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LES TRAUMATISMES GRAVES DU RACHIS Prise en charge au cours des 24 premières heures Dr ME Petitjean – Pr Philippe Dabadie Département des Urgences – CHU Bordeaux LES TRAUMATISMES GRAVES DU RACHIS POINTS ESSENTIELS : Les techniques d’immobilisation sont à appliquer dès le pré-hospitalier pour éviter les complications neurologiques. 10 à 15 % des accidents neurologiques surviennent lors du ramassage des traumatisés du rachis. Dès ce stade, il est nécessaire de reconnaître les types de lésions cervicales ou thoraco- lombaires, le niveau neurologique et le caractère complet ou incomplet. L’évaluation et la prise en charge du traumatisme rachidien chez un polytraumatisé est une priorité. L'orientation d'u patient vers un centre de traumatologie possédant l’ensemble des qualifications permettant de contribuer au traitement des lésions, est indispensable. Les lésions incomplètes représentent une urgence chirurgicale à traiter impérativement dès les premières heures post-traumatiques. Les menaces de bradycardie, d'arrêt cardiaque et d'hypovolémie relative, par absence de réponse orthosympathique, doivent être prévenues. En pré-hospitalier, si elle est indiquée, et pour l'intervention chirurgicale, l'intubation trachéale nécessite un maintien du rachis dans l'axe, ce qui peut la rendre plus difficile. La tomodensitométrie révèle les dégâts osseux et des disques intervertébraux, l'imagerie par résonance magnétique les lésions médullaires et les compressions résiduelles fragmentaires. Elle est indiquée lorsqu'il existe une atteinte médullaire sans lésion osseuse. L'ostéosynthèse réduit les risques de microtraumatisme du tissu nerveux, prévient les complications de décubitus et les déformations rachidiennes. 1

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LES TRAUMATISMES GRAVES DU RACHIS

Prise en charge au cours des 24 premières heures

Dr ME Petitjean – Pr Philippe Dabadie Département des Urgences – CHU Bordeaux

LES TRAUMATISMES GRAVES DU RACHIS

POINTS ESSENTIELS :

• Les techniques d’immobilisation sont à appliquer dès le pré-hospitalier pour éviter les

complications neurologiques.

• 10 à 15 % des accidents neurologiques surviennent lors du ramassage des traumatisés

du rachis.

• Dès ce stade, il est nécessaire de reconnaître les types de lésions cervicales ou thoraco-

lombaires, le niveau neurologique et le caractère complet ou incomplet.

• L’évaluation et la prise en charge du traumatisme rachidien chez un polytraumatisé est

une priorité.

• L'orientation d'u patient vers un centre de traumatologie possédant l’ensemble des

qualifications permettant de contribuer au traitement des lésions, est indispensable.

• Les lésions incomplètes représentent une urgence chirurgicale à traiter impérativement

dès les premières heures post-traumatiques.

• Les menaces de bradycardie, d'arrêt cardiaque et d'hypovolémie relative, par absence de

réponse orthosympathique, doivent être prévenues.

• En pré-hospitalier, si elle est indiquée, et pour l'intervention chirurgicale, l'intubation

trachéale nécessite un maintien du rachis dans l'axe, ce qui peut la rendre plus difficile.

• La tomodensitométrie révèle les dégâts osseux et des disques intervertébraux, l'imagerie

par résonance magnétique les lésions médullaires et les compressions résiduelles

fragmentaires. Elle est indiquée lorsqu'il existe une atteinte médullaire sans lésion

osseuse.

• L'ostéosynthèse réduit les risques de microtraumatisme du tissu nerveux, prévient les

complications de décubitus et les déformations rachidiennes.

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• Seul le caractère complet ou incomplet de la lésion médullaire primaire apparaît comme

le facteur pronostique le plus important en terme de récupération fonctionnelle.

INTRODUCTION

Problème majeur de santé publique, peu de blessures sont aussi dévastatrices que

celles affectant la moelle épinière. Les hommes adultes, jeunes et adolescents en ont la plus

haute prévalence et souffrent la plupart du temps d'un déficit permanent. Rapidement, le

patient tétraplégique ou paraplégique a conscience de son déficit et de ses conséquences.

L'hospitalisation et la réhabilitation, à travers leur coût, représentent un investissement

énorme. Les dommages émotionnels pour le patient et sa famille ne sont pas mesurables.

Les traumatismes du rachis constituent une pathologie fréquente en constante

augmentation, estimée à environ 2 000 nouveaux cas par an en France. Ils sont

potentiellement graves, et associés à une lésion médullaire, ils mettent en jeu le pronostic

vital.

De ce fait, on se doit de détecter ou d'exclure les atteintes médullaires et de

minimiser au maximum les dommages causés à la moelle épinière. Aussi, les blessés

vertébromédullaires doivent être orientés dès suspicion du diagnostic, vers un centre

référent disposant à la fois d’un plateau médico-technique 24 /24 et des ressources

humaines ayant l’expertise souhaitée pour une prise en charge précoce et optimisée.

Le traitement débute dès la prise en charge pré-hospitalière : l’objectif est d’ores et

déjà, de protéger la moelle épinière, en évitant toute aggravation secondaire. Le respect des

précautions à prendre lors de toute mobilisation est essentiel, si l’on veut préserver le tissu

initialement épargné ou éviter l’extension de la lésion primaire. De plus, dès cette phase,

l’équipe médicale mettra en œuvre les thérapeutiques visant à limiter les agressions

secondaires [1]. Cette stratégie permet d’orienter et d’évacuer le blessé vers la structure la

plus apte à prévenir et/ou à traiter précocement son atteinte médullaire. La prise en charge

initiale du traumatisme rachidien nécessite la prise en compte non seulement du

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traumatisme rachidien, mais aussi des autres dysfonctions d’organes entraînées par la

lésion médullaire.

