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Institut des Hautes Etudes Internationales (IHEI) Certificat de Recherche Approfondie (CRA) Gestion de crise et droit international : l’évolution des principaux aspects du cadre juridique des opérations de paix des Nations Unies Directeur de mémoire : Monsieur Victor BAILLY Auteur : Augustin LABORDE

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Institut des Hautes Etudes Internationales (IHEI)

Certificat de Recherche Approfondie (CRA)

Gestion de crise et droit international :

l’évolution des principaux aspects du cadre juridique des

opérations de paix des Nations Unies

Directeur de mémoire : Monsieur Victor BAILLY

Auteur : Augustin LABORDE

2

3

SOMMAIRE

INTRODUCTION

Première Partie : L’élaboration des opérations de paix des Nations Unies

I. Les modes de création successifs des opérations de paix

A. Les organes compétents de l’ONU : vers un monopole du Conseil de

Sécurité

1. La compétence originelle de l’Assemblée Générale

2. La maîtrise exercée désormais par le Conseil de Sécurité

B. Le fondement juridique des actions prescrites : le recours successif aux

Chapitres VI, VI et demi et VII

1. Un fondement juridique distinct pour chaque catégorie d’opération

2. L’accord de l’Etat d’accueil : une nécessité absolue ?

II. Le financement des opérations de paix : point le plus abouti du cadre juridique

A. L’inscription des dépenses des premières opérations au budget ordinaire

de l’ONU

1. Une « jurisprudence » ONUST et UNMOGIP ?

2. Une décision remise en cause

B. La constitution d’un régime juridique particulier

1. Les résolutions 1874 et suivantes

2. Les progrès restant à accomplir

4

Deuxième Partie : La mise en œuvre des opérations de paix des Nations

Unies

I. L’applicabilité progressive du droit international humanitaire aux Forces

engagées dans les opérations de paix

A. De l’origine des opérations de paix aux années 1990 : entre hésitation et

application à reculons du DIH

1. Une applicabilité récusée

2. Une conception remise en cause

B. De 1999 à nos jours : une évolution encore inachevée

1. Une étape majeure : l’adoption de la circulaire du 6 août 1999

2. Les améliorations envisageables

II. L’évolution du statut juridique des Forces engagées dans les opérations de paix

A. La diversification des sources du droit définissant le statut juridique des

Forces

1. Du début des opérations de paix aux années 1990 : une pratique

fluctuante

2. Des années 1990 à nos jours : un statut juridique aux bases de plus en

plus solides

B. Etude du droit matériel constituant le statut juridique des « casques

bleus »

1. Les principaux aspects du statut juridique des Forces

2. Les points d’ombre persistants

CONCLUSION

5

LISTE DES ABREVIATIONS ET SIGLES

1. Publications

AFDI Annuaire Français de Droit International

JOAN Journal Officiel de l’Assemblée Nationale

LGDJ Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence

PUF Presses Universitaires de France

RDP Revue de Droit Public

RGDIP Revue Générale de Droit International Public

2. Institutions et autres

AETNU Autorité Exécutive Temporaire des Nations Unies en Papouasie

occidentale

AG Assemblée Générale

BINUB Bureau Intégré des Nations Unies au Burundi

CAI Conflit Armé International

CANI Conflit Armé Non International

CCQAB Comité Consultatif pour les Questions Administratives et Budgétaires

CICR Comité International de la Croix Rouge

CIJ Cour Internationale de Justice

CG Conventions de Genève

CNU Charte des Nations Unies

CPI Cour Pénale Internationale

CS Conseil de Sécurité

DIH Droit International Humanitaire

ECHO Service d’aide Humanitaire de la Commission Européenne

FESF Fonds Européen de Stabilité Financière

FINUL Force Intérimaire des Nations Unies au Liban

FMI Fonds Monétaire International

FNUOD Force des Nations Unies chargée d’Observer le Désengagement sur le

plateau du Golan

6

FORPRONU Force de Protection des Nations Unies

FUNU Force d’Urgence des Nations Unies

GANUPT Groupe d’Assistance des Nations Unies pour la période de Transition

KFOR Kosovo Force

MINUS Mission des Nations Unies au Soudan

MONUC Mission des Nations Unies en République Démocratique du Congo

NU Nations Unies

OMP Opération de Maintien de la Paix

ONU Organisation des Nations Unies

ONUC Opération des Nations Unies au Congo

ONUSOM Opération des Nations Unies en Somalie

ONUST Organisme des Nations Unies chargé de la Surveillance de la Trêve

OP Opération de Paix

OTAN Organisation du Traité de l’Atlantique Nord

PNB Produit National Brut

SG Secrétaire Général

TSR Télévision Suisse Romande

UE Union Européenne

UNFICYP Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre

UNMOGIP Groupe d’Observateurs Militaires des Nations Unies pour l’Inde et le

Pakistan

URSS Union des Républiques Socialistes Soviétiques

7

INTRODUCTION

Utilisée de « façon éparse, dans de rares papiers, à partir de 1925 »1, la notion de « gestion

de crise » (traduction de « crisis management » en anglais) a été conceptualisée pour la

première fois en 1962, lors de la crise des missiles de Cuba. Elle acquit ses lettres de noblesse

au cours de la décennie 1980, à la suite notamment des catastrophes de Bhopal, en 1984, et de

Tchernobyl, en 1986. Aujourd’hui l’expression « gestion de crise » est omniprésente : on

l’utilise dans le monde de l’entreprise, de la recherche universitaire2…

Selon Monsieur Gérard CORNU, alors que la « gestion » se définit comme « administration,

réaction », la « crise », du grec « krisis », implique une double idée : celle de « séparation »

et celle de « décision ». Il s’agit donc d’une « situation troublée qui appelle des mesures

d’exception »3. La « gestion de crise » peut, en définitive, se définir comme une réaction face

à de telles situations.

Les organisations internationales ne sont pas en reste : elles aussi s’engagent dans la « gestion

de crise ». Ainsi le Fonds Monétaire International (FMI) est en première ligne pour résoudre

la crise financière et économique qui sévit depuis 20084 ; l’Union Européenne a décidé de

renforcer le Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF) en 2011 pour éviter une

propagation de la crise de la dette grecque5, etc.

Bien que la nature des crises puisse être variée (économique, financière, écologique…), il sera

uniquement question ici des crises politico militaires, causées notamment par un coup d’Etat,

un soulèvement populaire, une guerre, etc.

1 HEIDERICH (Didier), « La gestion de crise a un demi-siècle », article publié en 2008, et disponible sur le lien

suivant: http://www.communication-sensible.com/download/La-gestion-de-crise-a-un-demi-siecle.pdf 2 Par exemple, les Masters spécialisés en « gestion de crise » se sont multipliés ces dernières années: « gestion

globale des crises » (Bordeaux Managment school), « managment global des risques » (Arts et métiers Paris

Tech), etc. 3 CORNU (Gérard), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, coll. Quadrige Dicos poche, 9

e éd., 2011, 1152 p.

4 L’article 1 des statuts du FMI (dont la création a été actée lors des accords de Bretton Woods en 1944) fixe

comme objectif, pour l’institution, d’assurer « la stabilité du système financier international », donc

indirectement d’éviter les crises. 5 L’exemple de l’influence de la gestion de crise sur l’action de l’Union Européenne est probant à plusieurs

égards. Outre les crises économiques et financières, l’UE joue également un rôle important dans la gestion des

crises politico militaires. Il en fut ainsi lors de la crise entre la Géorgie et la Russie à l’été 2008 : « la crise en

Géorgie a montré, pour la première fois, que l’Europe pouvait, si elle le voulait, se porter en première ligne dès

le début d’un conflit pour rechercher une solution de paix » (Déclaration du Président Nicolas SARKOZY du

mercredi 8 octobre 2008).

8

Les modes de gestion de ces crises sont de deux ordres, pacifique et militaire, non exclusifs

l’un de l’autre ; ils peuvent se compléter, se succéder.

Parmi les moyens pacifiques figurent la diplomatie préventive dont les principaux objectifs

sont « d’éviter que des différends ne surgissent entre les parties, d’empêcher qu’un différend

existant ne se transforme en conflit ouvert et, si un conflit éclatait, de faire en sorte qu’il

s’étende le moins possible »6, mais également les règlements juridictionnels

7 ou encore les

opérations humanitaires8.

Quant aux moyens militaires, il s’agit essentiellement des Opérations de Maintien de la Paix

(OMP). Il sera exclusivement question de ces opérations dans cette étude.

Les OMP sont un mode de gestion des crises politico militaires. Ce constat n’est cependant

pas suffisant pour appréhender de manière substantielle ces opérations.

En paraphrasant Monsieur David AMBROSETTI qui disait que « la crise est avant tout une

catégorie pratique, un enjeu et une contrainte »9, on peut affirmer que les opérations de

maintien de la paix sont, elles aussi, une catégorie pratique, un enjeu et une contrainte.

Pourquoi peut-on parler d’une « catégorie pratique » ? Depuis la première mission

d’observation, mise en place en 1948 en Israël et appelée Organisme des Nations Unies

chargé de la surveillance de la trêve en Palestine (ONUST), qui a préfiguré ce que seraient les

futures OMP, soixante huit opérations de maintien de la paix ont été créées, dont seize sont

encore en activité10

. Leur nature a considérablement évolué : de simples missions

d’interposition (telles que la Force d’Urgence des Nations Unies – FUNU I déployée en 1956

dans le Sinaï), elles sont passées à des opérations coercitives (comme les Opérations des

Nations Unies en Somalie II, de 1993 à 1995). Il n’est donc pas possible d’envisager les OMP

comme un ensemble homogène.

6 « Agenda pour la paix », rapport présenté par le Secrétaire Général Boutros BOUTROS GHALI, le 17 juin

1992 7 Par exemple, l’article 38 du Statut de la Cour International de Justice, créée en 1946, dispose que celle-ci a

pour « mission de régler conformément au droit international les différends [entre Etats membres de

l’Organisation des Nations Unies] qui lui soumis ». 8 On peut citer, entre autres, les missions humanitaires financées par l’Union Européenne et mises en œuvre par

ECHO, son service d’aide humanitaire, depuis 2003 au Tchad (pour un montant total de plus de cent trente

millions d’euros) pour venir en aide aux populations victimes du conflit opposant le Gouvernement et les

groupes d’opposition armés. 9 AMBROSETTI (David), « Les organisations internationales au cœur des crises », in Crises et organisations

internationales, Paris, L’Harmattan, 2009, p. 7 - 14 10

Cf. infra, ANNEXE 1

9

Plusieurs classifications ont été proposées, jusqu’à l’excès : il existe presqu’autant de

classements que d’auteurs. Dans sa thèse, Monsieur Frédéric JORAM suggère pas moins de

trois classifications différentes, par concept, par degré de coercition et par mode

d’organisation11

.

Par souci de clarté, il ne sera fait état ici que de la classification conceptuelle, qui semble la

plus convaincante et qui est aujourd’hui globalement acceptée par la doctrine. Celle-ci,

élaborée dans l’ « Agenda pour la paix » présenté par l’ancien Secrétaire général de

l’Organisation des Nations Unis, Monsieur Boutros BOUTROS GHALI, le 17 juin 1992,

distingue trois « générations » d’OMP. Le terme de « catégorie » aurait été, en réalité,

préférable à celui de « génération » dans la mesure où ces différentes OMP ne se sont pas

nécessairement succédées de manière linéaire et chronologique.

La première génération, dite des opérations de maintien de la paix classiques (peacekeeping

operations) a comme principale mission l’interposition entre les parties au conflit et avec leur

accord, de manière à faire respecter un cessez le feu préalablement signé. Le recours à la force

n’est pas autorisé dans ce cadre.

La première véritable OMP n’est pas l’ONUST, en Israël, mais bien la FUNU I dans le Sinaï,

créée par l’Assemblée Générale de l’Organisation des Nations Unies (ONU) en 195612

.

La deuxième génération a pris la suite, tout en ne se substituant pas totalement aux OMP

classiques, en 1978 avec la création du GANUPT (Groupe d’Assistance des Nations Unies

pendant la Période de Transition en Namibie), mis en place, en réalité, en 1989.

Cette catégorie se subdivise elle-même : d’un côté les opérations de rétablissement de la paix

(peacemaking operations) qui visent, sur le modèle du GANUPT, à maintenir les conditions

d’un cessez le feu : « démobiliser et regrouper les forces, réinsérer les combattants dans la

vie civile, détruire les armes, déminer, rapatrier les réfugiés et les personnes déplacées,

assurer une assurance humanitaire, organiser de nouvelles forces de police, assurer le

respect des droits de la personne »13

, dans une situation cependant plus tendue que dans le cas

des opérations de maintien de la paix ; et de l’autre côté les opérations de consolidation /

construction de la paix (peacebuilding operations) dont l’objectif est d’éviter une reprise des

11

JORAM (Frédéric), Les opérations de paix et l’obligation de respecter le droit humanitaire, thèse soutenue, en

2007, devant un jury de l’Université Paris 2 Panthéon Assas (Directeur : Professeur Serge SUR), 392 p. 12

A/RES/998 (ES-I), 4 novembre 1956 13

DEYRA (Michel), Droit international public, Paris, Gualino Editeur, coll. Mémentos LMD, 2007, 267 p.

10

hostilités. Parmi les actions possibles figurent les « réformes constitutionnelles, judiciaires et

électorales »14

. Le BINUB (Bureau Intégré des Nations Unies au Burundi), créé par la

résolution 1719 du Conseil de Sécurité de l’ONU du 25 octobre 2006, en est une illustration.

Une Commission de consolidation de la paix a été spécialement mise en place, au niveau de

l’ONU, en 200515

. Présidée par le rwandais Monsieur Eugène Richard GASANA, elle a pour

mission d’élaborer des stratégies globales de « relèvement »16

, de définir des bonnes

pratiques, etc.

Les opérations de consolidation de la paix présentent la particularité d’être menées

uniquement par des civils et en dehors de toute phase de combat ; elles ne peuvent donc pas

être qualifiées de mode de gestion militaire. Elles ne s’inscrivent plus dans la phase de crise,

mais dans l’après crise et seront donc écartées du champ de cette étude.

La troisième et dernière génération est celle des opérations d’imposition de la paix

(peaceenforcement operations). Dans le cadre de ces opérations qui peuvent être entreprises

sans le consentement des parties, le recours à la force est possible. L’action menée par l’ONU

en Somalie, l’ONUSOM II, s’inscrivait, par exemple, dans cette catégorie.

Du fait des faibles résultats obtenus17

, les OMP de troisième génération ont été

progressivement abandonnées. Plus exactement, le Conseil de Sécurité, seul organe de l’ONU

habilité à créer de telles opérations, délègue ces missions à des organisations régionales (en

général l’OTAN) ou à des pays en particulier. Certains y voient une « forme de sous-traitance

sinon de nationalisation des opérations de maintien de la paix »18

. Il s’agit au contraire d’une

évolution positive : n’ayant pas les moyens ni les compétences nécessaires pour entreprendre

de telles actions, le Conseil de Sécurité confie ces missions à des éléments plus à même de le

faire, sans « pour autant que les Etats coalisés n’ [aient] un chèque en blanc »19

. Le

Professeur Michel DEYRA résume ainsi cette nouvelle tendance : « si les Nations Unies

conservent une place centrale dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales,

14

Ibid., p. 174 15

A/60/180 (2005) et S/RES/1645 (2005), 20 décembre 2005 16

Site internet de la Commission de consolidation de la paix :

http://www.un.org/french/peace/peacebuilding/mandate.shtml 17

L’intervention de l’ONU en Somalie a été qualifiée de « plus grand échec de l’ONU » par Monsieur Martin

MERIDITH, dans son ouvrage The State of Africa : a history a fifty years of independence, Londres, Free Press,

2006, 752 p. La principale critique portait sur le fait que l’ONU et ses membres n’avaient pas su ou voulu mettre

les moyens de leurs ambitions (nombre de militaires insuffisant, équipement trop faible). 18

DECAUX (Emmanuel), Droit international public, Paris, Dalloz, coll. Hypercours, 4e éd., 2004, 358 p.

19 Ibid., p. 344

11

l’intervention d’acteurs régionaux, Etats ou regroupements d’Etats ayant des intérêts

communs de voisinage, apparait désormais de plus en plus comme un vecteur d’efficacité et

de légitimité des interventions de maintien de la paix »20

.

Les OMP ont trois points communs. Le premier est la recherche de la paix. Monsieur Boutros

BOUTROS GHALI, dans l’ « Agenda pour la paix », évoquait cet enjeu : « essayer de déceler

aussi tôt que possible les situations porteuses de conflit et de parer au danger […] avant que

la violence ne se déclare ; lorsqu’un conflit éclatait, d’entreprendre de rétablir la paix en

réglant les différends qui le sous tendaient ; de maintenir la paix lorsque cessait le combat et

de contribuer à la mise en œuvre des accords auxquels étaient parvenus les médiateurs ; de se

tenir prêt à prendre part au rétablissement de la paix sous ses diverses formes ; d’essayer

d’extirper les causes les plus profondes du conflit : misère économique, injustice sociale et

oppression politique »21

.

Le second est l’aspect militaire qui vaut pour chacune de ces opérations (mises à part les

opérations de consolidation de la paix). Des forces armées sont en effet présentes dans ces

OMP, sans qu’elles ne soient, pour autant, toujours autorisées à recourir à la force.

Enfin, le troisième point commun est le rôle créateur joué par les organes de l’ONU, Conseil

de Sécurité et Assemblée Générale22

. Seules les opérations de maintien de la paix des Nations

Unies seront étudiées dans ce mémoire. Celles déployées ou sous contrôle de l’OTAN23

ou de

l’Union Européenne24

ne sont pas dans le champ de l’étude. Ceci répond d’une part à un souci

de précision, de délimitation du sujet, et d’autre part à une certaine logique : les opérations

menées par l’ONU ont été les premières et, malgré leurs défauts, elles ont servi de « modèle

dans d’autres cadres que les Nations Unies, soit de la part d’organisations régionales […],

soit dans une démarche interétatique plus traditionnelle »25

.

20

DEYRA (Michel), Droit international public, op. cit., p. 175 21

« Agenda pour la paix », op. cit., paragraphe 15 22

Cf. infra Première Partie, I.A. 23

On peut citer par exemple la KFOR (Kosovo Force) déployée en 1999 au Kosovo. 24

L’EUFOR R.D. Congo mise en place par l’Union Européenne en 2006, en soutien à l’opération des Nations

Unies en République Démocratique du Congo en est une illustration. 25

DAILLIER (Patrick) et PELLET (Alain), Droit international public, Paris, L.G.D.J., coll. Bibliothèque de

droit international public, 7e éd., 2009, 1708 p.

12

Ces trois points communs permettent d’étudier les OMP dans leur ensemble, comme une

réalité, « protéiforme et complexe »26

. La délimitation entre opérations de maintien ou de

rétablissement de la paix est, en pratique, difficile à effectuer. Les actions se chevauchent.

Afin d’éviter d’éventuelles confusions entre les opérations de maintien de la paix classiques

(de première génération) et les opérations de maintien de la paix appréhendées dans leur

intégralité, l’expression « opération de paix » (OP) sera désormais préférée à celle

d’ « opération de maintien de la paix » (au sens large du terme). Les OMP doivent être

entendues comme une sous catégorie des OP. Cette expression, utilisée dans le titre de cette

étude, est de plus en plus acceptée, car elle évite des erreurs27

. Il sera donc question ici des

opérations de paix des Nations Unies, à savoir les opérations de maintien de la paix, de

rétablissement de la paix et d’imposition de la paix.

A l’instar d’une partie de la doctrine qui critique les « déboires des opérations de maintien de

la paix »28

, le « sentiment d’inefficacité voire d’échec »29

qu’elles suscitent, l’opinion

publique en a une image nuancée, plutôt négative, consciente à la fois de leur importance mais

aussi de leurs carences, illustrées par les images télévisées de « casques bleus » impuissants

face aux massacres se déroulant sous leurs yeux, au Rwanda en 199430

ou à Srebrenica en

juillet 199531

.

Dans un reportage diffusé par la Télévision Suisse Romande (TSR), le 24 mai 2010, intitulé

sobrement « les casques bleus », le présentateur, Monsieur Xavier COLIN, lançait : « sur le

principe même de leur présence, il y a, disons, un consensus, mais en réalité tout est

complexe, ambigu, irrationnel et parfois même ingérable. Il est temps de réformer tout le

système, tout le monde le dit »32

.

26

JORAM (Frédéric), Les opérations de paix et l’obligation de respecter le droit humanitaire, op. cit., p. 22 27

Cf. notamment le titre de la thèse de Monsieur Frédéric JORAM, ibid. 28

GUILHAUDIS (Jean François), Relations internationales contemporaines, Paris, Lexis Nexis, coll. Manuel, 2e

ed., 2005, 742 p. 29

Ibid., p. 776 30

La MINUAR (Mission des Nations Unies pour l’Assistance au Rwanda), créée en 1993 par le Conseil de

Sécurité, n’avait pu empêcher le génocide d’environ un million de rwandais tutsi ou hutu modérés. 31

La FORPRONU (Force de protection des Nations Unies) avait été déployée sur place par le Conseil de

Sécurité en 1992. La qualification de « zone de sécurité » par les Nations Unies n’avait pas empêché le massacre,

qualifié ultérieurement de génocide par le Tribunal pénal pour l’ex - Yougoslavie, de six à huit mille bosniaques

par des unités de l’Armée de la République Serbe de Bosnie. 32

« Géopolitis : les casques bleus », reportage diffusé le 24 mai 2010 sur la TSR, disponible sur le lien suivant :

http://www.tsr.ch/video/emissions/geopolitis/1967171-geopolitis-casques-bleus-le-reportage.html

13

Cette affirmation péremptoire suscite de nombreuses interrogations : faut-il réellement

réformer « tout » le système ? En est-il aujourd’hui « temps » ? Rien ne s’est-il donc produit

depuis les premières OP ? Aucune évolution, aucun changement ?

