Les textes

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PAROLES D'OUVRIERS Nous vous avons préparé des témoignages d'ouvriers. Tous les personnages qui vont prendre la parole sont fictifs mais ce qu'ils vont vous raconter est basé sur des faits réels.

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PAROLES D'OUVRIERS

Nous vous avons préparé des témoignages d'ouvriers. Tous les personnages qui vont prendre la parole sont fictifs mais ce qu'ils vont vous raconter est basé sur des faits réels.

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Je m'appelle Madeleine Petit. Je travaille et j'habite à Paris. Je travaille dans une usine de chapeau depuis 1845, j'avais 12 ans alors quand j'ai commencé. Quand j'étais petite, j'ai été un tout petit peu à l'école, mais je n'ai pas appris à écrire. Je sais juste un peu lire.

Je fais ce travail car ma mère le faisait elle aussi. En fait, ce n'était pas exactement la même chose. Quand elle a commencé, elle travaillait à la maison, apportant régulièrement son travail à son patron. Moi, je travaille dans une usine où nous sommes plus de 80 ouvrières. On coud avec des machines mécaniques alors que j'ai toujours vu ma mère se piquer les doigts en cousant avec des aiguilles à la main.

Certains travaillent à donner la forme au chapeau en utilisant des machines qui chauffent le tissu de feutre. Moi, je couds sur les chapeaux les rubans. Ce qui est fatigant dans ce travail est qu'il faut être penché sur la machine pour être précis. J'ai toujours très mal au dos après avoir fini la journée, car je travaille plus de douze heures chaque jour, même le dimanche. Je commence à 7 heures le matin et je finis à 7 heures le soir, enfin si le patron nous laisse partir. On a le droit à une petite pause le midi d'une demi-heure. Si on veut aller aux toilettes, il faut demander l'autorisation. Si on arrive en retard, on doit payer des amendes et on peut même se faire renvoyer. Je ne gagne pas grand chose, donc je n'ai pas de quoi arriver en retard.

La vie est assez difficile. Je vis encore avec mes parents et ma s ur. Je gagne 1œ franc cinquante par jour et je donne presque tout à ma mère, ce qui nous permet de manger tous les jours : du pain surtout, des ufs et un peu de fromage. De temps enœ temps, Maman fait un ragout, mais on ne mange pas de la viande tous les jours.

Même si c'est dure, j'ai bon espoir d'avoir une vie meilleure. Déjà, mon travail n'est pas si pénible que ça. Je crois que j'aime bien retrouver les autres ouvrières à l'usine pour bavarder. Et, puis, il y a Charles...C'est un des contremaitres. L'autre jour, il m'a offert un bouquet de jonquille. Je crois qu'il m'aime bien. Peut-être qu'il va me demander en mariage...

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II

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Je suis Jacques Flamant, j'ai 22 ans. Je travaille dans une usine de métallurgie à Creil, o je vis d'ailleurs. Je suis fondeur. Mon travail est de faireù fondre le métal en le chauffant dans des forges pour, ensuite, le faire couler dans un moule. Nous faisons des pièces de mécanique pour des machines qui servent dans les usines ou pour les locomotives. Parfois, nous réalisons de plus grandes pièces comme des morceaux de ponts.

Quand j'ai commencé, j'accompagnais mon père. Lui, à l'origine, il travaillait comme Maréchal-Ferrant à la campagne. Il en savait un peu sur le métal. Il est venu s'installer en ville pour avoir un travail plus régulier et parce que ça embauchait à Creil. J'ai appris le métier en apprenant avec lui, en allant l'aider quand j'avais 10 ans en 1860. A l’époque, j'étais un peu jeune pour travailler mais le patron a fermé les yeux et m'a laissé venir.

Vous vous doutez bien que je ne sais pas faire autre chose et il faut bien vivre. Depuis peu, je travaille à la fonderie Durand, rue des usines à Creil. C'est un travail dangereux car on est toujours à proximité du métal en fusion. Nous n'avons aucune protection. Nous travaillons souvent torse nu car la chaleur près des fours est étouffante. Si une éclaboussure vous atteint ou si un récipient se renverse par accident, il ne vaut mieux pas se trouver là. Les accidents sont fréquents, il y en a eu trois le mois dernier. D'ailleurs, mon père ne travaille plus depuis qu'il a reçu accidentellement du métal fondu sur le bras. Il a fallu le lui couper.