D'après les études épidémiologiques, les accidents de la voie publique, les chutes

d'un lieu élevé sont les premières causes. Les traumatismes pénétrants du rachis et de la

moelle épinière sont peu fréquents en France par rapport à l'Amérique du Nord. Ils

représentent la troisième cause d'atteinte vertébro-médullaire [2, 3].

Les patients entre 15 et 24 ans, principalement des hommes, ont la plus haute

incidence, suivie par les patients d'un âge supérieur à 55 ans. Un peu plus de 50 % de

blessés vertébro-médullaires conservent un certain degré de fonction sensitive et motrice et

présentent des lésions incomplètes.

La mortalité des patients présentant une atteinte médullaire est d'approximativement

17 %, cependant ce taux chute à 7 % pour ceux qui présentent une atteinte médullaire

isolée.

Au niveau de l’accueil hospitalier, ces patients doivent bénéficier de soins faisant

l’objet de procédures. Ils requièrent une approche multidisciplinaire pour l’ensemble des

problèmes liés à la blessure vertébro-médullaire [3].

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BIOMECANIQUE

Le rachis est divisé en trois segments horizontaux (antérieur, moyen et postérieur) et

deux segments verticaux (la vertèbre et le segment mobile rachidien). Ce sont les atteintes

du segment vertébral moyen et du segment mobile rachidien qui représentent un risque

d'instabilité rachidienne. Les forces s'appliquant sur le rachis lors des traumatismes sont le

plus fréquemment celles qui se développent dans le plan sagittal (flexion/extension).

Les traumatismes en hyperflexion du rachis cervical résultent d'une décélération

brutale du corps ou d'un impact occipital ou sur le vertex. Ce mécanisme concerne les

parties vertébrales les plus mobiles. Le rachis cervical dont la stabilité dans le plan sagittal

ne repose que sur les muscles du cou, les ligaments postérieurs et les disques, n'est stoppé

dans son mouvement d'hyperflexion que lorsque le menton entre en contact avec le sternum.

Il est retrouvé dans 48 % des cas. Le rachis dorsal est protégé par la rigidité de la cage

thoracique et le rachis lombaire par la butée du thorax sur le bassin. Cependant la jonction

dorso-lombaire est souvent soumise à hyperflexion. Ces lésions osseuses à type

d'écrasement du corps vertébral, s'accompagnent d'une grande instabilité d'où le risque de

déplacement secondaire. Elles entraînent un étirement de la moelle et une compression

antérieure.

Les traumatismes en hyperextension du rachis cervical, par impact céphalique

frontal ou accélération brutale du corps, entraînent une compression de la moelle entre le

bord inférieur de la vertèbre sus-jacente et l'arc postérieur de vertèbre sous-jacente. Le

ligament commun vertébral antérieur est rompu, s'y associent des lésions du disque et

éventuellement d'un coin vertébral antérieur.

Les traumatismes axiaux ou en compression sont le plus souvent secondaires à

une chute verticale d'un lieu élevé. Ils intéressent le plus souvent le rachis dorso-lombaire : il

se produit alors des écrasements et/ou des tassements vertébraux. Les fractures sont

multiples, étagées avec parfois fractures du sacrum [5].

Les associations « hyperflexion/hyperextension ». Cette succession de deux

séquences traumatiques se retrouve dans les accidents de la voie publique (cou du lapin ou

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"wiplash injury") et donnent des lésions diverses (fracture, fracture-luxation, fracture-

séparation du massif articulaire).

Les associations « traumatisme axial et hyperflexion ». Ce mécanisme lésionnel

est typique des accidents de plongeon et s’accompagne d’un tassement vertébral. Les

charnières cervico-dorsales (C7-T1) et dorso-lombaires (T12-L1) sont les plus vulnérables

sur le plan biomécanique et donc fréquemment lésées.

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PHYSIOPATHOLOGIE DE LA LESION MEDULLAIRE

La lésion primaire

La lésion primaire est la conséquence directe de l'impact initial et des forces de

compression exercées sur la moelle épinière. Elle correspond à des déchirures neuronales

et vasculaires. On distingue :

1) La simple commotion médullaire qui récupère en quelques heures,

2) La compression médullaire avec ischémie de la moelle épinière,

3) La contusion médullaire qui associe destruction axonale et foyers hémorragiques,

4) La transection médullaire.

Les lésions secondaires

Les lésions secondaires sont liées à l'extension de l'ischémie et des zones

hémorragiques. Elles sont parfois associées à un certain degré de reperfusion de zones

ischémiques. Les lésions secondaires sont définies par une cascade d'évènements qui

touchent la moelle primitivement épargnée par l'impact, et réalisent une autodestruction

médullaire post-traumatique. Ces lésions concourent au dysfonctionnement, à la lyse, puis à

la mort cellulaire par :

- Altération du métabolisme énergétique,

- Altération du fonctionnement des pompes ioniques,

- Libération d'acides aminés excitateurs stimulant les médiateurs inter-neuronaux

dont le glutamate,

- Formation de radicaux libres en excès.