Les critiques doctrinales invitent à s’interroger sur l’évolution des opérations de paix des

Nations Unies. Si la nature des opérations de paix a considérablement évolué (opérations

d’interposition puis de coercition…), qu’en est-il de l’évolution du cadre juridique de ces

opérations : a-t-il suivi la transformation des missions ? L’a-t-il précédé ? Est-il au contraire

resté identique ? Et dans l’hypothèse d’une évolution, celle-ci est-elle positive ? Cohérente ?

L’idée générale, formulée par Monsieur Xavier COLIN, voudrait que « tout le système »33

, y

compris le cadre juridique par conséquent, soit inefficace, inadapté. Or, une lecture historique

permet de tirer d’autres conclusions, puisque les opérations de paix existent toujours, plus de

soixante ans après la création de la première d’entre elles, dans le Sinaï. Mieux, leur nombre

ne cesse d’augmenter : « entre 1945 et 1988, treize forces de maintien de la paix et missions

d’observation avaient été établies. Un bilan au premier septembre 2001 fait apparaître que

depuis 1989, trente huit opérations ont été mises en place »34

. Même si elle est moins forte, la

tendance actuelle est identique35

.

Ceci peut être interprété de deux manières, non exclusives l’une de l’autre : d’une part, les

opérations de paix n’empêchent pas la survenance de nouveaux conflits (même si on assiste à

de nouvelles formes de guerres, non plus interétatiques mais internes à un même Etat), et

d’autre part, elles sont la meilleure, ou du moins la moins mauvaise, des solutions pour y

remédier. « Tout » n’est donc pas à rejeter : la formule fonctionne, tant bien que mal.

Il semble que les critiques portent davantage sur la volonté politique (définition des mandats

par le Conseil de Sécurité, fourniture insuffisante des matériels…) que sur l’aspect juridique.

Ainsi, dans l’ « étude d’ensemble de toute la question des opérations de maintien de la paix

sous tous leurs aspects », dit « rapport Brahimi », du nom de Monsieur Lakhdar BRAHIMI,

Président du groupe d’experts chargés de la question, présentée 20 août 2000, il est dit : « tout

en reconnaissant que les compromis politiques sont utiles dans bien des cas, le Groupe

33

Ibid. 34

GUILHAUDIS (Jean François), Relations internationales contemporaines, op. cit., p. 774 35

Depuis 2001, pas moins de douze nouvelles opérations de paix ont été déployées, sur des terrains tels que le

Sud Soudan (United Mission in the Republic of South Sudan) ou au Libéria (United Nations Mission in Liberia).

14

considère qu’en l’occurrence le Conseil [de Sécurité] a tout intérêt à être clair, surtout pour

des opérations qui comportent de grands risques. […] Le Conseil ferait mieux de s’abstenir

plutôt que d’exposer les personnels des missions au danger en leur donnant des instructions

qui manquent de clarté »36

.

Enfin le cadre juridique des OP est unanimement décrit par la doctrine comme étant le fruit de

la pratique : « non explicitement prévues par la Charte, […] elles ont été développées par la

pratique et systématisées par la doctrine »37

en disent, par exemple, les Professeurs Jean

COMBACAU et Serge SUR.

Le cadre juridique a donc évolué tout au long de l’histoire des opérations de paix, de façon

pragmatique. Cette dimension n’est pas remise en cause, contrairement à d’autres pans du

système des OP de l’ONU.

Outre l’aspect académique tenant à l’étude d’un des points importants du droit international

public, l’objectif de ce travail consiste également à dégager des pistes de réflexion et, au

terme de l’analyse, de proposer l’amélioration de certains points du cadre juridique38

.

Même s’il est difficile de se détacher des autres aspects (politique, social…), les opérations de

paix seront étudiées exclusivement sous l’angle du droit.

La thèse d’une évolution pragmatique et positive du cadre juridique des opérations de paix

des Nations Unies suppose une analyse en deux temps : d’une part, une vision historique de

l’existence même d’une telle évolution (le cadre juridique des OP s’étant développé par la

pratique et cette dernière s’étalant sur une soixantaine d’années, une perspective historique

s’impose) et d’autre part, une vision qualitative, sur la nature de cette évolution (positive ou

non) et les lacunes de celle-ci. Ces deux points de vue seront étudiés concurremment et non

pas successivement.

36

« Etude d’ensemble de toute la question des opérations de maintien de la paix sous tous leurs aspects », dit

« rapport Brahimi », du nom de Monsieur Lakhdar BRAHIMI, Président du groupe d’experts chargé de la

question, publié le 20 août 2000

37 COMBACAU (Jean) et SUR (Serge), Droit international public, Paris, Montchrestien, coll. Domat droit

public, 8e éd., 2008, 818 p.

38 Cf. infra, CONCLUSION

15

Le but poursuivi n’est pas l’étude de chaque aspect de ce cadre juridique mais la recherche

des principales évolutions.

Ainsi, il a été choisi de se concentrer sur les quatre aspects les plus débattus et les plus

emblématiques : le mode de création de ces opérations, leur mode de financement,

l’application du droit international humanitaire aux forces militaires et le statut juridique de

celles-ci.

L’étude abordera, dans la logique amont / aval, l’élaboration des opérations de paix (première

partie) puis leur mise en œuvre (deuxième partie).

16

Première Partie

L’élaboration des opérations de paix des Nations Unies

Alors que l’expression « maintien de la paix » figure à plusieurs reprises dans la Charte des

Nations Unies39

, signée à San Francisco en 1945, la notion même d’ « opération de maintien

de la paix », ou d’ « opération de paix », en est absente. Les seules opérations, ou forces,

mentionnées dans la Charte sont celles de l’article 43 (du Chapitre VII)40

. Par conséquent, et

comme l’expliquent les Professeurs Jean COMBACAU et Serge SUR41

, le cadre juridique des

opérations de paix s’est développé progressivement, au fur et à mesure du développement de

ces opérations.

L’élaboration de ces opérations comprend trois phases : d’abord leur création en tant que telle

(I), puis leur financement (II) et enfin leur constitution effective. Ce dernier point sera étudié

dans la deuxième partie42

.

39

Le maintien de la paix est même l’objectif premier de l’Organisation des Nations Unies. Ainsi l’article 1 de la

Charte dispose : « Les buts des Nations Unies sont les suivants : 1. Maintenir la paix et la sécurité

internationales […] ». 40

L’article 43 de la Charte de l’ONU pose le principe selon lequel « tous les Membres des Nations Unies, afin de

contribuer au maintien de la paix et de la sécurité internationales, s’engagent à mettre à la disposition du

Conseil de sécurité, sur son invitation et conformément à un accord spécial ou à des accords spéciaux, les forces

armées, l’assistance et les facilités, y compris le droit de passage, nécessaires au maintien de la paix et de la

sécurité internationales ». 41

Cf. supra, note 36 42

Cf. infra, Deuxième Partie, II.B.1.a

17

I. Les modes de création successifs des opérations de paix

Qui peut créer une opération de paix ? Sur quel fondement juridique ? La réponse à ces

interrogations met en lumière une maîtrise quasi-totale désormais du Conseil de Sécurité (A)

et une relative imprécision des fondements juridiques (B).

A. Les organes compétents de l’ONU : vers un monopole du Conseil de

Sécurité

L’article 7 de la Charte présente les différents organes de l’ONU. En matière de création

d’opérations de maintien de la paix, le Conseil économique et social, le Conseil de tutelle et la

Cour Internationale de Justice n’ont aucun rôle à jouer. Par ailleurs, l’article 99 de la Charte

précise que le Secrétaire Général, en matière de maintien de la paix, ne peut qu’ « attirer

l’attention du Conseil de Sécurité ». La faculté de création des OP se partage donc entre le

Conseil de Sécurité et l’Assemblée Générale.

Alors qu’elles ont été créées initialement par l’Assemblée Générale (AG) des Nations Unies

(1), les opérations de paix sont, depuis, devenues l’apanage du Conseil de Sécurité (2).

1. La compétence originelle de l’Assemblée Générale

Fondée en partie sur la « résolution Acheson » (1), la compétence de l’Assemblée Générale a

rapidement été remise en cause (2).

a. Le fondement juridique principal de la compétence de l’AG : la

« résolution Acheson »

L’Assemblée Générale a profité d’une situation internationale particulière pour décider de la

création, en 1956, de la première véritable OMP, la Force d’Urgence des Nations Unies pour

18

le Sinaï (FUNU I)43

. « En 1956, on entre réellement dans les OMP. […] Le concept apparait

lors de la crise de Suez, qui est marquée par une intervention tripartie (Royaume-Uni, France

et Israël) contre l’Egypte. Le cadre de cette intervention impliquerait pour l’ONU d’employer

le chapitre VII. Toutefois, pour des raisons politiques, ceci se révèle impossible. C’est le

Secrétaire Général de l’époque, Dag Hammarskjöld, et le ministre des affaires étrangères du

Canada, Lester Pearson, qui suggèrent d’oublier ce que propose la Charte car il faudrait

envoyer des « gendarmes » et émettent l’idée d’envoyer une « brigade de pompiers » c'est-à-

dire une force militaire d’interposition neutre et impartiale. L’idée est retenue par les Etats-

Unis et l’Union soviétique, mais le véto de la France et du Royaume-Uni bloque le Conseil de

Sécurité. L’Assemblée Générale sera convoquée sur la base de la résolution 377 pour

permettre la mise en place de cette première force »44

.

La « résolution Acheson » (du nom de Monsieur Dean ACHESON, Secrétaire d’Etat

américain, qui en est à l’origine), dite également « résolution 377 » ou « résolution union pour

le maintien de la paix » a été adoptée le 3 novembre 1950 par l’AG de l’ONU. Elle pose le

principe selon lequel : « dans tout cas où parait exister une menace contre la paix, une

rupture de la paix ou un acte d’agression et où, du fait que l’unanimité n’a pas pu se

réaliser parmi ses membres permanents, le Conseil de sécurité manque à s’acquitter

de sa responsabilité principale dans le maintien de la paix et de la sécurité

internationales, l’Assemblée générale examinera immédiatement la question afin de faire

aux Membres les recommandations appropriées sur les mesures collectives à prendre, y

compris, s’il s’agit d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression, l’emploi de la

force armée en cas de besoin, pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité

internationales »45

.

L’Assemblée Générale a également invoqué, pour justifier sa compétence, l’article 10 de la

Charte de l’ONU, qui dispose que l’AG peut discuter « toutes les questions ou affaires

rentrant dans le cadre de la présente Charte [et] formuler sur ces questions ou affaires des

recommandations ». Cet argument a été largement combattu, comme nous le verrons par la

suite.

43

A/RES/998 (ES – I), 4 novembre 1956 44

Document publié par le Centre pour l’éducation et la sensibilisation à la coopération internationale,

« découverte de la coopération internationale », dossier n°7, disponible sur le lien internet suivant :

http://www.genevedecouverte.ch/fr/doc/dossier_7_collec.pdf 45

A/RES/377 (V), 3 novembre 1950

19

Enfin, elle s’est prévalue de l’article 22 de la Charte qui lui octroie le pouvoir de créer des

« organes subsidiaires », qualification juridique retenue pour les OP qu’elle a créées.

Si, au vu de ces éléments, il apparait que l’AG a la capacité juridique de mettre en place des

opérations de paix, cette position a été vivement contestée.

b. La remise en cause de la compétence de l’AG

Ces arguments ont été combattus fermement, notamment par la France. La principale critique

tient au fait que l’équilibre des pouvoirs entre l’Assemblée Générale et le Conseil de Sécurité

ne serait plus respecté.

Ainsi, l’article 10 de la Charte (pouvoir de discussion général reconnue à l’AG) serait

contrebalancé par le paragraphe 2 de l’article 11 de cette même Charte, qui dispose :

« L'Assemblée générale peut discuter toutes questions se rattachant au maintien de la paix et

de la sécurité internationales […] Toute question de ce genre qui appelle une action est

renvoyée au Conseil de sécurité par l'Assemblée générale, avant ou après discussion ».

Certes l’AG pourrait discuter, mais seul le Conseil de Sécurité pourrait créer une opération, en

ré « action » à la situation.

Le débat a porté sur l’interprétation du mot « action » : pour les partisans de la compétence de

l’AG, il ne devrait être compris que comme les actions coercitives prévues par le Chapitre VII

de la Charte. A l’inverse, la France et d’autres Etats, principalement les membres du Conseil

de Sécurité, considèrent que « l’action visée au paragraphe 2 de l’article 11 englobe non

seulement les mesures prévues par les articles 41 et 42 du chapitre VII de la Charte, mais

aussi toute mesure ayant pour objet la création d’une force, de caractère militaire ou non,

chargée d’intervenir contre un Etat ou à l’intérieur d’un Etat, même si ce dernier y consent et

que l’usage effectif des armes est théoriquement limité à des cas restreints ou

exceptionnels »46

.

46

DAUDET (Yves), MORILLON (Philippe), SMOUTS (Marie Claude), La vision française des opérations de

maintien de la paix, Paris, Montchrestien, coll. L’ONU et les opérations de maintien de la paix, 1997, 196 p.

20

Finalement, et du fait notamment de l’influence des membres permanents du Conseil de

Sécurité, cette vision de la Charte a prévalu. C’est pourquoi l’Assemblée Générale n’a été à

l’origine que de deux opérations de paix, la FUNU I et l’AETNU (Autorité Exécutive

Temporaire des Nations Unies en Papouasie occidentale) en 1962 – 196347

.

Malgré cette influence limitée dans le temps, l’Assemblée Générale a, à travers la création de

la FUNU I, posé les bases essentielles de ce que serait la majorité des opérations de paix

déployées par la suite. Cette doctrine repose sur trois principes, longtemps respectés par le

Conseil de Sécurité.

Le premier principe, sans doute le principal, est celui du consentement des parties : une

opération de paix, et plus particulièrement les opérations de maintien de la paix, ne peut se

dérouler sans l’accord des parties au conflit, et surtout de l’Etat sur le territoire duquel la force

va se déployer. Par exemple, il était précisé dans la résolution 998 du 3 novembre 1956 que la

création de la FUNU se faisait « avec l’assentiment des nations intéressées »48

. Ceci

s’explique de deux façons : d’une part par souci d’efficacité et de réussite (l’opération a plus

de chance de réussir si les parties au conflit sont impliquées dans le maintien de la paix) et

d’autre part parce que l’Assemblée Générale ne peut que formuler des recommandations dans

ce domaine49

, qui doivent, par conséquent, être acceptées par les parties au conflit.

Le second principe, corollaire du premier, est celui de l’impartialité. Les forces engagées ne

doivent pas prendre partie, mais doivent veiller au respect du cessez le feu. En effet, à

l’époque de la Guerre froide, les opérations de paix étaient principalement destinées à

maintenir un statut quo dans l’attente d’une solution politique.

Enfin, le non usage de la force (mis à part les cas de légitime défense) est promu. Ce principe

sera largement remis en cause par la suite, notamment avec l’apparition des opérations de paix

de troisième génération, les opérations d’imposition de la paix.

L’influence de l’Assemblée Générale dans la création des opérations de paix a donc été forte

(largement ordonnée et poussée par le Secrétaire Général de l’époque, Monsieur Dag

HAMMARSKJOLD), mais en définitive, c’est le Conseil de Sécurité qui en a pris la maîtrise.

47

A/RES/1752 (XVII), 21 septembre 1962 48

A/RES/998 (ES – I), 4 novembre 1956 49

Articles 10 et 11§2 de la Charte de l’ONU

21

2. La maîtrise exercée désormais par le Conseil de Sécurité

Alors que la maîtrise du Conseil de Sécurité est désormais établie (a), on peut s’interroger sur

la nécessité d’une clarification positive (au sens du droit positif) des règles (b).

a. Les arguments en faveur de la compétence du Conseil de Sécurité

Mis à part les cas de la FUNU I et de l’AETNU, c’est toujours le Conseil de Sécurité qui a

créé les opérations de paix. Ainsi, récemment, lors de la mise en place de la Mission des

Nations Unies au Soudan (MINUS) : « le Conseil de sécurité […] 1. Décide de créer pour

une période initiale de six mois la Mission des Nations Unies au Soudan »50

.

De même, dans l’article consacré à l’ « établissement de l’opération de maintien de la paix des

Nations Unies » du modèle d’accord entre l’ONU et les Etats membres qui fournissent du

personnel, il n’est plus fait mention que du Conseil de Sécurité51

, alors même que la

résolution établissant ce modèle d’accord a été adoptée par l’Assemblée Générale.

Ainsi, comme le résume le Professeur Jean François GUILHAUDIS, « après quelques années

de flottement et de rivalité entre Assemblée et Conseil de Sécurité, c’est le Conseil qui

prendra la maîtrise du mécanisme : les forces seront désormais mises en place et renouvelées

par lui, à intervalles de 6 mois, de 3 mois ou même moins, pour garder sur elles un contrôle

plus étroit »52

.

Contrairement à une idée répandue, le Conseil de Sécurité a continué de « fonctionner »

pendant la Guerre froide, en tout cas en ce qui concerne le maintien de la paix. Certes, les

opérations engagées avaient des mandats limités (interposition principalement), mais on ne

peut nier que le Conseil ait joué un rôle53

.

50

S/RES/1590 (2005), 24 mars 2005 51

A/46/185, 23 mai 1991 – Annexe 52

GUILHAUDIS (Jean François), Relations internationales contemporaines, op. cit., p. 702 53

Près d’une quinzaine d’opérations de paix ont été entreprises par le Conseil de Sécurité pendant la Guerre

froide (1947 – 1991). En réalité, c’est l’utilisation du Chapitre VII qui a évolué : pratiquement inutilisé pendant

la Guerre froide, il a servi à nouveau de base légale à partir de 1991.

22

Plusieurs arguments de droit permettent de justifier la prédominance progressive du Conseil

de Sécurité.

Tout d’abord, le fondement juridique de la compétence de l’AG est contestable. La

« résolution Acheson », même si elle a été valablement adoptée par l’Assemblée Générale,

n’a pas eu l’impact qu’elle laissait supposer : elle n’a été utilisée qu’un nombre très réduit de

fois (pour la Corée en 1950, l’Egypte et la Hongrie en 1956, le Liban en 1958, le Congo en

1960, l’Afghanistan en 1980 et la Namibie en 1981). Cette résolution menaçait l’équilibre des

pouvoirs établi par la Charte et est donc tombée en désuétude.

On ne reviendra pas sur les critiques portées sur l’utilisation de l’article 10 de la Charte54

. La

limite posée au paragraphe 2 de l’article 11 de cette même Charte semble devoir s’appliquer :

la notion d’ « action » ne peut être comprise restrictivement, sans quoi une référence explicite

aurait été faite à l’article 43 de la Charte. Même si l’usage de la force n’est pas autorisé (mis à

part les cas de légitime défense), le Conseil de Sécurité est seul compétent pour créer de telles

opérations. De même, en vertu de l’article 12 de la Charte, le Conseil de Sécurité a la priorité

vis-à-vis de l’AG sur ses compétences propres : « Tant que le Conseil de sécurité remplit, à

l’égard d’un différend ou d’une situation quelconque, les fonctions qui lui sont attribuées par

la Charte, l’Assemblée Générale ne doit faire aucune recommandation sur ce différend ou

cette situation […] ».

Enfin le fait que l’Assemblée Générale puisse créer des organes subsidiaires (article 22 de la

Charte) ne change rien puisque le Conseil de Sécurité est également à même de le faire

(article 29 de la Charte).

De plus, outre l’article 11 paragraphe 2 de la Charte, l’article 24 de celle-ci doit être cité. Il

dispose en effet qu’ « afin d'assurer l'action rapide et efficace de l'Organisation, ses Membres

confèrent au Conseil de sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et de la

sécurité internationales […] ».

Les termes sont clairs : c’est d’abord le Conseil de Sécurité qui doit agir en matière de

maintien de la paix. Bien que cela puisse paraître contestable dans un monde qui a évolué

(émergence de nouvelles puissances, déclin d’anciennes puissances), cette formule reste

adaptée. En effet, les crises auxquelles répondent les opérations de paix appellent souvent des

réponses rapides et fortes. Compte tenu de sa forme collégiale et du nombre restreint de

membres, le Conseil de Sécurité apparait comme le seul capable de prendre de telles

54

Cf. supra

23

décisions, même si son organisation interne pourrait être révisée (pertinence du droit de véto,

inclusion d’autres Etats, etc.).

En réalité, la question qui pourrait se poser tient à l’éventuelle nécessité d’une clarification du

rôle du Conseil de Sécurité.

b. Une nécessaire clarification ?

