L'héritage de la Révolution sous la Seconde République...

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L'HERITAGE DE LA REVOLUTION SOUS LA SECONDE REPUBLIQUE DANS LE VAUCLUSE Le 2 décembre 1851 Louis Napoléon effectue son fameux coup d'état, qui marque la chute de la Seconde République. Les réactions des quatre arrondissements du département du Vaucluse à propos de cette action, contrastent nettement. Presque toutes les communes de l'arrondissement d'Apt prennent des armes aux nouvelles du coup d'état. Les jeunes gens s'organisent en colonnes et volent à la défense de la Seconde République en se dirigeant vers L'lsle-sur-Sorgue et Avignon. Les communes de l'arrondissement d'Orange connaissent une participation moins marquée; on y voit des révolutions municipales effeCtuées par des Républicains en petit nombre; mais presque nulle part on ne perçoit des mouvements quasi- militaires comme ceux des hommes enthousiastes du pays d'Apt. On y distingue quand même une exception importante. les communes voisines de Sainte-Cécile et Cairanne, qui envoient des colonnes d'hommes vers Orange. Dans l'arrondissement d'Avignon, plusieurs communes, riveraines de la grande route qui relie Apt et Avignon, voient passer les colonnes des hommes du pays d'Apt, mais elles ne font aucune preuve de vouloir suivre cet exemple insurrectionnel, et il n'y a qu'un très petit nombre d'individus, agissant de leur propre chef, qui se joignent aux colonnes aptésiennes. L'arrondissement de Carpentras est tout à fait tranquille; la commllne de Vel1eron seule prend part au mouvement insurrectionnel 1. A l'exception de l'arrondissement d'Apt . on trouve donc un Vaucluse peu intéressé à se soulever pour la cause républicaine. Pourquoi trouve-t-on tout de même au milieu de cet océan conservateur deux communes isolées - Sainte-Cécile et VeIleron - qui se conduisent plutôt à la manière des communes de l'arrondissement d'Apt? On a souvent cherché l'origine de cette radicalisation villageoise dans les structures sociales et le développement économique 2. Par exemple Vigier explique les affiliations politiques au milieu du dix-neuvième siècle en termes de rapport entre les propriétés de grande, moyenne et petite superficie ). Je propose par contre de lier cette 1. Archives Dépanementales du Vaucluse, lM 774-78 2. T. MARGADANT, Frt11ch Ptas ants in RevoIt (Princeton, New Jersey, 1979). 3. P. VIGIER, La Secondf Répllbliqllf dans la Région AJpiru (Paris. 1963) Provence Hiswnque. fascicule 148, 1987

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L'HERITAGE DE LA REVOLUTION SOUS LA SECONDE REPUBLIQUE

DANS LE VAUCLUSE

Le 2 décembre 1851 Louis Napoléon effectue son fameux coup d'état , qui marque la chute de la Seconde République. Les réactions des quatre arrondissements du département du Vaucluse à propos de cette action, contrastent nettement. Presque toutes les communes de l'arrondissement d'Apt prennent des armes aux nouvelles du coup d'état. Les jeunes gens s'organisent en colonnes et volent à la défense de la Seconde République en se dirigeant vers L'lsle-sur-Sorgue et Avignon. Les communes de l'arrondissement d'Orange connaissent une participation moins marquée; on y voit des révolutions municipales effeCtuées par des Républicains en petit nombre; mais presque nulle part on ne perçoit des mouvements quasi­militaires comme ceux des hommes enthousiastes du pays d'Apt. On y distingue quand même une exception importante. les communes voisines de Sainte-Cécile et Cairanne, qui envoient des colonnes d'hommes vers Orange . Dans l'arrondissement d'Avignon , plusieurs communes, riveraines de la grande route qui relie Apt et Avignon, voient passer les colonnes des hommes du pays d'Apt, mais elles ne font aucune preuve de vouloir suivre cet exemple insurrectionnel, et il n'y a qu'un très petit nombre d'individus, agissant de leur propre chef, qui se joignent aux colonnes aptésiennes. L'arrondissement de Carpentras est tout à fait tranquille; la commllne de Vel1eron seule prend part au mouvement insurrectionnel 1. A l'exception de l'arrondissement d'Apt . on trouve donc un Vaucluse peu intéressé à se soulever pour la cause républicaine. Pourquoi trouve-t-on tout de même au milieu de cet océan conservateur deux communes isolées - Sainte-Cécile et VeIleron - qui se conduisent plutôt à la manière des communes de l'arrondissement d'Apt? On a souvent cherché l'origine de cette radicalisation villageoise dans les structures sociales et le développement économique 2. Par exemple Vigier explique les affiliations politiques au milieu du dix-neuvième siècle en termes de rapport entre les propriétés de grande , moyenne et petite superficie ). Je propose par contre de lier cette

