences the

socioeconomic insertion of Peruvians, who have access to more information during the pre-

migration period and to family and social support in the new society. The importance of the

various social networks mobilized once in Quebec is also discussed. In term of identity, the

respondents evoked a new hybrid identity – reworked and reconstructed in the new society

– marked by a sense of belonging both to the place of origin and the host society. This

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vi

process of identity construction is also characterized by a resolute desire to “integrate,”

despite the discrimination and obstacles encountered.

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Resumen

Desde hace algunos años, las políticas quebequenses sobre la inmigración privilegian a los

inmigrantes instruidos, a los jóvenes, y a los que hablan francés; es decir, gente con un gran

potencial de empleabilidad. A pesar de esta inmigración elegida, muchos inmigrantes

enfrentan más dificultad que antes para encontrar un empleo que corresponda a sus

cualificaciones. La presente tesis propone examinar esta paradoja con más detalle.

Aunque varios estudios han abordado el tema de la inserción socioeconómica de los

inmigrantes a partir de una perspectiva individualista, haciendo énfasis en el capital

humano de los recién llegados, esta tesis propone más bien abordar el papel de la sociedad

de acogida para comprender mejor la experiencia migratoria. Tomando como modelo las

teorías de la interseccionalidad, el análisis toma en cuenta los procesos de racialización que

se manifiestan a través de los discursos y de las prácticas de la sociedad de acogida. Para

hacerlo, se realizó un estudio cualitativo basado en las entrevistas a veinticuatro migrantes

internacionales de origen peruano que viven en las ciudades de Quebec y de Montreal. El

objetivo es comprender mejor la experiencia de los inmigrantes peruanos en Quebec

abordando tres temas diferentes pero interrelacionados; es decir, la inserción

socioeconómica, la movilización en las redes sociales y la construcción identitaria de los

encuestados.

El análisis de las entrevistas revela que los peruanos utilizan diversas estrategias para

integrarse socioeconómicamente, entre ellas, la aceptación de una cierta descualificación, la

reorientación profesional y el regreso a los estudios. Inspirado en los trabajos del

transnacionalismo —que ponen de relieve los lazos sociales mantenidos más allá de las

fronteras nacionales principalmente por medio de Internet—, este estudio también

demuestra que mantener lazos transnacionales influye en la inserción socioeconómica de

los peruanos, aun cuando tienen acceso a más información durante el periodo premigratorio

y a un apoyo familiar y social en la nueva sociedad. Se aborda igualmente la importancia de

las diversas redes sociales utilizadas una vez en Quebec. En cuanto a la construcción

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viii

identitaria, los encuestados evocan una nueva identidad híbrida, modificada y reconstruida

en la nueva sociedad, marcada por un sentimiento de pertenencia hacia el lugar de origen y

el lugar de acogida. Esta construcción identitaria también está marcada por una voluntad

resuelta de “integrarse”, a pesar de la discriminación y de los obstáculos encontrados.

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Table des matières Résumé ............................................................................................................................................ iii

Abstract............................................................................................................................................. v

Resumen ......................................................................................................................................... vii

Table des matières ......................................................................................................................... ix

Liste des tableaux ........................................................................................................................ xii

Liste des figures........................................................................................................................... xiii

Liste des abréviations ................................................................................................................ xiv

Remerciements .............................................................................................................................. xv

Introduction ..................................................................................................................................... 1

Chapitre I. Mise en contexte : l’immigration au Québec ...................................................... 9 1.1 Bref contexte historique, politique et social de l’immigration au Québec ............................ 9 1.2 Le paradoxe de l’insertion socioéconomique des immigrants .............................................. 13 1.3 L’immigration latino-américaine au Québec ........................................................................... 15 1.4 L’immigration péruvienne au Québec ....................................................................................... 19

1.4.1 Le profil sociodémographique ........................................................................................................... 19 1.4.2 Les études qualitatives .......................................................................................................................... 21

1.5 Conclusion ......................................................................................................................................... 30

Chapitre II. Cadre théorique et problématique ................................................................... 33 2.1 Qu’est-ce que l’intégration ? ........................................................................................................ 33 2.2 La théorie de l’intersectionnalité ................................................................................................. 40 2.3 Processus de racisation, racisme et groupes racisés ............................................................... 43 2.4 Le concept de capital linguistique selon Bourdieu .................................................................. 46 2.5 Les réseaux sociaux ......................................................................................................................... 48 2.6 La construction identitaire............................................................................................................ 51 2.7 Schéma conceptuel .......................................................................................................................... 52 2.8 Question de recherche et propositions ....................................................................................... 53

Chapitre III. Méthodologie ....................................................................................................... 55 3.1 Recrutement et déroulement des entrevues .............................................................................. 55 3.2 Positionnement et réflexivité ........................................................................................................ 58 3.3 Une méthode d’analyse qualitative alliant l’analyse à l’aide des catégories conceptualisantes et l’ACD .................................................................................................................. 64

3.3.1 L’analyse à l’aide des catégories conceptualisantes .................................................................. 65 3.3.2 L’analyse critique du discours (ACD) ............................................................................................. 67

3.4 Conclusion ......................................................................................................................................... 72

Chapitre IV. Profil des répondants ......................................................................................... 74 4.1 Présentation de l’échantillon ........................................................................................................ 76

4.1.1 L’âge des répondants ............................................................................................................................ 78 4.1.2 La RMR des répondants ....................................................................................................................... 78 4.1.3 L’année d’arrivée au Québec et la catégorie d’immigration ................................................... 80 4.1.4 Le dernier diplôme obtenu et l’occupation .................................................................................... 82

4.2 À la recherche d’un monde meilleur .......................................................................................... 83

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x

4.2.1 L’insécurité............................................................................................................................................... 84 4.2.2 La qualité de vie...................................................................................................................................... 86 4.2.3 Les conditions de travail ...................................................................................................................... 88 4.2.4 L’avenir des enfants .............................................................................................................................. 90

4.3 L’impact de l’origine socioéconomique et de l’histoire familiale ........................................ 93 4.4 Conclusion ......................................................................................................................................... 97

Chapitre V. L’insertion socioéconomique ............................................................................. 99 5.1 Une première difficulté : la langue ............................................................................................ 102

5.1.1 La francisation après l’immigration ............................................................................................. 103 5.1.2 « L’accent latino » .............................................................................................................................. 107

5.2 Déqualification et stratégies d’insertion socioprofessionnelle ............................................ 115 5.2.1 Une hiérarchisation racisée des compétences ........................................................................... 115 5.2.2 Les stratégies d’insertion socioprofessionnelle ......................................................................... 120

5.3 La discrimination en milieu de travail : racisme ordinaire et microagressions ............. 130 5.4 Conclusion ....................................................................................................................................... 136

Chapitre VI. Les réseaux sociaux et l’immigration ...........................................................138 6.1 « S’informer, s’informer, s’informer » : réseaux virtuels et liens transnationaux en période prémigratoire ......................................................................................................................... 141

6.1.1 Les réseaux virtuels ............................................................................................................................ 142 6.1.2 Les liens forts transnationaux ......................................................................................................... 145 6.1.3 Les séjours exploratoires .................................................................................................................. 147

6.2 L’importance des liens forts et du réseau informel une fois au Québec .......................... 150 6.2.1 Compter sur les amis et la famille à l’arrivée ............................................................................ 150 6.2.2 Mobiliser les liens forts pour le premier emploi (peu ou pas qualifié) .............................. 151 6.2.3 Différences entre les hommes et les femmes ............................................................................... 155 6.2.4 Différences entre Montréal et Québec .......................................................................................... 157

6.3 L’importance du réseau formel et des réseaux sociaux ....................................................... 159 6.3.1 Le réseau formel : les centres d’emploi et les organismes communautaires ................... 160 6.3.2 Utiliser et développer le réseau social pour trouver un emploi (plus qualifié) ............... 165 6.3.3 La valorisation des liens hors du réseau péruvien ou latino pour « s’intégrer » ........... 170

6.4 Conclusion ....................................................................................................................................... 174

Chapitre VII. Constructions identitaires et sentiment d’appartenance en situation de migration .....................................................................................................................................177

7.1 Identité et hybridité ...................................................................................................................... 182 7.2 Sentiment d’inclusion (ou d’exclusion) par rapport au « nous » québécois (ou canadien) .................................................................................................................................................................. 188 7.3 De Péruviens à Latinos ? ............................................................................................................. 191

7.3.1 Latinos : oui, mais… .......................................................................................................................... 192 7.3.2 « Nosotros somos latinos » ............................................................................................................... 195 7.3.3 Ambivalence et refus de l’identité latino...................................................................................... 197 7.3.4 Latino, mais pas trop.......................................................................................................................... 199

7.4 Identité, valeurs communes et citoyenneté ............................................................................. 204 7.5 L’identité montréalaise et le paradoxe de la ville de Québec ............................................. 209 7.6 Conclusion ....................................................................................................................................... 214

Conclusion générale ..................................................................................................................217 8.1 De la discrimination au Québec ? ............................................................................................. 217 8.2 L’importance des réseaux ........................................................................................................... 219 8.3 Une identité hybride ..................................................................................................................... 221

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8.4 Limites de l’étude .......................................................................................................................... 222 8.5 Contributions et avenues de recherche .................................................................................... 223

Bibliographie ..............................................................................................................................226

Annexes ........................................................................................................................................242

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Liste des tableaux

Tableau 1 : Profil des personnes interviewées .................................................................. 77 Tableau 2 : Répartition des répondants selon le dernier diplôme obtenu ......................... 82 Tableau 3 : Diplôme obtenu par rapport à l’emploi occupé .............................................. 83 Tableau 4 : Premier emploi obtenu avec liens forts en comparaison avec l'emploi actuel ...................................................................................... 154

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Liste des figures

Figure 1 : Répartition géographique des Péruviens à Montréal : les quatre quartiers les plus populaires ........................................................... 21 Figure 2 : Une approche intersectionnelle de l’intégration ............................................. 53 Figure 3 : Répartition des répondants selon le groupe d’âge .......................................... 78 Figure 4 : Répartition des répondants selon le sexe et la RMR habitée ......................... 79 Figure 5 La période d’arrivée au Québec et la catégorie d’immigration des répondants ................................................................................................ 81

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Liste des abréviations

ACD Analyse critique du discours AEC Attestation d’études collégiales CDPDJQ Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec CLE Centre local d’emploi DEC Diplôme d’études collégiales DES Diplôme d’études secondaires DESS Diplôme d’études supérieures spécialisées INEI Institut national de la Statistique et de l’Informatique du Pérou ISQ Institut de la Statistique du Québec MAHT Microagression homo- et trans-négative MICC Ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles du Québec MIDI Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion MSG Minorités sexuelles et de genre OCDE Organisation de Coopération et de Développement Économiques RMR Région métropolitaine de recensement TCRI Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes TIC Technologies de l’information et des communications

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xv

Remerciements

Tout d’abord, je tiens à remercier mon directeur de thèse, Simon Langlois, qui m’a

soutenue et encouragée tout au long de ce parcours. Ses commentaires constructifs, sa

rigueur intellectuelle et son esprit critique m’ont poussée constamment à mieux expliciter

mes propos et à approfondir l’analyse. Je lui en suis extrêmement reconnaissante. Sans son

soutien indéfectible, la réalisation de ce projet n’aurait pu être possible.

Je remercie également Sylvie Lacombe et Stéphanie Rousseau qui m’ont toutes deux

soutenue afin de mieux définir mon projet de recherche. Leurs conseils avisés m’ont été

fort utiles pour bien orienter la thèse.

Je tiens à remercier le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) du Canada et le

Centre de recherche interdisciplinaire sur la diversité et la démocratie (CRIDAQ) pour leur

soutien financier.

J’aimerais également offrir un remerciement particulier à mes parents qui m’ont

encouragée à poursuivre des études doctorales et surtout à terminer le doctorat. J’apprécie

grandement votre soutien.

Un merci spécial à mon grand frère Mathieu, qui m’a toujours soutenue dans ce projet et

qui s’informait régulièrement de mes progrès.

Un remerciement particulier à Federico qui a toujours cru en moi et qui a pris le temps de

m’écouter durant toutes ces longues années de recherche et de rédaction. Je remercie aussi

Geneviève Louise et Diego qui m’ont permis de décrocher et qui m’apportent tant de

bonheur sur cette terre. Je vous remercie pour votre patience et pour tous les fous rires

partagés.

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xvi

Enfin, je tiens à remercier chaleureusement tous les participants et participantes qui ont

donné généreusement de leur temps pour participer aux entrevues. Sans vous, cette thèse

n’aurait pas été possible. C’est grâce à votre participation que j’ai pu compléter ce projet. Je

vous dédie cette thèse.

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1

Introduction

Les débats entourant la Charte des valeurs québécoises ont suscité toute une série de

questionnements quant à la gestion de la diversité ethnoculturelle. Alors que la discussion a

porté, entre autres, sur la laïcité et l’interdiction (ou non) pour le personnel de l’État de

porter des signes religieux « ostentatoires », le projet de loi 60 déposé par le Parti

Québécois le 7 novembre 2013 a aussi donné lieu à un débat beaucoup plus large sur

l’interculturalisme, le multiculturalisme et les manières de vivre ensemble en sol québécois.

Plusieurs acteurs (politique, citoyen et communautaire, notamment) se sont demandé

comment gérer la diversité ethnoculturelle dans un contexte où les migrations

internationales sont en pleine croissance et de plus en plus diversifiées. En 2007, par

exemple, le Québec avait un des taux d’immigration les plus élevés au monde (Labelle,

Field et Icart, 2007 : 4).

Depuis une trentaine d’années, les flux migratoires internationaux vers le Québec ont connu

une mutation importante, tant aux plans quantitatif que qualitatif. Non seulement le nombre

d’immigrants a-t-il augmenté de manière considérable, mais la diversité des origines

ethniques et culturelles de ces derniers s’est également accrue énormément. Tous ces

changements démographiques ont eu (et continue d’avoir) un impact sur la composition de

la population du Québec et suscitent des questionnements quant à l’insertion

socioéconomique des immigrants, les constructions identitaires de ces derniers, la

discrimination et les façons de « faire société »1.

1 J’emprunte cette expression à Thériault (2007).

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2

Au plan quantitatif, il y a eu une hausse importante du nombre d’immigrants s’établissant

dans la province francophone. En effet, en 2016, le Québec a accueilli 53 084 personnes

immigrantes (MIDI, 2017 : 1) comparativement à 19 601 personnes en 1986 (MIDI, 2014,

cité dans Gagnon et al., 2014 : 22). Le nombre d’immigrants admis annuellement

aujourd’hui est donc deux fois et demie plus élevé qu’il y a trente ans. Selon la dernière

Enquête nationale auprès des ménages, réalisée en 2011, il y a près d’un million de

personnes immigrées établies au Québec, correspondant ainsi à 12,6 % de la population

totale de la province (MIDI, 2015a). Il s’agit de la plus forte proportion enregistrée dans

l’histoire du Québec. À titre de comparaison, cette proportion était de 11,5 % au

recensement de 2006 et de 9,9 % à celui de 2001 (MIDI, 2014a : 15). Sans surprise, c’est la

région métropolitaine de recensement (RMR) de Montréal qui accueille le plus grand

nombre d’immigrants, soit 86,6 % des personnes immigrées au Québec (MIDI, 2014a : 20).

Au plan qualitatif, l’origine ethnique des immigrants est de plus en plus diversifiée. Avant

1971, 76,7 % des immigrants provenaient de l’Europe, alors qu’entre 2006 et 2011,

seulement 18,4 % des personnes immigrantes étaient d’origine européenne (MIDI, 2014,

cité dans Gagnon et al., 2014 : 23). En ce qui a trait aux « minorités visibles »2, 11 % de la

population québécoise ferait partie de cette catégorie de recensement. Comme pour ce qui

est du nombre d’immigrants en général, c’est dans la région métropolitaine de Montréal que

l’on retrouve le plus de personnes qui font partie des minorités visibles. En 2011, près de

90 % des personnes « non blanches »3 résidaient dans la région de Montréal où elles y

représentaient 20,3 % de la population totale (MIDI, 2014b : 3).

2 Selon la Loi sur l’équité en matière d’emploi, les membres des minorités visibles sont « les personnes, autres que les autochtones, qui ne sont pas de race blanche ou qui n’ont pas la peau blanche » (Statistique Canada, 2012). Statistique Canada note que les principaux groupes faisant partie des minorités visibles sont les suivants : Chinois, Sud-Asiatique, Noir, Arabe, Asiatique occidental, Philippin, Asiatique du Sud-Est, Latino-Américain, Japonais et Coréen (Statistique Canada, 2012). 3 J’utilise des guillemets ici pour souligner le fait que le concept de « personnes non blanches » est une construction sociale (tout comme le terme « minorité visible » d’ailleurs). Le fait d’être considéré comme blanc ou pas varie d’un endroit à l’autre et d’une époque à l’autre (voir en autres, Roediger, 2005 et Frankenberg, 1993). Au sujet de l’utilisation du terme « race » en sciences sociales, voir l’excellent article de Robert Miles (2001). Miles met toujours le terme « race » entre guillemets pour bien signifier que les « races » n’existent pas et qu’il s’agit d’une construction

Page 19: L’immigration péruvienne au Québec

3

Non seulement les origines des immigrants ont-elles changé, mais le profil

socioéconomique de ces derniers, ainsi que leur catégorie d’immigration, ont aussi connu

des mutations importantes. En effet, la population immigrante est jeune (69,1 % des

personnes immigrantes avaient moins de 35 ans en 2013), de plus en plus scolarisée et elle

se destine majoritairement au marché du travail (MIDI, 2014b : 1). Ce nouveau profil

migratoire n’est pas le fruit du hasard, mais s’explique plutôt par des politiques

gouvernementales bien précises et ciblées. À l’instar du Canada, le Québec a adopté une

politique active de recrutement d’immigrants afin de contrer le phénomène de

vieillissement de la population, les faibles taux de natalité et le manque de main-d’œuvre.

Comme l’explique Béji et Pellerin, il s’agit aujourd’hui d’une politique d’immigration

choisie qui privilégie des personnes jeunes, instruites et qui parlent le français (Béji et

Pellerin, 2010 : 562). Dans les faits, cela signifie que le gouvernement du Québec favorise

davantage une immigration économique (comprenant les travailleurs qualifiés et les gens

d’affaires), comparativement aux autres catégories d’immigration, soit les réfugiés et le

regroupement familial. En 2013, l’immigration économique comptait pour 67,1 % de

l’immigration permanente (MIDI, 2014b : 1).

Par ailleurs, depuis quelques années, un paradoxe se dessine. Bien qu’une bonne part des

immigrants acceptés au Canada soient de plus en plus qualifiés, ils ont davantage de

difficultés à s’intégrer au plan socioéconomique et à trouver un emploi correspondant à

leurs qualifications. Alors que les immigrants arrivés dans les années 1970 ont bénéficié

d’un marché du travail beaucoup plus favorable à leur intégration – durant cette période, il

n’y avait pas assez de travailleurs canadiens pour répondre à la forte demande de diplômés

de l’enseignement supérieur –, les immigrants arrivés au cours des deux dernières

décennies sont beaucoup plus susceptibles d’être en situation de sous-emploi, c’est-à-dire

d’occuper un emploi ne correspondant pas à leur niveau d’instruction et à leur expérience

sociale qui n’a pas de valeur au plan analytique. Bien que je sois entièrement d’accord avec Miles, je n’utiliserai pas des guillemets à chaque fois que j’écrirai le mot « race » et ses dérivées, telles « personnes blanches », « personnes non blanches », etc. Je reviendrai sur cette question au Chapitre II.

Page 20: L’immigration péruvienne au Québec

4

(Birrell et McIsaac, 2007 : 115). À titre d’exemple, Birrell et McIsaac citent une étude de

Statistique Canada réalisée en 2003 qui révèle le déclin des revenus des immigrants entre

les années 1980 et 2000 :

En 1980, un immigré de sexe masculin ayant vécu 10 ans au Canada gagnait en moyenne 1.04 CAD pour chaque dollar gagné par son homologue autochtone. En 1990, ce chiffre est tombé à 0.90 CAD, et à 0.80 CAD en 2000. Les chiffres correspondants pour les femmes sont de 1.03 CAD, 0.93 CAD et 0.87 CAD (Birrell et McIsaac, 2007 : 115).

Ainsi, la période de « rattrapage », « c'est-à-dire le temps nécessaire à un nouvel arrivant

pour rejoindre les niveaux de rémunération de ses homologues dans la société d’accueil »

(Labelle, Field et Icart, 2007 : 25), s’est considérablement allongée au cours des dernières

années. Outre la présente conjoncture socioéconomique actuelle – caractérisée par une

polarisation de la société au sein de laquelle les revenus de nombreux salariés ont diminué

malgré la croissance économique (Labelle, Field et Icart, 2007 : 26) – d’autres facteurs

peuvent expliquer cette détérioration de la condition des nouveaux arrivants. Entre autres

choses, le manque d’expérience canadienne, la non-reconnaissance des qualifications, les

difficultés liées à l’apprentissage de la langue, ainsi que le racisme et la discrimination ont

été évoqués dans diverses études qualitatives (Birrell et McIsaac, 2007).

À ce sujet, alors que des recherches ont porté sur les expériences de racisme et de

discrimination vécues par les immigrants d’origine haïtienne ou arabe au Québec (voir

entre autres les études citées par Labelle, Field et Icart, 2007), beaucoup moins d’études

qualitatives semblent avoir été basées sur l’expérience migratoire d’autres groupes

d’immigrants, tels ceux en provenance de l’Amérique latine (Armony, 2014). La présente

thèse propose de contribuer à la riche littérature sur l’immigration et l’intégration des

immigrants en se penchant sur un groupe qui a fait l’objet de très peu d’études au Québec et

ailleurs au Canada, soit les personnes immigrantes d’origine péruvienne.

Basée sur des entrevues semi-dirigées réalisées auprès de 24 immigrantes et immigrants

péruviens dans les villes de Québec et de Montréal, cette thèse examine l’expérience

Page 21: L’immigration péruvienne au Québec

5

migratoire de ces nouveaux arrivants afin de mieux comprendre leur processus d’insertion

dans la société québécoise. S’identifiant pour la plupart comme Latino-Américains (ou

« Latinos »4) et comme faisant partie de la catégorie dite de « minorité visible », ce groupe

présente une expérience riche et unique pour mieux comprendre l’immigration au Québec.

Plus précisément, cette thèse vise trois grands objectifs, soit (1) comprendre le processus

d’insertion socioéconomique des Péruviens ; (2) étudier les réseaux sociaux développés et

mobilisés par les immigrants péruviens pour s’installer et s’intégrer au Québec et (3)

examiner la construction identitaire et le sentiment d’appartenance des Péruviens envers la

société d’accueil (et d’origine).

Le premier chapitre sert de mise en contexte pour mieux comprendre l’immigration au

Québec en général, ainsi que l’immigration latino-américaine et péruvienne, en particulier.

Il s’agira d’abord de présenter brièvement le contexte historique, politique et social de

l’immigration au Québec, de recenser par la suite les recherches les plus récentes sur

l’insertion socioéconomique des immigrants et enfin, d’offrir une brève revue de la

littérature portant plus spécifiquement sur l’immigration latino-américaine et péruvienne au

Québec.

Dans le deuxième chapitre, je présenterai le cadre théorique, ainsi que la question de

recherche et les propositions. En me basant sur les notions d’intégration, de processus de

racisation, de capital linguistique, de réseaux sociaux et d’identité, je m’inspire d’une

approche théorique féministe et antiraciste afin d’examiner les discours des immigrants

péruviens. Critiquant une approche linéaire et individualiste de l’intégration, je propose

plutôt un cadre conceptuel inspiré de la théorie de l’intersectionnalité qui conçoit

l’intégration comme un processus bidirectionnel (impliquant autant l’immigrant et les

groupes d’immigrants, que la société d’accueil) et multidimensionnel (ayant autant des

dimensions socioéconomique, culturelle, sociale, linguistique, identitaire, civique que

politique). Ce processus peut prendre différentes formes selon chaque personne immigrante

– non seulement en raison des stratégies utilisées et des réseaux sociaux présents et

4 Nous reviendrons sur le terme « Latino » au chapitre VII.

Page 22: L’immigration péruvienne au Québec

6

mobilisés, mais aussi fonction des marqueurs d’inégalité (tels la race/ethnicité, le genre ou

la classe sociale) qui caractérisent cette personne, qui l’exposent à diverses formes de

racisme, de sexisme et/ou de discrimination de classe et qui contribuent également à définir

son identité et son sentiment d’appartenance envers sa communauté ethnoculturelle, d’une

part et la société d’accueil en général, d’autre part.

Le troisième chapitre portera sur la méthodologie. Je présenterai brièvement l’échantillon,

le schéma d’entrevue, ainsi que le déroulement du recrutement et des entretiens. Je

discuterai également de ma position en tant que femme québécoise blanche et francophone

de la classe moyenne qui mène des entrevues auprès d’immigrants hispanophones

appartenant à une minorité racisée. À partir d’une analyse de 24 entrevues semi-dirigées

réalisées dans les villes de Montréal et de Québec avec 12 femmes et 12 hommes d’origine

péruvienne, cette étude de nature qualitative met l’accent sur la diversité des parcours

migratoires et des expériences vécues.

Le quatrième chapitre examinera plus en détail notre échantillon et les caractéristiques des

répondants (âge, RMR habitée, année d’arrivée au Québec, niveau d’éducation et emploi

actuel). Je me pencherai également sur les raisons qui ont poussé les Péruviens et

Péruviennes à quitter leur pays d’origine. Malgré la diversité des parcours migratoires, les

répondants citent tous des raisons similaires pour vouloir quitter le Pérou, principalement

liées à l’insécurité, à la qualité de vie, aux conditions de travail et à l’avenir des enfants.

J’examinerai également l’impact de la classe sociale et de l’histoire familiale sur la décision

d’immigrer. Ce portrait des répondants permettra de mieux situer l’analyse qui suivra dans

les prochains chapitres.

Le cinquième chapitre examinera toute la question de l’insertion socioéconomique des

immigrants péruviens et des difficultés rencontrées (leur expérience du marché du travail,

la reconnaissance de leurs qualifications, la discrimination à l’emploi, leur recherche d’un

logement, etc.). Comment les immigrants s’insèrent-ils sur le marché du travail au

Québec ? Trouvent-ils des emplois qui correspondent à leurs qualifications et à leurs

Page 23: L’immigration péruvienne au Québec

7

attentes ? À un niveau plus microsociologique, j’étudierai également la situation des

immigrants péruviens dans leur milieu de travail. Quelles sont les relations avec les autres

employés et les patrons ? Est-ce que les immigrants sont victimes de discrimination dans

leurs lieux de travail (en raison de leur race, de leur genre ou de leur classe sociale, par

exemple) ? J’examinerai quelles sont les stratégies que les immigrants péruviens adoptent

afin d’améliorer leurs conditions sur le marché du travail. Dans cette section, je

m’attarderai aussi à la classe sociale des immigrants. Au Québec, il semble que les récents

immigrants péruviens proviennent des classes sociales plus aisées du Pérou. En quoi la

classe sociale influence-t-elle l’expérience d’immigration et surtout l’expérience

d’intégration sur le marché du travail et de l’emploi ?

Dans le sixième chapitre, je me concentrerai sur le rôle des réseaux sociaux, ainsi que des

groupes et des organisations communautaires (ethnoculturels et autres) et institutionnels qui

ont pour mission de venir en aide aux immigrants. Quelles sont les ressources qui sont

mises en place par la société d’accueil pour soutenir l’intégration des immigrants

péruviens ? Comment ces organisations sont-elles utilisées ? Quelles ressources (familiales,

sociales, communautaires, gouvernementales, etc.) et quels réseaux sociaux utilisent les

immigrants pour faciliter leur établissement ? En d’autres termes, et pour reprendre le

concept de Granovetter (2008), à quels « réseaux de relations » font-ils appel ? Ici, nous

utiliserons la thèse des liens forts et des liens faibles développée par Gravenotter (1973)

pour mieux comprendre les rôles de la société d’accueil en général, et plus particulièrement

des groupes et réseaux sociaux (péruviens, latino-américains et autres), dans l’intégration

des immigrants péruviens. Toutes ces questions permettront de mieux comprendre

comment les immigrants s’organisent et se mobilisent pour « réussir leur intégration »5 et

améliorer leurs conditions de vie.

5 Plusieurs des répondants ont parlé de leur désir de « réussir leur intégration », soit d’être bien intégrés dans leur nouvelle société. Cette réussite était souvent liée à l’obtention d’un emploi qu’ils jugeaient satisfaisant (en matière de rémunération et de réalisation personnelle, entre autres) et aux connaissances linguistiques (une bonne maîtrise du français), notamment.

Page 24: L’immigration péruvienne au Québec

8

Enfin, le septième chapitre abordera les questions de l’identité des immigrants et de leur

sentiment d’appartenance envers leur société d’origine et la société d’accueil. Par exemple,

est-ce que ces nouveaux arrivants se sentent inclus ou exclus de l’imaginaire national

québécois (ou canadien) ? Partagent-ils une identité commune avec les Québécois ? Se

sentent-ils Québécois ? En bref, ont-ils le sentiment de faire partie de leur nouvelle

« communauté imaginée »6 ?

6 J’emprunte cette expression à Benedict Anderson, ([1983] 2002). Dans son livre intitulé, « L’imaginaire national : réflexion sur l’origine et l’essor du nationalisme », Anderson propose la définition suivante de la nation : « une communauté politique imaginaire, et imaginée comme intrinsèquement limitée et souveraine » ([1983] 2002 : 19). Cette communauté est « imaginaire » en raison de son manque d’interconnaissance. Comme l’indique Anderson, « elle est imaginaire (imagined) parce que même les membres de la plus petite des nations ne connaîtrons jamais la plupart de leurs concitoyens : jamais ils ne les croiseront ni n’entendront parler d’eux, bien que dans l’esprit de chacun vive l’image de leur communion » ([1983] 2002 : 19). Selon, Anderson, c’est donc sur le plan des discours et des représentations sociales que la nation est construite et imaginée, car cette dernière prend forme dans les pensées, dans l’imaginaire, de chacun des membres qui la composent.

Page 25: L’immigration péruvienne au Québec

9

Chapitre I. Mise en contexte : l’immigration au Québec

1.1 Bref contexte historique, politique et social de l’immigration au Québec

Les différentes politiques fédérales et provinciales quant à la sélection des immigrants ont

continuellement modelé le profil des nouveaux arrivants au Québec, et de ce fait, la

structure sociodémographique de la province. À la fois similaires et différentes, ces

politiques adoptées par les gouvernements fédéral et provincial à partir de la fin des années

soixante ont eu un impact majeur sur la composition de l’immigration au Québec. Alors

qu’au plan provincial, des politiques plus récentes ont ciblé le profil éducationnel et

linguistique des immigrants, sur la scène fédérale, des politiques plus anciennes visaient

plus spécifiquement l’origine nationale de ces derniers.

Au plan fédéral, en 1967, le gouvernement a mis fin à un siècle d’eurocentrisme en ce qui a

trait à l’immigration. En instaurant une grille de sélection des immigrants, basée sur un

système de points méritocratiques plutôt que sur l’origine des candidats, l’immigration en

provenance de pays non européens a connu une hausse exponentielle au cours des années

suivantes. Alors qu’avant 1967, la grande majorité des nouveaux arrivants étaient presque

exclusivement européens (et racialisés en tant que blancs), après 1967, les principaux pays

d’origine des immigrants se sont extrêmement diversifiés, la majorité de ces derniers

provenant maintenant de pays non européens. Comme l’explique Myrlande Pierre,

« jusqu’au début des années 1960, les politiques d’immigration visaient explicitement à

Page 26: L’immigration péruvienne au Québec

10

exclure les non-Blancs et favorisaient les personnes immigrantes originaires de la Grande-

Bretagne » (2005 : 82). C’est également avec la loi adoptée en 1967 que les immigrants

furent classés en trois groupes, soit les immigrants sélectionnés (les immigrants

économiques), les immigrants acceptés grâce au regroupement familial et ceux admis pour

motifs humanitaires (les réfugiés).

Au plan provincial, dès 1968, le Québec a créé son propre ministère de l’immigration

(Banting et Soroka, 2012 :160) et, en 1979, établi sa propre grille de sélection (Cousineau

et Boudarbat, 2009 : 233). En 1991, le gouvernement du Québec obtenait la juridiction

exclusive sur la sélection des immigrants économiques qui désiraient s’installer dans la

province (Cousineau et Boudarbat, 2009 : 233). Dans la foulée de l’adoption de la Charte

de la langue française en 1977, la grille de sélection du Québec pour les immigrants

économiques a dès lors octroyé plus de points pour la connaissance du français,

contrairement à ce qui prévaut dans le reste du pays. En ce qui a trait aux deux autres

catégories d’immigrants, le gouvernement fédéral est demeuré responsable de la

réunification des familles, alors que les deux paliers de gouvernement sélectionnent

ensemble les réfugiés. Par ailleurs, c’est le gouvernement fédéral qui est l’unique

responsable de l’octroi de la citoyenneté aux résidents permanents.

Bien qu’il ne puisse octroyer la citoyenneté, n’étant pas un État souverain, le Québec a tout

de même développé sa propre approche en ce qui a trait à l’accueil, à l’établissement et à

l’intégration des immigrants sur son territoire (l’interculturalisme), approche qui diffère de

celle du Canada (le multiculturalisme). À cet égard, notons que le Québec détient une

autorité complète quant à l’élaboration et l’implémentation des programmes d’aide aux

nouveaux arrivants. Plus que partout ailleurs dans les autres provinces, le Québec joue donc

un rôle beaucoup plus important en regard de la gestion de l’immigration et de la diversité

ethnoculturelle sur son territoire. Plusieurs auteurs attribuent cet intérêt marqué pour

l’immigration au statut minoritaire du Québec au sein du Canada, en tant que seule

province francophone du pays (et du continent) voulant préserver une histoire, une culture

et une langue – voire une identité collective – distincte (voir entre autres Banting et Soroka,

2012 et Gagnon et al., 2014 : 12). En fait, comme l’explique Aude-Claire Fourot, le

Page 27: L’immigration péruvienne au Québec

11

Québec, de par sa situation minoritaire sur le continent nord-américain, a toujours considéré

le multiculturalisme canadien comme étant inadéquat pour lui (2013 : 20). En pratique, cela

se traduit de différentes manières. Par exemple, en accordant plus d’importance au français

dans sa sélection des immigrants, le gouvernement du Québec souhaite contribuer

davantage à l’épanouissement du fait français sur son territoire.

C’est en 1990, avec l’énoncé de politique en matière d’immigration et d’intégration intitulé

Au Québec pour bâtir ensemble, que les bases qui serviront à l’élaboration de

l’interculturalisme ont été mises en place (Fourot, 2013). Dans cet énoncé, le gouvernement

du Québec met de l’avant la notion d’un « contrat moral » qui institue des droits et des

obligations réciproques entre les membres de la société d’accueil et les nouveaux arrivants

issus de l’immigration (MCCI – Ministère des Communautés culturelles et de

l’Immigration, 1991). Ce contrat moral ouvre la voie aux principales composantes de

l’interculturalisme, soit : le français comme la langue commune de la vie publique, le

soutien et l’encouragement à la participation et à la contribution de tous comme

mécanismes favorables à la démocratie et la nécessité de l’échange intercommunautaire

dans un contexte de pluralisme (Gagnon et al., 2014 : 9). L’énoncé de 1990 contribue aussi

à mettre de l’avant l’idée d’une « culture publique commune » (Gagnon et al., 2014 : 9),

une caractéristique propre à l’interculturalisme québécois.

Selon différents auteurs, l’approche interculturelle québécoise se distincte du

multiculturalisme canadien, puisque contrairement à ce dernier, elle reconnaît explicitement

l’existence d’une culture commune majoritaire (Bouchard, [2012] 2014 :100 et Laxer,

2013 : 1581). Le discours interculturel québécois promeut et défend le pluralisme culturel,

mais insiste aussi sur le fait que les différences culturelles doivent évoluer dans les limites

d’un cadre culturel national distinct, centré sur la langue française comme langue de la vie

publique, entre autres choses (Laxer, 2013 : 1581). Bien que le gouvernement québécois

n’ait jamais élaboré une « véritable politique institutionnelle en vue de fonder

l’interculturalisme sur des bases solides », certains éléments sont généralement reconnus

comme déterminants de cette approche québécoise (Gagnon et al., 2014 : 11). À cet égard,

Page 28: L’immigration péruvienne au Québec

12

le rapport Bouchard-Taylor sur les pratiques d’accommodements raisonnables fait mention

de cinq éléments clés propres à l’interculturalisme :

Pour aller à l’essentiel, on dira que l’interculturalisme québécois a) institue le français comme langue commune des rapports interculturels; b) cultive une orientation pluraliste soucieuse de la protection des droits; c) préserve la nécessaire tension créatrice entre, d’une part, la diversité et, d’autre part, la continuité du noyau francophone et le lien social; d) met un accent particulier sur l’intégration et la participation; et e) préconise la pratique des interactions (Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, 2008 : 121, cité dans Gagnon et al., 2014 : 11).

En bref, l’interculturalisme québécois cherche à gérer la diversité ethnoculturelle de

manière à maintenir un équilibre entre l’épanouissement d’une culture francophone –

commune et publique –, d’une part, et le respect du pluralisme culturel, d’autre part. Gérard

Bouchard soutient que la gestion de ce paradoxe entre pluralisme et inclusion constitue

« l’un des plus grands défis » de l’approche interculturelle :

En vertu d’un principe de double reconnaissance (ou de reconnaissance réciproque), l’interculturalisme reconnaît donc l’existence de fait et la légitimité d’une majorité culturelle et de minorités. Il octroie à chacune le droit d’assurer son avenir, suivant ses choix, tout en préconisant l’interaction la plus étroite possible entre ces composantes dans un objectif d’intégration. On perçoit ici un important paradoxe et en même temps l’un des plus grands défis de l’interculturalisme, soit l’institution d’un équilibre entre l’impératif du pluralisme et celui de l’inclusion. En d’autres mots, la volonté d’atténuer la dualité (ainsi que le rapport majorité-minorités) afin de réduire les frontières ou les clivages et de créer une culture commune doit composer avec le droit des membres de la majorité fondatrice et des minorités de rester attachés à leur héritage et à leur identité. L’esprit même du pluralisme conduit donc tout à la fois à atténuer et à préserver la dualité (Bouchard [2012] 2014 : 58).

En ce sens, le modèle québécois se distingue du modèle canadien en matière d’intégration,

alors que l’approche interculturelle québécoise promeut une culture commune portée par la

langue française, « par opposition au cadre bilingue et d’égalité des cultures » mis de

l’avant par le multiculturalisme canadien (Fourot, 2013 : 20).

Parmi les valeurs privilégiées au sein de cette culture commune (et outre l’affirmation du

français comme langue publique et collective), le gouvernement souligne l’égalité entre les

Page 29: L’immigration péruvienne au Québec

13

hommes et les femmes, la primauté du droit, l’exercice des droits et libertés de la personne

dans le respect de ceux d’autrui et du bien-être général, la laïcité, le respect de la

démocratie et de la liberté d’expression et la célébration de la diversité. Dans les discours

officiels, il y a donc une insistance sur l’acceptation de la diversité et le respect de la

différence. Par contre, dans les faits, plusieurs auteurs mentionnent que les immigrants,

surtout les femmes et les personnes qui font partie des minorités visibles, sont souvent

victimes de discrimination et de racisme (voir entre autres Pierre, 2005 ; Chicha, 2012 et

Cardu et Sanschagrin, 2002).

1.2 Le paradoxe de l’insertion socioéconomique des immigrants

Lorsqu’il est question d’immigration et d’intégration, plusieurs études révèlent l’existence

d’un paradoxe saillant. D’un côté, la politique active de recrutement des immigrants au

Québec, adoptée depuis le début des années 1990, mise sur leur potentiel d’employabilité

(en privilégiant des immigrants jeunes, instruits et connaissant le français), de l’autre, ces

mêmes immigrants éprouvent de plus en plus de difficultés à trouver des emplois

correspondant à leurs qualifications et de ce fait, présentent des taux de chômage plus

élevés, des revenus plus faibles et subissent des conditions de travail davantage précaires

(voir entre autres Vatz Laaroussi, 2008 et Béji et Pellerin, 2010). Plusieurs auteurs ont

analysé ce constat et ont cherché à expliquer ce phénomène.

Dans leurs travaux comparant les cohortes d’immigrants arrivées au Québec en 1981 et en

2001, Jean-Michel Cousineau et Brahim Boudarbat (2009) notent que la situation

économique des nouveaux arrivants s’est globalement détériorée à travers le temps. Ils

indiquent que « les répercussions de cette détérioration s’étaient tout à la fois manifestées

en termes de taux d’emploi plus bas, de taux de chômage plus élevés, de salaires plus

faibles, malgré la hausse du niveau de qualifications » (Cousineau et Boudarbat, 2009 :

244). Ils soulignent toutefois que ce sont les immigrants arrivés à l’âge adulte qui sont les

plus touchés. Ceux qui ont immigré avant l’âge de 18 ans s’en tirent généralement mieux.

Ils font l’hypothèse que leur capital humain, acquis au Québec, est plus avantageux sur le

Page 30: L’immigration péruvienne au Québec

14

marché de l’emploi, comparativement à un capital humain acquis à l’étranger, pour les

immigrants plus âgés.

D’autres auteurs abondent dans le même sens, mais soulignent que ce sont surtout les

femmes immigrantes, membres d’une minorité visible, qui ont le plus de difficulté à

s’insérer sur le marché du travail (bien que tous les immigrants, en général, soient affectés

par cette réalité). Par exemple, Maude Boulet (2012) note que les femmes immigrantes non

blanches présentent un taux de déqualification supérieur par rapport aux autres groupes de

la société et que cette déqualification correspond à de revenus d’emploi plus faibles. Ici, la

déqualification professionnelle est définie comme étant « le fait d’occuper un emploi qui

requiert un niveau de scolarité inférieur à celui que possède l’individu » (Boulet, 2012 :

53). De manière générale, Boulet observe que « plus la déqualification est intense, plus les

revenus d’emploi sont faibles » (2012 : 77).

Dans un même ordre d’idées, Marie-Thérèse Chicha (2012) conclut que les femmes

immigrantes sont les plus désavantagées sur le plan de la déqualification professionnelle,

bien que cette déqualification affecte l’ensemble des immigrants. En adoptant l’approche de

l’intersectionalité (qui prend en compte le cumul des marqueurs d’inégalité, tel le fait d’être

femme, d’être immigrante et d’être membre d’une minorité visible), elle se penche sur trois

séries de variables pour expliquer cette déqualification, « soit, les stratégies de la famille

immigrante, la reconnaissance des qualifications étrangères et les pratiques des

employeurs » (Chicha, 2012 : 88). Ainsi, l’auteure révèle qu’une stratégie familiale qui

mise sur l’employabilité du conjoint (alors que ce dernier pourrait effectuer un retour aux

études pour mettre à jour ses qualifications, notamment) pourrait désavantager la femme

immigrante qui risquerait de prendre rapidement un emploi « gagne-pain » (et peu qualifié)

pour soutenir la famille. Quant à la reconnaissance des diplômes acquis à l’étranger, Chicha

explique que ce processus est souvent extrêmement coûteux et compliqué et que les

chances de succès sont minces malgré « l’investissement en temps et argent » (2012 : 97).

De plus, elle souligne que les experts en charge d’évaluer les diplômes acquis à l’étranger

« pourraient, dans certains cas, associer le niveau de développement économique du pays

d’origine à la qualité des diplômes universitaires qui y sont décernés » (Chicha, 2012 : 98).

Page 31: L’immigration péruvienne au Québec

15

Enfin, pour ce qui est des pratiques des employeurs, l’auteure révèle que ces derniers

privilégient l’expérience de travail canadienne et ont tendance à recruter des employés

parmi leurs réseaux de connaissances souvent composés de personnes natives du pays. Elle

mentionne aussi les attitudes empreintes de racisme et le sexisme de la part des employeurs

et des conseillers en emploi. À ce sujet, l’étude de Ledent et Bélanger (2011), basée sur des

modèles statistiques multivariés, fait ressortir trois facteurs qui réduisent le taux de

surqualification chez les personnes immigrantes, soit « la connaissance des langues

officielles, le fait de ne pas appartenir à un groupe de minorité visible ou le fait de détenir

un diplôme occidental » (cité dans MIDI, 2013 : 5).

En bref, les facteurs qui font obstacle à l’insertion socioéconomique des nouveaux

immigrants sont nombreux et ils affectent davantage certains groupes d’immigrants, tels les

membres des minorités visibles, les immigrants arrivés à l’âge adulte et les femmes. En

plus de la non-reconnaissance des acquis et des compétences, les pratiques discriminatoires,

les barrières linguistiques (Cardu et Sanschagrin, 2002 : 107) et le manque de réseaux

sociaux (Béji et Pellerin, 2010) constituent aussi des facteurs qui rendent difficile

l’insertion socioprofessionnelle des immigrants. Pour ce qui est de la littérature portant sur

les immigrants latino-américains en général et sur les immigrants péruviens en particulier,

il en ressort un constat similaire.

1.3 L’immigration latino-américaine au Québec

En 2011, on dénombrait 98 805 immigrants latino-américains installés au Québec (soit 35

550 personnes nées en Amérique centrale et 63 255 personnes nées en Amérique du Sud),

correspondant donc à 10,1 % de la population immigrante totale et 1,3 % de la population

totale de la province (MIDI, 2014a : 38). Bien qu’il ne s’agisse pas nécessairement d’un

groupe d’immigrants important en termes de nombre et de pourcentage, il n’en demeure pas

moins que cette frange de la population ne cesse d’augmenter depuis quelques années. À

cet égard, notons que l’Amérique du Sud affiche une des plus fortes croissances d’effectifs

depuis 2006, alors que le nombre de personnes natives de cette région a augmenté de 29,8

% au Québec (MIDI, 2014a : 17).

Page 32: L’immigration péruvienne au Québec

16

En ce qui a trait plus précisément à l’histoire de cette immigration, Victor Armony (2014)

mentionne qu’il y aurait eu différentes grandes vagues migratoires depuis les années 1970.

Entre les années 1970 et 1990, la plupart des immigrants de l’Amérique latine sont venus

au Canada pour des motifs politiques (pour fuir les dictatures militaires en Amérique du

Sud – comme au Chili et en Argentine, par exemple – et les guerres civiles en Amérique

centrale – au Salvador, notamment). Cependant, depuis les années 1990, la plupart des

immigrants latino-américains ont été admis comme « immigrants économiques », en grande

majorité en tant que travailleurs qualifiés en raison de leur bon potentiel d’employabilité

sur le marché du travail. Armony (2014) qualifie ces immigrants de « réfugiés

économiques », alors que ces derniers ont fui la violence et la répression dans leur pays

d’origine et qu’ils ont eu comme principale motivation de trouver de nouveaux horizons

d’emploi et d’améliorer leur situation socioéconomique. Enfin, Armony fait état d’une

troisième vague d’immigration en provenance de l’Amérique latine qui a commencé au

début des années 2000, soit la vague des « réfugiés socioculturels » (2006 : 3). Selon

Armony, ceux qu’il appelle les « réfugiés socioculturels » se distinguent qualitativement

des autres immigrants latino-américains, puisqu’il s’agit de personnes qui immigrent par

choix (plutôt que par nécessité) et qui se caractériseraient par leurs fortes aspirations de

mobilité sociale. Il s’agit d’ailleurs de familles appartenant à la classe moyenne dans leur

pays d’origine et dont les adultes ont une formation universitaire et une expérience

professionnelle considérable. Tout comme une bonne partie des immigrants des années

1990, ces immigrants sont admis au Canada en tant que travailleurs qualifiés. Bien que ces

immigrants latino-américains fassent partie de la classe moyenne dans leur pays d’origine,

Armony (2014) note qu’ils vivent tout de même des difficultés d’insertion sur le marché de

l’emploi et une certaine mobilité socioéconomique descendante dans leur terre d’accueil

(tous comme plusieurs autres groupes d’immigrants non européens appartenant à des

minorités visibles). Les conclusions d’Armony quant à la difficile insertion économique des

immigrants latino-américains sont également reflétées dans d’autres études.

En effet, les quelques études réalisées sur les immigrants latino-américains révèlent que,

tout comme plusieurs autres groupes d’immigrants, ils sont victimes de déqualification

Page 33: L’immigration péruvienne au Québec

17

socioprofessionnelle (voir entre autres Rojas-Viger, 2006 et Pagnotta, 2011). Ces études

confirment que les Latino-Américains sont confrontés aux mêmes problèmes que les autres

groupes d’immigrants non européens (tels la non-reconnaissance des acquis et des

compétences, le manque d’expérience canadienne, la discrimination et les barrières

linguistiques). Bien que les auteurs de ces études mettent l’accent sur une expérience

collective de déqualification, plusieurs d’entre eux soulignent également le fait que les

immigrants latino-américains ne forment pas un groupe homogène. Ces immigrants dit

« latinos » proviennent en fait d’une diversité de pays, appartiennent à différentes classes

sociales et catégories racisées (certains ayant des traits phénotypiques plus autochtones

considèrent qu’ils font partie des minorités visibles, alors que d’autres se qualifient de

blancs) et sont admis selon différentes catégories d’immigration (pensons notamment aux

réfugiés en provenance de la Colombie qui se sont installés au Québec au cours des

dernières années). En ce sens, les immigrants latino-américains forment un groupe tout à

fait hétérogène et diversifié. Chaque immigrant est susceptible de vivre une expérience

d’immigration différente, influencée entre autres par sa classe sociale, son pays d’origine,

son éducation et son ethnicité.

À cette diversité socioéconomique et ethnique s’ajoute une diversité spatiale des lieux de

résidence des immigrants latinos-américains. En effet, en termes de répartition

géographique, il n’y aurait pas vraiment un quartier « latino » au Québec (comme le

quartier chinois à Montréal, par exemple) où l’on trouverait une forte concentration de

Latino-Américains. Alors que la grande majorité des immigrants latino-américains vivent

dans la région de Montréal, ils sont dispersés un peu partout dans les différents quartiers de

la métropole. Comme l’explique Madga Garcia Lopez (2003), la dispersion résidentielle

des immigrants latino-américains à Montréal (et ailleurs au Canada) présente un portrait

bien différent par rapport à d’autres groupes d’immigrants et par rapport à la concentration

géographique des Latinos que l’on retrouve dans certaines villes des États-Unis :

En ce qui concerne la dimension de l’implantation résidentielle latino-américaine par rapport à d’autres groupes d’immigrants (Portugais, Italiens, Libanais, etc.), on observe une relative dispersion résidentielle. La dispersion résidentielle des immigrants latino-américains montréalais, qui résident dans différents quartiers de la ville et des municipalités de la proche banlieue, contraste fortement avec la concentration souvent

Page 34: L’immigration péruvienne au Québec

18

accentuée des immigrants latino-américains à l’intérieur des grandes agglomérations américaines. On est loin de la figure du barrio des villes des États-Unis (Garcia Lopez, 2003 : 8).

Par ailleurs, s’il n’y a pas vraiment de quartier résidentiel à caractère latino-américain,

d’autres auteurs soutiennent qu’il existe tout de même depuis quelques années un secteur

commercial « latino » à Montréal. Dans leur article portant sur les pratiques d’envoi

d’argent et de biens des immigrants originaires d’Amérique latine, Nathalie Tran et Jorge

Pantaleón (2010) font référence à un secteur que leurs répondants appellent le « barrio

latino ». Cette zone, située dans les quartiers Rosemont-Petite-Patrie et Villeray, « plus

précisément dans un quadrilatère délimité, au nord par la rue de Castelnau, au sud par la rue

Bélanger, à l’ouest par la rue St-Denis et à l’est par la rue Christophe-Colomb », comprend

plusieurs commerces latino-américains (Tran et Pantaléon, 2010 : 126). C’est d’ailleurs

dans ce secteur que Tran et Pantaleón ont interrogé dix répondants-envoyeurs latino-

américains qui fréquentaient des agences de transferts d’argent et de biens. Ces auteurs

révèlent que les envoyeurs adultes utilisent les agences de transferts d’argent et de biens

afin de répondre à des obligations familiales et de soutenir des membres de la famille qui

sont restés en Amérique latine. Les auteurs concluent que ces agences locales, destinées

aux membres de la communauté latino-américaine, sont « simultanément des lieux de

transaction économique et des lieux de génération d’un certain genre de sociabilité » (Tran

et Pantaleón, 2010 : 138). S’inspirant des écrits de Marcel Mauss et de Jacques T. Godbout,

les auteurs montrent qu’il ne s’agit pas ici de transactions purement économiques, mais

plutôt de formes de dons et de contre-dons, empreintes de significations, qui sont effectuées

dans un contexte où la migration économique est synonyme de stratégie familiale. Ces

formes d’échange-don marquent, solidifient et maintiennent le lien social et affectif entre

les membres de familles transnationales.

En bref, les différentes études portant sur les immigrants latino-américains au Québec font

état d’une immigration diversifiée, où les migrants sont confrontés à des difficultés

d’insertion socioéconomique. La dernière vague d’immigration, composée en grande partie

de travailleurs qualifiés, reflète les politiques d’immigration québécoises (et canadiennes)

qui mettent l’accent sur le recrutement de ce type de migrants internationaux. Ces derniers

Page 35: L’immigration péruvienne au Québec

19

immigrent souvent dans le cadre d’une stratégie familiale afin d’améliorer leur situation

économique et leur qualité de vie. L’immigration péruvienne récente, qui fait l’objet de

cette thèse, reflète également cette nouvelle réalité et les quelques études qui ont été

réalisées jusqu’à maintenant confirment cette tendance.

1.4 L’immigration péruvienne au Québec

1.4.1 Le profil sociodémographique7 Avant de présenter les quelques études qui ont porté sur l’immigration péruvienne, il

importe de dresser un bref profil sociodémographique de cette population. Selon l’Enquête

nationale auprès de ménages de 2011, réalisée par Statistique Canada, il y aurait 15 685

personnes d’origine ethnique péruvienne au Québec (MIDI, 2014c). Parmi celles-ci, 66,6 %

d’entre elles sont nées à l’étranger et font donc partie de la première génération

d’immigrants. Il s’agit ainsi d’une immigration récente ; en 2011, 62,5 % des membres

immigrés de cette communauté s’étaient installés au Québec au cours des 15 dernières

années et 27,3 % d’entre eux étaient arrivés dans la province au cours des 5 dernières

années. Parmi les membres de cette communauté, on compte une forte proportion de

personnes qui se disent appartenir à un groupe de minorité visible, soit huit membres sur

dix. Notons aussi que la communauté péruvienne compte légèrement plus de femmes que

d’hommes (53,6 % par rapport à 46,4 %) et qu’il s’agit d’une population jeune, alors que

deux personnes sur cinq ont moins de vingt-cinq ans (42,8 %) et que 34,5 % sont âgées de

25 à 44 ans. Pour l’ensemble du Québec, ces proportions sont respectivement de 28,9 % et

26,2 %. Enfin, « le poids relatif représenté par les enfants est significativement plus élevé

au sein de la communauté péruvienne qu’il ne l’est pour l’ensemble de la population du

Québec », soit 43,3 % comparativement à 28,4 % (MIDI, 2014c : 5).

Quant au niveau de scolarité des membres de cette communauté, notons qu’à l’instar

d’autres groupes d’immigrants récents, les personnes d’origine péruvienne sont en général 7 Toutes les statistiques citées dans cette section proviennent du document intitulé Portrait statistique de la population d’origine ethnique péruvienne au Québec en 2011, réalisé par la Direction de la recherche et de l’analyse prospective du ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion du Gouvernement du Québec (MIDI) (2014c).

Page 36: L’immigration péruvienne au Québec

20

plus éduquées comparativement à l’ensemble de la population du Québec. En effet, 28,5 %

d’entre elles détiennent un diplôme universitaire, un pourcentage supérieur à celui de

l’ensemble de la population québécoise (qui est de 18,5 %). Pour ce qui est de l’éducation

secondaire, la proportion de Péruviens qui n’ont pas dépassé le diplôme d’études

secondaires est moins élevée que celle observée au sein de la population québécoise (soit

37,8 % comparativement à 43,9 %). Malgré ce plus haut taux d’éducation, les personnes

d’origine péruvienne affichent tout de même des revenus médian (22 209 $) et moyen (27

320 $) moins élevés que ceux enregistrés pour l’ensemble des Québécois (respectivement

28 099 $ et 36 352 $). Le taux de chômage chez les personnes d’origine péruvienne (10,5

%) est d’ailleurs plus élevé que celui de l’ensemble de la population québécoise (7,2%).

La majorité des membres de la communauté péruvienne (91,8 %) vivent dans la région

métropolitaine de recensement (RMR) de Montréal (tout comme la plupart des autres

immigrants d’origine latino-américaine, d’ailleurs). Ces personnes d’origine péruvienne

sont réparties comme suit dans les différentes régions administratives de ce secteur : près de

60 % d’entre elles vivent dans la région administrative de Montréal, alors que 17,7 %

d’entre elles habitent la région de la Montérégie et 10,3 %, celle de Laval. Seulement 2,4 %

des immigrants péruviens habitent la RMR de Québec (380 personnes) et 2,3 % (355

personnes) celle de Gatineau. Parmi les personnes d’origine péruvienne qui habitent la ville

de Montréal, 15,5 % d’entre elles vivent dans l’arrondissement Villeray-Saint-Michel-Parc-

Extension, 11,2 % dans celui de Montréal-Nord, 9,7 % dans celui de Rosemont-La Petite-

Patrie et 9 % dans celui de Saint-Léonard. Ainsi, bien qu’il n’existe pas de quartier

péruvien comme tel, il est tout de même intéressant de noter que 45,4 % des personnes

d’origine péruvienne qui habitent la ville de Montréal se concentrent dans quatre

arrondissements adjacents, situés au Nord-Est de la ville (Figure 1).

Page 37: L’immigration péruvienne au Québec

21

Figure 1 : Répartition géographique des Péruviens à Montréal : les quatre quartiers les plus

populaires

Note : 45,4 % des personnes d’origine péruvienne qui habitent la ville de Montréal ont élu domicile dans quatre quartiers adjacents, soit Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension (15,5 %), Montréal-Nord (11,2 %), Rosement-La Petite-Patrie (9,7 %) et Saint-Léonard (9,0 %). Source : Ville de Montréal, http://ville.montreal.qc.ca/portal/page?_pageid=5798,85493596&_dad=portal&_schema=PORTAL

En bref, la population d’origine péruvienne au Québec est avant tout urbaine, jeune et

davantage scolarisée que l’ensemble de la population québécoise. Elle se concentre dans les

grandes villes, plus précisément dans la région de Montréal et de ses banlieues (et en

majorité dans la ville de Montréal elle-même).

1.4.2 Les études qualitatives Quant aux études qualitatives portant sur l’immigration péruvienne au Québec, notons tout

d’abord que peu de travaux ont été réalisés sur ce sujet. Alors que plusieurs études ont porté

sur les immigrants péruviens dans différents pays (pour le Chili, voir entre autres Mora et

Undurraga, 2013; Stefoni, 2011; Núñez Carrasco, 2010; Mora, 2008; Staab et Maher, 2006;

Page 38: L’immigration péruvienne au Québec

22

Maher et Staab, 2005; pour une comparaison entre le Chili et les États-Unis, voir Sabogal et

Núñez, 2010; et pour une étude comparative portant sur les États-Unis, l’Espagne, le Japon

et l’Argentine, voir Paerregaard, 2008), très peu d’auteurs se sont penchés sur

l’immigration péruvienne au Québec. Comme l’expliquent Ayumi Takenaka, Karsten

Paerregaard et Ulla Berg (2010), les émigrants péruviens se sont d’abord dirigés vers les

États-Unis et, à partir de la fin des années 1980, vers d’autres destinations comme

l’Espagne, l’Italie et le Japon. Plus récemment, l’Argentine et le Chili sont devenus des

destinations importantes pour les émigrants péruviens. En effet, depuis la seconde moitié

des années 1990, de plus en plus de Péruviens ont émigré vers ces deux pays. Selon

Takenaka, Paerregaard et Berg (2010), deux principaux facteurs expliquent cette tendance :

la difficulté de trouver des emplois dans les marchés du travail en Espagne, en Italie et au

Japon, d’une part, et la demande croissante pour une main-d’œuvre non qualifiée en

Argentine et au Chili. Aujourd’hui, plus de 10 % de la population du Pérou (soit près de 3

millions de Péruviens) habite à l’extérieur du pays (Takenaka, Paerregaard et Berg, 2010 :

5). Près d’un million de Péruviens vivent maintenant aux États-Unis (Altamirano 2006, cité

dans Takenaka, Paerregaard et Berg, 2010 : 5) – soit la destination comprenant la plus

importante concentration de ressortissants –, 120 300 en Espagne, 70 800 en Italie (OCDE,

2009, cité dans Takenaka, Paerregaard et Berg, 2010 : 6), 120 000 en Argentine et 130 000

au Chili (Mora et Undurraga, 2013 : 295). En comparaison, avec une communauté

péruvienne comprenant près de 16 000 membres, un nombre bien inférieur à celui d’autres

destinations beaucoup plus populaires, le Québec n’a pas été l’objet de plusieurs études. Par

ailleurs, il existe tout de même trois mémoires de maîtrise, réalisés au cours des dernières

années, qui ont porté sur l’immigration péruvienne au Québec (Charbonneau, 2011 ;

Murrugarra Cerna, 2010 et Chung Bartra, 2009).

Dans un premier temps, le mémoire de maîtrise de Denis Charbonneau (2011) offre une

analyse comparative et historique sur l’immigration péruvienne. Dans son mémoire de

maîtrise en histoire, Charbonneau examine les facteurs d’expulsion et d’attraction qui ont

amené les Argentins et les Péruviens à quitter leur pays pour venir s’installer à Montréal à

partir de 1960. Il explore quels phénomènes socioéconomiques et politiques ont amené les

Péruviens et les Argentins à émigrer et quelles sont les raisons qui les ont poussés à choisir

Page 39: L’immigration péruvienne au Québec

23

Montréal. Charbonneau analyse également l’intégration de ces deux groupes d’immigrants

en examinant trois indicateurs, c’est-à-dire l’usage du français, la vie professionnelle et

l’intégration en milieu urbain. Afin de réaliser cette étude, l’auteur a utilisé trois types de

données, soit les statistiques gouvernementales sur l’immigration péruvienne et argentine ;

une trentaine d’entrevues réalisées auprès des membres de ces deux groupes d’immigrants ;

et enfin, 14 demandes de statut de réfugié obtenues en vertu de la loi sur l’accès à

l’information.

Charbonneau révèle que l’immigration en provenance du Pérou a été peu nombreuse et

surtout de nature indépendante entre 1960 et 1980. À cette époque, ce sont davantage des

Péruviens relativement aisés qui immigrent en raison de « motifs personnels », entre autres

pour voyager, poursuivre leurs études ou rejoindre leur famille (Charbonneau, 2011 : 36).

Entre 1968 et 1980, 1311 Péruviens ont immigré au Québec. Depuis le milieu des années

1980, par contre, les flux migratoires en provenance du Pérou ont augmenté. Charbonneau

explique que la situation politique et socioéconomique de l’époque a poussé beaucoup de

Péruviens à émigrer. La violence, liée aux affrontements entre l’État péruvien et les

guérillas du Sentier Lumineux, ainsi que les problèmes économiques (telle

l’hyperinflation), auraient amené plusieurs Péruviens à quitter leur pays (Charbonneau,

2011 : 49). Charbonneau note aussi une « diversification des catégories d’immigrants »

durant cette période, alors que la proportion de Péruviens admis dans le cadre de

réunifications familiales a été beaucoup plus importante qu’auparavant. Selon

Charbonneau, cette situation « illustre un accroissement des migrations en chaîne pour ce

groupe », alors que « [l]es Péruviens qui se sont installés durant les années 1960, 1970 et au

début des années 1980 ont attiré des amis, des membres de leur famille à venir s’installer à

Montréal » (2011 : 54). Vers la fin de cette période, il y a également eu une augmentation

importante du nombre de réfugiés, soit dans les années 1991 et 1992. En effet, entre 1981 et

1990, le Québec a admis seulement 86 réfugiés péruviens, comparativement à 148 en 1991

et 258 en 19928. En tout, ce sont 3745 immigrants péruviens (répartis selon les trois

8 Ici, il importe de mentionner que la politique d’immigration du Québec a été modifiée en 1991 et qu’elle a dès lors permis l’accueil d’un plus grand nombre de réfugiés (Chung Bartra, 2009), ce qui pourrait expliquer la hausse d’immigrants péruviens appartenant à cette catégorie durant ces années.

Page 40: L’immigration péruvienne au Québec

24

catégories d’immigration, soit 42,30 % provenant de l’immigration économique, 44,57 %

du regroupement familial et 13,14 % de réfugiés et autres) que le Québec a accueillis entre

1981 et 1992 (Québec, ministère de l’Immigration et des communautés culturelles, 2009,

cité dans Charbonneau, 2011 : 50).

Charbonneau rapporte que ce sont durant les années 1990 et 2000 que le Québec a admis le

plus grand nombre de Péruviens, alors que les « admissions annuelles pour ce groupe sont

demeurées élevées et ont même parfois augmenté (2011 : 74). En tout, ce sont 8 611

immigrants péruviens qui ont été admis au Québec entre 1993 et 2008. Encore une fois, ce

serait la situation économique difficile (illustrée par notamment par l’hyperinflation), qui

aurait incité plusieurs Péruviens à émigrer afin d’« améliorer leurs conditions de vie »

(Charbonneau, 2011 : 75). Charbonneau explique aussi que la famille et les réseaux de

connaissances ont constitué un « facteur d’attraction important » pour les immigrants

péruviens à Montréal (2011 : 75). Depuis les années 2000, il y a également eu une hausse

marquée du nombre d’immigrants péruviens détenant un diplôme universitaire et venant

s’installer dans la métropole. Comme l’explique Charbonneau, cette situation s’explique

par le fait que les gouvernements provincial et fédéral ont adopté des critères de sélection

des immigrants qui favorisent l’admission de travailleurs dits « qualifiés » durant les années

1990 (2011 : 82). Entre 1993 et 2008, 2654 immigrants économiques d’origine péruvienne

(comprenant les travailleurs qualifiés) ont été admis au Québec (correspondant à 30,82% du

total d’immigrants péruviens reçus durant cette période), alors que le regroupement familial

a permis l’admission de 2503 immigrants péruviens durant ce même intervalle (soit 29,07

% du total d’immigrants péruviens admis entre 1993 et 2008).

Un bon nombre de réfugiés ont également été admis à cette époque (soit 3454 réfugiés,

correspondant à 40 % de l’ensemble des immigrants péruviens reçus au Québec entre 1993

et 2008). Ici, Charbonneau mentionne qu’il est possible de croire que certains de ces

Péruviens sont en fait de « faux réfugiés » qui auraient « demandé le statut de réfugié au

Canada sans réellement avoir eu leur vie en danger dans leur pays d’origine » (2011 : 81-

82). Il cite un reportage du quotidien La Presse ainsi qu’une recherche réalisée dans le

cadre de l’émission Enquête de Radio-Canada pour soutenir ces allégations. Par ailleurs, il

Page 41: L’immigration péruvienne au Québec

25

apporte tout de même un bémol à cette affirmation, puisqu’il soutient qu’il est difficile de

« chiffrer le nombre de ‘faux réfugiés’ chez les Péruviens » (Charbonneau, 2011 : 81-82).

Dans le cadre de cette thèse, je cherche moins à confirmer l’existence ou non de « faux

réfugiés », mais plutôt à comprendre comment les personnes qui sont susceptibles d’être

perçues comme de « faux réfugiés » vivent cette situation et comment cette dernière

pourrait affecter (ou non) leur construction identitaire et leur intégration. En d’autres

termes, je cherche à comprendre comment les préjugés et les discours populaires au sujet

des immigrants péruviens, notamment, peuvent avoir un impact sur leur expérience

d’immigration.

Au sujet de l’intégration, Charbonneau a réalisé des entrevues auprès de 17 immigrants

péruviens (sept femmes et dix hommes) arrivés à différentes périodes entre 1960 et 2008

afin de mieux comprendre leur insertion au sein de la société québécoise. L’auteur

mentionne d’abord que les immigrants péruviens « présentent des statistiques peu

reluisantes en matière de revenus et d’emplois », avec, en 2006, un revenu moyen moins

élevé que le revenu moyen au Québec et un taux de chômage supérieur à la moyenne

québécoise (Charbonneau, 2011 : 93-94). Par ailleurs, Charbonneau apporte une nuance

intéressante à ce constat, puisqu’il montre que les immigrants présentent une expérience

différente selon leur période d’arrivée à Montréal. En effet, il révèle que les « Péruviens et

les Argentins arrivés dans les années 1960 et 1970 semblent avoir bénéficié d’un contexte

économique plus favorable, avec de plus grandes opportunités d’emplois et un taux de

chômage plus bas » (Charbonneau, 2011 : 99). Au contraire, les immigrants arrivés au

cours des années 1980, 1990 et 2000 ont dû faire face à un marché du travail de plus en

plus compétitif, caractérisé entre autres par une hausse des emplois atypiques et un

ralentissement des activités industrielles et manufacturières (Charbonneau, 2011 : 100).

Dans leur étude sur la situation économique des immigrants au Québec, Cousineau et

Boudarbat (2009) en arrivent à une conclusion similaire. En se basant sur les données de

recensement de 1981 et 2001, ils constatent que la situation économique des immigrants

s’est globalement détériorée. Alors que Cousineau et Boudarbat n’écartent pas l’hypothèse

de la discrimination envers les immigrants, Charbonneau, quant à lui, demeure plus

sceptique. Ce dernier suggère qu’il y aurait peut-être une « certaine discrimination

Page 42: L’immigration péruvienne au Québec

26

économique de la part de la société québécoise » à l’endroit des Péruviens et des Argentins

en raison de leur origine ethnique (Charbonneau, 2011 : 103). Par ailleurs, il conclut qu’il

est difficile de confirmer cette hypothèse puisqu’aucune des personnes qu’il a interviewées

« [n’]a mentionné avoir subi de la discrimination par rapport à sa vie professionnelle »

(Charbonneau, 2011 : 103). Dans le cadre de cette thèse, j’aimerais examiner davantage

cette interprétation à travers mes entrevues avec les immigrants péruviens.

Dans un deuxième temps, Juan Carlos Murrugarra Cerna (2010), quant à lui, s’attarde

davantage à la question de la discrimination vécue par les immigrants péruviens. Alors que

son mémoire en sociologie – intitulé L’impact du loisir sur l’intégration sociale des

minorités ethniques à Montréal : le cas des nouveaux arrivants originaires du Pérou –

porte principalement sur le rôle du loisir dans l’intégration des immigrants péruviens, il

aborde tout de même la problématique de la discrimination, si ce n’est qu’au passage.

À travers des entrevues réalisées auprès de cinq personnes d’origine péruvienne (quatre

hommes et une femme âgés de 30 à 36 ans et arrivés au Québec moins de cinq ans avant les

entretiens), il constate que tous les répondants mentionnent avoir été victimes de

discrimination au Québec et plus particulièrement lors de la recherche d’un emploi.

Murrugarra Cerna explique que la discrimination se manifeste entre autres lors de

l’embauche, alors que les emplois sont octroyés en fonction d’une échelle hiérarchisée et

« racisée » :

Nos interlocuteurs insistent pour dire qu’il existe de la discrimination que nous pouvons résumer grâce à une sorte d’échelle que Marcel [un des répondants de l’étude] essaie de définir, où la priorité est accordée d’abord aux Québécois, puis aux Canadiens, ensuite aux Européens, enfin aux minorités. À ce sujet, le privilège est donné en fonction de l’affinité avec la culture dominante du pays : il faut parler parfaitement le français (en faisant une comparaison entre migrants les Français se trouvent favorisés) et parler l’anglais (c’est le cas des Canadiens anglophones ou de toute autre personne ayant l’anglais comme langue maternelle) […] (Murrugarra Cerna, 2010 : 44).

À cela s’ajoute le sentiment, partagé par tous les répondants de Murrugarra Cerna, que « les

Québécois seraient des personnes fermées, c’est-à-dire des personnes qui ne sont pas

Page 43: L’immigration péruvienne au Québec

27

promptes à sociabiliser avec les immigrants » (2010 : 78). Murrugarra Cerna souligne

qu’« [i]l s’agit sans doute d’une perception subjective, mais qui concorde avec l’idée que le

groupe majoritaire reste hermétique » (2009 : 78). Bien que les travaux de Murrugarra

Cerna se basent sur un très petit corpus (seulement cinq personnes ont été interrogées), ils

reflètent tout de même ce que d’autres auteurs ont observé quant à la discrimination vécue

par différents groupes d’immigrants au Québec (voir en autres Cardu et Sanschagrin, 2002 ;

Racine, 2009 et Chicha, 2012) et dans d’autres endroits au Canada (voir entre autres

Creese, 2011 pour la Colombie-Britannique et Henry, 1994 pour l’Ontario).