Ainsi en découle le concept de limitation de l'extension lésionnelle secondaire par

fixation de l'appareil ostéoarticulaire, l'objectif étant de permettre une récupération

neurologique sur un ou deux métamères [6].

La meilleure connaissance des mécanismes physiopathologiques à l’origine de

l’extension de la lésion primaire, explique les nombreuses études pharmacologiques de ces

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dernières années. Cependant, à ce jour, aucun agent pharmacologique n’a fait sa preuve

dans le contrôle de cette cascade d'évènements délétères.

LES CONSEQUENCES DE L'ATTEINTE MEDULLAIRE

Les lésions médullaires

Les conséquences de la lésion médullaire dépendent à la fois du niveau de l’atteinte

médullaire et du caractère complet ou incomplet de la lésion. Ce dernier facteur a un rôle

pronostic quant à la récupération neurologique.

Les lésions médullaires complètes

Le syndrome de section médullaire physiologique ou anatomique par transection de

la moelle immédiatement après le traumatisme, est caractérisé par la perte de toutes les

fonctions médullaires sous-jacentes. Le contrôle du lit veineux splanchnique pour les lésions

cervicales et thoraciques supérieures, et le tonus sympathique cardio-vasculaire pour les

lésions cervicales sont abolis. Trente pour cent des patients avec un "choc spinal"

nécessitent des vasopresseurs, l’hypotension observée étant trop importante. Cette

présentation est plus rare chez les patients avec un niveau lésionnel inférieur à T6 [7].

Ce choc peut durer plusieurs jours ou plusieurs semaines et sa résolution est mise en

évidence par le retour d'un réflexe bulbo-caverneux. Dans les tétraplégies consécutives à

l'atteinte complète de la moelle cervicale, le tableau initial est stéréotypé. On observe

classiquement :

- Une bradycardie

- Une hypotension artérielle

- Une abolition du tonus musculaire,

- Une gastroplégie

- Un iléus réflexe

- Une atonie du sphincter anal,

- Une abolition de tous les modes de sensibilité,

- Une abolition de tous les réflexes ostéotendineux,

- Une rétention urinaire,

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- L’existence d'un priapisme et l'abolition du réflexe bulbo-caverneux.

Si l'atteinte est supérieure à C4 ou de niveau C4, la paralysie diaphragmatique

entraîne une insuffisance respiratoire aiguë, parfois un arrêt respiratoire d’emblée, évoluant

en quelques minutes vers l’arrêt cardio-respiratoire sur les lieux même de l’accident. La

précocité de la réanimation cardio-pulmonaire de base par les premiers intervenants, permet

la prise en charge du patient par une équipe SMUR. En cas de lésions très hautes, situées

au-dessus de C2, le tableau clinique peut réaliser une pentaplégie avec association d'une

lésion médullaire complète et d'une atteinte des paires crâniennes IX, X et XI (il s'agit d'une

compression de ces nerfs à leur émergence au niveau du trou déchiré postérieur).

Dans les atteintes médullaires dorsales hautes, les répercussions sont équivalentes à

celle d'une tétraplégie, mais le niveau lésionnel est inférieur à C7. La sensibilité étant mal

systématisée entre C4 et D2, le niveau lésionnel D1-D2 sera difficile à préciser. De même, il

existe bien souvent confusion entre le niveau sensitif C5 et T4.

Les lésions médullaires incomplètes

Différents syndromes ont été décrits en fonction du siège anatomique de la lésion.

Le syndrome central de la moelle épinière

C'est le plus fréquent. Le tableau clinique est caractérisé par une dysfonction motrice

prédominant aux membres supérieurs. Un certain nombre de patients présentent toutefois

une rétention d'urine et différents degrés d'atteintes sensitives. Quand la récupération

motrice survient, les membres inférieurs recouvrent prioritairement la motricité, puis vient

ensuite la fonction vésicale, et finalement la force des membres supérieurs réapparaît. Ce

syndrome est causé par une hyperextension sévère au niveau du rachis cervical, ce dernier

présentant très souvent un canal cervical étroit ou des éléments d'ostéoporose. Il est

caractéristique des personnes âgées (rachis cervicarthrosique) [9].

Le syndrome de Brown-Sequard.

Il s'agit d'une hémi-section de moelle entraînant une paralysie motrice homolatérale

et une dysfonction de la colonne sensitive dorsale avec perte de la sensibilité thermo-

algésique controlatérale. Sa forme caractéristique est rare, il s'agit le plus souvent d'une

paraplégie asymétrique avec une hyperalgésie plus prononcée du côté mobile. Comme le

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précédent, son pronostic est plus favorable que les atteintes complètes, avec possibilité de

déambulation et contrôle du tube digestif et de la vessie.

Le syndrome antérieur de la moelle épinière

Il est peu fréquent et préserve la fonction dorsale de la moelle (proprioception,

vibration) avec une fonction motrice altérée ainsi que la perception thermo-algésique.

La cause peut être une compression de la moelle épinière antérieure par des fragments

osseux déplacés dans le canal rachidien, une hernie discale. Il peut s'agir d'une destruction

directe de la portion antérieure de la moelle par trombose de l'artère spinale antérieure [7, 8].

"Le Tear-Drop ou fracture en goutte de larme" est fréquemment associé à ce

syndrome. Les atteintes de l'aorte dans sa portion thoracique peuvent aussi entraîner un

syndrome antérieur de la moelle.

