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Lille 2, université du droit et de la santé
Ecole doctorale n° 74
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales
LES CONVENTIONS INTRA-GROUPE DE SOCIETES
Mémoire présenté en vue de l’obtention du Master droit, recherche,mention droit des affaires
Par Marcelle MBALA MBALA
Sous la direction de Marie-Christine Monsallier
2004-2005
Mémoire publié après autorisation du jury sur http://edoctorale74.univ-lille2.fr
Merci à Mme Marie-Christine Monsallier pour ses conseils avisés
A mes camarades du Master Recherche, pour tout leur soutien
2
Sommaire
Principales abréviations......................................................................................4
INTRODUCTION............................................................................................... 6
Première partie – Le dispositif conventionnel d’aménagement des relations
intra-groupe....................................................................................................... 14
Deuxième partie - Les limites de la liberté conventionnelle au sein du
groupe de sociétés.............................................................................................. 59
CONCLUSION..................................................................................................92
BIBLIOGRAPHIE............................................................................................ 96
3
Principales abréviations
Alii : Autres
Bull. civ. : Bulletin civil de la Cour de cassation
Bull. com. : Bulletin commercial de la Cour de cassation
Bull. Joly : Bulletin Joly
Bull. Joly Sociétés : Bulletin Joly Sociétés
Bull. Joly Bourse : Bulletin Joly Bourse et produits financiers
BRDA : Bulletin rapide de droit des affaires Francis Lefebvre
C.A. : Cour d’appel.
Cass. 1e civ. : Cour de cassation, Première chambre civile
Cass. 3e civ. : Cour de cassation, Troisième chambre civile
Cass. com. : Cour de cassation, Chambre commerciale.
Cass. crim. : Cour de cassation, Chambre criminelle.
CGI : Code général des impôts
concl. : Conclusions
D. : Dalloz.
D.A. : Dalloz affaires.
Dr. soc. : Droit social
Dr ; Sociétés, act. Prat. : Droit des sociétés, Actes pratiques
Dr. et patrimoine : Droit et patrimoine
D.P. : Dalloz périodique
Gaz. Pal. : Gazette du Palais.
JCP : Jurisclasseur périodique. La semaine juridique, édition générale.
JCP E : Jurisclasseur périodique. La semaine juridique, édition entreprise.
JCP N : Jurisclasseur périodique. La semaine juridique, édition notariale.
J.O. : Journal officiel.
J.O.A.N. : Journal officiel de l’Assemblée Nationale
obs. : Observations
P.A. : Petites affiches
4
préc. : Précité
RJ com. : Revue de jurisprudence commerciale
RF compt. : Revue française de comptabilité
R.J.D.A. : Revue de jurisprudence du droit des affaires
RJS : Revue de jurisprudence sociale
Rev. Sociétés : Revue des sociétés
RD Bancaire et Bourse : Revue de droit bancaire et la bourse
RTD Civ. : Revue trimestrielle de droit civil
RTD Com. : Revue trimestrielle de droit commercial et de droit économique.
S.A.R.L. : Société à Responsabilité Limitée
T.com. : Tribunal de commerce
T.corr. : Tribunal correctionnel
5
INTRODUCTION
« La liberté n’est pas un droit, mais un devoir » ? Nicolas Berdiaev
« La liberté est en apparence un allègement ;
en réalité, c’est un fardeau.
Voici justement sa noblesse: elle engage et elle oblige », Ernest Renan
Il n’existe en droit français aucune définition « légale » du groupe de sociétés, ni aucun droit
« spécial » des groupes, bien que cela ait été longtemps suggéré. On rencontre cependant de
nombreuses règles juridiques autonomes et éparses applicables aux groupes selon les
différentes branches du droit. Le phénomène du regroupement d’entreprises est une réponse
du monde des affaires aux exigences du marché. Le groupe est avant tout une réalité
économique.
C’est ainsi que les groupes de sociétés ont dû au préalable construire leur réalité juridique en
l’absence de textes spécifiques. Les groupes de sociétés ont tiré de cette absence et du silence
des textes, leur liberté d’organisation et de fonctionnement. Cependant, la liberté oblige
également à certains devoirs. En l’absence de textes spéciaux, les groupes de sociétés ont été
régis par les règles du droit commun. Le droit français a dû tenir compte a posteriori, de leur
réalité.
Nul ne peut méconnaître la réalité des groupes de sociétés tant le paysage économique
international est marqué par ces vastes mouvements de restructurations, de coopérations et de
concentrations d’entreprises désirant accroître leur compétitivité. En effet, se regrouper relève
aujourd’hui tant de la stratégie défensive qu’offensive. Telle est la donne économique
actuelle, le système français quant à lui n’échappe pas au phénomène.
6
Les tentatives d’approche de la notion de « groupe » sont pléthoriques. Les acceptions
divergent au gré des disciplines. Néanmoins, en droit et en économie, on s’accorde autour
d’une définition consensuelle du groupe. C’est un ensemble de structures autonomes,
soumises en raison de l’exercice d’un contrôle ou par la volonté de collaboration, à une unité
de direction en vue de la réalisation d’un objectif économique commun. Le groupe de sociétés
s’apparente à un système1 dont le moteur est la recherche d’un effet de synergie, doublé d’une
émulation entre les différentes structures, tendant à la satisfaction des intérêts du tout et de
chaque entité. En droit français, il ne possède pas la personnalité juridique, à la différence des
sociétés qui le composent.
Si l’on s’accorde pour définir le groupe de sociétés, il semblerait que cette notion devienne
« fonctionnelle » au contact des différentes matières du droit, à travers les tentatives de mise
en œuvre d’un régime juridique approprié.
Le droit pénal tout d’abord, reconnaît au groupe un intérêt économique, social ou financier
commun. En effet, en 1985, l’arrêt Rozemblum2 admet en matière d’abus de biens sociaux, la
possibilité d’écarter la responsabilité du dirigeant d’une personne morale en énonçant trois
critères cumulatifs et prenant en compte l’intérêt du groupe tout entier.
Le groupe de sociétés est appréhendé dans cette optique à travers la notion d’intérêt de
groupe, seule justification possible à une « atteinte » nuancée à la primauté de l’intérêt social.
La jurisprudence en la matière est désormais constante .
Le droit du travail a appréhendé la notion de groupe de sociétés, à travers tout d’abord la
création par la loi du 28 Octobre 1982 d’un organe de représentation spécifique aux groupes
de sociétés qui est le comité de groupe. Cela malgré l’absence de personnalité morale.
Nonobstant le fait que l’institution d’organes de représentation spécifiques, tels le comité de
groupe ainsi que le comité de groupe européen3 représente une avancé d’importance, la
représentation collective au sein des groupes de sociétés demeure une construction inachevée.
En effet, le concept d’ « entreprise » est le mètre étalon en droit du travail. C’est avec
l’entreprise que s’établissent les relations avec les salariés et que sont fixés leurs droits et
garanties. Les institutions représentatives sont en principe organisées dans le cadre de
l’entreprise. En vue de prendre en compte l’évolution des regroupements d’entreprises
juridiquement distinctes, la jurisprudence a forgé la notion d’ « unité économique et sociale »
(UES).Elle relève alors que plusieurs sociétés distinctes constituent un ensemble économique,
1 Le « système » s’entend ici comme un ensemble d’éléments matériels ou non, en relation d’interdépendance lesuns avec les autres et formant un tout.2 Cass. crim., 4 Février 1985, D. 1985, p. 485.3 C. trav., art. L. 439-1et s., art. L.439-6 et s.
7
pour retenir l’existence d’une seule entreprise. La notion d’unité économique et sociale
s’applique aussi bien aux cas des représentations élues (comité d’entreprise et délégués du
personnel), qu’aux représentations désignées (délégués syndicaux). Un arrêt de la chambre
sociale de la Cour de cassation en date du 20 Octobre 19994 vient préciser que les notions
d’unité économique et sociale et celle de comité de groupe sont incompatibles, l’arrêt apporte
ainsi des indications nouvelles sur le droit des groupes.
La notion d’unité économique et sociale a souvent été rapprochée de celle de groupe de
sociétés puisque visant le regroupement de plusieurs structures autonomes. L’enjeu est de
taille puisque la reconnaissance d’une unité économique et sociale implique la mise en place
d’instances de représentation du personnel aux pouvoirs et aux moyens accrus par rapport à
ceux dévolus aux comités de groupe. L’analyse de la jurisprudence a donc permis de dégager
les critères nécessaires à la reconnaissance d’une unité économique et sociale entre les
différentes sociétés d’un groupe5. L’unité économique et sociale est ainsi caractérisée par la
concentration de la direction et la complémentarité des activités. Les différentes sociétés ne
sont plus regardées comme des structures autonomes mais sont appréhendées comme une
seule et même entreprise. C’est ainsi que le groupe se distingue de l’unité économique et
sociale. Aujourd’hui, étant donné l’incompatibilité de coexistence des deux notions, la
compétition prend un caractère plus aigu, dans le sens où il sera parfois préférable que la
notion d’unité économique et sociale soit reconnue, plutôt que celle de groupe. Les critères du
groupe sont moins exigeants que ceux retenus pour l’unité économique et sociale6.
Même si le cadre du contrat de travail est souvent l’entreprise et non le groupe, la
jurisprudence fait souvent prévaloir la réalité des liens existant entre les entreprises du groupe.
C’est ainsi qu’elle se place dans le cadre du groupe pour apprécier la réalité des difficultés
économiques, de la mutation technologique ou de la réorganisation invoquée à l’appui d’un
licenciement économique. De même, c’est dans le cadre du groupe que doivent être
recherchées les possibilités de reclassement des salariés licenciés pour motif économique. La
mobilité des salariés au sein des groupes de sociétés est également possible.
Le droit fiscal admet, à travers le mécanisme de l’intégration fiscale, la possibilité pour une
société mère dite, « tête de groupe », de se constituer seule redevable de l’impôt sur les
sociétés. Elle le fait à raison du résultat d’ensemble réalisé par le groupe qu’elle forme avec
les sociétés dont elle détient, directement ou indirectement 95% au moins du capital de
4 MORIN (C.), « l’incompatibilité du groupe de sociétés et de l’unité économique et sociale », note sousCass.soc., 20 Octobre 1999, sté André et a. c/ Boitel et a.5 Mémento pratique Francis Lefebvre, Groupes de sociétés 2005-2006 § 16200et s.6 BELIER (G.), « Mise en place et attributions du comité de groupe: de l’unité économique et sociale à la directiveVredeling »: Dr. soc., 1983, p. 439
8
manière continue au cours d’un exercice7. Le mécanisme juridique des sociétés mères et
filiales présente l’intérêt de ne pas soumettre à l’impôt sur les sociétés les dividendes reçus de
la fille, dans la mesure où ils représentent des revenus déjà imposés avant leur distribution. Il
s’agit d’une option offerte par l’article 145 du CGI, à toute société assujettie à l’impôt sur les
sociétés en France. Il permet à une société qui détient une participation d’au moins 10% dans
le capital d’une autre de considérer cette dernière comme sa fille. En conséquence, les
dividendes reçus par la mère de sa filiale seront exonérés d’impôt sur les sociétés au niveau de
la mère. Ainsi, le droit fiscal appréhende ici le groupe de sociétés à travers des liens
essentiellement financiers, capitalistiques, lui permettant d’en tirer des conséquences
juridiques spécifiques. Depuis 1965, l’article 209 quinquies du CGI prévoit le régime des
bénéfices consolidés, permettant aux société françaises d’être admises à être taxées sur
l’impôt sur les sociétés selon les règles du droit fiscal français en retenant la part qui leur
revient dans le résultat des filiales françaises et étrangères dans lesquelles elles détiennent
directement ou indirectement 50% au moins des droits de vote. Pour déterminer si une société
appartient au groupe au regard de la société mère, la législation fiscale retient des critères
d’application assez souples. Ainsi, le contrôle opéré par la société mère peut être direct ou
indirect et, surtout, il dépend de l’importance des droits de vote détenus. Ainsi les critères du
groupe varient en droit fiscal.
A l’instar des autres disciplines, le droit des sociétés n’appréhende que de façon ponctuelle le
droit des groupes de sociétés. On peut ainsi citer à titre d’exemple la possibilité pour les
sociétés appartenant au même groupe d’établir des comptes consolidés. (C.com., art. L. 233-
16 et s.). La possibilité de consolidation comptable dépend encore ici de critères particuliers.
Il se dégage une conception des groupes de sociétés particulièrement fonctionnelle. Par souci
d’efficacité, chaque branche du droit conçoit les groupes de sociétés en fonction du but qu’elle
poursuit.
Le groupe de sociétés est une sorte de polyèdre dont les côtés se révèlent et s’éclairent
respectivement au gré des disciplines à la lumière desquelles ils sont examinés.
Le doyen Ripert a été le premier à soutenir l’idée selon laquelle la société est au service d’une
finalité, mais c’est l’« Ecole de Rennes » qui a donné à cette théorie son véritable essor sous
la plume du Professeur Champeaud tout d’abord, puis sous celle du Professeur Paillusseau. Ce
dernier a notamment précisé que : « l’entreprise et la société sont deux choses
fondamentalement distinctes. La première est une organisation économique et humaine. Elle
n’est pas une notion juridique mais une notion économique et sociale, la seconde étant une
7 CGI art. 223 A et suivants du CGI
9
notion juridique au service de la première, permettant de faire accéder l’entreprise à la vie
juridique et permettant également de l’organiser8 ».
Si l’on peut se permettre d’appliquer une telle analyse à l’échelle du groupe de sociétés, le
recours au groupe ne serait alors qu’une technique d’organisation, notamment d’entreprises
liées. L’idée d’un intérêt commun, transcendant celui de chaque structure, économique au
départ, serait en droit des sociétés l’expression d’un intérêt de groupe.
La participation de personnes à une communauté transcende les membres qui la composent
qu’il s’agisse ou non de groupes que la loi a doté de la personnalité juridique.
Ainsi, le groupe est une technique, un mode d’organisation, destiné à servir un intérêt
particulier. Il est un montage structurel. La division de l’entité économique en des personnes
distinctes est désirée de façon stratégique.
Certains auteurs, c’est le cas de Messieurs. Cozian et Viandier, comparent le groupe à une
famille dont les membres seraient exclusivement féminins, composée de sociétés mères, de
filles, de sœurs et même de grand-mères entretenant des liens juridiques particuliers et étroits9.
Economiquement, le groupe de sociétés peut-être conçu comme un système finalisé de
relations de dépendance économique sur lesquelles s’exerce un pouvoir centralisé10 . Nous
pouvons ajouter à cette vision le fait que les sociétés du groupe, à l’image de membres d’une
même famille entretiennent entre elles des relations particulières et privilégiées, empreintes de
solidarité, d’entraide mutuelle, se devant parfois de sacrifier les intérêts antagonistes à un
intérêt supérieur.
A l’image d’une famille, les sociétés d’un même groupe entretiennent des relations
particulières, matérialisées par des conventions qui révèlent et reflètent l’appartenance à une
communauté et qui sont l’expression même des relations intra-groupe qu’elles entretiennent
Beaucoup d’auteurs se sont interrogés sur la nécessité d’un droit des groupes11 à l’instar,
notamment, du modèle allemand. En effet, la loi allemande du 6 Septembre 1965,
l’Aktiengesetz, comporte une série de dispositions spécifiques aux groupes de sociétés. Le
rapport rendu par le sénateur Marini en Octobre 1996 sur la modernisation du droit des
sociétés, a d’ailleurs proposé une intégration dans le droit français de certains aspects de cette
8 PAILLUSSEAU (J.), Les fondements du droit moderne des sociétés, JCP E 1984, II, n°14193; JCP 1984, I, n°3148 ; JCP N, 1985, I, p.263.9 Voir COZIAN (M.), VIANDIER (A), DEBOISSY (F.) Droit des sociétés, 17e édition, Litec.10 MONTIER (J.), « la diversité de la notion de groupe », RF compt., 1995, P.78.11 PAILLUSSEAU (J.), « faut-il un droit de groupes ? », JCP 1971, I. 2401 bis; C. d’Hoir –Lauprêtre (C.), la notionde groupe de sociétés en droit français, Thèse, Lyon, 1988 ;
10
réglementation12. En droit allemand, l’idée fondatrice du groupe de sociétés est une démarche
volontariste de reconnaissance de la souveraineté exercée par des sociétés dominantes sur des
sociétés dominées. A partir de ce rapport de « vasselage », la relation impose des devoirs à
l’égard des associés comme à l’égard des créanciers. En contrepartie de cet accroissement de
responsabilité, le fonctionnement interne du groupe est facilité par un effacement relatif de
l’intérêt particulier des composantes au profit de l’intérêt commun, exprimé par la société
souveraine. Le modèle germanique est donc un modèle « contractuel ». En réalité, c’est un
régime délaissé depuis très longtemps par les praticiens.
Le manque de législation spécifique autonome et propre aux groupes de sociétés permet à ces
derniers d’acquérir une certaine souplesse dans leur fonctionnement en s’enrichissant et en se
servant notamment des règles en vigueur dans chaque branche du droit. Un droit des groupes
introduirait alors davantage de rigidité et de complexité, empêchant le souci de souplesse et de
simplicité recherché aujourd’hui en droit français.
Comme l’a écrit Monsieur Savatier à propos des accords de groupe en droit du travail : « Le
silence de la loi n’a jamais empêché l’invention des institutions commandées par la vie »13.
Ainsi, du silence de la loi et des textes, les groupes de sociétés se sont organisés à partir
d’instruments juridiques déjà existant et ont emprunté au droit commun. Ils ont alors eu
recours à la souplesse des conventions afin d’organiser leur fonctionnement.
Le mot « convention », du latin conventio, est lui-même dérivé de convenire qui signifie venir
ensemble, d’où être d’accord. Conclure un contrat, une convention, c’est se mettre d’accord
sur quelque chose. On s’accorde à définir la convention comme un accord de volontés entre
deux ou plusieurs personnes, destiné à produire des effets de droit. Le contrat n’est alors
qu’une sorte de convention. La convention ayant une acception plus large. Pour une partie de
la doctrine à laquelle adhère le Professeur Ghestin, la distinction entre les termes de contrat et
de convention est sans intérêt pratique, le droit commun des contrats étant finalement celui de
la convention. Pour définir la notion de « convention », la première édition du vocabulaire
juridique de Capitant fait état d’un « accord de volontés » au pluriel tandis que la deuxième
édition préfère parler d’ « accord de volonté ». La différence n’est pas dépourvue de
signification dans le sens où la première définition fait état de la rencontre de plusieurs
12 Rapport Marini sur la modernisation du droit des sociétés, collection des rapports officiels de la
documentation française ; BERTREL (J.-P.), « Modernisation du droit des sociétés : le rapport Marini » Dr. et
patrimoine, Octobre 1996, p. 1013 SAVATIER (J.), « l’organisation de la représentation syndicale dans les groupes de sociétés. L’exemple desaccords AXA ». Dr. soc., 2001, p. 498.
11
volontés. Dans la deuxième définition, la volonté est unique, la commune volonté est ici mise
en exergue14. La convention exprimerait une volonté unique
Les conventions intra-groupe de sociétés peuvent être regardées comme l’expression d’une
volonté commune des sociétés membres du groupe de tendre vers un objectif commun.
Comme a eu l’occasion de souligner le Professeur Guyon, les relations contractuelles dans les
groupes de sociétés sont celles dans lesquelles l’impératif de fraternité se manifeste plus
concrètement15. Les conventions conclues entre sociétés d’un même groupe sont l’expression
d’une certaine préférence contractuelle. On déduit de l’appartenance à une même entité la
légitimité des entraides et des rapports particuliers entre sociétés d’un même groupe. Le droit
positif a tenu compte de cette réalité. Ainsi, certaines opérations apparaissent facilitées dès
lors qu’elles s’inscrivent dans la logique du groupe, c’est-à-dire dans le cadre des relations
privilégiées entre ses membres. L’existence du groupe joue également le rôle d’un fait
justificatif suffisamment puissant pour écarter diverses prohibitions érigées à l’intention des
sociétés isolées.
Les conventions intra-groupe de société sont de multiples sortes et poursuivent des buts divers
et variés. Ainsi, ces dernières peuvent permettre d’organiser la prise de contrôle de sociétés,
elles peuvent également permettre de « verrouiller » le capital social d’une société afin
d’empêcher l’intrusion d’un tiers indésirable, on retrouve souvent ce type d’accords au sein de
certains groupes considérés comme étant « à vocation familiale », par exemple. Ces
conventions prennent alors la forme de conventions de vote, de pactes divers. Le terme
« pacte» qui est souvent utilisé par préférence à celui de convention, contrat, accord ou
stipulation, n’a pas de signification technique précise. Il sert généralement à désigner une
convention solennelle, complexe, personnalisée et destinée à établir des relations durables
entre les parties. Solennité mise à part, les pactes d’actionnaires revêtent toutes ces
caractéristiques. La notion de « pacte » a également une connotation péjorative dans le sens où
elle désigne des accords dont la validité est douteuse. Ce sens se retrouve encore dans les
pactes entre actionnaires, car le doute naît du recours à des conventions extra-statutaires afin
de régler des relations qui pourraient l’être plus normalement dans les statuts.
Le recours à certaines conventions peut également permettre aux structures dominantes de
s’assurer le pouvoir de mener à bien une politique déterminée, en organisant notamment le
pouvoir du groupe sur les dirigeants sociaux mais aussi le pouvoir des dirigeants au sein des
14 GHESTIN (J.), Traité de droit civil- Les obligations, contrat, formation, 3e édition, L.G.D.J., 1993.15 GUYON (Y.), « la fraternité dans le droit des sociétés », Rev. Sociétés 1989, p.439
12
groupes. Enfin, les conventions organisent les relations entre sociétés du groupe dans leur
fonctionnement courant. Ces conventions sont alors à caractère financier ou commercial.
La spécificité des conventions intra-groupe réside dans la particularité des relations entre les
sociétés du groupe, d’où l’intérêt de notre sujet. On peut penser d’emblée que ces conventions
sont généralement conclues à des conditions différentes de celles pouvant être conclues avec
des tiers. Les conventions intra-groupe sont le reflet d’une certaine « préférence
contractuelle ». Dès lors, plusieurs craintes peuvent paraître légitimes, dans le sens où l’on
peut d’emblée se poser la question de savoir si ces conventions maintiennent un certain
équilibre contractuel, non seulement entre les parties qui s’engagent mais aussi concernant
l’objet des engagements. De la légitimité de ces relations intra-groupe, du fait de
l’appartenance au groupe, peuvent naître des inégalités menant à l’injustice, à des contrats
davantage subis que consentis.
La politique de croissance interne du groupe repose sur chacune des sociétés composantes
mais également sur la coopération pouvant intervenir entre les sociétés liées. Dès lors, plus la
cohésion du groupe est forte et plus le nombre de conventions conclues entre sociétés liées est
élevé. En conséquence, les conventions qui sont le plus souvent conclues à l’intérieur du
revêtent une importance qu’elles n’ont pas dans les sociétés isolées.
Les conventions intra-groupe sont protéiformes. Parmi elles, certaines sont spécifiques aux
relations intra-groupe, d’autres sont particulières au droit des sociétés, d’autres encore sont
issues de branches particulières du droit comme le droit du travail, celui de la propriété
industrielle ou des sûretés. Néanmoins, en tant que conventions, ces dernières sont tout
d’abord soumises au droit commun des obligations, notamment concernant les conditions de
formation de toute convention, avant d’être conditionnées par les règles spéciales dont elles
relèvent.
On peut alors se poser la question de savoir comment le droit français des sociétés appréhende
ces conventions particulières ? Car l’efficacité de ces conventions dépend de cette prise en
compte. Comment les conventions intra-groupe peuvent-elles alors se poser en tant
qu’instruments efficaces au service du groupe ?
Alors que le droit positif tient ponctuellement compte de la particularité des groupes de
sociétés, le principe de la liberté contractuelle est prétexte à toute forme d’audace. Cette
réalité permet de légitimer la liberté des aménagements conventionnels au sein des groupes de
sociétés (Première partie), mais aussi d’en justifier les limites (Deuxième partie).
13
PREMIÈRE PARTIE – LE DISPOSITIFCONVENTIONNEL D’AMÉNAGEMENT DESRELATIONS INTRA-GROUPE
Max Weber, dans sa « Sociologie du droit », soulignait combien la particularité du droit
moderne repose sur l’importance croissante du contrat dans les transactions juridiques, au
point de caractériser la société moderne de « société contractuelle »16. L’omniprésence de la
convention au sein des relations intra-groupe est le moteur juridique du groupe de sociétés. Le
recours au contrat est aisé, car celui-ci permet non seulement d’aménager le pouvoir au sein
du groupe (Chapitre 1), mais aussi de centraliser au sein d’une seule entité, la gestion de la
structure toute entière (Chapitre 2).
16 v. CHANIAL (P.), « renouer le fil de l’alliance. Bourgeois, Durkheim et l’incomplétude du contrat », Lanouvelle crise du contrat , actes du colloque organisé le 14 Mai 2001 par le Centre René Demogue del’université de Lille 2, collection Actes, Dalloz 2003.
14
Chapitre 1 - Les mécanismes conventionnelsd’aménagement du pouvoir
Aménager, c’est adapter en vue de rendre plus efficace17, disposer méthodiquement en vue
d’un but déterminé18. Certains aménagements conventionnels ont pour but de rendre plus
efficace la détention, la maîtrise et l’exercice du pouvoir au sein des groupes de sociétés.
S’assurer le pouvoir au sein du groupe revêt ainsi deux dimensions : cela signifie non
seulement en détenir le contrôle (Section I), mais aussi y exercer le pouvoir de décision
(Section II).
Section I – Les conventions intra-groupe et lecontrôle
Il faut distinguer dans la structure d’un groupe la notion de propriété, exprimée par le
pourcentage d’intérêt, de la notion de « contrôle » exprimée par le pouvoir réel au sein d’une
entité, indépendant de la propriété financière. La détention du pouvoir ne dépend plus
uniquement de la réalisation de montages financiers. Elle peut également être le fait de
contrats conférant la possibilité d’exercer une influence déterminante sur l’activité d’une
société. Notre étude portera successivement sur les conventions tendant à l’acquisition du
contrôle au sein du groupe de sociétés (Sous-section 1), puis sur celles destinées à le
maintenir (Sous-section 2).
Sous-section 1 – Les conventions portant surl’acquisition du contrôle au sein du groupe
Certaines conventions permettent Le contrôle au sein d’un groupe de sociétés à travers la
notion d’influence déterminante (§1) et permettent notamment l’exercice concerté du pouvoir
(§2).
17 Le petit robert18 Le grand Larousse encyclopédique
15
§ 1 – La prise de contrôle à travers la notion d’influence
déterminante
La référence à la notion intervient notamment pour délimiter ou caractériser les zones
d’interdiction ou d’obligations assignées par le droit aux entreprises faisant partie d’un
groupe. Il y’a autant de définitions et de présomptions de contrôle qu’il y’a de textes qui s’y
réfèrent. A titre d’exemple, les articles 355 et 357-1 de la loi du 24 Juillet 1966 établissent des
présomptions disparates de contrôle.
Cependant, derrière la diversité des techniques (contrôle direct, indirect, exclusif ou conjoint,
effectif ou potentiel) ou présomptions de contrôle retenues par le droit, la notion de contrôle
est unique. Ces différents critères ne sont que le reflet de manifestations techniques du
pouvoir sur une société. Le droit des sociétés a vu s’étendre ses critères de contrôle.
Initialement, le contrôle était lié au droit de propriété de l’actionnaire, puis les critères de
contrôle ont été étendus au pouvoir de décision, consacrant la notion d’ « influence
déterminante ».
Le contrôle implique en droit des sociétés la domination, la maîtrise et le pouvoir de droit ou
de fait détenu par une personne physique ou morale au sein d’une structure sociale. Il permet
alors de mettre en exergue une relation de « dominant » à « dominé ». On recourt incidemment
à la notion de « contrôle » afin de définir le groupe de sociétés puisque celui-ci est alors
envisagé d’une part à travers la participation financière de la société mère au capital de ses
filiales, d’autre part à travers une unité de décision et de direction, le centre de pouvoir de
toutes les sociétés membres du groupe se situant au sein de la société dominante.
C’est ainsi que la notion de contrôle, prévue par le Code de commerce, amène souvent les
praticiens à retenir une définition plus large de la filiale que celle figurant à l’article L.233-1
du Code de commerce.
Aux termes de l’article L.233-3, I du Code de commerce : « une société est considérée comme
en contrôlant une autre selon plusieurs cas :
Lorsqu’elle détient directement ou indirectement une fraction du capital lui conférant la
majorité des droits de vote dans les assemblées générales de cette société.
lorsqu’elle dispose seule de la majorité des droits de vote de cette société en vertu d’un accord
conclu avec d’autres sociétés associées ou actionnaires et qui n’est pas contraire à l’intérêt de
la société.
Lorsqu’elle détermine en fait, par les droits dont elle dispose, les décisions dans les
assemblées générales de cette société. ».
16
Aux termes de l’article L.233-3, II, elle est présumée exercer ce contrôle lorsqu’elle dispose
directement ou indirectement d’une fraction des droits de vote supérieure à 40% et qu’aucun
autre associé ou actionnaire ne détient directement ou indirectement une fraction supérieure à
la sienne.
Ainsi, quatre sortes de contrôle sont consacrées :
Le contrôle de droit (la majorité des droits de vote).
Le contrôle en vertu d’un accord
Le contrôle de fait
La présomption de contrôle.
Il apparaît cependant que si le contrôle de droit peut s’apprécier en un instant donné, le
contrôle de fait sera souvent un contrôle d’habitude qui nécessitera une vue rétrospective de la
répartition des pouvoirs dans la société19.
