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38 ors des cérémonies quotidiennes dans les temples et monastères zen Sôtô au Japon, plusieurs textes sont récités. Ce sont notamment l’Hannya Shingyo, des dharanis, le Sandokai et l’Hokyozanmai, et également des extraits du Sûtra du Lotus. L’Hannya Shingyo (Sûtra du cœur de la sagesse, abréviation du Maka Hannya Haramita Shingyo, Sûtra du cœur de la perfec- tion de la grande sagesse) a été le premier sûtra introduit en Europe dans les dojos de pra- tique du zen et il est généralement le seul à être récité lors des cérémonies simples. Le Sûtra du cœur, comme l’enseignement de la Prajna Paramita (Perfection de la sagesse) dont il est un condensé (le « cœur »), est commun à toutes les écoles du Mahayana ; on peut en trouver de nombreux commentaires et traductions. Les dharanis sont des textes intraduisibles, ils sont semblables à des mantras dont la force réside dans les sons et ont sans doute des ori- gines pré-bouddhiques. Ils sont issus du bouddhisme ésotérique et utilisés dans le zen Sôtô. Le Daihishin Darani (Dharani de l’esprit de grande compassion) est le dharani le plus répandu, il est récité quotidiennement ou lors de cérémonies spécifiques comme les cérémonies funéraires. Le Shôsaimyô kichijo Darani (Merveilleux et bénéfique dharani qui prévient les désastres), qui est dédié à Idaten, est un dharani bien utile puisqu’il protège le temple des désastres. Il existe de nombreux autres dharanis. Alors que les textes précédents sont origi- naires du bouddhisme indien, le Sandokai et l’Hokyozanmai sont deux poèmes écrits en chinois, respectivement par Sekito Kisen et Tozan Ryokai, deux maîtres du ch’an de l’époque Tang. Ces deux textes sont spéci- fiques à la lignée Sôtô du zen, à la fois parce que Sekito et Tozan sont des maîtres impor- tants de cette lignée et parce que ces textes en expriment les caractéristiques. En général, ils sont récités alternativement (jours pair et impair) avant la récitation de la lignée des patriarches. Ces textes sont assez largement répandus dans la pratique rituelle du zen Sôtô euro- péen, tout au moins dans les temples et cen- tres de pratique les plus importants, ou pendant les sesshins. Cela est moins le cas avec les textes issus du Sûtra du Lotus que nous présentons ici. Ce ne sera qu’une courte présentation pour le texte extrait du chapitre XXV du Sûtra du Lotus intitulé « La porte universelle du Bodhisattva Kanzeon ». Le titre complet en japonais est Myôhôrengekyô Kanzeon bosatsu fumonbon ge – c’est-à-dire « Stance de la porte universelle du Bodhisattva Kanzeon du Sûtra du Lotus de la Loi merveilleuse » – qu’on abrège en Fumonbon ge. Il y est décrit la protection qu’apporte Kannon aux êtres qui l’invoquent quand ils sont confrontés à Zen n° 96 L Les stances de la longévité de l’Ainsi-Venu Pierre Dôkan Crépon

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ors des cérémonies quotidiennesdans les temples et monastèreszen Sôtô au Japon, plusieurstextes sont récités. Ce sontnotamment l’Hannya Shingyo,

des dharanis, le Sandokai et l’Hokyozanmai,et également des extraits du Sûtra du Lotus.

L’Hannya Shingyo (Sûtra du cœur de lasagesse, abréviation du Maka HannyaHaramita Shingyo, Sûtra du cœur de la perfec-tion de la grande sagesse) a été le premier sûtraintroduit en Europe dans les dojos de pra-tique du zen et il est généralement le seul àêtre récité lors des cérémonies simples. LeSûtra du cœur, comme l’enseignement de laPrajna Paramita (Perfection de la sagesse) dontil est un condensé (le « cœur »), est communà toutes les écoles du Mahayana ; on peut entrouver de nombreux commentaires et traductions.

Les dharanis sont des textes intraduisibles,ils sont semblables à des mantras dont la forceréside dans les sons et ont sans doute des ori-gines pré-bouddhiques. Ils sont issus dubouddhisme ésotérique et utilisés dans le zenSôtô. Le Daihishin Darani (Dharani de l’esprit de grande compassion) est le dharani leplus répandu, il est récité quotidiennementou lors de cérémonies spécifiques comme lescérémonies funéraires. Le Shôsaimyô kichijoDarani (Merveilleux et bénéfique dharani quiprévient les désastres), qui est dédié à Idaten,est un dharani bien utile puisqu’il protège le

temple des désastres. Il existe de nombreuxautres dharanis.

