LESINTELLECTUELS · Le modele de «l'honnete homme »de ... competence manuelle, mais on a assi-...

8
Les penseurs et les gens de lettres ont souvent ete proches des hommes de pouvoir. Mais, a partir du XVI/l' siecle, ceux qu'on allaH nommer plus tard « les intellectuels » ont entretenu avec ie pouvoir des rapports mouvementes, alternant soutien ei contestation. LESINTELLECTUELS DES TErES BIEN FAITES Des le xvr siecle, on a donne, en France, une importance et un prestige particuliers a la cui lure et aux « belles lettres ». Le modele de « l'honnete homme » de Montaigne ne fail pas refe- rence a des qualites de rigueur morale, it evoque l'elegance, Ie raffinement de l'esprit et une culture essentiellement litteraire. l'honnete homme est un homme « bien eleve ~; il a une bonne formation et une bonne education (de bormes manieres, du savoir-vivre). Les jesuites" - qui depuis trois siecles ont forme Lamajorite des elites et om forte- mem infiuence toulle sysleme educatif fran~is - ont cherche a appliquer les principes chers a « L'honnete homme» : former « des letes bien failes plutot que des teles bien pLeines», developper l'es- pril critique, enseigner un savoir abstrait et universaliste, imposer la lecture des Anciens ei des Modemes, insister sur la culture generale, develop- per l'espru de competition ... et savoir manier la parole. La Revolution de 1789 et la demo- cratisation de la societe au )oX siecle n'ont pas remis en question ces principes educaufs. Non seulement on a continue a valoriser la formation generale plutot que la formation a un metier, a une competence manuelle, mais on a assi- mile les connaissances techniques a du savoir-Iaire manuel. n y a toujours en France une sorte d'opposiuon entre ~<La culture» (la ..vraie" culture) et la « culture technique», y compris ceUe des ingenieurs ou meme celie des scienti- fiques qui travaillent sur autre chose que la tMorie pure. Ceci explique pourquoi les eleves et les etudiants s'engagent dans des filieres d'enseignement teelmique uniquement lorsqu'ils ne sont pas assez brillants pour etre admis dans des Iilieres d'enseignemenr general. Les elites politiques, economiques et scientifiques doivent pouvoir, pour etre reconnues, montrer qu'elles ont une bonne formation, un bon « niveau intel- lectuel ». Elles sortent d'ailleurs prati- quernent toutes du meme « moules : elles ont fait leurs etudes dans les memes universites, les memes grandes eccles. Toute personne ayant des responsabilites importantes doit faire preuve d'une tres bonne culture gene- rale, la culture etant avant tout liueraire, philosopruque ou historique. II est inimaginable, par exemple, qu'un homme politique puisse faire une carriere sans etre cultive, sans etre capable de manier parfaitement la syntaxe de la langue franc;aise, voire meme sans ecrire des livres !

Transcript of LESINTELLECTUELS · Le modele de «l'honnete homme »de ... competence manuelle, mais on a assi-...

Page 1: LESINTELLECTUELS · Le modele de «l'honnete homme »de ... competence manuelle, mais on a assi- ... de «I'Affaire Dreyfus», lorsqu'un offi-cier juif fut accuse d'espionnage au

Les penseurs et les gens de lettres

ont souvent ete proches des hommes de pouvoir.

Mais, a partir du XVI/l' siecle,

ceux qu'on allaH nommer plus tard « les intellectuels »

ont entretenu avec ie pouvoir

des rapports mouvementes, alternant soutien ei contestation.

LESINTELLECTUELS

DES TErES BIEN FAITES

Des le xvr siecle, on a donne, enFrance, une importance et un prestigeparticuliers a la cui lure et aux « belleslettres ». Le modele de « l'honnetehomme » de Montaigne ne fail pas refe-rence a des qualites de rigueur morale,it evoque l'elegance, Ie raffinement del'esprit et une culture essentiellementlitteraire. l'honnete homme est unhomme «bien eleve ~; il a une bonneformation et une bonne education (debormes manieres, du savoir-vivre). Lesjesuites" - qui depuis trois siecles ontforme Lamajorite des elites et om forte-mem infiuence toulle sysleme educatiffran~is - ont cherche a appliquer lesprincipes chers a «L'honnete homme» :former « des letes bien failes plutot quedes teles bien pLeines», developper l'es-pril critique, enseigner un savoir

abstrait et universaliste, imposer lalecture des Anciens ei des Modemes,insister sur la culture generale, develop-per l'espru de competition ... et savoirmanier la parole.