Nous nous attacherons ici plus particulièrement au contrôle en vertu d’un accord, en précisant
simplement que les conventions relatives à l’acquisition de droits sociaux au sein des groupes
de sociétés ne relèvent pas d’une réglementation spécifique et nous renvoient au droit
commun des contrats, plus particulièrement celui des contrats de vente. Nous les écarterons
volontairement de notre étude en précisant cependant qu’en principe, les parts sociales et les
actions soumises à cession, surtout s’il s’agit d’un nombre important de titres, sont souvent
précédées d’une période de négociation. Les acquisitions sont soumises au droit commun de
la vente d’objets mobiliers incorporels. L’acquisition de droits sociaux s’apparente à une
cession de créance puisque le nouvel associé ou actionnaires sera créancier des dividendes
distribués par la société. Ainsi, l’aliénation n’est pas une vente pure et simple dans le sens où
elle met en cause la société émettrice de parts ou des actions. Au sein de sociétés à fort
intuitus personae, l’aliénation intéresse les autres associés et requiert leur consentement. Les
comités d’entreprise doivent également dans certains cas être alertés de projets de cession de
contrôle (C. trav. art. L. 432-1). C’est ainsi que l’acquisition de droits sociaux est soumise non
seulement au droit commun des conventions, mais aussi à des dispositions du droit du travail
et du droit des sociétés.
Le contrôle exercé par une société sur une autre, peut être le fait au sein d’un groupe, d’un
accord entre plusieurs sociétés. L’article L.233-3 du Code de commerce consacre l’acquisition
conventionnelle du pouvoir au sein d’une société. Nous pouvons donc en déduire des
conséquences pour le groupe de sociétés.19 CA Paris, 20 Février 1998, Association Adam contre Compagnie Générale des Eaux et SA Havas, JCP 1998,p.1051, note DAIGRE (J.-J) ; Bull. Joly 1998, p. 622, note LE CANNU ; Bull. Joly Bourse 1998, p. 233, note S.ROBINEAU ; RJDA 1998, p.279, note COURET (A.).
17
La loi NRE a élargi les frontières du contrôle en instaurant la notion de « contrôle conjoint »
en droit des sociétés, notion qui existait déjà en matière de comptes consolidés. Une
disposition a ainsi été ajoutée à l’article L.233-3, III du Code de commerce, puis modifiée par
la loi Murcef du 11 Décembre 2001.
Cette disposition est la suivante :
« Pour l’application des mêmes sections du présent chapitre, deux ou plusieurs personnes
agissant de concert sont considérées comme en contrôlant conjointement une autre
lorsqu’elles déterminent en fait les décisions prises dans les assemblées générales de cette
dernière ».
Le législateur permet ainsi à la notion de contrôle de procéder d’une action de concert, alors
que la jurisprudence de la Cour d’appel de Paris avait procédé à une distinction des deux
notions20. Il est ainsi admis que le contrôle d’une société puisse être conjoint entre des
personnes dès lors qu’il a pour vocation une structuration du pouvoir : une politique
commune. Le recours à la notion d’action de concert met en exergue l’importance de l’accord
au sein du processus de prise de pouvoir.
§ 2 – Le contrôle à travers l ’action concertée
L’article L.233-10 du Code de commerce est ainsi rédigé : « I. Sont considérées comme agissant de concert les personnes qui ont conclu un accord en vued’acquérir ou de céder des droits de vote ou en vue d’exercer des droits de vote, pour mettre enœuvre une politique commune vis-à-vis de la société ».
Il est désormais clair, après de nombreuses difficultés d’interprétation du texte initial, d’une
part que la volonté de mise en œuvre d’une politique commune vis-à-vis de la société
constitue un élément nécessaire à la qualification de l’action de concert quel que soit l’objet
de l’accord, et d’autre part, que la « politique commune » visée par le texte est bien celle des
concertistes et non celle de la société. L’article L.233-10 du Code de commerce avait ainsi fait
l’objet de controverses doctrinales en ce sens.
La notion d’action de concert, depuis la loi NRE, est sortie de son lit d’origine. Cette notion
relevait initialement du « droit boursier ». En effet, au sein des sociétés cotées, tous ceux
considérés par les textes comme agissant de concert sont soumis à la réglementation portant
sur les offres publiques d’acquisition (les OPA). Les obligations d’achat pèsent solidairement
sur les concertistes et les participants à l’action de concert n’exécutant pas les obligations
d’achat peuvent être tenus selon certaines modalités à rétrocéder leurs actions21. Les20 CA Paris, 20 Février 1998, préc.21 LE CANNU (P.), « l’action de concert », Rev. Sociétés 1995, 675 ; SCHMIDT (D.) ET BAJ (C.), « Réflexions sur lanotion d’action de concert », RD Bancaire et Bourse 1991, p. 182 ; RD Bancaire et Bourse 1992, p.187
18
concertistes sont soumis à une obligation de déclaration de franchissement de seuils22. La
notion d’action de concert est devenue une notion de droit des sociétés depuis la loi sur les
nouvelles régulations économiques. Le contrôle conjoint concerne désormais aussi bien les
sociétés cotées que les sociétés non cotées.
La loi admet ainsi le fait que le contrôle puisse résulter d’un accord, notamment entre des
personnes morales et des personnes physiques, dirigeants, associés ou actionnaires.. Elle
admet également la possibilité pour ces personnes de s’accorder en vue de mettre en œuvre
une politique commune vis-à-vis de la société. A travers la notion d’action de concert, ces
personnes seront considérées comme exerçant un contrôle conjoint. Ainsi, la possibilité légale
pour les groupes de sociétés de recourir à des procédés conventionnels destinés à l’acquisition
du contrôle se trouve étendue.
L’expression « mettre en œuvre une politique commune vis-à-vis de la société » est plus large
que la notion de contrôle conjoint. Le Professeur Le Nabasque émet ainsi deux hypothèses en
ce sens23. Ainsi, selon lui, cette expression peut s’entendre de deux manières au moins.
Parfois, il s’agira pour les parties au pacte de définir leur position vis-à vis de la société dans
la gestion des participations qu’elles détiennent. Elles conviendront ainsi de préférence d’une
clause de sortie conjointe (en pratique appelée un tag along), d’une clause de sortie forcé (un
drag along) ou de toute autre clause qui leur permet, soit de grandir ensemble dans la société
(acheter ensemble). Ces clauses sont incontestablement concertantes dans le sens où elles
assoient la politique (commune) que tous les partenaires entendent avoir dans leurs rapports
avec la société, sans pour autant que ces derniers veuillent nécessairement déterminer
ensemble les décisions prises dans les assemblées générales.
Les concertistes peuvent cependant s’entendre non pas seulement sur leur propre politique
vis-à-vis de la société, mais sur la manière de déterminer ensemble la politique sociale,
d’orienter sa gestion. La politique qu’ils définissent « vis-à-vis de la société » est alors celle de
la société elle-même, dans ce cas, le concert peut devenir « contrôlant » car il a pour objet de
permettre aux parties de déterminer ensemble, les décisions de la société.
Hors du contrôle, il n’y a point d’unité de direction et donc point de groupe. On peut ainsi
penser qu’un dirigeant de société puisse, au sein d’un groupe de société, conclure un accord
avec une société sœur ou la société qui le contrôle, accord permettant la mise en œuvre en
commun d’une politique déterminée, unique, dans un sens préétabli. Ainsi, l’unité de
« direction » du groupe permet à celui-ci d’atteindre ses objectifs. Les sociétés membres du
22 L. 24 Juillet 1966, art. 356-1et 356-1-223 CE, 20 Octobre 2004, n° 260898, Sté TFI, Bull. joly Sociétés, 01 Février 2005, n°02, p. 248, note LENABASQUE (H.).
19
groupe peuvent donc évoluer dans un sens unique, décidé par la société mère et les sociétés
dominantes, par le biais d’accords sur les modalités d’une action commune.
Les articles L.233-3 et L.233-10 du Code de commerce permettent de considérer les pactes
d’actionnaires, ou plus généralement les pactes d’associés comme des éléments déterminants
du contrôle. La présomption légale du contrôle englobe ainsi de nombreux procédés
contractuels de concentration du pouvoir plus ou moins complexes : les conventions de vote,
les contrats de dépendance, ou encore les protocoles d’accords portant création de filiales
communes. Les groupes de sociétés s’organisent ainsi à partir de mécanismes dont la finalité
est en droit des sociétés, l’infléchissement des règles rigides du droit des sociétés.
Les pactes d’actionnaires, quelle que soit leur forme, ont une validité de principe, reconnue
par la jurisprudence24. Les conventions de vote quant à elle, ont été principalement reconnues
en matière de groupe de sociétés sur le fondement de la conformité à l’intérêt social25.
A côté des conditions de validité de tout contrat (capacité des signataires, consentement non
vicié, objet certain et cause licite) et du respect des principes généraux du droit des contrats, il
est important de s’attarder sur les autres conditions de validité de telles conventions.
Un pacte d’actionnaire est une convention dont la validité est soumise au respect de certaines
normes. C’est en effet en matière de pactes d’associés ou d’actionnaires que se manifeste le
plus clairement le conflit entre la liberté contractuelle et l’ordre public sociétaire26. Cette
dernière ne peut contrevenir à l’ordre public sociétaire. Si l’ordre public relatif peut être
infléchi, il n’en est pas de même de l’ordre public absolu. Ces normes impératives feront
l’objet de développements ultérieurs. Il est important de rappeler que les conventions
concernent notamment des sociétés, personnes morales distinctes, ainsi, il sera également
important d’envisager la validité des conventions à l’égard des statuts sociaux. Ces pactes
peuvent prendre la forme d’accords statutaires ou extra-statutaires. La validité de conventions
extra-statutaires au regard de dispositions statutaires est un sujet délicat qui comporte de
multiples difficultés non encore réellement résolues. La Cour de cassation a cependant
considéré que, les statuts étant l’accord suprême entre actionnaires, tout accord extra-statutaire
y contrevenant revêtait une inapplicabilité de principe.27
24 Cass.com., 2 Juillet 1985, Bull. Joly 1986, p. 229.25 T. com. Paris, 1er Août 1974, Schneider c/ Marine-Firminy, Rev. Sociétés 1974, p. 685, note OPPETIT (B.),RTD COM., 1975.26 MONSALLIER (M.C.), L’aménagement contractuel du fonctionnement de la société anonyme, Thèse,
L.G.D.J., 1998.27 Cass. com., 15 Février 1994, Bull. Joly 1994, p.508, note VELARDOCCHIO
20
L’aménagement conventionnel du pouvoir au sein des groupes de sociétés peut donc se faire
par le biais de conventions de vote. Ces conventions ne sont pas spécifiques au groupe de
sociétés, cependant nous pouvons penser que le groupe est un terrain fertile à la prolifération
de tels accords et s’y prête largement. Au sein du groupe de sociétés, les conventions peuvent
être conclues entre les associés, entre actionnaires ou encore entre la société et les tiers en vue
de l’exercice commun du contrôle. Les conventions les plus usuelles visent le vote dans les
assemblées générales. Mais elles peuvent se rencontrer dans tous les organes délibérants de la
société, plus spécialement le conseil d’administration ou le directoire.
Dès 1932, la cour de cassation28 a posé le principe selon lequel le droit de vote est une des
prérogatives essentielles attachées à l’action.L’article 174 de la loi du 24 juillet 196629
confirme implicitement cette jurisprudence en établissant deux principes fondamentaux
régissant l’action : le premier étant le fait que chaque action donne droit à une voix au moins.
Le second principe posé par la loi réside dans le fait que le droit de vote de l’actionnaire soit
proportionnel à la quotité du capital représentée par les actions qu’il détient.
L’existence de conventions de vote a pu être considérée comme constituant une atteinte à ces
principes fondamentaux. Ces conventions se sont en effet développées dans le silence des
dispositions impératives, afin d’organiser conventionnellement le fonctionnement de certaines
structures sociales. Elles se sont cependant vues reconnaître une validité de principe par la
jurisprudence qui a à cette occasion dégagé quelques principes relatifs à leur validité,
notamment le fait que ces conventions ne doivent priver intégralement l’actionnaire de son
droit de vote, que ces dernières doivent être limitées dans leur objet et dans leur durée ainsi
qu’être conformes à l’intérêt de l’intérêt de la société ou du groupe30 et exempts de toute idée
de fraude31
L’article L.225-38 est une des solutions apportées par le législateur à la nécessité de gérer les
conflits d’intérêts pouvant survenir au sein des structures sociales. Les conventions intra-
groupe sont particulièrement concernées par la procédure d’autorisation des conventions
réglementées. Celle-ci soumet à l’autorisation préalable du conseil d’administration « toute
convention intervenant directement ou par personne interposée entre la société et son directeur
général, l’un de ses directeurs généraux délégués, l’un de ses administrateurs, l’un de ses
28 Cass. civ., 7 avril 1932, D.P.,1933, I, 153, note CORDONNIER (P.).29 Devenu l’article L. 225-122, du code de commerce.30 CA Paris, 17 Décembre 1954, Gaz. Pal., 1955, I, p. 149, concl. LANCIEN ; T.com. Paris, 1er Août 1954, Rev.Sociétés 1974, p.685, note OPPETIT. 31 CA Paris, 30 Juin 1995, JCP E. 1996, p.795, note DAIGRE (J.-J).
21
actionnaires disposant d’une fraction des droits de vote supérieure à 10% où s’il s’agit d’une
société actionnaire, la société la contrôlant au sens de l’article L.233-3 ».
Les conventions visées à l’article L.225-38 et conclues sans autorisation préalable du conseil
d’administration peuvent être annulées si elles ont eu des conséquences dommageables pour
la société. La nullité peut être couverte par un vote de l’assemblée générale intervenant sur un
rapport spécial des commissaires aux comptes exposant les circonstances en raison desquelles
la procédure d’autorisation n’a pas été suivie. L’intéressé ne peut pas prendre part au vote et
ses actions ne sont pas prises en compte pour le calcul du quorum et de la majorité. Tel est
l’enseignement que nous pouvons tirer de l’article L.225-42 du Code de commerce concernant
le non respect de la procédure des conventions réglementées.
Ces conventions auront cependant eu le temps de produire tous leurs effets à l’égard non
seulement des cocontractants mais aussi à l’égard de la société et des tiers. Ceci d’autant plus
que les conventions approuvées par le conseil d’administration, au même titre que les
conventions désapprouvées, produisent des effets à l’égard des tiers. Ainsi, l’article L.225-38
du Code de commerce pose une règle impérative dont le non respect n’entraîne pas toujours
de sanction sévère.
L’évolution des choses nous montre que l’on passe d’un contrôle quantitatif à un contrôle
davantage organisationnel. Le contrôle qualitatif (en fonction du nombre d’actions ou de parts
cédées ou acquises), c’est un critère simple qui ne reflète cependant plus la réalité
économique. Le contrôle organisationnel est davantage adapté dans le sens où celui-ci est une
image dynamique, plus conforme à la réalité économique. Si l’acquisition du contrôle au sein
du groupe peut faire l’objet de conventions, il en est de même concernant le maintien de ce
contrôle.
Sous-section 2 – Le maintien conventionnel ducontrôle
Pour croître efficacement, le groupe doit conserver le contrôle acquis et détenu sur les
différentes sociétés liées. Les groupes doivent donc réagir et se protéger du risque de perte de
contrôle des différentes sociétés affiliées. Les groupes doivent donc procéder à une
stabilisation conventionnelle du pouvoir en leur sein en agissant non seulement sur la
géographie du capital (§1), mais aussi sur la stabilité du pouvoir de décision (§2)
22
§ 1 – L’organisation de la géographie du capital
Afin de maintenir le contrôle au sein du groupe de sociétés, les sociétés membres d’un groupe
peuvent décider de s’organiser conventionnellement par le biais de mécanismes issus de la
pratique en droit des sociétés. Il peut être convenu au sein des groupes de sociétés, d’organiser
conventionnellement la « cristallisation » du capital du capital, la permanence du contrôle
majoritaire.
Ainsi, des sociétés créées ou non à cet effet, qui sont souvent des holdings peuvent recevoir en
apport les participations détenues par les membres d’un pacte d’actionnaires. Le terme
holding est un dérivé du verbe anglais to hold, qui signifie tenir, détenir. La holding, dans
cette optique, souvent qualifiée de « financière », est une société dont l’objet ou l’activité se
cantonne souvent à la détention de droits sociaux dans les sociétés dans la gestion desquelles
elle entend exercer son emprise afin d’assurer efficacement l’unité de direction économique
de l’ensemble, à la différence de la société de portefeuille, dont les participations ne sont
détenues qu’à titre de placement financier. Le pacte s’estompe ainsi derrière la société qui
l’absorbe et le concrétise. Le pouvoir peut alors se concentrer en un empilement de sociétés
holdings qui assure dans la durée le blocage ou la cristallisation voulue, qui permet de
consacrer le pouvoir majoritaire de certains. Souvent, la société holding n’a pas d’activité
opérationnelle propre. Elle exerce les droits conférés par les blocs d’actions ou de parts
qu’elle détient Pendant longtemps, la Cour de cassation a été hostile à ces sociétés de
portefeuille considérant notamment qu’elles avaient le caractère de société de façade,
uniquement destinées à obliger un ou plusieurs partenaires à se concerter pour toutes les
décisions à prendre au sein d’une tierce société32. En 1985, la Cour de cassation admet la
validité de telles sociétés.33.La société holding est ainsi l’expression la plus achevée de pactes
entre actionnaires. Pour Monsieur Parléani : « à l’unanimité contractuelle et aux soupapes
existant dans le droit commun des contrats, la holding substitue la règle structurelle, durable
de la majorité34 ».
Pour demeurer dans le domaine purement contractuel, il est important de préciser que certains
pactes en droit des sociétés peuvent cristalliser la répartition du capital, cela à travers divers
moyens. Ainsi, il peut être convenu au sein de groupes de sociétés de conventions
d’inaliénabilité destinées à interdire purement et simplement la cession de tout ou partie de
droits sociaux. Ces conventions, d’emblée, semblent porter atteinte au principe de libre
négociabilité des actions, principe d’ordre public en droit des sociétés. Néanmoins, certains32 voir CA Paris 18 Juin 1986, Rev. Sociétés 1986, p. 422, note GUYON (Y.).33 Cass. com., 2 Juillet 1985, Bull. Joly 1986, p. 374, §101, note LE BRAS (W.)34 PARLÉANI( G), « les pactes d’actionnaires », Rev. Sociétés 1991, p.1
23
auteurs35 opposent à cette interdiction l’article 544 du Code civil qui autorise tout propriétaire
à disposer librement de ses biens et d’en restreindre s’il le souhaite, la cession. Sous certaines
conditions, la jurisprudence a ainsi étendu le droit commun de l’aliénabilité, exprimé dans
l’article 900-1 du Code civil pour les biens obtenus par donation ou legs, aux actions et parts
sociales. La jurisprudence considère que les deux conditions posées pour la validité des
conventions d’inaliénabilité est de droit commune s’appliquent également aux droits sociaux.
Ainsi, la validité de telles conventions est soumise au fait que l’inaliénabilité doit être
temporaire et que celle-ci doit être légitimée par un intérêt sérieux qui pourra être celui d’un
associé, d’un tiers, d’une société et pourquoi pas, en ce qui nous concerne, du groupe tout
entier.36 La sanction du non respect d’une telle convention est en principe celle du non respect
d’une obligation de ne pas faire (C.civ., art. 1142). L’emploi d’une telle clause reste souvent
très limitée dans la pratique, puisque n’entraînant pas l’insaisissabilité des actions.
Insérer au sein d’un pacte d’actionnaires une clause d’interdiction d’acquérir ne semble pas
non plus contraire au principe de libre négociabilité des actions. Par cette clause, également
caractérisée de « non-agression », le ou les actionnaires si celle-ci est réciproque, s’engagent à
ne pas acquérir de nouvelles actions sans l’accord préalable des autres parties au pacte. Le
pacte, s’il impose bien la liberté de céder ses droits sociaux, ne pose aucun d’acheter. La seule
limite à de tels accords relève de la réglementation en matière d’offres publiques
d’acquisitions et pourrait se situer dans l’obligation de déclencher une telle offre. Aucune
condition de validité n’est posée pour de tels accords, on pourrait de ce fait penser à respecter
les conditions posées en matière de clauses d’inaliénabilité, ce qui nous semblerait ici
appropriées. La sanction du non respect de telles clauses est celle posée par l’article 1142 du
Code civil.
La répartition du capital peut également être contrôlée en par le biais de clauses de préférence,
de priorité ou de préemption ou de premier refus, ou encore par le biais de clauses d’agrément.
Les pactes de préférence, de priorité ou de préemption consistent en un engagement au sein
duquel les actionnaires ou associés s’obligent en cas de cession de leurs droits sociaux, à
accorder la priorité ou la préférence aux cocontractants, actionnaires ou associés. Le
bénéficiaire de la préférence pourra ainsi exercer son option, et décider ou non d’acquérir. Ces
conventions revêtent des architectures extrêmement diverses.
Lorsque certains des associés d’une holding de contrôle concluent un pacte de préférence, il
s’agit généralement de s’assurer pour eux du fait que, quels que soient les transferts des droits
35 POITRINAL (F.D), La révolution contractuelle du droit des sociétés, dynamique et paradoxes, Revue Banqueédition, 2003.36 CA Paris, 4 Mai 1982, Gaz. Pal. 1983, I, p. 152.
24
sociaux à venir, ils possèderont le contrôle de la holding et par conséquent sa filiale. Ceci est
d’autant plus vrai qu’une société peut utiliser le mécanisme de la préemption afin de devenir à
terme majoritaire de sa filiale. En effet, elle peut se prévaloir de la préemption dont elle est
titulaire, en cas de cession par ses associés de leurs droits sociaux, afin de prendre le contrôle
de la filiale.
La clause d’agrément soumet à autorisation de la société la cession des actions envisagée au
profit d’un tiers, cessionnaire pressenti. La Cour de cassation, dans un arrêt en date du 10
Mars 1976, a prohibé les clauses d’agrément dans les cessions entre actionnaires37. Aux
termes de l’article L.228-23 du Code de commerce, toute cession opérée en violation d’une
clause d’agrément prévue dans les statuts est nulle.
La clause de préemption connaît deux applications distinctes : soit l’associé vendeur est tenu
de présenter ses titres aux bénéficiaires de la clause qui disposent, avant toute cession, d’un
droit de préférence, soit les bénéficiaires de la clause exercent leur droit de préemption sur la
vente déjà conclue et se substituent aux actionnaires. Lorsque le droit de préférence ou de
préemption n’est pas exercé, le cédant retrouve son entière liberté de vendre ses titre dans le
premier cas et se trouve engagé par la cession envisagée au profit du cessionnaire déjà choisi,
dans le second.
Ces conventions peuvent être statutaires ou extra-statutaires, il est cependant important de
noter que de leur efficacité dépendra de leur place au sein du pacte social. Ainsi, les pactes
extra-statutaires comme cela a déjà été précisé seront soumis au principe de l’effet relatif des
conventions de l’article 1165 du Code Civil. Les pactes insérés dans les statuts auront une
validité et une efficacité renforcée de par la valeur des statuts et de par leur caractère public.
Nous nous attacherons ultérieurement à l’étude des conventions à valeur statutaire en tant que
limite à la liberté conventionnelle au sein des sociétés du groupe et au sein des groupes de
sociétés.
Si maintenir le contrôle nécessite la mise en œuvre de conventions portant sur la structure du
capital au sein groupe des groupes de sociétés, c’est également s’assurer d’une direction
stable.
§ 2 – La stabilisation du pouvoir de décision
Dans les formes de sociétés autres que les SARL et les sociétés anonymes, notamment au sein
des sociétés par actions simplifiées, le législateur laisse presque toujours aux associés la
faculté de fixer librement les conditions de nomination et de révocation des organes de37 Cass. com., 10 Mars 1976, Rev. Sociétés 1976, p.332, obs. HÉMARD ; D. 1977, p.455, note BOUSQUET ; RTDcom., 1976, p.533. obs. HOUIN. JCP 1976 III, p. 8406, note RABUT. RJC com., 1977, p.178, note CHARTIER
25
direction. Il est alors tout aussi simple et efficace de recourir à des clauses statutaires qu’à des
conventions extra-statutaires.
Les difficultés liées à l’aménagement conventionnel de la stabilité des dirigeants de groupe se
pose essentiellement en présence de sociétés anonymes.
Le gérant de SARL est révocable par décision des assemblées dans des conditions fixées à
l’article L.223-29 du Code de commerce, à savoir les conditions prévues pour l’adoption des
décisions ordinaires. Le gérant n’est pas révocable ad nutum, sa révocation peut donner lieu à
indemnisation si elle est décidée sans juste motif. Rien ne semble empêcher le fait d’avoir
recours à des conventions de vote afin de s’assurer de la stabilité du dirigeant au sein du
groupe de sociétés.
Au sein des sociétés anonymes, les conventions qui ont pour objectif d’augmenter la stabilité
de la direction sont surtout utiles lorsque les dirigeants, qui sont révocables ad nutum, ne
détiennent pas personnellement la majorité des droits de vote à l’assemblée générale. Il s’agit
le plus souvent de personnes qui sont appelées par les actionnaires minoritaires à exercer des
fonctions (président du conseil d’administration, directeur général), ou à siéger au conseil
d’administration en raison de leur compétence technique.
Assurer la stabilité d’un dirigeant au sein d’un groupe de sociétés est une tâche délicate. Cela
parce qu’un travail d’une telle ambition est nécessairement conditionnées par les différentes
formes que peuvent revêtir les sociétés du groupe. Ainsi, comment assurer la stabilité du
dirigeant d’une société de groupe au sein d’une société anonyme sans porter par exemple
atteinte au libre jeu de la responsabilité ad nutum ?
La révocation ad nutum (sur un signe de tête), est une révocation faite sans juste motif, sans
préavis et sans indemnité. Le dirigeant de la société est considéré comme son mandataire. En
conséquence, la société peut librement décider de mettre fin au mandat conformément à
l’article 2004 du Code civil. Cet état de fait, considéré comme inadaptée à l’évolution
moderne du droit des affaires par beaucoup d’auteurs, n’en est pas moins fermement maintenu
par la jurisprudence38. La révocation ad nutum s’applique aux dirigeants de sociétés anonymes
de type moniste. Les membres du conseil d’administration, les administrateurs, le président ou
le directeur général. Dans les sociétés anonymes de type dualiste, ce mode de révocation
s’applique également aux membres du conseil de surveillance. Le principe de la révocabilité
ad nutum est d’ordre public et nulle convention ne peut empêcher le libre jeu de ce mode de
révocation. De ce fait, stabiliser conventionnellement le pouvoir de direction au sein des
38 CAUSSAIN ( J-L), « La précarité de la fonction de mandataire social », Bull. Joly 1993, § 153, p. 523.
26
sociétés anonymes est un travail d’une grande délicatesse. Même si des tentatives peuvent être
faites dans ce sens, ces dernières n’auront qu’une efficacité limitée.
Les pactes relatifs à la révocation des dirigeants sont nombreux et variés. C’est en fonction
des objectifs qu’ils poursuivent que ces pactes peuvent être classés. Certains visent à assurer
un statut au dirigeant en repoussant la révocabilité ou en garantissant l’exercice de fonctions
après la révocation.
Ces pactes peuvent par exemple prendre la forme de promesses unilatérales de maintenir le
dirigeant en fonction. Pour être efficace, le pacte doit ainsi intervenir entre le ou les dirigeants
et les personnes détentrices du pouvoir de révocation. Le groupe n’ayant pas la personnalité
morale, cela peut-être un des dirigeants de la société mère, l’actionnaire majoritaire ou un
groupe d’actionnaires qui s’engage par convention avec le dirigeant.
Les pactes peuvent lier le dirigeant avec une personne qui ne peut décider directement de la
mesure révocation. C’est particulièrement le cas dans les groupes de sociétés où l’engagement
relatif à la révocation est le plus souvent conclu avec la direction du groupe alors que la
société où le dirigeant exerce ses fonctions n’est pas nécessairement contrôlé directement par
la société mère. Dans cette hypothèse, la direction du groupe, au nom de la société mère ou de
toute autre société du groupe, s’engage pour la société au sein de laquelle le dirigeant exerce.
Juridiquement, dans de tels pactes, l’interlocuteur du dirigeant s’engage pour autrui. Si
l’article 1119 du Code civil proscrit par principe cette possibilité, l’article 1120 définit le
régime juridique de la promesse de porte-fort, technique civiliste ancienne, qui consiste à
s’engager pour un tiers en promettant à son cocontractant que le tiers consentira à s’engager.
La Cour de cassation reconnaît la validité de tels pactes en droit des sociétés39. Cependant, elle
considère parfois qu’un dirigeant de société dépasserait ses pouvoirs en promettant au nom de
la société la nomination d’un dirigeant à des fonctions au sein de cette société, alors que cette
nomination ne relève pas de son autorité. Ce serait une violation au principe de la séparation
des pouvoirs et de la hiérarchie des organes40. Cette position a été vivement désapprouvée par
la doctrine41. Les juges font peser sur le promettant une charge très lourde dans le sens où en
cas de non respect de sa promesse, ce dernier est tenu au versement de dommages et intérêts
correspondant à l’obligation dont aurait été tenu le tiers représenté42.Si la validité de ces
conventions est ainsi posée, il faut cependant préciser qu’elles ne doivent pas entraver le libre
39 CA Lyon, 25 nov. 1994, R.J.D.A 1995, n° 46.40 Cass. com., 4 Octobre 1988, Bull. Joly Sociétés 1988, note P. LE CANNU41 TILLEMENT (G.), « Promesse de porte-fort et droit des sociétés », Rev. Sociétés 1993, p.6342 TILLEMENT (G.), op.cit., n°18 et suivant.
27
jeu de la révocabilité ad nutum pour les sociétés concernées. Elles contreviendraient sinon à
un principe fondamental du droit des sociétés.
