Les tendinopathies achilléennes · Les tendinopathies achilléennes MISE AU POINT Figure 3....

7
MISE AU POINT 12 | La Lettre du Rhumatologue • N o 391 - avril 2013 Les tendinopathies achilléennes Achilles’ tendinopathies V. Vesperini*, P. Borderie* * Département de rhumatologie, CHU de Montpellier. E n précisant le bilan lésionnel anatomique, les progrès de l’imagerie ont permis un recense- ment des tendinopathies achilléennes méca- niques ou dégénératives, impliquant des orientations thérapeutiques différentes. Le diagnostic de ten- dinopathie achilléenne demeure clinique, mais les investigations échographiques et IRM permettent de distinguer : les tendinopathies corporéales nodu- laires, fusiformes et fissuraires ; les tendinopathies calcifiantes, les péritendinopathies et les burso- pathies, les enthésopathies. De plus, le doppler puissance permet un suivi des différentes étapes chronologiques : une phase initiale inflammatoire souvent brève avec hypervascularisation au sein du foyer lésionnel ; une phase de réparation active avec prolifération fibroblastique et néovascularisation sur laquelle les traitements locaux sont susceptibles d’agir ; enfin, une phase de guérison ou de cicatrisation séquellaire, la vascularisation locale étant réduite ou absente. Les tendinopathies achilléennes mécaniques, liées à une pratique sportive ou à un surmenage et au viellissement tissulaire, sont parfois associées à un chaussage inadapté ou à un défaut statique. Si les tendinopathies mécaniques sont les plus fré- quentes, il ne faut pas négliger les autres causes, en particulier rhumatismales inflammatoires (spondyloarthrites et, plus rarement, polyarthrite rhumatoïde), causes microcristallines, métaboliques et iatrogènes. Au cours d’une symptomatologie douloureuse rétro- calcanéenne, les tendinopathies achilléennes sont à différencier des affections de voisinage : syndrome du carrefour postérieur ; lésion du tendon du muscle plantaire grêle ; fissure de contrainte ou de fatigue du calcanéum ; tumeurs osseuses ; maladie de Sever chez l’enfant. Éléments anatomiques Terminaison du triceps et des muscles gastro- cnémiens médial et latéral, le tendon achilléen est le plus volumineux des tendons de l’organisme. Il ne possède pas de gaine synoviale mais une gaine apo- névrotique, liée au dédoublement de l’aponévrose des muscles superficiels de la loge postérieure. Entre cette gaine aponévrotique et le péritendon se trouve le paratendon constitué par 2 feuillets : un feuillet intérieur ou viscéral adhérant au tendon ; un feuillet extérieur ou pariétal tapissant la paroi fibreuse de la gaine aponévrotique. Entre ces 2 feuillets existe un espace virtuel dans lequel se trouve une faible quantité de liquide. Des bourses séreuses sont pré- sentes en situation préachilléenne et, en arrière, entre l’aponévrose superficielle et la peau (bourses de Bovis). La portion tendineuse située 3 à 5 centi- mètres au-dessus du bord postérieur du calcanéum est une zone moins bien vascularisée et plus étroite ; elle constitue le siège électif des tendinopathies et des ruptures tendineuses. Dans ce tendon vertical, les fibres ne sont pas rec- tilignes mais enroulées en spirale ; les fibres les plus distales se prolongent avec celles de l’aponévrose plantaire, constituant le système de propulsion suro- achilléo-calcanéoplantaire. Tableau clinique L’interrogatoire et l’examen clinique devront préciser le mode de survenue et la localisation de la douleur, les irradiations, l’horaire et le rythme de la douleur, le retentissement sur les activités physiques et quo- tidiennes, l’évolution de la symptomatologie et les effets des traitements antérieurs, les antécédents (spondyloarthrite personnelle ou familiale, traite-

Transcript of Les tendinopathies achilléennes · Les tendinopathies achilléennes MISE AU POINT Figure 3....

Page 1: Les tendinopathies achilléennes · Les tendinopathies achilléennes MISE AU POINT Figure 3. Échographie doppler du tendon achilléen. Coupe d’une tendino pathie d’Achille fusiforme

MISE AU POINT

12 | La Lettre du Rhumatologue • No 391 - avril 2013

Les tendinopathies achilléennesAchilles’ tendinopathies

V. Vesperini*, P. Borderie*

* Département de rhumatologie, CHU de Montpellier.