Bien que la situation soit relativement claire en pratique (prédominance du Conseil de

Sécurité), ne faudrait- il pas mieux procéder à une « clarification », en inscrivant la règle par

écrit, par exemple dans une résolution de l’AG où elle reconnaitrait la compétence exclusive

du Conseil de Sécurité ? Dans un discours prononcé devant l’Assemblée Nationale française

le 20 octobre 1966, le Ministre des Affaires Etrangères de l’époque appelait à un « accord sur

la répartition des compétences »55

entre les deux organes de l’ONU sur ce point.

Cette nécessité ne semble plus d’actualité aujourd’hui car la confusion qui a suivi le

lancement des opérations de paix s’est estompée au cours de la soixantaine d’années de

pratique. Il apparait clairement désormais que le Conseil de Sécurité exerce un quasi

monopole sur la création de ces opérations.

Une règle écrite apparait donc inutile. Et en cas d’un nouveau blocage répété au sein du

Conseil de Sécurité, elle empêcherait de recourir de nouveau à la « résolution Acheson », bien

que cette hypothèse paraisse peu probable.

Outre le fondement juridique de la compétence des organes de l’ONU, celui des actions

prescrites dans le cadre des opérations de paix revêt également un intérêt particulier.

55

J.O.A.N. 21 octobre 1966, cité par DAUDET (Yes), MORILLON (Philippe), SMOUTS (Marie Claude), La

vision française des opérations de maintien de la paix, op. cit., p. 70

24

B. Le fondement juridique des actions prescrites : le recours successif aux

Chapitres VI, VI et demi et VII

L’analyse de la base juridique des mandats fixés conduit à distinguer trois catégories

d’opérations de paix (1) ce qui amène à s’interroger sur la nécessité de l’accord de l’Etat

d’accueil, Etat sur le territoire duquel l’opération se déploie, appelé Etat d’accueil (2).

1. Un fondement juridique distinct pour chaque catégorie d’opération

Autant l’étude de la création des opérations de paix dans leur ensemble était possible (les

organes de l’ONU compétents sont les mêmes et agissent sur les mêmes bases), autant l’étude

du fondement juridique des mandats fixés, des actions prescrites doit être distincte selon

chaque catégorie d’opérations de paix.

Alors que le fondement des actions entreprises dans le cadre des opérations d’imposition de la

paix apparaît clairement (b), une incertitude persiste quant aux opérations de maintien et de

rétablissement de la paix (a).

a. Le flou entourant le fondement juridique des mandats fixés pour les

opérations de maintien et de rétablissement de la paix

Les opérations de maintien de la paix (première catégorie des opérations de paix) sont

principalement destinées à des missions d’interposition entre deux parties qui ont signé un

cessez le feu en attendant une résolution politique du conflit. Les opérations de rétablissement

de la paix ont, quant à elles, des missions plus nombreuses, destinées à établir « les conditions

nécessaires au rétablissement d’une paix durable »56

. Dans cette hypothèse, un cessez le feu a

été obtenu mais la situation est encore instable et appelle d’autres mesures (désarmement,

déminage, assistance humanitaire…).

Le fondement juridique de ces actions est confus. Dans les résolutions adoptées par le Conseil

de Sécurité, il n’est jamais fait mention d’un quelconque article ou chapitre de la Charte.

56

DEYRA (Michel), Droit international public, op. cit., p. 174

25

Ainsi, dans la résolution instituant le GANUPT, la première opération de paix de deuxième

génération, le Conseil de Sécurité ne mentionne aucun fondement juridique et déclare

simplement qu’il « décide de créer sous son autorité, pour une durée pouvant aller jusqu’à

douze mois, un Groupe d’assistance pour la période de transition [aux fins] d’assurer dans

un avenir proche l’indépendance de la Namibie au moyen d’élections libres sous la

supervision et le contrôle de l’Organisation des Nations Unies »57

.

La doctrine s’est interrogée sur la base juridique de ces opérations : soit le Chapitre VI de la

Charte de l’ONU, portant sur « le règlement pacifique des différends » (selon lequel le libre

choix concernant le mode de règlement du conflit est laissé aux parties mais le Conseil de

Sécurité peut agir à tout moment pour formuler des recommandations d’actions) ; soit le

Chapitre VII de cette même Charte relatif à l’ « action en cas de menace contre la paix, de

rupture de la paix et d’acte d’agression » (lorsqu’il a constaté une menace, une rupture de la

paix ou un acte d’agression, le Conseil de Sécurité peut décider de mesures impliquant ou pas

la force armée, qui ont un caractère obligatoire cette fois).

C’est finalement le Secrétaire Général Dag HAMMARSKJOLD qui a apporté une ébauche de

réponse, en invoquant un Chapitre « VI bis » ou « VI et demi ». L’expression « VI et demi »

parait plus adaptée, dans la mesure où, comme le résume parfaitement Yves PETIT, « le

fondement juridique de cette technique para-constitutionnelle [à savoir les opérations de paix]

se trouve en effet entre les Chapitre VI et VII. En application du premier, les OMP possèdent

un caractère non contraignant et sont obligées d’obtenir le consentement des belligérants.

L’emprunt au titre du Chapitre VII réside dans la possibilité d’imposer des mesures

coercitives, sans le consentement des parties »58

.

On ne peut, juridiquement, se satisfaire d’une telle position. Certes, les opérations de la paix

ne figurent pas en tant que telles dans la Charte et il est alors logique que les mandats qu’elles

mettent en œuvre n’y soient pas explicitement prévus. D’ailleurs, en pratique, ce ne sont pas

les mandats en tant que tels qui sont critiqués, mais leurs objectifs et les moyens mis en œuvre

pour les atteindre59

.

57

S/RES/435 (1978), 29 septembre 1978 58

PETIT (Yves), Droit international du maintien de la paix, Paris, L.G.D.J., coll. Systèmes, 2000, 218 p. 59

Une des principales recommandations du « Rapport Brahimi » consistait à ce que le Conseil de Sécurité fixe

« des mandats clairs, crédibles et réalistes » (paragraphe F).

26

Cependant la question du fondement juridique des mandats doit être débattue.

Il est ainsi proposé que les mandats soient « découpés » en fonction des actions qui y sont

prévues et de leur fondement juridique. Ceci est, en partie, déjà le cas, mais dans des

situations restreintes60

. Une généralisation de cette pratique est ici proposée.

Les opérations de paix sont, dans les faits, difficilement séparables les unes des autres. Une

même opération peut être successivement une opération de maintien de la paix, puis de

rétablissement voire d’imposition de la paix61

. Il apparait donc compliqué de trouver un même

fondement pour toutes ces opérations. L’utilisation de l’expression « Chapitre VI et demi » en

est l’illustration : en tentant de rationnaliser au maximum (un même fondement pour tous), on

arrive à des raccourcis dénués de toute valeur juridique. On pourrait envisager que les

résolutions à venir du Conseil de Sécurité soient divisées en fonction de la référence effectuée

aux Chapitre VI et VII.

Ainsi, les missions d’opérations de maintien de la paix traditionnelles (à savoir principalement

l’interposition) relèveraient du Chapitre VI, leurs caractéristiques répondant aux exigences

des articles 33 et suivants (Chapitre VI) de la Charte. En effet, elles doivent recueillir

l’assentiment des parties, à l’instar des recommandations formulées par le Conseil de Sécurité

dans le cadre du paragraphe 1 de l’article 36 de la Charte62

. De plus, elles n’autorisent pas le

recours à la force (sauf en cas de légitime défense), ce qui n’est pas possible dans le cas du

Chapitre VI de la Charte.

En revanche, le Chapitre VI ne parait pas suffisant pour les mandats fixés pour les opérations

de rétablissement de la paix qui supposent la mise en œuvre d’actions plus ambitieuses que la

simple interposition. En effet, dans ce cas, le recours à la force doit être possible (pour

protéger les populations civiles par exemple). Seul le Chapitre VII de la Charte le permet

(dans son article 42 notamment). Avant de décider de telles mesures, le Conseil de Sécurité

doit qualifier la situation : menace contre la paix, rupture de la paix ou acte d’agression

(article 39 de la Charte). Bien que l’accord des parties ne soit pas nécessaire (les décisions du

60

Dans la résolution S/RES/1590 (2005) créant la MINUS (Sud Soudan), le Conseil de Sécurité énonce

successivement les décisions relevant du Chapitre VII (mentionné explicitement au point 16) et celles n’en

relevant pas (sans qu’aucune référence à un autre fondement juridique ne soit pour autant faite). 61

Ce fut, par exemple, le cas avec les missions des Nations Unies en Somalie, ONUSOM I et ONUSOM II. 62

Le paragraphe 1 de l’article 36 de la Charte dispose que « le Conseil de Sécurité peut, à tout moment de

l’évolution d’un différend de la nature mentionnée à l’article 33 ou d’une situation analogue, recommander les

procédures ou méthodes d’ajustement appropriées ».

27

Conseil de Sécurité ont force obligatoire puisqu’il ne s’agit plus de recommandations mais de

véritables décisions, selon les articles 39 et suivants de la Charte), il est cependant préférable,

par souci d’efficacité et de légitimité, de le préserver. Ainsi, il pourrait être bénéfique que le

Conseil de Sécurité ne retienne que la qualification de « menace contre la paix », selon

l’article 39 de la Charte, et ne désigne pas d’agresseur.

Le fondement juridique des opérations d’imposition de la paix pose moins de problèmes.

b. La relative certitude concernant le fondement juridique des actions

prévues dans le cadre des opérations d’imposition de la paix

L’objet des opérations d’imposition de la paix est explicite : imposer la paix, sous entendu,

par la force. Seule une décision du Conseil de Sécurité prise sur le fondement du Chapitre VII

de la Charte le permet. Comme lorsqu’il prend des sanctions contre un Etat, le Conseil doit

qualifier la situation, soit de menace contre la paix, soit de rupture de la paix ou encore d’acte

d’agression (article 39 de la Charte de l’ONU), avant d’adopter, s’il le juge nécessaire, des

mesures provisoires (article 40 de la Charte).

Contrairement à ce qui se passe pour les opérations de première et deuxième génération, le

Conseil de Sécurité mentionne explicitement ce Chapitre VII. Par exemple, lorsqu’il a créé la

force ONUSOM II, en 1993, une des premières opérations d’imposition de la paix, le Conseil

de Sécurité, « agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies »63

décide

d’ « élargir »64

le mandat de la force pour « faire respecter l’embargo sur les armes décidé

par la résolution 733 (1992) »65

.

Ceci peut se comprendre de la manière suivante : « au-delà de la nécessité de préciser le bien

fondé juridique de son action, l’invocation du Chapitre VII dans ces situations est aussi un

moyen pour le Conseil de Sécurité de souligner son engagement politique ferme »66

.

63

S/RES/814, 26 mars 1993 64

Ibid., paragraphe 5 65

Ibid., paragraphe 10 66

Manuel intitulé « Opérations de maintien de la paix – Principes et Orientations », publié par l’ONU en 2008,

op. cit., p. 14

28

Le recours au Chapitre VII a parfois été critiqué, dans la mesure où il était initialement

destiné, en principe, à résoudre des conflits entre Etats. Or bon nombre d’opérations de paix

ont été déployées sur des terrains où les combats opposaient forces gouvernementales et

mouvements insurrectionnels. Cependant, comme le dit le Professeur Serge SUR, le Chapitre

VII ne peut se lire « avec des lunettes de notaire »67

, mais il doit se voir comme « un mutant

obligé de s’adapter à une situation en pleine évolution »68

. Bien que l’esprit de la Charte

suppose que le Chapitre VII désigne des conflits entre Etats, aucune disposition expresse ne le

mentionne et la pratique qui en a résulté confirme cette possibilité. Il convient de préciser

qu’afin d’éviter de telles critiques, le Conseil de Sécurité mentionne le Chapitre VII en

général et non tel ou tel article précisément.

En revanche, le recours aux Chapitres VI et VII n’a pas les mêmes conséquences en ce qui

concerne l’accord de l’Etat d’accueil.

2. L’accord de l’Etat d’accueil : une nécessité absolue ?

Déjà abordé aux cours des développements précédents, ce point sera rapidement traité. Deux

situations doivent être distinguées, celle où l’accord de l’Etat d’accueil est exigé et celle où il

n’est qu’une possibilité.

a. Les cas où l’accord de l’Etat d’accueil est une nécessité

L’accord de l’Etat hôte peut être une condition préalable au déploiement d’une opération de

paix. Tel a été le cas pour les opérations de première génération. Créées implicitement sur le

fondement du Chapitre VI, les opérations de maintien de la paix requéraient l’accord de l’Etat

hôte pour que les recommandations adoptées par l’Assemblée Générale ou le Conseil de

Sécurité puissent devenir réalité. Ainsi, la FUNU I (déployée dans le Sinaï) a dû se retirer

d’Egypte car le gouvernement égyptien ne souhaitait plus sa présence sur son territoire69

.

67

SUR (Serge), cité par Maurice FLORY, « Mesures, actions et recours à la force dans le Chapitre VII de la

Charte », in Actualités des conflits internationaux, Paris, A. Pedone, 1993, p. 81 - 94 68

Ibid., p. 82 69

La FUNU I est demeurée en Egypte jusqu’en 1967, peu de temps avant la « guerre des Six Jours » entre

l’Egypte et Israël (mai 1967).

29

Cette obligation ne résulte pas seulement de la référence au Chapitre VI. Deux autres

principes du droit international le sous-tendent également. L’ONU, en déployant ses forces,

doit tout d’abord respecter le principe de l’exclusivité territoriale découlant du principe de la

souveraineté des Etats. Ainsi, comme le déclarait le Secrétaire Général de l’ONU en 1956,

suite à la création de la FUNU I, « bien que l’Assemblée générale soit habilitée à constituer la

Force avec l’assentiment des parties qui fourniraient des unités, elle ne pourrait pas

demander que la Force soit stationnée ou qu’elle opère sur le territoire d’un pays donné sans

l’assentiment du gouvernement de ce pays »70

.

Le deuxième principe, corollaire du premier, est le devoir de non intervention dans les affaires

intérieures de l’Etat hôte, énoncé à l’article 2 paragraphe 7 de la Charte des Nations Unies.

En ce qui concerne les opérations de paix de première génération, l’accord de l’Etat hôte est

nécessaire, mais il n’est pas suffisant pour créer et déployer une OP, « dans la mesure où, par

définition, il ne peut conférer à cette entité un titre pour agir au nom de l’Organisation des

Nations Unies, en tant qu’organe subsidiaire de celle-ci. Seul un acte unilatéral des organes

compétents de l’Organisation le peut »71

. Il doit être précédé d’une résolution du Conseil de

Sécurité ou de l’Assemblée Générale. Cet aspect a été traité précédemment72

.

La situation est différente, voire inversée, en ce qui concerne les actions entreprises sur le

fondement du Chapitre VII.

b. Les cas où l’accord de l’Etat d’accueil n’est qu’une possibilité

Le Conseil de Sécurité, en cas de non respect des obligations internationales par un Etat

membre, peut, unilatéralement, prendre des mesures en vertu du Chapitre VII. Demander

l’accord des Etats serait donc un non sens.

Dans une déclaration de 1990, le Conseil de Sécurité déclarait à cet égard : « tout en

souscrivant au principe suivant lequel des opérations de maintien de la paix ne devraient être

70

Rapport du 6 novembre 1956, cité par LAGRANGE (Evelyne), Les opérations de maintien de la paix et le

Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, Paris, Montchrestien, coll. Perspectives internationales, 1999, 185

p. 71

Ibid., p. 24 72

Cf. supra, Première Partie, I.A.

30

entreprises qu’avec l’assentiment des pays hôtes et des parties intéressées, les membres du

Conseil prient instamment les pays hôtes et toutes les parties concernées de faciliter par tous

les moyens le déploiement et le bon fonctionnement des opérations de maintien de la paix des

Nations Unies »73

.

Le Conseil de Sécurité reconnait donc que l’accord de l’Etat d’accueil est un principe de base,

qui pourrait cependant ne pas être respecté en cas de refus de l’Etat hôte.

Ainsi, la pratique montre que le Conseil de Sécurité, alors qu’il pouvait s’en passer, a souvent

recherché le consentement de l’Etat d’accueil lors de la création des opérations de paix,

fondées sur le Chapitre VII. Comme le fait remarquer la Professeur Evelyne LAGRANGE, à

quelques exceptions près, (ONUSOM II en Somalie par exemple), « les opérations engagées

depuis 1990 […] reposent sur l’accord du ou des Etats territorialement concernés »74

.

L’explication n’est pas juridique (ce n’est pas une obligation stricto sensu) mais répond à une

nécessité politique et pratique : bien que l’accord de l’Etat hôte ne soit pas un gage suprême

de réussite (surtout en cas de guerre interne à un même Etat), il confère une certaine légitimité

à la Force (afin d’éviter les suspicions d’occupation, de servir les intérêts de certaines

puissances, etc.) et augmente les chances de succès.

On assiste donc à un certain croisement : d’un côté les opérations dont le fondement est le

Chapitre VI nécessitent l’accord de l’Etat hôte tout en sachant qu’il ne suffit pas, et de l’autre,

pour les opérations pour le déploiement desquelles un tel accord n’est pas obligatoire (celles

ordonnées sur le fondement du Chapitre VII), le Conseil de Sécurité cherche tout de même à

l’obtenir.

En résumé, comme le déclarait le Secrétaire Général Boutros BOUTROS GHALI, « la pierre

angulaire de l’édifice [des opérations de paix] est et doit demeurer l’Etat, et le respect de la

souveraineté et de son intégrité constitue la condition de tout progrès international »75

.

*****

73

Déclaration du Conseil de Sécurité faite le 30 mai 1990, durant sa 2294e séance

74 LAGRANGE (Evelyne), Les opérations de maintien de la paix et le Chapitre VII de la Charte des Nations

Unies, op. cit., p. 22 75

« Agenda pour la paix », op. cit., paragraphe 17

31

De l’étude de ce premier point consacré à la création des opérations de paix, deux évolutions

majeures ressortent.

La première concerne l’aspect institutionnel, c'est-à-dire les organes compétents en la

matière : le Conseil de Sécurité a pris le relais de l’Assemblée Générale, qui avait davantage

répondu à un besoin ponctuel (la crise de Suez). Cette modification du cadre juridique est

justifiée au regard des dispositions de la Charte (articles 10, 11 paragraphe 2 et 24 de la

Charte principalement) et de la réalité du terrain (besoin de réponses rapides et fortes). Pour le

moment, il ne semble pas nécessaire de poser cette règle par écrit tant elle est respectée en

pratique. Le risque de « confusion des pouvoirs »76

entre les deux organes, craint par le

Professeur Jacques BALLALOUD, s’est estompé.

La deuxième évolution tient au fondement juridique des actions entreprises au cours de ces

opérations. Alors que les premières opérations de paix reposaient sur un virtuel « Chapitre VI

et demi », les opérations plus récentes, principalement celles consistant à l’imposition de la

paix, étaient fondées sur le Chapitre VII de cette Charte. Ce changement est tout à fait justifié

et même nécessaire, dans la mesure où les mandats fixés ont considérablement évolué

(d’opérations d’interposition, nous sommes passés à des missions coercitives). La pratique a

donc dicté un changement de fondement juridique.

En revanche, la référence au « Chapitre VI et demi » pour les premières opérations, même si

elle est habile, ne parait pas suffisante comme fondement juridique. Une voie de progrès serait

que le Conseil de Sécurité généralise sa pratique consistant à diviser ses résolutions en

fonction de leur fondement juridique, en indiquant clairement ceux-ci. Outre la mention

« agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte de l’ONU » pourrait donc figurer

l’inscription « agissant en vertu du Chapitre VI de la Charte de l’ONU ».

Ceci aurait un triple intérêt. Tout d’abord, l’assise juridique des opérations de paix serait

renforcée. Ensuite, ceci consoliderait la légitimité du Conseil de Sécurité, dont la compétence

serait clairement établie. Enfin, ceci pourrait influer sur la pratique politique internationale :

établir des fondements juridiques précis sert de garde fou et, permet la prise d’initiatives

politiques

L’élaboration des opérations de paix se joue également au niveau de leur financement.

76

BALLALOUD (Jacques), L’ONU et les opérations de maintien de la paix, Paris, A. Pedone, 1971, 239 p.

32

II. Le financement des opérations de paix : point le plus abouti du cadre juridique

Avant d’être déployée sur le terrain, une OP doit, non seulement être créée, en principe, par

une résolution du Conseil de Sécurité, mais aussi être dotée d’un budget.

Le budget global des opérations de paix des Nations Unies a considérablement augmenté.

Alors qu’il n’était « que » de soixante neuf milliards de dollars pour l’ensemble des

opérations lancées entre 1948 (si on inclut l’ONUST et le UNMOGIP qui, sans être de

véritables OP, les ont initiées) et 2010, ce budget s’est élevé à plus de sept milliards de dollars

pour la seule année 2011. Outre l’augmentation du coût de la vie (inflation, matériel de plus

en plus sophistiqué, personnel de plus en plus qualifié…), l’augmentation du nombre de ces

opérations en est la principale explication.

Le budget des OP est considérable : il est presque trois fois supérieur au budget ordinaire de

l’ONU77

(plus de sept milliards de dollars contre environ deux milliards et demi de dollars).