1. Archives Dépanementales du Vaucluse, lM 774-78 2. T. MARGADANT, Frt11ch Ptasants in RevoIt (Princeton, New Jersey, 1979). 3. P. VIGIER, La Secondf Répllbliqllf dans la Région AJpiru (Paris. 1963)

Provence Hiswnque. fascicule 148, 1987

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manifestation de radicalisation républicaine aux traditions politiques enracinées pendant la Première République. Est-ce que Sainte-Cécile et Velleron suivent un parcours révolutionnaire bien différent de celui d'une commune qui se révèle conservatrice au cours du dix-neuvième siècle (dont on citera l'exemple: Malemort)? Ou bien est-ce que nos deux villages radicalisés passent la Révolution de la même manière que les vi llages de l'arrondissement d'Apt?

Comme presque toutes le~ communes du ci-devant Comtat Venaissin. le village de Malemon est fon divisé pendant la période révolutionnaire, à la fin de laquelle on trouvera peu de Républicains entre ses murs. Comme toutes les communes aux alentours de Carpentras, Malemon avait souffert les excès et les violences auxquels l'armée avignonnaise s'était livrée pendant le siège de Carpentras au printemps de 1791. Elle avait également été victime des taxateurs qui ont pillé et détruit les châteaux et autres propriétés, occasionnant des dégâts importants pendant l'automne de 1792 '. Dans cette ambiance d'insécurité, les habitants de Malemort se réunissent en société populaire en septembre 1792 '. Les membres sont bientôt divisés en deux factions: les patriotes qui sont pour une surveillance rigoureuse et un châtiment draconien des adversaires de la Révolution pour que les Républicains ne subissent pas le même sOrt que ceux de Caromb (sept avaient été massacrés de retOur du pacte fédératif à Avignon en juillet 1791) 6; et \es modérés qui veulent faire face à l'anarchie et aux actions arbitraires des patriotes. Le club est d'abord dominé par les modérés; Charles Henri Bonadona, ci -devant noble en est président, Joseph Marie Boy, secrétaire. Mais le club devient de plus en plus exclusif. Au mois d'avril 1793 " il a été délibéré de ne plus recevoir personne à la société qui ne donneront des marques non équiyoques de leur civisme» , et en août «( il a été délibéré de former une barre pour séparer les sans-culottes d'avec les autres. » La visite du commissaire Ruchon à Malemort à la fin d'août a comme but la séparation « des vrais sans-culottes d'avec les aristocrates. »

Cette commission met en place une municipalité et un club dominés par les patriotes. La domination des chefs traditionnels du village est terminée, et c'est le groupe minoritaire de patriotes avec le soutien de la force militaire qui les remplace. Les rivalités continuent, et en nivôse an II la société de Carpentras qui reçoit des pétitions veut connaître «( les causes qui avaient divisé une partie des Républicains d'avec le plus grand nombre n. Barjavel, l'accusateur public, écrit au club de Malemort, le 25 nivôse: " Ralliez-vous