En précisant le bilan lésionnel anatomique, les progrès de l’imagerie ont permis un recense-ment des tendinopathies achilléennes méca-

niques ou dégénératives, impliquant des orientations thérapeutiques différentes. Le diagnostic de ten-dinopathie achilléenne demeure clinique, mais les investigations échographiques et IRM permettent de distinguer : les tendinopathies corporéales nodu-laires, fusiformes et fi ssuraires ; les tendinopathies calcifi antes, les péritendinopathies et les burso-pathies, les enthésopathies. De plus, le doppler puissance permet un suivi des différentes étapes chronologiques :

➤ une phase initiale infl ammatoire souvent brève avec hypervascularisation au sein du foyer lésionnel ;

➤ une phase de réparation active avec prolifération fi broblastique et néovascularisation sur laquelle les traitements locaux sont susceptibles d’agir ;

➤ enfi n, une phase de guérison ou de cicatrisation séquellaire, la vascularisation locale étant réduite ou absente.Les tendinopathies achilléennes mécaniques, liées à une pratique sportive ou à un surmenage et au viellissement tissulaire, sont parfois associées à un chaussage inadapté ou à un défaut statique. Si les tendinopathies mécaniques sont les plus fré-quentes, il ne faut pas négliger les autres causes, en particulier rhumatismales inflammatoires (spondylo arthrites et, plus rarement, polyarthrite rhumatoïde), causes microcristallines, métaboliques et iatrogènes.Au cours d’une symptomatologie douloureuse rétro-calcanéenne, les tendinopathies achilléennes sont à différencier des affections de voisinage : syndrome du carrefour postérieur ; lésion du tendon du muscle plantaire grêle ; fi ssure de contrainte ou de fatigue du calcanéum ; tumeurs osseuses ; maladie de Sever chez l’enfant.

Éléments anatomiques

Terminaison du triceps et des muscles gastro-cnémiens médial et latéral, le tendon achilléen est le plus volumineux des tendons de l’organisme. Il ne possède pas de gaine synoviale mais une gaine apo-névrotique, liée au dédoublement de l’apo névrose des muscles superfi ciels de la loge postérieure. Entre cette gaine aponévrotique et le péritendon se trouve le paratendon constitué par 2 feuillets : un feuillet intérieur ou viscéral adhérant au tendon ; un feuillet extérieur ou pariétal tapissant la paroi fi breuse de la gaine aponévrotique. Entre ces 2 feuillets existe un espace virtuel dans lequel se trouve une faible quantité de liquide. Des bourses séreuses sont pré-sentes en situation préachilléenne et, en arrière, entre l’aponévrose superfi cielle et la peau (bourses de Bovis). La portion tendineuse située 3 à 5 centi-mètres au-dessus du bord postérieur du calcanéum est une zone moins bien vascularisée et plus étroite ; elle constitue le siège électif des tendinopathies et des ruptures tendineuses.Dans ce tendon vertical, les fi bres ne sont pas rec-tilignes mais enroulées en spirale ; les fi bres les plus distales se prolongent avec celles de l’aponévrose plantaire, constituant le système de propulsion suro-achilléo-calcanéoplantaire.

Tableau clinique

L’interrogatoire et l’examen clinique devront préciser le mode de survenue et la localisation de la douleur, les irradiations, l’horaire et le rythme de la douleur, le retentissement sur les activités physiques et quo-tidiennes, l’évolution de la symptomatologie et les effets des traitements antérieurs, les antécédents (spondyloarthrite personnelle ou familiale, traite-

Page 2: Les tendinopathies achilléennes · Les tendinopathies achilléennes MISE AU POINT Figure 3. Échographie doppler du tendon achilléen. Coupe d’une tendino pathie d’Achille fusiforme

Points forts

Figure 1. Manœuvre de Thompson.

Figure 2. Échographique du tendon calcanéen mettant en évidence une plage hypoéchogène ovalaire due à la tendinopathie nodulaire achil-léenne. A. Coupe sagittale. B. Coupe transversale.

A B

La Lettre du Rhumatologue • No 391 - avril 2013 | 13

» Les tendinopathies d’Achille peuvent avoir des étiologies multiples : on distingue les causes mécaniques de celles consécutives à des rhumatismes inflammatoires ou microcristallins, des origines métaboliques ou des origines iatrogènes.

