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10' Temps de lecture Le monde prend de plus en plus conscience de l’enjeu écologique et des menaces croissantes qui pèsent sur l’environnement. L’Union européenne s’est fixé pour objectif que la part des taxes environnementales atteigne 10 % des prélèvements obligatoires d’ici 2020. A un niveau de 4,47 % des prélèvements obligatoires en France pour l’année 2014, cette fiscalité a donc vocation à croître de manière importante. Si la fiscalité environnementale doit augmenter pour accélérer la transition énergétique et modifier les comportements, il est souhaitable qu’elle soit compensée par une baisse d’autres impôts, venant stimuler par la même occasion l’activité économique. C’est ce que l'on appelle le "green tax shift". Delphine Siquier-Delot Analyste senior LE POTENTIEL DE CROISSANCE DE LA FISCALITÉ ENVIRONNE- MENTALE La fiscalité environnementale oscille entre des intérêts environnementaux d’un côté et des intérêts budgétaires de l’autre. Toute taxe environnementale efficace a en principe comme objectif d’inciter les agents, par le biais d’un "signal-prix" clair, à adopter des modes de production ou de consommation plus respectueux de l’environnement. Elle n’a donc a priori pas pour vocation de générer des recettes pérennes du fait de l’érosion des bases taxables, même si en pratique l’assiette ne disparaît pas totalement. Or, du fait de fortes contraintes budgé- taires, l’Etat a souvent utilisé la fiscalité environnementale pour alimenter son budget. Une fiscalité environnementale encore faible : deux indicateurs clés Fort de ce paradoxe délicat à manier, où en est-on aujourd’hui en France ? La fis- calité environnementale est trop épar- pillée (plus de 70 taxes recensées 1 ) et souvent inefficace (du fait de signaux- prix inadaptés). Elle manque également de cohérence, en raison de ses nom- breuses contradictions (comme en témoigne le poids des niches fiscales défavorables à l’environnement dont le 1 CGDD, "La fiscalité environnementale en France : un état des lieux", avril 2013. montant est supérieur à celles favo- rables à l’environnement 2 ). Deux indicateurs significatifs montrent que la fiscalité environnementale occupe une place plus faible en France que dans les autres pays européens. A un niveau de 2,05 % du PIB en 2014 contre 2,46 % dans l’Union européenne (UE), la France se retrouve à la 25 e place (ex-aequo avec la Belgique) parmi les 28 pays de l’UE (Eurostat 2016). 2 Cour des Comptes, "L’efficience des dépenses fiscales relatives au développement durable", 8 nov. 2016 : entre 2010 et 2015, les dépenses fiscales favorables au développement durable ont baissé (4 973 M€ en 2015 contre 6 878 M€ en 2010) ; les dépenses fiscales défavorables ont augmenté (6 900 M€ en 2015 contre 6 043 M€ en 2010). LEVIERS DE CROISSANCE Fiscalité environnementale : vers un "green tax shift" en France ? FOCUS Décembre 2016

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10' Tempsde lecture

Le monde prend de plus en plus conscience de l’enjeu écologique et des menaces croissantes qui pèsent sur l’environnement. L’Union européenne s’est fixé pour objectif que la part des taxes environnementales atteigne 10 % des prélèvements obligatoires d’ici 2020.

A un niveau de 4,47 % des prélèvements obligatoires en France pour l’année 2014, cette fiscalité a donc vocation à croître de manière importante. Si la fiscalité environnementale doit augmenter pour accélérer la transition énergétique et modifier les comportements, il est souhaitable qu’elle soit compensée par une baisse d’autres impôts, venant stimuler par la même occasion l’activité économique. C’est ce que l'on appelle le "green tax shift".

Delphine Siquier-DelotAnalyste senior

LE POTENTIEL DE CROISSANCE DE LA FISCALITÉ ENVIRONNE-MENTALE

La fiscalité environnementale oscille entre des intérêts environnementaux d’un côté et des intérêts budgétaires de l’autre. Toute taxe environnementale efficace a en principe comme objectif d’inciter les agents, par le biais d’un "signal-prix" clair, à adopter des modes de production ou de consommation plus respectueux de l’environnement.

Elle n’a donc a priori pas pour vocation de générer des recettes pérennes du fait de l’érosion des bases taxables, même si en pratique l’assiette ne disparaît pas totalement.