Un arrêt de la Cour de cassation en date du 4 Juin 1996, est à rappeler43. Concernant les faits
d’espèce, une promesse de maintien en fonction avait été consentie à un dirigeant par le
président d’une société, cela à titre personnel. La promesse avait été assortie du versement
d’une indemnité en cas de non-respect de la promesse. Le premier attendu de cet arrêt est
important dans la mesure où il rappelle les principes régissant la validité des pactes relatifs à
la révocation en évoquant l’entrave ou la restriction au jeu de la révocabilité ad nutum. L’arrêt
de 1996, rappelle qu’au sein des groupes de sociétés, le pacte peut-être conclu par une
personne ne détenant pas le pouvoir de révocation (cela peut être le cas d’une filiale du
groupe, actionnaire ou non de la société). Les groupes de sociétés sont alors le cadre idéal
pour la mise en place de telles conventions.
On pourrait encore penser au sein du groupe, à des conventions conclues entre les sociétés
mères et les dirigeants de filiales, conventions assurant la stabilité du mandat social pendant
une durée déterminée. Il est certain que de telles conventions peuvent porter atteinte au libre
jeu de la révocabilité ad nutum. Elles sont en général annulées.
La convention conclue entre le dirigeant et les actionnaires en vue de davantage de stabilité
peut également constituer une convention de vote destinée à empêcher les actionnaires de
décider la révocation dans les conditions prévues par la loi. Hormis l’atteinte au principe de
libre révocabilité, ces conventions pourraient également être sanctionnées sur le fondement
d’une atteinte à l’intérêt social, condition impérative de validité des conventions de vote.
Il existe également des pactes visant à garantir pour le dirigeant, l’exercice de certaines
fonctions après la révocation. Il s’agit par exemple de lui garantir un contrat de travail. Ces
conventions prennent la forme de promesses de contrats ou de mandats. En cas de révocation,
les conventions prévoient ainsi l’accession à d’autres fonctions au sein du groupe ou à défaut,
le versement d’une indemnité44. Le danger se situe ici une fois encore dans l’atteinte au
principe de la révocabilité ad nutum, ces conventions peuvent ainsi altérer le libre jeu de la
révocabilité du dirigeant. C’est ainsi que de tels avantages trouvent leur sens si les nouvelles
fonctions proposées aux dirigeants ne sont plus des mandats sociaux mais de simples emplois
salariés.
On peut conclure au fait que dans la société anonyme, stabiliser conventionnellement la
direction est difficilement réalisable, sinon impossible. Les parties se tournent davantage vers
43 Cass.com, 4 Juin 1996, JCP E 1996, pan. n°724.44 Cass.com., 2 Juin 1992, RTD Com., 1992, p. 521, note CHAMPAUD (CL.) et. DANET ( D.)
28
des conventions qui tentent de minimiser les conséquences de la révocation ad nutum,
notamment à l’égard des dirigeants.
Ceci d’autant plus que le principe de révocabilité ad nutum constitue une sécurité pour le
groupe qui ne peut ainsi craindre des désaccords trop persistants avec des dirigeants sociaux.
La possibilité de sanctionner l’action du dirigeant de groupe à travers la révocation n’est que
le corollaire du pouvoir que détient conventionnellement le groupe sur le dirigeant.
Section 2 – Les conventions intra-groupe et ladirection du groupe
Le pouvoir est la capacité d’amener plusieurs personnes à agir individuellement, ou
collectivement, d’une manière désirée45. La finalité du pouvoir du groupe est d’établir une
adéquation entre lé gestion des sociétés qui le composent et les buts envisagés. La mise en
œuvre de la politique commune relève de l’action des dirigeants. Dès lors, les groupes de
sociétés doivent exercer un certain pouvoir sur les dirigeants du groupe (Sous-section 1).
Réciproquement, ils doivent également, dans la mesure du possible organiser le pouvoir des
dirigeants au sein même des sociétés du groupe (Sous-section 2), dans la pratique, la
conclusion de conventions de management ou conventions de direction permet de tels
aménagements.
Sous-section 1 – Les conventions portant sur lepouvoir du groupe sur les dirigeants
Le dirigeant est librement choisi par les détenteurs du pouvoir au sein du groupe de sociétés
pour que ce dernier conduise la politique d’ensemble. Le groupe dans son ensemble doit ainsi
compter sur la contribution de ce dernier à la mise en œuvre de la politique commune. La
maîtrise du groupe implique en effet le pouvoir d’influencer les décisions prises au sein des
sociétés liées en s’assurant que ces dernières sont bien conformes à la politique d’ensemble.
Cela implique le fait pour le dirigeant d’agir en fonction de l’intérêt du groupe.
Le pouvoir exercé par le groupe sur ses dirigeants est exercé par ceux ayant le pouvoir de
droit, de fait, ou la possibilité en ayant recours à des conventions d’influer notamment sur les
décisions prises. Il peut s’agir de la société mère, de sociétés majoritaires. Le représentant des
associés ou actionnaires majoritaires peut être désigné comme président de la société mère. En
45 Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit , 2e édition sous la direction de Arnaud (A.-J.), L.G.D.J 1993, 2e édition p. 465.
29
pratique, il est souvent plus juste de retenir que c’est un collège de personnes qui est le réel
détenteur du pouvoir au sein du groupe. Ce collège de personnes est désigné comme
« direction du groupe », ou sous des termes tels que « l’état-major »46.
Afin que le dirigeant ne dévie pas de sa trajectoire, le groupe exerce sur lui un pouvoir en
deux endroits : un pouvoir de subordination basé sur le statut de salarié des dirigeants du
groupe (§1) et un pouvoir de coercition basé sur le principe de libre révocabilité de ces
derniers (§2).
§1 – La nomination du dirigeant de groupe
Le pouvoir de nomination constitue l’expression première de la notion de contrôle dans les
groupes de sociétés47.
Contrairement à ce qui est habituel au sein même des sociétés liées, la spécificité du statut de
dirigeant au sein du groupe réside notamment dans le fait que les dirigeants sont davantage
recrutés pour leurs compétences que pour leurs apports en capitaux. A cet égard, ces derniers
illustrent réellement la séparation entre propriété et pouvoir. Même si la qualité d’actionnaire
ou d’associé est requise dans certains cas pour exercer leurs fonctions, les dirigeants ne sont
souvent détenteurs que d’une part faible, voir insignifiante du capital. L’autre intérêt lié au
statut de dirigeant de groupe de sociétés réside dans le fait que le groupe choisit ses dirigeants
parmi des cadres salariés, issus de ses rangs ou recrutés dans des sociétés extérieures.
L’administration du groupe est en général assurée par les dirigeants de sociétés de tête du
groupe, sous le contrôle du marché et des principaux actionnaires. Le fonctionnement du
groupe résulte donc de la volonté des dirigeants qui n’est autre que celle de la structure
dominante.
Comment imposer une stratégie commune à travers une direction commune à toutes les
sociétés d’un même groupe ?
Comment donner un pouvoir de représentation à un dirigeant dans une ou plusieurs sociétés
du même groupe ?
Comment s’assurer que le dirigeant reste subordonné à la société-mère ?
Comment transmettre une sphère d’autorité et de compétence à cette même personne ?
Autant de questions importantes pour la bonne pérennité du groupe auxquelles certains
auteurs ont tenté de résoudre en développant notamment la notion de « convention de
direction ».
46 LYON-CAEN (G.), « Les relations de travail internationales », collection. Droit du travail, éditions Liaisons,1991, n° 156.47 BARTHÉLÉMY (J.) et alii, Le droit des groupes de sociétés, L.G.D.J 1991.
30
Le mandat social permet la représentation lorsque le législateur y a attaché ce pouvoir. Le
contrat de travail instaure un lien de subordination entre la société et les dirigeants salariés. La
délégation de pouvoirs assure le transfert de la responsabilité d’une personne à une autre.
Enfin, le « parachute » définit la couverture financière du dirigeant qui quitte la société.
La convention de direction, sans réécrire l’ensemble de ces éléments, sans les fédérer, se
propose de tracer les grandes lignes d’une relation contractuelle féconde et porteuse. Au sein
des groupes de sociétés, elle a pour enjeu le fait de s’assurer une direction fiable, fidèle,
sécurisée, harmonisée et performante.
Une partie de la doctrine et des praticiens ont donc proposé par ce terme de « conventions de
direction » des conventions abordant l’ensemble des questions relatives à la compétence du
dirigeant de groupe, à sa place au sein de l’organigramme de groupe, place dont vont dépendre
ses fonctions, ses attributions ainsi que son positionnement au sein de la société et du groupe.
Les conventions de direction détermineraient également de façon incidente le statut ainsi que
le régime juridique auquel les dirigeants seraient soumis.
A défaut d’avoir introduit le contrat de direction dans le droit des sociétés, le contrat de travail
a donc été le point de convergence des constructions juridiques permettant d’aménager la
situation des dirigeants de sociétés au sein des groupes. Le contrat de direction n’a ainsi pas
été légalisé, il a cependant été conventionnellement aménagé autour du contrat de travail. Le
mandataire social d’une société peut-être placé sous l’autorité de la société-mère, au travers
d’un lien de subordination.
L’existence d’un lien de subordination est défini comme le droit de l’employeur de donner des
ordres au salarié et l’obligation de celui-ci de les exécuter48. Le lien de subordination est la
conséquence de l’exercice du pouvoir par la personne de l’employeur. Ce pouvoir fait partie
des attributs patronaux49 et réside dans la direction du personnel. Il est avant tout un pouvoir
de commandement qui suppose un rapport de hiérarchie entre celui qui donne l’ordre et celui
qui le reçoit.
Le groupe peut donc chercher à consacrer juridiquement, souvent contractuellement le devoir
de discipline du dirigeant à des fins de cohésion du tout. C’est ainsi qu’un meilleur contrôle
passe par un lien de subordination permettant de s’assurer que le dirigeant mène une politique
commune dans le sens souhaité. C’est ainsi que le recours à un contrat de travail est une forme
idéale de contrôle. Il est à souligner que la plupart du temps, l’employeur détient en même
temps, de façon directe ou indirecte le pouvoir de révoquer le dirigeant. Dès lors, la
48 DESPAX (M.), « L’évolution du rapport de subordination », Dr. Soc. 1982, p. 11.49 MIALON (M.-F), Les pouvoirs de l’employeur, L.G.D.J. 1996.
31
subordination attachée au contrat de travail se trouve étendue aux fonctions sociales. La
subordination des dirigeants de groupe, par la conclusion de contrats de travail, s’exprime en
outre au travers de contrats de travail particuliers qui ont pour objet l’exercice d’un mandat
social au sein des sociétés du groupe. En accolant l’exercice de fonctions salariales à
l’exercice de fonctions sociales, le groupe s’assure ainsi de la loyauté des dirigeants de
sociétés qu’il contrôle et de la conformité de leur activité avec la politique définie.
La jurisprudence déduit du silence des textes que rien n’interdit à un salarié de SARL d’en
devenir le gérant, ni même au gérant de conclure un contrat de travail avec la société qu’il
dirige. Dans ce dernier cas, il devra respecter les formalités relatives aux conventions
réglementées (C. com., art. L.223-19)
Le cumul d’un mandat social et d’un contrat de travail occupe une place de choix parmi les
particularités des dirigeants de groupe50. Il existe en effet des formes de cumul que l’on peut
considérer comme « classiques ». Il s’agit par exemple pour un dirigeant de conclure un
contrat de travail avec la société au sein de laquelle il a été nommé membre du directoire et
d’exercer au titre de ce contrat des fonctions de président d’une filiale. Il existe deux
intervenants : une personne physique en la personne du dirigeant et une personne morale : la
société au sein de laquelle les fonctions sociales sont exercées et avec laquelle le contrat de
travail est conclu. Il y’a ainsi deux parties au contrat. Cette situation est qualifiée de « cumul »
de contrats. Au sein des sociétés anonymes, le droit français interdit à un administrateur en
fonction d’obtenir un contrat de travail. Cette règle est d’ordre public. Un administrateur déjà
en fonction ne peut occuper un emploi salarié dans une même société. A l’inverse, un salarié
peut sous certaines conditions, cumuler les deux fonctions. Les critères de validité posées par
la jurisprudence concernant un tel cumul sont : l’existence d’une activité salariée effective et
réelle, d’une rémunération justifiée au titre de l’exercice d’une activité salariée ainsi que
d’une fonction de salarié distincte du mandat social51. Ce type de cumul attise toutes les
méfiances puisque le législateur et les juges sont intervenus afin d’empêcher la création de
situations fictives, de situations de complaisance.
Aux termes de l’article L. 225-22 du Code de commerce : « Un salarié de la société ne peut
être nommé administrateur que si son contrat de travail correspond à un emploi effectif, il ne
50 CA Paris, 4 Juin 1997, R.J.D.A 1997, n° 167. 51 Cass. soc., 19 Février 1986, Rev. Sociétés 1986, p. 600, note GUYLEROT (J.) ; Bull. Joly sociétés, 1986, §131-
II, note LECANNU (P.).
32
perd pas le bénéfice de ce contrat de travail. Toute nomination intervenue en violation des
dispositions du présent alinéa est nulle ». C’est ainsi qu’au regard de la forme sociale de
l’entité considérée, au regard de l’antériorité du contrat de travail, ainsi qu’au regard de
l’existence d’une subordination réelle du dirigeant, les juges vont pouvoir admettre le cumul
des contrats.
L’hypothèse du « cumul » est différente au sein des groupes de sociétés. Différente tout
d’abord car le cumul est souvent dissocié, le dirigeant exerçant un mandat social dans une
société du groupe et une activité salariée dans une autre appartenant au même groupe. Le
dirigeant contracte ainsi avec deux cocontractants : d’une part avec la société au sein de
laquelle les fonctions sociales sont exercées, d’autre part avec la société ayant conclu avec lui
le contrat de travail. La situation dite « classique » que nous avons envisagé en premier lieu
peut être considérée comme une situation de cumul dit « bilatéral », alors que celle que nous
venons d’envisager s’apparenterait à un cumul « multilatéral ». Alors que le cumul bilatéral
implique un cumul de fonctions, le cumul multilatéral peut conduire à une absorption des
fonctions sociales par les fonctions de salarié. C’est un type particulier de cumul qui mérite
que l’on s’y attarde. En effet, dans cette hypothèse, une dualité de statuts est à relever, pas
nécessairement une dualité de fonctions. Pour certains auteurs, le cumul multilatéral apparaît
comme une extrapolation du cumul bilatéral. Il en représente l’adaptation au service des
besoins des groupes, puisque le dirigeant cumule le statut de dirigeant à celui de salarié, la
simple différence réside dans le fait qu’il n’effectue pas ce cumul au sein de la même entité.
Un autre argument consiste à relever que si l’intéressé est titulaire du statut de dirigeant et de
celui de salarié au sein d’entités différentes, chacun de ces statuts est relié à une source
commune, le groupe de sociétés. Il y’aurait donc cumul, non pas à l’échelle d’une société mais
à celui du groupe tout entier. Le cumul multilatéral recouvre plusieurs situations : en premier
lieu, il peut s’agir d’une forme atypique de détachement : un salarié conserve une partie de
son activité et consacre le reste de son temps à l’exercice d’un mandat social dans une autre
société du groupe. L’intéressé remplit ainsi des fonctions salariées réelles dans une société du
groupe et des fonctions de direction générale dans une autre52. C’est une situation qui ne pose
aucun problème particulier si les deux contrats sont conformes aux règles de validité auxquels
ils sont soumis, le groupe de sociétés étant le seul lien entre les fonctions de dirigeant et celles
de salarié.
Il est à noter qu’aux termes de l’article L.225-21, alinéas 1 et 2 du Code de commerce : « Une
personne physique ne peut exercer simultanément plus de cinq mandats d’administrateur de
52 M Danti-Juan, « le détachement d’un travailleur auprès d’une autre entreprise », Dr. Soc.1985, p. 834.
33
sociétés anonymes ayant leur siège sur le territoire français. Par dérogation aux dispositions
du premier alinéa, ne sont pas pris en compte les mandats d’administrateurs ou les mandats de
membre du conseil de surveillance exercées par ces personnes dans les sociétés contrôlées au
sens de l’article L.233-16 par la société dont elle est administrateur ». Cette disposition est
une des nombreuses expressions de la prise en compte par le droit des sociétés de la réalité
des groupes.
Le cumul multilatéral peut aussi consister en la conclusion d’un contrat de travail ayant pour
objet l’exercice d’un mandat social dans une ou plusieurs sociétés du groupe.
La pratique qui consiste à conclure un contrat de travail ayant pour objet l’exercice d’un
mandat social a fait l’objet de nombreuses controverses doctrinales et s’avère intéressante en
matière de cumul multilatéral. Elle consiste à procurer deux statuts pour la même activité. La
conclusion d’un contrat de travail ayant pour objet l’exercice d’un mandat social opère une
fusion complète des fonctions de dirigeant et de salarié. Le salarié dirigeant doit remplir sa
mission de dirigeant en se conformant aux instructions de la société qui l’emploie, en
conformité avec les besoins du groupe. La société employeur étant fréquemment la société
mère du groupe. Le dirigeant peut ainsi être perçu comme le représentant du groupe au sein de
la société dirigée. Les juges du fond ont amorcé la prise en compte de ce type de cumul
multilatéral, la jurisprudence ayant validé l’exécution d’un mandat social dans une filiale sur
la base d’un contrat de travail passé avec la société mère. 53. Ils maintiennent cette évolution 54
à laquelle la Cour de Cassation s’est également montrée favorable55, il appartiendra à celui qui
prétend le contraire d’en faire la preuve. Une partie de la doctrine s’est également montrée
favorable à cette jurisprudence. L’argument essentiel a été celui de la prise en compte de la
réalité des groupes de sociétés.
Messieurs Viandier et Caussain estiment notamment que cette jurisprudence donne une
sécurité juridique à une pratique très répandue dans les groupes de sociétés. Elle prend ainsi
en compte une pratique fréquente des groupes de sociétés dans lesquels certains mandataires
sociaux ne sont en réalité que des cadres supérieurs affectés à la direction générale de telle ou
telle filiale.
C’est une position que nous partageons dans le sens où l’insécurité juridique à laquelle
peuvent être soumis les dirigeants de certains types de sociétés de par le fait par exemple du
jeu de la révocation ad nutum. Le contrat de travail leur offre garantie et protection, d’autant
53 CA Aix-en- provence, 4 Juin 1980, D. 1981, p.479, note MESTRE (J.) et. BUY (M.)54 CA Paris, 2 Mai 1990, Bull. Joly 1990, § 230, p. 775 ; Cass. Soc. , 2 Novembre 1991, RJS Juin1992, p.391,chron. DE SEVIN (N.); CA Versailles, 14 Février 1997, RTD com., 1998, p.174, obs. PETIT (B) et REINHARD. (Y.)55 Cass. soc., 5 Novembre 1984, R.J.S 1992, p. 391.
34
plus au sein du groupe qui tend parfois à devenir une organisation tentaculaire dans laquelle
certains dirigeants sont davantage pions qu’acteurs, à cela nous pouvons rappeler que le
groupe entier y trouve son compte car le contrat de travail implique un lien de subordination,
donc un dirigeant qui a pour but de se conformer aux ordres de sa hiérarchie dans la mise en
œuvre de la politique commune. Concernant cette impression de sécurité, nous pouvons
cependant limiter cette assertion dans le sens où si l’exercice du mandat social constitue
souvent l’objet exclusif du contrat de travail, la stabilité des fonctions de dirigeant peut être
altérée. La révocation peut s’accompagner d’un licenciement. Les juges admettent ainsi
souvent implicitement le licenciement d’un salarié engagé en vue d’exercer des fonctions
sociales, en raison de l’existence d’un différend avec l’employeur concernant la politique
sociale de l’entreprise56.
Un arrêt de la Cour de cassation en date du 11 Mars 200357 et un arrêt de la cour d’appel de
Versailles en date du 5 Février 200358 illustrent de façon complémentaire la fragilité des liens
juridiques se rapportant à la situation et au statut des dirigeants au sein des groupes de
sociétés. Ces arrêts procèdent d’une même logique. La Cour de cassation reprend dans l’arrêt
du 11 Mars 2003, le principe selon lequel le contrat de travail conclu avec la société mère se
trouve indépendant des mandats exercés au sein des sociétés filles en rappelant que le mandat
social n’est pas exclusif d’un lien de subordination. Le dirigeant ne perd pas le contrat de
travail en exerçant des mandats sociaux dans les filiales.
La Cour d’appel de Versailles complète ce principe au regard d’une de ses applications
pratiques : le dirigeant qui, ne supportant plus l’autorité de la direction du groupe, a
démissionné de ses fonctions ne peut bénéficier d’une proposition de réintégration dans les
fonctions de salarié qu’autant qu’il n’en n’a pas anéanti les conditions de mise en œuvre. En
l’espèce, la salarié d’une société avait été nommé directeur général d’une société de
distribution. Cette société de distribution était devenue par la suite filiale et le dirigeant avait
été maintenu dans son mandat social. A l’occasion de sa démission, celui-ci réclamait
l’application d’un engagement de réintégration consenti par la société mère en sa faveur.
En considérant qu’à la date de démission de ses mandats le dirigeant n’avait pas attendu les
propositions de réintégration de la société mère, qu’il y avait renoncé d’autant plus qu’il avait
débuté une relation de travail avec une autre société, la Cour d’appel de Versailles, au moyen
d’un raisonnement en deux étapes, ne fait pas droit à sa demande.
56 Cass. soc., 4 Mars 1997, RJS. 1997, n°484 p. 315 ; JCP E 1997, n° 17, pan. n° 442 ; Bull. Joly 1997, § 251, p.661, note Dom (J.-PH.) ; CA Paris, 4 Juin 1997, B.R.D.A 97-19, p.3, R.J.D.A 1997, n° 1065.57 Cass. soc., 11 Mars 2003, Bull. Joly Sociétés Juin 2003, p. 648.58 CA Versailles, 11e ch. Soc., 5 Février 2003, Bull. Joly Sociétés Juin 2003, p. 646.
35
Tout d’abord, celle-ci constate que derrière le mandat social, aucun lien de subordination
juridique n’existait, permettant de caractériser le contrat de travail. Ensuite, elle démontre que
le dirigeant avait implicitement renoncé au bénéfice de la convention de direction. Cet arrêt
illustre les propos d’un auteur selon lequel, dans les hypothèses proches de l’arrêt commenté,
« la révocation du mandataire social laisse subsister le contrat de travail conclu avec la société
mère. Le salarié engagé en qualité de dirigeant social peut donc, à la suite de sa révocation, se
voir proposer de nouvelles fonctions de salariés conduisant à une « rétrogradation ». Il faut,
dès lors, admettre que cette nouvelle affectation consécutive à la révocation puisse conduire à
la modification du contrat de travail, dès lors que ce dernier avait pour unique objet l’exercice
d’un mandat social59. A défaut d’avoir voulu admettre sa nouvelle affectation, le dirigeant a
été considéré comme ayant tacitement renoncé aux effets de la nouvelle convention de
direction.
Concernant les faits de l’arrêt du 11 Mars 2003, ceux-ci étaient les suivants : le directeur
adjoint d’une société mère au sein d’un groupe de sociétés avait été nommé administrateur et
président d’une filiale. Lors de la révocation de ses mandats sociaux, il lui était indiqué qu’il
n’était plus salarié de la société mère. Celui-ci a donc engagé une action contre la société mère
pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. La Cour d’appel de Paris accueille sa demande
en date du 20 Décembre 2000. La Cour de cassation confirme la position prise par les juges de
la Cour d’appel aux motifs suivants : l’exercice du mandat social n’est pas exclusif d’un lien
de subordination juridique. Dès lors que les juges du fond ont pu constater que la société mère
avait conservé à l’égard du dirigeant, dont elle avait fixé la rémunération, les prérogatives de
l’employeur et que l’intéressé se trouvait sous sa subordination juridique, ce dernier avait
conservé son statut de salarié.
Le rapprochement de ces deux arrêts permet de mettre en exergue le fait qu’une convention de
direction implicite à laquelle un dirigeant se conforte s’avère plus protectrice qu’une
convention de direction expresse et détaillée à laquelle un dirigeant renonce tacitement. Ces
conventions sont soumises non seulement au droit commun des contrats, notamment à
l’article 1134 du Code civil, celles-ci se doivent également d’être conformes aux dispositions
impératives du Code du travail.
C’est ainsi que la situation du dirigeant au sein du groupe de sociétés peut s’avérer délicate,
tant elle peut souvent être « précaire ». Cela d’autant plus que le dirigeant ne convenant plus à
ses mandataires peut être révoqué
59 Cass. soc., 14 Juin 2000, Bull.Joly, p. 949, note .AUZERO (G.).
36
§2 – La révocation du dirigeant de groupe
Le corollaire du pouvoir de nomination du dirigeant de groupe réside dans la possibilité de
sanctionner l’action du dirigeant au travers de la révocation. La possibilité de révoquer les
dirigeants des différentes sociétés d’un groupe constitue pour le centre de décision une
nécessité à bien des égards, d’abord car de la conformité de l’action des dirigeants dépend la
cohésion. Le maintien d’un dirigeant en fonction au détriment de l’intérêt du groupe est
intolérable dans le sens où cela peut nuire à la cohésion ainsi qu’à l’efficacité du tout. C’est
ainsi que la cessation forcée des fonctions du dirigeant doit être la moins entravée possible.
Ensuite, les groupes sont souvent amenés à se restructurer. En considération de cela, que la
restructuration s’opère par le biais d’accords contractuels, de prises de participation, de
fusions, d’apports partiels d’actifs ou de scission, il est très souvent nécessaires que les
organes de direction puissent être remplacés de façon aisée en fonction des nouveaux besoins.
C’est ainsi que les groupes de sociétés doivent au sein de leur « plurisocialité », être attentifs
aux formes sociales de leurs différentes composantes.
La révocation d’un dirigeant dans le cadre d’un groupe produit sur son statut personnel des
conséquences juridiques plus étendues que celles subies par le dirigeant de société isolée. En
effet, celle-ci présage souvent la révocation de tous ses mandats au sein du groupe. Il est
important dans certains cas que ce dernier s’assure la position de salarié s’il ne veut se trouver
démuni car il risque fort de voir prononcer à son encontre des révocations en cascade. Pour
ces différentes raisons, les dirigeants de groupe cherchent à adoucir les conséquences d’une
éventuelle révocation si ce n’est la révocation en elle-même. C’est ainsi que celui- ci va se
prémunir en recourant à des mécanismes contractuels.
En effet, c’est bien plus souvent la potentialité de la libre révocabilité du dirigeant que sa
véritable mise en œuvre qui intéresse le groupe. Ceci car la plupart du temps, le départ du
dirigeant est négocié. Le dirigeant consent à démissionner de ses fonctions. En compensation,
il perçoit une indemnité. De tels accords présentent plusieurs intérêts : non seulement ceux
d’être discrets mais aussi ceux d’être favorables aux dirigeants. Les groupes se particularisent
de plus en plus par la fréquente conclusion d’accords visant à aménager le pouvoir de
révocation lui-même. C’est ainsi que les groupes de sociétés sont souvent le théâtre de
tractations continuelles au sein desquelles le pouvoir de coercition est modéré, cela car le
départ des dirigeants est davantage négocié qu’imposé, davantage « contractualisé »
qu’ « institutionnalisé ».
37
Ayant déjà abordé la question relative aux accords tendant à aménager la révocation du
dirigeant, il sera ici davantage question de la contrepartie financière liée à leur départ.
En effet, certains des pactes relatifs à la révocation des dirigeants ont davantage une fonction
indemnitaire : ils sont appelés « pactes de sortie », « conventions d’indemnisations », « clauses
parachutes » ou encore « parachutes dorés ». Dans certaines de ces conventions, le versement
de l’indemnité peut intervenir, que le dirigeant ait ou non commis une faute. De tels pactes
sont eux aussi dénoncés comme étant une atteinte à la révocabilité ad nutum, au regard des
sommes astronomiques destinées à être versées au dirigeant sortant. En raison du caractère
d’ordre public des principes afférant à ce mode de révocation, le pacte qui porte atteinte au
libre jeu de la révocabilité ad nutum encourt la nullité absolue60.
Les pactes à vocation indemnitaire peuvent revêtir d’autres formes dont le caractère
indemnitaire est moins apparent. Le dirigeant peut par exemple bénéficier d’une convention
de retraite qui lui est allouée an cas de révocation, le groupe peut aussi consentir une promesse
de rachat de ses actions par le biais de la société dirigée. Cela n’a évidemment d’intérêt que si
le dirigeant détient des titres sociaux d’un quantum suffisamment important pour tirer
avantage de la convention. Il faut cependant être attentif au fait que ces derniers n’encourent
pas la prohibition des pactes léonins.
Quelle que soit la forme des différentes promesses, que ces dernières se matérialisent, qu’il
s’agisse de s’engager directement ou de garantir le fait d’un tiers, il faut garder à l’esprit le fait
que si l’appartenance à un même groupe offre des possibilités multiples et variées, la validité
de ces pactes tient au respect du principe d’autonomie des sociétés du groupe en tant que
personnes distinctes. Cela implique concernant les parties au contrat, d’être attentif non
seulement à la forme de l’engagement, mais aussi à la capacité du souscripteur, impératif
incontournable du droit des obligations. C’est ainsi qu’il faut s’attacher à la spécificité de
chaque type de société du groupe et respecter la réglementation à laquelle elle est soumise, en
tenant compte de la procédure à respecter afin que chaque convention soit valide (en se posant
la question de savoir qui a la capacité de contracter au sein de ces structures, quelle est la
procédure à suivre, quelles sont les précautions à prendre et les risques à éviter, les sanctions
probables.). La validité de chaque convention intra-groupe tient alors à la spécificité de
chaque forme sociale.