4. Archjves Départementales de la Drôme, L 196 L A.D. Vaucluse 6 L ; . 6. A.D. Vaudus< 7 L 12

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tous; soyez unis; excluez de votre sein les ennemis de la patrie et sévissez contre eux par les moyens que la loi nous fournit. » Les patriotes suivent cette recommandation contradictoire. Il était à prévoir, que ce n'est pas l'unité mais des haines encore plus effrénées qui résultent de cette politique de persécution. Les aristocrates sont exclus de la société au cours de l'épuration commencée le 29 prairial. Bonadona est mis à l'appel comme tant d'autres et ceux qui avait joué un rôle dominant pendant les premières années du club sont maintenant déclarés suspects. emprisonnés. leurs familles maltraitées et humiliées. Ce n'est qu'avec la chute de Robespierre qu'on voit le retour des modérés. Une épuration effectuée par Bonadona et Boy chasse "les vils satellites de l'hypocrite Robespierre n. Donc on ne trouve dans la société populaire que les divisions intestines, les épurations, les dénonciations et les rivalités personnelles . L'adoption d'une politique de gouvernement rigoureuse ne crée que des antagonismes à MaJemon et pour la plupart des habitants la Révolution est une expérience des plus désagréables.

Et comme dans toutes les communes où les patriotes menacent la domination administrative des anciennes élites. Ja répression est sévère. En l'an VII Malemort est a célèbre par les assassinats des Républicains qui l'ont ensanglanté » 7. Les bandes d'égorgeurs tuent ici sans pitié et ouvertement. Le 3 pluviôse an V Joseph Roux est fusillé et jeté par la fenêtre. En bas on enlève et brùle ses vêtements, et on coupe son corps en morceaux. Boy, J'agent municipal et d'autres « aristocrates ») promènent dans les rues de Malemort un morceau de ce corps à la pointe de leur baïonnette. Cet assassinat provoque un véritable exode des patriotes. Roux père déclare qu'il va chercher une commune « où il peut recevoir les seCQurs dont il a besoin et ne pas courir le risque d'être assassiné» s. Les hommes qui étaient républicains modérés et surnommés aristocrates se vantent maintenant d'être des Royalistes« de la Compagnie de Jésus et du Soleil, et qu'en cette qualité ils devaient tout détruire» 9. MaJemon devient un pays épuré de la race républicaine; le juge de paix du canton de Mazan écrit en ventoS< an VIn « qu'à Malemort ils se sont débarrassés de tous leurs Républicains» JO.

Malemort reste pendant le dix-neuvième siècle passionnément royaliste et légitimiste. Pendant les Cent Jours une tranquillité parfaite règne. le village qui« ne compte pas un selù fédéré )) se vante d'être « un des derniers à mettre le drapeau tricolore» et « un des premiers à faire flotter dans ses murs et sur ses édifices publics. l'heureux emblème du lys n. " Les municipalités et conseils municipaux sont dominés par les descendants des

7. AD. Vauduse 1 L 223 8. A.D . Vaucluse 7 L 85 . 9. Ibid.

10. AD. Vauduse 1 L 223 Il . AD. Vauduse 2 M JO .

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" aristocrates" et des égorgeurs. Pendant la monarchie de juillet Jules Bonadona est maire bien qu'il soit ( carliste bien prononcé» 12, Et le comité soi-disant républicain nommé en mars 1848 est rempli des hommes de cette faction: Flandrin-Borone est maire et Jules Bonadona et François Veyrier sont commissaires municipaux il. L'infiltration des carlistes dans ces administrations reflète la domination des c( blancs)} à Malemort, plutôt qu'une trahison de leurs principes. Chose peu étonnante alors, le républicanisme ne ttouve pas de partisans à Malemort pendant la Seconde République. « Un cercle de jeunes garçons» établi par des étrangers à une vic de brève échéance ". Il n'y a pas d'insurrection en décembre 18) 1.