» L’échographie est une méthode de choix pour l’examen du tendon d’Achille. » Le traitement médical des tendinopathies d’Achille est fonction de l’étiopathogénie. Le traitement

chirurgical est normalement réservé aux échecs du traitement médical.

Mots-clésTendon d’AchilleTendinopathieExamens d’imagerieTraitement

Highlights » Achilles’ tendinopathies may

have various causes. Mechanic causes are dissociated from secondary causes to inflam-matory or cristal arthritis, and metabolic or iatrogenic origin. » Ultrasonography is a technic

of choice to evaluate Achilles’ tendon. » Treatment of Achilles’ tendi-

nopathies varies according to the cause. Surgery is only discussed in case of failure to medical treatment.

KeywordsAchille tendon

Tendinopathy

Imaging

Treatment

ment par fl uoroquinolones, statines ou corticoïdes, goutte, hypercholestérolémie, etc.). Le recueil des données sportives est souvent fondamental : niveau d’entraînement et de compétition sportive ; type de chaussures ; nature du revêtement ; hygiène de vie. Une douleur achilléenne à début brutal doit faire suspecter une rupture totale ou partielle.Le pied à haut risque d’affection achilléenne cor-respond au pied creux varus, tendon d’Achille défi ni cliniquement comme court, avec un triceps hyper-musclé et de petite taille.Effectué en orthostatisme puis en décubitus ventral et dorsal, l’examen recherche un réveil des douleurs tendineuses à l’étirement (plutôt lors d’un accrou-pissement en charge, talon au sol), aux tests iso-métriques (au cours d’une montée sur demi-pointe bimodale puis monopodale, de sautillements), à la palpation depuis la jonction myotendineuse jusqu’à l’insertion calcanéenne.La palpation peut mettre en évidence un nodule, un épaississement fusiforme, une douleur exquise, une crépitation. L’étude de la statique et de la dynamique podologique (mise en évidence d’un pied creux ou d’un pied plat et d’une hyperpronation) ainsi que la recherche de signes en faveur d’une rupture ten-dineuse (manœuvre de Thompson et augmenta-tion de la dorsifl exion passive du pied) complètent les données cliniques. Lors de la manœuvre de Thompson (fi gure 1), la pression du mollet entraîne normalement une fl exion plantaire de la cheville et du pied, de façon symétrique ; toute diminution ou absence de réponse doit faire évoquer une rupture du tendon achilléen.

Quelle imagerie ?

Radiographie

L’intérêt des radiographies standard est la mise en évidence de calcifications tendineuses ou d’une enthésopathie rétrocalcanéenne de caractère méca-nique (exostose plutôt régulière, de contours nets, à base d’implantation étroite) ou liée à une pathologie infl ammatoire. Les clichés en charge permettent la mesure des anomalies axiales et morphologiques de l’arrière-pied.

Échographie

L’échographie en mode B recherche les anomalies de la structure tendineuse (perte de la structure fi brillaire et de la défi nition de la marge ; épaississe-ment du tendon, d’aspect hypoéchogène) [fi gures 2, 3 p. 14] et met en évidence une paratendinopathie (fi gure 4, p. 14) ou la présence de bursopathies.

Page 3: Les tendinopathies achilléennes · Les tendinopathies achilléennes MISE AU POINT Figure 3. Échographie doppler du tendon achilléen. Coupe d’une tendino pathie d’Achille fusiforme

Les tendinopathies achilléennesMISE AU POINT

Figure 3. Échographie doppler du tendon achilléen. Coupe d’une tendino pathie d’Achille fusiforme avec signal doppler antérieur en faveur d’une hyperhémie. A. Coupe longitu dinale. B. Coupe transversale.

A B

Figure 4. Coupe échographique transversale du tendon calcanéen montrant l’épaississement hypoéchogène du périténon (fl èches). TC = tendon calcanéen.