60 CA Paris, 28 Février 1985, Bull. Joly 1985, 319, p. 964 ; Rev. Sociétés 1986, Somm. p. 112, obs. GUYON(Y.), Rev. Sociétés. 1986, p.249, note RANDOUX (D.)
38
Nous l’avons vu, le groupe doit pouvoir exercer un pouvoir sur ses dirigeants. En contrepartie,
il est important de préciser que la volonté d’une unicité de politique ne peut se faire si elle
n’est accompagnée de moyens adaptés.
C’est la raison pour laquelle, outre le fait d’organiser le pouvoir du groupe sur les dirigeants,
les conventions intra-groupe organisent également les pouvoirs des dirigeants au sein des
groupes de sociétés.
Sous-section 2 – Les conventions aménageant lespouvoir du dirigeant au sein du groupe
Dans la mesure où les groupes sont des agrégats de sociétés, ils ne possèdent a priori aucun
organe propre. La Cour de cassation a déjà eu l’occasion d’employer le terme de « président
de groupe61 ». Actuellement, le groupe ne constitue pas une entité susceptible d’être doté par
la loi d’organes propres, exception faite du comité de groupe. Pourtant, de façon pragmatique,
tout groupe de sociétés est porté à se donner des organes d’exercice et de contrôle du pouvoir.
Certains auteurs ont dégagé deux possibilités pour le groupe d’atteindre cet objectif62 : La
première réside dans le fait d’emprunter à la société de tête, si elle existe, ses propres organes
de gouvernement et de contrôle. La seconde se manifeste à travers la création et le
fonctionnement d’organes spécifiques dont les noms sont fort divers.
Concernant la première possibilité, dans chaque filiale de la société mère, l’unique expression
du pouvoir pourrait résider dans le rôle joué par le représentant de la société mère, celui de
l’associé unique ou principal, il ne peut cependant exercer son rôle qu’à travers sa
participation aux assemblées générales d’actionnaires, il ne peut se substituer aux organes de
direction. Nous avons ici un pouvoir ainsi qu’une possibilité de contrôle très limités.
Concernant la seconde éventualité que nous avons cité, le groupe peut se munir d’organes
adaptés à sa spécificité afin d’assurer la mise en œuvre de la politique commune. C’est
notamment le cas des fameux « comités de direction », déjà utilisés au 19e siècle, à une
époque où les pouvoirs du conseil d’administration et de son directeur n’étaient pas encore
définis. Les comités de direction ne sont pas seulement utilisés dans le cadre de groupes de
61 Cass.com., 18 Octobre 1994, Bull. Joly 1994, § 336 note BARBIÈRI (J.-F.) ; 12 Janvier 1999, Bull. Joly1999, § 93, note PETIT (B.) ; 1er Juin 1999, Juridisque Lamy, arrêt n° 1132 ; CA Paris, 19 Novembre 1987, Bull.Joly 1988, § 12 ; CA Versailles 18 Novembre 1994, Bull. Joly 1995, § 73. CA Versailles, 31 Mars 1999 Bull.Joly 1999, §203, note DOM (J.-P.); CA Paris, 23 Septembre 1999, Bull. Joly 2000 § 44, note VELARDOCCHIO (D.) ;T.com. Paris, 23 Novembre 1992, Bull. Joly 1993, § 60 note CAMPANA (M.-J.).
62 LE CANNU (P.), « Les organes de groupe », P.A. 2002, p. 43.
39
sociétés. Un arrêt a cependant apporté un enseignement intéressant concernant ces comités, en
précisant le fait que le conseil d’administration ne puisse être dépouillé de ses pouvoirs et que
la création d’un conseil d’administration relève de la compétence exclusive du comité de
direction. Cette jurisprudence fait appel au principe de spécialisation des organes sociaux,
principe d’ordre public auquel nul ne peut déroger. Ce principe, doublé de celui de
l’autonomie des personnes morales composant le groupe de sociétés fait de l’aménagement et
de l’exercice du pouvoir au sein du groupe par le groupe, une chimère, une utopie hors
d’atteinte. Le groupe de sociétés se retrouve alors face à une difficulté de taille dont l’unique
palliatif réside dans le recours au contrat.
Nous envisagerons ainsi successivement l’hypothèse du transfert du pouvoir avec
dessaisissement de son titulaire (§1), puis du transfert sans dessaisissement (§2).
§1 – Le transfert avec dessaisissement
L’organisation générale est souvent laissée à la discrétion des associés qui contrôlent la ou les
structures de tête, formant l’entité qualifiée « d’état-major » dont nous avons déjà parlé.
Aménager l’exercice du pouvoir au sein du groupe de sociétés signifie œuvrer en vue
d’obtenir un pouvoir efficace au sein du groupe. C’est ainsi que le dirigeant d’une société au
sein du groupe, doit être doté de tous les moyens ainsi que de toutes les prérogatives
nécessaires. Au sein des groupes de sociétés, cette volonté s’exprime au travers
d’aménagements statutaires ou extra-statutaires.
Le premier type d’aménagement du pouvoir peut consister à modifier la répartition légale des
pouvoirs en aménageant la désignation des titulaires de telle ou telle attribution. Le second
consiste à conserver le titulaire de l’attribution légalement prévu mais à substituer une autre
personne pour l’exercice de cette attribution. Dans les deux cas, il y’a transfert du pouvoir. Le
premier cas est un transfert avec dessaisissement du pouvoir, le deuxième est un transfert sans
dessaisissement. Dans le cas du transfert avec dessaisissement, la source est extérieure au
titulaire du pouvoir, l’aménagement est réalisé à l’aide de statuts ou de pactes extra-
statutaires. Dans le. Cas du transfert sans dessaisissement, c’est par la volonté du titulaire du
pouvoir que celui-ci est transféré.
Les transferts de pouvoir avec dessaisissement du titulaire visent à réorganiser les attributs des
dirigeants au sein du groupe en fonction des besoins. Si on prend l’exemple de la société
anonyme, un tel aménagement peut consister à investir , dans une société anonyme, le
président ou le directeur général de certaines prérogatives, par exemple, de toutes les
questions relatives à la gestion du personnel ou à un secteur d’activité particulier du groupe.
40
La forme statutaire est souvent la plus appropriée pour de tels aménagements puisqu’une
forme purement conventionnelle n’aurait que des effets limités et ne donnerait lieu seulement
au paiement de dommages- intérêts en cas d’inexécution. Ce genre de procédé est en général
difficile à mettre en œuvre, au regard de la forme sociale des sociétés concernées. Ainsi, si un
tel aménagement est possible dans une certaine mesure pour le gérant d’une SARL, les règles
impératives auxquelles sont soumises les sociétés anonymes posent de nombreuses difficultés.
En effet, la limite légale interdit, dans bon nombre de sociétés, de conférer aux dirigeants des
prérogatives légalement dévolues à d’autres organes de la société. Le principe de hiérarchie
des organes posé part l’arrêt Motte du 4 Juin 1996 interdit de transférer à un organe de la
société, par voie statutaire ou plus largement conventionnelle, toute attribution normalement
dévolue à un autre organe de la société63. Ce principe implique ainsi une exigence de
répartition exclusive des compétences qui a pour corollaire l’incompétence de autres organes.
Les juges étant amenés à se prononcer sur la question ont considérée que de tels
aménagements de pouvoirs étaient entachés de nullité64.
Dans d’autres formes sociales cependant, le législateur, tout en posant certaines exigences
structurelles, a instauré une liberté plus grande permettant de définir les conditions
d’administration et de gestion des sociétés. Ainsi, la société par actons simplifiée offre les
avantages d’une structure sociale plus souple au sein de laquelle une plus grande latitude est
offerte aux associés pour organiser l’exercice du pouvoir, celle-ci peut ainsi accueillir
statutairement des aménagements jusque là refusés dans les sociétés anonymes : privilège de
compétence d’un dirigeant sur certaines questions, ou au contraire, restriction de ses pouvoirs
au profit d’un organe collégial ou d’une assemblée.65
Si mettre en œuvre un transfert de pouvoirs avec dessaisissement su titulaire présente de
réelles difficultés au sein de certaines structures sociales, il peut également être envisagé
d’organiser un transfert de pouvoirs sans dessaisissement.
§2 – Le transfert sans dessaisissement
Le transfert de pouvoirs sans dessaisissement du titulaire consiste à attribuer l’exercice de
certains pouvoirs à une personne sans dépouiller définitivement le titulaire de ses
prérogatives. Le recours à la technique de la délégation de pouvoirs au sein des groupes de
sociétés présente l’avantage d’accroître l’efficacité de l’action des dirigeants ainsi que de
rationaliser la gestion des sociétés du groupe. La délégation de pouvoir représente ainsi un63 Cass. Civ., 4 Juin 1946, Motte, JCP 1947, II. 3518, note BASTIAN (D.). Gaz. Pal. 1946, 2, p. 136 ;64 GORE (F.), « La filiale commune, moyen de collaboration entre la société et les groupes de sociétés », Colloquede Paris, 20-21-22 Février 1975, Libr. Tech., 1975, p.24. 65 DOM (J.-PH.), Les montages en droit des sociétés, Coll. Pratique des affaires, Joly, 1998.
41
instrument de déconcentration du pouvoir au niveau du groupe et de concentration des
pouvoirs pour le dirigeant délégataire. Les formes de délégation sont nombreuses. On peut en
effet ainsi imaginer des délégations transversales inter-sociétés au sein desquelles un dirigeant
de sociétés est chargé d’accomplir certains actes pour plusieurs sociétés liées. Dans l’arrêt
Ober de la Cour de cassation en date du 26 Mai 1994, un dirigeant ingénieur était chargé de
veiller au respect des conditions d’hygiène pour l’ensemble des sociétés du groupe.66 La
technique de délégation de pouvoirs présente l’avantage d’être souple : plutôt que de remettre
directement en cause le contenu des attributions du dirigeant, il peut être utile de lui retirer ou
de modifier seulement la ou les délégations spécifiques dont il dispose. Du point de vue de la
mise en œuvre de la politique définie dans le groupe, la spécialisation des fonctions du
dirigeant associée à une délégation de pouvoir consentie par différentes sociétés du groupe est
un atout indéniable. Le choix du délégataire dépend de la technicité des compétences du
dirigeant ou de l’appartenance de ce dirigeant au centre de décision du groupe (à l’état-major).
La délégation de pouvoir est un instrument d’efficacité de l’action des dirigeants de groupe.
Traditionnellement, le recours à la délégation de pouvoir n’était conçu qu’au sein d’une même
société. Les juges ont clairement reconnu la possibilité de consentir efficacement des
délégations inter-sociétés dans le cadre des groupes67. Ils ont par la même occasion, reconnu le
fait que la délégation de pouvoir emportait transfert de responsabilité.
Ceci nous amène à nous interroger sur les conditions d’admission de la délégation de pouvoir
au sein des groupes de sociétés. Le législateur ne semble pas être opposé à une mise en œuvre
large de tels mécanismes au sein des groupes. En effet, la loi du 24 Juillet 1966 contient de
nombreuses dispositions qui prévoient ces délégations. Certains auteurs analysent la
nomination d’un directeur général dans les sociétés anonymes de type moniste en une forme
facultative de délégation de pouvoir du conseil d’administration au profit d’une personne,
administrateur ou non.68 D’autres considèrent que les dirigeants de société disposent d’une
faculté générale de déléguer le pouvoir d’accomplir au nom de la société certains actes
déterminés69. La délégation de pouvoirs a un caractère contractuel et doit en ce sens se
conformer au droit commun des conventions. Il existe deux limites à la validité des
délégations de pouvoir. L’une est légale et réside dans la possibilité ou l’impossibilité faite par
la loi, au dirigeant de se dessaisir de certaines compétences, ces dispositions étant d’ordre
66 Cass. crim., 26 Mai 1994, Bull. crim., n° 208, Rev. Sociétés 1995, p.94, note BOULOC (B.); D. 1995, p. 110,note REINHARD ( Y.).67 Cass. crim., 26 Mai 1994, préc., Cass. crim., 7 Février 1995, n° 94-81.832.68 GAUTHIER (T.), Les dirigeants et les groupes de sociétés, Bibliothèque de droit de l’entreprise, Litec 2000,p.311.69 MERCADAL (B.), JANIN (PH.), Sociétés commerciales, Mémento pratique Francis Lefebvre 1999.
42
public. Les statuts peuvent également proscrire la délégation de pouvoir, dans ce cas, l’acte
accompli par le délégataire est valable à l’égard des tiers. En dehors des pouvoirs qui lui sont
dévolus au sein des sociétés du groupe, le dirigeant peut avoir accès au pouvoir économique
du groupe, notamment par le biais d’un aménagement du pouvoir organisé par l’état-major
des personnes contrôlant le groupe. Il est ainsi investi de la mission d’assurer au mieux la
direction en vue de l’intérêt du groupe. L’examen des possibilités lui étant offertes dans ce
sens nous montre bien à quel point le droit positif est rigide en la matière et limite les
possibilités du recours aux conventions. Le caractère impératif et institutionnel du droit des
sociétés l’emporte sur ce point. C’est ainsi que le principe de la séparation des pouvoirs et de
la hiérarchie des organes posé par l’arrêt Motte.70 les règles impératives du droit des sociétés
rendent l’aménagement contractuel du pouvoir au sein des sociétés du groupe difficile. La
contractualisation du droit des sociétés en la matière est fortement limitée par les normes
impératives et institutionnelles. Le recours aux techniques contractuelles s’est effectué en
droit des sociétés là où la loi n’interdisait pas. Ici, la règle proscrit expressément. Elle est
l’expression d’un état du droit auquel seul le législateur peut remédier. Et ce dernier ne pourra
le faire sans bouleverser certains principes ancrés dans notre société si ce n’est le droit des
sociétés tout entier, si la volonté de rendre le droit des sociétés plus attractif se porte sur le
réel désir d’élargir les possibilités d’aménager conventionnellement les pouvoirs des
dirigeants au sein des structures sociales. A l’heure où le débat autour du gouvernement
d’entreprise est à son apogée, on peut se poser la question de savoir qui pourrait tirer avantage
de telles dispositions ? Les dirigeants ? Les associés ? Les actionnaires ou la société elle-
même ? C’est sans doute de la réponse que dépendront les solutions. C’est aussi de la réponse
à cette question que dépendra le sort de l’aménagement conventionnel des pouvoirs au sein
des groupes de sociétés, à l’heure où beaucoup, craignant que les autorités compétentes ne
« rigidifient » en légiférant, ne sont pas favorables à la naissance d’un droit consacré des
groupes de sociétés.
Les conventions intra-groupe de sociétés ne permettent pas seulement de centraliser le pouvoir
au sein du groupe de sociétés, celles-ci permettent également de centraliser la gestion du
groupe.
70 Cass. Civ., 4 Juin 1946, préc.
43
Chapitre 2 – Les conventions intra-groupe entant que moyen de gestion centralisée dugroupe
Hormis la faculté d’influer sur le contrôle du groupe tout entier, les conventions intra-groupe
trouvent également leur intérêt dans le fait qu’elles sont un instrument formidable de
fonctionnement du tout. Elles permettent ainsi aux entreprises liées de s’organiser autour d’un
pôle commun et sont l’expression de ces liens privilégiés. Elles sont l’expression de la volonté
de faciliter la gestion en déconcentrant les organes de décision tout en centralisant les
objectifs. C’est ainsi qu’il nous importe d’étudier les conventions intra-groupe de sociétés à
travers deux aspects : leur place au sein de la vie économique du groupe (Section I) ainsi que
les conséquences de ces relations particulières à l’égard des tiers cocontractants (Section II)
Section I – Les conventions organisant les relationséconomiques au sein du groupe
Le groupe de sociétés est l’expression juridique d’une réalité économique. La concentration a
pour objet la mise en œuvre de liens particuliers et stratégiques. Cela se manifeste
juridiquement par la mise en place de conventions de trésorerie entre les sociétés du groupe
(Sous-section1), ainsi que par des conventions à caractère industriel et commercial (Sous-
section 2)
Sous-section 1 – La centralisation des liensfinanciers
La centralisation de liens financiers permet au groupe de se doter d’une politique de gestion
financière commune (§1), à travers des opérations qui n’en demeurent pas pour autant
risquées au regard du principe d’autonomie des sociétés liées (§2).
§1 – Les conventions de trésorerie
Du fait de l’appartenance à un même groupe, les sociétés entretiennent entre elles des liens
financiers étroits qui dérogent au principe de l’autonomie des sociétés membres du groupe et
44
son corollaire, celui de l’autonomie de leur patrimoine. C’est ainsi qu’au sein des groupes de
sociétés, il est fréquent que les entités s’accordent entre elles certaines facilités financières
(crédits, emprunts, compte courant d’associés, etc.), ces opérations peuvent s’avérer être
néanmoins difficiles à mettre en œuvre dans la pratique car ces dernières peuvent rentrer dans
le champ d’application de la procédure des conventions réglementées et ainsi être soumises à
autorisation. C’est ainsi que bien souvent parce que le fonctionnement du groupe ne peut
qu’en être facilité, la gestion de la totalité de la trésorerie du groupe passe par la mise en
œuvre de techniques visant à créer une meilleure organisation des activités financières. Ainsi
les moyens du groupe sont utilisés au mieux, dans l’intérêt commun.
Une telle gestion organisée permet d’ailleurs à certains groupes une possibilité de
diversification passant par cette gestion financière. La trésorerie du groupe est ainsi confiée à
une société du groupe, souvent une société holding, créée ou non pour l’occasion, ayant pour
rôle de gérer les finances du groupe de sociétés. C’est ainsi qu’il est fréquent que soient mises
en place des conventions de trésorerie, encore qualifiées de « conventions d’omnium », ou
« pools de trésorerie », prévoyant la centralisation des finances du groupe. .Par exemple, une
société holding, qui joue le rôle de « société pivot », est chargée de collecter puis de
redistribuer les fonds ou de placer les fonds disponibles en application des conventions. Ces
dernières sont mises en place entre la banque, la « structure pivot » et les autres sociétés du
groupe. La société pivot devient une véritable « centrale de trésorerie ». La convention
d’omnium consiste donc pour une société du groupe, de gérer les finances de l’entité toute
entière en se servant par exemple de soldes excédentaires de certaines sociétés pour combler
les soldes déficitaires des autres structures sociales, en procédant notamment des avances de
fonds.
La convention d’omnium est en général conclue par chacune des sociétés du groupe, soit avec
la holding, soit avec une filiale commune.
Certaines holdings négocient également avec leur banque des conventions (quelques fois
appelée « convention de fusion d’échelles d’intérêts ») prévoyant que les intérêts créditeurs ou
les agios débiteurs soient calculés sur un solde global pour toutes les sociétés du groupe après
imputation des soldes débiteurs sur les soldes créditeurs des comptes ouverts au nom de ces
sociétés, engageant par là sa seule responsabilité à l’égard de l’Administration fiscale. Cela
permet notamment aux groupes de réaliser des économies sur le paiement des agios débiteurs.
La mise en place d’opérations de trésorerie peut aussi être le fait de conventions de fusion de
comptes, celles-ci sont notamment difficiles à mettre en œuvre. Il a en effet pu être relevé que
45
ces dernières portaient atteinte au principe de l’autonomie du patrimoine71 et que le groupe de
sociétés, n’ayant pas la personnalité morale, il ne pouvait exister un « compte de groupe ».
Parallèlement à la centralisation de la trésorerie, d’autres opérations sont autorisées comme le
fait pour une banque de satisfaire une demande de crédit formulée par un groupe de société
procédant à la centralisation de trésorerie de celles-ci au niveau de la société mère par
exemple. Dans cette hypothèse, la société mère est juridiquement l’emprunteuse et débitrice à
cet égard des agios correspondant à l’égard de la banque. Pour autant, le concours consenti à
cette dernière peut être considéré en fonction du besoin de crédit de chaque société du groupe.
A ce titre, les lignes de crédit peuvent avoir pour support autant de comptes que la société
comprend de filiales, ces comptes ouverts juridiquement à la société mère emprunteuse étant
liés entre eux par une lettre de fusion par exemple.
Ceci étant dit, il existe des impératifs à respecter en matière de réglementation bancaire et de
droit des sociétés pour la mise en place de tels montages. Ces derniers ont en effet longtemps
suscité une difficulté au niveau du droit bancaire. Les opérations de trésorerie réalisées au sein
des groupes constituent des opérations de banque. Or, de telles opérations sont réservées à
certaines institutions : les banques et établissements de crédit soumis à un contrôle sévère des
autorités publiques. Dès lors, on a pu se demander si les opérations de trésorerie « intra-
groupe » ne constituaient pas une infraction à ces règles.
La loi du 24 janvier 1984, dite « loi bancaire », a levé toute incertitude. En effet, l’article 12-
3°, qui correspond désormais à l’article L. 511-17, 3°du Code monétaire et financier,
considère que les opérations de trésorerie échappent au monopole bancaire dès l’instant où
elles sont opérées entre des sociétés ayant entre elles directement ou indirectement des liens
du capital conférant à l’une un pouvoir de contrôle effectif sur l’autre. Dès lors qu’un contrôle
effectif existe, quelle que soit sa forme, (détention du capital ou maîtrise du conseil
d’administration), des pools de trésorerie peuvent être mis en place sans que cela ne blesse le
monopole bancaire. Il s’agit là d’une reconnaissance des pratiques observées dans des groupes
pour des raisons d’unité financière. Cette pratique permet de plus un endettement moindre vis-
à-vis des établissements de crédit et parfois de meilleurs placements d’excédent de trésorerie.
La société holding peut aussi être utilisée en tant que réceptacle des dividendes provenant de
sa ou de ses filiales. Cette société pourra favoriser les flux financiers entre différentes sociétés
au sein d’un groupe. Par exemple, le produit des dividendes distribués par une filiale
bénéficiaire pourra être utilisé pour « renflouer » une société déficitaire ou pour souscrire au
capital d’une autre filiale qui aura besoin de fonds propres pour se développer. La société
71 Groupe de Sociétés. Opérations de trésorerie. Dictionnaire Joly, Sociétés anonymes
46
pivot peut aussi bien se faire avancer des fonds par une filiale (ou sous-filiale) en excédent de
trésorerie qu’en prêter à une filiale en déficit ou dans le cadre d’une politique d’ensemble du
groupe, demander à une filiale en excédent d’en prêter à une filiale en déficit .Les autorités
bancaires considèrent que ces opérations intra groupe sont autorisées quel que soit le sens des
flux financiers
Les conventions de trésorerie conclues au sein des groupes de sociétés ont une validité
consacrée, à ce titre, elles peuvent être considérées comme des « conventions courantes »,
exposées à l’article L.225-39 du Code de commerce, échappant à la procédure des
conventions réglementées, si elle n’entraîne pas des déséquilibres trop important entre la
société et le groupe72. Les juges estiment également qu’au sein des groupes de sociétés, de
telles conventions ne sauraient présenter, par nature un caractère inhabituel dans un groupe de
sociétés. En effet, les sociétés d’un groupe sont présumées être déjà placées dans une relation
de dépendance économique réciproque, ceci de par la composition de leur capital. Ceci étant
dit, si la qualification de ces opérations en tant qu’opérations courantes simplifierait en de
nombreux points le fonctionnement des groupes de sociétés, une telle qualification relève
toujours de l’appréciation souveraine des juges du fond.
Les conventions de compte courant au sein des groupes de sociétés permettent à un associé
(par exemple la société mère) de mettre à la disposition de sa société des fonds laissés dans
l’entreprise, une créance dont l’origine peut être diverse (vente d’un bien non payé
immédiatement, créances au titre de prestations…), il s’agit en fait d’une somme d’argent ou
d’un prêt laissé à la disposition de la société par un associé et figurant au crédit des comptes
sociaux. Les associés laissant des sommes en compte courant dans une société sont en droit de
percevoir les intérêts en principe déductibles des bénéfices sociaux, quels que soient la forme
de la société ou son régime fiscal. Il y’a à cet effet des impératifs à respecter en droit fiscal73.
Les sociétés peuvent également se soutenir entre elles concernant des engagements
contractuels à caractère financier. C’est ainsi que ces dernières peuvent consentir à émettre
des lettres de confort, de patronage, d’intention ou de parrainage exprimant un engagement
unilatéral dont la formulation écrite peut faire varier l’étendue. La société qui émet la sûreté
va ainsi limiter son engagement à une obligation de moyens, ce qui ne constitue pas une réelle
garantie de paiement, soit l’engagement sera étendu à une obligation de résultat ayant pour
effet de rendre l’auteur responsable en cas de défaillance du débiteur principal. Dans ce
72 CA Versailles, 2 Avril 2002, Bull. Joly 2002, p. 923, note LE NABASQUE (H.); JCP E 2002, p. 1627, noteCOURET (A.); RD bancaire et bourse 2002, 321, obs. F.-X Lucas ; R.T.D Com., 2003, p.111, obs. CHAMPAUD etDANET73 BAFFOY (G), « aménagements financiers et droit des associés », JCP E, n°4, prat. p. 145.
47
dernier cas, la lettre sera assimilée à un cautionnement. Les sociétés du groupe peuvent
également directement se porter caution. Ces contrats, en plus d’être soumis à la procédure
des conventions réglementées, seront soumis, concernant leur validité, au droit des sûretés. Il
faudra également tenir compte du risque lié à une éventuelle qualification d’abus de biens
sociaux.
Les conventions à caractère financier conclues au sein des groupes de sociétés et n’étant pas
considérées comme des opérations courantes doivent être soumises à l’article L.225-38 du
Code de commerce. En effet, ces dernières demeurent toujours une importante source de
risques.
§2 — Les risques liés à la mise en place des conventions de
trésorerie
Il existe notamment des impératifs à respecter en droit des sociétés. En effet, pour que les
dirigeants de sociétés puissent procéder à des prêts et emprunts intra-groupe, il faut que ces
actes entrent dans l’objet des sociétés du groupe concernées. De même, ces prêts et emprunts
doivent être conformes à l’intérêt propre de la société et pas seulement à celui du groupe sous
peine d’entraîner l’annulation de l’acte et la mise en cause de la responsabilité des dirigeants
pour abus de majorité ainsi que leur responsabilité pénale pour abus de biens sociaux.
Il est important de rappeler par la même occasion l’interdiction faite aux administrateurs de
sociétés anonymes autres que les personnes morales de contracter sous quelque forme que ce
soit des emprunts auprès de la société, de se faire consentir par elle un découvert, en compte
courant ou autrement, ainsi que de faire cautionner ou avaliser par elle leur engagement avec
les tiers (C.com., art.L.225-43).
Souvent, le transfert systématique de l’excédent de trésorerie à la société pivot, en exécution
de la convention de trésorerie empêche la distribution de dividendes, lésant les actionnaires
minoritaires qui n’ont pas forcément consenti à ces transferts systématiques. Lorsque cette
mise en réserve n’est pas justifiée par l’intérêt social, les minoritaires sont injustement privés
du fruit qu’ils peuvent tirer de leur participation à la société Ces derniers peuvent alors
invoquer un abus de minorité
Deux critères ont été posés par la jurisprudence afin de déterminer l’abus74 : la nécessité d’une
décision prise contrairement à l’intérêt général de la société et dans l’unique dessein de
favoriser les membres de la majorité au détriment de ceux de la minorité.
74 Cass. Com., 18 Avril 1961, D. 1961, p. 661 ; Bull.civ III, n° 175, p. 154 ; JCP 1961; II.12164.
48
A la différence du droit pénal, les juges ne font pas référence en matière d’abus de majorité, à
un intérêt de groupe qui viendrait écarter l’abus. L’abus de majorité est sanctionné de diverses
façons. Il est tout d’abord admis en jurisprudence que la délibération abusive puisse être
annulée, cela bien que l’abus ne soit pas mentionné parmi les causes de nullité ni dans l’article
L.235-1 du Code de commerce, ni dans les articles 1108 et 1844-10 du Code civil. La nullité
apparaît ici comme un mode de réparation, puisque la Cour de cassation fonde sa théorie de
l’abus de majorité sur l’article 1382 du Code civil. En outre, des dommages –intérêts peuvent
être dus aux minoritaires lésés par la société ou, plus légitimement, par les majoritaires
auteurs de l’abus.
En matière fiscale, le transfert de trésorerie ne doit pas être assimilable à un abandon de
créance, qui ouvrirait à l’administration fiscale un droit à sanction sur le fondement de la
théorie de l’acte anormal de gestion.
En cas de défaillance de l’une des sociétés du groupe, les liens financiers entre sociétés,
peuvent faire naître la présomption d’une confusion de patrimoine permettant d’étendre, la
procédure à une société du groupe considérée comme étant in bonis75.
Les conventions à caractère financier, conclues entre les membres d’un même groupe de
sociétés sont, comme nous avons pu le souligner au préalable, porteuses de risques. Dans cette
optique, nous avons déjà pu aborder le problème des associés minoritaires qui, du fait du
contrôle de la holding, risquent de se heurter à des mesures contraires à l’intérêt de leur
société mais conforme à l’intérêt du groupe.
Les opérations de trésorerie intra-groupe peuvent également engager la responsabilité des
dirigeants sociaux si l’acte s’avère contraire à l’intérêt social, dans le but de favoriser une
autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés, directement ou indirectement Ces
dispositions concernent tant les sociétés anonymes (C.com., art. L.242-6, 3°et 4) que les
SARL (C.com., art. L.241-2, 4°et 5°). Les sociétés en commandite par actions sont également
concernées (C.com., art. L.243-1), ainsi que les sociétés par actions simplifiées (C.com., art.
L.244-1).
De la même manière, lorsqu’une société acquiert la majorité des titres d’une société, et si elle
a contracté une dette à cet effet, il lui faut rembourser cette dette. La société acquéreuse peut
vouloir utiliser les bénéfices de la société cible afin de rembourser son emprunt. Une difficulté
peut se poser si les fonds provenant des bénéfices de la filiale s’avèrent insuffisants. Les
dirigeants sont alors tentés de faire financer par la cible le paiement des dettes de la société
75 LE CANNU (P.), « La société et les groupes de sociétés pendant la période d’observation », P.A
2002, p. 48.