Sainte-Cécile. cette commune qui se révèle radicalisée au dix-neuvième siècle, est comme Malemort bien divisée pendant la Révolution, mais il y a des différences perceptibles entre les deux communes. Sainte-Cécile se fait remarquer des autorités à cause de la fédération qui a lieu sur son territoire en avril 1791 IS. Dépeinte par les Avignonnais comme un second camp de Jalès, Sainte-Cécile est désormais bien surveillée par les troupes françaises. et les chefs de cette fédération, dont plusieurs hommes de Sainte-Cécile, SOnt obligés de fuir. Un puissant groupe patriote s'établit sous l'influence de Jean­Baptiste Maurie. Ce groupe patriote domine nettement les modérés menés par Saussac. Maurie exploite l'animosité que ressent la population envers ce « faux patriote ») Saussac, agent du ci-devant seigneur. Raoulx. émigré. Et il me semble à ce propos que les clivages qui se manifestent pendant la Révolution ont souvent leurs origines dans les disputes de l'Ancien Régime. comme l'a démontré la communication de M. Pélaquier. En septembre 1792 c'est Maurie et l'administration patriote qui organisent les contributions forcées demandées à Saussac et ses partisans. Maurie distribue l'argent à une centaine des habitants les plus pauvres du village 16, La Terreur est sévère ici: le groupe réactionnaire est persécuté; il n'y a pas de victime de Sainte­Cécile à la Commission Populaire d'Orange, mais plusieurs modérés doivent quitter le village. comme Serpelin qui reste à Montélimar jusqu'en brumaire an III «( pour y avoir sa tranquillité» 18. Une fois les « aristocrates » comme Serpelin de retour, ce sont les patriotes qui se trouvent menacés. Mais chose importante. on a vu, à Malemort, que le parti patriote était trop faible pour se maintenir pendant la réaction thermidorienne et se trouve expulsé de la commune. A Sainte-Cécile par contre, les patriotes, en plus grand nombre

12. A.D. Vaudu", 2 M 6l. Il . A.D. Vaudu", 2 M 67 14. A.D. Vauduse 1 M 751 Il. A.D. Drôme L 197 16. A.D. Drôme L 196 \7. A.D. Vaucluse 6 L supplément. en cours de classement

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qu'à Malemon, tiennent tête à la persécution dite ( royaliste )). Ils n'en éprouvent pas moins des difficultés et se trouvent eux aussi obligés de se retirer, mais ce ne sont que des absences provisoires, comme en frimaire an III quand une foule animée hue Mauric et ses partisans: « Au diable Robespierre et tous ceux qui le ressemblent)} 18 , Mais les adversaires des Terroristes ne se montrent pas très meurtriers; on ne parle jamais d'égorgeurs dans cette commune. n y a quand même « une infinité d'assassinats non consommés exercés sur tous ceux qui avaient donné la moindre marque de républicanisme. ») Dupré dit Gigot est jeté sur un feu et presque brûlé vif. mais d'après toute évidence il n'y a qu'un seul patriote tué. Gabriel Orange , le 12 germinal an V". Cette action n'est pas suffisante pour chasser les patriotes du village. Encore une chose distinctive, c'est l'intervention de la municipalité Paulus, qui protège les patriotes persécutés en proclamant en nivôse an III que tout citoyen qui insulte un autre sera traité comme ennemi de la «( tranquillité publique)) 20. Saussac n'arrive donc pas à débarrasser la commune des Terroristes pendant la période favorable. c'est-à-dire avant le 18 fructidor. Se décrivant comme «républicain honnête)), il tonne contre « les chiens et queue de Robespierre» et par conséquent dix-sept Terroristes sont arrêtés en germinal an III, mais Mauric n'est pas de ce nombre 21. Il reste en liberté pour combattre par lettre les accusations de Saussac et il arrive à mettre en liberté les Terroristes emprisonnés, qui rentrent dans le village pour assurer la survie du parti républicain.' En nivôse an VI, on retrouve Mauric à Orange, où il se fait nommer commissaire du directoire exécutif. De cette position il déclenche une campagne de dénonciation contre Saussac «( reconnu pour chef du parti royaliste)) et ses partisans, « ces cannibales royalistes, ne respirant que le carnage et altérés du sang républicain» 21. Saussac est accusé en 'plus d'avoir organisé, grâce à sa position de juge de paix. le déplacement des prisonniers d'Orange à Pont-Saint-Esprit. massacrés à Mondragon en prairial an III 2'.