14 | La Lettre du Rhumatologue • No 391 - avril 2013

Doppler puissance

Le doppler puissance objective la prolifération vas-culaire initiale intra- ou péritendineuse (fi gure 3), et a un intérêt dans le suivi des lésions, du processus de réparation et de néovascularisation puis de cicatrisa-tion et guérison (1). L’étude en mode panoramique permet une analyse globale du tendon achilléen. Ce dernier se prête bien à l’exploration échographique, qui sera une aide précieuse au diagnostic et aux choix thérapeutiques. Cependant, il faut rechercher en per-manence l’orientation optimale, strictement perpen-diculaire du faisceau ultrasonore par rapport à l’axe du tendon, afi n d’éviter les artefacts d’aniso tropie en coupes transversales et sagittales. Toute image anor-male doit être vérifi ée dans les 2 plans de l’espace (fi gures 2 et 3), de façon bilatérale et compa rative. Enfi n, l’échographie permet une étude dynamique, utile pour le diagnostic de rupture, parfois diffi cile (2, 3).

IRM

L’IRM précise les mêmes lésions anatomiques, et s’avère indispensable dans le cadre d’un bilan pré-opératoire. Réalisée avec une antenne de surface haute résolution, elle comprend des séquences T1, en saturation du signal graisseux et après injection i.v. de gadolinium, en coupes longitudinales et trans-versales. Le tendon achilléen normal en IRM est une formation en hyposignal homogène, constant sur toutes les séquences, de contours réguliers, avec concavité antérieure. L’étude ne se limite pas au tendon et au péritendon ; elle concerne également le carrefour postérieur, la cheville et les structures osseuses adjacentes (1).La tendinopathie simple du sportif occasionnel ne nécessite généralement aucun examen d’imagerie. En cas de doute diagnostique, d’échec thérapeutique initial ou de chronicité, l’association radiographie standard-échographie permet un bilan satisfaisant pour le diagnostic et le suivi. L’IRM est indiquée en cas de suspicion de rupture partielle intratendineuse diffi cile à affi rmer en échographie, en cas de tendi-nopathie rebelle ou à titre préopératoire.

Les différentes pathologies mécaniquesLes tendinopathies corporéales

La tendinopathie nodulaire est la forme la plus fré-quente de la tendinopathie achilléenne, correspon-dant à une cicatrisation au sein du tendon après microruptures de fi bres ; la palpation retrouve le nodule douloureux au pincement ; les explorations échographiques et IRM précisent les lésions anato-miques. En échographie, le nodule est hypo échogène (fi gure 2), prédominant à la face postéromédiale,

Page 4: Les tendinopathies achilléennes · Les tendinopathies achilléennes MISE AU POINT Figure 3. Échographie doppler du tendon achilléen. Coupe d’une tendino pathie d’Achille fusiforme

MISE AU POINT

Figure 5. Bursopathie postérieure.

La Lettre du Rhumatologue • No 391 - avril 2013 | 15

arrondi ou ovalaire, de taille variable ; la présence de spots vasculaires intra- ou péritendineux en mode doppler puissance témoigne du caractère actif des lésions et d’une néoangiogenèse.La tendinopathie fusiforme (figure 3), liée à une dégénérescence mucinoïde graisseuse avec désor-ganisation de la structure du collagène, se mani-feste par un épaississement allongé et étendu du corps tendineux, globalement douloureux à la pal-pation. Les examens échographiques et IRM confir-ment la déformation fusiforme, essentiellement au tiers moyen du tendon et à son bord médial ; elle est parfois associée à des fissurations longitu-dinales ou à des zones de rupture partielle, dont l’importance est généralement sous-estimée sur les données de l’imagerie par rapport aux lésions histologiques.Enfi n, il existe des tendinopathies corporéales sans modifi cation morphologique.

L’atteinte de la jonction myotendineuse

Souvent à début brutal, cette pathologie est plus rare que celle du corps tendineux. L’échographie met en évidence une zone hypoéchogène, vascularisée au doppler puissance, correspondant, en IRM, à une plage d’hypersignal T2 prenant le contraste. Une rupture se traduit par une solution de continuité anéchogène en échographie, par un signal liquidien en IRM.

Les tendinopathies calcifi antes et kystiques

Conséquence de tendinopathies chroniques, ces lésions dégénératives se rencontrent surtout chez les sportifs vétérans, parfois après un traumatisme. Le diagnostic repose sur l’imagerie.