49
acquéreuse. Ils useront ainsi de divers moyens pouvant constituer des abus de biens sociaux si
la contrepartie est inexistante76. En effet, l’éventuelle qualification pénale d’abus de biens
sociaux est liée au fait que pour rembourser ses emprunts, la holding doit pratiquer dans la
société cible une politique de distribution massive des bénéfices. Or, cette politique sans léser
les associés minoritaires, peut se révéler contraire à l’intérêt de la société, en particulier si elle
amène les dirigeants à accroître les bénéfices distribuables. Par conséquent, il faut veiller à
éviter une politique de distribution trop massive de dividendes pour être à l’abri de toute
contestation. Il se peut aussi s’avérer que la société cible ne dispose pas d’une surface
financière assez importante pour supporter une telle opération, qui s’avère alors contraire à
son intérêt.
Lorsqu’ils mettent en œuvre leur politique commune, les groupes sont soumis à plusieurs
impératifs. Parmi ces derniers, au-delà des participations financières entre sociétés,
l’interaction économique entre les membres du groupe doit être facilitée. A cet égard, la
conclusion de nombreuses conventions de collaboration, de conseil ou d’assistance tend à la
recherche intensive de rationalisation des coûts et représente un grand intérêt pour les sociétés
du groupe qui peuvent bénéficier d’approvisionnements plus faciles et moins coûteux.
Sous-section 2 – Les conventions à caractèreindustriel et commercial
La mise en place de relations d’affaires entre des sociétés membres d’un groupe est l’un des
buts de la concentration et lune des caractéristiques du fonctionnement des groupes de
sociétés (§1), c’est la raison pour laquelle les conventions conclues entre les sociétés à ce titre
sont souvent considérées comme « courantes » pouvant être soumises à cet effet à certaines
dispositions (§2).
§1 – L’aménagement conventionnel de relations d’affaires au
sein du groupe
Les sociétés d’un groupe peuvent commercer entre elles et créant ainsi un véritable système
fait de liens d’interdépendance entre les diverses entités. C’est ainsi que les filiales de
commercialisation peuvent par exemple s’approvisionner auprès des unités de production. La
société mère peut facturer à ses filiales des frais aussi divers que des prestations de conseil,
des frais relatifs à des conventions d’assistance, des conventions de prestation de services ou
76 PAILLUSSEAU (J.), « Les opérations de L.B.O », JCP E Février 1996, II, 780.
50
des contrats de recherche et de développement. La société mère peut également conclure avec
ses filiales des contrats de location-gérance de fonds de commerce, de location d’immeubles,
des conventions sur le personnel détaché, des contrats conférant la jouissance de droits de
propriété industrielle, des conventions d’assistance.
C’est ainsi qu’au sein d’une entité commune, unique, les entreprises liées s’organisent afin de
créer un effet de synergie et de servir l’intérêt commun, le recours au contrat a l’avantage de
permettre au groupe de société de fonctionner selon son intérêt, ceci en jouissant d’une grande
liberté. Ces conventions intra-groupe sont pléthoriques, elles sont de diverses natures et
peuvent revêtir les formes de tous les contrats utilisés au sein des relations d’affaires. Elles
n’en demeurent pas moins particulières dans le sens où celles-ci sont souvent conclues à des
conditions différentes de celles pouvant être conclues avec des tiers puisque ces dernières
visent d’abord à favoriser l’intérêt du groupe.
Si le salarié d’une société appartenant à un groupe peut effectuer l’ensemble de sa carrière au
sein d’une seule structure, il est également fréquent que les sociétés du groupe mettent en
place des mécanismes permettant la mutation de salariés de sociétés mères à filiales ou de
filiales à filiales. La difficulté rencontrée dans ces cas résulte souvent de l’imprécision de la
terminologie employée dans la pratique. Des termes tels que « mise à disposition »,
« détachement », « transfert » mais également « mutation » sont souvent employés
indifféremment alors que ces derniers ne relèvent pas du même régime juridique.
Au sein des groupes de sociétés, le personnel des différentes sociétés ainsi que sa gestion
constituent également des éléments stratégiques dans le cadre de la mise en œuvre de la
politique commune et dans la course à la performance économique qui est souvent un des buts
des groupements d’entreprise. Organiser la mobilité des salariés au sein du groupe est une
expression de la solidarité des liens qui unissent les différentes sociétés. Ainsi, le personnel
est un atout économique qui doit s’inscrire également dans une politique de gestion commune.
Cependant, les situations contractuelles de telles opérations sont souvent extrêmement
complexes, rendant difficile la détermination de l’employeur réel et donc le débiteur des
obligations contractuelles.
La mise à disposition de salariés ou prêt de main-d’œuvre entre entreprises, formalisée ou non
par un écrit, est une pratique courante dans les groupes de sociétés. Elle se définit par
l’opération par laquelle une entreprise envoie travailler un ou plusieurs de ses salariés au sein
d’une autre entreprise afin d’y accomplir une mission. La mise à disposition peut être plus ou
moins longue, elle implique ou non la mise en place d’un lien de subordination entre le salarié
et La société d’accueil. La mise à disposition se distingue du transfert dans ce sens que la mise
51
à disposition est conçue pour être temporaire, la société d’origine restant l’employeur du
salarié. Ainsi, la mise à disposition peut recouvrir des situations diverses. Détachement d’un
cadre par la société mère au sein d’une filiale aux fins de contrôle ; société confrontée à un
problème technique particulier et temporaire pour la résolution duquel elle ne dispose pas du
personnel compétent alors qu’une autre société du groupe emploi un spécialiste de la
question ; société ayant à faire face à l’absence prolongée d’un de ses salariés ; société
confrontée à un surcroît d’activité alors qu’une autre société du groupe subit une diminution
de sa charge de travail. C’est ainsi que des sociétés d’un même groupe peuvent convenir de
conventions de mise à disposition de salariés. En l’absence de disposition spécifique, légale
ou réglementaire, le prêt de main-d’œuvre obéit aux règles de droit commun applicables à tout
prêt de main d’œuvre, à savoir, l’interdiction sous peine de sanctions pénales de toute
opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’œuvre dès lors qu’elle n’est
pas effectuée dans le cadre des dispositions relatives au travail temporaire (C. trav., art. L.125-
3-1). La mise à disposition de salarié ne doit pas non plus être assimilable à une opération de
« marchandage » (C.trav.art., L.125-1-1)77.
La loi ne définit pas la notion de « transfert » ou de « mutation ». Cependant, au sens le plus
courant du terme, il y’a transfert ou mutation lorsque deux sociétés conviennent du passage
définitif d’un salarié de l’une à l’autre. La mobilité du salarié prend ainsi un caractère
irréversible. La mise en œuvre du transfert nécessite le respect des règles applicables au droit
du travail.78
Le groupe peut également être un cadre ou un niveau pour la négociation de conventions ou
d’accords collectifs. A cet égard, la négociation collective de groupe, qui correspond à une
pratique ancienne et répandue dans les groupes de sociétés79, mais qui n’était pas, sauf cas
particuliers, reconnue dans les textes, vient d’être consacrée légalement depuis la loi du 4 Mai
2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social. Mais
le groupe est également le cadre d’application des différents accords collectifs dont relèvent
les sociétés qui le composent. L’appartenance au groupe n’implique pas automatiquement
l’application aux sociétés des conventions collectives en vigueur dans la société mère, qu’il
s’agisse de conventions de branches ou d’accords d’entreprises. Sauf adhésion ou application
volontaire, chaque société du groupe n’est liée que par la convention de branche dont relève
son activité et/ ou par la convention conclue par l’entreprise. Le régime juridique spécifique
77 Mémento pratique Francis Lefebvre, Groupe de sociétés 2005-2006, § 15110.78 Mémento pratique Francis Lefebvre, Groupe de sociétés, 2005-2006, § 1525079 La Cour de cassation, dans un arrêt du 30 Avril 2003, a posé le principe de la licéité de l’accord de groupe,Cass soc 30 Avril 2003, JCP E n° 44, II, 1557, note ADOM.
52
de ces conventions relève des dispositions du Code de travail (notamment l’article
L.132-19-1 nouveau, al.1) ainsi que des règles en vigueur en matière de représentation
collective.
Les liens industriels et commerciaux entretenus entre les sociétés membres d’un groupe,
comme par ailleurs ceux entretenus entre des sociétés non liées, sont généralement .
considérées comme étant l’expression normale et « courante » de relations d’affaires
§2 – Le caractère « courant » des conventions industrielles et
commerciales
Les juges ont recourus à certains textes du droit des sociétés afin de pouvoir appréhender ces
spécificités et de tenter de dégager des règles applicables, surtout concernant les règles de
validité de ces conventions. Pour certaines sociétés comme les sociétés anonymes, les sociétés
en commandite par actions et les SARL, le recours respectif aux articles L.225-39, L.225-10,
L.225-87 et L.223- 30 du Code de commerce a permis de faire de ces conventions des
opérations courantes, conclues à des conditions normales, échappant de ce fait à la procédure
des conventions réglementées. Dans la SARL, gérants et associés sont traités de la même
façon lorsqu’ils passent une convention avec la société. La loi utilise la distinction entre les
conventions interdites, réglementées et libres.
Sont libres, les conventions portant sur des opérations courantes et conclues à des conditions
normales. A la différence des règles en vigueur dans la société anonyme, aucune procédure
d’information n’est mise en place. Toutes les autres opérations sont réglementées, c’est à dire
soumises à l’approbation de l’assemblée générale (C.com., art. L.223-19). La procédure de
contrôle des conventions réglementées est plus simple que celle ayant cours dans les sociétés
anonymes puisqu’elle ne comporte pas d’autorisation préalable. Ce principe comporte une
exception lorsqu’il n’existe pas de commissaire aux comptes et que la convention est passée
par un gérant non associé, dans ce cas, la procédure doit avoir été préalablement autorisée par
les associés (C.com., art. L.223-19, al.2).
Le fait que ces différentes conventions soient conclues au sein d’un groupe de sociétés suffit-il
à en caractériser le caractère courant, à présumer les conditions normales de conclusion ? La
qualification des conventions conclues entre sociétés d’un même groupe dépend-elle de la
particularité des relations intra-groupe ? D’un intérêt de groupe justifiant une analyse
spécifique ou convient-il d’appliquer les critères généraux ? Difficile de répondre de façon
ferme à ces interrogations. On s’accorde volontiers à reconnaître l’existence d’une spécificité
de groupe ayant une incidence sur le traitement des conventions en son sein. En revanche,
53
l’analyse de ces dernières divise la jurisprudence, la doctrine et la pratique professionnelle. Il
est certain que si le critère d’appartenance à un groupe de sociétés peut s’avérer être un
élément déterminant, il n’en demeure pas pour autant insuffisant.
Une étude réalisée en 1990 par le Conseil National des Commissaires aux Comptes a
considéré que le caractère courant de certaines conventions pouvait être présumé dans les
groupes de sociétés, cela a notamment été le cas des conventions concernant le personnel
détaché, les transactions sur immobilisations, les frais communs, les achats, ventes et contrats
de sous-traitance80. Les juges du fond ont notamment pu relever que cette étude ne s’imposait
pas à eux et tenté de définir leurs propres critères de classification.81Les conventions
courantes peuvent être considérées comme des conventions effectuées de manière habituelle
par la société pour le fonctionnement de son activité, le caractère habituel de ces conventions
relèverait alors d’un fonctionnement répétitif. Un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 17
Octobre 2003 illustre bien la difficulté résidant dans la qualification de telles conventions.
Les opinions sont partagées sur le caractère « courant » des diverses conventions intra-groupe,
que ces conventions aient un caractère financier ou un caractère industriel et commercial. La
qualification d’opération « courante » dépend davantage moins du caractère habituel de la
convention que des modalités et du montant des rémunérations convenues. Tant que les
prestations sont facturées au prix de revient ou au plus, au prix du marché, la convention peut
être considérée comme « courante ». Des prestations largement facturées appellent la méfiance
et soumettent les dirigeants au risque d’engager leur responsabilité pour abus de biens
sociaux. En revanche, l’adoption d’une rémunération de type forfaitaire par exemple semble
suspecte car sa conformité à la réalité des prestations est difficile à vérifier. Les juges
cependant, ont tendance à qualifier plus facilement des conventions à caractère financier
d’opérations courantes82. Nous pouvons penser que cela est davantage lié à la loi bancaire de
1984 qui permet la centralisation des opérations de trésorerie au sein des groupes de sociétés.
La règle, expression d’une certaine morale des affaires, qui doit présider même dans les
relations d’une mère avec ses filles, veut que les transactions soient passées au juste prix. Elle
est sans exception si l’opération porte par exemple sur des immobilisations ou des titres de
participation. Déroger à ces impératifs fait courir des risques notamment au regard du droit
fiscal et de la théorie de l’acte anormal de gestion. Le fait pour une société mère d’acheter des
titres de participation à une de ses filiales à 100% des actions à un prix inférieur à celui des
80 Bull. CNCC n° 79, 1990, p. 28981 CA Paris, 17 Octobre 2003, JCP E, 11 Mars 2004, II. 387, note de BARBIERI82 CA Versailles, 2 Avril 2002 : Bull. Joly 2002, p. 923, note H. LE NABASQUE (H.); JCP E 2002, 1627, noteCOURET (A.); RD bancaire et bourse 2002, p. 321, obs LUCAS (F.-X.); RTD Com. 2003, p.111, obs. CHAMPAUD etDANET)
54
cours de la bourse expose les deux sociétés car la sanction est double : la filiale peut être
imposée sur le manque à gagner et la mère sur le montant de la gratification83. Comme dans
tout acte anormal de gestion, la sanction est double (rehaussement du résultat de la société et
imposition du bénéficiaire). C’est ainsi que ces conventions à caractère industriel et
commercial sont soumises à l’impératif d’être conclues au juste prix.
L’acte anormal de gestion est une théorie issue du droit fiscal. Dès lors qu’un acte est passé
contrairement à l’intérêt des associés, dans l’intérêt personnel des dirigeants ou dans l’intérêt
d’une personne extérieure à la société, les baisses de résultat engendrées sont déclarées
inopposables au fisc. Celui-ci rattache donc au bénéfice imposable les charges indues ou
excessives (les rémunérations exagérées allouées aux dirigeants par exemple) ou le manque à
gagner (vente d’un bien social à un prix anormalement bas par exemple).
Difficile alors d’appréhender de façon ferme les conditions de validité auxquelles sont
soumises ces conventions. Le fait que celles-ci consacrent des opérations de caractère
habituel, intrinsèques au fonctionnement même du groupe tout entier nous fait dire que
soumettre automatiquement ces conventions à une procédure d’approbation peut s’avérer trop
contraignante et influer sur les relations commerciales des membres du groupe. Pourquoi dans
ce cas, effectivement ne pas conclure à une présomption pour certaines opérations usuelles au
sein des groupes, en laissant planer l’épée de Damoclès que constitue la sanction de l’abus 84?
Car l’intérêt du groupe de sociétés réside dans la souplesse de son organisation. Y contrevenir
viderait cette technique d’organisation, en partie de sa substance.
L’autonomie de la personnalité morale des sociétés membres d’un groupe ne s’oppose pas au
fait que l’administration du groupe puisse être centralisé85. C’est ainsi que certains groupes
centralisent le fonctionnement administratif de leurs filiales. Le groupe se traduit ainsi dans
les faits par une imbrication administrative et organisationnelle entre les sociétés qui en font
partie, généralement source d’avantages pour celles-ci : l’organisation administrative et
informatique est souvent plus rationnellement mise en place au niveau du groupe, de même
que le financement et les techniques de couverture, la gestion du personnel ou la politique en
matière d’assurance. Certaines filiales peuvent par exemple être domiciliées au siège social de
la société mère. Le danger de ce genre de pratiques réside par exemple dans l’apparence
d’unité, pouvant entraîner la méprise et la confusion pour les tiers cocontractants.
83 CE, 6 juin 1984 : JCP E 1984, p.466, concl. VERNY (J.F.)84 Cass. com., 21 Janvier 1997, Contact Sécurité c/ Delattre- Levivier, JCP E 1997, II, 965, noteDAIGRE (J.-J.); Rev. Sociétés 1997, p.527, note SAINTOURENS (B.). 85 LECANNU (P.), Droit des sociétés, collection Domat droit privé, 2e édition, Montchrestien 2003.
55
Section II – Les conventions intra-groupe et les tiers
Nous nous attacherons aux conséquences à l’égard des tiers d’une apparence d’unicité entre
les sociétés membres du groupe (Sous-section 1) ou de celles résultant de l’immixtion d’une
société dans les affaires d’une autre (Sous-section 2)
Sous-section 1 – Les conséquences vis-à-vis destiers de liens étroits entre les sociétés du groupe :la théorie de l’apparence
Il arrive souvent que la société mère passe avec chacune de ses filiales des contrats par
lesquels elle s’engage à leur fournir diverses prestations de caractère administratif, moyennant
des redevances calculées généralement en fonction d’un pourcentage sur le chiffre d’affaires
de la filiale. Cette rémunération ne doit pas être disproportionnée par rapport au coût des
prestations fournies, elle ne doit pas non plus en fait aboutir à un transfert des bénéfices de la
filiale à la société mère.
C’est ainsi par exemple que de nombreuses sociétés mères vont domicilier leurs filiales au
sein de leur siège social, allant parfois jusqu'à utiliser le même numéro de téléphone ainsi que
le même papier à en-tête, le même logo ainsi que les mêmes interlocuteurs.
Ces pratiques comportent des risques dans le sens où de nombreuses décisions de justice
admettent la possibilité pour les créanciers d’une société du groupe de demander à une société
du même groupe le paiement de leur créance lorsqu’ils ont pu légitimement croire que les
deux sociétés n’en formaient qu’une seule ou étaient liées par une communauté d’intérêts. Il
s’agit ici la mise en œuvre de la théorie dite de « l’apparence ».
La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt en date du 19 Octobre 1994, vient tirer de l’apparence
d’unité existant entre plusieurs sociétés du même groupe, la caractéristique d’un défaut
d’autonomie afin d’engager leur responsabilité contractuelle in solidum.86..
En l’espèce, une société, la société anonyme Econocom Software s’était engagée à fournir,
moyennant une rémunération, un système de stockage d’articles sur disques optiques
numériques à son cocontractant, un groupement d’intérêt économique. Au motif que le
système n’était pas opérationnel et que son cocontractant n’avait pas rempli ses obligations, le
GIE demanda plus tard le remboursement de l’acompte versé en prévision de la fourniture des
prestations. Peu de temps après, le mandataire d’une des sociétés du groupe auquel la société
86 CA Paris, 19 Octobre 1994, Rev. Sociétés 1995, p. 85, note PARIENTE (M.)
56
prestataire appartenait, écrivit une lettre au GIE, lui spécifiant qu’il mettait fin au contrat
initialement conclu. Un autre mandataire, président-directeur général d’une autre société du
groupe, correspondit avec le GIE, concernant le désaccord, sous le papier en tête de la société
qu’il dirigeait. L’apparence d’unité en résultant pour le tiers cocontractant a eu pour sanction
la mise en œuvre de la responsabilité in solidum des diverses sociétés du groupe
En l’espèce, les différentes sociétés appartenant au même groupe avaient en commun le même
numéro de téléphone, le même siège social, le même papier à en-tête, le même logo, ainsi que
des mandataires communs.
Les juges du fond fondent leur conviction sous le contrôle de la Cour de cassation, le plus
souvent à l’aide d’un faisceau d’indices les conduisant à écarter le principe d’autonomie et à
conclure à une apparence d’unicité d’entreprise qui a abusé les tiers.
Les manifestations de l’apparence trompeuse sont dans les faits souvent très proches de celles
d’une immixtion dans la gestion des affaires d’une société lorsque les deux notions
(apparence et immixtion) ne sont pas relevées simultanément.
Sous-section 2 – Les conséquences vis-à-vis destiers de liens étroits entre les sociétés du groupe :la théorie de l’immixtion
A l’occasion de l’arrêt rendu par elle le 19 Octobre 1994, la Cour d’appel de Paris avait
également relevé l’immixtion dans les affaires des sociétés liées pour engager la
responsabilité solidaire de ces dernières.
Le risque d’une gestion unitaire et étroite des affaires des filiales ou des sociétés liées réside
dans la reconnaissance d’une apparence d’unicité, trompeuse pour les tiers, ou, plus
brutalement, d’une immixtion dans les affaires sociales de ces dernières, entraînant parfois le
jeu extensif de la mise en œuvre d’une responsabilité individuelle ou in solidum. Les juges
n’hésitent pas à faire supporter les conséquences de la levée du voile de la personnalité
juridique aux sociétés liées. Le tiers cocontractant est ainsi protégé.
L’immixtion sur laquelle la Cour de cassation s’appuie ici s’analyse comme un pouvoir de
gestion général accompli dans le cadre de l’objet de la société et dans son intérêt. C’est ainsi
que la centralisation de la gestion du groupe, notamment par le biais de conventions, est
porteuse de risques87.
87 CASS.com ; 4 Mars 1997, R.J.D.A. Mai 1997, n° 653
57
Compte tenu du pouvoir de gestion dont elle peut être investie, dans la mesure où la société
mère contracte avec un tiers pour le compte de l’ensemble de ses filiales, le cocontractant est
souvent fondé à assigner directement cette dernière pour le tout et non chacune des filiales au
prorata de leur participation au contrat litigieux88. Les juges sont cependant partagés sur
l’appréciation de l’acte d’immixtion entraînant parfois la responsabilité. En effet, pour
nombres d’auteurs, certains arrêts semblent mettre en exergue que la gestion fautive au sein
du groupe de sociétés est davantage un critère déterminant de l’immixtion89.
La gestion conventionnelle par une société mère par exemple crée une situation d’apparence
susceptible d’être trompeuse90. Les manifestation de cette « apparence trompeuse »,
sanctionnée de l’obligation, pour la mère, d’assumer les engagements d’une filiale,
s’apprécient souvent à l’aide d’un faisceau d’indices, dont font partie l’unicité plus ou moins
manifeste, de représentation et celle de direction. Les deux situations, celle de l’apparence et
celle de l’immixtion, bien que très proches dans les faits, se distinguent néanmoins. Elles
peuvent, malgré cela, comme nous l’avons relevé précédemment, être relevées simultanément.
Ceci étant, le seul usage par exemple d’un logo similaire ni l’existence pure et simple de liens
de groupe ne suffisent à caractériser l’apparence ni davantage l’immixtion. Le relevé d’un
signe isolé d’identité d’entreprise seul ne saurait convaincre. Le fait de prendre part à la
gestion d’une filiale est délicat et semble déjà faire naître une présomption d’immixtion dans
les affaires de cette dernière.
88 CA Versailles, 17 Septembre 1986, D. 1987, jur., p.41, note ESTOUP (P.).89 Cass. 3e civ., 25 Février 2004, JCP E 2004, pan.631 ; Rev. Socétés. 2004, p.418, note BARBIERI (J.-F.)90 Cass. Com., 5 Février 1991, R.J.D.A. ,Avril 1991, n° 303 ; Cass. Com., 6 Avril 199 3, R.J.D.A. Août 1993, n°705.
58
DEUXIÈME PARTIE - LES LIMITES DE LALIBERTÉ CONVENTIONNELLE AU SEIN DUGROUPE DE SOCIÉTÉS
Le principe de la liberté contractuelle permet le recours à des conventions très diverses. Le
droit des sociétés, bien que marqué pendant longtemps du sceau de nombreuses règles
impératives, a connu un regain de liberté à travers sa révolution contractuelle. Mais la liberté
ne serait pas ce principe universel si elle ne tirait de ses propres limites sa légitimité et sa
force.
Au sein des groupes de sociétés, les limites posées à l’aménagement conventionnel des
relations de groupe sont à la fois le principe de l’autonomie des sociétés membres du groupe
(Chapitre 1) et les normes impératives du droit des sociétés et du droit des contrats
(Chapitre 2)
59
Chapitre 1 - Les conventions intra-groupe et leprincipe d’autonomie des sociétés membres dugroupe
Les sociétés du groupe entretiennent entre elles des relations particulièrement étroites.
Cependant, rappelons que le groupe ne possède pas la personnalité morale, seules les entités
qui le composent en sont dotées. C’est la raison pour laquelle les conventions intra-groupe
doivent être conclues dans le respect du principe d’autonomie des sociétés membres du
groupe, cela signifie dans le respect de l’écran constitué par la personnalité morale de chaque
société membre (Section I). En revanche, le voile de la personnalité morale ne doit pas lui-
même être utilisé de façon abusive (Section II).
Section I – Le voile de la personnalité morale dessociétés du groupe
Même si la personnalité morale est considérée comme une fiction (Sous-section 1), celle-ci
fonde le principe d’autonomie des sociétés du groupe ainsi que les conséquences découlant de
ce principe (Sous-section 2)
Sous-section 1 – La personne morale en tant quefiction juridique
En droit, La théorie de la personnalité morale s’esquisse autour de l’idée de corpus mysticum :
un corps sans chair, une représentation intellectuelle mais dont les éléments s’articulent les
uns aux autres et constituent une entité déterminée.
La personnalité morale constitue un thème inépuisable de la littérature juridique, cela bien au-
delà du droit des sociétés91.
En droit français, cette théorie s’est édifiée à partir de simples « fragments » textuels parmi
lesquels on retrouve l’article 529 du Code civil qui confère aux parts sociales un caractère
mobilier, même si le patrimoine de la « compagnie » comprend des immeubles.
91 WICKER (G.), F. DEBOISSY( F.), Personnalité morale, Encyclopédie Dalloz, Sociétés
60
L’article 69 ancien du Code de procédure civile permettait l’assignation des « sociétés de
commerce » en leur « maison sociale ».
De ces éléments, a été déduit le fait que la compagnie ou société était un être propre, distinct
de ses membres. Les tiers, n’ayant pas besoin d’agir en justice contre chacun des associés,
assigner cette dernière devant les tribunaux étant suffisant. Réciproquement, la société a
acquis la possibilité d’agir et de se défendre en justice, par l’intermédiaire de ses
représentants. La personne morale en tant qu’entité juridique propre, distincte des personnes
qui la composent n’a été consacrée par aucun texte de loi, elle est l’œuvre de la jurisprudence
et de la doctrine.
En effet, aucun texte de droit interne et aucune convention internationale ne pose le principe
de la reconnaissance de la personnalité juridique des sociétés ou des groupements.
On peut définir la personnalité morale comme étant l’aptitude à être sujet de droit, conférée à
une entité juridique distincte des membres qui la composent. En ce sens, la personne morale
est titulaire de droits et de devoirs, elle peut se comporter et être considérée comme un acteur
de la vie juridique.
De cet état de fait est née un débat séculaire entre deux conceptions juridiques s’opposant sur
la nature même de la personnalité morale. Ce débat a eu pour conséquence deux conceptions
doctrinales de la notion de « personne morale », entre « réalistes » et « fictiviste », alors qu’un
autre courant en a nié la spécificité juridique. En effet, au début du 20e siècle, Vareilles-
Sommières avait développé la thèse selon laquelle la personnalité morale n’était rien d’autre
qu’un mode de propriété collective organisée, consistant à organiser la mise en commun de
patrimoines distincts. Les cas de propriété collective qui existent aujourd’hui en droit des
sociétés concernent précisément les sociétés dépourvues de la personnalité morale. Il s’agit
notamment des sociétés créées de faite et des sociétés en participation. Les biens affectés à ces
sociétés peuvent en effet faire l’objet d’une indivision entre les associés.
Un autre courant doctrinal a soutenu la thèse selon laquelle la personnalité morale résulte de la
réalité même des groupements de personnes. Certains auteurs sont allés jusqu’à considérer
que les groupements possèdent un droit naturel à la personnalité juridique92, mettant en avant
le fait que « tout groupement pourvu d’une possibilité d’expression collective pour la défense
d’intérêts licites, dignes, par suite d’être reconnus et protégés, possède par nature la
personnalité morale93». Cette thèse l’a emporté devant la Cour de cassation dans les années
cinquante94. Si elle n’a jamais été fermement contredite depuis par la haute juridiction, elle a
92 MICHOU, la théorie de la personnalité morale et son application en droit français, 1905. 93 Cass. civ., 28 Janvier D. 1954, p.217, note LEVASSEUR (G.) ; JCP 1954 II 7978, concl. LEMOINE94 Cass. com. 17 Janvier 1956, D. 1956. p.165, note HOUIN (R.); JCP 1956. II. 9601, note GRANGER
61
également pu être reprise, notamment par la chambre sociale de la Cour de cassation, dans une
autre matière que le droit des sociétés.95
Certains auteurs réputent la personnalité morale comme étant l’œuvre du législateur. Pour ce
courant positiviste, la personnalité morale est très généralement réglementée et attribuée par la
loi. La plupart des auteurs adhérent à cette conception pensent notamment que si la
personnalité est une création de la loi, elle n’est qu’une «fiction» : le législateur fait comme si
une telle entité juridique était assimilable à une personne physique.
Aujourd’hui, certains auteurs considèrent que la théorie de la réalité et celle de la fiction
coexistent dans le droit positif actuel. La théorie de la réalité permet d’utiliser la personnalité
morale pour les groupements oubliés par le législateur tandis que celle de la fiction concerne
les entités qu’il envisage explicitement et qui ne sont pas forcément des groupements de
personnes.
Il n’en demeure pas moins que la personnalité morale n’a aucune réalité matérielle. Son
existence procède d’un concept mis au point, non sans variations, par le droit objectif. La
notion, quant à elle reflète une réalité abstraite.