Quand en germinal an VI une municipalité conservatrice est élue. Maurie la dénonce comme «une municipalité chouanne ) dont les membres étaient c( des parents d'émigrés. des sonneurs de tocsin. des déserteurs. des satellites de Saint-Christol. des coupeurs d'arbres de liberté n 2'. En prairial an VI. il raconte aux autorités que trois fois Saussac avait organisé des cortèges d'une quarantaine d'individus habillés en pénitents blancs. Une croix est mise à la place de l'arbre de la liberté. on récite cinq Paters et Ave pour le retour du roi et la destruction des armées de Bonaparte, et on termine avec une farandole aux cris de « Vive le Roi! Vive le Pape! A bas la République et

lB. Ibid. 19. AD. Vauelus< 1 L 226 20. A.D. Vaucluse 6 L supplément. 21. A.D. Vaudus< 1 L 226 22 . A.D. Vauelus< IL227. 23. AD. Vauelus< 1 L 226.

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les Républicains!» ". Donc grâce à l'énergie et à la détermination de Maurie. la faction républicaine se maintient à Sainte-Cécile, ce qui n'est pas le cas dans. les autres villages de ce pays. où la proximité de la frontière départementale avec la Drôme ne facilite que trop les manœuvres des bandes royalistes de Saint-Christol. Montauban et de Lestang,

Jusqu'à la Seconde République, on trouve Sainte-Cécile encore divisée entre deux factions, dont les chefs sont toujours les descendants de Maurie et de Saussac. Le village, mené par son maire Jean-Mathieu Mauric. accueille la révolution de juillet 1830 avec des« chansons patriotiques» et l'érection des arbres de liberté. Un certain Joseph Saussac porte plainte au préfet contre le comportement du maire. Maurie à son tour dénonce « cette faction ennemie dont cet homme que l'opinion générale avait constamment repoussé de toutes les administrations, est le chef et le plus ardent perturbateur du repos public. » Au cours de la monarchie de juillet. Mauric lutte à maintes reprises au sein du conseil municipal contre Saussac en faveur de l'instruction publique". Pendant la Seconde République c'est un Charles Napoléon Mauric qui est nommé maire le 29 mars 1848. La société de la Montagne est présidée par Denis Doux. aubergiste: Alexis Orange en est chef de section: ils sont touS les deux descendants des Terroristes de la Première République. Il n'est pas surprenant que cette commune, où on distingue une puissante tradition de républicanisme qui remonte à l'époque révolutionnaire, envoie une colonne de 80 hommes vers Orange pendant la nuit du 5 décembre ) 8 5) en défense de " la bonne République" 26

L'histoire de Velleron entre 1789 et 1851 ressemble beaucoup à celle de Sainte-Cécile. Un groupe de patriotes gagne l'appui d'une section importante de la population, domine pendam la Terreur et traduit ses adversaires devant la Commission Populaire d'Orange (dix Velleron ais y sont guillotinés). Pendant la Révolution, elle est peut-être une des communes les plus ensanglantées du Vaucluse. Le commissaire du directoire exécurif du département en dit autant en prairial an VII : «( Les deux partis qui ont constamment divisé la commune de Velleron se sont persécutés avec un acharnement qui n'a pas d'exemple" ". A partir de l'an III . elle est souvent visitée par la bande d'égorgeurs de PastOur, à laquene se joignent plusieurs parents des guillotinés, comme Rosty et Dany. En plus la jeunesse ami-républicaine des villages qui cernent Velleron est souvent invitée dans la commune pour se livrer aux violences contre les Terroristes, comme par

24. rbid. 25. A.D. Vaucluse 2 M 67 26. A.D. Vaucluse lM 777 27 . Archives Nationales FlcllL Vaucluse 5