Les temps sont difficiles car je gagne à peine 4 francs par jour, même si je travaille plus de douze heures dans la journée. Il faut que je nourrisse mon vieux père. J'aimerais bien me trouver une femme et avoir des enfants, mais il faudra qu'elle accepte de s'occuper de lui.

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III

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Bonjour, Je m'appelle André Drumont. J'ai 23ans. Je travaille à la mine depuis 1872, j'avais 12ans quand j'ai commencé. Je travaille et j'habite à Méricourt.

J'ai appris mon métier très jeune, en suivant les adultes. Je n'ai pas eu le choix. Dès que j'ai eu l'âge, mes parents m'ont retiré de l'école pour que je travaille comme eux à la mine. Ils avaient besoin de mon salaire pour nourrir mes huit frères et sœurs. Je suis l'aîné et je sais que mes frères et soeurs vont me rejoindre eux aussi.

Depuis peu, je suis à la taille. Je dois attaquer la veine de

charbon à coup de pioche pour en détacher des morceaux. C'est un travail très physique et épuisant, mais c'est le poste qui rapporte le plus.

Les journées sont longues. Je me lève vers 4 heures pour

être à la mine à 5 heures. Nous vivons juste à côté donc il n'y a pas beaucoup de marche pour s'y rendre. Avant de descendre, je m'arrête à l'estaminet où je bois une bistouille. C'est un café sucré avec un peu d'alcool.

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Une fois à la mine, on se change. On met nos habits de

mineurs en tissu blanc parce que c'est ce qui coûte le moins cher. Les vêtements propres sont pendus en l'air à l'aide de crochet dans la salle des pendus. Il ne faut pas oublier de mettre la barrette, c'est un casque en cuir bouilli qui nous protège un peu la tête.

Ensuite, on se dirige vers les ascenseurs. En quelques

minutes, nous descendons à 300 mètres de fond. En bas, il fait très chaud, entre 30 et 35 . Plus on s'éloigne du puits° d'aération, plus l'air est étouffant, plus il est difficile de respirer. Il faut parfois marcher plusieurs kilomètres avant d'arriver au lieu de taille.

Quand l'équipe est au travail, on a pas le temps de

bavarder. Il faut remplir les berlines et surveiller la solidité de

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l'étayage de la mine, sinon le porion s'en mêle et nous met des amendes.

Le seul temps de pause est le midi. On mange notre

briquet : deux tranches de pain avec du fromage et du café tiède. Au fond, de toute façon, il fait trop chaud pour boire de l'eau fraiche.

On remonte en milieu d'après-midi. La lumière du soleil

nous brule les yeux et la fatigue tombe d'un coup. Il faut aller rendre la lampe pour qu'elle soit nettoyé. Moi, je la confie à Jeanne : elle me la rend impeccable à chaque fois. Vu comme elle me regarde, elle doit avoir le béguin pour moi.

Enfin, je rejoins la salle des pendus où j'avais accrocher

mes vêtements le matin. Avant des les descendre, tous les mineurs prennent une douche sinon on les salirait.

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En général, ce que je préfère après le travail, c'est aller

discuter avec les copains à l'estaminet. On boit un chasse-poussière, de la bière quoi ! Qui nettoie la gorge des poussières de la journée. Parfois, on jour aux fléchettes. Au moins là, on peut râler sur les porions et les patrons, ils ne viennent pas nous espionner.

Je rentre ensuite chez mes parents dans le coron et j'aide

mon père à faire le potager. C'est vite l'heure d'aller se coucher pour recommencer à travailler le lendemain.

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IV

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Je m'appelle Jean Honinck. J'ai 35 ans. Je travaille et j'habite à Lewarde .Quand j'ai eu 12 ans, en 1880, j'ai commencé à la mine comme galibot. J'ai été un peu à l'école, mais il a fallu que je travaille pour participer aux dépenses de ma famille.

Mon travail consistait alors à pousser des berlines, des sortes de petits wagons, que l'abatteur remplit de charbon. C'est très difficile pour un enfant car c'est très lourd. Le plus difficile c'est quand elle déraille, il faut les porter pour les remettre sur les rails. Souvent, on est deux pour pousser, seul ce serait impossible. Dans les boyaux un peu plus grands, c'est des chevaux qui tirent les berlines. Certains ne sont pas remontés à la surface depuis 10 ans. Comment font-ils pour ne pas devenir fou ?

Avant de rouler les berlines, j'ai aussi travaillé au jour : je devais trier les morceaux de charbons et enlever la roche.

A 18 ans, je suis devenu abatteur. C'est très différent du rôle de galibot, mais tout aussi fatiguant. Je me suis marié cette année-là également.