La péritendinopathie

Elle est souvent le mode d’expression inaugural d’une authentique souffrance corporéale du tendon. Chaleur et gonflement local sont parfois associés à une sensation de crépitation ou de cris-sement lors des mouvements de flexion-extension de cheville.L’échographie met en évidence un épaississement péritendineux hypo- ou anéchogène (figure 4), pouvant se rehausser en mode doppler. L’IRM

montre un hypersignal péritendineux en séquence T2 ou équivalent, ainsi qu’une prise de contraste péri-tendineuse circonférentielle après injection i.v. de gadolinium.

Les bursopathies

De localisation pré- ou rétroachilléenne (fi gure 5), elles sont souvent associées à une souffrance distale du tendon et sont secondaires à un confl it entre la chaussure (contrefort) et le bord postéro supérieur du calcanéus, trop haut et pointu (maladie de Haglund). Les bourses superfi cielles de Bovis peuvent se surin-fecter à la manière d’un hygroma.Les radiographies standard permettent de mesurer les variations morphologiques pathologiques du calcanéus ; l’échographie étudie les parties molles adjacentes et objective les bursopathies ; l’IRM permet en plus une étude des modifications du signal osseux.

Les enthésopathies (4)

La tendinopathie d’insertion du tendon achilléen est à l’origine d’une douleur calcanéenne postéro- inférieure, réveillée à la palpation et à la fl exion plantaires contre résistance. Une simple douleur locale puis une tumé-faction sont complétées par une atteinte globale rétroachilléenne par confl it pied-chaussure.La radiographie met en évidence une ossifi cation rétrocalcanéenne d’aspect mécanique ; l’écho graphie et l’IRM précisent les lésions associées, en particulier les bursopathies, et, pour l’IRM, la réaction osseuse œdémateuse de la grosse tubérosité du calcanéus.

Page 5: Les tendinopathies achilléennes · Les tendinopathies achilléennes MISE AU POINT Figure 3. Échographie doppler du tendon achilléen. Coupe d’une tendino pathie d’Achille fusiforme

Les tendinopathies achilléennesMISE AU POINT

Figure 6. Radiographie du calcanéum de profi l chez un patient présentant une spondyloarthrite. A. Aspect d’enthésopathie rétro- et sous-calcanéenne. B. Érosion rétrocalcanéenne associée à une enthésopathie ossifi ante sous-calcanéenne.

A B

16 | La Lettre du Rhumatologue • No 391 - avril 2013

Tendinopathies achilléennes autres que mécaniquesRhumatismes infl ammatoires

La topographie de la talalgie au cours des spondylo-arthrites est plantaire ou moins fréquemment pos-térieure, à l’insertion du tendon achilléen, parfois globale. Une atteinte bilatérale est très évocatrice d’une cause infl ammatoire. La douleur talonnière

est révélatrice de spondyloarthrites dans presque un quart des cas ; elle doit faire rechercher les autres critères diagnostiques du rhumatisme infl amma-toire (critères ASAS) [tableaux I et II] (5) et elle peut constituer une aide précieuse au diagnostic précoce.La talalgie n’entraîne pas de réveil nocturne ; elle survient dès le lever, lors de la mise en charge, puis s’estompe lentement à la marche, constituant un véritable dérouillage matinal, d’autant plus évoca-teur qu’il est supérieur à la demi-heure. Les enthéso-pathies talonnières au cours des spondyloarthrites sont parfois révélées par des microtraumatismes répétés, sportifs ou professionnels. Une bursite rétrocalcanéenne est responsable d’une achillodynie avec tuméfaction locale.Sensible aux anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), la talalgie postérieure tend à s’estomper, mais peut parfois devenir chronique et invalidante, justifiant d’autres thérapeutiques (infiltration locale par corticoïdes, traitement de fond).Le cliché radiographique de profi l est normal au début ; les aspects évocateurs, de destruction (fi gure 6A) ou de construction osseuse (fi gure 6B), sont d’apparition tardive et ne permettent pas de diagnostic précoce. Il existe des formes enthés-algiques pures, et, a contrario, des calcanéites radiologiques sans traduction clinique.Les explorations échographiques et IRM peuvent mettre en évidence des signes évocateurs mais dont la spécifi cité est discutée : hyperhémie à la jonction os-enthèse au doppler puissance ; érosions visua-lisées sous la forme d’une interruption focalisée de la corticale osseuse au niveau de la tubérosité calcanéenne (7), importance de l’œdème osseux calcanéen sur l’IRM (4).