Si Murrugarra Cerna se penche brièvement sur le phénomène de la discrimination, il étudie

par ailleurs en profondeur l’apport du loisir dans l’intégration sociale des immigrants

péruviens. Il en conclut que le loisir « est partie intégrante du processus d’intégration à la

société d’accueil » (2010 : 95), bien que la langue (savoir communiquer dans la langue de

la majorité) et l’emploi (obtenir un emploi satisfaisant aux plans matériel et professionnel)

soient les deux facteurs clés de l’intégration (2010 : 101). Murrugarra Cerna explique que

le loisir « s’avère une stratégie d’adaptation » qui encourage l’interaction sociale (2010 :

101). En fait, les entrevues réalisées par l’auteur révèlent que le loisir facilite et favorise les

rapprochements avec le groupe majoritaire :

En effet, des liens d’amitié se développent grâce à des expériences sociales (sociabilité) et socialisatrices diverses, et à la consommation de biens et de services. La reproduction de l’identité ethnique notamment à travers la communalisation ethnique est également favorisée par le loisir. L’harmonie entre la communalisation et l’intégration permettent alors à l’immigrant de traverser différents espaces et rencontrer divers groupes (Tirone et Pedlar, 2005) ainsi que de s’accorder une satisfaction plaisante parce que le loisir est une affaire étroitement liée à la quête du plaisir (Murrugarra Cerna, 2010 : 95).

En bref, le loisir jouerait un rôle important dans l’intégration des immigrants, et ce, peu

importe si les activités de loisir sont pratiquées à l’intérieur du groupe ethnique minoritaire

(comme manger dans des restaurants péruviens, suivre des cours de danse traditionnelle,

participer aux activités d’une association péruvienne) ou au sein du groupe majoritaire

(comme participer à des activités sportives, aller au cinéma, suivre des cours de langue,

etc.).

Page 44: L’immigration péruvienne au Québec

28

Enfin, dans un troisième temps, Victor Armando Chung Bartra (2009), à l’instar de

Charbonneau (2011), adopte une perspective historique dans son mémoire de maîtrise en

démographie intitulé L’évolution de la migration du Pérou vers le Québec de 1973 à 2005.

Dans son étude, Chung Bartra analyse les caractéristiques démographiques et

socioéconomiques des immigrants en provenance du Pérou entre 1973 et 2005, d’une part,

et d’autre part, il examine les déterminants de cette immigration. En se basant sur trois

principales sources de données, soit les statistiques du ministère de l’Immigration et des

Communautés culturelles du Québec (MICC), de Statistique Canada et de l’Institut national

de la Statistique et de l’Informatique du Pérou (INEI), l’auteur se penche d’abord sur les

caractéristiques des émigrants péruviens. Il révèle que la plupart des émigrants

internationaux péruviens proviennent des régions urbaines et en grande partie de Lima, la

capitale. Tout comme Charbonneau (2011), Chung Bartra souligne également le fait que les

immigrants péruviens au Québec sont de plus en plus scolarisés et ont une meilleure

connaissance du français et de l’anglais depuis les années 2000 – un profil démographique,

rappelons-le, qui est encouragé par les politiques d’immigration québécoise et canadienne

qui favorisent l’admission de travailleurs indépendants. Par contre, il note aussi que la

plupart des immigrants péruviens ne connaissent ni le français ni l’anglais à leur arrivée au

Québec et qu’ils conservent tous l’espagnol comme langue d’usage à la maison. En général,

et ce, pour la période étudiée (1973-2005), il constate que l’immigration des Péruviens est

jeune, alors que « la plupart des migrants ont entre 25 et 34 ans (tant pour les femmes que

pour les hommes) et que les migrants âgés de 0 à 14 ans sont plus nombreux que ceux âgés

de 15 à 24 ans » (Chung Bartra, 2009 : 75). C’est aussi une immigration qui comporte

légèrement plus de femmes que d’homme.

L’auteur compare également les différentes catégories d’immigrants quant à leur

connaissance des langues officielles. À ce sujet, il souligne que les nouveaux arrivants

péruviens admis grâce au regroupement familial ont généralement une faible connaissance

des langues officielles. En comparaison, « le fait d’être réfugié ne signifie pas un manque

de connaissance des langues officielles » (Chung Bartra, 2009 : 76). Quant aux attentes

professionnelles des Péruviens, il souligne que lors des périodes où il y a davantage

Page 45: L’immigration péruvienne au Québec

29

d’immigrants faisant partie du regroupement familial et des réfugiés (entre 1973 et 2000,

par exemple), les emplois projetés sont ceux qui requièrent généralement peu d’années

d’études. Par contre, depuis les années 2000, avec l’arrivée d’un plus grand nombre de

travailleurs indépendants, il révèle que les emplois projetés nécessitent plus d’années de

scolarité.

Afin de mieux comprendre les déterminants de l’immigration péruvienne, Chung Bartra a

réalisé des entrevues auprès de 30 Péruviens (15 femmes et 15 hommes) âgés de 18 ans et

plus qui sont arrivés au Québec entre 1995 et 2005. Il rapporte que les raisons les plus

mentionnées pour choisir le Canada et le Québec sont l’opportunité d’accéder à un

processus de migration légitime, d’une part et d’autre part, la possibilité de pouvoir

améliorer son niveau de vie. Les répondants mentionnent aussi « l’avenir des enfants, le

respect des droits des individus, la sécurité, l’égalité ethnique » et « la possibilité

d’apprendre des langues » (Chung Bartra, 2009 : 67). Pour ce qui est du Québec en

particulier, il mentionne que la présence de la famille et d’amis est de loin la raison la plus

importante dans le choix de cette destination. Quant aux raisons pour quitter le Pérou, il

constate que l’avenir des enfants est ce qui est le plus important pour les répondants. Le

manque de sécurité au Pérou (relié au terrorisme ou non), « la recherche du bien-être

économique lié à la possibilité de trouver un emploi », ainsi que le manque de travail et

l’instabilité économique au Pérou sont aussi des raisons importantes qui ont motivé le

projet migratoire (Chung Bartra : 2009 : 67). Il constate que les personnes arrivées entre

1995 et 2000 mentionnent davantage la violence sociale au Pérou, et en particulier le

terrorisme, comme une des principales raisons pour quitter leur pays. En revanche, les

Péruviens arrivés entre 2000 et 2005 mentionnent davantage les aspects économiques (tel le

manque de travail et le manque de stabilité au travail) plutôt que la violence sociale. Chung

Bartra explique cette différence entre cohortes par le fait que les événements de violence au

Pérou ont débuté dans les années 1980 et se sont terminés au milieu des années 1990.

En ce qui a trait à l’insertion socioéconomique des immigrants péruviens, Chung Bartra

souligne que seulement 38 % de ses répondants ont trouvé un emploi dans leur domaine de

Page 46: L’immigration péruvienne au Québec

30

formation. Cette statistique n’est pas surprenante et elle reflète une réalité bien documentée

dans les différentes études portant sur l’insertion professionnelle des immigrants.

Les quelques travaux qui ont été réalisés sur l’immigration péruvienne au Québec jusqu’à

maintenant sont surtout de nature descriptive et historique, offrant un portrait détaillé du

profil sociodémographique des immigrants péruviens au cours des dernières années. Les

auteurs expliquent aussi très bien les motifs qui ont poussé les Péruviens à quitter leur pays

– tels la violence sociale, le terrorisme, le manque de travail, le désir de trouver un meilleur

emploi et d’offrir un meilleur avenir pour ses enfants, entre autres – et les raisons pour

choisir le Québec – comme la présence de la famille et d’amis déjà installés et la possibilité

de réaliser une migration légitime (Chung Bartra, 2009 : 67), notamment. Par ailleurs, mis à

part l’étude sur le loisir, ces études ne se penchent pas de manière approfondie sur

l’expérience d’immigration et d’insertion des immigrants péruviens dans leur nouvelle

société, notamment en ce qui a trait à leur déqualification sur le marché du travail, aux

expériences de discrimination qu’ils auraient pu vivre, aux stratégies d’intégration utilisées

(telle la mobilisation de réseaux sociaux) et à leur sentiment identitaire et d’appartenance.

Avec la présente étude qualitative menée dans le cadre de cette thèse, je souhaite

approfondir ces dimensions de l’intégration.

1.5 Conclusion

En résumé, cette brève revue de la littérature rappelle que c’est seulement depuis la fin des

années 1960 que le Canada a modifié sa politique d’immigration eurocentrique afin

d’accueillir des immigrants non européens. Au Québec, le gouvernement provincial a dès

lors créé son propre ministère de l’immigration en 1968 et obtenu la juridiction exclusive

sur la sélection des immigrants économiques sur son territoire. En matière d’intégration, la

province francophone a aussi développé sa propre approche (quoique non

institutionnalisée), soit l’interculturalisme qui vise à la fois l’épanouissement d’une culture

francophone commune et le respect du pluralisme culturel. Par ailleurs, malgré cette

volonté de respecter la diversité culturelle, les recherches récentes sur l’intégration des

immigrants révèlent que ces derniers ont de plus en plus de difficulté à s’insérer

Page 47: L’immigration péruvienne au Québec

31

socioéconomiquement. Les immigrants récents occupent davantage d’emplois

déqualifiants, ont un taux de chômage plus élevé et des revenus plus faibles (voir, entre

autres, Vatz Laaroussi, 2008 ; Béji et Pellerin, 2010 et Cousineau et Boudarbat, 2009) et ce,

malgré un gouvernement provincial qui choisit les immigrants en raison de leur potentiel

d’employabilité (en privilégiant des personnes jeunes, instruites et parlant le français).

En ce qui a trait aux immigrants en provenance de l’Amérique latine, les quelques études

portant sur cette population révèlent une situation similaire. Il appert que les immigrants

latinos-américains sont également sujets à la déqualification socioprofessionnelle. La

littérature sur cette population met aussi l’accent sur sa diversité et l’hétérogénéité de ce

groupe d’immigrants, provenant de différents pays, de différentes classes sociales et de

différentes catégories racisées (alors que certains se considèrent comme blancs et d’autres

comme appartenant aux minorités visibles) (Armony, 2014). À cette hétérogénéité

ethnique, socioéconomique, culturelle et nationale, s’ajoute une hétérogénéité spatiale,

puisqu’il n’y a pas vraiment de quartier « latino », même si les immigrants en provenance

de l’Amérique latine comptent pour 10 % de la population immigrante au Québec. D’abord

venus majoritairement en raison de motifs politiques dans entre les années 1970 et 1990, la

dernière vague d’immigrants latinos-américains est surtout composée de travailleurs

qualifiés à la recherche d’une meilleure qualité de vie et de meilleures conditions

socioéconomiques.

Enfin, les quelques études qui portent plus spécifiquement sur les expériences des

immigrants péruviens reflètent les constats trouvés dans la littérature abordant

l’immigration latino-américaine au Québec, en particulier en ce qui a trait aux vagues

d’immigration et aux difficultés socioéconomiques. Par ailleurs, bien que tous les auteurs

mentionnent le décalage entre les qualifications professionnelles des récents immigrants

péruviens et les emplois peu qualifiés qu’ils occupent, aucun d’entre eux n’explorent en

détail comment se vit cette déqualification chez les immigrants et quels en sont les impacts

pour les principaux intéressés. Les études réalisées jusqu’à maintenant n’ont pas non plus

examiné le rôle des réseaux sociaux dans l’intégration des immigrants péruviens. Aussi, la

Page 48: L’immigration péruvienne au Québec

32

question de l’identité des immigrants péruviens a été très peu abordée. Avec cette thèse, je

propose de pallier ces lacunes dans la littérature.

Page 49: L’immigration péruvienne au Québec

33

Chapitre II. Cadre théorique et problématique

Cette étude sur l’immigration péruvienne au Québec se distingue des travaux plus

traditionnels qui conceptualisent l’intégration comme étant d’abord et avant tout le

problème de l’immigrant, soit une responsabilité individuelle et une difficulté de

performance (voir entre autres Li, 2003 et Fourot, 2013 : 17-20). Afin de mieux expliciter

ma perspective théorique, j’explorerai dans un premier temps les différentes approches qui

ont été mises de l’avant pour définir l’intégration. Je présenterai ensuite la définition de

l’intégration qui sera utilisée tout au long de cette thèse. En mobilisant diverses théories

féministes et antiracistes, j’utiliserai une approche qui se veut une alternative aux théories

plus individualistes de l’intégration. Partant du paradigme de l’intersectionnalité,

j’examinerai également les concepts de processus de racisation, de capital linguistique, de

réseaux sociaux, de transnationalisme et d’identité.

2.1 Qu’est-ce que l’intégration ?

Comme le précise Fourot, le terme intégration trouve son origine dans les travaux de

Durkheim et réfère à « l’ensemble d’une société consensuelle par opposition à une société

conflictuelle » (2013 : 17). Selon Durkheim, l’intégration est réussie lorsque l’individu

partage des liens sociaux avec d’autres groupes sociaux et qu’il sent qu’il est membre d’un

tout collectif (Fourot, 2013 : 17). En ce qui a trait aux immigrants et à leur insertion dans

une nouvelle société, le terme intégration est aussi utilisé, à la fois par les gouvernements et

Page 50: L’immigration péruvienne au Québec

34

les universitaires et, la plupart du temps, dans cette même perspective de cohésion sociale

durkheimienne9.

Les premières recherches sur l’immigration qui ont été réalisées dans les années 1920 aux

États-Unis par des chercheurs de l’École de Chicago s’inscrivent dans cette mouvance.

Qualifiée de « paradigme classique », cette vision de l’intégration des immigrants conçoit

cette dernière comme étant un processus individuel et linéaire au sein duquel l’immigrant

adopte peu à peu les attitudes et les valeurs dominantes de la société d’accueil (Safi, 2011 :

151). Ici, les chercheurs américains utilisent en fait le terme « assimilation » pour décrire ce

processus. L’assimilation est perçue un « processus naturel, inéluctable et inconscient »

(Safi, 2011 : 151) ; ce n’est qu’une question de temps avant que le migrant ne soit

« assimilé » par la société majoritaire qui constitue le noyau central vers lequel les

nouveaux arrivants convergent.

Les recherches réalisées dans les années 1950 et 1960 aux États-Unis s’inspirent aussi de ce

modèle assimilationniste et fonctionnaliste. En 1963, par exemple, Milton Gordon a publié

un ouvrage clé qui, pour la première fois, proposa une « théorie explicite de l’assimilation

des immigrés » (Safi, 2011 : 153). Dans son étude, intitulée « Assimilation in American

life », Gordon relève sept étapes (ou dimensions) de l’assimilation, c’est-à-dire : 1)

l’assimilation culturelle (ou l’acculturation) ; 2) l’assimilation structurelle (la participation

dans les institutions de la société d’accueil) ; 3) l’assimilation maritale (soit l’exogamie);

4) l’assimilation par identification; 5) l’assimilation en raison des comportements réceptifs

de la communauté d’accueil ; 6) l’absence de pratiques discriminatoires et 7) l’assimilation

civique et politique, lorsque les immigrants acquièrent la citoyenneté et participent à la vie

politique (Labelle, Field et Icart, 10-11 : 2007). Ici aussi, l’assimilation est conçue comme

un processus unilinéaire où les immigrants doivent s’ajuster au « noyau central » de la

société, composé de la classe moyenne qui est « majoritairement blanche, protestante et

d’origine anglo-saxonne » (Safi, 2011 : 154). Bien que l’ouvrage de Gordon ait été critiqué

9 La notion d’intégration selon Durkheim sera discutée plus en détail ci-dessous. Alors que Fourot (2013) critique l’utilisation de ce concept durkheimien, je considère que ce dernier gagne à être examiné dans un contexte migratoire.

Page 51: L’immigration péruvienne au Québec

35

pour son ethnocentrisme, il n’en demeure pas moins que l’apport théorique de sa thèse a

influencé les recherches postérieures. En effet, comme l’expliquent Micheline Labelle,

Ann-Marie Field et Jean-Claude Icart, les travaux de Gordon sont encore très pertinents

aujourd’hui, même s’ils ont été beaucoup critiqués :

De nombreuses études empiriques vont s'inspirer de ce modèle et discuter du contenu des dimensions, de la possibilité de les mesurer, de vérifier le processus linéaire, etc. Jugée ethnocentrique, la notion d’assimilation disparaît avec le temps au profit de la notion d’intégration. Mais la recherche contemporaine ne cesse de s’inspirer des dimensions élaborées par Gordon et continue d’être en quête d’indicateurs valables pour mesurer l’intégration effective des immigrants (2007 : 11).

De plus, selon Mirna Safi, les travaux de Gordon ont donné lieu à deux apports analytiques

majeurs (2011 : 154). Tout d’abord, en différenciant l’acculturation de l’assimilation,

Gordon a révélé qu’il était possible pour certains groupes minoritaires d’adopter des traits

culturels de la majorité, sans toutefois franchir les autres étapes de l’assimilation. En

d’autres termes, un immigrant peut très bien s’intégrer au plan culturel (apprendre la langue

et partager la culture de la majorité, par exemple) sans être intégré économiquement (s’il

est sans emploi) ou de manière civique (s’il n’a pas adopté la citoyenneté). Ensuite, l’accent

mis sur l’intégration structurelle a donné lieu à toute une série de recherches portant sur

l’insertion socioéconomique des immigrants, telle leur insertion au marché du travail et

dans différents secteurs d’emplois.

La contribution théorique de Gordon – bien qu’elle ait servi à mieux conceptualiser

l’intégration – a aussi été critiquée fortement, tout comme l’ensemble du paradigme

classique à laquelle elle est reliée. Les chercheurs s’inspirant du courant culturaliste ont

mentionné, par exemple, que les groupes ethniques avaient le droit de choisir de garder leur

« ethnicité » et leur culture d’origine et par conséquent, qu’ils ne souhaitaient pas

nécessairement s’assimiler complètement au « noyau central » de la société (Safi, 2011 :

154). Du côté des chercheurs structuralistes, ces derniers ont insisté sur la persistance des

inégalités entre les groupes ethniques et les barrières systémiques (présentes dans le marché

de l’emploi et le marché résidentiel, entre autres) qui ralentissent ou « bloquent

durablement » l’intégration des groupes immigrants (Safi, 2011 : 155). Par ailleurs, comme

Page 52: L’immigration péruvienne au Québec

36

l’explique Safi, c’est certainement la théorie de l’assimilation segmentée, développée par

Portes, qui synthétise le mieux à la fois les critiques des structuralistes et celles des

fonctionnalistes (2011 : 156). En conceptualisant l’intégration comme un processus

multidimensionnel, Portes (1995) a montré que plusieurs facteurs extra individuels avaient

un impact sur l’expérience migratoire des nouveaux arrivants. Il note trois facteurs

principaux liés à la société d’accueil, soit les politiques d’immigration des gouvernements,

le rôle de la société civile et de l’opinion publique et enfin, le rôle de la communauté

ethnique déjà installée dans la société d’accueil (Portes, 1995 : 24). Toute cette approche a

pour but de désindividualiser l’immigration et de montrer à quel point la société d’accueil

joue un rôle important dans l’intégration des immigrants.

Dans cette thèse, je soutiens tout à fait l’idée de se pencher davantage sur la société

d’accueil pour bien comprendre l’expérience d’immigration des nouveaux arrivants. Pour y

arriver, Fourot suggère de se défaire de la vision durkheimienne de la société, une vision

qui, selon cette auteure, tend à positionner les immigrants comme des « sources potentielles

d’anomie sociale » par rapport à la société d’accueil (2013 : 17). Selon Fourot, « se définir

comme société d’accueil suivant une acceptation durkheimienne présuppose de s’imaginer

comme une société initialement consensuelle et d’envisager les immigrants comme des

sources potentielles d’anomie sociale, à l’origine d’une dichotomie nous/eux (2013 : 17) ».

Alors que je souhaite prendre en compte le rôle de la société d’accueil, je suis aussi d’avis

qu’il importe de nuancer les propos de Fourot. Lorsque Durkheim explore la notion

d’intégration, il fait explicitement référence à l’intégration de la société dans son ensemble.

C’est dans une perspective de cohésion sociale globale que Durkheim étudie l’intégration

des sociétés. Dans sa célèbre étude sur le suicide, Durkheim décrit bien ce qu’il entend par

son concept d’intégration. En analysant ce qu’il qualifie de « suicide égoïste », il explique

que ce type de suicide apparaît lorsqu’il y a un manque d’intégration de l’ensemble de la

société :

Le suicide égoïste vient de ce que la société n'a pas sur tous les points une intégration suffisante pour maintenir tous ses membres sous sa dépendance. Si donc il se multiplie outre mesure, c'est que cet état dont il dépend s'est lui-même répandu à l'excès ; c'est que la société, troublée et affaiblie, laisse échapper trop complètement à son action un

Page 53: L’immigration péruvienne au Québec

37

trop grand nombre de sujets. Par conséquent, la seule façon de remédier au mal, est de rendre aux groupes sociaux assez de consistance pour qu'ils tiennent plus fermement l'individu et que lui-même tienne à eux. Il faut qu'il se sente davantage solidaire d'un être collectif qui l'ait précédé dans le temps, qui lui survive et qui le déborde de tous les côtés. À cette condition, il cessera de chercher en soi-même l'unique objectif de sa conduite et, comprenant qu'il est l'instrument d'une fin qui le dépasse, il s'apercevra qu'il sert à quelque chose. La vie reprendra un sens à ses yeux parce qu'elle retrouvera son but et son orientation naturels. Mais quels sont les groupes les plus aptes à rappeler perpétuellement l'homme à ce salutaire sentiment de solidarité ? (Durkheim, [1897] 2002 : 68).

Durkheim poursuit cette réflexion en insistant sur l’importance des corporations et des

groupes professionnels afin de générer de la solidarité et de la cohésion sociale. Sans

toutefois s’étendre plus longuement sur le rôle des corporations et des groupes

professionnels, il importe plutôt ici de reconnaître que la notion d’intégration, telle que

conçue par Durkheim, est fort pertinente lorsque transposée dans le contexte de

l’immigration et de l’insertion socioéconomique des immigrants. Ici, les immigrants ne font

pas que « s’intégrer » à la société, mais c’est cette dernière tout entière qui joue également

un rôle d’intégration de tous ses membres, incluant les nouveaux arrivants.

Dans les discours universitaires, en comparant les performances socioéconomiques et

culturelles des immigrants avec celles des natifs, certains chercheurs prônent une vision

unidirectionnelle de l’intégration qui s’éloigne de la vision globale proposée par Durkheim.

En présupposant que les immigrants devraient se conformer à un modèle prédéterminé

quant à leur intégration (voir Li, 2003), ces chercheurs présentent cette dernière comme une

activité centrée seulement sur les performances des immigrants et non sur celles de la

société en général. Ici, de faibles performances équivalent à un faible niveau d’intégration.

Ce qui est problématique dans toutes ces recherches, ce n’est pas tant les conclusions des

auteurs quant aux niveaux d’intégration, que les explications (ou l’absence d’explications)

quant aux raisons qui pourraient être à l’origine de tels « scores » chez les immigrants. En

effet, en mettant tout l’accent sur les réussites ou les échecs des immigrants (bref en

surévaluant leur capital humain), l’intégration est ainsi présentée comme « un problème

d’abord individuel » (Fourot, 2013 : 18) (où l’immigrant n’aurait qu’à travailler plus fort

pour bien s’intégrer) et cette vision contribue à « associer, dans les représentations

Page 54: L’immigration péruvienne au Québec

38

collectives, l’immigrant à un problème » (Fourot, 2013 : 18). Pour contrer cette tendance, je

fais mienne la proposition de Peter S. Li, qui, en se basant sur la société canadienne en

général, suggère de prendre en compte les performances de la société d’accueil pour étudier

l’intégration :

A more enlightened view of integration would take into account how Canadian society and its institutions perform toward newcomers. Assessing successful integration would also mean determining the degree to which institutions are open or close to immigrants, whether communities welcome or shun newcomers; and whether individual Canadians treat newcomers as equal partners or intruders (Li, 2003: 330).10

Je mène mes recherches dans cette perspective davantage axée sur le rôle de la société

d’accueil. Par ailleurs, je soutiens également qu’il est impératif de tenir compte des

phénomènes de transnationalisme pour bien comprendre l’intégration des immigrants. En

effet, si la société d’accueil joue un rôle indéniable dans l’expérience migratoire, il ne fait

aucun doute que les liens avec la société d’origine sont tout aussi importants. En termes de

construction identitaire, par exemple, plusieurs immigrants peuvent avoir une identité

hybride qui n’oppose pas nécessairement société d’accueil et société d’origine (Vertovec,

1999). Les liens entretenus dans le pays d’origine peuvent aussi avoir un impact important

sur l’expérience des migrants internationaux.

M’inscrivant en faux contre le paradigme classique de l’assimilation, j’adopte donc une

approche théorique qui met l’accent sur le caractère multidimensionnel et bidirectionnel de

l’intégration. En ce sens, la définition de l’intégration proposée par la Table de concertation

des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI) du Québec offre

une perspective intéressante pour cette étude. Dans la plate-forme Cap sur l’intégration

(2005), la TCRI présente l’intégration des personnes réfugiées et immigrantes ainsi :

…un processus complexe multidimensionnel (linguistique, économique, social, culturel, politique et religieux), bidirectionnel (engage les personnes réfugiées et immigrantes ainsi que les membres et institutions de la société d’accueil), graduel (se

10 Ici, nous pouvons facilement remplacer le terme « société canadienne » par société québécoise et le terme « individus canadiens » par individus québécois.

Page 55: L’immigration péruvienne au Québec

39

fait par étape selon le rythme des individus) et continu (TCRI, 2005 cité dans Labelle, Field et Icart, 2007 : 20).

Alors que dans cette thèse, je me concentrerai surtout sur les dimensions socioéconomique

et identitaire de l’intégration, je me pencherai aussi inévitablement sur les dimensions

linguistique, sociale, culturelle, politique, civique et, dans une moindre mesure, religieuse

de ce processus. Comme l’expliquent Labelle, Field et Icart (2007), la dimension

économique fait référence à l’intégration des immigrants au marché du travail ; la

dimension civique et politique touche la participation civique, l’acquisition de la

citoyenneté et la participation politique ; alors que la dimension culturelle et linguistique

réfère à la connaissance du français et aux pratiques culturelles. Pour ce qui est du rôle de la

société d’accueil, Labelle, Field et Icart soulignent que le racisme et la discrimination au

sein de cette dernière affectent également l’intégration des immigrants (2007). Au rôle de la

société d’accueil, ajoutons aussi, tout comme Portes, le rôle de la communauté

ethnoculturelle présente (ou non) qui aura certainement un impact important sur

l’expérience des nouveaux arrivants (en raison de la mobilisation de réseaux sociaux,

notamment, – un concept que je définirai ultérieurement).

En bref, je poursuis cette enquête en adoptant une perspective davantage axée sur le rôle de

la société d’accueil, le rôle de la communauté ethnoculturelle, ainsi que le caractère

multidimensionnel et bidirectionnel de l’intégration. Bien que j’utilise le terme

d’intégration dans cette étude, je suis aussi consciente du caractère problématique de cette

notion. Comme l’écrit si bien Schnapper, ce n’est pas exactement l’intégration qu’il

importe d’étudier, mais plutôt ses différentes dimensions :

Il n’existe pas d’intégration dans l’absolu – intégration à quoi, de quoi ? –, il existe des dialectiques et des processus complexes d’intégration et de marginalisation ou d’exclusion. Toute organisation sociale, quel que soit son niveau – de la famille à l’entreprise ou à la nation –, implique par définition un processus d’intégration des uns et un processus d’exclusion ou de marginalisation des autres. Ce qu’il importe d’étudier, ce n’est pas l’intégration en tant que telle, ce sont les modalités que prennent ces divers processus et dimensions de cette intégration (2007 : 68).

Pour étudier les différentes dimensions de l’intégration, il importera donc de bien mettre en

contexte les propos des immigrants, alors que ces derniers négocient leur insertion dans une

Page 56: L’immigration péruvienne au Québec

40

nouvelle société. Afin d’adopter cette perspective théorique, je m’inspire de la théorie de

l’intersectionnalité telle que développée dans la littérature féministe et antiraciste.

2.2 La théorie de l’intersectionnalité

Alors que les théories néoclassiques font porter l’analyse sur les ressources du capital

humain (tel le niveau d’éducation, les qualifications, l’expérience professionnelle et les

compétences linguistiques, notamment) et tendent à expliquer les difficultés des immigrants

en termes davantage individuels, l’utilisation du paradigme de l’intersectionnalité permet

de sortir de cette logique afin d’examiner le rôle de la société d’accueil. Pour bien

comprendre comment se réalise l’insertion des immigrants dans leur nouvelle société, je

m’inspire des récentes théories qui mettent en lumière comment différentes formes

d’oppression et d’inégalités sociales sont interreliées et doivent être étudiées de manière

simultanée (McClintock, 1995 ; Ng, 1993 et Collins, 1990).

Le paradigme de l’intersectionnalité révèle que les systèmes d’oppression que sont le

racisme, le sexisme et les différentes formes d’inégalités liées aux classes sociales et aux

pratiques linguistiques, notamment, ne peuvent être étudiés isolément. Dans cette thèse,

j’adopte cette approche analytique qui ne priorise pas une forme d’oppression plutôt qu’une

autre. Chaque forme d’oppression a des effets multiples et interdépendants. Comme

l’explique Stéphanie Rousseau (2009 : 135), le paradigme de l’intersectionnalité propose de

se pencher sur les manières dont les « catégories analytiquement identifiables (sexe/genre,

classe, race/ethnicité, sexualité, etc.) interagissent de façon particulière dans chaque

contexte étudié » :

Ainsi, les catégories sociales comportent une diversité interne qui ne peut se comprendre que par l’étude conjointe et simultanée de l’effet d’autres catégories sociales elles-mêmes complexes. Par exemple, si le genre institue et reproduit une différenciation sociale et des rapports de domination sur la base de la catégorie de sexe, les femmes (et les hommes) sont positionnées différemment en fonction de l’effet intersectionnel d’autres catégories qui conditionnent l’expérience sociale ainsi que l’accès à différentes ressources matérielles et symboliques à travers l’État et d’autres institutions (2009 : 136).

Page 57: L’immigration péruvienne au Québec

41

En ce sens, les différents marqueurs d’inégalité, tels que la race, le genre, la classe sociale

et la langue, constituent des marqueurs identitaires qui sont également interdépendants et

qui agissent en interrelation les uns par rapport aux autres. Danielle Juteau (2015) propose

une définition similaire de l’intersectionnalité, un concept qu’elle juge plus simple et plus

approprié que celui d’articulation des rapports sociaux. S’inspirant du collectif de la

collection « IntersectionS » (Éditions Pétra), Juteau note que l’intersectionnalité est

conceptualisée comme « l’articulation, à partir de cadres théoriques pluriels, des divers

modes de classements sociaux et des phénomènes de hiérarchisation et de minorisation,

construits selon le genre, l’ethnicité/la race, la classe… » (2015 : 211).

Pour une immigrante péruvienne qui vit au Québec, par exemple, le fait de faire partie

d’une minorité ethnique, le fait d’être une femme et le fait d’être hispanophone (ou

« allophone ») forment toutes des caractéristiques sociales qui influencent simultanément la

construction identitaire de soi, l’accès aux ressources de la société et la place occupée dans

cette dernière. Dans ce contexte québécois, il y a donc un cumul des marqueurs d’inégalité

aux plans de l’ethnicité, du genre et de la langue. Dans un autre contexte, Jacquet et al.

(2008) examinent l’intégration des jeunes immigrants francophones dans les écoles

francophones en Colombie-Britannique. Ici, les auteurs font référence à un « processus de

triple minorisation » où les immigrants francophones africains sont minorisés en raison de

leur langue, de leur statut d’immigrant et de leur appartenance ethnique : ils sont à la fois

immigrants, immigrants francophones et immigrants francophones africains. L’analyse

intersectionnelle permet de prendre en compte simultanément ces différenciateurs

identitaires porteurs d’inégalité.

Mentionnons aussi que selon une perspective poststructuraliste, je considère les concepts de

race, genre, classe sociale et langage comme étant des construits sociaux (Rasmussen et al.

2001 ; Frankenberg, 1993 ; Hall, 1996 ; Miles, 2001 et Stoler, 2002). J’utilise ces

catégories d’analyse en étant consciente que ces marqueurs sont fluides, ambigus et

construits socialement ; leur signification et leur contenu évoluent dans le temps et dans

l’espace, tout en étant intimement ancrés dans la société au sein de laquelle ils sont

imaginés, développés et reproduits. Par exemple, la catégorie « immigrant » peut, pour

Page 58: L’immigration péruvienne au Québec

42

certains, comprendre tous les gens qui sont nés à l’extérieur du Canada, alors que pour

d’autres, seulement les gens faisant partie des « minorités visibles » sont inclus dans ce

concept. Dans le contexte canadien, Gillian Creese soutient que la couleur de la peau

constitue souvent une caractéristique importante pour déterminer le statut d’immigrant

(2011 : 8). À cet égard, elle remarque que les personnes d’origine européenne (ou

provenant des anciennes colonies blanches britanniques) sont souvent moins perçues

comme des immigrants comparativement aux personnes de couleur :

the term immigrant, is a socially constructed concept rather than simply a legal or factual description of someone who was not born in Canada but arrived sometimes later in life. […] in the Canadian context the term immigrant is selectively employed to suggest that people of colour are by definition newer arrivals with less right to define what Canada is or should be (Creese, 2011 : 16).

La catégorie « immigrant » n’est donc pas rigide ni statique. Dans un même ordre d’idées,

le concept de « race », bien qu’il n’ait aucune validité sur le plan biologique – les

scientifiques s’entendent pour dire que les races n’existent pas –, a tout de même une portée

sociale (Guillaumin, 1999 : 361), puisque qu’on ne peut dénier l’impact du racisme, bien

réel et matériel, sur les groupes racisés et minorisés, ainsi que sur les positions de

dominance qui sont associées au fait d’appartenir au groupe culturel et ethnique dominant.

Dans un même ordre d’idée, concevoir les groupes dit « ethniques » comme étant le produit

de l’organisation sociale (et non comme des identités naturelles ou immuables) permet de

les envisager comme étant des catégories construites, maintenues et (re)produites par les

acteurs sociaux. Dans ses travaux influents sur les groupes ethniques, Frederick Barth

(1995) explique que ce sont les traits perçus comme étant socialement pertinents et

considérés comme significatifs par les acteurs eux-mêmes qui servent à marquer les

frontières ethniques. Ici, ce n’est pas tant le « matériau culturel » du groupe en tant que tel

qui importe (celui-ci pouvant évoluer dans le temps), mais c’est plutôt la frontière qui

définit le groupe ethnique. C’est donc dans l’interaction avec d’autres que l’appartenance

est maintenue. Nous verrons dans la section suivante que les constructions de groupes

racisés (minoritaires et minorisés) par rapport au groupe « normal » (majoritaire/dominant)

Page 59: L’immigration péruvienne au Québec

43

opèrent en interaction dans un rapport majoritaire/minoritaire qui peut se manifester sous

forme de racisme.

2.3 Processus de racisation, racisme et groupes racisés

Pour bien comprendre le racisme qui peut être présent dans la société d’accueil et qui peut

donc toucher négativement les groupes minorisés et racisés, et de ce fait, affecter leur

intégration dans la nouvelle société, je me réfère aux concepts de « processus de

racisation » et de « groupe racisé ». Utiliser ces concepts permet de mieux saisir à quel

point l’immigration, bien qu’elle soit vécue individuellement (chaque personne vit son

expérience migratoire différemment), est influencée par un contexte social plus large. En

effet, selon une telle posture théorique, il importe d’explorer comment les catégories

raciales sont construites socialement.

Mora et Undurraga définissent le processus de racisation comme « un processus de

construction de catégories au sein duquel à la fois les acteurs individuels et collectifs

participent, et dont la présence se manifeste dans la différentiation et l’inégalité qui

affectent les groupes racisés » (Mora et Undurraga, 2013 : 294-295)11. Pour Micheline

Labelle, l’expression groupe racisé « renvoie aux groupes porteurs d’une identité citoyenne

et nationale précise, mais cible de racisme » (2006 : 14). En d’autres termes, les groupes

racisés « ont été l’objet d’une assignation identitaire relevant de l’idéologie raciste »

(Labelle, 2016). Geneviève Pagé, quant à elle, explique que le terme « racisé » est utilisé en

Occident pour qualifier ceux et celles qui se retrouvent du côté ‘défavorisé’ du rapport

social de race » (2015 : 135). Dans cette thèse, j’utilise le terme de « groupes racisés » en

référence aux groupes qui sont victimes de racisme, par opposition, par exemple, à la

« construction sociale de la blanchité » qui construit la « race blanche » comme étant la

norme. Ici, le racisme est donc l’effet tangible du processus de racisation qui affecte

négativement les groupes racisés. Mais qu’est-ce que le racisme ?

11 Traduction libre.

Page 60: L’immigration péruvienne au Québec

44

Michel Wieviorka (1991) définit le racisme comme une idéologie « impliquant des rapports

de pouvoir entre les groupes sociaux » et qui sert à inférioriser et différencier des groupes

sur la base de leurs attributs – physique, génétique ou biologique. Il écrit que le racisme

est :

…[u]ne idéologie qui se traduit par des préjugés, des pratiques de discrimination, de ségrégation et de violence, impliquant des rapports de pouvoir entre des groupes sociaux, qui a une fonction de stigmatisation, de légitimation et de domination, et dont les logiques d’infériorisation et de différenciation peuvent varier dans le temps et l’espace. [...] Pour qu'on puisse parler de racisme, il faut qu'il y ait d'une façon ou d'une autre, la présence de l'idée d'un lien entre les attributs ou le patrimoine – physique, génétique ou biologique – d'un individu (ou d'un groupe), et ses caractères intellectuels ou moraux (Wieviorka, 1991 : 15).

Comme l’explique Wieviorka, l’idéologie raciste varie dans l’espace et dans le temps.

Certains groupes victimes de racisme dans le passé (par exemple, les Irlandais aux États-

Unis) peuvent ne plus être l’objet de discrimination raciale aujourd’hui. Dans un même

ordre d’idées, les répondants de notre étude qui étaient considérés comme « blancs » au

Pérou (par rapport aux autochtones, notamment), peuvent, une fois au Québec, être l’objet

de discriminations en tant que Latino-Américains.

Par ailleurs, le racisme, tel que défini par Wieviorka (1991), fait allusion aux attributs

physiques, génétiques ou biologiques (la « supposée race ») des groupes minorisés.

Aujourd’hui, il semble que ce type de racisme dit « biologique », basé sur une classification

des groupes humains en différentes « races » a fait place à un nouveau type de racisme plus

invisible et dit « culturel » (Navarre, 2017), « symbolique » (Henry et Sears, 2002) ou

« colour-blind » (Simon, 2017) où ce ne sont plus les « races » qui sont déclarées comme

inégales, mais plutôt les cultures. Les cultures considérées comme « inférieures » ou « non

civilisées » semblent par ailleurs être attribuées à des groupes considérés comme « non

blancs », et donc identifiables au plan phénotypique. À titre d’exemple, Paul Eid mentionne

que les Afro-Américains et les Hispanics qui vivent aux États-Unis peuvent se faire dire

qu’ils n’ont pas suffisamment intégré « l’éthique de travail capitaliste (« ils sont

paresseux »), véhiculée dans la culture majoritaire (2012 : 5).

Page 61: L’immigration péruvienne au Québec

45

En bref, le processus de racisation, dont le résultat est le racisme, fait référence aux

différentes manières dont les groupes racisés sont construits, reconstruits et imaginés

socialement à travers les discours et les pratiques du groupe majoritaire12 dans une société

donnée à un temps donné. Eid définit la notion de racisation ainsi :

La notion de racisation vise non seulement à souligner le caractère socialement construit de la « race », mais, par-dessus tout, le fait que celle-ci résulte d’un processus de catégorisation externe opérée par le groupe majoritaire. Cette catégorisation exerce une violence symbolique sur les catégorisés en leur assignant, non pas une culture historiquement construite et en mouvement (privilège des groupes majoritaires), mais plutôt une essence immuable de laquelle sont dérivés mécaniquement tous les traits sociaux, culturels et individuels. Cette essentialisation inhérente à la racisation aboutit à l’assignation des racisés à une nature qui s’épuise dans une marque physique, ou plutôt un stigmate, érigée en principe explicatif à la base de tout leur être collectif (Guillaumin, 1972 ; Ducharme et Eid, 2005) (Eid, 2012 : 416).

Dans le contexte de l’immigration péruvienne au Chili, Claudia Mora et Eduardo A.

Undurraga (2013) ont étudié comment la racisation des travailleurs péruviens affectait leur

possibilité d’emploi sur le marché du travail. Dans le cadre de leur étude, ces auteurs ont

révélé comment les employeurs chiliens qu’ils ont interviewés racisaient les travailleurs

péruviens de façon négative. Les premiers font référence aux traits physiques et culturels

des Péruviens pour expliquer la ségrégation de ces derniers dans des emplois non qualifiés.

Par exemple, les travailleurs péruviens sont décrits par les employeurs chiliens comme

étant « non civilisés » et « indigènes », alors qu’au contraire, les Chiliens se perçoivent

comme étant « modernes » et « blancs ». Dans une autre étude portant sur les travailleurs

agricoles migrants latino-américains au Québec, Bélanger et Candiz notent un phénomène

inverse où les employés racisés font plutôt l’objet d’une construction raciale positive. Ici,

les employés latino-américains sont décrits par leurs employeurs québécois comme étant

des travailleurs qui ont « une éthique du travail, une fiabilité et une régularité

remarquables » (Bélanger et Candiz, 2014 : 54). En comparaison, les employés québécois

sont décrits comme étant « paresseux, contestataires et irréguliers dans leur travail » (Ibid. : 12 Précisons que des membres des groupes minoritaires peuvent très bien participer aux processus de racisation (en les reprosuisant à travers leurs pratiques et discours), tout comme des membres des groupes majoritaire et minoritaire peuvent contester ces mêmes processus. La délimitation entre majoritaire et minoritaire n’est pas non plus si rigide. Le concept d’intersectionnalité montre qu’une personne peut être membre du groupe majoritaire à certains égards (faire partie du groupe ethnique dominant en tant que « blanc »), mais être minorisé à d’autres égards (être femme et être pauvre).

Page 62: L’immigration péruvienne au Québec

46

55). Dans le cadre de cette thèse, je souhaite aller au-delà de ce genre de discours et

comprendre également comment ce type de propos affecte la vie quotidienne des

immigrants et leur sens d’appartenance envers leur nouvelle société. Je compte aussi

explorer si de tels processus de racisation à l’égard des Péruviens sont présents au sein de la

société québécoise.

2.4 Le concept de capital linguistique selon Bourdieu

Afin de mieux comprendre l’intégration des immigrants péruviens au Québec, nous nous

référons également au concept de capital linguistique développé par Pierre Bourdieu

(1977). Rappelons que la dimension linguistique de l’intégration fait référence à toute la

question de l’apprentissage et de la maîtrise de la langue française au Québec. Pour les

nouveaux arrivants qui ne maîtrisent pas le français, l’apprentissage de la langue joue donc

un rôle important, notamment en ce qui a trait l’insertion socioéconomique (par exemple,

plusieurs emplois qualifiés requièrent un certain niveau de français – et souvent d’anglais –

au Québec). En utilisant le concept de capital linguistique, il devient possible d’aborder la

question de la langue dans une perspective qui prend en compte les inégalités sociales et

l’intersectionnalité de ces inégalités. Précisons ce que Bourdieu entend par capital

linguistique.

Selon la théorie des formes de capitaux, il existe trois principaux types de capitaux : le

capital social (formé des réseaux sociaux dont dispose une personne), le capital

économique (les différentes ressources économiques d’un individu) et le capital culturel

(tels les dispositions, les goûts, et les manières de penser et de parler) (Bourdieu, 1986). Le

capital culturel se manifeste sous trois formes : « à l'état incorporé, c'est-à-dire sous la

forme de dispositions durables de l’organisme ; à l'état objectivé, sous la forme de biens

culturels, tableaux, livres, dictionnaires, instruments, machines […] » ; « et enfin à l’état

institutionnalisé », sous la forme de « titres scolaires » (Bourdieu, 1979 : 3). Le capital

linguistique, quant à lui, constitue une forme de capital culturel à l’état incorporé et il est lié

au statut social de la personne qui s’exprime. En bref, plus une personne à un statut social

élevé, plus elle risque d’être écoutée, entendue et respectée. À l’inverse, les membres de

Page 63: L’immigration péruvienne au Québec

47

groupes minoritaires et minorisés (les personnes racisées, les femmes, les pauvres, etc.)

n’auront pas aussi facilement le droit à l’écoute attentive et respectueuse de leurs propos.

En d’autres termes, leur « production linguistique » n’équivaut pas nécessairement à un

« langage autorisé » (Bourdieu, 1977 : 20). Pour saisir les échanges linguistiques, il importe

donc, selon Bourdieu, de prêter attention au « rapport de force symbolique entre les deux

locuteurs » :

La structure du rapport de production linguistique dépend du rapport de force symbolique entre les deux locuteurs, c’est-à-dire de l’importance de leur capital d’autorité (qui n’est pas réductible au capital proprement linguistique) : la compétence est donc aussi capacité de se faire écouter. La langue n’est pas seulement un instrument de communication ou même de connaissance, mais un instrument de pouvoir. On ne cherche pas seulement à être compris, mais aussi à être cru, obéi, respecté, distingué. De là la définition complète de la compétence comme droit à la parole, c’est-à-dire au langage légitime, comme langage autorisé, comme langage d’autorité. La compétence implique le pouvoir d’imposer la réception (Bourdieu, 1977 : 20).

Ainsi, différents marqueurs d’inégalité (tels le genre, la « race », la classe sociale, par

exemple) auront un impact sur la crédibilité du discours énoncé. Dans le cas d’immigrants

racisés, des recherches ont par ailleurs révélé que les immigrants peuvent être l’objet de

discrimination en raison de leur accent (voir entre autres Meyer, 2011 ; Creese, 2011 et

Teixeira, 2006).

Dans son étude portant sur la diaspora africaine dans la ville de Vancouver en Colombie-

Britannique, Gillian Creese (2011) note que les immigrants africains sont victimes de

discrimination en raison de leur accent lorsqu’ils parlent anglais. Même ceux qui parlaient

couramment l’anglais avant leur immigration trouvent que le simple fait d’avoir un « accent

africain » les confronte un à traitement inégal par rapport aux locuteurs dont l’accent est dit

« local ». La recherche d’un logement ou d’un emploi est dès lors plus compliquée pour

ceux qui ont un « accent africain ». Se référant au concept de capital linguistique de

Bourdieu, Creese (2011) conclut que l’accent africain sert de marqueur d’incompétence,

peu importe les qualifications de l’individu. Pour reprendre les propos de Bourdieu (1977),

l’accent africain ne correspond pas au « langage d’autorité ». Dans une entrevue

Page 64: L’immigration péruvienne au Québec

48

d’embauche ou lorsque vient le temps de louer un appartement, l’accent africain est

dévalorisé. Relativement au processus de racisation, Creese note que l’accent africain est

ainsi dévalorisé parce qu’il représente un corps racisé, ce dernier étant considéré comme

inférieur par rapport au corps non racisé. Comme le précise Creese (2011), la

discrimination liée à l’accent ne peut être détachée des processus de racisation :

Perceptions about accents cannot be separated from processes of racialization because […] speech is always performed by particular bodies. The subjects of this study are, in numerous ways, foreign-immigrant-Black bodies moving in spaces where White privilege persists amidst increasing demographic diversity (Creese, 2011 : 42).

Cette analyse de l’accent africain à Vancouver s’avère fort utile dans le cadre de notre

étude. En se référant au concept de capital linguistique, il sera pertinent d’examiner, à

travers les propos de nos répondants, comment leur maîtrise de la langue française et leur

« accent » ont un impact (ou non) sur leur intégration (en matière d’insertion

professionnelle, notamment).

2.5 Les réseaux sociaux

Si le capital linguistique a une incidence sur l’intégration, ajoutons aussi que le capital

social (Bourdieu, 1986) risque également d’avoir un impact important sur l’expérience des

immigrants. À ce sujet, plusieurs recherches ont démontré que les réseaux sociaux (qui

forment le capital social) jouent un rôle important dans l’intégration et l’insertion

socioprofessionnelle des immigrants (Béji et Pellerin, 2010 ; Audy et al., 2016 et Nieto et

Yepez, 2008, entre autres). J’utiliserai donc la notion clé de réseau social afin de bien

analyser cet apport dans l’intégration des immigrants.

Le concept de réseau social permet de comprendre quelles ressources, au sein de la

communauté ethnoculturelle et en dehors de celle-ci, les immigrants mobilisent afin de

faciliter leur intégration. Selon Kamel Béji et Anaïs Pellerin (2010), les nouveaux arrivants

peuvent mobiliser leur réseau social informel (composé d’amis, de connaissances, de

voisins et de membres de leur communauté ethnoculturelle, etc.) ainsi que le réseau formel

Page 65: L’immigration péruvienne au Québec

49

– constitué du réseau communautaire (organismes communautaires, associations, etc.) et du

réseau institutionnel (instances gouvernementales, ordres professionnels, etc.). Alors que

les immigrants arrivent dans une nouvelle société, il existe souvent une communauté

ethnoculturelle dont les membres déjà installés peuvent grandement faciliter leur

établissement (réseau ethnoculturel) et il existe aussi différents services (communautaires,

institutionnel et autres) qui peuvent soutenir les nouveaux arrivants dans leurs diverses

démarches. Dans le cadre de cette étude, la prise en compte des réseaux sociaux des

immigrants péruviens permettra d’examiner les différents réseaux de relations mobilisés

pour faciliter leur intégration à la société québécoise.

En plus d’examiner les réseaux sociaux selon la typologie suggérée par Béji et Pellerin

(2010), le concept de réseau social sera aussi abordé selon la perspective mise de l’avant

par Mark Granovetter (1973). La théorie des réseaux sociaux de Granovetter (1973 ; 1974)

révèle que les individus et les groupes sont liés par des « liens forts » et des « liens

faibles ». Les liens forts réunissent entre eux des personnes ayant un fort degré de

ressemblance (tels la famille ou les amis). L’information qui circule à l’intérieur de ces

réseaux risque d’être circonscrite à un groupe restreint. À l’opposé, les liens faibles relient

entre eux des individus et des groupes au sein d’un réseau beaucoup plus grand. Appliquant

les notions de liens faibles et de liens forts dans son enquête effectuée en banlieue de

Boston auprès de professionnels, de techniciens supérieurs et de cadres, Mark Granovetter

concluait que les liens faibles étaient les plus efficaces pour trouver un emploi. La majorité

des répondants qui avaient participé à son étude avaient reçu des informations sur leur

emploi via des personnes avec lesquelles ils étaient faiblement reliés ou avec lesquelles ils

avaient eu peu de contacts. C’étaient donc les liens faibles, donnant accès à un réseau élargi

de personnes et comprenant une plus grande quantité et une plus grande diversité

d’informations, qui jouaient le rôle plus important lors de la recherche d’un emploi. En se

basant sur les résultats empiriques de son étude, Granovetter proposait donc une théorie de

l’intégration sociale par les liens faibles.

Dans une récente étude inspirée des travaux de Granovetter, Sébastien Arcand, Annick

Lenoir-Achdjian et Denise Helly (2009) ont corroboré la théorie de Granovetter sur les

Page 66: L’immigration péruvienne au Québec

50

liens faibles. Ces auteurs ont révélé qu’il pouvait être avantageux pour la personne

immigrante d’avoir plusieurs liens faibles lors de sa recherche d’emploi, lui permettant

ainsi « d’élargir ses réseaux pour accéder à l’information relative aux emplois disponibles »

(Arcand, Lenoir-Achdjian et Helly, 2009 : 377). Dans leur recherche portant sur l’insertion

professionnelle des Maghrébins à Montréal et à Sherbrooke, ces chercheurs ont découvert

que les immigrants qui s’installaient à Sherbrooke développaient davantage de liens faibles

et avaient plus de succès dans leur recherche d’emploi. En comparaison, les Maghrébins

installés à Montréal, ayant accès à une communauté arabe beaucoup plus grande, avaient

tendance à socialiser davantage à l’intérieur de leur groupe ethnique et de ce fait, à

entretenir des liens plus forts, sans toutefois faciliter leur recherche d’emploi.

Notons que l’étude de Granovetter et celle d’Arcand, Lenoir-Achdjian et Helly portent

toutes deux sur des groupes relativement homogènes (Granovetter s’intéresse uniquement

aux hommes qui occupent des emplois de professionnels, de cadres et de techniciens

supérieurs et Arcand et al. examinent les parcours de professionnels maghrébins détenant

un diplôme d’études postsecondaires et admis au Canada comme travailleurs qualifiés). Qui

plus est, dans les deux cas, l’analyse proposée n’a pas pris en compte les classes sociales.

Dans son enquête sur les réseaux sociaux et l’entrée en emploi dans la fonction publique

québécoise, Simon Langlois (1977) ouvre la voie à une analyse qui tient compte des

différents types d’emplois et des classes sociales. Apportant une nuance à la théorie de

Granovetter, Langlois découvre que les liens faibles sont surtout importants pour les cadres

et les administrateurs, mais pas nécessairement pour toutes les autres catégories

occupationnelles. Pour les emplois moins élevés, les liens forts des réseaux personnels

continuent de jouer un rôle important afin de diffuser l’information quant aux emplois

disponibles. À la suite de ces résultats empiriques, il semble donc que les types d’emploi

recherché (et en l’occurrence, les classes sociales qui sont associées à ces emplois) méritent

d’être pris en compte dans l’analyse des réseaux sociaux. Dans cette thèse, la diversité des

personnes interrogées (comprenant autant des hommes et des femmes, ainsi que des

professionnels et des ouvriers) apportera aussi une contribution à l’analyse des réseaux

sociaux. Comme la communauté péruvienne est relativement petite (mais tout de même

diversifiée en termes de catégories professionnelles et de classes sociales), il sera

Page 67: L’immigration péruvienne au Québec

51

intéressant de voir si la théorie des liens faibles proposée par Granovetter s’applique aux

Péruviens qui s’installent à Québec et à Montréal.

2.6 La construction identitaire

Une des dimensions de l’intégration concerne toute la question de l’identité et de la

construction identitaire, ainsi que le sentiment d’appartenance envers la nouvelle société.

Pour mieux comprendre le processus d’intégration, je me réfère aux théories

poststructuralistes qui suggèrent que l’identité est dynamique et multiple. À travers les

constructions discursives, les individus négocient leurs positions sociales et leur degré

d’intégration dans un nouveau groupe (Heller, 2000). Je suis également en accord avec la

proposition de Nicole Gallant (2008) qui, référant à Tajfel (1974 et 1981), affirme que

l’identité peut être comprise comme « constituée, d’une part, de l’autodéfinition et d’autre

part, de l’importance affective accordée à cette autodéfinition » (40). Ainsi, l’identité

individuelle est subjective et elle réunit les appartenances considérées comme les plus

importantes pour la personne. En outre, l’identité est aussi construite à travers les relations

de pouvoir entre les discours sociaux, d’une part et les individus qui « habitent » ces

discours, d’autre part (Sarkar et Allen, 2007 : 120). De ce fait, les identités octroyées par la

société majoritaire à un groupe minoritaire auront certainement un impact sur la

construction identitaire de ses membres. Comme le mentionnent Labelle et al. (2007), les

identités multiples, hybrides et à trait d’union sont souvent présentes parmi les immigrants.

En bref, ce qui caractérise mon approche théorique (en comparaison avec une approche

plus individualiste ou fonctionnaliste, par exemple), c’est qu’elle fait référence au caractère

social de tout discours. Bien que mon analyse se base sur les discours des individus (quant

à leur identité, leur sentiment d’appartenance envers différents groupes et communautés –

qu’ils soient locaux, nationaux ou transnationaux – et leurs attitudes et leurs expériences en

ce qui a trait à l’immigration, par exemple), il ne fait aucun doute que toutes ces

constructions discursives individuelles, ces représentations, ces conceptions du monde,

ainsi que les actions qui en découlent sont ancrées dans un contexte spécifique, soit celui de

la société québécoise. Il importe de prendre en compte ce milieu concret et historique au

Page 68: L’immigration péruvienne au Québec

52

sein duquel sont véhiculées des valeurs collectives et des représentation sociales. À cet

effet, Gallant mentionne que les représentations sociales peuvent être définies comme

« l’ensemble des images, des croyances, des connaissances, voire des valeurs et attitudes,

rattachées à un objet » (2010, 184). Ainsi, pour un objet donné, divers segments sociaux

(individus, groupes de pression, gouvernement, média, journaux, manuels scolaires, etc.)

véhiculent différentes représentations de cet objet (Gallant, 2010 : 184). Les discours des

immigrants ne peuvent être expliqués sans tenir compte du plus grand contexte social,

politique, historique et économique dans lequel ces discours prennent place. Cette étude

doit donc prendre en compte le contexte particulier de la société québécoise. Dans un même

ordre d’idées, les propos des immigrants péruviens seront aussi liés au contexte social,

culturel, économique, politique, etc. de leur société d’origine.

2.7 Schéma conceptuel

Résumons le schéma conceptuel qui servira de base à l’analyse de l’intégration des

immigrants péruviens dans cette thèse (voir la Figure 2). L’intégration étant comprise

comme un processus continu, bidirectionnel et multidimensionnel, différents éléments

interagissent dans ce processus. D’une part, les processus de racisation, qui ont cours dans

la société d’accueil auront un impact certain sur l’insertion socioéconomique, la formation

des réseaux sociaux, la valeur du capital linguistique et les constructions identitaires.

D’autre part, les quatre dimensions que sont l’insertion socioéconomique, les réseaux

sociaux, le capital linguistique et l’identité sont toutes interreliées les unes aux autres. Par

exemple, l’insertion socioéconomique pourra varier selon le potentiel d’activation des

réseaux sociaux et ces derniers pourront s’élargir lorsqu’une personne occupera un emploi.

Le sentiment d’appartenance identitaire envers la société d’accueil pourra être influencé par

le degré d’insertion socioéconomique et la composition des réseaux sociaux ou encore le

niveau de capital linguistique. Enfin, chaque personne immigrante vivra son immigration

différemment selon divers marqueurs identitaires, que ce soit sa classe sociale, le fait

qu’elle soit racisée ou non et son genre, par exemple.

Page 69: L’immigration péruvienne au Québec

53

Figure 2. Une approche intersectionnelle de l’intégration

2.8 Question de recherche et propositions

L’objectif général de cette thèse est de mieux comprendre l’intégration des immigrants

péruviens au Québec, plus précisément dans les villes de Montréal et de Québec. Afin

d’atteindre cet objectif, cette thèse tentera de répondre à trois sous questions. Dans un

premier temps, j’explorerai l’insertion socioéconomique des immigrants afin de mieux

comprendre leur expérience sur le marché du travail et dans leur recherche d’un logement.

Ici, j’émets la proposition que malgré le fait que le gouvernement du Québec présente un

discours officiel d’ouverture envers les immigrants et de pluralisme culturel

(l’interculturalisme), la réalité quotidienne vécue par les immigrants diffère de cet idéal. Par

exemple, les statistiques montrent déjà que les immigrants de couleur font face à toutes

sortes de difficultés sur le marché du travail. Avec cette étude, je propose d’aller plus loin

et de mieux comprendre ce phénomène au quotidien, à travers des entrevues avec les

immigrants. Je suggère d’explorer dans quelle mesure les immigrants péruviens sont

confrontés (ou non) à des situations de discrimination, de marginalisation et d’exclusion au

Québec et quelles sont les stratégies utilisées pour pallier ces difficultés.

La deuxième sous-question concerne la mobilisation des réseaux sociaux chez les

immigrants péruviens en lien avec leur intégration au Québec. Il s’agira d’examiner quels

sont les réseaux sociaux informels et formels mobilisés par les Péruviens, d’une part, et

Processus de racisation

Insertion socioéconomique

Réseaux sociaux

Capital linguistique

Constructions identitaires

Page 70: L’immigration péruvienne au Québec

54

d’autre part, à quel(s) moment(s) et dans quel(s) but(s) ces réseaux sont-ils mobilisés. En

matière d’insertion en emploi, par exemple, il sera intéressant d’identifier les réseaux les

plus utiles pour trouver des emplois correspondant aux attentes des répondants. Selon le

concept de réseau social, j’imagine que les immigrants qui auront davantage de liens faibles

seront ceux qui seront les mieux outillés pour s’insérer dans la nouvelle société.

Enfin, le troisième objectif consiste à examiner la construction identitaire des immigrants

péruviens et leur sentiment d’appartenance. Alors que les immigrants péruviens s’installent

au Québec, il est fort probable que leur identité s’en trouve modifiée. Aux États-Unis, par

exemple, plusieurs recherches ont montré que les immigrants provenant de différentes

régions d’Amérique latine délaissaient peu à peu leur identité nationale spécifique pour

adopter une identité régionale plus large, soit l’identité « latino » (Armony, 2014).

J’imagine qu’il y a peut-être, dans une moindre mesure, une tendance similaire au Québec.

Page 71: L’immigration péruvienne au Québec

55

Chapitre III. Méthodologie

Cette thèse de nature qualitative se base sur l’analyse de 24 entrevues menées dans les

villes de Montréal et de Québec auprès d’hommes et de femmes d’origine péruvienne13.

Alliant l’analyse à l’aide des catégories conceptualisantes et l’analyse critique du discours

(ACD), la démarche méthodologique mobilisée met l’accent à la fois sur la diversité des

parcours migratoires et sur une certaine expérience commune de migration partagée par les

participants de la recherche. Bien que chaque personne ait vécu une expérience unique

d’immigration, la méthodologie utilisée permet tout de même de repérer des thèmes

communs qui caractérisent les différentes réalités des immigrants péruviens. La première

section de ce chapitre portera sur le recrutement des participants et le déroulement des

entrevues. Le schéma des entrevues sera alors présenté. Suivra ensuite une discussion sur la

réflexivité et la position de la chercheuse par rapport aux participants de la recherche.

Enfin, dans la dernière section de ce chapitre, la méthodologie mixte utilisée sera expliquée

plus en détail.

3.1 Recrutement et déroulement des entrevues

Afin de recruter des participants, j’ai d’abord envoyé une annonce par l’intermédiaire des

associations culturelles péruviennes. J’ai acheminé un courriel aux présidents des

associations et ces derniers ont fait suivre mon annonce à leurs membres. Cette méthode

13 Une description détaillée de l’échantillon (comprenant le sexe, l’âge, le niveau d’éducation et l’emploi actuel des répondants) sera présentée au chapitre suivant.

Page 72: L’immigration péruvienne au Québec

56

s’est avérée peu efficace, car seulement une minorité de personnes ont répondu à l’appel. Il

a été beaucoup plus fructueux de me présenter en personne aux activités et événements

organisés par les différentes associations péruviennes. Les deux festivals péruviens de

musique et de danse qui ont lieu chaque été à Montréal ont été particulièrement propices au

recrutement de répondants. Lors de ces rencontres, j’ai pu présenter mon projet directement

aux participants et cela m’a permis de recruter un bon nombre de personnes. Ces dernières

m’ont souvent référée à des amis ou à des connaissances et j’ai ainsi élargi mon bassin de

recrutement. La méthode dite « boule de neige » fut très utile. J’ai aussi mis des annonces

dans différents cafés, restaurants et dépanneurs péruviens à Montréal. Quelques personnes

m’ont contactée après avoir lu mon projet. Puisque tous et toutes me contactaient à la suite

d’une présentation ou d’une annonce, j’ai constaté que toutes les personnes interviewées

étaient extrêmement heureuses de participer au projet et de donner de leur temps.

Les entrevues ont duré en moyenne une heure trente, la plus courte étant seulement une

heure et la plus longue allant jusqu’à trois heures. J’ai utilisé la méthode du parcours de vie,

en amenant les personnes d’origine péruvienne à raconter leur expérience d’immigration

dans un ordre chronologique. Les premières questions portaient sur la vie prémigratoire au

Pérou (l’occupation, le statut familial, la classe sociale, l’ethnicité, etc.), les raisons pour

quitter le pays et l’arrivée au Québec. Ensuite, les questions suivantes portaient sur

l’insertion socioéconomique au Québec et les difficultés rencontrées (la recherche d’un

emploi, d’un logement, l’apprentissage de la langue, la reconnaissance des diplômes, etc.).

Les dernières questions portaient sur les réseaux sociaux et l’identité. Le questionnaire

d’entrevue, présenté en annexe, montre en détail les questions et le schéma d’entrevue.

Dans la mesure du possible, j’ai toujours posé des questions ouvertes afin de générer des

réponses riches et détaillées.

Mis à part deux entretiens, toutes les entrevues ont été enregistrées et retranscrites. Deux

participants ont refusé que j’enregistre leurs échanges avec moi et j’ai respecté leur choix.

Bien que l’enregistrement des entrevues ne fût pas une condition sin qua non pour

participer au projet, j’aurais bien évidemment préféré enregistrer tous les entretiens. D’une

part, l’enregistrement des entretiens facilite grandement mon travail puisque je peux me

Page 73: L’immigration péruvienne au Québec

57

concentrer pleinement sur les propos de mes interlocuteurs, sans avoir à prendre des notes

détaillées. D’autre part, la transcription des entrevues permet d’avoir accès à tout ce que la

personne a dit, dans son intégrité, alors que la prise de note demeure toujours une entreprise

partielle. Dans les deux cas où je n’ai pu enregistrer les entrevues, j’ai pris autant de notes

que possible. En dernière analyse, je n’ai pas regretté d’être allé de l’avant avec ces deux

entretiens. Ces derniers se sont avérés tout aussi riches et pertinents que les 22 autres

entrevues.

La majorité des entretiens (17 sur 24) ont été réalisés en français. Comme je parle et je

comprends très bien l’espagnol, j’ai toujours offert aux participants la possibilité de faire

l’entrevue dans la langue de leur choix. C’est ainsi que sept participants ont préféré parler

en espagnol avec moi, m’expliquant qu’ils se sentaient plus à l’aise dans leur langue

maternelle et qu’il serait plus facile et agréable pour eux de procéder de cette manière.

Rétrospectivement, j’ai trouvé que cette option permettait quelque peu d’atténuer les

rapports de pouvoir entre les interviewés et la chercheuse. Même si je continuais de poser

les questions et d’orienter la conversation, les participants avaient le loisir de choisir dans

quelle langue ils voulaient réaliser cet échange. En utilisant une langue qu’ils maîtrisaient

parfaitement, les participants avaient, en quelque sorte, un avantage linguistique par rapport

à moi, qui ne maîtrise pas aussi bien toutes les subtilités de la langue espagnole. Cette fois,

c’était la chercheuse (et non les participants de la recherche) qui se trouvait hors de sa

« zone de confort linguistique »14. Ajoutons aussi que les hispanophones qui vivent au

Québec se retrouvent nécessairement dans une situation de diglossie. Alors que la langue

espagnole est valorisée dans la sphère privée (entre les membres de la famille et entre les

amis hispanophones, par exemple), il en est autrement dans la sphère publique. Dans la

société québécoise, c’est le français qui est la langue officielle et qui est généralement la

langue valorisée en public. De plus, compte tenu de la situation géographique du Québec,

14 J’emprunte cette expression à Eva Valenti (2014), qui, dans son article rédigé en anglais, utilise le concept de « linguistic comfort zone ». Valenti utilise ce concept pour exprimer la réalité que vivent certains étudiants bilingues de Montréal lorsqu’ils étudient dans une université dont la langue d’enseignement ne correspond pas à leur langue maternelle (par exemple, des francophones qui étudient dans une université anglophone ou à l’inverse, des anglophones qui étudient dans une université francophone). Selon Valenti, certains de ces étudiants se retrouvent donc hors de leur zone de confort linguistique.

Page 74: L’immigration péruvienne au Québec

58

l’anglais occupe aussi une place importante dans différents domaines, notamment dans le

monde du travail où plusieurs emplois nécessitent une certaine connaissance de cette

langue. En bref, en offrant aux participants le choix de la langue pour les entrevues (au lieu

d’imposer le français que je maîtrise mieux), j’ai trouvé que je pouvais contribuer à créer

un rapport davantage égalitaire entre les personnes interviewées et la chercheuse.

D’autres ont préféré réaliser l’entrevue en français et j’ai aussi respecté ce choix. Parmi

ceux qui ont choisi le français, certains m’ont dit qu’ils parlaient trop vite en espagnol et

qu’ils craignaient que je ne puisse pas tout comprendre. Quelques-uns ont mentionné que

puisqu’ils avaient vécu leur expérience d’immigration en français, ils se sentaient plus à

l’aise d’en parler dans cette langue. Enfin, une participante m’a dit en riant qu’au Québec

on parle français et que pour elle, il était donc naturel de faire l’entrevue dans la langue

officielle de la province. De manière générale, je soutiens que le fait d’offrir un choix quant

à la langue de communication a permis de créer une atmosphère positive, empreinte de

respect envers les participants. Mon souci d’empathie n’a pas seulement touché la langue

des entrevues. Il se reflète également dans la discussion suivante portant sur le

positionnement et la réflexivité.

3.2 Positionnement et réflexivité

En tant que femme québécoise blanche15 et dite « de souche » appartenant à la classe

moyenne, je fais partie d’un groupe privilégié par rapport aux immigrants qui ont participé

à cette enquête. Contrairement à plusieurs des personnes interviewées, lorsque je terminerai

mes études, je n’aurai pas besoin de faire l’équivalence de mes diplômes universitaires.

15 Ici, j’utilise l’adjectif « blanche » tout en étant consciente que cet attribut constitue une construction sociale. Les études sur la blanchité (« whiteness studies ») ont bien démontré que le fait d’être considérés comme blancs (ou non) est le fruit d’une construction sociale ancrée dans une société et une époque particulière (voir entre autres Roediger, 2005 et Frankenberg, 1993). Par exemple, certains groupes ethniques qui sont aujourd’hui considérés comme blancs aux États-Unis (les immigrants d’origines polonaise, juive et italienne) n’étaient pas considérés comme tels à leur arrivée au pays (Roediger, 2005). Il en est de même pour les immigrants irlandais qui sont devenus blancs au cours des années passées aux États-Unis (voir Ignatiev, 2009) ou pour les Canadiens français qui se faisaient dire « Speak white », il n’y a pas si longtemps (voir la note 16 ci-dessous).

Page 75: L’immigration péruvienne au Québec

59

Lorsque je passerai des entrevues, je parlerai le français de la majorité, avec un accent dit

« québécois ». De plus, je ne me ferai pas demander constamment d’où je viens ou à quel

endroit je suis née ; mes interlocuteurs prendront pour acquis je viens d’ici, que je suis

l’une des leurs (s’ils font partie du groupe dominant), que je ne suis pas une étrangère. Bref,

en tant que femme blanche, je fais partie du groupe majoritaire de la société québécoise16 et

cela implique toute une série de privilèges.

Dans la vie quotidienne, cela se traduit par un certain confort : lors d’échanges ou de

rencontres, je ne me demande pas si un quelconque traitement négatif que je reçois est dû à

la couleur de ma peau ou si je suis victime de discrimination raciale. Comme l’explique si

bien Peggy McIntosh en faisant référence à la société américaine, je bénéficie d’un système

« invisible » qui privilégie les blancs (McIntosh, 1989). McIntosh propose d’utiliser le

terme « privilège blanc » (« white privilege ») pour désigner un « paquet invisible »

d’avantages et d’atouts immérités sur lesquels une personne blanche peut compter tout en

étant inconsciente de cette situation. Elle décrit le concept de privilège blanc comme étant

un « sac à dos invisible et léger » rempli de ressources disponibles en tout temps. McIntosh

identifie 26 situations avantageuses qui sont associées au fait d’être racialisée comme

blanche (telle l’assurance de trouver des pansements correspondant à la couleur de sa peau,

le fait d’être exempte de profilage racial lorsqu’elle conduit sa voiture ou encore ne pas se

faire demander de parler au nom de son groupe racial).

À l’opposé, les participants à cette étude, qui sont d’origine latino-américaine, ne

bénéficient pas de ce statut privilégié, de ce privilège blanc. Il y a donc une dissemblance,

au plan racial du moins, entre ma position sociale et celle des participants à cette recherche.

16 Alors que je m’identifie comme une femme blanche, j’aimerais aussi souligner que la blanchité n’est pas une catégorie homogène et uniforme. En fait, dans le contexte québécois, je suis moins blanche qu’un homme anglophone de la classe supérieure. Mon genre – en tant que femme –, ma classe – en tant que membre de la classe moyenne –, et ma langue – en tant que francophone – me placent dans une position sociale inférieure par rapport à un homme anglophone plus aisée. Historiquement, le fait de parler français et d’être d’origine canadienne-française ont été les signes d’un statut social inférieur. Rappelons l’insulte « Speak white » vociférée aux Canadiens Français pour leur dire de parler anglais, insulte qui donna le titre au célèbre poème de Michelle Lalonde récité pour la première fois en 1968 et publié en 1974. Ici, parler « blanc » signifie parler anglais (et non français) (Lalonde, 1974).