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exemple le 25 fructidor an IV quand Dany entre dans Velleron avec des hommes de Pernes en les encourageant: " Il faut les faire périr, tous ces patriotes, il faut qu'il n'en échappe pas un, il faut faire main-basse jusque sur les vieillards et les enfants au berceau» 28. Les Terroristes périssent ici, comme Jacques Grillet qui est tué quand «les royalistes de Velleron organisent une fête de l'ancien régime connue sous le nom de Carri » le 24 floréal an VII. Le 15 vendémiaire an VI, Joseph Maillet eSt laissé presque mOrt par la bande de Pastour, accompagnée de Rosty ". Il en réchappe, comme on le verra tout à l'heure. Comme à Sainte-Cécile, plusieurs Républicains quittent le village à titre provisoire, tels Joseph Philip et les fils de Jacques Grillet en frimaire an V. Mais leur départ n'est pas définitif, parce que ce n'est que quand les hommes des autres communes renforcent leurs adversaires locaux que la situation devient pénible pour les Républicains. Comme à Sainte-Cécile, ils ont l'appui d'une municipalité sympathisante, accusée en germinal an III d'être "composée presque entièrement de gens suspects de Robespierrisme» 30, Ce qui permet au Terroristes de recourir eux-mêmes à la violence contre leur adversaires. En brumaire an IV ils en arrêtent arbitrairement quatre et les accusent pendant un simulacre de procès d'être les complices de l'assassinat commis sur la personne du maire de la Roque sur Pernes et autres de Velleron. On les condamne à mort; ils sont ligotés et amenés à Pernes où ils passent la nuit en prison avaRt d'être libérés. En plus ils délibèrent de faire venir les canons d'Avignon pour raser le village« à la Bèdoin " li. En brumaire an VI André Barret, traité comme égorgeur par les Terroristes, - deux fois il avait été traduit devant les tribunaux accusé de participation dans la réaction royale sans être condamné - est assommé 32. Pendant la réaction royaliste Velleron devient un lieu d'asile pour les Terroristes fuyant la persécution ail1eurs, En fructidor an IV, trente étrangers des communes circonvoisines et des Bouches-du-Rhône s'installent ici 33. A la fin du Directoire Velleron est bien renommée pour son républicanisme. C'est une tradition que transmettent, aux générations suivantes, les enfants de l'époque révolution­naire qui assistent fréquemment aux attroupements républicains, comme celui du 14 brumaire an IV où on chante « Vive à jamais, vive à jamais les sans-culottes! » 34.

On perçoit facilement la continuation de ct'tte tradition au cours du dix-neuvième siède, Les Terroristes continuent à dominer les positions administratives: Joseph Maillet qui n'avait pas succombé à ses blessures en

28. A.D. Vaucluse 7 L 81 29, A.D. Vaucluse 7 L 86 30. A.D. Vaucluse 1 L 218 31. A.D. Vaucluse 7 L 64 32. A.D. Vauclu", 1 M 223 H.A.D. Vaucluse 7L81 34. A.D. Vaucluse 7 L 64

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l'an VI est conseiller municipal pendant la Restauration. Après la révolution de juillet 1830, une pétition demande" l'administration des Cent Jours. " L'adjoint nommé en août 1830 s'appelle Jacques Grillet - c'est le fils de Sébastien et le petit-fils de Jacques, assassiné en l'an VII. Quand même il ne plaît pas trop aux autorités à cause de « l'ardeur de ses opinions. » Au mois de mars 1834 (( une association républicaine» est établie: « c'est un nommé Grillet oncle de l'adjoint de ce nom qui en est, dit-on, président. ,,(C'est le Terroriste Pierre Grillet) ". Le comité républicain établi après la révolution de février 1848 est également dominé par les descendants des Terroristes, car Pierre Grillet en est maire et Sébastien Michelier adjoint". En décembre 18 j 1. quand le tocsin sonne, une vingtaine" d 'amis de l'ordre fuient le danger et se rassemblent chez Sébastien Barret. » Parmi eux on trouve Pierre Dany et Michel André. Cependant une centaine de Républicains armés parrent vers Avignon en chantant la Marseillaise ".