Pour Monsieur Paillusseau96, la personnalité morale peut être attachée par nature, à des
phénomènes de nature économique. Ainsi, l’exercice d’une activité finalisée et l’affectation de
biens à cette activité appellent la personnalité. Cette conception ne rend pas réellement
compte de la réalité du droit objectif pour qui l’entreprise, quelle que soit sa nature, n’est pas
dotée elle-même de la personnalité juridique. Ceci étant, en reprenant une des thèse
développées par ce dernier, on peut néanmoins dire en faveur de cette théorie qu’il est vrai
que la société n’est que la consécration juridique de l’entreprise97., notion qui peine elle aussi
à être définie de façon unitaire et consensuelle.
Le terme de « fiction » peut être défini comme étant une création, une invention et une
représentation de choses et de situations imaginaires. Il exprime également un procédé de
technique juridique permettant de considérer comme existante, une situation manifestement
contraire à la réalité et d’en déduire des conséquences juridiques98.
Ainsi, la personnalité morale ne serait que fiction, traduisant la volonté d’exprimer les liens
établis entre le «réel» et le « concept »99. M. Plaisant affirme notamment que la personnalité
95 Cass. soc. 23 Janvier 1990 ; Dr. soc 1990, 323, bote SAVATIER (J.); JCP 1990. II. 21529, note NEVOT ( M.); CA Paris, 10 Juin 1986, JCP E 1986, II. 14781, note TEYSSIE (E.) et VIANDIER (A.)96 PAILLUSSEAU (J.), « Le droit moderne de la personnalité morale », RTD Civ. 1993, p.705.97 PAILLUSSEAU (J.) « Les fondements modernes du droit des sociétés », op.cit.98 Le Petit Larousse illustré 99 DE VAREILLES-SOMMIÈRES, Les personnes morales , 1902 ; Saleilles (R.), De la personnalité juridique, Histoires
et théories , 1910.
62
morale est une fiction, mais il faut chercher si elle a bien servi à traduire juridiquement la
réalité d’un intérêt distinct100.
La jurisprudence française a également traduit cette position notamment à l’occasion d’un
jugement du tribunal correctionnel de Montbrison101. Les juges ont conclu à cette occasion
que: « les droits appartenant à la prétendue personne morale ne sont autres que les droits
appartenant collectivement à ses membres réunis en main commune en vue d’assurer plus
efficacement sa protection ».Certains auteurs sont d’ailleurs allés jusqu’à affirmer que la
personnalité morale était un abus de langage. D’autres ont voulu démontrer que son absence
n’était plus une tare mortelle et qu’elle n’était plus qu’une conception juridique faite
d’exceptions. Ainsi, la société en participation est une société sans personnalité morale
échappant à toute obligation de publicité. Elle n’est pas immatriculée au registre du commerce
et des sociétés (C. civ. Art. 1871 et suivants). Elle n’existe que dans les rapports entre
associés. Ces types de sociétés sont à usage purement interne, ce qui leur confère une
originalité. En apparence, les tiers concluent avec des personnes indépendantes sans
nécessairement connaître la réalité de la société en participation.
Les auteurs ont pu démontrer le caractère artificiel de la vie de la personnalité morale :
immatriculation, radiation…. aussi, dans cet esprit, il a été démontré que la personnalité
morale avait changé de fonction, que de collectrice d’épargne, elle était devenue un moyen de
protection des entrepreneurs. Aujourd’hui, elle s’avère davantage être une technique
d’organisation des activités. C’est ainsi que de philosophique, le débat sur la personnalité
morale est devenu économique. En matière de personne morale, l’être s’est suspendu à
l’activité. C’est ainsi que comme il a pu être soutenu à l’origine, les groupements ne peuvent
prétendre à un droit naturel à la personnalité juridique. Cela d’autant plus que si on défendait
la thèse de la personnalité morale en tant qu’attribut naturel, ces derniers seraient
« naturellement » susceptibles d’engager leur responsabilité pénale. Ainsi les nombreux
débats et controverses autour du principe de la responsabilité pénale des personnes morales
auraient été inutiles.
C’est ainsi qu’à notre sens, la personnalité morale est davantage une fiction qu’une « réalité ».
La personnalité morale n’est pas un dogme, elle est un instrument juridique idéal, notamment
pour les sociétés membres du groupe qui voient en elle un moyen de pallier certains risques.
De la personnalité morale, découle le principe de l’autonomie des sociétés membres du
groupe ainsi que ses conséquences.
100 Cass. civ, 14 Décembre 1944, S., 1946, I, p.105, not PLAISANT (R.)101 T. Com. Montbrison, 28 Mars 1934, S., 1934, p. 152, note ROUSSEAU (H)
63
Sous-section 2 – Les conséquences du principed’autonomie des sociétés du groupe
La société est une personne juridique autonome, distincte à la fois des personnes physiques et
morales qui la composent. Elle est dotée d’organes de fonctionnement qui lui sont propre. Elle
est également dotée d’un patrimoine propre qui lui permet de contracter des dettes en son nom
et d’y répondre. Elle est comme de nombreux sujets de droit, dotée de la capacité de
contracter. Le principe de l’autonomie juridique des personnes morales est un principe
fondamental du droit privé ainsi qui s’affirme en tant que principe général du droit des
sociétés.
Au sein du groupe de sociétés, le principe de l’autonomie juridique des sociétés du groupe,
dus à la personnalité morale a pour conséquence le fait qu’une société ne puisse être
condamnée à réparer le préjudice invoqué par une entreprise à raison de la rupture prétendue
abusive d’un contrat d’exclusivité qui l’aurait liée à une autre société du groupe dont elle avait
pris le contrôle, alors que cette dernière société constituait une personne morale distincte en
dépit de son appartenance au même groupe de sociétés102
Le principe de l’autonomie des sociétés du groupe implique une autonomie de décision,
d’organisation, de patrimoine, ainsi qu’un intérêt social propre.
L’intérêt social est un terme très utilisé en droit des sociétés. Concept imprécis aux frontières
malléables, adaptables et ajustables, la notion a divisé la doctrine à travers deux principales
acceptions. Une position doctrinale dite « doctrine de l’entreprise » a ainsi progressivement
développé l’idée de la prééminence de l’entreprise, et la théorie selon laquelle les majoritaires
et les dirigeants doivent agir conformément à l’intérêt supérieur de l’organisme économique
que représente l’entreprise. Il existerait ainsi au-delà du but que se sont fixés les associés, un
but propre à l’entreprise qui ne saurait être réduit à la prospérité du groupement au seul profit
des associés. Cette doctrine propose de faire de l’intérêt de certains acteurs du fonctionnement
de l’entreprise, notamment les salariés et les créanciers, l’un des éléments composant l’intérêt
supérieur de celle-ci. Cette théorie a notamment été défendue par l’école de Rennes, sous la
plume des Professeurs Champaud et Paillusseau103.
La seconde acception consiste à faire de l’intérêt social celui des associés ou des actionnaires
en se basant notamment sur les articles 1832 et 1833 du Code civil.
102 Cass.com., 24 Mai 1982, Bull. Civ. IV, n° 195.103 CHAMPAUD (CL.), le pouvoir de concentration de la société anonyme, Sirey 1962.
64
D’autres auteurs soutiennent qu’il s’agit d’une notion protéiforme à contenu variable, qui peut
revêtir au moins les deux significations différentes, la première étant l’intérêt des seuls
associés, la seconde revêtant une dimension plus large qui est celle non seulement des
créanciers sociaux mais aussi des salariés104. La controverse au sujet de notion d’intérêt social
s’est trouvée vivement relancée par le développement en France des idées anglo-saxonnes
relatives au gouvernement des entreprises. La primauté clairement donné par ce mouvement
aux intérêts des actionnaires, lesquels doivent être considérés comme les «propriétaires » de
l’entreprise, l’intérêt social étant défini dans cette optique comme étant la recherche et la
réalisation de profits, par la société, en vue de les partager ou d’augmenter sa valeur.
C’est au nom de cet intérêt social que les conventions intra-groupe ne peuvent porter atteinte
ou contrevenir à l’intérêt propre des sociétés membres du groupement sous peine d’engager la
responsabilité pénale des dirigeants sociaux pour abus de biens sociaux ou l’annulation de la
convention pour abus de majorité.
Les conventions intra-groupe peuvent ainsi tomber sous le joug de la sanction pénale,
entraînant alors la mise en œuvre de la responsabilité des dirigeants. Aux termes de l’article L.
242-6, 3°du Code de commerce : « Est puni d’un emprisonnement de cinq ans et d’une
amende de 375000 Euros, le fait pour le président, les administrateurs ou les directeurs
généraux d’une société anonyme, de faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la
société, un usage qu’ils savaient contraires à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou
pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils étaient intéressés directement
ou indirectement. Ainsi, la jurisprudence a amis de façon large la notion d’ « usage contraire à
l’intérêt social ». Elle considère en effet aujourd’hui qu’il suffise que l’acte du dirigeant ait
fait subir un risque à la société pour que l’intérêt de celle-ci soit atteint105.
Les conventions intra-groupe peuvent être des actes juridiques propices aux abus, c’est ainsi
que les conventions de trésorerie et d’assistance font courir un risque aux dirigeants des
groupes de sociétés, personnes physiques ou personnes morales. Ainsi, une cour d’appel a
conclu à culpabilité pour abus de biens sociaux d’un dirigeant ayant organisé une fusion-
absorption dans un intérêt contraire à l’intérêt de la société, notamment en se servant de la
conclusion d’une convention d’assistance, d’une convention de trésorerie et d’une technique
financière (qui est celle du L.B.O), afin d’acquérir la société106. En effet, pour des raisons
financières, juridiques et fiscales, l’achat de la majorité ou de la totalité des actions d’une
104 RIPERT et ROBLOT, Traité de droit commercial, Tome 1, 17e éd. LGDJ, 1998, n° 1587, p. 1167 ; J. Mestreet alii, Lamy sociétés commercales 2001, n°1335. 105 Cass. crim., 27 Octobre 1997, D. A, 1997, 1307, note DELGA (J.) ; Bull.Joly 1998, p. 11, §2, note J-FBARBIÈRI ( J.-F.); JCP 1998. II. 10017.106 PAILLUSSEAU (J.), « Les opérations de L.B.O) », JCP E, Février 1996, II, 780.
65
société (dite société-cible), est souvent réalisée par une société holding. Cette société est
constituée et contrôlée par le repreneur. Cette holding emprunte à des organismes financiers
une partie des fonds nécessaires à l’achat des actions de la cible. Financièrement, l’opération
est intéressante dans le sens où le remboursement des organismes financiers peut être réalisé
avec des fonds provenant de la cible. Le danger de ces opérations résulte dans le fait de mettre
à la charge de la cible le financement de l’achat de ses propres actions par des moyens
pouvant constituer des infractions pénales. Si l’on se contente uniquement de payer les
créanciers de la holding au moyen de dividendes issus de la société cible, le procédé est sûr
juridiquement. Cependant, recourir à une convention d’assistance portant sur différentes
prestations de services devant être assurée par elle contre rémunération, sachant le manque de
surface financière de la société cible est un élément constitutif d’abus des biens et du crédit de
la société. Il est apparu de plus que la société absorbante n’avait assuré aucune prestation
prévue dans la convention d’assistance. Une convention de trésorerie avait également été
signée. D’après le jugement du tribunal correctionnel, l’expert désigné avait considéré que les
sociétés holding et la société cible constituaient un groupe de sociétés, cela aurait pu écarter
l’incrimination d’abus des biens et du crédit de la société. Il a seulement été relevé que les
sacrifices n’avaient pas été consentis « dans l’intérêt du groupe ». La convention de trésorerie
avait été soumise à l’approbation du conseil d’administration. Ainsi, les conventions intra-
groupe levant abusivement le voile de la personnalité juridique encourent a posteriori des
sanctions, notamment pénales. L’abus de biens sociaux est un délit visant les sociétés au sein
desquelles la responsabilité est limitée au montant des apports.
L’acte anormal de gestion est un acte qui a pour effet de provoquer l’appauvrissement d’une
société au détriment de l’intérêt social. Il suppose que soit poursuivi un intérêt étranger à
l’entreprise. L’administration fiscale doit ainsi s’assurer de l’intérêt dans le quel l’acte a été
accompli. Si l’acte a été accompli dans l’intérêt d’un tiers, il y’aura acte anormal de gestion
sauf contrepartie pour La société. Selon une jurisprudence constante du Conseil d’Etat, en
matière d’acte anormal de gestion, l’administration est fondée à réintégrer dans les résultats
imposables les dépenses qui n’auraient pas été engagées dans l’intérêt de l’exploitation. D’une
façon générale, le concept d’intérêt de l’exploitation repose sur la contrepartie retirée par la
société ayant réalisé la transaction. L’intérêt social semble être le point de référence qui
permet éventuellement de caractériser la normalité de l’acte examiné par l’administration. La
prise en compte du seul intérêt de groupe ne saurait suffire à écarter la caractérisation de l’acte
anormal de gestion en l’état actuel du droit fiscal. Celui-ci considère en effet que les
solidarités économiques existant entre les sociétés trouvent leurs limites dans l’autonomie
66
juridique de chacune d’elles. Cela étant dit, rien ne s’oppose à ce que la contrepartie à l’acte
qualifié d’anormal puisse être tirée de l’intérêt de groupe107.
Le dépassement de l’intérêt social par celui de groupe a depuis longtemps frappé les esprits et
suscité des études108. La doctrine admet l’idée selon laquelle les actes accomplis au sein d’un
groupe de sociétés doivent être accomplis non seulement au regard de l’intérêt de la société
qui les accomplit, mais également en prenant en compte la stratégie économique du groupe.
L’effet de synergie que recherche les groupes de leur société en leur sein, implique l’intérêt de
chacun à travers l’intérêt du tout.
Le droit pénal a notamment reconnu cette réalité, notamment depuis 1985 avec l’arrêt
Rozemblum109, concernant la responsabilité pénale des dirigeants eu sein des groupes de
sociétés. Pour que le dirigeant s’exonère de toute responsabilité pénale, il lui faut en premier
lieu établir un intérêt économique et social commun, appréciée au regard d’une politique
élaborée pour l’ensemble du groupe. En deuxième lieu, le concours financier apporté par la
société ne doit pas être démuni de contrepartie ou rompre l’équilibre entre les engagements
respectifs des diverses sociétés contrôlées. Enfin, le concours financier consenti par la société
au nom de l’intérêt de groupe ne doit pas excéder les possibilités financières de celle-ci. Le
droit pénal se fonde ainsi sur des considérations de nature économique : il est nécessaire
d’établir l’existence d’une structure de groupe permettant l’expression d’une stratégie et d’un
intérêt commun aux sociétés du groupe. La notion est relativement récente. Et pour autant que
l’on rencontre des difficultés à définir l’intérêt social, l’intérêt de groupe est une notion
difficile à systématiser. Il est cependant un fait certain. L’intérêt de groupe est une notion
davantage économique que juridique, elle est l’expression des buts en vue desquels les
groupes tendent. L’intérêt du groupe est donc une projection vers le futur. Afin de l’évaluer, il
convient de s’interroger sur la rentabilité pour l’ensemble du groupe d’un acte contraire à
l’intérêt propre d’une des sociétés membres de ce groupe. Cependant, parce que les sociétés
composant le groupe sont autonomes, il semble difficile de considérer que l’intérêt social et
l’intérêt de groupe se situent aux antipodes, cela bien que le débat semble parfois porter sur la
prééminence d’un intérêt sur l’autre. Ainsi, le sacrifice consenti par une des sociétés membre
du groupe et reconnue n’en est pas souvent réellement un puisque celui-ci doit rentrer dans les
possibilités de l’entité « sacrifiée ». Il semble que l’on puisse prendre en compte l’intérêt de107 CAA Paris, 1er Février 1994, Bull. Joly 1994, p. 699, § 198 ; JCP E, II, n° 636.108 HANNOUN (CH), Le droit et les groupes de sociétés, Thèse L.G.D.J. 1988.109 Cass.crim., 4 Février 1985, préc.
67
groupe si ce dernier ne heurte pas sensiblement l’intérêt social, en revanche, rien ne semble
s’opposer à ce qu’une société accomplisse un intérêt contraire à celui du groupe dont elle fait
partie, les conventions intra-groupe de sociétés ont notamment pour rôle et finalité
d’empêcher ce genre d’hypothèse.
Le spectre de l’autonomie de la personne morale hante sur ce point le droit des sociétés. Il
semble logique alors de penser que l’acte contraire à l’intérêt social entraînant la faillite d’une
entité peut constituer une faute de gestion entraînant la mise en œuvre de la responsabilité
civile des dirigeants sociaux en cas d’ouverture d’une procédure de redressement et de
liquidation judiciaire. Ainsi, l’acte qualifié de contraire à l’intérêt de la société au moment où
celle-ci y consent, pourra emporter sur la durée des conséquences heureuses pour cette
dernière, par l’intermédiaire du salut du groupe tout entier. Le débat entre intérêt social et
intérêt de groupe est pour l’instant tranché.
Il est à noter que la notion d’intérêt de groupe a été utilisée par le législateur à l’occasion de la
loi sur les nouvelles régulations économiques du 15 Mai 2001. L’article L.225-231 dispose en
effet qu’une association répondant aux conditions fixées à l’articleL.225-120 du Code de
commerce, ainsi un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5% du capital social
pourront, soit individuellement, soit en se groupant sous quelque forme que ce soit, poser par
écrit au président du conseil d’administration ou au directoire des questions sur une ou
plusieurs opérations de gestion de la société, ainsi que, le cas échéant, des sociétés qu’elle
contrôle au sens de l’article L.233-3. Dans ce dernier cas, la demande doit être appréciée au
regard de l’intérêt du groupe. L’intérêt de groupe accède par ce biais à un statut légal, l’entrée
de ce concept dans le droit positif fait naître bien plus d’interrogations qu’il n’apporte des
éclaircissements sur la notion.
Le groupe de sociétés est quant à lui une technique d’organisation consistant à se servir du
voile de la personnalité morale de chaque entité le composant à des fins diverses. Le recours à
la personne morale distincte permet notamment de se diversifier, elle permet de limiter les
risques des entrepreneurs, elle peut aussi consister à tendre vers une organisation plus
stratégique permettant à un groupe d’organiser son auto-suffisance et de faire face au marché.
Chaque société est ainsi censée fonctionner de manière autonome, ce qui, à première vue, fait
obstacle à la prise en compte de l’intérêt du groupe ou au pouvoir de certaines sociétés du
groupe de donner des injonctions aux autres. Cependant, le principe selon lequel le droit des
sociétés se fonde sur la personnalité juridique de chaque société ne doit pas être remise en
cause. Ce principe est simple et assure une grande prévisibilité, notamment pour les sociétés
qui s’organisent dans le cadre d’un groupe.
68
Les accords conclus au sein des groupes de sociétés doivent ainsi être conclus dans le respect
de cette autonomie. Les conventions intra-groupe doivent être l’expression de la prise en
compte de la spécificité de chaque structure sociale contractante ainsi que des normes en
vigueur au sein de ces structures sociales. C’est par exemple le cas pour le principe de
révocabilité ad nutum des dirigeants sociaux, principe fondamental au sein de certains types
de sociétés. Les conventions trouvent leurs limites dans l’existence de ces règles et à travers
leur violation. Cela bien que le droit des sociétés soit lui-même parsemé d’exceptions au
principe d’autonomie des personnes morales.
En effet, l’autonomie juridique de la personne morale sociétaire par rapport à ses dirigeants, à
ses associés et à d’autres sociétés du même groupe connaît différentes limites qui sont au
demeurant bien connues, notamment en cas de procédure collective, concernant la
consolidation comptable des comptes. En effet, en principe, d’après l’article L. 233-16, I du
Code de commerce, les sociétés commerciales établissent et publient chaque année à la
diligence du conseil d’administration, du directoire, du ou des gérants selon le cas, des
comptes consolidés ainsi qu’un rapport de gestion sur la direction du groupe.
De même, certaines conventions conclues au sein des groupes de sociétés, notamment les
pools de trésorerie, tirant leur légitimité de la loi, contreviennent directement à ce principe
ainsi qu’à son corollaire, celui de l’autonomie de leur patrimoine.
De ces différents faits, on peut se demander si ce principe constitue une obligation impérative,
véritable limite à la liberté contractuelle en matière de conventions intra-groupes, ou si, bien
au contraire, cette limite ne constitue qu’un principe, certes, cependant, fortement ajustable au
gré des besoins des groupe de sociétés. Il faudra alors dans un même élan se questionner sur
l’avenir de la notion d’intérêt de groupe.
Si le principe d’autonomie des sociétés membres du groupe est une réalité fortement ancrée
dans notre droit des sociétés, le droit vient également sanctionner des actes ayant pour objet de
dévoyer la personnalité morale de ses buts premiers.
Section II – La sanction de l’utilisation abusive de lapersonnalité morale
En considération du précepte latin « uti, non abuti110 », il est certain que les cocontractants ne
peuvent justifier de leurs relations privilégiées pour commettre des abus. Au sein des groupes
de sociétés, nous l’avons vu, les différentes personnes morales s’accordent afin de servir au
110 User, ne pas abuser
69
mieux leurs intérêts. C’est ainsi par exemple que ces derniers, au-delà de diverses autres
conventions, vont décider en commun de la création de personnes morales en vue de buts
déterminés. La pratique est fort courante. Le recours à une personne morale, est considéré
comme étant un « 111montage » neutre. C’est ainsi que des sociétés appartenant à un groupe
peuvent convenir de créer une holding à des fins diverses. Cette société pourra prendre le
nom de holding de rachat ou encore holding de contrôle, cela en vue des buts auxquels on la
destine. Cependant, certaines conventions ne peuvent être prétexte à l’abus.
Ainsi l’interposition frauduleuse de personne constitue une « utilisation abusive » de la
personnalité morale (Sous-section 1), la levée abusive du voile de la personnalité morale peut
également être sanctionnée (Sous-section 2).
Sous-section 1 – L’interposition abusive depersonne morale
L’abus de la personnalité morale peut être caractérisé par l’existence d’une fraude
(§1), elle découle également d’une absence réelle d’autonomie caractérisant la fictivité (§2)
§1 – Le cas de la fraude
Le principe de la limitation de responsabilité par l’interposition d’une personne morale n’est
pas en lui-même sanctionné. Pour le remettre en cause, il est nécessaire de faire la
démonstration d’une fraude. En droit commun, la fraude est un cause de nullité..
La fraude correspond aux agissements par lesquels une personne cherche vis-à-vis des tiers à
se soustraire à une obligation préexistante. L’adage latin fraus omnia corrumpit112) exprime
que tout acte juridique entaché de fraude peut être l’objet d’une action en nullité113. Le
mécanisme sociétaire facilite parfois la fraude. Les conventions intra-groupe n’échappent pas
à cette affirmation. La caractérisation de la fraude implique une analyse subjective du
montage.
Afin de résoudre certains conflits que soulève la fraude, la doctrine a opposé deux points de
vue. D’un côté, certains auteurs ont proposé une conception objective de la fraude. D’après
celle-ci, le simple constat d’un évitement de la loi caractériserait la fraude. Cette conception
sous-entend que l’acte, dès lors qu’il contrevient à une mesure impérative, doit être considéré
comme frauduleux. D’un autre côté, une doctrine majoritaire a défendu une conception
111 DOM (J.-PH), préc.112 La fraude corrompt tout113 pour nuancer cette affirmation, voir l’ouvrage de Monsieur Dom, les montages en droit des sociétés,notamment à propos de l’arrêt Marleasing de la CJCE du 13 Novembre 1990
70
subjective mettant en avant le fait que pour que la fraude soit caractérisée, la violation de la
règle impérative doit être intentionnelle. C’est cette dernière conception qui a été retenue et
appliquée par la jurisprudence.
En matière de fraude, un arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 26 Janvier 1994 mérite
l’attention114. En effet, la Cour sanctionne dans cet arrêt le dirigeant d’une société anonyme
française, filiale d’une société néerlandaise qui s’était fait consentir un contrat de travail
directement par la société mère en vue d’éviter le principe du non-cumul des fonctions qui
était édicté par l’article 93 de la loi du 24 Juillet 1966 (il est important de souligner que par
l’effet de l’article 12 de la loi dite « Madelin » du 11 Février 1994, ce montage serait
aujourd’hui inutile115). Le dirigeant avait aussi dans l’intention de se faire consentir un
« parachute doré » sur le terrain de l’article L.122-14-8 du Code de travail116. D’après la Cour
d’appel de Paris, les circonstances ayant entouré la conclusion du contrat de travail venait
confirmer qu’elle n’avait eu d’autre but que de faire échec au principe d’ordre public de la
libre révocabilité des mandataires sociaux.
Le fait pour des sociétés membres d’un groupe de recourir à d’autres entités sociales pour des
raisons uniquement fiscales est constitutif de fraude. En droit fiscal, l’abus de droit, hormis le
cas de l’acte fictif, suppose que soit poursuivi l’intérêt exclusivement fiscal de l’entreprise.
Certains montages juridiques étant une superposition de conventions, notamment dans le sens
où ceux-ci impliquent la création d’une société, il faut encore savoir quelles sont les parties
dont la volonté va être examinée afin de caractériser l’intention frauduleuse, condition
inhérente à la caractérisation d’une fraude. La difficulté réside dans le fait que si l’acte analysé
comme étant au coeur du montage est le contrat de société, sans préjuger de la sanction
éventuelle de la fraude, la volonté frauduleuse d’un des associés ne peut induire celle des
autres. Par principe, l’intérêt commun des associés d’une société qui n’est pas fictive n’est pas
frauduleux117et la démonstration de la participation à la fraude de l’ensemble des parties est
requise. C’est la raison pour laquelle, à défaut de démontrer la volonté frauduleuse de toutes
les parties au montage, de toutes les parties aux différentes conventions, la fraude ne produit
pas d’effet vis-à-vis du cocontractant de bonne foi.
Les conventions entre différentes sociétés d’un groupe peuvent ainsi constituer le ciment d’un
montage frauduleux destiné à interposer des personnes morales dans l’unique but d’échapper114 CA Paris, 26 Janvier 1994. Bull. Joly 1994, p. 517, § 154, note P. LECANNU ; RTD Com., 1994, p. 522, obs. BPetit et Y. Reinhard.115 BOUÈRE (J.-P.) et LECANNU (P.), « La loi Madelin du 11 Février 1994 et le droit des sociétés », Bull. Joly 1994,§ 61, p. 237.116 Cet article garantit au salarié mis à la disposition d’une filiale étrangère et licencié par celle-ci de retrouver unnouvel emploi compatible avec l’importance de ses nouvelles fonctions dans la société mère. 117 SCHMIDT (D.), « de l’intérêt commun des associés », JCP 1994, I, n° 3793.
71
aux dispositions en vigueur. Si le montage est fait d’actes indivisibles par interdépendance, sa
remise en cause globale sur le terrain de la fraude nécessite que soit rapportée la preuve d’un
concert frauduleux. Ainsi, toutes les parties à chacun des actes du montage devront avoir la
volonté de frauder. Si le montage est constitué d’actes unilatéralement indivisibles, la
démonstration de l’intention frauduleuse des parties à l’acte principal suffira pour que la
fraude puisse s’étendre par contamination à tout le montage. C’est cette position qui prévaut
en jurisprudence. En effet, dans les cas où les actes du montage sont indivisibles par
interdépendance, il est matériellement difficile d’apporter la preuve d’une collision
frauduleuse de toutes les personnes à chacun des actes auxquelles elles ont été parties. La
fraude corrompt tout, mais dans ce type de montage, elle ne peut le faire que pour ceux qui y
ont intentionnellement participé.
Un arrêt de la Cour de cassation en date du 22 Janvier 1997 pose le principe selon lequel en
présence d’associés et de dirigeants identiques dans des sociétés différentes, ces sociétés sont
présumées « connaître » les mobiles pour lesquelles elles contractent118. Il y’a ainsi l’existence
d’une présomption particulièrement délicate pour des conventions conclues entre des sociétés
appartenant au même groupe.
Il est important de rappeler que la sanction de la fraude à laquelle participe directement ou
indirectement une société à responsabilité limitée ou une société de capitaux ne devrait plus
pouvoir être l’inexistence, la nullité (relative ou absolue), l’annulabilité119.
La simulation est, d’une façon générale, la création d’une apparence trompeuse destinée à
masquer la réalité, à la travestir. En droit civil, on la définit comme étant un accord entre
contractants tendant à faire croire à l’existence d’une convention ne correspondant pas à leur
volonté véritable, exprimée par un autre acte, celui-ci dénommé « contre-lettre ». Si la
simulation porte sur l’existence même de l’acte apparent, elle rend le contrat fictif ; si elle sert
à en maquiller la nature juridique, il y’a déguisement ; si elle a pour objet d’en déplacer les
effets, elle réalise une interposition de personne120.
Même si l’on se place sur le terrain de la simulation, l’interposition de personne n’est pas
condamnable a priori. Ainsi, la prise de participation, même majoritaire dans le capital d’une
ou plusieurs sociétés actionnaires d’une autre société, ne constitue pas par elle seule une
fraude ayant pour objet ou pour effet d’éluder la clause d’agrément statutaire de cette société.
La fraude seule au sein de cette simulation sera sanctionnée. Il n’en demeure pas moins qu’il a
118 Cass. civ. 3e chambre, 22 Janvier 1997, Audijuris Mars 1997, n° 73, spéc.p.33.119 DOM (J.-PH), préc.p. 450, § 750120 Lexique des termes juridiques 14e édition, Dalloz
72
été démontré que l’abus de la personnalité morale recoupait l’ensemble des cas de simulation
dont fait partie l’interposition de personne. La simulation comme l’interposition de personne
morale demeurent néanmoins suspects, dans la mesure où elles sont considérées comme étant
des terrains propices à la fraude.
L’abus de la personne morale peut également être caractérisée au travers de sa fictivité.