Alors que les textes précédents sont origi-naires du bouddhisme indien, le Sandokai etl’Hokyozanmai sont deux poèmes écrits enchinois, respectivement par Sekito Kisen etTozan Ryokai, deux maîtres du ch’an del’époque Tang. Ces deux textes sont spéci-fiques à la lignée Sôtô du zen, à la fois parceque Sekito et Tozan sont des maîtres impor-tants de cette lignée et parce que ces textes enexpriment les caractéristiques. En général, ilssont récités alternativement (jours pair etimpair) avant la récitation de la lignée despatriarches.

Ces textes sont assez largement répandusdans la pratique rituelle du zen Sôtô euro-péen, tout au moins dans les temples et cen-tres de pratique les plus importants, oupendant les sesshins. Cela est moins le casavec les textes issus du Sûtra du Lotus quenous présentons ici.

Ce ne sera qu’une courte présentationpour le texte extrait du chapitre XXV duSûtra du Lotus intitulé « La porte universelledu Bodhisattva Kanzeon ». Le titre completen japonais est Myôhôrengekyô Kanzeonbosatsu fumonbon ge – c’est-à-dire « Stance dela porte universelle du Bodhisattva Kanzeondu Sûtra du Lotus de la Loi merveilleuse » –qu’on abrège en Fumonbon ge. Il y est décritla protection qu’apporte Kannon aux êtresqui l’invoquent quand ils sont confrontés à

Zen n° 96

L

Les stances de la longévitéde l’Ainsi-Venu

Pierre Dôkan Crépon

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de grandes difficultés (avec la formule nenpikannon riki, « penser au pouvoir de Kannon »,qui revient après la description des différentspérils). Ce texte est également considérécomme un sûtra à part entière appelé Kannongyo – c’est sous ce titre que maître Deshimaruen avait fait un commentaire – et il est,comme l’Hannya Shingyo, très répandu etrécité quotidiennement dans tout l’Extrême-Orient. C’est une invocation du pouvoir dela compassion du Bodhisattva qui considèreles voix du monde. Il apporte le réconfort.

L’autre texte est extrait du chapitre XVI duSûtra du Lotus intitulé « La longévité del’Ainsi-Venu ». Le titre complet en japonaisen est Myôhôrengekyô nyorai juryôhon ge –c’est-à-dire « Stance de la longévité de l’Ainsi-Venu du Sûtra du Lotus de la Loi merveil-leuse » – abrégé en Juryôhon ge. Dans cechapitre, le Bouddha Shakyamuni expliquela longévité incommensurable de l’Ainsi-Venu (traduction du terme Tathâgata, c’est-à-dire le Bouddha) en réponse à une questionqui lui est posée à la fin du chapitre précé-dent, le chapitre XV intitulé « Surgis de laterre ». Il faut donc commencer par faire unrésumé de celui-ci.

Surgis de la terreLe chapitre XV raconte qu’une foule d’êtresd’Éveil (des bodhisattvas donc) – égale auxsables de huit Gange –, venus des royaumesdes autres directions, se présentent devant leBouddha Shakyamuni et lui disent qu’aprèsla Disparition de celui-ci, ils s’appliquerontavec zèle à protéger et prêcher le Sûtra duLotus en ce monde Sahâ. Le monde Sahâ estle monde dans lequel nous vivons et danslequel le Bouddha prêche, un monde de diffi-cultés, parfois traduit par « monde d’endu-rance ». Ce à quoi le Bouddha répond qu’ilne sera pas nécessaire de le protéger car dansce monde de difficultés il existe déjà d’in-nombrables êtres d’Éveil – égaux aux sablesde soixante mille Gange – qui seront capa-bles de le sauvegarder et de le prêcher après saDisparition.