Or, du fait de fortes contraintes budgé-taires, l’Etat a souvent utilisé la fiscalité environnementale pour alimenter son budget.

Une fiscalité environnementale encore faible : deux indicateurs clés

Fort de ce paradoxe délicat à manier, où en est-on aujourd’hui en France ? La fis-calité environnementale est trop épar-pillée (plus de 70 taxes recensées1) et souvent inefficace (du fait de signaux-prix inadaptés). Elle manque également de cohérence, en raison de ses nom-breuses contradictions (comme en témoigne le poids des niches fiscales défavorables à l’environnement dont le

1 CGDD, "La fiscalité environnementale en France : un état des lieux", avril 2013.

montant est supérieur à celles favo-rables à l’environnement2).

Deux indicateurs significatifs montrent que la fiscalité environnementale occupe une place plus faible en France que dans les autres pays européens.

A un niveau de 2,05 % du PIB en 2014 contre 2,46 % dans l’Union européenne (UE), la France se retrouve à la 25e place (ex-aequo avec la Belgique) parmi les 28 pays de l’UE (Eurostat 2016).

2 Cour des Comptes, "L’efficience des dépenses fiscales relatives au développement durable", 8 nov. 2016 : entre 2010 et 2015, les dépenses fiscales favorables au développement durable ont baissé (4 973 M€ en 2015 contre 6 878 M€ en 2010) ; les dépenses fiscales défavorables ont augmenté (6 900 M€ en 2015 contre 6 043 M€ en 2010).

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Fiscalité environnementale :vers un "green tax shift" en France ?

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De plus, contrairement aux idées reçues, la part de la fiscalité environnementale dans le PIB a nettement reculé en France au cours des vingt dernières années : 2,49 % en 1995, contre 1,96 % en 2012.

S’agissant de la part des taxes environ-nementales dans les prélèvements obli-gatoires, la France reste également le pays où la part est la plus faible : 4,47 % des prélèvements obligatoires en 2014, contre 6,35 % en moyenne dans l’UE.

Comment expliquer un tel classement ? La part de la fiscalité environnementale dans les prélèvements obligatoires a diminué en vingt ans (et même plus vite que leur décroissance dans la part du PIB), passant ainsi de 5,74 % en 1995 à 4,22 % en 2012.

Les recettes des taxes environnemen-tales ont progressé beaucoup moins vite que l’ensemble des prélèvements obli-gatoires qui ont, au contraire, fortement augmenté surtout entre 2009 et 2013.

La tendance pourrait se modifier avec, d’un côté, la stabilisation des prélève-ments obligatoires depuis 2013 et, de l’autre, la montée en puissance progres-sive de la contribution climat-énergie.

En volume, la France pourtant en tête du classement européen

Il est aussi nécessaire de rappeler les masses financières en présence. Selon la définition Eurostat, la France a dégagé un peu plus de 43 Mds€ de recettes fis-cales environnementales en 2014, ce qui la place en 3e position après l’Allemagne (48 Mds€) et l’Italie (47 Mds€). Si la défi-nition européenne a l’avantage de facili-ter les comparaisons, elle présente néan-moins quelques limites.

Une dynamique française cohérente avec l’objectif européen ?

L’UE s’est fixé pour objectif que la part des taxes environnementales atteigne 10 % des prélèvements obligatoires en moyenne européenne d’ici 2020. Même s’il reste encore beaucoup à faire, la France a déjà commencé à prendre le chemin souhaité par l’UE, comme le montre l’évolution programmée de cer-taines taxes telles que la contribution climat-énergie (cf. tableau). La fiscalité environnementale a donc vocation à continuer de croître.

QUELLE DÉMARCHE ADOPTER POUR S’ENGAGER DANS LA VOIE DU "GREEN TAX SHIFT" ?

Si la fiscalité environnementale monte en puissance avec pour objectif d'inciter à modifier les comportements et opérer la transition énergétique, cette hausse ne doit pas se faire à n’importe quelle condition : elle doit être compensée par une baisse d’autres impôts3. C’est ce que l’on appelle le "green tax shift". D’autres pays, comme la Suède, le Danemark ou l’Allemagne ont déjà mis en place ce type de politique.

3 M. Chiroleu-Assouline, "La fiscalité environnemen-tale en France peut-elle devenir réellement écolo-gique ?", revue de l’OFCE, 139, 2015.

