LES SERPENTS MARINS...Les serpents marins sont capables de remonter les eaux douces des fleuves,...

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LES SERPENTS MARINS Les serpents marins sont minoritaires par rapport aux 8200 espèces de serpents terrestres connues. On en dénombre 65 seulement. Cependant, la classification entre serpent marin et serpent terrestre n'est pas toujours facile à faire. En effet on peut rencontrer en mer des serpents terrestres, fréquentant le milieu marin occasionnellement ou régulièrement et des serpents marins vrais, inféodés à une vie marine exclusive. Certains ne s'éloignent jamais du rivage, ce sont les serpents marins amphibies, d'autres, les vrais serpents marins, sont pélagiques et peuvent traverser les océans. En fait tous les serpents ont une origine terrestre et ont commencé à coloniser progressivement les océans, il y a près de cinq millions d'années. Les serpents marins vivent tous, dans les eaux chaudes tropicales et subtropicales, comprises entre les latitudes de la Corée au nord et de la Tasmanie au sud. On les trouve en Australie, dans l'Océan Indien, de l'est de l'Afrique à l'Asie du sud est, dans tout le Pacifique, en Mélanésie, aux Philippines, au Japon et du sud du Canada à l'Amérique centrale. La zone où les serpents marins prolifèrent le plus est le Pacifique Ouest, où la plupart des espèces sont représentées. Plus on s'en écarte, plus ce nombre diminue : 40 espèces aux Philippines, plus que 2 en Polynésie. Les serpents marins sont capables de remonter les eaux douces des fleuves, très en amont de leur estuaire et de se rassembler, par exemple, dans un lac comme le Tonlé Sap au Cambodge, à plus de 500 km du delta du Mékong et de la mer de Chine ! Les serpents marins craignent par contre le froid, raison pour laquelle ils sont absents de l'Océan Atlantique, protégé par les courants froids circulant le long de l'Afrique australe et des côtes occidentales de l'Amérique du sud. Enfin à la différence des serpents marins exclusifs, les serpents marins amphibies regagnent périodiquement la terre, pour se reproduire, digérer un repas, muer ou simplement se réchauffer sur le sable. A -Caractéristiques biologiques La taille des serpents marins varie selon les espèces, entre 50 cm et 275 cm pour le plus grand individu jamais capturé, et selon le sexe. Les femelles sont en général plus grandes que les mâles, mais il y a quelques exceptions, où elles sont plus petites et plus rarement de même taille. Les serpents marins, comme leurs homologues terrestres, appartiennent à l'ordre des reptiles et à l'embranchement des vertébrés et possèdent de ce fait un squelette avec un crane, des vertèbres et des côtes. Les serpents marins vrais ont subi au fil des millénaires un certain nombre d'adaptations morphologiques et physiologiques les rendant aptes à vivre en permanence dans le milieu aqueux et salé. Le corps, par exemple, toujours allongé et de section arrondie chez les serpents terrestres, n'est pas cylindrique chez les serpents marins exclusifs, mais légèrement aplati latéralement du fait de la pression de l'eau et des mouvements ondulatoires lors des déplacements. Plus typique encore, la queue du serpent marin exclusif est large et aplatie en forme de palette 143

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LES SERPENTS MARINS

Les serpents marins sont minoritaires par rapport aux 8200espèces de serpents terrestres connues. On en dénombre 65 seulement. Cependant, laclassification entre serpent marin et serpent terrestre n'est pas toujours facile à faire.En effet on peut rencontrer en mer des serpents terrestres, fréquentant le milieu marinoccasionnellement ou régulièrement et des serpents marins vrais, inféodés à une viemarine exclusive. Certains ne s'éloignent jamais du rivage, ce sont les serpents marinsamphibies, d'autres, les vrais serpents marins, sont pélagiques et peuvent traverser lesocéans. En fait tous les serpents ont une origine terrestre et ont commencé à coloniserprogressivement les océans, il y a près de cinq millions d'années.