Le syndrome postérieur de la moelle épinière est une entité très rare, et ces lésions

produisent une atteinte de la proprioception, la marche devenant difficile à terme.

Le syndrome de la queue de cheval est lié le plus souvent à une atteinte des racines

nerveuses au-delà de l'extrémité de la moelle épinière, par atteinte lombo-sacrée. Dans les

cas les plus typiques, le patient présente une sciatalgie unilatérale ou bilatérale, une

incontinence anale et vésicale, une hyperesthésie ou une analgésie de distribution ,dans la

région ano-rectale en particulier. Le plus souvent il peut s'agir d'hyperesthésies isolées dans

le même territoire.

L'ensemble de ces lésions incomplètes représente une urgence chirurgicale. Les

patients qui bénéficient d'une décompression dans les premières vingt-quatre heures ont à

priori un meilleur pronostic que les patients bénéficiant d'une intervention retardée. Les

rétentions vésicales et les troubles digestifs consécutifs peuvent survenir lorsque le délai

chirurgical a été long.

Conséquences cardiovasculaires

Au-dessus de T6, la lésion médullaire est responsable de la disparition de l'activité

sympathique cardio-accélératrice et de la perte des réflexes d'adaptation dans les territoires

sous-lésionnels. L'absence de transmission vers les centres sympathiques cardiaques

étagés de T1 à T6, dans la colonne intermédiolatéralis de la moelle, est à l’origine de la

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bradycardie observée, par prédominance du parasympathique. L’atteinte du sympathique à

destinée vasculaire dans le territoire sous-lésionnel est responsable d’une vasoplégie par

baisse des résistances systémiques, d'où l’existence d’une hypovolémie relative. De plus, il

existe une diminution des possibilités d'adaptation aux variations volémiques, et une moindre

performance du ventricule gauche.

La bradycardie observée peut être extrême, et évoluer vers l'asystolie lors des

stimulations vagales (aspiration trachéale ou laryngoscopie). Elle fait souvent suite à un

épisode de tachycardie ou tachyarythmie extrêmement fugace survenant dans les suites

immédiates du traumatisme. La précocité de cet épisode explique pourquoi il est rarement

observé en pratique clinique. Il serait expliqué par une libération soudaine et massive de

catéchola lors du traumatisme.

Au total, l'hypovolémie et le passage en position assise sont mal tolérés : le risque de

collapsus est important en l'absence de tachycardie compensatrice. La probabilité d'arrêt

cardio-respiratoire est d'autant plus importante que le patient est hypoxique, hypovolémique,

et hypotherme. La prophylaxie ultérieure de ces accidents repose sur l'administration

d'atropine, la préoxygénation à FiO2 =1 avant toute broncho-aspiration. Le risque d'œdème

pulmonaire devient majeur en cas d'association à une contusion pulmonaire ou

myocardique.

Si la lésion médullaire est située au-dessous de T5, le sympathique supérieur est

respecté, la réponse cardiaque est normale ; les possibilités de compensation

hémodynamique et la tachycardie sont préservées. Le risque de collapsus est donc moindre,

cependant la vasodilatation existe dans les territoires inférieurs.

Conséquences ventilatoires

L'atteinte respiratoire est dépendante du niveau lésionnel. Les lésions au-dessus de

C4 concernent l'émergence des nerfs phréniques et entraînent une paralysie

diaphragmatique. La dépendance ventilatoire est complète, le fonctionnement du

diaphragme assurant à lui seul 50 % du volume courant, le reste étant assuré par les

muscles intercostaux externes, paralysés eux aussi par ce niveau lésionnel. Seule persiste

l'activité des muscles sterno-cléïdo-mastoïdiens, scalènes et trapèze, mais la contraction de

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ces muscles accessoires est insuffisante pour assurer une ventilation efficace.

L'hypoventilation alvéolaire est donc la règle pour les traumatismes du rachis cervical au-

dessus de C5.

Lors des atteintes médullaires du rachis cervical inférieur et du rachis dorsal haut, la

conservation de l'activité diaphragmatique permet une autonomie respiratoire suffisante.

Néanmoins, en raison de la paralysie de tout ou partie des muscles intercostaux externes et

internes et/ou des muscles abdominaux, cette autonomie est relative et précaire.

A cette insuffisance d'origine neurogène viennent s'ajouter un certain nombre de

facteurs aggravants : fatigue diaphragmatique, encombrement bronchique par abolition de la

toux, modification de la qualité du mucus bronchique, iléus paralytique et distension

gastrique. Certaines circonstances comme la noyade, ou l’existence d’un traumatisme

thoracique associé (contusions pulmonaires, fractures costales multiples…) favorisent

l'apparition d'une insuffisance respiratoire. De plus, les traumatismes du rachis dorsal se

compliquent fréquemment d‘hémothorax bilatéraux dans les 48 heures post-traumatiques

L'anesthésie générale, sa durée et celle de l'intervention chirurgicale, lorsque par

exemple deux niveaux rachidiens sont à opérer, représentent un risque d'altération important

de la fonction diaphragmatique. Elles contre-indiquent les interventions chirurgicales

immédiates lorsque le caractère complet a été affirmé.

Par contre, les problèmes ventilatoires sont mineurs dans les atteintes médullaires

dorsales basses et lombaires. Au-dessous de T12, la fonction des muscles abdominaux est

intacte, la toux est donc possible.