Le Comité de la fiscalité écologique avait déjà pour objectif en 2012 de mettre en place à plus long terme une fiscalité verte intégrée à une refonte plus globale de la fiscalité. La question du "verdissement" de la fiscalité devrait être replacée au cœur des débats.

Quelle démarche adopter pour avancer vers une fiscalité plus verte ? Jusqu’à pré-sent, ce processus s’est surtout effectué par petites touches et de manière frag-mentée, alors qu’une approche d’en-semble devrait être privilégiée.

Deux actions concomitantes devraient être menées : d’un côté, renforcer le caractère incitatif de la fiscalité environ-nementale existante pour modifier les comportements et accroître les recettes, et de l’autre, redistribuer les recettes fis-cales environnementales en diminuant d’autres impôts.

Vers une fiscalité environnementale plus incitative

L’efficacité environnementale se mesure à la réaction des comportements à un signal-prix. Pour que la fiscalité environ-nementale joue son rôle, il est nécessaire de déterminer un signal-prix clair, lisible et progressif sur le long terme qui per-mette de modifier les comportements.

Du délicat exercice des comparaisons européennes

La définition retenue dans le cadre du budget pour la France est plus exten-sive que celle d’Eurostat. Pour évaluer le poids de la fiscalité écologique, sont pris en compte les "impôts qui ont pour objectif de décourager un compor-tement qui n’est pas vertueux sur le plan comportemental et les impôts qui financent une action qui peut être quali-fiée d’écologique"1.

Ce qui aboutit à une appréciation plus importante du poids de cette fiscalité. Pour 2014, les recettes fiscales environ-nementales ont rapporté 57,78 Mds€ dont près de 85 % concentrés sur sept impôts et 43 % sur la seule taxe inté-rieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Pour 2015, ces recettes montent à 62,08 Mds€, puis devraient atteindre 64 Mds€ en 20162.

1 http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rap-ports/r3110-tI.pdf

2 http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-ports/r4125-tI.asp#P3360_97566

Montée en puissance de la contribution climat énergie : + 335 % entre 2014 et 2017

Année 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2030

Prix de la tonne(en €/t CO2)

7 14,5 22 30,5 39 47,5 56 100

Recettesprévisionnelles 340 M€ 2,5 Mds € 4 Mds € 5,8 Mds € 7,8 Mds € nd nd nd

Qu’est-ce qu’une taxe environnementale au sens européen ?

Selon Eurostat, une taxe environne-mentale est "une taxe dont l’assiette est une unité physique (ou une ap-proximation d’une unité physique) de quelque chose qui a un impact négatif spécifique et avéré sur l’environne-ment, et qui est considérée comme un impôt par le système européen des comptes"1.

1 Règlement (UE) n° 691/2011 relatif aux comptes économiques européens de l’environnement.

Source : Commission des affaires économiques et de l’évaluation préalable dans le cadre de la LFR 2015

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Pour cela, trois paramètres pivots doivent être combinés : l’assiette de la taxe, l’élasticité-prix et le taux.

▶ Les trois paramètres pivots

S’agissant de l’assiette d’abord, elle doit être bien identifiée et ciblée sur un pol-luant ou un comportement précis (mais sans exclure un utilisateur de ce polluant ou un auteur de ce comportement).

Certaines taxes existantes pourraient ainsi être renforcées simplement en élar-gissant leur assiette à des substances aujourd’hui exclues4. Dans cette pers-pective, il serait possible de cibler les taxes dont l’assiette est susceptible d’être élastique au prix et pour laquelle existe un produit de substitution.

De nouvelles taxes pourraient également être créées sur des assiettes polluantes aujourd’hui non taxées et qui seraient également élastiques au prix.

Parallèlement, les taxes pour lesquelles l’élasticité-prix serait faible pourraient être supprimées du fait de leur ineffica-cité programmée par rapport à l’objectif environnementale souhaité. Ce qui per-mettrait de réduire le nombre important de petites taxes sans effet.

Pour que les taxes soient pleinement effi-caces, leurs taux devraient être rehaus-sés à des niveaux suffisamment incitatifs, voire proches des externalités sur les-quelles elles sont assises. Or, déterminer le niveau de taxation est complexe.