Page 76: L’immigration péruvienne au Québec

60

Plusieurs chercheuses féministes ont abordé la question du « positionnement »

(« positionnality ») dans les recherches de nature qualitative (voir entres autres Kohl et

McCutcheon, 2015, Damaris, 2001 et McCorkel et Myers, 2003) et ces dernières

soutiennent qu’il est impératif de prendre en compte la position sociale de la chercheuse par

rapport aux participants de recherche et dans la société en général. La prise en compte du

positionnement permet de faire preuve de « réflexivité », c’est-à-dire de « situer la

chercheuse dans la recherche » (Naples, 2003, Kirsch, 1999 et Stacey, 1991) et d’indiquer

ainsi les possibilités de biais, de préjugés ou de limites qui peuvent affecter la recherche.

À ce sujet, Jill A. McCorkel (McCorkel et Myers, 2003) a révélé comment son

positionnement avait influencé à la fois son analyse et sa relation de recherche avec les

participantes lors de son ethnographie menée auprès de détenues dans une prison pour

femmes. Faisant preuve d’une réflexivité exemplaire, McCorkel a expliqué comment deux

dimensions de son positionnement ont altéré sa vision d’elle-même et des participantes.

D’une part, McCorkel soutient qu’elle a eu tendance à exagérer les ressemblances entre son

expérience personnelle (soit une adolescence délinquante) et celle des détenues. D’autre

part, elle a également minimisé l’impact de sa propre « position matérielle » (« material

location »), en termes de classe sociale et de race notamment, par rapport à celle des

participantes. Alors que les participantes à sa recherche étaient majoritairement d’origine

africaine-américaine et qu’elles appartenaient à la classe ouvrière, McCorkel s’est décrite

comme étant « white, upwardly mobile, highly educated, and free from physical and sexual

violence » (McCorkel et Myers, 2003 : 211). Un exemple pourra davantage illustrer le

positionnement compliqué de McCorkel par rapport aux participantes de sa recherche.

Lors d’une discussion avec une participante, McCorkel a partagé des bribes de son

adolescence. Elle a révélé qu’elle avait été délinquante elle aussi et qu’elle avait consommé

des drogues à quelques reprises. Son interlocutrice a alors demandé à McCorkel pourquoi

cette dernière n’était pas en prison puisqu’elle avait, elle aussi, été délinquante et qu’elle

avait utilisé des drogues. La chercheuse lui a répondu : « I don’t know, I guess I dont like

losing control » (McCorkel et Myers, 2003 : 210). Son interlocutrice lui a fait alors

remarquer que cette réponse sous-entendait que McCorkel pensait que les détenues étaient

Page 77: L’immigration péruvienne au Québec

61

toutes « hors de contrôle » (« out of control »). Pour McCorkel, cette conversation révèle

bien à quel point ses propres préjugés liés à son positionnement ont influencé son

interprétation. Comme elle explique, en qualifiant les détenues de « femmes hors de

contrôle », elle se présentait elle-même comme étant davantage en contrôle de sa vie. Elle

attribuait alors l’expérience d’incarcération à une faiblesse de caractère plutôt qu’à des

circonstances sociales particulières :

Characterizing the women as out of control allowed me to preserve the illusion that we all faced similar disadvantages early on. It meant that I could regard my early success in graduate school (and, concomitantly, my avoidance of prison) as the product of hard work and strong character rather than a byproduct of race, class, and other distinct advantages (e.g., I was not the victim of physical or sexual violence, etc.). It meant that in the course of our relationship I deserved to be the knower and they deserved to be the known (McCorkel et Myers, 2003 : 10).

Dans cet extrait, McCorkel montre clairement comment elle en vient à justifier sa position

(privilégiée) de chercheuse savante par rapport aux participantes dont les vies doivent être

examinées, recherchées et analysée. En réfléchissant sur son positionnement particulier

(elle est blanche, mobile au plan économique, très éduquée, etc.), elle reconnaît sa position

sociale avantageuse par rapport aux participants de la recherche. Selon elle, cette prise de

conscience lui permet de mener une recherche davantage objective, puisque cette approche

met l’accent sur ses propres préjugés liés à son positionnement.

Dans un même ordre d’idées, Chandra Talpade Mohanty (2003) critique les chercheuses

blanches occidentales qui s’approprient les expériences des femmes du tiers monde et qui

reproduisent des rapports inégalitaires à travers leurs recherches et des préjugés

ethnocentriques dans leurs écrits. En présupposant qu’il existerait une catégorie d’analyse

qui regroupe toutes les femmes, peu importe leur classe sociale ou leur culture, ces

chercheuses occidentales brossent un portrait homogène des femmes du tiers monde, où ces

dernières sont systématiquement présentées comme des « victimes » (victimes de la

violence masculine, victimes de leur dépendance économique vis-à-vis des hommes,

victimes des idéologies religieuses, victimes des structures familiales, etc.) (Mohanty,

2003 : 66-71). Selon Mohanty, il importe donc de prendre en compte le contexte

Page 78: L’immigration péruvienne au Québec

62

sociohistorique ainsi que les particularités culturelles de chaque groupe afin de comprendre

leurs actions et leurs expériences en tant que « sujets situés » (« situated subjects »)

(Monhanty, 2013 : 967).

Dans le cadre de cette thèse, je m’inspire des travaux de Monhanty (2013, 2003) et de

McCorkel et Myers (2003) et je reconnais que les participants de la recherche sont des

sujets situés (tout comme moi d’ailleurs). Ces sujets sont situés puisqu’ils occupent une

position sociale particulière, déterminée par une diversité de facteurs, tels l’endroit où ils

habitent (Montréal ou Québec), l’endroit d’où ils viennent (ville ou village du Pérou),

l’emploi qu’ils occupent, leur classe sociale, leur genre, leur ethnicité, leur maîtrise du

français et de l’anglais, entre autres choses. De plus, à l’instar de McCorkel (McCorkel et

Myers, 2003), je suis aussi consciente que ma position sociale diffère de celle des

participants de recherche. N’étant pas d’origine latino-américaine et n’ayant jamais vécu

l’expérience de la migration internationale, je suis une personne du dehors par rapport aux

personnes interviewées. Qui plus est, en tant que femme blanche qui bénéficie du

« privilège blanc » (McIntosh, 1989), je représente la société dominante, la société

d’accueil au sein de laquelle les participants peuvent avoir vécu de la discrimination ou du

racisme. En raison de mon statut d’étrangère par rapport aux participants, il est fort possible

que ces derniers hésitent à me raconter certaines choses de peur, par exemple, que je ne

puisse pas comprendre pleinement leur expérience.

Par exemple, les participants me disaient souvent au début de l’entrevue qu’ils n’avaient

jamais été victimes de discrimination ou de racisme. Par contre, lorsque je leur posais des

questions plus précises sur leur expérience d’immigration, ils relataient souvent des

situations où ils s’étaient sentis discriminés, que ce soit lors d’un entretien d’embauche,

dans leur quartier ou au travail. En tant que chercheuse, je me demande si les répondants

auraient agi différemment devant une personne de leur groupe ethnique. Est-ce que le fait

que je ne sois pas d’origine péruvienne, latino-américaine ou immigrante, puisse expliquer

cette réticence à parler ouvertement de discrimination avec une chercheuse blanche ? Il est

bien sûr impossible de répondre à cette question. Par contre, le simple fait de poser cette

Page 79: L’immigration péruvienne au Québec

63

question permet de me situer socialement par rapport aux participants et d’être plus

attentive à l’impact de mon statut social sur la relation de recherche.

Ceci dit, malgré les différences incontestables entre une chercheuse blanche et des

participants de recherche provenant d’un groupe minorisé et racisé, il serait erroné de

soutenir qu’une sociologue devrait seulement étudier sa propre communauté ou son propre

groupe social. Cette vision essentialiste sous-entend que tous les membres d’un même

groupe (ethnique, social ou culturel, par exemple) partageraient des expériences et des

opinions similaires. Au contraire, les chercheuses féministes qui utilisent l’approche

intersectionnelle ont démontré que les individus occupent « une multiplicité de positions

identitaires », liée à des « relations de pouvoir complexes qui façonnent leurs interactions »

et à la spécificité de chaque contexte (Bourque et Maillé, 2015 : 3). Chaque contexte est

spécifique et ne peut se réduire à une « formule catégorielle universelle » (Bourque et

Maillé, 2015 : 3).

Lors de mon enquête de terrain, la « multiplicité des positions identitaires » est vite apparue

évidente. Très tôt, j’ai réalisé que malgré nos différences indéniables au plan ethnique, je

partageais tout de même certaines caractéristiques avec les participants de la recherche.

Comme beaucoup des personnes interrogées, je suis à la recherche d’un emploi permanent

qui correspond à mes qualifications et je possède une éducation universitaire. Ma position

identitaire en tant que chercheuse d’emploi m’a donc rapproché des participants. En tant

qu’étudiante, mes revenus sont modestes, bien que je fasse partie de la classe moyenne.

Plusieurs des participants m’ont d’ailleurs dit qu’ils voulaient m’aider dans mes études et

que c’était important pour eux que je mène à terme ma thèse de doctorat, non seulement

pour l’avancement des connaissances, mais aussi pour que je puisse recevoir mon diplôme

et trouver un emploi. J’ai donc senti que j’attirais la sympathie des participants. De plus, en

tant que mère de famille de deux jeunes enfants, j’ai aussi eu beaucoup d’affinités avec les

parents qui devaient jongler emplois, études et obligations familiales. Enfin, je parle

espagnol, ce qui me rapproche des répondants. Bien que toutes ces similarités aient

certainement facilité le déroulement des entrevues, je suis aussi consciente de nos origines

ethniques différentes et de ce fait, de nos statuts sociaux différents.

Page 80: L’immigration péruvienne au Québec

64

En bref, je conviens que ma position sociale diffère de celle des participants à plusieurs

égards et je reconnais aussi la diversité des expériences de chacun d’eux. Dans une optique

d’authenticité et d’objectivité, j’ai donc opté pour utiliser fréquemment des citations des

participants afin de rapporter le plus fidèlement leurs propos et de refléter adéquatement

leurs expériences et leurs perspectives. En dernière instance, c’est tout de même moi, la

chercheuse, qui formule les questions, qui analyse les entrevues et qui tire des conclusions.

Tout ce travail de recherche est donc influencé par ma propre expérience et par ma position

sociale. Reconnaître ma position sociale en tant que chercheuse m’incite donc à être plus

attentive aux moments où cette dernière influence mes questions de recherche, le

déroulement des entrevues, l’analyse des entretiens et les conclusions.

Cela étant dit, il n’en demeure pas moins que toute recherche scientifique qui se veut

rigoureuse nécessite non seulement une réflexion sur la position sociale de la chercheuse,

mais aussi une présentation explicite et détaillée de la méthodologie utilisée en fonction de

la question de recherche et du cadre conceptuel mobilisé. C’est dans un même souci d’une

plus grande objectivité que j’ai choisi d’utiliser une méthode mixte d’analyse qualitative

qui allie l’analyse à l’aide des catégories conceptualisantes et l’analyse critique du discours

(ACD).

3.3 Une méthode d’analyse qualitative alliant l’analyse à l’aide des catégories

conceptualisantes et l’ACD

Lors d’une recherche de nature qualitative, l’analyse des entrevues peut sembler aller de

soi. Dans un premier temps, les entrevues sont d’abord minutieusement retranscrites de

façon dite « verbatim ». Après une première lecture du corpus de données, il s’agit ensuite

de codifier ce dernier à l’aide de thèmes significatifs. Chaque passage jugé pertinent pour

répondre à la question de recherche se verra alors attribuer un thème, c’est-à-dire une

expression qui fait ressortir l’essentiel des propos tenus. Tout au long de la période de

codification, les thèmes peuvent être fusionnés, regroupés ou subdivisés. Au final, les

thèmes seront aussi hiérarchisés afin de bien faire ressortir ceux qui sont plus importants,

Page 81: L’immigration péruvienne au Québec

65

consensuels ou centraux (voir Paillé et Mucchielli, 2012). Selon Pierre Paillé et Alex

Mucchielli, l’analyse thématique a donc deux fonctions, soit « une fonction de repérage et

une fonction de documentation » (2012 : 232). En plus d’identifier tous les thèmes

pertinents en lien avec la question de recherche (fonction de repérage), il s’agit aussi de

construire un panorama des thèmes (un « arbre thématique ») qui relie les thèmes entre eux

afin de voir comment ils interagissent les uns avec les autres, à quel point ils se répètent et

« comment ils se recoupent, rejoignent, contredisent, complémentent… » (Paillé et

Mucchielli, 2012 : 232). Cette approche peut être extrêmement pertinente lors d’une étude

qui se veut davantage descriptive. Afin de réaliser une recherche davantage analytique, je

m’inspire ici plutôt de l’« analyse à l’aide des catégories conceptualisantes », telle que

décrite et expliquée par Paillé et Mucchielli (2012). En outre, l’analyse critique du discours

(ACD) sera aussi mobilisée afin de constituer le devis analytique de cette étude.

3.3.1 L’analyse à l’aide des catégories conceptualisantes L’analyse à l’aide des catégories conceptualisantes permet de mener une analyse constante,

tout au long de la lecture du corpus de données. Dans un premier temps, précisons d’abord

que cette analyse à l’aide des catégories conceptualisantes ne peut avoir lieu qu’à la suite

d’une lecture initiale du corpus permettant de se livrer à un examen phénoménologique des

données d’entretien. Cette première étape est cruciale afin de se laisser imprégner des

différents témoignages avant de se les approprier (Paillé et Mucchielli, 2012 : 143). Il

s’agit ici de faire preuve d’empathie et d’écoute attentive, sans se laisser influencer par nos

propres opinions et préconceptions. Chaque personne interviewée possède une

connaissance du monde qu’il importe de bien saisir avant d’essayer de l’analyser. Afin de

mieux comprendre ce en quoi consiste cet examen phénoménologique, référons-nous

encore une fois aux propos fort utiles de Paillé et Mucchielli (2012). Ces auteurs offrent

une définition claire et concise de cette étape initiale de toute analyse qui se veut

rigoureuse :

[…] l’examen phénoménologique des données, c’est l’écoute initiale attentive des témoignages pour ce qu’ils ont à nous apprendre, avant que nous soyons tentés de les « faire parler ». Cet examen consiste ainsi à donner la parole avant de la prendre soi-même. La parole n’est pas qu’une succession de mots, elle est aussi un pouvoir, elle a

Page 82: L’immigration péruvienne au Québec

66

donc la capacité de mouvoir. Elle appartient d’abord à l’acteur, elle est l’occasion pour lui d’une action sur le monde. Il ne peut y avoir analyse de phénomènes sans la prise en compte du sujet et surtout, de son intention de communication. Ceci signifie qu’il importe non seulement d’écouter l’autre, mais aussi de lui accorder du crédit, c’est-à-dire d’accorder de la valeur à son expérience (Paillé et Mucchielli, 2012 : 141).

C’est donc en suivant cette approche compréhensive que j’ai d’abord effectué une première

lecture du corpus des données d’entretiens. Je me suis imprégnée des récits des participants

en évitant le plus possible d’imposer mes propres catégories d’analyse. Tout en étant

consciente de mes préjugés liés à mon positionnement, j’ai tenté de comprendre le vécu

des acteurs à partir de leur propre point de vue. J’ai ainsi voulu me rapprocher le plus

possible d’une « compréhension véritable » telle que décrite par Paillé et Mucchielli, c’est-

à-dire une compréhension qui amène à « ne plus être tout à fait soi suite à cette expérience

de l’autre », car « comprendre, c’est perdre un peu de soi pour gagner un peu de l’autre,

accueillir l’inconnu pour se dégager du connu » (Paillé et Mucchielli, 2012 : 143). Après

avoir réalisé cet examen phénoménologique des données d’entretiens, j’ai pu ensuite passer

à l’analyse à l’aide des catégories conceptualisantes.

Au lieu de seulement annoter le corpus à l’aide de simples thèmes descriptifs (analyse

thématique), l’analyse à l’aide des catégories conceptualisantes consiste plutôt à

« conceptualiser l’essence » des entretiens afin « d’en proposer une théorisation » (Paillé et

Mucchielli : 2012 : 315). Cette analyse est rendue possible grâce à l’utilisation de

« catégories ». Comme l’explique si bien Paillé et Mucchielli, l’utilisation de catégories

donne lieu à une analyse conceptuelle et théorisante en continu :

Une catégorie désigne donc directement un phénomène. Elle représente la pratique par excellence à travers laquelle se déploie l’analyse en acte. À la différence de la « rubrique » ou du « thème », elle va bien au-delà de la désignation de contenu pour incarner l’attribution même de la signification. Le travail d’analyse à l’aide de catégories implique donc : une intention d’analyse dépassant la stricte synthèse du contenu du matériau analysé et tentant d’accéder directement au sens, et l’utilisation, à cette fin, d’annotations traduisant la compréhension à laquelle arrive l’analyste (Paillé et Mucchielli, 2012 : 316).

Page 83: L’immigration péruvienne au Québec

67

En d’autres termes, la catégorie est l’instrument idéal pour répondre aux questions

suivantes : « Compte tenu de ma problématique, quel est ce phénomène ? » et « Comment

puis-je le nommer conceptuellement ? » (Paillé et Mucchielli, 2012 : 316). Afin de guider

cette construction de catégories, j’ai aussi eu recours à l’analyse critique du discours

(ACD).

3.3.2 L’analyse critique du discours (ACD) À l’instar de l’analyse à l’aide des catégories conceptualisantes, l’ACD permet d’aller au-

delà d’une simple description du contenu des pratiques discursives. L’ACD se démarque

de l’analyse de discours traditionnelle, car elle cherche à comprendre pourquoi et comment

certains discours sont produits (Teo, 2000). Dans le cadre de cette thèse, le recours à

l’ACD a permis de mieux construire les catégories conceptualisantes tout au long de

l’analyse. Précisons donc ici ce en quoi consiste l’ACD.

Le principal objectif de l’ACD est de déceler les idéologies et les présuppositions qui sont

véhiculées, (re)produites, contestées ou réaffirmées dans les discours. Pour ce faire, l’ACD

propose d’explorer les relations structurelles de domination, de discrimination, de pouvoir

et de contrôle – à la fois opaques et transparentes – qui se manifestent à travers le langage

(Weiss et Wodak, 2003). En d’autres termes, l’ACD vise à examiner les inégalités sociales,

tel qu’elles sont exprimées, constituées et légitimées à travers l’usage du langage et dans les

discours (Weiss et Wodak, 2003).

Bien que les chercheurs qui utilisent l’ACD fassent appel à des méthodologies et à des

cadres théoriques plutôt diversifiés pour étudier le discours de manière critique, il n’en

demeure pas moins qu’il est possible d’identifier des concepts fondamentaux, communs à

toute recherche qui s’inscrit dans cette approche multidisciplinaire. Je propose donc de

définir les principaux concepts théoriques utilisés en ACD, soit les concepts de

« discours », de « contexte », d’« idéologie », d’« hégémonie » et de « pouvoir ».

Page 84: L’immigration péruvienne au Québec

68

L’objet de l’ACD est le discours et ce dernier est défini à la fois comme l’usage du langage,

oral et écrit, dans la société et comme une forme de pratique sociale (Petitclerc 2009 : 2).

La grande majorité des approches qui relèvent de l’ACD s’inspirent des travaux de Michel

Foucault et de sa conception de la notion de discours. Selon Foucault, le discours réfère à

des systèmes organisés de connaissance qui délimitent de quoi il est possible de parler et

comment on peut en parler (Adams, 1997 : 6). Ces systèmes de connaissance fabriquent des

« régimes de vérité », c’est-à-dire des discours, produits dans un contexte historique, social

et géographique particulier et soutenus par des institutions spécifiques, qui sont perçus

comme vrais. Foucault ne cherche donc pas à découvrir la « vérité » (à savoir si des

discours sont « vrais » ou « faux »), mais plutôt à déceler comment la « vérité » est

construite à travers diverses techniques discursives (Henry et Tator, 2002 : 24). Par

exemple, Foucault (1976) a examiné comment la multiplication des discours sur la

sexualité aux XVIIIe et XIXe siècles ont défini la manière de parler des pratiques sexuelles

et de les gouverner. C’est ainsi que les discours sur la sexualité, articulés par différents

experts — docteurs, psychologues, psychiatres, professeurs, biologistes, etc. — et

maintenus à travers différentes institutions – comme l’école, l’Église, la famille, etc. — ont

produit la vérité sur le sexe et ont créé des sujets sexuels particuliers (comme

l’« homosexuel »).

S’inspirant d’une perspective foucaldienne, l’ACD s’appuie donc sur la prémisse suivante :

le discours construit la réalité, tout autant qu’il la reflète. Il y a donc une relation

dialectique entre le discours et la société : le discours est à la fois socialement constitutif et

socialement constitué ; « c’est-à-dire que le discours constitue des pratiques sociales et des

situations tout autant qu’il est constitué par elles » (Petitclerc, 2009 : 2). En d’autres termes,

il y a un constant va-et-vient entre le discours et la société : le discours influence la société,

mais il est aussi influencé par elle. En ce sens, le contexte est une notion centrale lorsqu’il

est question de l’ACD. Chaque discours est ancré dans un contexte social et historique ;

chaque discours se situe dans le temps et dans l’espace. Le discours n’est donc jamais

totalement libéré ou détaché des influences socioculturelles et des intérêts économiques

dans lequel il est produit et disséminé (Henry et Tator, 2002 : 25).

Page 85: L’immigration péruvienne au Québec

69

Relativement à la notion de contexte, le concept d’idéologie est également central pour les

différentes approches qui relèvent de l’ACD. En effet, le discours est un instrument

fondamental à travers lequel des idéologies sont transmises, conceptualisées et reproduites.

L’objectif de l’ACD est donc de révéler les idéologies socioculturelles et sociopolitiques

qui sont devenues « naturalisées » et « normalisées » au fil du temps dans les discours (Teo,

2000 : 11). Henry et Tator (2002 : 20) définissent les idéologies comme étant les croyances,

les perceptions, les suppositions et les valeurs qui fournissent aux membres d’un groupe

social particulier un ensemble de connaissance – prises pour acquises – qui permettent de

comprendre et d’expliquer le monde dans lequel ils vivent. Ces idées n’émaneraient pas de

la conscience d’un seul individu, mais opéreraient plutôt au niveau collectif, alors qu’elles

sont partagées par les membres du groupe. Selon Fernand Dumont, les idéologies sont des

représentations sociales qui orientent l’action collective et qui permettent de rendre

intelligible un univers qui serait « autrement disparate » (Dumont, 2008 : 485). Cependant,

les idéologies ne servent pas seulement à créer du sens et à expliquer la société. Selon Hall

(1996) et van Dijk (1998), elles servent aussi à organiser, maintenir et régulariser certaines

formes de pouvoir et de domination dans une société donnée.

Par exemple, l’eurocentrisme constitue une forme d’idéologie qui soutient que les valeurs

et les idées en provenance de l’Europe sont supérieures à d’autres systèmes de

connaissances (Shohat et Stam 1994, cités dans Henry et Tator, 2002). Au-delà du niveau

discursif, l’idéologie eurocentrique a un impact bien matériel sur les populations non

européennes et sur les immigrants non européens qui s’installent au Canada. Par exemple,

lors de la recherche d’un emploi, cela signifie que les diplômes non occidentaux seront

beaucoup moins valorisés que les diplômes occidentaux par les employeurs canadiens.

Dans un autre contexte, cette idéologie eurocentrique a servi de discours dominant pour

justifier la colonisation des Amériques (voir par exemple, Furniss, 1999 et Harris, 2002) et

pour soutenir l’établissement des écoles résidentielles au siècle dernier afin de « civiliser »

les « Indiens » (Barman, 2003 et Francis, 1997).

Aujourd’hui, cette idéologie continue d’avoir un impact sur les membres des Premières

Nations. Par exemple, Razack (2002) montre que la violence perpétrée contre les femmes

Page 86: L’immigration péruvienne au Québec

70

autochtones est souvent « normalisée » et « tolérée » dans les discours populaires. Ici, une

idéologie eurocentrique et patriarcale présenterait les femmes amérindiennes comme

occupant une zone de moralité inférieure par rapport au groupe dominant17. Dans son étude

portant sur le meurtre de Pamela Jones, une femme amérindienne de la nation Saulteaux,

Razack révèle l’importance des discours idéologiques comme instruments qui créent des

catégories de violence « acceptable » et « non acceptable ». Ici, Razack soutient que la

violence est tolérée lorsque les corps violentés sont perçus comme faisant partie d’une zone

de dégénérescence. Commentant l’étude de Razack, Jiwani fait la remarque suivante :

Violence, then, is an instrument of power and self-definition. However, its exercise depends on what the discursive formations and regimes of truth – to use Foucault’s term – define as the zones of degeneracy, and which bodies are perceived to be degenerate and can be subjected to violence with impunity. Thus, Pamela George as an Aboriginal woman and a sex trade worker was, within the construction of White hegemonic masculinity and its institutions of power such as the court, defined and described as occupying the zone of degeneracy. Because hers was perceived as a degenerate body, the violence done to her was trivialized and its impact erased. Here, violence acts as a way of reinforcing White hegemonic masculinity and reinscribing spatial and social relations of power (Jiwani, 2006: 26).

Dans cet exemple, Jiwani réfère à la notion d’hégémonie, un autre concept théorique

important pour l’ACD. Inspiré par Gramsci (1971), van Dijk définit les idéologies

hégémoniques comme étant celles qui sont intériorisées par les membres « dominés » d’une

société particulière (1993). Lorsque les « dominés » acceptent ces idéologies dominantes et

qu’ils agissent de leur plein gré de manière à défendre les intérêts de « puissantes élites »

(power elites) – créatrices de ces idéologies –, il y a hégémonie. Le concept de pouvoir

moderne, tel que présenté par van Dijk et utilisé dans différentes études d’ACD, est bien

utile pour comprendre comment les discours sont porteurs d’hégémonies :

Besides the elementary recourse to force to directly control action (as in police violence against demonstrators, or male violence against women), ‘modern’ and often more effective power is mostly cognitive, and enacted by persuasion, dissimulation or manipulation, among other strategic ways to change the mind of others in one’s own interests. It is at this crucial point where discourse and critical discourse analysis come in: managing the mind of others is essentially a function of text and talk. Note, though,

17 À ce sujet, voir aussi Jiwani, 2006 (p.23-28).

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71

that such mind management is not always bluntly manipulative. On the contrary, dominance may be enacted and reproduced by subtle, routine, everyday forms of text and talk that appear ‘natural’ and quite ‘acceptable’. Hence, CDA also needs to focus on the discursive strategies that legitimate control, or otherwise ‘naturalize’ the social order, and especially relations of inequality (van Dijk, 1993: 254).

Ici, le discours sert donc à « fabriquer le consentement » (« manufacturing consent »), pour

reprendre la célèbre expression de Chomsky (Chomsky et Herman, 2008).

En bref, l’ACD conceptualise le langage comme étant un lieu de lutte sociale – ancré dans

un contexte et une histoire spécifique – où les inégalités sociales sont (re)produites,

contestées ou réaffirmées à travers les mots, les phrases ou les expressions qui forment le

discours. L’ACD permet donc de déceler les relations entre les pratiques discursives et la

(re)production d’inégalités sociales. Comme mentionné par Petitclerc, le discours

« participe à la fois au maintien du statu quo dans la société tout autant qu’il contribue à la

transformer » :

Les pratiques discursives ont donc des influences idéologiques majeures dans la mesure où les représentations des hommes, des femmes, des différents groupes ethniques, culturels et sociaux (minoritaires et majoritaires) qui y sont véhiculées contribuent à produire et à reproduire les différentes relations de pouvoir et les différents positionnements sociaux entre les groupes. Le discours est ainsi conceptualisé comme un lieu majeur de luttes de pouvoir sociales (Petitclerc, 2009 : 2).

Lors de l’analyse des entretiens, j’ai examiné comment le discours des participants faisait

référence à un contexte social plus large, d’une part et était influencé par les inégalités

sociales qui le caractérisent, d’autre part. En partant de la réalité concrète des gens et de

leurs expériences, j’ai observé comment ces derniers pouvaient être à la fois victimes de

discours racistes, sexistes ou classistes, tout en reproduisant, contestant ou questionnant ces

mêmes discours. Comme l’explique François Dubet, l’individu doit être considéré comme

un « intellectuel », comme un « acteur capable de maîtriser consciemment, dans une

certaine mesure en tout cas, son rapport au monde » (1994 : 105). Les individus possèdent

des ressources idéologiques et interprétatives qui leur permettent de comprendre leur

monde et qui ne peuvent être ignorées par le sociologue (Dubet, 1994 : 225). En

Page 88: L’immigration péruvienne au Québec

72

m’inspirant des propos de Dubet, j’ai effectué un travail en aval et en amont des discours

afin de mieux comprendre les témoignages et les réalités des participants de la recherche et

de mieux saisir comment ils interprétaient leur vécu. Pour reprendre l’expression

d’Anthony Giddens (1987), les individus sont des « acteurs compétents ». Ils possèdent une

connaissance approfondie (« expert knowledge ») de leurs propres réalités et sont les mieux

placés pour nous informer sur leurs expériences (Smith, 1987). Il importe donc d’apporter

un bémol à l’idée d’un discours hégémonique, que seuls les chercheurs pourraient dévoiler

à l’aide de l’ACD. En effet, les acteurs peuvent résister, contester et questionner les

discours hégémoniques qui contribuent à créer les inégalités sociales. Par exemple,

plusieurs des personnes interrogées contestaient les courants dominants à travers leurs

activités au sein de différents groupes (groupes culturels, groupes d’entraide pour

immigrants, groupes de femmes, etc.) et l’implication dans ces mouvements constitue un

exemple de résistance par rapport à l’ordre établi.

3.4 Conclusion

Cette étude de nature qualitative analyse en profondeur les témoignages recueillis auprès de

24 personnes immigrantes d’origine péruvienne. Afin de mieux comprendre leur expérience

d’immigration, j’ai interrogé les participants sur leur recherche d’emploi et de logement,

leurs réseaux sociaux, leur construction identitaire et leur sentiment d’appartenance envers

leurs origines et leur lieu d’accueil. Dans un souci de respect et d’équité envers les

répondants, ces derniers ont pu décider de réaliser les entretiens en espagnol ou en français,

selon leur préférence. Sur les 24 entrevues, sept ont été conduites en espagnol.

De par la nature même de la méthode utilisée (la réalisation d’entrevues qualitatives), j’ai

rapidement été amenée à considérer mon positionnement (positionality) par rapport aux

personnes interviewées. En tant que femme blanche québécoise, je reconnais que je suis

une personne du dehors par rapport à mes répondants. Cette prise de conscience m’a

amenée à porter attention aux moments ou ma position sociale pouvait avoir un impact sur

la relation de recherche. Contrairement à ce que j’avais anticipé, j’ai réalisé que je

partageais tout de même quelques points en commun avec les répondants, ce qui semble

Page 89: L’immigration péruvienne au Québec

73

avoir facilité l’instauration d’un climat de confiance (dont un statut de chercheuse

d’emploi, de diplômée universitaire, de parent et de locutrice de l’espagnol). En revanche,

il semble que mon appartenance au groupe majoritaire a pu créer un certain malaise auprès

des répondants, surtout au début des entrevues. Certains répondants ont affirmé d’emblée

qu’ils n’avaient pas été victimes de racisme ou de discrimination – une affirmation qui était

souvent contredite en cours d’entrevue.

Dans un souci de rigueur et d’objectivité, j’ai utilisé une méthodologie alliant deux

méthodes d’analyse qualitative différentes et complémentaires, soit l’analyse à l’aide des

catégories conceptualisantes et l’ACD. L’analyse à l’aide des catégories conceptualisantes

m’a permis de m’imprégner des témoignages des répondants dans un premier temps, pour

ensuite les analyser en faisant appel directement aux différents concepts de mon cadre

théorique présenté au chapitre III. Le recours à l’ACD, quant à lui, m’a amené à mieux

situer les discours des répondants dans leur contexte social et historique, soit dans le

contexte de la société québécoise des années 2010 et de la société péruvienne qu’ils avaient

quittée. En m’inspirant de l’ACD, j’ai aussi porté une attention particulière aux idéologies

et inégalités sociales qui étaient véhiculées, (re)produite et contestées à travers les pratiques

discursives des répondants, tout en considérant ces derniers comme des « acteurs

compétents » (Giddens, 1987) qui possèdent une connaissance approfondie de leur vécu et

de leur expérience (Smith, 1987).

Page 90: L’immigration péruvienne au Québec

74

Chapitre IV. Profil des répondants

Les répondants qui ont participé à cette étude présentent une diversité de profils en termes

d’âge, de sexe, d’occupation professionnelle et de niveau d’éducation. Ils proviennent de

trois catégories d’immigration (travailleurs qualifiés, regroupement familial et réfugiés) et

ils sont arrivés au Québec à divers moments depuis les années 1970. Malgré ces différents

profils et parcours migratoires, nos participants partagent tout de même certains points

communs, notamment en ce qui a trait aux raisons qui les ont amenés à immigrer et à leur

classe sociale au Pérou – la majorité d’entre eux s’identifiant à la classe moyenne ou

moyenne élevée péruvienne. Dans ce chapitre, nous explorerons plus en détail le profil des

répondants.

Dans un premier temps, nous nous pencherons sur les caractéristiques

sociodémographiques des participants (âge, sexe, année d’arrivée au Québec, catégorie

d’immigration, situation occupationnelle et éducation). Il va sans dire que le profil

sociodémographique d’une personne immigrante aura un impact sur son mode d’intégration

dans la société d’accueil (Labelle, 2015a). Aux États-Unis, le sociologue Alejandro Portes

(2000 : 275) souligne que contrairement aux immigrants du début du vingtième siècle – qui

joignaient massivement les rangs des classes populaires –, les immigrants d’aujourd’hui

intègrent toutes les classes actives économiquement (economically active classes) de la

société d’accueil. Les immigrants contemporains peuvent faire partie de différents groupes

sociaux – des elite workers (scientifiques, professionnels et artistes) aux petty

entrepreneurs (des petits entrepreneurs qui ont un certain capital et une expertise en

Page 91: L’immigration péruvienne au Québec

75

affaires), en passant par les common workers (les travailleurs semi-qualifiés et non

qualifiés) (Porte, 2000 : 276). Dans le cas de notre étude, les impacts en matière de classe

sociale se sont avérés. Les immigrants plus aisés, par exemple, ont eu davantage de

ressources financières pour faciliter leur installation dans le nouveau pays18.

Après avoir présenté le profil sociodémographique de notre échantillon, nous examinerons

ensuite les raisons qui ont motivé les Péruviens à immigrer au Québec. Malgré une

diversité de parcours et d’expériences migratoires, les répondants ont identifié différentes

raisons qui peuvent être regroupées en quatre catégories interreliées (soit l’insécurité, la

qualité de vie, les conditions de travail et l’avenir des enfants). Puisque le processus de

migration débute dans le pays d’origine, il est important d’examiner ce qui amène les gens

à partir (et parfois à revenir). Considérer les conditions de vie – ainsi que le contexte

politique, économique et social – dans la société de départ permet de mettre en contexte les

attentes des immigrants en regard de leur projet d’immigration. Qui plus est, comme

l’explique Stéphanie Garneau au sujet des migrants marocains, « la construction du

parcours d’émigration et d’établissement dans la société d’accueil est fonction des origines

socioéconomiques et de l’histoire migratoire et familiale des migrants » (2008 : 166). À

l’opposé de l’approche du nationalisme méthodologique – qui tend à concentrer l’analyse

seulement sur la société d’accueil (voir entre autres Mazzella, 2014)19 –, nous prendrons ici

18 Bien que la majorité des répondants ont dit appartenir à la classe moyenne au Pérou, il y a tout de même des variations à l’intérieur de cette catégorie. En fait, les différents positionnements à l’intérieur de cette catégorie englobante ont eu un impact sur l’expérience migratoire. Certains répondants avaient accès à beaucoup plus de ressources financières (de leur famille, entre autres) pour faciliter leur arrivée au Québec, alors que d’autres ne pouvaient compter que sur eux-mêmes au plan financier. Nous y reviendrons dans la troisième section de ce chapitre. 19 Dans le domaine des études sur l’immigration, le nationalisme méthodologique est critiqué parce qu’il tend à se servir de l’État-nation comme seule unité d’analyse, sans toutefois explorer le contexte transnational des (im)migrants (voir Labelle, 2015a et Mazzella, 2014). En revanche, une approche transnationale, qui tient compte du pays d’origine des immigrants (et des liens transnationaux qu’ils peuvent entretenir avec les membres des diasporas internationales) à toutes les étapes du projet migratoire et des possibles va-et-vient constants entre l’ici et l’ailleurs, donne lieu à une analyse plus approfondie, en termes d’intégration, d’insertion socioéconomique, de réseautage et de constructions identitaires, notamment. Par exemple, dans le cas des immigrants péruviens qui ont participé à cette étude, poser le regard à la fois sur le pays d’origine et le pays d’accueil a permis d’identifier en quoi leurs liens transnationaux ont contribué à leur insertion dans la nouvelle société.

Page 92: L’immigration péruvienne au Québec

76

en compte, quoique brièvement, le contexte de départ des Péruviens, ainsi que leurs

caractéristiques socioéconomiques et leur histoire migratoire et familiale. Commençons par

présenter notre échantillon.

4.1 Présentation de l’échantillon

Au total, 24 personnes ont participé aux entrevues, soit 12 femmes et 12 hommes. Les

entretiens ont été réalisés dans les villes de Montréal et de Québec entre les mois de mai

2015 et janvier 2016. Les quatre critères de participation à la recherche étaient les suivants :

être né au Pérou, être arrivé au Québec depuis au moins trois ans, être arrivé au Québec à

l’âge adulte et avoir plus de 18 ans. Le tableau 1 offre un portrait plus précis des différents

participants comprenant leur sexe, leur âge, leur ville de résidence, l’année d’arrivée au

Québec, le statut d’immigration (accepté via le regroupement familial, en tant que

travailleur qualifié ou réfugié), l’occupation au Pérou, le plus haut diplôme obtenu et

l’occupation actuelle au Québec. Rappelons que notre échantillon offre une diversité de

profil et qu’à plusieurs égards, il reflète tout de même assez bien le portrait global de

l’immigration péruvienne au Québec au cours des dernières années.

Autant d’hommes que de femmes ont participé aux entrevues. La parité homme/femme

était une condition presque sin qua non à la complétion de ce projet. D’une part, cette parité

a permis d’avoir un échantillon représentatif de la communauté péruvienne en ce qui a trait

au sexe. D’autre part, cet équilibre entre les sexes a permis d’effectuer une analyse genrée

du corpus de données et de comparer les expériences d’immigration selon les sexes.

L’âge des répondants est aussi diversifié, se situant entre 25 et 69 ans. On retrouve des

répondants appartenant aux trois catégories d’immigration, avec une très forte majorité de

travailleurs qualifiés. L’année d’arrivée varie de 1970 à 2012. L’occupation au Pérou

reflète le profil des nouveaux arrivants en général, avec une majorité de professionnels

œuvrant dans différents domaines, des étudiants et d’autres catégories occupationnelles. Le

plus haut diplôme obtenu (incluant les niveaux secondaire et postsecondaire) et

l’occupation actuelle au Québec varient d’un répondant à l’autre. La section suivante

présente de manière plus détaillée différentes caractéristiques des répondants.

Page 93: L’immigration péruvienne au Québec

77

Tableau 1 : Profil des personnes interviewées20 Nom21 S Âge Ville Année

arrivée Statut Occupation

au Pérou Diplôme Occupation

actuelle Claudia F 69 Montréal 1970 Famille Enseignante Baccalauréat Retraitée

(gardienne d’enfants)

Monica F 52 Montréal 1983 Famille Étudiante Maîtrise Femme de ménage*

Andrea F 51 Québec 1991 Réfugié Résidente en médecine

Baccalauréat Analyste financière

Manuel M 51 Montréal 1991 Réfugié Concierge Secondaire Propriétaire (Pizzeria)

José M 49 Montréal 1993 Réfugié Technicien en télédiffusion

Diplôme collégial

Contremaître (Entretien ménagé)*

Cristina F 39 Québec 2000 Travail Étudiante Maîtrise Technicienne* Emilia F 45 Québec 2002 Travail Adjointe

administrative Maîtrise Agente

administrative* Hector M 35 Montréal 2002 Famille Étudiant Secondaire Chef d’équipe

manufacture Alberto M 40 Montréal 2004 Travail Comptable Baccalauréat Vérificateur-

comptable Angel M 56 Montréal 2004 Travail Pharmacien Baccalauréat Cuisinier* Mario M 51 Montréal 2004 Travail Aide-

comptable Baccalauréat Agent de

recouvrement* Pablo M 52 Montréal 2004 Travail Chef régional

d’une caisse Maîtrise Représentant en

assurance* Ricardo M 39 Montréal 2005 Travail Journaliste Baccalauréat Technicien

informatique* Paula F 41 Québec 2006 Famille Secrétaire Baccalauréat Mère au foyer Gabriela F 38 Québec 2008 Travail Étudiante Baccalauréat Technicienne* Hugo M 34 Montréal 2008 Travail Étudiant Doctorat Biologiste* Enrique M 43 Montréal 2009 Travail Gestionnaire

prêts bancaires Baccalauréat Agent de service

à la clientèle* Valentina F 36 Québec 2009 Travail Architecte Maîtrise Technicienne

soumission* Veronica F 38 Montréal 2009 Travail Étudiante Baccalauréat Analyste-

programmeur* Daniela F 25 Québec 2010 Famille Étudiante Baccalauréat Agente

administrative Sofia F 46 Québec 2010 Études Étudiante Maîtrise Étudiante Liliana F 36 Montréal 2011 Travail Économiste Maîtrise Conseillère en

formation* Miguel M 42 Montréal 2011 Travail Ingénieur en

télédiffusion Baccalauréat Technicien sur

appel* Victor M 34 Québec 2012 Travail Ingénieur civil Baccalauréat Livreur* Note : L’étoile (*) signifie que l’occupation requiert un diplôme moins élevé que celui obtenu.

20 Les personnes interviewées sont présentées selon leur année d’arrivée au pays. 21 Tous les noms sont des pseudonymes afin de préserver l’anonymat des personnes interrogées.

Page 94: L’immigration péruvienne au Québec

78

4.1.1 L’âge des répondants La répondante la plus jeune avait 25 ans au moment de l’entrevue et la plus vieille, 69 ans.

L’âge moyen des répondants était de 43,42 ans. Plus précisément, une personne avait moins

de 30 ans, neuf répondants étaient âgés entre 34 et 39 ans, sept, entre 40 et 49 ans, six, entre

51 et 56 ans et une avait plus de 65 ans (voir la Figure 3). Mis à part la personne de 25 ans

et celle de 69 ans, tous les autres répondants étaient âgés entre 34 et 56 ans, ce qui

correspond à une période de la vie où les gens sont actifs au plan professionnel.

Figure 3 : Répartition des répondants selon le groupe d’âge (N=24)

4.1.2 La RMR des répondants J’ai tenté le plus possible de recruter autant de participants dans les deux régions

métropolitaines de recensement (RMR) à l’étude. Au final, il y a une légère

surreprésentation des participants habitant la RMR de Montréal, soit 15 participants sur 24,

correspondant à 62,5% du total. Par le fruit du hasard, beaucoup plus de femmes que

Page 95: L’immigration péruvienne au Québec

79

d’hommes ont été recrutées à Québec (soit 8 femmes et un homme) alors que l’on retrouve

la situation inverse à Montréal (11 hommes versus 4 femmes) (voir la Figure 4).

Figure 4 : Répartition des répondants selon le sexe et la RMR habitée (N=24)

Une des raisons qui pourrait expliquer ce résultat est peut-être attribuable à la méthode de

recrutement. À Montréal, la plupart des répondants ont été recrutés lors de deux festivals

péruviens. Bien que j’aie approché autant d’hommes que de femmes lors de ces activités

festives, la gent masculine a été beaucoup plus réceptive à l’égard de mon projet de

recherche. J’ai remarqué que les hommes venaient aux festivals plus souvent seuls ou entre

amis. De ce fait, ils étaient davantage disposés à m’écouter et à prendre le temps de

connaître mon projet. Les femmes, quant à elles, étaient souvent aux festivals avec leur

famille. Occupées à surveiller leurs enfants ou à discuter avec d’autres membres de leur

famille, les Péruviennes semblaient moins intéressées à me parler et j’ai essuyé plusieurs

refus lorsque j’ai approché ces dernières pour leur présenter de mon projet. Puisque j’ai

aussi utilisé la méthode dite « boule de neige », plusieurs hommes de Montréal m’ont

référée à leurs amis et connaissances et ceux-ci étaient aussi de sexe masculin.

Page 96: L’immigration péruvienne au Québec

80

En comparaison avec Montréal, la population péruvienne de Québec est beaucoup plus

petite (elle était estimée à 380 personnes en 2011) et il n’y a pas de grands festivals

péruviens dans cette ville. J’ai donc recruté la majorité des participants de la RMR de

Québec via les associations communautaires. Ces dernières étant composées

majoritairement de femmes, j’ai été en contact avec davantage de Péruviennes que de

Péruviens à Québec. Ici aussi, la méthode dite « boule de neige » a fait en sorte que les

femmes interviewées m’ont référée à d’autres femmes. La figure 4 illustre la répartition des

répondants selon le sexe et la RMR habitée.

4.1.3 L’année d’arrivée au Québec et la catégorie d’immigration La grande majorité des répondants qui ont participé à cette étude sont arrivés au Québec à

partir des années 2000, soit 19 répondants sur 24, correspondant à 70,8% du total. Parmi

ces derniers, sept répondants ont immigré au Québec entre 2000 et 2004, sept entre 2005 et

2009 et cinq entre 2010 et 2012. Pour ce qui est des autres vagues d’immigration, trois ont

immigré au début des années 1990 (entre 1991 et 1993), une en 1983 et une en 1970.

Mis à part trois répondants qui ont immigré grâce au regroupement familial et une étudiante

étrangère, tous les autres répondants qui sont arrivés dans les années 2000 ont été admis au

Canada en tant que travailleurs qualifiés, soit 15 répondants sur 19. Ce constat reflète bien

la réalité actuelle au plan provincial, puisque la majorité des nouveaux immigrants

accueillis récemment au Québec appartiennent à cette catégorie. En 2014, par exemple,

57,7% des immigrants admis au Québec étaient des travailleurs qualifiés (MIDI, 2015a).

Les trois répondants arrivés au début des années 1990 ont tous été reçus en tant que

réfugiés. En raison de la situation sociopolitique précaire qui avait cours au Pérou dans les

années 1990 (avec la violence liée aux affrontements entre l’État et les guérillas du Sentier

lumineux, notamment), il n’est pas surprenant que ce soit uniquement durant cette période

que l’on retrouve les trois seuls participants qui ont été admis en tant que réfugiés.

D’ailleurs, la période 1991-1992 a connu un boom de réfugiés péruviens avec l’admission

Page 97: L’immigration péruvienne au Québec

81

de 406 demandeurs d’asile en provenance du Pérou durant ces deux années (Québec,

ministère de l’Immigration et des communautés culturelles, 2009, cité dans Charbonneau,

2011 : 50). Enfin, la répondante arrivée en 1970 a été reçue au pays parce qu’elle avait

épousé un homme d’origine française qui avait immigré au Québec. Elle a donc été incluse

dans la catégorie du regroupement familial aux fins de cette étude.

Figure 5 : La période d’arrivée au Québec et la catégorie d’immigration des

répondants (N=24)

Note : Le statut d’étudiante étrangère ne correspond pas à une catégorie d’immigration, puisqu’il s’agit d’un statut de résidente temporaire aux fins d’études. J’ai tout de même inclus cette personne dans cette enquête (voir l’explication ci-dessous).

Notons que j’ai aussi inclus une entrevue avec une étudiante étrangère (Sofia), arrivée en

2010. Bien que cette dernière ne fût pas une immigrante reçue, j’ai trouvé que son

expérience était très pertinente. Bien sûr, contrairement aux autres immigrants, elle n’a pas

eu à se chercher un emploi puisque son séjour n’était que temporaire. Comme je n’avais pas

précisé que j’excluais les étudiants étrangers dans mon annonce de recrutement, j’ai tout de

Page 98: L’immigration péruvienne au Québec

82

même fait l’entrevue avec elle. Comme il s’agit d’une étude à caractère qualitatif – qui

s’intéresse aux questions d’identité et d’adaptation, d’une part et qui, d’autre part, priorise

la diversité des parcours – j’ai finalement décidé de garder son témoignage pour cette

recherche.

4.1.4 Le dernier diplôme obtenu et l’occupation La majorité des Péruviens qui ont participé à cette étude possédait un diplôme d’éducation

postsecondaire, soit 22 personnes sur 24. Parmi ces derniers, un répondant détenait un

diplôme collégial, 13 répondants détenaient un baccalauréat, sept une maîtrise et une

personne avait un doctorat. Le tableau 2 présente la répartition des répondants selon le

dernier diplôme obtenu.

Tableau 2 : Répartition des répondants selon le dernier diplôme obtenu (N=24)

Dernier diplôme obtenu Nombre de répondants

Secondaire 2

Collégial 1

Baccalauréat 13

Maîtrise 7

Doctorat 1

Total 24

Malgré leur niveau d’éducation élevé, plusieurs des répondants interrogés occupaient un

emploi en deçà de leurs qualifications. Parmi les 21 répondants qui occupaient un emploi

au Québec au moment de l’entrevue (l’éducatrice retraitée, l’étudiante et la mère à la

maison ont été exclues de ces calculs), 16 d’entre eux étaient en situation de sous-emploi,

c’est-à-dire qu’ils étaient surqualifiés pour l’emploi qu’ils avaient. Seuls les deux

répondants détenant un diplôme d’études secondaires, ainsi que trois titulaires d’un

Page 99: L’immigration péruvienne au Québec

83

baccalauréat, avaient un emploi qui correspondait à leur niveau d’études. Le tableau suivant

illustre cette réalité en comparant le diplôme obtenu par rapport au diplôme requis pour le

travail des répondants. Notons que l’ensemble des détenteurs d’un diplôme universitaire de

deuxième ou de troisième cycle (maîtrise ou doctorat) étaient surqualifiés pour leur emploi

au moment de l’entrevue.

Tableau 3 : Diplôme obtenu par rapport à l’emploi occupé (n=21)

Diplôme obtenu Emploi occupé qui

correspond au diplôme

Emploi occupé qui requiert

un diplôme moins élevé

Secondaire 2 0

Collégial 0 1

Baccalauréat 3 8

Maîtrise 0 6

Doctorat 0 1

Total 5 16

Résumons les caractéristiques de notre échantillon. En bref, la majorité des participants

interrogés dans le cadre de cette étude (22 sur 24) étaient âgés de 34 à 56 ans. À Montréal,

plus d’hommes ont participé aux entrevues, alors qu’à Québec, plus de femmes ont pris part

aux entretiens. Environ 60 % des répondants (15 sur 24) sont arrivés au Québec à partir des

années 2000 en tant que travailleurs qualifiés et la plupart détenait un diplôme universitaire

(21 sur 24). Il s’agit donc d’un groupe de personnes éduquées pour la grande majorité.

Malgré leur haut niveau d’éducation, les trois quarts des personnes interrogées qui

travaillaient étaient en situation de sous-emploi. Attardons-nous maintenant aux raisons qui

ont motivé les immigrants péruviens à quitter leur pays.

4.2 À la recherche d’un monde meilleur

Prendre la décision de quitter son pays pour s’établir dans un autre endroit n’est jamais un

choix facile. En fait, s’agit-il vraiment d’un choix ? La réponse varie selon chaque personne

qui entreprend un processus migratoire. Pour les réfugiés qui ont quitté le Pérou dans les

Page 100: L’immigration péruvienne au Québec

84

années 1980 et 1990 durant la période du conflit armé, la question du choix se pose moins.

José, arrivé en 1993, ainsi que Manuel et Andrea, arrivés en 1991, ont tous les trois

demandé et obtenu le statut de réfugié au Canada parce qu’ils considéraient que leur vie

était en danger au Pérou. Rester au Pérou n’était plus une option pour eux. José, par

exemple, était caméraman pour une chaîne de télévision nationale et il avait été pris en

otage à quelques reprises à bord de son camion alors qu’il travaillait. Chaque jour, il sentait

qu’il risquait sa vie pour accomplir son travail. Il a donc fait une demande d’asile au

Canada. Hésitant entre les États-Unis et le Canada, il a choisi ce dernier pays parce qu’il

avait la possibilité de faire une demande d’immigration légale et d’obtenir ainsi le statut de

réfugié. Hormis José, Manuel et Andrea, qui ont obtenu le statut de réfugié au début des

années 1990 (et Sofia, qui était étudiante étrangère), tous les autres participants à cette

étude ont été admis de manière permanente au Canada comme travailleurs qualifiés ou dans

le cadre d’une réunification familiale. Pour la plupart de ces migrants, la décision de quitter

le Pérou a davantage été prise dans une perspective d’amélioration de leurs conditions de

vie et de travail.

4.2.1 L’insécurité Lorsque j’ai demandé aux participants de la recherche pourquoi ils avaient décidé de quitter

le Pérou, la grande majorité d’entre eux ont d’abord mentionné l’insécurité qui prévalait

dans leur pays d’origine, que ce soit pendant ou après la période du conflit armé péruvien22.

Ceux qui sont arrivés comme réfugiés dans les années 1990 ont mentionné que la violence

liée au conflit armé mettait directement leur vie en danger. Pour les autres, arrivés à partir

des années 2000, soit après la période du conflit armé, la sécurité constituait également une

raison importante pour quitter le Pérou. La peur constante de se faire voler, d’être victime

22 La période dite du « terrorisme » débute au début des années 1980 et se termine officiellement en 2001 avec l’instauration de la Commission vérité et réconciliation (Boutron, 2013). Par ailleurs, comme l’explique Camille Boutron, la création d’un espace social « post-conflit » en 2001 « ne suffit pas à briser l’extrême polarité qui caractérise la société péruvienne post-conflictuelle » (2013 : 39). Il est donc difficile de tirer une ligne bien droite et définitive entre une période conflictuelle et une période « post-confluctuelle ».

Page 101: L’immigration péruvienne au Québec

85

d’un secuestro expresso (kidnapping express)23 ou de violence quelconque faisait partie du

quotidien des immigrants. À titre d’exemple, Enrique a immigré au Québec en 2009 en tant

que travailleur qualifié. Au Pérou, il travaillait dans le secteur bancaire et il considère qu’il

avait un bon emploi. Il a tout de même décidé d’immigrer en citant la sécurité comme

raison principale :

Même si j'avais trouvé un bon travail, il y avait des questions sociales qui m'ont amené à prendre la décision de venir ici. La principale raison c'est la sécurité. Quand j'étais là-bas […], j'ai subi deux fois un vol. Pour plusieurs de mes amis, ma famille, il y a eu des cas où il y avait de la violence, des petits secuestros [kidnapping]. Maintenant, il y a beaucoup de façon de faire des choses comme ça. Je te prends, je t'amène à une ATM, un guichet, ça va être cinq minutes, mais avec un pistolet, ou quelque chose, tu marches dans la rue, on entre dans le guichet, tu sors l'argent et c'est tout. C'est la peur d’avoir des expériences mauvaises comme ça. Mes parents aussi, des voleurs étaient rentrés chez eux. C'est la sécurité. Même par exemple, dans la rue, le trafic, c'est terrible. Des voitures tout le temps. Ce sont des choses qui, moi, particulièrement, je n'aime pas ça. [...] Je suis très sensible à ces choses-là. C'est important pour moi de traverser la rue en toute sécurité (Enrique, entrevue M724).

Ici, l’insécurité semble toucher plusieurs sphères de la vie quotidienne et prendre diverses

formes selon les contextes : à la maison, à l’extérieur, ou en traversant la rue, on risque de

se faire cambrioler, voler ou frapper par une voiture. Pour Christina, qui est arrivée au

Québec en l’an 2000, l’insécurité était telle qu’elle ne voulait pas que ses futurs enfants et

sa famille reste au Pérou. D’abord admise comme étudiante étrangère, elle a par la suite

entrepris des démarches de résidence permanente pour être finalement acceptée au Québec

quelques années plus tard en tant que travailleuse qualifiée. Elle a pris la décision

d’immigrer en pensant à ses futurs enfants et à sa famille :

Je suis de la génération du terrorisme. Ça veut dire que je suis vraiment de la génération où il y avait des voitures piégées, des tours d’édifices tombées. […] C’est comme en Colombie maintenant, les gens pouvaient… Ils vivaient, on avait une vie normale, mais en même temps, il y avait tout le temps le risque de trouver quelque chose qui pouvait t’arriver. J’étais quand même dans un milieu assez protégé, à la

23 Une personne peut être victime d’un « kidnapping express » lorsqu’elle se fait amener de force à un guichet automatique pour y retirer de l’argent. Elle est donc kidnappée le temps d’effectuer la transaction et libérée une fois l’argent remis à son agresseur. 24 Pour préserver la confidentialité, j’ai utilisé des pseudonymes pour chacun des répondants, soit des prénoms qui étaient populaires au Pérou. La lettre F ou M permet d’identifier le genre du répondant (féminin ou masculin) et le numéro correspond au rang de l’entrevue dans le temps.

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capitale. J’avais étudié dans une école privée, mais je savais que dès que je finissais l’école, que je commençais à vivre la vraie vie, si j’allais dans une université publique, c’est là que ça a été un choc. J’ai compris que le monde était tout à l’envers et que c’était dangereux. Et c’est là qu’il y a eu justement les pires moments, quand je suis sortie de l’école privée, dans les années 1990. Je ne sais pas si tu as entendu parler de ça. Il y avait l’ambassade du Japon qui avait été prise en otage. C’était la pire année et il y avait beaucoup de violence dans la rue. Les gens se faisaient kidnapper, voler, etc. Il y a eu un épisode où je me suis fait voler et cela m’a beaucoup marqué. Alors, j’ai quand même appris à vivre, mais dans ma tête c’était clair que je ne voulais pas que mes enfants restent là et des années après, je ne voulais pas que ma famille reste là (Christina, entrevue F13).

4.2.2 La qualité de vie Relativement à l’insécurité et à la violence, plusieurs participants ont révélé qu’ils avaient

quitté le Pérou parce qu’ils étaient à la recherche d’une meilleure qualité de vie. Certains

répondants avaient voyagé dans d’autres pays et ils avaient ainsi découvert qu’il était

possible de vivre différemment et d’avoir accès à une meilleure qualité de vie à l’extérieur

du Pérou. Parmi ces derniers, Alberto a quitté le Pérou en 2004 avec sa conjointe. En tant

que comptable, il a été accepté au Canada comme travailleur qualifié. C’est à la suite d’un

séjour en Allemagne, alors qu’il était en visite chez sa sœur, qu’il a réalisé qu’il voulait

émigrer. Il explique ce changement de perspective ainsi :

Dans les années 1990, j’ai visité l’Europe. J’ai passé un mois et demi chez ma sœur en Allemagne. J’ai visité plein de villes. J'ai visité l'Europe et ça a changé à cent pour cent mon point de vue, et là, cela a tout changé mes idées, mes projets et tout ça. Et là, j'ai dit ça c'est le style de vie que j'aimerais avoir. La qualité de vie est beaucoup, beaucoup supérieure et j'ai réalisé qu’ailleurs la qualité de vie est beaucoup supérieure à ce que j'avais au Pérou. Tout est mieux (Alberto, entrevue M6).

Enrique a aussi eu une expérience de voyage similaire. À 23 ans, il est allé en Norvège et

« à partir de là », il s’est dit « pourquoi ne pas habiter dans un autre pays qui va me donner

une meilleure qualité de vie ? » (entrevue M7). En fait, dans la majorité des entrevues, le

thème de la qualité de vie revient à différents moments au cours de l’entretien. Par

exemple, lorsque j’ai demandé à Hugo ce qu’il aimait au Québec, il m’a tout de suite

répondu que c’était la qualité de vie :

Qu’est-ce que j’aime ici ? Mais évidemment ce que j’aime beaucoup, c’est la qualité de vie. Tout Péruvien qui arrive ici, il reste juste une semaine, deux semaines, la

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première chose qu’il va dire c’est ça. Oui, la qualité de vie ça n’a rien avoir comparativement au Pérou (Hugo, entrevue M22).

Compte tenu du contexte socioéconomique péruvien, il n’est pas surprenant que les

immigrants péruviens soient à la recherche d’une meilleure qualité de vie. En 2004, par

exemple, 58,5 % de la population péruvienne vivait sous le seuil de pauvreté (Sánchez

Aguilar, 2012 : 45). Quelques années plus tard, ce taux avait diminué pour atteindre 30,8 %

en 2010 et 28,0 % en 2011. Malgré cette réduction de la pauvreté, le Pérou demeure

toujours une société inégalitaire. Mis à part l’année 2009, le coefficient de Gini du Pérou

s’est situé au-dessus de 0,5 durant toutes les années deux mille (Lavrard-Meyer, 2012).

Notons que le coefficient de Gini est utilisé pour mesurer les inégalités de revenus dans une

société. Une valeur nulle indique une égalité parfaite (où tous ont le même revenu) et à

l’inverse, la valeur 1 révèle une inégalité complète (où la personne la plus riche dispose de

la totalité du revenu disponible). À titre de comparaison, le Danemark, considéré comme un

pays égalitaire, avait un coefficient de Gini de 0,251 en 2011 et le Canada, quant à lui, un

coefficient de Gini de 0,314 cette même année (OCDE, 2015). Selon l’Observatoire des

inégalités (2016), un coefficient de Gini de 0,4 et plus représente un seuil critique. Ajoutons

aussi que pour la période 2003-2004, le décile des foyers les plus riches possédait 42 % du

revenu total du Pérou, alors que 50 % des foyers les plus pauvres ont reçu 16 % du revenu

total national (Sánchez Aguilar, 2007 : 117). Dans leur analyse portant sur la

transformation des ménages au Pérou entre 1999 et 2009, Fuertes et Velazco (2013)

soulignent également la vulnérabilité de la classe moyenne péruvienne en raison d’une

multiplicité de facteurs, à la fois économiques et politiques. D’une part, « l’activité

économique informelle de la classe moyenne entraine une volatilité accrue des revenus,

dans un contexte d’absence de protection sociale » (Fuertes et Velazco, 2013 : 36). D’autre

part, l’État a délaissé les politiques sociales universelles (visant les classes moyennes) pour

miser uniquement sur la lutte contre la pauvreté (Fuertes et Velazco 2013 : 37). Ainsi, avec

un taux de pauvreté élevé, la présence de fortes inégalités sociales et une classe moyenne

vulnérable, il n’est pas étonnant que plusieurs Péruviens souhaitent émigrer.

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4.2.3 Les conditions de travail La question de la qualité de vie a aussi été abordée sous l’angle du travail au Pérou. Les

participants déplorent entre autres le manque de travail formel, les longues journées de

travail, les bas salaires et l’obligation d’effectuer des heures supplémentaires non

rémunérées. La recherche de meilleures conditions de travail a donc motivé plusieurs

participants à émigrer. Gabriela, par exemple, est partie du Pérou pour aller étudier en

Allemagne. Elle est restée quelques années en Belgique par la suite, pour finalement

immigrer au Québec en 2008 comme travailleuse qualifiée. Elle explique bien comment sa

situation précaire au travail l’a poussée à quitter le Pérou :

Moi, j'étais engagée dans une entreprise, ça faisait trois mois qu'ils ne me payaient pas, puis c'était gênant de cogner à la porte pour demander : « Monsieur, pourquoi vous ne me payez pas ? ». Ils nous donnaient des ordinateurs, des choses comme ça, au lieu de l'argent. Et moi je disais, je ne peux pas rester ici, j'ai fait des études pourtant. Il n'y a pas de travail et si je trouve quelque chose, c'est très informel. Donc tout ça m'a poussé. J’ai dit : « Bien, je vais aller quelques années étudier dehors, à l'étranger ». Puis, grâce à Dieu, j'avais les moyens. Ma mère m'a dit : « Je vais t'aider s'il le faut. Puis après, tu pourras trouver un emploi. » Non, c'est pour ça que j'ai quitté mon pays (Gabriela, entrevue F12).

Dans cet extrait d’entrevue, Gabriela révèle que même si elle avait « fait des études », elle

ne parvenait pas à trouver un emploi formel avec un salaire décent. Emilia, une autre

répondante, abonde dans le même sens. Même en cumulant deux emplois au Pérou, elle ne

parvenait pas à générer suffisamment de revenus pour habiter seule et elle devait donc louer

une chambre chez sa sœur. Emilia a quitté le Pérou en 2002 pour entreprendre une maîtrise

à Rimouski. Après ses études, elle a obtenu sa résidence permanente en tant que

travailleuse qualifiée. Alors que nous discutions de son parcours migratoire, je lui ai

demandé si c’était surtout son projet d’études au Québec qui l’avait amenée à quitter le

Pérou. Selon elle, « c’est plus que ça ». Comme bien d’autres personnes interrogées pour

cette étude, le fait d’avoir voyagé et d’avoir connu une autre réalité l’a incitée à quitter le

Pérou. De plus, le désir de s’épanouir aux plans professionnel et personnel a eu une

incidence importante sur sa décision de partir. Comme elle explique, rester au Pérou ne lui

permettait pas d’avoir une stabilité au travail et de ce fait, une stabilité émotionnelle.

L’extrait suivant illustre cette quête d’une meilleure qualité de vie aux plans personnel et

professionnel :

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Geneviève : Qu’est-ce que qui vous a amenée à venir ici ? Est-ce que ce sont vos études ?

Emilia : Je dirais que c'est plus que ça. Le fait d'être sorti du Pérou et d'avoir vécu une autre réalité. […] Comme par exemple, aller en Europe, aller au Japon, voir une autre réalité, voir, par exemple, que les gens peuvent s'établir, s'épanouir dans leur vie tant professionnelle que personnelle, tandis qu’au Pérou, je ne pouvais pas m'établir selon mon point de vue à moi, parce que je n'avais pas cette stabilité au travail, de stabilité émotionnelle. Je n'avais pas de chum. Je regardais mes collègues, écoute, avec le même salaire, qu'est-ce qu'on va bâtir ensemble ? […] Chaque fois que je sortais et que je revenais au Pérou, je voyais cette réalité et je me suis dit : « Pourquoi on n'a pas le droit d'avoir ce niveau d'épanouissement, comme personne ? » Parce que là-bas, on travaille, je rentrais à sept heures [du matin] et je sortais à sept heures, huit heures du soir. Il fallait que je travaille à deux places pour avoir un petit peu plus de sous et donc, je ne pouvais pas non plus me permettre d'avoir un chez-moi toute seule parce que ça grignoterait tout mon salaire (Emilia, entrevue F9).

Alors qu’Emilia souligne les bas salaires et les longues heures de travail au Pérou, d’autres,

comme Veronica, précisent aussi que les heures supplémentaires ne sont pas

nécessairement rémunérées. Pour elle, cette réalité l’a amenée à prendre la décision

d’immigrer au Canada. Veronica est arrivée à Montréal en 2009 en tant que travailleuse

qualifiée. Elle raconte qu’au Pérou, son salaire était plus élevé que la moyenne, mais

qu’elle devait travailler presque toutes les fins de semaine, et ce, sans rémunération

supplémentaire :

J’ai travaillé pendant sept ans dans une compagnie du gouvernement péruvien qui s’occupait de la retraite. Je pense que du côté salaire, j’étais contente parce que pour le niveau du Pérou, c’était un salaire plus élevé que la moyenne. Mais le problème, c’est que c’était trop. On travaillait presque tous les weekends, jusqu’à neuf heures et les payes, c’était les mêmes. Il n’existe pas de salaire supplémentaire. Ça, c’est ce qui m’avait… J’ai décidé de chercher d’autres options. La première, c’était de faire une maîtrise en Espagne, parce que nous avons ce choix au Pérou. Mais dans ce trajet, j’ai vu l’option du Canada et aussi parce que j’ai essayé de chercher du travail, changer de travail, mais la situation c’était pareil partout et les salaires n’étaient pas nécessairement les mêmes. Alors, ça, c’est ce qui m’a fait décider de venir ici (Veronica, entrevue F19).

Les témoignages des participants en regard des conditions de travail au Pérou ne

représentent pas des cas isolés. Différentes statistiques sur le travail confirment les réalités

relatées par les participants à cette étude. Entre les années 1990 et 2000, pendant le régime

d’Alberto Fujimori, le salaire réel moyen correspondait à seulement 37,2 % de celui de

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1987 (Jimenez, 2012, cité par Fuertes et Velazco, 2013). Cette moyenne est demeurée

pratiquement la même durant les années 2000, signifiant que la croissance économique ne

s’est pas traduite par un meilleur pouvoir d’achat pour les travailleurs péruviens (Jimenez,

2012, cité par Fuertes et Velazco, 2013). De même, dans un article publié en 2007, Aníbal

Sánchez Aguilar note que le chômage touche près de 9 % de la population active et que le

sous-emploi « invisible » touche 39 % de la population active, « c'est-à-dire les personnes

qui occupent un emploi, qui sont salariés ou indépendants et qui travaillent normalement 35

heures ou plus par semaine, mais dont les revenus sont inférieurs au coût minimum des

dépenses d’un ménage » (117). Selon Sánchez Aguilar, ce sont donc « le haut niveau de

pauvreté, le manque de travail et les bas salaires qui sont les causes principales de

l’émigration des Péruviens » (2007 : 116). À cette liste, nous pouvons ajouter « l’avenir des

enfants » comme autre raison pour émigrer.

4.2.4 L’avenir des enfants Plusieurs participants ont mentionné qu’ils avaient émigré pour offrir un meilleur futur à

leurs enfants. Miguel est arrivé en 2011 à Montréal en tant que travailleur qualifié. Son

épouse, Liliana, a aussi immigré comme travailleuse qualifiée en même temps que lui.

N’ayant pas encore d’enfants, Miguel et Liliana souhaitaient être parents sous peu lors de

leur entrevue. Miguel a expliqué qu’il était venu au Québec, non seulement pour lui, mais

aussi pour ses futurs enfants. En résumant les différentes raisons qu’il l’on amené à émigrer

(« grandir au plan professionnel et personnel », « développer une carrière internationale »),

il cite aussi le fait de pouvoir offrir une meilleure qualité de vie pour sa future famille ainsi

que la question de la sécurité au Pérou :

Miguel : En mi caso, la motivación fue desarrollar mi nivel profesional y crecer personalmente. Mi idea siempre fue, digamos, desarrollar una carrera internacional. O sea, abrir mis horizontes profesionales. Poder crecer, abrir la mente, por llamarlo así. Crecer personalmente y poder darle a mi familia, a mi futura familia, una mejor calidad de vida.

Geneviève : Ya, como los hijos.

Miguel : Exacto.

Geneviève : Sí, claro. ¿Por su futuro, prefiere que crezcan aquí?

Miguel : Sí, con una mejor calidad de vida.

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Geneviève : Una mejor calidad de vida. Miguel : El tema también de la seguridad. Perú es un país muy bonito, pero lamentablemente, de repente, en el tema de seguridad hay ciertos aspectos que no garantizan una muy buena seguridad2526 (Miguel, entrevue M20).

Daniela tient un discours similaire en ce qui a trait à l’avenir des enfants. Elle pense que la

majorité des familles qui émigrent le font pour leurs enfants. Elle ajoute aussi qu’il s’agit

d’un « sacrifice » que les parents font pour leurs enfants. Daniela est arrivée en 2010, à

l’âge de 18 ans, avec ses parents et son frère cadet. Son père a été admis au Canada comme

travailleur qualifié et il a ainsi amené avec lui les membres de sa famille immédiate. Pour

Daniela, le projet d’immigration de ses parents est directement lié au mieux-être de leurs

enfants. Comme pour Miguel et pour plusieurs autres participants, la sécurité a aussi joué

un rôle important dans la décision de quitter le Pérou. Lorsque je lui ai demandé pourquoi

sa famille avait émigré, elle m’a répondu ainsi :

Daniela : Entonces ellos querían darnos… Tener más oportunidades para sus hijos, ¿no? Entonces yo creo que esa fue la principal razón, porque como otras familias, la mayoría de peruanos, pienso, según lo que yo veo, son familias ya, los señores que tienen familias, que vienen con sus hijos pequeños. Entonces básicamente pienso que la mayoría de familias peruanas que vienen acá es por sus hijos, ¿me entiendes? Porque los hijos se adaptan fácil y todo eso, y para los adultos es una nueva lengua, cambiar de estilo de vida, pasar por un millón de dificultades. Pienso que es un sacrificio que hacen los papás por los hijos.

Geneviève : Por supuesto.