La Revolution de 1789 et la demo-cratisation de la societe au )oX sieclen'ont pas remis en question ces principeseducaufs. Non seulement on a continuea valoriser la formation generale plutotque la formation a un metier, a unecompetence manuelle, mais on a assi-mile les connaissances techniques a dusavoir-Iaire manuel. n y a toujours enFrance une sorte d'opposiuon entre ~<Laculture» (la ..vraie" culture) et la« culture technique», y compris ceUe desingenieurs ou meme celie des scienti-fiques qui travaillent sur autre chose quela tMorie pure. Ceci explique pourquoiles eleves et les etudiants s'engagent dansdes filieres d'enseignement teelmique

uniquement lorsqu'ils ne sont pas assezbrillants pour etre admis dans des Iilieresd'enseignemenr general.

Les elites politiques, economiqueset scientifiques doivent pouvoir, pouretre reconnues, montrer qu'elles ont unebonne formation, un bon « niveau intel-lectuel ». Elles sortent d'ailleurs prati-quernent toutes du meme « moules :elles ont fait leurs etudes dans lesmemes universites, les memes grandeseccles. Toute personne ayant desresponsabilites importantes doit fairepreuve d'une tres bonne culture gene-rale, la culture etant avant tout liueraire,philosopruque ou historique. II estinimaginable, par exemple, qu'unhomme politique puisse faire unecarriere sans etre cultive, sans etrecapable de manier parfaitement lasyntaxe de la langue franc;aise, voirememe sans ecrire des livres !

Page 2: LESINTELLECTUELS · Le modele de «l'honnete homme »de ... competence manuelle, mais on a assi- ... de «I'Affaire Dreyfus», lorsqu'un offi-cier juif fut accuse d'espionnage au

•••••••••••••••••••••INTEUECTUELS CELEBRES

Parmi les intellectuels de gauche, onpeut clter Michelet (Ie grand hlstoriendu XIX'siecle), Victor Hugo (faroucheopposant a Napoleon III, II fut exile iiGuemesey), Zola, Anatole France,Alain, Aragon et Elsa Triolet, Breton,Eluard, Nizan, Jean-Paul Sartre, Simonede Beauvoir, Althusser, MichelFoucault.'A droite, on peut nommer Mauriac,

Giraudoux, Montherlant. II faut noterque peu d'intellectuels fran9ais ontaccepte d'etre etiquetes commehommes de droite, a I'exception notablede RaymondAron (une droite tres mode-ree).L'extremEKIroite a compte quelques

i.ntellectuels: Drieu La Rochelle (lisesuicida en 1945), Maurras (condamne ala reclusion mals gracie peu avant samort, en 1952). II faut aussi mentionnerI'ecrivain Celine et ses ecrits violem-ment antisemites.

........ , .

8LES INTELLECTUELS

UN CONTRE-POUVOIR

En France, on a toujours etroite-ment associe le culture! et Ie politique, lespirituel et le ternporel. Mais on pentsituer la naissance de l'intellectuelmoderne dans la deuxieme moitie duxvnr siecle, Tocqueville a explique dansson celebre ouvrage « I'Ancien Regime etla Revolution» que puisque la monarchicexcluait les inrellectuels de l'exercice dupouvoir, ceux-ci se sont comportescomme un contre-pouvoir, defenseurde la raison er de lajustice face aux irue-rets de la raison d'Etat et de l'argent.Voltaire, Diderot, Rousseau, Condorcet,ont soutenu la necessite d'un engage-ment des hommes de lettres dans lade.fense de la morale et de la verite.

Tout au long du XIX< siecle, les intel-lectuels om ete partie prenante dans Ies

grands debars, s'opposant sou vent aupouvoir en place. Mais c'est au momentde «I'Affaire Dreyfus», lorsqu'un offi-cier juif fut accuse d'espionnage auprofit des Allemands, qu'est apparu leterme d'« intellectuel » : 11existait comrneadjectif, rnais n'etait pas utilise commesubstantif. En 1898, prenant la suite dutexte de Zola «['accuse », Clemenceaupubliait dans un journal («L'Aurorelitteraire, artistique et sociale ») un textede soutien a Dreyfus qui est reste celebreSOllS le nom de «Manifests des intellec-tuels». La France s'est alors trouveecoupee en deux. «Les dreyfusards », quiprenaient la defense de Dreyfus, rassern-blaient l'ensembJe de la gauche, tanclisque « les anti-dreyfusards» regrou-paient la droite nationaliste et antise-mite. Au-dela du sort du capitaineDreyfus, I'enjeu du debat portait sur Iaquestion nationale. Face aux valeurs deraison eL de justice defendues par Ies