En théorie, une taxe environnementale efficace doit être déterminée au niveau dit "pigouvien"5, c’est-à-dire au niveau d’égalité entre la taxe et les dommages marginaux issus de la pollution, en déduisant le coût marginal des mesures de lutte contre la pollution.

En pratique, il n’est pas toujours aisé, voire dans certains cas impossible, de disposer de données suffisamment pré-cises pour estimer les dommages causés et les coûts de dépollution.

4 G. Sainteny, "Plaidoyer pour l’écofiscalité", Buchet-Chastel, édition 2012.

5 A.-C. Pigou, "The Economics of Welfaire", Macmillan, 1920, Londres.

Une telle difficulté peut d’ailleurs expli-quer en partie que certains taux aient été fixés sans cohérence avec les coûts de mise en conformité engagés par les entreprises6.

Pour analyser le coût des externalités, plusieurs éléments sont à prendre en compte : le cycle de vie des produits ou des émissions sources de pollution, les caractéristiques du secteur d’activité concerné ainsi que les conditions d’ac-ceptabilité de la taxe concernée.

Par ailleurs, le niveau de taxation devrait varier en fonction de l’objectif fixé. Si l’on souhaite que la taxe ait un réel effet inci-tatif, son taux devrait être suffisamment élevé pour permettre d’enclencher le plus rapidement possible le bascule-ment vers d’autres pratiques plus ver-tueuses, ce qui suppose que la taxe porte sur une activité "substituable".

▶ Une évolution lissée dans le temps

Dans la lignée de ce que recommande la Commission européenne7, l’augmenta-tion des taux pourrait être progressive, sur une période qui peut durer de 5 ans à 15 ans voire plus, suivie d’une période de stabilisation.

Connaître la trajectoire des taux sur le long terme permet d’offrir aux entre-prises un cadre plus serein pour planifier, anticiper, investir. "Un signal-prix stable

6 Par exemple, en matière de flotte automobile, de marketing durable...

7 Rapport Commission européenne, Study on assessing the environmental fiscal reforme poten-tial for the EU28, janv. 2016, voir p. 256 et s.

et pérenne stimule l’innovation en pous-sant les industriels à chercher des solu-tions moins polluantes pour réduire leurs coûts de production" (Chiroleu-Assouline, 2015).

Ces niveaux de taxation devraient par ailleurs être déterminés en tenant compte des pratiques constatées dans les autres pays européens pour éviter des distorsions au sein de l’UE.

Un "green tax shift" à prélèvements constants

Les recettes de la fiscalité environne-mentale devraient être redistribuées pour réduire à due concurrence d’autres impôts. Le "green tax shift" s’opèrerait ainsi à prélèvements constants.

L’objectif est d’obtenir un "double divi-dende" (Chiroleu-Assouline, 2015) : un premier, environnemental, et un second, socio-économique, qui pourrait revêtir différentes formes telles qu’une stimula-tion de la croissance économique (Ekins, 1997). En déplaçant la charge fiscale actuellement lourde sur le travail vers les taxes environnementales, l’emploi et la croissance pourraient être stimulés davantage, comme l’estime la Commission européenne8.

Le "green tax shift" pourrait d’autant plus trouver sa place en France que le système fiscal français connaît

8 Rapport Commission européenne, Annual Growth Survey 2015, p. 15.

Pratique innovante : quand les entreprises intègrent le prix du carbone

De plus en plus d’entreprises mettent en place un prix interne du carbone pour internaliser le coût économique de leurs émissions de gaz à effet de serre.

Comme le montre une étude de l’as-sociation Entreprises pour l'Environ-nement1, cette pratique représente un moyen efficace pour inciter les décideurs économiques à investir dans des énergies propres et des technologies plus sobres en carbone.

1. http://www.epe-asso.org/prix-interne-du-carbone-septembre-2016

L’expérience suédoiseDans un contexte de fort déficit budgétaire, la Suède décide en 1991 de mettre en place son "green tax shift"1 : d’un côté, la TVA sur les pro-duits énergétiques est augmentée et des taxes sur le CO2 et le SO2 instau-rés ; de l’autre, le taux d’imposition des entreprises est ramené de 53 % à 30 %, le taux marginal de l’impôt sur le revenu réduit, et la TVA générali-sée à un taux uniforme. Début des années 2000, le green tax shift a permis de réduire l’IR de 1,34 Mds€ et les cotisations sociales de 220 M€. Grâce à la hausse des recettes des taxes sur le CO2 et le carbone, la fiscalité sur le travail a diminué de 7,4 Mds€ entre 2007 et 2010.