Je pensais qu'avec mes 5 francs par jour, ce qui fait au mieux 75 francs pour chaque quinzaine, on s'en sortirait facilement. On a obtenu un logement dans le coron. Il est moins cher qu'ailleurs, mais l'argent va directement à la Compagnie. C'est pas très grand, mais on a un jardin où je cultive des légumes. La Compagnie nous fournit également le charbon pour nous chauffer.

Avec tout ça, on pourrait croire qu'on a pas à se plaindre. En fait, la Compagnie en profite pour faire varier les prix des salaires en fonction des cours du charbon. En plus, comme on est payé à la tâche, si on produit moins, on gagne moins. Si on a le malheur de dire trop fort que ça nous plait pas, la Compagnie peut nous virer du jour au lendemain...donc plus de travail, plus de logement.

J'espère que mes trois enfants ne descendront pas au fond. Ils doivent aller à l'école jusqu'à 14 ans et ne peuvent plus travailler aussi tôt que moi.

Je ne veux pas qu'ils deviennent des « gueules noires »...Oui, c'est comme ça qu'on nous appelle, parce que quand on remonte du fond, on est barbouillé de charbon.

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V

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Mon nom est Hervé Drumont. J'ai 43 ans. Je suis mineur à Méricourt. Un terrible drame a eu lieu cette semaine. Mon frère André est mort comme de nombreux de ces camarades. Ce samedi 10 mars 1906, je ne suis pas près de l'oublier. Une énorme explosion a secoué et détruit les mines de la Compagnie de Courrières. A pparemment, ce serait un coup de grisou, suivi d'un coup de poussière. Le grisou c'est un gaz inflammable qu'on trouve parfois dans les mines. Il n'a aucune odeur mais provoque des explosions à la moindre étincelle. L'explosion a soulevé la poussière de charbon qui s'est enflammée instantanément. Vu les mines touchées, Acheville, Achicourt, Méricourt, Noyelles-sous-lens, je dirais que l'explosion a touché plus de 100 km de mines. C'est horrible. On parle déjà de plus de 500 morts.

Je sais bien que ce sont les dangers de la mine, mais la Compagnie a fait un sale coup. Elle a arrêté les recherches au bout de trois jours. Pourtant, tous les mineurs ne sont pas morts. Certains sont coincés au fond car des boyaux se sont effondrés. Ils peuvent tenir plusieurs jours. Encore faudrait-il les chercher !

Pour mon frère, je n'ai plus d'espoir. Il était en train descendre quand l'explosion a eu lieu. Les cages ont été propulsé dix mètres au dessus du sol. Il n'y a aucune chance qu'il soit en vie.

1099 mineurs meurent dans la catastrophe de Courrières. Suite à la catastrophe, comme la Compagnie de Courrières arrête les recherches, les mineurs en colère se mettent en grève. Georges Clémenceau, le ministre de l'intérieur, envoie l'armée pour rétablir l'ordre. La grève prend fin au début du mois de mai. Cette catastrophe a ému la France et l'Europe : des dons sont adressés aux mineurs. La sécurité dans les mines est renforcée : les flammes des lampes sont protégées, les mines sont mieux aérées et des équipes de sauveteurs sont formés.

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Je m'appelle Mario Paolini. J'ai 32 ans. Je travaille et je vis à Saint-Maximin. Je suis carrier, depuis que j'ai 14 ans. Je viens d'Italie où je suis né et j'ai grandi. Mais la vie là-bas était misérable: Il n'y avait pas de travail dans la ferme de mes parents. Ce que nous gagnions suffisait à peine à nourrir ma famille. J'ai décidé de tenter ma chance ailleurs.

Mes camarades et moi travaillons dur sans interruption dans la semaine. Nous extrayons la pierre avec des outils simples : une masse, un marteau, des coins, et un pied-de-biche. Pour extraire les blocs, il faut les détacher. Nous enfonçons des coins avec une masse dans les veines qui séparent deux blocs de pierre. Nous enfonçons les coins jusqu'à ce que le bloc de pierre se détache de lui-même. C'est la partie la plus délicate car si le bloc tombe mal, il peut se fendre et la pierre n'est plus utilisable. Comme nous sommes payés à la tâche, ça veut dire que nous aurions travaillé pour rien.

La pierre que nous extrayons est utilisé à Paris et dans notre région. On charge les blocs sur des charrettes tirées par des chevaux qui les conduisent vers la gare où ils sont chargé sur des trains. Parfois, il faut les emmener jusqu'à l'Oise où ils sont transportés en péniches.