À ce moment, de tous côtés, la terre sefend et des fissures de la terre surgissent d’innombrables êtres d’Éveil venus de l’espace situé en dessous. Chacun est accom-pagné d’une suite. Certains sont accompa-gnés d’une suite de dix millions de myriadesde milliards de suivants, d’autres de dix millemyriades, d’autres de dix millions, d’un mil-lion, de dix mille, voire de cent, de dix, oubien de cinq disciples, de quatre, trois, deuxou un disciples, d’autres encore étant soli-taires (il y a de l’humour dans le Sûtra duLotus, ce qui est rarement relevé). Ces êtresd’Éveil se rendent auprès du BouddhaShakyamuni, le saluent et lui rendent hom-mage. Quatre dirigeants sont à la tête de cettemultitude d’êtres d’Éveil : le premier s’appellePratique Supérieure (Jogyo), le deuxièmePratique Infinie (ou illimitée, Muhengyo), letroisième Pratique Pure (Jogyo), le quatrièmePratique Ferme (ou pacificatrice, Anryugyo).

Joignant leurs mains, ils demandent : « Vénéré du monde, peu de maladies, peu desoucis pour vous ? Pratiquez-vous en toutecommodité ? Ceux que vous devez sauverreçoivent-ils facilement votre enseignement ?Ne causent-ils pas gêne et fatigue au Vénérédu monde ? » Le Vénéré du monde les ras-sure, il est à l’aise, a peu de maladies, peu desoucis, les êtres peuvent être facilementconvertis et sauvés. Et cela parce que, au

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Le Vénéré du monde

les rassure, il est à l’aise,

a peu de maladies, peu de

soucis, les êtres peuvent être

facilement convertis et sauvés.

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cours des âges, ils ont constamment reçu sonaction salvifique, ont rendu hommage auxBouddhas du passé et planté des racines debien. Sitôt qu’ils voient et entendent leBouddha prêcher, ils l’acceptent avec foi(excepté ceux qui suivent le Petit Véhicule).Les êtres sont donc faciles à convertir et à sauver.

Alors Maitreya, ainsi que de nombreuxautres êtres d’Éveil, eut un doute et vint inter-roger le Bouddha : « Cette multitude d’êtresd’Éveil brusquement surgis de terre, d’oùviennent-ils, de quels royaumes, qui leur aprêché la Loi ? » Le Bouddha Shakyamunirépond que ces êtres d’Éveil s’exercent à lasagesse depuis d’innombrables éons, qu’ilsont été convertis par lui, qu’ils sont sesenfants. Ils sont occupés à comprendre àfond, ils n’aiment pas les lieux où se presse lafoule, ils déploient leur énergie, ils se plaisentdans la distinction, ils ne demandent l’appuini des hommes ni des devas, ils aiment unevie éloignée du monde, ils sont passionnéspar les plaisirs de la Loi, ils s’appliquent à lascience du Bouddha.

Maitreya s’étonne à nouveau : commentle Vénéré du monde qui a quitté le palais et aréalisé l’Éveil depuis quarante années a-t-il puconvertir une foule si innombrable d’êtresd’Éveil. C’est comme si un jeune hommedésignait un centenaire et disait : « C’est monfils » et que le centenaire montrait le jeunehomme et disait : « Voici mon père, qui m’aengendré et élevé. » Cela est difficile à croire :il en est de même pour le Bouddha qui nepratique pas depuis si longtemps, alors quecette multitude d’êtres d’Éveil pratiquedepuis des myriades d’éons.

La longévité de l’Ainsi-VenuLe Bouddha commence sa réponse en disanttrois fois qu’il faut croire et comprendre sespropos véridiques et lucides. Il énonce alors lesecret de l’Ainsi-Venu : tout le monde croit quele Bouddha Shakyamuni de notre temps aquitté son palais, puis s’est assis au lieu de laVoie, etc., mais en fait cela fait d’innombrables

milliers de millions de myriades et de mil-liards d’éons qu’il est réellement devenuÉveillé, et depuis lors il a toujours été dans cemonde de difficultés à prêcher la Loi, à ensei-gner et à convertir.