1. D. Bureau, "Fiscalité verte et compétitivité : la démonstration suédoise", CEDD, n° 26, 2013.

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d’importantes distorsions qu’il importe de corriger. L’exemple de la Suède est riche d’enseignements, dans la mesure où ce pays connaissait de fortes distor-sions fiscales lorsqu’il a mis en place son "green tax shift" (cf. encadré).

Une partie des recettes environnemen-tales pourrait ainsi être redistribuée aux entreprises pour favoriser l’emploi. La France s’est engagée dans ce sens, avec la mise en place en 2013 du Crédit d’im-pôt compétitivité et emploi, en partie compensé par l’instauration en 2014 de la contribution climat-énergie9.

Une autre partie des recettes pourrait être redistribuée notamment aux ménages les plus modestes : par exemple sous la forme d’un rembourse-ment forfaitaire (à l’image du chèque énergie actuellement testé dans quatre départements pour compenser les effets de la contribution climat-énergie).

Faire du "green tax shift" un outil de baisse des prélèvements obligatoires ?

Le "green tax shift" aurait donc plusieurs vertus :

▪ un impact environnemental du fait de la mise en œuvre d’une politique fiscale environnementale incitative ;

9 Elle-même compensée pour la première année par une baisse de la TICPE pour les carburants.

▪ une redynamisation de l’emploi et de la croissance grâce à la réduction du niveau d'autres taxes ;

▪ à plus long terme, d’ici à 20 ans, si l’on part du postulat que les recettes des taxes environnementales ont a priori vocation à diminuer du fait de l’éro-sion de leurs bases taxables, le "green tax shift" pourrait être le moyen de réduire progressivement les prélève-ments obligatoires. Si l’UE parvenait à réduire de 40 % d’ici 2030 ses émis-sions de gaz à effet de serre (objectif de la COP21 de Paris), les Etats per-draient ainsi une importante source de revenus10.

Dès lors, plusieurs questions se posent :

▪ concernant l’érosion effective des bases taxables : dans quelle mesure le déclin des recettes fiscales environ-nementales s'opère-t-il ? Si les bases taxables s’érodent petit à petit, elles ne disparaissent toutefois pas pleine-ment. Pour certains secteurs d’acti-vité, l’érosion peut être assez rapide ; pour d’autres, le changement dépen-dra de l’évolution des technologies. Le déclin des recettes devrait donc s’effectuer mais avec des variables selon les secteurs (cf. encadré).

10 S. Tagliapietra et G. Zachmann, Bruegel, "Le para-doxe de la fiscalité écologique", Le Monde écono-mie, 22 oct. 2016.

▪ concernant le contexte des finances publiques : une baisse des dépenses publiques sera-t-elle engagée sur un rythme équivalent à la baisse des recettes ? Sera-t-il possible au moment où ces recettes déclineront d’envisager une baisse des prélève-ments obligatoires ?

En tout état de cause, ce déclin pour-rait être anticipé par les pouvoirs publics compte tenu de la trajectoire des taux préalablement déterminés.

La question de l'érosion des bases taxables se pose diffé-remment selon les cas

▪ Pour une assiette sur des lessives phosphatées : les taux de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) ont été fortement augmentés en 2007, ce qui a permis de passer très rapidement de 90 % à 5 % de lessives phosphatées.

▪ En revanche, pour une assiette sur les carburants : il faudrait attendre au moins 2040 pour que le produit fiscal d’une taxation sur le carbone commence à diminuer.

CONCLUSION

Pour s’orienter dans la voie de la transition énergétique, la fiscalité environnementale devrait être plus incitative et monter en puissance. Mais son augmentation doit être compensée de manière simultanée par la baisse d’autres impôts pour un "shift" à iso-fiscalité. A plus long terme, le "green tax shift" pourrait avoir pour effet d’enclencher une baisse programmée du niveau général des prélèvements obligatoires du fait de l’érosion des bases taxables. La fiscalité environnementale représente ainsi une opportunité pour restructurer le système fiscal français dans son ensemble…

Fiscalité environnementale : vers un "green tax shift" en France ?

Directeur de publication et de la rédaction Thierry Philipponnat

Auteur : Delphine Siquier-Delot

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