Page 3: LESINTELLECTUELS · Le modele de «l'honnete homme »de ... competence manuelle, mais on a assi- ... de «I'Affaire Dreyfus», lorsqu'un offi-cier juif fut accuse d'espionnage au

dreyfusards, les anti-dreyfusards oppo-saient une conception de La nationIondee sur Latradition er Larace.

INTELLECTUELS DE GAUCHE

Depuis la Revolution francaise, lavie politique a ete marquee par lesaffrontements ideologiques entre deuxcamps - la gauche et la droite - chaquecamp se considerant comme le seul aavoir une leginmite. Les termes de« gauche» et « droite » font allusion auxplaces occupees par les deputes al'Assemblee nationale de 1789: tres tot,« les Amis du peuple », qui defendaientla liberte et l'egalite, se regrouperent agauche de la salle, tandis que les depu-tes qui soutenaieni le roi ei etaiem atta-ches a la religion occupaient la partiedroite.

Tout au long du X1X' sieele, la'gauche a represenle l'heritage de laRevolution. Elle regroupait les parti-sans de la Republique etluttait pour une separa-tion entre l'Eglise etl'Etat. La droite etait iden-tifiee a l'Ancien regime,au passe, aux privileges.Elle se voulait Ie parti del'ordre er de la disciplineel etail soutenue parl'eglise cathoLique. Lesclivages* s'intensifierenta certains moments: en1815, apres la periodenapo!eonienne, quand lamonarchie fut n!tablie (laRestauration) ; lorsque LaTroisieme Republique im-posa la Lalcite; et bien sUrau moment de l'affaireDreyfus. Au x..X' sieele,depuis la Premiere Guerremondiale et jusque dans

8LES INTELLECTUELS

les annees 70, les divages entre lagauche et La droite porterent essentielle-ment sur les questions so dates - Lagauche se voulani le pani du rnouve-ment ouvrier - mais aussi sur l'engage-ment dans la Resistance, La question deLatorture pendant la guerre d'Algerie, ladecolonisation, les grands conflitsinternationaux (La Revolution russe, laguerre d'Espagne, La guerre duVietnam).

Merne s'il y avait « des droites » et« des gauches», «la Droite » regroupaitles conservateurs, les reactionnaires" .Iesxenophobes", tandis que «Ia Gauche»representait les progressistes, les demo-crates, les partisans de l'internationa-lisme, bref ceux qui se placaient du cotedu monde ouvrier, des exclus et desdomines. Les circonstances polarise-rent* La vie politique sur deux extremes,Ie socialisme et le £ascisme. En 1936, aumoment du Front populaire, Ie socia-lisme apparaissail comme l'uniquerempart contre Ie fascisme qui montair et

•••••••••••••••••••••QU'EST-CE QU'UN

INTEllECTUEL ?

• Un intellectuel, tel que I'AffaireDreyfus I'a symbolise, est un profession-nel de la culture qui decide de prendrepubliquement position sur un ou desproblemes de societe ou de politi que nerelevant pas forcement de sa compe-tence professionnelle. Cette Interven-tion publlque se fait au nom de lalegitimite acquise anterieurement dansla sphere professionnelle. II faut doncune triple condition pour devenir -Intel-tectuet- au sens ou on I'entend dansnos democratles :

Avolr une competence dans Iedomaine de la science ou de Ia culture,qui soit reconnue par la communautedes pairs.

Decider d'intervenir regullerernentet publlquement sur les problemes desociete ou de politique.

Soutenlr des positions la plupart dutemps contradictoires avec Ie discoursdominant du moment.-

Dominique Wolton, La Oem/ereUtopie, Flammarion, 1993.