Depuis ces innombrables éons, leTathâgata (l’Ainsi-Venu) s’est présenté en dif-férents lieux, sous des noms et des âges divers,et grâce à des expédients variés il a prêché laLoi subtile pour mener les êtres à déployer unesprit d’allégresse. C’est parce qu’il voit quedes êtres, aux minces mérites et aux gravesimpuretés, se complaisent dans les enseigne-ments mineurs qu’il leur prêche : « J’ai quittéma famille quand j’étais jeune, j’ai obtenul’éveil, etc. » Le Tathâgata voit clairement queles êtres ont toutes sortes de natures, dedésirs, de pratiques, de notions et de discri-minations, aussi il leur prêche toutes sortesd’enseignements. Quand il proclame qu’il vaentrer en Disparition, c’est également unexpédient pour convertir les êtres. Ainsi, bienqu’il ait réalisé l’Éveil depuis d’innombrableséons, c’est pour aider les êtres qu’il fait croirequ’il entre en Disparition.

Le Bouddha compare cela à un médecinqui, pour sauver ses enfants devenusdéments, se prétend mort afin qu’ils se déci-dent à prendre leurs remèdes, alors qu’il est

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en réalité toujours là. Le Tathâgata reprendalors l’ensemble de son discours sous formede stance – comme c’est l’usage dans le Sûtradu Lotus – et ce sont ces stances qui termi-nent le chapitre qui constitue le texte duJuryohon ge (vous en trouverez la traductioncomplète sur le site de l’AZI).

L’importance de cet enseignement sur lalongévité du Tathâgata est indiquée dans lechapitre suivant, le chapitre XVII intitulé « Le détail des mérites ». Il est dit que « s’il setrouve des êtres qui, à entendre que la longé-vité du Bouddha est à ce point immense,peuvent concevoir ne serait-ce qu’une seulepensée de foi et de compréhension, lesmérites qu’ils obtiendront seront au-delà detoute limite ». Il est précisé que ces méritesseront infiniment supérieurs à ceux des êtresqui auront pratiqué les cinq perfections pen-dant d’innombrables éons. Ainsi, « s’il est desgens qui, à entendre le Bouddha exposer l’im-mensité de son âge, comprennent la portéede ses dires, les mérites qu’ils en obtiendrontseront sans limite ni mesure ».

Le Sûtra du Lotus est inépuisableLe Sûtra du Lotus a fait l’objet de très nom-breux commentaires dans tout l’Extrême-Orient depuis sa traduction en chinois parKumarajiva en l’an 406. Il est considérécomme le plus important des sûtras parl’école Tendai (Tiantai en chinois) fondée enChine par Ziyi au vie siècle et importée auJapon au début du ixe siècle par Saicho.L’école Tendai a eu un rôle majeur au Japon,notamment parce que tous les grands réfor-mateurs du bouddhisme japonais du MoyenÂge y ont été formés. C’est le cas de Dôgen,d’Eisai, de Honen et de Shinran, ou deNichiren pour qui la foi dans le Sûtra duLotus devint exclusive. Mais l’influence du « Lotus » a été encore plus large : il a imbibéla spiritualité bouddhique de l’Extrême-Orient et des œuvres multiples y font expli-citement référence, textes philosophiques,poèmes, œuvres picturales.

En ce qui concerne Dôgen, celui-ci plaçait

sans ambiguïté le Sûtra du Lotus au sommetdes écritures bouddhiques, le « roi des sûtras ».Son « grand doute » qui le conduisit dans sajeunesse à partir en Chine venait du conceptd’Éveil originel (hongaku) enseigné dans leTendai et issu du « Lotus » : « Puisqu’il est ditque les êtres sont originellement munis de lanature de bouddha, pourquoi faut-il quitterla maison et s’adonner à la pratique pourdevenir Bouddha ? » Il trouvera la réponse àsa question lors de son voyage en Chine et ilgardera toujours une dévotion et un respectparticuliers pour le Sûtra du Lotus : « Les êtresd’Éveil, dit-il, sont tournés par la Fleur de laLoi (hokke : le « Lotus ») et ils tournent laFleur de la Loi… (Le « Lotus ») est la Loi prê-chée aux êtres d’Éveil » (Hokke ten hokke, « Le Lotus tourne le Lotus »).

Le Sûtra du Lotus, son contenu, les com-mentaires qui en ont été faits, notammentdans l’école Tendai, constituent une part

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…« s’il se trouve des êtres qui,

à entendre que la longévité

du Bouddha est à ce point

immense, peuvent concevoir

ne serait-ce qu’une seule

pensée de foi et de

compréhension, les mérites

qu’ils obtiendront seront

au-delà de toute limite ».