Les serpents marins vivent tous, dans les eaux chaudes tropicaleset subtropicales, comprises entre les latitudes de la Corée au nord et de la Tasmanieau sud. On les trouve en Australie, dans l'Océan Indien, de l'est de l'Afrique à l'Asiedu sud est, dans tout le Pacifique, en Mélanésie, aux Philippines, au Japon et du suddu Canada à l'Amérique centrale. La zone où les serpents marins prolifèrent le plusest le Pacifique Ouest, où la plupart des espèces sont représentées. Plus on s'en écarte,plus ce nombre diminue : 40 espèces aux Philippines, plus que 2 en Polynésie.

Les serpents marins sont capables de remonter les eaux doucesdes fleuves, très en amont de leur estuaire et de se rassembler, par exemple, dans unlac comme le Tonlé Sap au Cambodge, à plus de 500 km du delta du Mékong et de lamer de Chine ! Les serpents marins craignent par contre le froid, raison pour laquelleils sont absents de l'Océan Atlantique, protégé par les courants froids circulant le longde l'Afrique australe et des côtes occidentales de l'Amérique du sud.

Enfin à la différence des serpents marins exclusifs, les serpentsmarins amphibies regagnent périodiquement la terre, pour se reproduire, digérer unrepas, muer ou simplement se réchauffer sur le sable.

A -Caractéristiques biologiques

La taille des serpents marins varie selon les espèces, entre 50 cmet 275 cm pour le plus grand individu jamais capturé, et selon le sexe. Les femellessont en général plus grandes que les mâles, mais il y a quelques exceptions, où ellessont plus petites et plus rarement de même taille. Les serpents marins, comme leurshomologues terrestres, appartiennent à l'ordre des reptiles et à l'embranchement desvertébrés et possèdent de ce fait un squelette avec un crane, des vertèbres et des côtes.

Les serpents marins vrais ont subi au fil des millénaires uncertain nombre d'adaptations morphologiques et physiologiques les rendant aptes àvivre en permanence dans le milieu aqueux et salé. Le corps, par exemple, toujoursallongé et de section arrondie chez les serpents terrestres, n'est pas cylindrique chezles serpents marins exclusifs, mais légèrement aplati latéralement du fait de lapression de l'eau et des mouvements ondulatoires lors des déplacements. Plus typiqueencore, la queue du serpent marin exclusif est large et aplatie en forme de palette

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natatoire ou de rame. Autre particularité, la présence d'une membrane cutanée devantl'anus et les narines, faisant office de valve étanche et les obturant pour empêcher lapénétration de l'eau lors de la plongée. Enfin n'ayant pas besoin de ramper sur terre,les écailles ventrales des serpents marins sont petites, juxtaposées et de taille presqueidentique à toutes celles recouvrant le restant du corps, alors qu'elles sont grandes,larges et lisses sous le ventre des serpents terrestres et amphibies.

L'emplacement des organes dans l'animal est organisé, pour avoirun bon équilibre et une bonne adaptation à la plongée. Ainsi le cœur est en positioncentrale, alors qu'il est plus antérieur chez les espèces terrestres. Les poumons, aunombre de trois, sont répartis de la tête à la queue et peuvent servir alternativement,par exemple si l'un est comprimé par l'estomac distendu après ingestion d'une proie etn'est plus fonctionnel. Le poumon postérieur est volumineux, en forme de sac et sertaussi de réservoir d'air et de ballast pour assurer la flottabilité. Les plongées peuventdurer selon les serpents jusqu'à trois heures et atteindre 100 m de profondeur, mais laplupart du temps elles sont plus modestes. A court d'air, le serpent remonte en surfacepour respirer avec ses narines et se réoxygéner.

La maturité sexuelle de ces animaux est en général de 18 moispour les deux sexes. Le mâle possède deux hémipénis latéraux, à la partie postérieuredu corps, à la base de la queue. Ils sont invaginés au repos et en érection uniquementau moment de la copulation. L'un d'entre eux seulement pénètre l'orifice cloacal de lafemelle et y déverse la semence. La gestation dure ensuite selon les espèces entre 3 et11 mois. Les femelles des serpents amphibies, ovipares, gagnent la terre ferme, aprèsla fécondation, pour y pondre entre 4 et 30 œufs. Les femelles des serpents marinsexclusifs sont ovovivipares. Après fécondation en mer, elles vont couver et garder lesœufs dans leur abdomen jusqu'à la maturation complète des petits serpents, qui serontensuite libérés en pleine mer.