Notre emploi n'est qu'un moyen de vivre. Nous descendons dans les carrières où l'air est froid et humide et où les risques d'éboulements sont très élevés. Il y a quelques jours un des mes collègues est mort écrasé par un bloc qui est mal tombé. Pas étonnant que notre espérance de vie ne soit que de quarante ans.

A Méry-sur-Oise, nos camarades carriers sont en grève depuis le mois de mai de cette année 1910. Ils réclament des augmentations de salaire. D’après ce qu'on peut entendre au café, ça ne se passe pas très bien. Cette grève a l'air violente. L’Etat a envoyé l'armée pour que certains puissent reprendre le travail. Les carriers qui acceptent ça sont des traitres, des jaunes.

Je ne comprends pas pourquoi l'armée est là et pourquoi des camarades sont arrêtés. Depuis 1884, nous ne sommes plus "hors la loi", nous, syndicalistes. Depuis 1864, nous avons le droit de grève. Heureusement qu'ils ont le soutient de notre syndicat, la CGT.

Tout ce que j'espère c'est que mes enfants ne fassent pas le même métier que moi. S'ils pouvaient travailler dans une usine, ce serait beaucoup mieux pour eux.

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Je suis Louis Marise. J'ai 40 ans. Je travaille pour la cristallerie d'Arc et j'habite à Arques. Je travaille depuis 1941, j'ai commencé pendant la guerre.

J'ai arrêté l'école à 14 ans et je suis devenu opérateur sur une machine qui fabrique du verre automatiquement. En fait, je surveille une machine qui forme les verres à partir d'une goutte de patte de verre en fusion. Cette patte de verre est formée de sable et d'autres composants qui permettent de la faire brûler plus facilement.

En 1968, je suis passé sur une machine qui fabrique du Cristal, une variété de verre dans lesquels il y a du plomb. C'était la première qu'on réussissait à automatiser cette production. ON a évidemment augmenté très fortement la production. Ces verres qui étaient moins chers que ceux faits à la main, ce sont vendus partout dans le monde.

Je n'ai pas connu les souffleurs de verre. Mais leur travail me paraît fascinant. Ils travaillaient le verre avec une grande habilité. Ils soufflent à travers la canne dans la boule de verre et la font gonfler jusqu'à obtenir la taille et la forme souhaitées. Aujourd’hui, ceux qui font se métier font de véritables œuvres d'art.

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Je suis Franck Langeais, j'ai 50 ans. Je suis né en 1961 à Creil et j'habite à Clairoix.

J'ai commencé à travailler à 16 ans après avoir fait un CAP de mécanique. A cette époque, on trouvait encore facilement du travail.

J'ai trouvé du travail à Clairoix en 1966 à l’usine Uniroyal - Englebert France . L'usine est rachetée en 1979 par le groupe allemand Continental. aÇ n'a pas changé grand chose : il y avait toujours du travail pour moi. Même si on était de moins en moins nombreux : 1800 salariés en 78 et 1200 en 2000. Je ne m'en faisait pas.

En 2007, Continental a voulu délocaliser l'usine et en ouvrir une autre à l'étranger. Pour sauver l'entreprise et lui permettre de rester plus longtemps ouverte, nous avons accepté un accord qui dit que nous travaillerons quarante heures, tout en étant payé 35 heures. C'est un sacrifice important, mais, en échange, Continental avait promis de garder l'usine ouverte au moins jusqu'en 2012.

a nous a tous surpris quand on nous a annoncé la fermeture de l'usine enÇ 2010. Le groupe Continental faisait des bénéfices à cette époques. Tout le monde trouvait que nous faisions du bon travail, surtout que nous avions de nouvelles machines. Après la surprise, ça nous a mis en colère. Nous nous sommes mis en grève dès qu'on a su, sans résultat bien sûr. Certains d'entre nous très en colère ont dévasté la sous-préfecture de Compiègne. Ils ont été condamné par la justice.

Il y a un an Continental nous a proposé de continuer à travailler pour l'entreprise, mais en Turquie pour 137 euros brut par mois...On aurait pu en rigoler, mais c'est juste ridicule et lamentable.

En ce qui me concerne, je ne sais pas ce que je vais devenir. Les usines de la région ferment toutes les unes après les autres. A 50 ans, recommencer de zéro pour trouver un nouveau travail c'est difficile. J'ai un emprunt à rembourser pour la maison. Je ne sais vraiment pas comment je vais faire...