Tableau I. Critères ASAS 2009 de spondyloarthrite (SpA) axiale (5).

Patients avec rachialgie infl ammatoire ≥ 3 mois et âge au début < 45 ans

≥ 1 signe de SpA* + sacro-iliite**

** Infl ammation hautement compatible avec une sacro-iliite à l’IRM ou une sacro-iliite radiographique défi nie suivant les critères de New York modifi és

OUHLA-B27

+ au moins 2 autres signes de SpA*

* Signes de spondyloarthrite :• Rachialgie infl ammatoire• Arthrite• Enthésite• Uvéite

• Dactylite• Psoriasis• Maladie de Crohn• Bonne réponse aux AINS

• Histoire familiale de SpA• HLA-B27• CRP augmentée

Tableau II. Critères de classifi cation des spondyloarthrites périphériques selon l’ASAS (6).

Arthrite ou enthésite ou dactylite +

Au moins 1 des critères suivants :• Uvéite• Psoriasis• MICI• Infection (dans les 4 semaines)• HLA-B27• Sacro-iliite en imagerie

OUAu moins 2 autres critères :

• Arthrite• Enthésite• Dactylite• Dorsolombalgie infl ammatoire• Antécédents familiaux de spondyloarthrite

Page 6: Les tendinopathies achilléennes · Les tendinopathies achilléennes MISE AU POINT Figure 3. Échographie doppler du tendon achilléen. Coupe d’une tendino pathie d’Achille fusiforme

MISE AU POINT

La Lettre du Rhumatologue • No 391 - avril 2013 | 17

Citons également la possibilité d’une bursite rhumatoïde érosive sous forme d’une érosion rétro calcanéenne, très haute située, et de nodules rhumatoïdes rétrocalcanéens.

Tendinopathies métaboliques

Malgré la fréquence de certaines affections méta-boliques, les tendinopathies achilléennes d’ori-gine dysmétabolique sont relativement rares ; le diagnostic est facile à poser quand la maladie métabolique est connue, souvent ancienne et mal équilibrée (hyperuricémie, hypercholestérolémie, maladie urémique), et il doit être évoqué quand la tendinopathie est associée à une arthropathie (goutte, rhumatisme à apatite, chondrocalcinose et hyperparathyroïdie) ou quand l’atteinte tendineuse intéresse plusieurs sites. Des affections métaboliques plus rares ont été également rapportées comme facteur étiologique d’une tendinopathie : hypophosphatémie familiale, ochronose, fl uorose, acromégalie, ostéomalacie.La tendinopathie achilléenne est très rarement révélatrice de l’affection métabolique ; elle est parfois favorisée par la notion de surmenage mécanique.Dans les hypercholestérolémies, l’hyperlipidémie de type 2A est le plus souvent en cause, à l’origine d’une tendinopathie achilléenne qui précède de plu-sieurs années l’apparition de xanthomes tendineux, chez des sujets souvent jeunes. Le traitement de l’hypercholestérolémie fait régresser les xanthomes tendineux.Une tendinopathie achilléenne peut se rencontrer au cours d’une hyperuricémie prolongée, parfois liée à une enzymopathie ou à une insuffi sance rénale, une hémopathie, certains médicaments, et elle est souvent associée à un surpoids, une hyper-cholestéro lémie ou un diabète. Le tophus achilléen a peu tendance à se fi stuliser ou à se surinfecter ; il est de consistance molle et peut disparaître après traitement hypo-uricémiant prolongé. La radio-graphie standard met souvent en évidence une prolifération osseuse péricalcanéenne inférieure et postérieure.

Tendinopathies iatrogènes (8)