Les conséquences digestives

L'iléus paralytique et l'atonie gastrique qui accompagnent le choc spinal provoquent

une distension abdominale qui compromet une ventilation déjà précaire. Ils entraînent

également un risque de régurgitation ou d'inhalation. Chez les traumatisés du rachis

dorsolombaire, même en l'absence de lésions neurologiques, il est possible de retrouver cet

iléus paralytique qui peut durer entre trois et dix jours. Il est alors expliqué par l’existence

d’un hémo-rétropéritoine secondaire au saignement de la vertèbre fracturée.

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L’existence d’un iléus impose la mise en place d'une sonde gastrique notamment

pour prévenir une dilatation gastrique aiguë.

La perte du tonus musculaire de la sangle abdominale associée à une insensibilité,

rend difficile le diagnostic d'une atteinte abdominale traumatique associée, chez le patient

paraplégique ou tétraplégique. Dans le cas de lésions hémorragiques, la labilité tensionnelle

la déglobulisation inciteront le clinicien à faire réaliser une échographie qui confirmera

l’épanchement intra-péritonéal. Cependant, pour les ischémies digestives ou les ruptures

d'organes creux, plus fréquemment associées aux traumatismes dorso-lombaires et

lombaires, la réalisation d'un scanner abdominal est essentielle. Pour cela, il est nécessaire

d'élargir les indications de tomodensitométrie abdominale, en particulier chez le

polytraumatisé pour mettre en évidence un pneumopéritoine.

Les conséquences urinaires

L'absence d'autonomie vésicale entraîne une rétention aiguë d'urine, source

d'infection pour les jours et les semaines à venir, et nécessite un sondage urinaire en

système clos.

Les conséquences thermiques

Le dysfonctionnement de la thermorégulation va de pair avec celle du système

nerveux sympathique. La vasodilatation sous-lésionnelle, l'absence de frisson et de

contraction musculaire suppriment la majorité des compensations du refroidissement. Cette

hypothermie peut aggraver les conséquences cardiovasculaires de la lésion médullaire, et

son éventuelle survenue doit toujours être prise en compte au cours du conditionnement.

Ces patients sont considérés comme des poïkilothermes.

Les conséquence cutanées

Du fait de l'absence de vasomotricité, les escarres peuvent apparaître très

rapidement, parfois en moins de deux heures, par compression des différents points d'appui.

Cet état de fait doit être pris en compte lors du conditionnement par matelas à dépression et

lors de la prise en charge initiale au sein des services d'urgence, afin d’éviter l’immobilisation

du patient pendant de longues heures sur des brancards,

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PRISE EN CHARGE INITIALE Le pronostic vital et fonctionnel des traumatisés du rachis dépend des manipulations

lors des phases de relève, ramassage et immobilisation. 10 à 15 % des accidents

neurologiques surviennent lors du ramassage. Il est donc indispensable de respecter les

règles : immobilisation du rachis cervical, libération des voies aériennes, oxygénothérapie,

dégagement et immobilisation du rachis dans son entier en maintenant l'axe tête/cou/tronc

rigide.

Une médicalisation est souhaitable chaque fois qu'un traumatisme médullaire est

suspecté. Par ailleurs, tout patient dans un coma profond doit être considéré comme porteur

d'une lésion instable du rachis cervical et doit être pris en charge de la même façon qu'un

patient blessé vertébromédullaire. La contention doit persister jusqu'à l'élimination d'une

lésion rachidienne. Cette position neutre, sans flexion, extension ou rotation du cou ou du

tronc est conservée durant le transport vers l'hôpital. L'immobilisation se fait avec un collier

cervical semi-rigide avec appui mentonnier et sternal et une immobilisation du tronc et des

membres par un matelas coquille.

Le respect de l’axe tête-cou-tronc doit être observé à toutes les phases de la prise en

charge aux urgences, et tout particulièrement lors des transferts du patient. L’installation d’un

matelas rigide sur les brancard permet en partie d’éviter certaines erreurs de manipulation.

Ces précautions seront maintenues jusqu’à la réalisation des radiographies pour éliminer

une fracture vertébrale.

Le maintien de la pression de perfusion est essentiel à ce stade, il nécessite la

correction de toute hypovolémie et parfois l'utilisation précoce de vasoconstricteurs. Dans le

cadre d'un traumatisme vertébro-médullaire isolé, le patient présente une hypovolémie

relative (par vasoplégie) et le remplissage sera donc prudent : il n'excèdera pas

500 à 1 000 millilitres de sérum salé isotonique afin d'éviter toute surcharge liquidienne.

La bradycardie sera corrigée quand la fréquence cardiaque est inférieure à 55

battements par minute et lors d’une instabilité hémodynamique. L'atropine par bolus de

0,5 mg par voie intraveineuse directe (à répéter au besoin) est le traitement de choix.

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L'intubation trachéale peut aggraver les lésions du rachis, elle est cependant nécessaire

chez les patients polytraumatisés présentant un coma profond avec score de Glasgow

inférieur ou égal à 8 et pour toutes les indications de détresses respiratoires et circulatoires.

Elle nécessite une induction à séquence rapide après une préoxygénation et nécessite trois

intervenants pour le maintien de la tête, l'injection médicamenteuse et la séquence

d'intubation. Lorsque ces étapes se révèlent difficiles, les techniques utilisées en cas

d'intubation difficile peuvent être mises en œuvre [10].

