Liem Hoang Ngoc Portrait - La Lettre du Pouvoir - Novembre 2013

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Page 8 - La Lettre du Pouvoir - S iège du PS, rue de Solferino, Liêm Hoang Ngoc nous retrouve tout sourire. Costume sombre, la va- lise rangée dans un coin, il est toujours entre deux déplacements : Bruxelles, Strasbourg, Paris et toutes les fédé- rations qu’il sillonne en fin de semaine. Cet eu- rodéputé, membre de la Commission des af- faires économiques et monétaires, est davan- tage habitué aux médias internationaux, avides de ses déclarations sou- vent à contre-courant. Lui, ses sujets, ce sont les eurobonds ou le budget de la zone euro, bref une gouvernance économique qui reste pour l’instant un vœu pieux puisque « l’on oublie toujours le Parlement euro- péen. » L’économiste nous cite à l’envi Jacques Delors : « L’UE, ça reste la simple réunion de deux entourages gouvernemen- taux. » Liêm Hoang Ngoc a un drôle de parcours et rien ne le prédesti- nait a priori à se retrouver un jour dans les travées de l’hémicy- cle bruxellois. Il arrive en France en 1968, fuyant la menace des Viêt Công au sud du pays. Ses parents s’installent à Amiens et l’encouragent à faire médecine, tout comme eux. Au lieu de cela, il choisit sport étude et jouera en championnat de France de foot- ball des moins de dix-sept ans. Mais à partir de 1981, le jeune milieu gauche, à la faveur du climat politique et du débat sur le tournant de la rigueur, raccroche les crampons et s’inscrit fina- lement en sciences économiques à l’université d’Amiens. Il se plonge alors à la découverte du milieu politique, prend sa carte au PS et rejoint l’UNEF-ID. Mais après 88, le débat sur l’ou- verture au centre et la Deuxième Gauche ne sont pas vraiment sa tasse de thé : « je voyais tous mes camarades devenir de bons petits soldats du PS, grimper dans l’appareil, mais à côté de ça, sécher intellectuelle- ment. » Il décide donc de couper avec la po- litique pour se forger sa propre grille de lecture et entame une thèse socio-économique à Paris 1. Il lit, écrit, publie, participe à des colloques jusqu’en 1995. C’est finalement en 1996, à la suite des grèves contre le Gou- vernement d’Alain Juppé, et lorsque le sociologue Pierre Bour- dieu lance les « États généraux du mouvement social », que la politique le rattrape. Il devient l’un des initiateurs de « l’Appel des économistes pour sortir de la pensée unique ». Un combat qui jalonne sa vie, accompagné de l’écriture de quantité d’ouvrages qu’il tire de son cartable comme Mary Poppins son mobilier, et qu’il nous offre avec son infatigable sourire : « oui, oui, c’est pour vous, je vous les donne, c’est ça le socialisme ! » L’homme ne manque pas d’humour... Au menu de ses livres : Un manuel d’économie « hétérodoxe », Le verrou conservateur européen, Il faut faire payer les riches, Vive l’impôt ! L’auteur annonce la couleur... A partir de 2000, il se rapproche d’Henri Emmanuelli et cofonde le club Démocratie-Egalité afin de renouveler le logiciel pro- grammatique du PS. Peine perdue. Son mentor, « son père » comme il l’appelle aussi, souffre d’un déficit d’image et se trouve ringardisé. Circonstance aggravante aux yeux des médias : l’as- sociation en 2002 avec Jean-Luc Mélenchon. Pourtant, Liêm Hoang Ngoc croit en son champion. « C’est le surdoué que l’on fait passer pour l’idiot. En 2005, après avoir milité pour le « non », si lui ou Laurent Fabius s’était présenté à la présiden- tielle, il l’aurait emporté. » Un rendez-vous volontairement man- qué avec l’Histoire, par souci de « ne pas casser le jouet ». « Le parti est resté mais le débat s’est refermé », déplore-t-il. « Au- jourd’hui ce sont les Mélenchon, Le Pen, Dupont-Aignan qui re- présentent l’opposition à l’Europe, des gens qui n’ont pas intérêt à la faire avancer. Alors que nous sommes les seuls vrais oppo- sants fédéralistes. » Au PS, son engagement prend du corps, s’affirme ; il devient chroniqueur en 2008 sur France Inter pour parler « multiplica- teur » et « politique de relance keynésienne ». Dans l’entourage d’Emmanuelli, on le pousse du coude, lui fait comprendre qu’il a sa chance sur une liste. « Pour Henri, ce qui compte, c’est le suf- frage universel. Sans ça, je restais un écrivailleur de faculté sans trop de légitimité. » Bien placé sur la liste des européennes, il se défend en revanche d’avoir été favorisé par la discrimination positive : « je ne crois pas en ce principe. Ni la parité ni les quotas ne sont nécessaires, la transformation doit se faire sur le fond, au sein de nos socié- tés et par le mérite. » Elu en 2009, il découvre un Parlement moins clivé qu’en France et se spécialise rapidement sur la gou- vernance économique. L’occasion pour lui de critiquer une Com- mission très libérale et dont les recommandations ne lui paraissent pas justifiées. « Franchement, beaucoup de prévisions se font au doigt mouillé et il n’y a pas de raison pour que l’on refuse au Parlement plus de contrôle sur des choix contestables. » Liêm Hoang Ngoc milite pour une politique à la fois de l’investissement et de la demande, et non pas de l’offre qui « profite uniquement aux marges des entreprises ». Pour l’heure, l’eurodéputé s’en va discuter de la politique bud- gétaire du Gouvernement à la section PS de Reims avec Karine Berger. Pourtant, ce soir, il y a un match de l’équipe de France et il s’en plaint : « ce n’est pas faute de leur avoir dit que pour être plus proche des Français il faut éviter les réunions les soirs de match. » Liêm Hoang Ngoc a retenu la leçon, il ne se fera pas ringardiser. Liêm Hoang Ngoc Portrait Défendre l’Europe contre l’Europe Par Joseph d’Arrast « Franchement, beaucoup de prévisions de la Commission se font au doigt mouillé. » Ce député PS du Parlement européen, professeur d’économie “hétérodoxe”, milite pour une Europe plus fédéraliste et un équilibrage du pouvoir entre la Commission et les eurodéputés. ©JP Baron