25 Toutes les entrevues en espagnol sont traduites dans les notes de bas de page. J’ai décidé de garder les citations en espagnol directement dans le texte afin de respecter l’authenticité des propos des répondants. Les traductions sont des traductions libres. 26 Miguel : Dans mon cas, la motivation était de développer mon niveau professionnel et évoluer personnellement. Mon idée a toujours été, disons, de développer une carrière internationale. Ou bien ouvrir mes horizons professionnels. Pouvoir grandir, s’ouvrir l’esprit, pour appeler cela ainsi. Évoluer personnellement et pouvoir le donner à ma famille, à ma future famille, une meilleure qualité de vie. Geneviève : Oui, comme les enfants. Miguel : Exactement. Geneviève : Oui, bien sûr. Pour leur futur, vous préférez qu’ils grandissent ici ? Miguel : Oui. Avec une meilleure qualité de vie. Geneviève : Une meilleure qualité de vie. Miguel : La question aussi de la sécurité. Le Pérou est un pays très joli, mais malheureusement, parfois au sujet de la question de la sécurité, il y a certains aspects qui ne garantissent pas une bonne sécurité.

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Daniela : Aparte, bueno, la inseguridad quizás, ¿no? Pero yo otorgaría el proyecto de inmigración por dos razones: la seguridad y las oportunidades, básicamente27 (Daniela, entrevue F16).

En bref, les raisons des répondants pour entreprendre un projet d’immigration au Québec

(l’insécurité, la recherche d’une meilleure qualité de vie et de travail et l’avenir des enfants)

trouvent écho dans la littérature sur l’immigration en général au Québec (voir en autres,

Vatz Laaroussi, 2003) et rejoignent les raisons rapportées dans d’autres études portant

spécifiquement sur les immigrants péruviens au Québec (Chung Bartra, 2009 et

Charbonneau, 2011). Notons que ces raisons semblent être interreliées. L’insécurité au

Pérou affecte la qualité de vie et cette dernière est aussi liée à de mauvaises conditions de

travail. Les bas salaires, les heures supplémentaires non rémunérées et la précarité d’emploi

ont un impact négatif sur la qualité de vie en général, tout comme le sentiment d’insécurité

qui prévaut au Pérou. On peut supposer que l’insécurité (qui se manifeste sous différentes

formes de violence dans la société et de crimes envers les individus) est liée aux inégalités

sociales, en partie liées aux mauvaises conditions de travail28. Dans le but d’offrir un

meilleur avenir à leurs enfants, certains parents et futurs parents ont décidé de laisser le

Pérou pour un pays qui promet une certaine sécurité sociale et de meilleures conditions de

vie et de travail. Le contexte socioéconomique au Pérou est donc directement lié à la

décision d’émigrer. Mise à part la recherche commune d’un monde meilleur, mentionnons

aussi que la plupart des répondants à cette étude partagent aussi d’autres traits communs,

dont l’appartenance à la classe moyenne péruvienne et une histoire familiale les

prédisposant à la migration. 27 Daniela : Alors, ils voulaient nous donner… Avoir plus d’opportunités pour leurs enfants, non ? Alors je crois que ce fut la raison principale, parce que comme d’autres familles, la majorité des Péruviens, je pense d’après ce que je vois, ce sont des familles maintenant, les adultes qui ont des familles, qui viennent avec leurs jeunes enfants. Alors, essentiellement, je pense que la majorité des familles péruviennes qui viennent ici le font pour leurs enfants, tu comprends ? Parce que les enfants s’adaptent facilement et tout ça et pour les adultes c’est une nouvelle langue, changer de style de vie, passer à travers un million de difficultés. Je pense que c’est un sacrifice que les parents font pour leurs enfants. Geneviève : Bien sûr. Daniela : Mis à part, eh bien, de l’insécurité, peut-être, non ? Mais moi, j’approuverais un projet d’immigration pour deux raisons : la sécurité et les opportunités, essentiellement ». 28 Selon une étude réalisée par Wilkinson et Pickett (2011), les pays les plus inégalitaires sont aussi ceux qui offrent une moins bonne qualité de vie pour la majorité. Dans ces pays, la confiance envers les autres est aussi plus faible (sentiment d’insécurité).

Page 109: L’immigration péruvienne au Québec

93

4.3 L’impact de l’origine socioéconomique et de l’histoire familiale

Tous les répondants interrogés dans le cadre de cette étude ont dit appartenir à la classe

moyenne péruvienne. Un petit nombre de personnes a précisé qu’il s’agissait de la classe

moyenne basse (trois personnes sur 24) et cinq répondants ont mentionné qu’ils faisaient

partie de la classe moyenne élevée. Dans ce contexte, plusieurs d’entre eux occupaient un

emploi qualifié dans leur domaine professionnel (quoique parfois mal rémunéré et à statut

précaire) et à l’exception de trois répondants, tous avaient effectué des études

universitaires. Bon nombre de répondants avaient aussi une expérience de travail dans leur

domaine. Au regard des politiques québécoises et canadiennes d’immigration qui

privilégient les travailleurs qualifiés en raison de leur profil professionnel et de leur

éducation, ces migrants péruviens correspondent donc tout à fait à ce que le Canada et le

Québec recherchent. Le fait que tous les répondants faisaient partie de la classe moyenne au

Pérou signifie aussi qu’ils ont parfois eu accès à un certain capital familial, dont une aide

financière de leur famille, surtout dans les premiers mois suivant leur arrivée au Québec. En

ce sens, la classe sociale des répondants, pour les mieux nantis, est un facteur qui facilite

l’installation dans la nouvelle société29.

Pour d’autres, l’appartenance à la classe moyenne s’est traduite par la possibilité de

retourner au Pérou si les choses ne se passaient pas comme prévu dans le nouveau pays. Le

fait d’avoir développé et gardé des contacts professionnels au Pérou et d’avoir une certaine

liberté de mouvement (en raison de ressources financières suffisantes pour se payer un

billet d’avion, par exemple) faisait en sorte qu’il était possible d’envisager un retour au

pays d’origine pour un bon nombre de répondants. À ce sujet, Victor m’a dit : « Je vais

essayer de m'intégrer, je vais essayer de réussir, je vais essayer de devenir un professionnel,

un entrepreneur, je ne sais pas. Si ça ne marche pas, j'ai encore mon pays pour retourner et

j'ai des amis avec qui j'ai travaillé là-bas » (entrevue M5). Au moment de l’entrevue, Victor

habitait la ville de Québec depuis trois ans et il était à la recherche d’un emploi dans son

domaine en génie civil. Pour lui, la possibilité de retourner était une option qu’il

considérait, mais il se donnait tout de même encore quelques années pour essayer de

29 Nous reviendrons plus en détail sur cet aspect au Chapitre VI, portant sur les réseaux sociaux.

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« s’intégrer ». De son côté, Gabriela, s’était dit avant d’immigrer que si elle devait changer

d’idée plus tard, elle n’avait qu’à prendre un avion et retourner au Pérou et « c’est fini »

(entrevue F12). Il semble également qu’avoir le choix de retourner au Pérou si nécessaire

favorise un sentiment de contrôle sur sa destinée et d’agentivité par rapport à son projet

d’immigration. Emilia illustre bien cette attitude lorsqu’elle explique qu’elle sera toujours

« latino » au Québec, mais qu’elle perçoit cette réalité de manière positive, entre autres

choses parce qu’elle a fait le choix d’être ici :

C'est sûr que moi, j'ai les traits latino et je serai toujours latino. Les gens quand ils me voient, ils me parlent en espagnol. J'apprécie ça, je me dis, c'est une délicatesse de me parler en espagnol et tout ça. À Rimouski, même chose. Les gens me parlaient en espagnol. Le fait d'être étrangère, ça brise des barrières, les gens sont plus portés à te poser des questions. Pourquoi tu es ici ? Ça, ils trouvent intéressant. Nous, les immigrants, on a un accès facilité. Personnellement, je n’ai vu que des aspects positifs. Je pense aussi que c'est une question d'attitude. On peut être fataliste, on peut être négatif. Moi, je dis toujours, si je suis ici, c'est par choix. Parce que j'ai toujours le choix de retourner au Pérou. Donc, moi je me suis dit c'est mon choix. Je ne regrette pas mon choix parce que je vis bien. J'ai retrouvé cette tranquillité économique, politique, sociale, que j'apprécie (Emilia, entrevue F9).

Pour d’autres, même si un retour avait été possible, prendre une telle décision

correspondrait à un échec personnel. Christina, par exemple, m’a expliqué qu’elle était

« ouverte à tout, sauf retourner » (entrevue F13). Lorsque je lui ai demandé quelles étaient

ses attentes par rapport à son projet d’immigration, elle s’est exprimée ainsi : « Je n’avais

pas d’attentes, en fait. Je voulais juste, en fait, je pense que la seule chose que je voulais,

tout était ouvert, j’étais ouverte à tout, sauf retourner. Pas parce que je ne voulais pas

retourner, peut-être oui, mais c’est parce que cela aurait été un échec » (entrevue F13). Ici,

l’option du retour était donc manifestement écartée.

Le fait que plusieurs répondants avaient l’option de retourner révèle un privilège de classe.

Une analyse qui prend en compte l’origine socioéconomique des répondants permet de

mieux comprendre en quoi la position de classe facilite (ou entrave) l’expérience

migratoire. Ici (à l’exception des réfugiés et d’autres cas particuliers – comme ceux qui

n’ont pas eu le statut de réfugié officiel, mais qui percevaient que leur vie était en danger au

Pérou), seuls les plus fortunés économiquement ont bénéficié de l’option du retour. Ce sont

Page 111: L’immigration péruvienne au Québec

95

surtout ceux avec le plus de ressources financières et ayant des membres de la famille ou

des amis restés au Pérou qui avaient cette option. Pour les autres, tels les réfugiés ou encore

ceux qui n’avaient plus de famille au Pérou, retourner n’était pas une option envisageable.

Règle générale, il semble que pour ceux dont le retour était une option, l’expérience

migratoire au Québec était davantage perçue comme une stratégie possible, parmi d’autres,

pour améliorer sa qualité de vie. Une telle analyse met donc en perspective les attentes de

ces immigrants de la classe moyenne. Plusieurs d’entre eux s’attendaient à trouver un

emploi satisfaisant, leur permettant d’améliorer leur qualité de vie comparativement à celle

qu’ils avaient au Pérou. Comme l’explique Victor Armony (2012), chaque expérience

d’immigration est unique. Pour ceux qui laissent derrière un emploi dans leur domaine et

un certain statut social, les attentes face au projet d’immigration peuvent être plus élevées.

En lien avec l’origine socioéconomique des répondants, ajoutons aussi leur histoire

migratoire et familiale pour mieux comprendre leur établissement dans la société d’accueil.

Pour ceux qui avaient vécu ou voyagé en Europe ou aux États-Unis avant d’immigrer,

notamment, il semble que l’établissement dans la société d’accueil en ait été facilité. En

ayant la chance de visiter un membre de la famille dans un autre pays ou d’avoir vécu ou

étudié à l’étranger, certains ont pu apprendre le français ou l’anglais avant d’immigrer.

Avant de venir au Québec, Gabriela avait passé plusieurs années en Europe, soit en un an

Allemagne et six ans en Belgique (entrevue F12). Ayant appris parfaitement le français

avant de venir au Québec, elle a trouvé qu’elle était avantagée par rapport à ses amis

péruviens qui ne parlaient pas le français avant d’immigrer.

Pour ce qui est de l’histoire familiale, notons aussi que quelques répondants avaient

fréquenté des écoles péruviennes où une partie de l’enseignement se faisait en français ou

en anglais. À ce sujet, Ricardo raconte qu’il a appris le français dans une école privée

catholique, dirigée par des religieux français. Il explique que ses parents, deux

professionnels de la classe moyenne, ont tout investi dans l’éducation de leurs enfants, alors

que « tout l’argent que faisait [s]on père, ça allait dans les écoles privées » parce que, selon

Ricardo, les écoles publiques « laissent beaucoup à désirer malheureusement en Amérique

du Sud » (entrevue M23). Pour ses parents, il était donc important que leurs enfants

Page 112: L’immigration péruvienne au Québec

96

fréquentent une école privée pour recevoir une bonne éducation. Le frère aîné de Ricardo a

fréquenté une école privée « complètement en anglais pour les fils d’ambassadeurs et tout

ça » (entrevue M23) et les autres enfants de la famille ont été envoyés dans une école

privée francophone. Dans l’extrait suivant, Ricardo explique pourquoi ses parents ont

décidé d’offrir une éducation en français à leurs enfants, à l’exception de l’aîné de la

fratrie :

Donc mon frère le plus âgé, c’est important parce que ça va te faire comprendre toute l’histoire, mon frère le plus âgé est allé dans une école privée complètement en anglais pour les fils d’ambassadeurs et tout ça. Tout était en anglais, puis il suivait des petits cours d’espagnol. Il parle espagnol à la maison. Qu’est-ce que ça fait ? Ses valeurs, ça ne reflétait pas les valeurs de ma famille parce que ce sont les valeurs des gens qui ont beaucoup d’argent. Chose que nous on n’avait pas. Et c’est les valeurs où les États-Unis sont le paradis. En effet, ce frère, aujourd’hui, avec sa famille, il habite au États-Unis. Quand mes parents ont vu ça, ils ont décidé de laisser le premier enfant là, mais les autres frères, on est allé dans une école aussi privée, mais mélangée avec les Sacré-Cœur, c’est les religieux français. Ils ont décidé que le français, c’est la langue de la culture, puis la première langue c’était l’espagnol. Donc, notre première langue c’était l’espagnol et avec des valeurs famille, pays. […] C’est là où j’ai appris le français, c’est là où j’ai appris l’existence de la France, de la Belgique et du Québec. Donc on est sorti avec des valeurs beaucoup plus socialistes. On a appris l’anglais, mais déjà comme une troisième langue. Donc à ce moment-là, ça, c’était mon parcours (Ricardo, entrevue M23).

En 2005, lorsque Ricardo a été accepté comme résident permanent à titre de travailleur

qualifié, il avait le choix entre aller à Toronto ou à Montréal. Parce qu’il parlait l’anglais et

le français, il hésitait entre les deux endroits. Finalement, il a décidé de venir au Québec

pour la langue française. Il s’est dit : « si je vais laisser mon pays, ma langue, ça va être

pour le français, ça ne va pas être pour l’anglais » (entrevue M23). Ayant été éduquée en

français au Pérou, Ricardo trouvait qu’il serait plus facile pour lui d’immigrer dans une

société francophone. En ce sens, son histoire familiale a eu un impact sur son parcours

migratoire et son établissement au Québec.

D’autres répondants ont aussi souligné certains aspects de leur histoire familiale qui ont

influé sur leur projet d’émigration. Valentina note que dans sa famille, étudier à l’étranger a

toujours été valorisé. Plus jeune, elle avait fait un stage d’étude au Brésil et à la suite de

cette expérience, elle s’est décidée à aller vivre dans un autre pays. Valentina, qui avait 36

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97

ans au moment de l’entrevue, est arrivée à la ville de Québec en 2009 comme travailleuse

qualifiée. Lorsque je lui ai demandé les raisons qui l’avaient poussée à émigrer, elle

explique comment son contexte familial a eu un impact sur sa décision. Elle ajoute aussi

que pour sa génération en général, il était plus facile d’immigrer comparativement à la

génération de ses parents :

Dans ma famille, on a toujours eu la curiosité pour aller au moins étudier à l'étranger. Alors, ma mère nous a toujours parlé de ça et on a toujours eu ça comme possibilité, peut-être aller faire les études universitaires dans un autre pays. Et alors, dans ma génération il y a des opportunités. Dans la génération de mes parents, ce n'était pas si facile. Mais, dans ma génération, il y avait beaucoup d'immigration vers l'extérieur. Par exemple, quand j'ai fait mon cours d'italien, j'étais entourée d'infirmières partout, parce que l'Italie avait donné des visas pour des infirmières d'Amérique du Sud parce qu'il y avait un manque. Alors, c'était plein d'infirmières qui migraient parce qu'elles partaient avec un contrat de travail (Valentina, entrevue F4).

Ici, non seulement l’histoire familiale de Valentina l’a incitée à immigrer, mais son

appartenance à une génération dont les membres avaient davantage accès à l’immigration a

aussi eu un impact sur sa décision. Un sondage publié en 2006 dans le journal péruvien La

Republica vient appuyer les propos de Valentina quant au désir d’émigration des jeunes de

sa génération. Selon ce sondage réalisé en 2005 auprès de 600 étudiants universitaires

péruviens, 54,7 % d’entre eux planifiaient quitter leur pays (CEDRO, 2006, cité dans

Sánchez Aguilar, 2007 : 115). Parmi ces derniers, 49,7 % ont révélé qu’ils quitteraient le

Pérou « pour étudier ou améliorer leur éducation, 31,4 % pour travailler ou améliorer leurs

conditions de travail, 15,2 % ont indiqué qu’ils partiraient pour améliorer leur qualité de vie

et 3,7 % pour entreprendre une affaire » (Ibid.). Dans les faits, ce sont près de deux millions

et demi de Péruviens (soit 2 444 634 personnes), tous âges confondus, qui ont quitté le

Pérou entre 1990 et 2011, correspondant à 8,2 % de la population totale du Pérou, estimée à

près de trente millions de personnes en 2011 (Sánchez Aguilar, 2012 : 81).

4.4 Conclusion

En bref, il ne fait aucun doute que l’origine socioéconomique des immigrants péruviens

interrogés a influé sur leur projet d’émigration et sur les premiers temps de l’établissement

au Québec par la suite. Par exemple, certains répondants ont mentionné l’aide financière

Page 114: L’immigration péruvienne au Québec

98

qu’ils avaient reçue de leur famille restée au Pérou dans les premiers temps de leur arrivée

au Québec. D’autres, parmi les plus fortunés économiquement, se disaient qu’il était

toujours possible de retourner au Pérou si leur projet d’immigration ne leur convenait plus.

Pour ces derniers, ayant la possibilité de mobiliser davantage de ressources, l’immigration

n’était pas nécessairement un voyage sans retour possible au pays d’origine (contrairement

aux réfugiés ou à d’autres répondants moins nantis qui ne voyaient pas la possibilité

d’effectuer un retour permanent au Pérou). Pour ce qui est de l’histoire migratoire et

familiale des répondants, ceux qui avaient eu la possibilité de voyager à l’extérieur du

Pérou, notamment en Europe ou aux États-Unis, ont mentionné que ces expériences leur

avaient permis d’apprendre le français ou l’anglais, facilitant ainsi l’arrivée au Québec.

Certains ont révélé que leur éducation reçue au Pérou dans des écoles offrant un

enseignement en français et en anglais avait également eu un impact positif sur leur

établissement au Québec. Mais qu’en est-il justement de cet établissement au Québec ?

Dans le prochain chapitre, nous examinerons plus en détail l’insertion socioéconomique des

immigrants péruviens.

Page 115: L’immigration péruvienne au Québec

99

Chapitre V. L’insertion socioéconomique

La gente de la provincia que llega a Lima, que no habla bien, los tratamos de cholitos, de serranos. Serranos es una palabra un poco

despectiva, para minimizar. El serrano es más ignorante, tiene menos estudios. Entonces, acá,

yo me sentía así, por no saber hablar30.

– José (entrevue M11)

Dans l’épigraphe de ce chapitre, José raconte qu’il s’est senti comme un cholito, un serrano

lorsqu’il est arrivé au Québec, parce qu’il ne savait pas parler français. Ici, le terme cholito

signifie petit cholo. Dans le contexte migratoire péruvien rural-urbain, l’appellation cholo

fait référence aux migrants des provinces andines, d’origine autochtone, qui viennent

s’installer à la ville côtière de Lima, la capitale. Locuteurs de langues indigènes, tel le

quechua, ces migrants parlent l’espagnol avec un accent différent de celui des Liméniens et

ils sont souvent victimes de discrimination et de racisme (voir Doré et Sandoval, 2008 et

Cánepa, 2008). Le terme serrano, quant à lui, est aussi utilisé pour désigner ces migrants

andins, mais il fait plutôt référence à leur origine géographique, soit la montagne, ou en

espagnol, la sierra – serrano pouvant être traduit par « montagnard » en français.

En arrivant au Québec, José a donc eu l’impression de changer de statut social (et racial),

alors qu’il s’est senti comme un cholito ou un serrano, un de ces migrants andins

autochtones qui arrive à Lima. Il explique que le terme serrano est « un mot un peu

30 « Les gens de la province qui arrivent à Lima, qui ne parlent pas bien, nous les traitons de cholitos, de serranos. Serranos est un mot un peu méprisant, pour inférioriser. Le serrano est plus ignorant, il a moins d’éducation. Donc ici, je me suis senti ainsi, ne sachant pas comment parler ».

Page 116: L’immigration péruvienne au Québec

100

méprisant », utilisé « pour inférioriser » ceux qui sont désignés ainsi. Comme il le dit, « le

serrano est plus ignorant, il a moins d’éducation ». La comparaison évoquée par José est

fort intéressante. Dans les entrevues, d’autres répondants ont parlé de ce changement de

statut social qui s’opère avec la migration. Valentina, par exemple, dit :

Pour le Pérou, une personne de ma couleur, est une personne blanche, parce qu’il y a 80% des personnes qui sont plus foncées [que moi], qui ont des traits plus autochtones. Mais pour ici, je suis une personne bronzée. C'est ça. Ça dépend du contexte (Valentina, entrevue F4).

Cette citation illustre bien la notion de processus de racisation, soit le fait que les catégories

raciales sont 1) construites socialement et qu’elles varient dans le temps et dans l’espace –

étant ancrées dans la société où elles sont (re)produites – et 2) qu’elles résultent « d’un

processus de catégorisation externe opérée par le groupe majoritaire » (Eid, 2005 : 416). En

changeant de société, il semble donc que les répondants interrogés dans le cadre de cette

étude ont aussi changé de statut social. Alors que plusieurs d’entre eux étaient considérés

comme « blancs » au Pérou, appartenaient à la classe moyenne péruvienne et, pour une

bonne part, occupaient un emploi qualifié dans leur domaine, il semble que leur privilège

de « race » et de classe ne se soit pas matérialisé de la même manière une fois au Québec

(surtout dans les premiers temps de leur arrivée). En d’autres termes, il semble que les

Péruviens interrogés dans le cadre de cette étude sont devenus des « immigrants racisés »

une fois au Québec, c’est-à-dire des immigrants qui, pour reprendre les mots de Pagé

(2015 : 135), « se retrouvent du côté ‘défavorisé’ du rapport social de race », avec toutes les

conséquences que cela puisse avoir en matière d’insertion socioéconomique dans la

nouvelle société.

Dans ce chapitre, nous nous pencherons sur les difficultés rencontrées par les répondants

lorsqu’ils se sont installés au Québec. Plus précisément, nous examinerons comment les

répondants se sont insérés socioéconomiquement sans leur nouvelle société, notamment en

ce qui a trait à leur recherche d’un logement et d’un travail. Au-delà des différents parcours

de chacun, tant les femmes que les hommes interrogés ont mentionné diverses difficultés

liées à leur établissement au Québec.

Page 117: L’immigration péruvienne au Québec

101

Dans un premier temps, nous explorerons la question de la langue. Tout comme José, la

grande majorité des répondants a identifié la langue comme étant le premier obstacle à

surpasser. Que ce soit pour louer un logement ou chercher un emploi, le fait de ne pas

maîtriser suffisamment la langue française, ou tout simplement, le fait d’avoir un accent

hispanophone sont perçus comme des obstacles considérables. Afin de mieux comprendre

cette dimension linguistique de l’intégration, nous nous référerons au concept de capital

linguistique, tel que défini par Bourdieu. Rappelons que selon Bourdieu (1977), le capital

linguistique est lié au statut social de la personne qui s’exprime. La position sociale du

locuteur a un impact sur la crédibilité du discours énoncé. Comme le soutien Bourdieu, la

langue n’est pas seulement un moyen de communication, « mais elle est aussi un

instrument de pouvoir » (Bourdieu, 1977 : 20). Dans les entrevues, les expériences relatées

par nombreux répondants révèlent leurs efforts pour acquérir du capital linguistique

(apprendre le français au Québec), mais aussi les obstacles auxquels ils doivent faire face

en raison de leur « manque » de capital linguistique. En fait, d’après les entrevues, il

semble que plusieurs répondants ont été victimes de « discrimination linguistique ».

La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec (CDPDJQ)

stipule qu’il y a de la discrimination « lorsqu’un individu ou un groupe d’individus est

traité différemment en raison de caractéristiques personnelles » (2017). Aussi, toujours

selon la définition proposée par la CDPDJQ, « la discrimination peut se manifester sous la

forme d’une distinction, d’une exclusion ou d’une préférence » et « [e]lle peut être exercée

par un individu ou par une organisation » (2017). Ainsi, lorsqu’une personne est traitée

différemment en raison de la langue qu’elle parle ou de son accent (CDPDJQ, 2017), il y

aurait donc de la « discrimination linguistique », ce que Bourhis et al. appellent du

linguicisme (« [q]uand la discrimination est dirigée contre les membres d’un exogroupe

linguistique ») (2007 : 33).

En deuxième lieu, les obstacles relatifs à l’insertion socioprofessionnelle des répondants

seront examinés de manière plus approfondie. Nous nous pencherons notamment sur le

Page 118: L’immigration péruvienne au Québec

102

processus de racisation qui affecte l’insertion professionnelle des Péruviens. À cet égard, la

déqualification et la non-reconnaissance des diplômes ont été soulevées par plusieurs

personnes de notre échantillon. Face à ces difficultés, les répondants ont eu recours à

différentes stratégies, dont la recherche d’un emploi de niveau technique, le retour aux

études et la réorientation professionnelle.

Enfin, nous poserons notre regard sur la discrimination et la racisation dans les milieux de

travail. Plusieurs répondants ont révélé être victimes d’une discrimination subtile, mais tout

de même présente. Ici, le processus de racisation s’est manifesté sous la forme d’un racisme

ordinaire et banalisé, voire excusé. À travers des commentaires déplacés, des blagues

« plates » ou simplement une attitude empreinte de condescendance, c’est toute une série de

microagressions qui sont perpétrées envers les travailleurs et travailleuses racisés.

En dernière instance, mentionnons que malgré un contexte parfois difficile, l’ensemble des

personnes interrogées qui avaient cherché un emploi travaillaient et la majorité d’entre elles

considéraient qu’elles avaient réussi à bien « s’intégrer » au Québec. Faisant preuve

d’agentivité et de débrouillardise, les répondants ont tenu des discours démontrant toute

leur résilience et persévérance face à l’adversité et aux difficultés rencontrées.

5.1 Une première difficulté : la langue

Parmi les 24 personnes interrogées, seules trois d’entre elles considéraient qu’elles

maîtrisaient parfaitement le français avant d’immigrer au Québec. Ces personnes n’ont

donc pas eu à suivre des cours de francisation à leur arrivée. À l’autre extrême, sept

répondants (dont trois admis comme réfugiés et quatre acceptés dans le cadre de la

catégorie « famille ») n’avaient aucune connaissance du français avant d’immigrer. Les

quatorze autres répondants, tous admis comme travailleurs qualifiés, avaient une certaine

connaissance du français, quoique variable selon les individus. Ces derniers avaient tout de

même une connaissance du français suffisante pour leur permettre de passer avec succès

l’entrevue de sélection prémigratoire avec un conseiller québécois en immigration.

Mentionnons qu’à partir des années 2000, la plupart des travailleurs qualifiés devaient

Page 119: L’immigration péruvienne au Québec

103

passer une entrevue en français au Pérou afin de faire évaluer leurs connaissances

linguistiques, entre autres choses. Certains ont mentionné qu’ils avaient atteint le niveau de

français tout juste nécessaire pour réussir cet entretien oral. Une fois arrivés au Québec,

plusieurs ont réalisé que leur connaissance du français n’était pas suffisante pour se

débrouiller au quotidien et pour travailler dans leur domaine. En général, la langue a donc

été identifiée comme un premier obstacle important à l’insertion socioéconomique. Outre la

maîtrise du français, le simple fait d’avoir un accent dit « latino » a aussi été mentionné par

certains répondants comme une difficulté à surmonter.

5.1.1 La francisation après l’immigration Bien que la plupart des répondants admis comme travailleurs qualifiés aient suivi des cours

de français à l’Alliance française du Pérou avant d’immigrer, plusieurs d’entre eux ont dû

reprendre des cours de francisation à leur arrivée au Québec. Leur niveau de français étant

parfois trop faible pour bien se débrouiller au quotidien, certains ont aussi noté qu’ils

devaient s’ajuster à l’accent québécois, quelque peu différent de l’accent français enseigné

au Pérou. D’autres, tels ceux acceptés comme réfugiés, ont dû commencer à apprendre la

langue « à partir de zéro » (Andrea, entrevue F18). Pour l’ensemble des répondants, par

ailleurs, il ne faisait aucun doute que l’apprentissage de la langue française était absolument

nécessaire pour vivre au Québec. En fait, toutes les personnes interrogées dans le cadre de

cette étude parlaient couramment le français au moment de leur entrevue. Pour Gabriela,

par exemple, il était important pour elle de s’« exprimer dans la langue de l’endroit où [elle

se] trouve », « parce que c’est comme ça qu’on s’intègre mieux » (entrevue F12). Elle

ajoute aussi que c’est comme un derecho de piso (« un droit de passage ») qu’il faut payer

pour immigrer. Alors que Gabriela parlait déjà le français avant de venir ici (ayant vécu en

Belgique plusieurs années), elle avait des amis qui avaient dû apprendre le français ici :

J’ai des amis qui sont arrivés ici, mettons des ingénieurs, et tout, et ils me disent : « Ah, moi, il fallait que je travaille dans un magasin pour un temps, dans un dépanneur, je ne sais pas, parce qu’il faut que je m’habitue à l’accent, que je me débrouille avec des phrases et tout ». Je trouve que ça doit être dur pour eux, ces gens-là, parce qu’ils ont tout laissé en arrière et ils arrivent ici et c’est la langue qui empêche. Mais en même temps, c’est vraiment nécessaire qu’on… On est au Québec… Moi, je ne suis pas venue ici [disant] : « Ah OK, je vais parler en espagnol, moitié anglais ». Non, non,

Page 120: L’immigration péruvienne au Québec

104

parce qu’il faut, comme on dit, payer le droit, comme on dit en espagnol, derecho de piso. Alors moi, je comprends et je me mets à leur place. Ce n’est pas évident, mais il faut le faire parce que, la langue, c’est important de bien l’apprendre (Gabriela, entrevue F12).

Tout comme Gabriela, tous les autres répondants ont mentionné que l’apprentissage du

français était impératif pour vivre et travailler au Québec. Dans le cas de José, qui ne parlait

pas français à son arrivée, la langue était la barrière la plus grande. Comme il le dit si bien,

« si no hablas, no hay puertas que se abran » (« si tu ne parles pas, il n’y a pas de portes qui

s’ouvrent ») (entrevue M11). Parmi tous les répondants, il y a donc un consensus quant à la

nécessité d’apprendre le français. Apprendre une nouvelle langue à l’âge adulte requiert

énormément d’efforts et de persévérance et tous les participants ont relevé ce défi.

Certains répondants ont par ailleurs noté que le fait de ne pas maîtriser la langue locale était

parfois perçu comme un signe d’incompétence au plan professionnel. Pour Alberto, par

exemple, les premiers mois au Québec ont été les plus difficiles, alors qu’il apprenait le

français :

J'ai eu beaucoup de problèmes parce que les gens, quand tu parles, et qu'ils se rendent compte que tu ne parles pas bien, que tu ne peux pas t'exprimer, ou que tu as un accent très fort, ils pensent que tu es moins qualifié. Oui, au niveau de la langue, tu es moins qualifié, mais pas pour faire un travail. Souvent, c’est juste la langue. C'est beaucoup la langue, c'est très important, mais ce n'est pas une raison pour traiter les gens comme des imbéciles. J'ai eu beaucoup de problèmes au début, après ça, c'est fini. C'est la période, peut-être la plus difficile pour m'intégrer ici. Mais après ça c'est fini, c'est quelques mois (Alberto, entrevue M6).

Alberto explique comment le fait de ne pas bien maîtriser la langue, ou d’avoir un « fort

accent », est synonyme d’incompétence, peu importe les qualifications d’une personne.

Cette citation d’Alberto illustre bien le concept de capital linguistique mis de l’avant par

Bourdieu. Ici, l’accent fonctionne comme un « indice d’autorité » (Bourdieu, 1977 : 653,

cités par Creese, 2011). La façon de parler, de s’exprimer a un impact sur la valeur donnée

au discours prononcé et sur la valeur donnée à la personne qui le tient. Une personne avec

un « fort accent » est considérée comme ayant moins de compétences et de connaissances

Page 121: L’immigration péruvienne au Québec

105

en général31. Dans un même ordre d’idées, José explique que la personne qui ne parle pas la

langue locale est discriminée :

La persona que no sabe hablar el idioma, ella es discriminada. Te minimizan, no encuentran su valor, tratan de minimizar. Cuando no hablas el idioma, es ignorante. (...) No tienes el respecto, la sonrisa, no todos, pero te pueden juzgar de una manera diferente32 (José, entrevue M11).

Dans le cadre scolaire, Angel note aussi une situation similaire. Angel, qui était pharmacien

au Pérou, est arrivé à Montréal en 2004 en tant que travailleur qualifié. Dès son arrivée, il a

entrepris différentes démarches afin de faire reconnaître sa formation en pharmacie. Il

explique qu’il a postulé sans succès à trois reprises à un programme universitaire destiné

aux pharmaciens étrangers qui veulent faire valider leurs titres professionnels. N’ayant pas

été accepté dans ce programme, il a décidé de s’inscrire à un diplôme d’études supérieures

spécialisées (D.E.S.S.) en développement du médicament. Alors qu’il suivait des cours en

pharmacocinétique, il a rapidement compris que son plus grand problème était la maîtrise

du français. Parce qu’il ne maîtrisait pas tout à fait la langue française, il relate qu’aucun

étudiant ne voulait se jumeler avec lui lors des travaux en équipe. Par contre, lorsque les

autres étudiants ont vu ce qu’il pouvait faire, il raconte que tout le monde voulait travailler

avec lui :

Angel: Era mi problema de francés. Y ahí yo tuve una gran… mi primera gran barrera. Cuando empecé a llevar el curso de farmacocinética, la profesora nos dice que hay que hacer trabajos de grupo, máximo cuatro personas, y nadie quiso trabajar conmigo. Eh… y era… nos dio las instrucciones del trabajo que hacer y en la primera semana yo lo hice mi trabajo, y antes de presentarlo a la profesora, consulté con los compañeros de estudios, si ya lo habían hecho para ver si mis respuestas estaban correctas. Nadie lo había hecho y después todo el mundo quería que yo haga parte de su equipo. O sea, a nivel profesional, aquí en Quebec hay discriminación, y eso lo he vivido. Geneviève: Ya.

31 Nous reviendrons plus en détail sur la question de l’accent dans la prochaine section de ce chapitre. 32 La personne qui ne sait pas parler la langue, elle est discriminée. Ils te diminuent, ils ne reconnaissent pas ta valeur, ils essaient de te diminuer. Quand tu ne parles pas la langue, c’est être ignorant. […] Tu ne reçois pas le respect, le sourire, pas de tous, mais, tu peux être jugé d’une manière différente.

Page 122: L’immigration péruvienne au Québec

106

Angel: […] Entonces por eso yo le dije a la profesora: nadie quiere trabar conmigo para hacer el trabajo, pero cuando vieron que yo ya hice mi trabajo y lo había hecho bien, todo el mundo quería que yo trabaje con ellos33 (Angel, entrevue M15).

À la suite de cette expérience, Angel conclut qu’il y a de la discrimination au Québec « au

niveau professionnel ». En se référant ici aussi à la notion de capital linguistique de

Bourdieu (1977 : 20), c’est comme si la « production linguistique » d’Angel n’était pas

considérée comme un « langage autorisé » par les autres étudiants. Parce qu’Angel n’était

pas tout à fait compétent en français, il appert que les étudiants pensaient qu’il n’était pas

non plus compétent en pharmacocinétique. Toujours en s’inspirant de Bourdieu (1977), il

semble que le statut social d’Angel, lié à son appartenance à un groupe minoritaire et

minorisé, a fait en sorte que ses propos étaient aussi marginalisés. Personne ne voulait

travailler en équipe avec lui, malgré le fait qu’il était compétent dans son domaine. C’est

seulement lorsque les autres étudiants ont constaté qu’il avait fait un très bon travail qu’ils

ont voulu se joindre à lui.

Dans ce contexte de discrimination linguistique – cette dernière étant comprise comme une

discrimination perpétrée en raison de langue parlée ou de l’accent (CDPDJ, 2017) –, il n’est

pas surprenant que tous les répondants aient appris le français après leur arrivée au Québec.

Pour les participants à cette recherche, la maîtrise de la langue a été identifiée comme un

outil indispensable – non seulement pour s’insérer au plan socioéconomique, mais aussi

pour être reconnu à sa juste valeur, pour ne pas « être discriminé » et se faire « juger de

manière différente », comme le dit si bien José (entrevue M11). Aussi, lorsque Miguel s’est

33 Angel : C’était mon problème de français. Et là, j’ai eu une grande barrière… ma première grande barrière. Quand j’ai commencé à suivre le cours de pharmacocinétique, la professeure nous a dit que nous devions faire un travail de groupe, maximum quatre personnes, et personne ne voulait travailler avec moi. Eh… c’était… elle nous a donné les instructions du travail à faire et dans la première semaine, j’ai fait mon travail, et avant de le présenter à la professeure, j’ai consulté mes compagnons d’études, s’ils l’avaient fait pour voir si mes réponses étaient correctes. Personne ne l’avait fait et après, tout le monde voulait que je fasse partie de son équipe. C’est à dire, au niveau professionnel, ici au Québec, il y a de la discrimination, et ça, je l’ai vécu. Geneviève : Oui. Angel : Alors pour ça, je l’ai dit à la professeure : personne ne voulait travailler avec moi pour faire le travail, mais quand ils ont vu que j’avais fait mon travail et que je l’avais bien fait, tout le monde voulait que je travaille avec eux.

Page 123: L’immigration péruvienne au Québec

107

rendu compte qu’il devait améliorer son français, il a décidé d’étudier davantage. Lorsque

je lui ai demandé ce qu’il avait trouvé le plus difficile en arrivant ici, il m’a répondu ceci :

Mira, en mi caso, por ejemplo, yo me preparé en francés en la Alianza francesa. Yo ya tenía conocimientos de que el francés québécois era un poco diferente, ¿okey? Cuando llegué, llegar con un francés de Francia, podemos decir, y encontrar acá un acento un poquito diferente como que me dio, como te digo, como que me dije hay que estudiar más francés. Eso, hay que estudiar más francés, hay que estudiar más francés y hay que encontrar una manera de interactuar para encontrar una manera de aprender y desarrollarlo rápido34 (Miguel, entrevue M20).

En bref, les répondants ont identifié la langue comme étant une barrière importante à

surmonter et tous ont fini par maîtriser le français. Par ailleurs, comme nous le rappelle

Bourdieu (1977), la maîtrise d’une langue – dont la connaissance de la grammaire et du

vocabulaire – n’est qu’une dimension des échanges linguistiques. Une fois la langue

apprise, plusieurs répondants ont tout de même trouvé que leur accent dit « latino » était

parfois perçu de manière négative, notamment lors de la recherche d’un logement, au

travail ou dans le cadre des études.

5.1.2 « L’accent latino » Parler sans accent est impossible ; tout locuteur a un accent. Par contre, certains accents

sont considérés comme normaux – voire invisibles, lorsque l’on prétend parler « sans

accent » notamment –, alors que d’autres sont perçus comme étant étrange(r)s, prononcés

ou encore différents par les membres du groupe dominant. Au Québec, l’accent local, dit

« québécois », parlé par la majorité francophone d’origine canadienne-française (bien qu’il

y ait plusieurs variations selon les régions, les classes sociales, les générations, etc.) fait

figure de norme. Dans le contexte québécois, avoir un accent hispanophone (ou « latino »,

34 Tu vois, dans mon cas par exemple, je me suis préparé en français à l’Alliance française. J’étais déjà au courant que le français québécois était un peu différent, OK ? Quand je suis arrivé, arriver avec un français de France, on peut dire, et trouver ici un accent un peu différent de celui qu’on m’a donné, comme je te dis, je me suis dit il faut que j’étudie davantage le français. C’est ça, il faut que j’étudie davantage le français, il faut que j’étudie davantage le français et il faut trouver une manière d’interagir pour trouver une manière de l’apprendre et de le développer rapidement.

Page 124: L’immigration péruvienne au Québec

108

tel que mentionné par différents répondants) marque l’appartenance à un exogroupe

ethnique et linguistique minoritaire. Rappelons que comme l’expliquent Bourhis et al.,

« [q]uand la discrimination est dirigée contre les membres d’un exogroupe linguistique on

parle de linguicisme » ou de discrimination linguistique (2007 : 33). En comparaison avec

d’autres types de comportements discriminatoires (tel le racisme, le sexisme ou

l’homophobie), le linguicisme est beaucoup moins examiné de manière spécifique dans la

littérature (Bourhis et al. : 2007). Pourtant, selon l’Enquête sur la diversité ethnique menée

en 2003 et portant sur la discrimination au Québec et dans le reste du Canada, 52 % des

allophones rapportent que la discrimination dont ils ont été victimes au cours des cinq

dernières années serait attribuable à leur langue et à leur accent (Bourhis et al., 2007 : 44).

À la suite de ces résultats, Bourhis et al. concluent que le « linguicisme semble donc une

des sources majeures de discrimination au Québec, un constat qui témoigne de la saillance

des tensions linguistiques dans cette province » (2007 : 44). Dans le cas de notre étude,

plusieurs répondants ont fait référence à des situations où ils avaient l’impression d’avoir

été traités différemment en raison de leur accent.

Le marché du logement locatif, par exemple, s’est avéré être un lieu propice à la

discrimination linguistique. En effet, lorsqu’ils devaient appeler un propriétaire pour louer

un logement, des répondants ont remarqué qu’ils se faisaient systématiquement répondre

que l’appartement était déjà loué. Pourtant, lorsqu’ils demandaient à une personne non

immigrante d’appeler pour eux, le même logement s’avérait disponible. Pour ces

répondants, il ne fait aucun doute qu’ils ont vécu cette expérience en raison de leur accent.

C’est le cas de Christina, par exemple, qui se rappelle avoir eu des problèmes pour louer un

appartement dans le quartier de Limoilou à Québec.

En fait ce qui est drôle, je disais ça à mon chum justement, je n’ai jamais eu de problèmes pour trouver un appartement. J’ai toujours appelé à Rimouski, à Montréal, même à Québec, mais c’est à Limoilou que j’ai eu des problèmes. Quand on a voulu déménager dans un six et demi, d’habitude c’est toujours moi qui fais toutes les démarches et j’ai remarqué que quand j’ai appelé, j’ai dit « Ah oui, tu sais, c’est sûr que c’est mon accent ». Je veux dire, c’est le seul endroit où ils font ça. Et quand David appelait, cela se passait bien. Alors, bien c’est ça, en fait, finalement, c’est lui qui a fait les démarches. Mais pour moi, c’était complètement nouveau. D’habitude, c’est

Page 125: L’immigration péruvienne au Québec

109

toujours moi qui prends le « lead », mais je me suis rendu compte que c’était mieux que lui le fasse (Christina, entrevue F13).

En se remémorant ses expériences de recherche de logement, Christina commence par dire

qu’elle n’a « jamais eu de problèmes pour trouver un appartement ». Elle nuance ensuite

ses propos en précisant que c’est seulement à Limoilou qu’elle a rencontré des difficultés.

Comme l’expliquent Bourhis et al., les individus ont tendance à minimiser la

discrimination subie personnellement, notamment parce qu’ils ne veulent pas se présenter

comme une victime ou comme « un membre d’une minorité stigmatisée ou dévalorisée par

un groupe dominant » (2007 : 38). De plus, selon Taylor et al. (1996), admettre être victime

de discrimination contribue à miner l’estime de soi (cité par Bourhis et al., 2007 : 38). Dans

la plupart des entrevues, c’est aussi ce qui est ressorti. De manière générale, les participants

ont souvent hésité à qualifier ce qu’il vivait comme étant de la discrimination (ou du

racisme)35.

Tout comme Christina, Hugo abonde dans le même sens. Il raconte que sa recherche d’un

logement a été plus difficile à Laval « clairement à cause de son accent » :

Ici à Laval, juste pour faire une anecdote, ici, j’ai trouvé que ma blonde m’a aidé dans le sens que, quand je demandais rendez-vous, j’ai dit à ma blonde qu’elle doit appeler, parce que comme ça, ça va être plus facile de visiter. […] Ici à Laval, j’ai eu un problème avec un propriétaire qui n’a pas voulu me donner de rendez-vous clairement à cause de mon accent. C’est pour ça que moi j’ai dit, il faut que tu appelles. À la fin, on va se rencontrer, elle va avoir le droit de dire oui ou non pour x raisons, c’est son droit. Mais juste pour avoir plus de facilité dans le sens d’éviter de perdre du temps. Mais après ça, c’est tout à fait correct (Hugo, entrevue M22).

En faisant appeler sa blonde québécoise pour prendre des rendez-vous avec des

propriétaires, Hugo a donc pu avoir la possibilité de visiter des appartements. Pour lui, c’est

une stratégie comme une autre pour « éviter de prendre du temps ». Il termine en disant que

« c’est tout à fait correct ». Bien qu’Hugo semble normaliser ou encore justifier cette

situation, il n’en demeure pas moins qu’il admet avoir eu des problèmes en raison de son

35 Comme je l’ai mentionné dans ma méthodologie, il est possible que les répondants aient été réticents à parler ouvertement de discrimination avec une chercheuse qui représente la communauté majoritaire.

Page 126: L’immigration péruvienne au Québec

110

accent, tout comme Christina et d’autres répondants.

Cette situation n’est pas unique aux immigrants d’origine péruvienne ou latino-américaine.

D’autres recherches portant sur les immigrants africains à Toronto (Teixeira, 2006) et à

Vancouver (Creese, 2011; Francis, 2009) rejoignent ces résultats et font état de

discrimination basée sur l’accent ou sur la couleur de la peau. Une étude plus ancienne

réalisée par la Commission des droits de la personne et portant sur la région montréalaise

(Garon, 1988) a démontré que les membres des minorités visibles étaient davantage

victimes de discrimination sur le marché locatif. En effet, cette étude a révélé que 25 % des

membres des minorités visibles qui avaient participé à la recherche n’ont jamais pu visiter

le logement sollicité, les personnes haïtiennes étant davantage touchées par ces pratiques

discriminatoires.

La discrimination linguistique vécue par les répondants ne s’est pas seulement limitée au

domaine du logement locatif. Dans le cadre de leur travail ou de leurs études, les

répondants ont aussi relaté des situations de linguicisme. Par exemple, lorsque Claudia a

commencé à travailler comme éducatrice dans le service de garde d’une école primaire, une

de ses collègues lui a fait remarquer qu’elle ne parlait pas bien français. Claudia raconte

cette expérience ainsi :

Et oui, au début, il y a eu une personne qui m’a dit que je ne m’exprimais pas bien en français, que je ne parlais pas bien français et je lui ai dit : « Mais écoute là, si je me suis fait engager par le directeur et il a fallu que je fasse une entrevue et les enfants me comprennent, ça me suffit à moi [rires]. Ça me suffit. Maintenant si tu penses ça, tu as le droit de penser ça ». (Claudia, entrevue F10)

Dans ce passage, Claudia explique à sa collègue qu’elle parle suffisamment bien le français

pour passer une entrevue d’embauche et pour travailler avec des enfants. Elle termine en

riant lorsqu’elle raconte avoir répondu à sa collègue « Ça me suffit à moi ». Elle ajoute

d’ailleurs que sa collègue a leur droit de penser ce qu’elle veut quant à son niveau de

français. Alors que Claudia (tout comme Hugo et Christina) ne dit pas explicitement qu’elle

a été victime de discrimination – n’utilisant point ce terme pour qualifier et décrire la

Page 127: L’immigration péruvienne au Québec

111

situation qu’elle a vécue –, d’autres répondants évoquent la discrimination pour expliquer

(ou encore, tenter d’expliquer) ce qu’ils ont vécu ou ce que leurs amis ont vécu.

Précisant d’emblée qu’il n’avait jamais vécu personnellement de la discrimination dans le

cadre de ses études, Pablo, candidat au doctorat en sciences sociales, mentionne tout de

même qu’il a été témoin de discrimination lorsqu’il a assisté à la soutenance de thèse d’un

de ses amis originaire de la Colombie. Il se rappelle qu’un des professeurs membres du jury

a posé la question suivante à son ami colombien : « Pourquoi, si tu ne maîtrises pas le

français, tu fais des études ici ? » Pour Pablo, cette question était tout à fait « rejetable »

faisant davantage référence à l’accent « trop fortement latino » de son ami, qu’à sa maîtrise

de la langue française. Dans l’extrait suivant, Pablo mentionne comment l’accent dit

« latino » a été perçu négativement par le professeur en question et il en conclut qu’il

pourrait s’agir de discrimination :

Quand j’ai regardé ça, j’ai dit : « Pourquoi ? ». Mon ami colombien parle mieux le français que moi, mais son accent, c’est trop fortement latino. Alors, c’est pour ça, je pense, que pour le professeur, ce n'est pas nécessairement maîtriser la langue, c'est la façon de prononcer. Moi, je crois, malgré tout, que je parle mieux le français que lui. C’est peut-être parce que j’ai appris le français à l’Alliance française là-bas, je ne sais pas. Mais je crois que je parle un peu mieux. Le « r » n'est pas si fort chez moi. Cette sorte de chose qui identifie le Latino, ce n’est pas aussi fort comme pour mon ami. Alors, ce qui dérange le prof, ce n'est pas nécessairement la maîtrise de la langue, c'est l'accent. C’est pour ça que je dis, peut-être que c’est de la discrimination. Parce que la discrimination, ce n’est pas nécessairement parce qu’il ne maîtrise pas la langue, c’est l’accent. C’est la même chose qu’on a vue, par exemple, pour les personnes qui viennent des Andes. Elles parlent le quechua au Pérou et quand elles parlent espagnol, elles ont un accent. Elles parlent bien, mais elles ont un accent. […] L'accent de serrano. C’est discriminatoire ça au Pérou. Je crois que c’est pour ça. […] Je n’ai pas vécu directement le problème, mais de toute façon, ça m’a touché. Parce que pour moi, lui mon ami, il parle mieux le français que moi. Alors cette phrase que monsieur a dite, cette question qu’il a posée, c’est pour moi aussi. C'est pour tous les Latinos. C'est pour tout le monde qui vient ici (Pablo, entrevue M2).

Bien que le commentaire du professeur ne fût pas adressé directement à lui, Pablo, en tant

que « Latino », s’est senti touché. Comme il l’explique, « cette phrase que monsieur a dite,

cette question qu’il a posée, c’est pour moi aussi. C’est pour tous les Latinos. » Pablo

ajoute même que « c’est pour tout le monde qui vient ici ». Avec cette affirmation, il inclut

donc l’ensemble des immigrants et migrants dont le français n’est pas la première langue.

Page 128: L’immigration péruvienne au Québec

112

En référence à l’accent de son ami, Pablo mentionne la prononciation du « r », soit « cette

sorte de chose qui identifie le Latino », comme un élément phonétique qui dérange. Ici,

l’accent devient donc un marqueur d’inégalité qui sert à identifier le corps latino. L’accent,

ainsi racisé, dérange, non pas seulement en lui-même, mais aussi parce qu’il représente une

personne d’origine latino-américaine. Comme l’explique Bourdieu (1977), ce n’est pas tant

le discours énoncé qui compte, mais c’est aussi et surtout la position sociale du locuteur qui

influe sur la légitimité du discours. Bourdieu écrit :

De même que, au niveau des groupes pris dans leur ensemble, une langue vaut ce que valent ceux qui la parlent, de même, au niveau des interactions entre individus, le discours doit toujours une part très importante de sa valeur à la valeur de celui qui le tient (cf. le « baragouin » des Guermantes, qui fait autorité, au moins en ce qui concerne la prononciation des noms nobles). […] Ce qui parle, ce n'est pas la parole, le discours, mais toute la personne sociale (c'est ce qu'oublient ceux qui cherchent la «force illocutoire » du discours dans le discours) (Bourdieu, 1977 : 23).

En ce sens, le « r » fortement prononcé « qui identifie le Latino », comme le dit si bien

Pablo, fait référence à la « personne sociale » en tant que membre du groupe « latino » au

Québec. Cette association entre le discours énoncé et la valeur attribuée au corps qui

exprime ce discours trouve écho dans les travaux de Creese (2011). Pour son étude

qualitative sur une diaspora africaine, Creese (2011) a interviewé 61 personnes immigrantes

(30 hommes et 31 femmes) en provenance de l’Afrique subsaharienne qui résidaient à

Vancouver. Elle les a interrogés sur leur expérience de migration, leur insertion

socioprofessionnelle et leur sentiment d’appartenance envers la nouvelle société. Elle

rapporte que plusieurs immigrants africains ont vécu une discrimination liée à leur accent

dans les domaines du logement locatif et du marché du travail. Creese conclut que la

discrimination liée à l’accent (accent discrimination) est intrinsèquement liée aux processus

de racisation puisque « les discours sont toujours liés à des corps particuliers »36 (2011 :

42). Dans le contexte de l’étude de Creese, il s’agit de « corps Noirs-immigrants-étrangers

qui se déplaçant dans des espaces où le privilège blanc persiste malgré une diversité

démographique croissante »37 (Creese : 211 :42). Tout comme dans le cas des immigrants

36 Il s’agit d’une traduction libre. 37 Il s’agit d’une traduction libre.

Page 129: L’immigration péruvienne au Québec

113

d’origine africaine interrogés par Gillian Creese (2011), il semble que l’accent étrange(r)

« latino » est aussi dévalorisé justement parce qu’il signifie un corps latino, étranger et

racisé. Ainsi, les propriétaires qui refusent de rencontrer une personne avec un accent

« latino » ne le feraient pas en raison de l’accent en tant que tel, mais plutôt parce que cet

accent signifie que c’est une personne d’origine latino-américaine qui tente de louer la

demeure en question.

Alors que plusieurs répondants ont révélé que leur accent hispanophone était dévalorisé,

deux personnes ont mentionné que leur accent était perçu positivement. Par exemple,

Gabriela rapporte que les gens lui disent que son accent est « mignon »38. Ayant appris le

français en Belgique, où elle y est restée plusieurs années, elle admet qu’elle est arrivée au

Québec avec un très bon niveau de français :

Donc, toujours, les gens me disent : « Ah vous parlez bien ». Quand je vais au médecin, celle que me suivait, elle avait travaillé au Pérou dans un hôpital. Elle voulait parler me en espagnol. Et moi je lui disais : « Cela ne me dérange pas, espagnol, français. » Mais quand elle a entendu que je parlais couramment, elle m’a dit : « Non, non, non, on va continuer en français parce que moi, mon espagnol n’est pas aussi bon que votre français ». Ça fait que non, toujours… c’est un peu… les gens trouvent ça mignon qu’on ait un accent (Gabriela, entrevue F12).

Ici, il importe de réitérer que Gabriela trouvait qu’elle avait une très bonne maîtrise du

français. Son accent hispanophone n’était donc pas aussi « prononcé » que d’autres

répondants. Ainsi, il semble que l’accent de Gabriela « est mignon » justement parce

qu’elle « parle bien » français selon les membres du groupe majoritaires, ceux qui ont le

pouvoir et l’autorité de décider qui parle bien français ou non (ou pour reprendre les termes

de Bourdieu (1977), ceux qui ont un capital linguistique suffisant pour décider du langage

« légitime », « autorisé »). En nous inspirant de la notion théorique de Sarkar (2008), nous

38 En plus de Gabriela, Juan dit utiliser son accent à son avantage lorsqu’il explique qu’il « joue » avec le fait qu’il a un accent et qu’il est Latino (entrevue M23). Nous reviendrons sur la notion de performance de l’« identité latino » au chapitre VII.

Page 130: L’immigration péruvienne au Québec

114

pourrions affirmer que Gabriela a un niveau de « Québéquicité »39 plus élevé que les

répondants qui ont un accent plus prononcé.

D’autre part, nous pourrions aussi affirmer que Gabriela est le sujet d’une racisation

positive qui « exotise » son accent. Micheline Labelle (2006) explique que la racisation

peut prendre forme de façon positive :

…les préjugés ne se résument pas à la négativité et à l’hostilité. Ils peuvent être louangeurs, comme l’ont montré diverses enquêtes. Mais ce caractère laudatif se révèle finalement être l’envers de la médaille de la négativité. Ex. « Les Noirs ont la danse ou le sport dans le sang » ; ex. « les femmes asiatiques ont des doigts de fée. C’est pourquoi elles sont utiles dans l’industrie de l’électronique ». (Labelle, 2006 : 16)

En ce sens, bien qu’elle soit positive, cette forme de racisation n’en est pas moins

problématique. Par exemple, dans leur article sur les travailleurs latino-américains

temporaires, Bélanger et Candiz (2014) notent que le discours des employeurs révèle l’effet

d’un couteau à double tranchant. D’un côté, les employeurs louangent la fiabilité et

l’éthique de travail des employés latino-américains, mais de l’autre, la « docilité » de ces

derniers contribue à les rendre invisibles (« ils ne dérangent pas ») et facilite leur exclusion

de l’espace social et spatial (Bélanger et Candiz, 2014 : 58).

En bref, la discrimination linguistique que vivent les immigrants d’origine péruvienne

touche différentes sphères de leur vie. Lors de la recherche d’un logement, ainsi que dans

les milieux professionnels et universitaires, des répondants ont mentionné avoir reçu un

traitement différentiel en raison de leur maîtrise du français ou de leur accent. Cette

discrimination s’inscrit dans un processus plus large de racisation au sein duquel les

répondants se trouvent parfois désavantagés en raison de leur capital linguistique (ou plutôt

de leur manque de ce type de capital). Alors que nous nous sommes attardés à l’aspect

linguistique de l’insertion socioéconomique des immigrants, certes une condition cruciale à 39 Nous reviendrons sur la notion théorique de « Québéquicité » au chapitre VII. Pour l’instant, mentionnons seulement qu’il s’agit d’une mesure qui prend en compte la couleur de la peau et l’accent afin de définir l’appartenance au groupe Québécois, tel que souvent imaginée dans les définitions populaires et pratiques communes au Québec (Sarkar, 2008).

Page 131: L’immigration péruvienne au Québec

115

l’intégration – rappelons que tous les répondants étaient d’accord pour dire que la maîtrise

de langue était indispensable pour « s’intégrer » –, penchons-nous maintenant plus

précisément sur une autre dimension, soit l’insertion socioprofessionnelle.

5.2 Déqualification et stratégies d’insertion socioprofessionnelle

Mis à part une participante qui était mère au foyer par choix et Sofia, l’étudiante étrangère,

tous les autres participants, et ce tant les femmes que les hommes, avaient entrepris un

projet d’immigration au Québec dans le but d’y travailler une fois arrivés. Pour les

travailleurs qualifiés, admis en raison de leurs bonnes perspectives d’emploi (dont leurs

qualifications et leur formation dans des secteurs de pointe), l’intention de travailler (et

aussi de travailler dans leur domaine) était d’autant plus centrale à leur projet

d’immigration. Bref, toutes et tous avaient le désir de trouver un emploi et si possible, un

emploi lié à leurs qualifications. Par contre, en pratique, une majorité des répondants ont

subi une certaine déqualification sur le marché du travail. Dans les entrevues, plusieurs

participants ont rapporté que leur formation et leur expérience professionnelle acquises au

Pérou n’avaient pas été complètement reconnues sur le marché du travail québécois.

D’ailleurs, plusieurs avaient entrepris une démarche d’équivalence de leurs diplômes pour

réaliser rapidement qu’ils devaient soit refaire des cours dans une institution

d’enseignement québécoise, passer les examens d’un ordre professionnel, ou dans certains

cas, recommencer leurs études à zéro. Face à cette déqualification au plan professionnel, les

participants ont déployé diverses stratégies, dont l’acceptation d’une certaine

déqualification, la réorientation professionnelle et le retour aux études. Avant de présenter

les stratégies d’insertion socioprofessionnelle des participants, nous examinerons d’abord

cette déqualification dans le contexte d’une hiérarchisation racisée des diplômes et des

expériences professionnelles.

5.2.1 Une hiérarchisation racisée des compétences Lorsque j’ai demandé à Sofia ce qu’elle aimait et ce qu’elle aimait moins de la ville de

Québec, elle m’a d’abord répondu qu’elle appréciait beaucoup l’ouverture des gens,

l’intérêt pour la culture, la musique et le théâtre, ainsi que la préoccupation pour

Page 132: L’immigration péruvienne au Québec

116

l’environnement et la sensibilité sociale. Elle s’en disait enchantée : « J’adore que ce soit

une société qui se préoccupe de l’environnement, avec beaucoup de sensibilité sociale »

(Me encanta que es una sociedad preocupada por el medio ambiente, con mucha

sensibilidad social) (entrevue F14). Parallèlement, elle a aussi parlé de ce qu’elle aimait

moins. En premier lieu, elle a mentionné l’hiver, non pas en raison du froid, mais plutôt à

cause de l’obscurité qui caractérise cette saison. Après avoir hésité quelques secondes, elle

a ensuite parlé des difficultés que rencontrent les Péruviens au plan professionnel :

Sofia : A mí no me gusta tampoco… yo no diré la falta de oportunidad, pero la gran diferencia que tenemos, como en nuestra formación profesional, que nos hace a nosotros tan poco empleables aquí. Entonces, a mí no me gusta que habiendo pasado por la misma educación, quienes hagamos doctorado, maestría, que luego, saliendo al mercado laboral, no tengamos las mismas oportunidades. Geneviève : ¿Y, por qué piense eso? ¿Por qué dice eso? Sofia : Porque de lo que yo conozco… Bueno, primero porque este tema de las órdenes es tan cerrado […] Y si tendríamos que buscar un trabajo con nuestras calificaciones, resulta que tu título profesional no dice mucho, ¿no? Entonces al margen de ser parte de una orden, la experiencia que podamos haber hecho afuera no tiene el mismo peso aquí. Y, en cambio, digamos, en los países que yo conozco, si tu vienes con experiencia de haber trabajado en tu país o en otros países, vas a ser bien valorado. Aunque no sea eh… aunque no sea dentro de la misma área de tu país, pero el solo hecho de haber tenido experiencias en el extranjero, de haber trabajado en ambientes interculturales, ese solo hecho ya va a significar un plus. Aquí, yo siento que si tú has tenido una experiencia en tu país o en un país que digamos que no sea Norteamérica, Europa, no es bien considerado. Geneviève : Ya. ¿Y cómo lo aprendió eso? ¿Lo escucho? Sofia : Yo lo he escuchado y me ha tocado vivirlo40 (Sofia, entrevue F14).

40 Sofia : Moi, je n’aime pas non plus… Je ne dirais pas le manque d’opportunités, mais la grande différence que nous avons avec notre formation professionnelle qui fait que nous sommes si peu employables ici. Alors, je n’aime pas qu’après avoir passé par la même éducation, après qu’on ait fait un doctorat, une maîtrise, que lorsqu’on sort sur le marché du travail, nous n’avons pas les mêmes opportunités. Geneviève : Et pourquoi pensez-vous ça ? Pourquoi dites-vous ça ? Sofia : Parce que de ce que je connais… Bon, d’abord, pour la question des ordres qui est si fermée […] Et si nous avons à chercher un travail avec nos qualifications, il en résulte que ton titre professionnel ne dit pas grand-chose, non ? Ainsi, à part de faire partie d’un ordre, l’expérience que nous avons pu acquérir à l’extérieur n’a pas le même poids ici. Et, en comparaison disons, dans les pays que je connais, si tu viens avec l’expérience d’avoir travaillé dans ton pays ou dans d’autres pays, ce sera bien valorisé. Même si ce n’est pas dans la même région de ton pays, mais juste le fait d’avoir eu des expériences à l’étranger, d’avoir travaillé dans des milieux interculturels, juste ce fait va se traduire en un plus… Ici, je sens que si tu as une expérience dans ton pays ou dans un pays disons qui n’est pas l’Amérique du Nord ou qui n’est pas l’Europe, ce n’est pas bien considéré. Geneviève : Oui. Et, comment avez-vous appris cela ? Vous l’avez entendu ? Sofia : Je l’ai entendu et j’ai eu à le vivre.

Page 133: L’immigration péruvienne au Québec

117

Dans cet extrait, Sofia soutient que l’expérience professionnelle acquise à l’étranger n’est

pas valorisée, à moins que cette expérience provienne de l’Europe ou de l’Amérique du

Nord. Elle fait donc allusion à une sorte de hiérarchisation racisée de l’expérience et des

compétences, où les travailleurs en provenance de pays « non occidentaux » se trouvent

défavorisés. Alors que Sofia mentionne surtout l’expérience professionnelle, Angel, quant à

lui, fait référence à l’éducation obtenue dans les pays sud-américains :

Y los que venimos de Sudamérica, estamos en desventaja, puesto que la currícula académica universitaria allá, del tercer mundo, no es la misma currícula académica para un país de primer mundo, entonces cuando van a hacer el análisis de dossier, los expedientes de tercer mundo los dejan de lado y buscan candidatos de primer mundo. Mismo que yo les he demostrado en el curso de farmacología tener 96%, mientras los estudiantes no llevaban ni 7541 (Angel, entrevue M15).

Ainsi, bien qu’il dise avoir eu de très bonnes notes dans ses cours de pharmacologie dans

une université québécoise, Angel, qui a obtenu son diplôme de pharmacien au Pérou, trouve

qu’il est désavantagé par rapport aux candidats du « primer mundo » (des pays

industrialisés). À cet égard, Ricardo explique qu’il y a une différence entre les immigrants

qui ont fait leurs études ici et ceux qui ne les ont pas faites ici :

Il y a la différence entre immigrant qui a fait certaines études ici et immigrant qui n’a pas fait des études ici, à moins que tu viennes de la France, des États-Unis ou de l’Angleterre. Mais si tu viens d’un pays en développement, c’est dur. Comme valider tes études, ou que les gens te prennent en considération. « Ah, tu as été dans une université au Pérou ». Mais si tu viens de la Sorbonne, de Paris, c’est sûr qu’ils vont faire « wow » (Ricardo, entrevue M23).

Les propos des répondants quant à la dévalorisation de l’expérience et des qualifications

acquises au Pérou ne sont pas étonnants. Différentes études soulignent la déqualification

41 Et ceux qui viennent de l’Amérique du Sud, nous sommes défavorisés, puisque le programme académique là-bas, du tiers monde, ce n’est pas le même programme académique pour le premier monde [les pays industrialisés] alors quand ils feront l’analyse du dossier, les dossiers du tiers monde sont laissés de côté et ils recherchent les candidats du premier monde. Même si je leur ai démontré dans les cours de pharmacologie que j’ai 96%, alors que les étudiants n’obtiennent même pas 75%.

Page 134: L’immigration péruvienne au Québec

118

qui affecte les immigrants au Québec (voir entre autres Dioh, 2015; Chicha, 2012 et Picot

et Sweetman, 2005) et surtout ceux appartenant à des groupes racisés (Li, 2003 et plus

récemment Creese, 2011). Comme dans le cas de l’accent « étranger », il semble que les

qualifications et l’expérience « étrangères » influent sur l’insertion socioprofessionnelle.

Alors que nous avons conçu l’accent comme un élément du capital culturel incorporé

(Bourdieu, 1979), les diplômes obtenus à l’étranger peuvent être compris comme faisant

partie du capital culturel institutionnalisé (Bourdieu, 1979). Tout comme pour l’accent, la

valeur de ce capital culturel institutionnalisé dépendra donc du statut social de l’individu

qui en est porteur. Dès lors, il semble qu’un diplôme associé à un corps racisé aura une

moins grande valeur qu’un diplôme associé à un corps non racisé (voir entre autres Creese,

2011 : 68). Il en résulte donc un processus de déqualification systémique des compétences

pour les immigrants appartenant à des groupes racisés.

Dans les entrevues, les répondants ont surtout mentionné leur expérience et leurs études à

l’étranger comme facteurs de déqualification, plutôt que leur appartenance à un groupe

racisé (comme le fait de s’identifier en tant que Péruviens ou Latino-américains). En

d’autres termes, la plupart des répondants n’ont pas nécessairement attribué leurs difficultés

d’insertion socioprofessionnelles à de la discrimination anti-latino ou anti-péruvienne.

D’autres études, par ailleurs, ont permis d’examiner l’impact de l’appartenance à un groupe

racisé sur l’insertion professionnelle. Par exemple, des recherches – réalisées à Toronto

(Oreopoulos, 2009), ainsi qu’à Montréal, Toronto et Vancouver (Oreopoulos et Dechief,

2011) – ont dévoilé, qu’à expérience et à diplôme canadiens égaux, les candidats au nom à

consonance « étrangère » avaient moins de chances de se faire appeler pour un entretien

d’embauche que les candidats au nom à consonance anglo-saxonne.

Une étude récente menée à Montréal a confirmé ces résultats en comparant les CV de

candidats au nom franco-québécois avec ceux de candidats au nom à consonance arabe,

africaine et latino-américaine (Eid, 2012). Reposant sur la méthode du testing, appelé aussi

test de discrimination, cette étude a démontré que « les candidats racisés sont

significativement désavantagés, à des degrés variables, par rapport au candidat issu du

groupe majoritaire à l’étape du premier tri des CV » (Eid, 2012 : 442). Dans cette étude, la

Page 135: L’immigration péruvienne au Québec

119

méthode du testing a consisté à envoyer 581 pairs de CV fictifs à de véritables offres

d’emploi dans la région de Montréal. Les couples de candidatures présentaient tous des

dossiers similaires et comparables, soit un même niveau d’expérience professionnelle

québécoise et un même niveau d’étude obtenu dans une institution d’enseignement

québécoise. La seule variable modifiée était le nom des candidats afin de mesurer l’impact

discriminatoire de la caractéristique donnée, correspondant ici à l’appartenance ou non à un

groupe racisé. Les résultats de cette recherche ont révélé « qu’à compétences et à

qualifications égales, un Tremblay ou un Bélanger a au moins 60 % plus de chances d’être

invité à un entretien d’embauche qu’un Sanchez, un Ben Saïd ou un Traoré42, et qu’environ

une fois sur trois (35 %), ces derniers risquent d’avoir été ignorés par l’employeur sur une

base discriminatoire » (Eid, 2012 : 445) et ce, tant pour les emplois qualifiés que pour les

emplois peu on non qualifiés. Notons ici que d’après les résultats de l’étude d’Eid, il y

aurait également une hiérarchie des candidats minoritaires sur l’échelle de la désirabilité

socioprofessionnelle (2012 : 441-442). En effet, en comparant les trois groupes minoritaires

(Africain, Arabe et Latino-Américains), il appert que les CV présentant des noms à

consonance africaine sont les plus désavantagés, alors que les CV avec des noms à

consonance latino-américaine sont les mieux considérés.

Bien qu’à partir de l’étude d’Eid, il soit impossible de savoir quelles sont les raisons

spécifiques derrière chacune des décisions prises par les employeurs, il n’en demeure pas

moins que les candidats d’origine franco-québécoise sont davantage prisés que ceux

d’origine africaine, arabe et latino-américaine. Eid émet l’hypothèse que les employeurs,

« sans nécessairement adhérer à un discours explicitement raciste, tendent, souvent

inconsciemment, à rechercher des ‘personnes qui leur ressemblent’, ou parfois même à

éviter certains groupes évalués négativement, parce que socialement stigmatisés » (2012 :

444). Puisque je n’ai pas réalisé d’entrevues avec les employeurs, il est difficile d’expliquer

pourquoi ces derniers tendent à dévaloriser l’expérience et les compétences des immigrants

racisés. Gillian Creese (2011) énumère différentes raisons qui pourraient être à l’origine de

ce constat. Elle invoque entre autres : l’offre croissante de main-d’œuvre qualifiée (grâce à

42 Les noms de famille Sanchez, Ben Saïd et Traoré sont des noms à consonance latino-américaine, arabe et africaine, respectivement.

Page 136: L’immigration péruvienne au Québec

120

l’immigration et à une main-d’œuvre locale de plus en plus éduquée) permettant aux

employeurs d’être plus sélectifs; la polarisation de l’économie où il y a moins de bons

emplois et davantage de compétition pour les obtenir; le manque de connaissances quant

aux conditions à l’étranger (ce qui rend les comparaisons difficiles entre les compétences

locales et internationales); une perception qui tend à dévaluer l’expérience et les

qualifications acquises à l’étranger; la simple capacité d’exploiter les travailleurs

immigrants pour augmenter la rentabilité et les processus de racisation qui dévalorisent les

immigrants racisés (Creese, 2011 : 76). En dernière analyse, elle conclut que si les raisons

de cette déqualification sont multiples et complexes et qu’elles ne peuvent pas simplement

être attribuées au racisme, leur impact n’est pas moins discriminatoire. Dans ce contexte, où

les immigrants racisés sont désavantagés, ces derniers déploient différentes stratégies pour

se trouver un emploi. Dans la prochaine section de ce chapitre, nous nous pencherons sur

ces stratégies.