Le bilan lésionnel pré-hospitalier nécessite un examen clinique simplifié qui permet

d'évaluer rapidement les niveaux lésionnels. Certaines circonstances sont très évocatrices,

comme le plongeon en eau peu profonde, dans les vagues ou "break shore", les accidents

de rugby. Dans le cadre des accidents de la voie publique ou des chutes d'un lieu élevé, la

lésion rachidienne peut être masquée par les lésions associées qui peuvent passer au

premier plan. Dans ces circonstances, les lésions rachidiennes sont parfois étagées avec

atteinte cervicale et dorsale.

L'évaluation d'un blessé débute en suivant des principes de base faisant la part des

différentes détresses et prenant en compte leur traitement.

L'examen d'un blessé vertébro-médullaire potentiel se fait en position neutre et sans

aucun mouvement du rachis.

Un blessé conscient avec des signes de paralysie est capable d'identifier le site de la

lésion en raison de la perte de la sensibilité située au-dessous. Cette perte de sensibilité

peut de ce fait masquer une lésion abdominale ou des membres inférieurs. Chez un blessé

inconscient, le risque d'être tétraplégique est de 5 à 10 %.

On estime le nombre de lésions vertébro-médullaires passées inaperçues à 33%. Le

retard et/ou l'erreur de diagnostic sont avant tout liés à une absence de suspicion, à des

radiographies inadéquates ou mal interprétées.

Les tableaux cliniques évocateurs d’un traumatisme du rachis cervical avec lésion

vertébro-médullaire incluent :

1. Une paralysie flasque, avec béance rectale et areflexie ostéotendineuse sous

lésionnelle ;

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2. Une respiration diaphragmatique (respiration paradoxale abdominale) ;

3. Une réponse motrice à la douleur, au-dessus mais pas au-dessous de la

clavicule ;

4. une hypotension artérielle avec bradycardie et vasodilatation périphérique ;

5. Un priapisme.

Le relevé de l'examen neurologique est systématique, dès le pré-hospitalier afin de

noter toute modification. Un quelconque mouvement ou une quelconque sensation au-

dessous du niveau lésionnel est important pour le pronostic.

Dès que le diagnostic de traumatisme vertébromédullaire est suspecté ou établi, le transfert

vers un centre de référence est organisé et le chirurgien spécialiste du rachis (orthopédiste

ou neurochirurgien) est averti [11].

A l'arrivée aux urgences, une fois l'urgence vitale éliminée, l'examen clinique détaillé

est effectué et réalisé sur un patient déshabillé, il doit être le plus complet possible.

L'inspection simple peut révéler une attitude vicieuse et une déformation du rachis, dont la

palpation recherchera une douleur exquise à la pression des épineuses. L'examen analyse

successivement la motricité volontaire, la sensibilité, la réflectivité et le cône terminal. Il est

consigné par écrit pour servir de base de référence évolutive.

La classification de l'American Spinal Injury Association (ASIA) (fig. 1) permet

l'évaluation du niveau neurologique et du caractère complet ou incomplet de la lésion.

L'étude de la motricité volontaire impose une étude de tous les groupes musculaires.

Ils sont testés par fonction, ceci permet de déterminer rapidement le niveau lésionnel. La

collaboration d'un neurologue spécialisé dans la prise en charge de ces patients est utile

pour ce bilan.

Ainsi la conservation du deltoïde signe l'intégrité de la racine C4, la flexion de l'avant

bras celle de C5, l'extension du poignet celle de C6, l'extension du coude celle de C7, la

flexion des doigts celle de C8, l'écartement des doigts celle de T1.

Les muscles et les groupes musculaires sont testés les uns après les autres en

suivant la cotation de 0 à 5, de l'absence de contraction musculaire volontaire à une

contraction normale.

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L'étude de la sensibilité est plus difficile. Elle comprend l'analyse de la sensibilité

superficielle, la sensibilité proprioceptive et la sensibilité thermoalgésique. La sensibilité

superficielle et douloureuse est testée au niveau de chacun des métamères, à droite te à

gauche (score sensitif ASIA). La sensibilité périnéale et la fonction sphinctérienne (tonicité,

contraction volontaire du sphincter anal, réflexe anal) lorsqu'elle sont conservées dans le

cadre d'une lésion médullaire, traduisent le caractère incomplet et à priori le meilleur

pronostic de la lésion.

LE BILAN LESIONNEL RADIOLOGIQUE La radiographie standard est souvent insuffisante pour permettre de poser

complètement les indications thérapeutiques (fig. 2, 3) [12]. Le polytraumatisé aura

systématiquement une exploration complète de l'ensemble de son rachis : radiographies

standards du rachis cervical, dorsal et lombaire. Bénéficiant en général d’un scanner

cérébral, des coupes centrées sur C1-C2 et sur la charnière C7- T1 seront réalisées,

conformément aux recommandations de bonne pratique clinique. En dehors de ce contexte,

le cliché cervical de profil ne permet pas toujours de visualiser correctement la charnière

cervico-dorsale , il est donc nécessaire lorsqu'il existe un doute, de réaliser aussi un examen

tomodensitométrique centré sur le rachis cervico-dorsal. La tomodensitométrie permet de

visualiser les fractures des corps vertébraux, le recul du mur vertébral postérieur, les

fragments intra-canalaires discaux et osseux (fig. 4). Elle peut être centrée à partir de

l'analyse des clichés simples [13, 14, 15].

L'imagerie par résonance magnétique (IRM) offre des coupes sagittales et donne

l'imagerie de la moelle épinière [16]. Elle est indiquée lorsqu'il existe une atteinte médullaire

sans lésion osseuse. On peut ainsi retrouver une cause supposée : une hernie discale

traumatique, un hématome péri-médullaire, une contusion médullaire (fig. 5). On visualise

par ailleurs les transections et les contusions hémorragiques, au pronostic sombre.