Au plan sensoriel la vision des serpents marins est moyenne et nerend compte que du mouvement. Elle est insuffisante pour une identification correctedes proies. Curieusement, certains serpents possèdent des photorécepteurs au niveaude la queue, leur permettant de connaître sa position exacte dans l'obscurité.L'audition est mauvaise, mais il existe dans l'oreille interne des récepteurs sensiblesaux vibrations et aux changements de posture, donnant des informations précises surla position. Le sens le plus développé chez les serpents marins est en fait l'olfaction.Les informations, sous forme de molécules chimiques, sont captées dans l'air et dansl'eau par des récepteurs situés aux extrémités fourchues de leur langue. Elles sontanalysées et décryptées au niveau du palais par un organe olfactif très sophistiqué,l'organe de Jacobson, puis transmises au cerveau par voie nerveuse. C'est par desmouvements permanents de frottement des deux pointes de la langue contre le palaiset par analyse et appréciation de la différence entre les informations fournies, que lesserpents sont capables d'identifier la nature des proies, leur position et d'évaluerl'environnement dans lequel ils se situent.

L'alimentation des serpents marins est variable selon les espèceset selon le biotope. Elle peut être diversifiée, avec au menu de nombreuses espèces depoissons et plus rarement des invertébrés, crabes, crevettes, céphalopodes, ou être aucontraire très spécialisée. Certains serpents ne se nourrissent en effet que d'une sorte

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de proie : anguilles, gobies, crabes ou œufs de poissons. Lorsque le plat du jour est unpoisson, il est toujours avalé tête première, de telle sorte que ses épines ne puissent sedresser et causer des blessures. De plus, pour ne pas être intoxiqué par la quantité desel ingéré, les serpents marins disposent de glandes situées sous la langue au niveaude la mâchoire inférieure, capables de concentrer le sel et de l'excréter à chaque foisqu'ils sortent la langue. Les serpents amphibies ont la particularité d'avoir leur glandeà sel située à un endroit différent. Elle est localisée juste à l'avant du palais.

Tous les serpents changent de peau à intervalles réguliers. Lamue est plus fréquente chez les serpents marins, toutes les deux à six semaines et n'alieu qu'une à deux fois par an chez les serpents terrestres. Elle débute derrière la têteet se poursuit vers la queue, le serpent sortant de sa vieille peau en la retournant.Enfin, à l'opposé des serpents marins vrais, les serpents amphibies viennent à terrepour muer.

B- Appareil vulnérant et toxines

L'appareil vulnérant est représenté par les crochets venimeux. Ilssont alimentés en venin par des glandes, situées latéralement sous les yeux, dont lecanal excréteur est annexé à la base du crochet. On répartit les serpents en quatregroupes, en fonction de leur dentition et de la localisation de ces crochets.

Dans le premier groupe, les serpents n'ont pas de crochet à venin,ils mordent mais ne sont pas dangereux.

Dans le second groupe, ils ont des crochets érectiles, situés aurepos dans une gaine à la partie antérieure du palais, ne s'extériorisant qu'au momentde la morsure. C'est le cas de la vipère terrestre. Il n'existe pas d'équivalent marin.

Dans le troisième groupe, les serpents ont des crochets fixesplacés très en arrière de la mandibule et l'envenimation ne peut avoir lieu qu'aumoment de la déglutition de la proie. Ils sont donc peu dangereux pour l'homme.

Anatomie de la tête d'un serpent venimeux dangereux

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Le quatrième groupe comprend les serpents les plus venimeux etles plus dangereux, c'est à dire ceux équipés de crochets fixes, non rétractiles, placésde chaque côté et en avant de l'os maxillaire supérieur. Leur surface est parcourue desillons dans lesquels le venin va s'écouler librement lors de la morsure.Parfois les crochets cassent au moment de l'impact et se retrouvent plantés dans laproie. Ils sont alors remplacés en quelques jours seulement.