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importante de la matière que Dôgen travaille.Dans le Shôbôgenzô, il le cite abondammentde façon explicite, en particulier ce chapitreXVI, « La longévité de l’Ainsi-Venu », et il yfait également de nombreuses allusions quipeuvent paraître déroutantes quand on neconnaît pas les sources. D’ailleurs une partiede la difficulté à lire Dôgen provient de notreméconnaissance de son univers culturel et desécrits auxquels il fait référence.

Pour revenir au chapitre de « La longévitéde l’Ainsi-Venu », il a toujours été considérécomme un des enseignements majeurs du « Lotus ». Avec le chapitre précédent, « Surgisde terre », il est situé au début de la deuxièmepartie du Sûtra qui en contient l’enseigne-ment ultime. Le Lotus a en effet été divisé,par Zhiyi, en deux parties : la première par-tie – chapitres I à XIV – appelée Shakumon,« enseignement provisoire ou secondaire », laseconde – chapitre XV à XXVII - appeléeHonmon, « enseignement originel ou ultime ».« La longévité de l’Ainsi-Venu » est au cœurde la révélation fondamentale du Sûtra duLotus.

Comme tous les grands textes religieux, leSûtra du Lotus ouvre sur d’innombrablessignifications, et les multiples gloses qu’il asuscitées en sont l’illustration. Il est inépui-sable.

Une vision éveillée de l’espace et dutempsL’image des bodhisattvas qui surgissent de laterre est forte et elle a alimenté l’imaginairede générations de bouddhistes. Le texteinsiste sur le fait que ces bodhisattvas ne vien-nent pas d’autres terres, d’autres royaumesmais bien de ce monde Sahâ, ce monde d’en-durance, ce monde de difficultés, ce mondedu samsara (des naissances et des morts),dans lequel nous vivons et dans lequel leBouddha enseigne.

Toutefois, le texte précise qu’ils se trou-vaient en dessous de ce monde Sahâ et qu’ilsdemeuraient dans l’espace de ce monde. C’estce mot « espace » qui ouvre sur une profondedimension. Le terme traduit par « espace » estâkâça en sanscrit, kokû en sino-japonais dansla traduction de Kumarajiva (ko et kû signi-

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fiant tous les deux « vide »). Plus que notrenotion d’espace sensible avec ses points car-dinaux, âkâça est un espace absolu, l’un desinconditionnés, des inconfectionnés, quin’est pas soumis à l’apparition et la dispari-tion. Âkâça a été traduit par « éther », « espacevide », « méta-espace », « unbounded » (illi-mité). Il est l’absence de matière qui permetla manifestation de toutes les activités. Il est,pour Dôgen, la sagesse, le corps authentiquede la Loi du Bouddha qui manifeste desformes en réponse aux choses.

Ainsi les bodhisattvas – les êtres d’éveil –surgissent de notre monde, mais plus encorede l’espace infini qui à la fois est immanent àcelui-ci et le transcende, qui le contient et enlui est contenu, un espace absolu qui est éveil.Les bodhisattvas surgissent de l’espace d’éveilde notre monde : les êtres d’éveil proviennentde l’Éveil.

Puis, révélation ultime, le Tathâgatadévoile son incommensurable longévité. Ilétablit la dimension ultime de l’Éveil quitranscende les périodes de temps de la viehumaine dans ce monde Sahâ – les quatre-vingts années de la vie de Shakyamuni. Untemps dont l’étendue est inconcevable. C’estle temps de l’Éveil, le temps absolu de l’exis-tence qui englobe le passé, le présent et lefutur.

Le Sûtra du Lotus nous révèle une visionéveillée du temps et de l’espace, c’est-à-direle temps et l’espace selon le point de vuel’Éveil, là d’où surgissent les bodhisattvas, làoù est « seul Bouddha avec Bouddha »(Yuibutsu yobutsu). C’est le dévoilement de ladimension universelle et illimitée duBouddha.

C’est pour cela que nous récitons leJuryohon ge, « Les stances de la longévité del’Ainsi-Venu » qui commencent par ces vers :

Depuis que j’ai obtenu l’état

d’Éveillé, le nombre d’éons

qui se sont écoulés est

d’innombrables milliers

de millions de myriades

de milliards de quantités

incalculables.

J’ai prêché constamment la Loi

pour enseigner et convertir

D’innombrables myriades

d’êtres

Et les faire entrer dans la Voie

d’Éveillé…

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