La détection d’une cause iatrogène est faite à l’interrogatoire ; les médicaments les plus souvent incriminés sont les glucocorticoïdes (8), les fl uo-

roquinolones (8, 9), les statines (8-11), les médi-caments inducteurs d’hyperuricémie (diurétiques, ciclosporine).Très bien documenté, l’effet néfaste des corticoïdes sur le tissu collagène s’exerce au moins à 3 niveaux différents : action antimitotique sur les ténocytes ; diminution de la synthèse des protéines structurales ; stimulation de l’activité collagénolytique (8).Le risque de tendinopathie achilléenne sous fl uoro-quinolones est augmenté chez les sujets après 60 ans, sous corticothérapie, selon la durée du traitement, chez les patients insuffi sants rénaux, hémodialysés ou transplantés. Un facteur mécanique est parfois associé.Les statines peuvent être incriminées lors de la sur-venue d’une tendinopathie achilléenne ; le risque n’est pas dose-dépendant. Les délais d’apparition des symptomes tendineux sont variables, allant de 0 à 15 ans, avec une moyenne de 8 mois. Dans la moitié des cas, la complication tendineuse survient au cours de la première année de traitement (11). Les facteurs favorisants sont l’âge supérieur à 60 ans, les activités physiques excessives, les antécédents de tendino pathie, la prise concomitante de médi-caments ayant une toxicité tendineuse potentielle.

Orientations et choix thérapeutiquesLe repos sportif est indispensable et doit être adapté au stade évolutif et à la forme anatomique. La reprise des activités sera toujours progressive, associée à la correction des facteurs favorisants (terrain d’entraînement ; chaussage ; techniques d’entraînement ; défauts statiques et dynamiques de l’arrière-pied ; correction des erreurs diététiques, en particulier l’insuffi sance des apports hydriques et électrolytiques).Le choix doit se porter sur une chaussure privi-légiant la qualité de l’amortissement et la pro-tection du tendon par un contrefort non agressif. De plus, la surélévation du talon par une talon-nette viscoélastique et la correction d’un défaut statique podologique par une orthèse plantaire font partie des bases thérapeutiques. Une analyse dynamique peut compléter utilement l’orientation thérapeutique.Les AINS par voie orale ou en pansements occlusifs sont conseillés dans les péritendinopathies et les tendinopathies aiguës.La cryothérapie est surtout utile au cours de la phase initiale, ou lors de la reprise des activités sportives.

Page 7: Les tendinopathies achilléennes · Les tendinopathies achilléennes MISE AU POINT Figure 3. Échographie doppler du tendon achilléen. Coupe d’une tendino pathie d’Achille fusiforme

Les tendinopathies achilléennesMISE AU POINT

18 | La Lettre du Rhumatologue • No 391 - avril 2013

La physiothérapie, proposée dans les atteintes cor-poréales, comprend notamment les ultrasons, les massages transverses profonds selon la méthode de Cyriax (amélioration de la vascularisation locale et du taux de fi broblastes favorisant ainsi la cicatri-sation tendineuse). La lithotripsie extracorporelle par ondes de choc, initialement proposée dans les formes calcifi antes, agit également en favorisant la néo-angiogenèse et en saturant les récepteurs à la douleur. Selon le type de générateur et les pro-tocoles utilisés, les études ont donné des résultats variables, mais il s’agit d’un traitement très utile dans les formes corporéales chroniques (12). Dès que possible seront envisagés la réalisation d’étirements des plans musculaires et un travail excentrique selon la technique de Stanish (13).Souvent décriées, les infi ltrations par corticoïdes trouvent une bonne indication dans les bursopathies inter-achilléocalcanéennes, au mieux, après repérage échographique.Divers traitements locaux sont développés dans les tendinopathies rebelles :

➤ injection d’aprotinine ; ➤ injections sclérosantes par polidocanol ; ➤ injections péritendineuses d’acide hyaluronique ; ➤ injections de PRP (Platelet Rich Plasma), surtout

à partir de sang autologue (14-16) ; elles sont très en vogue dans les milieux sportifs professionnels mais nécessitent des études randomisées com-plémentaires rigoureuses pour bien établir leur indication.Dans les échecs des traitements médicaux, la chirurgie doit être proposée selon le niveau sportif et la motivation du sujet ; elle fait appel à