Tandis que Velleron et Sainte-Cécile SOnt devenues de véritables il« de Républicanisme au milieu d'une région extrêmement conservatrice. Oppède est une commune comme la vaste majorité des communes du pays d'Apt qui traversent la Révolution tranquillement. Bien qu'Oppède fasse parrie du Comtat Venaissin à la veille de la Révolution, le village ne souffre pas des excès de l'armée avignonnaise qui ne se déplace pas à l'est de Cheval Blanc. Elle ne connaît pas non plus en automne 1792 l'anarchie qui s'empare de la région carpentras sienne. JI y a peu d'émigrés, peu de suspects, aucun problème grave en ce qui concerne les prêtres réfractaires; aucune victime à la Commission Populaire d'Orange; et aucun assassinat pendant la « réaction royale», Les habitants d'Oppède peuvent donc profiter tranquillement des bénéfices de l'abolition de la féodalité . Il ya pourtant les mêmes institutions révolutionnaires que dans les trois autres villages. Mais Oppède, se trouvant dans une région où la tranquillité et l'ordre restent respectés, il n'y a aucun besoin d'adopter les mesures extrêmes que prônent les patriotes à V dleron et à Sainte-Cécile aussi bien qu'à Malemort. Donc le gouvernement révolutionnaire est doux et tolérant à Oppède ; les habitants ne sont pas divisés en deux partis. au contraire ce qui frappe quand on étudie les registres de la société populaire. c'est l'harmonie qui règne dans le village". Le club d 'Oppède interprète les lois et les instructions révolutionnaires avec circonspection ; il rejette les instructions qui pourraient provoquer des troubles au sein de la communauté, par exemple la recommandation reçue le 10 germinal an Il, qui demande l'exclusion du club

3) . A.D. Vauclus< 2 M 67 36. A.D. Vauclus< 1 M 77). 37. A.D. Vauclus< 1 M 748.

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des membres qui manquent trois séances consécuti ves. On accepte la motion d'un membre qui constate qu'« une pareille mesure pourrait compromettre la cause de l'égalité en attirant la jalousie. et la désunion pourrait occasionner aux sans-culottes des désagréments, et qu'il trouverait plus à propos et pour le plus grand bien de tâcher par la prédication républicaine de faire rentrer dans la carrière de la liberté ceux qui par indifférence avaient pu s'en écarter. que la voix de la douceur ramènerait plus facilement le peuple de campagne aux principes révolutionnaires que celle de la rigueur. ») Pour les mêmes raisons il n'y a pas d'épuration à Oppède et les membres ne dénoncent pas leurs concitoyens. Les mesures prises ne sont pas accompagnées de violences et excès qu'on trouve par exemple à Malemort. Donc. on évite tout à fait les clivages qu'a provoqués la politique rigide à Malemort. Libéré des divisions, le club s'occupe des problèmes sociaux et surtout de la charité. Le club fait tout pour que les terres du ci-devant seigneur puissent être cultivées par les pauvres (séances du 25 vendémiaire et du 6 et Il brumaire, an Il). Les membres plus aisés donnent de bon cœur les donations patriotiques « pour payer la cote des plus pauvres citoyens frères" (le 5 ventôse, an Il). La troisième décade de messidor est nommée « une décade de bienfaisance. )} Pour que les cultivateurs les plus pauvres puissent assister à un repas patriotique, le club décide de payer leur journée de travail (le 5 brumaire. an II). En plus le club a un rôle pédagogique; on donne à la population une éducation dans les principes révolutionnaires. Les articles de la Déclaration des Droits de l'Homme et l'Acte Constitutionnel sont expliqués pendant les séances (le 18 frimaire, an II). Et, chose importante, on essaye de transmettre ces principes aux enfants: « Il faut que les pères et les mères rappellent leurs enfants à l'honneur de combattre les tyrans" (le 20 prairial, an II). Les idées républicaines sortent de la salle de séances dans les rues du village pour être adoptées par tous. Il n'y a pas de barrière qui sépare la majorité de la population d'une minorité sélective qui domine le club comme à Malemort. Une séance extraordinaire où on annonce la prise de Toulon se termine avec une farandole à laquelle tout le monde assiste. en criant « Vive la République! Vive les sans-culottes! Vive l'armée du Midi! " Les jeunes filles chantent les c( airs patriotiques » et {( l'hymne de la patrie » devient {( le chant d'allégresse de tous" (30 frimaire, an Il). Les enfants sont souvent introduits au sein du club: un enfant de 12 ans prononce un discours patriotique suivi de la récitation de l'Acte Constitutionnel (le 20 germinal, an II).