En revanche, il représente moins d’un pour cent du budget militaire mondial, autant qu’un

seul mois de guerre en Irak78

; de même, « les nations ne consacrent en moyenne que 1,41

dollar au maintien de la paix pour chaque millier de dollars qu’elles attribuent à leurs

propres forces armées »79

.

Plusieurs questions sont soulevées : comment, et selon quelles règles, le budget des opérations

de paix est- il élaboré ? Ces règles ont-elles toujours été les mêmes ? Sont-elles suffisantes

aujourd’hui ?

Alors que les premières opérations ont été inscrites au budget ordinaire de l’Organisation (A),

un cadre juridique particulier a, par la suite, été élaboré et mis en place (B).

77

Le budget de l’ONU se compose du budget ordinaire (Fonds général, approuvé pour une période de deux ans

par l’Assemblée Générale), du budget lié au coût des tribunaux spéciaux et du budget des opérations de paix. 78

COULON (Jocelyne), Guide du maintien de la paix, Montréal, Editions Athéna, coll. CEPES, éd. 2007, 2006,

278 p. 79

« Financement de l’Organisation des Nations Unies : le prix de l’efficacité », Rapport du Groupe consultatif

indépendant sur le financement de l’ONU coprésidé par Shijuro OGATA et Paul VOLCKER, remis le 11

octobre 1993

33

A. L’inscription des dépenses des premières opérations au budget ordinaire

de l’ONU

La décision d’inscrire les dépenses liées aux opérations ONUC et FUNU au budget ordinaire

de l’ONU, sur le modèle de ce qui c’était passé pour l’ONUST et l’UNMOGIP (1), a été

vivement critiquée (2).

1. Une « jurisprudence » ONUST et UNMOGIP ?

L’Assemblée Générale a appliqué la décision retenue pour l’ONUST et l’UNMOGIP (a) aux

opérations ONUC et FUNU (b).

a. Les précédents ONUST et UNMOGIP

Si la première véritable opération de paix a été la FUNU, elle a été largement inspirée des

opérations ONUST (Organisme des Nations Unies pour la Surveillance de la Trêve en

Palestine, crée en 1948) et UNMOGIP (Groupe d’Observateurs Militaires des Nations Unies

dans l’Inde et le Pakistan, déployé en 1949). Ces deux missions, qui sont toujours en place

bien que leurs mandats aient évolué, consistaient uniquement en de l’observation.

Comme il n’existait pas de règles propres à ce type d’opérations (aucune mention n’y est

explicitement faite dans la Charte) ni de précédents (l’ONU n’avait été créée que quelques

années auparavant, en 1945), les dépenses qu’elles entrainaient ont été inscrites au budget

ordinaire de l’Organisation, dont l’élaboration et l’approbation relèvent de la compétence de

l’Assemblée Générale.

Ces règles sont posées aux paragraphes 1 et 2 de l’article 17 de la Charte qui disposent :

« 1. L’Assemblée générale examine et approuve le budget de l’Organisation.

2. Les dépenses de l’Organisation sont supportées par les Membres selon la répartition fixée

par l’Assemblée générale ».

34

Dès lors, les dépenses qui résultent de ces opérations sont obligatoires, c'est-à-dire que les

Etats membres doivent s’en acquitter, selon un barème qui répartit entre eux les quotes-

parts80

.

D’autre part, en cas de manquement à leur contribution obligatoire, les Etats membres

s’exposent à des sanctions. Celles-ci sont prévues à l’article 19 de la Charte : « Un Membre

des Nations Unies en retard dans le paiement de sa contribution aux dépenses de

l'Organisation ne peut participer au vote à l'Assemblée générale si le montant de ses arriérés

est égal ou supérieur à la contribution due par lui pour les deux années complètes écoulées

[…] ».

L’Assemblée Générale a maintenu cette position lors d’opérations postérieures.

b. La transposition à l’ONUC et à la FUNU

La décision d’inscrire les dépenses liées à la FUNU (Force d’Urgence des Nations Unies dans

le Sinaï) au budget ordinaire de l’Organisation a été prise par l’Assemblée Générale, déjà à

l’origine de la création de cette opération (en vertu de la « Résolution Acheson »), en 1956,

sur le modèle de ce qui s’était passé pour l’ONUST et l’UNMOGIP. Ainsi, dans une

résolution de 1956, l’Assemblée Générale décide que ces dépenses devaient être « réparties

entre les Etats membres conformément au barème adopté par l’Assemblée Générale pour le

budget ordinaire »81

. Comme l’expose Yves DAUDET, « les implications d’une telle

résolution étaient lourdes : non seulement les membres permanents du Conseil de Sécurité

avaient perdu le contrôle sur ce type d’opérations mais ils se voyaient contraints d’en assurer

le financement ! »82

. Néanmoins la résolution a été appliquée dans un premier temps, avant

d’être remise en cause, à l’instar de ce qui s’est produit pour l’ONUC (Opération des Nations

Unies en République Démocratique du Congo).

80

Le régime des quotes-parts a été mis à jour par la Résolution A/RES/248 du 5 février 2010. A titre d’exemple,

les Etats-Unis sont les premiers contributeurs, à hauteur de 22%. Cet ensemble de règles a été adopté en

application de l’article 17 paragraphe 2 de la Charte qui dispose « les dépenses de l’Organisation sont

supportées par les Membres selon la répartition fixée par l’Assemblée Générale ». 81

A/RES/1089, 21 décembre 1956 82

DAUDET (Yes), MORILLON (Philippe), SMOUTS (Marie Claude), La vision française des opérations de

maintien de la paix, op. cit., p. 29

35

L’Assemblée Générale, dans la continuité de ses précédentes prises de position, décida

d’appliquer la même décision à l’ONUC.

A cause du véto soviétique au Conseil de Sécurité, l’Assemblée Générale, sur le fondement de

la « résolution Acheson » a été saisie pour résoudre la crise et élargir le mandat de la Force

déjà présente sur place (depuis 1960)83

. Cette modification du mandat de la Force a été

vivement critiquée, principalement par la France, qui y voyait, entre autres, une remise en

cause de la souveraineté des Etats, et l’URSS pour qui cette décision était destinée à

l’empêcher d’accroitre son influence en Afrique. L’opposition était telle que ces deux

puissances refusèrent de verser leurs contributions, à partir de 1961.

La lutte contre l’inscription des dépenses des opérations de paix au budget ordinaire était

lancée.

2. Une décision remise en cause

Cette décision a été vivement contestée et a donné lieu à un avis consultatif de la Cour

Internationale de Justice, en 1962 (a). Face au blocage, des propositions alternatives ont été

formulées (b).

a. Les contestations et l’avis consultatif de la CIJ de 1962

Les contestations, qui couvaient depuis la FUNU et qui ont éclaté à propos de l’ONUC, ont

été menées par la France et l’URSS. Outre les arguments politiques énoncés précédemment

(intervention en Afrique, protection de l’indépendance nationale…), ces deux puissances ont

axé leurs critiques sur le déséquilibre qu’une telle décision entrainerait sur la répartition des

pouvoirs entre l’Assemblée Générale et le Conseil de Sécurité de l’ONU. Alors que le Conseil

de Sécurité est investi de la « responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité

internationales »84

, l’Assemblée Générale s’auto octroierait le pouvoir de créer et de fixer le

mode de financement des opérations de paix.

83

L’ONUC a été créée par la résolution S/RES/143 (1960), du 14 juillet 1960, du Conseil de Sécurité. 84

Article 24 paragraphe 1 de la Charte

36

La France et la Russie ont également argué de l’ « inconstitutionnalité »85

des mesures prises

par l’Assemblée Générale. Selon elles, l’AG ayant créé la FUNU, puis élargi le mandat de

l’ONUC, sur le fondement de la « Résolution Acheson » dont elles contestaient la validité, ne

pouvait valablement prendre de décisions concernant le financement des OP. L’AG agirait en

violation de la Charte.

Face à cette situation, l’Assemblée Générale adopta, le 21 décembre 1961, la résolution 1731

par laquelle elle demandait à la Cour Internationale de Justice (CIJ) un avis consultatif sur la

question suivante : « les dépenses autorisées par les résolutions de l’Assemblée Générale […]

relatives aux opérations des Nations Unies au Congo [et] aux opérations de la Force

d’urgence des Nations Unies [...] constituent-elles des dépenses de l’Organisation au sens du

paragraphe 2 de l’article 17 de la Charte des Nations Unies ? »86

.

Dans cet avis, la CIJ a exclusivement traité de la qualification juridique des dépenses

engagées dans le cadre des opérations de paix et non de la validité juridique des décisions

prises par l’AG en vertu de la « résolution Acheson », contrairement à ce que souhaitait la

France. Cette dernière avait proposé de modifier la question posée à la Cour en ajoutant les

mots « ont-elles été décidées conformément aux dispositions de la Charte ? »87

, amendement

largement rejeté.

Au terme de l’avis, la Cour répond positivement à la question posée, en concluant que les

dépenses engagées pour les opérations de paix sont bien « des dépenses de l’Organisation au

sens de l’Article 17 paragraphe 2 de la Charte »88

. Il en résulte que les dépenses liées aux

opérations FUNU et ONUC sont des dépenses de l’Organisation, donc seule l’Assemblée

Générale peut en fixer la répartition entre les membres89

. Cet avis fut approuvé par

l’Assemblée Générale90

, mais refusé par l’URSS et la France qui ne remettaient pas

explicitement en cause la qualification de « dépenses de l’Organisation »91

mais les

85

DAUDET (Yes), MORILLON (Philippe), SMOUTS (Marie Claude), La vision française des opérations de

maintien de la paix, op. cit., p. 108 86

A/RES/1731 (XVI), 21 décembre 1961 87

THIERRY (Hubert), « L'avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur certaines dépenses des

Nations-Unies (art. 17, § 2 de la Charte) », A.F.D.I., 1962 – 8, p. 247 - 276

88 CIJ, Certaines dépenses des Nations Unies (article 17 paragraphe 2 de la Charte), avis consultatif, 20 juillet

1962, CIJ Recueil 1962, p. 151 et suiv.

89 Cf. supra article 17 paragraphe 2 de la Charte

90 A/RES/1854 (XVIII), 19 décembre 1962

91 CIJ, Certaines dépenses des Nations Unies (article 17 paragraphe 2 de la Charte), avis consultatif, 20 juillet

1962, CIJ Recueil 1962, p. 151 et suiv.

37

conséquences de celle-ci, à savoir, pour l’époque, l’application des règles propres au budget

ordinaire, c'est-à-dire une possibilité de sanction (article 19 de la Charte) et une main mise

générale de l’Assemblée Générale au détriment du Conseil de Sécurité.

Afin de surmonter cette opposition, des propositions ont été formulées.

b. Les propositions alternatives

Dans un premier temps, et pour « financer le déficit résultant des quotes-parts non acquittées

et pour lancer de nouvelles opérations de maintien de la paix, [diverses formules ont été

utilisées comme] le financement par les parties les plus directement concernées ou le recours

aux contributions volontaires »92

.

Dans un second temps et pour trouver une solution sur le long terme, trois propositions

majeures ont émergé93

. L’objectif principal était de fixer des règles spécifiques aux opérations

de paix de façon à sortir du cadre du budget ordinaire pour que finalement tous les Etats

membres s’acquittent de leur contribution.

Un premier pôle regroupant des Etats tels que les Etats-Unis, le Canada, l’Australie, la

Nouvelle Zélande et les pays scandinaves, ainsi que le Secrétaire Général de l’époque,

Monsieur U THANT (reprenant le travail de son prédécesseur, Monsieur Dag

HAMMARSKJOLD) proposait d’adopter un budget spécial, tout en appliquant le même

barème que pour le budget ordinaire.

Le deuxième groupe, constitué pour l’essentiel des démocraties populaires de l’époque

(URSS et Chine en tête), voyait dans les opérations de paix une agression et considérait, par

conséquent, que « ces dépenses devaient être financées par ceux là même des pays qui ont

précipité la crise ou plus simplement les agresseurs »94

.

92

DORMOY (Daniel), « Aspects récents de la question du financement des opérations de maintien de la paix de

l’Organisation des Nations Unies », A.F.D.I., 1993 – 33, p. 131 - 156 93

Ces propositions sont exposées dans le détail par Katansi R. LWAMBA, dans sa thèse intitulée Le financement

et la liquidation d’une opération de maintien de la paix, soutenue, en 1973, devant un jury de l’Université Paris

2 Panthéon Assas (Directeur : Professeur Paul REUTER), 602 p. 94

Ibid., p. 72

38

La dernière proposition était celle des pays d’Amérique centrale et d’Amérique latine. Elle

reposait sur trois éléments. Premièrement, ces pays ne voyaient pas d’inconvénients à

contribuer aux opérations de paix même si, dans l’ensemble, ils n’en étaient pas à l’origine.

Deuxièmement, ils considéraient, en reprenant à leur compte une partie des arguments

français et soviétiques, qu’il fallait sortir du cadre du budget ordinaire car, les dépenses liées

aux opérations de paix étant imprévisibles, il n’était pas envisageable d’appliquer des

sanctions, comme le permettait l’article 19 de la Charte. Enfin, ils proposaient que « la

responsabilité principale du maintien de la paix et, par la suite, le financement de celui-ci

[incombent] aux membres permanents du Conseil de Sécurité »95

.

Le régime juridique finalement adopté s’est largement inspiré de cette proposition.

B. La constitution d’un régime juridique particulier

Les bases d’un nouveau régime concernant le financement des opérations de paix ont été

établies par la résolution 187496

de l’Assemblée Générale, avant d’être développées par

résolutions 310197

et 55/23598

de l’AG (1). Bien que cet aspect du cadre juridique des

opérations de paix soit particulièrement élaboré, plusieurs points pourraient encore être

améliorés (2).

1. Les résolutions 1874 et suivantes

La résolution 1874 a posé les cinq grands principes sur lesquels repose ce nouveau régime

juridique. La volonté affichée est de tenir compte de la situation économique particulière des

Etats membres (a), exception faite des membres permanents du Conseil de Sécurité (b). .

95

Ibid., p. 74 96

A/RES/1874, 27 juin 1963 97

A/RES/3101, 11 décembre 1973 98

A/RES/55/235, 30 janvier 2001

39

a. L’attention portée à la situation économique des Etats

Par souci d’actualité et de clarté, seule la résolution la plus récente sera citée, à savoir la

résolution 55/235 de 2001, intitulée « Barème des quotes-parts pour la répartition des

dépenses relatives aux opérations de maintien de la paix des Nations Unies », étant donné

qu’à une exception près, la situation est la même qu’en 1963.

En vertu du premier principe, les Etats membres sont obligés de contribuer au financement

des OP : « Tous les États Membres de l’Organisation des Nations Unies sont collectivement

responsables du financement de ces opérations et, en conséquence, les dépenses relatives aux

opérations de maintien de la paix sont des dépenses de l’Organisation qui doivent être

supportées par les États Membres, en application du paragraphe 2 de l’Article 17 de la

Charte des Nations Unies »99

. Cette fois, la qualification de « dépenses de l’Organisation » ne

pose pas de problème dans la mesure où un régime particulier a été mis en place. La règle est

donc la même pour tous : tous doivent contribuer.

En revanche, et ce sera le second principe, les modalités de cette participation vont évoluer

par rapport aux règles fixées pour le budget ordinaire. « Pour couvrir les dépenses résultant

de telles opérations, il convient d’appliquer une formule différente de celle en vigueur pour

les dépenses inscrites au budget ordinaire de l’Organisation des Nations Unies »100

. La

requête de la France et de l’URSS, formulée dès 1961, a donc abouti, du moins en partie. En

effet, jusqu’en 2001, le barème était effectivement différent de celui applicable au budget

ordinaire. Depuis, l’Assemblée Générale a décidé d’adopter le même barème que pour le

budget ordinaire mais assorti d’un mécanisme de dégrèvement. En d’autres termes, la quote-

part initiale d’un Etat membre est pondérée selon un pourcentage établi en fonction de

l’appartenance de l’Etat à une des dix catégories créées selon le niveau du produit national

brut par habitant (PNB) de l’Etat comparé à celui moyen de l’ensemble des Etats membres

(environ cinq mille dollars)101

. Par exemple, pour les Etats dont le PNB est inférieur à celui

moyen des autres Etats membres, leur quote-part sera dégrevée de 80%. Le système, même

s’il s’inspire de celui du budget ordinaire, en est donc distinct.

99

A/RES/55/235, ibid., paragraphe 1.a) 100

A/RES/55/235, op. cit., paragraphe 1.b) 101

Cf. infra, ANNEXE 2

40

D’ailleurs, le troisième principe justifie cette différence de traitement entre les membres de

l’Organisation : « Si les pays économiquement développés sont en mesure de verser des

contributions relativement plus importantes aux opérations de maintien de la paix, les pays

économiquement peu développés ont une capacité relativement limitée de contribuer au

financement des opérations de maintien de la paix qui entraînent de lourdes dépenses »102

.

Les Etats peuvent choisir de relever d’une catégorie supérieure à celle à laquelle ils

appartiennent normalement et donc de contribuer davantage. C’était notamment le cas en

2001 pour quatorze Etats, dont la Turquie, Israël, la Hongrie, etc.

Enfin, le quatrième principe consiste à porter une attention particulière à l’Etat d’accueil de

l’opération, c'est-à-dire celui qui connait une crise : « Lorsque les circonstances le justifient,

l’Assemblée générale devrait prendre spécialement en considération la situation des États

Membres qui sont victimes des événements ou actions donnant lieu à une opération de

maintien de la paix, et celle des États Membres qui sont impliqués de quelque autre manière

dans lesdits événements ou actions »103

. En effet, la plupart des opérations ont été menées

dans des pays en crise et disposant de peu de moyens (en Afrique essentiellement).

La situation particulière des membres permanents du CS est également prise en compte, mais

dans une logique totalement différente, voire inversée.

b. La situation particulière des membres permanents du Conseil de

Sécurité

Une exception concerne les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité (Etats-Unis,

URSS devenue Russie, Chine, Royaume-Uni et France): « Les responsabilités spéciales qui

incombent aux membres permanents du Conseil de sécurité touchant le maintien de la paix et

de la sécurité doivent être prises en compte pour le calcul de leurs contributions au

financement des opérations ayant trait à la paix et à la sécurité »104

. Ce cinquième principe

découle de l’article 24 paragraphe 1 de la Charte par lequel les Membres de l’ONU

« confèrent au Conseil de Sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et la

102

A/RES/55/235, op. cit., paragraphe 1.c) 103

Ibid., paragraphe 1.e) 104

Ibid.., paragraphe 1.d)

41

sécurité internationales ». Ainsi, à l’inverse de tous les autres membres, leurs quotes-parts ne

sont pas diminuées mais augmentées105

. Par exemple, alors que les Etats-Unis contribuent à

22% du budget ordinaire de l’ONU106

, leur participation s’élève à 27,17% du budget des

opérations de paix107

.

Ce principe soulève une interrogation majeure : les membres permanents ne vont-ils pas

brader leur mission ? En d’autres termes, ne vont-ils pas, au mieux « choisir » les missions qui

revêtent un intérêt particulier à leurs yeux, au pire rechigner à exercer leur « responsabilité

principale » (article 24 de la Charte) étant donné les montants plus élevés de leurs

contribution et la situation économique actuelle ?

Bien que ce risque existe, il doit être néanmoins relativisé. Les critiques à l’égard

d’éventuelles manipulations se font de plus en plus rares108

. De même, les cinq Etats

concernés semblent être conscients de leur rôle particulier. Dans un discours prononcé devant

l’Assemblée Nationale, le 8 novembre 1995, le rapporteur de la Commission des Affaires

étrangères français de l’époque, Monsieur Roland NUNGESSER, déclarait : « la France est

fidèle à sa vocation historique, fidèle au principe inspiré par le Général de Gaulle de

l’indépendance de la Nation pour la sauvegarde de la paix. [Elle] sert un intérêt manifeste,

qu’il soit vital ou stratégique ou qu’il relève de [son] statut de grand puissance »109

.

En pratique, les budgets des opérations de paix sont propres à chaque opération ; il n’existe

pas à un seul budget commun à toutes les OP. Ils sont élaborés de la manière suivante : « le

Secrétaire général soumet le projet de budget au Comité consultatif pour les questions

administratives et budgétaires (CCQAB), qui l’examine et formule des recommandations qu’il

soumet à l’examen et à l’approbation de la Cinquième commission de l’Assemblée générale.

En définitive, le budget est approuvé par l’Assemblée générale en plénière »110

. Le cycle

105

Cf. infra, ANNEXE 3 106

A/RES/64/248, 5 février 2010 107

A/RES/64/220, 31 décembre 2009 108

Depuis le début des années 2000, seuls les liens entre la France et l’ONUCI (Opération des Nations Unies en

Côte d’Ivoire), mise en place en 2003, ont parfois été critiqués, à cause du mandat conféré à la force française

Licorne (S/RES/1975, 30 mars 2011). Dans un article publié le 6 avril 2011, sur le site internet Le Post, le

journaliste Antoine GLASER déclarait ainsi : « l’ancienne puissance coloniale est la plus mal placée pour

intervenir en Côte d’Ivoire ». 109

NUNGESSER (Roland), discours prononcé le 8 novembre 1995 devant l’Assemblée Nationale, cité par

DAUDET (Yes), MORILLON (Philippe), SMOUTS (Marie Claude), La vision française des opérations de

maintien de la paix, op. cit., p. 111 110

Document intitulé « Financer les opérations », publié par l’ONU et disponible sur le lien suivant :

http://www.un.org/fr/peacekeeping/operations/financing.shtml

42

budgétaire s’étend normalement du 1er juin au 30 mai pour les opérations déjà en cours, ou

pour une durée de douze mois pour celles mises en place en cours d’exercice budgétaire.