•••••••••••••••••••

Page 4: LESINTELLECTUELS · Le modele de «l'honnete homme »de ... competence manuelle, mais on a assi- ... de «I'Affaire Dreyfus», lorsqu'un offi-cier juif fut accuse d'espionnage au

•••••••••••••••••••••L 'ESPRIT FRANCAlS

.Ce qui frappe. Ie plus tous lesobservateurs etrangers, c'est la formed'esprlt des FrahQais: lis passent pourIntellectuels, rationalistes, lurlstes, a ladifference des Anglals, pratlques, empi-rlques*, casuistes*; des Allemandsqu'emporte I'elan vital; de l'Espagnol,passlonne, mystique, theologien, LesFranQals ne repoussent point ce juge-ment dont its evaluent rarement la partcritique, parce qu'll est plus facile d'ac-cepter les formules que d'emprunterI'esprit des autres pour se juger sol-meme. lis se tlennent sans modestiepour un peuple tres Intelligent, orateur*et malin. Nous dirions plutot qu'ils sontraisonneurs avec un penchant oratolre*et procedurier*, usant de leur lntelll-gence pour comprendre, pour construireet pour detrulre. Un FranQals veutcomprendre, ou pour Ie moins avoir I'alrde comprendre, chacune de ses opera-tlons. O'autres peuples professent lasoumisslon absolue a la necessttequotidienne ou a ceux qui ont missionde les guider. Rlen au contralre de plusdesolant pour un Franf,taisque d'avolr ase soumettre aveugJement. On connansa maxlme de desespolr: " II ne faut paschercher a comprendre ".

0'011 les definitions, les explica-tions, les justifications qui occupenttoujours sa eervelle, des qu'il s'estevade de I'analphabetisme. Cas exer-clees, II les fait au profit de la construc-tion des idees et des formes; II alme lesIdees glmerales, les syntheses, lessystemes. Le but de ses analyses esttoujours d'aboutlr a des formules et II aune eertalne propension* a limer desformules, qultte a les justifier. Oe cesformules, s'iI a un embryon de culture, iIcompose des syntheses, ou son gout deI'universel se complait, et des systemesqui exercent sa passion loglque. parfoisau detriment de la realite. En tous sesjeux intellectuels Ie Franf,tais montrebeaucoup de vivaelte, de brillant, etsurtout d'ordre, de elarte.

Son goUt de la elarte procede a lafois d'une eertalne paresse, qui Iedetourne des approfondlssements, descomplications; d'un soucl de n'etrepoint dupe, et de I'exemple donne par

8LES INTELLECTUELS

s'implarnait en Europe. Apres la defaitede 1940, le regime de Vichy essayad'abolir route trace du Front populaire;il supprima les institutions de laRepublique, mit en place une legislationantisemite er collabora avec les nazis.Une grande partie de la drone se rallia auregime de Vichy tandis que la gauche (enparticulier les communistes) s'engageaitmassivement dans la Resistance. A laLiberation, la gauche eiait done dans lecamp des heros; le parti cornmunisteetait une de ses composantes impor-tantes en raison de son role dans laResistance.

Apres la guerre, l'engagement desintellectuels apparut plus que jamaiscomme un imperatif. Leur role n'etaitpas seulement de penser et d'interpreterIe monde, mais aussi de le changer parleur combat. Parler d'« intellectuels degauche» etait presque un pleonasme" !Le marxisme (alternative au capita-lisme) fut rer;u de far;on tres favorablepar une grande partie de l'inlelligentsia.Sans etre forcement membres du particommuniste, beaucoup d'inrellecruelsfurent alors consideres comme «descompagnons de route» du Pc. Sartrereste sans doute I'une des figures lesplus marquantes de ce que fut un« inteLlectuel engage».

La situation a beaucoup evoluedepuis. Dans les annees 60, 1es intellec-tuels ont massivement rompu avec Iecommunisme quand ils ont decouvertles horreurs du stalinisme*. En 1968 etdans les annees 70, beaucoup se sontengages dans la mouvance* gauchiste.Puis dans les annees 80, les grands«maitres a penser» ont disparu: Sartreet Barthes sont morts en 1980,Althusser a «disparu» en 1980 (il a eteinterne en psychiatrie apres avoir assas-sine sa femme), Lacan et Foucault sontdecedes en 1984.

L'intelligentsia Irancaise est resieelongtemps - elle l'est sans doute encoredans sa grande majorite - auachee aUKvaleurs de gauche, mais elle est demoins en moins presente sur la scenepolitique. On fait parfois le constat de«Ia disparition des intellectuels », ondeplore « Ie silence des intellecruels »au profit des economistes ou desexperts en tout genre. C'est sans douteque les debars ideologiques ont cessed'etre au premier plan des preoccupa-tions des Francais, et aussi que lesclivages entre 1agauche et la droite sontdevenus moins passionnels, notam-ment apres que la gauche eut accede aupouvoir en 1981, puis que la France eutconnu l'experience de la « cohabitation»(un president de la Republique degauche et un Premier ministre de droite).