Donc l'unité, introuvable dans les autres communes étudiées, règne ici. Mais le langage reste fortement militaire. On crée une «légion montagnarde» en frimaire an II. Les clubistes jurent «( de répandre plutôt jusqu'à la dernière goutte de leur sang, que de permettre qu'il soit jamais porté atteinte à la sans-culotterie »(le Il brumaire, an II). Sacrifier sa vie en défense de la République devient l'ultime honneur. On regarde la journée révolutionnaire du 10 août comme une « sainte insurrection». {le 10

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JJf,

thermidor, an 11). Les nouvelles des victoires républicaines exaltent et presque déifient le soldat républicain: "Les satellites des tyrans coalisés fuyent à l'approche des héros républicains" (le 1) thermidor, an 11). Tout habitant qui porte des armes et défend la République dans le village se métamorphose en soldat républicain {comme le jeune garçon Viala devenu héros grâcc à ses actions courageuses au bord de la Durance en juillet 1793).

La Révolution, une époque d'euphorie et de divertissement à Oppède, lègue aux générations suivantes un puissant langage militaire et une vision héroïque de la République. Il y a beaucoup d'hommes d'Oppède qui prennent un fusil et volent à la défense de la République en décembre 18) 1. Ils jouent donc celle vision anachronique du soldat révolutionnaire, avant de retrouver à Cavaillon, la réalité que représentent les troupes de la ligne qui ouvrent le feu sur eux sans aucune pitié

Dans le Vaucluse les traditions républicaines ne s'enracinent facilement que dans la région d'Apt, qui ne subit pas trop de violences et divisions pendant l'époque révolutionnaire. Dans les villages de cette région les administrateurs peuvent instaurer une gestion ferme, mais raisonnable. tolérante. éducative et charitable. Par contre le Comtat Venaissin éprouve une violence anarchique et par conséquent est semé de divisions. Le gouvernement devient autoritaire et injuste. ce qui donne un caractère antέrépublicain à une grande majorité des habitants de cette région. A l'intérieur de celle région blanche il ne reste que ces deux îlotS de radicalisme, Sainte­Cécile et Velleron, dont pourtant l'expérience révolutionnaire (divisions, Terreur, réaction royale) ressemble plutôt à celle du village conservateur Malemolt , qu'à celle de l'harmonieuse Oppède. Quoi qu'il en soit, on trouve que le radicalisme qui se manifeste sous la Seconde République a des racines profondes qui remontent à l'expérience révolutionnaire de la Première République: il y a des continuités bien marquées dans le comportement politique des quatre villages étudiés. Dans les trois vi llages radicalisés, on trouve beaucoup plus qu'une simple« mémoire» créée par les mythes venus de l'extérieur du village: on trouve plutôt une véritable c( tradition )) républicaine léguée et transmise par les hommes de 93.

Au dix-neuvième siècle on a trouvé dans le cadre urbain, à Arles 39 et à Apt ", un reclassement politique , provoqué apparemment par le début de l'urbanisation et par l'arrivée de nouveaux venus et d'opportunistes. Dans le cadre rural par contre, les notables traditionnels restent en place et ne SOnt pas menacés par les intrus ~ au sein des villages étudiés on perçoit que les famiBes nOtables continuent à s'opposer sous les mêmes couleurs politiques

l8. A.D. Vaucluse 6 L j Jonathan SKINNER,

39. Cf. P. ALLARD. « Arles, de la Révolution à la République ». Co/roque Midi Rouge Midi Blan(, Avignon. octobre 1986. 40). Cf. supra P. SIMONL «Dynasties blanches et dynasties rouges à Apt 1)