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Siège du PS, ruede Solferino, LiêmHoang Ngoc nous

retrouve tout sourire.Costume sombre, la va-lise rangée dans uncoin, il est toujours entredeux déplacements :Bruxelles, Strasbourg,Paris et toutes les fédé-rations qu’il sillonne enfin de semaine. Cet eu-rodéputé, membre de laCommission des af-faires économiques etmonétaires, est davan-tage habitué aux médiasinternationaux, avidesde ses déclarations sou-vent à contre-courant.

Lui, ses sujets, ce sont les eurobonds ou le budget de la zoneeuro, bref une gouvernance économique qui reste pour l’instantun vœu pieux puisque « l’on oublie toujours le Parlement euro-péen. » L’économiste nous cite à l’envi Jacques Delors : « L’UE,ça reste la simple réunion de deux entourages gouvernemen-taux. »

Liêm Hoang Ngoc a un drôle de parcours et rien ne le prédesti-nait a priori à se retrouver un jour dans les travées de l’hémicy-cle bruxellois. Il arrive en France en 1968, fuyant la menace desViêt Công au sud du pays. Ses parents s’installent à Amiens etl’encouragent à faire médecine, tout comme eux. Au lieu de cela,il choisit sport étude et jouera en championnat de France de foot-ball des moins de dix-sept ans. Mais à partir de 1981, le jeunemilieu gauche, à la faveur du climat politique et du débat sur letournant de la rigueur, raccroche les crampons et s’inscrit fina-lement en sciences économiques à l’université d’Amiens.

Il se plonge alors à la découverte du milieu politique, prend sacarte au PS et rejoint l’UNEF-ID.Mais après 88, le débat sur l’ou-verture au centre et la Deuxième Gauche nesont pas vraiment sa tasse de thé : « jevoyais tous mes camarades devenir de bonspetits soldats du PS, grimper dans l’appareil,mais à côté de ça, sécher intellectuelle-ment. » Il décide donc de couper avec la po-litique pour se forger sa propre grille de lecture et entame unethèse socio-économique à Paris 1. Il lit, écrit, publie, participe àdes colloques jusqu’en 1995.