LiEUX DE RENDEZ-VOUS

En France, contrairement a ce quiexiste dans d'autres pays, I'intellecruelse doit de vivre (au moins a tempspartiel!) dans la capitale. Un penseurayant atteint une certaine notoriete sedoit de dispenser son enseignemem etde faire des conferences dans uneuniversite parisienne ou mieux encore,au College de France (comme Barthes,Lacan, Bourdieu, etc.). Un ecrivain peutecrire a la campagne, au coin du feu,mais c'est a Palis qu'il [aut etre pour sefaire publier et pour esperer la conse-cration!

Apres la vogue des salons litte-raires, c'est, a partir du XVTII' siecle, dansles cafes, que se lenaient les debatsd'idees (Voltaire frequentait assidumentIe Procope). Certains bars et brasseriessont des lieux a la mode dans Iesmilieux intellectuels... et les modeschangent selon les epoques! Apres laSeconde Guerre mondiale, c'est dans les

Page 5: LESINTELLECTUELS · Le modele de «l'honnete homme »de ... competence manuelle, mais on a assi- ... de «I'Affaire Dreyfus», lorsqu'un offi-cier juif fut accuse d'espionnage au

cafes de Saint-Germain-des-Pres que seretrouvaieru les existenrialistes" - IeFlore, les Deux Magots - mais la clien-tele a bien change depuis l'epoque deJean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir,Boris Vian ; elle est maintenant surtoutcomposee de riches etrangers. LaBrasserie Lipp est toujours Irequenteepar des intellectuels de renom, maisaussi par la classe poliuque et les gensdu spectacle. Le Quartier latin a connuson heure de gloire dans lcs annees60-70. Dans ce quarrier etudiant, setrouvaieru les Iacultes.Ies bibliotheques,les meilleures librairies, les cinemasd' «ArLet essai ». Apres leurs serninairesa la Sorbonne ou au College de France,les universitaires, les chercheurs, lesecrivains, les etudiants se retrouvaientau Balzar ou au Champo, pour prendreun verre el continuer a discuter. LeQuartier latin a perdu son ame depuisqu'il a ete envahi par les restaurants bonmarche et les magasins de vetements.EnsuiLe, les intellectuels frequemerentplutoL (et [requentent encore) les bras-series du quartier Montparnasse, quipendanL longtemps avail eLe surtout Ierendez-vous des peinLres eL des exilespoliliques, des surrealistes egalement:la Coupole, Ie Select. la Closerie des Lilas(ou sonL apposees sur les tables desplaques rappelam les clients celebres).11faut dire que c'esL dans ces quartiersde Paris - sur la rive gauche, mais dansun perimetre qui se limite auxcinquieme eL SlXleme arrondisse-ments! - que pratiquemem tOLltes lesgrandes maisons d'ediLion ont leursiege. Les brasseries que nous venonsd'evoquer sont rout naturellement deslieux Oll se tiennent les rendez-vousavec un editeur ou un directeur decollection.

Les debats d'idees entre intellec-tuels onL aussi pour terrain prh i1egiequelques grandes revues (toLltes ediLees

8LES INTEUECTUELS

a Paris !). Pendant la premiere moitie duvingtieme steele, ce fut surtout « laouvelle Revue Francaise » (NRF),

creee en 1909 a l'iniriaiive d'AndreGide: on pouvait )' lire des articles deProust, Mauriac, Claudel, Cocieau, etc.Puis ce furent « Esprit », cree en 1932par le personnaliste* EmmanuelMounier et « Les Temps Modernes »,fondes en 1946 par Jean-Paul Sartre,qui se voulaiem routes deux des revuestres engagees. En 1980, a ete lance « LeDebar- (dont le sous-titre est Histoire,Politiqlle, Sodete), anime par PierreNora, une revue qui se presente aucomraire comme non engagee. On peutciter aussi quelques revues a diffusionplus large, qui sont en fait plutot desmagazines d'information ou d'actualitelitteraire ou philosophique: « LeMagazine litteraire», « La Quinzainelitteraire », « Lire ». Depuis quelquesannees. les chercheurs et les hommesde lettres aimem a publier des tribuneslib res dans les grands quotidiens natio-naux - essemiellement « Le Monde» et« Liberation» - ou bien dans deshebdomadaires comme «Le NouvelObservateur ».