L'existence d'une IRM normale chez un patient présentant des troubles neurologiques

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permet d'espérer une récupération voisine de 100 %. Enfin, elle visualise les zones

d'ischémie par atteinte des artères vertébrales antérieures [17].

Cependant l'IRM reste très difficile à réaliser chez les patients polytraumatisés en état

hémodynamique instable, à cause des difficultés rencontrées pour maintenir les soins de

réanimation pendant la durée de l'examen.

Chez le patient polytraumatisé, il conviendra de toute façon, d’éliminer prioritairement

certaines lésions associées nécessitant une prise en charge thérapeutique immédiate :

hémo ou pneumothorax, épanchement intra-abdominal. Ainsi, radiographie pulmonaire et

échographie abdominale seront systématique chez les patients présentant une lésion

médullaire. UN doppler des vaisseaux du cou ou un angio-TDM cervical devrait de même

être systématiquement réalisé chez les patients présentant un traumatisme du rachis

cervical afin d’éliminer une dissection des artères vertébrales.

LE TRAITEMENT CHIRURGICAL Le traitement chirurgical cherche à réduire la déformation et à redonner une stabilité

au rachis, recalibrer le canal rachidien afin de décomprimer la moelle, lever une compression

directe médullaire ou radiculaire. La réduction peut être réalisée en pré-opératoire, par la

mise en place d'un étrier de Gardner. Lorsque celle-ci n'est pas réalisée en pré-opératoire

par les manipulations directes, elle se fera après abord chirurgical.

Au niveau du rachis cervical, l'abord antérieur est préféré. La corporectomie est

systémiquement suivie d'une reconstruction par greffe et d’une fixation par plaque vissée.

Par contre au niveau du rachis dorsal et lombaire, c'est l'abord postérieur qui est

utilisé, la laminectomie facilite l'abord. La fixation est alors réalisée par une ostéosynthèse

utilisant des tiges vissées ou accrochées au niveau des pédicules vertébraux [19]. En

général, une greffe osseuse est rajoutée en lieu et place des corps vertébraux détruits ou

des lésions disco-ligamentaires.

L'HEURE DE LA CHIRURGIE

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Lorsque la lésion médullaire est incomplète ou qu'une aggravation progressive existe

dans les premières heures, la plupart des équipes réalisent une intervention chirurgicale en

urgence [20].

Pour les lésions médullaires complètes d'emblée, l'attitude chirurgicale sera discutée

en fonction du niveau lésionnel et des lésions associées. L'existence d'un polytraumatisme,

de lésions thoraciques hypoxémiantes, d'un traumatisme crânien avec des lésions

céphaliques contre-indique l'intervention en urgence.

Par contre, lors d’un traumatisme vertébro-médullaire intéressant le rachis cervical, la

charnière dorso-lombaire ou le rachis lombaire sans lésions associées, l'indication

chirurgicale dans les premières vingt-quatre heures reste indiquée pour les rares cas de

récupération recensés et pour le bénéfice éventuel de la récupération d'un ou deux

métamères. La lésion médullaire dorsale complète fait exception à cette règlr.

L'intérêt de la chirurgie précoce est un sujet toujours d'actualité. Expérimentalement, il a été

démontré que la persistance d'une compression médullaire était un facteur d'aggravation

neurologique [29, 30]. Par ailleurs, une lésion vertébrale instable est toujours à même de se

déplacer. Si l'accord est relativement unanime pour opérer les patients ayant une lésion

vertébromédullaire avec déficit neurologique incomplet, l'attitude et le moment de

l'intervention restent toujours discutés dans les lésions complètes [31, 32].

L'ANESTHESIE Au bloc opératoire, l'accueil en salle d'opération est fait par un personnel entraîné et

suffisamment nombreux pour respecter l'axe tête-cou-tronc tout au long des manipulations.

Pour l'abord antérieur du rachis cervical, le patient est installé en décubitus dorsal : la

surveillance anesthésique s'exercera aux pieds du patient, le rachis cervical et la tête étant

inabordables pour l'anesthésiste.

Pour le rachis dorsal ou lombaire, le patient sera mis en décubitus ventral : il faut

prévoir l'ensemble des points d’appui et tenir compte lors de la phase de retournement, du

risque liée à l'hypovolémie, et des problèmes d'adaptation cardiaque.

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Le monitorage est celui d'un patient polytraumatisé comprenant en outre un

monitorage de la pression artérielle et de la température centrale. L'ensemble du monitorage

vise :

- à assurer la surveillance de l'anesthésie,

- à prévenir toutes modifications qui pourraient être liées à la distance des voies

aériennes supérieures pour les abords antérieurs du rachis cervical,

- à l'apparition d'une embolie gazeuse chez un patient hypovolémique et en

décubitus ventral pour une intervention chirurgicale par voie postérieure sur le

rachis dorsal ou lombaire.

L'intubation trachéale pose les mêmes problèmes qu'en pré-hospitalier, cependant

l'utilisation d'un fibroscope bronchique permet de réaliser une intubation sans mobiliser le

rachis cervical, la voie nasale sera préférée dans ce cas. Le maintien du rachis pendant

l'intubation et surtout pendant le retournement doit être assuré.