C’est finalement en 1996, à la suite des grèves contre le Gou-vernement d’Alain Juppé, et lorsque le sociologue Pierre Bour-dieu lance les « États généraux du mouvement social », que lapolitique le rattrape. Il devient l’un des initiateurs de « l’Appel deséconomistes pour sortir de la pensée unique ». Un combat quijalonne sa vie, accompagné de l’écriture de quantité d’ouvragesqu’il tire de son cartable comme Mary Poppins son mobilier, et

qu’il nous offre avec son infatigable sourire : « oui, oui, c’est pourvous, je vous les donne, c’est ça le socialisme ! » L’homme nemanque pas d’humour... Au menu de ses livres : Un manueld’économie « hétérodoxe », Le verrou conservateur européen,Il faut faire payer les riches, Vive l’impôt ! L’auteur annonce lacouleur...

A partir de 2000, il se rapproche d’Henri Emmanuelli et cofondele club Démocratie-Egalité afin de renouveler le logiciel pro-grammatique du PS. Peine perdue. Son mentor, « son père »comme il l’appelle aussi, souffre d’un déficit d’image et se trouveringardisé. Circonstance aggravante aux yeux des médias : l’as-sociation en 2002 avec Jean-Luc Mélenchon. Pourtant, LiêmHoang Ngoc croit en son champion. « C’est le surdoué que l’onfait passer pour l’idiot. En 2005, après avoir milité pour le« non », si lui ou Laurent Fabius s’était présenté à la présiden-tielle, il l’aurait emporté. » Un rendez-vous volontairement man-qué avec l’Histoire, par souci de « ne pas casser le jouet ». « Leparti est resté mais le débat s’est refermé », déplore-t-il. « Au-jourd’hui ce sont les Mélenchon, Le Pen, Dupont-Aignan qui re-présentent l’opposition à l’Europe, des gens qui n’ont pas intérêtà la faire avancer. Alors que nous sommes les seuls vrais oppo-sants fédéralistes. »

Au PS, son engagement prend du corps, s’affirme ; il devientchroniqueur en 2008 sur France Inter pour parler « multiplica-teur » et « politique de relance keynésienne ». Dans l’entouraged’Emmanuelli, on le pousse du coude, lui fait comprendre qu’il asa chance sur une liste. « Pour Henri, ce qui compte, c’est le suf-frage universel. Sans ça, je restais un écrivailleur de faculté sanstrop de légitimité. »

Bien placé sur la liste des européennes, il se défend en revanched’avoir été favorisé par la discrimination positive : « je ne croispas en ce principe. Ni la parité ni les quotas ne sont nécessaires,la transformation doit se faire sur le fond, au sein de nos socié-tés et par le mérite. » Elu en 2009, il découvre un Parlementmoins clivé qu’en France et se spécialise rapidement sur la gou-vernance économique. L’occasion pour lui de critiquer une Com-mission très libérale et dont les recommandations ne lui

paraissent pas justifiées. « Franchement,beaucoup de prévisions se font au doigtmouillé et il n’y a pas de raison pour quel’on refuse au Parlement plus de contrôlesur des choix contestables. » Liêm HoangNgoc milite pour une politique à la fois de

l’investissement et de la demande, et non pas de l’offre qui« profite uniquement aux marges des entreprises ».

Pour l’heure, l’eurodéputé s’en va discuter de la politique bud-gétaire du Gouvernement à la section PS de Reims avec KarineBerger. Pourtant, ce soir, il y a un match de l’équipe de Franceet il s’en plaint : « ce n’est pas faute de leur avoir dit que pour êtreplus proche des Français il faut éviter les réunions les soirs dematch. » Liêm Hoang Ngoc a retenu la leçon, il ne se fera pasringardiser.

Liêm Hoang Ngoc

Portrait

Défendre l’Europe contre l’EuropePar Joseph d’Arrast

« Franchement, beaucoupde prévisions de la

Commission se font audoigt mouillé. »

Ce député PS du Parlement européen, professeur d’économie “hétérodoxe”, milite pour une Europe plusfédéraliste et un équilibrage du pouvoir entre la Commission et les eurodéputés.

©JP Baron