La consecration. aujourd'hui, pourun intellectuel ou un homme de letLres,c'est aussi et surtout d'etre invite a celieu de rendez-vous « incomoumable»qu'est la television, que ce soit pourdonner son opinion sur un sujet d'ac-tualite ou pour presenter son dernierouvrage dans une emission Utteraire(en particulier celle de Bernard Pivot,Apostrophes, de\'enue sous une formeun peu differente Bouill011 de culture). 11est assure d'etre entendu par desmillions de spectateurs et - s'il fait« une bonne presta tion » - de vendre sesouvrages a des milliers d'exemplaires dansles jours suivants ! •

une societe dirlgeante, depuls deuxmillenalres entrainee a la composition eta la dlalectlque*. Le goUt de l'OId", estdans Ia tradition classique: les RomainsI'ont Inculque a la Gaule, I'influencedurable des rheteurs *, la renaissance*justlnlenne et arlstotelicienne, l'huma-nisme, Ie programme des jesultes, puisde l'Universlte entretlnrent les hab..tudes antiques.

Les quatites de I'esprit fran~alssont un bien tres preeieux au mondeentler. Savants, ecrivains, conffiren-clers repandent en tous pays Ie cultedes divisions harmonieuses, desformules IImpldes et parfols d'unereserve sourlante dans les conclusions.Le risque, c'est, dans la masse, unecertalne legerete qui neglige les zonesd'ombre de la pensee, simpllfie a I'ex-ces les decisions ou les compllque parun exces de logique abstraite, resoutquelquefols une dlfflculte par uneelegante boutade.•

Gabriel La Bras,Revue de psychologle des peuples,1- trimestre 1952.

•••••••••••••••••••

.....................CARTEs/ENS, LES F~AJS ?

• Le D/scours de la m6thode estnotre jle au tresor. II y a la un espritd'aventure et de decision qui pare laraison de tous les attraits de lajeunesse et qui susclte I'enthousiasme.Desc:artes nous parle de lui. C'est unhomme simple, comme Ie commlssaireMalgret. La raison ne se distingue pasde ce ton personnel, familier, presqueromanesque, que I'auteur adopte pourconvaincre. C'est lui qui Ie premieroppose la raison a la tradition et a laconnalssance herltee des ancetres. Onexagere son influence: les Fran~als nesont pas tous philosophes, encoremoins carteslens. Mals lis sont recl&-vables iii Desc:artes d'une exlgence quilas rend mefiants a I'egard des chosesapprises et d'une pretention qui agacenos voisins: "Mol tout seul contre Iereste du monde " .-

Frederic Femey, tloge de la FranceImmobile, Fran~ols Bourln, 1992.

•••••••••••••••••••

Page 6: LESINTELLECTUELS · Le modele de «l'honnete homme »de ... competence manuelle, mais on a assi- ... de «I'Affaire Dreyfus», lorsqu'un offi-cier juif fut accuse d'espionnage au

1LEROLE DE L'INTELLECTUEL

2ETRE INTELLIGENT,

C'ESTQUOI?

8ACT1VI1i:S

Le sodologue allemand Wolf Lepenies analyse et compare les milieux intellec-tuels dans differents pays europeans. Void un extrait d'une interview accordee aujournal Le Monde (31 mai 1994), dans lequel il deflnit ce qu'est pour lui Ie role del'intellectuel.

«Pour moi, aujourd'hui, I'intellectuel est cekn qui agit com me traducteur entre lescultures. Cest la grande tache a laquelle nous sommes confrontes Nous ne pouvonsplus nous satisfare de vouloir simplement essayer de comprendre d'autres cultures. Lacomprehension est une attitude de distanciation, c'est une attitude envers des culturesqu'on ne prend en compte que de rnaniere tres indirecte, avec lesquelles on n'est preta entrer en contact que pour ameliorer sa connaissance generale. Tout cela a change.Nous sommes tous tenus de nous employer a rendre nos cultures intelligibles. Parceque no us sommes obliges de nous comprendre dans un sens beaucoup plus elernen-taire. de vivre ensemble. C'est pour les intellectuels une enorme tache, qui est d'ailleursde plus en plus reconnue, notamment dans Ie domaine econornique. II est assez facilede convaincre aujourd'hui une entreprise qu'elle ne peut pas s'installer au japon, parexemple. sans un minimum de competence culturelle, sans laquelle la competenceeconornique ne peut nen faire.»