5.2.2 Les stratégies d’insertion socioprofessionnelle D’emblée, précisons que les répondants interrogés ont tous fait preuve de créativité et de

résilience pour décrocher un emploi. Plutôt que de se laisser décourager par une situation

parfois difficile, ils ont tous démontré une capacité d'agentivité et d’adaptation qui leur a

permis de ressentir une satisfaction (variable selon les cas) par rapport à leur situation

socioprofessionnelle. Les stratégies les plus communes pour trouver un emploi ont été les

suivantes : la recherche d’un emploi de niveau technique plutôt que professionnel,

l’acquisition d’une formation dans un établissement d’enseignement québécois, la

réorientation professionnelle et l’acceptation d’un emploi peu ou pas qualifié dans un autre

domaine.

Pour la majorité des répondants, il y avait un consensus quant à l’idée de se tourner vers des

postes techniques plutôt que professionnels, même si cela pouvait impliquer d’être

surqualifiés pour l’emploi convoité. Veronica, par exemple, qui travaillait comme analyste

fonctionnel dans le domaine des technologies de l’information au Pérou, a expliqué qu’elle

avait dû « changer un peu la mentalité » en arrivant ici (entrevue F19). Au lieu de chercher

Page 137: L’immigration péruvienne au Québec

121

un poste d’analyste fonctionnel, mieux payé et plus qualifié, elle a opté pour postuler à des

emplois plus techniques d’analystes-programmeurs. Lorsque je lui ai demandé quelles

avaient été ses attentes par rapport à son projet d’immigration, elle m’a répondu qu’elle

espérait trouver un emploi dans son domaine, mais qu’elle avait été prêtre à travailler du

côté technique :

Vraiment, j’espérais comme on dit trouver quelque chose dans mon travail… Mais, je suis arrivée avec la mentalité comme on peut dire… On doit changer un peu la mentalité, parce qu’il y avait beaucoup de… Il y avait une grande division au Pérou. Tu avais les gens qui travaillent du côté technique, normalement ce sont les gens, c’est l’équivalent du Cégep et les autres qui étudient à l’université. Entonces [alors], ce sont de gros salaires et la différence de salaire c’est abyssal. Tu gagnes trois fois plus, entonces [alors], il y avait un côté socioéconomique. Travailler du côté technique, c’est moins valorisé. On doit changer ça. Il y a beaucoup de gens qui ne viennent pas avec ce processus. Ils doivent travailler comme analyste fonctionnel, tu ne voudrais pas commencer une autre fois et travailler du côté technique. Tu te sens comme… Bon, c’est ça que j’ai changé. J’étais analyste fonctionnel, là-bas au Pérou (Veronica, entrevue F19).

Au moment de notre entrevue, Veronica travaillait comme analyste-programmeur dans une

firme d’informatique internationale basée à Montréal. Elle aimait beaucoup son emploi et

elle se disait satisfaite de ses conditions de travail. Tout comme Veronica, plusieurs autres

répondants avaient aussi adopté ce type de stratégie – impliquant l’acceptation d’emplois

pour lesquels ils étaient surqualifiés – et en général, ils se disaient tout de même satisfaits

de leur situation socioprofessionnelle.

Valentina et Gabriela, par exemple, toutes deux architectes au Pérou et détenant

respectivement une maîtrise et un baccalauréat en architecture, avaient décidé d’appliquer à

des postes de niveau technique, nécessitant seulement un diplôme d’études collégiales.

Elles ont toutes deux rapidement trouvé un emploi après leur arrivée dans la ville de

Québec. Bien qu’à prime à bord, elles avaient toutes deux pensé entreprendre une démarche

pour faire partie de l’Ordre des architectes du Québec, elles ont toutefois laissé de côté cette

option. Valentina a expliqué qu’il s’agissait d’une démarche compliquée, longue et

coûteuse et qu’elle préférait commencer à travailler tout de suite :

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Les organismes [d’aide à la recherche d’emploi] conseillent aux immigrants de ne pas se mettre ni à étudier ni à faire des démarches trop chères dès le début, mais essayer avant de trouver un emploi avec l'expérience canadienne plutôt qu'avec l'expérience d'un autre pays dont vous n'aurez pas besoin. Parce que c'est vrai que cela coûte vraiment cher toutes les démarches et parfois ce n'est pas si payant que ça, parce qu’il y a plus d'emplois techniques que professionnels. Alors, c'est un peu partagé. De toute façon, moi, pour pouvoir commencer à faire mes démarches professionnelles, il fallait que je fasse évaluer mes études. Et au début, il semblait que le Conseil canadien d'architecture allait me demander des cours [à prendre], parce que la construction par exemple ce n'est pas pareil, des trucs comme ça ne sont pas pareils. Mais à ma surprise, on n'a rien demandé, tout était reconnu. Ma carrière était complètement reconnue, baccalauréat et maîtrise, seulement qu’à l'Ordre, c'est un peu une autre histoire. […] L'ordre, ça fait beaucoup de problèmes. […] C'est pour ça, qu'il y a plein de monde qui décide de laisser les démarches professionnelles, de laisser les choses là-bas, ou de ne même pas les commencer. Par exemple, les gens qui trouvent un travail au gouvernement ne se posent plus la question d'entrer à l'Ordre, parce que dans le gouvernement, ils vont faire carrière. Alors, c'est beaucoup. Une fois qu'on est ici, la perspective, ça peut changer (Valentina, entrevue F4).

Contrairement à Valentina, Gabriela, quant à elle, n’avait pas de diplôme de maîtrise en

architecture. Lorsqu’elle a appris qu’elle devait avoir une maîtrise pour faire partie de

l’Ordre, elle a abandonné ce projet :

Ouais, c’est sûr que moi je n’ai jamais essayé d’aller plus loin. C’est un défaut. Parce qu’au Pérou, je suis membre de l’Ordre des architectes du Pérou alors je peux signer des plans et je suis responsable. Mais ici, au début, j’ai voulu savoir comment on faisait la démarche pour être reconnue. Mais, ils m’ont dit il faut, vous avez un bac, il faut que vous fassiez deux ans [pour obtenir] la maîtrise à l’Université. C’est sûr que pendant deux ans, je ne peux pas travailler. Ça coûte aussi de l’argent. Et après, quand on a fini la maîtrise, il faut faire comme trois ans de stage auprès d’un architecte. Et aussi l’architecte il ne va pas nous payer comme, il va me payer moi comme stagiaire. Et moi, je voyais tout ça et j’ai passé des années à étudier en Europe et arriver ici et… Non, je voulais juste être pratique, commencer à travailler (Gabriela, entrevue F12).

Ici, il semble que la décision de Gabriela a porté fruit, puisqu’en 2011, deux ans après son

arrivée au Québec, elle avait réussi à décrocher un poste de technicienne en travaux publics

au gouvernement provincial. Bien que son emploi ne corresponde pas tout à fait à ses

qualifications, Gabriela a mentionné qu’elle était bien contente de travailler dans la

fonction publique, de bénéficier d’un bel horaire, d’un salaire décent et de nombreux

avantages sociaux. En riant, elle a ajouté qu’elle pourrait toujours faire les démarches

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auprès de l’Ordre « un jour peut-être » quand elle sera grand-mère et qu’elle aura le

« temps et l’argent pour faire ces démarches » (entrevue F12).

Alors que la recherche d’un poste technique et de ce fait, l’acceptation d’une certaine

déqualification, s’est révélée être une stratégie efficace pour plusieurs, d’autres ont opté

pour un retour aux études afin d’acquérir une formation québécoise. Pour ces derniers,

obtenir un diplôme d’une institution québécoise était primordial. Mario et Alberto, par

exemple, détenaient tous deux un baccalauréat en comptabilité au Pérou. Contrairement à

d’autres répondants, ils ont trouvé que la démarche pour faire valider leur formation

acquise au Pérou n’était pas si compliquée. Alberto, dont le baccalauréat au Pérou a été

reconnu par le ministère, a souligné que c’était « juste une démarche administrative »

(entrevue M6). Dans le cas de Mario, ce dernier devait compléter quatre ou cinq cours de

baccalauréat en comptabilité pour faire reconnaître sa formation et quelques autres pour

être admis à l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec. Trouvant qu’il aurait

plus de chance de se trouver un emploi avec « un bac d’ici », Mario a complété les cours

requis pour obtenir un baccalauréat en comptabilité. Alberto, quant à lui, a fait de même

afin d’être admis à l’Ordre. Au moment des entrevues, Alberto travaillait comme

vérificateur-comptable et Mario comme agent de recouvrement. Alors qu’Alberto se disait

très satisfait de son emploi qui correspondait « cent pour cent à ses qualifications »

(entrevue M6), Mario avait l’espoir de trouver un meilleur poste, davantage lié à ses

compétences et qualifications en comptabilité.

Tout comme Alberto et Mario, Pablo qui détenait une maîtrise en administration au Pérou,

a aussi soutenu qu’un diplôme d’une institution québécoise était quasi indispensable. Il

explique qu’il y avait un consensus familial à ce sujet :

J’ai commencé à étudier, c'est la première chose que j'ai obtenue. Parce que malheureusement-là, il y avait un consensus dans la famille, entre ma femme et moi, d'étudier quelque chose dans une institution éducative québécoise, canadienne, et ça, de s'en servir pour s'insérer, parce qu'avant, sans expérience de travail, sans études ici, c'est pratiquement impossible de s'insérer. J'envoyais beaucoup de CV, etc., mais je ne recevais aucune réponse (Pablo, entrevue M2).

Page 140: L’immigration péruvienne au Québec

124

Pablo, arrivé au Québec en 2004, a finalement cumulé différents petits emplois non

qualifiés (comme concierge, ouvrier d’usine et commis dans un supermarché) tout en

étudiant. Lorsqu’il a obtenu des prêts et bourses du gouvernement provincial, il s’est

consacré pleinement à ses études pendant quelques années. Détenant déjà une maîtrise en

administration au Pérou, il a de surcroît obtenu une maîtrise en études urbaines dans une

université québécoise. Au moment de l’entrevue, il poursuivait un doctorat dans le même

domaine. Il s’était également trouvé un emploi à temps partiel comme représentant en

assurances et il hésitait entre la poursuite d’une carrière universitaire et le travail dans le

domaine des assurances. Ici, la réorientation professionnelle était donc perçue comme une

option possible pour Pablo.

D’autres, comme Enrique, ont jumelé à la fois la réorientation professionnelle, un retour

aux études et la recherche d’un poste technique. Enrique explique cette stratégie ainsi :

Quand on parle entre les immigrants, on sait que ce n’est pas facile de trouver du travail de niveau, par exemple, gérant, chef d'équipe, parce que c'est connu, peut-être qu’on a l'idée qu'il faut avoir l'expérience canadienne. La plupart commence comme techniciens, la plupart des postes faciles pour rentrer, postuler. Je me suis dit bon, quel est le niveau pour commencer dans une banque, parce que mon objectif c'est de travailler dans une banque. Alors je me suis dit, je vais retourner aux études pour avoir un diplôme canadien qui peut me donner plus d'opportunités de travail. Cette fois-là, j'ai ciblé le travail, ou des postes plus techniques, comme la comptabilité, les finances, la gestion des risques (Enrique, entrevue M7).

Enrique, qui détenait un baccalauréat en génie industriel d’une université péruvienne, a

donc choisi de ne pas chercher un emploi comme ingénieur. Il a d’abord suivi une

formation technique en service à la clientèle dans un collège afin d’obtenir une attestation

d’études collégiales (AEC). À la suite de cette formation, il a obtenu un emploi dans une

institution financière comme agent de service à la clientèle. Lorsque je l’ai interrogé, il

venait tout juste d’entamer un certificat en finance appliquée à l’université dans le but

d’obtenir un meilleur emploi dans une banque. Pour lui, il allait de soi qu’il devait non

seulement acquérir un diplôme québécois, mais aussi, qu’il devait commencer au bas de

l’échelle :

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125

J’ai fait un cours technique au collégial pour trouver du travail comme débutant au niveau technique et monter. On ne peut pas cibler un poste de haut niveau, parce que c’est connu partout, je pense, c'est très difficile. Ces postes-là ne sont pas pour des personnes qui viennent d'arriver. Il faut commencer dans un niveau plus bas (Enrique, entrevue M7).

Bien qu’Enrique convienne que son emploi comme agent de service à la clientèle ne

correspondait pas à ses attentes – notamment en raison du salaire horaire peu élevé –, il

était tout de même persuadé qu’il allait trouver quelque chose de mieux une fois qu’il aurait

obtenu son certificat en finance appliquée. Enrique, qui était arrivé six ans auparavant,

misait aussi sur son acquisition d’« expérience canadienne » pour postuler à de nouveaux

emplois. En se basant sur l’expérience de quelques-uns de ses amis arrivés plus tôt (et qui

avaient réussi à décrocher de meilleurs emplois avec le temps), il était optimiste quant à ses

perspectives d’avenir professionnelles.

En fait, plusieurs des répondants s’entendaient pour dire que l’« intégration » était un long

processus et qu’il ne fallait pas s’attendre à avoir tout ici et maintenant. Il faut, au contraire,

être prêt à tout, et surtout être flexible quant à l’emploi et persévérer. Ricardo, qui présente

des conférences aux nouveaux immigrants dans le cadre d’activités communautaires et

bénévoles, résume bien cette attitude :

Le conseil pour réussir l’immigration et je finissais toujours mes conférences avec ça : ce n’est pas une carrière de vitesse, c’est une carrière de résistance. Les immigrants, on passe par des vagues, comme ça. Si tu veux avoir tout ça vite, là, prends l’avion et retourne dans ton pays. Si tu as suffisamment de forces, de couilles pour résister, ça va te prendre des années. Puis avant de venir, il faut penser, tu viens pour toi, tu viens pour ton chum ou pour ta blonde, ou tu viens pour tes enfants ? Si ça ce n’est pas clair dans ta tête et si tu n’as pas pris une décision, ne prends pas l’avion pour venir ici. Des fois, je vois des gars, ils sont venus parce qu’elle, elle voulait venir, ou elle parce que lui… Et là, ça ne va pas marcher. Des fois c’est pour les enfants, mais ils n’étaient pas prêts à faire des sacrifices, parce que normalement pour nous la première génération, il faut accepter des sacrifices. Moi, j’ai eu la chance, pas la chance, mais j’ai travaillé fort pour m’intégrer, mais je vois des gens qui font des ménages pendant des années, mais leurs enfants ils vont avoir une vie, le passeport, plusieurs langues, ils sont d’ici. Est-ce que tu es prêt pour faire ça ? Si tu n’es pas prêt là, mais c’est mieux que tu restes dans ton pays (Ricardo, entrevue M23).

Page 142: L’immigration péruvienne au Québec

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Selon Ricardo, qui pendant cinq ans a exercé différents petits boulots avant d’obtenir un

poste comme technicien en réseaux sociaux, son parcours montre qu’il est possible de

réussir et de s’intégrer. Selon lui, ce n’est pas la chance, mais le fait qu’il a « travaillé fort

pour s’intégrer » qui lui a permis de décrocher un emploi qu’il adore. Grâce à une bourse

offerte dans le cadre d’un programme de soutien pour les nouveaux immigrants, il a pu

compléter une formation technique dans une école québécoise réputée en art et technologie

des médias. Ricardo, qui avait un baccalauréat en communication avant d’immigrer, se

disait qu’il n’aurait jamais un niveau de français assez élevé pour travailler comme

journalisme, que ce soit pour la presse écrite, la radio ou la télévision. Comme bien

d’autres, il avait donc misé sur une formation technique pour obtenir un emploi

correspondant à ses intérêts. En bout de piste, il était satisfait de sa situation

professionnelle, même s’il déplorait le fait que l’équivalence des études devait se faire une

fois sur place, plutôt qu’en période prémigratoire :

Es-tu prêt à accepter n’importe quel travail ? Il faut être intelligent, moi je dis oui, je suis prêt à faire du service à la clientèle. Mais non, ce n’est pas clair, le système d’immigration en Australie est mieux fait, parce qu’avant d’être accepté en Australie, il faut que tu fasses tes équivalences de travail et d’études. Ici, tu peux le faire après. Donc des fois, tu te retrouves… Mais il faut être… Si tu es avocat, si tu es médecin, ce n’est pas la place, le Canada en général, parce qu’il faut refaire toutes tes études. Si tu es conscient de ça, pis tu veux venir, courage (Ricardo, entrevue M23).

Si plusieurs répondants, comme Ricardo, avaient réussi à obtenir un poste de niveau

technique lié à leur champ d’intérêt, une minorité de répondants (soit quatre personnes),

quant à eux, occupaient des emplois peu ou pas qualifiés dans un domaine différent de leur

champ d’expertise. Subissant une déqualification importante, ils avaient un emploi

nécessitant très peu de qualifications (ou pas du tout) malgré leurs diplômes d’études

supérieures. Angel, par exemple, avait été pharmacien au Pérou et il était maintenant

cuisinier dans deux restaurants péruviens à Montréal, ainsi que concierge pour une

compagnie de nettoyage. Il compare le fait de ne pas pouvoir exercer sa profession ici à

« une douleur que l’on porte à l’intérieur » : « digamos que dentro del punto de vista

profesional, el no poder ejercer nuestra carrera aquí, es un dolor que uno lleva por

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127

dentro »43 (entrevue M15). Après être arrivé au Québec, il a vite réalisé qu’il ne serait pas

facile pour lui d’exercer sa profession de pharmacien. Contrairement aux diplômés français

en pharmacie, pour lesquels il existe une entente entre la France et le Québec afin de

faciliter l’intégration au marché du travail44, il n’y a aucun arrangement de cette nature

entre le Pérou et le Québec. Dans ce contexte, où la reconnaissance des diplômes s’est

avérée difficile pour Angel, ce dernier a suivi les conseils d’un de ses amis d’origine

italienne qui lui suggérait de se « dédier » au travail « en lo que había » [dans ce qu’il y

avait] et de miser sur l’avenir de ses enfants :

Me dediqué a trabajar porque eh… aprobé, después de que llegué, los tres años, conocí a un amigo italiano, me dijo: « Tú has venido aquí a Canadá, o a Quebec, no por ti ya, olvídate, dedícate a trabajar, mantén a tu familia, haz como nosotros. Nosotros cuando llegamos, los italianos, trabajamos en lo que había. Y ya después ya nuestros hijos ya son médicos, son políticos, son todo ». Y a eso es a lo que yo aspiro45 (Angel, entrevue M15).

Lorsque j’ai demandé à Angel si son travail correspondait à ses qualifications, il m’a

évidemment répondu par la négative. Il a ajouté qu’il était contento [content] et qu’il ne se

plaignait pas, mais qu’il n’avait pas d’autres choix :

No, no, no. No corresponde a mi calificación. Pero es como todo inmigrante, todos aquí volvemos a nacer y nos adaptamos a lo que hay en este mercado, porque no a todos los profesionales que vienen, o que vengan de donde vengan, trabajan en su

43 Disons que du point de vue professionnel, ne pas pouvoir exercer notre carrière professionnelle ici est une douleur que l’on porte à l’intérieur. 44 Signé le 27 novembre 2009, l’Arrangement en vue de la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles entre l’Ordre des pharmaciens du Québec et la Ministre de la santé et des sports et le Conseil national de l’ordre des pharmaciens de France vise à faciliter et à accélérer « la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles des personnes exerçant le métier de pharmacien » au Québec et en France (Gouvernement du Québec, 2009). Précisons que cet arrangement de reconnaissance mutuelle (ARM) s’effectue dans le cadre d’une entente plus large, soit l’Entente entre le Québec et la France en matière de reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles conclue en 2008 (Gouvernement du Québec, 2008). 45 Je me suis consacré au travail parce que eh… j’ai rencontré, après être arrivé, après trois ans, j’ai connu un ami italien, il m’a dit : « Tu es venu ici au Canada, ou au Québec, pas pour toi maintenant, oublie-toi, consacre-toi au travail, soutient ta famille, fais comme nous. Nous, lorsque nous sommes arrivés, les Italiens, nous avons travaillé dans ce qu’il y avait. Et plus tard déjà, nos enfants sont maintenant des médecins, des politiciens, ils sont de tout ». Et c’est ce à quoi j’aspire.

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campo, tienen que buscar lo que hay. Por eso le digo, un farmacéutico haciendo limpieza, un farmacéutico cocinando, yo que he sido asistente de ministro de la salud, dando el brevete, ¿usted sabe lo que es dar el brevete de un medicamento que se comercialice? Para venir a sacar platos de comida, es contradictorio, pero estoy contento, estoy contento. Mi familia está bien, tengo mis bienes. Sí, por aquí estoy bien. No me quejo, no. Pero si hago la salvedad… No tenemos otra cosa46 (Angel, entrevue M15).

Malgré son discours qui se veut positif, Angel admet aussi qu’il « porte une douleur à

l’intérieur » parce qu’il ne peut exercer sa profession. Il explique que lorsqu’il retourne au

Pérou, tout le monde lui demande : « ¿El doctor dónde está? ¿Dónde está el doctor? » [Le

docteur où est-il ? Où est le doctor ?]. Angel répond en riant : « Se quedó en Perú. Aquí es

un simple cocinero » [Il est resté au Pérou. Ici, il est un simple cuisinier] (entrevue M15).

En cumulant trois emplois – deux dans le domaine de la restauration comme cuisinier et un

dans le domaine du nettoyage comme concierge – Angel précise qu’il a tout de même

réussi à s’acheter une propriété et qu’il ne se décourage pas pour autant. Comme il le dit, il

le fait aussi pour « l’avenir de ses enfants ».

Victor, qui était ingénieur civil au Pérou, présente une expérience similaire. Malgré son

diplôme universitaire, il travaillait comme livreur dans une quincaillerie. Pour l’instant, il

dit que son emploi lui permet de payer les comptes et de s’occuper de ses trois filles. Arrivé

en 2012, Victor semblait à la fois optimiste et ambivalent face à son projet d’intégration

socioprofessionnelle. D’un côté, il se disait que « pour le me moment c’est correct », mais

de l’autre, il était aussi un peu découragé par sa situation qu’il considérait précaire. Après

avoir fait tous les examens pour être accepté à l’Ordre des ingénieurs, il ne se trouvait

toujours pas d’emploi dans son domaine. Il dit :

46 Non, non, non. Il ne correspond pas à mes qualifications. Mais, c’est comme tout immigrant, tous ici nous renaissons et nous nous adaptons à ce qu’il y a sur le marché, parce que ce ne sont pas tous les professionnels qui viennent et qui travaillent dans leur domaine, ils doivent trouver ce qu’il y a. C’est pour ça que je le dis, un pharmacien qui fait le nettoyage, un pharmacien qui cuisine, moi, qui a été ministre adjoint de la santé, octroyant le brevet. Vous savez ce que c’est que de donner le brevet d’un médicament qui est commercialisé ? Pour venir préparer des plats de nourriture, c’est contradictoire, mais je suis content, je suis content. Ma famille est bien, j’ai mes biens. Oui, ici je suis bien. Je ne me plains pas, non. Mais si je fais l’exception… Nous n’avons pas autre chose.

Page 145: L’immigration péruvienne au Québec

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J'ai travaillé très fort, j'ai étudié très fort, j'ai fait les choses avec l'Ordre des ingénieurs. J'ai fait les choses à votre façon, avec toutes les validations que vous demandez, et même comme ça, vous avez peur de m'engager. Il faut s'arrêter à quelque part. Tu comprends ? Moi, je comprends qu'il faut respecter la société, qu'il faut essayer de s'intégrer, qu'il faut essayer de suivre vos règles. Il faut comprendre aussi que si on ne change pas la façon de voir l'immigration, on va perdre les candidats possibles qui seraient comme moi, qui sont prêts vraiment à s'intégrer, et qui pourraient devenir très bons pour vous et vous pourriez produire beaucoup d'argent aussi, mais ça va être plus facile de s'en aller en Alberta ou ailleurs au Canada. Parce qu’il faut arrêter la peur à quelque part (Victor, entrevue M5).

Dans cet extrait, Victor fait allusion à la « peur » qu’ont les employeurs d’embaucher des

immigrants. Andrea, arrivé comme réfugiée en 1991, renchérit. Pour elle, les grandes

compagnies doivent faire un effort pour « laisser rentrer les immigrants » :

Mais si le Québec veut vraiment recevoir plus de monde ici, il va falloir d’abord reconnaître qu’on est un groupe de gens [les Sud-Américains] qui aiment travailler. Ils vont devoir faire dans les grandes compagnies des possibilités de laisser rentrer les immigrants. Ce ne sont pas tous les immigrants qui sont bien reçus dans les compagnies. Ici à Québec, je n’ai jamais eu de problèmes, mais oui, j’ai entendu les autres. Maintenant dans l’association, j’entends beaucoup plus, il y a beaucoup plus de gens qui frappent aux portes (Andrea, entrevue F18).

Vu ce sentiment d’exclusion au plan socioprofessionnel, Victor en conclut que certaines

personnes immigrantes finissent par quitter le Québec pour aller « en Alberta ou ailleurs au

Canada ». Tout comme deux autres participants, Victor considérait la possibilité d’une

relocation dans une autre province canadienne. En fait, les statistiques récentes sur le taux

de présence viennent appuyer cette tendance. Des 484 867 personnes immigrantes admises

au Québec entre 2004 et 2013, le quart d’entre elles (soit 24,5 % ou 118 641 personnes)

n’étaient plus présentes dans la province francophone en 2015 (MIDI, 2015b)47. Dans notre

échantillon, seulement Monica, Victor et Angel envisageaient de se diriger vers une autre

province (soit l’Ontario ou l’Alberta) pour améliorer leur situation socioprofessionnelle.

D’autres se disaient qu’ils pouvaient toujours retourner au Pérou.

47 Précisons ici que le taux de présence est calculé à partir du nombre de personnes immigrantes qui détenaient une carte d’assurance maladie valide au moment de la collecte des données. Les personnes qui détenaient une carte expirée étaient considérées comme non présentes au Québec (MIDI, 2015b).

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En bref, les participants mentionnent presque tous avoir vécu nombreuses difficultés lors de

la recherche de leurs premiers emplois. Détenant des diplômes péruviens et possédant une

expérience de travail péruvienne, ils vivent souvent une discrimination systémique sur le

marché du travail. Pour certains, cette discrimination s’était aussi transposée dans leur

milieu de travail. En fait, il semble que le même processus de racisation qui contribue à

déqualifier les diplômes et l’expérience des immigrants racisés teinte aussi les relations

professionnelles au travail. Comme lors de leurs recherches d’emploi, les répondants

déploient également une variété de stratégies pour faire face à des milieux de travail qui

peuvent parfois être discriminatoires.

5.3 La discrimination en milieu de travail : racisme ordinaire et microagressions

Dans leurs milieux de travail, plusieurs répondants ont mentionné avoir vécu diverses

situations de discrimination. La plupart du temps cette discrimination était perçue par les

répondants comme étant subtile et voilée, prenant alors la forme de ce que l’on pourrait

appeler des microagressions (Chamberland et Geoffroy, 2015 ; Sue et al., 2007 et Sue,

2010) ou des micro-iniquités (Beagan, 2001). Dans le contexte de la discrimination envers

les minorités sexuelles et de genre (MSG), Chamberland et Geoffroy (2015) décrivent les

microagressions homo- et trans-négatives (MAHT) comment « étant des affronts,

rebuffades ou insultes verbales, non verbales et quotidiennes – intentionnelles ou non

intentionnelles – qui communiquent des messages hostiles, dérogatoires ou négatifs ciblant

des personnes précises, sur la base de leur appartenance à un groupe » (161). Cette

définition pourrait tout aussi bien s’appliquer aux autres membres de groupes minoritaires,

telles les femmes ou les personnes immigrantes appartenant à des groupes racisés. En fait,

Sue et al. (2007) proposent une définition similaire pour décrire les microagressions envers

les membres de groupes racisés :

Simply stated, microaggressions are brief, everyday exchanges that send denigrating messages to people of colour because they belong to a racial minority group. In the world of business, the term “microinequities” is used to describe the pattern of being overlooked, underrespected, and devalued because of one’s race or gender. Microagressions are often unconsciously delivered in the form of subtle snubs or dismissive looks, gestures, and tones. These exchanges are so pervasive and automatic

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in daily conversations and interactions that they are often dismissed and glossed over as being innocent and innocuous (Sue et al., 2007: 273).

En bref, précisons que ce qui caractérise les microagressions, c’est certainement le fait

qu’elles semblent de prime abord anodines et inoffensives. Souvent perpétrés sous forme de

blagues, de commentaires quelque peu déplacés, ou de gestes en apparence banale, c’est

entre autres le caractère répétitif et quotidien de ces échanges qui les rendent nocifs pour les

personnes affectées. Dans les entrevues, plusieurs répondants ont rapporté de tels incidents.

Lorsque Valentina a voulu acheter une voiture, par exemple, elle se rappelle que certains de

ses collègues de travail ont émis des commentaires négatifs sur sa capacité à obtenir un prêt

bancaire. À ce même moment, une de ses collègues, une secrétaire d’origine belge, tentait,

elle aussi, d’obtenir un prêt pour acheter une voiture. Valentina rapporte que les des gens au

bureau plaisantaient en disant qu’il serait sûrement plus facile pour une Européenne

d’obtenir un prêt que pour une Péruvienne. Elle explique :

Pour ma première auto, ça s’est fait en 45 minutes. Et alors c'était comme, parfois, j'étais comme, les commentaires au bureau des gens… Parfois, les gens me faisaient des blagues comme : « Mais pour le Pérou, cela va être beaucoup plus difficile ». Et comment tu sais ? Et à la fin, ça n'a pas été comme ça, parce que pour moi, c'était super facile à cause de ma carrière, à cause de mon salaire. Ce n'était pas haut, mais c'était plus haut qu'une secrétaire. Et dans le logement qu'elle payait, c'était comme trop cher pour son salaire, le mien non, alors c'est ça. Les circonstances faisaient que pour moi, il y avait des démarches qui se faisaient plus facilement et parfois, c'était comme… Les personnes n'en revenaient pas. Comment est-ce possible que pour une Péruvienne cela puisse être facile la démarche et pour un Européen, ça ne puisse pas être facile ? Mais qu'est-ce que ça a d’étrange ? Qu'est-ce que ça fait que je vienne du Pérou et que l'autre personne vienne de la Belgique ? Ça n'a rien à avoir. Ce qui compte, c'est les papiers qu'on présente. Il y a des choses qu'au début je ne comprenais pas très bien. Après, on s'habitue à savoir qu’OK, ouais, pour les gens, ils ont comme trop d'informations, de ce qu'ils voient à la télévision, et tout ça, qu'elles vont leur faire penser plein de choses qui ne sont pas nécessairement vraies, ou pas nécessairement juste à la situation (Valentina, entrevue F4).

D’autres répondants décrivent des situations similaires. Pablo, qui a travaillé dans un

supermarché, révèle que ses collègues faisaient parfois des blagues parce qu’il était Latino :

Page 148: L’immigration péruvienne au Québec

132

Au supermarché, j'ai eu certains problèmes avec des personnes qui refusaient, qui disaient qu'il y a trop de Latinos ici, quelque chose comme ça, moitié blague, moitié vrai. On ne sait pas. Mais il y a eu ce ton, qu'on peut dire. On peut dire des conflits, de petits conflits, des blagues, qui sont, je pense, de mauvais goût. Des fois, par exemple, moi quand j'étais au supermarché, il y a le gérant, le nouveau gérant qui était arrivé. Avec les anciens gérants, je les connaissais, ils me connaissaient, donc il n'y avait aucun problème. Mais avec le nouveau, il a été surpris que je sois étudiant de doctorat, alors il se moquait de moi, me disant docteur, des choses comme ça. Mais j'ai ressenti qu'il y avait un sens ironique, mais de mauvaise foi peut-être, par les choses qu'il disait (Pablo, entrevue M2).

Au sujet des blagues, Daniela trouve que ces dernières traduisent un certain malaise envers

les immigrants. Elle explique que ces blagues ont peut-être une part de vérité quant au

sentiment de certains Québécois par rapport à l’immigration. Alors que selon elle, le

Québec a besoin de main-d’œuvre immigrante pour combler des emplois, elle note aussi

que certains utilisent l’humour pour faire des blagues qui sous-entendent que les

immigrants « volent » du travail au Québécois. Elle soutient :

Quizás en las bromas... A veces cuando uno suelta bromas tiene un poco de verdad y no verdad, entonces algunas bromas que hay a veces siento que es como eso, […] no es que tú me estés haciendo un favor de darme un trabajo, o no es que estoy robando trabajo a quebequenses, porque a veces es eso, ¿no? Sino porque tengo capacidades que tu país necesita y que ustedes no tienen en este momento, ¿no? Eh…Eso más que nada en las bromas quizás en la forma de hablar de las personas, cómo se da cuenta de eso48 (Daniela, entrevue F16).

Andrea, quant à elle, souligne que certains de ses collègues ont de la difficulté à accepter

qu’une femme immigrante puisse occuper un poste d’analyste financière. Elle dit : « ce

n’est pas évident pour les Québécois, les Québécoises, de voir une femme étrangère

immigrante avec beaucoup plus de formation. Ça les choque, ça les fait se sentir mal, donc

c’est triste, mais ce n’est de pas ma faute » (entrevue F18). D’autres répondants

mentionnent que leurs collègues remettent parfois en question leurs qualifications

professionnelles. Christina, par exemple, se rappelle que lorsqu’elle a eu une promotion,

48 Peut-être que dans les blagues… Parfois lorsqu’une personne lance des blagues, il y a un peu de vérité et pas de vérité, alors certaines blagues parfois, je sens que c’est comme ça. […] Ce n’est pas que tu me fais une faveur en me donnant du travail, ou ce n’est pas que je suis en train de voler du travail aux Québécois, parce que parfois, c’est ça, non ? Mais c’est plutôt que j’ai les compétences dont ton pays a besoin en ce moment, non ? Eh… plus que tout, dans les blagues, peut-être que dans la façon dont les gens parlent, on se rend compte de ça.

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133

certains collègues ont suggéré qu’elle avait obtenu son poste seulement parce qu’elle avait

« coché minorité visible » dans sa demande d'emploi. Elle raconte :

Alors, j’aimais beaucoup ce job-là, mais après, j’ai eu une promotion et ça a fait la goutte qui a fait déborder le vase avec mes collègues de travail. Mais surtout avec les collègues de travail qui étaient dans la même situation que moi. J’ai entendu des gens dire : « Ah, parce que tu as coché minorité visible » (Christina, entrevue F13).

Elle ajoute :

Au travail, […] si tu as un job, on va dire, pourquoi tu vas donner quelque chose à un immigrant, alors qu’on peut le donner à quelqu’un d’ici, surtout des postes bien payés. C’est complètement légitime, surtout dans une situation économique quand on est en récession et qu’il n’y a pas de jobs, je peux comprendre. Mais il y a certains jobs que pour avoir un poste, il faut que tu sois testé, ce n’est pas quelqu’un qui m’a choisi et qui m’a donné. Mais il y a cette… un peu… oui, je l’ai ressenti, je l’ai ressenti souvent. Mais, je te jure que des fois c’est juste le besoin que quelqu’un fasse le job qu’il faut faire et tu sais qu’ils vont oublier. C’est partout, c’est normal. C’est des choses qu’on ne doit pas prendre personnel, c’est juste ça. Si c’était chez nous, on réagirait de la même façon, qu’on vient voler (entrevue F13).

Dans ce passage, Christina justifie l’attitude de ses collègues en disant que « c’est normal »,

que si cela se passait au Pérou, « on réagirait de la même façon, qu’on vient voler ». Tout

comme Daniela, elle mentionne alors l’idée que les immigrants « volent » des emplois aux

Québécois. Pour Christina (ainsi que pour Daniela et bien d’autres répondants d’ailleurs),

c’est tout à fait compréhensible que les membres de la société d’accueil réagissent ainsi

envers les immigrants. Pour plusieurs répondants, il est en fait normal que les Québécois

soient protecteurs par rapport à leurs emplois, surtout lors de situations économiques

difficiles. Christina dit d’ailleurs en riant que « quand tu n’as pas de jobs, les gens, ils

blâment les immigrants » (entrevue F13).

Alors que Christina parle des immigrants en général, d’autres participants à la recherche

apportent une nuance en précisant que les immigrants sont perçus et classés différemment

selon leur provenance. Valentina, entre autres, trouve que les immigrants reçoivent un

Page 150: L’immigration péruvienne au Québec

134

traitement différentiel au travail, qui varie selon leurs origines. Pour elle, il ne fait aucun

doute que les immigrants d’origine européenne sont davantage appréciés et valorisés :

Valentina : Dans mes autres emplois aussi, je l’ai vu, mais j’étais quand même, je ne m’en rendais pas bien compte. Aujourd’hui, je me rends mieux compte de certaines choses. Par exemple, si un immigrant vient de l’Europe, il y a des gens qui vont tomber inconscient d’émotion. Geneviève : Dans quel sens ? Valentina : Quand un immigrant vient de l’Europe, il arrive souvent que les personnes d’ici le considèrent comme « Ah, elle est tellement sophistiquée la personne, elle est tellement… ». Alors que quand un immigrant vient de l’Amérique du Sud, c’est un peu comme, on se fait poser des questions comme si on a de l’électricité là-bas. C’est vraiment, parfois les gens ont des idées qui sont totalement fausses. Eh oui, on a des habitudes différentes. Il y a des choses qui après le temps, on se rencontre qu’il faut se comporter d’une manière différente aussi. Peut-être être moins ouvert, peut-être qu’il faut être moins joyeux. Peut-être que d’une certaine façon, peut-être qu’on est trop des personnes expressives, des choses comme ça et parfois les gens peuvent les prendre comme : « euh ce n’est pas leurs habitudes ». Peut-être que les gens d’ici ont plus en commun avec les gens de l’Europe, mais ce sont des choses que, par exemple, dans mon premier emploi, je ne me rendais pas compte de ce type de choses. Après le temps, c’est comme si ah OK, maintenant je vois ça (Valentina, entrevue F4).

José renchérit en expliquant que les Européens ne sont pas vraiment considérés comme des

immigrants en comparaison aux autres groupes d’immigrants non blancs.

No les dicen a los europeos tu eres inmigrante. Solamente les dicen a los latinos. Es una especie de racismo. Inmigrante, les dicen al chino, al latino, o al negro, no al blanco. Uno se da cuenta cuando pasa el tiempo. No es justo, pero no se puede cambiar. Tienes que ir con eso. […] En mi trabajo, las secretarias son rubias. Es una cuestión de imagen. Todos los que lavan son inmigrantes49 (José, entrevue M11).

Dans son travail, José constate que les postes sont organisés selon une échelle racisée, alors

que les secrétaires sont blondes (c’est-à-dire des femmes blanches) et les concierges sont

tous des « immigrants » (c’est-à-dire des personnes de couleur). Il explique que c’est une

49 Ils ne disent pas aux Européens tu es immigrant. Ils le disent seulement aux Latinos. C’est une espèce de racisme. Immigrant, ils le disent au Chinois, au Latino, ou au Noir, pas au blanc. On se rend compte de ça avec le temps. Ce n’est pas juste, mais ça ne peut pas changer. Tu dois y aller avec ça. […] À mon travail, les secrétaires sont blondes. C’est une question d’image. Tous ceux qui lavent sont des immigrants.

Page 151: L’immigration péruvienne au Québec

135

question d’image et qu’il n’y a rien à faire, « il faut y aller avec ça ». Il remarque aussi que

l’épithète « immigrant » est seulement attribuée aux immigrants non blancs (tels les

Chinois, les Latinos ou les Noirs). José, qui occupe un emploi non qualifié comme

concierge dans une compagnie de nettoyage, est le seul des répondants à décrire une telle

situation au travail. Comme plusieurs des répondants occupaient des emplois de cols blancs

dans des bureaux (surtout de niveau technique), nous pouvons supposer que cette hiérarchie

est peut-être moins saillante dans ces milieux. Il faudrait conduire davantage de recherche

afin de vérifier cette hypothèse.

Mis à part les blagues et les commentaires déplacés, certains répondants ont aussi révélé un

autre type de microagression, soit l’isolation. Mario, par exemple, remarque que les

Québécois sont plus froids envers lui qu’envers d’autres Québécois. En parlant de ses

relations au travail avec les collègues québécois, il dit :

C'est une bonne relation. Cordiale, je dirais, avec tous, non. Mais des fois, je sens que les Québécois ne sont pas expressifs, silence. Par exemple, avant-hier c'était mon anniversaire, mais seulement une personne m'a salué. Mais, ils ne vont pas dire qu'ils ne savaient pas, parce qu'il y a une feuille. Ce sont des petites choses. Ou, je ne sais pas, mais d'un côté ils sont très expressifs, mais d'un autre côté, quand il s'agit des relations de travail, ils sont un peu froids, je pense. En tous cas, ce n'est pas comme les Péruviens, non. Mais, en général, c'est une bonne relation (entrevue M3).

Bien que Mario précise qu’il s’agisse d’une bonne relation, il trouve tout de même que les

Québécois sont « froids ». Valentina rapporte une expérience semblable. Elle trouve que

certains collègues québécois sont davantage sociables entre eux qu’avec elle. Elle

explique :

Mais aussi, par exemple, je vois parfois que c'est beaucoup plus ouvert la relation de certains employés avec des… Mettons, quand nous on est entré à ce travail, nous étions quatre personnes qui sommes entrées ensemble, parce qu’il y avait une demande pour quatre personnes à ce moment. Normalement, c'est une personne à la fois qui entre. Les trois autres étaient des Québécois. Et alors j'ai vu qu'il y avait certaines personnes qui étaient ouvertes avec tout le monde, comme il y a certaines personnes qui étaient plus ouvertes avec les trois autres qu'avec moi. Des situations dans le travail qui… Même des situations sociales dans le travail… Moi j'étais comme, je ne comprends pas. Mais, je pensais bon, ce n'est pas vraiment mon problème. Non, moi, je suis venue

Page 152: L’immigration péruvienne au Québec

136

ici pour travailler pas pour faire des amitiés. Et il y a des personnes avec qui je m'entends super bien [...] comme il y des personnes avec qui je vois que c'est un peu une question de… On se méfie, on se méfie un peu des gens qui viennent de l'extérieur. Ils n'ont pas d'ouverture d'esprit (Valentina, entrevue F4).

Notons qu’en réponse à toutes ces situations, tous les immigrants interrogés sont proactifs

dans leur milieu de travail. D’aucuns se laissent décourager parce ce qu’ils peuvent vivre

ou ce qu’ils peuvent entendre. Plusieurs rationalisent d’ailleurs l’attitude de certains

Québécois en se disant qu’il est normal que ces derniers puissent se sentir menacés par

l’immigration, surtout en temps de conjonctures économiques difficiles. Faisant preuve

d’agentivité, nombreux répondants disent également qu’ils travaillent plus fort (voir plus

fort que certains Québécois ou certains autres groupes immigrants) et qu’ils sont très

appréciés par leurs supérieurs et leurs collègues. En fait, de nombreux répondants émettent

un « contre-discours » qui définit les immigrants péruviens et sud-américains comme des

gens extrêmement travaillants50.

5.4 Conclusion

L’analyse de l’insertion socioéconomique des répondants révèle que ces derniers font face à

différentes difficultés. En premier lieu, la question de la langue a été mentionnée par tous

les répondants. Perçue par tous comme une condition sin qua non à l’intégration, la maîtrise

de la langue française s’est avérée par ailleurs non suffisante pour assurer un traitement

égal en toute circonstance et en tout temps. En effet, en nous basant sur le concept de

capital linguistique, nous avons vu que plusieurs répondants ont vécu des situations où ils

étaient discriminés en raison de leur accent hispanophone (notamment lorsqu’il s’agit de

trouver un logement et dans les milieux de travail et d’études). Non seulement faut-il parler

français, mais il semble aussi qu’il faut le parler sans trop d’accent – ou du moins avec le

moins d’accent « latino » possible – pour minimiser les traitements discriminatoires.

50 Dans le chapitre VII, portant sur l’identité, nous reviendrons sur le discours identitaire des participants qui construit les immigrants sud-américains comme des gens travaillants.

Page 153: L’immigration péruvienne au Québec

137

Malgré leur profil prémigratoire prometteur – une majorité des répondants détenaient un

diplôme d’études universitaires et tous appartenaient à la classe moyenne – plusieurs des

participants ont aussi vécu des difficultés sur le plan de l’insertion socioprofessionnelle.

Compte tenu du contexte sociétal général où les diplômes et l’expérience acquis dans des

pays non occidentaux sont souvent dévalués, les immigrants racisés d’origine latino-

américaine sont systémiquement déqualifiés sur le marché du travail. Par ailleurs, ce qui

ressort des entrevues, ce sont aussi les diverses stratégies déployées par les répondants pour

se trouver un emploi. Parmi ces stratégies, il appert qu’il y a un consensus bien établi quant

à l’idée de se tourner vers les postes techniques, malgré la détention d’un diplôme

universitaire. En fait, plusieurs répondants ont mis en œuvre cette tactique de

déqualification « volontaire » avec succès. En décidant de ne pas rechercher des emplois

professionnels requérant une formation universitaire, ces répondants ont plutôt décidé de se

concentrer uniquement sur l’obtention d’un emploi de niveau collégial. D’autres ont changé

de secteur d’emploi ou encore, sont retournés aux études afin d’obtenir un diplôme d’une

institution québécoise. Étant extrêmement actifs dans leur recherche d’emploi et leur

stratégie d’insertion socioprofessionnelle (par exemple, opter pour un poste technique), une

majorité des répondants se sont dit tout de même satisfaits de leur emploi, et ce malgré la

déqualification. Il semble donc qu’en « acceptant » la déqualification, les attentes

socioprofessionnelles ont pu être modulées en conséquence.

Dans les milieux de travail, les répondants ont aussi vécu une discrimination – quoique

subtile – prenant parfois la forme de microagressions. Dévalorisés en raison de leurs

origines, les immigrants péruviens interrogés doivent faire face à des milieux de travail

parfois hostiles. Se manifestant sous forme de blagues, de commentaires déplacés ou

d’attitude qui tendant à exclure l’Autre, toutes ces microagressions ont un impact sur le

climat au travail. Par ailleurs, ce qui ressort de l’ensemble des entretiens, c’est surtout

l’agentivité des répondants, qui face à l’adversité, font preuve de résilience pour trouver un

emploi, un logement, bref pour « s’intégrer ». Dans le prochain chapitre, nous verrons que

la mobilisation de différents réseaux sociaux joue un rôle central dans les trajectoires

d’insertion des immigrants.

Page 154: L’immigration péruvienne au Québec

138

Chapitre VI. Les réseaux sociaux et l’immigration

Le processus d'intégration, peu importe où l’on va, c'est long. On ne s'attend pas, dès qu'on

arrive, à ce que le travail va nous attendre avec les bras ouverts. Les meilleures références, ce

sont les gens de Québec. Il faut établir des réseaux, des contacts, tout ça.

– Emilia (entrevue F9)

Dans l’ensemble des entrevues, les participants ont parlé des divers réseaux sociaux qu’ils

avaient mobilisés tout au long de leur parcours, tant en période prémigratoire qu’une fois au

Québec. Dans les premiers temps de leur arrivée, les répondants se sont surtout tournés vers

des amis, des proches et des membres de leur famille pour s’installer, se loger et trouver

leur premier emploi – entretenant ici des relations caractérisées par des liens forts selon la

théorie de Granovetter (1973). Plusieurs ont par la suite compté sur le développement de

liens faibles (Granovetter, 1973) – via des contacts professionnels, des contacts

institutionnels, des connaissances rencontrées lors d’une formation, etc. –, pour chercher

des emplois plus qualifiés et rémunérateurs. Comme le dit si bien Emilia, il fallait « établir

des réseaux, des contacts, tout ça ».

En nous référant à la catégorisation utilisée par Béji et Pellerin (2010), nous pourrions aussi

affirmer que les répondants ont utilisé à la fois leur réseau social informel (constitué

d’amis, de voisins, de la famille et de membres de leur groupe ethnoculturel) et leur réseau

formel (comprenant l’ensemble des institutions formelles qui peuvent soutenir et informer

les nouveaux arrivants quant aux questions relatives à leur intégration et à leur recherche

d’emploi). À l’intérieur de ce dernier réseau, Béji et Pellerin (2010) distinguent le réseau

Page 155: L’immigration péruvienne au Québec

139

institutionnel (composé entre autres d’instances gouvernementales et d’ordres

professionnels) du réseau communautaire (incluant par exemple les organismes

communautaires et les associations). Notons également que le réseau social informel peut

comprendre à la fois des liens forts (amis proches et membres de la famille immédiate, par

exemple) et des liens faibles (des connaissances, des amis d’amis, etc.), alors que le réseau

formel serait surtout constitué de liens faibles (où un individu est en contact plus formel

avec un conseiller en emploi, un représentant gouvernemental, etc.).

À cette typographie, ajoutons aussi le réseau transnational des immigrants – comprenant à

la fois des relations caractérisées par les liens forts et des liens faibles – qui semble avoir

joué un rôle de premier plan dans l’organisation et l’opérationnalisation de leur projet

d’immigration et leur stratégie de recherche d’emploi. Une fois au Québec, tous les

répondants ont dit maintenir des liens sociaux et familiaux avec leur famille et leurs amis

restés au Pérou. Grâce à Internet et à ses plateformes d’échanges virtuels (tel Skype et

Facebook), les Péruviens habitant au Québec peuvent rester en contact avec leurs proches

régulièrement, voire de façon quotidienne. Cette forme de transnationalisme, caractérisée

par les liens sociaux entretenus au-delà des frontières nationales (Diminescu, 2010,

Nedelcu, 2010, Vatz Laaroussi, 2009), s’est aussi manifestée en période prémigratoire,

alors que les répondants préparaient leur projet d’immigration.

Dans ce chapitre, il sera d’abord question des réseaux prémigratoires au sein desquels les

répondants entretiennent divers liens transnationaux (particulièrement via Internet et ses

technologies adjacentes) afin d’informer, d’orienter et de faciliter leurs différentes

démarches d’immigration et d’intégration. Nous examinerons par la suite les réseaux

sociaux informels constitués de liens forts – surtout ceux mobilisés en début de parcours

pour les premiers emplois. En dernier lieu, nous examinerons les réseaux formels et les

réseaux sociaux informels composés de liens faibles – permettant d’accéder à de meilleurs

emplois, dont des emplois plus qualifiés.

Avant d’aller plus loin dans l’analyse des réseaux des répondants, précisons d’emblée deux

termes importants : soit ce que nous entendons par 1) « réseaux sociaux » et 2) emplois dits

Page 156: L’immigration péruvienne au Québec

140

« qualifiés », comparativement aux emplois dits « peu qualifiés ». Pour les réseaux sociaux,

Vincent Lemieux propose la définition suivante : « les réseaux sociaux sont faits de liens,

généralement positifs, forts ou faibles, tels qu’il y a une connexion directe ou indirecte de

chacun des participants à chacun des autres, permettant la mise en commun des ressources

dans le milieu interne » (2000 : 18). Lemieux ajoute qu’il importe de se pencher sur le

caractère potentiel des réseaux sociaux. Le sociologue précise alors qu’il y a une distinction

importante entre réseau potentiel et réseau activé en ce qui a trait à l’usage des réseaux

sociaux :

Le réseau personnel d’un individu, fait des personnes qu’il a déjà rencontrées, qu’elles soient des proches ou des « connaissances », peut être considéré comme un réseau potentiel. Ce réseau est activé, de façon plus ou moins étendue, quand une partie du réseau potentiel entre en action, comme c’est le cas dans le déroulement du test visant à montrer que le monde est petit (Lemieux, 2000 : 39).

Dans ce chapitre, nous verrons que plus les répondants ont des liens faibles dans leur réseau

social potentiel, plus leur recherche d’emploi s’en trouve facilitée. En fait, il appert que

c’est à la fois le développement de liens faibles et le recours au réseau formel qui

contribuent à l’obtention d’emplois plus qualifiés. Précisions maintenant ce en quoi

consistent ces derniers et ce qui les distingue des emplois peu qualifiés.

La typologie proposée par Luc Cloutier-Villeneuve (2014) s’avère fort utile pour

différencier ces deux catégories d’emploi. Selon cet analyste en statistiques du travail, les

emplois qualifiés correspondent « aux emplois de gestion, aux emplois de niveau

professionnel (professions exigeant habituellement une formation universitaire) et aux

emplois de niveau technique (profession exigeant habituellement une formation

collégiale) » (Cloutier-Villeneuve, 2014 : 5). En revanche, les emplois moins qualifiés

correspondent « aux autres emplois de niveau technique (professions exigeant

habituellement une formation postsecondaire, mais non de niveau collégial) et aux emplois

de niveaux intermédiaire et élémentaire (professions exigeant habituellement une formation

secondaire ou moins) » (Cloutier-Villeneuve, 2014 : 5). Luc Cloutier (2008) ajoute des

éléments à cette définition en y incluant deux dimensions, soit la qualité de l’emploi et les

secteurs d’emploi. À cet égard, le passage suivant illustre bien la distinction entre les

Page 157: L’immigration péruvienne au Québec

141

emplois « qualifiés » et les emplois « semi ou peu qualifiés » en tenant compte de la qualité

et des secteurs :

Un des aspects souvent mis de l’avant dans l’appréciation de la qualité des emplois est le fait que ceux-ci soient qualifiés (ou hautement qualifiés). En effet, les emplois qui exigent des compétences élevées sont généralement associés à une plus grande qualité puisqu’ils contribuent directement à l’élaboration ou à la mise en œuvre des orientations des entreprises ainsi qu’au développement de ces dernières. On retrouve souvent des emplois qualifiés dans les secteurs reliés à l’économie du savoir (services professionnels, scientifiques et techniques, domaine financier, etc.) qui font partie des industries des services dynamiques. En revanche, les emplois semi ou peu qualifiés, qui sont surtout le lot des secteurs nécessitant moins de connaissances (l’hébergement, la restauration, les services personnels et les services aux entreprises autres que techniques et professionnels), sont fréquemment de moindre qualité du fait qu’ils exigent une faible formation et offrent souvent de bas salaires (Cloutier, 2008).

Cette distinction entre ces deux types d’emploi est d’autant plus importante puisque la

majorité des répondants (et l’ensemble de ceux admis comme travailleurs qualifiés)

espéraient à terme occuper un emploi qualifié, requérant minimalement une formation

collégiale. C’est donc en se basant sur ces définitions proposées par Cloutier (2008) et

Cloutier-Villeneuve (2014) que nous examinerons comment les répondants de notre étude

ont recherché et acquis des emplois – à la fois qualifiés et semi ou peu qualifiés – en faisant

appel à divers réseaux. Penchons-nous d’abord sur les réseaux transnationaux des

répondants en période prémigratoire.

6.1 « S’informer, s’informer, s’informer » : réseaux virtuels et liens transnationaux en

période prémigratoire

Contrairement aux cohortes précédentes, plusieurs immigrants qui arrivent au Québec

depuis le début des années 2000 ont de plus en plus accès à un vaste éventail

d’informations avant leur départ. Non seulement les amis et la famille déjà installée dans le

pays d’accueil peuvent soutenir et informer les immigrants sur la vie dans la nouvelle

société, mais les réseaux sociaux virtuels servent aussi à orienter et organiser le projet

d’immigration (Vatz Laaroussi, 2009). Les répondants interrogés avaient tous des amis et

de la famille déjà installés au Québec qui ont joué un rôle crucial dans la prise de décision

Page 158: L’immigration péruvienne au Québec

142

d’immigrer et dans l’organisation de l’arrivée dans le nouveau pays. Plusieurs d’entre eux

avaient une sœur, un frère, un cousin, une tante, un oncle ou encore un ami qui les

attendaient au Québec et qui échangeaient régulièrement avec eux avant leur arrivée. En

plus de ce soutien caractérisé par la mobilisation de liens forts, plusieurs répondants ont

mentionné qu’ils avaient joint des forums de discussion sur Internet afin de s’informer le

plus possible avant de quitter leur pays. Pour un grand nombre de Péruviens, ces réseaux

sociaux virtuels, transnationaux et informels (surtout caractérisé par des liens faibles) se

sont avérés fort utiles. Enfin, une minorité de répondants ont aussi effectué une visite

prémigratoire au pays d’accueil avant de prendre la décision définitive d’immigrer.

6.1.1 Les réseaux virtuels Lorsque Veronica a décidé de poser sa candidature pour être admise comme travailleuse

qualifiée au Canada, elle s’est rapidement inscrite à un forum de discussion sur Internet

regroupant des Péruviens déjà installés au Québec ainsi que des Péruviens habitant au

Pérou qui désiraient immigrer dans la province francophone ou ailleurs au Canada. Elle

explique qu’avoir accès à un tel réseau virtuel l’a grandement soutenu pour préparer sa

demande d’immigration, s’informer sur ses perspectives de travail et sur tout autre sujet

relatif à « la vie au Canada ». Dans l’extrait suivant, Veronica explique bien comment ce

groupe l’a « beaucoup aidé » :

Veronica : Je me suis inscrite dans un groupe qui s’appelle « Péruviens au Canada ». Ça, c’est le groupe qui m’avait aidé à répondre à toutes mes questions, un groupe qui a été créé par un garçon qui était ici [à Montréal]. Et après, tout le monde avait commencé à s’enregistrer. C’était bon parce que pour les gens qui se trouvent spécialement à l’extérieur, il y avait trop de questions, ou simplement connaître une personne. On ne savait pas comment c’était la météo, la température, des choses très basiques qu’on veut savoir. Et là-bas, vraiment on t’aide, ce groupe m’avait beaucoup aidé. Geneviève : Un forum de discussion sur Internet ? Veronica : Oui, oui. Je sais que dans d’autres pays, ils avaient créé des groupes comme ça, un groupe Yahoo. Geneviève : Qui vous avait dit que ça existait ? Veronica : Cette une amie et c’est elle qui m’avait dit. Et une fois que je m’étais inscrite, ça m’avait aidé à connaître beaucoup de gens à travers Internet et aussi des gens qui étaient dans le processus d’immigration. On se rencontrait avant pour se connaître et échanger des informations sur la vie au Canada (Veronica, entrevue F19).

Page 159: L’immigration péruvienne au Québec

143

Les réseaux virtuels, incluant le type de réseau utilisé par Veronica, servent donc à

favoriser et orienter la mobilité en créant des liens entre immigrants potentiels dans la

société d’origine et récents immigrants dans la société d’accueil. Leloup et Radice (2008)

parlent alors de la formation de « communautés émancipées » qui ne sont plus rattachées

seulement à des espaces géographiques, mais qui dépassent plutôt les frontières. Vatz

Laaroussi (2009), quant à elle, explique judicieusement la présence d’un « processus de va-

et-vient entre le local et l’a-spatial » :

[i]l y a dès lors un processus de va-et-vient entre le local et l’a-spatial permis par le réseau virtuel ainsi que coexistence de réseaux virtuels globaux et de réseaux localisés. Et c’est ce foisonnement du virtuel déterritorialisé et des réseaux relocalisés qui permet à la fois circulation de nouveaux flux migratoires, l’entraide réciproque qui en assure la pérennité et l’investissement d’espaces locaux jusqu’alors méconnus, comme certaines régions du Québec (Vatz Laaroussi, 2009 : 105).

C’est justement le recours à ces réseaux virtuels qui a permis une meilleure planification du

projet d’immigration avant de partir, tout en favorisant la création de liens entre immigrants

potentiels et récents immigrants au Québec.

À l’instar de Veronica, Liliana et Miguel ont aussi participé à des groupes de discussion sur

Internet avant d’immigrer. Pour ces derniers, il importait par ailleurs d’aller au-delà de ces

forums afin de contrevérifier l’information qui y circulait. L’importance de mobiliser

différentes sources d’informations a été soulignée par plusieurs des répondants. À ce sujet,

Liliana explique qu’il ne faut pas tenir pour acquis tout ce qui circule sur les sites de

discussions virtuels :

Liliana : El mensaje que se transmite, al menos en el momento en que nosotros estábamos haciendo [nuestra aplicación de inmigración], era que se necesitaban muchos trabajadores, que había una gran oferta de trabajo y no había gente para cubrirla. Ese era el mensaje que se transmitía, que nosotros… por lo menos es el mensaje que yo recibí en algunas charlas que se realizan [por Internet]. Pero un poco haciendo la recherche en Internet desde allá, ya tú te das cuenta que okey, es cierto, pero en ciertos campos, bajo ciertas condiciones. No es que cualquiera va a venir y al día siguiente va a trabajar. O al mes. Okey, el mensaje, okey, necesitan trabajadores,

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144

pero tienes que ir un poco más allá, más atrás del mensaje que es en ciertos dominios, en ciertos tiempos, después de hacer ciertas formaciones después de... Ese detalle es el que a veces no se llega a transmitir. Entonces hay muchas personas que escuchan “falta gente” y toman el tren de venida. Y esas son las primeras desilusiones en su vida. Geneviève : Ya, ¿pero ustedes cómo saben que no funciona así? Liliana : Es la recherche51 (Liliana, entrevue F21).

Elle renchérit :

Nuestro principal consejo es de informarse lo más que se pueda. Porque, por ejemplo, si alguien nos pregunta ahorita, el proceso que tuvimos, de repente vi que el proceso ya ha cambiado, tiene cambios. Entonces yo te puedo decir mi experiencia, pero infórmate tú también. Esa es otra cosa que también es cierta, escuchar el consejo de amigos, la opinión de amigos, pero no tomarla al pie de la letra52 (Liliana, entrevue F21).

Alberto émet le même type de commentaire lorsqu’il dit : « Avec l'Internet, j'ai cette

habitude de m'informer sur n'importe quel sujet. M'informer, m'informer, m'informer. Je

n'aime pas les études, mais j'aime ça m'informer » (entrevue M6). Il y a donc un consensus

quant à la nécessiter de s’informer et de contrevérifier différentes sources d’information

pour bien préparer son projet migratoire. Une des stratégies utilisées par les Péruviens a

51 Liliana : Le message qui est transmis, du moins au moment où nous faisions [notre demande d’immigration], était qu’ils avaient besoin de beaucoup de travailleurs, qu’il y avait une grande offre de travail et qu’il n'y avait personne pour répondre à cette demande. C’était le message qui était transmis, que nous ... du moins c’est le message que j'ai reçu dans certaines conversations qui ont eu lieu [sur Internet]. Mais en faisant un peu de recherche sur Internet à partir de là, et tu te rends compte qu’OK, c’est vrai, mais dans certains domaines, sous certaines conditions. Ce n’est pas comme si quelqu'un viendra et le lendemain, il travaillera, ou dans un mois. OK, le message, OK, ils ont besoin de travailleurs, mais il faut aller un peu plus loin derrière le message. C’est dans certains domaines, à certains moments, après avoir fait certaines formations après... Ce détail est parfois celui qui n’arrive pas à être transmis. Alors, il y a beaucoup de personnes qui entendent « il manque des gens » et ils prennent le prochain train. Et ce sont les premières désillusions dans leur vie. Geneviève : Comment saviez-vous que cela ne fonctionne pas comme ça ? Liliana : Es la recherche. 52 Notre principal conseil c’est de s’informer autant que possible. Parce que, par exemple, si quelqu'un nous demande en ce moment, le processus que nous avons eu, parfois j’ai vu que le processus a changé, il y a des changements. Alors, je peux te dire mon expérience, mais informe-toi aussi toi-même. C'est une autre chose qui est vraie aussi, écouter les conseils d'amis, l'opinion des amis, mais ne pas la prendre au pied de la lettre.

Page 161: L’immigration péruvienne au Québec

145

d’ailleurs été de s’informer directement auprès de leur famille et leurs amis déjà installés au

Québec.

6.1.2 Les liens forts transnationaux En plus des forums de discussion sur Internet, des blogues et de différents sites web, les

éventuels immigrants péruviens communiquaient régulièrement avec leurs familles et amis

qui étaient déjà au Québec. Ce va-et-vient d’échanges constants, facilités par les différentes

technologies de l’information et des communications (TIC) – dont les courriels, les divers

réseaux sociaux numériques, mais aussi la téléphonie mobile, Skype et les textos – leur a

permis de s’informer continuellement sur le Québec. Les ressortissants péruviens déjà

établis au Québec ont partagé leurs expériences avec les immigrants potentiels et leur ont

donné des conseils, notamment sur la recherche d’emploi et les perspectives de travail. Il

semble que toute cette communication, mobilisée conjointement avec les groupes de

discussion en ligne, a permis aux répondants de moduler leurs attentes en regard de leur

projet d’immigration. Avant de partir, la plupart d’entre eux se disaient déjà au courant des

difficultés qui les attendaient sur le marché du travail (telle la non-reconnaissance de leur

diplôme et de leur expérience acquis au Pérou). C’est notamment le cas de Pablo.

Bien au fait que sa maîtrise en administration ne serait probablement pas reconnue au

Québec, Pablo, qui était chef régional d’une caisse populaire au Pérou, se disait qu’il était

prêt à travailler dans le domaine du nettoyage une fois arrivé dans son nouveau pays. Il

avait ajusté ses attentes au plan socioprofessionnel en fonction de ce qu’il avait appris en

période prémigratoire. Il explique qu’il était « mentalisé » à faire du ménage. En arrivant au

Québec, ce fut d’ailleurs le premier emploi qu’il a occupé :

Alors, j'ai connu un autre Péruvien qui avait une entreprise de nettoyage et il m'a donné quelques heures pour faire du nettoyage. J'étais mentalisé à faire ça quand je suis venu ici. Je me rappelle ma dernière journée à la caisse municipale, je me suis réuni avec tout le monde. J'ai appelé spécialement tous les travailleurs de nettoyage là-bas. Et tout le monde était surpris. Je commençais à les saluer, parce que je me disais à l'intérieur, je ferai au Canada peut-être les choses que vous faites. Je n’ai jamais raconté ça. Les ouvriers de nettoyage là-bas étaient surpris, parce que moi j'étais le chef. Serrer la main

Page 162: L’immigration péruvienne au Québec

146

avec eux, ce n'était pas bien vu. Je le fais toujours, mais c'est différent, c'est un peu la stratification sociale. Mais normalement, c'est mal vu (Pablo, entrevue M2).

Ici, Pablo fait explicitement référence à la stratification sociale qui prévaut au Pérou.

Conscient qu’il risquerait de connaître une mobilité socioprofessionnelle descendante en

immigrant – passant d’un poste de cadre à celui de col bleu –, il était tout de même prêt à

poursuivre son projet migratoire, même si cela impliquait sûrement un changement de

catégorie socioprofessionnelle. Lorsque Pablo est arrivé au Québec, il a accepté un premier

emploi comme nettoyeur, soit un poste moins bien payé, moins prestigieux et lui conférant

moins de pouvoir que son ancien emploi de chef régional d’une caisse populaire au Pérou.

Pablo a fait ce choix en toute connaissance de cause. Avant de partir, il savait qu’il allait

subir une déqualification professionnelle, et par le fait même, une certaine dislocation en

matière de classe sociale.

C’est aussi en acceptant une certaine mobilité socioprofessionnelle descendante que

Veronica a préparé son projet d’immigration au Québec. Après avoir parlé avec une de ses

amies qui vivait déjà au Québec, elle s’est basée sur l’expérience de cette dernière pour

parfaire sa formation au Pérou. Quand elle a su qu’il serait plus facile pour elle de travailler

comme analyste-programmeuse (un poste technique), elle a abandonné l’idée d’être

analyste fonctionnelle au Québec. Alors qu’elle occupait un poste de niveau professionnel

en tant qu’analyste fonctionnelle au Pérou, elle a décidé de cibler au Québec les emplois

d’analystes-programmeurs, soit des postes plus techniques (et plus facile à décrocher).

Avant d’immigrer, elle a donc complété au Pérou un cours de niveau technique dispensé

par Microsoft, lui permettant d’acquérir une qualification en programmation reconnue

internationalement. En se référant à l’expérience de son amie, elle explique cette décision

ainsi :

C’est qu’elle, tout son groupe d’amis travaillait comme analyste-programmeur pour une entreprise et le salaire était tellement bon parce que cette division n’existe pas ici. Et ce n’est pas comme au Pérou. Comme je dis, c’est complètement différent. Le côté technique, tu peux gagner facilement plus que l’autre côté [professionnel]. C’est ça que j’ai décidé quand je suis retournée au Pérou, une autre fois. Je vais retourner comme analyste-programmeur comme quand j’avais commencé. Parce que je savais que c’est plus facile pour m’insérer dans le travail. Pour le côté langue, tu n’as besoin de trop de

Page 163: L’immigration péruvienne au Québec

147

[connaissances], à la différence de si tu voudrais travailler comme analyste fonctionnel, tu dois maîtriser bien les deux langues [le français et l’anglais]. C’est comme ça que j’ai commencé à faire des certifications là-bas, Microsoft, oui, parce que si tu fais la certification internationale Microsoft, c’est la même pour tout le monde. La différence c’est qu’au Pérou ça ne coûte pas le même prix qu’ici. Ici, ça coûte cher, le prix c’est incroyable (Veronica, entrevue F19).

En dernière analyse, plusieurs autres répondants ont eu le même raisonnement que

Veronica et Pablo quant à l’acceptation d’une mobilité socioprofessionnelle descendante,

ce qui a eu pour effet de diminuer leurs attentes prémigratoires et de rendre ces dernières

plus « réalistes ». S’attendant au pire, la majorité des répondants était tout à fait disposée à

occuper des emplois en deçà de leurs qualifications, du moins pour une période temporaire.

N’ayant pas d’attentes démesurées au plan professionnel, il va de soi que plusieurs

répondants se sont dit somme toute satisfaits du travail qu’ils occupaient au moment de leur

entrevue. En bref, il semble que plusieurs des participants étaient au courant du paradoxe de

l’insertion socioéconomique des travailleurs qualifiés (présenté au premier chapitre), grâce

notamment à ce qu’ils avaient appris à travers les réseaux sociaux et grâce au maintien de

liens transnationaux avec leur famille et amis déjà installés au Québec. Ainsi, contrairement

à d’autres groupes d’immigrants pour lesquels l’Internet et les liens virtuels contribuent à

alimenter l’inconfort et la solitude et à cultiver la nostalgie liée au pays d’origine (Vatz

Laaroussi, 2009 : 104-105), les réseaux virtuels servent ici à mieux ajuster les attentes dans

le pays d’accueil. Une minorité de répondants (soit le quart d’entre eux, ou six personnes

sur 24) ont même eu l’occasion d’effectuer un séjour prémigratoire au Québec dans le but

de se familiariser avec leur éventuelle société d’accueil et de valider leur décision en regard

de leur projet d’immigration.

6.1.3 Les séjours exploratoires Avant de prendre la décision définitive d’immigrer, Gabriela est venue effectuer un premier

séjour au Québec afin de se « donner une chance », comme elle dit. Alors qu’elle hésitait

entre les villes de Montréal et de Québec, cette visite exploratoire lui a permis de voir

quelle localité elle préférait. Gabriela se souvient à quel point elle avait aimé la ville de

Québec lors de ce premier séjour. Elle raconte :

Page 164: L’immigration péruvienne au Québec

148

Bien finalement, j'ai dit, je vais me donner une chance. Je vais venir une semaine, une semaine et demie, voir c'est comment cet endroit. Je n’avais aucune idée. Puis, c'est comme ça que je suis venue en 2007 en septembre. J'étais à Montréal et à Québec. Mais finalement Québec, c'était le coup de cœur. Montréal, je n'ai pas aimé ça, parce que c'était trop comme les États-Unis, avec beaucoup de gratte-ciels, les gens parlaient anglais. Quand je suis arrivée ici, tout était petit, les gens parlaient français, puis je trouvais la ville plus calme, plus accueillante. Finalement, j'ai décidé l'année suivante de venir, mais après l'hiver. Sinon, je n'ai pas eu de regret, parce que je me cherchais un endroit pour m'installer qui a des possibilités de travail, m'établir. Puis j'ai trouvé que Québec était la ville parfaite pour moi (Gabriela, entrevue F12).

Valentina relate une expérience similaire. N’ayant jamais voyagé au Canada avant de

prendre la décision d’y immigrer, elle a décidé d’y effectuer un court séjour afin de visiter

quelques villes en Ontario et au Québec. Elle évoque l’expérience de son séjour ainsi :

J'avais beaucoup aimé ça quand je suis venue en 2003. Pourquoi la ville de Québec ? Oui, j'ai visité Toronto, Ottawa, mais cela m'avait plus charmé le côté de Québec. Et commencer ici et si je voyais qu'il n'y avait pas de travail, peut-être après aller dans une ville plus grande. Mais, pour commencer, je me suis dit que c'était bien la ville de Québec. En plus, le gouvernement conseillait d'aller dans des villes plus petites (Valentina, entrevue F4).

Six ans plus tard, en 2009, Valentina est arrivée à Québec comme travailleuse qualifiée. Si

Valentina et Gabriela ont toutes deux choisi de s’installer à Québec, d’autres comme

Liliana, ont plutôt choisi de s’établir à Montréal.