Plusieurs points pourraient cependant être encore améliorés.

2. Les progrès restant à accomplir

Deux points attirent tout particulièrement l’attention (a) et appellent des solutions (b).

a. Les points pouvant encore être améliorés

Le premier concerne le mécanisme de sanction : il n’existe en réalité aucune sanction

applicable aux Etats membres qui manqueraient à leurs contributions obligatoires. Ceci pose

un réel problème, dans la mesure où la somme des arriérés est désormais considérable : « ils

devaient encore, au 13 octobre 2011, environ 3,30 milliards de dollars en courant et en

arriérés »111

.

La seule possibilité de sanction en matière budgétaire, pour l’Assemblée Générale, est prévue

à l’article 19 de la Charte cité précédemment, à savoir la suspension du droit de vote. Or,

comme nous l’avons vu, c’est précisément cet article qui était contesté par un certain nombre

de pays et qui a conduit à l’adoption de ce cadre juridique particulier. Le Secrétaire Général

peut uniquement adresser des rappels aux Etats fautifs.

Le deuxième point tient au lancement des opérations : compte tenu du délai mis à la

préparation et à l’adoption du budget spécial, la situation est problématique lors du

déploiement des opérations.

Face à cela des solutions ont été proposées, ou peuvent encore être formulées.

111

Ibid., paragraphe « combien coutent les opérations de maintien de la paix ? »

43

b. Les solutions envisageables

Comme le rappelle le Professeur Daniel DORMOY, « l’ONU a déjà expérimenté plusieurs

techniques : […] l’Assemblée générale a aussi invité les Etats à verser des contributions

volontaires qui, lorsqu’elles le sont en espèces, constituent des avances remboursables, [elle a

également cherché] à emprunter des fonds sur d’autres comptes d’opérations en cours [et] à

suspendre certaines dispositions du règlement financier pour certaines opérations, permettant

de conserver provisoirement les soldes excédentaires en fin d’exercice »112

.

D’autres solutions ont également été mises en place, avec une vision plus lointaine, à savoir le

recours à trois différents fonds.

L’Assemblée Générale a tout d’abord créé un « Fonds de réserve pour les opérations de

maintien de la paix »113

. Ce fonds, d’un montant normal de cent cinquante millions de dollars,

est approvisionné par des « prélèvements à titre d’avance, remboursables à mesure que les

Etats membres acquittent leurs contribution pour chaque opération »114

.

Ensuite, le « fonds de roulement », créé en 1946 et doté en principe de cent millions de

dollars, « constitue la principale source de réserves pour le budget ordinaire »115

. Malgré cela

des « dépenses imprévues et extraordinaires afférentes aux opérations de maintien de la paix

peuvent être couvertes [mais seulement] en attendant que l’Assemblée générale ait pris une

décision quant à son financement »116

.

Enfin, le recours à l’emprunt est envisageable.

Malgré cela la situation est toujours aussi critique. En effet, les Fonds « ne disposeraient plus

de liquidités »117

, et l’Assemblée générale est réticente à autoriser le Secrétaire Général à

souscrire des emprunts118

.

112

DORMOY (Daniel), « Aspects récents de la question du financement des opérations de maintien de la paix de

l’Organisation des Nations Unies », op. cit., p. 143 113

A/RES/47/217, 23 décembre 1992 114

DORMOY (Daniel), « Aspects récents de la question du financement des opérations de maintien de la paix de

l’Organisation des Nations Unies », op. cit., p. 144 115

Ibid., p. 145 116

Ibid., p. 146 117

Ibid., p. 146 118

Ibid., p. 147

44

De plus, compte tenu du contexte économique international actuel (crise financière puis

économique), il parait peu réaliste de vouloir modifier en profondeur ce mécanisme en

instituant un système de sanctions, permettant à l’Organisation de recouvrer une partie des

arriérés qui lui sont dus. Les Etats n’accepteraient probablement pas une telle mesure. Par

conséquent le renflouement des Fonds parait compliqué : les ressources financières publiques

se font rares et les Etats peu prêteurs.

Une solution pourrait être de contourner ces deux problèmes. Au lieu de chercher à les

affronter de face (vouloir que les Etats paient à tout prix leurs contributions alors qu’ils ne le

peuvent pas forcément), il s’agirait de diversifier les sources de revenus. On pourrait donc

imaginer un double mécanisme, à la fois obligatoire et volontaire. Obligatoire par la

perception de taxes sur le commerce international (le Professeur Daniel DORMOY propose

par exemple une « perception d’un droit sur les ventes d’armes »119

). Un mécanisme similaire

existe déjà, à travers la taxe de solidarité sur les billets d’avion qui vise, à travers un

prélèvement de un à quarante euros, à financer l’organisme international UNITAID. Cette

taxe, créée en 2005 à l’initiative des Présidents français Jacques CHIRAC et brésilien Luiz

Ignatio LULA, est appliquée dans vingt cinq pays. Cette proposition est donc réaliste et

réalisable.

Le mécanisme volontaire consisterait à ce que l’Assemblée Générale mette en place un

« fonds de la paix », une idée formulée dès 1963 par le Ghana120

, auquel pourrait contribuer

des fondations privées, des entreprises, etc.

Face à ces propositions, le Professeur Daniel DORMOY formulait des réserves, les jugeant

« ni pratiques, ni réalisables »121

, arguant notamment du fait que la Charte prévoyait

clairement que « les dépenses de l’Organisation sont supportées par les Membres »122

.

On pourrait cependant rétorquer que, depuis 1993, époque où il a écrit son article, la situation

a considérablement évolué. Il parait aujourd’hui quasiment impensable de rejeter d’autres

sources de financement. Une interprétation évolutive de la Charte pourrait donc être avancée,

dans la mesure où l’idée d’un financement exclusivement assuré par les Etats n’y figure pas.

119

Ibid., p. 151 120

Ibid., p. 151 121

Ibid., p. 151 122

Article 17 paragraphe 2 de la Charte

45

Les Etats-Unis, entre autres, proposaient d’adopter un budget unique pour l’ensemble des

opérations de paix, et non un par opération123

. Ceci semble compliqué à mettre en œuvre car

les dépenses liées aux opérations de paix, et plus particulièrement les nouvelles, sont

difficilement prévisibles. De plus, le fait que les budgets soient séparés les uns des autres

permet un meilleur contrôle et évite ainsi que les données soient perdues dans une masse

d’informations.

*****

Le mode de financement des opérations de paix apparait comme le point le plus abouti du

cadre juridique général des OP. Alors qu’initialement, il n’existait aucune règle en la matière,

en dehors de celles applicables au budget ordinaire, l’Assemblée Générale, organe compétent

par principe en matière budgétaire, a adopté un véritable arsenal juridique, à partir de 1963.

Cette évolution est une nouvelle fois la preuve que, lorsque des intérêts vitaux sont en

présence, ici les finances, les Etats arrivent à s’accorder.

Les principes qui fondent ce nouveau système semblent justes et équitables car ils prennent en

compte la situation économique des Etats et leur responsabilité particulière sur la scène

internationale, tout en évitant une instrumentalisation de telle ou telle opération (en répétant

que ces dépenses sont obligatoires). Ce système n’est évidemment pas parfait ; il sera sans

doute amené à évoluer, probablement dans le sens d’une diversification des ressources.

Pour l’heure, les Etats restent au cœur du processus, à travers le mécanisme des contributions

obligatoires puisque, comme le rappelle le Professeur Daniel DORMOY, « toutes les études,

tous les experts soulignent que les problèmes de financement des Nations Unies n’existeraient

pas […] si les Etats s’acquittaient de leurs contributions intégralement et

ponctuellement »124

.

Une fois créée et dotée d’un financement, une opération de paix peut être déployée sur le

terrain et les missions mises en œuvre.

123

HATTO (Ronald), ONU et maintien de la paix : propositions de réforme – De l’agenda pour la paix au

rapport Brahimi, Paris, L’Harmattan, coll. Logiques politiques, 2006, 160 p. 124

DORMOY (Daniel), « Aspects récents de la question du financement des opérations de maintien de la paix de

l’Organisation des Nations Unies », op. cit., p. 151

46

Deuxième Partie :

La mise en œuvre des opérations de paix des Nations Unies

Alors que l’Assemblée Générale et Conseil de Sécurité sont les acteurs de la préparation des

opérations de paix, ils ne sont plus autant exposés lorsque les opérations sont effectivement

déployées, même si leur participation demeure essentielle (renouvellement des mandats pour

le Conseil de Sécurité, vote régulier du budget pour l’Assemblée Générale, suivi des

opérations pour les deux à travers les rapports du Secrétaire Général).

D’autres acteurs des Nations Unies sont présents sur le terrain : le personnel civil,

(fonctionnaires détachés du Siège, contractuels spécialement recrutés à cette occasion), le

personnel militaire et le personnel de police, lui-même subdivisé entre les « policiers civils »

(assimilés à des civils et dont les missions consistent majoritairement en de l’assistance aux

forces de police locale), et les « policiers militaires » (assimilés à des militaires en charge de

maintenir l’ordre au sein des contingents).

Nous nous concentrerons sur le personnel militaire des opérations de paix des Nations

Unies125

, appelés « casques bleus ». Parmi le personnel actuellement déployé, ils sont les plus

nombreux, avec quatre vingt cinq mille militaires sur un total de cent vingt mille personnes

impliquées dans les seize opérations de paix en cours. Deux points méritent d’être examinés :

l’applicabilité du droit international humanitaire à leur égard (I) et leurs statut et condition

juridiques (II).

125

Il est à nouveau précisé qu’il est avant tout question ici du personnel militaire des opérations des Nations

Unies, c’est – à – dire soumis au Secrétaire Général, les « casques bleus », et non du personnel des opérations

menées sous l’égide de l’ONU, dont la conduite est laissée à un ou plusieurs Etat (s) membre (s), qui ne sont pas

des « casques bleus ».

47

I. L’applicabilité progressive du droit international humanitaire aux Forces

engagées dans les opérations de paix

Lorsqu’ils accomplissent les mandats fixés par le Conseil de Sécurité, les « casques bleus »

sont soumis au respect de certaines règles, et, en premier, les droits de l’Homme, énoncés

notamment dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme adoptée le 10 décembre

1948. « Les opérations de maintien de la paix des Nations Unies doivent évoluer dans le

respect total des droits de l’homme tout en essayant de faire avancer les droits de l’homme à

travers la mise en œuvre de leur mandat. […] Le personnel d’une opération de maintien de la

paix des Nations Unies, qu’il soit militaire, policier ou civil, devrait se conduire en

conformité avec le droit international en matière des droits de l’homme »126

.

Ceci n’est pas propre au personnel militaire et n’est contesté ni en temps de guerre ni en

temps de paix. L’article 20 de la « Convention sur la sécurité du personnel des Nations

Unies et du personnel associé », adoptée en 1994 et entrée en vigueur en 1999, dispose à cet

égard : « Aucune disposition de la présente Convention n'affecte :

a) L'applicabilité […] des normes universellement reconnues en matière de droits de l'homme

consacrés dans des instruments internationaux en ce qui concerne la protection des

opérations des Nations Unies ainsi que du personnel des Nations Unies et du personnel

associé, ou le devoir de ces personnels de respecter ledit droit et lesdites normes […] ».

En revanche, la question de l’applicabilité du droit international humanitaire (DIH) se pose.

Cet ensemble de normes, appelé également « jus in bello » ou « droit de la guerre », est

d’origine coutumière. Ces principes ont cependant été codifiés dans la Convention IV de la

Haye, de 1907, mais surtout dans les quatre Conventions de Genève de 1949 et le Protocole

additionnel I de 1977. Le DIH vise à protéger les non combattants, mais aussi à encadrer

certaines pratiques militaires (interdiction de l’utilisation de certaines armes, protection des

prisonniers de guerre, etc.).

Comme les opérations de paix n’étaient pas destinées initialement à mener des combats mais,

compte tenu du fait que cette situation a évolué (des actions coercitives sont désormais

possibles), la question est de savoir si le DIH s’applique et, dans l’affirmative, dans quel cas

et à quelles conditions.

126

Manuel intitulé « Opérations de maintien de la paix – Principes et Orientations », publié par l’ONU en 2008,

op. cit., p. 14 - 15

48

L’intérêt de cette question est primordial : il s’agit tout d’abord de préserver les populations

civiles et d’encadrer l’usage de la force par les « casques bleus », mais aussi de connaître le

niveau de protection des « casques bleus » contre les abus perpétrés par les parties au conflit

(sont- ils uniquement protégés par le DIH ou par d’autres normes ?).

Jusqu’aux années 1990, des hésitations ont perduré (A), puis l’applicabilité du DIH a été

reconnue, du moins en partie (B).

A. De l’origine des opérations de paix aux années 1990 : entre hésitation et

application à reculons du DIH

La conception initiale consistant à refuser l’applicabilité du DIH aux opérations de paix (1) a

été contestée par des institutions internationales de renom et une partie de la doctrine (2).

1. Une applicabilité récusée

Les arguments avancés pour refuser l’applicabilité du DIH ont été, principalement, de deux

ordres : un argument de principe (a) et un argument relatif aux critères d’application (b).

a. Un refus de principe

Le droit international humanitaire s’applique aux parties à un conflit, c'est-à-dire aux

combattants. Ainsi, l’article 2 de la première Convention de Genève de 1949 « pour

l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne »

dispose que « la présente Convention s'appliquera en cas de guerre déclarée ou de tout autre

conflit armé surgissant entre deux ou plusieurs des Hautes Parties contractantes ».

Etre considéré comme tel soulevait certaines critiques de la part de l’ONU : « dès le début, les

Nations Unies ont été réticentes envers l’application du droit international humanitaire. Elles

hésitaient à se placer sur un pied d’égalité avec les Forces de l’Etat cible des mesures ; elles

49

ne voulaient en aucun cas être assimilées à une partie au conflit »127

. L’ONU considère sa

place « au-dessus » des parties, tel un arbitre.

De plus, ce refus instaure une « discrimination » favorable à l’Organisation et ses « casques

bleus » qui ne sont pas liés par le respect des règles du DIH. Ceci rassure les Etats

fournisseurs de contingents. Bien que la responsabilité de ces Etats ne soit pas directement en

cause128

, il s’agit tout de même de leurs ressortissants, qui plus est des militaires.

En plus de cet argument théorique, les critères d’application ne semblaient pas être réunis.

b. L’absence de certains critères d’application

Pour que le droit international humanitaire soit applicable, au moins deux critères doivent être

remplis.

Selon le premier, les forces armées engagées dans le conflit doivent être sous le contrôle

effectif d’un sujet de droit international lié par ces règles. Par « contrôle effectif », il faut

entendre : « il s’agit de Forces d’une organisation internationale quand l’organisation

possède le contrôle stratégique sur les contingents engagés, d’une Force nationale quand les

contingents restent sous contrôle opérationnel étatique ». Comme vu précédemment, il ne

sera question ici que des Forces de l’ONU, les « casques bleus » qui sont effectivement sous

le contrôle de l’Organisation, à travers le Secrétaire Général.

Reste à savoir si l’ONU est liée par les obligations découlant du DIH. Or, selon Madame

Gloria GAGGIOLI, « les NU [Nations Unies] n’ont pas ratifié les CG [Conventions de

Genève] ni aucun instrument de DIH »129

. Cependant, le DIH étant d’origine coutumière, il

est susceptible de s’appliquer également à l’ONU. Ce point n’est d’ailleurs plus débattu :

127

KOLB (Robert), Droit humanitaire et opérations de paix internationales, Bruxelles, Bruylant, coll. Collection

de droit international public, 2002, 125 p. 128

Cf. infra, Deuxième Partie, II.B.1.b 129

GAGGIOLI (Gloria), Le rôle du droit international humanitaire et des droits de l’homme dans l’exercice des

pouvoirs de maintien de la paix du Conseil de Sécurité : rôle catalyseur ou rôle de frein ?, mémoire soutenu en

février 2005, devant un jury du Centre universitaire de droit international humanitaire (Directeur : Professeur

Robert KOLB), ayant obtenu le prix « Henry Dunant 2005 » et disponible sur le lien suivant :

http://www.prix-henry-dunant.org/sites/prixhd/doc/2005_Dissertation_Gloria_Gaggioli_fr.pdf

50

« chaque sujet, Organisation et Etat, reste toujours soumis à l’obligation secondaire

d’assurer le respect du droit international humanitaire en toute circonstance »130

.

La situation est différente en ce qui concerne le deuxième critère. Le DIH ne s’applique qu’en

cas de « conflit armé »131

. La difficulté réside dans le fait qu’il n’existe pas, dans le DIH, de

définition explicite d’un conflit armé. La doctrine s’accorde sur le fait qu’il doit s’agir

d’ « hostilités d’une certaine qualité »132

, par opposition à de simples troubles intérieurs par

exemple. Or, dans le cas des premières opérations de paix, les « casques bleus » n’avaient pas

l’autorisation de recourir à la force, les missions se limitant à l’observation, l’interposition. La

seule exception était relative à la légitime défense, à l’époque « très limitée, [concernant]

davantage la sûreté individuelle des membres que la sauvegarde collective et institutionnelle

de l’opération »133

. La légitime défense répondant à des critères stricts (existence d’une

agression armée, réaction proportionnée et immédiate), on considérait qu’il ne s’agissait pas

d’un conflit armé et qu’il n’y avait pas lieu d’appliquer le DIH.

Pour compenser ce refus d’appliquer in concreto le droit international humanitaire, une clause

a été intégrée dans les règlements des Forces engagées (édictés par le Secrétaire Général),

stipulant que les Forces devaient respecter « les principes et l’esprit »134

des Conventions

applicables en la matière. Cette clause, particulièrement imprécise, a été vivement critiquée.

2. Une conception remise en cause

Au fur et à mesure des années et des opérations de paix, le refus d’appliquer le DIH aux

Forces engagées dans les opérations de paix a été décrié par un nombre croissant

d’institutions et de personnalités (a) remettant en cause la validité des arguments avancés

jusqu’alors (b).

130

KOLB (Robert), Droit humanitaire et opérations de paix internationales, op. cit., p. 42 131

Cf. l’article 2 de la Première convention de Genève de 1949 sus mentionné 132

KOLB (Robert), Droit humanitaire et opérations de paix internationales, op. cit., p. 42 133

COMBACAU (Jean) et SUR (Serge), Droit international public, op. cit., p. 656 134

Cf. notamment l’article 43 du Règlement de l’ONUC, édicté en 1960

51

a. Une contestation élargie

Le Comité International de la Croix Rouge (CICR) et l’Institut de droit international ont été à

la pointe de la contestation. Ainsi, « lors du Congrès du Centenaire de la Croix Rouge

internationale tenu à Genève en 1963, une Résolution fut adoptée qui appelle les Nations

Unies et leurs Forces à respecter l’ensemble des dispositions des Conventions de Genève tout

en soulignant que ces Forces étaient en même temps protégées elles mêmes par ces

Conventions. On notera que cette Résolution récuse la notion limitatrice des « principes et de

l’esprit » au profit d’une applicabilité à part entière des Conventions »135

.

De même, l’Institut de Droit International a, très tôt, remis en cause cette conception stricte :

« dès 1963, dans le Préambule de sa résolution relative à « l’égalité d’application des règles

du droit de la guerre aux parties à un conflit armé », il est dit que « les obligations ayant

pour but de restreindre les horreurs de la guerre et imposées aux belligérants pour des motifs

humanitaires par les conventions en vigueur, par les principes généraux du droit, et par les

règles du droit international coutumier […] s’étendent […] aux actions entreprises par les

Nations Unies »136

.

Enfin, une partie importante de la doctrine a exprimé son opposition. Parmi les premiers

auteurs, on peut citer Messieurs TAUBENFELD, BOTHE, BOWETT et SEYERSTED137

.

Les arguments invoqués visaient principalement à répondre à ceux précédemment évoqués.

b. Les différents arguments avancés

Le premier argument est issu d’une constatation pragmatique : le mandat fixé pour les

opérations de paix a changé. De missions d’interposition, on est passé à des actions

coercitives, prises en vertu du Chapitre VII138

. Lorsqu’il fonde ses résolutions sur le Chapitre

VII, le Conseil de Sécurité envisage l’hypothèse d’un conflit armé. L’application du DIH ne

peut donc plus être écartée par principe, sur le seul fondement de la nature des opérations.

135

KOLB (Robert), Droit humanitaire et opérations de paix internationales, op. cit., p. 12 136

Ibid., p. 13 137

Robert KOLB présente la position de ces différents auteurs dans son ouvrage Droit humanitaire et opérations

de paix internationales, Ibid., p. 15 138

Cf. supra, Première Partie, I.B.