Pourquoi Lepenies fait-il une difference entre « comprendre» d'autres cultureset les «traduire », les rendre « intelligibles» ?

En quoi un intellectuel peut-il etre un « traducteur de cultures» ?Quel rolepeut-il jouer dans la vie economique et sociale ?Essayez de donner des illustrations.

Est-ce que Ie role de l'intellectuel vous semble different selon les pays ou selonles cultures?

Commentez les resultats de ce sondage.

Parmi les activltes suivantes, queUes sont celles qui, selon vous, demandent Ieplus d'inteUigence ?

• faire une decouverte scientifique 48 %• diriger une grande entreprise 45 %• ecrire un livre de philosophie 18%• etre Ie meilleur ouvrier de France 18%

(menuiserie, orfevrerie ... )• etre ministre 10%• creer une c:euvre d'art 7%• sans opinion 4%

Le Nouvel Observateur, 14-20 mal 1994.

Est-ce qu'iI y a des reponses qui vous surprennent?

Page 7: LESINTELLECTUELS · Le modele de «l'honnete homme »de ... competence manuelle, mais on a assi- ... de «I'Affaire Dreyfus», lorsqu'un offi-cier juif fut accuse d'espionnage au

3DEBATS DE FIN DE SIECLE

8ACTIVITES

«Parmi les nouveaux debats surgis au cours des dix dernieres annees, il faut rangercelui - recurrent et central- qui touche aux medias [,. ,J, I'installation en France d'unenouvelle hegernonie culturelle: celie de la television. Mais attention aux simplificationsanecdotiques. Ce debat-la ne se rarnene plus a un pugilat vaguement corporatiste entre[,' ,J les universitaires et [ ... J les joumalistes. [ ... J Un pugilat assez simpliste, une contes-tation quasi tenitoriale emcoisonnee par des envies reciproques bien difficiles a depar-tager: respectabilite du savoir contre ivresse de I'influence, dignite du concept contrepuissance du spectacle, souci de sauver son arne contre envie de vendre ses livres? etc.On n'en est plus la Cest desormais de reflexion qu'il s'agit »

Le Nouvel Observoteur, 6-12 fevrier 1992.

T rouvez la bonne definition de ces expressions parmi celles qui vous sont

proposees:

I. Une hegemonie (n. f)a. un pouvoirb. une inspiratricec. une mode

3. Un pugilat (n. m.)a. une bagarreb. une histoirec. un scenario

4. Corporatiste (adj.)a. beaub. qui defend un metier,

une profession particulierec. politique

Pourquoi I'auteur de I'article parte-t-il d'« hegemonie culturelle»de la television?

2. Anecdotique (adj.)a. dr61eb. exagerec. secondaire, sans interet

Quels sont, selon lui, les enjeux de la concurrence entre universitaireset journalistes ?

Page 8: LESINTELLECTUELS · Le modele de «l'honnete homme »de ... competence manuelle, mais on a assi- ... de «I'Affaire Dreyfus», lorsqu'un offi-cier juif fut accuse d'espionnage au

4COMMENT DEFINIR

LA GAUCHE?

8ACTlVlTEs

Un institut de sondage a demande a un echantillon representant de Francais declasser des termes « correspondant bien a l'idee qu'ils se faisaient de la gauche».Les mots proposes ont ete classes par I'ensemble des Francais (quelles que soientleurs opinions politiques) dans I'ordre suivant:

• protection sociale 68%

• culture 65%

• fiberte 64%

• tolerance 60%

• progres 60%

• anti-racisme 59%

• construction de l'Europe 58%

• defense des rninorites 57%

• patrie 56%

• generosite 54%

• etat 47%

• partage 47%

• egalite 43%

• morale 40%

• justice 39%

• rigueur 39%

SOFRES, avnl 1991.

En vous appuyant sur les informations donnees dans Ie chapitre, commentez cesresultats en essayant de preciser leur signification dans Ie contexte politique etsocial francais.

Exemple: la protection sociale est une reference de la gauche; contrairement auxultra-liberaux, la gauche consdere que I'Etat doit conWler la redistribution des richesses.

Pensez-vous que les references ideologiques de « la gauche» et de « la droite »sont semblables ou differentes selon les pays? En quoi l'histoire nous aide-t-elle acomprendre ces references?