Après avoir réalisé un séjour prémigratoire à Montréal chez sa belle-famille, Liliana a pu

confirmer sa décision d’immigrer. Cette visite lui a en outre permis de mieux se préparer

puisqu’elle a réalisé qu’elle devait économiser davantage avant d’immigrer. Comme elle

l’explique, elle est retournée au Pérou avec l’idée d’« ahorar mas » [d’économiser plus] :

En la primera fue… La primera vez fue realmente ver la ciudad por primera vez. Vine en un tiempo que no era… estábamos en otoño, entonces todavía no hacía mucho frío. Empecé a ver, lo primero me acuerdo… el primer tema era, como economista que soy, un poco ver el tema de los precios. Esa fue una de las cosas por las cuales regresé a Perú con la idea de « necesito ahorrar más » [rires]. Y yo me acuerdo que esa primera vez, visité la escuela donde he hecho ahora mi maestría. La impresión de que me llevé fue una muy buena impresión de ver el orden que había. Me sorprendí mucho que las

Page 165: L’immigration péruvienne au Québec

149

personas hicieran cola para subir al bus, esperaran tranquilamente, me gustó mucho53 (Liliana, entrevue F21).

À l’instar de Valentina et de Gabriela, Liliana a pu faire le choix d’immigrer après un

séjour préalable dans le pays d’accueil. Liliana a même visité l’école où elle comptait faire

sa maîtrise. Chacune de ces répondantes, arrivée comme travailleuse qualifiée, précise

d’ailleurs qu’elle a aimé la ville où elle avait décidé d’y élire domicile. Le séjour

exploratoire sert donc à consolider la décision d’immigrer et à réassurer les répondantes

quant à leur projet d’immigration. Parmi les participants à cette étude, seul le quart d’entre

eux ont pu effectuer un tel voyage d’exploration. Il ne va sans dire que ces derniers

devaient disposer des ressources nécessaires (à la fois en termes de temps et d’argent) pour

soutenir pareille démarche. Uniquement ceux qui avaient suffisamment de ressources

financières et de temps libre ont pu se permettre une telle visite prospective dans l’éventuel

pays d’accueil, facilitant ainsi les préparatifs liés au projet d’immigration. Les autres,

n’ayant point voyagé au Québec en période prémigratoire, se sont informés auprès des amis

et de la famille déjà immigrés, en plus de consulter Internet (via les réseaux sociaux, les

sites web officiels du gouvernement du Québec, les blogues, etc.). Ce qui ressort des

entrevues, c’est le fait que la majorité des répondants, et plus précisément ceux arrivés

depuis les années 2000, était extrêmement bien préparée avant leur départ. Par exemple,

plusieurs des répondants étaient déjà au courant des difficultés d’employabilité qui les

attendaient sur le marché du travail. Une fois sur place, les amis et la famille déjà établie au

Québec ont offert un soutien initial crucial aux immigrants.

53 La première était... La première fois, c’était vraiment voir la ville pour la première fois. Je suis venue à un moment qui n'a pas été ... nous étions en automne, alors il ne faisait pas encore très froid. Je commençais à voir, en premier je me souviens ... la première question était, en tant qu'économiste, un peu voir la question des prix. Ce fut l'une des choses pour lesquelles je suis retournée au Pérou avec l'idée de « j’ai besoin d'économiser plus » [rires]. Et je me souviens que cette première fois, j’ai visité l’école où j’ai fait ma maîtrise. L'impression que j’ai gardée était une très bonne impression de voir l'ordre qu’il y avait. J'ai été très surprise que les gens fassent la queue pour monter à bord du bus, attendant tranquillement, j'ai vraiment aimé.

Page 166: L’immigration péruvienne au Québec

150

6.2 L’importance des liens forts et du réseau informel une fois au Québec

Immigrer dans un nouveau pays n’est pas facile. Pour les immigrants interrogés dans le

cadre de cette recherche, cette expérience peut être d’autant plus ardue, puisque ces

derniers se trouvent confrontés à une langue distincte de leur langue maternelle, à de

nouveaux codes culturels et à un climat différent, entre autres choses. La présence d’amis

ou de la famille déjà sur place peut donc s’avérer fort utile, surtout durant les premières

semaines et les premiers mois, voire les premières années dans la nouvelle société. Au

cours des entretiens, la plupart des répondants ont d’ailleurs souligné l’apport considérable

des amis et de la famille à leur arrivée. Ces réseaux de relations informels, caractérisés

surtout par des liens forts, ont souvent contribué à faciliter les premières démarches des

immigrants, dont l’obtention du premier emploi ou du premier logement.

6.2.1 Compter sur les amis et la famille à l’arrivée Lorsque Valentina est arrivée avec un statut de résidente permanente dans la ville de

Québec en 2009, un ami qu’elle avait rencontré dans un séjour précédent l’attendait à

l’aéroport. En quelques jours, Valentina se rappelle qu’elle avait complété avec lui presque

toutes les démarches administratives qu’elle devait faire en arrivant :

Un ami que j'avais connu en 2003, avec qui j'ai maintenu les contacts, est allé me chercher et la même journée il m'a amené à tous les organismes pour obtenir mon numéro d'assurance sociale, ouvrir un compte de banque et tout ça. Le même après-midi, j'étais avec mes pieds que je voulais me les couper, mais on n'avait pas fini que je retournais le jour suivant. Et le jour suivant, toutes mes démarches étaient presque finies. Il me restait à aller à l'assurance maladie (Valentina, entrevue F4).

Pour ce qui est du logement, Valentina avait prévu vivre quelque temps avec deux amies

péruviennes déjà installées à Québec. Tout comme elle, ses nouvelles colocataires étaient

toutes deux originaires d’Arequipa, une ville située au sud du Pérou. Le réseau social que

présente Valentina illustre bien la situation de plusieurs des répondants à leur arrivée au

Québec. Ici, les amis et la famille agissent comme un premier contact qui permet de

faciliter l’installation dans les premiers temps. À ce sujet, Nieto et Yepez (2008) précisent

que les réseaux des migrants constituent « un ensemble de liens interpersonnels qui mettent

Page 167: L’immigration péruvienne au Québec

151

en rapport les migrants et migrants potentiels dans les zones d'origine et de destination »

(2). Ils ajoutent que ces réseaux correspondent à « une forme de capital social accumulé par

les migrants dans le but de baisser leurs coûts migratoires, réduire le risque, augmenter la

probabilité d'emploi dans le pays d'installation, etc. » (3). Cette définition du réseau des

migrants s’applique tout à fait à ce que les répondants ont révélé dans les entretiens. Même

ceux qui n’avaient pas nécessairement de famille immédiate ou d’amis proches qui les

attendaient au Québec avaient quand même réussi à contacter l’ami d’un ami ou un cousin,

par exemple, pour les recevoir, et dans bien des cas pour les loger temporairement et pour

les aider à trouver un logement. À l’aide initiale au logement, ajoutons le rôle important des

amis et des proches pour trouver un premier emploi (souvent nécessitant peu ou pas de

qualifications).

6.2.2 Mobiliser les liens forts pour le premier emploi (peu ou pas qualifié) Parmi les répondants qui cherchaient du travail une fois arrivés au Québec, la moitié

d’entre eux (soit 11 personnes sur 22) ont trouvé leurs premiers emplois par l’intermédiaire

d’un ami, d’un membre de la famille ou d’un membre de leur réseau ethnoculturel, soit-il

péruvien ou latino-américain. Cette expérience initiale de travail au Québec était souvent

un premier emploi dit de « survie » (pour payer les comptes, l’épicerie, le logement, etc.) en

attendant de trouver quelque chose de mieux. Deux domaines de travail sont ressortis plus

souvent, soit les domaines du nettoyage et de la restauration.

Angel, entre autres, s’est trouvé un premier emploi comme cuisinier par l’intermédiaire de

son cousin, ce dernier étant propriétaire de deux restaurants péruviens à Montréal. Par la

suite, il s’est facilement trouvé un autre emploi dans le domaine du ménage. Il explique

qu’il est facile de travailler pour une compagnie de nettoyage, puisque « tous les Latinos,

tous les Péruviens, nous sommes dans le nettoyage » :

Geneviève: ¿Cómo encontró el trabajo de limpieza? Angel: Bueno, por el restaurant, por los amigos, uno sabe, uno aplica y es fácil. Geneviève: Ah, okey. ¿Quiénes son los jefes? Son… Angel: El jefe de la compañía de limpieza de… Es una compañía transnacional. Los dueños son franceses. Solamente hay aquí el director general, no sé quiénes son los dueños.

Page 168: L’immigration péruvienne au Québec

152

Geneviève: ¿Hay gente de todas partes que trabajan allá? Angel: Bueno, generalmente todos los latinos, los peruanos, estamos en limpieza. Es fácil. Le hablas a un peruano, le dices hay trabajo así, ¿dónde está? En limpieza. Entonces nos pasamos la información54(Angel, entrevue M15).

L’affirmation que « tous les Latinos, tous les Péruviens » œuvrent dans le domaine du

nettoyage est certainement une exagération. Rappelons toutefois qu’au Québec, plus du

tiers des membres de la communauté péruvienne (32, 6 % en 2011) travaillent dans le

domaine de la vente et des services selon la classification nationale des professions de

Statistique Canada. Cette catégorie professionnelle inclut les nettoyeurs et les

nettoyeuses55. Pour les Péruviens, il s’agit donc d’un domaine d’emploi facilement

accessible. Dans la population générale, c’est le quart des travailleurs qui occupaient un

emploi dans le domaine des ventes et des services pour l’année 2015 (Statistique Canada,

2016, cité par ISQ, 2017).

À ce sujet, Pablo présente également une expérience similaire à celle d’Angel. Quelque

temps après son arrivée à Montréal, il a travaillé dans le domaine du nettoyage et de la

distribution de circulaires. Tout comme Angel, il a trouvé ses premiers emplois avec l’aide

de ses proches, soit des amis. Il raconte :

J'ai travaillé dans le nettoyage, c'est un ami péruvien qui m'a recommandé avec un autre ami péruvien qui était ici depuis plusieurs années. Il travaillait dans le domaine des circulaires. Il distribuait des circulaires dans une zone de Montréal, alors j'ai travaillé avec lui aussi. Après, j'ai trouvé un Portugais. C'est un ami péruvien qui m'a donné le travail éventuel. Il m'a mis en contact avec un ami portugais qui avait une entreprise de nettoyage. C'était un travail permanent dans une usine de textile d'Anjou. C’est très important, pour le premier boulot [les amis] (Pablo, entrevue M2).

54 Geneviève : Comment avez-vous trouvé votre emploi en nettoyage ? Angel : Bien, par le restaurant, par les amis, une personne le sait, elle applique et c’est facile. Geneviève : Ah, OK. Qui sont les propriétaires ? Angel : Le chef de la compagnie de nettoyage de… C’est une compagnie transnationale. Les propriétaires sont français. Ici, il y a seulement le directeur général, je ne sais pas qui sont les propriétaires. Geneviève : Il y a des gens de partout qui travaillent là-bas ? Angel : Bien en général, tous les Latinos, tous les Péruviens, nous sommes dans le nettoyage. C’est facile. Tu parles à un Péruvien, tu lui dis il y a bien du travail. C’est où ? En nettoyage. Alors, on se transmet l’information. 55 Cette statistique provient de l’Enquête nationale auprès des ménages de Statistique Canada de 2011 (cité par MIDI, 2014c).

Page 169: L’immigration péruvienne au Québec

153

Victor relate aussi une expérience semblable. Peu après être arrivé dans la ville de Québec,

il a travaillé de nuit pour une compagnie de nettoyage. Il explique :

Même quand je travaillais la nuit dans le ménage, c'était toujours des immigrants qui ne parlaient pas français, des Colombiens, la plupart des Colombiens, ou il y avait aussi des Cubains. C'est un ami cubain qui m'a aidé avec ça. Mais eux, ils savaient la difficulté de parler le français, donc c'était plus facile de rester dans le ménage, parce qu'on peut faire de l'argent. On est caché dans la « sub-strate » de la société, je n'ai pas voulu ça. Et je ne veux pas ça, pas pour moi, pas pour mes filles (Victor, entrevue M5).

Pour Victor, il ne faisait aucun doute que ce premier emploi en ménage n’était que

temporaire. Selon lui, l’idée de « rester dans le ménage » était une option facile – les

travailleurs latino-américains n’ayant pas nécessairement à apprendre le français pour

effectuer ce type de travail –, mais peu désirable. Comme il le dit si bien, il ne voulait pas

rester caché dans la « sub-strate » de la société. Référé par un ami, Victor a donc accepté

d’occuper un emploi dans le domaine du ménage de façon temporaire, tout en menant en

parallèle une recherche de travail pour trouver un emploi plus qualifié. Plusieurs autres

répondants masculins qui ont participé à cette étude ont adopté une stratégie similaire à

celle de Victor.

En fait, selon les résultats de cette étude, huit autres répondants masculins (soient neuf

hommes en tout sur un total de 12 répondants masculins) ont entrepris une telle démarche

consistant à accepter un emploi peu qualifié au départ – trouvé par l’intermédiaire d’un ami

ou d’un parent – tout en recherchant quelque chose de mieux en parallèle. Cette stratégie

s’est avérée fructueuse dans la majorité des cas. En fin de compte, la plupart des répondants

qui avaient opté pour cette stratégie (sept répondants sur onze) avaient finalement obtenu

un emploi plus qualifié dans un autre domaine, ou encore, un poste de superviseur dans le

même secteur d’emploi56. Bref, seulement trois répondants sur les onze qui avaient pris

cette avenue occupaient toujours un emploi peu qualifié dans les domaines de la

56 Rappelons toutefois que ces emplois plus qualifiés ne correspondaient pas nécessairement au niveau de qualification des répondants, alors que plusieurs d’entre eux ont dû occuper des emplois pour lesquels ils étaient surqualifiés.

Page 170: L’immigration péruvienne au Québec

154

restauration, du ménage et de la livraison au moment des entrevues57. Le tableau suivant

résume ces constats :

Tableau 4 : Premier emploi obtenu avec liens forts en comparaison avec l'emploi

actuel (n=11)

Nom S Âge Ville Année arrivée

Étude Premier emploi Emploi actuel

Mobilité

Claudia F 69 Mtl 1970 Bac Surveillante (école primaire)

Retraitée (gardienne d’enfants)

Nulle

Monica F 52 Mtl 1983 Maîtrise Nettoyeuse (Femme de ménage)

Nettoyeuse (Femme de ménage)

Nulle

Manuel M 51 Mtl 1991 DES Nettoyeur Propriétaire (pizzeria)

Ascendante

José M 49 Mtl 1993 DEC Nettoyeur Contremaître (nettoyage)

Ascendante

Hector M 35 Mtl 2002 DES Nettoyeur Chef d’équipe (manufacture)

Ascendante

Alberto M 40 Mtl 2004 Bac Caissier (dépanneur)

Vérificateur-comptable

Ascendante

Angel M 56 Mtl 2004 Bac Nettoyeur Nettoyeur et cuisinier

Nulle

Mario M 51 Mtl 2004 Bac Nettoyeur Agent de recouvrement

Ascendante

Pablo M 52 Mtl 2004 Maîtrise Nettoyeur Représentant en assurance

Ascendante

Ricardo M 39 Mtl 2005 Bac Agent de service à la clientèle

Technicien en informatique

Ascendante

Victor M 34 Qc 2012 Bac Nettoyeur Livreur Nulle Note : Le bac correspond au baccalauréat du Québec (diplôme de premier cycle universitaire), la maîtrise, au diplôme de deuxième cycle universitaire, le DEC, au diplôme d’études collégiales et le DES, au diplôme d’études secondaires.

En examinant ce tableau, nous constatons que seuls Claudia, Monica, Angel et Victor

présentent une mobilité socioprofessionnelle nulle depuis leur arrivée au Québec. D’après

les entrevues, ces quatre personnes étaient aussi parmi celles qui étaient les moins bien

informées quant au marché québécois de l’emploi avant d’immigrer. Angel, par exemple,

ne savait pas quelles étaient les étapes à compléter afin de faire reconnaître sa formation de

57 Une quatrième répondante (Claudia), retraitée au moment de son entrevue, avait également occupé un emploi non qualifié comme gardienne d’enfants après son premier emploi de surveillante d’enfants dans une école primaire.

Page 171: L’immigration péruvienne au Québec

155

pharmacien une fois au Québec. Victor, quant à lui, ne connaissait pas non plus les

démarches qu’il devait entreprendre pour faire reconnaître son diplôme d’ingénieur civil au

Québec. Mentionnons aussi que ces deux professions, soit pharmacien et ingénieur civil,

sont régies par un ordre professionnel, ce qui rend plus ardue la reconnaissance des

diplômes. Monica, quant à elle, présente une situation quelque peu différente. Les aléas de

la vie, dont un diagnostic d’une maladie chronique, ont fait en sorte qu’il était plus difficile

pour elle de trouver un emploi dans son domaine d’études, malgré sa maîtrise en santé

publique. Pour ce qui est de Claudia, arrivée à Montréal en 1970, cette dernière a pris la

décision de ne pas entreprendre les démarches pour faire reconnaître son diplôme

d’enseignante, voulant surtout consacrer son temps à élever ses deux enfants.

6.2.3 Différences entre les hommes et les femmes Ce sont surtout les hommes qui ont adopté une telle stratégie qui consistait à occuper des

emplois (de survie) non qualifiés à leur arrivée au Québec. En effet, mis à part Monica et

Claudia, les neuf autres répondants qui ont adopté cette stratégie étaient tous des hommes.

Une explication possible de cette approche différenciée selon le sexe réside peut-être dans

la division sociale du travail selon les rôles sociaux de sexe. En effet, il est fort possible que

les emplois de cols bleus dans le domaine du ménage (surtout dans le secteur industriel)

soient plus accessibles aux hommes qu’aux femmes. Une autre explication réside dans la

division sociale du travail selon le sexe qui prévaut au Québec. Comme l’explique Simon

Langlois (2014), certains emplois peu qualifiés de cols bleus sont majoritairement occupés

par des hommes (tels les emplois dans les domaines de la construction et du transport),

alors que plusieurs emplois de bureau peu qualifiés ou de niveau technique sont surtout

occupés par des femmes :

Les chiffres le démontrent. Toujours en 2006, il y avait, au Québec, 763 815 ouvriers et autres employés dans les domaines de la construction et du transport pour seulement 126 560 femmes. Les emplois de bureau sont de leur côté caractérisés par une forte séparation en fonction du sexe : 478 860 femmes contre 149 740 hommes. L’emploi de secrétaire, pour ne citer qu’un exemple, est encore largement féminisé (113 660 femmes et 2 180 hommes) (Langlois, 2014).

Page 172: L’immigration péruvienne au Québec

156

La composition de notre échantillon pourrait aussi expliquer cette différence entre les

hommes et les femmes. Toutes les femmes interrogées dans le cadre de cette étude avaient

une formation de niveau universitaire (baccalauréat ou maîtrise), ce qui leur a permis de

postuler à des emplois de bureau alors qu’elles cherchaient un premier emploi au Québec.

Une majorité d’entre elles avaient aussi une très bonne maîtrise du français avant

d’immigrer, contrairement à plusieurs hommes qui avaient un niveau de français plus

élémentaire. Mises à part deux répondantes – soient Monica et Claudia, dont les premiers

emplois ont été respectivement femme de ménage et éducatrice en service de garde –,

toutes les autres participantes ont occupé un poste de col blanc pour leur premier emploi.

Que ce soit technicienne dans un bureau d’architecte, agente administrative dans une

organisation non gouvernementale ou analyste-programmeuse dans une compagnie

d’informatique, ces répondantes ont pu éviter d’effectuer un premier emploi manuel non

qualifié, contrairement à la majorité des hommes interrogés dans le cadre de cette étude.

Le cas de ces femmes immigrantes reflète aussi la féminisation de certaines strates sociales

qui a cours au Québec depuis les dernières décennies (Langlois, 2015). En se basant sur une

définition des classes sociales (ou strates sociales) qui s’inspire des perspectives fondatrices

de Karl Marx et Max Weber, Simon Langlois (2015) propose une nomenclature

comprenant dix grandes catégories58 : 1) cadres supérieurs; 2) cadres intermédiaires et

directeurs; 3) professionnels; 4) professionnels intermédiaires; 5) techniciens; 6) employées

de bureau; 7) employés dans la vente; 8) employés dans les services; 9) ouvriers et cols

bleus et 10) agriculteurs et pêcheurs. Les propriétés qui définissent ces catégories

comprennent « le caractère manuel ou non du travail, la qualification de l’emploi, le

pouvoir, le prestige, le revenu et l’éducation » (Langlois, 2015 : 345). Selon cette

classification des strates sociales, la proportion des femmes chez les techniciens, par

exemple, est passée de 21,1 % en 1971 à 52,1 % en 2011 (Langlois, 2015 : 356). Il s’agit

aussi de la strate sociale dominante chez les femmes actives, alors que 18,3% d’entre elles

s’y retrouvent (Langlois, 2015 : 355). Du côté des employés de bureau, 77 % de ces

derniers étaient des femmes en 2011 (Langlois, 2015 : 356). Bref, le fait que les postes

58 Nous adhérons à la proposition de Langlois à savoir que les dix grandes catégories qu’il suggère « pourront être qualifiées indifféremment de classes sociales ou de strates sociales » (2015 : 345).

Page 173: L’immigration péruvienne au Québec

157

techniques et les emplois de bureau soient majoritairement occupés par des femmes

pourrait expliquer en partie pourquoi les femmes immigrantes qualifiées réussissent à

trouver des emplois dans ces domaines de travail. Rappelons toutefois qu’en raison d’une

diversité de facteurs que nous avons notamment attribués à un processus de racisation

(incluant la non-reconnaissance des diplômes et de l’expérience obtenus au Pérou), ces

mêmes femmes immigrantes sont la plupart du temps surqualifiées pour ces emplois, alors

qu’elles occupent des postes de niveau technique, malgré une formation universitaire.

6.2.4 Différences entre Montréal et Québec Le tableau 4 révèle également que la majorité des répondants qui ont obtenu leur premier

emploi (non qualifié) en mobilisant des liens forts (via un ami ou la famille, par exemple)

habitait la ville de Montréal. En comparaison, seul un répondant qui a eu recours à cette

stratégie vivait dans la ville de Québec. La théorie des réseaux sociaux proposée par

Granovetter (1973) pourrait servir à expliquer, en partie, cette disparité entre les villes de

Québec et Montréal.

Rappelons que selon Granovetter, le concept de réseau social renvoie à la nature des « liens

faibles » et des « liens forts ». Les liens forts sont caractérisés par un degré élevé de

ressemblance entre les personnes (la famille et les amis, par exemple). L’information qui

circule à travers les liens forts risque donc de rester limitée à un groupe restreint. Au

contraire, les liens faibles encouragent la circulation des personnes et des groupes à

l’intérieur d’un plus grand réseau, fournissant ainsi une information plus vaste et plus

diversifiée. Dans le contexte de la recherche d’un emploi, les liens faibles seraient donc fort

utiles pour élargir les réseaux du chercheur d’emploi et accéder ainsi à l’information liée

aux emplois disponibles. Relativement à cette théorie, la taille de la « communauté

péruvienne » (et latino-américaine) à Montréal et à Québec serait aussi à considérer.

Comme il y a davantage de Péruviens et de Latino-Américains à Montréal, les immigrants

d’origine péruvienne ont plus facilement accès aux membres de leur communauté

ethnoculturelle pour trouver un travail, dont les amis et les membres de la famille. Par

ailleurs, comme démontré dans les entrevues, les emplois disponibles par l’intermédiaire

Page 174: L’immigration péruvienne au Québec

158

des amis, de la famille et des membres de la communauté ethnoculturelle sont généralement

peu ou pas qualifiés (tels les emplois dans les domaines du ménage et de la restauration). À

titre d’exemple, Montréal compte 24 restaurants péruviens, alors que la ville de Québec

n’en compte aucun59. Dans la ville de Québec, comme il y a beaucoup moins de Péruviens

et de Latino-Américains, il semble que les immigrants péruviens peuvent difficilement

compter sur des membres de leur communauté pour se trouver un emploi, qualifié ou pas.

Ici, la mobilisation des liens forts s’avère donc une stratégie beaucoup plus difficile à

appliquer pour trouver un emploi. Comparativement aux Péruviens vivant à Montréal, il

appert que les Péruviens habitant la ville de Québec ont donc eu davantage tendance à tisser

des liens faibles plus rapidement, ce qui les a aussi amenés à trouver des emplois plus

qualifiés en moins de temps.

En comparant Montréal et Sherbrooke, Arcand et al. (2009) arrive à une conclusion

similaire quant à l’insertion professionnelle des immigrants maghrébins arrivés au Québec

depuis moins de trois ans. Ces auteurs constatent que, comparativement à Montréal, « le

contexte sherbrookois semble favoriser un élargissement plus rapide des réseaux sociaux »

puisque les Maghrébins se trouvent dans l’obligation « d’accroître rapidement leurs liens

faibles compte tenu de la faiblesse du réseau communautaire maghrébin à Sherbrooke »

(395). En ce sens, même si Montréal présente un milieu beaucoup plus multiculturel, perçu

comme étant plus ouvert à la diversité et donc favorable à l’intégration – attirant d’ailleurs

la majorité des nouveaux immigrants de la province –, ce milieu ne semble pas garantir une

insertion plus rapide (Arcand et al., 2009 : 395). Comme dans le cas des Maghrébins

présenté par Arcand et al. (2009), la fréquentation des pairs parmi les Péruviens interrogés

pour cette étude ne garantit pas ici une insertion professionnelle à la hauteur des attentes

prémigratoires.

En bref, la mobilisation des liens forts pour les Péruviens habitant Montréal (surtout) et

Québec (dans une moindre mesure) s’avère utile pour trouver un emploi peu ou pas

qualifié, mais non fructueuse pour décrocher un emploi qualifié qui permettrait une certaine 59 Selon le site Internet « RestoMontréal », consulté le 16 juin 2017 (http://www.restomontreal.ca/s/?restaurants=Peruvienne+Montreal&c=96&lang=fr).

Page 175: L’immigration péruvienne au Québec

159

mobilité socio-occupationnelle ascendante. Ce constat rejoint en partie les résultats obtenus

par Langlois (1974). Dans sa recherche sur les réseaux sociaux et l’entrée en emploi dans la

fonction publique, Langlois révèle que les liens forts des réseaux personnels sont surtout

utiles pour les emplois moins élevés, alors que les liens faibles sont surtout importants chez

les cadres et les administrateurs. Similairement, selon les entrevues réalisées dans le cadre

de la présente recherche, les liens forts entretenus à l’intérieur du réseau ethnoculturel

(aussi appelé réseau intra communautaire) ont permis à plusieurs répondants (masculins

surtout) de trouver des emplois non qualifiés. En revanche, il semble que c’est surtout le

recours aux liens faibles, entretenus en dehors du réseau ethnoculturel (aussi appelé réseau

extra communautaire)60, ainsi que le recours au réseau formel, qui permet véritablement de

décrocher des emplois plus qualifiés.

6.3 L’importance du réseau formel et des réseaux sociaux

Tant à Montréal qu’à Québec, la majorité des répondants qui ont réussi à obtenir des

emplois qualifiés (nécessitant au moins une formation collégiale) ont préalablement eu

recours au réseau formel, constitué entre autres d’organismes communautaires spécialisés

dans l’aide à la recherche d’emploi. Certains de ces organismes ciblaient spécifiquement

une clientèle immigrante, alors que d’autres, tels les centres locaux d’emploi d’Emploi

Québec (CLE), étaient ouverts à tous. Parallèlement à cette démarche, beaucoup ont aussi

insisté sur l’importance de développer des contacts en dehors de leur « endogroupe latino

ou péruvien » pour « s’intégrer ». En fait, ce sont ceux qui ont développé le plus de liens

faibles extra communautaires (soit, à l’extérieur de leur groupe ethnoculturel) qui ont pu

accéder à des emplois plus qualifiés, corroborant ainsi la théorie de Granovetter (1973) sur

l’importance des liens faibles.

60 Dans leur article portant sur l’insertion professionnelle d’immigrants récents à Montréal et à Québec, Arcand et al. (2009) font la distinction entre le réseau extra communautaire et le réseau intra communautaire des immigrants maghrébins. Ils soutiennent que ces réseaux n’ont pas le même impact sur le processus d’insertion des Maghrébins une fois installés au Québec. Notons que cette distinction s’avère tout à fait pertinente dans le cadre de cette étude.

Page 176: L’immigration péruvienne au Québec

160

6.3.1 Le réseau formel : les centres d’emploi et les organismes communautaires Pour la grande majorité des répondants, il y avait un consensus quant à l’utilité des centres

d’emploi et des organismes communautaires pour faciliter la recherche d’emploi. Ceux qui

ont fréquenté de tels endroits ont trouvé que les services offerts gratuitement les avaient

aidés. La fréquentation de tel centre ou tel organisme a souvent servi à fournir des outils et

des ressources nécessaires afin d’effectuer une recherche de travail perçue comme étant

efficace et porteuse. Que ce soit pour faire un CV, écrire une lettre de présentation ou

réaliser des pratiques d’entrevues, plusieurs répondants semblaient satisfaits des services

reçus. Pour plusieurs répondants, ce recours au réseau formel a été fructueux en matière

d’employabilité.

Emilia est l’une de ces personnes qui a apprécié les organismes communautaires qu’elle

avait fréquentés. Pour elle, les différences ressources et formations offertes l’ont beaucoup

aidée. Emilia est impliquée dans une association latino-américaine de la ville Québec et

lorsqu’elle rencontre de nouveaux immigrants, elle leur conseille de fréquenter les

organismes d’aide à la recherche d’emploi. Elle convient que « l’intégration » est un long

processus, mais elle soutient aussi que les immigrants ne sont pas seuls pour réaliser toutes

leurs démarches. Elle explique :

On peut s'intégrer. Moi, me rendre où je me suis rendue, cela m'a pris à peu près 10 ans. Donc, je dis, il faut être patient et saisir toutes les occasions. On t’offre un contrat de deux mois, trois mois, prends-le. Parce que, c'est l'expérience, ça permet aux gens de voir comment tu travailles. Donc, moi, c'est ça que je partage avec les gens quand je les rencontre. Quand on vient d'arriver, je dis, « soyez patients », il faut maîtriser le français, prendre des cours de français, prendre des cours d'intégration en milieu de travail, de recherche d'emploi. C'est sûr, il y a des organismes qui accompagnent durant toute cette démarche-là. Donc je dis, vous n'êtes pas tout seuls. Le Québec, c'est une terre des opportunités, dans le sens qu’être dans le bon moment, au bon endroit et être en contact avec les bonnes personnes, ça peut nous ouvrir les portes (Emilia, entrevue F9).

Elle ajoute :

Les organismes pour la recherche d'emploi sont très utiles. Parce que, par exemple, quand tu suis des formations comme ça, premièrement, tu as toutes les ressources qui viennent avec. Comme par exemple, je faisais des lettres de présentation, mais toujours

Page 177: L’immigration péruvienne au Québec

161

il pouvait y avoir des fautes, donc j'allais là. Ça, par exemple, c'est de l'aide que j'ai eue, ça ne me coûtait rien. Ils nous donnaient toutes les ressources pour faire des appels. On pouvait faire des appels aux employeurs, les contacter, faire des candidatures spontanées. Cette démarche-là est très utile. Ils te donnent toutes ces ressources. C'est pratique, c'est bien (Émilia, entrevue F9).

Emilia a une vision positive des organismes d’aide à la recherche d’emploi. Elle a pu

bénéficier d’un service gratuit, jugé fort utile pour l’accompagner dans les diverses étapes

de sa démarche. D’autres participants ont aussi raconté à quel point de tels organismes

avaient facilité leurs recherches de travail.

Valentina abonde dans le même sens. Lorsqu’elle se cherchait un emploi en architecture à

son arrivée, elle a fréquenté un organisme communautaire spécialisé dans les services de

soutien aux immigrants. Résidant dans la ville de Québec, elle est allée au SOIT (Service

d’orientation et d’intégration des immigrants au travail de Québec)61. Ce sont les deux

amies péruviennes avec qui elle habitait qui lui ont conseillée d’aller à cet endroit. Ici, c’est

donc dans un premier temps l’information transmise par ses amies (soit une information

diffusée par l’intermédiaire de son réseau informel composé de liens forts) qui l’a par la

suite amenée à faire appel au réseau formel pour chercher un emploi. Décrivant sa première

recherche d’emploi, elle raconte :

Cela a été très bien. Cela a été très vite parce que moi, tout la recherche, quand je suis arrivée a été très vite, parce que je vivais avec deux autres péruviennes qui avaient déjà visité le SOIT, Emploi-Québec, etc. […] Alors moi, je suis allée à Emploi-Québec, j'ai ouvert mon dossier, etc., et eux ils m'ont donné des dépliants et quand je suis retournée à l'appartement, je prenais le téléphone pour faire l'appel au SOIT et la personne du SOIT était en train de parler à mes colocataires. Alors j'ai parlé directement à la personne du SOIT et je lui ai demandé à qui je devais parler pour prendre rendez-vous et elle a dit : « à moi, parce que je suis conseillère ». Alors on était les trois conseillées avec la même personne. Pour moi, étant donné que je parlais déjà français, et que j'avais une carrière qui avait plus d'opportunités dans le marché du travail, c’était plus facile. Parce qu’une de mes colocataires était dentiste et l'autre était ingénieure industrielle, c'était vraiment difficile pour elles et leur niveau de français n'était pas assez bon pour faire un cours de recherche d'emploi. Elles ont dû passer par la francisation avant. Et après, elles étaient à un niveau où elles pouvaient comprendre un atelier de recherche d'emploi. Alors, la conseillère m'a inscrite immédiatement et dans

61 Béji et Pellerin (2010) classent le SOIT comme un organisme faisant partie du réseau formel institutionnel, puisqu’il est lié à Emploi Québec.

Page 178: L’immigration péruvienne au Québec

162

les 15 jours, j'allais commencer un atelier de recherche d'emploi (Valentina, entrevue F4).

Valentina explique que dans le cadre de son atelier de recherche d’emploi, elle a appris

« différentes techniques », dont l’exploration du marché caché (comprenant les emplois

disponibles, mais non affichés), la rédaction du CV et des lettres de présentation, le « cold

calling » (la sollicitation à froid auprès d’employeurs) et les « mock interviews » (les

entrevues simulées). Elle a d’ailleurs trouvé son premier emploi en appelant directement un

employeur dans un bureau d’architecte. À ce sujet, elle dit :

Parfois c'est gênant de prendre le téléphone et d'aller voir un employeur qui n'a même pas publié un emploi, mais au début, il faut respirer 10 fois puis le faire. […] Moi, j'ai parlé avec un architecte et il m'a dit : « pourquoi pas ? » […] Ça s'est passé très vite. Et cet emploi a duré deux ans et deux mois. Et les trois premiers mois, c'est le SOIT qui a payé mes trois mois d'emploi, comme un stage. Et après, mon employeur a bénéficié de six mois où Emploi-Québec payait la moitié de mon salaire. Et après ça, j'ai continué avec un emploi normal. Le gouvernement donne un « incentive » [mesure incitative] pour compenser le fait que la personne va avoir à s'habituer, que l'autre personne va devoir la guider, que l'autre personne va devoir la diriger, que l'autre personne va devoir faire un peu plus de travail pour pouvoir encadrer la personne jusqu'à ce que la personne soit autonome (Valentina, entrevue F4).

Valentina a ainsi participé à un programme de mentorat et de stage, contribuant à faciliter

son insertion socioprofessionnelle. Elle en conclut que le SOIT offre « un très bon service

pour les immigrants », mais elle ajoute aussi que ce ne sont pas tous les immigrants qui

seraient d’accord avec elle :

Eh oui, je suis témoin que le SOIT a un très bon service pour les immigrants, bien qu'il y a des personnes qui ne le considèrent pas comme ça, parce que les gens s'attendent parfois à ce que ce soit une agence de placement. Et ce n'est pas ça. C'est la personne elle-même qui doit faire sa démarche de recherche d'emploi. Eux donnent tous les outils et les cours, toute l'aide possible, mais c'est la personne qui doit aller chercher son emploi. Ils ne peuvent pas promettre. Des fois oui, ça peut fonctionner qu’eux puissent te référer à quelqu'un et justement ça ouvre une possibilité d'emploi, mais leur fonction ce n'est pas ça. Mais pour les gens qui viennent à Québec et qui ne connaissent rien de la culture, ils offrent des cours sur la culture. Ils peuvent aider avec des cours de français, des ateliers pour partir une entreprise (Valentina, entrevue F4).

Page 179: L’immigration péruvienne au Québec

163

Les propos de Valentina sont très révélateurs dans un contexte où tous les répondants

interrogés dans le cadre de cette étude étaient très autonomes et actifs dans leur recherche

de travail. Une bonne part d’entre eux avait déjà décidé de cibler des postes techniques,

malgré leurs diplômes universitaires. Cette stratégie de « déqualification volontaire » a

souvent permis aux répondants de concentrer leurs énergies sur des postes accessibles

plutôt que d’entreprendre un long et coûteux processus d’équivalence des diplômes62. C’est

le cas par exemple de Gabriela. Cette dernière explique comment sa participation à un

atelier de « recherche active d’emploi », jumelée à l’intensité de ses propres recherches, a

porté ses fruits :

J'ai participé à un atelier de recherche active d'emploi qui durait comme deux semaines. Mais finalement, moi-même, j'ai cherché sur les pages d’Emploi-Québec, sur les sites web et j'envoyais des cv sur des sites web, pis j'envoyais des cv et j'appelais. Mais comme c'était très intense – moi, quand je me mets à chercher, je me mets à chercher quelque chose puis je le fais 24 heures sur 24 –, cela a donné [un résultat] assez vite. J'ai fini mon atelier et j'avais déjà un emploi, pis c'était dans un bureau d'architecte. La seule chose c'est que toujours ils m'ont engagée comme technicienne en architecture et il n’y a personne qui a dit : « ah oui, tu es une architecte ». Non, non parce que c'est toujours à cause des études qu'on n’a pas faites au Canada, parce qu’au Pérou, ce n'est pas la même chose. Pourtant, au Pérou, on fait la technique, on fait l'architecture, tout, c'est tout global. Mais, non, je pense que c'est juste l'atelier et le coordinateur qui ont encouragé les gens à chercher tout le temps, tout le temps. Il y avait des gens de différents domaines, pas seulement des étrangers. Il y avait des Québécois aussi qui cherchaient en même temps que moi, mais c'est comme ça que j'ai trouvé mon deuxième [emploi] (Gabriela, entrevue F12).

En bref, les répondants qui ont fréquenté des centres d’emploi et des organismes

communautaires d’aide à l’emploi ont dit apprécier les services qui y étaient offerts. Ce

constat diffère d’autres études qui révèlent un décalage entre les besoins réels des

immigrants en matière de recherche d’emplois et les services et ressources disponibles (voir

entre autres, Audy et al., 2016 et Creese, 2011). Par exemple, dans leur étude qualitative

réalisée à Montréal et basée sur des entrevues auprès de onze immigrants en provenance de

l’Afrique de l’Ouest, du Maghreb et du Caucase, Audy et al. (2016) rapportent que les

intervenants suggèrent souvent aux nouveaux immigrants de n’accepter que des emplois

dans leur domaine d’expertise, alors que ces derniers recherchent plutôt des emplois de

62 Sur le processus d’équivalence des diplômes, voir Chicha (2012).

Page 180: L’immigration péruvienne au Québec

164

survie pour répondre à leurs besoins immédiats (payer le loyer, la nourriture, la garderie,

etc.).

Dans le cas de notre recherche, deux facteurs semblent avoir contribué à la satisfaction des

participants par rapport aux services offerts dans les centres d’emploi. Premièrement, il

appert que plusieurs des répondants savaient déjà qu’ils allaient accepter une certaine

déqualification afin de trouver plus facilement un emploi (de niveau technique, par

exemple). Pour ces répondants, le recours au centre d’emploi était donc bien ciblé. Sachant

déjà à quels types de postes ils désiraient poser leur candidature (et pour lesquels pensaient-

ils avoir de bonnes perspectives d’emploi), ils ont utilisé les services du réseau formel pour

préparer leur CV, leur entrevue et contacter des employeurs potentiels. Comme ils étaient

en général bien préparés pour effectuer leur recherche d’emploi, ils ont pu aller chercher

rapidement l’aide dont ils avaient besoin, sans par exemple, recourir à un service

d’orientation en matière de développement professionnel. En second lieu, le profil des

répondants pourrait aussi expliquer leur satisfaction par rapport au réseau formel. D’abord,

il importe de spécifier qu’une majorité des répondants (16 sur 22) n’avaient pas d’enfants

alors qu’ils cherchaient activement un emploi. Dans ce contexte, il était peut-être moins

urgent pour eux d’accepter à tout prix n’importe quel emploi de survie, n’ayant pas à

subvenir aux besoins d’enfants à charge. Quelques-uns ont d’ailleurs mentionné qu’ils

avaient pu suivre des cours de francisation leur permettant de recevoir une aide financière

minimale (et évitant ainsi les emplois de survie). Avec des enfants, il est fort possible que

cette aide n’aurait pas été suffisante. Notons aussi que tous les participants à cette étude ont

dit appartenir à la classe moyenne et plusieurs d’entre eux ont même mentionné qu’ils

avaient pu recevoir une aide financière de leur famille restée au Pérou. En bref, pour

plusieurs répondants, la non-nécessité d’occuper des emplois de survie dès l’arrivée ainsi

que le désir de chercher des emplois dans leur domaine (quoique déqualifiant) s’arriment

bien avec le discours ambiant dans les centres d’emploi qui suggère justement de ne pas

accepter des emplois de survie. En revanche, pour ceux qui ont tout de même occupé des

emplois de survie non qualifiés (dans le domaine du ménage, par exemple), c’est le réseau

informel (composé des amis, de la famille ou de proches) qui a été mobilisé et non le réseau

formel.

Page 181: L’immigration péruvienne au Québec

165

6.3.2 Utiliser et développer le réseau social pour trouver un emploi (plus qualifié) Dans leurs différentes démarches pour chercher du travail, les répondants ont démontré une

volonté d’agrandir leurs réseaux de contacts et de connaissances en général. Plusieurs

répondants ont donc tenté le plus possible de suivre les recommandations des conseillers en

emploi et intervenants qu’ils les incitaient à élargir leurs réseaux. Lorsqu’Enrique a suivi

une formation donnée conjointement par Emploi Québec et la Chambre de commerce du

Montréal métropolitain, il se rappelle que les intervenants ont expliqué comment « avoir un

réseau social plus grand ». Il explique : « Je suis allé dans un programme à la chambre de

commerce, qui s'appelait Interconnexion. Ils ont donné un cours sur comment se vendre,

comment se faire des réseaux sociaux, comment avoir un réseau social plus grand »

(entrevue M7). Miguel intervient dans le même sens lorsqu’il expose sa stratégie pour

chercher du travail :

Para encontrar el empleo, mira, yo considero que es una mezcla de varios factores. Tu búsqueda en internet, tu réseautage y las ganas que tú quieras de ir a buscar, porque muchas veces no se trata solo de sentarse atrás de una computadora y tener una actitud pasiva, si no también tener una actitud un poquito más activa. De ir, tocar puertas, buscar contactos profesionales, buscar cartas de… cartes d’affaires, buscar muchas maneras, muchos caminos, que te puedan llevar a encontrar un empleo o un contacto que te pueda llevar a encontrar algo mejor63 (Miguel, entrevue M20).

Deux lieux fréquentés par les répondants semblent avoir été particulièrement propices à ce

réseautage et au développement de liens faibles s’avérant fructueux pour la recherche

d’emploi, dont des emplois plus qualifiés. Les centres d’emploi et les organismes

communautaires – avec leurs ateliers de formation, leurs foires d’emploi et leurs différents

programmes et activités –, d’une part, ainsi que les établissements d’enseignement, d’autre

63 Pour trouver un emploi, vous voyez, je considère que c’est un mélange de plusieurs facteurs. Ta recherche sur Internet, ton réseautage et l’envie que tu as d’aller chercher, parce que souvent il ne s’agit pas seulement de s’asseoir derrière un ordinateur et d’avoir une attitude passive, mais aussi d’avoir une attitude un peu plus active. D’aller, de frapper aux portes, de rechercher des contacts professionnels, de rechercher des… cartes professionnelles, de chercher de nombreuses manières, de nombreux chemins, qui pourront t’amener à trouver un emploi ou un contact qui pourra t’amener à trouver quelque chose de mieux.

Page 182: L’immigration péruvienne au Québec

166

part, ont permis aux Péruviens et Péruviennes interrogées de développer des relations

caractérisées par des liens faibles.

Victor, par exemple, a été bénévole dans un centre d’emploi destiné aux immigrants de la

ville de Québec. Il a participé à l’organisation d’un séminaire sur l’employabilité et le

réseautage. Dans le cadre de cet événement, il a rencontré différents employeurs potentiels,

dont le directeur des ressources humaines d’un grand magasin spécialisé dans l’équipement

de maison. Il raconte qu’il a pu se présenter et créer un premier contact auprès de cet

employeur : « Dans le séminaire, en septembre 2013, j'ai connu le monsieur des ressources

humaines [d’un grand magasin]. Donc, je lui ai parlé, je lui ai dit j'ai ci, j'ai ça. Il m'a dit pas

de problèmes, c'est ma carte, si jamais tu as besoin de chercher quelque chose, contacte-

moi » (entrevue M5). Quelque temps plus tard, Victor a contacté l’employeur en question et

il s’est trouvé un emploi comme livreur dans ce magasin. Comme Victor était ingénieur

civil au Pérou, travailler comme livreur constitue sans aucun doute une situation de

déqualification. Victor était bien conscient de cette réalité, mais il se disait que pour

l’instant cet emploi temporaire lui permettait tout de même de subvenir à ses besoins. C’est

donc en participant à une activité de réseautage (en créant de liens faibles pour revenir à

Granovetter, 1974), que Victor a pu trouver cet emploi.

Liliana présente aussi un parcours similaire. Ayant participé à un programme

d’employabilité organisé par un organisme communautaire de la ville de Montréal, elle

explique comment ce programme lui a permis de trouver son premier emploi :

Tienen ese programa que durante dos meses, ellos te ayudan, te contactan con empresas, de acuerdo a tu perfil. Pero en ese caso, pasados dos meses, ya iban a terminar mis dos meses y no había ninguna oferta que realmente coincidiera con lo que yo estaba buscando. Pero ellos también organizan ciertos eventos donde puedes encontrar a las empresas. Una modalidad tipo speed dating profesional [rires] y es así como conocí a la que actualmente es mi jefa, en un speed dating profesional que yo me acuerdo que fue el segundo al cual fui. El primero al que fui me sorprendió la cantidad de personas que habían de postulantes para la… Y ninguna de las ofertas que vi de empresas me llegó a convencer. Entonces salí un poco desilusionada de ese tipo de eventos y a la semana siguiente había otro en otro lugar. Y lo que dije fue voy a ir, pero ahora tengo que ir más temprano porque si encontré tanta gente, de repente es porque no fui tan temprano. Entonces salí decidida, yendo temprano y ahí fue donde tuve la

Page 183: L’immigration péruvienne au Québec

167

primera entrevista de cinco minutos con la que ahora es mi jefa. Y realmente estuvo súper, porque yo me entrevisté con mi jefa miércoles a las ocho de la mañana, al medio día me estaban llamando de recursos humanos para dar el examen el jueves64 (Liliana, entrevue F21).

Dans le cas de Liliana, cette forme de réseautage express, axé sur la création de liens

faibles, lui a permis d’obtenir son premier emploi en tant qu’assistante administrative dans

un cégep. Ici aussi, Liliana était surqualifiée pour son poste d’assistante administrative,

puisqu’elle venait de terminer une maîtrise en administration publique dans une université

québécoise. Par contre, tout comme Victor, elle se disait tout de même satisfaite de son

emploi. En fait, quelques mois plus tard, elle a pu poser sa candidature à un poste de

conseillère pédagogique en formation continue dans le même établissement. Bien qu’elle

soit aussi surqualifiée pour cet emploi, elle explique qu’elle est « mas que contenta » (plus

que contente) de sa situation. Lorsque je lui ai demandé si son emploi correspondait à ses

qualifications, elle m’a répondu :

Yo creo que, como siempre pienso, es una puerta de entrada. Es una puerta de entrada que ahorita me está permitiendo ganar experiencia. Trato en lo posible de aplicar las herramientas que he estudiado, por ejemplo, en el master, tratando de ver siempre la aplicación directa que puedo hacer y para de alguna manera seguir ganando experiencia y aplicarla. Y aplicando directamente. Ahora, una de las cosas, una de las características que yo resalto en este proceso de migración es la capacidad de adaptabilidad de las personas. Realmente como que vas viendo el camino. Y sí, incluso cuando yo empecé la búsqueda de empleo, en algún momento sí dije, mientras llega el trabajo soñado a nivel de gobierno, me toca hacer otro tipo de trabajos. No tenía ningún problema. Mandé CVs a diversos tipos de trabajo y no tenía ningún problema

64 Ils ont ce programme où pendant deux mois, ils vous aident, ils vous mettent en contact avec les entreprises, selon votre profil. Mais, dans ce cas, au bout de deux mois, j’allais terminer mes deux mois et il n’y avait eu aucune offre qui coïncidait vraiment avec ce que je cherchais. Mais ils organisent aussi certains événements où vous pouvez rencontrer des entreprises. Une modalité de type speed dating professionnel [rires] et c’est comme ça que j'ai rencontré celle qui est actuellement ma patronne, dans un speed dating professionnel et je me souviens que c’était au deuxième où j’ai été. Au premier, j'ai été surprise de voir combien de gens étaient des candidats pour ... Et aucune des offres que j’ai vues des entreprises n’a réussi à me convaincre. Puis je suis partie un peu désillusionnée de ce type d’événements et la semaine suivante, il y en avait un autre à un autre endroit. Et ce que j’ai dit c’est je vais y aller, mais cette fois, je dois y aller plus tôt parce que si j’ai trouvé autant de gens, peut-être que c’est parce que je n'y ai pas été si tôt. Alors, je me suis décidée à y aller tôt et c’est là où j'ai eu la première entrevue de cinq minutes avec celle qui est maintenant ma patronne. Et ce fut vraiment super parce que j’ai été interviewée par ma patronne le mercredi à huit heures du matin, à midi, les ressources humaines m’appelaient pour faire les examens le jeudi.

Page 184: L’immigration péruvienne au Québec

168

en hacerlos. Ahora, cuando encuentro este trabajo, realmente fue más de lo que yo esperé para ser la primera experiencia de trabajo, porque realmente es mi primera experiencia de trabajo. Tuve la suerte de que, por ejemplo, en el momento de evaluar mi dossier y de evaluar mi CV, me reconocieran los años de trabajo en Perú. Entonces sí estoy más que contenta65 (Liliana, entrevue F21).

Participant aussi à un programme d’employabilité, Christina a également fait appel à des

liens faibles pour trouver son premier travail. Lorsqu’elle a voulu chercher un emploi alors

qu’elle terminait sa maîtrise à Rimouski66, elle s’est tournée vers un organisme

communautaire de sa région, tout en menant activement sa propre recherche d’emploi. Elle

raconte :

Je suis allée dans un centre de recherche d’emploi pour tout le monde. Mais à Rimouski, les centres de recherche d’emploi sont pour des gens qui cherchent des jobs, des jobines, mais c’est ça. Je me suis dit que comme c’était gratuit, que j’étais en train de rédiger ma maîtrise et que je ne savais pas pantoute comment faire, je suis allée à ce cours là et c’est comme ça que j’ai trouvé mon premier job. Et je me souviens le premier cours c’était tu dois faire une liste de personnes, chaque jour tu dois appeler au moins cinq personnes de tes contacts et leur dire que tu cherches un job parce que 80 % des jobs ne sont pas publiés. Et c’est ça, en fait, j’ai appelé une amie, et j’ai dit : « écoute, je dis ça comme ça, mais je cherche un job. Si tu es au courant d’une ouverture qui n’est pas publiée, fais-moi signe ». Cette fille-là, son chum travaillait dans une boîte, et il y avait une ouverture. Et la fille me l’a dit. J’ai appliqué et j’ai eu le job. Mais, ça tombait que par hasard cette fille-là, c’est une fille qui venait de Montréal, alors c’est une fille très ouverte, très, très dynamique. C’était la meilleure amie de mon amie, dont le chum de mon amie travaillait là. Elle avait fait sa maîtrise, celle qui est devenue ma boss, avec un de mes directeurs de maîtrise. Alors elle est allée demander des références à son ancien directeur et il a donné de bonnes références. Alors, j’ai travaillé quatre ans avec elle (Christina, entrevue F13).

65 Je pense, comme je le pense toujours, que c’est une porte d’entrée. C’est une porte d’entrée qui en ce moment me permet d'acquérir de l'expérience. J'essaie autant que possible d'appliquer les outils que j'ai étudiés, par exemple dans la maîtrise, en essayant de voir toujours l'application directe que je peux faire et d’une certaine façon, de continuer à acquérir de l’expérience et à l'appliquer. Et je l’applique directement. Maintenant, une chose, l'une des caractéristiques que je souligne dans ce processus de migration c’est la capacité d'adaptation des personnes. Tu regardes vraiment le chemin. Eh oui, même quand j'ai commencé la recherche d'emploi, à un moment donné si je disais que l'emploi de rêve est au niveau du gouvernement, je peux aussi faire d'autres types de travail. Je n’avais aucun problème. J'envoyé des CV à différents types de travail et je n’avais aucun problème à exercer ces emplois. Maintenant, lorsque j’ai trouvé cet emploi, vraiment c’était en fait plus que ce que j’espérais pour une première expérience de travail, parce que vraiment, c’est ma première expérience de travail. J'ai eu de la chance, par exemple, puisqu’au moment d'évaluer mon dossier et d’évaluer mon CV, ils ont reconnu mes années de travail au Pérou. Alors oui, je suis plus qu'heureuse. 66 Au moment de son entrevue, Christina habitait la ville de Québec depuis sept ans.

Page 185: L’immigration péruvienne au Québec

169

Ici, il est intéressant de noter que Christina a fait appel à son réseau de contacts informels,

composé à la fois de liens forts et de liens faibles. En suivant les conseils octroyés par les

intervenants du centre d’emploi – stipulant que 80 % des emplois sont cachés – elle a

d’abord contacté une amie (une relation caractérisée par un lien fort) qui l’a référé à une

autre amie (une relation caractérisée par un lien faible). Une amie d’une amie l’a finalement

embauché. En bout de piste, c’est donc par l’intermédiaire d’un lien faible que Christina a

trouvé son premier emploi. Précisons par ailleurs que Christina, ayant fait sa maîtrise au

Québec, a eu l’occasion d’élargir son réseau d’amis et de contact lors de ses études. L’amie

qu’elle a contactée était une ancienne collègue de classe rencontrée alors qu’elle réalisait sa

maîtrise à l’Université de Rimouski. Dans les entretiens, d’autres répondants ont aussi

mentionné comment leurs pairs connus lors de leurs études au Québec les ont soutenus dans

leur recherche d’emploi.

Alberto, par exemple, a appris grâce à un camarade de classe qu’il existait un concours

d’emploi au gouvernement provincial. Cette information donnée par un ami de l’université

lui a donné accès à un emploi de vérificateur dans la fonction publique québécoise. Il

raconte son parcours ainsi :

Je suis resté une année à l'aéroport, en 2004-2005. En 2005, j'ai dit : « merci, bye bye ». En 2005, je suis allé à temps plein à l'Université, à l’UQAM. Mais j’ai changé de carrière, je voulais devenir CMA, comptable agréé en administration. Je me suis inscrit, parce qu'il faut avoir les études, il faut avoir le titre pour avoir un meilleur emploi. Et quand j'étais à l'université, il y avait un Chilien, un ami, m'a dit : « hey regarde, le gouvernement, il y a un concours d'emploi, il faut passer un examen ». Moi je n’avais aucune idée. Moi j'essaie tout. On va essayer ça. Je me suis inscrit, j'ai passé un examen, j'ai réussi. J'ai été engagé. J'ai laissé l'université. Je n'ai pas fini mes études parce qu'au gouvernement ton titre n'est pas reconnu. Tu ne seras pas plus payé parce que tu as le titre (Alberto, entrevue M6).

En bref, plusieurs répondants ont souligné la nécessité d’élargir leur réseau de contacts dans

le but de faciliter leur recherche d’emploi. L’impact positif des relations caractérisées par

des liens faibles est ressorti à plusieurs reprises dans les entrevues. À cette stratégie s’ajoute

la recherche active de liens et de contacts extra communautaires.

Page 186: L’immigration péruvienne au Québec

170

6.3.3 La valorisation des liens hors du réseau péruvien ou latino pour « s’intégrer » En général, les répondants ont identifié l’importance de développer des liens à l’extérieur

de la communauté péruvienne ou latino-américaine pour « s’intégrer ». Pablo explique bien

cette pensée lorsqu’il dit : « il faut faire deux choses, s’intégrer et côtoyer des Péruviens »

(entrevue M2). Ici « s’intégrer » est conçu comme une démarche distincte de celle qui

consiste à « côtoyer des Péruviens ». Si à l’arrivée, la communauté péruvienne (les amis,

les proches, la famille) demeure une source de soutien fort utile au début (comme pour

l’obtention du premier logement et du premier emploi non qualifié), d’aucuns maintiennent

qu’il ne faut pas en rester là. En bref, pour l’ensemble des personnes interrogées, il ne fait

aucun doute qu’il faut « s’intégrer » et pour ce faire, il faut créer des liens au-delà du réseau

péruvien.

À ce sujet, Andrea explique que les « Latinos qui restent avec les Latinos » ont tendance à

créer un « cercle fermé » qui « ne permet pas d’avancer » :

Par contre, c’est un cercle fermé aussi les Latinos qui restent avec les Latinos et ils ne se laissent pas. Si on est dans une réunion, les Latinos vont être comme ça. Ça va être difficile des fois de traverser cette porte là et rentrer dans leur ambiance. C’est beaucoup plus difficile. C’est pour ça que je me suis dit l’association […] c’est justement pour ça, pour faire l’échange entre deux cultures. Parce que ce qui arrive, ce que j’ai remarqué pendant toutes ces années que j’ai vécu au Canada, justement ça, ils ne permettent pas, ils ne s’ouvrent pas aux gens, ne s’ouvrent pas aux Québécois. Pourquoi ? Ils peuvent être des amis, on peut avoir des amis québécois. Moi, j’ai plus d’amis québécois, mais ça, c’est moi. Mais la généralité, c’est plus des amis latinos qui se comprennent très bien, qui vont être « a l'anciano » [à l'ancienne], comme si c’était dans notre pays, c’est magnifique, c’est très beau ça. Par contre, des fois, ça peut créer comme un cercle fermé. Il ne permet pas d’avancer. Donc les gens arrivés il y a 25 ans, il y a 20 ans, c’est qu’ils apprenaient la langue à moitié. Même si c’est gens-là allaient à l’université ou même s’ils allaient étudier toutes les heures que donnaient le COFI [Centres d'orientation et de formation des immigrants], ils restaient dans leur cercle. Ils ne sortaient pas (Andrea, entrevue F18).

Miguel quant à lui trouve qu’une certaine partie de la communauté péruvienne à Montréal

« continue de vivre avec les coutumes » du Pérou ici. Pour Miguel, cette attitude pourrait

être nuisible à l’intégration si c’est trop « extrême ». Il dit :

Page 187: L’immigration péruvienne au Québec

171

Pero de lo poco que he podido ver, por ejemplo, es una comunidad que gusta… hay mucha gente que mantiene las costumbres de Perú aquí. Eso, de alguna manera, hasta cierto punto es bueno, pero si se lleva al extremo, como todo extremo, si se lleva al extremo podría ser perjudicial para la integración aquí. Es cierto que tú vas a pasar muchos años, décadas, y tú vas a seguir siendo peruano. Pero tú no puedes esperar que la sociedad que te acoge se adapte a ti. De alguna manera tú tienes que buscar integrarte. Hay ciertas cosas que me llevan a pensar que hay una parte de la comunidad peruana que sigue todavía con las costumbres de allá67 (Miguel, entrevue M20).

Liliana ajoute : « Están con la mente en Perú, pero físicamente en Quebec » (« Ils sont avec

l’esprit au Pérou, mais physiquement au Québec »). Partageant aussi cette opinion, Ricardo

relate qu’il avait beaucoup d’amis latinos lorsqu’il est arrivé au Québec, mais qu’il voulait

aussi « s’intégrer ». Il dit :

Pis on se tenait beaucoup avec des amis latinos et c’était cool, mais mon objectif était beaucoup plus aussi de m’intégrer. […] Donc, là, il commence à y avoir des, « ah tu te tiens [avec des Québécois]… ». Ils voulaient toujours aller danser dans des places latinos, ils voulaient toujours aller dans des places latinos. Moi je n’aime pas la musique [latino], je la danse, parce que c’est normal, parce que je ne sais pas, mais je vais danser sur la musique des années 80. « Ah ben toi », il y avait des questions, comme « tu veux toujours être avec des Québécois, tu veux toujours parler français ». Jusqu’au moment où j’ai dit : « Écoute, j’adore le Pérou, quand je rentre au Pérou, je suis chez nous et c’est tout à fait ça, mais j’ai décidé de venir ici parce que je voulais vivre avec des Québécois, avec les Canadiens ». Si j’avais voulu être avec des Latinos, pourquoi je viens ici ? Je vais rester au Pérou, je vais rester avec des vrais Latinos, avec la vraie nourriture et avec de la bonne musique péruvienne (Ricardo, entrevue M23).

Une fois en emploi, cet objectif d’intégration s’est aussi traduit par une volonté d’échanger

et de créer des liens avec des personnes qui n’étaient pas d’origine péruvienne ou latino-

américaine. C’est le cas de Veronica qui explique qu’au début, elle était mal à l’aise à la

67 Mais du peu que je l’ai vue, par exemple, c’est une communauté qui aime…il y beaucoup de gens qui maintiennent les coutumes du Pérou ici. Cela, d’une certaine manière, jusqu’à un certain point, c’est une bonne chose, mais si c’est à l’extrême, comme tout extrême, cela peut être préjudiciable à l’intégration ici. Il est certain que tu vas passer plusieurs années, des décades, et tu vas continuer à te sentir Péruvien. Mais, tu ne peux pas t’attendre à ce que la société qui t’accueille s’adapte à toi. D’une certaine façon, tu dois chercher à t’intégrer. Il y a certaines choses qui m’amènent à penser qu’il y a une partie de la communauté péruvienne qui garde encore les coutumes de là-bas.

Page 188: L’immigration péruvienne au Québec

172

cafétéria de son milieu de travail, parce qu’elle sentait qu’elle ne connaissait pas bien les

sujets de conversation abordés par ses collègues. Comme plusieurs autres répondants,

Veronica soutient qu’il est important de suivre l’actualité au Québec pour pouvoir

converser avec les autres Québécois et mieux « s’intégrer ». Elle raconte son expérience

ainsi :

Je sens que j’ai changé de mentalité, parce qu’avant, je me souviens dans mon premier travail, en comparaison avec maintenant, je me suis intégrée plus vite. Et aussi je fais l’équivalence avec mes amis quand j’écoute des choses qu’ils n’aiment pas. Quand tu arrives pour manger à la cafétéria, je pense que c’est la meilleure place parce que si tu manges toujours à l’extérieur, tu ne vas jamais avoir des contacts avec des amis, tes collègues de travail. L’arrivée à la cafétéria c’était dur parce que tu ne connais rien et tu n’as pas beaucoup de choses à parler. Ce n’est pas juste que je n’ai pas compris l’expression, j’ai compris, mais je ne peux pas parler de politique, des nouvelles, parce que je n’ai pas trop écouté les nouvelles. Maintenant, c’est différent. Maintenant, je suis plus intéressée à tout et je lis tout le temps le journal. Je le trouve très bon. Je lis tout le temps les nouvelles parce que je sais qu’il y a quelque chose de nouveau dont je peux parler et ça, ça m’avait aidé à m’intégrer mieux. Maintenant, je dîne tout le temps à la cafétéria, parce que maintenant je connais tout le monde (Veronica, entrevue F19).

Elle renchérit :

J’ai déjà des amis qui sont ici depuis plus longtemps que moi et quand ils me parlent ils me disent « les Québécois sont comme ça, les Québécois sont comme ci » et ils ne leur parlent pas. Je leur dis c’est toi, parce que tu es tout le temps… C’est bon d’avoir quelques amis qui sont Péruviens, mais j’ai des amis aussi qui sont Québécois. J’ai des amis qui sont restés dans leur tête encore au Pérou. Ils sont juste dans le monde du Pérou, dans les nouvelles du Pérou, ils n’ont pas d’autres sujets. C’est pour ça que je pense que pour s’intégrer, au moins essayer… J’ai vu ce qui m’avait manqué, maintenant mes relations de travail c’est mieux (Veronica, entrevue F19).

José exprime une opinion similaire. En tant que superviseur dans une entreprise de

nettoyage, il est souvent en contact avec des clients. Pour lui, il est donc important de

pouvoir aborder différents sujets avec les gens qu’il rencontre dans le cadre de son travail.

Il explique qu’il aime lire les journaux :

Me gusta leer los periódicos. Eso me ayuda bastante. Si solamente lees cosas sobre tu país, ¿cómo puedes hablar con una persona de aquí? Hablo de la temperatura, de la

Page 189: L’immigration péruvienne au Québec

173

sociedad, del tráfico, del hockey con los clientes. Son conversaciones de trabajo. Son detalles que uno tiene que saber68 (José, entrevue M11).

Le désir de « s’intégrer », donc de ne pas rester seulement parmi les siens, est revenu à

plusieurs reprises dans les entrevues. Reproduisant d’ailleurs le discours officiel sur

l’intégration des immigrants69, les « répondants » considéraient qu’ils étaient bien

« intégrés ». En ce qui a trait aux relations amoureuses, mentionnons d’ailleurs que dix des

24 répondants interrogés (sept femmes et trois hommes) étaient en couple avec une

personne québécoise d’origine canadienne-française. Mise à part Paula, qui avait été

parrainée par son mari québécois, tous les répondants en couple avec un Québécois ou une

Québécoise avaient immigré seuls, c’est-à-dire sans conjoint (et sans enfants à charge).

Comme l’explique Ricardo, il est aussi peut-être aussi plus facile de « s’intégrer » lorsque

l’on arrive seul :

Quand tu arrives tout seul, c’est plus facile l’intégration que quand tu arrives en couple, parce que tu cherches à être en couple et ça te pousse beaucoup plus. C’est sûr que tu peux toujours chercher des gens de ta même origine […], mais les gens qui sont célibataires, même s’ils sont célibataires avec des enfants… Parce quand tu arrives à la maison et que vous êtes deux Péruviens qui ont vécu au Pérou et tout ça, toutes vos références elles se croisent. Tu parles en espagnol et tu regardes des émissions du Pérou, pis c’est correct, aussi (Ricardo, M23).

Finalement, mentionnons aussi que tous les répondants en couple mixte étaient arrivés au

Québec alors qu’ils étaient dans la vingtaine ou le début de la trentaine. Étant jeunes (et

pour la majorité célibataires), ils ont finalement choisi un partenaire hors du groupe latino-

américain, ce qui selon Ricardo, pourrait peut-être faciliter l’intégration au Québec. À ce

68 J’aime lire les journaux. Cela m’aide assez. Si tu lis seulement des choses sur ton pays, comment peux-tu parler avec une personne d’ici ? Je parle de la température, de la société, du trafic, du hockey avec les clients. Ce sont des conversations de travail. Ce sont des détails qu’une personne doit savoir. 69 Le ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion administre le « Programme Réussir l’intégration ». L’objectif général de ce programme est le suivant : « [f]aire en sorte que les personnes immigrantes puissent réaliser leurs démarches avec célérité de manière qu’elles puissent participer pleinement, en français, à la vie collective en acquérant les savoirs essentiels pour ce faire » (MIDI, 2016a).

Page 190: L’immigration péruvienne au Québec

174

sujet, quelques répondants ont d’ailleurs mentionné que les membres de leur belle famille

d’origine québécoise les avaient beaucoup soutenus.70

Une étude menée en France et explorant l’impact du mode de vie sur l’adaptation des

immigrants présente des résultats qui rejoignent les propos de Ricardo quant au fait

d’immigrer seul (Richard et al., 2016). Dans leur récente étude, Richard et al. (2016)

explorent les liens entre le niveau d’« intégration » d’immigrants en provenance de

l’Algérie, du Portugal, de la Turquie et du Vietnam et leur implication dans des associations

communautaires ethnoculturelles. En se basant sur la grande enquête Trajectoires et

Origines : Enquête sur la diversité de la population en France, réalisée conjointement par

l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et l’Institut national

d’études démographiques (Ined) et menée auprès de 22 000 répondants, les auteurs

concluent que les femmes immigrantes, les immigrants qui arrivent seuls (célibataires) et

les immigrants arrivés plus jeunes en France sont aussi les mieux « intégrés ». L’intégration

est définie ici à l’aide de différents énoncés (comme le fait d’avoir un emploi ou non, la

confiance ou non envers des institutions françaises – tels la justice, la police, les services

publics et l’école – le sentiment d’être Français et de se sentir chez soi en France, d’être

perçu comme un Français et le nombre de fois où une personne est questionnée sur ses

origines) (Richard et al., 2016 : 131). Il serait intéressant d’approfondir davantage la

recherche sur le mode de vie (le fait d’immigrer seul, en couple ou en famille, par exemple)

afin de vérifier à quel point ce dernier influe sur l’expérience d’immigration.

6.4 Conclusion

En conclusion, ce chapitre montre à quel point les répondants ont été actifs pour mobiliser

différents réseaux sociaux tout au long de leur trajectoire migratoire. En période

prémigratoire, les réseaux transnationaux comprenant la famille et les amis déjà établis au

70 Il serait intéressant d’explorer cette question davantage. Cette thèse ne porte pas spécifiquement sur les couples mixtes et je n’ai pas analysé cette question dans les entrevues. C’est seulement plus tard que j’ai réalisé que plusieurs des répondants étaient en couple mixte. Il serait certainement intéressant d’examiner l’impact du couple mixte sur l’intégration ou le sentiment d’appartenance à la nouvelle société.

Page 191: L’immigration péruvienne au Québec

175

Québec (liens forts) et les forums de discussion virtuels (liens plus faibles) ont servi de

référence pour informer les immigrants et moduler leurs attentes au plan professionnel. La

majorité des répondants étaient donc bien informés avant leur départ et plusieurs semblaient

bien au fait du paradoxe de l’insertion socioéconomique des travailleurs qualifiés. Plusieurs

participants s’attendaient à subir une certaine déqualification au plan socioprofessionnel,

sachant d’avance que leurs diplômes et expériences acquis à l’étranger ne seraient pas

automatiquement reconnus une fois au Québec. Ici, l’importance de l’Internet et des

technologies de l’information et des communications (TIC) ne fait aucun doute. En effet,

contrairement aux cohortes précédentes, les immigrants péruviens arrivés à partir des

années 2000 ont eu accès à une meilleure information via les réseaux sociaux en ligne et le

partage fréquent (voire quotidien) d’informations avec famille et amis déjà établis au

Québec grâce aux TIC.

Une fois sur place, le réseau informel – composé de la famille et des amis (liens forts) et de

membres du groupe ethnoculturel (liens forts et liens faibles) – a joué un rôle important

pour accueillir les Péruviens et parfois, pour les aider avec l’obtention d’un premier emploi

(souvent peu ou pas qualifié). Par ailleurs, c’est surtout grâce au recours à des relations

caractérisées par des liens faibles et au réseau formel – comprenant les centres d’emploi et

les organismes communautaires – que les répondants ont trouvé des emplois plus qualifiés

(pour lesquels la majorité d’entre eux était tout de même surqualifiée). Ce constat a

d’importantes implications quant à la nécessité de continuer à offrir des services

d'employabilité aux nouveaux immigrants. En outre, pour contrer la déqualification, une

meilleure reconnaissance des diplômes étrangers et une intensification de programmes de

stages et de mentorats (Forcier, 2012 : 7) permettraient véritablement aux immigrants

d'occuper des emplois qui correspondent à leurs qualifications, leur expérience et leur

expertise. Ainsi, les immigrants pourraient « contribuer à la mesure de leur potentiel au

développement économique et social du Québec » (Forcier, 2012 : 1).

Finalement, les répondants ont aussi affirmé l’importance de développer des contacts à

l’extérieur du réseau « latino » et d’élargir leurs réseaux sociaux. À cet égard, il semble que

les immigrants péruviens qui sont arrivés seuls (plutôt qu’en famille avec enfants ou en

Page 192: L’immigration péruvienne au Québec

176

couple sans enfants) sont aussi ceux qui ont développé le plus de liens d’amitié et de

contacts avec des Québécois d’origine. Parmi les répondants, onze d’entre eux étaient en

couple avec une personne québécoise d’origine. D’autres recherches seraient nécessaires

afin d’explorer l’impact du mode de vie sur l’expérience migratoire. En dernière instance,

peu importe leur état civil à leur arrivée (marié, célibataire, avec ou sans enfants), les

répondants ont tous spécifié qu’ils étaient importants pour eux de « s’intégrer », soit de

sortir de l’endogroupe péruvien et latino-américain (que ce soit au travail ou en dehors de

celui-ci). Cette attitude reflète tout à fait les discours ambiants sur l’intégration des

immigrants. Dans le prochain chapitre, nous approfondirons davantage l’aspect identitaire

de l’intégration en nous penchant sur la question de l’identité des répondants et de

l’appartenance envers la société d’accueil.