Une induction à séquence rapide est recommandée pour un estomac plein,

cependant la manœuvre de Sellick n'est pas indiquée en particulier pour les traumatismes du

rachis cervical car elle risque d'entraîner des déplacements vertébraux.

Le retournement en fin d'intervention est également périlleux, l'anesthésiste doit

s'assurer de la stabilité hémodynamique avant ce retournement.

L'hypothermie est prévenue par l'utilisation d'un réchauffement externe par air chaud

pulsé. S'il n'y a pas de contre-indication majeure à l'utilisation des produits de l'anesthésie,

deux points sont à relever : la succinycoline à priori ne peut être utilisée quarante-huit heures

après une lésion médullaire et ce pour une période d'au moins un an en raison des risques

majeurs d'hyperkaliémie liés à une hypersensibilité d'énervation des cellules musculaires.

Le deuxième point concerne l'hypotension artérielle, toute hypotension artérielle

représente un risque d'aggravation neurologique [18]. L'induction sera donc réalisée avec

des narcotiques permettant une stabilité hémodynamique. L'étomidate est donc un produit

de choix et l'entretien peut être assuré par un anesthésique intraveineux à débit continu

surtout si le traumatisme rachidien est associé à un traumatisme crânien même mineur et

que le scanner a révélé des lésions intracrâniennes même discrètes.

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Un halogéné peut être utilisé dans les autres cas à la condition de ne pas interférer

avec la pression artérielle moyenne.

Le saignement peut être important, à la phase d'urgence, dans les abords du rachis

dorsal et lombaire. L'hypovolémie relative peut être aggravée par une hypovolémie vraie. Il

est donc indispensable de prévoir une autotransfusion peropératoire avec lavage. En post-

opératoire, le recueil du sang épanché au niveau du foyer chirurgical peut l'être par un

dispositif d'autotransfusion post opératoire. Les interventions sur le rachis cervical a priori ont

un saignement plus faible.

En post-opératoire, pour les patients présentant une capacité vitale limitée par la

paralysie des muscles abdominaux et intercostaux, une ventilation post-opératoire est à

prévoir. Le sevrage se fait avec une kinésithérapie visant à éviter l'apparition d'une

atélectasie.

L'APPROCHE PHARMACOLOGIQUE

La complexité des mécanismes physiopathologiques, observés dans les

suites immédiates d'une lésion médullaire traumatique, rend compte de la diversité de

l'approche pharmacologique expérimentale et offre l'opportunité de considérer le bénéfice

d'une approche plurimédicamenteuse [21, 22]. Les premiers résultats concernant

l'amélioration neurologique, après administration précoce de fortes doses de

méthylprednisolone aux blessés médullaires complets et incomplets, ont suscité de

nombreux espoirs [23, 24]. Mais certains travaux cliniques récents semblent tempérer cet

enthousiasme initial, et il n'y a actuellement en France, aucun traitement médical

recommandé [25, 26].

Toutefois, trois axes de recherche sont actuellement privilégiés : les

inhibiteurs de la péroxydation lipidique, les inhibiteurs calciques, et plus récemment, les

inhibiteurs des récepteurs au N-méthyl-D-aspartate par l'intermédiaire desquels s'exercent

les effets neurotoxiques du glutamate. Contrairement aux études expérimentales, les études

cliniques pharmacologiques sont peu nombreuses. La seule à ce jour ayant eu un

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retentissement sur la prise en charge des patients traumatisés vertébromédullaires est

l'étude NASCIS Il [23, 24, 25, 26, 27, 28].

Toutefois, la comparaison doit être prudente, essentiellement pour deux

raisons. Aux États-Unis, depuis 1991, l'administration de méthylprednisolone est devenue un

standard dans la procédure de prise en charge de cette pathologie, même si la Food and

Drug Administration n'a pas encore donné son autorisation dans cette indication, tout comme

en France, où ce produit n'a pas l'AMM pour les traumatismes vertébromédullaires [22]. De

ce fait, les études les plus récentes sont des études rétrospectives. Par ailleurs, l'absence de

langage commun concernant l'évaluation neurologique initiale est un obstacle

supplémentaire. Le score proposé par l'ASIA, actuellement recommandés, permettent une

étude très fine de l'atteinte neurologique médullaire. Mais l'utilisation de ces scores n'est pas

encore généralisée. De plus, leur réalisation nécessite une bonne coopération du patient.

Toutefois, quelles que soient les échelles ou classifications utilisées, la récupération

fonctionnelle était similaire chez les patients traités ou non par corticoïdes.

CONCLUSION

Compte tenu de l'importance de l'ostéosynthèse dans la réduction des risques de

microtraumatismes sur le tissu nerveux et de son bénéfice dans la facilitation des soins, la

prévention des complications de décubitus et des déformations rachidiennes secondaires

susceptibles de compromettre la rééducation du patient, sa place reste toujours privilégiée.

Ni l'approche pharmacologique, ni la chirurgie précoce n'ont pu faire la preuve de leur intérêt

en termes de récupération fonctionnelle ; seul le caractère complet ou incomplet de la lésion

médullaire primaire apparaît comme le facteur pronostique le plus important en terme de

récupération fonctionnelle [33].

Références :

21

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LEGENDES DES FIGURES

Fig. 1 – Score ASIA

Fig. 2 – Fracture des lames de C2

Fig. 3 – Fracture distraction C3-C4

Fig. 4 – Fracture luxation T4-T5

Fig. 5 – Hernie discale C5-C6 vue en IRM

24