§2 – Le cas de la fictivité
Une société est fictive lorsque les personnes qui se présentent comme des associés ne
présentent pas les caractéristiques d’associés généralement parce que leur volonté de se
comporter en associés n’est pas établie. La constitution de sociétés fictives, peut être
organisée au sein d’un groupe de sociétés en vue de masquer certains agissements de la
société mère. La carctérisation de la fictivité remet en cause l’acte de société. Lorsque la
fictivité d’une société est établie, cette dernière est nulle, sauf pour les SARL et les sociétés
par actions121. La société fictive ayant été annulée disparaît seulement pour l’avenir.
La fictivité permet de ne pas tenir compte d’un acte. Le fait de retenir la fictivité permet,
notamment au sein des groupes de sociétés, de ne pas considérer la société qui ne présenterait
pas tous les éléments caractéristiques du contrat de sociétés en tant qu’entité propre et
autonome. La fictivité, contrairement à la fraude, ne se caractérise pas à travers une volonté
frauduleuse. La fictivité d’une société peut simplement résulter d’une appréciation objective
du montage, par exemple, le simple fait de caractériser l’absence d’autonomie suffit.
Caractériser la fictivité revient à caractériser l’absence réelle de personnalité morale.
En effet, la fictivité suppose l’absence d’un des éléments essentiels du contrat de société qui
est « l’affectio societatis » ou la volonté de s’associer et de collaborer sur un pied d’égalité à
une œuvre commune. La société est le fruit d’un contrat passé entre plusieurs personnes. La
fictivité implique que les agissements de certaines sociétés soient imbriqués dans ceux des
autres. La société fictive est une façade, un prête-nom de société, elle n’a pas d’existence
propre parce qu’elle est au service d’une autre personne. La fictivité est l’utilisation de la
personnalité juridique dans l’intérêt d’une autre personne. Les tribunaux vont donc rechercher
l’existence de cette fiction afin de lever le voile de la personnalité morale. Nous sommes face
à une sorte de montage artificiel qui ne respecte pas la séparation des patrimoines. Retenir la
fictivité d’une personne morale implique la démonstration d’une identité entre les sociétés,
d’une superposition des critères des personnes morales prouvant que toutes suivent le même
121 Mémento Pratique Francis Lefebvre, Groupes de sociétés, 2005-2006, § 56.
73
modèle, sortent d’un moule similaire et ne font qu’une. Certaines filiales n’ayant aucune
autonomie vis-à-vis de la société mère risquent d’être caractérisées de fictives.
L’interposition de personne morale soulève d’importants problèmes de validité lorsque la
cause de la constitution d’une société ne peut être que le contournement d’une obligation.
Dans ce cas, la fictivité est très proche de la fraude sans pouvoir pour autant y être assimilé.
En effet, alors que la caractérisation de la fraude repose sur une analyse subjective du
montage, celle de la fictivité se base sur l’analyse objective de chacun de ses éléments. Il
s’agit pour analyser le problème de la fictivité des éléments d’un montage, de répondre à la
question de savoir si chacun des actes du montage est juridiquement effectif. Cette approche
objective de la cause va alors se dédoubler, car la licéité de la cause s’appréciant de façon
subjective, il faut également rechercher si dans la dynamique globale du montage,
l’explication principale et unique n’est pas la fraude.
En droit des entreprises en difficulté, la fictivité est une cause d’extension de procédure. En
effet, en cas de défaillance d’une société, la jurisprudence a consacré la possibilité d’étendre la
procédure ouverte à l’encontre d’une société considérée comme fictive à une autre personne
morale, entretenant avec cette dernière des liens étroits de toutes sortes, caractéristique d’une
réelle unicité de sociétés. Une extension de procédure pourra aussi être prononcée en tant que
sanction dans le cadre de ce que l’on appelle la faillite commune qui sanctionne le dirigeant
d’une personne morale constatée comme étant fictive. Les juges veillent de manière très
stricte à l’établissement réel de la fictivité.
C’est ainsi que l’existence au sein d’un groupe de sociétés d’une société civile immobilière
dont le seul objet est de donner à bail des locaux aux différentes sociétés du groupe pourra
attirer la méfiance des juges qui auront souvent tendance à rechercher la fictivité de telles
structures. Cependant, si de tels montages appellent la suspicion, ils sont insuffisants en eux-
mêmes à caractériser la fictivité.
L’utilisation abusive de la personnalité morale est également sanctionnée à travers la levée
abusive du voile
Sous-section 2 – La levée abusive du voile de lapersonnalité morale
La responsabilité de certaines parties à la convention peut être mise en œuvre, lorsque la levée
du voile de la personnalité juridique est caractérisée comme étant abusive.
74
Les flux financiers anormaux entre deux sociétés in bonis, tels que résultant par exemple
d’une opération de crédit intra-groupe sans contrepartie, peuvent être considérées, au regard
du droit fiscal comme un acte anormal de gestion et sanctionnées en tant que tel. Cela, «
hormis le cas où la situation des deux sociétés serait telle que la société mère puisse être
regardée comme ayant agi dans son propre intérêt en venant en aide à une filiale en
difficulté »122.
Dans le cas de sociétés in bonis, une société peut être contrainte de payer les dettes d’une
autre société appartenant au même groupe si leurs patrimoines sont confondus.
Le droit des procédures collectives vient tirer des conséquences de la levée de l’écran de la
personnalité morale, dans le sens où, les juges ayant fait œuvre prétorienne, l’article L.625-1
du Code de commerce prévoit le fait qu’une procédure collective ouverte à l’encontre d’une
société puisse être étendue à une autre ayant eu des liens avec cette dernière, liens tendant à
lever le voile de la personnalité juridique. L’extension de la procédure collective concerne des
personnes qui ont « abusé » de la personnalité juridique qui leur était reconnue, notamment en
mélangeant leurs biens ou en ne constituant qu’une apparence de société. La technique de
l’extension de procédure menace donc des « montages » sociétaires artificiels lorsque la
séparation des patrimoines n’a effectivement pas été respectée.
La confusion de patrimoine peut-être définie comme résultant de liens patrimoniaux étroits
entre deux personnes tel qu’il est impossible de distinguer l’actif ou le passif de l’un de celui
de l’autre. Il s’agit ainsi d’une imbrication de ces éléments comme s’il n’existait plus qu’un
seul patrimoine.
Concernant des personnes morales, la confusion de patrimoine résultera de relations
financières anormales entre des sociétés, elle résultera aussi du transfert d’un patrimoine à un
autre sans contrepartie. En pratique, les tribunaux vont souvent observer le fait que deux
personnes morales tiennent une comptabilité commune ou que leur capital soit détenu par les
mêmes personnes.
Les conventions intra-groupe de sociétés sont ainsi directement porteuses de risques.
L’hypothèse de l’extension de procédure pour confusion de patrimoine autorise également
l’extension de la procédure collective à un dirigeant, personne physique ou morale. Les
fondements de cette extension sont les articles L.624-4 et L.624-5 du Code de commerce qui
disposent respectivement que : « le tribunal peut ouvrir une procédure de redressement ou de
liquidation judiciaire à l’égard des dirigeants à la charge desquels a été mis tout ou partie du
passif d’une personne morale et qui ne s’acquittent pas de cette dette. » et que : « le dirigeant
122 CAA Paris, 1er Février 1994, Bull. Joly 1994, p. 699 § 198 ; JCP E, II, n° 636, note D.F
75
qui a commis un certain nombre de faits fautifs énumérés à l’article L.624-5 peut également
faire l’objet d’une procédure collective sur décision expresse du tribunal ». L’article L.624-4
résulte du non respect par le dirigeant de sa condamnation à combler l’insuffisance d’actif
social lorsque ce dernier a contribué à cette insuffisance. Les dirigeants visés sont notamment
ceux qui se sont rendus coupables d’une faute de gestion, comme le fait de consentir à des
conventions contraires à l’intérêt social, menant à la faillite de la société dirigée.
Le principe d’autonomie des sociétés membres du groupe ne constitue pas la seule limite au
libre aménagement conventionnel des sociétés du groupe. En effet, la liberté contractuelle au
sein des groupes de sociétés ne saurait transgresser les normes impératives du droit des
sociétés et du droit des contrats.
76
Chapitre 2 - Le dispositif impératif
Nous nous consacrerons tout d’abord à l’étude des limites issues du droit commun des
contrats (Section I) avant d’envisager celles posées par l’ordre public sociétaire (Section II).
Section I – Les règles de droit commun
Les conventions intra-groupe de sociétés sont soumises au respect des règles du droit commun
des contrats (Sous-section 1), elles ne peuvent également contrevenir dans une certaine
mesure aux règles contenues dans les statuts sociaux, dont nous étudierons la particularité
(Sous-section 2)
Sous-section 1 – Les principes généraux et le droitcommun des contrats
La notion d’ordre public est difficile à définir. Cette terminologie fut employée dès 1804 Par
les rédacteurs du Code civil à l’article 6 qui interdit de « déroger, par des conventions
particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs ». A cette époque, le
droit exprimé a un grand respect du contrat. Il existe cependant des articles limitant la liberté
contractuelle. Ce sont notamment les articles 1108 et suivants. De véritables restrictions à la
liberté contractuelle ont cependant été imposées par le législateur et le juge, autorisés à
intervenir afin d’assurer la défense d’une notion supérieure aux intérêts antagonistes de
chaque partie. L’Etat notamment, a trouvé cet instrument dans la notion « d’ordre public »,
plusieurs fois mentionnée dans le Code civil, mais à laquelle aucune définition n’est donnée.
L’ordre public est le garant de la paix social. Pour Planiol : « une définition est d’ordre public
toutes les fois qu’elle est inspirée par des considérations d’intérêt général qui se trouveraient
compromises si les particuliers étaient libres d’empêcher l’application de la loi ». Selon
Portalis, « la loi est d’ordre public lorsqu’elle concerne davantage la société que les
particuliers »123.
On peut, dès les premières tentatives d’approche de la notion, déjà en entrevoir les difficultés.
L’ordre public est protéiforme, mouvant et malléable au gré des différentes disciplines qu’il
régit. Le législateur peut déterminer explicitement ou de façon implicite le caractère d’ordre
123 DESIDERI (J-P.), La préférence dans les relations contractuelles, PUAM, 1997
77
public d’un texte. Le critère d’appartenance à l’ordre public paraît essentiel pour déterminer le
caractère obligatoire d’une règle124.
Les applications du pouvoir des juges en matière de détermination du caractère d’ordre public
d’une règle ont évolué dans le temps. En effet, la jurisprudence du 19e siècle a accepté la
mission de qualification d’ordre public d’un texte avec réticence, estimant qu’elle devait
rester le monopole du législateur. La motivation des arrêts de cette époque affirme parfois le
caractère d’ordre public d’une loi, cependant, en se référant toujours à un texte. Un arrêt de la
Cour de cassation en date du 4 Décembre 1929125 a été l’illustration de la volonté exprimée
par les juges d’aller plus loin. Ainsi, en l’absence de texte spécifique prévoyant la nullité de la
convention en tant que contraire à l’ordre public, ces derniers se sont arrogés ce pouvoir.
Ainsi, les juges ne se sont pas contentés de qualifier une règle légale d’obligatoire, mais ils se
sont émancipés des règles légales pour imposer une restriction à la liberté des parties hors de
toute référence légale. Ainsi, ils se sont autorisés à fixer des limites à la liberté contractuelle.
Comme toute convention, les conventions intra-groupe sont soumises aux règles du droit
privé des contrats, notamment les articles 1108 et suivants du Code civil. Les règles ainsi
posées sont des règles d’ordre public auxquelles nulle convention ne peut déroger.
Au-delà du droit commun des conventions, rappelons que chacune des conventions conclues
au sein des groupes de sociétés trouve également ses limites au sein des règles spéciales,
fonction du droit spécial auquel la convention se rattache. Ainsi, la cession de droits sociaux
ne peut contrevenir à la réglementation du droit commun de la vente, adapté aux circonstances
particulières de ces biens. Par exemple concernant le caractère réel et sérieux du prix de
cession (qui varie en fonction de la situation financière et commerciale de l’entreprise, celle-ci
pouvant évoluer entre le début et la fin des pourparlers contractuels, c’est pourquoi les parties
insèrent dans le protocole de nombreuses clauses de garantie destinées aux fins d’une bonne
exécution des obligations de délivrance et de garantie.Cependant, les règles en vigueur en
matière de droit commun des contrats prévalent. Ainsi, les conventions intra-groupe ne
sauraient être entachées de fraude ni être prétexte à l’abus.
124 SCHILLER (S.), Les limites de la liberté contractuelle en droit des sociétés, les connexions radicales, Thèse
L.G.D.J., 2002.125 Ghestin (J.), Traité de droit civil- Les obligations, contrat, formation, 3e édition, L.G.D.J.,
1993.
78
La liberté contractuelle, déduite du principe de l’autonomie de la volonté, est caractérisée par
trois grands principes : la liberté de contracter ou non, celle de choisir la personne du
cocontractant ainsi que celle de déterminer librement les clauses du contrat. En droit des
sociétés, les pactes d’associés ou d’actionnaires sont souvent considérés comme un instrument
idéal de souplesse contractuelle libéré des normes impératives. Les pactes d’associés ou les
pactes d’actionnaires ne sont pas explicitement reconnus par le législateur en droit des
sociétés. Ces accords restent néanmoins soumis au droit commun des contrats et des
obligations. Ainsi, le principe de la liberté contractuelle cesse en présence de lois intéressant
l’ordre public.
La validité des pactes d’associés peut s’appuyer sur les dispositions des articles 1134 et 6 du
Code civil. Pour certains auteurs, cette validité trouve son fondement théorique dans le
principe de liberté contractuelle. Dans la mesure où il n’existe pas de contrats solennels
innomés, les pactes d’associés ou d’actionnaires, conformément au principe du
consensualisme, sont valables même s’ils ne sont pas établis par écrit. La seule exception
concerne les pactes qui renfermeraient une convention relative à l’exercice de droits indivis
d’associés (C.civ., art. 1873-2) Ainsi, les pactes d’associés sont valables s’ils ces derniers ne
contreviennent pas à certains principes du droit civil comme la prohibition des pactes sur
succession future de l’article 1130 du Code civil.
Le principe de libre disposition des biens que l’on peut déduire de l’article 544 du Code civil
trouve son écho à travers celui de la prohibition des clauses d’inaliénabilité en dehors des
conditions restrictives de l’article 900, alinéa 1 du Code civil.
Une des limites au principe de la liberté contractuelle est constituée paradoxalement par la
force obligatoire des conventions, à l’égard des parties et du juge. Ainsi, si l’article 1165 pose
le principe selon lequel les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties qui s’obligent. La
liberté existe pour entrer dans le contrat, elle est appréciée de façon moins affirmée lorsqu’il
s’agit de sortir ou d’exécuter la convention. Ceci étant, certains auteurs ont pu souligner
l’inefficacité de la sanction relative au non respect d’un pacte d’actionnaire126, étant donné le
fait que le principe de la force obligatoire interdit l’exécution forcée des obligations de faire
ou de ne pas faire qu’ils contiennent. Ainsi, la sanction du non respect de ces obligations est
l’octroi de dommages et intérêts, ceci conformément à l’article 1142 du Code civil. Selon M.
Jeantin : « l’inefficacité de cette sanction constitue la faiblesse congénitale des pactes
d’actionnaires127 ». Ce dernier fait ainsi la suggestion suivante : il est possible de mettre en
126 BONNARD (J.), « L’influence des principes généraux du droit des contrats en matière de pactes d’associés » ,Prospectives de droit économique- Dialogues avec Michel Jeantin, Dalloz 1999.127 JEANTIN (M.), « Les conventions de vote, Rev. jurisp. com., 1990, n° spécial, p.124.
79
œuvre un système de réparation adéquate en tant que sanction. Ainsi, partant du principe en
prenant l’exemple d’une convention de vote, que cette dernière n’est licite qu’autant qu’elle
est conforme à l’intérêt social, tout vote émis en violation de cette convention serait contraire
à l’intérêt social. Le juge pourrait alors, sous réserve qu’il s’ensuive une rupture d’égalité
entre les associés, annuler la décision irrégulière et conformément au principe de réparation
adéquate, rendre un jugement valant décision sociale dans le sens imposé par la convention de
vote. C’est ainsi que des juges ont admis l’exécution forcée d’une convention de vote, sur le
fondement de l’article 1142 du Code civil parce qu’elle était, en l’espèce, possible128. Il est à
souligner que les sanctions du non respect de certaines règles contenues dans les statuts
sociaux sont celles du droit commun.
Sous-section 2 – Le cas particulier des statuts
Les statuts d’une société peuvent être définis comme étant l’acte constitutif de cette dernière,
rédigé par écrit et comportant un certain nombre de mentions obligatoires, posant les objectifs
ainsi que les règles de fonctionnement de la société ou de l’association129. Au-delà du fait de
n’être que l’acte constitutif d’une société, les statuts en déterminent le fonctionnement. Le
groupe de sociétés est composé de personnes morales juridiquement autonomes, dont de
sociétés dotées de leurs propres statuts. Les conventions intra-groupe de société peuvent voir
leur liberté limitée par les statuts sociaux de chaque entité composant le groupe. Il existe deux
grandes sortes de dispositions statutaires.
La première trouve sa spécificité dans le fait que la société ne peut s’immatriculer si ces
dernières font défaut. Si l’immatriculation est cependant opérée et que naît la personne
morale, la lacune peut être comblée par le biais d’une action en régularisation ouverte à tout
intéressé, y compris le ministère public. Ces mentions obligatoires sont notamment relatives
aux apports de chaque associé, à l’objet social, à l’appellation, au siège, à la durée, au montant
du capital social ainsi qu’aux modalités de fonctionnement. Les dispositions impératives des
statuts varient en fonction du fait que l’on est en présence d’une société civile ou d’une
société commerciale. Il faudra ainsi se référer respectivement à l’article 1835 du Code civil et
à l’article L.210-2 du Code de commerce.
Certaines dispositions statutaires sont considérées comme nulles car relevant d’une
interdiction d’ordre public. C’est le cas par exemple de la clause d’intérêt fixe (C.com., art.
128 CA Paris, 30 Juin 1995, JCP E 1996, II, 795, note DAIGRE129 Lexique des termes juridiques Dalloz, 14e édition, 2003.
80
L.232-15), de la clause léonine (C.civ., art. 1844-1, al.2), c’est le cas aussi par exemple pour
une clause prévoyant l’émission de valeurs mobilières par une SARL (C.com., art. L.223-11).
A côté des dispositions statutaires impératives, rien n’interdit de compléter les statuts par
d’autres dispositions, puisque le principe de liberté contractuelle s’applique également aux
sociétés. Ces clauses sont également soumises au filtre de l’ordre public. Ainsi, les associés
ou les actionnaires, peuvent s’engager contractuellement par le biais de stipulations
statutaires, concernant le fonctionnement et l’organisation de la société. C’est ainsi que les
statuts peuvent être considérés comme une loi sociale, organisant la vie et le fonctionnement
des personnes morales en droit des sociétés.
Concernant la nature des statuts, un débat doctrinal a tenté de trancher entre leur aspect
contractuel ou institutionnel. Il semble prudent de s’en tenir à un critère purement formel. Ont
un caractère « statutaire », toutes les clauses figurant dans l’acte qualifié de « statuts », tel que
ce dernier a été approuvé par les associés lors des formalités de constitution de la société130.
Les statuts doivent s’interpréter de la même façon qu’un contrat. Ainsi, l’interprétation relève
en principe de l’appréciation souveraine des juges du fond qui vont appliquer les articles
1156131 et suivants du Code civil. Les statuts s’inscrivent dans un contexte de liberté
contractuelle au sein duquel les associés s’accordent librement sur les modalités de
fonctionnement de la société à laquelle ils donnent naissance ou qu’ils pérennisent.
Cependant, la limite de cette liberté contractuelle est l’ordre public. Les statuts pourront autant
que les règles impératives elle-même le permettent, infléchir certaines règles afin de crée des
règles d’organisation plus adaptées, plus souples et plus efficaces. Ainsi, une des limites à la
liberté conventionnelle au sein des groupes de sociétés se situe dans les dispositions
statutaires que les conventions intra-groupe de sociétés ne peuvent méconnaître. Il arrive par
ailleurs que certains associés conviennent de pactes, d’accords concernant la politique sociale,
accord que ces derniers décideront d’intégrer dans les statuts. Ainsi, ces accords ont une
valeur statutaire et nous pouvons penser que ces derniers s’imposent aux conventions intra-
groupe de sociétés qui ne pourront aller à l’encontre.
Concernant la sanction de la violation de clauses statutaires, il est important de préciser que le
faible nombre de décisions jurisprudentielles en la matière nous amène à nous questionner. En
effet, la nature de la société, entre contrat et institution, explique pour une grande part les
difficultés que soulève la question de la violation d’une clause statutaire, notamment par des
130 GUYON (Y.), Traité des contrats, Les sociétés, Aménagements statutaires et conventions entre associés, 5e.édition, L.G.D.J, 2002.131 L’article1156 du Code civil dispose que l’on doit rechercher dans les conventions quelle a été la communeintention des parties contractantes plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes.
81
conventions. Faut-il se poser la question de savoir si la clause violée est issue d’une
disposition impérative ou relève d’accords particuliers élaborés par les associés ?
Une disposition est impérative, lorsqu’elle « ordonne ou défend, mais également toutes les
fois qu’elle est inspirée par une considération d’intérêt général qui se trouverait compromise si
les particuliers étaient libres d’empêcher l’application de la loi. La sanction d’une convention
intra-groupe violant une disposition légale impérative contenue dans les statuts serait la
nullité.
La loi peut prévoir où ne pas interdire le fait pour les associés de déroger conventionnellement
à certains principes qu’elle pose. La liberté contractuelle des associés s’exprime le plus
souvent dans la rédaction de clauses statutaires ayant vocation à régir les rapports entre
associés et principalement lorsqu’il s’agit de clauses destinées à contrôler la géographie du
capital ainsi que la permanence du contrôle majoritaire. Ces aménagements conventionnels
peuvent figurer dans les statuts. Dès lors, quel serait le sort réservé à une convention
enfreignant des règles statutaires d’origine conventionnelle ?
Lorsqu’une clause d’agrément ou de préemption, concernant la cession de droits sociaux, est
incluse dans les statuts, la question de la sanction de la violation statutaire se pose
nécessairement.
Tout porte à penser et à croire que la question appelle une réponse différente selon que la
violation de l’accord statutairement exprimé a une incidence sur les droits des tiers ou n’en a
pas.
Les clauses d’agrément ou de préemption concernent les rapports entre associés. La clause
d’agrément soumet à autorisation de la société la cession des actions envisagée au profit d’un
tiers, cessionnaire pressenti. La clause de préemption connaît deux applications distinctes :
soit l’associé vendeur est tenu de présenter ses titres aux bénéficiaires de la clause qui
disposent, avant toute cession, d’un droit de préférence, soit les bénéficiaires de la clause
exercent leur droit de préemption sur la vente déjà conclue et se substituent aux actionnaires.
Lorsque le droit de préférence ou de préemption n’est pas exercé, le cédant retrouve son
entière liberté de vendre ses titre dans le premier cas et se trouve engagé par la cession
envisagée au profit du cessionnaire déjà choisi, dans le second. La Cour de cassation a eu
l’occasion de conclure au fait qu’une cession de titres conclue au mépris d’une clause
d’agrément statutaire était inopposable à la société.
L’opposabilité aux tiers de la clause d’agrément statutaire résulte de la publicité dont elle fait
l’objet aussi bien dans un journal d’annonces légales que par le dépôt aux greffes des statuts.
Ainsi, le tiers cessionnaire ne peut valablement opposer qu’il a ignoré le droit publié car la
82
publication de la clause l’informe obligatoirement de la nécessité pour tout actionnaire d’être
agréé par la société. Les juges du fond ont admis que dans le cas d’une cession faite au mépris
d’une clause d’agrément statutaire, la société devait refuser de procéder au transfert des titres
sur ses registres132. Ainsi, les cédants demeurent associés de la société faute d’avoir obtenu
l’agrément du conseil d’administration. Le cédant conserve alors sa qualité d’associé tandis
que le cessionnaire devient propriétaire des titres. Une telle distinction entre la propriété des
actions et l’exercice des prérogatives qu’elle confère, va plus loin que les démembrements de
droits sociaux jusqu’alors admis. Même si la séparation opérée entre la qualité d’actionnaire et
la propriété des titres n’est que la conséquence du mécanisme d’inopposabilité de la cession à
la société, elle peut être critiquée puisque le cessionnaire acquiert des titres dépouillés de leur
qualité essentielle, et confine son droit de propriété au rang de droit sans objet. Si, selon les
juges du fond133. la nullité ne peut constituer la sanction de la violation du cédant, sauf
collusion frauduleuse entre les parties à la cession, il semble que le cessionnaire puisse obtenir
l’anéantissement de la cession par d’autres voies. En effet, le cocontractant qui, par suite de
l’inopposabilité, perd en tout ou partie le bénéfice de l’opération, est fondé à faire tomber
l’acte134. C’est une action en résolution qu’il intentera, ce qui lui permettra d’obtenir des
dommages- intérêts en plus de la restitution de sa prestation. La Cour d’appel de Versailles a
ainsi semblé indiquer cette voie aux cessionnaires déçus, lorsqu’elle a relevé que : « les
parties ne proposaient aucun moyen d’annulation de la cession autre que la violation de la
clause d’agrément, moyen qui ne peut prospérer dans les rapports entre cédants et
cessionnaires ».135
Ainsi, le cessionnaire pourrait solliciter la résolution de la vente sur le fondement de l’article
1184 du Code civil et, plus précisément pour défaut de délivrance des titres cédés en
invoquant l’article 1610 du même Code. En effet, les titres étant nominatifs, c’est la société
qui, à la suite d’une cession, procède à leur transfert par une inscription du nouvel acquéreur
sur ses registres. Or, comme les juges du fond considèrent que la société ne doit pas procéder
eu virement des actions, le vendeur se trouve dans l’impossibilité de délivrer la chose vendue
entre les mains de l’acquéreur, c’est- à dire de délivrer la chose vendue entre les mains de
l’acquéreur, c'est-à-dire de mettre les choses à la disposition de l’acheteur. Ainsi, ne pouvant
livrer l’objet de la vente, il manque à son obligation de délivrance telle que cette dernière
résulte de l’article 1603 du Code civil.
132 CA Versailles, 29 Septembre 1994, R.J.D.A, Janvier 1995, n° 30.133 CA Versailles, 29 Septembre 1994, préc.134 BASTIAN, (D.), Essai d’une théorie générale de l’inopposabilité, Thèse Paris, 1929.135 CA Versailles, 29 Septembre 1994, préc.
83
Pour ce qui concerne une cession de titres opérée au mépris d’une clause statutaire de
préférence, ou de préemption au profit de tiers, aucune autre sanction que l’attribution de
dommages et intérêts ne paraît, en l’état actuel du droit, ne pas pouvoir être prononcée.
Car en effet, comme les clauses d’agrément, les clauses de préemption statutaires sont, par
l’effet de la publicité des statuts, opposables aux tiers. Toutefois, si la publicité du droit de
préemption informe les tiers de l’existence d’un droit de cette nature au profit de bénéficiaires,
elle ne le renseigne nullement sur leur intention de s’en prévaloir136. C’est pour cette raison
que l’appréciation de la bonne ou de la mauvaise foi du tiers a paru nécessaire à la remise en
cause d’une cession opérée au mépris d’un droit de préemption.
On en conclut donc qu’une cession de titres sociaux, au profit de tiers de bonne fois, opérée
au mépris d’un droit de préemption statutaire serait parfaitement valable entre les parties et
opposable à la société. Ainsi, à l’égard des tiers, l’introduction d’un droit de préemption dans
les statuts ne le rend pas davantage efficace que lorsqu’il est stipulé dans un acte extra-
statutaire.
Concernant la sanction de la violation entre actionnaires de tels actes, il paraît certain que
lorsque la clause de préemption est statutaire, les associés ne peuvent arguer ni de leur
méconnaissance de la clause qui leur est nécessairement opposable, de leur ignorance de
l’intention des bénéficiaires d’exercer ou non leur droit de priorité. La situation statutaire de la
clause de préemption contraint, en vertu de l’article 1134 du Code civil, tous les associés à se
plier à ses exigences. Son efficacité s’en trouve ainsi grandie : tous les coassociés du
bénéficiaire du droit de préemption connaissent non seulement le droit de priorité de ces
derniers mais aussi l’obligation de tous les actionnaires de leur céder leurs titres en réalité.
Aussi, s’il est vrai que les associés bénéficiaires sont des tiers à la cession envisagée, le
cessionnaire, lorsqu’il est actionnaire, n’est pas un tiers à l’obligation qui lie le cédant aux
bénéficiaires de la préemption, puisque celle-ci figure dans une clause du contrat de société
par lequel le cessionnaire est également tenu.
En principe, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de rappeler que la violation d’une
obligation de ne pas faire est, selon l’article 1142 du Code civil, sanctionnée par l’allocation
de dommages-intérêts137, ce qui peut s’avérer être une solution peu satisfaisante pour les
cocontractants dans le sens où la cession produira tout de même les effets que la convention
avait voulu éviter. C’est la raison pour laquelle dans le cas de cessions consenties entre
actionnaires, la nullité pourrait être préférée à l’inopposabilité.
136 MAZAUD (D.), « La responsabilité du fait de la violation d’un pacte de préférence », Gaz. Pal. 1994, doct. p.210.137 Cass. com., 7 Mars 1989, JCP 1989, 21316, obs. Y. Reinhard.