Page 193: L’immigration péruvienne au Québec

177

Chapitre VII. Constructions identitaires et sentiment d’appartenance en situation de migration

Nous avons voyagé et quand nous sommes revenus, nous avons dit : « Chez nous, c’est

ici ». Quand j’étais loin de Montréal, de la Rive-Sud, cela me manquait. Ça veut dire que nous

avons deux chez-nous.

– Pablo (entrevue M2)

Avant d’habiter au Québec, Pablo n’avait jamais vraiment pensé qu’il était « Latino ». Au

Pérou, il ne s’identifiait pas comme un « Latino ». Il était Péruvien. Par contre, après

quelques années passées au Québec, il explique qu’il a « trouvé l’identité latina ici »71

(entrevue M2). Plusieurs études empiriques ont démontré que l’identité des migrants se

modifie au cours de leurs parcours migratoires (voir entre autres Creese, 2011 ; Gallant et

Friche, 2010 ; Therrien, 2013). Les personnes immigrantes reconstruisent (ou remanient)

leur identité dans un nouveau contexte social et culturel. Les dernières recherchent ont

d’ailleurs souligné la multiplicité des appartenances coexistant chez un même individu et le

caractère complexe, hybride, malléable et évolutif de l’identité72 (Labelle et al., 2007).

Ainsi, une même personne peut ressentir un sentiment d’appartenance envers plus d’un

groupe identitaire. Pablo, par exemple, cité en épigraphe de ce chapitre, réalise qu’il a

maintenant « deux chez-nous ». Il a un fort sentiment d’appartenance envers le Pérou, mais

aussi envers le Québec (plus précisément Montréal et la Rive-Sud). Comme le précisent

Gallant et Friche, « la littérature semble aujourd’hui de moins en moins partagée sur la 71 Le terme « latino » fait référence à l’adjectif « latino-américain ». J’ai conservé la majuscule lorsque « Latino » ou « Latina » étaient utilisés comme des noms. 72 Compte tenu de cette conception de l’identité, Brubaker (2001) suggère d’éviter d’utiliser le concept d’identité comme catégorie analytique dans l’analyse sociale. Je me distancie de cette proposition.

Page 194: L’immigration péruvienne au Québec

178

possibilité pour les individus de combiner plusieurs appartenances fortes au sein de leur

identité. La démonstration n’est plus vraiment à faire que les sujets n’ont pas à abandonner

ou à diminuer le sentiment d’appartenance envers leurs origines pour faire de la place à

l’identification au pays d’accueil » (2010 : 114). L’identité peut donc évoluer dans le temps

et changer selon les contextes, comme dans le cas de Pablo qui ne se sentait pas Latino

avant d’immigrer au Québec. Maclure (1998), quant à lui, rappelle que l’identité est un soi

en construction, à la foi contesté et problématique, où le sujet doit tenir compte d’une

« multiplicité de filières identificatrices » :

Il est de plus en plus difficile aujourd'hui, même si cela l'a peut-être toujours été, de résumer l'identité d'une personne à une allégeance principale et englobante. Que l'on fasse référence à l'origine, la nationalité, la foi, l'orientation sexuelle, la profession, la sociabilité, le mode de vie, l'engagement politique, l'état civil, ou au genre, il est impossible de capter la complexité du sujet contemporain en n'embrassant qu'un seul de ses fragments de vie. L'identité est un site problématique et contesté d'élaboration personnelle (Maclure, 1998 : 19).

Tout un pan de la littérature met dont l’accent sur le caractère construit, complexe et

multiple de l’identité et sur la part de choix individuel dans ce processus de construction

personnelle.

En plus de considérer l’identité comme un « choix subjectif » où l’individu s’autodéfinit en

fonction des appartenances considérées comme les plus importantes et caractéristiques pour

lui (Gallant, 2008), rappelons également que nous considérons dans cette étude le caractère

éminemment social de toute construction identitaire. En contexte migratoire, par exemple,

la société d’accueil peut assigner une catégorie identitaire englobante à un groupe de

personnes provenant de différents pays (Creese, 2011; Okeke-Ihejirika et Spitzer, 2005).

Dans notre étude, le terme latino, parfois utilisé par les membres de la société d’accueil

pour décrire tous les migrants de l’Amérique latine, malgré la diversité de leurs origines

nationales ou ethniques, semble avoir eu un impact sur l’identification des Péruviens. Alors

que certains de nos répondants ont adopté cette appellation, d’autres la rejettent justement

parce qu’ils trouvent que le terme latino – trop réducteur – ne représente pas bien qui ils

sont et comment ils se sentent au plan identitaire.

Page 195: L’immigration péruvienne au Québec

179

Inscrite dans des relations de pouvoir entre les discours sociaux et les individus qui habitent

ces discours (Sarkar et Allen, 2007), la construction identitaire des immigrants est aussi

influencée par le sentiment de se sentir acceptés ou non au sein du nous québécois (ou

canadien). Pour mieux comprendre le sentiment d’acceptation ou d’inclusion des

participants au sein du groupe majoritaire québécois ou canadien, nous nous référons aux

études sur les nationalismes et la construction des identités collectives. Rappelons que dans

ces études, la nation est comprise comme un construit social qui fait l’objet de

contestations, de conflits d’interprétation et de diverses représentations (Langlois, 2002).

Différentes conceptions de la nation ont d’ailleurs été mobilisées pour expliquer les

fondements de l’appartenance nationale et collective. Par exemple, deux conceptions

opposées – soit la nation ethnique (ou culturelle) versus la nation civique – ont été mises de

l’avant dans la littérature. Bien que cette dichotomie ait été critiquée par plusieurs

(Langlois, 2002) (parce que trop réductrice), elle demeure tout de même utile pour nous

aider à comprendre le sentiment d’appartenance identitaire envers la société d’accueil.

Selon une vision ethnique de la nation, l’appartenance au groupe serait fondée sur l’hérédité

et sur des caractéristiques acquises telle la langue maternelle ou la culture (Gallant, 2010).

Une telle conception semble rendre plus difficile l’acceptation de nouveaux membres

immigrants au sein du « nous identitaire », puisque ces derniers risquent de ne pas partager

les mêmes caractéristiques héréditaires, une langue maternelle commune et une même

culture avec les membres du groupe dominant. Au contraire, la vision civique réfèrerait

plutôt à un choix et à des caractéristiques qui s’acquièrent, comme les valeurs politiques, la

citoyenneté, la connaissance de la langue commune, etc. (Gallant, 2010) – facilitant ainsi

l’acceptation de nouveaux arrivants au sein de la nation.

Pour les participants de cette recherche, on peut supposer que leurs définitions de la nation

peuvent se situer n’importe où sur ce continuum entre nation ethnique et civique. En ce

sens, on peut supposer que les répondants qui auront une conception plus ethnique de la

nation risquent d’avoir plus de difficulté à s’identifier au « nous » québécois (ou canadien),

alors que ceux qui ont une conception plus civique auront plus de facilité à se sentir

acceptés dans la nouvelle société. Dans notre étude, il appert en effet que les répondants qui

Page 196: L’immigration péruvienne au Québec

180

disaient ne pas se sentir Québécois avaient souvent une conception ethnique de la nation,

alors que ceux qui se sentaient plus acceptés par le groupe majoritaire tendaient à partager

une vision plus civique de la nation. En parallèle, les discours officiels, ainsi que les

interactions quotidiennes, reflètent aussi ces deux dimensions – ethniques et civiques – de

l’identité québécoise et canadienne. Nous y reviendrons dans ce chapitre.

Dans ce chapitre, nous verrons que les répondants présentent une variété de

positionnements identitaires. Alors que certains se sentaient Québécois, Canadiens ou

Montréalais, d’autres trouvaient plus difficile de s’identifier à ces groupes d’appartenance.

Dans l’ensemble, la grande majorité des répondants étaient attachés à leurs origines et ils

s’identifiaient comme étant Péruviens, tout en se disant bien intégrés dans la société

québécoise et en manifestant un sentiment d’appartenance (variable selon les cas) envers le

Québec, le Canada ou encore Montréal. Afin de mieux comprendre les différentes

constructions identitaires des répondants, nous examinerons l’identité et le sentiment

d’appartenance selon différentes dimensions interreliées et complémentaires.

Nous examinerons d’abord la dimension hybride et complexe de la construction identitaire

des répondants à la suite de leur immigration au Québec. Non seulement plusieurs

répondants se sentent à la fois Péruviens et Québécois et/ou Canadiens, mais nous verrons

également que l’identité des participants est à la fois situationnelle et évolutive. Cette

dernière varie notamment selon les contextes géographiques, les situations sociales et la

période de temps passée au Québec.

Pour mieux comprendre la complexité des différentes constructions identitaires des

répondants, nous considérerons ensuite les discours des répondants quant à leur sentiment

d’inclusion par rapport au « nous » québécois (ou canadien). D’après les entrevues, il

semble que certains répondants ne se considèrent pas Québécois (ou Canadiens) en raison

de différents facteurs qu’ils perçoivent comme étant des barrières à leur pleine acceptation

dans le groupe majoritaire (dont l’accent, l’apparence phénotypique, le manque d’ouverture

de la part de la société d’accueil envers eux, etc.). En se basant sur les théories relatives aux

Page 197: L’immigration péruvienne au Québec

181

identités nationales, il semble que certaines des raisons données par les participants pour

expliquer leurs sentiments d’exclusion seraient liées à une conception davantage ethnique

de la nation.

La question de l’identité « latino » sera également abordée dans ce chapitre. D’une part

préalablement assignée à travers les discours dominants de la société d’accueil et, d’autre

part, réclamée par plusieurs migrants en provenance de l’Amérique latine, l’identité latina a

été adoptée par certains répondants, alors que d’autres l’ont plutôt rejetée. Ces derniers

perçoivent l’identité latina comme une étiquette réductrice qui leur est imposée de

l’extérieur et qui ne reflètent pas leur réalité et leur identité.

Afin de prendre en considération la dimension civique et normative de l’identité, nous nous

pencherons également sur les valeurs associées à cette dernière. Parce que l’identité

québécoise et/ou canadienne est souvent présentée comme étant basée sur le partage de

valeurs communes (pensons notamment à la Charte des valeurs québécoise proposée par le

Parti Québécois en 2013 et à la notion d’interculturalisme), une section de ce chapitre

portera sur la dimension citoyenne de l’identité. En fait, il appert que plusieurs répondants

manifestent un sentiment d’appartenance envers leur nouvelle terre d’accueil notamment en

raison des valeurs officielles qui y sont véhiculées et qui sont reflétées dans les lois et la

société en général. Cette identité fondée sur des valeurs communes (l’égalité entre les

hommes et les femmes, la laïcité, la primauté du droit, etc.) est ressortie chez plusieurs

répondants, surtout ceux qui appartenaient à des groupes minorisés, telles les femmes et

une personne qui s’identifiait comme gai.

Finalement, la dernière section de chapitre présente le sentiment d’appartenance sous

l’angle de l’identité locale, soit celle liée à la ville habitée. Certains répondants ont souligné

qu’ils étaient très attachés à la ville de Montréal et qu’ils se sentaient même Montréalais.

En revanche, les répondants de la ville de Québec entretiennent un discours plus ambivalent

par rapport à leur ville d’adoption. Bien que les répondants disent aimer habiter la ville de

Québec (pour sa tranquillité en comparaison avec Montréal et Lima, notamment), plusieurs

Page 198: L’immigration péruvienne au Québec

182

d’entre eux ont aussi mentionné qu’il trouvait la ville et ses habitants plus « fermés » envers

les nouveaux arrivants.

7.1 Identité et hybridité

D’après les propos identitaires tenus par les répondants, il appert que leur identité est

hybride et complexe, reflétant bien ce qui ressort dans la littérature sur la construction

identitaire en situation de migration. Les répondants manifestent divers degrés

d’appartenance envers leur société d’origine et leur société d’accueil. Mis à part deux

personnes73, tous les autres répondants ont dit être et se sentir Péruviens ou Péruviennes.

Parallèlement à ce sentiment d’appartenance envers leurs origines, les répondants ont aussi

mentionné avoir un sentiment d’appartenance envers le Québec (ou le Canada), variable

selon les cas.

Monica, par exemple, explique que même après avoir passé plusieurs années au Québec,

elle est toujours Péruvienne. Elle ajoute par contre qu’elle « aime beaucoup ce pays » et

« la culture québécoise » :

Après trente ans, j'aime beaucoup ce pays. Je dirais que je suis une Péruvienne, mais j'aime beaucoup aussi la culture québécoise. J'aime beaucoup aller à la cabane à sucre et j'aime beaucoup écouter la musique de Mes Aïeux. Je les adore, je les apprends, je les chante. On essaye de jouer [leurs chansons] avec X et avec d'autres Québécoises qu'il y avait dans le groupe (Monica, entrevue F1).

Monica est musicienne dans un groupe de folklore péruvien au sein duquel elle intègre des

chansons québécoises. Elle mentionne que son fils unique est né ici et de ce fait, qu’il est

Québécois. C’est donc en partie pour lui qu’elle combine les deux cultures, péruvienne et

québécoise, à travers la musique. Elle explique que pour le 24 juin, elle aime célébrer à la

fois la fête nationale du Québec et la fête de l’Inti Raymi74 de la ville de Cusco au Pérou :

73 Enrique disait qu’il ne se sentait « pas vraiment Péruvien », mais « pas vraiment Québécois » non plus. Emilia, quant à elle, trouvait qu’elle n’était ni Péruvienne ni Québécoise. 74 La fête de l’Inti Rayme, qui signifie la fête du soleil en quechua (la langue parlée par les Incas), est aussi célébrée le 24 juin à Cusco au Pérou pour souligner le solstice d’hiver.

Page 199: L’immigration péruvienne au Québec

183

Donc avec les musiciens, ce qu'on fait le 24 juin on chante, la moitié du temps des choses péruviennes et l'autre moitié du temps, des choses québécoises. Il y a des chansons à réponse. Pourquoi, parce que nos enfants, mon enfant est Québécois. Mais lui, il est très Péruvien, il a son drapeau péruvien dans sa chambre. Lui il se dit Péruvien, mais je lui dis : « T'es pas Péruvien ». Il veut devenir consul du Pérou, mais je lui dis, « tu ne peux pas, parce que tu n'es pas Péruvien ». Il est né ici. Mais, il est né au milieu d'une troupe de musiciens. Toute la musique qui joue, c'est notre musique (Monica, entrevue F1).

L’importance du lieu de naissance, mentionnée ici par Monica, a été soulignée par d’autres

répondants relativement à leur hésitation à se considérer comme Québécois. Faisant

référence à une conception ethnique de la nation, le lieu de naissance a souvent été

considéré comme un obstacle pour se sentir véritablement Québécois. Valentina par

exemple est l’une des répondantes qui disait qu’elle ne pouvait pas se considérer comme

Québécoise parce qu’elle n’était pas née au Québec. Elle dit :

Maintenant, je suis citoyenne canadienne, mais j’ai gardé ma citoyenneté péruvienne encore. Mais, je ne pourrais pas me considérer comme Québécoise parce que je ne suis pas née ici. Je ne suis pas très immergée dans la culture ici. Peut-être que quand j’aurai passé 40 ans ici… Je suis Péruvienne, mais je ne suis pas une personne nationaliste qui a décidé, non, je vis ici, je meurs ici. Au contraire, je suis sortie de mon pays, non ? Non, je suis plus comme les gens qui sont des citoyens du monde. Je suis une immigrante. Moi, je suis une étrangère. Je suis une personne qui vient d’ailleurs, qui connaît d’autres réalités, qui a toujours un pied ici et un pied dans la réalité là-bas. Je m’intéresse encore à la réalité de mon pays, comment ça va les choses. Je m’intéresse à la politique ici (Valentina, entrevue F4).

Malgré le fait qu’elle ne soit pas née ici, Valentina est tout de même attachée au Québec.

En fait, avoir « toujours un pied ici et un pied dans la réalité là-bas » est une métaphore qui

résume bien l’identité hybride des immigrants de la première génération. Cet espace

intermédiaire entre deux (ou plusieurs) réalités, sans toutefois nier l’une ou l’autre, fait en

sorte que plusieurs des répondants exprimaient un sentiment d’appartenance envers deux

(ou plusieurs) nations. C’est le cas de Gabriela, par exemple, qui dit avoir « deux nations »

dans son cœur :

Moi, en premier, je dis je suis Péruvienne. Mais en même temps, je suis comme, on est tout le monde citoyen du monde, parce que des fois, la Belgique ça me touche. C’est comme aussi mon deuxième pays. Mais en même temps, je ne me sens pas trop comme Canadienne, parce qu’ici le Québec, c’est plus, pour moi, c’est un pays le Québec.

Page 200: L’immigration péruvienne au Québec

184

Alors, je dis quoi ? [rires]. Des fois les gens me disent : « Ah, tu es Canadienne ». Je dis oui Canadienne, mais ça ne me dit rien, je me sens comme plus Québécoise. Mais, en même temps, je pense en premier moi c’est, avant tout, je suis Péruvienne. Puis, en deuxième, oui Québec et la Belgique font partie des pays que je chéris beaucoup. Des fois, je dis à mon chum : « Ah maintenant le Québec a monté parce que j’ai habité plus d’années au Québec qu’en Belgique ». Mais quand je retourne en Belgique, je me sens aussi comme chez nous et j’ai des amis qui habitent là-bas et chaque fois, je les vois. Quand je vais au Pérou, je vois des amis péruviens. J’ai beaucoup de souvenirs. Alors, je ne sais pas, mais je dirais plus Péruvienne que tout, même si j’ai deux nations dans mon cœur (Gabriela, entrevue F12).

Même si Gabriela se dit Péruvienne plus que tout, elle exprime tout de même un sentiment

d’appartenance envers le Québec et la Belgique, dernier pays où elle a habité avant de venir

au Québec. De plus, elle réalise que son sentiment d’appartenance est également

situationnel, variant au gré des contextes. Parlant de son identité, elle explique :

Ça dépend du moment. Parce que l’année passée, quand j’étais à la cérémonie de ma citoyenneté, moi je voyais tout le temps mon chum qui regarde le hockey puis qui chante « Oh Canada », alors moi, quand j’étais à la cérémonie, cela m’a vraiment émue. Moi je pleurais en chantant la chanson. Je me suis dit : « Je suis canadienne ». Je ne me sens pas trop Canadienne, mais c’est juste l’émotion. Mais mettons que c’est un jour où tout le monde est comme ça et là je me sens... […] C’est juste l’ambiance des gens, du moment qui me rentre, que je me sens Québécoise… Je ne sais pas, les triomphes des Canadiens quand ils jouent avec des Américains, ça aussi cela me fait sentir Québécoise, que là oui, il faut supporter. Donc, ce n’est pas tout le temps que je pense « ah, je me sens Québécoise », non, ça vient avec le moment. Quand il y a des fêtes, quand les gens se mettent à chantonner, que les gens commencent à danser, quand on est dans une fête péruvienne et qu’on met une chanson québécoise, les Québécois ils ont envie de danser, nous on se met à danser, on se sent Québécois. Et mon chum des fois, il met ses CD de Mes Aïeux, j’entends la musique et la lettre et des fois j’ai envie de pleurer. C’est comme, je me sens vraiment… je remercie beaucoup la terre qui m’a accueilli. C’est comme des moments qui viennent qui me font sentir qu’ici c’est chez nous. Et aussi quand je vais au Pérou, j’ai hâte d’arriver, de manger, de voir la famille et tout ça, mais deux semaines après, j’ai hâte de revenir à ma maison, mon lit, donc quand j’arrive ici, ah enfin, je suis chez nous (Gabriela, entrevue F12).

Tout comme Gabriela, d’autres répondants ont aussi trouvé que c’était lors d’un séjour au

Pérou qu’ils avaient réalisé à quel point leur nouveau chez-soi au Québec (ou au Canada)

leur manquait. C’est, par exemple, le cas de Pablo qui dit qu’il a maintenant « deux chez-

nous » (entrevue M2) après avoir voyagé au Pérou et celui de Mario qui raconte qu’il a hâte

de retourner chez lui à Montréal, après avoir passé deux ou trois semaines au Pérou.

Page 201: L’immigration péruvienne au Québec

185

Veronica abonde dans le même sens. Identifiant le Canada comme étant son pays, elle

explique :

Pour moi, je sens que, bon, jamais je n’arrêterais d’être Péruvienne. Tout le temps, tout le monde me demande, je suis Péruvienne. Mais, comme on peut dire, je me suis rendu compte à partir de la troisième année que je suis retournée au Pérou, que ce n’est pas déjà mon… Quand j’étais là-bas deux semaines, je voulais m’en retourner. C’est la place où je suis née et c’est mon pays d’origine, mais je sens que ce n’est pas mon pays présentement. Je sens que déjà mon pays c’est le Canada. Oui (Veronica, entrevue F19).

L’identité et le sentiment d’appartenance sont donc liés en partie à la location

géographique. C’est souvent lors d’un voyage au Pérou que les répondants réalisent qu’ils

sont attachés à Montréal, au Québec, ou au Canada.

Non seulement les sentiments identitaires varient-ils selon le lieu géographique où se

trouvent les répondants, mais ils semblent aussi changer avec le temps. Par exemple,

quelques répondants font l’hypothèse qu’ils se sentiront davantage Québécois lorsqu’ils

auront vécu plusieurs années au Québec. C’est le cas de Valentina, lorsqu’elle dit :

Non, je ne me sens pas Québécoise parce que cela fait juste 6 ans que je suis ici et je ne me sens pas tellement immergée dans la culture. Mais aussi, je ne suis pas née ici, alors j’ai une identité qui vient de mon pays. J’ai grandi dans une société qui est différente. Mais peut-être un jour, mettons après quarante ans d’avoir vécu ici, ça va être différent le sentiment envers Québec. J’aurai passé plus de temps de ma vie ici que dans mon pays (Valentina, entrevue F4).

Valentina prévoit que son sentiment d’appartenance envers le Québec sera peut-être

différent lorsqu’elle aura passé plus de temps en ce lieu. Mario, quant à lui, pense que sa

« vraie identification avec le Québec » se réalisera lors qu’il aura un enfant au Québec.

Quelques autres répondants sans enfants imaginent que leurs futurs enfants seront ceux qui

seront véritablement Péruviens-Canadiens ou Péruviens-Québécois. Ici, l’identité est donc

perçue comme étant intergénérationnelle, évoluant au-delà de la première génération.

Encore une fois, l’importance du lieu de naissance ressort dans les entrevues.

Page 202: L’immigration péruvienne au Québec

186

Enfants ou pas, il semble, par ailleurs, que le temps passé au Québec a un impact sur

l’identité des répondants. En général, les répondants qui sont arrivés plus tôt au Québec

semblent avoir adopté une identité québécoise ou canadienne plus forte que ceux arrivés

plus récemment (tout en maintenant un fort sentiment d’identification à leurs origines).

Après 25 ans au Québec, Andrea exprime qu’elle se sent « des fois comme Québécoise »

(entrevue F18) et que cela lui donne plus de liberté pour dire ce qu’elle pense. En parlant de

ses relations avec ses collègues de travail, elle dit :

D’un côté, je me sens des fois comme Québécoise, parce que c’est comme… Je ne suis pas née ici, mais j’ai vécu ici. Ça fait 25 ans que j’habite ici. Donc je me sens comme en partie Québécoise. Donc je peux quand même me permettre de dire quelque chose. Comme, je ne parle jamais de politique, mais je peux quand même donner mon opinion s’il le faut (Andrea, entrevue F18).

Claudia, qui était arrivée en 1970, se « sent vraiment » Québécoise, tout en étant

Péruvienne. Comme elle a été mariée avec un Français, elle a une triple citoyenneté. Elle

dit :

Maintenant ma citoyenneté, c’est, écoutez, je suis Péruvienne, Québécoise, Française [rires]. Mais moi je me sens maintenant vraiment Québécoise parce que j’ai un attachement vraiment, dans beaucoup d’aspects au Québec. Je trouve que ça été et que c’est encore une terre d’accueil, où les gens sont en général assez gentils. Ils sont différents, mais ils sont discrets. Ils ont leur façon à eux d’être. La discrétion, j’aime beaucoup. Ce sont des gens assez discrets. Vous voyez qu’ils respectent la vie privée des autres. Moi, je trouve ça important. Vous voyez, quand on va au Pérou et qu’on attend l’autobus, on se pousse. Celui qui pousse le plus fort, ne va pas monter en premier (Claudia, entrevue F10).

Elle ajoute : Je n’ai pas renoncé non plus à ma citoyenneté péruvienne. Mais moi, je vous dis, j’aime d’amour le Québec, parce que je trouve que c’est une culture quand même intéressante, attachante, vous voyez, parce qu’il [le Québec] veut garder son identité. J’aime ça. Je ne dis pas se différencier d’une façon où il va y avoir des guerres, non, simplement le respect, non ? On est différent, on se respecte, mais on est différent. Le français, ce n’est pas l’anglais et l’anglais, ce n’est pas le français. Le point de vue d’un anglophone c’est différent ; le point de vue d’un francophone est différent. Alors, et tout ça ensemble, ça fait une richesse, parce que les cultures enrichissent un pays. Alors, ce n’est pas dire que ça c’est mieux, ça c’est… Mais, je me suis attachée à cette culture. J’aime les artistes, j’aime les personnes. En général, j’ai eu de la chance dans mes relations (Claudia, entrevue F10).

Page 203: L’immigration péruvienne au Québec

187

Alors qu’Andrea se sent « en partie comme Québécoise » et que Claudia se sent « vraiment

Québécoise », Ricardo et Franco n’utilisent pas de conjonction ou d’adverbe pour décrire

leur identité québécoise ou canadienne. Ricardo, arrivé au Québec en 2005, dit simplement

qu’il est Québécois et parfois, il ajoute « néo-Québécois » :

Je suis un Québécois. Des fois, j’ajoute un néo-Québécois, mais je suis un Québécois. J’ai déjà, une fois, j’ai dit dans une discussion avec mes amis, « tu sais, je suis un immigrant ». « Tu n’es pas un immigrant, tu es un Québécois ». Ce sont les Québécois qui me l’ont dit. Je me sens un Québécois. C’est pour ça que je ne vois pas… Oui, il y a une différence, mais dans ma tête, je ne me sens pas moins ou plus que personne. Je suis Québécois. C’est ça. Mais je suis aussi Péruvien. Mais ça ne va jamais… Mais ici, je suis un Québécois et ça ne va jamais... Quand je retourne, je dis, je suis Péruvien, mais je suis aussi Québécois. Pour mon père, c’est dur. La première fois que je suis allé au Pérou, j’ai dit : « finalement je vais rentrer chez nous » (Ricardo, entrevue M23).

Ricardo est le seul répondant de notre échantillon qui dit être Québécois (bien qu’il ajoute

parfois néo-Québécois). Ricardo précise qu’il est aussi Péruvien et pas seulement

Québécois. Angel, qui habitait à Montréal depuis 11 ans au moment de son entrevue, dit

plutôt qu’il est Canadien et Péruvien :

Yo estoy orgullo de ser canadiense y peruano también. Yo me siento orgulloso porque bueno, desde el punto de vista familiar, tengo una hija peruana y tengo un hijo canadiense. Entonces los sentimientos de los dos países están ahí. Y mismo que si aquí no ejerzo mi profesión, tengo un trabajo seguro, un trabajo estable y como gano dinero acá, también pago mis impuestos, hago parte de la economía de este país. Y entonces estoy bien. Estoy bien75 (Angel, entrevue M15).

Précisons ici que les répondants sont partagés quant à leur sentiment d’appartenance envers

le Québec et le Canada. Il semble que certains considèrent plus le Canada comme leur pôle

d’attachement (4 répondants), alors que d’autres s’identifient davantage au Québec (7

répondants). Ceux qui ont mentionné le Canada comme marqueur identitaire disaient aussi

qu’ils valorisaient le multiculturalisme et le fédéralisme, deux éléments officiellement

adoptés par ce pays. En revanche, ceux qui s’identifiaient plus au Québec ont parlé de leur

75 Je suis fier d'être Canadien et Péruvien aussi. Je me sens fier parce que, du point de vue familial, j'ai une fille péruvienne et j'ai un fils canadien. Ainsi, les sentiments des deux pays sont là. Et bien que je n’exerce pas ma profession ici, j'ai un emploi sûr, un emploi stable et parce que je gagne de l'argent ici, je paie aussi mes impôts, je fais partie de l'économie de ce pays. Et alors, je vais bien. Je vais bien.

Page 204: L’immigration péruvienne au Québec

188

attachement à la culture québécoise et à la langue française. Trois répondants ont

mentionné qu’ils étaient davantage attachés à la ville de Montréal (ou à la Rive-Sud), qu’au

Québec ou au Canada. Pour ce qui est des dix autres répondants, leur sentiment

d’appartenance à la société d’accueil était plus ténu. Alors qu’ils disaient aimer vivre au

Québec et au Canada, il semble qu’ils avaient davantage de difficulté à définir comme

« Québécois » ou comme « Canadiens » en raison de divers facteurs (dont le fait de ne pas

être né au Québec, d’y résider depuis peu, d’avoir un accent, d’être différent des autres au

plan phénotypique, etc.).

7.2 Sentiment d’inclusion (ou d’exclusion) par rapport au « nous » québécois (ou

canadien)

Dans les entrevues, dix répondants ont exprimé une difficulté à s’identifier comme

Québécois ou Canadiens, peu importe qu’ils aient acquis ou non la citoyenneté canadienne

et peu importe le nombre d’années passées au Québec (variant de 5 ans à 24 ans pour ces

personnes). Pour ces répondants, il était plus difficile (voire impossible pour certains) de se

considérer comme Québécois ou Canadiens. Pour certains, il semble que leur représentation

de la nation, tendant à valoriser une conception plus ethnique du groupe national québécois

ou canadien, pourrait expliquer ce sentiment d’exclusion par rapport à la communauté

imaginée, soit-elle québécoise ou canadienne. En parallèle, le sentiment des immigrants

pouvait aussi être influencé par les discours à leur sujet qui sont véhiculés dans la société

d’accueil. Par exemple, Hugo raconte que tout le monde lui fait remarquer qu’il est

étranger :

Lorsque j’arrive ici, c’est sûr que tout le monde me fait remarquer que je suis étranger, mais pas dans le mauvais sens, sinon que c’est normal. Je n’ai pas le physique d’un Québécois, on va dire normal. Et ça ne me dérange pas, mais je me sens… je crois que ma vraie identification va être Québec quand je vais avoir un enfant ici. Ça c’est vraiment, pas moi, ça va être mes enfants qui eux seront Péruviens, Péruviennes, Québécois et Canadien. Pas moi (Hugo, entrevue M22).

Hugo explique qu’il n’a pas le physique d’un « Québécois normal », bref qu’il est différent

de ce qu’il considère comme étant un Québécois normal. Lorsqu’il se décrit physiquement,

Hugo dit : « Oui, je suis foncé, je suis vraiment un typique Péruvien de la montagne ». Pour

Page 205: L’immigration péruvienne au Québec

189

Hugo, il semble donc y avoir cette idée, basée en partie sur l’hérédité, qu’il ne peut pas

appartenir au groupe québécois. Par contre, ses enfants qui seraient nés ici (et de surcroit

d’une union avec sa présente conjointe québécoise) pourraient eux être Péruviens,

Québécois et Canadiens, mais pas lui. Dans les entrevues, plusieurs autres répondants ont

mentionné qu’ils ne pouvaient pas être Québécois parce qu’ils n’étaient pas nés au Québec.

Dans ce contexte où le lieu de naissance est perçu comme une condition sin qua non pour

être Québécois, il devient impossible pour ces Péruviens nés au Pérou et immigrants au

Québec de devenir Québécois. Peu importe le nombre d’années vécues au Québec, ce qui

compte ce serait le fait d’y être né ou pas. Cette modalité d’appartenance, basée sur la

naissance, reflète ici une conception ethnique de la nation.

En parallèle, on peut aussi supposer que l’attitude des Québécois envers les immigrants

péruviens – du moins celle qu’ils perçoivent envers eux (comme Hugo lorsqu’on lui fait

remarquer qu’il est étranger) – contribue également à rendre plus ténu le sentiment

d’identification envers le Québec. Emilia, par exemple, note que c’est en raison de leur

accent que les Péruviens ne se sentent pas Québécois. Elle dit :

On ne se sent pas Québécois, parce qu'on n’a pas le même accent. Peu importe le nombre d'années qu'on est ici, on va toujours être tagué de latino. Donc, je ne pourrai jamais dire… Des fois, moi, à la blague, je dis que je viens de Rimouski. Et après je dis je suis Rimouskoise d'adoption, parce que personne ne va me croire quand je dis je viens de Rimouski. [...] Je suis, je serai toujours Latino. Donc, je ne peux pas dire que je suis Québécoise (Emilia, entrevue F9).

Ici aussi, il semble qu’il y ait une référence à la conception ethnique de la nation. En effet,

c’est le fait de ne pas partager la même langue maternelle, de parler français avec un accent

espagnol et donc, de se faire cataloguer de Latino, qui limite l’appartenance au nous

québécois76. Si on est Latinos, on ne peut pas être Québécois.

76 Nous reviendrons sur la question de l’accent dans l’identification au nous québécois dans la section suivante. En nous inspirant du concept de « québéquicité » (Sarkar, 2008), nous verrons que la société d’accueil joue un rôle dans le sentiment d’acceptation des immigrants qui ne partagent pas l’accent dit « québécois ».

Page 206: L’immigration péruvienne au Québec

190

Mario, quant à lui, fait plutôt référence à une différence de culture, d’habitudes de vie. Il dit

qu’il n’est pas Canadien, même s’il aime bien le Québec et le Canada. Dans le passage

suivant, il explique sa position :

Mario : Moi, je ne suis pas Canadien, je ne me sens pas Canadien. Je suis Péruvien, avec les papiers, les documents. Oui, j'aime le Québec, j'aime le Canada, parce qu'il m'a donné l'opportunité. Mais moi, je ne suis pas Canadien, je ne me sens pas Canadien. Geneviève : Pourquoi pensez-vous que vous ne vous sentez pas Canadien ? Mario : Parce que bon, je suis différent. C’est la façon de vivre, peut-être, parce qu'on n’a pas le même climat, mettons. Les habitudes, ce ne sont pas les mêmes. Moi, je mange presque toujours de la bouffe péruvienne. Je lis tous les jours le journal péruvien. Oui, c'est ça, c'est tout (Mario, entrevue M3).

Il est intéressant de mentionner que le fait de ne pas se considérer comme Québécois ou

Canadiens, ne signifie pas nécessairement un plus grand sentiment d’appartenance envers le

Pérou. Emilia, qui disait qu’elle n’était pas Québécoise, ne se trouvait pas Péruvienne non

plus. Elle dit :

Quand je vais au Pérou, je ne suis plus Péruvienne non plus. J'ai changé, je suis différente. Je suis contente de voir ma famille, de manger des mets, de vivre dans ma culture, mais je suis touriste, je viens en visite (Emilia, entrevueF9).

Elle conclut qu’elle est plutôt citoyenne du monde :

C'est drôle, parce qu'on n'est pas Québécois, mais on n'est pas non plus Péruviens. On est citoyen du monde. Parce que quand je me rappelle, l'avant dernier voyage que j'ai fait au Pérou, j'avais hâte de retourner (Emilia, entrevueF9).

Dans les entrevues, deux autres femmes (Valentina et Gabriela) ont noté qu’elles se

sentaient plus citoyennes du monde que Péruviennes, Québécoises ou Canadiennes. Les

trois répondantes qui ont utilisé cette expression avaient toutes vécu un certain temps à

l’extérieur du Pérou avant de s’installer au Québec. Valentina avait vécu en Belgique,

Gabriela en Allemagne et Emilia au Japon. Ici, le processus de migration contribue donc à

construire une identité alternative, une identité nouvelle qui permet aux répondantes

d’imaginer une catégorisation identitaire différente. Elles ne sont ni tout à fait

Québécoises, ni tout à fait Péruviennes, elles se disent plutôt citoyennes du monde,

Page 207: L’immigration péruvienne au Québec

191

exprimant alors une identité déterritorialisée, un troisième espace identitaire, hors des

frontières nationales.

Dans le cadre de ses recherches sur les couples mixtes installés au Maroc et composés

d’une personne marocaine et d’une personne étrangère, Therrien (2013) révèle que

plusieurs individus en situation de migration développent une conception du chez-soi qui

est « plurielle et détachée d’un ancrage territorial » (93). En se disant citoyennes du

monde, il semble donc qu’Emilia, Valentina et Gabriela refusent de circonscrire leur

identité à un pays en particulier. Alors que ces trois répondantes arborent une identification

cosmopolite, d’autres répondants avaient plutôt adopté une identification

« régionale/continentale » après leur arrivée au Québec. Valorisant et reconnaissant leurs

liens avec l’Amérique latine, certains des participants ont dit qu’ils se considéraient

Latinos au Québec, une identité qu’ils n’avaient pas vraiment avant d’immigrer.

7.3 De Péruviens à Latinos ?

Lorsque des migrants internationaux arrivent dans un nouveau pays pour s’y installer, ils

s’insèrent dans une société déjà en place, une société qui peut être déjà traversée de

discours dominants à leur sujet. Par exemple, dans le cas des jeunes Africains continentaux

qui immigrent en Amérique du Nord, Ibrahim (1999) note que ces derniers entrent un

espace discursif dans lequel ils sont tous perçus comme des « Blacks ». Ces jeunes

africains, qui ne s'imaginaient pas « Blacks » avant d’arriver aux États-Unis ou au Canada,

apprennent à devenir « Blacks » et à agir comme des « Blacks » (par exemple, écouter de la

musique hip-hop et adopter les codes vestimentaires et pratiques linguistiques qui sont

associés à cette culture musicale) (Ibrahim, 1999). Dans son étude portant sur

l’apprentissage de l’anglais chez les jeunes immigrants africains francophones fréquentant

une école de langue française en Ontario, Ibrahim explique sa pensée ainsi :

My central working contention was that, once in North America, continental African youths enter a social imaginary: a discursive space or a representation in which they are already constructed, imagined, and positioned and thus are treated by the hegemonic discourses and dominant groups, respectively, as Blacks. Here I address the

Page 208: L’immigration péruvienne au Québec

192

White (racist) everyday communicative state of mind: ‘Oh, they all look like Blacks to me!’ (Ibrahim, 1999: 353).

Dans le cas de notre étude, il semble que les Péruviens qui s’installent au Québec font face

à une situation similaire. Une fois au Québec, ils entrent un espace discursif (a social

imaginary) où ils sont perçus comme étant « Latinos », alors qu’ils n’avaient jamais

vraiment considéré avoir cette identité avant d’immigrer. Le terme « Latinos » regroupe

toutes les personnes en provenance de l’Amérique latine dans une même catégorie

identitaire, malgré la diversité des pays et des groupes ethniques qui composent cette région

au sud des États-Unis, du Mexique au Chili. Rappelons que cette construction d’une telle

catégorie s’inscrit dans un processus de racisation. Comme l’explique Creese, « les

processus de racisation impliquent aussi l’homogénéisation de diverses origines nationales

et ethniques dans une unique catégorie indifférenciée »77 (2011 : 195). Pour les répondants,

cette homogénéisation de leur identité est apprise, négociée et adoptée (ou non) de

différentes manières. Alors que certains embrassent cette nouvelle identité, d’autres la

dénoncent et refusent de l’adopter.

7.3.1 Latinos : oui, mais… Lorsque j’ai demandé aux répondants ce qu’ils pensaient du terme « Latino » utilisé pour

les décrire, une majorité des répondants ont dit qu’ils étaient Latinos, puisqu’ils étaient

effectivement originaires de l’Amérique latine. Par ailleurs, plusieurs ont tout de suite

ajouté qu’ils avaient adopté cette appellation seulement une fois au Québec. Comme le

souligne Hector, « au Pérou, ça n’existe pas le terme latino » (Hector, M8). Valentina

exprime une pensée similaire lorsqu’elle dit qu’elle ne se considérait pas Latina au Pérou :

Je suis Latina. Quand j’étais dans mon pays, je savais que j’étais Latina, mais je ne me considérais pas Latina comme les gens qui sont Latinos aux États-Unis. Mais ici, oui, c’est sûr que je ne suis pas une personne née ici, je ne suis pas blonde [rires] (Valentina, F4).

Lorsque Valentina dit qu’il est évident qu’elle ne peut être une personne née ici, puisqu’elle

« n’est pas blonde », elle reproduit une conception de la population non immigrante comme

77 Traduction libre.

Page 209: L’immigration péruvienne au Québec

193

étant blanche. Une telle conception nie la présence des autochtones au Québec et toutes les

générations d’immigrants non européens arrivés ici depuis plusieurs générations. Le fait

que Valentina reproduise un tel discours, conceptualisant les Québécois non immigrants

comme étant nécessairement blancs, n’est pas surprenant. D’autres auteurs ont noté que

dans le langage courant, le terme immigrant est souvent associé exclusivement aux

personnes de couleur (voir notamment Li, 2003, Guo, 2009 et Sarkar, 2008). En se référant

à van Dijk (1993), il appert donc que Valentin a intériorisé ici une idéologie hégémonique

véhiculée dans la société québécoise (et canadienne), une idéologie qui sert aussi à

déterminer qui vient d’ici (les blancs) et qui vient de l’extérieur (les non-blancs, dont les

Latinos).

Tout comme Valentina et Hector, la majorité des répondants ont dit s’identifier au groupe

latino, même si plusieurs d’entre eux soulignaient aussi le caractère problématique de cette

catégorie sociale. Hugo, par exemple, se décrit comme un Latino au Québec, mais il est

aussi conscient que ce terme « englobe tout le monde » (entrevue M22). Il explique par

exemple que les gens disent souvent qu’il est Mexicain et « que c’est correct ». Il ajoute

qu’il passe pour un Mexicain pour éviter de dire « c’est où le Pérou ». Mario raconte une

expérience similaire, lorsqu’il dit que « tout le monde pense que le Pérou c’est la même

chose que le Mexique » (entrevue M3). Il précise qu’il se sent Latino, mais davantage

Péruvien, alors que les gens « des fois » ne savent pas faire la différence entre les différents

pays d’Amérique latine :

Je me sens Latino aussi. Mettons que j’ai une identité majeure qui est péruvienne, comme pour la patrie, un petit peu plus grand. Dans le sens que les Péruviens ont beaucoup de choses en commun avec l'Amérique latine, les Latinos. Mais les gens, des fois, ils disent Latino, mais ils ne savent pas distinguer (Mario, entrevue M3).

Gabriela, quant à elle, mentionne que les personnes à son travail ont tendance à confondre

les pays d’Amérique du Sud. Elle raconte : Au début, c’était drôle, parce que moi au travail, je disais tout le temps que j’étais Péruvienne. Mais il y avait quelqu’un qui venait me dire, « ah oui, c’est comment le Chili ? » [rires] Je pense que, je ne sais pas, mais, les gens n’ont pas d’intérêt à voir ce qu’il y a au sud du Mexique. Ils pensent que le Chili, le Pérou, c’est pareil. Et, nous, vraiment, chaque pays, on a sa propre identité, sa propre culture. Moi, j’aime bien mes

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voisins chiliens, mais moi, je ne suis pas Chilienne pantoute. Donc, c’est ça, des fois cela me gêne qu’un Québécois, une Québécoise me disent « ah c’est comment le Chili », ou que des fois, j’ai l’impression qu’ils peuvent penser qu’on habite encore dans des… avec des pailles, avec des plumes. […] Mais, c’est ça, j’aimerais que parfois les gens prennent plus attention, de voir une carte de l’Amérique du Sud, et savoir où se trouve chaque pays (Gabriela, entrevue F12).

Il est légitime de se demander en quoi ces commentaires anodins d’une collègue de travail

– qui, dans ce cas précis, ne connait pas la géographie de l’Amérique du Sud – ont un

impact sur le vécu des répondants péruviens. En fait, rappelons que c’est commentaires

s’inscrivent dans un contexte où la plupart des répondants sont déqualifiés sur le marché du

travail (chapitre V). Plutôt que constituer de simples commentaires anodins, ces discours

reflètent (et justifient, dans une certaine mesure) les pratiques discriminantes en emploi où

les immigrants provenant de pays « pauvres » voient leurs qualifications être dévaluées

systématiquement. À ce sujet, Sofia trouve que plusieurs personnes voient seulement le

« côté sous-développé » (« el lado desarrollado ») du Pérou et perçoivent les Péruviens

comme des gens qui ont un niveau d’éducation très faible. Elle explique comment elle se

sent :

Yo siento que una gran cantidad de gente sigue viendo Perú como las fotos de las partes más pobres de nuestro país. Yo siento que mucha gente sigue viéndonos como los campesinos de las fotos de Cuzco, con sandalias… yo no sé, esas sandalias de cuero, con las falditas típicas, o nos sigue viendo como las fotos de los niños pobres, malnutridos. Yo pienso que la gente mira y nos imagina en un país de tercer mundo. Yo no siento que ellos vean el lado desarrollado del Perú o que nos miran de repente como personas con un nivel de educación súper bajo, que no nos miran como que nosotros podemos estar… al mismo nivel que el resto78 (Sofia, entrevue F14).

Ainsi, la même tendance qui consiste à « mettre tous les latinos dans le même sac » (Hugo,

entrevue M22) perçue par les répondants, se reflète aussi dans la construction imaginée du

78 Je sens que beaucoup de gens voient encore le Pérou comme sur les photos des régions les plus pauvres de notre pays. Je pense que beaucoup de gens nous voient encore comme les paysans des photos de Cuzco, avec les sandales ...je ne sais pas, ces sandales en cuir, avec des petites jupes typiques, ou ils continuent de nous voir comme sur les photos des enfants pauvres, souffrant de malnutrition. Je pense que les gens nous regardent et nous imaginent dans un pays du tiers monde. Je ne pense pas qu'ils voient le côté développé du Pérou ou qu’ils nous regardent parfois comme des gens avec un niveau d'éducation super faible, qu’ils nous regardent comme si nous ne pouvions être ... au même niveau que le reste.

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Pérou. Parfois, des répondants perçoivent que l’ensemble du Pérou tend à être considéré

comme « pauvre » et « sous-développé ».

7.3.2 « Nosotros somos latinos79 » Si des répondants ont mentionné le côté plus problématique du terme latino, d’autres

participants quant à eux, ont adopté de manière plus positive l’identité latina apprise et

réappropriée au Québec afin de construire une identité commune avec les autres immigrants

en provenance de l’Amérique latine. Pablo raconte avec enthousiasme qu’il a « trouvé »

l’identité latina une fois ici, entre autres parce qu’il partage avec tous les Latinos

l’expérience de l’immigration. Il dit :

J'ai trouvé l'identité latina ici. Ici, c'est concret. C’est un espace qui est à toi. La langue c'est très important. On se sent Latino, on partage cette expérience de l'immigration d'une façon ou d'une autre. L'identité latina, on la retrouve ici. On ne l'avait pas avant de venir ici (Pablo, entrevue M2).

José abonde dans le même sens :

Latino es la etiqueta cuando estoy afuera. Sale come el orgullo de hablar español. Latino es la cadena que hablamos español. Somos muy alegre, sociable, bailadores, jugar, bromar. Nadie dice soy latino en Perú. Solamente aquí, nosotros somos latinos80 (José, entrevue M11).

Ici, l’identité latina est donc réclamée et réappropriée positivement par ces répondants.

Sarkar et Allen parlent de « name claiming » (« la réclamation d’un nom ») par opposition

au « name calling » (« l’attribution d’un nom »)81 lorsque des individus s’identifient eux-

mêmes, « de manières non seulement plus subtiles et complexes, mais souvent en conflit

avec les noms qu’on leur a attribués » (Sarkar et Allen, 2007 : 120). Alors que le « name

79 Nous sommes Latinos. 80 Latino est l'étiquette quand je suis à l’extérieur. Ça ressort comme la fierté de parler espagnol. Latino est le lien qui nous unis de parler espagnol. Nous sommes très joyeux, sociables, danseurs, jouer, blaguer. Personne ne dit que « je suis Latino au Pérou ». Seulement ici, nous sommes Latinos. 81TERMIUM Plus® traduit « name calling » par « injure », en précisant qu’il s’agit d’une traduction imparfaite. http://www.btb.termiumplus.gc.ca/tpv2alpha/alpha-fra.html?lang=fra&i=1&srchtxt=NAME+CALLING&index=alt&codom2nd_wet=1#resultrecs

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calling » fait davantage référence à la dimension discursive des constructions identitaires, le

« name claiming » fait plutôt référence au rôle de l’agentivité individuelle dans ce

processus dialogique (Sarkar et Allen, 2007 : 120).

Réclamant ainsi une identité latina positive, plusieurs répondants ont insisté sur le fait que

les latinos en général (et les Péruviens en particulier) étaient des personnes très

travaillantes. Par exemple, Angel explique que les Latinos travaillent fort. En comparaison,

il trouve que souvent, les Québécois qui travaillent au même restaurant que lui n’aiment pas

« suer au travail » (« sudar la camiseta ») :

No sé porque [los quebecos] no les gustan sudar la camiseta como se dice. Porque hay momentos que uno tiene que mopear, agacharse. « No, no, este no es mi trabajo, este no es mi trabajo », del quebeco es la clásica. « Esto no es mi trabajo, esto no es parte de mis tareas ». El latino no. Si hay que hacer esto, lo hacemos. Somos más asequibles a hacer más tareas. En cambio el quebeco no, es limitado82 (Angel, entrevue M15).

Andrea abonde dans le même sens. Elle dit : « nous les immigrants, spécialement les

Latinos-américains, plus que n’importe quel autre groupe, je ne veux pas dire qu’on est les

seuls, mais on est un pourcentage, un groupe de travailleurs qui sont vraiment forts. On est

fort pour travailler. On a une bonne endurance d’abord, un sens des responsabilités très, très

grand ». Dans leur article intitulé « Essentiels, fiables et invisibles : les travailleurs

agricoles migrants latino-américains au Québec vus par la population locale », Bélanger et

Candiz (2014) rapportent un discours similaire. Ces auteurs révèlent que les employeurs

québécois apprécient les travailleurs migrants latino-américains, entre autres parce qu’ils

trouvent qu’ils ont une meilleure éthique de travail que les travailleurs québécois locaux.

Dans le contexte du travail (non qualifié), s’identifier comme un latino (travaillant) devient

donc une identité qui peut être perçue positivement, à la fois par les travailleurs « latinos »

et par les employeurs.

82 Je ne sais pas pourquoi [les Québécois] n'aiment pas suer de la chemise comme on dit. Parce qu'il y a des moments où on doit « passer la moppe », s’accroupir. « Non, non, ce n'est pas mon travail, ce n'est pas mon travail », d’un Québécois, c’est la classique. « Ce n'est pas mon travail, ce ne fait pas partie de mes fonctions ». Le Latino, non. Si ça doit être fait, nous le faisons. Nous sommes plus enclins à faire plus de tâches. En comparaison, le Québécois, non, il est limité.

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7.3.3 Ambivalence et refus de l’identité latino Quelques répondants ont, quant eux, révélé qu’ils ne s’identifiaient pas du tout à la

catégorie « latino ». Sofia, entre autres, trouvait que le terme latino était associé à des

préjugés. Elle s’explique ainsi :

Lo que pasa es que acá la gente, cuando uno viene de Latinoamérica, inmediatamente nos pone la etiqueta de « latino ». Y a mí no me gusta esa etiqueta, porque yo siento que ahí hay ciertos prejuicios sobre los latinos. Y yo… Yo no me identifico en esos préjugés. Entonces, la gente piensa que los latinos vienen aquí a hacer la fiesta, que son gente bulliciosa. Yo no he escuchado nunca, pero no sé… podrían pensar que somos personas… Si he escuchado decir que no decimos la verdad, entonces eh… A mí no me gusta que me incluyan dentro del grupo latino. Entonces, yo soy peruana, pero también sé que entre el grupo de peruanos hay de todo. Entonces eh… Yo me identifico con las personas, no por el lugar de donde vienen, si no por los valores que compartimos83 (Sofia, entrevue F14).

Comme l’explique Sofia, elle n’aime pas cette étiquette qui, selon elle, vient avec certains

préjugés : « les gens pensent que les Latinos viennent ici pour faire la fête et que ce sont

des gens bruyants ». Elle ajoute qu’elle a entendu dire que « nous ne disons pas la vérité ».

Elle dit qu’elle n’aime pas être incluse dans le « groupe latino ». Refusant de s’identifier à

cette catégorie, Sofia présente ici une identité davantage individuelle, basée sur les valeurs

qu’elle partagerait avec d’autres personnes. Bref, plutôt que de mettre l’accent sur

l’appartenance au groupe ethnique (« latino ») ou national (« péruvien »), c’est l’individu

en tant que personne qui importe, et non le lieu d’où il vient. Précisons que Sofia était une

étudiante étrangère qui vivait et étudiait dans la ville de Québec depuis cinq ans. Il semble

donc que pour l’instant, l’idée d’une appartenance envers le Québec et le Canada n’était pas

non plus une option significative pour elle.

83 Ce qui se passe ici c’est que les gens, quand on vient de l'Amérique latine, immédiatement on nous met l’étiquette de « latino ». Et je n'aime pas cette étiquette, parce que je pense qu'il y a ici certains préjugés envers les Latinos. Et je... Je ne m’identifie pas à ces préjugés. Alors, les gens pensent que les Latinos viennent ici pour faire la fête, ce sont des gens bruyants. Je ne l'ai jamais entendu, mais je ne sais pas... Les gens pourraient penser que nous sommes des gens... Oui, j’ai entendu dire que nous ne disons pas la vérité, alors... Je ne veux pas être inclus dans le groupe latino. Je suis donc Péruvienne, mais je sais aussi que, parmi le groupe des Péruviens il y a de tout. Alors, euh... Je m’identifie aux gens, non pas en raison du lieu d’où ils viennent, mais pour les valeurs que nous partageons.

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Daniela, quant à elle, était plus ambivalente par rapport au terme latino. Alors qu’elle se

disait tout de même Latina, elle soulignait aussi qu’il y avait des différences entre les gens

des divers pays de l’Amérique latine. Elle s’exprime ainsi :

Ah, sí. Claro soy latina, pero mejor peruana. Yo prefiero antes peruana que latina porque es como no sé… siento que como yo tengo amigas latinas, o sea chilena, argentina, yo sé cuáles son nuestras diferencias. O sea, sí, cuando estamos juntas somos las latinas, pero yo me veo más como peruana. Y sobre todo, Daniela. No sé, es como que siento que soy Daniela. O sea soy peruana pero soy más otras cosas, ¿me entiendes? Al momento de representar el Perú, obviamente me siento peruana, número uno, número dos, número tres, peruana. Pero hoy, como que en esta sociedad soy yo. Porque quizás justamente el problema de identidad que si no me siento tan peruana, o sea… Cuando estoy en Perú no me siento tan peruana, cuando estoy en Quebec me siento súper peruana, quizás lo que me permite llegar a un consenso, a algo más estable, es que finalmente soy yo. Esté donde esté, soy Daniela84 (Daniela, entrevue F16).

Dans ce passage, Daniela révèle qu’elle est effectivement Latina, mais qu’elle se voit plus

comme Péruvienne. Elle pense que puisqu’elle a des amies latinas (du Chili et de

l’Argentine, notamment), elle sait « quelles sont [leurs] différences ». Elle constate aussi

que son identité change selon les contextes. Au Québec, elle se sent « super Péruvienne »,

mais au Pérou, elle ne se sent pas si Péruvienne. En dernière analyse, elle dit que peu

importe où elle est, elle est Daniela. Tout comme Sofia, elle privilégie donc une identité

individuelle, unique, mais sans toutefois refuser complètement l’identification latina.

Gabriela, de son côté, refusait complètement d’utiliser le terme latino pour se décrire. Pour

elle, ce terme faisait référence à des clichés :

84 Ah oui. Bien sûr, je suis « Latina », mais davantage Péruvienne. Je préfère Péruvienne avant Latina parce que c’est comme, je ne sais pas ... J’ai l'impression que comme j’ai des amies latinas, c’est-à-dire des Chiliennes, des Argentines, je sais quelles sont nos différences. Alors oui, quand nous sommes ensemble nous sommes latinas, mais je me vois plus comme Péruvienne. Et surtout comme Daniela. Je ne sais pas, c’est que je sens que je suis Daniela. Je veux dire que je suis Péruvienne, mais je suis plus d'autres choses, vous me comprenez ? Au moment de représenter le Pérou, je me sens évidemment Péruvienne, numéro un, numéro deux, numéro trois, Péruvienne. Mais aujourd'hui, dans cette société, je suis moi. Parce que peut-être que justement le problème d'identité, si je ne me sens pas tant Péruvienne, ou bien ... Quand je suis au Pérou, je ne me sens pas si Péruvienne et quand je suis au Québec, je me sens super Péruvienne, peut-être que ce qui me permettrait de parvenir à un consensus, à quelque chose de plus stable, c’est que finalement je suis moi. Où que tu sois, je suis Daniela.

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Moi je trouve que Latino, pour moi, c’est quelqu’un qui danse la salsa, je ne sais pas, dans ma tête… Puis des fois les gens pensent que parce qu’on vient d’un pays où l’on parle espagnol, qu’on danse la salsa et qu’on mange des nachos. Non, mon chum, lui aussi, il dit : « moi je suis Latino, parce que mon père est Mexicain. » Mais, pour moi, c’est juste un mot (Gabriela, entrevue F12).

Dans ce passage, Gabriela exprime ce qu’elle perçoit comme étant un des discours sur les

« latinos », soit celui qui représente les Latino-américains comme des gens qui dansent la

salsa et qui mangent des nachos. Pour Gabriela, la représentation populaire des « Latinos »,

basée sur des stéréotypes quant au type de musique dansée et de nourriture consommée, ne

correspond pas du tout à ce à quoi elle s’identifie. Compte tenu de la diversité des groupes

culturels, de la musique et des danses pratiquées dans toute l’Amérique latine, il est

certainement impossible de réduire une région entière à une musique et à un met. Elle

conclut en disant que « c’est juste un mot ». Dans le contexte où les immigrants péruviens

s’insèrent dans une nouvelle société au sein de laquelle la catégorie latina est déjà

imaginée, décrite et (re)construite socialement à travers différents discours – certains

positifs85, d’autres qui semblent plus discriminatoires –, ces discours ont certainement un

impact sur les constructions identitaires des répondants. Rappelons qu’Ibrahim décrit avec

brio un processus similaire en ce qui a trait aux jeunes immigrants africains qui sont

confrontés à une nouvelle identité de « Blacks » lorsqu’ils arrivent à Toronto (Ibrahim,

1999). Ibrahim montre que ces jeunes africains apprennent à devenir Blacks une fois en

Amérique du Nord. Similairement, il semble que les répondants de cette étude ont aussi

appris à devenir « Latinos » une fois au Québec.

7.3.4 Latino, mais pas trop Ricardo raconte qu’il « joue » avec le fait qu’il est Latino au Québec. Au Pérou, il était

simplement Péruvien et Latino. Une fois au Québec, il trouve qu’il est plus fier d’être

Latino « ici » que « là-bas ». Relativement à l’usage du terme latino au Pérou, il dit :

85 Pour une discussion sur les discours positifs (mais non moins problématiques) au sujet des « Latinos », représentés comme des travailleurs fiables et travaillants, voir l’article de Bélanger et Candiz (2014), intitulé « Essentiels, fiables et invisibles : les travailleurs agricoles migrants latino-américains au Québec vus par la population locale ».

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Au Pérou, tu ne te poses pas la question, parce qu’il n’y a pas de diversité, zéro. Zéro diversité, donc on est Péruvien, on est Latino. Je me sens plus fier d’être Latino ici que là-bas. Aujourd’hui oui, je sens que c’est… Je joue avec le fait d’être Latino. Oui au jour le jour, je suis beaucoup plus… Je parle avec mes mains, je sais que je suis Latino. Mais il y a beaucoup de Québécois, il y a beaucoup de Nord-Américain en moi, donc pour un Latino c’est aussi un peu, l’effet des rendez-vous, l’effet de la façon de penser, les valeurs, mais je reste Latino, je vais rester toujours Latino (Ricardo, entrevue M23).

En jouant avec le fait d’être Latino, Ricardo reconnaît en quelque sorte qu’il joue un rôle en

tant que « Latino ». Les travaux sur le genre et la sexualité ont démontré à quel point

plusieurs des comportements humains sont souvent dictés par des rôles construits

socialement, plutôt que par des déterminants biologiques (voir entre autres Butler, 1999,

Andersen et Hysock, 2011). En utilisant l’analogie de la performance, ces travaux exposent

à quel point les hommes et les femmes sont encouragés à jouer les « bons » rôles sociaux de

sexe qui leur sont respectivement assignés socialement en tant qu’homme et en tant que

femme. En s’inspirant de ces théories, Willie (2003) suggère de concevoir la « race » de

manière similaire. Alors qu’elle analyse les comportements des étudiants noirs dans les

universités américaines, Willie observe que ces étudiants choisissent parfois de se

comporter comme des Noirs (« to act Black ») ou comme des Blancs (« to act white »), de

manière stratégique et selon les différents contextes. Elle écrit :

[r]ace is not only – or solely – about phenotypic difference, but also about which differences match up with the behaviors that are expected from each racial group. Indeed, regardless of how much our behavior may contradict racial stereotypes, we each still have to navigate the expectations of others (Willie, 2003: 115).

Toujours aux États-Unis, Delgado réfléchit sur son identité latina en tant que professeur

d’université. Il remarque qu’il mobilise son identité latina de manière différente selon les

situations. Il note : « as a Latino academic I tactically and strategically perform identity in

my roles as a teacher, scholar, and administrator in higher education » (Delgado, 2009 :

150). À la lumière de ces réflexions sur la représentation et la performance de soi en tant

que personne racisée (ou « latinisée » dans ce cas), il est intéressant de noter comment

Ricardo joue son rôle en tant que Latino et mobilise son identité latina au Québec, un

contexte culturel et social bien spécifique. En fait, Ricardo remarque qu’il peut représenter

Page 217: L’immigration péruvienne au Québec

201

et utiliser cette identité à son avantage. Dans le cadre de son travail comme technicien,

Ricardo anime parfois des formations. Dans l’échange suivant, Ricardo raconte son

expérience :

Geneviève : Quand tu donnes une formation, comment ça se passe avec les gens qui reçoivent les formations, en général ? Ricardo : Ça se passe très bien. Puis je joue un peu. Je vais jouer avec le fait que j’ai un accent, avec le fait que je suis Latino. C’est ça, ça veut dire, tu as deux choses : soit ton accent, la couleur de ta peau, le fait que tu te trouves encore immigrant, ça va être un défaut, ou tu peux jouer ça, avec la carte que ça va être un avantage. Tu parles plus de langues, tu es bronzé toute l’année, puis je fais comme… pour moi, c’est un avantage. Et le fils plus âgé de ma sœur joue un peu, c’est comme un jeu. Il est très Québécois, il est arrivé ici à six ans. Il parle beaucoup, mais lui, il n’a pas un accent comme moi. Mais je lui disais tout le temps, c’est un avantage. Si tu le joues de l’autre façon, tu vas te sentir toujours comme immigré, discriminé. Il y a des gens qui le font (Ricardo, entrevue M23).

Pour Ricardo, être Latino au Québec devient donc une identité positive, valorisée et

valorisante (« tu parles plus de langues, tu es bronzé toute l’année ») qu’il peut mobiliser à

son avantage dans certains contextes. Par ailleurs, Ricardo est aussi bien conscient des

limites qui vont de pair avec cette identité racisée. Par exemple, il fait remarquer que dans

le milieu des médias grand public, il ne voit pas de journalistes non blancs à la télévision et

il n’attend pas de « gens qui ont un accent » à la radio. Il dit :

C’est sûr qu’il y a des milieux où c’est beaucoup plus difficile, parce que je vois par exemple, à l’antenne de Radio-Canada, il n’y a pas de, ils sont tous blancs ceux [les journalistes] qu’on voit à la télé. Il y a du travail à faire. Ça se fait là, mais… Dans les journalistes, il y a des Latinos, il y a des Arabes, mais ils ne sont pas à l’antenne, à la télé, devant l’écran. À la radio il y en a, mais tu ne le sais pas par la voix, parce qu’ils sont de deuxième génération. Il n’y a pas de gens qui ont un accent (Ricardo, entrevue M23).

En ce sens, l’identité latina devient, dans ce contexte, un « marqueur d’inégalité ». Si cette

identité peut être stratégiquement mobilisée de manière avantageuse par les répondants

dans certaines circonstances (ils sont considérés comme étant travaillants), les

manifestations de cette identité (tel un accent hispanophone « prononcé ») peuvent parfois

rendre plus difficile l’accès à certains milieux. La notion théorique de « Québéquicité »,

proposée par Sarkar (2008), amène un éclairage intéressant pour mieux comprendre la

position inégale que confère l’identité latina au Québec.

Page 218: L’immigration péruvienne au Québec

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Tout comme dans le cas des conceptions de la nation (ethnique versus civique), Sarkar

suggère d’aborder la question de l’identité québécoise en tenant compte de son sens civique

(officiel) et de son sens ethnospécifique (populaire). Alors que dans les discours officiels

(gouvernemental, scolaire et universitaire) sur la citoyenneté au Québec, le terme

« Québécois » représente « quelqu’un qui vit au Québec et qui participe pleinement à la vie

sociale et démocratique » (Sarkar, 2008 : 31) – une définition ayant un sens « civique » –, il

semble que dans la vie de tous les jours, le terme « Québécois » prend plutôt un sens

ethnospécifique. En effet, les immigrants au Québec de couleur non blanche se font

régulièrement demander « Vous êtes de quelle nationalité ? », et ce, même s’ils ont adopté

le « français comme langue publique commune » (Sarkar, 2008 : 31). En ce sens, « la

couleur de la peau, ou l’apparence, semble être un critère déterminant dans la définition

populaire de l’appartenance, au Québec » (Sarkar, 2008 : 32), malgré un discours officiel

qui rejette toute dimension « raciale » comme critère d’inclusion à l’identité québécoise. Ce

qui est valorisé dans le discours officiel est plutôt la connaissance de la langue française

afin d’être inclus comme membre à part entière de la société québécoise. Sarkar note par

contre que la simple connaissance du français n’est pas suffisante pour s’identifier et être

identifié comme Québécois, puisque c’est surtout le « français québécois » qui marque

l’appartenance au groupe majoritaire. Afin de mieux prendre en compte les deux

dimensions absentes du discours officiel (soit « la couleur de la peau » et « l’accent

français »), mais si présentes dans les interactions quotidiennes et les définitions populaires,

Sarkar suggère d’utiliser le concept de Québéquicité, se situant « à l’intersection du vu et de

l’entendu » (2008 : 32). Cette auteure définit la Québéquicité comme suit :

Ainsi, la Québéquicité se mesurerait selon deux critères, soit la couleur de la peau et l’accent en français, et serait presque quantifiable. Un individu possède de la Québéquicité dans la mesure où il est blanc (ou « assez » blanc) et où il parle français avec le bon (ou un « assez » bon) accent québécois, typiquement caractérisé par les usages provenant de diverses régions de la province, « permis » ou non, qui caractérisent le locuteur du français québécois (Sarkar, 2008 : 33).

À la lumière de cette définition, les propos de Ricardo prennent tout leur sens. Lorsqu’il dit

que son neveu est « très Québécois », précisant du même coup que ce dernier « n’a pas un

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203

accent » comme lui, il révèle un degré de Québéquicité plus grand chez son neveu. Dans le

même ordre d’idée, la faible présence de journalistes non blancs à l’antenne de la télévision

et de journalistes avec un accent hispanophone à la radio, soulevée par Ricardo, reflète

aussi l’importance du vu et de l’attendu dans les représentations populaires. À ce sujet,

Martine Lanctôt écrit que bien qu’il soit impossible d’avoir des chiffres précis sur les

emplois de journalistes à Radio-Canada, elle remarque qu’en ondes, les personnes des

minorités visibles, tels « les Maxime Bertrand, Azeb Wolde-Giorhis, Akli Aït-Abdallah,

Anyck Béraud et Valérie-Micaela Bain se comptent encore sur les doigts d’une ou deux

mains » (2016)86.

En bref, l’appropriation et la « mise en scène » d’une nouvelle identité latina est vécue,

négociée et déployée différemment selon les répondants. Bien qu’une majorité des

répondants s’identifient comme Latinos, quelques participants ont aussi remis en question

cette identité globale qui leur est parfois imposée à travers les discours et les pratiques qui

ont cours au sein de la société d’accueil. Que cette identité soit adoptée ou non, chacun des

répondants de cette étude devait tout de même apprendre à vivre dans une société où ils

sont perçus comme étant « Latinos » par la majorité, avec toutes les conséquences que cela

peut avoir en matière d’insertion socioéconomique et d’emploi (chapitre V), ainsi que de

mobilisation de réseaux sociaux (chapitre VI), notamment. Qu’ils se sentent Latinos (ou

pas), Péruviens, Québécois ou Canadiens, plusieurs répondants ont aussi mentionné un

sentiment d’appartenance envers le Québec ou le Canada sur la base des valeurs véhiculées

et mises de l’avant dans leur nouvelle société, faisant ici référence à une conception civique

de la nation.

86 Luc Simard, directeur de la diversité à Radio-Canada, reconnaît cette situation. Il dit: « Il y a une volonté de représenter la diversité, mais ça ne bouge pas vite. Ce qui bloque, ce sont les portes d’entrée à Radio-Canada. Ceux qui entrent ont des contacts, des réseaux. Quand on est né au Québec, qu’on est francophone de souche, on connaît souvent quelqu’un qui peut parler à telle personne. Un des défis, c’est de formaliser les portes d’entrée et de mettre fin aux entrées par contact » (cité par Lanctôt, 2016). Il est intéressant de noter que Simard fait ici référence à l’importance des réseaux sociaux pour les immigrants, question que nous avons traitée au chapitre VI.

Page 220: L’immigration péruvienne au Québec

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7.4 Identité, valeurs communes et citoyenneté

Des 24 personnes qui ont participé à cette étude, 18 d’entre elles avaient obtenu leur

citoyenneté. Mis à part Sofia, l’étudiante étrangère qui n’était pas certaine de rester au pays

après ses études, les cinq autres participants qui n’étaient pas encore citoyens canadiens

avaient tous l’intention de le devenir. Pour les répondants, il semble que la citoyenneté était

vue comme allant de soi. Miguel parle d’une « étape finale » (« etapa de cierre ») du projet

d’immigration et du début d’une nouvelle étape (entrevue M20). Lorsque j’ai demandé aux

répondants pourquoi ils avaient obtenu la citoyenneté canadienne (ou pourquoi ils

désiraient la demander), la plupart d’entre eux ont tout de suite cité des raisons pratiques.

Avoir un passeport canadien leur permettait de voyager plus facilement dans divers pays,

de faciliter l’entrée au Canada après un voyage au Pérou et de sécuriser leur situation au

pays. Plusieurs avaient eu des expériences qu’ils considéraient comme désagréables

lorsqu’ils avaient eu à passer les douanes canadiennes avec un passeport péruvien pour

rentrer au pays après un séjour au Pérou. Hector, par exemple, mentionne que « lorsque tu

es foncé, tu te fais fouiller » (entrevue M8).

Une bonne part des répondants a aussi mentionné qu’il était important pour eux de voter

aux élections et de participer à la vie politique et citoyenne de leur nouveau pays. D’autre

ont parlé du sentiment de se sentir davantage chez soi. Liliana explique qu’en ayant sa

citoyenneté canadienne, elle se sent maintenant complètement à la maison : « Ya tienes las

llaves de la casa. Ahorita habitamos en la casa, podemos entrar y podemos salir »

(« Maintenant tu as les clés de la maison. Nous habitons dans la maison, nous pouvons

entrer et nous pouvons sortir ») (entrevue F21). En plus des raisons mentionnées ci-dessus,

quelques répondants ont aussi parlé des valeurs communes qu’ils partageaient avec les

Québécois et les Canadiens.

Liliana explique que ses racines seront toujours péruviennes, mais qu’elle a tout de même

choisi de quitter son pays et d’immigrer. Elle dit qu’elle adore le multiculturalisme, « mais

toujours avec cette identité canadienne ». Elle explique :

Como te decía, las raíces siempre vamos a ser peruanos. No te puedes olvidar nunca de dónde vienes, llevas contigo eso. Es parte de ti. Pero tú optaste por un cambio, tuviste

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tus razones, tienes tus argumentos y hasta este momento es el país el que nos ha acogido. Y una de las cosas que me encanta es el tema que aquí la multiculturalidad, el multiculturalismo, pero siempre con esa identidad canadiense. Ese es el común denominador. A pesar de ser multicultura, el común denominador de los valores que se comparten: los valores de democracia, de respeto, de igualdad hombre y mujer. Si bien es cierto nuestra cultura de dónde venimos… estas raíces no son tan diferentes a los valores que se tienen aquí. Compartimos muchos valores y eso nos permite también identificarnos con muchísima más facilidad con esta sociedad, con los valores que compartimos. Son los valores que queremos transmitir a nuestros hijos87 (Liliana, entrevue F21).