des techniques de microchirurgie ou des techniques endoscopiques afi n de diminuer le risque de cicatrice pathogène. Selon les cas pourront être envisagés un peignage à ciel ouvert ou percutané, une excision des zones nécrotiques et parfois un renforcement par le court fi bulaire ; une excision des calcifi cations, une résection des ostéophytes ou d’un calcanéus proéminent en cas de confl it postérieur avéré. Un avis chirurgical doit être envisagé également en cas de rupture partielle sur les explorations morpho-logiques.Le tendon d’Achille est le premier tendon concerné par la pathologie traumatique et microtrauma-tique tendineuse, laquelle conduit souvent à des lésions chroniques qui le fragilisent. La tendino-pathie d’Achille peut également être satellite de rhumatismes infl ammatoires, microcristallins ou de pathologies métaboliques. Le tableau clinique est assez standardisé, prenant la forme d’un syn-drome douloureux du compartiment postérieur de la cheville. L’examen échographique est également en plein essor dans ces indications, car il permet de préciser les lésions des différentes structures anato-miques et la néovascularisation. L’inter prétation de leur signifi cation doit évidemment tenir compte du contexte clinique. Leur intérêt dans le suivi et la prise en charge thérapeutique reste à défi nir de manière précise. L’IRM garde sa place en cas de discussion médicochirurgicale, en cas de suspicion de rupture partielle intratendineuse diffi cile à affi rmer en écho-graphie, ou en cas de tendinopathie rebelle.De nouvelles molécules semblent prometteuses mais nécessitent des études complémentaires pour défi nir leur place dans l’arsenal thérapeutique. ■

1. Richards PJ, McCall IW, Day C, Belcher J, Maffulli N. Longitudinal microvascularity in Achilles tendinopathy (power Doppler ultrasound, magnetic resonance imaging time-intensity curves and the Victorian Institute of Sport Assessment-Achilles questionnaire): a pilot study. Skeletal Radiol 2010;39(6):509-21.2. Martinoli C, Derchi LE, Rizzatto G, Solbiati L. Power Doppler sonography: general principles, clinical applications, and future prospects. Eur Radiol 1998;8(7):1224-35.3. Morvan G, Mathieu P, Busson J, Wybier M. Échographie des tendons et des ligaments du pied et de la cheville. J Radiol 2000;81(3 suppl.):361-80.4. Claudepierre P, Voisin MC. The entheses: histology, pathology, and pathophysiology. Joint Bone Spine 2005;72(1):32-7.5. Rudwaleit M, van der Heijde D, Landewé R. The deve-lopment of Assessment of SpondyloArthritis International Society classifi cation criteria for axial spondyloarthritis

(part II): validation and final selection. Ann Rheum Dis 2009;68(6):777-83.6. Rudwaleit M, van der Heijde D, Landewé R et al. The Assessment of SpondyloArthritis International Society classifi cation criteria for peripheral spondyloarthritis and for spondyloarthritis in general. Ann Rheum Dis 2011;70(1):25-31.7. Spadaro A, Iagnocco A, Perrotta FM, Modesti M, Scarno A, Valesini G. Clinical and ultrasonography assessment of peri-pheral enthesitis in ankylosing spondylitis. Rheumatology (Oxford) 2011;50(11):2080-6.8. Hayem G. Tendinopathies induites par les médicaments. Rev Rhum 2002;69:406-10.9. Hayem G. Statins and muscles: what price glory? Joint Bone Spine 2002;69(3):249-51.10. Falip S, Battlo M, Peyriere H, Blayac JP, Hillaire-Buys D. Statin induced tendinopathies: analysis of 37 cases in the French pharmacovigilance database. Fundam Clin Phar-macol 2005;19:231.

11. Marie I, Delafenêtre H, Massy N et al. Tendinous disorders attributed to statins: a study on ninety-six spontaneous reports in the period 1990-2005 and review of the literature. Arthritis Rheum 2008;59(3):367-72.12. Furia J. High energy extracorporeal shock wave therapy as a treatment for chronic noninsertional Achilles tendino-pathy. Am J Sports Med 2008;36(3):502-8. 13. Stanish WD, Rubinovich RM, Curwin S. Eccentric exercise in chronic tendinitis. Clin Orthop Relat Res 1986;208:65-8.14. Sampson S, Gerhardt M, Mandelbaum B. Platelet rich plasma injection grafts for musculoskeletal injuries: a review. Curr Rev Musculoskelet Med 2008;1(3-4):165-74.15. Frey M. A new therapeutic approach to tendinomuscular disease: Use of platelet growth factors. Journal de Traumato-logie du Sport 2009;26:76-80.16. Coombes BK, Bisset L, Vicenzino B. Effi cacy and safety of corticosteroid injections and other injections for mana-gement of tendinopathy: a systematic review of randomised controlled trials. Lancet 2010;376(9754):1751-67.

Références bibliographiques