84
On pourrait suggérer au bénéficiaire de la préemption d’obtenir l’anéantissement de la cession
sur le fondement de l’article 1143 du Code civil, aux termes duquel « le créancier a le droit de
demander que ce qui aurait été fait par contravention à l’engagement soit détruit ». Toutefois,
la jurisprudence considère afin de garantir la sécurité des transactions, que la destruction de ce
qui aurait été fait en violation de l’engagement du débiteur de l’obligation de ne pas faire, ne
peut pas être obtenue lorsque la violation de l’obligation a permis la conclusion d’un contrat
avec un tiers, sauf à démontrer sa mauvaise foi138, l’article 1165 du Code civil, exprimant le
principe de l’effet relatif des contrats, commande une telle solution. Il semblerait de ce fait
que toutes les conventions passées entre associés au mépris d’une obligation de ne pas faire
statutairement consacrée, seraient susceptible d’être annulées sur le fondement de l’article
1143 du Code civil en raison de la connaissance par l’actionnaire de l’existence d’une telle
obligation et son inclusion indirecte dans le champ contractuel au moyen des statuts sociaux.
Certains auteurs émettent d’ailleurs l’hypothèse selon laquelle le contrat pourrait être frappé
de caducité, mettant en avant le fait que lorsqu’une vente est consentie sous condition
suspensive, la réalisation de la condition rend le contrat valable, tandis qu’il se trouve frappé
de caducité dans le cas contraire. Les auteurs considèrent que la caducité frappe un contrat
régulièrement formé, mais qui perd, postérieurement à sa conclusion, un élément essentiel à sa
validité ou un élément nécessaire à sa perfection, du fait de la survenance d’un évènement
indépendant de la volonté des parties ou dans la dépendance partielle de leur volonté139. Ainsi,
lorsqu’une clause de préemption statutaire lie les associés dans les cessions qui les concerne,
ne faut-il pas considérer que cette clause qui soumet la validité de la cession à l’absence
d’exercice du droit de préemption par les associés bénéficiaires, constitue une condition
suspensive de la réalisation de toute cession à intervenir ? La formation même de la cession
serait suspendue à la réalisation de la condition, c'est-à-dire au défaut de préemption. Or,
lorsqu’une cession de titres est opérée au mépris d’une clause statutaire de préemption, sa
violation constitue une défaillance de la condition, c’est-à-dire qui empêche la condition de se
réaliser, ce qui conduirait à la caducité de la cession.
A mi chemin entre les statuts et les pactes d’associés, le règlement intérieur constitue un
moyen terme. Ce dernier, dont l’existence a été officialisée par la loi NRE du 15 Mai 2001 va
par exemple préciser les modalités de fonctionnement des conseils et des assemblées. Sa
valeur juridique est discutée. Moins contraignant que les statuts puisqu’il n’est pas publié, le
138 Cass. civ., 12 Juin 1954, JCP 1954, II, 8225 ; D 1954, p.588.139 TERRÉ (F.), SIMLER (PH.), LEQUETTE (Y.), Droit civil, les obligations, 7e édition, Précis Dalloz, 1999.
85
règlement intérieur demeure une convention d’une autorité assez proche de celle des pactes
extra-statutaires, il a notamment une valeur infra-statutaire.
Ainsi, les conventions intra-groupe devront se conformer non seulement au droit commun des
contrats mais aussi, dans une certaine mesure, aux statuts respectifs des différentes sociétés du
groupe. Enfin, ces conventions seront impérativement soumises à l’ordre public sociétaire.
Section II – L’ordre public sociétaire
Le critère d’appartenance à l’ordre public paraît essentiel pour déterminer le caractère
obligatoire d’une règle140. Il conviendra ici de s’attacher en premier lieu à la notion d’ordre
public sociétaire (Sous-section 1), avant d’étudier les limites posées par l’ordre public
sociétaire en droit des sociétés (Sous-section 2)
Sous-section 1 – La notion d’ordre public sociétaire
En droit des sociétés, l’ordre public a une double origine. L’ordre public tend en premier lieu
à protéger les tiers. Ces derniers, lorsqu’ils traitent avec une société, doivent connaître les
garanties que leur offrent la forme sociale ainsi que les pouvoirs des divers organes sociaux.
L’ordre public a également pour objectif la protection des associés et des actionnaires, en
effet, ces derniers peuvent souvent se retrouver en situation de fragilité face aux fondateurs ou
aux dirigeants. C’est ainsi que l’ordre public leur garantit une protection.
Mais l’ordre public n’est pas simplement un ordre public de protection. L’ordre public de
direction est aussi important dans le sens où cet ordre public assure le bon fonctionnement des
sociétés, nécessaire à la prospérité de tous les citoyens. Comme dans les autres domaines du
droit, cet ordre public n’a pas pour unique source des règles écrites. L’examen de la
jurisprudence montre que cet ordre public trouve ses sources dans des principes généraux plus
imprécis comme le principe d’égalité entre associés ou de proportionnalité, le respect des
droits individuels des associés, le caractère d’intérêt commun de la société ou encore
l’obligation de bonne foi et de loyauté des dirigeants.
L’ordre public sociétaire résulte de diverses sources : nous pouvons citer en premier lieu la
loi, bien qu’il soit souvent difficile face à un texte de loi, d’en déterminer le caractère
impératif ou supplétif. Notons dans une tentative de déterminer le caractère impératif ou
supplétif de certaines dispositions législatives que le caractère impératif résulte de l’utilisation
140 voir SCHILLER, op. cit.
86
par le législateur de termes imposant un devoir pour les sujets de droit, tandis que le caractère
supplétif relève davantage de la possibilité d’agir dans un sens déterminé.
Ainsi, certaines dispositions impératives issues de la loi sont expresses, tandis que d’autres
sont implicites. Au sein de l’ordre public sociétaire, le manquement à certaines règles
impératives est sanctionné par la nullité. Or, ce n’est pas le cas de la contravention à d’autres
règles qui n’en demeurent pas moins impératives. Alors que la nullité était un critère du
caractère d’ordre public d’une norme, cette assertion est de moins en moins vérifiée. L’article
L.225-18 prévoit avec une grande précision les conditions de nomination des administrateurs
de sociétés anonymes. Toute nomination intervenue en violation à ces dispositions encourt la
nullité. Ainsi, toute la difficulté est là: déterminer dans quels cas des conventions pourront
aller à l’encontre de certaines normes et ceux où elles ne le pourront pas. Ainsi, au gré des
formes sociales, certains manquements peuvent également être sanctionnés par la nullité, c’est
le cas par exemple concernant les règles relatives à la modification des statuts de la société
anonyme, pour les règles ayant vocation à s’appliquer dans toutes les assemblées générales
d’actionnaires, ordinaires ou extraordinaires.
On peut également parler du caractère implicitement impératif de certaines dispositions
légales. Ainsi, pour certains auteurs, « La détermination de la valeur impérative d’une loi doit
passer par une analyse attentive des motifs, permettant d’expliciter la volonté du législateur.
Ainsi, le caractère impératif d’une disposition découlerait davantage de son caractère
important et nécessaire. « La nullité ne serait que la violation de règles particulièrement
importantes. De nombreuses dispositions, selon leur mode de rédaction, car ces dernières sont
rédigées selon le mode du devoir, permettent d’en déduire la valeur impérative141 ».
Nous pouvons en deuxième lieu citer les principes généraux du droit des sociétés auxquels la
jurisprudence et la doctrine reconnaissent une valeur impérative Concernant les principes non
écrits du droit des sociétés, leur valeur impérative n’a pas été fixée par la loi mais qui résulte
de la jurisprudence. Il est possible de déduire la valeur impérative d’un principe, dès lors que
la jurisprudence ne valide pas, à peine de nullité et de clause réputée non écrite,
l’aménagement contractuel qui y porterait atteinte142.
141 MONSALLIER (M.-C.), op.cit., §859.142 MONSALLIER (M.-C.), op.cit., §878.
87
Sous-section 2 – Les limites posées par l’ordrepublic sociétaire
Une distinction peut être faite en droit des sociétés entre l’ordre public relatif, car susceptible
d’aménagements contractuels (§1), et l’ordre public absolu, auquel on ne peut déroger
conventionnellement (§2).
§1 – Les limites relatives
Au sein de la société anonyme, le principe de libre négociabilité des actions, n’est pas
d’ordre public. Les pactes de préférence prévoient, en cas de projet de cession de droits
sociaux par un actionnaire, d’accorder la préférence aux autres. L’exigence d’une libre
cessibilité des actions a été réaffirmée par la loi du 24 Juillet 1966, puisque cette dernière a
subordonné la validité de la clause d’agrément à l’existence d’une clause de préemption. Dans
l’hypothèse d’un refus d’agrément, l’actionnaire ne doit pas se retrouver prisonnier de son
titre, c’est ainsi que la loi a prévu l’obligation pour la société d’acheter ou de faire acheter les
actions dont la cession est envisagée. C’est donc le principe de négociabilité des actions qui
ne peut être transgressé conventionnellement.
La Cour ce cassation a eu l’occasion de rappeler que le principe de la négociabilité des actions
était l’essence même des sociétés anonymes.143 Selon M. Jeantin, on peut distinguer entre la
libre négociabilité des actions et la simple exigence d’une négociabilité, en précisant que seule
la négociabilité serait d’ordre public car seule cette dernière serait de l’essence des sociétés et
ne peut faire l’objet de dérogations conventionnelles. Dès lors, seule l’atteinte à la
négociabilité de l’actions est prohibée, la libre négociabilité ne constituant pas un principe
d’ordre public, il est alors possible d’y déroger non seulement dans les cas et les limites où la
loi le prévoit expressément, mais aussi dans le cas de conventions statutaires et extra-
statutaires, lorsque la loi ne prévoit aucune dérogation expresse.144
Un des principes non écrit mais néanmoins fondamental du droit des sociétés concerne la
liberté de vote. En effet, après avoir posé le principe selon lequel le droit de vote était une
prérogative essentielle de l’action, la jurisprudence a reconnu la validité de principe des
conventions de vote en émettant certaines conditions. Ces conventions ne doivent priver
intégralement l’actionnaire de son droit de vote, doivent être limitées dans leur objet, dans
143 Cass. com., 22 Octobre 1969, JCP 1970, II. 16197144 M. Jeantin, « les clauses de préemption statutaires entre actionnaires », Dr. soc., Juillet 1990, p. 3 ; JCP N1991, I, p. 58.
88
leur durée ainsi qu’être conformes à l’intérêt de la société ou du groupe145, en plus de n’être
entachées d’aucune idée de fraude146
Les conventions de vote trouvent ainsi l’occasion de s’exprimer à travers le prisme d’accords
statutaires ou extra-statutaires prenant la forme de « pactes » conclus entre associés ou
actionnaires, orientant notamment le vote de ces derniers dans le sens de la mise en oeuvre
d’une politique sociale déterminée.
Le droit de rester actionnaire, est également un principe non écrit du droit des sociétés. Le
droit de rester associé a été longtemps considéré comme étant un principe fondamental du
droit des sociétés147. Une partie de la jurisprudence s’est prononcée en faveur de l’annulation
de tout acte visant à contrevenir à ce principe. Chaque associé peut se retirer de la société
lorsqu’il le juge convenable148. Ce principe est d’ordre public149.et d’ordre public absolu, dans
le sens où ce dernier ne souffre aucune contravention. Ce droit de retrait ne saurait être
supprimé par les statuts qui peuvent toutefois en aménager les modalités d’exercice. Les
clauses statutaires en ce sens sont nombreuses et variées. Si le retrait peut être désiré, il peut
aussi dans un autre sens être forcé. Le droit d’exclusion est reconnu au travers des dispositions
de l’article L. 231-6, alinéa 2du Code de commerce qui pose les conditions de validité de cette
exclusion. Ainsi, le droit d’exclusion doit être expressément prévu par les statuts et ne peut
résulter que d’une décision de l’assemblée générale extraordinaire des associés. Toute clause
qui prévoirait par exemple une exclusion de plein droit pour infraction aux dispositions des
statuts serait sans valeur. Il en serait de même pour une clause prévoyant le droit de prononcer
l’exclusion à un organe autre que l’assemblée extraordinaire d’associés Pour certains auteurs,
un associé peut être exclu de sa société en dehors des cas expressément prévus par la loi, cela
à condition que son exclusion intervienne pour les causes et selon les modalités fixées par les
statuts et acceptées par tous les associés150. En revanche, les associés ne peuvent pas exclure
l’un d’entre eux en l’absence d’une clause statutaire les y autorisant à laquelle ils ont tous
adhéré.
Si certaines règles impératives du droit des sociétés peuvent faire l’objet de dérogations
conventionnelles, d’autres, au contraire, ne souffrent d’aucun aménagement.
145 CA Paris, 17 Décembre 1954, Gaz. Pal. 1955, I, 149, concl. LANCIEN ; T. com Paris, 1er Août 1954, Rev.sociétés 1974, 685, note OPPETIT. 146 CA Paris, 30 Juin 1995, JCP E 1996, 795, note DAIGRE (J.-J.).147 Cass.com., 30 Mai 1892, D.P., 1893, note THALLER148 Voir LE CANNU (P.), Droit des sociétés, collection Domat droit privé, 2e édition Montchrestien 2003.149 Ibid.150 MONSALLIER (M.C.), op.cit., § 943.
89
§2 – Les limites absolues
Le premier principe non écrit du droit des sociétés, auquel la jurisprudence a donné une
valeur impérative, est celui de la hiérarchie des organes et de la séparation des pouvoirs posé
par l’arrêt Motte. Ce principe est considéré par certains auteurs, notamment par Mme
Monsallier comme faisant partie de l’ordre public sociétaire absolu151, c'est-à-dire ne pouvant
souffrir d’aucun aménagement conventionnel.
Ainsi, les conventions d’aménagement du pouvoir au sein des groupes de sociétés ne peuvent
dans leur mise en œuvre y contrevenir. Par exemple, une convention de direction ne peut pas
de façon large, définir les pouvoirs d’un dirigeant au sein d’une structure sociale si cette
dernière contrevient aux principes posés par l’arrêt Motte. Si cette disposition impérative peut
être contournée, ce sera uniquement à travers le choix de certaines formes sociales qui offrent
l’avantage de davantage de flexibilité. C’est par exemple en ce sens, le cas de la SARL, par
rapport à la société anonyme.
De même, si on prend l’exemple de la société anonyme, les règles relatives aux conditions de
quorum tant au sein des conseils d’administration qu’au sein des assemblées générales sont
d’ordre public et ne peuvent être aménagées. Ainsi, aucune convention ne peut diminuer les
règles relatives au quorum152.
En droit des sociétés, l’ordre public est persistant et omniprésent. En font partie les règles
légales implicitement ou explicitement impératives que nous avons cité précédemment et dont
la violation est sanctionnée ou non par la nullité. Certains principes non écrits du droit des
sociétés sont également d’ordre public. Les dispositions légales dont la violation est
sanctionnée par la nullité appartiennent d’emblée à un ensemble de règles d’ordre public
absolu auxquelles on ne peut déroger conventionnellement. Ainsi, si on assiste de plus en plus
au développement d’un ordre public relatif, l’ordre public absolu demeure persistant.
Le droit français des sociétés a tenté de se libérer du carcan de règles et de principes qui le
rendait trop rigide et peu attractif, notamment à travers le phénomène de contractualisation
auquel on assiste aujourd’hui.
Il est cependant un fait certain qu’il nous parait important de souligner : depuis, l’avènement
en France du courant relatif à la corporate governance et l’introduction de règles relatives à ce
mouvement, par l’intermédiaire de la loi NRE du 15 Mai 2001, le droit français des sociétés a
tenté de tendre vers davantage de transparence et de sécurité. La loi NRE est un dispositif de
151 MONSALLIER (M.C.), op.cit., § 926.152 MONSALLIER (M.C.), op.cit., § 896
90
réglementation qui introduit un ensemble de règles impératives en droit des sociétés, à la
différence de la loi sur la sécurité financière du 1er Août 2003 qui est davantage un dispositif
de régulation. Ainsi, on a assisté à une résurgence des règles d’ordre public, notamment
absolu. En effet, parmi les dispositions impératives introduites par la loi NRE, nous pouvons
citer à titre d’exemple l’extension du champ d’application des conventions réglementées153.
Afin de permettre aux actionnaires de mieux comprendre l’organisation du pouvoir au sein de
la société, la loi sur la sécurité financière a, quant à elle, imposé, par le bais des dispositions
de l’article L.225-37 in fine, l’insertion de mentions relatives à la composition et au
fonctionnement du conseil d’administration et de ses comités.
Ainsi, les conventions conclues au sein des groupes de sociétés ne peuvent s’affranchir de tout
et doivent puiser leur liberté dans le corps de règles qui s’imposent à elles. L’ordre public
sociétaire actuel peut être caractérisé comme étant essentiellement un ordre public absolu.
Cela limite fortement la liberté des aménagements conventionnels conclus au sein des groupes
de sociétés.
153 Voir Les articles L. 225-38 et L.225-86 pour les SA avec conseil de surveillance et directoire.
91
CONCLUSION
Peut-on parler aujourd’hui de l’émergence d’un droit des obligations adapté au phénomène
des groupes de sociétés 154 ?
Afin de répondre à cette question, il est important de revenir sur la spécificité des conventions
conclues intra-groupe. A l’occasion de notre exposé, nous avons eu l’opportunité de rappeler
qu’il n’existait en droit français aucun droit systémique des groupes et que la notion de groupe
de sociétés recevait une application fonctionnelle au gré des différentes branches du droit qui
l’abordait. Il est important de rappeler par exemple que le droit des sociétés, le droit du travail
ainsi que le droit pénal ont chacun appréhendé le groupe à leur façon.
Le droit bancaire a été l’un des premiers à consacrer la spécificité des conventions conclues
entre des sociétés d’un même groupe en permettant notamment à ces dernières de constituer
des pools de trésorerie en leur sein, en instaurant un réel régime dérogatoire adapté au
phénomène des groupes.
Le droit du travail a permis d’organiser la mobilité du salarié au sein du groupe de sociétés en
élaborant des conditions spécifiques de mise à disposition, de transfert ou encore de
détachement à l’étranger.
La doctrine, la pratique et la jurisprudence se sont largement positionnées en faveur de la
reconnaissance du caractère « courant » de certaines conventions conclues entre des sociétés
appartenant à un même groupe, faisant de ce fait échapper certaines opérations à la procédure
des conventions réglementées posées par l’article L. 225-38 du Code de commerce.
Le droit pénal a admis à certaines conditions la possibilité de faire prévaloir au sein des
groupes de sociétés, l’intérêt commun du groupe sur les intérêts sociaux des différentes
sociétés membres. Les conditions d’une telle acception sont les suivantes: un groupe bien
structuré, une politique de groupe cohérente et une répartition équilibrée des bénéfices et des
coûts. Il est vrai que ces conditions restent encore à traduire dans la réalité, par le législateur
ou par le juge. L'exemple du droit pénal montre cependant que la prise en compte de l’intérêt
de groupe est possible.
154 d’ HOIR-LAUPRÊTRE (C.) « L’émergence d’un droit des obligations adapté au phénomène des groupes de
sociétés », D. 1993, p. 248.
92
Les groupes de sociétés organisent dans une large mesure leurs rapports à travers des
conventions issues du droit civil et du droit des sociétés. En ce sens, les conventions intra-
groupe de sociétés ne créent rien de nouveau car elles utilisent des mécanismes déjà existants.
C’est également le cas de nombreuses conventions mettant en œuvre des liens de
fonctionnement, des liens commerciaux et industriels entre les différentes sociétés du groupe,
qui relèvent des règles du droit commercial ou encore de droits davantage spéciaux comme
celui des sûretés ou celui de la propriété industrielle.
La spécificité de ces mécanismes non spécifiques peut sans doute être tirée de la particularité
du lien fraternel ou filial qui unit chacune des sociétés du groupe à l’autre.
Rappelons de plus que le groupe ne possède pas la personne morale, il n’est pas une entreprise
unitaire, il est composé de sociétés dotées chacune de la personnalité morale. Il doit respecter
cette réalité et tenir compte de l’autonomie juridique de chacune des structures sociales
membres. Les conventions intra-groupe de sociétés sont de plus soumises au droit commun
des contrats.
Il serait, à notre sens, précipité de parler en l’état actuel du droit positif, de l’émergence d’un
droit des obligations adapté au phénomène des groupes. Il nous semble en revanche plus juste,
d’affirmer l’existence aujourd’hui, à travers des règles de sources diverses, d’une réelle
volonté du droit français de tenir compte des aménagements intra-groupe de sociétés qui ne
sont que le reflet et le fruit de liens spéciaux.
Doit-on regretter l’absence d’un droit des obligations adapté au phénomène des groupes de
sociétés ?
Pour notre part, la prise en compte par le droit de la particularité des conventions intra-groupe
demeure largement limitée. Il appartient au législateur mais aussi à la jurisprudence d’œuvrer
en vue de l’introduction de davantage de souplesse et de libertés au cœur de règles spécifiques
ou adaptées. Elles seraient l’expression consacrée de la reconnaissance par le droit des besoins
et des nécessités en ce sens au sein des groupes.
Compte tenu de cette affirmation est-il besoin à de telles fins, de recourir à un droit spécial
des groupes de sociétés?
Les tendances en faveur de règles spécifiques pour les groupes de sociétés sont aussi
anciennes que la découverte du groupe par les juristes, c'est-à-dire au début du 20e siècle. La
loi de la République Fédérale Allemande de 1965 sur les sociétés anonymes s’est inscrite dans
la recherche de la protection des actionnaires minoritaires et des créanciers dans les sociétés
filiales. Le modèle allemand a cependant montré ses limites.
93
Les sociétés constituées en vertu du droit britannique doivent être gérées dans l'intérêt final de
leurs actionnaires, les filiales à 100 % doivent être gérées dans l'intérêt de la société mère. Les
dirigeants d'une filiale, sous réserve de leurs obligations envers les créanciers doivent
conduire les affaires de cette filiale de manière à servir les objectifs de la société mère.
Lorsqu'une filiale n'est détenue que partiellement par la mère, ses dirigeants doivent toujours
agir dans l'intérêt de tous ses actionnaires, en tenant pleinement compte de tout élément
pertinent, y compris l'équilibre entre les différents intérêts au sein du groupe. Si un juste
équilibre n'est pas maintenu en leur faveur, les actionnaires minoritaires ou extérieurs
disposent de voies de recours pour faire valoir leurs droits, comme l'action dérivée visant à
obliger les administrateurs à agir raisonnablement pour leur compte, ou l'action générale au
motif d'abus (« oppression »). Dans le cadre de la « Modern Company Law Review »,
l'opportunité d'adapter ces règles dans l'optique des groupes a été étudiée, mais il a été conclu
qu'elles offraient déjà un juste compromis entre la libre conduite des groupes et la protection
des créanciers et des actionnaires extérieurs.
Dans le cadre de la communication en date du 21 Mai 2003 de son plan d’action relatif à la
modernisation du droit des sociétés dans l’Union Européenne, la Commission des
communautés européennes fait état de son désir de faciliter la création et le bon
fonctionnement des groupes de sociétés, elle devra vraisemblablement lever certains
obstacles, notamment ceux inhérents au principe de l’autonomie des sociétés du groupe. Dans
le cas contraire, les entrepreneurs et les groupes pourraient hésiter à créer et à exploiter des
filiales dans des Etats membres, autres que le leur, où des lois prescrivant de subordonner les
intérêts du groupe à ceux de ses filiales sont non seulement en place, mais aussi effectivement
appliquées, fût-ce seulement en cas de difficultés financières ou d'insolvabilité. Le législateur
européen pourrait donner aux sociétés et groupes de sociétés la possibilité de faire légaliser
une « direction de groupe », sous réserve de mesures de sauvegarde appropriées (garantissant
la protection des actionnaires et des créanciers de la filiale et, en cas d'actionnaire unique, des
seuls créanciers). Il n'y aurait nul besoin d'une législation européenne développée. Les
modalités d'application pourraient être laissées à la discrétion des Etats membres, dont le droit
national des sociétés pourrait prévoir cette possibilité.
Mais le droit français tient déjà compte de la réalité des groupes. La grande majorité des
travaux réalisés sur le thème de l’opportunité d’un droit des groupes de sociétés vantent la
méthode d’élaboration ponctuelle jusqu’ici appliquée. Elle seule préserve la souplesse
souhaitée et souhaitable, dont les conventions intra-groupe tirent leur richesse.
94
Certes, le puzzle des normes légales et des solutions jurisprudentielles pourrait être complété
dans le sens de davantage de prise en compte de la particularité des groupes de sociétés. Parmi
certaines réformes envisageables, beaucoup son trop ambitieuses pour avoir la chance
d’aboutir à court terme On pourrait par exemple rêver d’une réforme d’ensemble du droit des
sociétés et plus particulièrement de celui de la personnalité morale.
Mais l’élaboration de quelques mesures spécifiques, destinées à introduire davantage de
souplesse et de libertés au sein des groupes de sociétés, notamment par le biais de diverses
règles exorbitantes de droit commun, serait une réponse adaptée et mesurée. Une législation
complète et spécifique est à notre sens inutile.
95
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T. corr. de Montbrison, 28 Mars 1934, S., 1934, p. 152, note ROUSSEAU (H.)
T.com. Paris, 23 Novembre 1992, Bull. Joly 1993, § 60 note CAMPANA (M-J.);
T.com. Paris, 1er Août 1954, Rev. Sociétés 1974, p.685, note OPPETIT.
103
Table des matières
Principales abréviations......................................................................................4
INTRODUCTION............................................................................................... 6
Première partie – Le dispositif conventionnel d’aménagement des relations
intra-groupe....................................................................................................... 14Chapitre 1 - Les mécanismes conventionnels d’aménagement du pouvoir.......................... 15
Section I – Les conventions intra-groupe et le contrôle....................................................15Sous-section 1 – Les conventions portant sur l’acquisition du contrôle au sein dugroupe............................................................................................................................15
§ 1 – La prise de contrôle à travers la notion d’influence déterminante .................. 16§ 2 – Le contrôle à travers l’action concertée........................................................... 18
Sous-section 2 – Le maintien conventionnel du contrôle............................................ 22§ 1 – L’organisation de la géographie du capital...................................................... 23§ 2 – La stabilisation du pouvoir de décision............................................................25
Section 2 – Les conventions intra-groupe et la direction du groupe................................. 29Sous-section 1 – Les conventions portant sur le pouvoir du groupe sur les dirigeants.29
§1 – La nomination du dirigeant de groupe.............................................................. 30§2 – La révocation du dirigeant de groupe................................................................37
Sous-section 2 – Les conventions aménageant les pouvoir du dirigeant au sein dugroupe............................................................................................................................39
§1 – Le transfert avec dessaisissement......................................................................40§2 – Le transfert sans dessaisissement...................................................................... 41
Chapitre 2 – Les conventions intra-groupe en tant que moyen de gestion centralisée dugroupe....................................................................................................................................44
Section I – Les conventions organisant les relations économiques au sein du groupe..... 44Sous-section 1 – La centralisation des liens financiers................................................. 44
§1 – Les conventions de trésorerie ...........................................................................44§2 — Les risques liés à la mise en place des conventions de trésorerie................... 48
Sous-section 2 – Les conventions à caractère industriel et commercial....................... 50§1 – L’aménagement conventionnel de relations d’affaires au sein du groupe........ 50§2 – Le caractère « courant » des conventions industrielles et commerciales.......... 53
Section II – Les conventions intra-groupe et les tiers....................................................... 56Sous-section 1 – Les conséquences vis-à-vis des tiers de liens étroits entre les sociétésdu groupe : la théorie de l’apparence............................................................................ 56Sous-section 2 – Les conséquences vis-à-vis des tiers de liens étroits entre les sociétésdu groupe : la théorie de l’immixtion............................................................................57
Deuxième partie - Les limites de la liberté conventionnelle au sein du
groupe de sociétés.............................................................................................. 59Chapitre 1 - Les conventions intra-groupe et le principe d’autonomie des sociétés membresdu groupe...............................................................................................................................60
Section I – Le voile de la personnalité morale des sociétés du groupe............................. 60
104
Sous-section 1 – La personne morale en tant que fiction juridique.............................. 60Sous-section 2 – Les conséquences du principe d’autonomie des sociétés du groupe. 64
Section II – La sanction de l’utilisation abusive de la personnalité morale...................... 69Sous-section 1 – L’interposition abusive de personne morale......................................70
§1 – Le cas de la fraude.............................................................................................70§2 – Le cas de la fictivité.......................................................................................... 73
Sous-section 2 – La levée abusive du voile de la personnalité morale......................... 74Chapitre 2 - Le dispositif impératif.......................................................................................77
Section I – Les règles de droit commun............................................................................77Sous-section 1 – Les principes généraux et le droit commun des contrats................... 77Sous-section 2 – Le cas particulier des statuts.............................................................. 80
Section II – L’ordre public sociétaire................................................................................86Sous-section 1 – La notion d’ordre public sociétaire....................................................86Sous-section 2 – Les limites posées par l’ordre public sociétaire.................................88
§1 – Les limites relatives...........................................................................................88§2 – Les limites absolues.......................................................................................... 90
CONCLUSION..................................................................................................92
BIBLIOGRAPHIE............................................................................................ 96I – Ouvrages généraux...........................................................................................................96
1 – Traités..........................................................................................................................962 – Manuels.......................................................................................................................96
II – Ouvrages spéciaux .........................................................................................................971. Ouvrages collectifs........................................................................................................97
Encyclopédies, Dictionnaires, Mémentos..................................................................... 972. Monographies et thèses................................................................................................. 97
II – Actes de colloques.......................................................................................................... 98III – Rapports et documents officiels.................................................................................... 99IV – Etudes doctrinales et articles ........................................................................................99IV – JURISPRUDENCE.....................................................................................................101
Cour de Cassation........................................................................................................... 101Conseil d’Etat..................................................................................................................102Cours d’appel.................................................................................................................. 102Tribunaux de commerce..................................................................................................103
105