Selon Liliana, le fait que les valeurs qu’elle retrouve ici correspondent à ses propres valeurs

et à de celles de sa culture d’origine (des valeurs de démocratie, de respect, d’égalité entre

les hommes et les femmes) lui permet de s’identifier plus facilement à la nouvelle société.

Elle ajoute que ce sont ces mêmes valeurs qu’elle veut transmettre à ses enfants. Ici, le

sentiment d’appartenance envers le pays d’accueil s’inscrit tout à fait dans une vision

civique de la nation. C’est le partage de valeurs communes, et non des caractéristiques

héréditaires ou apprises, qui marque l’appartenance et l’identification au groupe. D’autres

répondants avaient une pensée similaire.

Mentionnons par ailleurs que ce sont majoritairement les femmes qui ont exprimé cet

attachement aux valeurs communes. Il est possible d’émettre l’hypothèse que ces valeurs

(telle l’égalité entre les hommes et les femmes) sont plus susceptibles d’avoir un impact

positif sur la vie quotidienne des femmes immigrantes. À ce sujet, Daniela dit :

Me gusta también que hay mucho respeto, eh… si, me encanta el respeto, también… Los hombres son muy respetuosos, la posición de las mujeres también como que se respeta, no caemos tanto en el machismo […] En Perú, a veces el machismo, en Latinoamérica en general hay machismo y es algo que acá no se ve. Como que el hombre no ayuda en la casa, no cocina, pero está cambiando. En Perú está cambiando.

87 Comme je te le disais, les racines seront toujours péruviennes. Tu ne peux jamais oublier d'où tu viens, tu le portes en toi. Cela fait partie de toi. Mais tu as opté pour un changement, tu avais tes raisons, tu avais tes arguments et jusqu’à maintenant, c’est le pays qui nous a accueillis. Et l'une des choses que j’adore c’est le thème ici de la multiculturalité, le multiculturalisme, mais toujours avec cette identité canadienne. C'est le dénominateur commun. Malgré le multiculturalisme, le dénominateur commun des valeurs qui sont partagées : les valeurs de la démocratie, du respect, de l'égalité homme-femme. Bien qu'il soit vrai que notre culture d'où nous venons… ces racines ne sont pas si différentes des valeurs qui sont ici. Nous partageons de nombreuses valeurs et cela nous permet aussi de nous identifier avec beaucoup plus de facilité à cette société, avec les valeurs que nous partageons. Ce sont les valeurs que nous voulons transmettre à nos enfants.

Page 222: L’immigration péruvienne au Québec

206

En mi generación, los chicos son más independientes en la cocina y todo eso. O qué la mujer es la que se ocupa de los hijos y aquí los roles con como más equilibrados y eso básicamente88 (Daniela, entrevue F16).

Christina abonde dans le même sens lorsqu’elle compare la société péruvienne et la société

québécoise et l’impact des normes sociales et des lois sur les femmes et les minorités

sexuelles. Elle dit :

Alors, tu vis dans des sociétés qui te restreignent comme femme, où tu te fais juger, tandis qu’ici, tu peux être qui tu veux. Tu n’as pas besoin de te marier, numéro un. Tu peux changer de relation. Ici, c’est le paradis des familles gaies, des mariages mixtes, des familles recomposées qui ont fait des preuves, tu vois. Chez nous ce n’est pas comme ça. Écoute, chaque dimanche, chaque fois que je rentre et que je vois mon Facebook avec des amis du Pérou par rapport à « ah que c’est une aberration les gais », j’ai toujours… ça me dégoute. Mais, j’ai honte. Ces personnes-là, qui sont mes amis, j’étais avec eux. […] Tu peux même avoir le droit de pratiquer ta religion sans l’imposer aux autres, mais la vivre pareil, tu comprends. Tandis que dans les pays comme les nôtres, s’il y a une religion, tout le monde doit la vivre, le gouvernement doit être un gouvernement religieux. La pensée économique doit être religieuse aussi. Je suis catholique, je suis croyante, mais j’aime ça vivre dans un endroit où personne n’y croit (Christina, entrevue F6).

Christina termine en disant qu’elle est catholique, qu’elle est croyante, mais elle aime vivre

dans une société laïque.

Véronica, quant à elle, mentionne les rôles sociaux de sexe au sein des couples. Elle est en

couple avec un Québécois d’origine et elle dit apprécier sa liberté :

Au Pérou, tu te maries et tes amis, tu les perds, parce que tu es tout le temps avec le conjoint, parce que tu dois faire la nourriture, tout le temps avec lui, juste le servir. En même temps, tu es tellement habituée de passer tout le temps avec lui, et en comparaison, moi et lui, c’est plus indépendant. Il fait ses activités, il peut sortir. Et la première année, je me suis sentie que, comme il ne passait pas beaucoup de temps avec moi. Il passait beaucoup de temps avec ses amis et il m’a dit : « sort ». Je me sentais

88 J'aime aussi le fait qu'il y a beaucoup de respect, euh ... oui, j’adore le respect, aussi ... Les hommes sont très respectueux, la situation des femmes aussi qui est respectée, nous ne tombons pas autant dans le machisme [...] Au Pérou, parfois le machisme, en Amérique latine en général, il y a du machisme et c’est quelque chose ici qui ne se voit pas. Comme l'homme qui n’aide pas à la maison, qui ne cuisine pas, mais c’est en train de changer. Au Pérou, c’est en train de changer. Dans ma génération, les jeunes hommes sont plus indépendants dans la cuisine et tout cela. Ou bien que ce soit la femme qui s’occupe des enfants et ici les rôles sont comme plus équilibrés et c’est ça, fondamentalement.

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207

coupable quand j’ai commencé à sortir. Je me sentais vraiment coupable, que ce n’est pas très bien. Et après, je me suis habituée et j’ai commencé à aimer ça, la liberté de ne pas me sentir coupable, pas de problème. Je ne dois pas penser que je dois retourner faire la nourriture (Veronica, entrevue F19).

Si plusieurs femmes ont mentionné ces changements positifs quant aux rôles sociaux de

sexe et aux avantages que la nouvelle société leur apportait en tant que femme, quelques

hommes ont aussi mentionné que leur dynamique familiale avait changé en arrivant ici.

Certains répondants masculins, s’identifiant à la classe moyenne élevée péruvienne, ont

mentionné qu’ils avaient une travailleuse domestique au Pérou (souvent une jeune fille

d’origine autochtone) pour effectuer les différents travaux ménagers de la maison. N’ayant

pas les moyens de payer pour une telle aide au Québec, ces répondants ont mentionné à

quel point la répartition des tâches domestiques était maintenant plus équitable entre

conjoints. Pablo, par exemple, raconte que la première personne (entre sa conjointe et lui)

qui arrive à la maison le soir après le travail commence à cuisiner. Alberto, quant à lui,

mentionne qu’il passe plus de temps avec son enfant, parce que ses journées de travail sont

beaucoup moins longues qu’au Pérou.

Différentes études auprès d’autres groupes d’immigrants confirment ces résultats quant au

changement des rôles liés au sexe (Creese, 2011; Arthur, 2000; Dion et Dion, 2001). Dans

une étude menée dans les années 1970 et 1980 auprès d’immigrantes salvadoriennes aux

États-Unis, les femmes rapportent avoir un sentiment d’émancipation (empowerment), de

liberté et de confiance en soi, alors « qu’elles négocient les rôles traditionnels sexuels dans

un nouveau contexte social et culturel »89 (Zentgraf, 2016).

Enfin, mentionnons que deux de nos répondants, soit un homme et une femme, se sont

identifiés comme étant des personnes gaies. Pour ces dernières, il semble qu’immigrer au

Québec a contribué à une amélioration de leurs droits et de leurs conditions de vie en tant

que gais. Ricardo explique que le Québec a facilité son épanouissement personnel :

Moi, personnellement, aussi j’ai découvert plein de choses ici. Cela m’a épanoui personnellement, parce que personnellement, moi je suis gai, mais quand j’étais au

89 Il s’agit d’une traduction libre.

Page 224: L’immigration péruvienne au Québec

208

Pérou, je ne le savais pas. Ça c’est un long processus, mais quand je suis venu ici, je ne savais pas que cela existait un village [gai]… Je savais zéro, parce que moi j’avais des doutes, mais je me suis dit, quand je vais être là, je vais tomber en amour avec une belle Québécoise pis ça va être réglé. […] Finalement, je suis tombé en amour avec un gars, pis c’est ça qui a répondu à mes questions (Ricardo, entrevue M23).

Il ajoute :

Parce que moi, je ne suis pas un Latino modèle. Je suis gai, mais même avant, je suis pro-avortement, complètement pro-droits des femmes, parce que la société, les Latinos ça parait plus ouvert, mais quand même, il y a un machisme très fort dans certaines sociétés. L’église, ça ne me dit absolument rien. Mes amis sont beaucoup plus ouverts, mes amis journalistes, mais je ne « fitais » pas. J’arrive dans une société où toutes les valeurs, ça « fite » avec qu’est-ce que j’étais avec ça (Ricardo, entrevue M23).

Il conclut :

Je suis en amour avec la francophonie, je suis en amour avec le Québec, les Québécois, les Francophones. Puis, j’ai voyagé un peu partout pour connaître aussi le Canada. Je me considère évidemment d’abord Québécois, puis aussi Canadien. […] Le Québec, ça m’a aidé à m’épanouir énormément (Ricardo, entrevue M23).

En bref, l’identification et le sentiment d’appartenance envers la nouvelle société, liés au

partage de valeurs communes, sont ressortis à plusieurs reprises dans les propos des

répondants. Ce type d’attachement renvoie à une conception plus civique de la nation et

reflète également les valeurs québécoises mises de l’avant dans les discours officiels. Dans

les séances d’informations destinées aux nouveaux immigrants pour « faciliter leur

intégration et leur pleine participation à la société québécoise », le ministère de

l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion (MIDI), informe d’ailleurs les personnes

nouvellement arrivées « des valeurs communes du Québec et des façons dont elles sont

vécues au quotidien » (MIDI, 2016b). Comme l’explique le MIDI sur son site Internet

faisant la promotion de ces séances d’information, « [s]’intégrer à la société québécoise,

c’est être prêt à connaître et à respecter ses valeurs communes » (MIDI, 2016b). Celles-ci

incluent, entre autres, la primauté du droit, la laïcité, le respect de la diversité, l’égalité

entre les hommes et les femmes – toutes des valeurs mentionnées par les répondants à cette

étude. Dans le dépliant remis aux participants, on y lit d’ailleurs que « le Québec est une

société fondée sur des valeurs communes qui forgent son identité » (MIDI, 2016c). En ce

Page 225: L’immigration péruvienne au Québec

209

sens, il y a donc une certaine continuité entre les discours officiels véhiculés auprès des

immigrants et leur sentiment d’appartenance envers leur nouvelle société basé sur le

partage de valeurs communes.

7.5 L’identité montréalaise et le paradoxe de la ville de Québec

Quelques répondants ont mentionné qu’ils avaient un sentiment d’appartenance envers la

ville de Montréal. Mario dit : « Je suis Péruvien avec un passeport canadien, mais je me

sens plus Montréalais que Québécois ou Canadien. Oui, au jour le jour, je suis plus

Montréalais que Québécois, Canadien » (entrevue M3). Pablo note qu’il s’ennuie de

Montréal, de la Rive Sud, lorsqu’il voyage au Pérou (entrevue M2). Dans leur étude menée

à Montréal auprès d’organisateurs communautaires issus de minorités ethniques et racisées,

Labelle et Salée (2001) révèlent l’émergence d’une nouvelle identité liée au caractère

cosmopolite et hétérogène de la ville de Montréal. Quelques-un de leurs répondants

s’identifiaient davantage à Montréal qu’au Québec ou au Canada (298). Plus récemment,

d’autres auteurs ont aussi identifié une identité montréalaise chez les rappeurs montréalais

issus de l’immigration (Sarkar et al., 2006) et chez les étudiants internationaux (Arias-

Valenzuela et al., 2016). Cette identité montréalaise serait davantage inclusive, englobant

différents groupes ethniques et linguistiques. Dans notre étude, l’idée d’une identité

montréalaise est ressortie chez quelques répondants.

En revanche, aucun des répondants de la ville de Québec ont parlé d’une identité locale liée

à cette ville. En fait, la grande majorité des répondants de la ville de Québec ont plutôt

mentionné le caractère plus « fermé » de la capitale et la difficulté de se faire des amis

québécois. Il s’agit certainement d’un paradoxe intéressant. D’un côté, les répondants

résidant à Québec ont réussi à trouver des emplois plus qualifiés plus rapidement qu’à

Montréal en mobilisant davantage de liens faibles (chapitre VI), mais de l’autre, il semble y

avoir un sentiment d’appartenance plus faible envers la ville de Québec.

Andrea est l’une des répondantes qui partage cette opinion. Ayant vécu plusieurs années à

Montréal avant de venir s’installer à Québec, elle explique qu’elle se sent plus immigrante

Page 226: L’immigration péruvienne au Québec

210

à Québec qu’à Montréal. En comparant son expérience dans les villes de Montréal et de

Québec, elle explique qu’elle se sent comme une « extra-terrestre » à Québec :

C’est les personnes ici. Nous, les immigrants, si on parle espagnol dans la rue, on se fait regarder comme ça. On le sent, moi je le sens. On le sent les immigrants. On le sent nous les hispanophones. C’est les gens qui nous font se sentir comme ça. […] On est comme des extra-terrestres, je pense, quelque chose comme ça. C’est vrai que je dis toujours, bon, c’est la perception, la personne qui nous sent, la personne qui nous voit. Moi je le sens. Je suis une personne très sensible moi. Donc je peux sentir quand une personne est vraiment, elle accepte bien ou pas. Mais, il y a des places, comme le Tam-Tam café, par exemple. Il y a des places comme celle-là où on peut se sentir très bien accueilli. Mais c’est ça, c’est une place. Ce n’est pas évident la ville de Québec pour une immigrante. J’ai connu des gens qui s’en vont. Je connais des gens qui s’en vont. Ils s’en vont à Toronto ou retournent à Montréal. Moi, des fois je suis tentée de retourner à Montréal, juste des fois, ça me manque, ça ne me manque pas la ville, ça me manque mes amis. Parce qu’ici, ce n’est pas évident se faire des amis à Québec. Ce n’est pas évident. Je n’ai pas trouvé ça aussi ouvert qu’à Montréal (Andrea, entrevue F18).

Andrea précise que c’est seulement à Québec qu’elle s’est sentie comme une immigrante,

pas à Montréal. Selon elle, c’est pour cette raison que son identité péruvienne est devenue

plus importante ces dernières années. Hugo quant à lui se demandait pourquoi il n’avait

pas eu d’amis québécois à Québec. En couple avec une femme québécoise originaire de la

ville de Québec, il dit :

Je me demandais pourquoi je n’ai pas eu d’amis québécois. Je crois que Québec, et ça je l’ai vécu avec ma blonde, Québec c’est une ville… les gens sont très gentils, mais c’est quand même un peu réservé. La ville de Québec, je crois que oui, je crois (Hugo, entrevue M22).

Valentina émet un commentaire semblable lorsqu’elle dit que « c’est difficile de se

faire des amis à Québec ». Elle explique qu’elle s’est jointe à un groupe de femmes

latino-américaines pour « socialiser un peu » :

Au début, je suis entrée [à l’association] pour socialiser un peu, parce qu’ici c’est difficile de se faire des amis à Québec. Tous les Québécois ont déjà leur agenda trop plein. Ils n’ont pas de place pour des nouveaux amis. Alors, ce n’est pas juste moi qui le dis. J’ai connu des personnes qui viennent de la rive sud de Montréal et ils sont des étrangers ici aussi. Alors eux aussi trouvaient que c’est très difficile de se faire des amis parmi les Québécois, mais c’est très facile de se faire des amis parmi toutes les

Page 227: L’immigration péruvienne au Québec

211

personnes des autres pays qui sont ici parce que précisément, ces personnes sont ouvertes à se faire des amitiés (Valentina, entrevue F4).

Valentina constate qu’il est difficile pour elle de développer des amitiés avec les Québécois

de Québec parce qu’ils ont « déjà leur agenda trop plein ». Pour Valentina, ce serait donc le

manque de temps qui explique cette situation particulière. Les gens sont trop occupés pour

se faire des nouveaux amis. Elle trouve par contre qu’il est beaucoup plus facile de créer

des liens d’amitié avec les personnes des autres pays qui seraient plus ouvertes « à se faire

des amitiés ». Christina tient des propos comparables sur la ville de Québec. Christina avait

étudié à Rimouski avant de s’installer à Québec. Elle trouvait donc qu’elle avait un réseau

d’amis beaucoup plus important à Rimouski qu’à la capitale nationale. Elle dit :

À Québec, ce n'est pas non plus facile de bâtir des liens. Moi, je dirais qu'il faut avoir grandi ici, ou avoir fait des études ici pour avoir ton réseau. Mon réseau le plus grand c'est à Rimouski. Ici, je n'ai pas étudié, donc je n'ai pas ce réseau-là. Québec, c'est un peu plus fermé. Mes amis à moi sont à Rimouski (Christina, entrevue F13).

Daniela, quant à elle, avait étudié à Québec. Elle rapporte tout de même qu’elle a trouvé

difficile de se faire des amis parmi les étudiants québécois. Dans l’extrait suivant, elle

compare son expérience universitaire à Lima au Pérou avec celle qu’elle a vécue dans la

ville de Québec :

Pero en el baccalauréat, hay más quebequenses que inmigrantes. Y bueno, definitivamente para mí es un poco difícil… porque la verdad yo estudié la universidad en Perú también, ¿no? Entonces yo hago un punto de comparación y en Perú cuando yo hacía trabajos [de equipo], eran mis amigos, no solo eran mis colegas de la universidad. Y aquí sí son tus colegas, pero no son tus amigos, ¿ok? Entonces es como con algunos puede ser que… pero con la mayoría es como haces un trabajo y luego chao. No te veo más o no salimos juntos, ¿no? O sea […] somos colegas, pero nada más. En Perú es más fácil, claro porque como has invertido tiempo en hacer un trabajo, usualmente nos trasnochamos, en fin, entonces ellos se vuelven tus amigos, tu grupo de trabajo. Pero aquí es tu grupo de trabajo y punto, ¿no? Tu grupo de trabajo90 (Daniela,

90 Mais dans le baccalauréat, il y a plus de Québécois que d’immigrants. Eh bien, définitivement, pour moi, c’est un peu difficile ... parce que la vérité c’est que j’ai étudié à l'université au Pérou aussi, non ? Alors, je fais la comparaison et au Pérou quand je travaillais [en équipe], ils étaient mes amis, ils n’étaient pas seulement mes collègues à l'université. Et ici, oui ils sont tes collègues, mais ils ne sont pas tes amis, O.K. ? Alors c’est comme avec quelques-uns qu’il pourrait avoir ... mais

Page 228: L’immigration péruvienne au Québec

212

entrevue F16).

Sofia, qui était étudiante étrangère au moment de notre entretien, rapporte une expérience

similaire. Elle note que malgré toute son implication dans différentes activités bénévoles

(organisation d’une foire d’emploi, participation à des activités de sensibilisation en

environnement, membre d’un jardin communautaire, etc.), elle remarque qu’elle n’a pas

créé beaucoup de liens d’amitié avec des Québécois à Québec. À l’instar de Daniela, elle

compare cette situation avec ce qu’elle a vécu au Pérou et en Bolivie.

Sofia: Yo puedo decirles entonces, si yo en Perú o en Bolivia haría… me involucraría en ese tipo de iniciativas, yo siento que los resultados serían diferentes. Yo siento que habría… que del otro lado habría una mayor apertura social. Y yo siento que no, que aquí la gente como… Yo no quiero juzgar, no quiero hacer juicios de valor. Yo solo… Mi percepción es como que la gente tiene eh… como estancos, yo no sé si tú entiendas esa palabra, o eh… parcelas. Entonces de pequeñas parcelas para la vida en la universidad, otra pequeña parcela, digamos, la gente que participa en el jardín y que pueden ser muy amables contigo, que puntualmente van a compartir contigo ese espacio, pero no significa que una vez que te han aceptado en ese espacio, tú vas a pasar a ser un amigo. […] Nosotros el hecho de compartir un espacio y de repente si tú, no con todo el mundo, pero si tú, digamos que empatizas con alguien, das un siguiente paso a compartir más espacios de tu vida, ¿no? Geneviève: Ya, entiendo. Sofia: O sea socialmente, te abres un poco más. Y entonces, yo digo que aquí yo he sentido que la gente tiene sus espacios más cerrados 91 (Sofia, entrevue F14).

avec la majorité c’est comme faire un travail, puis après ciao. Je ne te vois plus ou nous ne sortons pas ensemble, non ? C’est-à-dire [...] nous sommes des collègues, mais rien de plus. Au Pérou, c’est plus facile, bien sûr, parce que tu as investi du temps à faire un travail, en général nous nous couchons tard, alors à la fin ils deviennent tes amis, ton groupe de travail. Mais ici c’est ton groupe de travail et point, non ? Ton groupe de travail. 91 Sofia : Je peux vous dire alors, si au Pérou ou en Bolivie j’avais... je m’étais impliquée dans ce type d’initiatives, je pense que les résultats auraient été différents. Je pense qu’il y aurait eu ... que de l'autre côté il y aurait une plus grande ouverture sociale. Et je pense que non, que les gens ici comme ... Je ne veux pas juger, je ne veux pas porter des jugements de valeur. Je seulement... Ma perception est que les gens ont… comme étanches... Je ne sais pas si tu comprends ce mot, ou euh... des parcelles. Alors, de petites parcelles pour la vie à l’université, une autre petite parcelle, disons, pour les personnes impliquées dans le jardin et qui peuvent être très aimables avec toi, qui ponctuellement vont partager cet espace avec toi, mais cela ne signifie pas qu'une fois qu’ils t’ont accepté dans cet espace, que tu vas devenir un ami. [...] Nous, le fait de partager un espace et parfois si tu, pas avec tout le monde, mais si tu, disons, sympathises avec quelqu'un, la prochaine étape est de partager plus d’espaces de ta vie, non ? Geneviève : Oui, je comprends. Sofia : Ou socialement, tu t’ouvres un peu plus. Et puis je dis ici, j’ai senti que les gens gardent leurs espaces plus fermés.

Page 229: L’immigration péruvienne au Québec

213

En général, les répondants trouvaient donc qu’il était plus difficile de créer des liens

d’amitié dans la ville de Québec. Valentina a mentionné le manque de temps des Québécois

et Sofia a parlé de vies organisées en « parcelles plus fermées ». Alors qu’il est difficile

d’expliquer pourquoi les répondants de la ville de Québec ont, en majorité, trouvé la ville

de Québec plus « fermée » et plus « réservée », il est intéressant d’observer, en parallèle, le

sentiment d’appartenance identitaire de ces mêmes répondants. En général, les répondants

de la ville de Québec étaient aussi moins nombreux à exprimer une identité fortement

québécoise ou canadienne. En revanche, c’est à Montréal, que les identités québécoises et

canadiennes étaient les plus prononcées. Notons que la grande majorité des répondants, tant

à Montréal qu’à Québec, avaient tout de même des identités hybrides et multiples, agençant

et cumulant différents marqueurs identitaires (Péruvien, Latino, Québécois, Canadien,

Montréalais).

Il semble que ce qui ressort des entrevues à Québec, c’est donc l’importance du réseau

d’amis dans la construction identitaire. Même si les résidents de la ville de Québec ont pu

trouver des emplois qualifiés plus rapidement qu’à Montréal (surtout pour les femmes de

notre échantillon, voir chapitre VI), cette intégration en emploi ne s’est pas traduite par un

sentiment d’appartenance plus grand envers la ville, la province ou le pays. Les résultats de

l’étude réalisée par Gallant et Friche (2010) reflètent ces résultats. Gallant et Friche (2010)

ont mené une étude qualitative exploratoire auprès de 10 répondants (quatre femmes et six

hommes) âgés de 20 à 25 ans. Dans leur étude portant sur les réseaux sociaux en ligne et les

liens d’appartenance, elles ont découvert que ce sont les répondants qui avaient un réseau

social composé d’amis québécois d’origine qui ont développé « des sentiments

d’appartenance envers leur lieu d’accueil » :

…ce sont les répondants qui ont des Québécois d’origine dans leur réseau social (et ce, peu importe le reste du réseau) qui développent des sentiments d’appartenance envers leur lieu d’accueil. Ceci réaffirme le rôle d’autrui dans la construction des représentations de soi, non pas par assignation d’une identité, mais parce que le sentiment d’appartenance repose généralement sur le fait de « se sentir bien » (Jamet, 2010: 40). Il semble que chez les jeunes migrants, ce sentiment passe par l’amitié avec des locaux (Gallant et Friche, 2010).

Page 230: L’immigration péruvienne au Québec

214

Tout comme dans l’étude de Gallant et Friche (2010), il semble que les répondants de notre

étude qui avaient développé davantage d’amitiés avec des Québécois d’origine sont aussi

ceux qui manifestaient un plus grand sentiment d’appartenance envers leur société

d’accueil. La situation particulière de la ville de Québec, où il semble difficile de se faire

des amis selon les répondants qui y résidaient, pourrait donc en partie expliquer le plus

faible sentiment d’appartenance envers leur lieu d’accueil chez ces répondants.

7.6 Conclusion

En résumé, les répondants qui ont participé à cette étude présentent des identités hybrides,

multiformes et variées. La grande majorité des répondants se considèrent Péruviens et

Péruviennes, tout en ayant un sentiment d’appartenance envers le Québec ou le Canada. Ils

maintiennent donc une identification au pays d’origine tout en s’identifiant également à leur

lieu d’accueil. Il ne s’agit donc pas de choisir entre la nouvelle société et le lieu d’origine ;

les résultats des analyses démontrent qu’il est possible de s’identifier à plus d’un endroit à

la fois. La construction identitaire est également situationnelle, alors que les immigrants

péruviens réalisent souvent qu’ils sont attachés au Québec, au Canada ou à Montréal

lorsqu’ils retournent au Pérou. Il appert aussi que la construction identitaire évolue dans le

temps. Certains des participants qui sont au Québec depuis plus longtemps semblent aussi

avoir un plus grand sentiment d’appartenance envers leur lieu d’accueil (cela n’est pas

toujours le cas, par ailleurs).

En ce qui a trait au sentiment d’inclusion et d’acceptation au sein de l’imaginaire national

québécois (ou canadien), les répondants ont cité diverses raisons qui pourraient expliquer

pourquoi ils avaient de la difficulté à se considérer comme Québécois ou Canadiens. Du

côté des immigrants, ces derniers ont surtout mentionné des raisons qui pourraient

s’apparenter davantage à une vision ethnique de la nation (le fait de ne pas être né au

Québec, d’avoir un accent, ou d’avoir une culture et une apparence phénotypique

différentes). Du côté de la société d’accueil, il semble aussi que les discours populaires qui

reproduisent cette vision ethnique de la nation peuvent contribuer à un sentiment

d’exclusion par rapport au « nous » québécois ou canadien. L’analyse de l’identité latina a

Page 231: L’immigration péruvienne au Québec

215

permis d’apporter un éclairage intéressant sur cette question.

Si une bonne part des répondants ont mentionné qu’ils se sentaient Latinos, plusieurs

d’entre eux ont également problématisé et remis en question cette identité nouvelle, à la

fois apprise, négociée et (partiellement) adoptée (ou non) selon les contextes et les

circonstances dans le nouveau pays. La société québécoise qui accueille les immigrants

péruviens est déjà empreinte de discours et de pratiques relatifs à ceux qui sont perçus

comme des Latinos. En général, ces idéologies dominantes tendent à inclure dans une

même catégorie englobante et construite socialement un groupe de gens qui proviennent de

différents pays et de diverses cultures. Alors que certains répondants s’identifient à

l’Amérique latine et revendiquent une identité latina une fois au Québec, d’autres sont plus

ambivalents et questionnent cette tendance à généraliser et à homogénéiser un groupe de

gens provenant de lieux si différents. Certains déplorent les préjugés qui sont associés aux

latinos et mettent de l’avant une identité unique et plus individuelle, alors que d’autres se

disent simplement Péruviens ou Péruviennes.

Enfin, certains répondants, quant à eux, s’identifient davantage aux valeurs communes

promues par les gouvernements fédéral et provincial et reflétées dans les lois et dans la

société en général. Ce sont surtout les femmes (et une personne des minorités sexuelles) qui

ont mentionné ce type d’attachement citoyen s’inscrivant dans une vision plus civique de la

nation.

En dernière analyse, une comparaison des sentiments d’appartenance entre les villes de

Montréal et de Québec a révélé que les répondants qui résidaient à Québec trouvaient cette

ville plus « fermée » sur le plan des amitiés. Plusieurs répondants ont mentionné qu’il était

difficile de se faire des amis à Québec parmi les Québécois d’origine. Il est difficile de

savoir ce qui explique cette perception chez les répondants. Par ailleurs, en matière de

construction identitaire, l'analyse des entretiens révèle que les répondants qui ont le plus

d’amis québécois dans leur réseau social sont aussi ceux qui développent le plus grand

sentiment d’appartenance envers leur lieu d’accueil. Alors que l’insertion

socioprofessionnelle est certainement une condition essentielle à l’intégration (chapitre V),

Page 232: L’immigration péruvienne au Québec

216

il semble que la composition des réseaux sociaux joue aussi un rôle important dans la

construction de l’identité et du sentiment d’appartenance envers la nouvelle société.

Page 233: L’immigration péruvienne au Québec

217

Conclusion générale

L’objectif général de cette thèse était de mieux comprendre l’expérience migratoire des

immigrants péruviens qui se sont établis au Québec au cours des dernières années. Cette

étude a documenté les parcours migratoires de 24 Péruviens – 12 hommes et 12 femmes –

qui ont élu domicile dans les villes de Montréal et de Québec et qui présentaient une variété

de profils (en termes d’âge, d’année d’arrivée et de statut d’immigration). Cette étude de

nature qualitative a donc mis l’accent sur la diversité des parcours de chacun des

répondants. Dans cette conclusion, je propose de revenir brièvement sur les différentes

propositions élaborées au deuxième chapitre et d’explorer en quoi cette thèse a permis de

valider ou d’invalider ces propositions. Je présenterai ensuite les limites de cette étude, ses

contributions à la connaissance et les avenues de recherche possibles pour le futur.

8.1 De la discrimination au Québec ?

Le premier sous-objectif de cette recherche était d’examiner l’insertion socioéconomique

des immigrants péruviens au Québec. J’ai émis la proposition que malgré un discours

officiel de pluralisme culturel et d’ouverture envers les immigrants, ces derniers rencontrent

tout de même plusieurs obstacles sur les marchés du travail et du logement locatif. Cette

étude a permis non seulement de valider cette proposition, mais aussi d’expliquer plus en

détail comment les nouveaux arrivants péruviens sont confrontés à des situations de

discrimination et quelles stratégies ils déploient pour y faire face.

Tous les répondants ont identifié la langue (ou l’apprentissage de la langue française)

comme étant une première difficulté qu’ils avaient rencontrée. En faisant appel au concept

Page 234: L’immigration péruvienne au Québec

218

de capital linguistique de Bourdieu (1977) et à la notion de processus de racisation, il appert

que les immigrants péruviens interrogés dans le cadre de cette étude font face à une certaine

discrimination linguistique, particulièrement en raison de leur accent. Ici, l’accent dit

« latino » ou hispanophone est dévalorisé dans certaines situations, notamment dans la

recherche d’un logement, dans les milieux de travail et dans le cadre des études. Il semble

donc y avoir une échelle racisée des accents entendus au Québec qui fait en sorte que plus

le français parlé se rapproche d’un accent québécois – plus il représente une personne dite

« québécoise » – plus il est « permis » (Sarkar, 2008) et accepté.

Sur le marché du travail, il apparait qu’un même processus de racisation fait en sorte que

les diplômes et l’expérience obtenus dans des pays non occidentaux sont également

dévalorisés. Dans leur recherche d'un emploi, les Péruviens ont dû faire face à une

déqualification systématique de leurs qualifications et de leurs compétences. Par ailleurs,

devant ces obstacles, toute une série de stratégies est mise en place par les répondants pour

faciliter leur insertion socioprofessionnelle. Un des moyens les plus populaires consiste à

viser des emplois de niveau technique, requérants seulement une formation collégiale,

malgré la détention d’un diplôme universitaire. Le retour aux études pour acquérir une

formation dans une institution québécoise et le changement de domaine sont aussi d’autres

stratégies mobilisées. Il semble d’ailleurs que ces stratégies se sont avérées efficaces,

puisque l’ensemble des répondants interrogés qui avaient cherché un emploi travaillait au

moment des entrevues et exprimait une certaine satisfaction par rapport à leur emploi, en

matière de conditions de travail et de rémunération, et ce, malgré la déqualification.

Dans les milieux de travail, c’est sous la forme de microagressions (des attitudes, des gestes

et des commentaires subtils, mais non moins désobligeants, envers les personnes racisées)

que le processus de racisation se configure. Malgré ces affronts voilés, les répondants ont

tous fait preuve d’agentivité au travail et plusieurs rapportent avoir un sentiment d’être

appréciés par les collègues et les supérieurs.

Page 235: L’immigration péruvienne au Québec

219

En dernière analyse, les immigrants péruviens interrogés se disent intégrés et ils expriment

une certaine satisfaction par rapport à leur emploi, leurs conditions de travail et leur

décision d’avoir immigré malgré la déqualification et la discrimination qu’ils peuvent avoir

vécues. En fait, en se basant sur les raisons qui ont amené les Péruviens interrogés à

immigrer (la sécurité, la qualité de vie, les conditions de travail et l’avenir des enfants), il

semble donc que la plupart des répondants qui ont participé à cette étude ont réussi à

trouver un certain équilibre de vie qui correspond plus ou moins à ce qu’ils recherchaient

avant de partir. Bref, c’est comme si la qualité de vie, les conditions de travail, la sécurité et

l’avenir des enfants étaient tellement précaires dans la société d’origine que finalement, ce

qu’il trouve au Québec est à plusieurs niveaux beaucoup plus avantageux que ce qu’ils

avaient au Pérou. Ce constat s’inscrit dans le contexte plus large du capitalisme mondial où

les conditions de vie dans les pays du Sud sont de plus en plus précaires et où l’on assiste à

une érosion de la classe moyenne péruvienne (Fuertes et Velazco, 2013). Cette dernière, qui

a les moyens de migrer, trouve donc au Québec une terre d’accueil susceptible de lui offrir

une meilleure qualité de vie, une certaine sécurité, de meilleures conditions de travail et un

meilleur avenir pour ses enfants. Dans ce contexte, la déqualification vécue au plan

socioprofessionnel semble plus acceptable pour plusieurs, quoique loin d’être idéale. De

plus, mis à part les réfugiés, la grande majorité des répondants avaient fait le choix de venir

ici et certains se disaient qu’ils pouvaient toujours retourner s’ils le désiraient. Ce sentiment

de contrôle sur sa destinée a certainement eu un impact sur le sentiment de satisfaction par

rapport au projet d’immigration.

8.2 L’importance des réseaux

Le deuxième sous-objectif de cette thèse consistait à étudier les réseaux sociaux informels

et réseaux formels mobilisés par les répondants pour faciliter leur intégration au Québec.

J’ai émis la proposition que les immigrants péruviens qui avaient davantage de liens faibles

(Granovetter, 1973) seraient les mieux outillés pour s’insérer dans la nouvelle société. Cette

proposition a pu être validée, quoique partiellement puisqu’il importe de nuancer cette

validation à plusieurs égards. En effet, le recours aux liens forts (amis et familles) s’est

avéré fort utile en période prémigratoire pour préparer le projet d’immigration et une fois

sur place, dans les premiers temps de l’arrivée au Québec.

Page 236: L’immigration péruvienne au Québec

220

En période prémigratoire, l’utilisation des TIC (soit de l’Internet et de toutes ses

technologies adjacentes) a permis des échanges constants avec la famille et les amis déjà

établis au Québec (liens transnationaux), facilitant ainsi la préparation avant le grand

départ. Le recours aux forums sociaux virtuels (liens faibles) a aussi été mobilisé pour

s’informer sur la nouvelle société. Avant de partir, la plupart des répondants étaient donc

bien au courant de la déqualification qui les attendait sur le marché du travail et plusieurs

s’étaient préparer (« mentalement ») à accepter cette déqualification et (stratégiquement) à

viser des emplois de niveau technique.

Une fois au Québec, ce sont surtout les répondants de Montréal (et en grande majorité les

hommes) qui ont mobilisé des liens forts en début de parcours pour trouver des emplois

(peu ou pas qualifiés). En revanche, la majorité des femmes interrogées qui vivaient dans la

ville de Québec avaient trouvé un emploi plus qualifié via la mobilisation de liens faibles.

En s’inspirant de la théorie de l’intersectionalité, il est possible de voir comment la classe

sociale intervient dans la mobilisation des réseaux sociaux. Alors que Montréal compte une

plus grande population péruvienne et latino-américaine que Québec, les Péruviens qui

s’installent à Montréal ont davantage accès à des amis et de la famille pour se trouver un

emploi. Par contre, ce dernier risque d’être peu qualifié, considérant que les immigrants

d’origine latino-américaine occupent davantage des emplois non qualifiés, notamment dans

les domaines du ménage et de la restauration (des emplois associés à une classe sociale

moins élevée). En comparaison, à Québec, les Péruviens n’ont pas accès à un tel réseau

ethnoculturel et ils sont donc « forcés » à développer des liens faibles plus rapidement pour

s’insérer en emploi. Pour les femmes de la ville de Québec, cela s’est traduit par un accès

plus rapide à des emplois qualifiés de niveau technique (malgré un diplôme universitaire

pour l’ensemble d’entre elles).

En plus de mobiliser leur réseau informel (constitué de liens forts et de liens faibles), les

répondants qui ont participé à cette étude ont aussi utilisé le réseau formel. Contrairement à

d’autres études (Audy et al., 2016 et Creese, 2011) qui soulignent le décalage entre les

Page 237: L’immigration péruvienne au Québec

221

services offerts dans le réseau formel et les besoins réels des immigrants chercheurs

d’emploi, la présente étude brosse un portrait différent. Ici, les personnes interrogées ont

apprécié les services offerts via le réseau formel et plusieurs considèrent que la

fréquentation d’un centre d’emploi ou d’un organisme communautaire a contribué

positivement à leur obtention d’un emploi plus qualifié. Le fait de cibler des emplois

techniques, d’effectuer un retour aux études pour obtenir un diplôme québécois et d’ajuster

ses attentes socioprofessionnelles selon l’information acquise en cours de parcours sont des

stratégies qui, jumelées à la fréquentation d’un centre d’emploi, ont permis à plusieurs des

répondants de s’insérer en emploi dans des postes en deçà de leurs qualifications pour la

majorité, mais tout de même considérés comme satisfaisants à plusieurs égards (au point de

vue des conditions de travail, du salaire, etc.). Enfin, les répondants ont tous parlé de

l’importance d’élargir leurs réseaux et de créer des liens à l’extérieur de l’« endogroupe »

péruvien et latino-américain. Étant extrêmement proactifs dans leur recherche d’emploi, les

répondants ont tous fait preuve de résilience, d’ingéniosité et d’agentivité en ce qui a trait à

leur insertion socioprofessionnelle et leur intégration en général dans la nouvelle société.

8.3 Une identité hybride

Le troisième et dernier sous-objectif était d’explorer la construction identitaire des

Péruviens et leur sentiment d’appartenance. Ma proposition était que les Péruviens qui

s’installent au Québec développent, à l’instar des immigrants en provenance de l’Amérique

latine aux États-Unis (mais dans une moindre mesure), une identité « latina » dans la

nouvelle société. Cette étude a validé cette proposition, tout en permettant une analyse plus

fine et détaillée de la construction identitaire des répondants.

L’analyse des entrevues a révélé que les répondants péruviens interrogés ont une identité

hybride, qui combine des sentiments d’appartenance envers différents endroits. Alors que

plusieurs disent avoir adopté l’identité « latina » une fois au Québec (ils sont, après tout,

des Latinos-Américains), d’autres ont plutôt refusé cette étiquette, arguant que cette identité

englobante – qui regroupe des personnes provenant d’une diversité de pays, de cultures et

d’origines ethniques – ne représente pas adéquatement comment ils se sentaient au plan

Page 238: L’immigration péruvienne au Québec

222

identitaire et qui ils étaient. Peu importe que les répondants aient adopté ou non cette

identité, il n’en demeure pas moins qu’ils doivent tous apprendre à vivre dans une société

où ils sont considérés comme « latinos », avec tous les impacts que confère cette identité

racisée.

En outre, la grande majorité des personnes interrogées continue de s’identifier au Pérou et

se dit Péruvienne. À cet attachement au lieu d’origine, s’ajoute aussi un sentiment

d’appartenance envers le lieu d’accueil, que ce soit le Québec, le Canada ou Montréal. Pour

plusieurs, cet attachement au lieu d’accueil est associé au partage de valeurs communes,

reflétant ainsi les discours officiels sur l’interculturalisme et une vision plus civique de la

nation. Quant aux différences entre les villes de Montréal et de Québec, certains répondants

se considéraient Montréalais, mais aucun des répondants de la ville de Québec n’ont

manifesté un tel sentiment d’appartenance identitaire envers leur ville d’adoption. Plusieurs

ont plutôt mentionné qu’il était difficile de créer des amitiés avec des Québécois d’origine

dans la capitale. Comme quoi la composition des réseaux sociaux aurait aussi un impact sur

le sentiment d’appartenance envers le lieu d’accueil.

8.4 Limites de l’étude

Comme toute étude, cette recherche comporte des limites. Tout d’abord, comme il s’agit

d’une recherche de nature qualitative, effectuée auprès de seulement 24 personnes, il serait

difficile de généraliser les résultats à l’ensemble des immigrants péruviens et encore moins

à l’ensemble des immigrants au Québec. L’analyse présentée ici représente les propos des

24 personnes interrogées, ainsi que leurs perceptions. Seulement trois réfugiés ont participé

aux entrevues ainsi que cinq personnes admises via le regroupement familial. La majorité

des entrevues ont été réalisées auprès de personnes admises en tant que travailleurs

qualifiés, ce qui a aussi eu un impact sur les propos de ces derniers (notamment en ce qui a

trait au choix d’immigrer, comparativement aux réfugiés qui n’ont pas toujours ce choix).

Aussi, en matière de recrutement, il est possible que la technique dite « boule de neige » ait

fait en sorte que les profils des répondants soient parfois similaires, limitant alors la taille et

Page 239: L’immigration péruvienne au Québec

223

la diversité du bassin de recrutement. Par exemple, tous les répondants ont dit appartenir à

la classe moyenne péruvienne, ce qui a eu un impact sur leur intégration. Des immigrants

appartenant à des classes sociales moins élevées auront certainement une expérience

différente.

Pour la ville de Québec, seulement un homme a été interrogé. Il aurait été intéressant

d’avoir d’autres répondants masculins dans la ville de Québec afin de comparer leurs

expériences avec celles des femmes. Ces dernières ont trouvé plus rapidement des emplois

qualifiés, comparativement aux répondants de Montréal (un échantillon composé

majoritairement d’hommes).

8.5 Contributions et avenues de recherche

En matière de politiques, cette étude valide la nécessité de continuer à offrir des

programmes d’intégration et d’employabilité aux immigrants. Les programmes de

francisation, d'introduction à la culture québécoise et d’emploi ont été appréciés par les

répondants et ces derniers les jugeaient utiles. Les résultats de cette étude suggèrent

également qu’il serait important de bonifier les offres de stages et de mentorat pour les

nouveaux arrivants afin de faciliter leur insertion socioprofessionnelle. En parallèle, une

meilleure reconnaissance des diplômes et de l’expérience acquise à l’étranger permettrait

réellement aux nouveaux immigrants d’occuper des emplois à la hauteur de leurs

compétences, de leur expérience et de leur qualification.

En outre, la présente recherche confirme les impacts de la discrimination sur

l’employabilité des groupes immigrants racisés. Le fait que la majorité des participants

étaient surqualifiés pour leur emploi est lié à un processus de racisation où l’expérience et

les diplômes non occidentaux sont systématiquement dévalorisés sur le marché du travail.

En ce sens, le capital humain et les ressources de chacun ne sont pas suffisants pour

expliquer leur situation de déqualification. Malgré tous les programmes d’employabilité –

considérés comme étant nécessaires et appréciés par les principaux intéressés – et les

stratégies déployées par les nouveaux immigrants, il demeure parfois difficile pour ces

Page 240: L’immigration péruvienne au Québec

224

derniers de s’insérer au plan socioprofessionnel. L’intégration des immigrants n’est donc

pas seulement une question de « gestion de la diversité » et de partage de valeurs

communes, tel que présenté en introduction, mais il s’agit aussi d’une question de gestion

de la diversité des compétences, de l’expérience et des diplômes, de sorte que les

immigrants puissent contribuer pleinement à la société québécoise aux plans économique,

social et culturel tout en bénéficiant équitablement des ressources de cette même société.

Cette étude contribue également à une meilleure compréhension de la construction

identitaire en situation de migration. Avec l’exemple de l’identité « latina », il est possible

de voir comment une identité englobante et racisée – à la fois imposée par la société

d’accueil, mais aussi adoptée (complètement, partiellement ou pas du tout) par certains des

« porteurs » de cette identité – constitue à la fois un marqueur d’inégalité dans certaines

situations (logement, travail, etc.), mais peut aussi être réappropriée positivement dans

certains cas (« les Latinos sont travaillants »). Cette étude confirme aussi que l’identité est

hybride, malléable et situationnelle, alors que les immigrants développent un sentiment

d’appartenance envers leur lieu d’accueil, tout en gardant un attachement envers leur lieu

d’origine. L’analyse des réseaux des répondants a aussi permis de voir que la composition

de ces derniers semble avoir un impact sur le sentiment d’appartenance à la société

d’accueil. Ceux qui avaient développé des amitiés avec des Québécois d’origine se

s’identifiaient davantage à la nouvelle société.

À la lumière des résultats obtenus, plusieurs avenues de recherche seraient pertinentes à

explorer. Tout d’abord, comme plusieurs répondants ont dit avoir immigré pour « l’avenir

de leurs enfants », il serait intéressant d’examiner comment ces derniers s’insèrent dans la

société québécoise. Puisqu’ils auront étudié ici et appris le français plus jeunes, il est

probable que ces derniers aient un degré de « québéquicité » plus élevé que leurs parents.

En ce sens, il serait intéressant d’examiner l’intégration socioéconomique et le sentiment

d’appartenance de cette deuxième génération (née au Québec) ou de la génération et demie

(les immigrants arrivés en tant qu’enfants ou adolescents).

Page 241: L’immigration péruvienne au Québec

225

De plus, il serait pertinent de comparer l’intégration socioéconomique de Péruviens au

Québec et dans d’autres provinces canadiennes. Les récentes statistiques sur l’emploi et

l’immigration révèlent que les immigrants latino-américains en général sont moins affectés

par le chômage et la déqualification dans d’autres provinces canadiennes (Armony,

2014 :13). Des études qualitatives comparatives pourraient montrer en quoi le lieu d’accueil

peut avoir un impact sur l’insertion socioprofessionnelle.

Cette étude suggère aussi que les emplois techniques dans le domaine de l’informatique

semblent plus faciles à obtenir pour les nouveaux immigrants (notamment en raison de

qualifications reconnues internationalement). Il serait intéressant d’approfondir cette

question et de voir en quoi le domaine de travail peut influencer l’intégration. Enfin, il

semble que le mode de vie (le fait d’arriver seul, en couple ou en famille) pourrait aussi

influencer l’intégration. De plus amples recherches à ce sujet seraient tout aussi pertinentes.

En bref, dans une optique de justice sociale et afin d’assurer un traitement équitable à tous

les membres de la société, il importe de poursuivre les recherches sur l’immigration, mais

aussi de continuer à offrir des services adéquats pour les nouveaux immigrants tout en

prenant en compte l’impact de la racisation sur l’intégration. Laissé à lui-même, le marché

du travail tend à reproduire les inégalités qui affectent les immigrants, particulièrement

ceux qui appartiennent à des minorités et à des groupes racisés (Eid, 2012). Comme le

rappellent Wilkinson et Pickett (2011), les inégalités ont un impact sur l’ensemble de la

société, alors que les sociétés riches les plus inégalitaires présentent aussi de plus hauts taux

de problèmes sociaux et de santé (homicide, emprisonnement, dépression, obésité, mortalité

infantile et grossesses adolescentes) ainsi que des taux plus faibles de mobilité sociale et de

confiance envers les autres. Une société plus juste, plus inclusive et plus équitable

bénéficiera à tous, tant les personnes immigrantes, que non immigrantes.

Page 242: L’immigration péruvienne au Québec

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Annexes

Formulaire de consentement (français)

Titre de la recherche : L’immigration péruvienne au Québec : insertion socioéconomique, réseaux sociaux et

constructions identitaire

Chercheure : Geneviève Lapointe, étudiante au doctorat sous la direction du professeur Simon Langlois au département de sociologie de l’Université Laval

Présentation de la chercheuse Cette recherche est réalisée dans le cadre de mon doctorat en sociologie à l’Université Laval. Avant d’accepter de participer à cette entrevue, veuillez prendre le temps de lire et de comprendre les renseignements qui suivent. Ce document vous explique le but du projet de recherche et le processus de relatif à l’entrevue. Je vous invite à me poser toutes les questions que vous jugerez utiles. Nature de l’étude Les objectifs de la recherche sont les suivants : 1- Mieux comprendre les expériences d’immigration des Péruviens au Québec ; 2- Comprendre les attentes des personnes immigrantes face à leur projet migratoire ; 3- Identifier, décrire et analyser le rôle des réseaux sociaux, familiaux et transnationaux tout au long du parcours migratoires des personnes immigrantes ; 4- Identifier, décrire et analyser les obstacles rencontrés par les immigrants péruviens lors de leurs premières années au Québec ; 5- Examiner la construction de leur identité dans la nouvelle société ; 6- Identifier, décrire et analyser les différentes stratégies utilisées en vue d’une meilleure intégration socioéconomique au Québec (c’est-à-dire, quelles sont les stratégies utilisées pour trouver un logement ou un emploi, par exemple). Déroulement de la participation

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Votre participation à cette recherche consiste à participer à une entrevue, d’une durée variant entre une heure et deux heures, afin de répondre à des questions qui porteront sur les éléments suivants :

- Vos attentes face à votre projet d’immigration; - Le rôle des réseaux sociaux dans votre parcours migratoires; - Les obstacles rencontrés lors de votre établissement; - Votre construction identitaire dans la nouvelle société, c’est-à-dire comment vous

vous définissez au plan identitaire (dans quelle mesure diriez-vous que vous êtes Péruviens, Québécois ou Canadiens, ou encore latinos, immigrants, etc.) ;

- Les différentes stratégies utilisées en vue d’une meilleure intégration socioéconomique au Québec.

Veuillez prendre note que l’entrevue à laquelle vous participez sera enregistrée sur support numérique à moins d’avis contraire de votre part. Avantages, risques et inconvénients liés à votre participation Le fait de participer à cette recherche vous offre une occasion de réfléchir et de discuter, en toute confidentialité, sur votre parcours migratoire. Dans une optique de justice sociale, votre participation contribuera aussi à proposer des pistes de solution pour une meilleure intégration des nouveaux immigrants. Par ailleurs, le fait de participer à cette recherche pourrait aussi comporter certains inconvénients. En termes de temps que vous devrez consacrer à la recherche, l’entrevue à laquelle vous participerez durera environ une heure et demie. De plus, il pourrait y avoir certains risques psychosociaux à participer à cette recherche. Par exemple, les thèmes abordés lors de l’entrevue pourraient susciter des souvenirs émouvants liés à des expériences vécues comme le racisme, l’éloignement du pays et les difficultés d’adaptation. En cas de besoin, nous vous remettons donc une liste de ressources locales et gratuites qui pourront vous offrir du soutien psychosocial si vous le désirez. Participation volontaire et droit de retrait Vous êtes libre de participer à ce projet de recherche. Vous pouvez aussi mettre fin à votre participation sans conséquence négative ou préjudice et sans avoir à justifier votre décision. Si vous décidez de mettre fin à votre participation, il est important d’en prévenir la chercheure dont les coordonnées sont incluses dans ce document. Tous les renseignements personnels vous concernant seront alors détruits. Confidentialité et gestion des données Les mesures suivantes seront appliquées pour assurer la confidentialité des renseignements fournis par les participants :

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-Votre nom et tous les noms cités durant l’entrevue seront remplacés par un code dans tout le matériel (ex. : transcription des entrevues) et les données de la recherche. Ce matériel sera conservé sous clé, ne sera accessible qu’à la chercheure. L’accès aux fichiers contenant les données électroniques ayant été dénominalisées, sera protégé par un mot de passe. À la fin de la recherche, prévue approximativement pour avril 2016, tous les documents papier ou électronique et les enregistrements utilisés pour cette recherche seront détruits. - La recherche sera présentée sous la forme d’une thèse de doctorat disponible pour consultation à l’Université Laval, et aucun participant ne pourra y être identifié ou reconnu; - Un court résumé des résultats de la recherche sera expédié aux participants qui en feront la demande en indiquant l’adresse où ils aimeraient recevoir le document. Renseignements supplémentaires Si vous avez des questions sur la recherche ou sur les implications de votre participation, veuillez communiquer avec Geneviève Lapointe, étudiante au doctorat sous la direction du professeur Simon Langlois au département de sociologie de l’Université Laval, au 514-606-5994 (à Montréal) ou au 418-654-6064 (à Québec) ou par courriel : [email protected] Remerciements Votre collaboration est précieuse pour nous permettre de réaliser cette étude et nous vous remercions d’y participer. Signatures J’ai pris connaissance du formulaire et j’ai compris le but, la nature, les avantages, les risques et les inconvénients du projet de recherche. Je suis satisfait(e) des explications, précisions et réponses que la chercheure m’a fournies, le cas échéant, quant à ma participation à ce projet. ___________________________________ _________________________ Signature Nom en lettres moulées ___________________________________ _________________________ Signature de la chercheure Nom en lettres moulées Un court résumé des résultats de la recherche sera expédié aux participants qui en feront la demande en indiquant l’adresse où ils aimeraient recevoir le document. Les résultats ne seront pas disponibles avant octobre 2015. L’adresse (électronique ou postale) à laquelle je souhaite recevoir un court résumé des résultats de la recherche est la suivante : ______________________________________

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Plaintes ou critiques Toute plainte ou critique sur ce projet de recherche pourra être adressée au Bureau de l'Ombudsman de l'Université Laval : Pavillon Alphonse-Desjardins, bureau 3320 2325, rue de l’Université Université Laval Québec (Québec) G1V 0A6 Renseignements - Secrétariat : (418) 656-3081 (pour le Québec) 00-1-418-656-3081 (pour le Chili) Ligne sans frais : 1-866-323-2271 Courriel : [email protected] Ce projet a été approuvé par le Comité d’éthique de la recherche de l’Université Laval : No d’approbation : _____________________

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Formulaire de consentement (espagnol)

Título de la investigación : La inmigración peruana en Quebec:

Trayectorias migratorias y construcciones de identidad

Investigadora: Geneviève Lapointe, estudiante de doctorado quien trabaja bajo la supervisión del profesor Simon Langlois del Departamento de Sociología de la

Université Laval

Formulario de consentimiento - entrevista individual

Presentación de la investigadora: Esta investigación se realiza en el marco de mi doctorado en sociología en la Université Laval. Por favor, antes de que acepte participar en esta entrevista, tome el tiempo necesario para leer y entender las siguientes informaciones. En este documento se explica el propósito del proyecto de investigación y el proceso de la entrevista. Le invito a que me formule cualquier pregunta que juzgue necesaria. Naturaleza del estudio: Los objetivos de la investigación son: 1- Entender las experiencias de inmigración de los peruanos en Quebec; 2- Entender las expectativas de los inmigrantes en lo que respecta a su proyecto migratorio; 3- Identificar, describir y analizar el papel de las redes sociales, familiares y transnacionales a través de la trayectoria de migración de las personas inmigrantes; 4. Identificar, describir y analizar los obstáculos que han encontrado los inmigrantes peruanos durante sus primeros años en Quebec; 5. Examinar la construcción de su identidad en la nueva sociedad; 6. Identificar, describir y analizar las diferentes estrategias utilizadas para mejorar la integración socioeconómica en Quebec (es decir, cuáles han sido las estrategias utilizadas para encontrar una vivienda o un empleo, por ejemplo). Desarrollo de la participación: Su papel en esta investigación consiste en participar en una entrevista, de una duración de entre una y dos hora(s), para responder a las preguntas que tratan sobre los siguientes

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elementos: - Sus expectativas en lo que respecta a su proyecto de inmigración; - El papel de las redes sociales en su trayecto de migración; - Los obstáculos encontrados a su llegada; - Su construcción de identidad en la nueva sociedad, es decir, cómo define su identidad (en qué medida diría usted que es peruano, quebequense, canadiense, latino o inmigrante, etc.); - Las diferentes estrategias utilizadas para mejorar la integración socioeconómica en Quebec. Tenga en cuenta que la entrevista en la que participará será grabada en formato digital, a menos que usted indique lo contrario. Beneficios, riesgos e inconvenientes asociados con su participación: La participación en esta investigación le ofrece una oportunidad para reflexionar y hablar de manera confidencial sobre su experiencia migratoria. Desde una perspectiva de justicia social, la participación también contribuirá a proporcionar soluciones para una mejor integración de los nuevos inmigrantes. Sin embargo, el hecho de participar en esta investigación podría tener algunas desventajas. En términos de tiempo que va a dedicar a la investigación, la entrevista en la que usted participará durará alrededor de una hora y media. Además, podría haber algunos riesgos psicosociales al participar en esta investigación. Por ejemplo, los temas tratados en la entrevista podrían evocar recuerdos conmovedores de experiencias concretas como el racismo, la lejanía del país y las dificultades de adaptación. Si necesita, le ofrezco una lista de los recursos locales y gratuitos que pueden ofrecerle apoyo psicosocial si lo desea. Participación voluntaria y derecho de desistimiento: Usted es libre para participar en este proyecto de investigación. También puede terminar su participación sin consecuencias o perjuicios negativos y sin tener que justificar su decisión. Si usted decide terminar su participación, es importante que advierta a la investigadora (cuyos datos de información están incluidos en este documento). Toda su información personal será destruida. Privacidad y manejo de datos: Se aplicarán las siguientes medidas para garantizar la confidencialidad de la información proporcionada por los participantes: -Su nombre y todos los nombres mencionados en la entrevista serán sustituidos por un código en todos los materiales utilizados (por ejemplo, en la transcripción de entrevistas) y

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los datos de la investigación. Este material se mantendrá cerrado, únicamente la investigadora tendrá acceso a él, y los archivos que contienen los datos electrónicos estarán protegidos por una contraseña. Al final de la investigación, prevista aproximadamente para el mes de abril de 2016, se destruirán todos los papeles, documentos electrónicos y registros utilizados en esta investigación. - La investigación será presentada en forma de una tesis doctoral disponible para su consulta en la Université Laval, y ningún participante podrá ser identificado o reconocido; - Se enviará por correo electrónico un breve resumen de los resultados de la investigación a los participantes que lo soliciten, a la dirección indicada donde les gustaría recibir el documento. Información adicional: Si tiene preguntas sobre la investigación o sobre las implicaciones por su participación, póngase en contacto con Geneviève Lapointe, estudiante de doctorado quien trabaja bajo la supervisión del profesor Simon Langlois del Departamento de Sociología de la Université Laval: 514-606-5994 (Montreal) o 418-654-6064 (Ciudad de Quebec) o por correo electrónico: [email protected] Agradecimiento: Su cooperación es valiosa para realizar este estudio, y le damos las gracias por su participación. Firmas: He leído el formulario y entiendo el propósito, la naturaleza, los beneficios, riesgos e inconvenientes del proyecto de investigación. Estoy satisfecho(a) con las explicaciones, aclaratorias y respuestas que me ha proporcionado la investigadora, según el caso, con respecto a mi participación en este proyecto. ___________________________________ _________________________ Firma de participante Nombre en letras de imprenta ___________________________________ _________________________ Firma de la investigadora Nombre en letras de imprenta Se enviará por correo electrónico a los participantes que lo soliciten, un breve resumen de los resultados de la investigación a la dirección donde les gustaría recibir el documento. Los resultados no estarán disponibles antes del mes de enero de 2016. La dirección (de correo electrónico o dirección postal) donde me gustaría recibir un breve

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resumen de los resultados de la investigación es la siguiente: ______________________________________ Quejas o críticas Cualquier queja o crítica sobre esta investigación puede ser dirigida a la Oficina del Ombudsman de la Universidad Laval: Pavillon Alphonse-Desjardins, Oficina 3320 2325, rue de l’Université Université Laval Québec (Québec) G1V 0A6 Información - Secretaría: (418) 656-3081 Línea gratuita: 1-866-323-2271 Correo electrónico: [email protected] Este proyecto fue aprobado por el Comité de Ética de Investigación de la Université Laval: Número de aprobación: _____________________

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Questionnaire d'entrevue Identification Nom: Âge: Année d'arrivée au Québec : A. Informations sur le pays d'origine 1. Décrivez votre vie au Pérou avant de venir ici (études, occupation, vie familiale) ? B. Les causes du départ 2. Qu’est-ce qui vous a amené à quitter votre pays ? C. Le parcours migratoire 3. Qu’est-ce qui vous a amené à choisir le Canada, le Québec et Montréal (ou la ville de Québec, selon le cas) ? D. Les attentes face à votre projet d’immigration 4. Quelles étaient vos attentes face à votre projet d’immigration, à votre vie dans votre nouveau pays ? E. L’intégration économique Le premier emploi 5. Parlez-moi de la recherche de votre premier emploi. Comment cela s’est-il passé ? L’emploi actuel 6. Parlez-moi de votre emploi actuel. Que faites-vous ? Le logement 7. Quels sont les facteurs qui motivent votre décision d'habiter dans un quartier plutôt qu'un autre? Situation économique en général 8. Comment trouvez-vous votre situation économique en général (vos revenus versus vos besoins, vos biens possédés) ? F. Les réseaux sociaux et le rôle de la communauté péruvienne locale 9. Quelle est votre implication avec la communauté péruvienne locale ? Avec la communauté latino-américaine ?

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G. Les relations familiales et transnationales 10. Décrivez-moi votre situation familiale présente ? 11. Quels liens entretenez-vous avec les amis et membres de votre famille restés au Pérou ? H. La construction identitaire 12. Comment définissez-vous votre identité maintenant (Péruviens, Latino-Américains, Canadiens, Québécois) ? I. Fin de l’entrevue Avez-vous des questions ? Avez-vous d’autres choses à ajouter ?

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Liste de ressources À Montréal : Accueil aux immigrants de l'Est de Montréal 5960, rue Jean-Talon, bureau 209 Montréal (Québec) H1S 1M2 Tél.: (514) 723-4939 Accueil pour immigrants et Réfugiés du Sud-Ouest de Montréal Centre Prisme 414, rue Lafleur, bureau 1.10 Montréal (Québec) H8R3 H6 Tél.: (514) 364-0939 ALAC (Alliance pour l'accueil et l'intégration des immigrants-es) 5180. Queen-Mary, Bureau 400 Montréal (Québec) H3W 3E7 Tél.: (514) 737-3642, poste 2 Carrefour d'aide aux nouveaux arrivants 10780, rue Laverdure Montréal (Québec) H3L 2L9 Tél.: (514) 382-0735 Centre social d'aide aux immigrants 6201, rue Laurendeau Montréal (Québec) H4E 3X8 Tél.: (514) 932-2953 À Québec : Centre multiethnique de Québec 200, rue Dorchester Québec (Québec) G1K 5Z1 Tél.: (418) 687-9771, poste 103 Le Mieux-Être des immigrants 2120, rue Boivin, local 204 Québec (Québec) G1V 1N7 Tél.: (418) 527-0177 Service d’aide à l’adaptation des immigrants et immigrantes (S.A.A.I.) Halles Fleur de Lys 245, rue Soumande, local RC 24 Québec (Québec) G1M 3H6 Téléphone : (418) 523-2058

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Courriel au leader des associations (français) À : Bonjour Madame/Monsieur (selon le cas), Je me nomme Geneviève Lapointe et je suis une étudiante au doctorat en sociologie à l’Université Laval. Je mène présentement une recherche sur l’immigration péruvienne au Québec. Plus précisément, le but de cette recherche est de mieux comprendre les expériences d’immigration des Péruviens au Québec. Je recherche donc des personnes immigrantes péruviennes qui sont arrivées au Québec depuis plus de trois ans pour participer à des entrevues confidentielles d’environ 90 minutes. Je cherche à mieux comprendre les attentes des personnes immigrantes face à leur projet migratoire, étudier le rôle des réseaux sociaux, familiaux et transnationaux tout au long de leurs parcours migratoires, connaître les obstacles qu’elles ont rencontrés lors de leurs premières années au Québec, examiner la construction de leur identité dans la nouvelle société, et étudier les différentes stratégies utilisées en vue d’une meilleure intégration socioéconomique au Québec. Si possible, j’aimerais vous rencontrer afin de discuter davantage de mon projet et de savoir si vous pensez que des membres de votre association seraient intéressés à participer à une entrevue. À la suite de cette rencontre, je pourrais vous envoyer un courriel que vous pourriez faire suivre à vos membres afin de pouvoir participer à cette recherche. Auriez-vous l'amabilité, svp, de me faire part de votre intérêt à participer au projet dont il est question ? J’attends de vos nouvelles et n’hésitez pas à me contacter par courriel ou par téléphone au 514-606-5994 (à Montréal) ou au 418-654-6064 (à Québec) si vous avez des questions. En vous remerciant je vous prie, Madame/Monsieur (selon le cas) d’agréer l’expression de toute ma considération, Geneviève Lapointe Candidate au doctorat en sociologie Université Laval [email protected]

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Courriel au leader des associations (espagnol) Para: Estimado(a) señor(a): Mi nombre es Geneviève Lapointe, soy estudiante de doctorado en sociología de la Université Laval. Actualmente estoy realizando una investigación sobre la inmigración peruana en Quebec. El objetivo de esta investigación es entender mejor las experiencias de inmigración de los peruanos en Quebec. Quisiera entender mejor las expectativas de los inmigrantes en lo que concierne a su proyecto de inmigración, estudiar las redes sociales, familiares y transnacionales durante toda su trayectoria migratoria, conocer los obstáculos que han encontrado durante sus primeros años en Quebec, examinar la construcción de su identidad en la nueva sociedad y estudiar las diferentes estrategias utilizadas para mejorar la integración socioeconómica en Quebec. Me gustaría reunirme con usted para conversar sobre el tema de la inmigración peruana en Quebec, y también sobre la función y las actividades de su asociación. Esta entrevista es completamente confidencial duraría entre una y dos horas. Además, quisiera saber si usted cree que algunos miembros de su asociación estarían interesados en participar en una entrevista. Después de nuestra reunión, podría enviarle un correo electrónico para que usted se lo mande a sus miembros y así participen en la investigación. Por favor, si está interesado(a) en participar en este proyecto, póngase en contacto conmigo por correo electrónico o por teléfono: 514-606-5994 (Montreal) o 418-654-6064 (Ciudad de Quebec). Si tiene alguna pregunta, no dude en contactarme. Agradeciéndole de antemano, se despide de usted, Atentamente, Geneviève Lapointe Estudiante de doctorado en sociología Université Laval [email protected]

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Courriel aux membres des associations péruviennes (français) Invitation à participer à une recherche : L’immigration péruvienne au Québec : insertion socioéconomique, réseaux sociaux et constructions identitaire. Nous menons présentement une étude sur l’insertion socioéconomique des femmes et des hommes péruviens arrivés au Québec au cours des dernières années. Plus spécifiquement, le but de cette recherche est de mieux comprendre les expériences d’immigration des Péruviens au Québec. Nous cherchons à mieux comprendre les attentes des personnes immigrantes face à leur projet migratoire, étudier le rôle des réseaux sociaux, familiaux et transnationaux tout au long de leurs parcours migratoires, connaître les obstacles qu’elles ont rencontrés lors de leurs premières années au Québec, examiner la construction de leur identité dans la nouvelle société, et étudier les différentes stratégies utilisées en vue d’une meilleure intégration socioéconomique au Québec. Nous sommes à la recherche de personnes immigrantes originaires du Pérou qui accepteraient de partager leur expérience au cours d’une entrevue individuelle. Cette entrevue est de nature entièrement confidentielle et devraient durer entre une et deux heures. Vous recevez ce courriel aujourd’hui parce que l’Association _____ dont vous êtes membre a accepté de participer à cette recherche et de vous faire suivre cette invitation. Par ailleurs, veuillez noter que votre participation à cette recherche est libre et volontaire et elle n’affectera aucunement les services que vous recevez au sein de l’Association ______________. Pour participer à cette étude, vous devez : - être né au Pérou - être arrivé au Québec depuis au moins trois ans - être arrivé au Québec à l’âge adulte - être âgée de plus de 18 ans. Si vous désirez participer à ce projet ou avoir plus d’informations, vous pouvez contacter la responsable de la recherche, Geneviève Lapointe, étudiante au doctorat sous la direction du professeur Simon Langlois au département de sociologie de l’Université Laval, au 514-606-5994 (à Montréal) ou au 418.654.6064 (à Québec) ou par courriel : [email protected] Geneviève Lapointe Candidate au doctorat en sociologie Université Laval 581.701.2807 [email protected]

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Courriel aux membres des associations péruviennes (espagnol) Correo electrónico dirigido a los miembros de las asociaciones peruanas Invitación para participar en una investigación: La inmigración peruana en Quebec: Trayectorias migratorias y construcciones de identidad Actualmente estamos realizando un estudio sobre la integración socioeconómica de los peruanos que han llegando a Quebec en los últimos años. El objetivo de esta investigación es entender mejor las experiencias de inmigración de los peruanos en Quebec. Queremos entender mejor las expectativas de los inmigrantes, en lo que respecta a su proyecto migratorio; estudiar las redes sociales, familiares y transnacionales durante toda su trayectoria migratoria; conocer los obstáculos encontrados durante sus primeros años en Quebec; examinar la construcción de su identidad en la nueva sociedad y estudiar las diferentes estrategias utilizadas para mejorar la integración socioeconómica en Quebec. Estamos buscando a inmigrantes peruanos que aceptarían compartir su experiencia en una entrevista individual, con carácter confidencial y de una duración de entre una a dos hora(s). Usted ha recibido este correo electrónico porque la Asociación _____ ha aceptado participar en esta investigación y le ha transmitido esta invitación a sus miembros. Además, tenga en cuenta que su participación en esta investigación es libre y voluntaria, y no afectará de ninguna forma los servicios que recibe de la Asociación ______________. Para participar en este estudio, usted debe: - Haber nacido en Perú - Haber llegado a Quebec hace más de tres años - Haber llegado a Quebec en la edad adulta - Ser mayor de 18 años. Si usted desea participar en este proyecto o si desea obtener más información, puede ponerse en contacto con la jefe de investigación: Geneviève Lapointe, estudiante de doctorado, quien trabaja bajo la supervisión del profesor Simon Langlois del Departamento de Sociología de la Université Laval. Teléfono: 514-606-5994 (Montreal) o 418-654-6064 (Ciudad de Quebec) o por correo electrónico: [email protected] ¡Muchas gracias por su atención! Geneviève Lapointe Estudiante de doctorado, Université Laval [email protected]

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Annonce de recrutement (espagnol)

Le invitamos a participar en una investigación:

LA INMIGRACIÓN PERUANA EN QUEBEC: TRAYECTORIAS

MIGRATORIAS Y CONSTRUCCIONES DE IDENTIDAD Realizamos un estudio sobre la integración socioeconómica de los peruanos que han llegado a Quebec en los últimos años. El objetivo de esta investigación es entender mejor las experiencias de inmigración de los peruanos en Quebec. Buscamos a inmigrantes peruanos para que compartan su experiencia en una entrevista individual con carácter confidencial. Dicha entrevista tiene una duración de una (1) a dos (2) hora(s). Para participar en este estudio, usted debe: - Haber nacido en Perú - Haber llegado a Quebec hace más de tres años - Haber llegado a Quebec en edad adulta - Ser mayor de 18 años Si usted desea participar en este proyecto o si desea obtener mayor información, puede contactar a Geneviève Lapointe, responsable de la investigación y estudiante de doctorado, quien trabaja bajo la supervisión del profesor Simon Langlois del Departamento de Sociología de la Université Laval: Teléfono: 514-606-5994 (Montreal) y 418-654-6064 (Ciudad de Quebec) Correo electrónico: [email protected]

¡Muchas gracias!