52

La doctrine est unanime pour dire que les attributs utilisés pour classer les opérations de paix

(opération de maintien de la paix, opération de rétablissement de la paix, etc.) n’influent en

rien sur l’applicabilité du DIH : « la qualification ou les missions d’une opération n’ont que

peu de pertinence pour l’applicabilité du droit international humanitaire. L’application de

celui-ci repose sur le simple fait de l’existence d’un conflit armé, c'est-à-dire d’hostilités

d’une certaine qualité. La nature, la qualification et les tâches des opérations n’indiquent

qu’un degré de probabilité factuelle »139

. Seule la réalité des combats compte.

Concernant les opérations apparemment non coercitives (majoritairement les opérations de

paix de première génération), le fait de dire que la légitime défense, seule hypothèse de

recours à la force dans ces cas, ne constitue pas un conflit armé en tant que tel est de plus en

plus remis en cause.

En effet, la légitime défense est utilisée de manière extensive : il ne s’agit plus seulement de

protéger les « casques bleus », mais parfois de « s’opposer aux tentatives d’obstruction à

l’accomplissement du mandat des forces de paix »140

. Ce fut par exemple le cas pour l’ex -

Yougoslavie141

. Ainsi, comme le conclut Monsieur Frédéric JORAM, « il n’est plus possible

aujourd’hui d’écarter d’emblée la question de l’applicabilité du droit des conflits armés,

malgré le caractère a priori non coercitif du mandat donné par le Conseil de Sécurité »142

.

Ces débats cachent une toute autre réalité qui n’est autre que celle la protection des « casques

bleus ». D’un côté, l’ONU et les Etats membres, spécialement les Etats contributeurs,

souhaitaient leur garantir une protection maximale contre les abus dont ils pourraient être

victimes. En estimant qu’il n’y a pas de conflit armé, on écarte l’application du DIH. Les

« casques bleus » doivent alors simplement respecter les droits de l’Homme, et bénéficient, en

contre partie, des immunités conventionnelles et coutumières qui sont plus larges que la

protection prévue pour les combattants dans le DIH143

. Cette protection a d’ailleurs été

codifiée dans la Convention, adoptée en 1994, intitulée « convention sur la sécurité du

personnel des Nations Unies et du personnel associé ».

139

KOLB (Robert), Droit humanitaire et opérations de paix internationales, op. cit., p. 42 140

JORAM (Frédéric), Les opérations de paix et l’obligation de respecter le droit humanitaire, op. cit., p. 123 141

Par l’article 9 de la Résolution S/RES/836 (1993) du 4 juin 1993, le Conseil de Sécurité autorise la

FORPRONU, « pour se défendre, à prendre les mesures nécessaires, y compris en recourant à la force, en

riposte à des bombardements par toute partie contre les zones de sécurité, à des incursions armées ou si des

obstacles délibérés étaient mis à l’intérieur de ces zones ou dans leurs environs à la liberté de circulation de la

FORPRONU ou de convois humanitaires ». 142

JORAM (Frédéric), Les opérations de paix et l’obligation de respecter le droit humanitaire, op. cit., p. 123 143

Cf. infra, Deuxième Partie, II.B.1.b

53

A l’inverse, le CICR et l’Institut de Droit International, etc. souhaitaient une application

élargie du DIH pour équilibrer les droits et devoirs des parties au conflit, dont feraient

désormais partie les « casques bleus ».

La seule véritable question est donc bien de savoir à partir de quel niveau il y a « conflit

armé » et donc quand le DIH doit être appliqué : au-dessus du seuil, les « casques bleus » sont

simplement protégés par le DIH, en dessous du seuil ils sont protégés, entre autres, par la

Convention de 1994.

La situation semble s’être débloquée dans les années 1990, avec d’un côté l’adoption de la

Convention de 1994 sus mentionnée qui protège les Forces en dehors des combats et, de

l’autre côté, la circulaire du Secrétaire Général de l’ONU, de 1999 qui traite de l’application

du DIH aux « casques bleus » pendant les combats.

B. De 1999 à nos jours : une évolution encore inachevée

La circulaire adoptée le 6 août 1999 par le Secrétaire Général constitue une avancée dans

l’applicabilité du DIH pendant les opérations de paix (1) même si certaines incertitudes

persistent encore (2).

1. Une étape majeure : l’adoption de la circulaire du 6 août 1999

La circulaire de 1999 n’est qu’un acte administratif (a) mais elle a une réelle portée (b).

a. La nature juridique de la circulaire de 1999

Edictée le 6 août 1999 par le Secrétaire Général de l’ONU, la circulaire est intitulée « respect

du droit international humanitaire par les Forces des Nations Unies »144

. S’interroger sur sa

nature juridique permet de connaître l’étendue de son application et ses destinataires.

144

ST/SGB/1999/13, 6 août 1999

54

En dépit des apparences, il ne s’agit que d’une circulaire, c'est-à-dire d’un acte administratif.

« Les termes employés dans la circulaire (« le SG édicte » ; « le SG promulgue » ; « la

circulaire entre en vigueur ») portent à croire qu’il s’agit d’un acte normatif. Or la CNU

n’attribue pas au SG le pouvoir de légiférer. Il s’agit dès lors uniquement d’un acte

administratif »145

.

En d’autres termes, à l’inverse des résolutions du Conseil de Sécurité par exemple, ce

document n’a pas de force obligatoire vis-à-vis des Etats membres146

. Il s’applique

exclusivement en interne à l’Organisation, donc aux « casques bleus ». En tant qu’organes

subsidiaires de l’ONU, les Forces « relèvent [en effet] d’un commandement intégré

multinational placé sous l’autorité du Secrétaire Général des Nations Unies »147

.

Bien que les dispositions de la circulaire ne concernent pas directement les Etats Membres,

elles s’appliquent aux Forces engagées, ce qui est l’essentiel dans la mesure où ce sont elles

qui mènent concrètement les opérations sur le terrain. Ceci renforce la portée de la circulaire.

b. La portée de la circulaire

La circulaire de 1999 constitue un progrès pour deux raisons. Tout d’abord, elle permet de

« concrétiser l’ancienne clause des principes et de l’esprit qui a marqué l’attitude des

Nations Unies dans ce domaine [en] repren[ant] et codifi[ant] à cet effet les principes

fondamentaux du droit international humanitaire applicable »148

.

Elle clarifie les règles applicables. Ainsi, les articles 5 et suivants rappellent les grands

principes du DIH : la « protection de la population civile » (article 5), les « moyens et

méthodes de combats » autorisés (article 6), le « traitement des civils et des personnes hors de

combat » (article 7), le « traitement des personnes détenues » (article 8) et la « protection des

blessés, des malades et du personnel médical et de secours » (article 9). L’article 2 de la

Circulaire précise néanmoins qu’il ne s’agit pas d’une liste exhaustive et que les règles

145

GAGGIOLI (Gloria), Le rôle du droit international humanitaire et des droits de l’homme dans l’exercice des

pouvoirs de maintien de la paix du Conseil de Sécurité : rôle catalyseur ou rôle de frein ?, op. cit., p. 59 146

L’article 25 de la Charte dispose que « les Membres de l’Organisation conviennent d’accepter et d’appliquer

les décisions du Conseil de Sécurité conformément à la présente Charte ». 147

JORAM (Frédéric), Les opérations de paix et l’obligation de respecter le droit humanitaire, op. cit., p. 25 148

KOLB (Robert), Droit humanitaire et opérations de paix internationales, op. cit., p. 19

55

énoncées « ne remplacent les lois nationales auxquelles le personnel militaire reste soumis

pendant toute la durée de l'opération ».

Ensuite, le champ d’application est mieux défini et répond en partie aux interrogations

soulevées par le CICR, la doctrine, etc. L’article premier, premier paragraphe, de cette

circulaire dispose : « 1.1 Les principes et règles fondamentaux du droit international

humanitaire énoncés dans la présente circulaire sont applicables aux forces des Nations

Unies […] dans les interventions de contrainte et dans les opérations de maintien de la paix

quand l'emploi de la force est autorisé dans l'exercice de la légitime défense ».

Cet article reprend deux arguments énoncés précédemment. Tout d’abord, la qualification des

opérations importe peu, le DIH pouvant s’appliquer désormais lors des opérations de maintien

de la paix traditionnelles. D’autre part, le DIH est susceptible de s’appliquer en cas de

légitime défense.

Ces deux améliorations paraissent justifiées par l’évolution de la nature des opérations.

La circulaire de 1999 constitue également une avancée dans la mesure où elle pose de

nouvelles règles, exposées par Madame Gloria GAGGIOLI : « par exemple, en ce qui

concerne les méthodes et moyens de combats, l’article 6 mentionne l’interdiction des mines

antipersonnel […]. Or, en ce qui concerne les mines anti personnel, peu d’Etats ont ratifié la

Convention d’Ottawa de 1997 qui interdit les mines antipersonnel. Quant au Protocole II

annexé à la Convention de 1980 sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines

armes classiques, il n’interdit pas l’emploi des mines antipersonnel mais se contente de

limiter l’emploi de ces armes »149

.

Dans la mesure où la circulaire n’est qu’un acte administratif, ces nouvelles règles ne

s’appliquent qu’aux Forces engagées, soumises à l’autorité du Secrétaire Général, et non aux

Etats Membres fournisseurs des contingents.

149

GAGGIOLI (Gloria), Le rôle du droit international humanitaire et des droits de l’homme dans l’exercice des

pouvoirs de maintien de la paix du Conseil de Sécurité : rôle catalyseur ou rôle de frein ?, op. cit., p. 59

56

Malgré cela, la circulaire est un progrès puisque, dans la lignée de l’article 20 de la

Convention de 1994 sur la « sécurité du personnel des Nations Unies et du personnel

associé » qui disposait qu’ « Aucune disposition de la présente Convention n'affecte :

a) L'applicabilité du droit international humanitaire […] en ce qui concerne la protection des

opérations des Nations Unies ainsi que du personnel des Nations Unies et du personnel

associé, ou le devoir de ces personnels de respecter ledit droit […] », elle pose explicitement

le principe de l’applicabilité du DIH aux Forces engagées dans les opérations de paix.

Plusieurs points pourraient néanmoins être encore améliorés.

2. Les améliorations envisageables

Des améliorations pourraient être apportées à deux niveaux : au niveau du déclenchement de

l’application du DIH (a) et au niveau du contenu de ce droit (b).

a. Le seuil de déclenchement de l’application du DIH

Le cœur du problème consistait à savoir à partir de quand il y avait conflit armé et donc

application du droit international humanitaire. A cette question, la circulaire de 1999

n’apporte pas de réponse explicite. L’article 1, paragraphe premier, de ce texte précise que

« les principes et règles fondamentaux du droit international humanitaire énoncés dans la

présente circulaire sont applicables aux forces des Nations Unies lorsque, dans les situations

de conflit armé, elles participent activement aux combats, dans les limites et pendant la durée

de leur participation ».

Quelques indices sont néanmoins donnés : la participation aux combats doit être active, c'est-

à-dire que les Forces doivent être réellement impliquées dans les combats, ce qui suppose

inversement que ces combats atteignent un certain niveau.

Il n’existe toutefois pas de définition précise du conflit armé, seuil de déclenchement du DIH.

Mais peut-il exister une telle définition ? Cela parait, en réalité, difficile à donner. En effet,

chaque situation, chaque théâtre d’opération est différent. Définir en détail un conflit armé

57

pourrait avoir des effets inverses à ceux souhaités : au lieu de permettre une application

élargie du DIH, via une définition extensive du conflit armé, on risque de restreindre le DIH à

des conflits limités.

Certes, comme l’explique le Professeur Robert KOLB, « il y a une tendance inverse d’élever

le seuil afin de rendre plus largement applicable la Convention de 1994 sur la protection du

personnel des Nations Unies »150

. Néanmoins, il ne s’agit que d’une tendance ; celle-ci peut

s’inverser dans les années à venir et une définition trop restrictive nuirait à l’applicabilité

élargie du DIH.

La notion de participation active aux combats semble suffisante, du moins en pratique

(échanges répétés de tirs, attaques délibérées…). D’autres points soulèvent des interrogations

plus sérieuses.

b. Les incertitudes concernant le contenu du DIH applicable

La première interrogation est la suivante : quel DIH s’applique ? Il existe deux catégories de

DIH : le DIH applicable aux conflits armés non internationaux (CANI) et le DIH applicable

aux conflits armés internationaux (CAI). En pratique l’ONU est amenée de plus en plus à

intervenir dans des conflits se déroulant à l’intérieure d’un même Etat et non entre deux

Etats151

. Les conséquences divergent : en cas de DIH applicable aux CANI, par exemple, la

qualification de « prisonnier de guerre » est plus difficilement octroyée. Or, les prisonniers de

guerre ont des droits particuliers énoncés notamment dans la troisième Convention de Genève

de 1949 et les deux Protocoles additionnels de 1977 (être relâché au terme des combats, ne

pas être jugé pour le simple fait d’avoir combattu, etc.).

La circulaire de 1999 ne parle ni de CANI ni de CAI, le Secrétaire Général mentionnant

uniquement « les principes et règles fondamentaux du droit international humanitaire »152

.

Cet oubli apparent est en réalité une marque de la volonté du SG ; il paraît vouloir dépasser

cette distinction qui ne pose, en matière d’opérations de paix, plus de réels problèmes. En

150

KOLB (Robert), Droit humanitaire et opérations de paix internationales, op. cit., p. 38 151

C’est, par exemple, le cas aujourd’hui avec l’ONUCI (Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire),

déployée en 2004, entre les différentes « forces politiques ivoiriennes » (S/RES/1528, 27 février 2004) 152

Article premier de la circulaire ST/SGB/1999/13, 6 août 1999

58

effet, l’ensemble de la doctrine s’accorde à dire que lorsque les Forces des Nations Unies sont

engagées dans un combat, c’est le DIH propre aux conflits armés internationaux qui

s’applique, car « le caractère international de l’organisation et du mandat attribué

internationaliseraient le conflit »153

.

En plus de la nature internationale des Forces, le DIH applicable aux CAI est plus favorable

aux combattants154

; les « casques bleus » bénéficieraient ainsi d’une meilleure protection. Ce

point n’appelle pas, du moins pour l’instant, de clarification positive (édiction de nouvelles

règles ou autre).

L’article 2 de la circulaire de 1999 dispose que « les présentes dispositions ne constituent pas

une liste exhaustive des principes et règles du droit international humanitaire qui s'imposent

au personnel militaire ». Quelles pourraient être les autres règles applicables ? Outre les lois

nationales, la doctrine s’est interrogée sur le sort des conventions ayant posé les bases ou

développé le DIH155

. Il semble qu’une codification soit nécessaire. En effet, « une grande

partie des dispositions [contenues dans les Conventions relatives au DIH] sont applicables,

parfois par voie de simple analogie, parfois avec quelques aménagements. Il n’y a que

quelques règles qui sont manifestement inadaptées aux conflits auxquels prennent part des

Forces internationales »156

. Ces règles concernent notamment « la neutralité ou les prises, les

puissances protectrices, sur certains droits et devoirs des puissances occupantes, et dans une

moindre mesure, celles sur la répression des infractions graves »157

.

On pourrait ainsi imaginer une nouvelle circulaire où le Secrétaire Général mentionnerait, par

renvoi aux Conventions adoptées en la matière, les règles applicables et spécifierait celles

devant être modifiées ou non appliquées.

Enfin, la compétence de la Cour Pénale Internationale, créée en 2002 mais dont le Statut a été

adopté en 1998, donc avant la circulaire de 1999, est limitée. Le Secrétaire Général a en effet

précisé qu’ « en cas de violation du droit international humanitaire, les membres du

153

KOLB (Robert), Droit humanitaire et opérations de paix internationales, op. cit., p. 60 154

Cf. notamment l’exemple des prisonniers de guerre sus mentionné 155

On peut saluer à cet égard le travail effectué par Robert KOLB, remarquable de précision et de clarté. Le

point 3. du C. de la première partie est exclusivement consacré à cette question. Cf. Droit humanitaire et

opérations de paix internationales, op. cit., p. 60 et suivantes 156

Ibid., p. 88 157

Ibid., p. 88

59

personnel militaire d'une force des Nations Unies encourent des poursuites devant les

juridictions de leur pays »158

. Cette question sera débattue ultérieurement159

.

*****

Après plusieurs années d’hésitation, le principe de l’applicabilité du droit international

humanitaire aux Forces engagées dans les opérations de paix a été clairement posé par le

Secrétaire Général de l’ONU, dans la circulaire édictée le 6 août 1999. Les conditions

déclenchant le seuil d’application du DIH ont, dans leur majorité, été explicitées. Certains

points, à l’instar des dispositions des conventions relatives au DIH, peuvent encore être

améliorés.

En tout état de cause, la situation est relativement claire : en cas de combats, les Forces sont

soumises et protégées par le DIH. Hors des combats, les « casques bleus » bénéficient d’une

certaine protection, envisagée notamment par la Convention de 1994. Un équilibre a donc été

trouvé entre protection des « casques bleus » et respect des normes du droit international.

Tout ceci amène à s’interroger sur le statut des Forces.

158

Article 4 de la circulaire ST/SGB/1999/13, 6 août 1999 159

Cf. infra Deuxième Partie, II.B.1.b

60

II. L’évolution du statut juridique des Forces engagées dans les opérations de paix

Compte tenu du fait que les « casques bleus » sont la catégorie des personnels des Nations

Unies la plus nombreuse sur le terrain (quatre-vingt-cinq mille soldats pour cent vingt mille

personnes en tout), la plus exposée aux risques (participation aux combats) et la plus

symbolique (les « casques bleus » sont mondialement connus ; ils ont même reçu le Prix

Nobel de la Paix en 1988), il est naturel de s’interroger sur leur statut juridique.

Cinq points méritent une attention particulière : le recrutement, la composition des Forces, les

privilèges et immunités dont elles bénéficient, le pouvoir disciplinaire exercé à leur encontre

et leur responsabilité.

Néanmoins, les sources de ce statut doivent être étudiées (A) préalablement à son contenu

(B).

A. La diversification des sources du droit définissant le statut juridique des

Forces

Deux périodes peuvent être distinguées : l’une allant du début des opérations de paix aux

années 1990, marquée par une certaine hésitation (1) et l’autre des années 1990 à nos jours

qui traduit une consolidation des sources du statut (2).

1. Du début des opérations de paix aux années 1990 : une pratique

fluctuante

Alors que les sources générales s’avéraient trop imprécises (a), on a assisté à l’élaboration

puis à l’abandon de normes pourtant plus spécifiques (b).

61

a. Des sources (trop) générales

Ayant le statut d’organes subsidiaires des Nations Unies, selon l’article 22 de la Charte pour

l’Assemblée Générale ou l’article 29 de cette même Charte pour le Conseil de Sécurité, les

Forces engagées dans les opérations de paix bénéficient des privilèges et immunités de

l’ONU. L’article 105 de la Charte dispose en effet que « l’Organisation jouit, sur le territoire

de chacun de ses Membres, des privilèges et immunités qui lui sont nécessaires pour atteindre

ses buts ».

La Convention adoptée en 1946, intitulée « Convention sur les privilèges et immunités des

Nations Unies » est venue complétée cet article. Cependant, comme le fait remarquer la

Professeur Evelyne LAGRANGE, les dispositions de la Charte et de la Convention de 1946

sont insuffisantes en ce qui concerne les « casques bleus » : « elles le sont rationae personae

parce que tous les Etats membres des Nations Unies ne sont pas partie à la Convention de

1946. Elles le sont également rationae materiae parce qu’elles ne s’appliquent qu’au

personnel des Nations Unies, et non aux membres des contingents nationaux »160

.

En effet, comme le disposera plus tard l’article III du Modèle d’accord sur le Statut des Forces

adopté en 1990, « la Convention sur les privilèges et les immunités des Nations Unies en date

du 13 février 1946 s’applique à l’opération de maintien de la paix des Nations Unies »161

.

C’est l’opération en tant que telle qui bénéficie de la Convention de 1946 et non chaque

membre des contingents.

Les normes générales que sont l’article 105 et la Convention de 1946 se sont donc révélées

insuffisantes pour traiter des privilèges et immunités des « casques bleus ». De plus, d’autres

points relatifs à leur statut juridique (pouvoir disciplinaire, rémunération, etc.) ne sont traités

dans aucun texte.

Le Conseil de Sécurité, quant à lui, n’aborde pas cette question dans ses résolutions, mais se

contente de renvoyer la question au Secrétaire Général. Par exemple, lorsqu’il créa la Force

des Nations Unies chargée d’observer le désengagement sur le plateau du Golan (FNUOD),

entre Israël et la Syrie, en 1974, le Conseil de Sécurité demande « au Secrétaire Général de

160

LAGRANGE (Evelyne), Les opérations de maintien de la paix et le Chapitre VII de la Charte des Nations

Unies, op. cit., p. 63 161

A/45/594, 9 octobre 1990

62

prendre les mesures nécessaires »162

à la constitution de la Force. Les résolutions des organes

de l’ONU ne permettent donc pas non plus de définir le statut juridique des « casques bleus ».