Les crochets des serpents marins sont plus courts que ceux desserpents terrestres, raison pour laquelle ils traversent rarement les combinaisons ennéoprène des plongeurs. On a par ailleurs constaté que plus de la moitié des morsuresde serpent marin, comme celles de serpent terrestre, sont ''blanches'' et ne sont pasaccompagnées par une injection de venin. De là à penser que le serpent n'utilise sonvenin que pour tuer les proies comestibles et à son goût...?

L'analyse toxicologique a montré que les venins sont en fait uncocktail de plusieurs toxines, chacune dotée de propriétés particulières. Les toxinesdes serpents marins sont très puissantes, certaines vingt fois plus puissantes que cellesdu cobra terrestre ! Les plus dangereuses sont des neurotoxines. Elles agissent sur latransmission neuromusculaire et entraînent des paralysies. D'autres, les myotoxinesdétruisent les cellules musculaires avec pour conséquence la libération d'une protéine,la myoglobine, qui par voie sanguine va provoquer l'occlusion des tubules rénaux etbloquer la fonction rénale de la victime.D'autres enzymes et toxines également présents dans le venin peuvent agir sur le sanget donner des réactions hémorragiques ou allergiques.

C- Espèces venimeuses

Les serpents marins appartiennent à la famille des Elapidæ danslaquelle on reconnaît deux sous familles :

1- Les Laticaudin æ

Seul représentant de cette sous-famille, Laticauda, appelé aussiCobra de mer, Plature ou Tricot-rayé, est un serpent amphibie, ovipare, aux écaillesventrales larges lui permettant de se déplacer aisément sur terre.

Laticauda colubrina Tête de Laticauda colubrina

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Associée en alternance à des rayures noires, sa couleur est jaune,bleue, blanche ou grise en fonction de l'espèce et de l'endroit. La taille d'un adulte esten moyenne de 1 m. Le plus long mesuré à ce jour serait un Laticauda de l'espècesemifasciata de 1,80 m. Il se nourrit volontiers de petits poissons, de murènes ou decongres et à terre d'œufs d'oiseaux. Il est craintif et pas du tout agressif à tel point quecertains enfants de Nouvelle Calédonie ont parfois l'habitude de jouer avec lui.Il mord rarement et uniquement quand il se sent menacé. Son venin est néanmoinsdix fois plus puissant que celui d'un cobra royal terrestre !

Laticauda semifasciata

2- Les Hydrophiinae

Quatorze genres et quarante sept espèces de serpents de merreprésentent la sous-famille des Hydrophiinae. Ce sont tous des serpents venimeux,adaptés exclusivement à la vie aquatique, à tel point que s'il leur arrive de s'échoueraccidentellement sur une plage lors d'une tempête, ils meurent, car ils sont incapablesde se mouvoir, leurs écailles ventrales, petites, n'étant pas adaptées au glissement.

* Pelamis platurus ou serpent jaune et noir ou Pélamis bicolore C'est incontestablement le plus répandu et le mieux connu. Son

aire de distribution est très vaste et c'est le seul serpent pélagique connu à pouvoirvivre uniquement en pleine mer et à traverser l'Océan Indien et l'Océan Pacifique,d'Asie en Amérique en suivant les courants, en formant des colonies migratoires deplusieurs milliers d'individus.

Pélamide bicolore ou Pélamis platura

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Sa coloration est typique, noir sur le dessus, jaune en dessous et sa queue est aplatiejaune tachetée de noir. La taille adulte du mâle est plus grande que celle de la femelle,mais dépasse rarement le mètre. Ovovivipare la femelle donne naissance à une portéede 2 à 6 œufs ou embryons et il a la particularité de n'avoir qu'un seul poumon répartitout au long de son corps, occupant jusqu'à 10 % de son volume total.

Les illustrations suivantes donnent un aperçu de la très grandediversité des Hydrophiinae. Tous ces individus venimeux sont hautement dangereux.

Aipysurus lævis Emydocephalus ijimae

Enhydrina shistosa Hydrophis belcheri

Lapemis hardwickii Hydrelaps darwiniensisa

* Aipysurus l æ vis est un serpent de grande taille (1,50 m), équipé

de photorécepteurs dans sa queue aplatie en pagaie, ce qui lui permet de connaître àchaque instant sa position exacte. Il est très curieux, attiré par tout ce qui bouge oubrille et paraît menaçant, mais il est très craintif et pas du tout agressif.

* Emydocephalus, d'un mètre de long environ, est reconnaissableà sa tête en forme de tête de tortue. Aipysurus et Emydocephalus ont un régimepresque exclusivement composé d'œufs de poissons, alors que les autres espècescitées sont strictement piscivores.

* Enhydrina shistosa a le venin le plus toxique de tous lesserpents de mer et c'est aussi le plus dangereux. Sa taille avoisine 1,40 m. La quantité

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de venin délivrée par une seule morsure est potentiellement suffisante pour tuer 50personnes.

* Hydrophis belcheri et Hydrophis cyanocinctus, à rayuresbleues seraient à ce jour les plus grands serpents marins connus. L'un de ces derniersa été mesuré à 2,75 mètres. Leur nourriture se compose essentiellement d'anguilles.

D- Les accidents d'envenimation

1- Modes de survenue

Les risques de morsure par serpents marins sont exceptionnelspour un nageur ou un plongeur, même dans les zones où ils abondent, car ils sont leplus souvent craintifs et fuient à la moindre alerte. D'autres plus curieux approchentparfois très près, sans présenter le moindre caractère d'agressivité, à condition de nepas paniquer. Le nombre de cas mortels par morsures n'est toutefois pas négligeableet on en dénombre plus de 150 par an dans le sud-est asiatique et aux Philippines. Cechiffre est certainement sous estimé, car les accidents concernent la plupart du tempsdes pêcheurs qui vivent de leur commerce, dans des régions côtières souvent isolées.

Dans ces régions, les serpents sont chassés pour leur peau et leurchair. Ils sont consommés par les villageois dans des recettes traditionnelles, soit crus,grillés ou fumés. On les utilise également pour nourrir les crocodiles dans des fermesd'élevage, en particulier au Cambodge. La médecine traditionnelle s'y intéresse aussiet attribue aux venins des vertus toniques, aphrodisiaques et curatives, notammentpour soulager les douleurs rhumatismales. Le venin est également revendu très cher àdes laboratoires pharmaceutiques pour la fabrication de sérum antivenimeux.

Les techniques de capture à la main ou au filet, dans les eauxtroubles et vaseuses des estuaires, sont à l'origine de la plupart des morsures et lesprincipaux responsables les serpents Enhydrina shistosa et Hydrophis cyanocinctus.

2- Signes cliniques

Les morsures de serpents marins sont peu douloureuses, parfoispresque indolores et ne s'accompagnent d'injection de venin que dans 10 à moins de50% des cas, selon les études. En cas d'envenimation, dans les minutes qui suivent,apparaissent des fourmillements et un engourdissement progressif du membre mordu,parfois des signes neurovégétatifs de type syndrome muscarinique, avec sensation demalaise, sueurs, salivation abondante, nausées, vomissements.

La diffusion des neurotoxines par voie sanguine entraîne ensuitela survenue de signes neurologiques typiques d'envenimation de type cobraïque avecparalysie et chute des paupières, vision double, difficultés d'élocution, troubles de ladéglutition, sensation de grosse langue... En moins de trois heures, le blessé sombredans un état d'obnubilation, de confusion mentale et dans une sorte de coma lucide,associé à une paralysie progressive des muscles respiratoires aboutissant à l'asphyxie.

La présence de myotoxines dans le venin des Hydrophiinæ est à

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l'origine de douleurs musculaires violentes et de l'apparition d'urines de couleur rougefoncé due à la présence de myoglobine, avec la possibilité ultérieure d'évolution versune insuffisance rénale aiguë.

Certains venins de serpents contiennent également des enzymeset des toxines responsables de syndromes hémorragiques et de choc allergique, dontle médecin devra tenir compte lors de la réanimation du blessé.