C’est pourquoi des normes plus spécifiques ont été adoptées.

b. La pratique évolutive des accords spécifiques

Afin de combler ces lacunes, les Secrétaires Généraux successifs de l’ONU ont, dès les

premières opérations, élaboré un certain nombre de textes permettant de définir la condition

des membres des contingents. Les plus intéressants sur cette question sont au nombre de

deux : l’accord entre l’ONU et l’Etat d’accueil sur le statut des forces (ci après « accord sur le

statut des forces ») et le règlement de la Force, appelé aussi accord entre l’ONU et les Etats

fournisseurs de contingents (ci après « règlement de la Force »). Nous reviendrons sur le

contenu de ces textes ultérieurement163

. Ces accords ont permis de définir un véritable statut

pour les « casques bleus ».

Alors que les règlements des Forces ont toujours été adoptés164

, la pratique des accords sur

leur statut a considérablement évolué, entre les premières opérations de paix, dans les années

1960 et les années 1990. Dans un premier temps, de tels accords ont été systématiquement

adoptés. Ce fut, par exemple, le cas pour la FUNU165

, l’ONUC166

ou l’UNFICYP167

(Force

des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre).

« La pratique des accords de statut tombe ensuite en désuétude »168

. Seuls les Règlements,

édictés par le Secrétaire Général sur autorisation de l’Assemblée Générale ou du Conseil de

Sécurité, ont perduré. Ceci peut s’expliquer par l’attention des Etats fournisseurs au sort

réservé à leurs contingents.

162

S/RES/350 (1974), 31 mai 1974 163

Cf. infra, Deuxième Partie, II.B. 164

On peut, par exemple, citer le Règlement ST/SGB/ONUC/1, du 15 juillet 1963, édicté pour l’ONUC. 165

Echange de lettres entre l’ONU et le Gouvernement d’Egypte, en date du 8 février 1957 166

Accord entre l’ONU et le Gouvernement de la République du Congo, en date du 27 novembre 1961 167

Echange de lettres entre l’ONU et le Gouvernement de Chypre, en date du 31 mars 1964 168

LAGRANGE (Evelyne), Les opérations de maintien de la paix et le Chapitre VII de la Charte des Nations

Unies, op. cit., p. 63

63

Mais « à la suite des nombreuses exactions, laissées impunies, commises à l’encontre des

forces de maintien de la paix », perpétrées notamment au Liban en 1986 et 1987 contre des

membres de la FINUL (Force Intérimaire des Nations Unies au Liban)169

, cette pratique a été

réactualisée, dès le début des années 1990. On a alors assisté à un renforcement du statut

juridique des Forces.

2. Des années 1990 à nos jours : un statut juridique aux bases de plus en

plus solides

Les sources du statut des « casques bleus » ont progressivement été renforcées (a), ce qui peut

s’interpréter de diverses façons (b).

a. Une pratique stabilisée et consolidée

Le fondement du statut juridique des « casques bleus » a considérablement évolué au cours

des années 1990, et ce, de deux façons.

Tout d’abord, une Convention générale, intitulée « Convention sur la sécurité du personnel

des Nations Unies et du personnel associé », a été adoptée en 1994. Elle apporte quelques

éléments, comme, par exemple, le droit des Forces à la sécurité : « le personnel des Nations

Unies et le personnel associé, leur matériel et leurs locaux ne doivent être l'objet d'aucune

atteinte ni d'aucune action qui les empêche de s'acquitter de leur mandat »170

. Il est même

précisé que ce droit à la protection doit être défendu par tous les Etats parties : « les États

parties prennent toutes les mesures appropriées pour assurer la sécurité du personnel des

Nations Unies et du personnel associé »171

.

La portée de cette convention doit néanmoins être nuancée. Tout d’abord le nombre d’Etats

parties est limité (quatre-vingt-neuf aujourd’hui). Ensuite elle n’engage « que des Etats alors

que nombre de violations du statut des forces sont le fait d’entités infra étatiques dans le

169

ISSELE (Jean Paul), « La situation de la FINUL en 1986 – 1987 », A.F.D.I., 1987 – 33, p. 107 – 128 170

Article 7 paragraphe premier de la Convention de 1994 sur la Sécurité du personnel des Nations Unies et du

personnel associé 171

Article 7 paragraphe 2 de la Convention de 1994 sur la Sécurité du personnel des Nations Unies et du

personnel associé

64

cadre de guerres civiles »172

. Enfin, elle n’aborde pas plusieurs questions concrètes liées au

statut des Forces (responsabilité, pouvoir disciplinaire, etc.). C’est d’ailleurs pourquoi, elle

dispose, en son article 4 : « L'État hôte et l'Organisation concluent dès que possible un accord

sur le statut de l'opération et de l'ensemble du personnel engagé dans celle-ci, comprenant

notamment des dispositions sur les privilèges et immunités des éléments militaire et de police

de l'opération ».

Mais, le statut juridique des « casques bleus » s’est surtout renforcé grâce à la généralisation

de la pratique des accords de statut. « Il n’est plus une résolution du Conseil de Sécurité qui

n’autorise le déploiement d’une force sans presser le Secrétaire Général de conclure dans les

plus brefs délais un accord avec l’Etat hôte »173

.

Par exemple, par la résolution instituant la Mission des Nations Unies au Soudan (MINUS), le

Conseil de Sécurité « prie le Secrétaire général et le Gouvernement soudanais […] de

conclure, dans une période de trente jours à compter de l’adoption de la résolution, un

accord sur le statut des forces »174

.

Un modèle d’accord sur le statut des Forces a même été adopté en 1990175

. Celui-ci,

largement inspiré de ceux édictés pour les premières opérations de paix, est quasiment

appliqué à l’identique pour chaque nouvelle opération. De même, un modèle d’accord, de

règlement, entre l’ONU et les Etats fournisseurs a été approuvé par l’Assemblée Générale, en

1991176

.

Le cadre définissant la condition juridique des Forces engagées dans les opérations de paix a

donc été précisé : de nouveaux textes y afférant ont été adopté (la Convention de 1994

principalement) et la pratique des accords de statut et de règlement qui sont, en réalité, les

principales sources de ce cadre, a été définitivement généralisée. Plusieurs raisons peuvent

expliquer cela.

172

LAGRANGE (Evelyne), Les opérations de maintien de la paix et le Chapitre VII de la Charte des Nations

Unies, op. cit., p. 64 173

Ibid., p. 64 174

S/RES/1590 (2005), 24 mars 2005 175

A/45/594, 9 octobre 1990, Annexe 176

A/46/185, 23 mai 1991, Annexe

65

b. Les raisons d’être d’un tel cadre juridique

Le statut juridique des « casques bleus » est, avec le financement, un des points les plus

aboutis du cadre juridique des opérations de paix des Nations Unies. Des normes ont

spécialement été adoptées sur cette question, efficaces sur le long terme. L’essence des

premiers accords négociés par les Secrétaires Généraux lors des premières OP est toujours

d’actualité.

Comme pour le financement, les Etats font preuve d’un grand pragmatisme. C’est la gestion

de leurs hommes qui est en cause ; il s’agit donc d’un point vital pour eux.

Ensuite, le Secrétaire Général de l’Organisation est dans l’obligation politique de conclure de

tels accords. Les risques seraient nombreux dans le cas inverse : risque de voir la

responsabilité de l’Organisation engagée, mais aussi risque de perdre le concours des Etats

fournisseurs de contingents. L’ONU ne disposant pas de sa propre armée177

, elle reste

dépendante des Etats et le Secrétaire Général doit garantir une certaine protection aux

« casques bleus », ce qui amène à s’interroger sur le contenu du statut juridique des Forces

engagées dans les opérations de paix.

B. Etude du droit matériel constituant le statut juridique des « casques

bleus »

L’étude du statut juridique des Forces permet de dégager des grandes tendances (1), mais

aussi quelques points qui pourraient être améliorés (2).

1. Les principaux aspects du statut juridique des Forces

Mise à part la question du recrutement qui est particulière (a), le statut apparait comme très

favorable aux « casques bleus » et à leur Etat de nationalité (b).

177

L’article 43 de la Charte des Nations Unies, qui prévoyait la mise à disposition du Conseil de Sécurité de

forces armées par les Etats membres n’a jamais été mis en pratique.

66

a. Le recrutement des Forces

Le recrutement des Forces amenées à être déployées sur le terrain est un point particulier car

la sélection des « casques bleus » est collective et non individuelle. On parle de

« contingents » militaires. De plus, si le Conseil de Sécurité fixe le nombre de militaires

nécessaires à l’accomplissement du mandat qu’il a adopté178

, c’est au Secrétaire Général de

l’Organisation que revient la tâche d’aller demander les Forces aux Etats membres. Il peut

refuser certaines offres de la part d’Etats, mais en pratique il est difficile de ne pas les

accepter.

La composition des Forces a évolué aux cours des opérations de paix. Sous l’influence du

Secrétaire Général Dag HAMMARSKJOLD, « afin de réduire les risques de divergences

d’opinion, l’ONU a suivi deux principes : d’une part, n’inclure dans la Force aucune unité

militaire des Etats membres permanents du Conseil de Sécurité [Chine, Etats-Unis, France,

Royaume-Uni et Fédération de Russie]; d’autre part, ne pas y inclure non plus d’unités d’un

pays qui, à cause de sa position géographique ou pour d’autres raisons, pouvait être

considéré comme ayant un intérêt spécial dans le conflit »179

.

Ces principes, justifiés pour éviter que les opérations de maintien de la paix ne soient

instrumentalisées par les grandes puissances, ont rapidement posé des problèmes. D’une part,

les Forces les mieux équipées et les mieux formées sont, en majorité, celles des cinq Etats

membres permanents du Conseil de Sécurité. Par exemple, « au Sierra Leone, la guérilla du

RUF avait réussi en mai 2000 à prendre en otages des centaines de casques bleus originaires

de pays pauvres, démunis d’armes appropriées et de moyens de communication. Il faudra

l’intervention des soldats britanniques pour les libérer »180

.

D’autre part, cette limitation nuit au « principe de la répartition géographique équitable dans

la composition de la Force [pourtant] consacré au rang de principe directeur »181

.

178

Par exemple, pour le Soudan, le Conseil de Sécurité a décidé « de créer pour une période de six mois la

mission des Nations Unies au Soudan (MINUS), dont l’effectif comportera au maximum 10 000 militaires ».

A/RES/1590 (2005), 24 mars 2005 179

DEWAST (Philippe), « Quelques aspects du statut des casques bleus », R.G.D.I.P., 1977, p. 1007 - 1046

180 Document publié par le Centre pour l’éducation et la sensibilisation à la coopération internationale,

« découverte de la coopération internationale », dossier n°7, disponible sur le lien internet suivant :

http://www.genevedecouverte.ch/fr/doc/dossier_7_collec.pdf 181

DEWAST (Philippe), « Quelques aspects du statut des casques bleus », op. cit., p. 1033

67

C’est pourquoi la règle tacite de l’exclusion des Forces des cinq membres permanents du

Conseil de Sécurité fut progressivement abandonnée à partir des années 1970, avec, par

exemple, la participation d’un contingent français à la FINUL, en1978.

Aujourd’hui, bien que les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité soient les

principaux contributeurs au budget des opérations de paix182

et que leurs Forces participent

aux opérations, les premiers pays fournisseurs de contingents restent des pays en voie de

développement (Bangladesh, Pakistan, Inde, etc.)183

.

Alors que la composition des Forces a évolué, les autres aspects majeurs du statut juridique

des « casques bleus » sont restés quasiment identiques à ce qu’ils étaient lors des premières

opérations de paix, c'est-à-dire favorables à leurs destinataires et à leurs Etats de nationalité.

b. Un statut majoritairement favorable aux « casques bleus » et à leurs

Etats de nationalité

Les principaux aspects du statut juridique des « casques bleus » (privilèges et immunités, le

pouvoir hiérarchique exercé à leur égard, etc.) n’ont guère évolué et dénotent une volonté de

protéger les « casques bleus » et d’avantager leurs Etats de nationalité.

Tout d’abord, les « casques bleus » bénéficient d’une immunité fonctionnelle totale : « tous

les membres de l’opération de maintien de la paix des Nations Unies […] jouissent de

l’immunité de juridiction pour tous les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions

officielles »184

.

De même, en cas d’action civile, ils jouissent d’une immunité de juridiction. L’article 49 du

modèle d’accord sur le statut des Forces dispose à cet égard : « Si une action civile est

intentée contre un membre de l’opération de maintien de la paix des Nations Unies devant un

tribunal du [pays hôte], notification est faite immédiatement au Représentant spécial qui,

182

Le cas de la Russie est particulier. Elle ne contribue qu’à 1,97 % du budget des OP, ce qui est toutefois plus

que sa contribution au budget ordinaire de l’Organisation (1,6 %). 183

« Asie et maintien de la paix », article publié le 3 octobre 2009 et disponible sur le lien internet suivant :

http://www.operationspaix.net/Asie-et-maintien-de-la-paix,6343

Cf. infra, ANNEXE 3 184

Article 46 du modèle d’accord sur le statut des Forces

68

[s’il] certifie que l’affaire a trait aux fonctions officielles de l’intéressé, [met] fin à

l’instance ».

Enfin, en matière pénale, ils bénéficient également d’un privilège exclusif de juridiction :

« les membres militaires de l’élément militaire de l’opération de maintien de la paix des

Nations Unies sont soumis à la juridiction exclusive de l’Etat participant dont ils sont

ressortissants pour toute infraction pénale qu’ils pourraient commettre dans le [pays

hôte] »185

.

Par ailleurs, le commandant en chef de la Force (nommé par le Représentant du Secrétaire

Général, lui-même nommé par le Secrétaire Général de l’Organisation) n’a pas de pouvoir

disciplinaire direct sur les « casques bleus » : « la responsabilité de toute mesure disciplinaire

concernant le personnel militaire fourni par [l’Etat participant] incombe à un officier désigné

à cet effet par le Gouvernement de [l’Etat participant] »186

.

De plus, « pendant la durée de l’affectation de son personnel à l’opération de maintien de la

paix, le Gouvernement de [l’Etat participant] prend à sa charge le paiement de tous

émoluments, indemnités et prestations qui peuvent lui être dus en vertu d’arrangements

nationaux »187

. Ce qui pourrait paraître comme une charge pour l’Etat de nationalité est, en

réalité, atténué par un mécanisme de remboursement qui avantage une majorité d’Etat. Les

Etats sont « remboursés des coûts par l’ONU sur la base d’un taux forfaitaire d’un plus de

1028 dollar par soldat et par mois, comme approuvé par l’Assemblée Générale en 2002 »188

.

Or, dans une majorité de pays, notamment les plus gros contributeurs de troupes, le salaire des

militaires est inférieur à ce taux.

Enfin, en matière de règlement des différends, « c’est l’ONU qui assume les réclamations

contre les membres de la Force »189

. Ainsi, aucun représentant de l’Etat de nationalité du

militaire ne fait partie de la commission de réclamation instituée dans ce cas, en vertu de

l’article 51 du modèle d’accord.

185

Article 47 b) du modèle d’accord sur le statut des Forces 186

Article 8 du modèle de règlement 187

Article 12 du modèle de règlement 188

Document intitulé « Financer les opérations », publié par l’ONU et disponible sur le lien internet suivant :

http://www.un.org/fr/peacekeeping/operations/financing.shtml 189

DEWAST (Philippe), « Quelques aspects du statut des casques bleus », op. cit., p. 1036

69

De cette analyse du statut juridique des « casques bleus », plusieurs conclusions peuvent être

tirées. Tout d’abord, ce statut parait très protecteur des membres des contingents. Ensuite, la

mainmise de l’Etat de nationalité est forte, aussi bien en matière juridictionnelle que

disciplinaire. Il peut même tirer des avantages en matière financière. Cependant, il existe

quelques contreparties. Ainsi, l’Etat « accepte d’exercer sa juridiction à l’égard des crimes et

délits commis par son personnel militaire »190

. Les « casques bleus » ne doivent pas rester

impunis. De même, l’Etat de nationalité ne doit pas donner d’instructions à son personnel :

« les fonctions de l’opération de maintien de la paix des Nations Unies sont exclusivement

internationales et le personnel fourni par [l’Etat participant] règle sa conduite en ayant

exclusivement en vue l’intérêt des Nations Unies »191

. Ces contraintes semblent toutefois

faibles.

Enfin, l’immense majorité de ces dispositions n’a pas évolué depuis le début des opérations de

paix. Par exemple, les dispositions relatives aux privilèges et immunités juridictionnelles sont

copiées sur celles des premiers accords et règlement192

. Ceci démontre, d’une part, la

clairvoyance des Secrétaires Généraux qui ont élaboré les premiers règlements et accords et,

d’autre part, l’enracinement de ce statut.

Plusieurs points pourraient néanmoins être améliorés.

2. Les points d’ombre persistants

D’un point de vue général, on peut regretter que l’Etat hôte soit « négligé » (a). D’autres

points plus précis peuvent également être abordés (b).

190

Article 24 du modèle de règlement 191

Article 9 du modèle de règlement 192

L’article 49 du modèle d’accord (relatif à l’immunité de juridiction civile pour les actes accomplis dans

l’exercice de leur fonction) est similaire à l’article 34B du règlement FUNU ou à l’article 29B du règlement

ONUC. De même en matière pénale : l’article 47b du modèle d’accord est le même que les articles 34a ou 29a

des règlements FUNU et ONUC. En matière disciplinaire, l’article 8 du modèle de règlement est quasi identique

à l’article 13 des règlements FUNU et ONUC. Pour les salaires, les articles 38 et 33 des règlements FUNU et

ONUC ont inspiré l’article 12 du modèle de règlement.

70

a. Un dessaisissement forcé pour l’Etat hôte

L’Etat hôte parait davantage subir la situation et le déploiement des Forces qu’être un acteur à

part entière. Les accords sur le statut des Forces ressemblent, en réalité, à « des procédés

quasiment unilatéraux »193

. La part de négociation, de prise en compte des intérêts de l’Etat

d’accueil est devenue très faible dans la mesure où ces accords sont présentés « comme un

tout à prendre ou à laisser »194

. Le fait qu’un modèle d’accord ait été adopté est, à cet égard,

probant.

Face à cela, il existe un risque réel de « rejet » par l’Etat hôte et sa population, d’assimilation

à une Force d’invasion et d’occupation. Les alternatives semblent peu nombreuses. D’une

part, le fait d’avoir adopté un modèle d’accord permet de gagner du temps ; d’autre part, les

problématiques rencontrées sur le terrain sont similaires et les solutions quasi identiques. Il

n’y a donc pas lieu d’adopter un texte totalement différent à chaque fois.

Sur ce point, une évolution semble peu probable, voire peu souhaitable.

Un autre point, concret, soulève une vraie interrogation : quelle action l’Etat hôte peut-il

entreprendre si l’Etat de nationalité d’un « casque bleu » ne juge pas ce dernier, en cas de

crimes pénaux, en violation de l’article 25 du modèle de Règlement ?

« L’Etat hôte [n’ayant] pas d’action directe vis-à-vis de l’Etat participant »195

, deux solutions

seulement existent. Soit il décide d’exercer lui-même sa juridiction (ceci contreviendrait à ses

engagements internationaux, notamment l’article 46 b) du modèle d’accord sur le statut des

Forces) ; soit, et c’est l’option qui semble réalisable, il s’adresse « au Secrétaire général qui,

lui, a un titre, à demander à l’Etat participant d’exercer sa juridiction : outre une action en

justice, il pourrait demander le renvoi de l’auteur du délit dans son pays d’origine voire de

tout le contingent »196

. L’issue de cette option parait incertaine pour l’Etat hôte qui risque de

voir un auteur présumé d’une infraction pénale demeuré non jugé.

193

DEWAST (Philippe), « Quelques aspects du statut des casques bleus », op. cit., p. 1030 194

Ibid., p. 1031 195

Ibid., p. 1035 196

Ibid., p. 1035

71

La Cour Pénale Internationale (CPI), officiellement créée en 2002197

, pourrait être reconnue

compétente. Cependant la portée de ce mécanisme est faible, dans le cadre des opérations de

paix. En effet, la Cour n’est compétente que pour les crimes de guerre, de génocide, crime

d’agression ou crime contre l’humanité. En l’espèce, il s’agirait plutôt des crimes de guerre,

ce qui renvoie à la problématique de l’applicabilité du DIH aux OP198

. Il ne s’agit donc que

d’un nombre de crimes limité.

Ensuite, la Cour n’est compétente que si l’accusé est ressortissant d’un Etat partie ou qui a

accepté la compétence de la Cour, ou si le crime a été commis sur le territoire d’un Etat partie

ou qui a accepté la compétence de la Cour, ou, enfin, si le Conseil de Sécurité a saisi le

Procureur. La Cour ne peut être saisie que par un Etat partie, le Procureur ou le Conseil de

Sécurité. Il ne s’agit, à chaque fois, que de cas particuliers.

A cette restriction, il faut ajouter l’intense campagne menée par les Etats-Unis contre l’entrée

en vigueur de la Convention instituant la CPI (« Statut de Rome »), notamment par crainte de

voir leurs soldats engagés dans les opérations de paix être jugés à la Haye199

.

Tout ceci explique qu’aucune action ne soit engagée devant la Cour Pénale Internationale à

l’encontre d’un « casque bleu ». Ce mécanisme pourrait néanmoins être un moyen de pression

supplémentaire sur les Etats fournisseurs de contingents pour qu’ils exercent leur compétence

juridictionnelle.