3- Gestes de premiers secours

Comme dans toute situation qui peut s'avérer dramatique, il estimportant de ne pas sombrer dans la panique et on doit en priorité calmer et rassurerle blessé. Il ne faut pas non plus perdre de temps dans des gestes sans intérêt, voiredangereux tels que pomper la zone avec une seringue de type aspivenin, inciser laplaie, poser un garrot, appliquer une source de chaleur ou une ''pierre noire'', ou laverla plaie avec un liquide quelconque...

Il faut par contre alerter les secours au plus vite pour un transfertmédicalisé en urgence vers un centre hospitalier équipé et comprimer la zone blessée.On commence par bander l'endroit mordu, puis le restant du membre, avec une bandede crêpe assez serrée et on immobilise le tout avec une attelle, interdisant le moindremouvement. Le blessé doit ensuite rester le plus statique possible jusqu'à la prise encharge médicale. Des études ont prouvé que cette technique de pression-immobilisation parfois décriéeest capitale et permet d'éviter ou de limiter la plupart du temps la diffusion sanguinedu venin et ses conséquences désastreuses.

A l'hôpital le sujet est pris en charge d'emblée dans un servicespécialisé, ou mis en observation pendant 24 H, période pendant laquelle les signesd'envenimation peuvent encore se déclarer s'ils n'étaient pas présents au début.

Si l'identification du serpent mordeur n'est pas acquise, des testspourraient apporter la réponse par prélèvements de venin au niveau de la plaie, ou surdes échantillons sanguins et urinaires du blessé. Ces analyses peuvent être réaliséesdans un laboratoire spécialisé à Melbourne en Australie, ou directement au chevet dublessé, à l'aide d'un kit de diagnostic biologique rapide : le ''CSL Snake VenomDetection Kit''. Conçu initialement pour l'identification des morsures de serpentsterrestres australiens, ce test est utilisable également pour les serpents marins. En fait,son intérêt est plus théorique que pratique, car il existe sur le marché un sérumantivenimeux performant contre la plupart des venins transmis par morsures deserpents : ''CSL Sea Snake Antivenom''.

Ce sérum polyvalent efficace est fabriqué en Australie à partir desérum de cheval immunisé par des injections répétées de venin d'Enhydrina shistosa.On le réserve aux cas sévères, quand le pronostic vital est engagé, car il existe unrisque de choc allergique non négligeable nécessitant des précautions d'emploi, uneinjection intraveineuse stricte et une surveillance attentive en milieu hospitalier.Quand toutes ces conditions sont réalisées il n'y a pas de contre-indicationparticulière à son utilisation. L'injection du sérum doit être effectuée dès l'apparitiondes premiers signes de gravité et de préférence avant la survenue des complications.

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Deux autres sérums peuvent être employés par défaut ou en casd'inefficacité du premier sérum: ''CSL Tiger Snake Antivenom'', préparé à partir desérum de cheval immunisé par un serpent terrestre australien ou ''CSL PolyvalentSnake Antivenom''.

En Nouvelle Calédonie on a recensé en un siècle seulement cinqcas graves dont deux mortels. Les chiffres sont bien sûr différents quand les morsuresde serpents surviennent dans des pays peu développés, dans des régions isolées, là oùse concentrent les espèces les plus dangereuses et si la prise en charge médicale estabsente ou trop tardive.

Pour clore ce chapitre, rappelons que les serpents marins mordentuniquement s'ils sont surpris ou effrayés. Donc en pratique, dans les mers où ils sontnombreux et venimeux, la plus grande prudence s'impose, en marchant dans l'eau,surtout dans les mangroves. Ne jamais fouiller à l'aveuglette sous des rochers, si onpratique la pêche à pied, particulièrement si l'eau est trouble ou encombrée d'alguesdiverses pouvant masquer un serpent à la vue. Bien sur toute manipulation de serpent,toute approche et toute tentative de poursuite sont à proscrire formellement, que cesoit à l'air libre ou en plongée.

Mangrove en Australie : un des habitats préférés des serpents marins

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