D’autres points suscitent également des interrogations.

b. Les zones d’ombre à éclaircir

Sans être exhaustif, trois points peuvent être mentionnés. Tout d’abord, qu’en est-il des

Forces permanentes sensées être mises à la disposition du Conseil de Sécurité, en vertu de

l’article 43 de la Charte de l’ONU ? Elles éviteraient les accusations d’instrumentalisation des

197

Toutes les règles énoncées ci-dessous sont issues du « Statut de Rome », adopté le 17 juillet 1998, instituant

la Cour Pénale Internationale. 198

Cf. supra, Deuxième Partie, I. A et B 199

« Une loi nommée « American Service members’ Protection Act » a même été votée en 2002, interdisant toute

coopération américaine avec la CPI et toute assistance militaire aux pays ayant ratifié le Statut de Rome (sous

réserve de l’intérêt national américain !). Elle prévoyait une opposition systématique à toute participation

américaine aux opérations de paix mandatées par l’ONU, voire un veto à toute résolution ne comportant pas

d’exemption permanente pour le personnel impliqué : dans sa résolution 1422 (2002), le Conseil de sécurité fut

même poussé à ordonner une exemption générale d’un an renouvelable à l’égard des membres d’opérations de

paix déjà déployées ». Extraits de l’article « Cour pénale internationale », disponible sur le lien suivant :

http://www.operationspaix.net/Cour-penale-internationale-CPI,7281

72

OP par certains Etats et, surtout, permettraient de gagner du temps. Cet article n’a néanmoins,

jamais été mis en pratique, pour trois raisons. Tout d’abord, il n’existe pas de corps de règles

précis sur cette question. Les aspects pratiques, juridiques, etc. devraient être réglés, par

exemple, par une résolution du Conseil de Sécurité qui n’existe pas encore. La volonté

politique est, pour l’instant, absente et la question ne figure plus à l’agenda politique du

moment. Enfin, en ces temps de restrictions budgétaires, le fait d’avoir des troupes stationnées

en permanence couterait cher.

Ensuite, aucun article des modèles d’accord ou de règlement ne fait allusion à la levée

éventuelle des immunités dont bénéficient les « casques bleus ». Maître Philippe DEWAST

propose de reproduire la règle prescrite à la Section 20 de la Convention, de 1946, sur les

privilèges et immunités des Nations Unies, à l’égard des fonctionnaires : « Le Secrétaire

général pourra et devra lever l’immunité accordée à un fonctionnaire dans tous les cas où, à

son avis, cette immunité empêcherait que justice soit faite et pourra être levée sans porter

préjudice aux intérêts de l’Organisation ». Ceci permettrait qu’un auteur présumé d’infraction

pénale soit jugé200

.

Cependant, cette solution ne parait pas réaliste : en effet, comment un Etat fournisseur de

contingent pourrait-il accepter que ses militaires soient jugés dans des pays souvent en crise,

où le système judiciaire est défaillant ? Une résolution allant dans ce sens parait largement

improbable. La seule solution semble être que l’Etat de nationalité exerce effectivement sa

juridiction.

Enfin, un problème plus général se pose, tenant à la « variété des systèmes juridiques et des

règles de justice militaire selon les Etats participants »201

. En effet, les lois ne sont pas

identiques dans tous les Etats contributeurs de troupes ; un même acte pourra être

répréhensible dans un Etat et pas dans un autre, un tribunal militaire compétent ou pas, etc.

Mise à part une longue et difficile harmonisation des régimes juridiques, peu de solutions

existent.

*****

200

Maître Philipe DEWAST développe cette proposition dans son article, déjà mentionné, intitulé « Quelques

aspects du statut des casques bleus », op. cit., p. 1035 201

Ibid., p. 1034

73

Ainsi, si le statut juridique des « casques bleus » est clairement établi et accepté, il pourrait

encore être amélioré, en prévoyant notamment un mécanisme permettant à l’Etat hôte d’agir,

dans le cas où un « casque bleu » ne serait pas jugé pénalement par son Etat de nationalité.

On éviterait ainsi les accusations d’ « invasion ».

74

CONCLUSION

L’étude de ces quatre aspects essentiels –mode de création, financement, applicabilité du droit

international humanitaire aux « casques bleus » et statut juridique – confirme notre thèse

initiale : le cadre juridique des opérations de paix des Nations Unies évolue, de manière

pragmatique et positive.

L’évolution de ce cadre juridique est, en effet, indéniable. Ainsi, les opérations de paix

n’étant pas prévues initialement dans la Charte des Nations Unies, des règles spécifiques ont

été adoptées, en matière de financement (les résolutions 1874 et suivantes), d’applicabilité du

DIH (circulaire de 1999) ou à propos du statut juridique des « casques bleus » (adoption des

modèles d’accords sur le statut des Forces ou de règlement). De même leur mode de création

a considérablement évolué : le Conseil de Sécurité s’est progressivement imposé comme le

principal acteur.

Cette évolution est, avant tout, pragmatique. Le cadre juridique a été modifié, au fur et à

mesure des opérations, de l’évolution du monde (fin de la Guerre Froide, etc.). De même, le

changement des actions menées (de l’interposition à la coercition) a conduit à passer du

Chapitre VI au Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Enfin, la réponse à la

problématique de l’applicabilité du DIH a évolué, du fait de l’usage plus régulier de la force

au cours des opérations.

Cependant, l’évolution de ce cadre juridique reste relativement hétérogène et certains aspects

paraissent plus aboutis que d’autres. Ainsi en est-il, par exemple, des points relatifs au

financement ou au statut des « casques bleus ». Ils concernent les opérations de paix dans leur

ensemble, en tant qu’entité unifiée. Ils sont, dès lors, moins sujets à l’évolution concrète de la

nature des opérations, contrairement à l’application du DIH qui varie en fonction des missions

menées effectivement. Ils démontrent également la faculté des Etats à s’entendre et à réaliser

de véritables avancées juridiques lorsque leurs intérêts vitaux sont en cause.

Le cadre juridique n’est, néanmoins, pas complet et plusieurs points pourraient encore être

améliorés. Ainsi, sur le mode de création, la pratique du Conseil de Sécurité consistant à

séparer le contenu de ses résolutions en fonction de leur fondement juridique pourrait être

75

généralisée. Cela permettrait de conforter l’assise juridique des opérations de paix, de

renforcer la légitimité du Conseil de Sécurité et d’encadrer et soutenir les pratiques politiques.

Concernant le financement et en attendant un mécanisme de sanction contre les Etats mauvais

payeurs, qui ne devrait pas être mis en place rapidement vu le contexte économique mondial,

l’Organisation pourrait essayer d’obtenir des fonds provenant de sources autres que les Etats,

par la création d’un « Fonds de la paix » alimenté par des fondations, des entreprises privées,

etc. Une nouvelle circulaire du Secrétaire Général pourrait être adoptée, sur le point de savoir

quelles dispositions précises des conventions de DIH s’appliqueraient en la matière. Enfin,

plusieurs questions persistent en ce qui concerne le statut des « casques bleus ». En cas de non

jugement d’un militaire, accusé d’infraction pénale, par son Etat national, une levée

d’immunité et de privilèges par le Secrétaire Général pourrait être envisagée, sur le modèle de

ce qui se fait pour les fonctionnaires de l’Organisation. L’évolution du cadre juridique des

opérations de paix n’est donc pas achevée.

Si les opérations de paix peuvent être critiquées202

, il apparait donc que ce n’est pas tant leur

cadre juridique lui-même qui doit être remis en cause que la volonté politique qui y préside.

Dans le rapport Brahimi, c’est avant tout la pratique du Conseil de Sécurité qui était pointée

du doigt203

. Celui-ci devrait adopter des mandats plus précis et doter les Forces des moyens de

leurs ambitions.

L’existence d’un cadre juridique structuré et plutôt efficace peut être perçu comme un signe

positif. Il devrait permettre d’encadrer et de développer un dialogue politique fructueux.

Au Professeur Yves DAUDET qui se demandait s’il ne fallait pas « sonner le glas des

opérations de maintien de la paix »204

, on peut donc répondre que l’horizon des opérations de

paix est plutôt dégagé, à la condition d’une réflexion politique plus poussée.

202

Le Professeur Jean François GUILHAUDIS déclarait ainsi « dire que ces forces ont été un plein succès est

difficile », dans Relations internationales contemporaines, op. cit., p. 703 203

Cf. « Etude d’ensemble de toute la question des opérations de maintien de la paix sous tous leurs aspects »,

dit « rapport Brahimi », op. cit., p. 11 notamment, partie « Des mandats clairs, crédibles et réalistes »

204 DAUDET (Yves) cité par Yves PETIT, dans Droit international du maintien de la paix, op. cit., p. 58

76

ANNEXE 1 :

Opérations de paix en cours (novembre 2011)205

205

Carte produite par le « Department of field support » du département des opérations de maintien de la paix

des Nations Unies (DOMP), disponible sur le site internet suivant : http://www.un.org/fr/peacekeeping/

77

ANNEXE 2 :

« Barème des quotes-parts pour la répartition des dépenses relatives au maintien de la paix :

catégories établies en fonction du produit national brut moyen par habitant pour l’ensemble

des Etats membres »206

206

A/RES/55/235 (2001), 30 janvier 2001

Catégorie Critère d'inclusion

Seuil en dollars des

Etat-Unis (2001-

2003)

Dégrèvement prévu en

pourcentage

A Membres permanents du Conseil de Sécurité Surcharge

B Tous les Etats Membres (à l'exception de

ceux inclus dans la catégorie A) s.o 0

C s.o s.o 7.5

D

PNB/h < à 2 fois le PNB/h moyen de

l'ensemble des EM (à l'exception des Etats

inclus dans la catégorie A)

Moins de 9 594 20

E PNB/h < à 1,8 fois le PNB/h moyen des EM Moins de 8 634 40

F PNB/h < à 1,6 fois le PNB/h moyen des EM Moins de 7 675 60

G PNB/h < à 1,4 fois le PNB/h moyen des EM Moins de 6 715 70

H PNB/h < à 1.2 fois le PNB/h moyen des EM Moins de 5 756 80 (ou 70 sur une base

volontaire)

I PNB/h < au PNB/h des EM Moins de 4 794 80

J Pays les moins avancés 90

78

ANNEXE 3 :

Tableaux présentant les vingt contributeurs principaux au budget et en troupes207

Contributeurs principaux

au budget (2010)

Contributeurs principaux de

troupes en uniforme (Février 2010)

1 Etats-Unis (27,17%) 1 Bangladesh (10 852)

2 Japon (12,53%) 2 Pakistan (10 733)

3 Royaume-Uni (8,16%) 3 Inde (8 783)

4 Allemagne (8,02%) 4 Nigéria (5 837)

5 France (7,56%) 5 Egypte (5 258)

6 Italie (5,00%) 6 Népal (5 186)

7 Chine (3,94%) 7 Ghana (3 911)

8 Canada (3,21%) 8 Jordanie (3 769)

9 Espagne (3,18%) 9 Rwanda (3 663)

10 République de Corée (2,26%) 10 Uruguay (2 516)

11 Russie (1,98%) 11 Ethiopie (2 412)

12 Australie (1,93%) 12 Italie (2 265)

13 Hollande (1,86%) 13 Sénégal (2 248)

14 Suisse (1,13%) 14 Chine (2 137)

15 Belgique (1,13%) 15 Afrique du Sud (19 73)

16 Suède (1,08%) 16 France (1 673)

17 Norvège (1,08%) 17 Indonésie (1 668)

18 Autriche (0,85%) 18 Maroc (1 562)

19 Danemark (0,74%) 19 Brésil (1 339)

20 Grèce (0,69%) 20 Bénin (1 332)

207

Tableau produit par le département des opérations de maintien de la paix des Nations Unies (DOMP),

disponible sur le site internet suivant : http://www.un.org/fr/peacekeeping/

79

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aspects, dit « rapport Brahimi », du nom de Lakhdar BRAHIMI, Président du groupe

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Financement de l’Organisation des Nations Unies : le prix de l’efficacité, rapport du Groupe

consultatif indépendant sur le financement de l’ONU coprésidé par Shijuro OGATA et Paul

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dans l’exercice des pouvoirs de maintien de la paix du Conseil de Sécurité : rôle catalyseur

ou rôle de frein ?, mémoire soutenu en février 2005, devant un jury du Centre universitaire de

droit international humanitaire (Directeur : Robert KOLB), ayant obtenu le prix « Henry

Dunant 2005 » et disponible sur le lien suivant :

http://www.prix-henry-dunant.org/sites/prixhd/doc/2005_Dissertation_Gloria_Gaggioli_fr.pdf

GAREAU (Jean François), « Cour pénale internationale », article publié en 2011 sur le site

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« Financer les opérations », article publié sur le site internet suivant :

http://www.un.org/fr/peacekeeping/ (lien : « opération de maintien de la paix »)

III. Instruments et textes cités

Traités

18 octobre 1907 Convention IV de la Haye relative aux lois et coutumes de la guerre sur

terre

22 juillet 1944 Accords de Bretton Woods, Statuts du FMI

26 juin 1945 Charte des Nations Unies (de San Francisco) : articles 1, 2, 7, 10, 11,

12, 17, 19, 22, 24, 29, 36, 39, 40, 42, 43, 99, 105

13 février 1946 Convention de New York relative aux privilèges et immunités des

Nations Unies

10 décembre 1948 Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, adoptée à Paris

12 août 1949 Conventions de Genève relatives au droit humanitaire dans les conflits

armés : Convention I (amélioration du sort des blessés et des malades

dans les forces armées en campagne) ; Convention II (amélioration du

sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées en

83

mer) ; Convention III (traitement des prisonniers de guerre) ;

Convention IV (protection des civils en temps de guerre)

8 février 1957 Echanges de lettres entre l’ONU et le Gouvernement d’Egypte (FUNU)

27 novembre 1961 Accord entre l’ONU et le Gouvernement de la République du Congo

(ONUC)

31 mars 1964 Echanges de lettres entre l’ONU et le Gouvernement de Chypre

(UNFICYP)

10 juin 1977 Protocoles additionnels aux Conventions de Genève du 12 août 1949

sur le droit humanitaire dans les conflits armés : Protocole 1 (conflits

armés internationaux) et Protocole 2 (conflits armés non internationaux)

10 octobre 1980 Convention sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines

armes classiques

9 décembre 1994 Convention sur la sécurité du personnel des Nations Unies, adoptée à

New York

18 septembre 1997 Convention sur l’interdiction et l’élimination des mines anti personnel

conclue à Ottawa

18 juillet 1998 Convention de Rome instituant la Cour Pénale Internationale

Résolutions de l’Assemblée Générale

3 novembre 1950 Résolution 377 (V) (Union pour le maintien de la paix)

4 novembre 1956 Résolution 998 (ES – I) (FUNU I)

21 décembre 1961 Résolution 1731 (XVI) (Demande d’avis consultatif à la CIJ à propos

des dépenses liées aux opérations de paix)

21 septembre 1962 Résolution 1752 (XVII) (AETNU – Papouasie occidentale)

19 décembre 1962 Résolution 1854 (XVIII) (Approbation de l’avis de la CIJ, Certaines

dépenses des Nations Unies)

27 juin 1963 Résolution 1874 (Financement des opérations de paix)

11 décembre 1973 Résolution 3101 (Financement des opérations de paix)

9 octobre 1990 Résolution 594 (Modèle d’accord sur le statut des Forces)

23 mai 1991 Résolution 185 (Modèle d’accord entre l’ONU et les Etats membres qui

fournissent du personnel)

84

23 décembre 1992 Résolution 47/217 (Fonds de réserve pour les opérations de maintien de

la paix)

30 janvier 2001 Résolution 55/235 (Financement des opérations de paix)

24 mars 2005 Résolution 1590 (MINUS – Soudan)

20 décembre 2005 Résolution 180 (Commission de consolidation de la paix)

31 décembre 2009 Résolution 64/220 (Quotes-parts pour le budget des opérations de paix)

5 février 2010 Résolution 64/248 (Quotes-parts pour le budget ordinaire de l’ONU)

Résolutions du Conseil de Sécurité

14 juillet 1960 Résolution 143 (MONUC – Congo)

31 mai 1974 Résolution 350 (FNUOD – Plateau du Golan)

29 septembre 1978 Résolution 435 (GANUPT – Namibie)

26 mars 1993 Résolution 814 (ONUSOM II – Somalie)

27 février 2004 Résolution 1528 (ONUCI – Côte d’Ivoire)

24 mars 2005 Résolution 1590 (MINUS – Soudan)

20 décembre 2005 Résolution 1645 (Commission de consolidation de la paix)

30 mars 2011 Résolution 1975 (ONUCI – Côte d’Ivoire)

Actes du Secrétaire Général

15 juillet 1963 Règlement ONUC/1 (ONUC – Congo)

6 août 1999 Circulaire 1999/13 (Droit International humanitaire)

Avis et arrêts de la Cour Internationale de Justice

20 juillet 1962 Certaines dépenses des Nations Unies (article 17 paragraphe 2 de la

Charte), avis consultatif, CIJ Recueil 1962, p. 151 et suiv.

Sources audiovisuelles

85

« Géopolitis : les casques bleus », reportage présenté par Xavier COLIN, diffusé le 24 mai

2010 sur la TSR et disponible sur le site suivant : http://www.tsr.ch/emissions/geopolitis/

(lien : « retrouvez tous les dossiers »)

86

TABLE DES MATIERES

SOMMAIRE

LISTE DES ABREVIATIONS ET SIGLES

INTRODUCTION

Première Partie : L’élaboration des opérations de paix des Nations Unies

I. Les modes de création successifs des opérations de paix

A. Les organes compétents de l’ONU : vers un monopole du Conseil

de Sécurité

1. La compétence originelle de l’Assemblée Générale

a. Le fondement juridique principal de la compétence de l’AG : la

« résolution Acheson »

b. La remise en cause de la compétence de l’AG

2. La maîtrise exercée désormais par le Conseil de Sécurité

a. Les arguments en faveur de la compétence du Conseil de

Sécurité

b. Une nécessaire clarification ?

B. Le fondement juridique des actions prescrites : le recours successif

aux Chapitres VI, VI et demi et VII

1. Un fondement juridique distinct pour chaque catégorie

d’opération

a. Le flou entourant le fondement juridique des mandats fixés

pour les opérations de maintien et de rétablissement de la paix

3

5

7

16

17

17

17

17

19

21

21

23

24

24

24

87

b. La relative certitude concernant le fondement juridique des

actions prévues dans le cadre des opérations d’imposition de la

paix

2. L’accord de l’Etat d’accueil : une nécessité absolue ?

a. Les cas où l’accord de l’Etat d’accueil est une nécessité

b. Les cas où l’accord de l’Etat d’accueil n’est qu’une possibilité

II. Le financement des opérations de paix : point le plus abouti du cadre

juridique

A. L’inscription des dépenses des premières opérations au budget

ordinaire de l’ONU

1. Une « jurisprudence » ONUST et UNMOGIP ?

a. Les précédents ONUST et UNMOGIP

b. La transposition à l’ONUC et à la FUNU

2. Une décision remise en cause

a. Les contestations et l’avis consultatif de la CIJ de 1962

b. Les propositions alternatives

B. La constitution d’un régime juridique particulier

1. Les résolutions 1874 et suivantes

a. L’attention portée à la situation économique des Etats

b. La situation particulière des membres permanents du Conseil de

Sécurité

2. Les progrès restant à accomplir

a. Les points pouvant encore être améliorés

b. Les solutions envisageables

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Deuxième Partie : La mise en œuvre des opérations de paix des Nations Unies

I. L’applicabilité progressive du droit international humanitaire aux Forces

engagées dans les opérations de paix

A. De l’origine des opérations de paix aux années 1990 : entre hésitation

et application à reculons du DIH

1. Une applicabilité récusée

a. Un refus de principe

b. L’absence de certains critères d’application

2. Une conception remise en cause

a. Une contestation élargie

b. Les différents arguments avancés

B. De 1999 à nos jours : une évolution encore inachevée

1. Une étape majeure : l’adoption de la circulaire du 6 août 1999

a. La nature juridique de la circulaire de 1999

b. La portée de la circulaire

2. Les améliorations envisageables

a. Le seuil de déclenchement de l’application du DIH

b. Les incertitudes concernant le contenu du DIH applicable

II. L’évolution du statut juridique des Forces engagées dans les opérations de

paix

A. La diversification des sources du droit définissant le statut juridique

des Forces

1. Du début des opérations de paix aux années 1990 : une pratique

fluctuante

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a. Des sources (trop) générales

b. La pratique évolutive des accords spécifiques

2. Des années 1990 à nos jours : un statut juridique aux bases de

plus en plus solides

a. Une pratique stabilisée et consolidée

b. Les raisons d’être d’un tel cadre juridique

B. Etude du droit matériel constituant le statut juridique des « casques

bleus »

1. Les principaux aspects du statut juridique des Forces

a. Le recrutement des Forces

b. Un statut majoritairement favorable aux « casques bleus » et à

leurs Etats de nationalité

2. Les points d’ombre persistants

a. Un dessaisissement forcé pour l’Etat hôte

b. Les zones d’ombre à éclaircir

CONCLUSION

ANNEXE 1

ANNEXE 2

ANNEXE 3

BIBLIOGRAPHIE

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